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L’ÉGLISE

UNE ESQUISSE DE SON HISTOIRE


PENDANT VINGT SIÈCLES
3e partie
L'ÈRE DES PERSÉCUTIONS
L'ÈRE DES PERSÉCUTIONS
Le Seigneur Jésus avait dit à l'assemblée de Smyrne: «Ne crains en aucune manière les choses que
tu vas souffrir. Voici, le diable va jeter quelques-uns d'entre vous en prison, afin que vous soyez
éprouvés: et vous aurez une tribulation de dix jours.» Ainsi Jésus annonçait à ses saints un temps de
persécution, limité cependant. A dix reprises différentes, il serait permis à l'ennemi de déployer sa
fureur contre les chrétiens, mais ce ne devait être que pour montrer la puissance du Seigneur se mani-
festant dans de faibles instruments. Il les soutiendrait au milieu des souffrances de toutes sortes et à
travers la mort même qu'ils auraient à subir pour son nom. «Qui est celui qui est victorieux du monde,
sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu», dit l'apôtre Jean (1 Jean 5:5). Ces martyrs donnaient
leur vie pour l'amour de Celui qui les avait aimés.
Nous désirons présenter quelques exemples de cette victoire remportée sur le monde par ceux qui
croyaient en Jésus, le Fils de Dieu. Puissent ces exemples nous encourager à tenir ferme pour Christ
dans un monde qui est toujours le même, bien que sa haine contre Dieu et son Fils ne se montre pas
maintenant sous la même forme.
LES CHRÉTIENS SOUS TRAJAN. LETTRES DE PLINE ET DE TRAJAN. (A.
D. 103-107.)
A la fin du premier siècle et durant la première partie du second, le refus persistant des chrétiens
de prendre part à aucun acte du culte, soit en l'honneur des dieux ou pour rendre hommage à l'empe-
reur, commença à attirer sur eux l'attention du gouvernement romain. Il y avait une loi contre toutes
les religions non sanctionnées par l'État, et cette loi pouvait, d'un moment à l'autre, être mise en
vigueur. C'était une épée constamment suspendue sur la tête des chrétiens. Ils couraient aussi le dan-
ger d'être amenés devant les gouverneurs à cause des troubles et séditions fomentés contre eux par les
prêtres des idoles, par ceux qui fabriquaient des images, et qui craignaient, comme Démétrius, que
leur métier ne fût réduit à néant, et enfin par tous ceux qui vivaient des spectacles et des jeux publics,
auxquels on ne voyait pas assister les disciples de Christ. Ils se souvenaient qu'ils n'étaient pas du
monde, comme leur Maître n'en était pas. De plus, vers cette époque, il circulait d'étranges accusations
contre ceux dont le monde ne savait guère que ce fait, qu'ils vivaient à part de lui. Par crainte de la
persécution qui ne sommeillait jamais longtemps, ils étaient obligés de se réunir en secret, et il ne
manquait pas de gens pour insinuer que dans ces réunions il se passait des choses qui n'auraient pas
supporté la lumière.
De bonne heure, sous le règne de Trajan, un édit avait été rendu, déclarant illégales toutes les cor-
porations et associations. On voit aisément combien cette loi mettait en danger toutes les petites com-
munautés de chrétiens, unis entre eux comme frères en Christ par le lien le plus puissant.
Dieu a permis qu'un témoignage clair et non suspect nous fût conservé de ce qu'était alors la situa-
tion des chrétiens vis-à-vis de ceux qui les entouraient et du gouvernement romain. Ce sont les lettres
échangée entre l'empereur Trajan et le célèbre écrivain Pline le jeune, ami de l'empereur. Elles jettent
aussi du jour sur la persécution qui sévissait alors.
Pline avait été envoyé comme gouverneur des provinces du Pont et de la Bithynie dans l'Asie
mineure. Des personnes avaient été amenées devant lui accusées de christianisme. Le cas était nou-
veau pour lui, il ne savait comment agir à l'égard de ce genre de délit, et, dans sa perplexité, il demanda
conseil à l'empereur, en lui exposant comment jusqu'alors il avait procédé contre les accusés. Voici
quelques passages de sa lettre:
«Avant de venir dans cette province», dit-il, «je n'avais jamais en l'occasion d'assister à un interro-
gatoire de chrétiens. Je ne sais donc comment agir et décider, soit dans l'instruction de leur cause, soit
dans le châtiment à infliger. Faut-il punir comme si être chrétien est en soi-même un crime, ou bien
seulement s'il est accompagné d'autres délits? Faut-il faire quelques différences en tenant compte de
la jeunesse ou de l'âge des accusés?... En attendant, voici comment j'ai procédé à l'égard de ceux qui
étaient amenés devant moi comme chrétiens. Je leur ai demandé s'ils étaient des chrétiens. Le confes-
saient-ils, je réitérais ma question une seconde et une troisième fois en les menaçant de mort, s'ils per-
sistaient. Persévéraient-ils dans leur confession, j'ordonnais qu'ils fussent emmenés, les uns pour être
exécutés, les autres, comme citoyens romains, pour être envoyés à Rome, afin d'y être jugés.»
Pline donne de sa sentence la raison suivante: «Je ne mettais pas en doute que, quoi qu'il en fût de
leur confession, leur obstination ne dût être punie.»
L'écrivain continue: «Il m'a été remis récemment une accusation anonyme qui renfermait les noms
d'un certain nombre de personnes. Les ayant interrogées, quelques-unes nièrent d'être ou d'avoir été
chrétiennes, invoquèrent les dieux comme je le leur prescrivis, offrirent devant tes images de l'encens
et du vin, et injurièrent le nom de Christ — toutes choses, m'a-t-on dit, auxquelles on ne peut forcer
un vrai chrétien. C'est là le résumé de leur erreur. Je trouvai donc bon de les relâcher. D'autres con-
fessèrent d'abord qu'il, étaient chrétiens, mais ensuite le nièrent... Quant à leur précédente religion —
qu'elle soit une erreur ou un délit — voici ce qu'ils déclarèrent: ils ont coutume de se réunir un certain
jour avant le lever du soleil et de chanter ensemble une hymne à Christ comme à un Dieu. Puis ils
s'engagent par serment à s'abstenir du mal, à ne commettre ni fraude, ni vol, ni adultère, et à ne pas
manquer à leur parole. Après, cela, ils ont l'habitude de se séparer pour se rassembler plus tard dans
la journée et de prendre part ensemble à un repas simple, paisiblement, et sans aucun scandale. Mais
ils ont laissé cette dernière coutume depuis l'édit rendu par ton commandement et qui défendait tout
rassemblement.»
Pline était un philosophe, un homme poli et raffiné, bienveillant et généreux, et cependant il n'hési-
tait pas à employer le moyen le plus barbare pour découvrir toute la vérité touchant ce qu'il traitait de
«superstition absurde», vérifiant ainsi la parole de l'apôtre, «sans miséricorde» quand il s'agissait des
enfants de Dieu, haïs comme Jésus l'avait été, méconnus du monde comme Lui. Voici comment il con-
tinue:
«Après ce rapport, il me sembla d'autant plus nécessaire d'interroger, en leur appliquant la torture,
deux femmes, de celles qu'ils nomment diaconesses1. Mais sauf une méchante et absurde superstition,

1. Nos lecteurs savent que ce mot désigne des «servantes», des personnes chargées dans l'assemblée d'un service spécial,
comme Phœbé. (Romains 16:1.)
je n'ai rien pu tirer d'elles... Le nombre des accusés est si grand que l'affaire mérite une sérieuse con-
sidération. Beaucoup de personnes des deux sexes, de tout âge et de toute condition, sont accusées, et
un plus grand nombre encore le seront, car la contagion de cette superstition a envahi non seulement
les villes, mais les plus petits endroits et les campagnes.»
Pline dit ensuite qu'à son arrivée, les temples étaient presque abandonnés, que les cérémonies
sacrées étaient interrompues depuis longtemps, et que les victimes pour les sacrifices ne trouvaient
que de rares acheteurs. Mais il laisse voir en même temps que ses efforts pour arrêter les progrès de
la superstition n'ont pas été vains, et il termine en disant: «On peut penser qu'un grand nombre pour-
ront être ramenés, si le pardon est assuré à ceux qui se repentent.»
L'empereur répondit à Pline: «Tu as parfaitement agi, mon cher Pline, dans ta manière de procéder
à l'égard des chrétiens amenés devant toi. Il est évident que dans des affaires de ce genre, on ne peut
poser aucune règle générale. Ces gens ne doivent point être recherchés. Mais s'ils sont accusés et con-
vaincus d'être chrétiens, ils doivent être punis de mort, avec cette restriction toutefois, que si quelqu'un
renonce au christianisme et le prouve en invoquant les dieux, on le renverra absous à cause de son
repentir, qu'elle qu'ait été sa conduite antérieure. En aucun cas, les dénonciations anonymes ne doi-
vent être reçues; elles sont un moyen dangereux et qui ne s'accorde nullement avec les principes de
notre temps.»
Telle fut la réponse du puissant empereur au philosophe son ami, en un temps qui se vantait de ses
lumières et de son urbanité. Mais la parole de la croix a toujours été une folie pour les sages et les
intelligents de ce siècle. Combien il eût été facile à ces chrétiens méprisés de sauver leur vie en jetant
dans le feu quelques grains d'encens et en s'inclinant devant la statue de l'empereur! Mais ceux qui
suivaient cette «superstition» absurde et incompréhensible pour l'esprit du Romain lettré, savaient
bien ce que voulait dire cette cérémonie insignifiante en apparence. Ils refusaient de racheter leur vie
en étant infidèles à Christ. Ils gardaient sa parole et, comme le proconsul lui-même est forcé de
l'avouer, ils ne voulaient pas renier son nom. Ah! demandons au Seigneur cette même fidélité, pour
être gardés purs des souillures du monde.
Les lettres dont je viens de donner des citations, sont importantes à plus d'un égard. D'abord, bien
qu'il ne s'agisse que d'une province de l'empire, nous voyons par un témoignage irrécusable que le
christianisme, la foi au Christ comme Dieu, était déjà considérablement répandu, au point de faire
presque disparaître le paganisme dans cette province. On comprend que Satan fît tous ses efforts pour
garder ses forteresses contre la puissance de la vérité. On voit aussi quelle était cette puissance dans
les cœurs et la vie de ceux qui croyaient. En effet, le seul crime dont on pouvait accuser et convaincre
les chrétiens, était le refus d'adorer les images de l'empereur, d'invoquer les dieux et de maudire
Christ, Celui qu'ils regardaient comme leur Dieu Sauveur; mais leur vie était sans reproche. Ce témoi-
gnage d'un païen en faveur des chrétiens de cette époque est bien puissant.
Remarquons encore ce que Pline dit de leurs assemblées, d'après le rapport qui lui en est fait, et qui
est confirmé sous la torture même. Ils se réunissaient pour chanter les louanges de Christ et prendre
un repas en commun. Il s'agit sans doute de la Cène du Seigneur et des agapes ou repas d'amour qui
l'accompagnaient souvent, comme on le voit à Corinthe (1 Corinthiens 11). A cette époque, les assem-
blées des chrétiens étaient caractérisées par la simplicité. Le souvenir du Seigneur dans sa mort,
«annoncer» cette mort, en constituait le fond. Il serait à désirer que ce fût aussi maintenant le caractère
des réunions de ceux qui croient en Jésus.
Une circonstance bien intéressante et qui montre d'une manière touchante les soins de Dieu pour
les siens, est le lieu où se passaient ces scènes entre le savant et riche gouverneur Pline, et les pauvres
et humbles chrétiens. C'était en Bithynie et dans le Pont. Or si nous lisons le commencement de la
première épître de Pierre, nous verrons qu'elle est adressée «à ceux de la dispersion, du Pont, de la
Galatie, de la Cappadoce, de l'Asie et de la Bithynie.» Elle était donc envoyée aux pères des saints
martyrs du temps de Trajan. Peut-être quelques-uns vivaient-ils encore, et il n'est pas invraisemblable
que l'apôtre Pierre ait travaillé parmi eux. Combien les exhortations et les encouragements de cette
épître étaient à propos pour ceux qui comparaissaient devant Pline dans ces temps difficiles! Ils se
souvenaient sans doute de ces paroles, bien propres à les fortifier: «Si vous souffrez pour la justice,
vous êtes bienheureux; ne craignez pas... et ne soyez pas troublés, mais sanctifiez le Seigneur le Christ
dans vos cœurs; et soyez toujours prêts à répondre, mais avec douceur et crainte, à quiconque vous
demande raison de l'espérance qui est en vous»1. Quelle consolation pour eux de se rappeler que «les
yeux du Seigneur sont sur les justes et ses oreilles... tournées vers leurs supplications.» Quelle réalité
dans ces autres Paroles: «Bien-aimés, ne trouvez pas étrange le feu ardent (la persécution) qui est au
milieu de vous, qui est venu sur vous pour votre épreuve, comme s'il vous arrivait quelque chose
d'extraordinaire; mais en tant que vous avez part aux souffrances de Christ, réjouissez-vous, afin
qu'aussi, à la révélation de sa gloire, vous vous réjouissiez avec transport»2. C'était là le secret de leur

1. 1 Pierre 3:14-15.
force, de leur constance et de leur patience au milieu des souffrances. L'espérance de la gloire et d'un
bonheur ineffable, remplissait déjà leur cœur de joie. «Vous vous réjouissez,» dit encore l'apôtre,
«tout en étant affligés maintenant pour un peu de temps par diverses tentations, si cela est nécessaire.»
Puis, de nouveau, il tourne leurs regarde vers le moment heureux où apparaîtra Jésus, «lequel,» dit-il,
«quoique vous ne l'ayez pas vu, vous aimez»1. Oui, c'était l'amour pour Celui qui avait donné sa vie
pour eux, qui les rendait à leur tour «fidèles jusqu'à la mort». Que pouvaient contre de telles gens qui
avaient en vue «un héritage incorruptible», qui étaient «gardés par la puissance de Dieu» pour un si
heureux avenir, que pouvaient contre eux les menaces et les châtiments d'un Trajan ou d'un Pline? Et
en même temps, ils étaient soumis à l'autorité royale suivant l'exhortation de l'apôtre: «Soyez soumis
à tout ordre humain pour l'amour du Seigneur, soit au roi etc.» Par leur vie, comme par leurs paroles,
ils annonçaient les vertus de Celui qui les avait «appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière»2.
N'admirons-nous pas le tendre soin de Dieu en donnant cette épître à ces pauvres persécutés? Reli-
sez-la, et vous verrez comme tout s'appliquait bien à eux. Mais elle s'adresse aussi à nous. Bien que
nous ne souffrions pas comme eux, nous aussi avons à nous conduire avec crainte pendant notre séjour
ici-bas, et à être saints comme Celui qui nous a appelés est saint. Nous aussi, nous sommes exhortés
à marcher ici-bas comme étrangers et forains, nous abstenant des convoitises charnelles qui font la
guerre à l'âme, car nous aussi, si nous avons cru en Jésus et si nous l'aimons, nous avons part à l'espé-

2. 1 Pierre 3:12; 4:12-13.


1. 1 Pierre 1:6, 8.
2. 1 Pierre 1:2-5; 2:9, 13.
rance vivante, et à l'héritage, et au salut réservé à ces saints martyrs. Puissent nos cœurs, comme les
leurs, être attachés au Seigneur.
Un mot encore. La vérité, par la bouche de ces humbles témoins, était portée devant les gouver-
neurs et les princes de ce monde, qui, s'ils s'y opposaient, étaient ainsi sans excuse. Et il en fut ainsi
pendant tous ces temps de persécutions, selon la parole du Seigneur: «Vous serez menés même devant
les gouverneurs et les rois, à cause de moi, en témoignage à eux et aux nations.» (Matthieu 10:18.)
Nous parlerons maintenant de quelques-uns des martyrs dont les noms et les actes nous sont parvenus.
MARTYRE D'IGNACE
Aucun fait dans l'histoire de l'Église primitive n'a été conservé avec plus de soin que le martyre
d'Ignace; aucun récit de ce temps n'est plus célèbre que son voyage d'Antioche à Rome comme pri-
sonnier dans les chaînes.
Ignace était l'un des disciple immédiats de l'apôtre Jean, et évêque ou surveillant de l'assemblée
d'Antioche, depuis environ l'an 70. Nous nous souvenons que c'est dans cette grande ville, la capitale
de la Syrie et l'une des plus importantes cités de l'empire romain, qu'après les travaux bénis de Paul
et de Barnabas, les disciples du Seigneur furent premièrement nommés chrétiens. (Actes 11.)
Vers l'au 107, l'empereur Trajan se dirigeant vers l'Orient pour combattre les Parthes, passa par
cette ville. Il est difficile d'assigner les raisons qui portèrent l'empereur à persécuter les chrétiens
durant son séjour à Antioche. Était-ce qu'enflé par ses victoires, il ne pouvait supporter la pensée qu'il
y eût dans ses états des gens qui refusaient d'adorer les dieux qui, selon lui, l'avaient rendu vainqueur?
Ou bien voulait-il se les rendre propices en persécutant les chrétiens? On ne sait, mais il menaça de
punir de mort quiconque à Antioche refuserait de sacrifier aux dieux.
Désireux de détourner, en l'attirant sur sa tête, l'orage qui menaçait son troupeau, Ignace demanda
d'être conduit devant l'empereur pour lui exposer le vrai caractère et la position des chrétiens, et, s'il
le fallait, afin de s'offrir pour eux à la mort. Ainsi Trajan fut mis face à face avec cette «absurde supers-
tition», dont jusqu'alors il avait seulement entendu parler. Ainsi, comme au temps de Paul, témoi-
gnage fut rendu à l'Évangile devant les grands de la terre, les rendant inexcusables s'ils le rejetaient.
Voici ce que des écrivains anciens rapportent de l'entrevue de l'empereur avec le vénérable évêque.
Trajan s'adressant à lui, dit: «Es-tu celui qui, semblable à un démon pernicieux, persévère à contreve-
nir à mes ordres et entraîne les hommes dans la perdition?»
— Que personne, répond Ignace, n'appelle Théophore1 un démon pernicieux.
— Et qui est Théophore?
— Celui qui porte Christ dans son cœur.
— Ne crois-tu donc pas qu'ils résident en nous, les dieux qui combattent pour nous contre nos enne-
mis?
— Tu te trompes, en appelant dieux les démons des nations; car il n'y a qu'un seul Dieu qui a fait
le ciel, et la terre, et la mer, et tout ce qui est en eux; et un seul Jésus Christ, son Fils unique, duquel
le royaume est ma portion.
— Tu veux dire le royaume de Celui qui fut crucifié sous Pilate?
— Oui, de Celui qui a crucifié mon péché avec son auteur, et qui a mis le péché tout entier et la
malice de Satan sous les pieds de ceux qui Le portent dans leurs cœurs.
— Portes-tu en toi Celui qui a été crucifié?
— Oui, car il est écrit: J'habiterai en eux et je marcherai en eux.

1. «Théophore» veut dire celui qui porte Dieu.


L'empereur coupa court à l'entretien, en rendant cette sentence: «Puisque Ignace confesse qu'il
porte en lui celui qui a été crucifié, nous ordonnons qu'il soit conduit, lié par des soldats, à la grande
Rome, afin d'y être déchiré par les bêtes, pour l'amusement du peuple.»
Ce châtiment était réservé aux pires criminels, particulièrement à ceux qui étaient convaincus
d'exercer les arts magiques, ce dont les chrétiens étaient souvent accusés. Ignace écouta avec joie cette
sentence cruelle, heureux d'être jugé digne de souffrir pour le nom de Christ et comme offrande pour
les saints; se réjouissant, comme autrefois le bienheureux apôtre Paul, d'être lié et conduit à Rome.
Ignace fut donc livré à dix soldats qui, sans égard pour son âge avancé, semblent l'avoir traité avec
une grande dureté. Il écrivait aux chrétiens de Rome, leur envoyant sa lettre par des messagers qui
suivaient une route plus courte que celle par laquelle il était conduit: «Depuis la Syrie, et jusqu'à
Rome, je suis abandonné aux bêtes sauvages sur mer et sur terre; de jour et de nuit je suis lié à dix
léopards, une bande de soldats qui, même lorsque je leur fais du bien, se montrent envers moi d'autant
plus cruels.»
Il fut conduit par mer à Smyrne, où il lui fut permis de voir Polycarpe, évêque de cette ville qui, lui
aussi, avait été disciple de l'apôtre Jean. Plusieurs autres chrétiens vinrent le saluer et lui demander sa
bénédiction. Il écrivit à différentes assemblées, en particulier à celles d'Éphèse et de Rome, des lettres
qui ont été conservées. Dans ces lettres d'adieu, il insiste beaucoup sur la grande vérité de l'humanité
réelle de Christ. Il met en garde ceux à qui il écrivait contre la mauvaise doctrine qui se glissait parmi
les chrétiens, et qui enseignait que le Seigneur n'avait pas eu un corps réel, et qu'ainsi tout ce qu'il avait
fait durant sa vie ici-bas, de même que ses souffrances et sa mort, n'avait été qu'une apparence. Ignace
combat aussi les docteurs judaïsants, c'est-à-dire ceux qui, déjà du temps de Paul, voulaient mêler la
loi à l'Évangile1. Il faut malheureusement ajouter qu'à ces choses excellentes, Ignace en mêle beau-
coup d'autres erronées, surtout par rapport à l'autorité des évêques dans les assemblées. Ses enseigne-
ments à cet égard montrent le commencement de l'établissement du clergé remplaçant dans
l'Assemblée l'action de l'Esprit Saint.
Mais Ignace n'en était pas moins un bien-aimé saint de Dieu, un fidèle serviteur et témoin de Christ,
pour qui il donnait sa vie. Dans sa lettre aux chrétiens de Rome, il les prie de ne rien faire pour empê-
cher qu'il soit livré aux bêtes: «Vous ne pouvez», dit-il, «me donner rien de plus précieux que ceci:
que je sois offert à Dieu en sacrifice, tandis que l'autel est prêt... Priez seulement pour que la force me
soit donnée, afin que non seulement je sois appelé chrétien, mais que je sois vraiment trouvé tel.» Et
il dit encore: «Laissez-moi devenir la proie des lions et des ours; ce sera pour moi un très court passage
au ciel.»
Cependant les gardiens d'Ignace hâtaient leur voyage, craignant de ne pas arriver avant la fin des
jeux où le martyr devait être exposé à la fureur des bêtes féroces. Aussi assistèrent-ils, sans doute, avec
impatience à la scène touchante qui se passa avant qu'ils entrassent dans la cité impériale. Aux appro-
ches de Rome, ils rencontrèrent une foule de personnes qui sortaient de la ville. C'étaient des chrétiens
affligés qui venaient au-devant d'Ignace. Malgré sa lettre, ils le suppliaient de leur permettre de faire
leurs efforts pour le sauver; mais il n'y consentit point. Les soldats accordèrent à Ignace quelques ins-
tants pour prier avec ses frères et leur adresser quelques paroles. Il s'agenouilla avec eux et demanda

