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Revue d'histoire des textes

Nouveaux fragments grecs des Lettres d'Évagre


Paul Géhin

Résumé
La correspondance d'Évagre le Pontique ne nous est parvenue dans son intégralité qu'à travers une version syriaque. De
l'original grec il ne subsiste que quelques fragments. L'article ajoute huit nouveaux fragments à ceux qui ont été édités
précédemment par Mme Claire Guillaumont.
Chaque fragment est édité de façon critique, et suivi d'une double traduction française (traduction du texte grec et traduction de
la version syriaque). Le commentaire porte sur l'établissement du texte grec, les divergences avec la version syriaque et les
points de doctrine intéressants.

Abstract
The correspondence of Evagrius Ponticus reaches us in its entirety only through a Syriac version. Only few fragments remain of
the Greek original. The present paper adds another eight fragments to those edited by Mme Claire Guillaumont.
A critical edition of each fragment is presented, followed by a double translation (from Greek and Syriac). The commentary is
concerned with the establishment of the text, the divergences from the Syriac version and some interesting doctrinal points.

Citer ce document / Cite this document :

Géhin Paul. Nouveaux fragments grecs des Lettres d'Évagre. In: Revue d'histoire des textes, bulletin n°24 (1994), 1994. pp.
117-147;

doi : https://doi.org/10.3406/rht.1994.1404

https://www.persee.fr/doc/rht_0373-6075_1994_num_24_1994_1404

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NOUVEAUX FRAGMENTS GRECS
DES LETTRES D'ÉVAGRE

La correspondance d'Évagre (CPG 2437) ne nous est parvenue dans


son intégralité qu'à travers une version syriaque, sans doute effectuée dès
la fin du Ve siècle1, et, sous la forme d'un choix, à travers une version
arménienne faite sur le syriaque2. Le corpus syriaque, qui est le plus
complet, comprend 62 lettres de longueur inégale3.
Le texte original grec perdu peut être reconstitué pour des portions plus
ou moins importantes, et cela par deux voies différentes. La première voie
consiste à relever les parallèles nombreux avec le reste de l'œuvre : Evagre
a l'habitude de se citer assez littéralement, si bien qu'il suffit dans de
nombreux cas de se reporter aux textes réutilisés pour retrouver le texte grec
original de tel ou tel passage. Une autre voie, plus sûre, consiste à explorer
les florilèges spirituels et les recueils ascétiques grecs, afin d'y repérer les
quelques fragments qui ont pu survivre. Et dans ces compilations, de
bonnes surprises sont toujours à espérer. C'est la seconde voie que nous
allons suivre ici.
Disons d'abord que les trois premiers fragments grecs des lettres d'Évagre
à avoir été édités l'ont été avec les Florilèges damascéniens 4. Ce sont de

Abréviations usuelles : CPG - Clavis Patrum Craecorum; PG « Patrología Graeca;


SC — Sources chrétiennes ; KG - Kephalaia gnostica (éd. A. Guillaumont, Patrología orien-
talis 28, fase. 1, Paris, 1958).
1. Éditée par W. FRANKENBERG, Evagrius Ponticus (Abhandlungen der Kôniglichen
Gesellschqft der Wissenschafien zu Gottingen, PhiloL-hist. Klasse, Neue Folge, Bd. XIII, 2),
Berlin, 1912, pp. 564-611. Le texte syriaque est celui de YAddit. 14578 (vr-VIT s.) de
la British Library de Londres. L'éditeur l'a accompagné d'une rétroversion grecque sans
esprits ni accents.
2. Éditée par le Mékhitariste H. B. SarghISIAN, Du saint Père Évagre le Pontique vie
et œuvres traduites du grec en arménien au V siècle (en arménien), Venise, 1907, pp. 334-
374. Le corpus arménien compte 30 lettres : en fait 25 seulement se retrouvent dans
le corpus syriaque ; les cinq autres pièces sont étrangères à la correspondance. Sur les versions
syriaque et arménienne, voir la mise au point récente faite par A. et Cl. GUILLAUMONT,
Les versions orientales et le texte grec des « Lettres » d'Evagre le Pontique, in Langues
orientales anciennes, Philologie et Linguistique, t. 3, 1991, pp. 151-162 [abrégé dans la
suite en : Versions]. A. Guillaumont a aussi consacré pendant plusieurs années son cours
de l'École Pratique des Hautes Études (Ve Section) à la traduction des Lettres.
3. Deux documents plus développés, la Grande lettre à Mélanie (CPG 2438) et la Lettre
sur la Trinité (CPG 2439), n'appartiennent pas au corpus proprement dit et ont une tradition
manuscrite indépendante. Le premier document n'a survécu qu'en syriaque, tandis que le
second, qui est une lettre dogmatique, a été entièrement conservé en grec (parmi les œuvres
de Nil ou dans la correspondance de Basile de Césarée).
4. Sur ceux-ci, voir infra, note 9.
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courts extraits des lettres 36, 55 et 56. Π revient à E. Peterson d'avoir


identifié le premier comme un extrait de la correspondance 5 et d'avoir
rapproché le troisième d'un passage parallèle du traité évagrien Des mauvaises
pensées6, sans pour autant avoir réussi à en déterminer l'origine exacte.
La découverte la plus belle est due à M™1" Claire Guillaumont qui a
retrouvé, en étudiant la tradition manuscrite du Traité pratique, plusieurs
fragments de lettres dans les codd. Sabaiticus 157 et Sinaiticus gr. 462.
Le premier manuscrit donne deux extraits de la lettre 52, le second des
extraits des lettres 58, 56, 52, 4, 25, 27 et la totalité de la lettre 31. Tous
ces textes ont été publiés aux pages 218-221 de l'article « Fragments grecs
inédits d'Évagre le Pontique », Texte und Textkritik {Texte und Untersuchun-
gen 133), éd. J. Dummer, Berlin, 1987 7; ils représentent quatre-vingt-dix-
huit lignes imprimées.
Enfin deux autres courts extraits des lettres 51 et 52 ont été découverts
par G. Bunge, dans les Alfoquia de l'Abbé Zosime8.
Au cours de nos propres recherches, nous avons rencontré quelques
fragments nouveaux que nous voudrions présenter maintenant.

I. FRAGMENTS DES FLORILÈGES DAMASCÉNIENS


II y a quelques années nous avions entrepris un relevé des fragments
attribués à Evagre par les Florilèges damascéniens et par les Florilèges sacro-
profanes qui en dérivent9. L'enquête nous avait montré qu'Évagre n'était
pas l'auteur le plus représenté et qu'il venait même en dernier dans la suite

5. E. PETERSON, Zu griechischen Asketikem. Zu Evagñus Ponticus, in Byzantinisch-


Neugriechische Jahrbücher, t. 4, 1923, p. 8.
6. Zu griechischen Asketikem III, in Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher, t. 9,
1931-1932, p. 53.
7. Des difficultés d'éditeur ont retardé la publication de cet article qui était destiné aux
Mélanges Marcel Richard et prêt en mai 1972.
8. Éd. AUGOUSTINOS, Jérusalem, 1913, p. 4. Le premier texte extrait de la lettre 52
(= Frankenberg, p. 600, lignes 12-13) est le suivant : Έγώ τους ¿μέ κατηγοροδντας ούχ
αίτιώμαι, άλλα και εύεργέτας χαλώ * και οόχ απωθούμαι τόν ΐατρόν των ψυχών φαρμακον
ατιμίας προβάγοντα κενοδόξω ψυχή (« En ce qui me concerne, je n'accuse pas ceux qui me
blâment, mais je les appelle même bienfaiteurs ; je ne repousse pas le médecin des âmes
qui présente le médicament du mépris à mon âme vaniteuse »). Le second vient de la
lettre 51 (= Frankenberg, p. 598, lignes 20-21) : Και δέδοικα μήποτε περί της έμής
ψυχής εΐπη* « ¿ατρεύσαμεν την Βαβυλώνα και ούκ Ιάθη » (« Je crains qu'on ne dise
de mon âme : « Nous avons soigné Babylone, et elle n'a pas été guérie » [Jér. 28, 9]). Textes
identifiés par G. BUNGE, Evagrios Pontikos, Briefe aus der Wüste, Trêves, 1986, p. 79,
à qui on doit la seule traduction des Lettres dans une langue moderne [travail abrégé ci-
dessous en : Briefe].
9. Voir M. RICHARD, Florilèges spiritueh grecs, in Dictionnaire de Spiritualité, t. V, 1964,
col. 476-486 [article repris dans Opera minora, I, Turnhout-Louvain, 1976, sous le n° 1].
Les Florilèges damascéniens remontent à une ample compilation attribuée à saint Jean
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 119

des auteurs cités, à côté de Nil d'Ancyre et de Clément d'Alexandrie, juste


avant les auteurs juifs Philon et Josèphe également mis à contribution.
Concernant les Lettres, nous n'avons pu ajouter aux trois fragments déjà
signalés plus haut qu'un seul fragment nouveau venant de la lettre 51.
Cette étude nous a tout de même permis d'établir que le compilateur des
Florilèges damascéniens avait utilisé un échantillon assez vaste des œuvres
d'Evagre; il a eu recours en premier lieu et surtout à trois collections de
Gnomai (dont les deux premières sont des collections alphabétiques) 10,
mais aussi à d'autres œuvres : les Sentences aux moines (ch. 111-112) et
les Sentences à une vierge (ch. 9), le Traité des huit esprits de malice (extrait
du ch. 13), le Traité pratique (ch. 20, 26, 30, 48), le Gnostique (court extrait
du ch. 47) n, les Centuries gnostiques (KG V, 47) 12, les Scholies aux
Psaumes (schol. 9 ad Ps. 5, 1 1) 13, les Scholies aux Proverbes (début de la
schol. 189 ad Prov. 19, 4) u et les Lettres; quelques textes proviennent
également des Chapitres des disciples d'Evagre iS.

Damascene, les Hiera, composée en Palestine au cours du VIIIe s. La matière était


répartie en trois livres. Le premier livre était consacré à Dieu, le second à l'homme, le
troisième aux vertus et aux vices. Alors que les titres (τίτλοι) des deux premiers livres étaient
classés selon Tordre des lettres de l'alphabet (στοιχεία), ceux du troisième livre étaient
disposés par paires (παράλληλα), chacun étant consacré à une vertu et au vice opposé. Très
vite, ces trois livres ont été abrégés et combinés en une série unique, selon l'ordre
alphabétique. L'auteur du florilège Parisinus gr. 1 168 a travaillé à contre-courant en réorganisant
une partie de la matière damascénienne par auteurs. Par la suite, le fonde damascénien,
presque exclusivement biblique et patristique, a fusionné avec diverses collections de
sentences profanes. Le premier florilège sacro-profane, les Loci communes du Pseudo-Maxime,
ne connaît des florilèges damascéniens que ce que donne le petit florilège parisien par auteurs.
Les Loci communes du Pseudo-Antoine et le Fiorilegium Atheniense semblent avoir puisé
à nouveau dans une recension abrégée du IIIe livre des Hiera, ce qui les rend
particulièrement précieux pour la reconstitution de ce livre disposé en parallèles.
10. Ces trois courtes collections de sentences (CPG 2443-2445) ne forment pas la
partie la plus originale de l'œuvre d'Evagre, car elles sont des pastiches des Sentences de
Sextus, comme l'a montré leur dernier éditeur A. ELTER, Gnómica I, Sexti pythagorici,
CUtarchi, Evagrii Pontici sententiae, Leipzig, 1892, pp. XLVII-LIV. De la première collection
on trouve citées les sent. 1-3, 6-9, 11, 17-19, 22-23; de la seconde les sent. 1-6, 11-12,
14-16, 19-20, 23, 25; de la troisième les sent. 3-5, 8-9, 11-12, 15, 22, 25-26.
11. Voir A. et Cl. GuiLLAUMONT, SC 356, pp. 184-186.
12. Liste des témoins qui attribuent tous le texte à Évagre : T, f. 21 v°; Le Quien,
p. 308 (- PG 95, 1097 A13-B1); R, f. 60 v°; P, f. 49B v°a (pour la signification des
sigles, voir infra, pp. 128-129). Texte : Τιμώμεν αγγέλους ου δια τήν φυσιν, άλλα δια τήν
άρετήν και δαίμονας άτιμάζομεν δια τήν ένυπάρχουσαν αότοίς κακίαν. A ce jour, on a retrouvé
en totalité ou en partie le texte grec de 140 chapitres gnostiques sur les 540 que compte
l'œuvre, soit environ le quart.
13. liste des témoins qui comportent tous l'attribution Εύαγρίου : Τ, f. 54 v°; Le Quien,
p. 397 (- PG 95, 1293 Β 11); P, f. 97 v°a; A, f. 289 v°. Texte: Μακαριστής εστί βουλής
κακής ¿χπεσεΐν.
14. Voir P. GÉHIN, SC 340, pp. 75-76 et 282-283.
15. Sur ces textes dont nous préparons l'édition, voir J. PARAMELLE et A. GuiLLAUMONT,
Parole de l'Orient, t. 6-7, 1975-1976, pp. 101-113 et 115-123.
120 PAUL GÉHIN

L'apport des Florilèges pour les Lettres est donc minime. Des enquêtes
plus poussées dans ce type de compilation sont cependant susceptibles de
révéler de nouveaux textes. Les plus anciens florilèges donnent souvent, en
plus de l'attribution, une référence à l'œuvre d'où est tirée la citation. Le
Parisinus gr. 923, qui est un somptueux manuscrit oncial du IXe siècle 16,
donne pour l'extrait de la Lettre 36 cette référence : έκ της οζ' επιστολής.
Quel crédit accorder à ce numéro 77 ? Le corpus des Lettres aurait-il été
plus développé en grec ? Il est impossible pour l'instant de répondre à une
telle question, et une erreur due à l'étourderie d'un copiste est toujours
possible.

