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Résumé
La correspondance d'Évagre le Pontique ne nous est parvenue dans son intégralité qu'à travers une version syriaque. De
l'original grec il ne subsiste que quelques fragments. L'article ajoute huit nouveaux fragments à ceux qui ont été édités
précédemment par Mme Claire Guillaumont.
Chaque fragment est édité de façon critique, et suivi d'une double traduction française (traduction du texte grec et traduction de
la version syriaque). Le commentaire porte sur l'établissement du texte grec, les divergences avec la version syriaque et les
points de doctrine intéressants.
Abstract
The correspondence of Evagrius Ponticus reaches us in its entirety only through a Syriac version. Only few fragments remain of
the Greek original. The present paper adds another eight fragments to those edited by Mme Claire Guillaumont.
A critical edition of each fragment is presented, followed by a double translation (from Greek and Syriac). The commentary is
concerned with the establishment of the text, the divergences from the Syriac version and some interesting doctrinal points.
Géhin Paul. Nouveaux fragments grecs des Lettres d'Évagre. In: Revue d'histoire des textes, bulletin n°24 (1994), 1994. pp.
117-147;
doi : https://doi.org/10.3406/rht.1994.1404
https://www.persee.fr/doc/rht_0373-6075_1994_num_24_1994_1404
L'apport des Florilèges pour les Lettres est donc minime. Des enquêtes
plus poussées dans ce type de compilation sont cependant susceptibles de
révéler de nouveaux textes. Les plus anciens florilèges donnent souvent, en
plus de l'attribution, une référence à l'œuvre d'où est tirée la citation. Le
Parisinus gr. 923, qui est un somptueux manuscrit oncial du IXe siècle 16,
donne pour l'extrait de la Lettre 36 cette référence : έκ της οζ' επιστολής.
Quel crédit accorder à ce numéro 77 ? Le corpus des Lettres aurait-il été
plus développé en grec ? Il est impossible pour l'instant de répondre à une
telle question, et une erreur due à l'étourderie d'un copiste est toujours
possible.
A. Codex Vatopedinus 57
à partir du catalogue Eustratiadès-Arkadios (SC 170, p. 226), sans prendre lui-même la peine
d'examiner le manuscrit.
21. Ce titre convient bien à ces sentences qui plagient les Proverbes de Salomon. De
plus c'est le mot employé par Évagre lui-même dans la dernière sentence (n° 137) :
Μέμνησθε του δεδωκοτος ύμΐν έν κυρίω σαφείς παροιμίας.
22. Εί γαρ νηφόντως προσευχόμεθα και ¿γρηγορότως, τευξόμεθα πάντως χαί ών αίτούμεθα -
μόνην τήν του θεοΰ βασιλείαν αίτείν διδασκόμεθα.
122 PAUL GÉHIN
continuité. Le premier n'a pas été identifié. Les deux suivants sont tirés des
lettres 6 et 56 d'Évagre. Le quatrième donne la fin d'une homélie chrysos-
tomienne. Un tel agencement ne peut être que celui d'un florilège. A la suite
de deux accidents assez banals dans ce genre de littérature (blocage de
textes d'auteurs différents, déplacement vers le haut du sigle marginal
d'attribution), nos quatre textes ont été réunis sous le patronage d'un auteur
unique, Nil23.
1. Άρξάμενος δια νηστείας χαλίνωσον την γλώσσάν σου· τό (...)
συμποδίσας βιβλίω και κέλλη και λογισμω ευσέβειας * ρήξον φωνήν βοών προς
Χριστόν ει ήμαρτες έν γνώσει, τό βάπτισμα μιάνας' Ίησοΰς γαρ επέστη
μετάνοιαν κηρύσσων ή χρεία γαρ της σαρκός είς δόξαν θεού έκτίσθη, και
της σαρκός και της ψυχής Ίησοΰς έστιν ιατρός · χρήσαι οΰν τη σαρκί σου προς
τας εύλογους χρείας ύποπιάσας έν πάσι, πορνείαν και δργήν νίκησον, βάδιζε
δε νηφόντως, πάντοτε την σάρκα σου κολαφίζων · μείζονα γαρ αυτής έχθρόν
ούκ έχεις υπό τον ούρανόν.
2. Έγώ μέν ούχ ικανός — τη αναγνώσει της θείας γραφής (lettre 6,
texte infra).
3. Ταύτην την πραΰτητα — και έχούση δαίμονα κυβερνήτην (lettre 56,
texte infra, lignes 13-21). Les quatre dernières lignes correspondent au début
du fragment numéroté λζ' dans le Sinaiticus gr. 462 (lignes 11-13 de
l'édition Cl. Guillaumont).
4. Μεριμνήσωμεν τό πράγμα, αγαπητοί, άλγήσωμεν ένταΰθα τω
λογισμω, ϊνα μή άλγήσωμεν έκεΤ τη κολάσει, άλλ' ίνα άπολαύσωμεν των
αιωνίων αγαθών ένθα « άπέδρα οδύνη και λύπη και στεναγμός » (Isaïe 35,
10; 51, 11), ίνα τύχωμεν τών υπερβαινόντων τόν άνθρώπινον νουν αγαθών
(Jean Chrysostome, Horn. 23 sur VEpître aux Hébreux, PG 63, col. 166,
lignes 37-42, repris dans YEcloga 44, ibid., col. 888, lignes 15-20).