1. L'apôtre Paul les combat, surtout dans l'épître aux Galates.


à Christ de mettre fin à la persécution, car il espérait qu'il lui serait donné de mourir pour son troupeau,
et qu'ainsi les faibles brebis qu'il aimait tant, échapperaient. C'était le dernier jour des jeux, et il fut
conduit immédiatement à l'amphithéâtre.
On voit encore à Rome l'arc de triomphe bien conservé qui fut élevé en l'honneur de Titus, vain-
queur des Juifs. Non loin se trouvent les ruines d'un vaste cirque nommé le Colisée. Près de l'endroit
où se trouvaient les fameux jardins de Néron, dans un enfoncement de terrain situé entre deux des col-
lines sur lesquelles Rome était bâtie, cet empereur avait fait un lac artificiel. Titus l'avait fait dessécher
et avait commencé à faire construire sur cet emplacement un cirque immense, destiné à contenir
80,000 spectateurs. C'était le Colisée. On dit que les Juifs captifs furent employés à élever ce gigan-
tesque édifice. Ses dimensions étaient telles que l'arène centrale ayant été une fois remplie d'eau, on
put y donner au peuple romain le simulacre d'un combat naval. Mais habituellement il était réservé
aux combats de gladiateurs entre eux ou contre des bêtes féroces. Aux jours de fête, des scènes terri-
bles de luttes sanglantes et de carnage avaient lieu dans cette arène. Les Romains les contemplaient
et y applaudissaient du haut de leurs sièges disposés en gradins, garantis par des filets à mailles d'or
suspendus à des poteaux d'ivoire, de la fureur des bêtes féroces, rendues plus terribles par la faim.
C'est là que le vénérable évêque d'Antioche, épuisé par l'âge et par la fatigue de son long voyage,
fut livré aux bêtes sous les yeux de milliers de spectateurs. Il fut bientôt mis en pièces et dévoré par
elles. Le vieux pèlerin fatigué entra ainsi dans le repos du paradis de Dieu, auprès de Celui pour qui
il avait donné joyeusement sa vie. Il pouvait dire avec Paul: «J'estime que les souffrances du temps
présent ne sont pas dignes d'être comparées avec la gloire à venir qui doit nous être révélée... Qui est-
ce qui nous séparera de l'amour du Christ? Tribulation, ou détresse, ou persécution, ou famine, ou
nudité, ou péril, ou épée? Au contraire, dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par
celui qui nous a aimés.» (Romains 8:18, 35, 37.)
Les amis d'Ignace ne purent recueillir de ses restes que quelques os. Il fut le premier chrétien qui
souffrit cette mort cruelle dans l'amphithéâtre du Colisée. Mais après lui bien d'autres subirent le
même sort sous le règne de Trajan. «Ils n'ont pas aimé leur vie, même jusqu'à la mort», mais «ils ont
vaincu à cause du sang de l'Agneau et à cause de la parole de leur témoignage.» (Apocalypse 12:11.)
Quelle gloire les attend dans la première résurrection! Ils régneront avec Christ. Puissions-nous, dans
ces temps moins difficiles, être cependant trouvés aussi fidèles, aussi dévoués au Seigneur!
JUSTIN MARTYR
La persécution contre les chrétiens qui avait sévi sous le règne de l'empereur Trajan, se ralentit sous
celui de ses deux successeurs Adrien et Antonin le pieux, sans cependant cesser entièrement. Mais
elle reprit avec plus de force sous Marc-Aurèle qui succéda à Antonin. Est-ce donc que cet empereur
était un homme méchant et cruel? Non. Il était, au contraire, un de ceux que l'on nomme philosophes
— amis de la sagesse. Marc-Aurèle était d'un naturel humain, bienveillant, noble et pieux, et grâce à
l'influence de l'éducation qu'il avait reçue de sa mère, ses mœurs étaient pures. Ses écrits renferment
des préceptes d'une morale excellente. Et malgré cela, il se montra l'ennemi des chrétiens.
Nous ne devons pas nous en étonner. La sagesse du monde, celle que les hommes puisent dans leur
intelligence, dans leurs sentiments et leurs raisonnements, est tout l'opposé de la sagesse de Dieu.
C'est Christ qui est «la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu», et c'est en Christ crucifié que se mon-
trent cette puissance et cette sagesse pour sauver ceux qui croient. Mais le monde avec sa sagesse n'a
pas connu Dieu qui, dans son amour, a donné son Fils. La croix est une folie pour les sages de ce
monde qui estiment pouvoir plaire à Dieu et se sauver sans elle. Aussi l'apôtre Paul dit-il que les chefs
de ce monde n'ont pas connu la sagesse de Dieu, «car s'ils l'eussent connue, ils n'auraient pas crucifié
le Seigneur de gloire.» (Lisez 1 Corinthiens 1:20-24; 2:7-8.) Ainsi, si les chefs de ce monde ont rejeté
le Seigneur, il ne faut pas être surpris qu'ils persécutassent les disciples de Jésus. Il faut aussi ajouter
que tout en reconnaissant la vanité des idoles, les philosophes en toléraient le culte et s'y associaient
comme étant une chose bonne pour le peuple, tandis que les chrétiens s'en séparaient complètement.
L'empereur, il est vrai, n'intervenait pas directement dans les persécutions. Mais il en avait con-
naissance et aurait pu les arrêter. Des apologies ou défenses du christianisme avaient été présentées
aux empereurs qui l'avaient précédé et à lui-même, et la justice aurait demandé qu'il examinât ce qui
lui était dit en faveur des chrétiens. Mais au fond de toutes les persécutions et de l'opposition faite aux
disciples de Christ se trouve l'inimitié du cœur naturel contre Dieu. Jésus avait dit. «Si le monde vous
hait, sachez qu'il m'a haï avant vous... Ils ont, et vu, et haï et moi et mon Père... S'ils m'ont persécuté,
ils vous persécuteront aussi.» (Jean 15:18, 24, 20.)
Et, en effet, le monde les haïssait. On en était venu à considérer les chrétiens comme des ennemis
publics. Non seulement on les accusait de crimes abominables commis en secret dans leurs réunions
privées, mais on leur attribuait toutes les calamités qui, à cette époque en particulier, vinrent frapper
Rome et l'empire romain. Les dieux irrités par la présence de ces impies, de ces athées qui méprisaient
leur culte, manifestaient leur courroux par ces fléaux, disait-on. La haine du peuple envers eux allait
donc en croissant. Il se soulevait contre eux et obligeait les gouverneurs des provinces à sévir et à exé-
cuter les édits de persécution à l'égard de ceux qui étaient dénoncés comme chrétiens et amenés à leur
tribunal. Le Seigneur l'avait annoncé: «Ils vous livreront pour être affligés, et ils vous feront mourir;
et vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon nom.» (Matthieu 24:9.) Mais il avait dit aussi
pour l'encouragement de ceux qui souffraient pour son nom: «Vous avez de la tribulation dans le
monde; mais ayez bon courage, moi j'ai vaincu le monde.» (Jean 16:33.) Et encore: «Celui qui hait sa
vie dans ce monde-ci, la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu'un me sert, qu'il me suive; et où
je suis, moi, là aussi sera mon serviteur: Si quelqu'un me sert, le Père l'honorera.» (Jean 12:25-26.)
«Si nous souffrons avec lui,» nous serons «aussi glorifiés avec lui.» (Romains 8:17.)
Voilà ce qui soutenait les chrétiens et les fortifiait dans les souffrances qu'ils avaient à endurer. Ils
n'avaient peut-être pas autant de lumières que nous pouvons en avoir, mais Christ était pour eux une
Personne vivante qui avait donné sa vie pour eux, et ils donnaient leur vie pour Lui. Puissions-nous
marcher dans le même chemin de foi, de renoncement et d'amour.
Parmi ceux qui souffrirent le martyre à Rome sous Marc-Aurèle, se trouve Justin surnommé Mar-
tyr. Beau titre, n'est-ce pas, que celui de martyr ou témoin pour Jésus Christ? L'histoire de Justin est
d'autant plus intéressante qu'il avait été un de ces philosophes si opposés à l'Évangile. Mais la grâce
de Dieu est souveraine. Elle a amené à Christ le pharisien Saul de Tarse, et elle a converti le philoso-
phe Justin. Elle l'a fait en dépouillant l'un de sa propre justice, et en montrant à l'autre l'impuissance
de la sagesse humaine. Il faut que tous, sages ou ignorants, grands ou petits, nous reconnaissions notre
état de péché et de ruine, afin de saisir le salut, la paix et la vie en Christ. Celui qui a sauvé Pierre et
Jean, Nicodème et Paul, Justin le philosophe et tant d'autres, est aussi Celui qui nous sauve.
Justin était né de parents païens à Néapolis, ville de la Samarie, bâtie sur l'emplacement de
l'ancienne Sichem. Il raconte lui-même comment, dans sa jeunesse, désirant ardemment connaître la
vérité, il avait parcouru toutes les écoles de philosophie, étudiant avec soin les systèmes des sages de
ce monde, sans rien trouver qui satisfît son âme et répondit à ses besoins. Mais Dieu, qu'il ne connais-
sait pas encore, le suivait comme le berger qui cherche sa brebis errante, et vint lui révéler la vérité
qu'il avait en vain demandée aux hommes. Un seul est «la vérité», comme il est «la vie» et «le che-
min», pour arriver à Dieu, et c'est Jésus. Justin allait le trouver.
Un jour que, fatigué de l'inutilité de ses recherches, il se promenait au bord de la mer, il rencontra
un vieillard d'aspect vénérable qui entra en conversation avec lui. Justin s'ouvrit à cet inconnu, qui
avait gagné sa confiance. Il lui dit son ardent désir de trouver Dieu, et tout ce qu'il avait fait, mais en
vain, pour y arriver. Le vieillard lui répondit qu'en effet tous les enseignements des philosophes ne
pouvaient l'amener à la connaissance de Dieu et à la possession de la paix après laquelle il soupirait,
car, dit l'apôtre Paul, «le monde, par la sagesse, n'a pas connu Dieu.» Puis le vieillard parla à Justin
de la révélation que Dieu avait donnée aux hommes dans les écrits des prophètes et dans les évangiles,
et le pressa de les lire et de les étudier, et de s'enquérir des doctrines du christianisme. «Priez,» ajouta
le vieillard, «pour que les portes de la lumière vous soient ouvertes, parce que les Écritures ne peuvent
être comprises que par l'aide de Dieu et de son Fils Jésus Christ.»
Le vieillard s'éloigna, et Justin ne le revit plus. Mais il suivit ses conseils. Il lut et médita les Écri-
tures; il pria, et Dieu répondit à ses requêtes. Il trouva la lumière et la paix auprès de Jésus Christ, et,
une fois converti, il devint un ardent défenseur du christianisme. Plein de zèle pour la vérité qu'il avait
saisie, et qui remplissait et réjouissait son cœur, il se mit à voyager, toujours vêtu de sa robe de phi-
losophe, en Égypte et en Asie, annonçant à tous ceux qui voulaient l'entendre, l'Évangile qui lui était
si précieux. De l'abondance de son cœur, sa bouche parlait. Comme il est beau de voir Dieu tirant une
âme des ténèbres, l'amenant dans sa merveilleuse lumière, et faisant d'elle un flambeau pour éclairer
d'autres âmes! On n'a pas besoin pour jouir de ce privilège d'être un savant et un philosophe comme
Justin; chacun de nous, dans notre sphère, si humble soit-elle, dès que nous avons goûté que le Sei-
gneur est bon, nous pouvons le faire connaître à d'autres (Actes 26:18; 1 Pierre 2:9).
Justin se fixa enfin à Rome et continua d'y enseigner. Il cherchait à se mettre en rapport avec les
philosophes, dans le désir de leur faire connaître la vérité. Mais l'un d'eux, nommé Crescent, irrité de
ce que Justin l'avait réduit au silence en discutant avec lui, le dénonça comme chrétien. Justin, avec
six autres, parmi lesquels se trouvait une femme, comparut devant le préfet de Rome, Rusticus. Celui-
ci voyant Justin revêtu de sa robe de philosophe, lui demanda quelle doctrine il professait.
— J'ai cherché à acquérir toutes sortes de connaissances, répondit Justin; j'ai étudié dans toutes les
écoles des philosophes, et je me suis enfin arrêté à la seule vraie doctrine, celle des chrétiens, de ces
hommes méprisés par tous ceux qui sont dans l'aveuglement et l'erreur.
— Comment, misérable! Tu suis cette doctrine? s'écria le préfet.
— Oui, et c'est avec joie; car je sais qu'elle est vraie.
Interrogé ensuite sur les lieux où les chrétiens s'assemblaient, il répondit qu'ils se réunissaient où
ils le pouvaient, non pas tous en un même lieu, «car le Dieu des chrétiens», disait Justin, «le Dieu invi-
sible, n'est pas circonscrit par l'espace. Il remplit les cieux et la terre, et est adoré et glorifié partout
par les fidèles.»
Le préfet l'ayant menacé de la mort s'il persistait dans sa superstition, le témoin de Christ répondit:
«Tu peux me faire souffrir tous les tourments, je n'en resterai pas moins en possession de la grâce qui
assure le salut, et qui est le partage de tous ceux qui sont en Christ.»
— Tu crois donc aller au ciel?
— Non seulement je le crois, mais je le sais et j'en ai l'entière certitude.
Telle fut la réponse pleine d'assurance du philosophe qui, après avoir été si longtemps ballotté par
tout vent de doctrine humaine, avait enfin trouvé pour son âme une ancre sûre et ferme, et une espé-
rance qui ne confond point (Éphésiens 4:14; Hébreux 6:19).
Le préfet s'efforça alors de persuader à Justin et ses compagnons de sacrifier aux idoles.
— Aucun homme dont l'esprit est sain, répondit Justin, n'abandonnera une vraie religion pour
l'erreur et l'impiété.
— Sacrifiez, dit le préfet, ou vous serez tourmentés sans miséricorde.
— Je ne désire rien d'autre que de souffrir pour le nom de Jésus, mon Sauveur. Je paraîtrai ainsi
avec confiance devant son tribunal, où le monde entier doit comparaître un jour.
Telle fut la réponse courageuse du martyr. Ses six compagnons confirmèrent ses paroles en disant:
— Faites ce que vous voudrez; nous sommes chrétiens, et nous ne pouvons sacrifier aux idoles.
Le préfet les voyant inébranlables devant ses menaces prononça la sentence: «Ceux qui refusent
de sacrifier aux dieux et d'obéir aux édits de l'empereur, seront d'abord battus de verges, puis décapi-
tés.»
Les martyrs se réjouirent et bénirent Dieu d'avoir été trouvés dignes de souffrir et de mourir pour
le nom de Jésus (Actes 5:41; Philippiens 1:29). Ils furent ramenés dans leur cachot, et là, après avoir
été fouettés, ils eurent la tête tranchée.
Le Seigneur Jésus a dit: «Vous êtes bienheureux quand on vous injuriera, et qu'on vous persécu-
tera... à cause de moi. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, car votre récompense est grande dans les
cieux.» Et Paul l'apôtre dit aux saints: «Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui.»
(Matthieu 5:11-12; 2 Timothée 2:12.) Justin et ses compagnons avec bien d'autres mis à mort «pour
la parole de Dieu et pour le témoignage qu'ils ont rendu», attendent maintenant auprès du Seigneur la
«récompense» — «la couronne de justice» et de gloire qui leur est réservée et qui leur sera donnée à
son avènement (2 Timothée 4:8).
LA PERSÉCUTION EN ASIE MINEURE ET LE MARTYRE DE POLYCARPE
«A l'ange de l'assemblée qui est à Smyrne, écris:... Ne crains en aucune manière les choses que tu
vas souffrir... Sois fidèle jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne de vie.» C'est ainsi que le Sei-
gneur Jésus, Lui, le fidèle témoin ou martyr, qui avait donné sa vie, encourageait d'avance ceux qui
seraient appelés à donner leur vie pour Lui.
Ce fut en Asie mineure que la persécution, sous Marc-Aurèle, sévit avec le plus de violence. Une
lettre adressée par «l'Église de Dieu à Smyrne à celle de Philomélie et à toutes les parties de la sainte
Église universelle», donne un récit détaillé des souffrances qu'eurent à endurer les fidèles confesseurs
de Jésus Christ. Parmi ceux que cette lettre mentionne comme ayant été mis à mort, se trouve le vieil
évêque de Smyrne, Polycarpe.
Polycarpe, de même qu'Ignace, avait été disciple de l'apôtre Jean. On dit que ce fut Jean qui l'établit
évêque de Smyrne. Il est possible, en effet, qu'il l'eût mis à part comme «ancien» dans cette assemblée,
car nous savons que les apôtres avaient l'autorité d'établir des anciens dans les églises (Actes 14, 23;
Tite 1, 5).
Irénée, un des disciples de ce saint évêque, et qui fut l'évêque de Lyon au commencement du troi-
sième siècle, parle ainsi de Polycarpe: «Je pourrais encore montrer la place où le bienheureux Poly-
carpe avait coutume de s'asseoir et de discourir; je pourrais dire sa démarche, son apparence, sa
manière de vivre, ses conversations. J'ai encore présentes à l'esprit la gravité de sa conduite, la majesté
de son visage, la pureté de sa vie, et les saintes exhortations qu'il adressait à son troupeau. Il me semble
encore l'entendre raconter comment il avait conversé avec Jean et plusieurs autres qui avaient vu Jésus
Christ, et répéter les paroles qu'il avait entendues de leur bouche, les récits qu'ils faisaient des miracles
du Sauveur, de sa doctrine selon les Écritures, comme il les avait reçus de ceux qui avaient été des
témoins oculaires. Son zèle pour la pureté de la foi était tel que, si quelque erreur était avancée et sou-
tenue en sa présence, il avait coutume de se boucher les oreilles, et de se retirer en s'écriant:
«Dieu miséricordieux, pour quels temps m'as-tu réservé!»
Tel était Polycarpe. A l'époque de la persécution, c'est-à-dire vers l'an 167, il était âgé d'environ
quatre-vingt-quinze ans. Le peuple, irrité de voir la,constance et la fermeté des témoins du Seigneur
exposés dans l'arène à la fureur des bêtes féroces, demandait à grands cris que l'on saisît et qu'on livrât
aux lions le fidèle pasteur du petit troupeau des chrétiens. «Polycarpe! Amenez Polycarpe!» criait la
multitude.
Polycarpe, ayant entendu les clameurs de la foule, voulait d'abord rester tranquillement dans la
ville, et y attendre ce que Dieu ordonnerait de lui. Mais sur les instances des frères, il se retira dans
un village voisin. Il y resta quelque temps avec un petit nombre d'amis, priant nuit et jour pour toutes
les assemblées. Un de ses esclaves, mis à la torture, fit connaître le lieu de sa retraite, et on envoya
des soldats pour se saisir de lui. L'ayant appris, le vieillard refusa de pourvoir autrement à sa sûreté;
il attendit avec calme leur venue, disant simplement: «Que la volonté du Seigneur soit faite.» Les sol-
dats étant arrivés, il commanda qu'on leur donnât à boire et à manger, et demanda qu'on lui laissât une
heure de recueillement pour prier. Sa requête lui ayant été accordée, il se retira dans une chambre
haute où il pria, dit la lettre citée, «pour tous ceux qu'il avait connus, petits et grands, dignes et indi-
gnes, et pour toute l'Église dans le monde entier.» Son cœur était si rempli, que deux heures, se pas-
sèrent avant qu'il eût achevé ses ferventes supplications. Ceux qui devaient le conduire à la ville, lui
firent dire de venir. Son dévouement, sa douceur, son grand âge et son aspect vénérable firent une pro-
fonde impression sur ses gardes.
Ayant égard à sa vieillesse, ils le firent monter sur un âne et entrèrent dans la ville remplie d'une
foule considérable. Comme ils traversaient les rues, ils rencontrèrent Hérode, le premier magistrat de
la ville, qui était sur son char avec son père. Tous deux, avec un semblant de respect, invitèrent l'évê-
que prisonnier à monter à côté d'eux, et essayèrent par de belles paroles et des promesses à ébranler
sa constance. «Quel mal y a-t-il», lui disaient-ils, «à dire: Seigneur César! ou à sacrifier?»
Mais voyant leurs efforts inutiles, ils changèrent leurs paroles douces en injures, et irrités, ils pré-
cipitèrent le vieillard hors du chariot. Polycarpe, bien que meurtri par sa chute, poursuivit son chemin,
conduit par les gardes, et fut amené devant le proconsul.
Celui-ci, ayant compassion de son grand âge et de sa faiblesse, essaya de lui persuader de ne pas
répondre à l'appel de son nom, mais Polycarpe refusa de se servir d'un subterfuge pour échapper au
supplice.
— Eh bien, lui dit le proconsul, jure par le génie de César, et dis: Loin de nous les athées1.
Le vieillard promena lentement ses regards sur la foule furieuse qui remplissait l'amphithéâtre, puis
agitant sa main et regardant vers le ciel, il cria «Loin de nous les athées!»

1. Les chrétiens étaient accusés d'athéisme, parce qu'ils n'adoraient pas les faux dieux.
— Jure, dit le proconsul, pensant qu'il fléchissait maudis Christ, et je te relâcherai.
— Voici quatre-vingt-six ans que je le sers, répliqua le courageux évêque, tandis qu'un sourire illu-
minait ses traits, et il ne m'a jamais fait de mal; comment le blasphémerais-je, Lui, mon Roi et mon
Sauveur?
La menace de le livrer aux bêtes féroces ou de le faire périr sur un bûcher, l'ayant trouvé inébran-
lable, le proconsul ordonna à un héraut de proclamer trois fois au milieu du cirque: «Polycarpe a con-
fessé qu'il était chrétien.»
Aussitôt la multitude de s'écrier: «C'est le docteur de l'Asie, le père des chrétiens, l'ennemi de nos
dieux; c'est lui qui a persuadé à un si grand nombre de ne plus sacrifier. Qu'il soit livré aux lions.»
Mais le président des jeux refusa, en alléguant que les jeux étaient terminés. Alors la foule tumul-
tueuse s'écria: «Qu'il soit brûlé!» Le proconsul accéda à leur demande, et aussitôt tous à l'envi, Juifs
et païens se mirent à apporter du bois pour le bûcher. Le vieillard considérait avec calme les prépara-
tifs de son supplice, mais quand on l'eût entraîné sur le bûcher et qu'on voulut le fixer au poteau avec
des cordes: «Laissez-moi ainsi,» dit-il. «Celui qui me donne la force d'endurer les flammes, me rendra
capable de ne faire aucun mouvement sur le bûcher.» Avant que le feu fût allumé, le martyr pria en
disant — «Seigneur, Dieu Tout-puissant, Père de ton bien-aimé Fils Jésus Christ, par lequel nous
avons reçu la connaissance de Toi-même, Dieu des anges et de la création entière, de la race humaine
et des justes qui vivent en ta présence, je te loue de ce que tu m'as jugé digne de ce jour et de cette
heure pour avoir part avec tous tes témoins à la coupe des souffrances de Christ.»
Dès qu'il eut achevé de prier, on mit le feu au bûcher. Mais, chose étrange à dire, attestée cependant
par la lettre de ceux qui en furent les témoins oculaires, les flammes, au lieu de l'atteindre, semblèrent
vouloir l'épargner, formant autour de lui comme une grande voile enflée par le vent. Son corps brillait
comme de l'or et de l'argent, et un parfum exquis se répandit dans l'air. A cette vue, les païens supers-
titieux, craignant que le feu n'eût aucun pouvoir sur lui, ordonnèrent qu'il fût percé d'un glaive. Le
sang éteignit d'abord le bûcher, mais les païens demandèrent que le corps fût consumé, et il n'en resta
que quelques ossements. Comme les disciples de Polycarpe désiraient recueillir ces faibles restes de
celui qu'ils avaient tant aimé, les Juifs persuadèrent au proconsul de ne pas leur accorder leur requête,
«de peur», disaient-ils, «qu'ils n'abandonnent le crucifié pour adorer cet homme.» «Ils ne comprenai-
ent guère,» dit la lettre, «qu'il n'est pas possible d'abandonner Christ qui a souffert pour le salut du
monde, et que l'on puisse adorer quelqu'un d'autre. Car c'est Lui qu'en vérité nous adorons; mais nous
aimons les martyrs, comme étant ses disciples.»
La mort édifiante de Polycarpe fut une bénédiction pour l'Église. La fureur de la populace s'apaisa,
et le proconsul lui-même, fatigué de ces scènes sanglantes, défendit que l'on amenât encore des chré-
tiens devant son tribunal. Ainsi, le Seigneur mit fin à la tribulation. Il en avait assigné la durée avant
qu'elle commençât: «Vous aurez une affliction de dix jours.»
Polycarpe écrivit à l'assemblée de Philippes une lettre qui nous a été conservée. Elle est surtout
intéressante, parce qu'il leur rappelle l'apôtre Paul, «qui,» dit-il, «quand il était au milieu de vous, vous
a fidèlement et constamment enseigné la vérité, et qui, absent, vous a écrit une lettre, laquelle, si vous
l'étudiez diligemment, sera le moyen de vous établir dans la foi, l'espérance et l'amour.»
Ainsi les mêmes Saintes Écritures que Dieu nous a données pour nous instruire à salut et nous gui-
der, étaient aussi la consolation de ces saints d'autrefois qui souffraient et mouraient pour le Seigneur.
LES MARTYRS DE LYON ET DE VIENNE VERS L'AN 177
Ce fut encore sous le règne de Marc-Aurèle, l'empereur philosophe, qu'eut lieu une nouvelle per-
sécution contre les chrétiens. Elle sévit surtout dans les villes de Lyon et de Vienne en Gaule. Là,
s'étaient établies des colonies venues de l'Asie mineure, et c'est aussi d'Asie que l'Évangile y avait été
apporté.
Ainsi, en quelque lieu que ce fût où la parole du salut était portée, l'ennemi du Seigneur, celui qui
est appelé «le grand dragon, le serpent ancien, le diable et Satan», ne se lassait pas de poursuivre et
de tourmenter les saints de Dieu. Il se servait pour cela de la formidable puissance romaine, représen-
tée dans l'Écriture sous la figure d'une «bête effrayante et terrible, et extraordinairement puissante,»
avec de grandes dents de fer, qui dévorait et écrasait, et faisait la guerre aux saints. (Daniel 7:7, 21.)
Des détails concernant la persécution des chrétiens des Gaules, nous ont été conservés dans une
lettre qu'ils adressèrent à leurs frères d'Asie. L'écrivain dit comment les frères, qui jusqu'alors avaient
vécu paisiblement, furent tout à coup assaillis par les païens. On commença par les exclure des bains
et des marchés publics, puis on les dépouilla de leurs biens et on alla jusqu'à piller leurs maisons.
Ensuite ils furent poursuivis à coups de «pierres et traînés en prison, «accusés,» dit la lettre, «de cri-
mes si odieux qu'il ne nous est pas permis de les mentionner, ni même d'y penser.»
C'est en l'absence du préfet que se déchaîna la fureur de la populace, et ce furent les employés
subalternes qui, intimidés par la violence de la foule, firent jeter en prison un grand nombre de chré-
tiens. Quelques-uns de ceux-ci, au moment de l'épreuve, faiblirent; plusieurs périrent dans les cachots
humides et malsains où ils avaient été enfermés.
L'arrivée du préfet n'allégea point les souffrances des prisonniers. Il commença à chercher, par les
tortures, à pousser les chrétiens à renier Christ, ou à leur faire avouer les crimes abominables dont on
les accusait, comme de manger de la chair humaine dans leurs assemblées secrètes et de se livrer à
toutes sortes de désordres. Contrairement à la loi, le magistrat fit mettre à la torture des esclaves des
maîtres chrétiens. Quelques-uns, vaincus par les tourments, reconnurent que leurs maîtres prati-
quaient, en effet, les crimes dont ils étaient accusés. Dès lors, le magistrat et le peuple se crurent en
droit de punir les chrétiens des plus cruels supplices.
Ni le rang, ni l'âge, ni le sexe, ne furent épargnés. Voici quelques exemples pris parmi ceux qui
souffrirent pour le Seigneur. Un jeune homme chrétien de haute naissance et de grands talents, nommé
Vettius Apagatus, qui n'avait point été mis en prison, fut indigné d'entendre les fausses accusations
portées contre ses frères. Plein d'amour pour eux, il se sentit pressé de prendre leur défense et de ren-
dre témoignage à la pureté de leur vie. Mais le juge, au lieu de l'écouter, lui demanda s'il était chrétien,
lui qui se faisait leur avocat. Sur la réponse affirmative de Vettius, le magistrat ordonna qu'il fût con-
duit en prison. Il n'en sortit que pour souffrir le martyre.
Le vieil évêque de Lyon, Pothin, âgé de quatre-vingt-dix ans, qui probablement était venu d'Asie
et avait porté l'Évangile dans«cette ville, fut amené, infirme et asthmatique comme il l'était, devant le
tribunal. «Quel est le Dieu des chrétiens?» lui demanda le juge. «Tu le connaîtras, si tu t'en montres
digne,» répondit tranquillement le vieillard. A ces mots, ceux qui entouraient le tribunal l'accablèrent
d'injures et de coups. Le divin Maître de Pothin avait eu aussi à souffrir les injures et les coups devant
un tribunal humain. (Matthieu 26:67-68.) Ramené en prison, le vieillard eut encore à endurer la bru-
talité de la populace, et mourut deux jours après par suite des mauvais traitements qu'il avait subis.
Mais parmi tous ceux qui souffrirent, il n'y en eut point qui brillèrent plus par leur foi, leur cons-
tance et leur fermeté que Blandine. Elle était une pauvre jeune esclave, au corps faible et chétif. Sa
maîtresse, chrétienne aussi, et qui mourut martyre, tremblait pour elle, craignant que sa foi ne succom-
bât sous les tourments. Mais le Seigneur se tint près de sa jeune servante, et manifesta en elle sa force.
Les bourreaux épuisèrent sur elle tous les genres de supplices: les fouets, le chevalet sur lequel on
étendait les membres jusqu'à les disloquer, la chaise de fer rougie au feu sur laquelle on faisait asseoir
les martyrs, Blandine supporta tout sans fléchir, répétant seulement: «Je suis chrétienne; nous ne com-
mettons aucun mal.» Attachée à un poteau dans l'amphithéâtre, elle fut livrée aux bêtes féroces, mais
celles-ci, moins cruelles que les hommes, ne la touchèrent pas. On pensait qu'étant une faible femme
et une esclave, on Pourrait, en multipliant les tortures, l'amener à renier Christ. Mais Celui qui était
en elle était plus fort que celui qui est dans le monde. Elle possédait la foi qui rend victorieux du
monde, la foi au Fils de Dieu. (1 Jean 4:4; 5:4-.) «Blandine,» dit la lettre déjà citée, «fut revêtue d'une
telle force que ceux qui se relayaient pour la torturer du matin jusqu'au soir, avouèrent, lassés qu'ils
étaient, qu'elle les avait vaincus. Ils étaient étonnés, après avoir épuisé sur elle toutes les tortures,
qu'elle pût encore vivre, ayant le corps déchiré et ouvert de toutes parts.» Le Seigneur rendait ainsi
témoignage à la vérité du christianisme, et à la puissance de la foi en Lui. On pouvait dire de ces mar-
tyrs comme de ceux d'un autre âge: Ils furent torturés, éprouvés par des moqueries et par des coups,
par des liens et par la prison; ils furent lapidés, sciés, tentés, eux desquels le monde n'était pas digne...
Ils ont reçu témoignage par la foi, en attendant la céleste récompense. (Hébreux 11:36-39.)
Comme l'on ramenait en prison Blandine et ses compagnons de souffrances, beaucoup d'amis affli-
gés vinrent à leur rencontre pour les consoler, les encourager et leur témoigner leur amour, les saluant
en même temps du nom de martyrs. «Nous ne sommes pas dignes d'un tel honneur,» répondirent-ils;
«le combat n'est pas terminé. D'ailleurs ce nom glorieux de martyr1 appartient essentiellement à Celui
qui est le Témoin fidèle et véritable, le premier-né des morts et le Prince de la vie, et ensuite à ceux
qui ont scellé le témoignage de Christ par leur persévérance jusqu'à la fin. Nous ne sommes que de
pauvres faibles confesseurs.» Puis ils demandèrent avec larmes à leurs frères de prier pour eux, afin
qu'il leur fût donné de rester fidèles et fermes jusqu'à la fin. Ainsi ils montraient qu'ils sentaient leur
faiblesse et n'attendaient de force que de Celui en qui seul elle réside.
Une nouvelle douleur les attendait à leur retour dans la prison. Quelques-uns des leurs, saisis de
crainte à la pensée des tourments, avaient renié le christianisme. Ils n'y avaient d'ailleurs rien gagné;
on les retenait en prison comme accusés d'autres crimes. Blandine et ses compagnons prièrent avec
beaucoup de larmes le Seigneur, afin que ceux qui avaient faibli devant l'ennemi fussent restaurés et
fortifiés. Le Seigneur exauça leurs prières. Ayant comparu de nouveau devant le magistrat, ceux qui
étaient tombés confessèrent courageusement leur foi en Christ, et condamnés à mourir, ils obtinrent
aussi la couronne des vainqueurs.
La fin de Blandine approchait. Elle allait échanger les douleurs passagères de cette vie, pour la
gloire éternelle. (2 Corinthiens 4:17-18.) Elle fut amenée pour la dernière fois devant le juge avec un
jeune homme de 15 ans, nommé Ponticus. On leur ordonna de jurer par les dieux, mais ils refusèrent
avec fermeté. On leur fit encore subir les tortures les plus cruelles que la barbarie des hommes puisse
imaginer. Ils les supportèrent avec une patience qui ne fit qu'exaspérer au plus haut point la multitude.