IL FRAGMENTS DES RECUEILS ASCÉTIQUES

A. Codex Vatopedinus 57

Ce volumineux recueil de 517 folios, sans doute écrit à la fin du


XIIIe ou au début du XIVe siècle, comprend plusieurs sections « niliennes »
dans lesquelles on trouve des textes qu'il convient de restituer à Evagre 17.
La première de ces sections (ff. 133-157 v°) a été minutieusement
analysée par Mme Claire Guillaumont dans son Introduction à l'édition du Traité
pratique, SC 170, pp. 220-225 1». La découverte aux ff. 148 v°-149 v° de
19 chapitres du Gnostique avait alors montré l'intérêt du recueil pour la
connaissance de l'œuvre d'Évagre. Plus récemment P. van Deun a donné une
description de l'ensemble du manuscrit19, une description qui rend
imparfaitement compte de la richesse du recueil, comme le montreront les
remarques qui suivent.
Pour la seconde section nilienne (ff. 394 v°-408), P. van Deun ne
donne en effet qu'un seul titre : Institutio seu Paraenesis ad Monachos
(CPG 2454) 20, alors qu'un simple coup d'oeil sur le manuscrit montre que

16. Pour la décoration : K. WEITZMANN, The Miniatures of the Sacra ParaUela.


Parisinus Graecus 923, Princeton, 1979. Voir aussi Byzance. L'art byzantin dans les collections
publiques françaises [Exposition. Paris, Musée du Louvre 1992-1993], Paris, 1992,
pp. 190-191.
17. Une partie de l'œuvre d'Évagre a été placée en grec sous le nom de Nil d'Ancyre.
18. Dans la note 2 de la p. 218, Claire Guillaumont indique qu'elle n'a pas eu accès
à l'ensemble du manuscrit et n'a pu consulter que les ff. 102-123, 133-177 et 297-350
que Marcel Richard avait photographiés au cours d'une de ses missions à l'Athos. Le
microfilm intégral n'est arrivé à l'I. R. H. T. qu'en 1992 grâce aux soins du Centre d'études patris-
tiques du monastère des Vlatées de Thessalonique.
19. Un recueil ascétique : l'Athous Vatopedinus 57, in Byzantinische Zeitschrifi, t. 82,
1989, pp. 102-106. L'attention de l'auteur a surtout été retenue par les ff. 179 v°-296 v°
qui contiennent une intéressante collection d'œuvres de Maxime le Confesseur.
20. L'auteur s'est contenté de reprendre l'identification proposée par Cl. Guillaumont
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 121
dans cette partie se suivent plusieurs œuvres nettement distinguées les unes
des autres. C'est sous un titre tout à fait inattendu que nous avons
découvert dans cette série deux extraits des lettres d'Évagre. Voici le détail des
œuvres copiées :
— (ff. 394 v°-395) (Évagre), Exhortation aux moines (CPG 2454), dans
la recension courte de la Patrologie;
— (ff. 395 v°-396 v°) (Hésychius de Jérusalem?), Chapitres paréné-
tiques I (CPG 6583 a) ; après la première ligne de la sent. 98, on a la fin
donnée dans la note 1 de la Patrologie;
— (ff. 396 v°-397) (Évagre), Des maîtres et des disciples (CPG 6053);
— (ff. 397-399) (Idem), Sentences aux moines (CPG 2435), sous le
titre : Παροιμίαι21; il manque les sent. 35 et 102-126, ligne 9 (le texte
reprend avec les mots oî δεχόμενοι αυτούς άπολοΰνται) ;
— (f. 399 v°), (Idem), Sentences alphabétiques I et Vingt-six Sentences
(CPG 2443 et 2445) ; dans la première série, il manque les sent. 20 et 23
(lettres ïetT);
— (f. 400-401 v°) (Hésychius de Jérusalem?), Chapitres paréné-
tiques II (CPG 6583 b); la collection commence ici avec la sent. 2 sous
l'incipit : Δει τον επιθυμούντα;
— (ff. 401 v°-403) (Évagre), Plusieurs extraits des Bases de la vie
monastique (CPG 2441) et un extrait du Traité à Euloge (CPG 2447),
placés sous un titre prometteur, mais totalement inadapté : Του αύτοΰ εκλογή
έκ των επιστολών. Du premier traité on lit des extraits des chapitres 7, 8
et 9 (PG 40, 1257D 2-7 + 1260 Β 1-8; 1260 B9-C4 + C13-D5;
1261 A 12-D2) et les ch. 10 et 1 1 en entier; après une sentence non
identifiée22, un extrait du ch. 9 du Traité à Euloge (PG 79, 1105 A15-C2);
— (ff. 403-406 v°) Deux Lettres de Nil copiées à la suite Tune de
l'autre. Seule l'adresse de la première est indiquée : III, 33; II, 117;
— (ff. 406 v°-407) Parénèses (voir infra);
— (ff. 407-408) Nil, lettre 257 du Livre III (au diacre Agapet);
— (f. 408) Nil, lettre 40 du Livre III (au moine Euthalius).
Le texte qui va maintenant retenir notre attention se trouve aux ff. 406
v°-407 sous ce titre curieux : Του αύτοΰ παραινέσεις περί μετανοίας και
εγκράτειας. Il est formé de quatre extraits qui se suivent sans solution de

à partir du catalogue Eustratiadès-Arkadios (SC 170, p. 226), sans prendre lui-même la peine
d'examiner le manuscrit.
21. Ce titre convient bien à ces sentences qui plagient les Proverbes de Salomon. De
plus c'est le mot employé par Évagre lui-même dans la dernière sentence (n° 137) :
Μέμνησθε του δεδωκοτος ύμΐν έν κυρίω σαφείς παροιμίας.
22. Εί γαρ νηφόντως προσευχόμεθα και ¿γρηγορότως, τευξόμεθα πάντως χαί ών αίτούμεθα -
μόνην τήν του θεοΰ βασιλείαν αίτείν διδασκόμεθα.
122 PAUL GÉHIN

continuité. Le premier n'a pas été identifié. Les deux suivants sont tirés des
lettres 6 et 56 d'Évagre. Le quatrième donne la fin d'une homélie chrysos-
tomienne. Un tel agencement ne peut être que celui d'un florilège. A la suite
de deux accidents assez banals dans ce genre de littérature (blocage de
textes d'auteurs différents, déplacement vers le haut du sigle marginal
d'attribution), nos quatre textes ont été réunis sous le patronage d'un auteur
unique, Nil23.
1. Άρξάμενος δια νηστείας χαλίνωσον την γλώσσάν σου· τό (...)
συμποδίσας βιβλίω και κέλλη και λογισμω ευσέβειας * ρήξον φωνήν βοών προς
Χριστόν ει ήμαρτες έν γνώσει, τό βάπτισμα μιάνας' Ίησοΰς γαρ επέστη
μετάνοιαν κηρύσσων ή χρεία γαρ της σαρκός είς δόξαν θεού έκτίσθη, και
της σαρκός και της ψυχής Ίησοΰς έστιν ιατρός · χρήσαι οΰν τη σαρκί σου προς
τας εύλογους χρείας ύποπιάσας έν πάσι, πορνείαν και δργήν νίκησον, βάδιζε
δε νηφόντως, πάντοτε την σάρκα σου κολαφίζων · μείζονα γαρ αυτής έχθρόν
ούκ έχεις υπό τον ούρανόν.
2. Έγώ μέν ούχ ικανός — τη αναγνώσει της θείας γραφής (lettre 6,
texte infra).
3. Ταύτην την πραΰτητα — και έχούση δαίμονα κυβερνήτην (lettre 56,
texte infra, lignes 13-21). Les quatre dernières lignes correspondent au début
du fragment numéroté λζ' dans le Sinaiticus gr. 462 (lignes 11-13 de
l'édition Cl. Guillaumont).
4. Μεριμνήσωμεν τό πράγμα, αγαπητοί, άλγήσωμεν ένταΰθα τω
λογισμω, ϊνα μή άλγήσωμεν έκεΤ τη κολάσει, άλλ' ίνα άπολαύσωμεν των
αιωνίων αγαθών ένθα « άπέδρα οδύνη και λύπη και στεναγμός » (Isaïe 35,
10; 51, 11), ίνα τύχωμεν τών υπερβαινόντων τόν άνθρώπινον νουν αγαθών
(Jean Chrysostome, Horn. 23 sur VEpître aux Hébreux, PG 63, col. 166,
lignes 37-42, repris dans YEcloga 44, ibid., col. 888, lignes 15-20).

Cette section « nilienne » est suivie aux ff. 408-445 d'un petit florilège
intitulé : Διδασκαλία τών οσίων και θεοφόρων πατέρων ημών περί προσοχής
και φυλακής καρδίας και νοεράς ησυχίας. On y lit successivement des extraits
des auteurs ou des œuvres qui suivent : (ff. 408 v°-412 v°)24 Chrysostome
et Basile (textes provenant de la Lettre aux moines [CPG 4627] qui figure
parmi les Spuria de Chrysostome), (f. 412 v°) Grégoire de Nazianze25,
puis le début de IV Maccabées (ch. 1, 1-7), (ff. 412 v°-414) des (extraits
du De natura hominis du moine Mélèce), (f. 414 r°-v°) Théodore Studite,
(ff. 414 v°-421) Isaac le Syrien, (ff. 421-429) Macaire le Grand, (f. 429 r°-

23. Il n'est pas exclu que le premier texte, non identifié, provienne d'un traité de Nil
ou de sa correspondance.
24. Entre 411 v° et 412, lacune provoquée par la chute d'un folio.
25. Court extrait du Discours 20 (PG 35, 1065 A7-B10; SC 270, § 1, lignes 5-20).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 123

v°) l'Abbé Isaïe, (ff. 430) 2« Évagre27, puis Éphrem le Syrien, (ff. 430-431)
Théodore Aboucara, (f. 431) Denys l'Aréopagite, puis Grégoire de Nysse,
(f. 431 r°-v°) Cassien, (£f. 431 v°-432) Syméon le Nouveau Théologien,
(£f. 432-435) Barsanuphe, (ff. 435-436 v°) la Vie de l'abbé Philemon.
A partir de là les choses sont plus confuses. Il y a alternance
d'apophtegmes et de sentences diverses. C'est au f. 439 r°-v° que nous avons eu
la surprise de découvrir, entre une sentence anonyme 28 et un apophtegme
sur la ξενιτεία, trois nouveaux extraits des Lettres d'Évagre, sans aucune
indication d'auteur.
1. Τήν θεωρητικήν κατάστασιν — μήποτε συμπαραληφθης (extrait
de la lettre 58). Le texte déborde au début et à la fin l'extrait donné
sous le n° λς' par le Sinaiticus gr. 462 (éd. Cl. Guillaumont, p. 218,
lignes 2-10).
2. "Ωσπερ ουκ Ιστιν άνευ του σώματος — ή θυμούμενον ανθρωπον (nouvel
extrait de la lettre 56, voir infra, lignes 1-17). Les quatre dernières lignes
de cet extrait correspondent (à quelques variantes près) aux quatre
premières lignes de l'extrait découvert plus haut, au f. 407.
3. Ούτε ως δικαίω δικαίως — τοις άνθρώποις ου παύομαι (extrait de
la lettre 7).

La dernière section nilienne (ff. 477-482) n'apporte rien de nouveau


en ce qui concerne les Lettres. Nil-Évagre reparait en effet sans aucune
indication d'auteur au f. 477, ligne 5 ab imo, avec un texte du Traité à Euloge
commençant par les mots : Τις των δοκιμωτάτων περί ταπεινώσεως. On lit
à la suite plusieurs extraits des ch. 26-29 et 32-33 de ce traité (PG 79,
1128 C15-D7; 1129 B2-12 + 1129 C9-1132 Al; 1132 B13-D11;
1136 B9-10 + D7-9 + C4-6 + 1136 Dll-1137 A2; 1137 A4-9 +
B12-D3 + 1137 D5-10 + 1140 A6-15), cinq sentences de Y Exhortation
aux moines (II, 36, 39-42) ^, cinq sentences des Instructions (7, 13, 33,
31, 34) 30, trois extraits des Huit esprits de malice empruntés aux ch. 3, 5

26. Dans une note qui occupe les huit premières lignes du folio, le copiste avertit son
lecteur qu'il omet de transcrire à cet endroit des textes qu'il a déjà copiés plus haut, textes
des auteurs suivants : Maxime, Diadoque, Nil, Philothée de Batos, Marc l'Ermite, Hésychius,
Thalassius et Jean de Carpathos.
27. Trois textes : Des mauvaises pensées (recension longue, ch. 41 » PG 79, ch. 24,
1228 D3-1229 A 11) ; Skemmata 2 et 23. C'est l'unique mention d'Évagre dans le
manuscrit. La présence de ces textes a été signalée par P. VAN DEUN, dans un second article
intitulé : Œuvres d'Évagre le Pontique passées inaperçues dans VAthous, Vatopedinus 57 (XIII*-
XIV siècle), in Byzantion, t. 60, 1990, p. 442. Sur ce groupement, voir infra, p. 127.
28. Σημεΐον φιλοθεΐας προσευχή £ρεμβος ■ αμέλεια δέ αυτής και ρ"εμβασμός φιληδονίας
τεχμήριον.
29. PG 79, 1237 D 10-12; 1240 Α5-Β10.
30. De cette œuvre il n'existe qu'une édition très partielle due à J. MUYLDERMANS,
Evagriana. Extrait de la revue « Le Muséon », t. 44, augmenté de « Nouveaux fragments grecs
124 PAUL GÉHIN

et 6 (PG 79, 1148 B13-17 + B20-22; 1149 C12-D1; 1152 A5-B6), de


nouveaux extraits du Traité à Euloge venant des ch. 23, 3, 4 et 5
(PG 79, 1124 B8-10; 1097 C9-14; 1100 A12-14; 1100 C4-8), les
ch. 65, 67 et 68 du Traité pratique, les sent. 15 et 97 des Sentences aux
moines, des extraits des ch. 10 et 11 des Bases de la vie monastique
(PG40, 1261 D3-6; 1264 A9-14; 1264 A15-B3; 1264 B5-C1), le début
du Traité des mauvaises pensées (ch. 1 et 2 en entier, et ch. 3 jusqu'à
άντιπνεύσαντος δαίμονος = PG 79, 1204 A13), la section du Traité
pratique sur les huit pensées (ch. 6-14), le Traité des vices opposés aux vertus
en entier (aux ff. 480 v°-481 v°), la sentence 3 des Skemmata, une
nouvelle sélection du Traité pratique (ch. 20, 22, 23, 27, 30 [début], 33 et
48), deux nouveaux extraits du Traité des mauvaises pensées (PG 79,
ch. 25, 1229 A-D et PG 40, ch. 68, 1241 Dl-8). C'est avec ces textes que
se termine à la ligne 20 du f. 482 cette dernière sélection évagrienne31.