Cette section « nilienne » est suivie aux ff. 408-445 d'un petit florilège
intitulé : Διδασκαλία τών οσίων και θεοφόρων πατέρων ημών περί προσοχής
και φυλακής καρδίας και νοεράς ησυχίας. On y lit successivement des extraits
des auteurs ou des œuvres qui suivent : (ff. 408 v°-412 v°)24 Chrysostome
et Basile (textes provenant de la Lettre aux moines [CPG 4627] qui figure
parmi les Spuria de Chrysostome), (f. 412 v°) Grégoire de Nazianze25,
puis le début de IV Maccabées (ch. 1, 1-7), (ff. 412 v°-414) des (extraits
du De natura hominis du moine Mélèce), (f. 414 r°-v°) Théodore Studite,
(ff. 414 v°-421) Isaac le Syrien, (ff. 421-429) Macaire le Grand, (f. 429 r°-
23. Il n'est pas exclu que le premier texte, non identifié, provienne d'un traité de Nil
ou de sa correspondance.
24. Entre 411 v° et 412, lacune provoquée par la chute d'un folio.
25. Court extrait du Discours 20 (PG 35, 1065 A7-B10; SC 270, § 1, lignes 5-20).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 123
v°) l'Abbé Isaïe, (ff. 430) 2« Évagre27, puis Éphrem le Syrien, (ff. 430-431)
Théodore Aboucara, (f. 431) Denys l'Aréopagite, puis Grégoire de Nysse,
(f. 431 r°-v°) Cassien, (£f. 431 v°-432) Syméon le Nouveau Théologien,
(£f. 432-435) Barsanuphe, (ff. 435-436 v°) la Vie de l'abbé Philemon.
A partir de là les choses sont plus confuses. Il y a alternance
d'apophtegmes et de sentences diverses. C'est au f. 439 r°-v° que nous avons eu
la surprise de découvrir, entre une sentence anonyme 28 et un apophtegme
sur la ξενιτεία, trois nouveaux extraits des Lettres d'Évagre, sans aucune
indication d'auteur.
1. Τήν θεωρητικήν κατάστασιν — μήποτε συμπαραληφθης (extrait
de la lettre 58). Le texte déborde au début et à la fin l'extrait donné
sous le n° λς' par le Sinaiticus gr. 462 (éd. Cl. Guillaumont, p. 218,
lignes 2-10).
2. "Ωσπερ ουκ Ιστιν άνευ του σώματος — ή θυμούμενον ανθρωπον (nouvel
extrait de la lettre 56, voir infra, lignes 1-17). Les quatre dernières lignes
de cet extrait correspondent (à quelques variantes près) aux quatre
premières lignes de l'extrait découvert plus haut, au f. 407.
3. Ούτε ως δικαίω δικαίως — τοις άνθρώποις ου παύομαι (extrait de
la lettre 7).
26. Dans une note qui occupe les huit premières lignes du folio, le copiste avertit son
lecteur qu'il omet de transcrire à cet endroit des textes qu'il a déjà copiés plus haut, textes
des auteurs suivants : Maxime, Diadoque, Nil, Philothée de Batos, Marc l'Ermite, Hésychius,
Thalassius et Jean de Carpathos.
27. Trois textes : Des mauvaises pensées (recension longue, ch. 41 » PG 79, ch. 24,
1228 D3-1229 A 11) ; Skemmata 2 et 23. C'est l'unique mention d'Évagre dans le
manuscrit. La présence de ces textes a été signalée par P. VAN DEUN, dans un second article
intitulé : Œuvres d'Évagre le Pontique passées inaperçues dans VAthous, Vatopedinus 57 (XIII*-
XIV siècle), in Byzantion, t. 60, 1990, p. 442. Sur ce groupement, voir infra, p. 127.
28. Σημεΐον φιλοθεΐας προσευχή £ρεμβος ■ αμέλεια δέ αυτής και ρ"εμβασμός φιληδονίας
τεχμήριον.
29. PG 79, 1237 D 10-12; 1240 Α5-Β10.
30. De cette œuvre il n'existe qu'une édition très partielle due à J. MUYLDERMANS,
Evagriana. Extrait de la revue « Le Muséon », t. 44, augmenté de « Nouveaux fragments grecs
124 PAUL GÉHIN
(moyennant l'adjonction de deux folios) le traité de Nicéphore Sur la garde du cœur (ff. 255,
ligne 9-261).
34. CPG 7862.
35. Voir supra, note 27.
36. Les trois séries précédentes se trouvent aux ff. 210 v°-213, 215 v°, 217 v°. Elles
livrent des œuvres authentiques de Nil, ou des œuvres qui lui sont attribuées, comme ces
32 chapitres neptiques que Ton lit aux ff. 211-213 (sur ces textes [CPC 6080] que Ton
retrouve aussi dans un ordre différent sous le nom d'Élie l'Ecdicos ou sous celui de Maxime
le Confesseur, voir A. et Cl. GuiLLAUMONT, SC 170, pp. 220-221, où il faut en fait parler
de 36, et non de 34 sentences). Il n'y a là rien que l'on puisse revendiquer pour Évagre.
Ajoutons que le nom de Nil a disparu au f. 233 r°-v°, en tête de trois textes qui lui sont
habituellement attribués : les ch. 149 et 48 du Traité de la prière d'Évagre, et, entre les
deux, le n° 27 de la Collection de lettres de Nil en 53 chapitres = lignes 1-19 de la
lettre III, 283 (sur cette collection, voir A. et Cl. GuiLLAUMONT, SC 170, pp. 224-225 et
n. 5).