1. Nous rappelons à nos lecteurs que le mot «martyr» veut dire «témoin».
Le jeune Ponticus, encouragé et soutenu par les prières et les exhortations de sa sœur en Christ, suc-
comba bientôt et s'endormit en Jésus.
Blandine, restée seule, fut gardée pour le dernier jour des jeux. On pouvait bien dire d'elle, comme
Paul le disait de lui-même et des apôtres. «Dieu nous a produits les derniers sur la scène... comme des
gens voués à la mort... un spectacle pour le monde, et pour les anges et pour les hommes.» (1 Corin-
thiens 4:9.) Blandine fut d'abord fouettée jusqu'au sang, puis subit de nouveau l'affreux supplice de la
chaise ardente, ensuite placée dans un filet, elle fut livrée à un taureau sauvage qui la secoua long-
temps avec ses cornes et la fit souffrir cruellement. Enfin un soldat mit fin à ses souffrances, en la
perçant d'une lance.
Tels étaient les tourments que ces fidèles confesseurs endurèrent pour l'amour de Jésus. «Leur
récompense sera grande dans le royaume des cieux.» (Matthieu 5:12.) Nous qui vivons dans un temps
paisible, n'en serons-nous pas reconnaissants envers Dieu? N'en profiterons-nous pas pour croître
dans la connaissance et la grâce du Seigneur Jésus, afin d'être aussi ses témoins dans ce monde, non
par des souffrances semblables à celles des martyrs, mais par notre séparation du monde et la pureté
de notre vie?
D'autres que ceux que nous avons nommés souffrirent de même. A propos d'un nommé Sanctus
qui endura aussi de cruels tourments, notre lettre dit qu'il les supporta de manière à montrer «qu'il n'y
a rien de terrible là où se trouve l'amour du Père, ni rien de pénible là où est la gloire de Christ.»
La rage des persécuteurs ne fut pas assouvie par la mort des martyrs. Leurs corps furent brûlés et
les cendres jetées dans le Rhône, afin de les priver ainsi, pensaient leurs ennemis dans leur folie, de
ce qui leur était le plus précieux — la sûre et certaine espérance de la résurrection bienheureuse. Insen-
sés, ils ignoraient la puissance de Dieu. La mort est vaincue pour les chrétiens, sous quelque forme
qu'elle se présente. Ils avaient pour eux, ces fidèles témoins, la parole de Christ: «Celui qui vaincra
n'aura point à souffrir de la seconde mort.» Ils auront part à la première résurrection, et vivront et
régneront avec le Christ. Puisse ce bonheur être aussi le nôtre!
LES MARTYRS DE CARTHAGE VERS L'AN 202
Le cruel gouverneur de Lyon dont nous avons parlé était devenu empereur sous le nom de Septime
Sévère. Dans les premières années de son règne, les chrétiens avaient joui d'une tranquillité relative;
mais à son retour d'Orient où il avait fait une guerre victorieuse, il rendit un édit défendant à aucun de
ses sujets d'embrasser le judaïsme ou le christianisme. L'occasion de cette nouvelle persécution fut,
sans doute, le refus des chrétiens de prendre part aux réjouissances publiques qui accueillaient l'empe-
reur victorieux, réjouissances toujours accompagnées de cérémonies païennes. Les chrétiens met-
taient en pratique la parole de l'apôtre «Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.» (Actes 5:29.)
La persécution sévitsurtout en Égypte et dans la province d'Afrique où le christianisme avait jeté
de profondes racines. La grâce de Dieu s'y montra d'une manière merveilleuse dans la patience et le
courage qu'elle donna aux saints martyrs dans leurs souffrances.
Parmi eux se trouvaient, à Carthage, deux femmes, Vivia Perpétua et Félicité, et trois jeunes hom-
mes. Ils étaient encore des catéchumènes, c'est-à-dire que, bien que s'étant joints aux chrétiens, ils
n'avaient pas encore reçu le baptême, ni pris part à la cène. Félicité était une pauvre esclave qui, dans
la prison même, devint mère d'un petit enfant. Perpétua était une jeune dame distinguée par sa nais-
sance, son éducation et sa fortune. Elle n'avait que vingt-deux ans, avait récemment perdu son mari,
et était mère d'un jeune enfant qu'elle nourrissait. Sa mère et ses deux frères étaient chrétiens; son père,
seul de la famille, était resté attaché au paganisme. Il aimait passionnément sa fille, et c'était pour lui
une immense douleur de la voir attachée à cette religion méprisée, et être un sujet de honte pour lui et
le nom illustre qu'il portait. D'un cœur tendre et aimant, la plus grande épreuve pour Perpétua venait
de son affection pour son père et pour son enfant. Ce n'était pas seulement la mort sous sa forme la
plus terrible qu'elle avait à affronter, mais il lui fallait vaincre aussi les liens naturels les plus puissants.
Elle avait compris cette parole — «Celui qui aime père et mère plus que moi, n'est pas digne de moi;
et celui qui aime fils ou fille plus que moi, n'est pas digne de moi» (Matthieu 10:37), et elle aimait
Jésus plus que tout: pour l'amour de Lui, elle fut rendue capable de renoncer à tout.
Perpétua a laissé, écrit par elle-même, un récit simple et touchant de son emprisonnement et de son
jugement. Nous en citerons quelques parties.
«Lorsque nous fûmes entre les mains de nos persécuteurs», dit-elle, «mon père, dans sa tendre
affection pour moi, vint me voir et s'efforça de me détourner de la foi.
— Mon père, lui dis-je, vois-tu ce petit vase?
— Oui, dit-il, je le vois.
Alors je dis: «Puis-je le nommer autrement que ce qu'il est?» Il répondit: «Non.»
— Je ne puis non plus, continuai-je, me nommer autrement que ce que je suis, c'est-à-dire une chré-
tienne.
Mon père me regarda comme s'il eût voulu m'arracher les yeux; mais il m'accabla seulement de
paroles dures, puis il partit. Alors je fus plusieurs jours sans le voir, mais je fus rendue capable de ren-
dre grâces à Dieu, et son absence fut adoucie pour mon cœur.»
Quelques jours après, les jeunes chrétiens eurent la grande joie de recevoir le baptême et de parti-
ciper à la cène, car, bien que gardés, ils n'avaient pas encore été enfermés dans le cachot. Ce jour arriva
bientôt, et Perpétua écrit:
«Au bout de quelques jours, nous fûmes jetés dans la prison. Je fus saisie de terreur, car jamais
auparavant je n'avais été dans une obscurité aussi complète. Quel jour terrible! La chaleur excessive
causée par le grand nombre de prisonniers, la brutalité des soldats, et l'inquiétude que j'éprouvais à
cause de mon enfant, tout m'accablait. Mais deux de nos diacres obtinrent à prix d'argent que nous
fussions transférés quelques heures par jour dans une meilleure partie de la prison, loin des autres cap-
tifs. Chacun reprit son occupation habituelle, mais moi je m'assis et allaitai mon enfant presque mort
de faim. Dans mon anxiété, je parlai à ma mère pour la consoler et je recommandai l'enfant à mon
frère. Je m'affligeai en les voyant peinés à mon sujet, et je souffris plusieurs jours. Mais l'enfant
s'accoutuma à rester avec moi dans la prison, et aussitôt la force me revint, je fus délivrée de tout souci
et d'inquiétude pour mon enfant, et la prison devint pour moi comme un palais. En vérité, j'y étais plus
heureuse que je n'aurais pu être nulle part ailleurs.»
Après avoir raconté un songe qu'elle eut et qu'elle regarda comme un signe qu'elle et son frère,
emprisonné aussi, souffriraient bientôt le martyre, Perpétua continue:
«Après quelques jours, le bruit se répandit que nous allions être interrogés. Mon père arriva «de la
ville, la figure dévastée par le chagrin, et essaya encore de m'ébranler. Il me dit: «Ma fille, aie pitié de
mes cheveux blancs; aie pitié de ton père, si tu me crois encore digne de ce nom! Ne t'ai-je pas élevée?
Ne m'as-tu pas été plus chère que mes autres enfants? Ne m'expose pas ainsi au mépris des hommes.
Pense à ton frère, à ta mère, à ta tante; pense à ton enfant, à ton fils qui ne peut vivre, si tu meurs. Fais
fléchir ton orgueil; ne nous plonge pas tous dans la ruine.» Ainsi parlait mon père, me baisant les
mains et se jetant à mes pieds, et, au milieu de ses larmes, ne m'appelant plus sa fille, mais sa «dame».
Et j'étais affligée à cause des cheveux blancs de mon père, et de ce que lui seul de toute la famille ne
se réjouissait pas de mon martyre. Et je m'efforçais de le consoler, lui disant — «Ce qui arrivera quand
je paraîtrai devant le tribunal, dépend de la volonté de Dieu, car nous ne subsistons pas par notre pro-
pre force, mais uniquement par la puissance de Dieu.» Et il s'éloigna en gémissant.
Un autre jour, tandis que nous prenions notre repas, nous fûmes soudainement appelés à compa-
raître. Une multitude immense entourait le tribunal. Nous gravîmes les degrés, et les autres furent
interrogés et firent leur confession. Et mon tour vint, et aussitôt mon père apparut portant mon enfant.
Et il me tirait en bas des degrés, me disant d'un ton suppliant: «Aie pitié de moi et de ton enfant.» Et
le procurateur Hilarianus dit aussi: «Épargne les cheveux blancs de ton père; épargne ton petit enfant;
sacrifie aux dieux pour la prospérité de l'empereur.» Et je répondis: «je ne veux pas sacrifier.» — «Es-
tu chrétienne?» dit Hilarianus. Je répondis: «Je suis chrétienne.» Et comme mon père était encore là
près de moi, cherchant à m'entraîner, Hilarianus ordonna qu'il fût jeté par terre et battu de verges. Et
je fus affligée de ce qui arrivait à mon père, et je souffris plus, à cause de son âge avancé, que si moi-
même j'avais reçu les coups. Hilarianus prononça la sentence, et nous fûmes tous condamnés aux
bêtes féroces, et nous retournâmes à la prison remplis de joie.»
Perpétua avait été rendue capable, par la grâce toute puissante de Dieu, de s'élever au-dessus même
des sentiments maternels. Il ne lui fut plus permis d'avoir son enfant auprès d'elle, mais elle avait pu
le confier aux soins de sa mère et de son frère. Quant à elle, elle avait les yeux fixés sur «Jésus, le Chef
et le consommateur de la foi», le Témoin fidèle, qui «à cause de la joie qui était devant lui, a enduré
la croix, ayant méprisé la honte, et est assis à la droite du trône de Dieu». (Hébreux 12:2; Apocalypse
1:5.) Les martyrs aussi, à la suite de leur divin Chef, méprisaient les souffrances et la honte, et atten-
daient la gloire.
Perpétua et ses compagnons étaient réservés pour être exposés aux bêtes, pour l'amusement du peu-
ple, lors des fêtes célébrées à l'occasion de l'anniversaire du fils de l'empereur. Avant ce moment, l'un
d'eux mourut dans la prison. Les autres se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir pour le nom
de Jésus (Actes 5:41). Leur paix, leur patience et leur constance agirent de telle sorte sur le cœur de
leur geôlier Pudas, qu'il fut gagné au Sauveur. Il permit aux confesseurs du nom de Christ de recevoir
les visites de quelques-uns des frères, ce qui consola beaucoup les prisonniers.
Le cœur de Perpétua fut de nouveau soumis à une douloureuse épreuve. «Le jour des jeux appro-
chait», dit-elle, «et mon père entra accablé de douleur. Et il commença à s'arracher la barbe, à se jeter
la face contre terre, et à désirer que la mort vînt le prendre, et à dire des paroles qui auraient remué le
cœur le plus dur — et moi j'étais extrêmement affligée de la peine qui accablait sa vieillesse.» Mais
la fidèle servante de Christ, bien qu'ayant le cœur brisé, sortit victorieuse de cette dernière lutte.
L'esclave Félicité montra aussi la fermeté de sa foi. Comme elle était sur le point de mettre son
enfant au monde, et qu'elle souffrait et se plaignait beaucoup, un des employés de la prison lui dit:
«Que sera-ce donc quand tu seras exposée aux bêtes féroces? Tu n'y as pas pensé, quand tu as refusé
de sacrifier.» Félicité répondit: «J'endure maintenant mes propres souffrances, mais alors un autre sera
avec moi, qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour l'amour de Lui.»
La fin triomphante des martyrs approchait. Quand le jour fut venu, ils portaient sur leurs visages
l'expression d'une joie céleste et d'une paix inébranlable, dit celui qui continue le récit de Perpétua. Ils
refusèrent de se laisser revêtir, les hommes, de la robe écarlate des prêtres de Saturne, les femmes, de
celle des prêtresses de Cérès. «Nous donnons notre vie», dirent les martyrs, «parce que nous ne vou-
lons avoir aucune part à ces coutumes profanes. Laissez-nous notre liberté.» On céda à leur juste
demande. Après s'être donné le baiser d'amour fraternel et avoir pris congé l'un de l'autre, dans la
ferme espérance de se retrouver bientôt auprès du Seigneur, ils s'avancèrent vers le lieu de leur sup-
plice. Tous louaient Dieu à haute voix, Perpétua chantait un psaume.
Les hommes furent livrés aux lions, aux tigres et aux léopards, et les femmes à une vache furieuse.
Après que Perpétua eut subit ses assauts, elle se releva toute meurtrie, et, oubliant ses propres souf-
frances, elle alla aider et encourager Félicité qui gisait dans l'arène mortellement blessée. Ses derniè-
res paroles furent pour exhorter son frère à persévérer dans la foi. Le peuple demanda que les martyrs
fussent livrés aux gladiateurs, afin d'avoir le plaisir de les voir mourir. Perpétua, tombée entre les
mains d'un gladiateur maladroit qui la blessa sans la tuer, guida elle-même la main de son meurtrier
vers sa poitrine. Ainsi tous s'endormirent en Jésus.
«Ils ont vaincu par le sang de l'Agneau, et n'ont pas aimé leur propre vie, même jusqu'à la mort.»
Les persécuteurs voulaient anéantir le nom de Christ, mais plus on les persécutait, plus les chrétiens
se multipliaient. Le sang des martyrs était la semence de l'Église.
RÉPIT DANS LES PERSÉCUTIONS
Après la mort de l'empereur Septime Sévère, sous le règne duquel les chrétiens avaient été si cruel-
lement persécutés, l'Église jouit d'une tranquillité relative jusqu'à l'avènement de Décius, en l'an 249.
Cette paix ne fut troublée que pendant le court règne de Maximin, dont nous dirons un mot. Durant
une période de moins de quarante ans, dix empereurs se succédèrent sur le trône de Rome, et ce fut
peut-être grâce à ces bouleversements incessants dans l'empire, que les chrétiens durent, par la bonté
de Dieu, de n'être pas persécutés.
Celui de ces empereurs qui régna le plus longtemps fut Alexandre Sévère. Il n'avait pas seize ans
quand il obtint le pouvoir, et le garda durant treize années. Sa mère Mammée, qui eut toujours une
grande influence sur lui, aimait les chrétiens. Se trouvant à Antioche, elle avait fait venir auprès d'elle
le célèbre docteur chrétien Origène, afin d'être instruite par lui des vérités de la foi. Mais bien qu'un
ancien historien la nomme une femme distinguée par sa piété et sa crainte de Dieu, rien ne prouve
qu'elle eût été réellement convertie. Toutefois ce fut sans doute grâce à elle qu'Alexandre se montra
constamment favorable aux chrétiens, dont plusieurs se trouvaient parmi les officiers de sa maison.
Alexandre d'ailleurs était d'un caractère naturellement religieux et vénérait également toutes les
formes de culte; c'est ainsi qu'il donna aussi une place au christianisme. On dit qu'il avait eu la pensée
de faire élever un temple à Christ, et de le mettre publiquement au nombre des dieux reconnus. En
attendant, il avait son image et celle d'Abraham dans sa chapelle domestique, au milieu des statues
représentant les dieux du paganisme et les bienfaiteurs de l'humanité. Il admirait et citait souvent ces
paroles du Seigneur: «Et comme vous voulez que les hommes vous fassent, vous aussi faites-leur de
même.» (Luc 6:31.) Il les fit même écrire en grandes lettres sur les murs de son palais et d'autres édi-
fices publics. Tout cela ne faisait pas d'Alexandre Sévère un chrétien, mais Dieu donnait, par son
moyen, du répit à l'Église persécutée. Malheureusement ce temps de calme fut pour les chrétiens une
époque de décadence dans la piété.
Pendant le règne d'Alexandre Sévère, la situation du christianisme vis-à-vis du monde subit un
grand changement. Ce fut à cette époque que les chrétiens commencèrent à élever des édifices publics
pour se rassembler, et l'empereur les favorisa en cela. Jusqu'alors, au grand étonnement des païens, ils
n'avaient eu ni temples, ni autels. Taudis que les Juifs eux-mêmes avaient partout leurs synagogues
publiques, les lieux où les chrétiens se rassemblaient n'avaient aucun cachet distinctif. Comme nous
le lisons dans les Actes et les Épîtres, et comme nous savons que cela eut lieu longtemps après, ils se
réunissaient dans des maisons particulières. (Actes 12:12; 19:9 20:7-8; Romains 16-23; 1 Corinthiens
16:19; Colossiens 4:15; Philémon 2.) A Rome, ce fut souvent dans les catacombes, le lieu de repos de
leurs morts. Dans les temps de persécution, ils pouvaient ainsi plus aisément échapper à leurs enne-
mis, mais en même temps ces réunions secrètes donnèrent lieu à beaucoup d'accusations. Les païens
qui ne pouvaient se représenter un culte sans temple ou édifice sacré, étaient disposés à penser que
ces rassemblements mystérieux cachaient des actes honteux et coupables.
Maintenant les chrétiens pouvaient se réunir ouvertement dans des édifices exposés aux yeux de
tous. Il sembla, pour un temps, que le christianisme était devenu une des nombreuses religions tolé-
rées. Mais tout, en réalité, ne dépendait que de la bonne volonté de l'empereur; les sévères édits des
empereurs précédents n'étaient nullement abrogés; le danger était toujours là. Les chrétiens l'éprou-
vèrent à la mort d'Alexandre Sévère. Ce jeune empereur, âgé seulement de vingt-neuf ans, qui voulait
rétablir la discipline dans ses légions, fut assassiné dans sa tente par les soldats révoltés à l'instigation
de Maximin.
Ce dernier, choisi par les soldats pour succéder à Alexandre comme empereur, était un rude paysan
thrace, d'une taille et d'une vigueur colossales. Il s'était élevé par son courage aux plus hauts grades
militaires, mais était d'une cruauté excessive. Il fit périr tous les amis d'Alexandre. Parmi eux, se trou-
vaient plusieurs évêques chrétiens qu'il fit mettre à mort, non pas tant comme chrétiens que comme
ayant joui de la faveur du précédent empereur. Et c'est une chose triste à mentionner, que les conduc-
teurs des églises eussent peu à peu acquis une position terrestre mal en harmonie avec leur vocation
comme serviteurs de Christ. Il ne faut pas s'étonner que la main de Dieu s'appesantît sur eux.
Mais Maximin ne se borna pas à persécuter les évêques. Toutes les classes des chrétiens éprouvè-
rent les effets de sa cruauté. Le peuple entraîné par son exemple, frappé aussi par les désastres que
causèrent en divers lieux de grands tremblements de terre qu'il attribuait à la colère des dieux, sentit
renaître sa haine contre les chrétiens. Sa fureur ne connut pas de bornes. Les édifices nouvellement
érigés pour le culte furent brûlés, et ceux qui professaient la foi furent cruellement persécutés.
Le règne de Maximin fut heureusement de courte durée. Sa cruauté et sa licence soulevèrent contre
lui les soldats qui le massacrèrent. Après lui, pendant une période agitée de douze années, durant
laquelle se succédèrent quatre ou cinq empereurs, l'Église jouit de la tranquillité. Avant de parler de
la terrible persécution générale qui suivit ces temps de paix, nous dirons quelques mots du bas état
spirituel où étaient tombés les chrétiens, et qui, disaient quelques-uns de leurs écrivains de ce temps,
avait rendu nécessaire une persécution.
Satan est représenté dans la parole de Dieu sous la figure d'un «lion rugissant... cherchant qui il
pourra dévorer.» (1 Pierre 5:8.) Tel il se montre dans les temps de persécution, comme c'était le cas
quand Pierre écrivait sa première épître. (Chapitre 4:12; 5:9.) Mais il nous est aussi présenté sous
l'image du serpent subtil et rusé, cherchant à séduire les âmes par toutes sortes d'artifices et à les
détourner de Christ. (2 Corinthiens 11:3; Apocalypse 12:9.) C'est ainsi qu'il agit aux époques de paix
et de tranquillité de l'Église, et, sous cette forme, il est beaucoup plus dangereux que quand il déchaîne
sa fureur d'une manière violente. Nous avons donc, nous, à être tout particulièrement en garde contre
lui.
C'est par les attraits du monde, par les diverses convoitises de la chair et des yeux, par l'amour des
aises de la vie et des richesses, par la recherche des honneurs et d'une position dans le monde, que le
diable cherche à agir sur les chrétiens. Ceux de ces temps-là, comme hélas 1 ceux du nôtre, ne se lais-
sèrent que trop égarer par l'ennemi, et tombèrent dans la mondanité. Les hommes étaient devenus effé-
minés et recherchaient leurs aises; les femmes avaient cessé de montrer dans leur tenue la modestie
et la simplicité recommandée par l'apôtre (1 Pierre 3:1-6); le clergé lui-même était ambitieux et avide
d'honneurs et d'argent.
Ce qui explique la mondanité croissante chez les chrétiens, c'est que, pour un grand nombre, la foi
n'était plus, ainsi qu'aux premiers temps, une conviction inébranlable, résultat de l'œuvre de Dieu dans
l'âme, mais une croyance inculquée dans l'esprit par une éducation chrétienne. N'est-ce point là ce que
l'on trouve aussi si généralement répandu de nos jours? Il n'y avait donc plus chez un très grand nom-
bre de ceux qui portaient le nom de chrétiens, la vie, la sève fortifiante, mais seulement une forme de
piété. (2 Timothée 3:5.) Origène, en Orient, et Cyprien, en Occident1, sont unanimes à déplorer dans
leurs écrits l'esprit de mondanité qui s'était glissé dans l'Église; le luxe, l'avidité et l'orgueil du clergé,
aussi bien que la vie frivole et profane des simples chrétiens.
Voici sur ce sujet quelques paroles de Cyprien: «Le Seigneur a voulu éprouver son peuple, et
comme la règle de vie selon la piété a été mise en oubli durant le long temps de paix dont nous avons
joui, un jugement de Dieu est tombé sur nous afin de réveiller notre foi affaiblie, et je pourrais presque
dire endormie. Nous aurions mérité davantage pour nos péchés, mais le Seigneur, plein de miséri-
corde, a disposé de tout ce qui nous est survenu de telle sorte qu'il semble que ce soit une épreuve
plutôt qu'une persécution. Au lieu de penser à ce qu'était la vie des croyants du temps des apôtres et
à ce qu'elle doit toujours être chez ceux qui sont à Christ, les chrétiens travaillaient avec une avidité
jamais assouvie, à accroître leurs biens terrestres. Et beaucoup d'évêques qui auraient dû enseigner les
autres par leurs paroles et leur exemple, négligeaient leur vocation divine et recherchaient les choses
du monde.»
Tel était l'état d'un grand nombre d'assemblées quand la persécution survint. N'y a-t-il pas là de
quoi nous faire réfléchir et nous donner une leçon salutaire?