B. Codex Parisinus Graecus io9i

Ce recueil au contenu exclusivement ascétique d'un peu plus de


280 folios est formé de trois parties distinctes qui semblent contemporaines
et peuvent être datées du XIIIe siècle 32. Seules les deux dernières, qui sont
étroitement liées entre elles, nous intéressent33.
inédits », Paris, 1931, pp. 20-21, n° 50-67. La sentence 13 correspond au n° 52 de
Muyldermans, et la sentence 34 au n° 66; les trois autres sentences sont inédites.
31. Dans l'article de Byzantion cité plus haut (note 27), P. van Deun n'a exploré que
les ff. 479 v°-481 v° où se trouvent les ch. 6-14 du Traité pratique et le Traité des vices
opposés aux vertus. Les autres textes d'Évagre lui ont échappé. L'auteur ne semble pas avoir
remarqué non plus que les textes du Traité pratique contenus dans cette partie appartenaient
à une tradition différente de ceux qui apparaissent dans la première section nilienne du
manuscrit, aux ff. 145 v°- 148 v°.
Concernant Nil-Evagre, signalons encore que plusieurs extraits du Traité à Euloge ont
été utilisés pour compléter la Centurie de Théodore d'Édesse qui se trouve aux ff. 55-64.
Plusieurs chapitres ayant été regroupés et quelques-uns omis, il manquait onze chapitres
pour parvenir au nombre 100. Le copiste (ou un copiste antérieur) a eu recours à des textes
étrangers pour combler le vide. Le ch. 89 est formé du début du Dejejunio de Marc l'Ermite
(PG 65, 1 109 D 1-1 1 12 A 7), les ch. 90 et 91 des ch. 18 et 63 de la Centurie de Diadoque
de Photicé, les ch. 92-99 d'extraits des ch. 9, 11, 12 et 13 du Traité à Euloge. Il s'agit
dans ces 8 chapitres de citations fidèles d'Évagre, et non d'adaptations, comme le sont la
plupart des chapitres de la Centurie de Théodore; voir l'article célèbre de J. GOUILLARD,
Supercheries et méprises littéraires, l'œuvre de saint Théodore d'Édesse, in Revue des études
byzantines, t. 5, 1947, pp. 137-157. Dans le bas du f. 177, on lit quelques lignes attribuées
à Nil et non identifiées (Ψιλοί μέν λογισμοί τη μοναδική ζωη έπιφύονται — ώς τίνα θεμέλια
γης άνακαλύπτοντες αυτή [cf. Ps. 17, 16], έμφαν(ζουσι).
32. Les ff. 288-289 qui contiennent le début des Instructions de Dorothée de Gaza et
visent à combler la perte des premiers folios du ms. sont du milieu du XIVe s. (papier à grosses
vergeures). Ajoutons que les ff. 283-284 et 286 sont vierges : ce sont des folios modernes
destinés à protéger les derniers folios du manuscrit particulièrement endommagés.
33. Le copiste de la partie III a en effet copié sur les derniers folios de la partie II
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 125

La partie II (if. 92-261) comprend 21 cahiers qui ont conservé pour


la plupart d'entre eux leurs signatures d'origine (vestige de la signature a'
sur le f. 92; dernière signature visible : κ' sur le f. 251 v°). Elle offre
d'abord les textes de cinq auteurs ascétiques : (ff. 92-118 v°) les deux
Centuries d'Hésychius le Sinaïte*4, (ff. 119-135) les degrés 27-30 de
l'Échelle de Jean Climaque, (ff. 135-149 v°) les Alloquia de l'Abbé
Zosime, (ff. 149 v°-165 v°) la Centurie de Diadoque de Photicé, (ff. 165 v°-
175) les Chapitres sur la tempérance de Philothée de Batos. Puis vient aux
ff. 175 v°-255, ligne 9, un florilège assez confus, dans lequel les mêmes
auteurs sont cités à plusieurs reprises. Une partie de la matière est
commune avec celle du petit florilège que nous avons rencontré aux ff. 408-445
du Vatopedinus 57, mais se présente dans un ordre différent et sous une
forme plus éclatée. Sous le nom d'Évagre (f. 177 r°-v°), nous retrouvons
l'extrait du Traité des mauvaises pensées suivi des deux chapitres des
Skemmata3S. Mais c'est encore une fois le nom de Nil qui va nous
réserver les meilleures surprises. Cette partie de manuscrit présente en
effet sous son nom quatre séries tfeoccerpta, dont la dernière (ff. 250-252)
va nous offrir à nouveau plusieurs extraits des Lettres d'Évagre χ. En voici
le détail :
Νείλου. Την θεωρητικήν κατάστασιν — μήποτε συμπαραληφθείς (extrait
de la lettre 58 d'Évagre);
Του αύτοΰ. "Ωσπερ ούκ εστί άνευ του σωμάτου (sic) — ή θυμούμενον
ανθρωπον (extrait de la lettre 56);
Τοδ αύτοΰ. Των νοημάτων τα μεν τυποί — νους καθαρός (début du
ch. 41 de la recension longue du Traité des mauvaises pensées : PG 79,
ch. 24, 1228 C3-D5);
Του αύτοΰ. "Ωσπερ χρονίζει το τοΰ άρτου νόημα — δια των νοημάτων
(extrait de la lettre 39);

(moyennant l'adjonction de deux folios) le traité de Nicéphore Sur la garde du cœur (ff. 255,
ligne 9-261).
34. CPG 7862.
35. Voir supra, note 27.
36. Les trois séries précédentes se trouvent aux ff. 210 v°-213, 215 v°, 217 v°. Elles
livrent des œuvres authentiques de Nil, ou des œuvres qui lui sont attribuées, comme ces
32 chapitres neptiques que Ton lit aux ff. 211-213 (sur ces textes [CPC 6080] que Ton
retrouve aussi dans un ordre différent sous le nom d'Élie l'Ecdicos ou sous celui de Maxime
le Confesseur, voir A. et Cl. GuiLLAUMONT, SC 170, pp. 220-221, où il faut en fait parler
de 36, et non de 34 sentences). Il n'y a là rien que l'on puisse revendiquer pour Évagre.
Ajoutons que le nom de Nil a disparu au f. 233 r°-v°, en tête de trois textes qui lui sont
habituellement attribués : les ch. 149 et 48 du Traité de la prière d'Évagre, et, entre les
deux, le n° 27 de la Collection de lettres de Nil en 53 chapitres = lignes 1-19 de la
lettre III, 283 (sur cette collection, voir A. et Cl. GuiLLAUMONT, SC 170, pp. 224-225 et
n. 5).
126 PAUL GÉHIN

Δεΐτοινυν τον μέλλοντα — γαστριμαργίαν και πλεονεξίαν (suite de l'extrait


précédent) ;
Του αύτοΰ. Οΰτε ώς δικαίω δικαίως — τοις άνθρώποις ου παύομαι (extrait
de la lettre 7).
Puis viennent sous le titre : Του αύτοΰ άπό των ρνγ' κεφαλαίων (sic),
quatre textes qui n'appartiennent pas en réalité aux 153 chapitres du Traité
de la prière, mais à un supplément qui lui fait suite dans un certain nombre
de manuscrits37. L'ensemble se termine par les chapitres 61 et 64 du
Traité pratique. La parenté entre ce groupe tfexcerpta et ceux que nous avons
rencontrés au f. 439 r°-v° du Vatopedinus 57 est évidente : nous
retrouvons les mêmes passages des lettres 58, 56 et 7. Mais le manuscrit parisien
est un témoin plus fidèle de la source commune : il a conservé l'indication
d'auteur et un nombre plus important de textes. Cela nous vaut quelques
nouvelles lignes inédites provenant de la lettre 39 d'Évagre.
La partie III (ff. 262-285) est, à l'exclusion des ff. 262-266, ligne 4,
qui contiennent deux textes d'Anastase le Sinaïte, entièrement consacrée
à Nil. Là encore, plusieurs œuvres sont à restituer à Evagre. Cet ensemble
présente cependant un intérêt moindre dans la mesure où les textes sont
en général bien connus :
— (ff. 266-268 v°) (Évagre), Traité des vices opposés aux vertus (CPG
2448);
— (ff. 268 v°-269) Nil?, quelques lignes Περί συνειδήσεως (Παΐδας
μεν όντας — μή ώσι φανερά) ;
— (ff. 269 r°-v°) Nil?, Dix chapitres Sur les vertus (cf. CPG 6081);
— (ff. 269 v°-279) (Évagre), Traité de la prière, sans le prologue
(CPG 2452);
— (ff. 279 r°-v°) Nil, Lettre III, 303 (Δει τον νέον άσκείν — έν αίωνίαις
δωρεαΤς) ;
— (ff. 279 ν°-281) (Évagre), Exhortation aux moines (CPG 2454),
dans la recension courte de la Patrologie;
— (ff. 281-282. 285) Nü, choix de lettres : III, 71, 295, 256
(lignes 9-19), 79, 333, 35; lettre au diacre Achillios; III, 2803«.
Nous avons relevé l'étroite parenté qui existe entre le manuscrit de

37. a) Ει βούλει αληθώς προσεύξασθαι — τον άρτον σου. b) Έάν γάρ άλλοι τήν χρείαν
— της τροφής αύτοΰ. c) Μή γίνου προς μεν το λαβείν — τήν χρείαν τοΰ σώματος, d) "Opa
δε πάλιν εί έν οδύνη — συμμέτοχοι αυτών γινόμεθα. Sur ce supplément d'inspiration anti-
messalienne, voir A. et Cl. GUILLAUMONT, SC 170, p. 220.
38. Les trois premières lettres et la dernière semblent provenir de la Collection
en 53 chapitres (voir supra, note 36). La lettre à Achillios a été éditée par J. GRIBOMONT,
La tradition manuscrite de saint Nil. I. La correspondance, in Studia monástica, t. 1 1, 1969,
p. 256.
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 127

Vatopedi (V) et celui de Paris (Q) pour ce Florilège ascétique qui nous a
livré quatre extraits de lettres d'Évagre. V nous permet certainement
d'entrevoir un état plus ancien de la compilation, mais le copiste a, comme il nous
l'indique lui-même au f. 430 39, éliminé plusieurs auteurs dont il avait
précédemment copié les œuvres intégrales. De son côté, Q a mêlé à cette
compilation une grande quantité d'éléments nouveaux ayant d'autres
provenances. Le fait que le même chapitre du Traité des mauvaises pensées
soit cité à deux reprises, une première fois (milieu du chapitre) sous le nom
d'Évagre, une seconde fois (début du chapitre) sous le nom de Nil40,
semble indiquer que le compilateur ne cite pas toujours les textes de
première main, mais a déjà recours à des extraits constitués.
L'enquête menée dans quelques florilèges ascétiques ayant connu cette
source ne nous a pas permis de découvrir de nouveaux témoins des Lettres,
mais nous avons retrouvé à plusieurs reprises les trois textes habituellement
attribués à Évagre (extrait du ch. 41 du Traité des mauvaises pensées +
Skemmata 2 et 23) ou une partie d'entre eux seulement :
— les trois textes sont cités aux ff. 279 v°-280 du Vaticanus gr. 735
(milieu du XIVe s.) 41 et aux ff. 45 v°-46 du Vaticanus Ottobonianus gr. 436
(année 1435) 42;
— les deux premiers aux ff. 160 v°-161 du Bodleianus Canonicianus
gr. 15 (début XIVe s.)*>;

39. Voir note 26.


40. La phrase ΈκεΓ γαρ λέγεται — νους καθαρός (PG 79, 1228 D3-5) est commune
aux deux fragments.
41. Le florilège débute à la ligne 12 du f. 276 et se termine au f. 301 v°. Son auteur
a eu à sa disposition un florilège apparenté à celui du Parisinas gr. 1091 et un florilège
identique à celui qui se trouve aux ff. 408-445 du Vatopedinus 57 (dans ce dernier cas,
il semble avoir eu entre les mains le ms. lui-même). Très méthodique, il s'est appliqué à
rassembler à partir de ces deux sources principales les textes dispersés d'un même auteur,
en évitant soigneusement les doublets. Mais il lui est arrivé d'aller chercher ailleurs.
C'est ainsi que pour Nil (ff. 300 v°-301 v°) il a tout simplement puisé dans deux sections
niliennes du Vatopedinus 57 (ff. 145 v°-149 v° et ff. 394 v°-396 v°) et nous donne une
sélection de textes rencontrés dans son modèle, soit : Traité pratique 15, 21, 28, 49, 55,
59, 61, 64, 68, 69, 75, 81, 91, lignes 4-6, 91, lignes 6-10, 92, 94, 99, lignes 1-4, 99,
lignes 4-6, 100, lignes 1-3; Gnostique 8 et 37; Exhortation aux moines I, 6, II, 17, 19,
20, 29, 33; Chapitres parénétiques I, 1-5 (n™ 25-29 dans PG 79, 1252 B). Pour le Traité
pratique et le Gnostique, le ms. Vatican présente donc une sous-sélection de la sélection
donnée par le ms. de Vatopedi (sur cette dernière, voir A. et Cl. GUILLAUMONT, SC 140,
pp. 223-224); il a presque toutes les leçons propres du manuscrit athonite.
42. Leur présence dans ce manuscrit a été relevée par A. et Q. GUILLAUMONT, SC 170,
p. 280.
43. Le florilège occupe les ff. 196-220 v°, 160-165 v°, 221-230 v° du manuscrit (une
fois rétabli l'ordre des folios). Π cite au f. 205 v°, sous le nom de Nil, à côté d'autres textes,
le ch. 57 du Traité pratique. Les derniers folios du manuscrit, qui sont à lire dans l'ordre
suivant : 233, 236, 231, 235, 232, contiennent aussi plusieurs œuvres de Nil. 1) (ff. 233,
236, 231, 235) Chapitres parénétiques II (CPG 6583 b). 2) (ff. 235 v° et 232 r°-v°) des
128 PAUL GÉHIN
— le dernier au f. 85 v° du Bodleianus Canonicianus gr. 16 (début
XIVe s.)44 et au f. 183 du Vindobonensis theol. gr. 274 (lre moitié du
XIVe s.), qui dérive du précédent45. Le florilège ascétique transmis par ces
deux manuscrits se présente comme l'abrégé d'un florilège apparenté à celui
que nous avons rencontré dans le Parisinus gr. 1091.