126 PAUL GÉHIN
37. a) Ει βούλει αληθώς προσεύξασθαι — τον άρτον σου. b) Έάν γάρ άλλοι τήν χρείαν
— της τροφής αύτοΰ. c) Μή γίνου προς μεν το λαβείν — τήν χρείαν τοΰ σώματος, d) "Opa
δε πάλιν εί έν οδύνη — συμμέτοχοι αυτών γινόμεθα. Sur ce supplément d'inspiration anti-
messalienne, voir A. et Cl. GUILLAUMONT, SC 170, p. 220.
38. Les trois premières lettres et la dernière semblent provenir de la Collection
en 53 chapitres (voir supra, note 36). La lettre à Achillios a été éditée par J. GRIBOMONT,
La tradition manuscrite de saint Nil. I. La correspondance, in Studia monástica, t. 1 1, 1969,
p. 256.
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 127
Vatopedi (V) et celui de Paris (Q) pour ce Florilège ascétique qui nous a
livré quatre extraits de lettres d'Évagre. V nous permet certainement
d'entrevoir un état plus ancien de la compilation, mais le copiste a, comme il nous
l'indique lui-même au f. 430 39, éliminé plusieurs auteurs dont il avait
précédemment copié les œuvres intégrales. De son côté, Q a mêlé à cette
compilation une grande quantité d'éléments nouveaux ayant d'autres
provenances. Le fait que le même chapitre du Traité des mauvaises pensées
soit cité à deux reprises, une première fois (milieu du chapitre) sous le nom
d'Évagre, une seconde fois (début du chapitre) sous le nom de Nil40,
semble indiquer que le compilateur ne cite pas toujours les textes de
première main, mais a déjà recours à des extraits constitués.
L'enquête menée dans quelques florilèges ascétiques ayant connu cette
source ne nous a pas permis de découvrir de nouveaux témoins des Lettres,
mais nous avons retrouvé à plusieurs reprises les trois textes habituellement
attribués à Évagre (extrait du ch. 41 du Traité des mauvaises pensées +
Skemmata 2 et 23) ou une partie d'entre eux seulement :
— les trois textes sont cités aux ff. 279 v°-280 du Vaticanus gr. 735
(milieu du XIVe s.) 41 et aux ff. 45 v°-46 du Vaticanus Ottobonianus gr. 436
(année 1435) 42;
— les deux premiers aux ff. 160 v°-161 du Bodleianus Canonicianus
gr. 15 (début XIVe s.)*>;
extraits des 4 premiers chapitres du Traité à Euloge, avec une lacune correspondant à la
perte du folio médian. 3) (f. 232 v°) le ch. 17 des Skemmata, suivi des quatre premiers
mots du ch. 18. Pour être tout à fait complet, signalons qu'au f. 130, en marge du ch. 37
de la Centurie de Diadoque de Photicé, on lit une citation libre de la scholie 36 d'Évagre
sur Prov. 3, 24-25 (attestation non signalée dans notre édition).
44. Ce manuscrit est la suite du Canonici 15. Le petit florilège où se trouve la citation
d'Évagre occupe les ff. 68-86 v° (= n08 9-11 de la description de Coxe).
45. Le florilège occupe les ff. 161-185 (nos 5-8 du Catalogue HUNGER-LACKNER-
HANNICK, Vienne, 1992).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 129
Florilèges sacro-profanes
« Florilegium Parisinum » :
Ν Parisinus gr. 1168, XIVe s., ff. 74 v°-75 (section évagrienne).
Florilège par auteurs dont toutes les citations patristiques
proviennent d'un florilège damascénien (Richard, col. 489). Les
dix textes attribués à Evagre ont été édités par A. ELTER,
Gnómica I, Sexti pythagorici, Clitarchi, Evagrii Pontici sen-
tentiae, Leipzig, 1892, p. LIV, 2e col.
Loci communes du Pseudo-Maxime (Richard, Io, col. 488-492) :
Β Berolinensis gr. 206 (Phillipps 1609), XI* s.
Combefîs Édition d'après le Parisinus gr. 1167, XIIe s. : F. COMBEFIS,
Maximi Confessons Graecorum theologici eximiique philoso-
phi operum tomus secundas, Paris, 1675, pp. 528-689
(= PG 91, 719-1018).
Loci communes du Pseudo-Antoine (Richard, 2°, col. 492-494) :
Gesner Edition d'après un manuscrit perdu, plus complet que ceux
que nous possédons : C. GESNER, Sententiarum sive capitum
theologicorum praecipue, ex sacris etprofanis libris, tomi tres,
per Antonium et Maximum olim collectif Zurich, 1546,
pp. 163-213 (= PG 136, 765-1244). Chapitres répartis
en 2 livres.
« Florilegium Atheniense » (Richard, 6°, col. 496-497) :
D Atheniensis, B.N. 1070, XIVe s., ff. 84 v°-158 v°. Florilège
inédit en 100 chapitres.
2. Recueils ascétiques :
Q Parisinus gr. 1091, XIIIe s.
V Vatopedi 57, XIIIe-XIVe s.
S Sinaiticus gr. 462, XIIIe s. (éd. Cl. GUILLAUMONT).