1. Nous reparlerons de ces deux hommes distingués.


PERSÉCUTION SOUS DÉCIUS
L'Église en général était donc tombée, durant les années de paix dont elle avait joui, dans un
fâcheux état spirituel. Le Seigneur, comme le disait Cyprien, afin de la réveiller de ce sommeil fatal,
permit qu'elle passât par une persécution plus terrible qu'aucune de celles qui avaient précédé. Ce qui
la distingua fut qu'elle sévit avec une rigueur excessive dans toutes les provinces de l'empire romain.
Une des causes de cette persécution fut probablement le refus des chrétiens de participer aux fêtes
solennelles célébrées en l'an 247, à l'occasion du millénaire de la fondation de Rome. Toutefois, aussi
longtemps que l'empereur Philippe régna, il protégea les chrétiens contre l'inimitié des prêtres des ido-
les et la fureur du peuple. Mais en 249, il fut vaincu et tué par Décius qui le remplaça sur le trône impé-
rial.
Le nouvel empereur était un fervent sectateur du paganisme, qu'il voulait rétablir dans toute son
ancienne splendeur. Il résolut donc d'extirper entièrement le christianisme, et pour cela ordonna aux
magistrats dans toutes les provinces, de remettre en vigueur les anciens édits portés contre les chré-
tiens. Sous peine de leur propre vie, il leur commanda de faire périr tous les chrétiens sans exception,
ou de les ramener à la religion de leurs pères par les menaces, les châtiments et les tortures.
L'empereur Trajan avait rendu un édit qui défendait de rechercher les chrétiens, et un autre contre
les dénonciations anonymes et surtout contre les esclaves qui trahissaient leurs maîtres. Sous Décius,
on ne tint aucun compte de ces édits. Les magistrats recherchaient les chrétiens, les accusateurs ne
couraient aucun risque, et il suffisait du bruit publie pour qu'une personne fût considérée comme cou-
pable de christianisme.
Décius, par son édit, ordonna de rechercher exactement tous ceux qui refusaient leur adhésion à la
religion de l'État, ou qui étaient même simplement soupçonnés de ne pas s'y soumettre. Partout où ce
terrible édit était promulgué, on assignait un jour où tous les chrétiens de l'endroit devaient comparaî-
tre devant le magistrat pour abjurer leur religion. On commençait par les sommer de faire profession
de paganisme en offrant de l'encens sur les autels des faux dieux. S'ils refusaient, on cherchait d'abord
à les intimider et à les ébranler par des menaces; persistaient-ils, on les soumettait à la torture; celle-
ci n'avait-elle point d'effet, on les conduisait au supplice. Dans l'espace de deux ans — durée du règne
de Décius — des milliers de chrétiens furent ou livrés aux flammes, ou emprisonnés et torturés jusqu'à
la mort. Les évêques surtout étaient l'objet de la haine du tyran.
Un grand nombre de chrétiens s'enfuyaient avant que le jour fatal où ils devaient comparaître fût
arrivé. Ils se condamnaient ainsi volontairement à un exil perpétuel, car leurs biens étaient confisqués
et le retour leur était interdit sous peine de mort. Souvent on jetait en prison ceux qui étaient restés
fermes dans les tortures, afin que les souffrances prolongées camées par le séjour dans des cachots
infects, par la faim et la soif, les amenassent à abandonner leur foi. Plusieurs, en grand nombre, hélas!
étaient relâchés sans avoir sacrifié, après s'être procuré à prix d'argent un témoignage du magistrat
attestant qu'ils avaient obéi à l'édit impérial. Mais l'Église les considérait comme ayant de cette
manière abjuré en réalité le christianisme, et les repoussait de son sein.
Denis, évêque d'Alexandrie, rapporte en ces termes l'effet produit par l'édit impérial: «Beaucoup
de chrétiens distingués par leur position se, sont soumis, quelques-uns poussés par la crainte, d'autres
pressés par leurs amis. Un grand nombre se tenaient devant le magistrat, pâles et tremblants, ne vou-
lant point participer aux rites idolâtres, mais n'étant point préparés a persévérer jusqu'à la mort.
D'autres supportaient jusqu'à un certain point les douleurs de la torture, mais ensuite cédaient.» Tel
était le triste résultat du relâchement où les chrétiens étaient tombés en s'associant avec le monde. Il
ne nous conviendrait cependant pas, à nous qui vivons dans un temps paisible de liberté religieuse de
juger avec sévérité la faiblesse de ceux qui cédaient aux tourments. Dieu nous épargne ces épreuves.
Qu'aurions-nous fait à leur place? Ah! demandons au Seigneur de nous donner de Lui être fidèles et
de ne pas succomber aux tentations du monde, aux convoitises de notre cœur naturel.
Mais dans ces jours si sombres, le Seigneur eut aussi ses fidèles témoins qui souffrirent pour Lui,
perdirent leurs biens et haïrent leur vie dans ce monde-ci, afin de la conserver «pour la vie éternelle»1.
Denys d'Alexandrie raconte qu'un grand nombre, fortifiés par le Seigneur, tinrent fermes comme
des colonnes, témoins admirables de sa grâce. Parmi eux, il mentionne un jeune garçon de quinze ans,
nommé Dioscore, qui répondit avec la plus grande sagesse aux questions qui lui furent posées, et qui,
au milieu des tourments, montra une telle fermeté que le magistrat en fut étonné. Il le relâcha dans
l'espérance qu'arrivé a un âge plus mûr, il reconnaîtrait son erreur. Une femme fut traînée par son pro-
pre mari devant l'autel, et, tandis qu'un autre lui tenait fortement les mains, il la força, malgré elle, à
répandre sur le feu l'encens offert aux idoles. Mais elle, durant tout ce temps, s'écriait: «Ce n'est pas
moi qui le fais, ce n'est pas moi qui le fais.» Encore ici, le Seigneur se glorifia dans la faiblesse de ses
fidèles témoins.

1. Jean 12:25.
A Carthage, où, dans une persécution précédente, les chrétiens avaient déjà tant souffert, les con-
fesseurs de Christ jetés dans les cachots, eurent à endurer les souffrances d'une chaleur excessive, de
la faim et de la soif. On espérait les obliger ainsi à se soumettre aux ordres de l'empereur, mais bien
que la mort la plus douloureuse fût devant eux, ils tinrent ferme. Combien ils devaient être soutenus
et rafraîchis en pensant aux temps dont il est parlé dans l'Apocalypse: «Ils n'auront plus faim et ils
n'auront plus soif, et le soleil ne les frappera plus, ni aucune chaleur, parce que l'Agneau qui est au
milieu du trône les paîtra et les conduira aux fontaines des eaux de la vie.» (Apocalypse 7:16-17.)
A Rome, plusieurs chrétiens furent enfermés dans les prisons pendant plus d'une année. De leur
lieu de souffrance ils écrivaient à Cyprien, évêque de Carthage: «Quel lot plus glorieux y a-t-il pour
des hommes que de pouvoir, par la grâce de Dieu, confesser le Seigneur au milieu des tourments et
devant la mort même; d'être rendus capables, avec un corps lacéré et un esprit défaillant, mais libre,
de rendre témoignage à Christ, le Fils de Dieu, et d'être pour l'amour de Lui participants de ses souf-
frances? Nous n'avons pas encore versé notre sang, mais nous sommes prêts à le faire. Priez pour nous,
cher Cyprien, afin que, jour après jour, le Seigneur affermisse chacun de nous et nous fortifie par la
puissance de sa force; afin que, comme un habile général, après avoir exercé et éprouvé ses guerriers
dans le camp au milieu des dangers, Il nous conduise enfin sur le champ de bataille qui est devant
nous, revêtus des armes invincibles de Dieu.» Bien des évêques de différentes églises succombèrent
dans cette terrible persécution. Parmi eux, Babylas, évêque d'Antioche, avait été condamné à être
décapité avec six jeunes catéchumènes. Il les vit périr sous ses yeux, puis livrant sa tête au bourreau,
il s'écria: «Me voici, mon Dieu, avec les enfants que tu m'as donnés.»
On raconte aussi que du rang même des bourreaux sortirent parfois des confesseurs du nom de
Christ. Des soldats de la garde d'un proconsul, voyant un chrétien faiblir devant les menaces, lui firent
signe de ne pas céder. Le proconsul les fit aussitôt saisir et emmener, et ils moururent avec joie en
confessant leur foi.
Le Seigneur, après deux années de cette épreuve semblable à une fournaise ardente ou à un creuset
destiné à épurer l'Église, y mit enfin un terme. Décius périt dans un combat contre les Goths.
Le Seigneur qui «châtie celui qu'il aime», avait donné à l'Église un solennel avertissement, afin de
lui faire comprendre qu'elle n'était pas du monde et qu'il voulait qu'elle fût toute à Lui. Il eût été heu-
reux qu'elle écoutât la répréhension. Nous verrons plus tard si ce fut le cas. Mais auparavant, nous
aurons à parler de la dernière persécution, et aussi de quelques-uns des hommes éminents dans l'Église
à l'époque de ces épreuves.
PERSÉCUTION SOUS VALÉRIEN. MARTYRE DE CYPRIEN
Après la mort de Décius, il y eut pour l'Église quelques courtes années de relâche; mais à la fin du
règne de Valérien, en l'an 257, la persécution recommença avec violence. Par un premier édit, l'empe-
reur défendit aux chrétiens de se réunir; un second édit condamna au travail des mines ceux qui
n'obéissaient pas; et un troisième ordonna que tous les évêques, les prêtres (ou anciens) et les diacres
fussent mis à mort.
C'est dans cette persécution que l'évêque de Rome Étienne et son successeur Sixte souffrirent le
martyre. Comme on conduisait ce dernier au supplice, son fidèle disciple, le diacre Laurent, le suivait
en disant: «Où vas-tu, mon père, sans ton fils?» — «Tu me suivras dans peu de jours,» répondit l'évê-
que. Peu après sa mort, le préfet de Rome fit arrêter et amener devant lui Laurent, auquel il ordonna
de lui livrer les richesses immenses que possédaient, disait-on, les chrétiens de Rome. Laurent lui
demanda un peu de temps pour mettre tout en ordre. Le magistrat lui accorda trois jours, au bout des-
quels Laurent l'invita à venir voir les richesses de l'Église, une grande cour, disait-il, pleine de vases
d'or. Le préfet accourut, et Laurent l'introduisit dans la cour remplie de pauvres et d'estropiés: «Voilà
les trésors que je t'ai promis,» dit-il, «et voici les pierres précieuses que j'y ajoute, nos vierges et nos
veuves, la couronne de l'Église.» Le préfet irrité ordonna que Laurent fût dépouillé de ses vêtements,
puis attaché sur un gril de fer et brûlé à petit feu. Le martyr, près d'expirer, leva les yeux au ciel, pria
pour la conversion des habitants de Rome, puis remit son esprit au Seigneur.
C'est aussi dans cette persécution qu'à Césarée, en Cappadoce, un enfant chrétien, nommé Cyrille,
soutenu par le Seigneur, montra un courage extraordinaire. Persécuté par ses camarades, chassé par
ses parents, conduit devant le tribunal, il demeura ferme, malgré toutes les sollicitations et les promes-
ses du juge. «Je suis chassé de la maison de mes parents», répondit l'enfant, «mais j'ai une plus belle
demeure, et je ne crains pas la mort qui m'introduira dans une meilleure vie.» Le juge le fit conduire
au bûcher, espérant que la vue du feu triompherait de sa résolution. Mais ce fut en vain, et le jeune
martyr subit le supplice.
Ainsi la puissante grâce du Seigneur, dans ces temps de souffrances, soutenait ses fidèles témoins
et leur donnait de mépriser les cruelles tribulations du temps présent par amour pour Jésus, et en vue
de la gloire éternelle à venir qui les attendait. (Romains 8:18; 2 Corinthiens 4:16-17.)
Mais ce n'est que la force du Seigneur qui pouvait les rendre capable de demeurer fermes, et cette
force, il la donnait seulement à ceux qui marchaient dans l'humilité. L'exemple suivant est, à cet égard,
bien frappant. On raconte qu'à cette même époque de persécution vivaient deux amis, Nicéphore et
Saprice. Ce dernier était un pasteur de l'église. Un différend étant survenu entre eux, ils se brouillèrent
complètement. Après un certain temps, Nicéphore chercha à se réconcilier avec son ancien ami, mais
tous ses efforts furent vaine: Saprice persista dans son ressentiment. La persécution de Valérien sur-
vint et Saprice fut conduit devant le gouverneur, qui lui ordonna de sacrifier aux dieux. Sur son refus,
le magistrat le fit conduire au supplice. Nicéphore l'apprenant, accourt et accompagne son ancien ami
vers le lieu de l'exécution, en le suppliant de lui pardonner ses torts. Tout est inutile, Saprice refuse
obstinément le pardon demandé. Mais alors on put voir que Dieu ne saurait être avec un cœur dur et
qui désobéit à l'injonction: «Vous pardonnant les uns les autres, si l'un a un sujet de plainte contre un
autre; comme aussi le Christ vous a pardonné, vous aussi faites de même.» (Colossiens 3:13.) Saprice,
tout d'un coup, comme abandonné de Dieu, perd courage et demande à sacrifier. Nicéphore, étonné,
l'exhorte à demeurer ferme, mais c'est en vain. Alors il déclare à ceux qui conduisaient Saprice que
lui, Nicéphore, croit à ce Jésus que son ami vient de renier. Conduit au gouverneur, celui-ci ordonna
que le fidèle témoin de Christ fût exécuté.
Mais le plus célèbre des martyrs qui perdirent la vie durant la persécution de Valérien, fut Cyprien,
évêque de Carthage. Né dans cette ville l'an 200, d'une famille distinguée, il était riche et se faisait
remarquer par ses talents. Comme professeur d'éloquence, sa renommée s'était répandue au loin. En
même temps, il aimait les plaisirs, les spectacles, les jeux et les festins, et s'étonnait de la vie austère
que menaient les vrais chrétiens. Ce ne fut qu'à l'âge de 46 ans, qu'il fut converti au Seigneur par le
moyen d'un fidèle ministre de Jésus Christ nommé Cécilius. Dès ce moment, il ne voulut plus vivre
que pour Celui qui l'avait aimé. Il vendit tous ses biens pour les distribuer aux pauvres, et, plein du
feu de la jeunesse quoique déjà d'âge mûr, il se dévoua entièrement au service de son divin Maître, et
fut bientôt connu par son zèle et le sérieux de sa vie comme chrétien. L'étude des saints livres devint
sa constante et plus chère occupation, et il la continua jusqu'à la fin de sa vie.
Déjà deux ans après sa conversion, le vœu général des chrétiens de Carthage l'appela à occuper la
charge d'évêque ou surveillant. Dans le sentiment, de la grandeur de la tâche à remplir, il aurait voulu
refuser, mais les instances pressantes de tout le peuple le décidèrent à céder, et durant les dix années
qui s'écoulèrent jusqu'à sa mort, il se montra entièrement dévoué à son œuvre. Animé d'un ardent
amour pour le Seigneur et pour les âmes, il remplit les devoirs de sa charge avec la plus grande fidélité.
C'était un temps de grandes difficultés provenant soit de l'état de relâchement où étaient tombés les
chrétiens, soit des persécutions qu'ils avaient à subir, soit enfin des prétentions que commençait à éle-
ver l'évêque de Rome. Cyprien fit preuve à la fois de fermeté et de douceur. Il savait encourager et
soutenir les faibles" mais résistait fortement au mal qui tendait toujours plus à s'introduire dans
l'Église. Il s'opposait en particulier à la légèreté avec laquelle on recevait les nouveaux convertis à la
Cène, et à la facilité avec laquelle on admettait de nouveau dans la communion de l'Église ceux qui
avaient cédé dans la persécution, soit en sacrifiant aux dieux, soit en achetant des certificats portant
qu'ils avaient sacrifié, soit en livrant les livres saints. Il résista aussi énergiquement à l'évêque de
Rome qui réclamait la primauté sur les autres évêques, et s'intitulait parfois évêque des évêques. Mal-
gré l'opposition que rencontrèrent ces prétentions, elles s'affirmèrent toujours plus, et c'est ainsi que
la papauté prit naissance.
Cyprien se montra aussi ferme dans la persécution. Quand celle de Décius éclata, il fut un des pre-
miers désigné par la haine des païens de Carthage, qui n'avaient pas oublié son changement de religion
et que son zèle irritait. «Cyprien aux lions,» était le cri qui retentissait au théâtre où le peuple païen
de Carthage s'assemblait. Cédant aux instances des fidèles, Cyprien se retira à l'écart durant les deux
années, que dura la persécution, mais sans cesser de donner à son troupeau, du lieu de sa retraite, tous
les soins qu'il pouvait.
Après la mort de Décius, il revint à Carthage, et reprit son ministère actif. Il eut l'occasion de l'exer-
cer d'une manière particulière durant une peste terrible qui éclata dans cette ville. Tous, saisis de
frayeur, s'enfuyaient, abandonnant même leurs, proches. Cyprien assembla les membres de son trou-
peau, et leur rappela le devoir de tout disciple de Christ de s'adonner aux œuvres de miséricorde, non
seulement envers leurs frères en la foi, mais même envers leurs ennemis. Si pressantes furent ses
exhortations que les fidèles, animés du même esprit que lui, se partagèrent les soins à donner aux pes-
tiférés, ne faisant aucune distinction entre les chrétiens et les païens, et montrant ainsi à ces derniers
la réalisation de la parole du Seigneur: «Aimez vos ennemis.»
Lorsque éclata de nouveau, l'an 257, la persécution sous l'empereur Valérien, Cyprien fut amené
devant le proconsul d'Afrique, Paternus. Sur son refus de sacrifier aux dieux, il fut exilé à Curubes,
ville située à une journée de marche de Carthage. Il y resta onze mois. Au bout de ce temps, Paternus
fut remplacé par Galère-Maxime. Celui-ci fit arrêter Cyprien dans sa demeure et ordonna de le rame-
ner à Carthage. Le pieux évêque ne se dissimula point que sa fin était arrivée. Avec un cœur paisible
et un visage serein, il se mit en route sous la conduite des officiers et des soldats envoyés pour le pren-
dre. Une indisposition du proconsul empêcha qu'il ne comparût le jour même où il avait été cité. Le
bruit de l'arrestation de l'évêque bien-aimé s'était répandu partout avec la rapidité de l'éclair. Presque
tous les fidèles passèrent la nuit autour de la maison où Cyprien avait été renfermé. Le lendemain,
sous une forte escorte et entouré d'une foule considérable, il fut conduit devant le proconsul. «Es-tu
Thascius Cyprien, évêque de tant d'hommes impies?» lui demanda le magistrat. — «Je le suis», répon-
dit Cyprien. -«L'empereur ordonne que tu sacrifies à nos dieux.» — «Je ne le puis, je suis chrétien.»
— «Réfléchis sérieusement à ce que tu fais; il y va de ta vie», dit encore le proconsul. — «Exécute
les ordres que tu as reçus», répondit tranquillement Cyprien. «La chose ne demande pas d'autres
réflexions. C'est à mon Dieu que je dois obéir.»
Le proconsul se consulta un moment avec ceux qui l'entouraient, puis rendit cette, sentence: «Nous
ordonnons que Thascius Cyprien, qui a méprisé les dieux et les ordres du pieux empereur, ait la tête
tranchée.» — «Dieu soit loué, qui va me délivrer de ce corps de mort»,~ s'écria Cyprien à haute voix.
— «Mourons avec lui», dirent les frères qui étaient présents. Cyprien fut aussitôt livré à ses bourreaux,
conduit dans un champ voisin et là décapité.
Chose remarquable, Galère-Maxime mourut quelques jours après celui qu'il avait condamné à
mort. Et deux ans plus tard, la persécution ayant duré pendant trois ans avec la plus extrême violence,
l'armée romaine fut presque entièrement anéantie par les Perses. Valérien, fait prisonnier par Sapor,
le roi de Perse, fut traité de la manière la plus ignominieuse par ce dernier qui se servait de lui comme
d'un marchepied pour monter à cheval. Après plusieurs années de souffrances, il mourut sous le poids
des douleurs et des mauvais traitements qu'il endura. Sapor fit écorcher et saler son corps, et le sus-
pendit à la voûte d'un temple.
Cette triste fin de plusieurs des persécuteurs des chrétiens frappa beaucoup les esprits. On com-
mença à penser que les ennemis du christianisme étaient aussi ceux du ciel. Durant les quarante
années qui suivirent, l'Église jouit de la tranquillité extérieure mais ce fut un temps de grand déclin
dans la vie et dans la piété. Alors le Seigneur lui donna encore un dernier grand et solennel avertisse-
ment par la persécution qui eut lieu sous l'empereur Dioclétien.
LA DERNIÈRE GRANDE PERSÉCUTION SOUS DIOCLÉTIEN
Après la sanglante persécution qui eut lieu sous Valérien, l'Église, comme nous l'avons dit, avait
joui d'un long repos. Vers la fin de cette période, de grands changements avaient eu lieu dans le gou-
vernement du vaste empire romain. Dioclétien, l'empereur d'alors, qui avait commencé à régner en
l'an 284, s'était associé son ami Maximin pour gouverner l'empire. Celui-ci avait à régir l'Occident et
Dioclétien l'Orient. De plus, chaque empereur s'était adjoint, sous le nom de «césar», un lieutenant
qui devait lui succéder. Le césar d'Occident se nommait Constance, celui d'Orient était Galère, gendre
de Dioclétien.
Durant la longue période de paix qu'avait traversée — l'Église, elle avait atteint un degré de pros-
périté extérieure que rien n'aurait pu faire présager. Dans toutes les classes de la société, les chrétiens
étaient nombreux. Ils occupaient de hautes charges dans, l'état, dans l'armée, et même à la cour de Dio-
clétien. Jusqu'à l'impératrice et sa fille Valéria s'étaient, dit-on, jointes aux chrétiens. Dans la plupart
des villes, ils avaient construit des édifices où ils se rassemblaient pour leur culte. A Nicomédie où
résidait l'empereur, en face même de son palais, s'élevait un temple chrétien.
Mais si l'Église avait prospéré extérieurement, intérieurement elle s'était bien détournée de la
pureté et de la simplicité de l'Évangile. Les persécutions qu'elle avait souffertes, ne l'avaient pas arrê-
tée dans la voie du déclin, elle n'avait pas prêté l'oreille aux avertissements du Seigneur qui lui avait
dit: «Souviens-toi donc d'où tu es déchu, et repens-toi, et fais les premières œuvres.» (Apocalypse
2:5.) Dans les églises, on commençait à voir de riches tentures, des vases d'or et d'argent, et des céré-
monies empruntées au culte judaïque tendaient à s'introduire et à remplacer l'adoration en esprit et en
vérité (Jean 4:23-24). Les grandes vérités enseignées par les apôtres touchant la nouvelle naissance et
la justification du pécheur par la foi, étaient oubliées ou n'étaient plus comprises. La régénération par
l'eau du baptême (1 Pierre 3:21)1 et la justification par les œuvres étaient mises à la place de ces vérités
fondamentales, et l'Évangile était perverti (Galates 1:7; 2:16). La philosophie, c'est-à-dire les raison-
nements de la sagesse humaine, s'était introduite chez les docteurs de l'Église, et les Écritures n'étaient
plus reçues dans leur simplicité (Colossiens 2:8). Aussi toutes sortes d'erreurs étaient enseignées,
même par les plus distingués de ces docteurs, par exemple, par le célèbre Origène. Les exhortations
des pasteurs des troupeaux, au lieu de présenter Christ et sa grâce, n'étaient plus guère que des dis-
cours de morale et de philosophie, et la masse des chrétiens était toujours plus attirée vers le monde.
Le clergé s'était constitué comme une classe à part, de sorte que la présence et l'action du Saint Esprit
dans l'Église étaient méconnues ou oubliées. Les évêques s'étaient arrogé une autorité toujours plus
grande (voyez 1 Pierre 5:1-4)2; leur ambition et leurs luttes causaient, au sein des communautés, des
querelles et des dissensions qui souvent amenaient des scènes de violence (Galates 5:15). La foi et
l'amour allaient s'affaiblissant; l'orgueil et l'avarice grandissaient. Tel était le triste état intérieur de
l'Église. Alors le Seigneur prit encore une fois la verge pour donner un dernier avertissement (Apo-
calypse 3:19), en permettant à Satan de livrer un suprême assaut à l'Église. Aussi aucune persécution
ne fut plus violente.
L'empereur Dioclétien, bien que superstitieux, n'avait au commencement aucune haine contre le
christianisme. Constance, en Occident, favorisait les chrétiens, mais Galère, d'un caractère grossier et