III. LES EXTRAITS DES LETTRES D'ÉVAGRE

Manuscrits et éditions utilisés pour l'établissement des textes

1. Florilèges damascéniens et sacro-profanes .*


Hiera
L Iviron 382, XVe s., ff. 171-197 (Richard, 3°, col. 479-480).
Extrait en 68 chapitres du livre III des Hiera. Inédit.
Recensions combinées des 3 livres
« Florilegium Vaticanum » (Richard, 4°, col. 480-481) :
Τ Scorialensis Ω. III. 9, XIe s.
Le Quien Édition d'après le Vaticanus gr. 1236, XVe s. : M. LE QUIEN,
Sancti Iohannis Damasceni... opera, t. II, Paris, 1712,
pp. 278-730 (= PG 95, 1033-1588 et PG 96, 1-442).
« Florilegium Rupefucaldinum » (Richard, 5°, col. 481-482) :
R Berolinensis gr. 46 (Phillipps 1450), XIIe s. Édition partielle
et défectueuse de M. LE QUIEN, op. cit., pp. 731-790
(= PG 96, 441-544).
« Florilegium PMLb » (Richard, 7°, col. 482-483) :
Ρ Parisinus gr. 923, IXe s., écriture onciale sur 2 colonnes.
« Florilegium Hierosolymitanum » (Richard, 9°, col. 483-484) :
A Atheniensis, Metochion Sancti Sepulcri 274, XIVe s.

extraits des 4 premiers chapitres du Traité à Euloge, avec une lacune correspondant à la
perte du folio médian. 3) (f. 232 v°) le ch. 17 des Skemmata, suivi des quatre premiers
mots du ch. 18. Pour être tout à fait complet, signalons qu'au f. 130, en marge du ch. 37
de la Centurie de Diadoque de Photicé, on lit une citation libre de la scholie 36 d'Évagre
sur Prov. 3, 24-25 (attestation non signalée dans notre édition).
44. Ce manuscrit est la suite du Canonici 15. Le petit florilège où se trouve la citation
d'Évagre occupe les ff. 68-86 v° (= n08 9-11 de la description de Coxe).
45. Le florilège occupe les ff. 161-185 (nos 5-8 du Catalogue HUNGER-LACKNER-
HANNICK, Vienne, 1992).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 129

Florilèges sacro-profanes
« Florilegium Parisinum » :
Ν Parisinus gr. 1168, XIVe s., ff. 74 v°-75 (section évagrienne).
Florilège par auteurs dont toutes les citations patristiques
proviennent d'un florilège damascénien (Richard, col. 489). Les
dix textes attribués à Evagre ont été édités par A. ELTER,
Gnómica I, Sexti pythagorici, Clitarchi, Evagrii Pontici sen-
tentiae, Leipzig, 1892, p. LIV, 2e col.
Loci communes du Pseudo-Maxime (Richard, Io, col. 488-492) :
Β Berolinensis gr. 206 (Phillipps 1609), XI* s.
Combefîs Édition d'après le Parisinus gr. 1167, XIIe s. : F. COMBEFIS,
Maximi Confessons Graecorum theologici eximiique philoso-
phi operum tomus secundas, Paris, 1675, pp. 528-689
(= PG 91, 719-1018).
Loci communes du Pseudo-Antoine (Richard, 2°, col. 492-494) :
Gesner Edition d'après un manuscrit perdu, plus complet que ceux
que nous possédons : C. GESNER, Sententiarum sive capitum
theologicorum praecipue, ex sacris etprofanis libris, tomi tres,
per Antonium et Maximum olim collectif Zurich, 1546,
pp. 163-213 (= PG 136, 765-1244). Chapitres répartis
en 2 livres.
« Florilegium Atheniense » (Richard, 6°, col. 496-497) :
D Atheniensis, B.N. 1070, XIVe s., ff. 84 v°-158 v°. Florilège
inédit en 100 chapitres.

2. Recueils ascétiques :
Q Parisinus gr. 1091, XIIIe s.
V Vatopedi 57, XIIIe-XIVe s.
S Sinaiticus gr. 462, XIIIe s. (éd. Cl. GUILLAUMONT).

Nous donnons d'abord le texte grec établi de façon critique, et ensuite


sur deux colonnes la traduction du texte grec et celle de la version syriaque
éditée par Frankenberg à partir de YAdd. 14578 (VIe-VIIe s.). Les italiques
font apparaître les principales divergences qui existent entre la grec et la
version46. Sauf indication contraire, toutes les corrections apportées au
texte grec sont de notre fait.

46. Pour le texte syriaque, nous avons vérifié la lecture de Frankenberg sur YAdd. 14578
et nous avons collationné les codd. Add. 12175 (VIe s.) et Add. 17167 (VF-VU·1 s.).
130 PAUL GÉHIN

LETTRE 6 = Frankenberg, p. 570, lignes 23-30.


Témoin : V, ff. 406 v°-407.

Έγώ μέν ούχ ικανός· άπεΐπον γαρ λοιπόν προς τους πειρασμούς,
δλον το σκάφος τω κυβερνήτη παραχωρήσας, « Vva μή πεποιθότες ώμεν
έφ'
έαυτοΐς, άλλ' έπί τω θεώ* » τφ έπιτιμώντι τφ άνέμω και τη θαλάσσηΒ
και άπάγοντι τους πλέοντας είς γήν έφ' ήν σπεύδουσι. Τον δέ σόν υίόν,
5 ήμέτερον δέ άδελφόν έν κυρίω, παρακαλώ ύποπιάζειν το σώμα και
δουλαγωγεΐν0,
δι' ών θεραπεύεται
δση δύναμις,
μέν το έπιθυμητικόν
προσευχαΐς τε
μέρος
και νηστείαις
της ψυχήςκαι
καιαγρυπνία
λογισμώνις,
αισχρών άνεπίδεκτον γίνεται* κρατείτω δέ και του θυμού" του έν ήμΐν
'Ιούδα γινομένου και τοις δαίμοσι προδιδόντος τόν νουν* κρατείτω δέ
ίο διά πραότητος και μακροθυμίας και ελεημοσύνης, άφ' ών τίκτεται αγάπη,
το γνώρισμα τών μαθητών*1 · προσεχέτω δέ και τη αναγνώσει της
θείας γραφής.
a. Il Cor. 1, 9 b. Cf. Matth. 8, 26 c. Cf. I Cor. 9, 27 d. Cf. Jn 13, 35
7 μέν delendum est.

Quant à moi, je n'en suis pas capable, Quant à moi, je n'en suis pas capable,
car je suis las désormais d'avoir affaire parce que j'ai été vaincu en effet par les
aux tentations, tentations.
et j'ai remis toute la barque au pilote, J'ai remis toute la barque au pilote, « afin
« afin que nous ne mettions pas notre que notre confiance ne soit pas en nous-
confiance en nous-mêmes, mais en mêmes, mais en Dieu8 » qui réprimande
Dieua » qui réprimande le vent et la le vent et commande à la mer1" et qui
mer1· et qui conduit les navigateurs conduit ceux qui sont dans la barque
jusqu'à la terre vers laquelle ils se hâtent. jusqu'à la terre de son bon vouloir, vers
laquelle ils ont le regard tourné.
Je supplie ton fils, qui est aussi notre Je supplie ton fils Aidésios, qui est mon
frère dans le Seigneur, frère,
d'opprimer son corps et de d'opprimer son corps et de l'asservir0,
l'asservir0 47, autant que possible, par les autant que possible, par la prière, le
prières, les jeûnes et les veilles, grâce jeûne et la veille, grâce auxquels est
auxquels la partie concupiscible de l'âme est soignée la partie concupiscible de l'âme,
soignée et ne devient plus réceptive aux pour qu'elle ne soit plus réceptive aux
pensées honteuses. pensées abominables et à la malice**.

47. Il y a, concernant le premier verbe du texte paulinien, hésitation dans les


manuscrits entre ύποπιάζειν (opprimer) et ύπωπιάζειν (littéralement : frapper sous les yeux,
meurtrir). La première forme paraît avoir supplanté la seconde, et la différence de sens liée à
une étymologie différente ne semble plus avoir été perçue. Voir cependant A. et Cl. GUIL-
LAUMONT, SC 356, p. 158, note à Gnostique 37.
48. Ce dernier élément est certainement un ajout du traducteur, même si l'expression
grecque correspondante (ανεπίδεκτος κακίας) est tout à fait évagrienne, cf. schol. 9 ad
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 131

Qu'il domine aussi l'irascibilité qui Qu'il réprime sa colère, laquelle est
devient en nous un Judas et livre l'intel- un Judas qui livre l'intellect aux dé-
lect aux démons, mons,
qu'il la domine par la douceur, la longa- qu'il la réprime par la douceur, la lon-
nimité et la miséricorde, desquelles est ganimité et la miséricorde, desquelles est
engendrée la charité, le signe distinctif engendrée la charité, à laquelle sont
des disciples*1; reconnus les disciples du Christ11;
qu'il s'applique aussi à la lecture de la qu'il s'applique à la lecture des Écri-
divine Ecriture. tures qui...

Les divergences entre la version et l'original grec sont peu nombreuses.


L'extrait grec a fait disparaître le nom propre Aidésios, qui était celui du
fils du destinataire de la lettre, et il ajoute au mot « frère » les mots έν κυρίω.
Le syriaque a de son côté quelques ajouts propres, qui semblent relever
la plupart du temps d'un souci d'être plus explicite. Le traducteur ne
semble pas avoir bien compris l'expression εις γην έφ' fjv σπβύδουσιν; pour
lui, Dieu conduit les passagers vers la terre qu'il leur a choisie 49.
Cet extrait se situe vers la fin de la lettre 6 qu'Évagre adresse à quelqu'un
qu'il a croisé sans le savoir lors de son passage en Palestine. Évagre regrette
de n'avoir pas pu profiter alors des enseignements salutaires qu'aurait pu
lui dispenser cette personne. Il s'interroge ensuite sur sa propre capacité
à recevoir l'enseignement d'autmi et confesse qu'il n'est pas encore venu
à bout du diable qui agit par les trois tentations principales de la
gourmandise, de l'avarice et de la vaine gloire. Après s'être demandé s'il existe
quelqu'un de la stature du Christ, qui a su au désert repousser ces trois
tentations du diable, ou de la stature de Daniel, qui a fait « crever » le
dragon en lui lançant une boulette composée de poix, de poil et de graisse
(Bel 27), Évagre reconnaît sa propre incapacité; c'est à ce point que débute
l'extrait.
Pris dans la tempête des passions, notre moine avoue avoir choisi de
remettre l'ensemble de son embarcation (c'est-à-dire son corps et son âme)
au pilote, le Christ50. On notera l'emploi de σκάφος là où le texte évangé-
lique a simplement πλοΐον. Les métaphores maritimes ne manquent pas dans
l'œuvre d'Èvagre. Il y est souvent question des vagues des logismoi, et les
échecs de la vie pratique ou gnostíque y sont présentés comme autant de
naufrages. Dans la schol. 266 ad Pwv. 24, 6, il est dit que « notre vie
sur terre ressemble à un combat naval ». Plusieurs textes renvoient plus
Ps. 91, 16; Lettre sur la Trinité 2, 44 et 10, 9 (éd. J. GRIBOMONT, dans M. FOMJN PatrUCCO,
Basilio di Cesárea. Le Lettere, I, Turin, 1983, p. 90 et 106).
49. On rapprochera l'expression syriaque (p. 570, ligne 25 : l'ar'ô d?sebhiôneh)
de celle que donne la Peschitta en Mal. 3, 12, là où le grec a γη θελητή : « Parce que vous
serez la terre que je veux, dit le Seigneur Tout-puissant. »
50. L'allusion à l'épisode évangélique de la tempête apaisée était déjà présente au début
de la lettre.
132 PAUL GÉHIN

particulièrement à l'épisode évangélique de la tempête apaisée. Deux


d'entre eux se terminent de la même façon qu'ici : Pensées 24 : « ... si
le Seigneur ne réprimande le vent et la mer, ne produit un grand calme
et ne conduit le navigateur jusqu'à la terre vers laquelle il s'est hâté » (είς
γήν έφ' ην εσπευσεν), et schol. 6 ad Ps. 88, 10 : « Car il est celui qui
réprimande le vent et la mer et qui rétablit le grand calme, afin que les
navigateurs regagnent à temps la terre vers laquelle ils se hâtent » (είς την γην
έφ' ην σπεύδουσιν).
Suivent quelques conseils adressés au fils du destinataire de la lettre.
L'enseignement exposé concerne d'abord les pratiques ascétiques et les vertus
susceptibles de guérir la partie passible de l'âme, qui se compose du
concupiscible et de l'irascible. L'exemple de Paul qui opprimait et asservissait
son corps (I Cor. 9, 27) est également donné en Gnostique 37, Exhortation
II, 12 et Moines 6.
Le dernier conseil donné concerne la lecture de l'Écriture. Dans l'extrait
grec la phrase est tronquée; elle se poursuit ainsi en syriaque : «... la
lecture des Écritures qui témoignent non seulement qu'il (c'est-à-dire le Christ
précédemment nommé) est le Sauveur du monde, mais aussi le Créateur
des mondes, ainsi que celui du jugement et de la providence qui sont en
eux51. » Ces quelques lignes montrent que l'Écriture n'est pas seulement
un guide de vie morale susceptible d'assurer le salut de ses lecteurs, mais
aussi un livre qui renferme les secrets de la gnose, et notamment ceux qui
concernent le sort des natures raisonnables et qui constituent à proprement
parler la « science physique52 ». La lettre se termine par quelques mots de
recommandation pour le porteur.