46. Pour le texte syriaque, nous avons vérifié la lecture de Frankenberg sur YAdd. 14578
et nous avons collationné les codd. Add. 12175 (VIe s.) et Add. 17167 (VF-VU·1 s.).
130 PAUL GÉHIN
Έγώ μέν ούχ ικανός· άπεΐπον γαρ λοιπόν προς τους πειρασμούς,
δλον το σκάφος τω κυβερνήτη παραχωρήσας, « Vva μή πεποιθότες ώμεν
έφ'
έαυτοΐς, άλλ' έπί τω θεώ* » τφ έπιτιμώντι τφ άνέμω και τη θαλάσσηΒ
και άπάγοντι τους πλέοντας είς γήν έφ' ήν σπεύδουσι. Τον δέ σόν υίόν,
5 ήμέτερον δέ άδελφόν έν κυρίω, παρακαλώ ύποπιάζειν το σώμα και
δουλαγωγεΐν0,
δι' ών θεραπεύεται
δση δύναμις,
μέν το έπιθυμητικόν
προσευχαΐς τε
μέρος
και νηστείαις
της ψυχήςκαι
καιαγρυπνία
λογισμώνις,
αισχρών άνεπίδεκτον γίνεται* κρατείτω δέ και του θυμού" του έν ήμΐν
'Ιούδα γινομένου και τοις δαίμοσι προδιδόντος τόν νουν* κρατείτω δέ
ίο διά πραότητος και μακροθυμίας και ελεημοσύνης, άφ' ών τίκτεται αγάπη,
το γνώρισμα τών μαθητών*1 · προσεχέτω δέ και τη αναγνώσει της
θείας γραφής.
a. Il Cor. 1, 9 b. Cf. Matth. 8, 26 c. Cf. I Cor. 9, 27 d. Cf. Jn 13, 35
7 μέν delendum est.
Quant à moi, je n'en suis pas capable, Quant à moi, je n'en suis pas capable,
car je suis las désormais d'avoir affaire parce que j'ai été vaincu en effet par les
aux tentations, tentations.
et j'ai remis toute la barque au pilote, J'ai remis toute la barque au pilote, « afin
« afin que nous ne mettions pas notre que notre confiance ne soit pas en nous-
confiance en nous-mêmes, mais en mêmes, mais en Dieu8 » qui réprimande
Dieua » qui réprimande le vent et la le vent et commande à la mer1" et qui
mer1· et qui conduit les navigateurs conduit ceux qui sont dans la barque
jusqu'à la terre vers laquelle ils se hâtent. jusqu'à la terre de son bon vouloir, vers
laquelle ils ont le regard tourné.
Je supplie ton fils, qui est aussi notre Je supplie ton fils Aidésios, qui est mon
frère dans le Seigneur, frère,
d'opprimer son corps et de d'opprimer son corps et de l'asservir0,
l'asservir0 47, autant que possible, par les autant que possible, par la prière, le
prières, les jeûnes et les veilles, grâce jeûne et la veille, grâce auxquels est
auxquels la partie concupiscible de l'âme est soignée la partie concupiscible de l'âme,
soignée et ne devient plus réceptive aux pour qu'elle ne soit plus réceptive aux
pensées honteuses. pensées abominables et à la malice**.
Qu'il domine aussi l'irascibilité qui Qu'il réprime sa colère, laquelle est
devient en nous un Judas et livre l'intel- un Judas qui livre l'intellect aux dé-
lect aux démons, mons,
qu'il la domine par la douceur, la longa- qu'il la réprime par la douceur, la lon-
nimité et la miséricorde, desquelles est ganimité et la miséricorde, desquelles est
engendrée la charité, le signe distinctif engendrée la charité, à laquelle sont
des disciples*1; reconnus les disciples du Christ11;
qu'il s'applique aussi à la lecture de la qu'il s'applique à la lecture des Écri-
divine Ecriture. tures qui...
51. Pour cette dernière formulation, voir par exemple la schol. 3 ad Prov. 1, 2 (... και
της έν τούτοις θεωρούμενης κρίσεως και προνοίας), ou la schol. 1 ad Eccl. 1, 1 (γνώσις...
αιώνων και κόσμων και της έν αύτοίς κρίσεως και προνοίας).
52. Partant de l'idée que la Bible représente la philosophie véritable, Évagre considère
que la matière biblique peut être distribuée selon les trois grandes divisions élaborées pour
la philosophie païenne, à savoir l'éthique, la physique et la théologie (voir SC 340, pp. 28-30).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 133
données par saint Paul en I Cor. 11, 3-15 concernant la coiffure des
hommes et des femmes dans les assemblées de prière est présente dans le
ch. 145 du Traité de /a prière (voir commentaire de I. Hausherr, Les
leçons d'un contemplatif. Le Traité de l'Oraison d'Évagre le Pontique, Paris,
1960, pp. 177-178, où on trouvera également une traduction du début de
la lettre 7). La prière accomplie par les hommes tête nue symbolise pour
Évagre la prière pure qui exige de l'orant qu'il se débarrasse non
seulement des pensées passionnées, mais encore de tous les concepts formés à
partir du monde sensible (voir infra, extrait de la lettre 58 ; Traité de la prière
55-57 et 70; schol. 3 ad Eccl. 1, 11).