1. Ce passage montre que ce n'est pas l'eau du baptême qui régénère.


2. Nous citons les passages qui montrent combien les chrétiens s'étaient écartés du sain enseignement.
cruel, les haïssait, et cette haine était entretenue et excitée par sa mère, femme superstitieuse, adonnée
à toutes les pratiques du paganisme et tout entière sous le pouvoir des prêtres et des idoles.
Ceux-ci voyaient dans la prospérité croissante des chrétiens le présage de leur propre ruine; aussi
leur inimitié contre le christianisme et ceux qui le professaient devenait-elle toujours plus grande, et
cherchaient-ils le moyen de se défaire de cette race odieuse. D'un autre côté, les philosophes et les
savants dont Dioclétien s'était entouré, ne haïssaient pas moins une religion dont la pureté les condam-
nait et dont les doctrines répugnaient à leur raison. Ils auraient aussi voulu l'extirper. Malgré leurs
efforts, réunis à ceux des prêtres, pour engager Dioclétien à sévir contre les chrétiens, ceux-ci n'eurent
rien à souffrir durant les 14 premières années du règne de l'empereur. Alors les adversaires du chris-
tianisme se tournèrent vers Galère, qui avait déjà fait éloigner de l'armée tous ceux qui refusaient de
sacrifier aux idoles, et qui en avait même fait mourir plusieurs.
Dans l'hiver de l'année 302 à 303, Galère vint à Nicomédie, dans le but de presser Dioclétien de
sévir contre les chrétiens. Le vieil empereur ne céda pas immédiatement. Les prêtres, connaissant son
esprit superstitieux, mirent alors en œuvre, pour le décider les artifices que leur suggéra leur esprit de
mensonge. Comme un jour Dioclétien offrait un sacrifice, les prêtres, selon leur coutume, cherchaient,
dans les entrailles des victimes, des présages bons ou mauvais. Mais ils déclarèrent qu'il ne s'y trouvait
point de présages. De nouvelles victimes furent immolées; le résultat fut le même, et les prêtres dirent
à l'empereur effrayé que c'était à cause des profanes qui étaient présents. Ils désignaient ainsi les offi-
ciers chrétiens qui accompagnaient l'empereur, et qui, durant les sacrifices, faisaient le signe de la
croix pour dégager leur conscience.1 Dioclétien irrité ordonna à tous ses officiers de sacrifier, sous
peine d'être battus de verges et renvoyés de son service. Il commanda aux chefs de l'armée d'agir de
même envers les chrétiens de leurs légions.
Mais cela ne satisfit point Galère et sa mère. Ils, pressèrent l'empereur de faire étendre la persécu-
tion à tous les chrétiens. Avant de se rendre à leur désir, Dioclétien voulut consulter les dieux. Un mes-
sager fut donc envoyé dans ce but à l'oracle d'Apollon, à Milet. L'oracle répondit — et l'on prétendit
que ce fut le dieu lui-même qui parla — que les justes qui étaient sur la terre, empêchaient les oracles
d'être rendus. Qui étaient ces justes? Les prêtres expliquèrent que c'étaient les chrétiens, et cela décida
Dioclétien. Comme nous pouvons voir là la puissance de mensonge de Satan! Ainsi commença la
dixième et dernière persécution qui sévit durant dix années.
Le 24 février de l'année 303, fut rendu le premier édit contre les chrétiens. Il portait que tous ceux
qui refusaient de sacrifier seraient privés de leurs charges, de leurs biens, de leur rang et de leurs droits
de citoyens; que tous les esclaves qui, persisteraient dans leur foi, perdraient tout espoir de recouvrer
leur liberté, et que les chrétiens de toute condition pourraient être soumis à la torture. Toutes les égli-
ses devaient être détruites, les réunions religieuses, étaient interdites, et les livres saints devaient être
livrés aux officiers de l'empereur et brûlés.
Cette tentative de détruire les Écritures où les chrétiens puisaient leur foi, était de la part de Satan
un effort tout nouveau. Mais la parole de Dieu, béni soit-Il, ne peut être anéantie (Jean 10:35; 1 Pierre
1:25). Satan savait bien, pour l'avoir éprouvé, qu'elle est l'épée de l'Esprit (Matthieu 4:1-10; Éphésiens

1. Nos lecteurs remarqueront que cette coutume, que l'on peut qualifier de superstitieuse, était une de celles déjà
introduites dans l'Église.
6:17). La faire disparaître était ruiner le christianisme. Les philosophes de la cour de l'empereur furent
sans doute en cela les instruments de l'ennemi. Les Écritures étaient l'arsenal où les chrétiens puisaient
leurs armes contre eux. La puissance romaine, représentée par la quatrième bête, et qui reparaîtra plus
terrible dans l'avenir, faisait ainsi de toutes manières la guerre aux saints1 (Daniel 7; Apocalypse 13:7;
17:8). L'église de Nicomédie fut détruite sous les yeux de l'empereur, et les saints livres qu'on y trouva
furent brûlés. En beaucoup d'autres endroits, les églises furent aussi renversées, et les chrétiens qui
refusèrent de livrer les Écritures furent mis à mort.
A peine l'édit eut-il été affiché à Nicomédie, qu'un chrétien de noble condition le déchira. On peut
comprendre son indignation, mais nous ne pouvons approuver son action, car il faut être soumis aux
autorités. Malgré sa haute position, il fut condamné à mort et brûlé à petit feu. Dieu le soutint dans ses
terribles souffrances, de sorte que sa fermeté à les supporter frappa d'étonnement ses bourreaux.
Peu de temps après, à deux reprises différentes, le feu prit au palais impérial. Sans qu'il y eût de
preuve, on accusa les chrétiens d'être les auteurs de ces tentatives d'incendie. On soupçonna Galère
de n'y avoir pas été étranger; il voulait pousser l'empereur à des mesures plus rigoureuses, et déclara
qu'il quittait Nicomédie où, disait-il, sa vie était en danger. Dioclétien crut qu'en effet les chrétiens
étaient coupables. Effrayé et irrité au plus haut point, il donna les ordres les plus sévères. Nombre de
personnes furent jetées en prison et soumises aux plus cruelles tortures pour leur faire avouer leur
crime. Plusieurs furent brûlés, décapités ou noyés. Galère et sa mère avaient ainsi atteint leur but.