LETTRE 7 = Frankenberg, p. 570, ligne 34-p. 572, ligne 2.


Témoins : Q, f. 251 v° — Του αύτοϋ [i. e. Νείλου]; V, f. 439,
ligne 5 ab imo-f. 439 v°, ligne 1.

Οΰτε ώς δικαίω δικαίως άνάκειμαι τω θεώ, αδίκων γαρ πεπλήρωμαι


λογισμών, οΰτε πάλιν ώς δημιουργώ προσέρχομαι τω θεώ, αγνοώ γαρ
λόγους σωμάτων και ασωμάτων και κρίσεως και προνοίας, οΰτε μήν ώς
θεώ ό τάλας παρίσταμαι (αύτω), γυμνή (γαρ) τέως προσεύξασθαι τη
5 κεφαλή8 ου δύναμαι, τα του κόσμου τούτου περιφερών είδωλα και κατά
τον καιρόν της προσευχής τούτοις προσομιλών και άναχώρησιν δήθεν

51. Pour cette dernière formulation, voir par exemple la schol. 3 ad Prov. 1, 2 (... και
της έν τούτοις θεωρούμενης κρίσεως και προνοίας), ou la schol. 1 ad Eccl. 1, 1 (γνώσις...
αιώνων και κόσμων και της έν αύτοίς κρίσεως και προνοίας).
52. Partant de l'idée que la Bible représente la philosophie véritable, Évagre considère
que la matière biblique peut être distribuée selon les trois grandes divisions élaborées pour
la philosophie païenne, à savoir l'éthique, la physique et la théologie (voir SC 340, pp. 28-30).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 133

πνευματικήν επαγγέλλομαι, τη hi ψυχή συναναστρέφεσθαι τοϊς άνθρώποις


ου παύομαι.
a. Cf. I Cor. 11, 3-7. 13.
2 προσέρχομαι V : προέρχ- Q || αγνοώ γαρ Q : άγνοών V || 3 σωμάτων και Q : om.
V ex homoeoteleut. || 4 αύτω restituí || γαρ restitui || 6-7 και άναχώρησιν — επαγγέλλομαι
non leguntur in V.

Non, je ne me consacre pas à Dieu Non, je ne me présente pas à Dieu


comme il serait juste de le faire, en tant comme il serait juste de le faire, en
qu'il est Juste 53, car je suis rempli de tant qu'il est Juste, parce que je suis
pensées contraires à la justice, ni non rempli de pensées iniques; je ne m'ap-
plus ne m'approche de Dieu en tant qu'il proche pas non plus du Seigneur en tant
est Créateur, car j'ignore les raisons des qu'il est Créateur, car j'ignore les raisons
corps et des incorporels, du jugement et des (êtres) corporels et incorporels, du
de la providence, jugement et de la providence;
ni en vérité ne me tiens (en sa présence) je ne me tiens pas non plus comme si
en tant qu'il est Dieu, misérable que je j'étais devant Dieu, misérable que je suis,
suis, (car) jusqu'à présent je ne peux car jusqu'à présent je ne suis pas
prier tête nue" : câpable de prier tête découverte" :
je repasse en effet (en moi) les images je porte en effet en moi les images de ce
de ce monde et au moment de la prière monde et au moment de la prière je leur
je m'entretiens avec elles; parle.
et je promets soi-disant de me retirer en Je promets de me retirer en esprit du
esprit du monde, mais par mon âme je monde, mais par mon âme je ne cesse
ne cesse de fréquenter les hommes. de fréquenter les hommes.

L'extrait grec donne la première moitié de la lettre, dans laquelle


Évagre proteste de son indignité. A travers les périphrases qui lui sont
habituelles il avoue à son correspondant que cette indignité éclate à chaque degré
de la vie spirituelle : vie pratique qui permet de s'affranchir des logismoi,
contemplation naturelle qui fait connaître les logoi des corps et des
incorporels, du jugement et de la providence54, contemplation théologique qui se
réalise ici-bas dans la prière pure. A chacune de ces étapes Dieu se révèle
sous une dénomination propre (έπίνοια), comme Juste dans la pratique,
comme Créateur dans la contemplation naturelle, comme Dieu dans la
contemplation théologique55. L'interprétation allégorique des prescriptions
53. Nous avons tant bien que mal essayé de rendre l'effet stylistique produit par la
paronomase.
54. Sur ces quatre logoi constitutifs de la science physique (ή φυσική), voir SC 340,
pp. 43-44.
55. Une autre gradation se retrouve au niveau des trois verbes employés. Le verbe
άναχβίσθαι, emprunté au vocabulaire cultuel, rappelle l'acte de déposer des objets votifs,
il est statique et évoque la position couchée; le second (προσέρχεσθαι) évoque au contraire
le mouvement et le cheminement spirituel; le dernier (παριστάναι) évoque la station
verticale, en présence de la divinité.
134 PAUL GÉHIN

données par saint Paul en I Cor. 11, 3-15 concernant la coiffure des
hommes et des femmes dans les assemblées de prière est présente dans le
ch. 145 du Traité de /a prière (voir commentaire de I. Hausherr, Les
leçons d'un contemplatif. Le Traité de l'Oraison d'Évagre le Pontique, Paris,
1960, pp. 177-178, où on trouvera également une traduction du début de
la lettre 7). La prière accomplie par les hommes tête nue symbolise pour
Évagre la prière pure qui exige de l'orant qu'il se débarrasse non
seulement des pensées passionnées, mais encore de tous les concepts formés à
partir du monde sensible (voir infra, extrait de la lettre 58 ; Traité de la prière
55-57 et 70; schol. 3 ad Eccl. 1, 11).

LETTRE 36 = Frankenberg, p. 590, ligne 12.


Témoins : Florilèges damascéniens : L, f. 183 v° — T, f. 195 v°;
Le Quien, p. 650 (= PG 96, 264 D5-6); R, f. 245; P, f. 286 v° b -
Gesner, p. 147 (= PG 136, 1204 A6-7); D», f. 114 v°; D*, f. 151
— Έκ της οζ' επιστολής Ρ του αύτοϋ [i. e. Εύαγρίου] R A la suite de
Moines 111-112, sans indication particulière, dans les autres florilèges.

Ουδεμία των αρετών ούτως πέφυκε τίκτειν σοφίαν ως πραΰτης.


πραΰτης L D^2 : πραότης Τ Le Quien R P Gesner.
Aucune vertu nest de nature à engen- ... parce qu'aucune vertu n'engendre la
drer la sagesse, autant que la douceur. sagesse, autant que la douceur.

Le syriaque n'a pas rendu cette tournure influencée de la seconde


sophistique (πέφυκε + infinitif) qu' Évagre affectionne particulièrement. Dans cette
lettre, Évagre fait l'éloge de la charité et de la douceur de son
correspondant qui ont permis à ce dernier d'accéder à un haut degré de
connaissance56. L'extrait se situe vers la fin de ce court billet.

LETTRE 39 - Frankenberg, p. 592, lignes 2-12.


Témoin : Q, f. 251 r°-v° — Τοϋ αύτου [i. e. Νείλου].

"Ωσπερ χρονίζει τό του άρτου νόημα έν τφ πεινώντι δια τήν πεϊναν


και τό του ύδατος νόημα έν τω διψωντι δια τήν δίψαν, ούτω καΐ τό των
χρημάτων νόημα χρονίζει δια πλεονεξίαν. Ταΰτα δέ τα νοήματα αισθητών
πραγμάτων εστίν νοήματα τυποΰντα τόν νουν ημών, άναγκαίως και

56. Thème important de ces lettres. La charité, dont la douceur est une des
manifestations, est la porte de la gnose, et Moïse est le modèle de l'homme doux à qui Dieu a fait
les plus grandes révélations. En plus de la présente lettre, voir Lettres 27 (texte grec,
éd. Cl. GUILLAUMONT, lignes 63-64), 41 (FRANKENBERG, p. 594, lignes 13-14), 56
(FRANKENBERG, p. 604, lignes 12-37; fragments grecs : infra, et éd. Cl. GUILLAUMONT,
lignes 11-24).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 135

σχηματίζοντα · τοιαύτα γάρ έστι και τα πράγματα ών έστι τα νοήματα.


Ούχ £στι δέ μετά τούτων των νοημάτων δέξασθαι γνώσιν θεοΰ, διότι ή
γνώσις ¿κείνη ουδέν των του κόσμου τούτου πραγμάτων δηλοί· ου γάρ
έστι σώμα θεός, ίχον χρώμα (και) μέγεθος · ταΰτα γάρ, ως 2φην, τυποΐ
τό ήγεμονικόν ημών δια τών νοημάτων.
10 ΔεΤ τοίνυν τόν μέλλοντα νουν δέχεσθαι γνώσιν θεοΰ πάντων (χωρίζεσθαι
τών έν τοις πράγμασι νοημάτων) * αδύνατον δέ άποθέσθαι τά νοήματα μή
τα πάθη άπεκδυσάμενον · δια γάρ ταΰτα, ως £φην, χρονίζει έν ήμΐν τά
νοήματα τών πραγμάτων τών αισθητών * αδύνατον δέ τά πάθη άποθέσθαι
μή περιελόντα κατά διάνοιαν γαστριμαργίαν και πλεονεζίαν.

3 αίσθητών : έσθητών Q || 7 δηλοΐ : δηλοί Q 8 ίχον : Ιχων Q || και restituí


10-11 χωρίζβσθοΜ. — νοημάτων restituí ex Syr.

De même que la représentation du pain Car de même que la pensée du pain


persiste chez l'affamé à cause de la faim persiste chez l'affamé à cause de 5a faim
et la représentation de Peau chez et la pensée de l'eau chez l'assoiffé à
l'assoiffé à cause de la soif, de même la cause de 5a soif, de même la pensée
représentation des richesses persiste à de Mammon57 persiste à cause de la
cause de la cupidité. cupidité et la pensée de ceux qui sont
méprisants {persiste) à cause de la vaine
gloire.
Ces représentations d'objets sensibles Ces pensées d'objets corporels sont de
sont des représentations qui celles qui s'impriment dans nos esprits
impressionnent notre intellect, et lui donnent aussi et qui sont nécessairement58 figurées;
nécessairement une figure; car les objets car les objets dont elles sont les pensées
dont elles sont les représentations ont ont aussi le même effet.
aussi le même effet.
Il n'est pas possible de recevoir la H n'est pas possible de recevoir la
science de Dieu en même temps que ces science de Dieu en même temps que ces
représentations, parce que cette science- réflexions, parce que la science de Dieu
là ne montre aucun des objets de ce ne fait pas connaître quelque chose qui
monde : impressionne l'intellect :
Dieu n'est pas un corps ayant couleur Dieu n'est pas un corps qui a une
(et) grandeur; ces (propriétés), comme couleur ou la mesure d'une figure ; ces
je l'ai dit, impressionnent en effet notre (propriétés) impressionnent en effet
faculté maîtresse59 au moyen des l'intellect au moyen des pensées, comme nous
représentations. l'avons dit.
Il faut donc que l'intellect qui va rece- Π est donc nécessaire que l'intellect

57. Personnification de la richesse (cf. Matth. 6, 24).


58. Nous avons rétabli l'adverbe 'ertsôîll·, là où l'édition et les manuscrits consultés
ont 'ôrsôùr qui signifie plutôt « par hasard ».
59. Autre façon, toute stoïcienne, de désigner l'intellect comme principe directeur
de l'âme.
136 PAUL GÉHIN

voir la science de Dieu (se sépare) de tou- qui va recevoir la science de Dieu se
tes (les représentations liées aux objets). sépare des intellections des objets.
Or il est impossible de se débarrasser des Or il est impossible de fuir les pensées
représentations si Ton ne se dépouille si on ne se dépouille pas des passions,
pas des passions 60 — c'est à cause car j'ai dit que c'est à cause d'elles que
d'elles, comme je l'ai dit, que persistent persistent en nous les pensées d'objets
en nous les représentations d'objets corporels;
sensibles ;
et il est impossible de se débarrasser et on ne peut rejeter de nous les pas-
des passions, si on ne retranche pas sions, si on n'éloigne pas notre intellect
en pensée la gourmandise et la cupi- de la gourmandise, de l'avarice et de la
dite. vaine gloire.