56. Thème important de ces lettres. La charité, dont la douceur est une des
manifestations, est la porte de la gnose, et Moïse est le modèle de l'homme doux à qui Dieu a fait
les plus grandes révélations. En plus de la présente lettre, voir Lettres 27 (texte grec,
éd. Cl. GUILLAUMONT, lignes 63-64), 41 (FRANKENBERG, p. 594, lignes 13-14), 56
(FRANKENBERG, p. 604, lignes 12-37; fragments grecs : infra, et éd. Cl. GUILLAUMONT,
lignes 11-24).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 135
voir la science de Dieu (se sépare) de tou- qui va recevoir la science de Dieu se
tes (les représentations liées aux objets). sépare des intellections des objets.
Or il est impossible de se débarrasser des Or il est impossible de fuir les pensées
représentations si Ton ne se dépouille si on ne se dépouille pas des passions,
pas des passions 60 — c'est à cause car j'ai dit que c'est à cause d'elles que
d'elles, comme je l'ai dit, que persistent persistent en nous les pensées d'objets
en nous les représentations d'objets corporels;
sensibles ;
et il est impossible de se débarrasser et on ne peut rejeter de nous les pas-
des passions, si on ne retranche pas sions, si on n'éloigne pas notre intellect
en pensée la gourmandise et la cupi- de la gourmandise, de l'avarice et de la
dite. vaine gloire.
et une figure dans l'intellect, et celles qui au contraire laissent l'intellect libre
de toute image, impression ou figure 63. C'est naturellement parmi ces
dernières que se range la notion de Dieu (το νόημα του θεοΰ), puisque Dieu
n'est pas un corps64. Il en résulte pour celui qui veut parvenir à la
connaissance de Dieu une double exigence : d'abord celle de se débarrasser
des pensées passionnées, ensuite celle de se débarrasser de toutes les
représentations mentales formées à partir du monde sensible65.
Είπε τις τών αδελφών καλώς μηδέν διαφέρειν τον λογισμόν της
κενοδοξίας τριβόλου πάντοθεν νυττοντος * χρησιμεύει γάρ αύτώ και σάκκος
και ιμάτιον σηρικόν και λόγος και σιωπή και κόρος και ένδεια και άναχώρησις
και συντυχια.
63. Pour désigner cet état, Évagre emploie souvent des termes négatifs comme ατύπωτος,
άνείδωλος (voir infra, le début de l'extrait de la lettre 58), άνβίδεος, ασχημάτιστος.
64. Le rappel que « Dieu n'est pas un corps » se trouve dans le ch. 41 du Traité des
mauvaises pensées et dans la schol. 1 ad Ps. 140, 2.
65. La nécessité de ces dépouillements successifs est fréquemment rappelée par
Evagre. Voir encore le ch. 41 du Traité des mauvaises pensées, mais aussi schol. 1
ad Ps. 140, 2, Traité de la prière 53-57 et 66, Skemmata 23. Les contemplations portant
sur l'ensemble des êtres créés, qui constituent la contemplation physique, peuvent être,
elles aussi, des obstacles à la contemplation véritable de Dieu. Selon la formule du ch. 66
du Traité de la prière, il faut aller « immatériel à l'Immatériel ».
138 PAUL GÉHIN
Évagre répond ici à une lettre qui lui a été transmise par « le frère
Pallade66 ». La réponse tourne presque uniquement autour de la vaine
gloire. La comparaison de ce vice avec le tribolos est également présente
chez Jean Climaque (Degré 22, PG 88, 949, B13-C6 : « Le soleil brille
pour tous également, et la vaine gloire trouve à se réjouir dans toutes nos
activités. Par exemple, je tire vanité de mon jeûne, puis, quand je le
suspends pour ne pas être remarqué, je me glorifie de ma prudence. Quand
je porte de beaux vêtements, je suis vaincu par la vaine gloire, et quand
j'en prends de pauvres, j'en tire encore vanité. Quand je parle, je suis vaincu
par elle, et quand je garde le silence, elle me domine encore. Il en est d'elle
comme du tribolos; de quelque façon que tu la jettes, elle tient toujours dressée
l'une de ses trois pointes », traduction P. Deseille, légèrement modifiée,
Spiritualité Orientale, n° 24, Abbaye de Bellefontaine, 1978, p. 195),
et dans le De octo vitiosis cogitationibus du Pseudo-Nil (PG 79, 1461
C4-5 : « La vaine gloire est vraiment un tribolos; de quelque côté qu'elle
tombe, elle tient toujours dressée sa pointe ») 67. Évagre et Jean Climaque
dépendent d'une source commune. Le texte de l'Échelle se présente
comme une amplification de l'apophtegme rapporté par Évagre. On notera
qu'Évagre pense à la plante tandis que Jean Climaque pense à l'instrument
militaire muni de pointes de fer.
Il faut que le reproche soit tempéré, Π faut en effet que le reproche soit tem-
disant le fait, mais simulant le manque péré, afin qu'en disant le fait, il
de courage, suivant en cela les sages prenne6* le visage de la crainte, suivant
médecins qui cachent dans (l'étui) de en cela les sages médecins qui cachent
bronze le bistouri tranchant. le bistouri dans les divisions du bronze.
66. Très certainement l'auteur de YHistoire lausiaque. Sur ses rapports avec Évagre,
voir A. GUILLAUMONT, Les 'Képhalaia Gnóstico.' d'Évagre le Pontique et l'histoire de l'origé-
nisme chez les Grecs et chez les Syriens (Patrística Sorbonensia 5), Paris, 1962, pp. 74-77.