1. On a vu, dans un temps plus rapproché de nous, les mêmes moyens employés contre ceux qui ne voulaient suivre que
la parole de Dieu, et ces persécutions partaient d'un corps religieux qui se dit la véritable Église!
La persécution sévit contre tous les chrétiens de quelque condition qu'ils fussent. Dioclétien con-
traignit même l'impératrice Prisca et sa fille Valéria à sacrifier aux dieux. Il fit de même à l'égard des
officiers de sa cour. Plusieurs préférèrent l'opprobre de Christ à la gloire de ce monde. Ils refusèrent
d'obéir et subirent en présence même de l'empereur — les tortures les plus cruelles. Ainsi l'un d'eux
avait eu le corps déchiré. Dans ses plaies vives on versa, pour aviver ses souffrances, un mélange de
sel et de vinaigre, mais rien n'ébranla la constance du martyr, il tint ferme la confession du nom de
Christ et refusa de reconnaître d'autres dieux. Alors l'empereur furieux ordonna qu'il fût brûlé à petit
feu.
La rage des persécuteurs ne fut pas satisfaite par des supplices isolés. On fit périr en masse les con-
fesseurs de Christ. D'immenses bûchers furent élevés où on les brûlait ensemble. On les jetait dans la
mer attachés à de grosses pierres. La persécution s'étendit dans tout l'empire, sauf dans les provinces
d'occident où gouvernait Constance. Il se contenta de faire démolir les églises.
Peu après la promulgation du premier édit, un second fut rendu dirigé contre les conducteurs du
troupeau. Les prisons se remplirent d'évêques, de presbytres (ou anciens) et de diacres. Bientôt après
parut un troisième édit, qui défendait de les relâcher à moins qu'ils ne fussent prêts à sacrifier aux
dieux. Ceux qui refusaient étaient déclarés ennemis de l'état, et devaient être soumis à la torture et à
d'autres peines pour les contraindre à abjurer le christianisme. Un grand nombre des hommes les plus
éminents, les plus pieux et les plus respectables de l'Église furent ainsi torturés, mis à mort, ou con-
damnés aux durs travaux des mines. L'empereur se flattait que, privés de leurs conducteurs, les chré-
tiens céderaient plus facilement; mais il fut obligé de reconnaître qu'il n'avait pas atteint son but.
Poussé par les prêtres païens et par Galère, il rendit alors un quatrième édit qui surpassait les autres
en rigueur. Les magistrats reçurent l'ordre d'employer sans restriction et sans réserve, la torture et les
supplices pour forcer tous les chrétiens, hommes, femmes et enfants, à adorer les dieux. Ah! comme
du fond des cœurs devait monter le cri: «Jusques à quand, ô Souverain!» (Apocalypse 6:10). On a
peine à croire à une telle cruauté de la part des hommes. Mais à quoi ne peut se livrer le cœur naturel
conduit par Satan, qui est meurtrier dès le commencement? C'était la lutte suprême que l'ennemi sou-
tenait pour maintenir l'idolâtrie contre Christ. L'édit ayant été rendu, on proclama dans les rues des
villes que tous, hommes, femmes et enfants, eussent à se rendre aux temples des dieux pour sacrifier
ou recevoir la sentence de mort. Aux portes, on arrêtait ceux qui entraient ou sortaient, et on, les sou-
mettait à un strict examen pour savoir s'ils étaient chrétiens. Sur le moindre soupçon, on était saisi et
emprisonné. Des familles entières furent égorgées après avoir subi toutes sortes de souffrances. On
laissait les prisonniers mourir de faim, ils étaient brûlés, noyés, crucifiés, pendus par les pieds, et mou-
raient ainsi d'une mort lente. Parfois dix, vingt, soixante et même cent personnes, étaient mises à mort
ensemble dans un même endroit et toujours de la manière la plus cruelle. Partout les chrétiens étaient
abandonnés sans défense à toute la haine du peuple. Ils n'avaient nul recours auprès des autorités, et
on peut aisément penser à quels excès ils furent exposés. Sacrifier aux dieux était le seul moyen
d'échapper aux injustices, aux souffrances et à la mort.
Pendant quelque temps les persécuteurs crurent qu'ils avaient triomphé. On érigea des colonnes et
on frappa des médailles en l'honneur de Dioclétien et de Galère, comme ayant extirpé le christianisme
et restauré le culte, des dieux. Mais celui qui règne dans les cieux allait étendre sa main et terrasser
les ennemis de son nom. Ceux-ci pouvaient tuer les chrétiens, renverser leurs églises et brûler leurs
livres saints, mais ils ne pouvaient pas atteindre la source vivante du christianisme. La période des
souffrances des chrétiens avait été exactement mesurée, et toute la puissance des empereurs ne pou-
vait la prolonger d'une heure.
La main de Dieu s'appesantit d'une manière terrible sur les ennemis de l'Église. Dans la huitième
année de la persécution, Galère, qui en avait été l'instigateur, fut frappé d'une maladie affreuse.
Comme Hérode autrefois (Actes 12:23), vivant il fut rongé des vers. On appela les médecins les plus
habiles, on consulta les oracles; tout fut vain. Les remèdes ne faisaient qu'accroître l'intensité du mal;
le palais était rempli d'une odeur pestilentielle exhalée par ce corps en putréfaction, et les amis même
de l'empereur ne pouvant la supporter, l'abandonnèrent. Frappé dans son corps, livré aux plus affreu-
ses souffrances, il cria grâce. Il fit supplier les chrétiens de prier pour lui, et rendit un édit où il leur
accordait le libre et publie exercice de leur religion. Quelques jours après, il expira. Durant six mois
l'édit fut exécuté. Quantité de chrétiens sortirent des prisons et des mines, mais la plupart pour porter
pendant le reste de leur vie les traces des souffrances qu'ils avaient endurées.
Maximin qui succéda à Galère continua à persécuter les chrétiens avec une cruauté encore plus
grande. Il ordonna que tous les officiers civils et militaires, tous les hommes libres ou esclaves, et
même les petits enfants, sacrifiassent et mangeassent des choses sacrifiées aux idoles. Tous les ali-
ments qui se vendaient au marché étaient aspergés du vin ou de l'eau consacrés pour le service des
dieux, afin que bon gré, mal, gré, les chrétiens participassent en quelque manière au culte idolâtre. Le
sang des martyrs recommença à couler dans tout l'empire, sauf dans les Gaules où était Constance.
Mais la main de Dieu se fit de nouveau sentir. La guerre, la peste et la famine sévirent dans toutes les
provinces d'Asie. Dans toute la partie de l'empire que régissait Maximin, une sécheresse qui dura toute
une année, amena une famine terrible. La peste suivit; les chrétiens seuls, animés de charité, bravèrent
la maladie, et se mirent à soigner les malades que l'on abandonnait, et à ensevelir les morts que l'on
laissait sans sépulture. Les païens saisis de crainte, attribuaient leurs maux à la colère du ciel, irrité à
cause des persécutions exercées contre les chrétiens. Maximin, effrayé lui-même, arrêta la persécu-
tion.
Ainsi se termina la période représentée par l'église de Smyrne, l'ère sanglante où nombre de fidèles
furent «égorgés pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu'ils avaient rendu.» (Apocalypse 2:8-
11; 6:9.) En même temps que le Seigneur montrait en eux sa puissance en les fortifiant dans tant de
souffrances, les persécutions étaient des avertissements donnés à l'Église pour ranimer son premier
amour et la faire sortir du piège du monde. Écoutât-elle cette voix de son Chef? Son histoire, hélas!
nous apprend que non. Mais en dépit de tous les efforts de l'ennemi, ce que Christ a fondé ne peut
périr. (Matthieu 16:18.)
LES APOLOGIES DU CHRISTIANISME
Nous avons parlé de la dernière grande bataille que Satan et le paganisme livrèrent au christia-
nisme. Ce dernier avait vaincu par la constance et la fermeté des martyrs dans les souffrances et la
mort. Le nouvel empereur d'Occident, Constantin, le fils de Constance, se déclara ouvertement pour
les chrétiens. Ce fut pour l'Église le commencement d'une nouvelle ère. Avant de nous en entretenir,
nous donnerons encore quelques détails sur l'époque des persécutions.
Comme nous l'avons vu, dès le commencement on porta contre les chrétiens toutes sortes d'accu-
sations. On les représentait comme étant les ennemis de l'état, comme des athées sans religion et sans
culte, comme se livrant en secret aux pratiques les plus coupables. C'étaient les prétextes allégués pour
justifier les persécutions. Les Juifs et les païens à l'envi attaquaient les chrétiens et la vérité de l'Évan-
gile. Or si le chrétien ne peut et ne doit jamais user de violence pour repousser les attaques dont il est
l'objet, il doit toujours être prêt «à répondre, mais avec douceur et crainte», à quiconque lui «demande
raison de l'espérance» qui est en lui. (1 Pierre 3:15.)
Le Seigneur donna à des chrétiens courageux d'élever leur voix pour montrer la fausseté des accu-
sations par lesquelles on flétrissait les disciples de Christ et pour établir la vérité du christianisme. Ils
le firent dans des écrits nommés «apologies», ce qui veut dire «défense». C'est le mot dont se sert
l'apôtre Paul, lorsqu'il se défend devant les Juifs et devant le roi Agrippa et qu'il expose la vérité.
(Actes 22:1; 26:1-2.) Ces apologies étaient souvent adressées aux empereurs qui ordonnaient les per-
sécutions, afin de les éclairer sur la vraie nature de la religion chrétienne. Les premières furent pré-
sentées, vers l'an 125, à l'empereur Adrien qui se trouvait à Athènes par Aristide, chrétien de cette
ville, et par Quadratus, évêque. Ce dernier défend l'Évangile contre les calomnies de ses adversaires,
et rappelle les miracles du Seigneur. L'empereur semble avoir tenu compte en quelque mesure des
écrits de ces deux serviteurs de Christ, car il écrivit au proconsul d'Asie pour défendre qu'on maltraitât
les chrétiens, à moins qu'ils n'eussent violé les lois.
Quelques années plus tard, vers l'an 140, Justin présenta une longue apologie à l'empereur Antonin
le Pieux, à son fils et au sénat romain. Il commence par en appeler à l'équité de l'empereur. «Notre
devoir à nous,» dit-il, «est de bien faire connaître nos actes et nos pensées,... votre devoir à vous, dicté
par la raison, est d'instruire la cause et d'agir en bon juge; sans cela, quelle excuse auriez-vous devant
le tribunal de Dieu?» Ensuite Justin justifie les chrétiens du reproche d'athéisme, en exposant les doc-
trines chrétiennes; et pour en montrer la pureté, il cite plusieurs passages des Écritures, entre autres
une grande partie des discours du Seigneur sur la montagne. En plusieurs passages, il parle aussi de
Jésus comme du Fils de Dieu qui s'est incarné et est devenu notre Maître, et il fait ressortir l'accom-
plissement en Christ de plusieurs prophéties. Enfin il termine son apologie en exposant ce qu'était le
culte des chrétiens.
Athénagoras, né à Athènes, était un philosophe qui vivait dans la dernière moitié du second siècle.
Il se proposait d'écrire contre les chrétiens, et en vue de cela, il se mit à lire leurs livres. Dieu, par cette
lecture, lui ouvrit les yeux, et il devint chrétien. Au lieu d'attaquer les disciples du Seigneur, il les
défendit et présenta, en l'an 177, à Marc Aurèle et à son fils Commode, une apologie de la religion
chrétienne. Dans cet écrit, il dit entre autres choses: «Pourquoi seriez-vous offensés simplement par
le nom que nous portons? Le nom seul ne mérite pas votre haine; c'est le crime qui est digne de châ-
timent. Si nous sommes convaincus d'un forfait, grand ou petit, punissez-nous, mais non pas unique-
ment à cause du nom de chrétien. Nul chrétien n'est criminel, à moins qu'il n'agisse d'une manière
contraire à sa profession.» Plus loin, mettant en contraste la conduite des chrétiens et celle des païens,
il dit: «Chez nous, vous trouverez des ignorants, des ouvriers, de vieilles femmes qui ne pourraient
peut-être pas prouver par des raisonnements la vérité de notre doctrine; mais par leurs œuvres ils mon-
trent l'effet bienfaisant qu'elle produit quand on est persuadé qu'elle est vraie. Ils ne font pas des dis-
cours, mais de bonnes œuvres. Sont-ils frappés, ils ne rendent pas les coups, ils n'intentent pas de
procès à ceux qui les dépouillent; ils donnent à ceux qui leur demandent, et aiment leur prochain
comme eux-mêmes.»
C'était un beau témoignage, n'est-ce pas? Cette conduite pure et cette charité recommandées par la
parole de Dieu, au milieu de l'égoïsme, de la sensualité et de la cruauté des mœurs des païens, étaient
bien propres à les frapper d'étonnement. Elles auraient dû les gagner à une religion qui produisait de
tels fruits, et quelques-uns en effet furent ainsi amenés au christianisme. Mais le plus grand nombre
restait hostile, parce que le cœur mauvais de l'homme préfère les mauvaises œuvres. Et quant à
l'empereur, son orgueil de philosophe ne pouvait se résoudre à accepter la croix de Christ qui met à
néant la sagesse humaine. (1 Corinthiens 1:18-24.)
Un autre apologiste fut Minutius Félix, né en Afrique au commencement du troisième siècle. Il
avait été un avocat et un orateur distingué à Rome. Il écrivit une apologie du christianisme sous forme
de dialogue entre deux amis, l'un chrétien et l'autre païen. Ce dernier présente ses raisons en faveur
du paganisme, et ses arguments contre le christianisme. Le chrétien répond. Il admet d'abord le fait
que les chrétiens n'avaient que du mépris pour les dieux des païens, et il le justifie. «Les souris,» dit-
il, «les hirondelles et les chauves-souris rongent, insultent et déshonorent vos dieux. Si vous ne les
chassez pas, ces animaux font leurs nids dans la bouche de vos idoles, et les araignées tissent leur toile
sur leurs faces. Premièrement, vous les fabriquez, puis vous les nettoyez, vous les frottez et les défen-
dez vous-mêmes, pour ensuite les craindre et les adorer. Si nous passons en revue tous vos rites, les
uns ne peuvent qu'à bon droit exciter le rire, et les autres inspirer la pitié.
D'un autre côté, voici comment il parle du Dieu des chrétiens: «Lorsque vous élevez les yeux vers
les cieux, et que vous contemplez les œuvres de la création qui vous entourent, comment n'y pas voir
clairement et avec évidence l'existence d'un Dieu infiniment excellent en intelligence, qui anime, fait
mouvoir, soutient et gouverne toute la nature? Considérez la vaste étendue des cieux et la rapidité de
leurs mouvements, soit quand la nuit vous les montre parsemés d'étoiles, ou quand le jour ils sont
éclairés par le soleil. Voyez la main toute puissante qui les maintient dans leurs orbes et qui dirige
leurs mouvements.» Puis il parle du soleil et de la lune, de la lumière et des ténèbres, et de l'ordre
admirable des saisons; de la mer avec son flux et son reflux, des fontaines et des fleuves qui se rendent
à l'océan. Il passe ensuite en revue le monde des animaux où chaque créature a sa sphère propre, et
enfin il arrive à l'homme et à sa merveilleuse structure. «Tout,» dit-il, «proclame un divin Auteur, et
cet Auteur de toutes choses est le Dieu des chrétiens.»
Minutius parle bien aux païens le langage qui leur convient. A des Juifs, il eût fallu raisonner
d'après les Écritures. A des païens, il fallait montrer la folie de leur idolâtrie et l'existence du vrai Dieu
qui a créé toutes choses. N'est-ce pas ainsi que fait Paul, soit quand il prêche aux habitants de Lystre,
nu surtout quand il parle devant l'Aréopage à Athènes? (Actes 14:15-17; 17:22-31.)
Je citerai en dernier lieu l'apologie de Tertullien, un des hommes les plus remarquables et les plus
célèbres de l'Église, à la fin du second siècle et au commencement du troisième. Il était né à Carthage,
en l'an 160. Doué de grands talents naturels, il fit de solides études et entra dans la carrière du droit
où il se distingua. «J'étais alors aveugle,» dit-il, «et sans la lumière du Seigneur.» Il fut frappé en
voyant la constance et la fermeté des martyrs et devint chrétien, mais on ignore les détails de sa con-
version. «Autrefois», écrivait-il en s'adressant aux païens, «j'insultais à la religion chrétienne, comme
vous le faites aujourd'hui. Nous avons tous été des vôtres, car on ne naît pas chrétien, on le devient.»
Et il le fut avec le dévouement le plus entier. Dans sa célèbre apologie adressée aux gouverneurs, des
provinces, il dit des paroles qui montrent combien les chrétiens s'étaient multipliés dans l'empire.
«Nous ne sommes que d'hier et nous remplissons tout, vos villes, vos îles, vos châteaux, vos bourga-
des, vos conseils, vos tribus, vos décuries, le sénat, la place publique; nous ne vous laissons que vos
temples. Si nous nous retirions en quelque autre contrée, vous seriez effrayés de votre solitude.»
A l'accusation portée contre les chrétiens d'être des factieux, il répond: «La faction des chrétiens
est d'être réunis dans la même religion, la même morale, la même espérance. Nous formons une con-
juration pour prier Dieu en commun et lire les divines Écritures. Si quelqu'un de nous a péché, il est
privé de la communion, des prières et de nos assemblées, jusqu'à ce qu'il se soit repenti. Ces assem-
blées sont présidées par des anciens, dont la sagesse a mérité cet honneur. Chacun apporte quelque
argent tous les mois, s'il le veut ou le peut. Ce trésor sert à nourrir et à enterrer les pauvres, à soutenir
les orphelins, les naufragés, les exilés, les condamnés aux mines ou à la prison pour la cause de Dieu.
Nous nous donnons le nom de frères, et nous sommes prêts à mourir les uns pour les autres.»
N'est-il pas intéressant de pénétrer ainsi quelque peu dans la vie de ces anciens chrétiens? Quel
témoignage ils rendaient! Il y avait déjà, sans doute, bien du relâchement, mais Tertullien pouvait
dire: «J'en prends à témoin vos registres; vous qui jugez les criminels, y en a-t-il un seul qui soit chré-
tien?»
Tertullien termine ainsi son apologie: «Multipliez vos instruments de torture; vos cruautés les plus
raffinées ne servent à rien. Plus vous nous moissonnez, plus nous multiplions. Le sang chrétien que
vous répandez est comme une semence qui sort de terre et produit abondamment. Plusieurs de vos
philosophes recommandent dans leurs écrits de souffrir avec patience les douleurs et la mort. L'exem-
ple que donnent les disciples de Christ est plus éloquent que ces paroles. Cette invincible fermeté que
vous traitez d'obstination et dont vous nous faites un crime, est une instruction puissante pour con-
vaincre. Qui peut en être témoin sans être ébranlé et être conduit à en rechercher la cause? Et l'ayant
pénétrée, ne vient-on pas se joindre à nous? Qui a jamais considéré avec soin notre religion et ne l'a
pas embrassée? Et qui l'ayant embrassée, n'a pas été prêt à mourir pour elle? Aussi nous vous remer-
cions des arrêts que vous portez contre nous. Combien les jugements de Dieu sont opposés à ceux des
hommes! Tandis que vous nous condamnez sur la terre, Dieu nous absout dans le ciel.»
Telles étaient les voix qui s'élevaient du sein de l'Église et qui portaient la vérité et la pureté du
christianisme devant les empereurs, les rois et les gouverneurs, de sorte qu'en persécutant les chré-
tiens, ils étaient inexcusables.
ATTAQUES CONTRE LE CHRISTIANISME VENUES DU DEHORS
Satan n'emploie pas seulement la violence pour s'efforcer de détruire l'œuvre du Seigneur en s'atta-
quant à la personne de ses disciples, comme il le fit par les grandes et terribles persécutions dont nous
avons parlé. Il se sert aussi de la ruse et du mensonge. Il n'est pas seulement «meurtrier dès le com-
mencement», il est aussi «menteur, et le père du mensonge.» «Il n'a pas persévéré dans la vérité» (Jean
8:44), il en est l'ennemi, et il voudrait la faire disparaître de la terre. Or la vérité, c'est Christ et sa doc-
trine. C'est donc la vérité qu'il attaque pour la nier, la pervertir et en détourner les âmes. Cela est beau-
coup plus dangereux que la persécution. Par celle-ci le diable peut tuer le corps, mais par le mensonge
et l'erreur, il nuit à l'âme. Sous ce rapport, il a aussi fait tous ses efforts dans les premiers temps de
l'Église. Je dirai un mot de ces attaques contre la vérité chrétienne; cela est d'autant plus important
qu'elle se sont reproduites dans tous les temps et se reproduisent de nos jours.
Quand nous parlons de Satan comme ayant persécuté ou comme cherchant à détourner de la vérité,
il est évident qu'il faut sous-entendre qu'il se sert pour cela comme instruments des hommes méchants
et pervers qui obéissent à ses suggestions.
Au commencement de l'Église, comme aujourd'hui, les chrétiens eurent à maintenir la vérité contre
deux sortes d'ennemis: les uns attaquaient le christianisme lui-même, les autres le corrompaient. Nous
dirons un mot des uns et des autres.
Les premiers étaient ce que l'on nomme des philosophes ou amis de la sagesse; mais hélas! non pas
amis de la sagesse selon Dieu, mais d'une sagesse fondée sur les vains raisonnements de l'esprit
humain. Ils se divisaient en plusieurs écoles, selon le système mis en avant par le maître qu'ils sui-
vaient. Mais de quelque école qu'ils fussent, ils se distinguaient en général par leur orgueil et le grand
cas qu'ils faisaient de leur raison. Nous en trouvons à Athènes, de la secte des épicuriens et de celle
des stoïciens, discutant contre Paul, s'étonnant de l'a nouvelle doctrine qu'il annonçait, et disant: «Que
veut dire ce discoureur?... Il semble annoncer des divinités étrangères.» C'était parce qu'il parlait de
Jésus et de la résurrection. (Actes 17:18.) La doctrine de la résurrection confondait leurs idées et bles-
sait leur raison, et ils s'en moquaient. Et quant à un Christ crucifié pour sauver les hommes perdus,
c'était à leurs yeux une folie. (1 Corinthiens 1:20-23.) Remarquons bien ce que dit la parole de Dieu
dans ce passage, à l'égard de la sagesse des savants de ce siècle. Par elle, malgré les prétentions, des
philosophes, on ne peut connaître Dieu. Jésus seul le fait connaître, le révèle à nos âmes, et c'est pour-
quoi il est appelé la sagesse de Dieu. On rencontre souvent de ces prétendus sages. Rappelons-nous
que la seule vraie sagesse vient de Dieu par Christ, et que son commencement est la crainte de l'Éter-
nel.
L'opposition des philosophes à la vérité chrétienne, commencée aux jours de Paul, continua, et
comme nous l'avons dit à l'occasion des persécutions sous Dioclétien, ils se joignaient aux persécu-
teurs des disciples de Jésus. Les noms et quelques parties des écrits de ces adversaires de Christ nous
ont été conservés.
L'un d'entre eux, et peut-être le plus fameux, se nommait Celse. On ne sait autre chose de lui sinon
qu'il écrivit, vers l'an 177, un livre contre la religion chrétienne intitulé: «Discours véritable.» Le célè-
bre Origène le réfuta et c'est par lui que nous ont été conservés des fragments du livre de Celse. Celui-
ci objectait aux chrétiens qu'ils ne fissent aucun cas de la raison humaine. «Vous répétez toujours»,
leur disait-il, «n'examinez pas; croyez seulement: votre foi vous rendra bienheureux.» Cela est faux
du christianisme; il ne redoute pas l'examen. Tout en lui démontre qu'il est de Dieu. Et si Dieu a parlé,
qu'avons-nous à faire? Nous sommes tenus de recevoir sa parole et de croire, parce qu'Il a parlé, et
non parce que sa parole s'accorde avec nos idées du bien et du mal qui, nous le savons, sont souvent
fautives. Et c'est, en effet, en croyant Dieu, que nous sommes rendus heureux.
Celse disait aussi que, dans toutes les autres religions, celui-là est invité à s'approcher qui «est net-
toyé de toute souillure, qui n'a sur la conscience aucun mal, qui a mené une vie bonne et juste», tandis
que, chez les chrétiens, l'appel s'adresse à «quiconque est un pécheur, un illettré, un insensé, en un
mot un misérable, — à de tels est le royaume des cieux.» Oui, béni soit Dieu! ce sont les pécheurs que
Jésus invite à venir à Lui. Le pauvre Celse ne connaissait pas le cœur de l'homme; il ne savait rien de
son état de chute et de ruine. Il ignorait que si pour approcher Dieu, il fallait être sans péché, il n'y
aurait personne qui pût y être invité.
Et cependant Celse semblait comprendre qu'un changement moral était nécessaire à l'homme, et
même il avouait qu'il ne pouvait être effectué ni par bonté, ni par châtiment. Mais il ne voyait pas que
le christianisme fait connaître la puissance qui opère ce changement, c'est-à-dire la nouvelle naissance
et une nouvelle création par l'Esprit de Dieu.
Celse avançait encore une chose qui n'est que trop vraie, mais qui ne touche en rien à la vérité du
christianisme comme venu de Dieu. C'étaient les divisions et les sectes diverses dans le christianisme.
«Au commencement,» dit-il, «lorsque les chrétiens étaient peu nombreux, ils s'accordaient entre eux;
mais à mesure que leur nombre a augmenté, ils se sont divisés en partis qui s'attaquent et se réfutent
les uns les autres, ne retenant en commun que leur nom, si même ils le font.» Si un adversaire, au
second siècle, pouvait déjà parler ainsi, que dirait-il maintenant? Le mal s'est douloureusement
aggravé, la ruine est plus profonde, mais cela vient, non pas du christianisme qui est et demeure la
vérité de Dieu révélée dans sa Parole, mais du méchant cœur de l'homme qui pervertit les meilleures
choses en introduisant ses propres pensées auxquelles il s'attache, tandis qu'il tord ou met de côté la
parole de Dieu. Plusieurs passages du Nouveau Testament annonçaient d'avance ces divisions et ces
sectes, et les partis dans l'Église commençaient même du temps des apôtres, mais c'était l'œuvre de
l'ennemi (Actes 20:29-30; Romains 16:17; 1 Corinthiens 1:10-12; 11:18-19).
Mais comme hélas! le font souvent les incrédules, Celse ne se bornait pas aux objections que lui
fournissaient sa raison et la conduite des chrétiens; il jetait le mépris sur Christ, sur sa Personne et son
œuvre, ramassant et répétant toutes les moqueries et les blasphèmes que les Juifs et les autres ennemis
de Jésus lançaient contre Lui. En cela, Celse a aussi de nos jours des imitateurs. Détournons-nous avec
horreur des livres qui souillent le saint nom de Jésus et la vérité divine.
Porphyre fut un autre des philosophes adversaires du christianisme. Il était né vers l'an 233, et dans
sa jeunesse, il était venu exprès de Rome à Alexandrie pour entendre le savant Origène. Il ne reçut pas
la vérité, mais au contraire en devint l'ennemi. Il écrivit un grand ouvrage dans lequel il attaque la divi-
nité des Écritures et s'efforce de faire ressortir les prétendues contradictions que, suivant lui, les saints
écrits et surtout les évangiles renferment. C'est aussi ce que font aujourd'hui plusieurs même de ceux
qui se disent chrétiens; mais souvenons-nous que Dieu ne peut se contredire, que sa Parole est pure,
et que, s'il est dans cette Parole des choses que nous ne comprenons pas, cela vient uniquement de
notre ignorance.
Hiéroclès, proconsul de Bithynie au temps de Dioclétien, fut un de ces philosophes qui, haïssant
les chrétiens et leur doctrine, pressèrent l'empereur de les faire mourir. Non content de cela, Hiéroclès
écrivit contre ceux qu'il persécutait et tuait, un livre intitulé: «Paroles d'un ami de la vérité», où il
répète un grand nombre des objections de Celse et de Porphyre. Il attaquait surtout les miracles de
Christ, déclarant qu'ils ne prouvaient pas qu'il fût Dieu. Il leur opposait les prétendus prodiges d'un
certain Apollonius de Tyane qui avait, dit-on, opéré des cures merveilleuses sans que, pour cela, on
l'eût considéré comme un Dieu, mais seulement comme un ami des dieux. Nous savons que Satan,
dont l'homme n'est que l'instrument, a pu contrefaire certains prodiges. L'histoire des magiciens
d'Égypte nous le montre (Exode 7:8-25; 8:1-15); Simon à Samarie, avait aussi la prétention de faire
de grandes choses (Actes 8:9-11); plus tard, l'homme de péché viendra et fera des prodiges par la puis-
sance de Satan (2 Thessaloniciens 2:9). Mais qui, par amour, a mis sa vie pour le pécheur? Qui, après
avoir été crucifié, a été ressuscité, et par cette résurrection, déclaré Fils de Dieu en puissance?
(Romains 1:4.) C'est Jésus seul. Il est la vérité; il est le Fils unique et éternel de Dieu, Dieu même et
notre bien-aimé Sauveur.
Telles étaient quelques-unes des objections des orgueilleux philosophes contre le christianisme,
qui humiliait leur raison, qui les abaissait au rang des pécheurs ignorants, coupables et perdus, et qui
ne leur montrait de salut et de vraie sagesse que dans la foi en un homme pendu à la croix. Les mêmes
objections sont avancées de nos jours, et de nos jours aussi, il n'y a de salut en aucun autre qu'en Christ
crucifié, et de réelle sagesse qu'en croyant en Lui. Les hommes et leur science faussement ainsi nom-
mée, passent avec leurs objections. Le christianisme, venu de Dieu, défie tous les efforts de l'homme.
Il reste debout, établi sur le Rocher des siècles, Christ mort, ressuscité et glorifié.
ATTAQUES CONTRE LE CHRISTIANISME VENUES DU DEDANS
D'autres ennemis que les philosophes avec leurs raisonnements, attaquaient le christianisme. Ceux-
ci et les persécuteurs étaient des ennemis du dehors. Il en sortit de plus dangereux du milieu même
des chrétiens. Tout en semblant accepter la doctrine chrétienne, ils la corrompaient. L'apôtre Paul met-
tait en garde les anciens d'Éphèse et toute l'Église contre ces deux classes d'adversaires: «Je sais», dit-
il, «qu'après mon départ il entrera parmi vous, des loups redoutables qui n'épargneront pas le troupeau;
et il se lèvera d'entre vous-mêmes des hommes qui annonceront des doctrines perverses pour attirer
les disciples après eux.» (Actes 20:29-30.)
Ces paroles se réalisèrent. Les apôtres, déjà de leur vivant, virent des hommes enseignant de faus-
ses doctrines se glisser dans l'Église, et eurent à les combattre. Plusieurs passages des épîtres sont diri-
gés contre les faux docteurs et étaient des avertissements adressés aux fidèles pour les mettre en garde
contre ces pernicieux enseignements. Nous profitons de nos jours de ces avertissements, car Satan,
l'ennemi du Seigneur, a renouvelé et renouvelle de tout temps ses attaques contre la vérité qui sauve.
Quelle grâce Dieu nous a faite en nous donnant sa Parole, qui est l'épée de l'Esprit, au moyen de
laquelle nous pouvons repousser les assauts de l'ennemi!
L'une des premières erreurs que les apôtres eurent à Combattre, fut celle qu'introduisaient les doc-