On notera d'abord que Fexcepteur grec a fait disparaître toute mention


de la vaine gloire. Or pour Évagre, gourmandise, avarice et vaine gloire
constituent les trois vices principaux desquels tous les autres dérivent;
ils correspondent, comme l'indique la suite de la lettre conservée en
syriaque, aux trois tentations que le Christ dut subir lors de son séjour
au désert. La traduction syriaque est dans l'ensemble fidèle. Elle nous
permet de réparer une omission du grec, due à un saut du même au même.
On notera que le traducteur éprouve autant de difficultés que nous pour
rendre le mot νόημα : il le traduit neuf fois par hu$$ôbhô, qui est
pourtant le mot réservé à λογισμός, une fois par marnît^ô (réflexion) et une autre
par suk?lk!lôlô (intellection)61.
Cet extrait transmet à peu près le tiers de la lettre. La comparaison par
laquelle il débute vient appuyer la proposition précédente affirmant que les
représentations d'objets sensibles ne se maintiennent avec une certaine durée
dans l'intellect que si l'on éprouve un attachement passionné pour les objets
eux-mêmes62. Or il existe, selon la distinction établie dans le ch. 41 du
Traité des mauvaises pensées, deux sortes de νοήματα, de productions
mentales. Il y a celles qui ont une origine sensorielle et laissent une impression

6Q. Adaptation philosophique du thème paulinien du « dépouillement du vieil


homme » (cf. Col. 3, 9, où on a précisément le verbe άπεκδύεσθαι ; Éphés. 4, 22, où on
a le verbe άποτίθεσθαι). Voir par exemple Lettre 61 : « ... s'il se dépouille des passions et
du vieil homme » (FRANKENBERG, p. 610, lignes 22-23), ou bien Skemmata 23 où se trouve
l'expression τα πάθη άπεκδυσάμενος.
61. Voir aussi infra, p. 145 et n. 95.
62. Voir les passages parallèles du Traité des mauvaises pensées : « Toutes les pensées
impures qui persistent en nous à cause des passions font descendre l'intellect « à la ruine
et à la perdition » (I Tim. 6, 9). Car de même que la représentation du pain persiste chez
l'affamé à cause de la soif et la représentation de l'eau chez l'assoiffé à cause de la soif,
de même les représentations des richesses et des biens persistent à cause de la cupidité »,
etc. (PG 79, ch. 23, 1225 D6-13), et de la schol. 2 ad Ps. 145, 7 : « Les objets retiennent
l'intellect par les pensées passionnées, tout comme l'eau (retient) l'assoiffé par la soif, et
le pain l'affamé par la faim. »
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 137

et une figure dans l'intellect, et celles qui au contraire laissent l'intellect libre
de toute image, impression ou figure 63. C'est naturellement parmi ces
dernières que se range la notion de Dieu (το νόημα του θεοΰ), puisque Dieu
n'est pas un corps64. Il en résulte pour celui qui veut parvenir à la
connaissance de Dieu une double exigence : d'abord celle de se débarrasser
des pensées passionnées, ensuite celle de se débarrasser de toutes les
représentations mentales formées à partir du monde sensible65.

LETTRE 51 = Frankenberg, p. 598, lignes 22-24.


Témoin : Florilège damascénien L, f. 183 —Του αύτου [i. e. Εύαγρίου].

Είπε τις τών αδελφών καλώς μηδέν διαφέρειν τον λογισμόν της
κενοδοξίας τριβόλου πάντοθεν νυττοντος * χρησιμεύει γάρ αύτώ και σάκκος
και ιμάτιον σηρικόν και λόγος και σιωπή και κόρος και ένδεια και άναχώρησις
και συντυχια.

1 ΕΙπέ τις : θρικέτης L1* || 2 τριβόλου : τριβόλλου L || νόττοντος : νυττοόσης L ||


σάκκος : σάϊκος L || 3 σηρικόν : σηρικοΰν L.
1) Un des frères a dit avec raison 2) Un des frères a avec raison appelé la
que la pensée de vaine gloire ne dif- vaine gloire chardon piquant de tous
ferait en rien du chardon qui pique de côtés.
tous côtés,
1) Je suis étonné par l'habileté des
démons en voyant comment Us tirent parti
2) car tout lui sert, cilice et vêtement de de tout : le cilice leur sert pour la vaine
soie, parole et silence, satiété et disette, gloire et aussi le vêtement précieux,
retraite et rencontre. la parole et le silence, la satiété et la
faim, la retraite et les rapports avec les
gens.

L'ordre des propositions n'est pas le même en grec et en syriaque. Le


texte grec qui nous est transmis par un seul témoin dans un état
particulièrement défectueux a vraisemblablement été remanié par le compilateur des
Florilèges damascéniens.

63. Pour désigner cet état, Évagre emploie souvent des termes négatifs comme ατύπωτος,
άνείδωλος (voir infra, le début de l'extrait de la lettre 58), άνβίδεος, ασχημάτιστος.
64. Le rappel que « Dieu n'est pas un corps » se trouve dans le ch. 41 du Traité des
mauvaises pensées et dans la schol. 1 ad Ps. 140, 2.
65. La nécessité de ces dépouillements successifs est fréquemment rappelée par
Evagre. Voir encore le ch. 41 du Traité des mauvaises pensées, mais aussi schol. 1
ad Ps. 140, 2, Traité de la prière 53-57 et 66, Skemmata 23. Les contemplations portant
sur l'ensemble des êtres créés, qui constituent la contemplation physique, peuvent être,
elles aussi, des obstacles à la contemplation véritable de Dieu. Selon la formule du ch. 66
du Traité de la prière, il faut aller « immatériel à l'Immatériel ».
138 PAUL GÉHIN
Évagre répond ici à une lettre qui lui a été transmise par « le frère
Pallade66 ». La réponse tourne presque uniquement autour de la vaine
gloire. La comparaison de ce vice avec le tribolos est également présente
chez Jean Climaque (Degré 22, PG 88, 949, B13-C6 : « Le soleil brille
pour tous également, et la vaine gloire trouve à se réjouir dans toutes nos
activités. Par exemple, je tire vanité de mon jeûne, puis, quand je le
suspends pour ne pas être remarqué, je me glorifie de ma prudence. Quand
je porte de beaux vêtements, je suis vaincu par la vaine gloire, et quand
j'en prends de pauvres, j'en tire encore vanité. Quand je parle, je suis vaincu
par elle, et quand je garde le silence, elle me domine encore. Il en est d'elle
comme du tribolos; de quelque façon que tu la jettes, elle tient toujours dressée
l'une de ses trois pointes », traduction P. Deseille, légèrement modifiée,
Spiritualité Orientale, n° 24, Abbaye de Bellefontaine, 1978, p. 195),
et dans le De octo vitiosis cogitationibus du Pseudo-Nil (PG 79, 1461
C4-5 : « La vaine gloire est vraiment un tribolos; de quelque côté qu'elle
tombe, elle tient toujours dressée sa pointe ») 67. Évagre et Jean Climaque
dépendent d'une source commune. Le texte de l'Échelle se présente
comme une amplification de l'apophtegme rapporté par Évagre. On notera
qu'Évagre pense à la plante tandis que Jean Climaque pense à l'instrument
militaire muni de pointes de fer.

LETTRE 55 = Frankenberg, p. 602, lignes 12-14.


Témoins : Florilèges damascéniens : T, f. 34; Le Quien, p. 331
(= PG 95, 1148 A13-B3); A, f. 48 - Εύαγρίου codd.

Δει κεκραμένον είναι τόν ελεγχον, τό πράγμα μέν λέγοντα, δειλίαν


δέ προσποιούμενον κατά τους σοφούς των ιατρών οι κρύπτουσι τω χαλκω
τόν διαιροΰντα σίδηρον.

1 κεκραμένον Le Quien A : κεκραμμένον Τ 1 1 2 τους σοφούς Τ Le Quien : του σοφού Α.

Il faut que le reproche soit tempéré, Π faut en effet que le reproche soit tem-
disant le fait, mais simulant le manque péré, afin qu'en disant le fait, il
de courage, suivant en cela les sages prenne6* le visage de la crainte, suivant
médecins qui cachent dans (l'étui) de en cela les sages médecins qui cachent
bronze le bistouri tranchant. le bistouri dans les divisions du bronze.

66. Très certainement l'auteur de YHistoire lausiaque. Sur ses rapports avec Évagre,
voir A. GUILLAUMONT, Les 'Képhalaia Gnóstico.' d'Évagre le Pontique et l'histoire de l'origé-
nisme chez les Grecs et chez les Syriens (Patrística Sorbonensia 5), Paris, 1962, pp. 74-77.
67. Cette petite compilation qu'il ne faut pas confondre avec le traité évagrien Des huit
esprits de malice utilise principalement le Cassien grec, Évagre et Jean Climaque. Ces deux
rapprochements avec la lettre d'Évagre ont déjà été faite par E. PETERSON, Zu griechischen
Asketikem III, in Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher, t. 9, 1931-1932, pp. 51-52.
68. Littéralement : « il revête ».
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 139

Le traducteur syriaque ne semble pas avoir compris la construction de la


fin de ce fragment. Il y a bien un souvenir du grec διαιροΰντα dans le
syriaque pullôghô. Mais le participe grec aura été rattaché par suite de
quelque corruption à ce qui précède (le bronze) et non à ce qui suit
(l'instrument de fer)69.
Le fragment évoque la bonne manière de reprendre le pécheur. Il faut
agir avec tact et procéder de préférence indirectement, car on n'amendera
pas le coupable en l'humiliant et en lui faisant perdre la face : schol. 108
ad Prov. 9, 8; 339 ad Prov. 27, 22. Traitant d'un autre sujet (quand
le mensonge est-il légitime?), Origène évoque dans Y Horn, sur Jérémie,
XX, 3, un subterfuge analogue à celui que mentionne ici Évagre : « Que
le médecin dise au malade : II faut t' amputer, il faut te cautériser, il te faut
supporter d'autres choses encore plus pénibles, le malade ne s'y prêtera
pas. Mais parfois le médecin parle d'autre chose et a caché sous l'éponge
le bistouri qui coupe, qui tranche » (και £κρυψεν υπό τόν σπόγγον έχεΤνο
τό τέμνον, τό διαιρούν σιδήριον) (trad. P. Husson-P. Nautin, SC 238,
pp. 260-261).

LETTRE 56 = Frankenberg, p. 604, lignes 5-16 + 20-22.


Témoins :
Lignes 1-1 7 (jusqu'à θυμούμενον άνθρωπον) : Q, ff. 250 v°-251 — Του
αύτου [i. e. Νείλου]; V, f. 439, lignes 16-28 (V2 dans l'apparat).
Lignes 13-22 : V, f. 407 (V1 dans l'apparat).
Lignes 19-22 : S, f. 286 (éd. Cl. GuiUaurnont, lignes 11-13).
Lignes 19-22 (Μή άποδέχου — κυβερνήτην) : Florilèges damascé-
niens70 : L, f. 184 — T, f. 197 v°; Le Quien, p. 654 (« PG 96, 273
B9-12); R, ff. 246 v°-247; P, f. 290 b - N, f. 75 (- Elter, p. LIV);
B, f. 88; Combefis, p. 593 (= PG 91, 840 A4-6); Gesner, p. 121
(- PG 136, 1133 B10); D1, f. 114 Ve; D2, f. 142 v° - Εύαγρίου Τ Le
Quien R Ρ Ν Β Combefis Εύάγρου L Anon. Gesner D2 A la suite de
l'extrait de la Lettre 36 dans D1.

"Ωσπερ ούχ ?στιν άνευ του σώματος έπιβάλλειν τοις αίσθητοΐς, ούτως
ουκ ?στιν £νευ του (νου) ασωμάτου θεάσασθαι τόν άσώματον, και ούχ ώς
νους μόνον όρ$ θεόν, άλλ' ώς νους καθαρός* « μακάριοι γάρ, φησίν, οι
καθαροί τη καρδία, δτι αυτοί τόν θεόν δψονται* » * καΐ δρα ώς ου δια τήν
69. G. Bunge, Briefe, p. 269, suit la rétroversion de Frankenberg et traduit : «... die
das Eisen (des Chirurgen) in den Zweideutigkeiten der Divination verbergen. » Le mot
pullôgpô a été pris dans son sens figuré (ambiguïté), et il y a eu confusion entre nehM
(présage, divination) et n'hôSô (bronze).
70. Afin de ne pas charger inutilement l'apparat critique, nous n'avons pas reproduit
les nombreuses variantes des Florilèges damascéniens qui sont formées par l'omission de
l'une ou l'autre partie de ce court extrait, par des récritures ou des fautes grossières.
140 PAUL GÉfflN

5 καθαρότητα αυτούς έμακάρισεν, αλλά δια τήν θέαν του θεοΰ, είπερ καθαρότης
μεν έστιν απάθεια λογικής ψυχής, θέα δε του θεοδ γνώσις αληθής τής
προσκυνητής και αγίας τριάδος, ην δψονται οι ενταύθα τήν πρακτικήν
κατορθώσαντες και διά των εντολών καθάραντες εαυτούς* μία δε των
εντολών και αρχαία εστίν ή αγάπη1·, μεθ' ης δψεται ó νους τήν πρώτην
ίο άγάπην°· « διδάξει γάρ, φησί, πραεΤς οδούς αύτου*1 »· tí δε πραυς ήν ό
άγιος Μωϋσής παρά πάντας τους ανθρώπους*, καλώς λέγει το πνεύμα το
αγιον δτι έγνώρισε τάς οδούς αύτοΰ τω Μωϋσΐ|£.
Ταύτην τήν πραΰτητα παράθου τοίς σοϊς άδελφοΐς, οργής μετάνοιαν
(μη) δυσκόλως δεχόμενος * ουδεμία γάρ ούτως άλλη κακία δαίμονα τον νουν
15 ώς θυμός απεργάζεται* « θυμός γάρ αύτοΐς, φησί, κατά τήν όμοίωσιν του
δφεως* », και μηδέν άλλο τι νομίζωμεν είναι δαίμονα ή θυμούμενον
ανθρωπον, έκφυγόντα τήν αϊσθησιν.