67. Cette petite compilation qu'il ne faut pas confondre avec le traité évagrien Des huit
esprits de malice utilise principalement le Cassien grec, Évagre et Jean Climaque. Ces deux
rapprochements avec la lettre d'Évagre ont déjà été faite par E. PETERSON, Zu griechischen
Asketikem III, in Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher, t. 9, 1931-1932, pp. 51-52.
68. Littéralement : « il revête ».
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 139
"Ωσπερ ούχ ?στιν άνευ του σώματος έπιβάλλειν τοις αίσθητοΐς, ούτως
ουκ ?στιν £νευ του (νου) ασωμάτου θεάσασθαι τόν άσώματον, και ούχ ώς
νους μόνον όρ$ θεόν, άλλ' ώς νους καθαρός* « μακάριοι γάρ, φησίν, οι
καθαροί τη καρδία, δτι αυτοί τόν θεόν δψονται* » * καΐ δρα ώς ου δια τήν
69. G. Bunge, Briefe, p. 269, suit la rétroversion de Frankenberg et traduit : «... die
das Eisen (des Chirurgen) in den Zweideutigkeiten der Divination verbergen. » Le mot
pullôgpô a été pris dans son sens figuré (ambiguïté), et il y a eu confusion entre nehM
(présage, divination) et n'hôSô (bronze).
70. Afin de ne pas charger inutilement l'apparat critique, nous n'avons pas reproduit
les nombreuses variantes des Florilèges damascéniens qui sont formées par l'omission de
l'une ou l'autre partie de ce court extrait, par des récritures ou des fautes grossières.
140 PAUL GÉfflN
5 καθαρότητα αυτούς έμακάρισεν, αλλά δια τήν θέαν του θεοΰ, είπερ καθαρότης
μεν έστιν απάθεια λογικής ψυχής, θέα δε του θεοδ γνώσις αληθής τής
προσκυνητής και αγίας τριάδος, ην δψονται οι ενταύθα τήν πρακτικήν
κατορθώσαντες και διά των εντολών καθάραντες εαυτούς* μία δε των
εντολών και αρχαία εστίν ή αγάπη1·, μεθ' ης δψεται ó νους τήν πρώτην
ίο άγάπην°· « διδάξει γάρ, φησί, πραεΤς οδούς αύτου*1 »· tí δε πραυς ήν ό
άγιος Μωϋσής παρά πάντας τους ανθρώπους*, καλώς λέγει το πνεύμα το
αγιον δτι έγνώρισε τάς οδούς αύτοΰ τω Μωϋσΐ|£.
Ταύτην τήν πραΰτητα παράθου τοίς σοϊς άδελφοΐς, οργής μετάνοιαν
(μη) δυσκόλως δεχόμενος * ουδεμία γάρ ούτως άλλη κακία δαίμονα τον νουν
15 ώς θυμός απεργάζεται* « θυμός γάρ αύτοΐς, φησί, κατά τήν όμοίωσιν του
δφεως* », και μηδέν άλλο τι νομίζωμεν είναι δαίμονα ή θυμούμενον
ανθρωπον, έκφυγόντα τήν αϊσθησιν.
Μηδείς (τοίνυν) τών αδελφών σου μιμείσθω τον δφιν μηδέ άποδέχου
20 έγκράτειαν, διωκόμενης πραυτητος· δστις γαρ βρωμάτων ή πομάτων
άπέχεται, θυμόν δε άλόγως κινεί, ούτος εοικε ποντοπορούση νηΐ και έχούση
δαίμονα κυβερνήτην.
De même qu'il n'est pas possible sans De même qu'il n'y a pas moyen que ce
le corps d'appréhender les (choses) sen- qui est incorporel 71 s'approche des cho-
sibles, de même il n'est pas possible sans ses corporelles, de même il est impos-
(un intellect) incorporel de voir sible de voir l'Incorporel sans un intel-
Flncorporel, lect incorporel,
et ce n'est pas en tant que tel seule- Ce n'est pas l'intellect seulement72 qui
ment que l'intellect voit Dieu, mais en voit Dieu, mais l'intellect pur :
tant qu'intellect pur, car il est dit :
« Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur,
parce qu'ils verront Dieu*. » parce qu'ils verront Dieu". »
mu par l'irascibilité 79, qui échappe aux blé par la colère, et qui échappe aux
sens 80. sens.
Qu'aucun de íes frères (donc) n'imite le Qu'aucun 81 des frères donc n'imite le
serpent; n'admets pas une abstinence serpent; que ne soit pas admise par toi
d'où serait exclue la douceur, une abstinence ω de laquelle serait
éloignée la douceur,
car celui qui s'abstient de nourritures ou car celui qui se tient éloigné de la nour-
de boissons et qui excite son irascibilité riture et de la boisson et en qui est réveil-
d'une façon irrationnelle, celui-là res- lee l'irascibilité inconvenante, celui-là
semble à un navire qui a pris le large 83 ressemble à un navire qui est en pleine
avec le démon comme pilote. mer et que pilote le démon de la colère.
79. Pour Évagre, il n'y a pas de différence de nature entre un homme et un démon,
mais simplement une différence dans le degré de chute. Le démon se caractérise dans sa
complexion corporelle par une prédominance de l'élément « air » et dans sa complexion
psychique par la prédominance de l'élément irascible : voir par ex. KG I, 68 et III, 34;
schol. 60 ad Prov. 5, 9; schol. 9 ad Ps. 73, 19.