teurs judaïsants. Ils voulaient astreindre les chrétiens à observer la loi de Moïse et allaient même
jusqu'à prétendre que, sans cela, on ne pouvait être sauvé. (Actes 15:1.) C'était dire que l'œuvre de
salut accomplie par Christ à la croix n'était pas suffisante; c'était introduire le principe du salut par les
œuvres et anéantir la grâce de Dieu. Aussi les apôtres à Jérusalem condamnèrent-ils en termes éner-
giques cette doctrine (Actes 15, 24), et nous voyons l'apôtre Paul la combattre fortement dans plu-
sieurs de ses épîtres, mais surtout dans celle aux Galates. De nos jours, on ne cherche pas à nous
ramener à l'observation des cérémonies de la loi; mais il ne manque pas de personnes qui pensent et
disent qu'il faut faire des œuvres, de bonnes œuvres, pour obtenir le salut, tandis que les bonnes
œuvres sont le fruit du salut reçu dans le cœur par la foi. (Éphésiens 2:8-10.)
Malgré la décision des apôtres, les docteurs judaïsants continuèrent à enseigner. D'un autre côté,
des chrétiens sortis d'entre les Juifs restèrent attachée aux cérémonies judaïques en les regardant
comme obligatoires, même après la destruction de Jérusalem. Ils formèrent en Judée une secte peu
nombreuse, nommée les Ébionites ou pauvres. D'autres erreurs très graves s'introduisirent parmi eux.
Ils regardaient Jésus comme n'étant qu'un homme, fils de Joseph et de Marie, et revêtu de l'Esprit divin
à son baptême. C'était renverser le christianisme. Hélas! on trouverait de nos jours, parmi ceux qui se
disent chrétiens, des personnes qui déshonorent ainsi le Seigneur, qui est «sur toutes choses Dieu béni
éternellement» (Romains 9:5), en même temps qu'homme parfait. Tenons ferme à la parole de Dieu
et à ce qu'elle nous dit de la Personne adorable de Christ.
Outre les paroles prophétiques de Paul aux anciens d'Éphèse, les épîtres annoncent que, dans les
derniers jours, les choses iraient de mal en pis, les imposteurs séduisant et étant séduits. (2 Timothée
3, 13.) «L'Esprit,» annonce Paul, «dit expressément qu'aux derniers temps quelques-uns apostasieront
de la foi, s'attachant à des esprit séducteurs et à des enseignements de démons.» (I Timothée 4, 1.)
Pierre dit: «Il y aura parmi vous de faux docteurs qui introduiront furtivement des sectes de perdition»
(2 Pierre 2, 1), et l'apôtre Jean exhorte les saints à éprouver les esprits, parce que «beaucoup de faux
prophètes sont sortis dans le monde,» et ailleurs il dit: «Maintenant aussi il y a plusieurs antichrists...
qui sont sortis du milieu de nous.» (1 Jean 4:1; 2:18-19.) Un antichrist, nous le savons, est celui qui
s'oppose à Christ.
On donnait à ces faux docteurs ou faux prophètes le nom d'hérétiques, et leurs doctrines, contraires
à la vérité selon les Écritures, étaient appelées des hérésies. De très bonne heure, il surgit un grand
nombre d'hérésies dans l'Église. Toutes provenaient du travail de l'esprit humain qui veut s'ingérer
«dans les choses qu'il n'a pas vues» (Colossiens 2:18), qui veut par lui-même pénétrer dans les choses
profondes de Dieu (1 Corinthiens 2:10-11), et expliquer ce qui lui est incompréhensible, en raisonnant
et inventant, au lieu de se soumettre simplement à la parole de Dieu.
Il serait bien long et superflu de raconter toutes les hérésies qui surgirent. Nous rappellerons seu-
lement quelques traits qui leur sont communs. En général, ces hérétiques prétendaient arriver par la
philosophie, par les efforts de leur intelligence et de leur raison, à une connaissance des choses de
Dieu, plus élevée, plus profonde, que celle que donne l'Écriture. C'est pourquoi ils se nommaient
gnostiques, d'un mot grec qui veut dire connaissance, et leur doctrine est appelée le gnosticisme. Ils
distinguaient deux sortes de personnes, les spirituels ou parfaits qui avaient la possession de la
science, et ceux qui croyaient sans avoir pénétré dans les profondeurs de la connaissance. Pour eux la
parole écrite était insuffisante; ils la complétaient ou la redressaient par d'anciennes traditions ou par
la lumière intérieure, c'est-à-dire celle de leur propre esprit ou de leur imagination. Nous pouvons
comprendre d'après cela, pourquoi l'apôtre Paul avertissait les Colossiens de ne pas se laisser séduire
«par des discours spécieux», «par la philosophie et par de vaines déceptions, selon l'enseignement des
hommes.» (Colossiens 2:4-8.)
Ces hérétiques prétendaient qu'il y avait deux principes éternels et opposés, Dieu et la matière ori-
gine du mal, de sorte que le mal dans l'homme gît dans son corps. Ils oubliaient ou mettaient de côté
l'Écriture, qui nous apprend que Dieu a créé toutes choses (Genèse 1:1), et que le mal vient de la rébel-
lion de la créature contre son Créateur et gît non dans son corps, mais dans son cœur. (Matthieu
15:19.)
Une autre grande et mortelle erreur des gnostiques était qu'ils ne croyaient pas que le Fils de Dieu
eût réellement pu revêtir un corps, souffrir et mourir. Ils disaient donc que le corps de Christ n'était
qu'une apparence, un fantôme. En niant ainsi la vraie humanité du Seigneur et la réalité de ses souf-
frances et de sa mort, ils annulaient la rédemption. Cérinthe, qui vivait du temps de l'apôtre Jean, était
un de ces gnostiques que l'on nommait docètes ou apparents, à cause de leurs idées sur le corps de
Christ. Plusieurs passages des épîtres de Jean font allusion à ces fausses doctrines, par exemple quand
l'apôtre écrit: «Tout esprit qui ne confesse pas Jésus Christ venu en chair, n'est pas de Dieu; et ceci est
l'esprit de l'antichrist.» (1 Jean 4-3.) «Plusieurs séducteurs sont sortis dans le monde, ceux qui ne con-
fessent pas Jésus Christ venant en chair.» (2 Jean 7.) Mais ces paroles ont une portée plus étendue et
s'appliquent aussi à des erreurs qui ont cours de nos jours touchant la Personne adorable du Seigneur.
Selon les gnostiques, ce monde, où le mal règne, ne saurait avoir pour auteur le Dieu suprême. Ils
prétendaient qu'il avait été créé par une intelligence céleste d'une nature inférieure, qu'ils nommaient
le démiurge et que quelques-uns estimaient ennemi de Dieu. Ils enseignaient que de Dieu le Père exis-
tant par Lui-même était né un être supérieur nommé Intelligence, de l'Intelligence procédait la Parole
(ou le Logos), de la Parole la Prudence, de celle-ci la Sagesse et la Puissance, et de ces deux les Puis-
sances, les Principautés et les Anges qu'ils nommaient anges supérieurs, par qui le ciel le plus élevé
fut fait; de ceux ci procédaient d'autres anges et d'autres cieux. Tous ces êtres qu'ils imaginaient, ils
les nommaient des éons. Les éons servaient, disaient-ils, d'intermédiaires entre le vrai Dieu suprême
et le Jéhovah des Juifs qui n'était pas le Dieu suprême, entre le Père et le Fils, entre le Christ et les
hommes. Selon ces hérétiques, le Père ineffable aurait envoyé son premier-né, l'Intelligence, qui est
aussi appelé Christ, pour sauver ceux qui croient en Lui, et les délivrer de la tyrannie des créateurs du
monde. Il vint sur la terre en apparence d'homme, mais ne souffrit point.
A ces folles imaginations, ils en ajoutaient bien d'autres. Nous avons cité quelque chose de ces
erreurs, pour montrer à quels dangers on est exposé quand on laisse le terrain solide de la Parole écrite.
On comprend aussi mieux par là ce que l'apôtre Paul écrivait aux Colossiens qui risquaient d'être
entraînés par ces faux docteurs. Ces hérétiques abaissaient la gloire de Christ, qu'ils disaient n'être
qu'une créature. L'apôtre nous présente Christ comme le Fils de l'amour de Dieu, son image, Dieu lui-
même, Créateur de toutes les choses visibles et invisibles, dans les cieux et sur la terre, Créateur des
principautés et des puissances. En Lui, dit-il, habite corporellement toute la plénitude de la déité. Puis,
quant à son œuvre, Paul nous le montre faisant la paix par le sang de sa croix, nous réconciliant avec
Dieu par le corps de sa chair, par la mort. (Colossiens 1:14-17; 19-22.) Ainsi, à l'occasion de ces
erreurs, l'Esprit Saint déploie devant nos yeux toutes les gloires de la Personne du Seigneur, en créa-
tion et en rédemption, et nous fait voir qu'en toutes choses Christ tient la première place. Quel trésor
nous avons dans la parole de Dieu et dans la Personne de Jésus, pour réjouir nos cœurs, pour établir
nos âmes dans la vérité, et nous garantir ainsi de l'erreur!
Il faut encore ajouter que parmi ces faux docteurs, les uns, estimant que le mal gît dans le corps,
exhortaient à dompter la chair par de sévères mortifications, tandis que d'autres, pour la même raison,
s'abandonnaient à la sensualité et à l'immoralité, estimant que les actions du corps ne touchaient pas
à la pureté de l'âme. L'apôtre Paul a en vue les premiers, en Colossiens 2:21-23, et Jude parle des
seconds, aux versets 4, 8, 12, de son épître.
Deux traits caractérisent tous ces hérétiques. Le premier, c'est que, d'une manière ou d'une autre,
ils attaquaient la Personne et l'œuvre du Sauveur; le second, c'est qu'ils tronquaient ou altéraient les
Écritures. Ainsi Marcion, l'un d'eux, qui vivait au second siècle, enseignait que le Dieu et le Messie
de l'Ancien Testament n'étaient pas le Dieu et le Christ du Nouveau. En même temps, pensant pouvoir
ainsi appuyer ses erreurs, il n'admettait que l'évangile de Luc et dix des épîtres de Paul, et rejetait le
reste des Écritures.
De nos jours nous voyons aussi l'ennemi attaquer ces deux fondements du christianisme — la
parole de Dieu et la Personne du Seigneur. Il cherche ainsi à ébranler la foi des croyants et à empêcher
les âmes d'être sauvées. Tenons ferme ces deux choses. Que le Seigneur puisse dire de nous: «Tu as
gardé ma parole, et tu n'as pas renié mon nom.» (Apocalypse 3:8.)
Des écrivains chrétiens comme Irénée, Tertullien, Origène réfutèrent dans leurs écrits, soit les phi-
losophes, soit les hérétiques. Malheureusement eux-mêmes ne furent pas à l'abri d'erreurs dans leurs
enseignements. Ainsi l'Église était attaquée par les ennemis du dehors et du dedans, et ses conducteurs
eux-mêmes ne veillèrent pas assez et laissèrent s'introduire, soit dans la doctrine, soit dans le culte,
bien des choses que n'enseigne point la parole de Dieu et qui même sont condamnées par elle. On sui-
vit des traditions d'hommes et des raisonnements, et on finit même par accepter des pratiques qui
tenaient du paganisme, du judaïsme et des erreurs gnostiques. C'est ainsi que l'Église déchut de son
premier amour et se corrompit de plus en plus.
LES SAINTES ÉCRITURES
Avant de continuer l'histoire de l'Assemblée chrétienne sur la terre, disons quelques mots du Livre
divin où les disciples de Christ puisaient leurs enseignements, leurs consolations et leurs espérances;
ce Livre, la parole de Dieu, objet des attaques des ennemis de Christ en tout temps, mais que rien ne
peut détruire, «car la parole du Seigneur demeure éternellement»; ce recueil de saints écrits, donnés
de Dieu et inspirés par son Esprit, et que nous trouvons dès le commencement du second siècle, lu
dans les églises, considéré et conservé comme un trésor précieux; si précieux pour les chrétiens que,
plutôt que de le livrer, plusieurs fidèles aimèrent mieux mourir.
Ce volume sacré, la Bible ou le LIVRE, est en effet le Livre par excellence, car il ne vient pas de
l'homme, mais de Dieu, qui s'est servi de certains hommes pour l'écrire. Il se divise, comme nous le
savons, en deux parties. La première est l'Ancien Testament qui fut écrit avant la venue du Sauveur.
Il raconte les origines du monde, l'histoire d'Israël, le peuple élu de Dieu sur la terre, et renferme, avec
des préceptes moraux, des prophéties concernant Israël et les nations. Mais ce qu'il contient surtout,
ce sont les promesses de la venue d'un grand Libérateur, d'un Sauveur pour Israël et le monde entier,
d'un Roi qui doit établir ici-bas un règne de justice et de paix. Tout dans l'Ancien Testament nous parle
de Lui, les récits, les cérémonies du culte, les sacrifices, les traits caractéristiques des hommes dont il
nous dit l'histoire, mais surtout le livre des Psaumes et ceux des prophètes. L'Ancien Testament est
ainsi tout entier prophétique. Ce Roi Sauveur annoncé par le saint Livre est Christ, la semence de la
femme, le descendant promis à Abraham, le prophète qui devait paraître semblable à Moïse, libérateur
comme lui, l'héritier du trône de David, le Messie, le Fils, comme le nomment David et Ésaïe. (Genèse
3:15; 22:18; Deutéronome 18:18 (comparez Actes 3:22-23); 1 Chroniques 17:11-14; Psaume 2:7;
Essaie 9:6-7.) Mais cette personne glorieuse devait aussi souffrir et mourir avant de régner. C'est ce
que disent en type les sacrifices et ce qu'annoncent les Psaumes et les prophètes (Ésaïe 53 et Psaume
22; comparez avec Luc 24:25-27, 44).
L'Ancien Testament était donc un livre bien précieux pour les Israélites, et il ne l'est pas moins pour
nous. Le Seigneur Jésus le nomme l'Écriture, les Écritures, la parole de Dieu, et le cite constamment.
L'apôtre Paul l'appelle les oracles de Dieu, les saintes lettres, l'Écriture divinement inspirée, et Pierre
nous dit que les saints hommes de Dieu qui l'ont écrit, étaient poussés par l'Esprit Saint. «Dieu», dit
encore Paul, «nous a parlé par les prophètes.» (Jean 10:35; Matthieu 22:29 Romains 3:2; 2 Timothée
3:15-16; 2 Pierre 1:21 Hébreux 1:1.) Aussi de tout temps les fidèles ont pris plaisir à lire et méditer
ce saint volume. «Combien j'aime ta loi», dit le psalmiste, «tout le jour je la médite... Tes paroles ont
été douces à mon palais, plus que le miel à ma bouche... La loi de ta bouche est meilleure pour moi
que des milliers de pièces d'or et d'argent... Ta parole est une lampe à mon pied, et une lumière à mon
sentier.» (Psaume 119:97, 103, 72, 105.) Puissions-nous aussi aimer, apprécier, lire et étudier cette
Parole, de laquelle il est dit que bienheureux est celui qui y prend son plaisir (Psaume 1:2).
Cette première partie du saint volume est bien digne de toute notre attention. Existe-t-il un autre
livre qui, en ayant une portée infinie, soit plus instructif et plus intéressant en même temps? Il ne nous
parle pas seulement pour le temps, mais pour l'éternité; pas seulement des choses terrestres, mais des
choses célestes et divines. Où trouverons-nous autre part, dans les livres humains, une histoire des pre-
miers temps du monde? Ce sont des choses que l'œil n'a pas vues et que l'oreille n'a pas entendues,
mais que Dieu nous fait connaître. Dans ce livre qui, à le voir, n'est pas considérable, nous avons toute
une bibliothèque, livres historiques, récite touchants, cantiques sublimes, préceptes importants, exem-
ples saisissants, révélations de l'avenir, tout se trouve dans les trente-neuf livres de l'Ancien Testa-
ment. On les lit, on les relit, et c'est toujours nouveau. Chaque fois on y trouve des richesses que l'on
n'y avait pas découvertes. C'est pourquoi le Seigneur Jésus disait: «Sondez les Écritures», ce trésor
inépuisable. Elles montrent le chemin de la vie éternelle, car elles font connaître Jésus (Jean 5:39).
Les trente-neuf livres de l'Ancien Testament ont été écrits par une trentaine d'auteurs différents de
tout rang, de tout âge et de toute condition. Les uns étaient savants, comme Moïse, et les autres igno-
rants, comme Amos. On trouve parmi eux des rois et des bergers, des sacrificateurs et des hommes du
peuple, écrivant dans des temps et des lieux différents. Pendant une période de plus de mille années,
ils font entendre leur voix, car Moïse, le premier, écrivit vers l'an 1500, et Malachie, le dernier, rendit
son oracle vers l'an 400 avant Jésus Christ. Et cependant, quoique traitant de sujets divers, écrivant en
des temps différents, éloignés les uns des autres, ils ont un même objet en vue, leurs écrits forment un
tout parfait. N'est-ce pas frappant? C'est qu'un même Esprit les anime, l'Esprit de Dieu; ce qu'ils écri-
vent n'est pas leur livre; c'est le livre de Dieu. Et ce que nous venons de dire de l'Ancien Testament,
est vrai de la seconde partie de la Bible, c'est-à-dire du Nouveau Testament. Il faut lire avec un soin
égal ces deux portions du livre de Dieu, car elles s'éclairent l'une par l'autre. Nous voyons d'ailleurs
dans les évangiles, les Actes et les épîtres, que constamment le Seigneur et les apôtres citent l'Ancien
Testament pour établir ce qu'ils enseignent. Occupons-nous maintenant du Nouveau Testament.
Durant quatre siècles après Malachie, le dernier prophète, il y eut un grand silence. Aucun prophète
ne se leva en Israël humilié sous le joug des nations. Mais de plus en plus l'attente du Messie à venir
devenait vive dans les cœurs des Israélites pieux. Malachie avait dit: «Voici, j'envoie mon messager,
et il préparera le chemin devant moi; et le Seigneur que vous cherchez viendra soudain à son temple,
et l'Ange de l'alliance en qui vous prenez plaisir, — voici il vient, dit l'Éternel des armées,... Pour vous
qui craignez mon nom, se lèvera le soleil de justice» (Malachie 3:1; 4:2), et les cœurs fidèles, comme
Zacharie, Siméon et Anne, attendaient la consolation d'Israël, la délivrance, c'est-à-dire le Messie
(Luc 1:78; 2:25, 38).
Enfin le Christ annoncé parut. Il naquit à Bethléem, de la race de David, selon les prophéties. Il
vint dans l'abaissement et la pauvreté, mais il était le Fils éternel et bien-aimé de Dieu, devenu un
homme pour nous sauver. En Lui, Dieu lui-même nous a parlé (Hébreux 1:1). Le Seigneur, ayant com-
mencé son ministère, annonça l'Évangile, la bonne nouvelle de la grâce de Dieu envers les pécheurs,
le grand salut qu'il donne à qui croit en Lui (Marc 1:14-15; Hébreux 2:3). Et, comme nous le savons,
après qu'il eut accompli son service d'amour, les hommes iniques l'ont pris et l'ont fait mourir en le
clouant sur la croix. Mais là il s'offrait volontairement à Dieu en sacrifice pour nos péchés (Éphésiens
5:2; Hébreux 9:26, 28). Il en a porté la peine et Dieu a accepté ce sacrifice, qui a remplacé d'une
manière parfaite ceux que la loi demandait (Hébreux 10:9-10). Nous avons la preuve que Dieu a été
satisfait en ce qu'il a ressuscité Jésus et l'a fait asseoir à sa droite dans le ciel. Et maintenant Dieu peut
pardonner et pardonne leurs péchés à ceux qui croient en Jésus, mort et ressuscité pour eux. C'est
pourquoi l'apôtre Jean dit — «Je vous écris, enfants, parce que vos péchés vous sont pardonnés par
son nom.» (1 Jean 2:12.) Quelle grâce, n'est-ce pas? Quel bonheur de savoir cela! Que c'est bien là
une bonne nouvelle!
Cet Évangile de la grâce de Dieu n'était pas pour les Juifs seulement. Il devait être annoncé à toutes
les nations. Avant de monter au ciel, le Seigneur avait dit à ses apôtres «Il est ainsi écrit; et ainsi il
fallait que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour, et que la repentance
et la rémission des péchés fussent prêchées en son nom à toutes les nations, en commençant par Jéru-
salem... Allez dans tout le monde, et prêchez l'évangile à toute la création.» (Luc 24:46-47; Marc
16:15.) Mais qu'étaient les apôtres pour accomplir une telle tâche? Des hommes faibles, lâches, timi-
des et ignorants. Jamais par eux-mêmes ils n'eussent pu ni la commencer, ni la poursuivre. Mais le
Seigneur leur avait promis l'Esprit Saint, l'Esprit de vérité, pour leur enseigner ce qu'ils auraient à dire
et être ainsi des témoins fidèles; l'Esprit de puissance pour les remplir de courage. «Vous recevrez»,
leur dit-il, «de la puissance, le Saint Esprit venant sur vous; et vous serez mes témoins à Jérusalem et
dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'au bout de la terre.» (Jean 14:16-17, 26; 15:26-27; 16:13;
Actes 1:8.)
Le Seigneur accomplit sa promesse le jour de la Pentecôte (Actes 2). L'Esprit Saint descendit sur
les disciples rassemblés dans un même lieu, et, dès ce moment, les apôtres et leurs compagnons, aux-
quels d'autres, comme Paul, furent adjoints plus tard, annoncèrent l'Évangile partout, «le Seigneur
coopérant avec eux, et confirmant la parole par les signes qui l'accompagnaient» (Marc 16:20). Ainsi
le «grand salut», annoncé d'abord par le Seigneur, «a été confirmé par ceux qui l'avaient entendu, Dieu
rendant témoignage avec eux par des signes et des prodiges, et par divers miracles et distributions de
l'Esprit Saint» (Hébreux 2:3- 4). C'est ainsi que l'Église fut fondée, et les apôtres, toujours conduits
par l'Esprit Saint, enseignèrent aux croyants les saintes vérités qui concernent le Seigneur, son Assem-
blée, son retour, et leur donnèrent aussi les directions nécessaires pour se conduire d'une manière
digne du Seigneur au milieu d'un monde méchant (1 Thessaloniciens 2:11-12; 4:1-2; 2 Thessaloni-
ciens 2:15). Mais il fallait conserver la connaissance des faits de la vie du Seigneur et des vérités qui
se rapportent à sa Personne et à l'Église; c'est ce que nous trouvons dans les écrits du Nouveau Testa-
ment.
Mais il faut toujours bien nous rappeler que l'Ancien et le Nouveau Testament forment un seul et
même Livre, une seule et même parole de Dieu, contenant ce que Dieu nous a communiqué par son
Esprit avant la venue de Jésus Christ, et ce qu'il nous a communiqué par le même Esprit après l'appa-
rition de son Fils sur la terre, tout se rapportant à la gloire de son Fils bien-aimé.
De même que l'Ancien Testament, le Nouveau n'a pas été écrit par une seule personne, mais par
plusieurs, en des occasions, des temps et des lieux différents. Seulement, tandis que la formation de
l'Ancien Testament a pris mille années pour s'accomplir, les écrits du Nouveau Testament ont tous
paru dans un espace d'environ cinquante ans, de sorte qu'au commencement du second siècle après
Jésus Christ, ils formaient déjà un tout. Il renferme les écrits de huit auteurs, et se compose de cinq
livres historiques — les évangiles et les Actes — de vingt et une épîtres ou lettres, et d'un livre pro-
phétique, l'Apocalypse.
On peut remarquer, en lisant les Actes des apôtres, que ceux-ci, dans leurs prédications,
s'appuyaient sur les faits, bien connus autour d'eux, de la vie de Jésus. Voyez, par exemple, les cha-
pitres 2, 10 et 13. Il était nécessaire, en effet, que les témoins de cette vie divine sur la terre, la repré-
sentassent aux Juifs pour leur montrer, en les comparant avec les textes de l'Ancien Testament, que
Jésus était bien le Christ promis — et aussi aux gentils, pour leur faire connaître Celui dont ils étaient
les ambassadeurs. Ils prêchaient Christ — Christ humilié et souffrant, Christ mis à mort et ressuscité,
Christ monté au ciel. Dieu d'ailleurs rendait témoignage a leur parole par les miracles de sa puissance;
il leur enseignait par son Esprit ce qu'ils avaient à dire, et ce même Esprit appliquait la parole aux
cœurs et aux consciences des auditeurs (Actes 2:37), qui recevaient cette parole comme étant vraiment
ce qu'elle était — la parole de Dieu (1 Thessaloniciens 2:13).
Mais les apôtres, témoins de la vie de Jésus, ne pouvaient être en tous lieux, ils ne devaient pas
rester sur la terre, et la mémoire de ceux qui avaient été convertis par leur prédication pouvait ne pas
garder fidèlement ce qu'ils avaient entendu de l'histoire et des discours du Sauveur, de manière à le
transmettre exactement à d'autres. Alors Dieu mit au cœur de quelques-uns de ses serviteurs d'écrire
ce qu'il jugeait bon de nous communiquer de la vie et des paroles de son Fils bien-aimé sur la terre.
Ces écrits sont ce que l'on nomme les évangiles, et leurs auteurs sont appelés d'une manière spéciale
les évangélistes. Ce nom d'évangiles donné aux récits de la vie du Seigneur est justifié par le premier
verset de Marc: «Commencement de l'évangile de Jésus Christ, Fils de Dieu.»
Dieu, qui avait conduit Matthieu, Marc, Luc et Jean à écrire les évangiles, ne les abandonna pas à
leurs facultés naturelles, leur mémoire, leur intelligence, leurs recherches, pour accomplir leur tâche.
Il les éclaira et les guida par le Saint Esprit, de manière à les garder de toute erreur dans ce qu'ils
avaient à nous transmettre. Jésus, avant de quitter ses disciples, leur avait dit: «Quand celui-là, l'Esprit
de vérité, sera venu, il vous conduira dans toute la vérité»; et «l'Esprit Saint... vous enseignera toutes
choses et vous rappellera toutes les choses que je vous ai dites.» (Jean 16:13; 14:26.) Nous avons donc
dans ces livres, inspirés de l'Esprit de Dieu, toute la vérité et rien que la vérité.
Bien que les quatre évangiles soient chacun le récit de la vie et des enseignements du Sauveur, et
que l'on y trouve certains faits communs, ils ne se répètent pas, et ils n'ont pas non plus été écrits pour
se compléter les uns les autres. L'Esprit de Dieu a conduit les évangélistes à présenter chacun le Sei-
gneur Jésus sous un caractère spécial. Nous voyons ainsi briller les divers rayons de la gloire de sa
Personne adorable.
Matthieu écrivit son évangile essentiellement en vue des Juifs. C'est pourquoi il présente le Sei-
gneur dans son caractère de Messie, fils de David, fils d'Abraham, Roi des Juifs, répondant aux pro-
messes et aux prophéties qu'il cite souvent. Cela ne rend pas cet évangile moins précieux pour nous;
car nous voyons que le Messie ayant été rejeté par les Juifs, ceux-ci sont mis de côté, et le Seigneur
bâtit son Église composée de ceux qui croient.
Marc, que Pierre nomme son fils (1 Pierre 5:13), écrivit, dit-on, son évangile comme disciple et
interprète de cet apôtre. Son récit est plus bref. En général, il rapporte moins des discours du Seigneur,
et s'attache plutôt à raconter les faits, les miracles, avec beaucoup de détails qui les font ressortir. Il
nous dit ce que Jésus a fait, plus que ce qu'il a dit, et nous le montre ainsi dans son caractère de servi-
teur, «qui a passé de lieu en lieu, faisant du bien», comme Pierre le dit à Corneille (Actes 10:38).
Luc, le compagnon de voyage et d'œuvre de l'apôtre Paul, écrivit son évangile selon ce que Paul
annonçait. Il proclame la grâce qui est pour tous les pécheurs, pour les païens comme pour les Juifs,
pour les publicains et les gens de mauvaise vie comme pour ceux qui se croient justes. On peut le
remarquer en plus d'un endroit. Luc présente donc le Seigneur comme le Fils de l'homme, venu en
grâce, cherchant les pécheurs où qu'ils soient, de toute classe ou nationalité.
Ces trois évangiles furent écrits avant l'an 70, sans que la date précise puisse être indiquée. Mais
Jean écrivit le sien longtemps après, à la fin du premier siècle, quand tous les autres écrits du Nouveau
Testament, sauf les siens, avaient paru, et qu'il survivait seul de tous les apôtres. Beaucoup d'hérésies
touchant la Personne du Seigneur se répandaient, et l'Esprit Saint, pour les combattre, nous présente,
par la plume de Jean, Jésus comme le Fils de Dieu, le Fils unique et éternel, source de vie et de lumière
pour les croyants, venu comme homme sur la terre, marchant au milieu des hommes et manifestant la
grâce et la vérité, le caractère de Dieu, montrant Dieu lui-même, le Père dans sa Personne.
Aux évangiles se joignent les Actes des apôtres, qui racontent la venue de l'Esprit Saint, et, par son
action puissante, la fondation et les commencements de l'Église chrétienne essentiellement par les tra-
vaux de Pierre et de Paul. Ils font suite à l'évangile de Luc qui les écrivit à peu près dans le même
temps, vers l'an 63.
Après les Actes, viennent les vingt et une lettres ou épîtres écrites à différentes époques par Paul,
Jacques, Pierre, Jean et Jude. Elles étaient adressées à des assemblées locales, ou à des individus, et
quelques-unes à l'ensemble des chrétiens. Elles furent composées à l'occasion des besoins divers qui
se manifestaient dans les assemblées et parmi les enfants de Dieu, et l'Esprit de Dieu donna à leurs
auteurs ce qui était nécessaire pour répondre à ces besoins, en instruisant et édifiant les âmes, et en les
mettant en garde contre les faux prophètes et les faux docteurs. C'était aussi la parole de Dieu, et ces
épîtres ont été conservées pour l'instruction de l'Église jusqu'à la fin.
Les premières épîtres furent celles que Paul écrivit aux Thessaloniciens, vers l'an 52. Celles de
Jean, de même que son évangile, furent écrites les dernières, à la fin de la longue vie de l'apôtre. Il en
est de même du livre de l'Apocalypse ou Révélation de Jésus Christ, qui termine le Nouveau Testa-
ment et la Bible, et nous fait connaître l'avenir de l'Église et du monde.
C'est ainsi, en lui donnant sa Parole, que le Seigneur a pourvu à tout ce dont l'Église a besoin
jusqu'au terme de sa course ici-bas. «Il la nourrit et la chérit», est-il dit. C'est pourquoi il donne «les
uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes, les autres comme
pasteurs et docteurs; en vue du perfectionnement des saints, pour l'œuvre du service, pour l'édification
du corps de Christ» (Éphésiens 5:29; 4:11-12). Et ces dons ne s'exerçaient pas seulement par la pré-
dication: les apôtres et prophètes nous ont laissé les écrits inspirés qui composent le Nouveau Testa-
ment.
A mesure qu'un de ces récits paraissait, soit qu'il fût adressé à quelque assemblée ou à un individu,
il était communiqué aux autres assemblées, car les liens qui unissaient alors les chrétiens étaient très
étroits. Du reste, nous voyons que Paul recommandait de le faire: «Je vous adjure par le Seigneur»,
dit-il, «que la lettre soit lue à tous les saints frères.» (1 Thessaloniciens 5:27.) Et aux Colossiens il
écrit: «Quand la lettre aura été lue parmi vous, faites qu'elle soit aussi lue dans l'assemblée des Lao-
dicéens, et vous aussi lisez celle qui viendra de Laodicée.» (Colossiens 4:16.) Les premiers chrétiens
comprenaient bien que ce qui était donné de Dieu par le Saint Esprit à quelques-uns, était pour tous,
pour toute l'Église. Bientôt on fit des copies de ces écrits, afin que chaque assemblée pût les posséder,
mais on gardait avec respect l'original reçu des écrivains sacrés mêmes, comme le fait entendre Ter-
tullien qui vivait à la fin du second siècle et au commencement du troisième: «Parcourez», dit-il, «les
églises apostoliques1... chez lesquelles on fait lire leurs lettres authentiques.» C'est ainsi que se forma,
par les soins de Dieu, le recueil des livres inspirés du Nouveau Testament que l'on trouve déjà, dans