Μηδείς (τοίνυν) τών αδελφών σου μιμείσθω τον δφιν μηδέ άποδέχου
20 έγκράτειαν, διωκόμενης πραυτητος· δστις γαρ βρωμάτων ή πομάτων
άπέχεται, θυμόν δε άλόγως κινεί, ούτος εοικε ποντοπορούση νηΐ και έχούση
δαίμονα κυβερνήτην.

a. Matth. 5, 8 b. Cf. Matth. 22, 36-38 et I Jn 2, 7 c. Cf. I Jn 4, 8 d. Ps. 24, 9


e. Cf. Nombr. 12, 3 f. Cf. Ps. 102, 7 g. Ps. 57, 5
1 έπιβάλλειν V2 : έπιβάλειν Q || 2 νου restituí ex Syr. : om. QV2 || ασωμάτου V2 :
σωμάτου (sic) Q || 3 άλλ' ώς V2 : άλλα Q || 5 αυτούς correxi : ταύτην QV2 || 10 πραυς
V 2 : πραεΤς Q || 11 Μωϋσης V2 : Μωϋσής Q || 13 πραΰτητα V1 : πραότητα V2 παρόρητα
(sic) Q || 13-14 όργης — δεχόμενος om. V1 || 14 μή restituí || δυσκόλως Q : ευκόλως V2 ||
15 αύτοΐς V^V2 : αύτοϋ Q || όμοίωσιν V^2 : όμίωσιν Q || 16 μηδέν V2 : μηδέ Q μηδέ
VI H δλλο τι QV2 : τι «λλο V1 || νομίζωμεν VW2 : -ζομεν Q || είναι Q V2 : om. V1 ||
17 έκφυγόντα τήν αΓσθησιν V1 : om. QV2 || 19 μή άποδέχου sic inc. fragmentum in
plerisque Florilegiis || τοίνυν S cf. Syr. : om. V1 Florilegia || 20 πραυτητος V1 : πραότητος
S Florilegia.

De même qu'il n'est pas possible sans De même qu'il n'y a pas moyen que ce
le corps d'appréhender les (choses) sen- qui est incorporel 71 s'approche des cho-
sibles, de même il n'est pas possible sans ses corporelles, de même il est impos-
(un intellect) incorporel de voir sible de voir l'Incorporel sans un intel-
Flncorporel, lect incorporel,
et ce n'est pas en tant que tel seule- Ce n'est pas l'intellect seulement72 qui
ment que l'intellect voit Dieu, mais en voit Dieu, mais l'intellect pur :
tant qu'intellect pur, car il est dit :
« Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,
parce qu'ils verront Dieu*. » parce qu'ils verront Dieu". »

71. Le traducteur semble avoir lu το άσώματον au lieu de : άνευ του σώματος.


72. Après hawnô (p. 604, ligne 6) rétablir avec les codd. Add. 12175 et 17167 le
mot balhud .
FRAGMENTS DES LETTRES D'EVAGRE 141

Considère aussi qu'il les73 a déclarés Considère qu'il ne déclare pas


bienheureux, non à cause de la pureté, bienheureuse la pureté, mais la vision 74,
mais à cause de la vision de Dieu,
puisque la pureté est l'impassibilité car la pureté est l'impassibilité de l'âme
de l'âme raisonnable, tandis que la raisonnable, tandis que la vision de Dieu
vision de Dieu est la science véritable est la science véritable de Y essence
de la Trinité adorable et sainte, que unique de la Trinité adorable, que voient
verront ceux qui ici-bas ont accompli ceux qui ici-bas ont accompli les
leur pratique et se sont purifiés par les (bonnes) œuvres et se sont purifiés par les
commandements. commandements .
Or un des commandements originels est Or un des principaux commandements
la charité b, dans laquelle l'intellect est la charité b, dans laquelle l'intellect
verra la Charité première0, voit la Charité première0, c'est-à-dire
Dieu.
Par notre charité nous voyons la charité
de Dieu pour nous 7S, comme il est dit
car il est dit : dans le psaume :
« Π enseignera ses voies aux douxd »; « II enseigne sa voie aux pauvres*1 76. »
si le saint Moïse était le plus doux de Mofee était le plus doux de tous les
tous les hommes6, l'Esprit Saint a dit hommes6, et l'Esprit Saint a dit avec
avec raison qu'il avait fait connaître raison qu'il avait montré ses voies à
ses voies à Mofee f. Mofee f.
Cette douceur, fais-en cadeau à tes Cette douceur, remets-la à tes frères, (en
frères, en ne faisant pas le difficile leur demandant) de revenir16
pour accepter (leur) repentir de la difficilement à la colère,
colère, 77
car aucun autre vice ne fait devenir car aucun vice ne fait devenir l'intellect
l'intellect démon, autant que démon, autant que l'irascibilité, par le
l'irascibilité; trouble de la colère;
il est dit en effet : il est dit en effet dans le psaume :
« Leur irascibilité est à la ressemblance « Leur irascibilité est comme celle du
du serpent g ». Ne pensons pas que le serpent g ». Ne pense pas que le
démon soit autre chose qu'un homme démon soit autre chose qu'un homme trou-

73. Texte grec corrigé. Le syriaque a une construction différente.


74. Vocalisé en hazzôyô par Bunge et traduit par « voyant » (Briefe, p. 272, ligne 2).
75. Cette phrase figurait peut-être dans l'original grec. Voir le parallèle de la
schol. 1 ad Ps. 17, 2 : Δια της αγάπης την άγάπην έπιγινώσκομεν... έκ γαρ τοΰ ομοίου το
βμοιον έπιγινώσκομεν (signalé par BUNGE, Briefe, p. 373, n. 7).
76. Selon le texte de la Peschitta.
77. Le membre de phrase fait difficulté, et le syriaque qui a une construction différente
(un impératif au style indirect introduit par un dolat ) n'est pas d'un très grand secours.
Le syriaque semble toutefois attester la présence de l'adverbe δυσκόλως (présent dans Q
seulement). Nous supposons qu'une négation est tombée dans le grec : V 1 qui ne
comprenait plus a tout simplement omis le membre de phrase, tandis que V2 a corrigé
judicieusement δυσκόλως en ευκόλως.
78. Lire pônên au lieu de pô'ên qui est une coquille de l'édition (p. 604, ligne 14).
142 PAUL GÉHIN

mu par l'irascibilité 79, qui échappe aux blé par la colère, et qui échappe aux
sens 80. sens.

Qu'aucun de íes frères (donc) n'imite le Qu'aucun 81 des frères donc n'imite le
serpent; n'admets pas une abstinence serpent; que ne soit pas admise par toi
d'où serait exclue la douceur, une abstinence ω de laquelle serait
éloignée la douceur,
car celui qui s'abstient de nourritures ou car celui qui se tient éloigné de la nour-
de boissons et qui excite son irascibilité riture et de la boisson et en qui est réveil-
d'une façon irrationnelle, celui-là res- lee l'irascibilité inconvenante, celui-là
semble à un navire qui a pris le large 83 ressemble à un navire qui est en pleine
avec le démon comme pilote. mer et que pilote le démon de la colère.

Cette lettre a eu du succès puisque tous les témoins grecs de la


correspondance citent l'une ou l'autre partie. Le Sinaiticus gr. 462 permet
de compléter substantiellement l'extrait transmis par les mss de Vatopedi
et de Paris (ce complément qui occupe les lignes 13-24 de l'édition de
Cl. Guillaumont correspond à Frankenberg, p. 604, lignes 22-24 + p. 604,
ligne 32-p. 606, ligne 1).
Le syriaque donne entre nos deux fragments un texte qui correspond
assez exactement à KG I, 22, et qui indique la raison pour laquelle les démons
échappent aux sens humains. Nous traduisons le texte édité par
Frankenberg, en donnant entre parenthèses les mots grecs auxquels doivent
correspondre les termes syriaques : « Les corps des démons possèdent couleur
(χρώμα) et forme (σχήμα), mais ils échappent à nos sens (αίσθησις), parce
que leur tempérament (κράσις) ne ressemble pas au tempérament des corps
qui tombent sous nos sens. C'est pourquoi, quand ils veulent apparaître aux
hommes, ils imitent le plus possible toutes les formes (σχήματα) de notre
corps, sans nous montrer le leur. »
Le texte grec du deuxième fragment (lignes 18-21), transmis par trois
voies différentes, le Sinaiticus gr. 462, les Florilèges damascéniens et les
Recueils ascétiques, est solidement établi. Les mots « de la colère » ont été
ajoutés par le traducteur dans un souci de clarté ; ils sont également absents

79. Pour Évagre, il n'y a pas de différence de nature entre un homme et un démon,
mais simplement une différence dans le degré de chute. Le démon se caractérise dans sa
complexion corporelle par une prédominance de l'élément « air » et dans sa complexion
psychique par la prédominance de l'élément irascible : voir par ex. KG I, 68 et III, 34;
schol. 60 ad Prov. 5, 9; schol. 9 ad Ps. 73, 19.
80. Sur cette particularité des démons, voir un peu plus bas la traduction de KG I, 22.
81. On trouvera une traduction française des versions syriaque et arménienne de cette
partie dans A. et Cl. GUILLAUMONT, Versions, pp. 158-159.
82. Dans cette version, le mot 'anwôyû^ô traduit habituellement le grec εγκράτεια, voir
lettre 4 (FRANKENBERG, p. 568, ligne 27) et lettre 27 (FRANKENBERG, p. 582, ligne 34).
83. Le verbe ποντοπορβΐν, qui est homérique, est attesté une fois dans la Septante
(Proverbes numériques 30, 19).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 143
d'un passage parallèle du Traité des mauvaises pensées : « Si quelqu'un
s'abstient de nourritures et de boissons et qu'il irrite par les mauvaises
pensées la partie irascible, il ressemble à un navire qui a pris le large avec
le démon comme pilote » (PG 79, 1216 Dl-3, ch. 14).
Cette lettre, une des plus longues du corpus, a sans doute été écrite
par Évagre après la mort de son père. Après un bref préambule qui évoque
ce décès, Évagre rappelle que l'activité véritable de l'homme est l'activité
de l'intellect. Celle-ci ne peut atteindre son terme, la connaissance de Dieu,
sans une purification préalable acquise par la pratique des commandements,
et du principal d'entre eux, la charité. Suit un long éloge de la charité et
de la douceur de Moïse, éloge qui occupe toute la seconde partie de la lettre.

LETTRE 58 = Frankenberg, p. 606, ligne 32-p. 608, ligne 4.


Témoins : Q, f. 250 r°-v° — Νείλου. V, f. 439, lignes 5-16.
Lignes 2-12 : S, f. 286 (éd. Cl. Guillaumont, lignes 2-10).

Τήν θεωρητιχήν χατάστασιν άνείδωλον βούλεται είναι τό πνεύμα τό


δγιον και πάντων των ¿μπαθών λογισμών ¿λευθέραν * ώσπερ γαρ ó £φηλος
οφθαλμός ούχ επιβάλλει τοις αίσθητοϊς, ούτως ουδέ νους έχων εμπαθείς
λογισμούς έπιγινώσκει τά νοήματα - δε? δέ αυτόν χατά μικρόν διά πάντων
5 χωροδντα των νοημάτων, ούτω φθάσαι και προς τόν αίτιον και πατέρα
των νοητών, βστις κατά στέρησιν τών έν τοις πράγμασι νοημάτων
έπιφαίνεται τη καρδία* ή μέν γαρ τών γεγονότων θεωρία πολλάς Εχει τάς
Ιστορίας, ή δέ της αγίας τριάδος ¿άτι μονοειδής γνώσις, ουσιώδης γαρ γνώσίς
έστι γυμνω (νω) παθών και σωμάτων εμφανιζόμενη. 'Αδύνατον δέ σωθήναι
ίο τόν νουν μή έπί τοΰτο τό δρος άναδραμοντα* δρος γάρ έστι τό νοητόν γνώσις
της αγίας τριάδος είς υφός άνεγηγερμένη δυσπρόσιτον, έφ' ή ó νους γεγονως
πάντων εκπίπτει τών έν τοις πράγμασι νοημάτων. Έπί τοΰτο τό δρος και
τόν μακάριον Λώτ ώδήγουν τότε οί άγγελοι του θεοδ λέγοντες · « είς τό
δρος σώζου μήποτε συμπαραληφθης'. »

a. Gen. 19, 17.

2 ¿φηλος QS : άϋλος V || 3 εμπαθείς VS : εμπαθούς Q || 9 γυμνφ νώ conj. Guillaumont


ex Syr. : γυμνή QVS || 10 τό2 QV : τόν S || γνώσις VS : γνώσης Q || post γνώσις add.
πνευματική S || 11 άνεγηγερμένη QS : άνεγειγερμένη V || fi VS : ήν Q || 14 post σφζου add.
ψυχή Q || συμπαραληφθ^ς V : -ληφθείς Q.