80. Sur cette particularité des démons, voir un peu plus bas la traduction de KG I, 22.
81. On trouvera une traduction française des versions syriaque et arménienne de cette
partie dans A. et Cl. GUILLAUMONT, Versions, pp. 158-159.
82. Dans cette version, le mot 'anwôyû^ô traduit habituellement le grec εγκράτεια, voir
lettre 4 (FRANKENBERG, p. 568, ligne 27) et lettre 27 (FRANKENBERG, p. 582, ligne 34).
83. Le verbe ποντοπορβΐν, qui est homérique, est attesté une fois dans la Septante
(Proverbes numériques 30, 19).
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 143
d'un passage parallèle du Traité des mauvaises pensées : « Si quelqu'un
s'abstient de nourritures et de boissons et qu'il irrite par les mauvaises
pensées la partie irascible, il ressemble à un navire qui a pris le large avec
le démon comme pilote » (PG 79, 1216 Dl-3, ch. 14).
Cette lettre, une des plus longues du corpus, a sans doute été écrite
par Évagre après la mort de son père. Après un bref préambule qui évoque
ce décès, Évagre rappelle que l'activité véritable de l'homme est l'activité
de l'intellect. Celle-ci ne peut atteindre son terme, la connaissance de Dieu,
sans une purification préalable acquise par la pratique des commandements,
et du principal d'entre eux, la charité. Suit un long éloge de la charité et
de la douceur de Moïse, éloge qui occupe toute la seconde partie de la lettre.
L'Esprit Saint veut que l'état contemplatif . . . parce que l'Esprit Saint veut que l'état
soit sans image et libre de toutes les pen- de contemplation soit sans empreinte
sées passionnées, d'image84 afin que l'intellect soit libéré
de toutes les pensées passionnées ^,
84. On trouve dans la lettre 25 (p. 582, ligne 12) une périphrase analogue pour
traduire le mot φαντασίαι.
85. Corriger ha&ay huMÔbhê (p. 606, ligne 33) en huMl^ay haS&ê.
144 PAUL GÉHIN
car de même que l'œil qui a un leu- car de même que l'œil obscurci n'est pas
come 86 n'appréhende pas les (choses) lumineux pour voir ce qui est visible, de
sensibles, de même l'intellect qui a des même l'intellect en qui se trouvent des
pensées passionnées ne reconnaît pas les pensées passionnées mauvaises ne recon-
intellections87. naît pas les choses spirituelles86,
Π faut donc que, s'avançant petit à petit et il doit s'avancer petit à petit vers
à travers toutes les intellections, il par- toutes afin de pouvoir s'approcher de la
vienne de cette façon jusqu'à (celui qui Cause unique et du Père des (êtres)
est) la Cause et le Père des intelligibles, spirituels,
lequel apparaît au cœur avec la suppres- lequel se révèle au cœur avec la
suppression de toutes les intellections liées aux sion des intellections qui viennent de tout
objets89. le visible.
En effet la contemplation des êtres créés Pour ce qui est de la contemplation des
donne de multiples informations 9°, êtres, les récits des voyants sont
multiples,
tandis que celle de la sainte Trinité est mais pour ce qui est de la contemplation
une science uniforme, de la sainte Trinité, l'intellection de la
connaissance qui la concerne est unique.
car elle est science essentielle, et se parce qu'elle est science essentielle et
manifeste91 à un intellect dépouillé92 qu'elle se révèle à l'intellect qui s'est
des passions et des corps. dépouillé des passions.
86. Cette affection des yeux (leucome, taie) est évoquée en Lévitique 21, 20, et le
traducteur syriaque de la lettre a repris le terme utilisé dans ce passage du Lévitique par la
Peschitta.
87. Dans ce fragment, nous avons pris le parti de traduire νόημα par « intellection »,
alors que nous l'avions traduit dans la lettre 39 par « représentation ». C'est qu'ici les
noêmata recouvrent un champ plus vaste de l'activité de l'intellect : il ne s'agit plus
seulement des représentations mentales liées aux objets sensibles, mais aussi des pensées qui
proviennent de la saisie des principes rationnels (ot λόγοι) des choses et des êtres et de
toutes les contemplations (τα θεωρήματα) de la science « physique ». Le mot «
intellection » fait en outre mieux apparaître comment les mots νους, νοήματα et νοητών se font écho
dans tout le passage.
88. Dans YAdd. 14578 utilisé par Frankenberg, le texte est légèrement effacé,
d'où les points de suspension et d'interrogation de l'édition (p. 606, lignes 33-34). A la
ligne 33, après d'aylên restituer dfmefifyaziôn; à la ligne 34, ajouter un dolar*1 avant 'fi*
et mettre les points du pluriel sur haSSê.
89. Expressions analogues dans le ch. 2 du Traité des mauvaises pensées : «... puisque
la clarté (divine) se manifeste à la partie maîtresse (τω ήγεμονικώ), au moment de la prière,
avec la suppression de toutes les intellections bées aux objets », et dans la lettre 61 (p. 610,
lignes 21-22) : « La charité parfaite s'acquiert par la suppression de toutes les intellections
des objets corporels. »
90. On trouve un emploi semblable du pluriel ίστορίαι en Prière 55 : « Ce n'est pas
celui qui a obtenu l'impassibilité qui prie déjà vraiment, car il peut être dans les pensées
simples (έν τοις ψιλοΤς νοήμασιν) et être distrait par les informations qu'elles donnent (έν
ταΐς ίστορίαις αυτών περισπδσθαι), et être loin de Dieu. »
91. Il est possible qu'il y ait ici une allusion à la prière de Moïse sur le Sinaï, dans
laquelle il demande à Dieu de se manifester (έμφανίζειν) à lui (Ex. 33, 13 et 18).