L'Esprit Saint veut que l'état contemplatif . . . parce que l'Esprit Saint veut que l'état
soit sans image et libre de toutes les pen- de contemplation soit sans empreinte
sées passionnées, d'image84 afin que l'intellect soit libéré
de toutes les pensées passionnées ^,
84. On trouve dans la lettre 25 (p. 582, ligne 12) une périphrase analogue pour
traduire le mot φαντασίαι.
85. Corriger ha&ay huMÔbhê (p. 606, ligne 33) en huMl^ay haS&ê.
144 PAUL GÉHIN
car de même que l'œil qui a un leu- car de même que l'œil obscurci n'est pas
come 86 n'appréhende pas les (choses) lumineux pour voir ce qui est visible, de
sensibles, de même l'intellect qui a des même l'intellect en qui se trouvent des
pensées passionnées ne reconnaît pas les pensées passionnées mauvaises ne recon-
intellections87. naît pas les choses spirituelles86,
Π faut donc que, s'avançant petit à petit et il doit s'avancer petit à petit vers
à travers toutes les intellections, il par- toutes afin de pouvoir s'approcher de la
vienne de cette façon jusqu'à (celui qui Cause unique et du Père des (êtres)
est) la Cause et le Père des intelligibles, spirituels,
lequel apparaît au cœur avec la suppres- lequel se révèle au cœur avec la
suppression de toutes les intellections liées aux sion des intellections qui viennent de tout
objets89. le visible.
En effet la contemplation des êtres créés Pour ce qui est de la contemplation des
donne de multiples informations 9°, êtres, les récits des voyants sont
multiples,
tandis que celle de la sainte Trinité est mais pour ce qui est de la contemplation
une science uniforme, de la sainte Trinité, l'intellection de la
connaissance qui la concerne est unique.
car elle est science essentielle, et se parce qu'elle est science essentielle et
manifeste91 à un intellect dépouillé92 qu'elle se révèle à l'intellect qui s'est
des passions et des corps. dépouillé des passions.

86. Cette affection des yeux (leucome, taie) est évoquée en Lévitique 21, 20, et le
traducteur syriaque de la lettre a repris le terme utilisé dans ce passage du Lévitique par la
Peschitta.
87. Dans ce fragment, nous avons pris le parti de traduire νόημα par « intellection »,
alors que nous l'avions traduit dans la lettre 39 par « représentation ». C'est qu'ici les
noêmata recouvrent un champ plus vaste de l'activité de l'intellect : il ne s'agit plus
seulement des représentations mentales liées aux objets sensibles, mais aussi des pensées qui
proviennent de la saisie des principes rationnels (ot λόγοι) des choses et des êtres et de
toutes les contemplations (τα θεωρήματα) de la science « physique ». Le mot «
intellection » fait en outre mieux apparaître comment les mots νους, νοήματα et νοητών se font écho
dans tout le passage.
88. Dans YAdd. 14578 utilisé par Frankenberg, le texte est légèrement effacé,
d'où les points de suspension et d'interrogation de l'édition (p. 606, lignes 33-34). A la
ligne 33, après d'aylên restituer dfmefifyaziôn; à la ligne 34, ajouter un dolar*1 avant 'fi*
et mettre les points du pluriel sur haSSê.
89. Expressions analogues dans le ch. 2 du Traité des mauvaises pensées : «... puisque
la clarté (divine) se manifeste à la partie maîtresse (τω ήγεμονικώ), au moment de la prière,
avec la suppression de toutes les intellections bées aux objets », et dans la lettre 61 (p. 610,
lignes 21-22) : « La charité parfaite s'acquiert par la suppression de toutes les intellections
des objets corporels. »
90. On trouve un emploi semblable du pluriel ίστορίαι en Prière 55 : « Ce n'est pas
celui qui a obtenu l'impassibilité qui prie déjà vraiment, car il peut être dans les pensées
simples (έν τοις ψιλοΤς νοήμασιν) et être distrait par les informations qu'elles donnent (έν
ταΐς ίστορίαις αυτών περισπδσθαι), et être loin de Dieu. »
91. Il est possible qu'il y ait ici une allusion à la prière de Moïse sur le Sinaï, dans
laquelle il demande à Dieu de se manifester (έμφανίζειν) à lui (Ex. 33, 13 et 18).
92. Nous adoptons la correction proposée par A. et Cl. GUILLAUMONT, Versions, p. 162.
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 145
II est impossible à l'intellect d'être sauvé II est impossible à l'intellect d'être
s'il ne gravit pas cette montagne, car la sauvé 93 s'il ne se dirige pas vers le
montagne intelligible est la science de la sommet de cette montagne, car la mon-
sainte Trinité, érigée sur une hauteur tagne spirituelle est la science de la sainte
d'accès difficile, et lorsque l'intellect l'a Trinité qui (se trouve) sur un sommet
atteinte, il quitte toutes les intellections élevé M d'accès difficile, mais si l'intel-
liées aux objets. lect en est jugé digne, il cesse de penser
aux objets.
C'est vers cette montagne que les anges C'est vers cette montagne que les anges
de Dieu conduisaient alors le bienheu- conduisaient le bienheureux Lot
reux Lot, lorsqu'ils lui disaient : « Sauve- lorsqu'ils lui disaient : « Sauve-toi sur la
toi sur la montagne, de peur d'être pris montagne, de peur que le malheur ne
avec euxa. » t'atteignea. »

Si le traducteur syriaque a correctement rendu le terme médical


εφηλος, il a eu en revanche quelques difficultés avec les termes
philosophiques comme νοήματα et μονοειδής. Pour le premier il a eu recours
à diverses tournures qui trahissent à nouveau son embarras %, et pour le
second il a utilisé une périphrase assez lourde96.
Les manuscrits Add. 12175 et 17167 portent les traces d'une
révision : certains mots jugés à tort ou à raison superflus ont été supprimés 97,
d'autres ont été remplacés par des équivalents (ainsi, dans la traduction du
mot νους, mad'ô a été systématiquement remplacé par hatunô); à la fin
de l'extrait, la citation de Genèse 19, 17 a été identifiée et remplacée
par le texte courant de la Peschitta : « Sauve-toi sur la montagne pour
ne pas périr. »
Cette lettre est adressée à un certain Hymem'os. C'est à l'endroit où Évagre

93. Corriger dfnehzê (pour qu'il voie : p. 608, ligne 1) en dfnehê (pour qu'il vive,
c'est-à-dire pour qu'il soit sauvé).
94. Cette relative censée traduire les mots grecs εις δψος άνεγηγερμένη présente en
syriaque une difficulté de construction à cause de l'emploi de la préposition Iômad avec
le mot qui traduit υψος et de l'absence de verbe (le grec άνεγηγερμένη n'a pas d'équivalent).
Les manuscrits Add. 12175 et 17167 l'ont tout simplement supprimée. Notre traduction
suppose avant rawmô la préposition ba et la restitution d'un verbe comme sîmô.
95. Voici les différentes traductions adoptées :
— ligne 4 τα νοήματα : « les choses spirituelles »;
— ligne 4-5 δια πάντων... νοημάτων : le mot n'apparaît pas dans la traduction;
— ligne 6 των έν τοις πράγμασι νοημάτων : « des intellections qui viennent de tout le visible » ;
— ligne 12 των έν τοις πράγμασι νοημάτων : « du fait de penser aux objets ». Le mot renyô
employé ici, et qui est le plus satisfaisant, traduit également νοήματα dans la lettre 4
(p. 568, ligne 30).
Sur les variations du traducteur syriaque, voir supra, p. 136, et sur nos propres variations,
p. 144, n. 87.
96. A la fin de la lettre 4 (p. 568, ligne 31), le mot a en revanche été escamoté par
le traducteur.
97. Cf. supra, note 94.
10
146 PAUL GÉfflN
rappelle le deuil occasionné par la mort de « son bienheureux père » que
commence notre extrait. Ce beau texte évoque l'ascension spirituelle de
l'intellect jusqu'à Dieu, qui est désigné, dans des termes qui rappellent la
philosophie profane, comme « la Cause et le Père des intelligibles98 ».
L'ascension comporte plusieurs étapes. Après s'être débarrassé des pensées
passionnées, l'intellect parviendra à la contemplation des êtres créés, c'est-à-
dire à la contemplation physique". Et de là, à condition d'opérer un
dépouillement plus radical, celui de toutes les pensées simples liées au monde
matériel, et de retrouver sa nudité originelle, il atteindra la connaissance
de Dieu, la connaissance de la sainte Trinité. Cette science, qui est le terme
ultime de la vie spirituelle, est placée sous le signe de l'unité, et non de
la multiplicité, comme l'était la contemplation physique. Elle est science
essentielle en ce sens qu'en elle s'abolit toute distinction entre l'objet de
connaissance (Dieu) et la connaissance elle-même 10°. Connaître Dieu réalise la
plénitude du salut auquel sont appelées toutes les natures raisonnables. Cet
objectif ambitieux, difficile à atteindre, est symbolisé par cette montagne
sur laquelle les anges ont conduit Lot afin qu'il échappe au feu et au soufre
qui allaient détruire Sodome et Gomorrhe. La définition de la « montagne
intelligible » apparaît également en KG V, 40, avec quelques variantes :
« La montagne intelligible est la science spirituelle dressée sur un sommet
difficile d'accès; quand l'intellect l'a atteinte, il observe de loin (άποσκοπεύει)
les logoi des objets inférieurs101. »
Nos recherches nous ont permis de retrouver quelques lignes inédites
de l'original grec des Lettres et de les ajouter à celles que Mme Guillaumont
avait précédemment découvertes. Nous avons vu que les fragments des
Florilèges damascéniens sont encore attribués à Évagre, alors que ceux des
recueils ascétiques sont constamment mis sous le nom de Nil.
A ce point de la recherche, nous nous trouvons pour la seconde
catégorie d'extraits, les extraits conservés par les recueils ascétiques, devant une
double tradition102 :
1) celle du Sinaiticus gr. 462 où les extraits proviennent d'une Eklogè
de Lettres, que le copiste a incorporée à la recension longue du Traité des

98. On pense naturellement à la célèbre formule du limée (28 c 4) où Platon évoque


« l'auteur et le Père de cet univers ». En Gnostique 49, Evagre emploie l'expression « Cause
première » (SC 356, pp. 190-191).
99. Evagre applique constamment à celle-ci l'expression paulinienne de σοφία
πολυποίκιλος (Ephés. 3, 10).
100. Ce qui n'était pas le cas dans la contemplation physique où la science était
distincte des objets et des créatures sur lesquels elle portait.
101. Traduction effectuée sur le texte grec retrouvé par Mme C. Furrer dans les
collections de definitions (l'édition paraîtra prochainement dans Studi e Testî).
102. Nous ne pouvons rien dire du codex Saint-Sabas 157 (XIe s.) qui livre une partie
de la lettre 52, et qui est isolé.
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 147
mauvaises pensées, dont certains chapitres ont par la même occasion
disparu (voir SC 170, p. 245, et l'édition de Mme Guillaumont) "» ;
2) celle d'un ou plusieurs petits florilèges ascétiques dont les codd. Vato-
pedinus 57 et Parisinus gr. 1091 sont des témoins indépendants. Il est
possible que l'un de ces florilèges ait porté le titre qui figure au f. 408
du ms. de Vatopedi : « Enseignement de nos saints Pères théophores sur
l'attention, la garde du cœur et l'hésychia spirituelle ». Mais il est
naturellement impossible de dire à travers quels aléas les six fragments découverts
ont pu parvenir dans des manuscrits qui datent du XIIIe et du XIVe s. La
matière de ces types de florilèges ascétiques anonymes est sujette à
d'incessants remaniements : on ajoute, on supprime, on substitue, on déplace, on
combine des sources différentes.
Les conditions particulières de la transmission de ces fragments, dans
les florilèges damascéniens aussi bien que dans les recueils ascétiques, font
que le texte grec ne mérite pas une entière confiance et doit être soumis
à un jugement critique. C'est là que la version syriaque se révèle
particulièrement précieuse. Postérieure à Evagre d'un siècle environ et conservée par
des manuscrits qui se distinguent par leur antiquité (le plus ancien est du
VIe s.), elle nous révèle un état ancien de la tradition textuelle. Certes le
traducteur syriaque non plus n'est pas infaillible. Dans quelques cas il n'a
pas compris le texte ou bien a éprouvé des difficultés à rendre certaines
notions 104. Parfois il a modifié la syntaxe, ou encore ajouté des éléments
de son cru afin de rendre le texte plus explicite 105.
Ces quelques fragments grecs sauvés par bonheur du naufrage qui a
fait disparaître dans sa langue originelle une partie de l'œuvre évagrienne
montrent une fois de plus la netteté et la qualité du style de son auteur,
et le haut niveau de sa pensée. Les extraits des lettres 6 et 7 ont des accents
plus personnels. Ailleurs, on trouve un enseignement sur les vices et les vertus,
des conseils de direction spirituelle, de beaux développements sur la vertu
de douceur qui est une des formes de la charité ou encore sur l'ascension
mystique qui conduit à travers des dépouillements successifs jusqu'à
Dieu 106.
Paul GÉHIN.
I. R. H. T., Section grecque.
103. Le copiste de ce manuscrit a incontestablement disposé de sources privilégiées,
mais c'est un grand manipulateur de textes : pour le Traité des mauvaises pensées, il n'a pas,
comme on pourrait le croire, copié la recension longue du traité, mais il a copié la recension
courte en 21 chapitres, puis l'a complétée par plusieurs chapitres de la tradition longue
trouvés dans un autre témoin, auxquels il a mêlé des extraits des lettres.
104. Par exemple le mot νόημα.
105. Sur cette tendance, voir A. et Cl. GUILLAUMONT, Versions, pp. 161-162. A noter
qu'assez souvent il précise le livre de la Bible d'où est tirée une citation.
106. Au terme de cet article, nous voulons exprimer toute notre gratitude à M. et
M1™*5 Guillaumont qui ont lu notre travail et fait de nombreuses suggestions.

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