92. Nous adoptons la correction proposée par A. et Cl. GUILLAUMONT, Versions, p. 162.
FRAGMENTS DES LETTRES D'ÉVAGRE 145
II est impossible à l'intellect d'être sauvé II est impossible à l'intellect d'être
s'il ne gravit pas cette montagne, car la sauvé 93 s'il ne se dirige pas vers le
montagne intelligible est la science de la sommet de cette montagne, car la mon-
sainte Trinité, érigée sur une hauteur tagne spirituelle est la science de la sainte
d'accès difficile, et lorsque l'intellect l'a Trinité qui (se trouve) sur un sommet
atteinte, il quitte toutes les intellections élevé M d'accès difficile, mais si l'intel-
liées aux objets. lect en est jugé digne, il cesse de penser
aux objets.
C'est vers cette montagne que les anges C'est vers cette montagne que les anges
de Dieu conduisaient alors le bienheu- conduisaient le bienheureux Lot
reux Lot, lorsqu'ils lui disaient : « Sauve- lorsqu'ils lui disaient : « Sauve-toi sur la
toi sur la montagne, de peur d'être pris montagne, de peur que le malheur ne
avec euxa. » t'atteignea. »
93. Corriger dfnehzê (pour qu'il voie : p. 608, ligne 1) en dfnehê (pour qu'il vive,
c'est-à-dire pour qu'il soit sauvé).
94. Cette relative censée traduire les mots grecs εις δψος άνεγηγερμένη présente en
syriaque une difficulté de construction à cause de l'emploi de la préposition Iômad avec
le mot qui traduit υψος et de l'absence de verbe (le grec άνεγηγερμένη n'a pas d'équivalent).
Les manuscrits Add. 12175 et 17167 l'ont tout simplement supprimée. Notre traduction
suppose avant rawmô la préposition ba et la restitution d'un verbe comme sîmô.
95. Voici les différentes traductions adoptées :
— ligne 4 τα νοήματα : « les choses spirituelles »;
— ligne 4-5 δια πάντων... νοημάτων : le mot n'apparaît pas dans la traduction;
— ligne 6 των έν τοις πράγμασι νοημάτων : « des intellections qui viennent de tout le visible » ;
— ligne 12 των έν τοις πράγμασι νοημάτων : « du fait de penser aux objets ». Le mot renyô
employé ici, et qui est le plus satisfaisant, traduit également νοήματα dans la lettre 4
(p. 568, ligne 30).
Sur les variations du traducteur syriaque, voir supra, p. 136, et sur nos propres variations,
p. 144, n. 87.
96. A la fin de la lettre 4 (p. 568, ligne 31), le mot a en revanche été escamoté par
le traducteur.
97. Cf. supra, note 94.
10
146 PAUL GÉfflN
rappelle le deuil occasionné par la mort de « son bienheureux père » que
commence notre extrait. Ce beau texte évoque l'ascension spirituelle de
l'intellect jusqu'à Dieu, qui est désigné, dans des termes qui rappellent la
philosophie profane, comme « la Cause et le Père des intelligibles98 ».
L'ascension comporte plusieurs étapes. Après s'être débarrassé des pensées
passionnées, l'intellect parviendra à la contemplation des êtres créés, c'est-à-
dire à la contemplation physique". Et de là, à condition d'opérer un
dépouillement plus radical, celui de toutes les pensées simples liées au monde
matériel, et de retrouver sa nudité originelle, il atteindra la connaissance
de Dieu, la connaissance de la sainte Trinité. Cette science, qui est le terme
ultime de la vie spirituelle, est placée sous le signe de l'unité, et non de
la multiplicité, comme l'était la contemplation physique. Elle est science
essentielle en ce sens qu'en elle s'abolit toute distinction entre l'objet de
connaissance (Dieu) et la connaissance elle-même 10°. Connaître Dieu réalise la
plénitude du salut auquel sont appelées toutes les natures raisonnables. Cet
objectif ambitieux, difficile à atteindre, est symbolisé par cette montagne
sur laquelle les anges ont conduit Lot afin qu'il échappe au feu et au soufre
qui allaient détruire Sodome et Gomorrhe. La définition de la « montagne
intelligible » apparaît également en KG V, 40, avec quelques variantes :
« La montagne intelligible est la science spirituelle dressée sur un sommet
difficile d'accès; quand l'intellect l'a atteinte, il observe de loin (άποσκοπεύει)
les logoi des objets inférieurs101. »
Nos recherches nous ont permis de retrouver quelques lignes inédites
de l'original grec des Lettres et de les ajouter à celles que Mme Guillaumont
avait précédemment découvertes. Nous avons vu que les fragments des
Florilèges damascéniens sont encore attribués à Évagre, alors que ceux des
recueils ascétiques sont constamment mis sous le nom de Nil.
A ce point de la recherche, nous nous trouvons pour la seconde
catégorie d'extraits, les extraits conservés par les recueils ascétiques, devant une
double tradition102 :
1) celle du Sinaiticus gr. 462 où les extraits proviennent d'une Eklogè
de Lettres, que le copiste a incorporée à la recension longue du Traité des