1. C'est-à-dire fondées par les apôtres.


le second siècle, tel que nous l'avons. On peut dire qu'il s'est fait sous les yeux des apôtres, car Jean
mourut au commencement de ce siècle-là, le Seigneur l'ayant laissé si longtemps sur la terre, comme
gardien des vérités divines. On voit aussi, dans un passage de la seconde épître de Pierre, que l'on ras-
semblait déjà alors les écrits apostoliques: «Notre bien-aimé frère Paul... vous a écrit selon la sagesse
qui lui a été donnée... dans toutes ses lettres où il parle de ces choses... que les ignorants et les mal
affermis tordent, comme aussi les autres écritures.» (2 Pierre 3:15-16.)
L'apôtre Pierre met donc les écrits de Paul au nombre des Écritures, par où il entend l'Ancien Tes-
tament. En effet, dans les églises primitives, on plaça immédiatement les écrits du Nouveau Testament
sur le même rang que ceux de l'Ancien, comme inspirés, par le même Esprit. Ils étaient envisagés
comme «oracles de Dieu». On le voit, par exemple, dans la belle épître à Diognète, écrite tout au com-
mencement du second siècle. L'auteur dit: «Alors la crainte de la Loi est exaltée, la grâce des Prophè-
tes est connue, la foi des Évangiles est affermie, l'enseignement des apôtres est gardé, et la grâce de
l'Église triomphe.» De même que dans les synagogues juives on lisait chaque jour de sabbat les Écri-
tures de l'Ancien Testament (voyez Luc 4:16-17; Actes 13:15; 15:21), ainsi, dans les assemblées chré-
tiennes, le premier jour de la semaine on lisait les écrits du Nouveau Testament en même temps que
ceux de l'Ancien. C'est le témoignage que rend Justin martyr: «Le dimanche», dit-il, «les mémoires
des apôtres et les écrits des prophètes sont lus.» On donnait alors au recueil des écrits apostoliques
différents noms; celui du Nouveau Testament prévalut plus tard.
Cette lecture de la parole de Dieu dans les assemblées était bien en harmonie avec l'exhortation de
Paul aux Thessaloniciens. Il y avait donc, dans chaque assemblée, un ou plusieurs lecteurs chargés de
faire la lecture d'une portion des saints écrits. On les nommait «anagnostes», et la lecture elle-même
était «l'anagnose». Ce mot grec se trouve dans le Nouveau Testament, en particulier au chapitre 13
des Actes, vers. 15: «Après l'anagnose ou la lecture de la loi.» C'est sans doute à cette coutume que
se rapporte le passage de l'Apocalypse: «Bienheureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de
la prophétie.» (Apocalypse 1:3.) «Celui qui lit» est l'anagnoste.
A cette époque, où l'imprimerie n'était pas inventée, tous les livres étaient écrits à la main. Les
exemplaires n'étaient pas nombreux et ils coûtaient fort cher. Chacun ne pouvait pas se procurer et
posséder comme aujourd'hui un exemplaire des Saintes Écritures. Mais chaque assemblée, même la
plus pauvre, avait le sien. C'était par ces lectures publiques que les fidèles apprenaient à les connaître.
Et tel était le zèle des auditeurs, telle leur attention, tel le prix qu'ils attachaient à la parole de Dieu,
qu'ils finissaient par en savoir par cœur tous les mots, et reprenaient le lecteur s'il employait une
expression pour une autre. C'est ce que l'on raconte en particulier d'un pauvre aveugle, nommé Jean
de Palestine, qui mourut martyr. On rapporte aussi qu'un évêque ayant changé un mot dans la lecture
qu'il faisait des Écritures, les fidèles exigèrent qu'il reconnût son tort. Quelle grâce pour nous d'avoir
chacun le Saint Livre que nous pouvons lire tous les jours! Mais apprécions-nous ces oracles de Dieu?
Les gardons-nous dans notre mémoire? Les serrons-nous dans notre cœur?
Un autre fait montre la valeur qu'attachaient au Nouveau Testament comme étant la parole de Dieu,
les auteurs chrétiens du second, du troisième et du quatrième siècles. Pour eux, c'étaient les Écritures,
les oracles divins, et soit dans leurs enseignements, soit dans leurs discussions contre les hérétiques
et les incrédules, ils le citaient constamment comme autorité infaillible. Et si nombreuses sont leurs
citations qu'en les réunissant on reconstituerait le Nouveau Testament tout entier, à part quelques ver-
sets. Les hérétiques et les incrédules de ces temps-là le reconnaissaient aussi comme le livre où les
chrétiens puisaient les vérités de leur foi; ils en connaissaient la puissance, car nous avons vu que,
dans la dernière persécution, les ennemis du christianisme firent un effort suprême pour en détruire
toutes les copies et arracher ainsi des mains des chrétiens cette arme redoutable, l'épée de l'Esprit, la
parole de Dieu. Mais cette Parole demeure éternellement. Les cieux et la terre passeront, mais elle
reste. Elle est de Dieu, comment serait-elle détruite? Béni soit Dieu! en dépit de l'ennemi, nous la pos-
sédons, et l'Église la possédera jusqu'à la fin.
Le Nouveau. Testament fut écrit originairement en grec, l'une des langues les plus répandues à
cette époque. Mais de très bonne heure on en fit des traductions en d'autres langages. Les deux plus
anciennes sont la version latine, nommée Itala, qui date du commencement du second siècle, et la ver-
sion en syriaque, langue que parlait le Seigneur et qui était répandue en Orient. Cette version qu'on
appelle la Peshito, semble être plus ancienne encore que l'Itala et dater de la fin du premier siècle. La
version égyptienne est aussi fort ancienne. Plus tard, à mesure que le christianisme s'étendit parmi les
nations barbares, on fit d'autres versions, non seulement du Nouveau Testament, mais de toute la
Bible. Mais c'est de nos jours surtout que le Saint Livre a été traduit, on peut le dire, dans toutes les
langues qui se parlent sur la surface du globe, et que des millions d'exemplaires en ont été répandus
et se répandent. Mais en parler en détail, sortirait de notre sujet. Que le Seigneur nous donne d'appré-
cier réellement ce trésor qu'il a mis entre nos mains — sa Parole!
PROPAGATION DU CHRISTIANISME
L'Évangile se répandit et le christianisme s'établit dans le monde avec une rapidité merveilleuse.
Le Seigneur avait dit: «Le royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde qu'un homme prit
et sema dans son champ: lequel est, il est vrai, plus petit que toutes les semences; mais quand il a pris
sa croissance, il est plus grand que les herbes et devient un arbre.» (Matthieu 13:31-32.) Nous savons,
en effet, quel petit commencement eut l'Église. C'étaient douze hommes pauvres et illettrés, des
pêcheurs et des publicains méprisés, qui annoncèrent d'abord l'Évangile. C'était là la petite semence,
le grain de moutarde. Et combien d'obstacles s'opposaient à eux! D'abord, ils étaient Juifs, d'une race
méprisée et haïe, assujettie au joug des Romains. Ensuite, ce qu'ils annonçaient heurtait tous les sen-
timents naturels du cœur humain. Il fallait se reconnaître pécheur, coupable devant Dieu, sans force
et sans ressource; combien cela soulevait l'orgueil de l'homme! Et le salut, où se trouvait-il? Dans un
homme de cette même nation juive, crucifié entre deux brigands. Il est vrai que les apôtres le présen-
taient comme le Fils de Dieu venu pour racheter par sa mort les pécheurs perdus. Mais c'est là préci-
sément ce qui heurtait là raison des uns, les préjugés des autres. Un Dieu crucifié pour Sauveur!
C'était, dit Paul, un scandale pour les Juifs, une folie pour les nations (1 Corinthiens 1:23-24). Cet
homme crucifié avait été ressuscité d'entre les morts et devait juger le monde, prêchaient encore les
apôtres. En entendant ces paroles, les philosophes et les sages du monde se moquaient (Actes 17:32).
Que demandait l'Évangile de ceux qui l'embrassaient? Le renoncement au monde, à ses convoitises et
à ses plaisirs, la mortification des passions, une vie d'humilité et d'abnégation entière. La propre jus-
tice des Juifs était renversée, l'orgueilleuse raison des sages était annulée, la religion licencieuse des
idoles était ruinée. Le christianisme était tout à fait contraire à tout ce qu'aime et réclame l'homme
naturel. Aussi nous avons vu quelle opposition il rencontra partout et de la part de tous, et quelles san-
glantes et persistantes persécutions il eut à subir, depuis son apparition jusqu'au commencement du
quatrième siècle. En dépit de tout, le grain de moutarde leva, crût, devint un arbre, de sorte qu'au bout
de quarante années, le christianisme s'était répandu au-delà même des bornes du vaste empire romain.
A quoi attribuer ces conquêtes extraordinaires par des instruments si faibles, sinon à la main de
Dieu, à l'action toute puissante de son Esprit? Le Seigneur avait dit à ses disciples: «Vous recevrez de
la puissance, le Saint Esprit venant sur vous; et vous serez mes témoins... jusqu'au bout de la terre.»
(Actes 1:8.) «Eux donc, étant partis, prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux.» (Marc
16:20.) C'est là le secret des résultats surprenants de la prédication des apôtres et de ceux qui les sui-
virent: le Seigneur travaillait avec eux.
Après dix-sept ans de son ministère, Paul, l'apôtre des nations, écrivait aux Romains que le mystère
révélé «a été donné à connaître à toutes les nations» (Romains 16:26). Lui-même avait annoncé
l'Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu'en Illyrie (Romains 15:19). Le Seigneur avait dit à ses
apôtres: «Allez donc, et faites disciples toutes les nations» (Matthieu 28:19, et, en effet, leur voix était
allée par toute la terre (Romains 10:18). Paul en rend témoignage quand il écrit aux Colossiens:
«L'Évangile... est parvenu jusqu'à vous, comme aussi il l'est dans tout le monde,... lequel a été prêché
dans toute la création qui est sous le ciel.» (Colossiens 1:6, 23.). Les témoignages d'écrivains païens,
comme Tacite et Suétone, constatent que vers l'an 64, Rome renfermait une multitude de chrétiens.
Nous avons parlé de la lettre de Pline à l'empereur Trajan, au commencement du second siècle. Il men-
tionne la quantité de personnes de tout âge et de tout rang, qui partout en Bythinie étaient devenues
chrétiennes. Les persécutions, bien loin d'arrêter les progrès de l'Évangile, ne faisaient que les activer.
Les chrétiens remplissaient l'empire, comme le disaient hautement des écrivains chrétiens aux persé-
cuteurs, dans la seconde moitié du deuxième siècle: «Nous sommes en si grand nombre, que si nous
quittions votre état, nous causerions votre ruine... Nous ne sommes que d'hier, et nous avons tout rem-
pli dans votre empire; nous ne vous laissons que vos temples.» C'est Tertullien qui parle ainsi. Il dit
aussi que les peuplades des Goths, les tribus des Maures, toutes les régions des Espagnes, des Gaules,
et même celles de la Bretagne, encore inaccessibles aux Romains, se sont soumises à Christ, comme
aussi les Daces, les Sarmates, les Germains et les Scythes. Il ne faudrait pas croire d'après cela que,
chez tous ces peuples, le paganisme avait cédé la place au christianisme; mais l'Évangile y avait péné-
tré et des âmes l'avaient reçu.
On aimerait à avoir des détails sur les moyens dont se servit Dieu pour faire luire dans toutes ces
contrées la lumière de la vérité; mais l'on n'a à ce sujet que peu de renseignements certains.
Les provinces voisines de l'Asie mineure et de la Syrie, où existaient déjà, du temps de Paul, de
nombreuses assemblées chrétiennes, furent évangélisées de bonne heure. Il faut nous rappeler que,
soit par la persécution, comme en Actes 11:19, soit par d'autres circonstances, les chrétiens étaient
amenés loin des lieux où ils avaient été convertis, et portaient avec eux le trésor de l'Évangile. Des
évangélistes aussi allaient faire connaître le nom de Jésus parmi les nations (3 Jean 5-7). On raconte
qu'Abgare, roi d'Édesse en Mésopotamie, reçut le christianisme par le ministère d'un certain Thaddée,
vers l'an 45. De là, l'Évangile, dès le second siècle, se répandit en Arménie. Mais ce n'est que dans le
troisième siècle que le roi d'Arménie, Tiridate, fut amené à la foi chrétienne. Dieu se servit pour cela
d'un nommé Grégoire l'illuminateur, qui était le fils d'un prince parthe et avait été converti au chris-
tianisme. La conversion de Tiridate entraîna celle de presque tout le peuple. De nombreuses écoles
furent établies, et là les enfants furent instruits dans la doctrine du Christ.
Un peu plus tard, l'Évangile pénétra dans l'Ibérie, au nord de l'Arménie et au sud du Caucase. La
manière dont le christianisme y fut introduit, nous montre de quels faibles instruments Dieu se servait
parfois pour répandre la connaissance de Christ.
Une femme chrétienne, nommée Nunia, avait été emmenée captive dans le pays dont nous parlons.
La sainteté de sa vie et la pureté de ses mœurs avaient frappé les habitants de l'endroit où elle vivait.
Le plus jeune fils du roi étant tombé malade, la reine ordonna à sa nourrice de s'enquérir auprès de
quelques femmes âgées des remèdes par lesquels le mal pourrait être conjuré. Nunia, consultée à son
tour, dit qu'elle n'avait d'autre secours à offrir que ses prières. «Jésus Christ», ajouta-t-elle, «qui a
guéri tant de malades, guérira aussi l'enfant.» Puis elle se mit à genoux et pria le Seigneur qui exauça
sa requête. Le roi voulait récompenser richement la pauvre captive, mais elle refusa, ne désirant autre
chose que la conversion de ses maîtres. Quelque temps après, la reine aussi tomba gravement malade
et dut sa guérison aux prières de Nunia. Jusqu'alors il n'y avait eu aucune conversion à Christ; mais
un jour le roi, étant à la chasse, fut surpris par d'épais brouillards. Séparé de sa suite, il courait les plus
grands dangers. Dans sa détresse, il se souvint du Dieu tout-puissant de Nunia et invoqua son secours,
promettant de le servir s'il était exaucé. Il fut sauvé du péril, et fidèle à sa promesse, il se mit à propa-
ger lui-même la bonne nouvelle parmi son peuple, et fit venir des missionnaires de Rome et d'Arménie
pour l'aider dans cette œuvre.
Des soldats romains faits prisonniers, portèrent sans doute aussi l'Évangile en Perse. Au temps de
l'empereur Constantin, les chrétiens y étaient nombreux. De là, le christianisme se répandit dans
l'Inde, où peut-être il avait déjà pénétré dès le premier siècle, car on rapporte que l'apôtre Thomas y
alla prêcher et y souffrit le martyre.
Si nous passons en Occident, nous savons qu'au temps de Paul, il y avait une nombreuse assemblée
à Rome.. De là, l'Évangile se répandit dans l'Afrique septentrionale où il fit de rapides progrès. On se
rappelle les nombreux martyrs de cette contrée. L'Espagne fut évangélisée à la fois par Rome et par
Carthage. Au second siècle, Tertullien disait que toutes les régions des Espagnes étaient soumises à
Christ, et l'on sait qu'au troisième siècle de nombreuses églises y étaient établies.
Des colonies venues de l'Asie mineure apportèrent le christianisme dans la Gaule méridionale dès
le second siècle. Lyon fut comme le centre de l'activité chrétienne dans cette contrée. Là, ainsi qu'à
Vienne, il y eut ainsi que nous l'avons vu, un grand nombre de martyrs qui donnèrent leur vie pour
Jésus Christ. La Gaule septentrionale fut évangélisée plus tard.
Les Îles Britanniques reçurent l'Évangile dès le premier siècle, soit par des otages bretons convertis
à Rome et rentrés dans leurs pays, soit par des soldats chrétiens qui se trouvaient dans les légions, soit
enfin par des évangélistes venus de l'Asie mineure. Les chrétiens de ces contrées eurent aussi leur part
dans les persécutions, et surtout dans la dernière. Là comme ailleurs, les exemplaires des Saintes Écri-
tures furent brûlés, les pasteurs des troupeaux furent mis à mort, et beaucoup de simples, fidèles per-
dirent la vie.
Un des pasteurs, nommé Amphibalus, ayant réussi à échapper aux persécuteurs, avait trouvé un
refuge à Vérulam1, chez un païen nommé Alban, ancien soldat romain. Le Seigneur récompensa la
charité d'Alban envers son serviteur. Amphibalus lui enseigna la vérité chrétienne, et Dieu la fit péné-

1. Vérulam était au nord de St-Alban, à environ 30 kilomètres nord-ouest de Londres.


trer dans son âme. Recherché par les persécuteurs, Amphibalus fut forcé de quitter sa retraite. Afin
qu'on ne le reconnût pas, Alban lui fit mettre ses habits, et ainsi il échappa. Mais la chose fut décou-
verte, et le nouveau converti fut saisi. On lui laissa le choix ou de sacrifier aux dieux, ou de subir le
sort destiné à celui qu'il avait fait échapper. Alban refusa de sacrifier. Il fut d'abord frappé de verges,
puis décapité.
C'est ainsi que l'activité de la foi avait répandu partout la connaissance de Christ, en dépit de toutes
les oppositions. Au commencement du IVe siècle, le grain de moutarde était devenu un arbre qui éten-
dait ses branches au-delà des limites de l'empire romain. Le paganisme et ses abominations tendait à
disparaître devant le christianisme.
Mais ce qui est triste à ajouter, c'est qu'à mesure que l'Église grandissait sur la terre, elle s'écartait
de sa pureté primitive relativement à la doctrine et à la vie. L'apôtre Paul compare l'Église, quant à
son développement extérieur, à un édifice que des ouvriers travaillent à élever. Il y a de bons et de
mauvais ouvriers qui emploient de bons ou de mauvais matériaux. «J'ai posé le fondement», dit Paul,
et «personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui est posé, lequel est Jésus Christ. Or si
quelqu'un édifie sur ce fondement de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, du
chaume, l'ouvrage de chacun sera rendu manifeste... quel est l'ouvrage de chacun, le feu l'éprouvera.»
(1 Corinthiens 3:10-13). L'Église chrétienne tire son nom de Jésus Christ, le fondement qui a été posé
et qui demeure. Mais de mauvais matériaux pour l'édifier y furent de plus en plus introduits, et c'est
ainsi qu'elle s'accrut. Ces mauvais matériaux étaient, comme nous le verrons, soit des personnes qui
n'étaient pas réellement converties, soit des doctrines, des ordonnances et des règlements humains. En
même temps eut lieu ce que le Seigneur montre par la parabole «du levain qu'une femme prit» et cacha
dans la pâte pure formée de trois mesures de farine. Le levain pénétra toute la pâte (Matthieu 13:33).
Or le levain représente toujours une chose mauvaise, le péché ou la mauvaise doctrine (1 Corinthiens
5:6-7; Matthieu 16: 6, 11, 12 Galates 5:8-9). Et c'est ce qui arriva dans l'Église le levain des mauvaises
doctrines s'étendit partout en elle.
LE CULTE CHEZ LES CHRÉTIENS DURANT L'ÈRE DES PERSÉCUTIONS
Dans ce qui précède, nous avons surtout parlé du témoignage rendu par les chrétiens devant un
monde qui les persécutait. Pour terminer ce qui se rapporte à cette époque de souffrances, nous dirons
quelque chose du culte, de la discipline, et enfin du gouvernement de l'Église.
Les écrivains anciens donnent peu de détails sur la manière dont avaient lieu les réunions des chré-
tiens, dans ce temps où ils étaient obliger de se cacher de leurs persécuteurs. Dans la lettre de Pline à
Trajan, nous avons quelques mots sur ce sujet. Justin martyr, dans sa première apologie adressée à
l'empereur Antonin, vers l'an 140, décrit plus longuement la manière dont les chrétiens rendaient leur
culte au Seigneur.
«Au jour appelé du soleil» (le dimanche), dit Justin, «tous ceux qui habitent dans les villes et dans
les campagnes, se réunissent en un même lieu. Alors on lit, aussi longuement que le temps le permet,
les mémoires des apôtres ou les écrits des prophètes. Ensuite, quand le lecteur a fini son office, celui
qui préside fait une allocution pour l'instruction de l'assemblée et pour l'exhorter à suivre ces nobles
exemples. Après cela, nous nous levons tous et nous prions. Notre prière étant terminée, on apporte
du pain et du vin mélangé d'eau, et celui qui préside offre, selon sa capacité, des prières et des actions
de grâces auxquelles l'assemblée répond en disant: Amen. Le pain et le vin pour lesquels on a rendu
grâces, sont ensuite distribués; chacun y participe et une portion en est portée par les diacres à ceux
qui sont absents. Puis on fait une collecte; ceux qui le peuvent et ont bonne volonté donnent chacun
ce qu'il trouve convenable, et on en remet le produit à celui qui préside. Il en assiste les orphelins et
les veuves, ceux qui, par maladie ou autres causes, sont dans le besoin, les prisonniers et les étrangers
qui se trouvent parmi nous, en un mot, il prend soin de tous ceux qui se trouvent dans quelque néces-
sité.»
«Nous nous rassemblons le jour du soleil», continue Justin, «parce que c'est le premier jour où
Dieu, ayant opéré un changement dans les ténèbres et la matière, a fait le monde; et parce qu'en ce
même jour, Jésus Christ, notre Sauveur, ressuscita d'entre les morts. Car il fut crucifié le jour avant
celui de Saturne (le samedi), et le jour qui suit celui-ci, c'est-à-dire le jour du soleil1, il apparut à ses
apôtres et à ses disciples, et leur donna ses enseignements.»
Voici encore ce qu'il dit touchant la Cène du Seigneur: «Nous appelons ce repas eucharistie
(actions de grâces), et nul n'est admis à y participer, s'il n'a reçu comme vraies les choses que nous
enseignons, s'il n'a été lavé du lavage qui est pour la rémission des péchés et pour la régénération, et
s'il ne vit comme Christ l'a ordonné... Les apôtres, dans les mémoires qu'ils ont écrits et que l'on
nomme les évangiles, nous ont transmis ce qui leur fut ordonné, savoir que Jésus prit du pain et
qu'ayant rendu grâces, il dit: «Faites ceci en mémoire de moi», et que de même, ayant pris la coupe et
rendu grâces, il dit: «Ceci est mon sang», et il la leur donna.»
Nous voyons donc qu'au temps de Justin, dans le second siècle, le culte avait conservé toute la sim-
plicité avec laquelle nous le voyons célébré chez les premiers chrétiens d'après les Actes et les épîtres.
On se réunissait le premier jour de la semaine, et la Cène du Seigneur, la fraction du pain, était le grand

1. Justin désigne les jours de cette manière, afin d'être compris de l'empereur. Chaque jour de la semaine était consacré à
une divinité.
but du rassemblement, la partie principale et le centre du culte, comme aux jours de Paul (Actes 20:7).
Elle se célébrait suivant l'institution même du Seigneur Jésus.
Dans ces assemblées, la lecture de la parole de Dieu avait une grande place. On tenait compte des
oracles de Dieu et des exhortations faites par les apôtres relativement à ces écrits inspirés (2 Timothée
3:16; 2 Pierre 3:1-2). A cette lecture se joignaient l'enseignement et l'exhortation adressés à l'assem-
blée par celui qui y était appelé. C'est ainsi que nous voyons Paul «faire un discours» aux disciples
assemblés pour rompre le pain, et que nous trouvons dans l'assemblée de Corinthe des «docteurs»
pour enseigner, et d'autres qui parlaient pour édifier, exhorter et consoler (1 Corinthiens 12:28; 14:3-
4). L'apôtre recommandait que «le surveillant» fût «propre à enseigner» (1 Timothée 3:2).
Une collecte était faite pour ceux qui étaient dans le besoin. Chose touchante, fruit de l'amour, et
qui est bien selon la pensée du Seigneur, qui a dit: «Vous avez toujours les pauvres avec vous, et
quand vous voudrez, vous pourrez leur faire du bien.» (Marc 14:7.) Nous lisons encore: «Que chaque
premier jour de la semaine chacun de vous mette à part chez lui» (1 Corinthiens 16:2), et encore:
«Subvenant aux nécessités des saints.» (Romains 12:13.) Quantité d'autres passages des Actes et des
épîtres nous montrent ces tendres soins exercés envers les pauvres, les malades, les prisonniers, et qui
continuèrent à se montrer dans l'Église.
Ainsi, en toutes ces choses, l'Église était restée fidèle aux enseignements des apôtres et aux exem-
ples donnés par les assemblées de leur temps. Mais, dans ce que dit Justin, nous avons pu remarquer
deux choses qui n'ont pas de fondement dans le Nouveau Testament. La première est la coutume de
porter la Cène à ceux qui étaient absents. Dans l'épître aux Corinthiens, nous voyons que la Cène se
célébrait quand les fidèles étaient réunis «ensemble» (1 Corinthiens 11:20), et il n'y est pas question
des absents. La seconde chose est le mélange de l'eau avec le vin de la Cène. Quelle que soit la pensée
qui a donné lieu à cette pratique, rien dans l'Écriture ne l'autorise. On voit là cette fâcheuse tendance
de nos cœurs à vouloir ajouter à ce que Dieu a établi, comme si nous pouvions perfectionner son
ouvrage. Cela a été la source de toutes sortes d'abus et de maux dans l'Église.
D'autres coutumes et pensées humaines furent introduites parmi les chrétiens, sans qu'elles eussent
la sanction de l'Écriture, et même en opposition avec son enseignement. Ainsi Justin parle autre part
du pain et du vin de la Cène comme s'ils étaient vraiment changés dans le corps et le sang du Seigneur,
au lieu d'en être simplement les signes. Une autre pensée inexacte est celle que l'eucharistie conférait
en quelque sorte la grâce et l'assurance du pardon des péchés. Sans doute que s'approcher de la table
du Seigneur, participer à ce repas qui nous rappelle son amour, annoncer sa mort jusqu'à ce qu'il
vienne, cet une grâce précieuse, une bénédiction très grande. Mais à qui appartient ce privilège? Aux
rachetés du Seigneur, membres de son corps, qui jouissent déjà du pardon de leurs péchés et de l'assu-
rance du salut. On vient à la table du Seigneur, non pour recevoir ces grâces, mais parce qu'on les pos-
sède, et on vient là pour l'en bénir.
On avait une grande vénération pour les martyrs, et on le comprend. Ils avaient donné leur vie pour
le Seigneur. Mais on en vint à les honorer après leur mort par des cérémonies spéciales. On se rassem-
blait le jour anniversaire de leur mort sur leurs — tombeaux; on y célébrait la Cène; on priait même
pour eux, et plus tard, on se figura qu'on pouvait s'adresser à eux comme à des intercesseurs auprès
de Dieu. Ces superstitions s'introduisirent de bonne heure. Tertullien, à la fin du second siècle, en par-
lant contre les secondes noces, dit que la première femme a été «déjà reçue en la présence du Seigneur,
elle pour l'esprit de laquelle tu fais des requêtes, pour qui tu offres des oblations annuelles.» Autre
part, il parle d'intercession pour les morts, ainsi que le fait aussi Cyprien.
Une autre coutume s'est aussi introduite de très bonne heure, c'est le signe de la croix. Justin dit:
«Le signe de là croix est sur notre front et sur notre cœur. Sur notre front, afin que nous puissions tou-
jours confesser Christ; sur nos cœurs, afin que nous l'aimions toujours; sur notre bras, afin que nous
agissions toujours pour Lui.» Tertullien, à son tour, nous apprend ceci: «Dans toutes nos allées et nos
venues, dans nos voyages et tous nos mouvements, en mettant nos chaussures, au bain, à table, en allu-
mant nos lumières, en nous couchant, en nous asseyant, à quelque occupation que nous vaquions, nous
faisons le signe de la croix.» Il le recommande encore pour se garantir de la piqûre des scorpions. Les
fidèles le faisaient aussi en entrant aux réunions et en en sortant. C'est ainsi que se frayait peu à peu
le chemin des superstitions et des coutumes anti-bibliques, du papisme. C'est l'homme qui veut ajouter
ses règles et cérémonies extérieures à ce que la parole de Dieu demande de son cœur.
Le signe de la croix fait, comme Tertullien le dit, en toute circonstance, devait montrer qu'en tout
nous avons à nous souvenir de Jésus Christ; mais il devint une pratique simplement machinale. Ce
que Christ demande, c'est le cœur, et voici à ce sujet une recommandation bien importante de l'apôtre
Paul: «Quelque chose que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus.»
(Col. 3:17.) Voilà à quoi nous appelle la parole de Dieu, et non à une vaine cérémonie dont elle ne
parle pas, et que l'on accomplit sans que le cœur y soit. C'est notre cœur que veut Jésus, et quand notre
cœur est à Lui, notre vie lui sera consacrée et lui rendra témoignage. Ce n'est pas par le signe de la
croix, ce n'est pas par des vêtements ou des coiffures spéciales, ni par aucun emblème ou signe exté-
rieur, que nous sommes appelés à le glorifier. Tout cela n'est que commandements d'hommes; il faut
nous en garder, quelque belle apparence que cela puisse avoir. Le Seigneur a dit: «Que votre lumière
luise ainsi devant les hommes, en sorte qu'ils voient vos bonnes œuvres,» et non pas votre apparence
extérieure, et Pierre nous exhorte à annoncer «les vertus de celui qui nous a appelés des ténèbres à sa
merveilleuse lumière.» (Matthieu 5:16; 1 Pierre 2:9.)
COMMENT ON ÉTAIT REÇU AU NOMBRE DES FIDÈLES
Avant de nous occuper de cette question, nous dirons un mot des lieux où se réunissaient les chré-
tiens aux premiers temps. Dans les Actes et les épîtres, nous voyons que c'était dans quelque chambre
haute, dans des maisons particulières, comme dans «l'école d'un nommé Tyrannus», ou chez quelque
chrétien, heureux d'avoir l'assemblée dans sa maison. (Actes 20:8; 19:9; Romains 16:5; Colossiens
4:15; Philémon 2.) Ils n'élevaient point d'édifices qui auraient attiré sur eux l'attention; ils savaient
d'ailleurs qu'il n'y a plus de temple sur la terre, plus de monument qui puisse être appelé «la maison
de Dieu». La maison de Dieu était spirituelle, composée de tons les vrais croyants., On y adorait Dieu
en esprit et en vérité., Partout, quel que fût l'endroit où deux on trois étaient réunis au nom de Jésus,
le Seigneur se trouvait au milieu d'eux; là était la maison de Dieu, et il en est de même maintenant. (1
Pierre 2:5; Jean 4:21, 23, 24; Matthieu 18:20.) A Rome, objets de haine, poursuivis et réduits à se
cacher pour servir Dieu, ils se réunissaient dans les catacombes où ils enterraient aussi leurs morts.
Cet état de choses dura un certain temps, mais plus tard, comme nous l'avons dit, dans les intervalles
de paix que laissaient les persécutions, les chrétiens élevèrent des lieux de culte publics que l'on
nomma basiliques. Elles se composaient d'une nef et d'un chœur où se trouvait la table de communion
que l'on nomma bientôt autel. Les simples fidèles se tenaient dans la nef; le chœur était réservé aux
membres du clergé; ceux qui n'avaient point encore été baptisés et qui désiraient l'être, restaient en
dehors dans un endroit nommé le parvis. On voit là combien l'on tendait à s'écarter de plus en plus de
la simplicité de la parole de Dieu, où nous ne trouvons rien de semblable. Les formes usitées pour le
baptême des néophytes1, nous le montrera aussi.
Dans ces temps où se déclarer chrétien était s'exposer au mépris général, à la perte de ses biens et
souvent de sa vie, nous pouvons penser que, dans la plupart des cas, il y avait une conviction profonde
de la vérité du christianisme et une œuvre de Dieu dans les cœurs. Il est cependant remarquable que,
lorsqu'il s'agit de personnes désirant se joindre aux chrétiens, les auteurs anciens parlent très peu de
la «conversion» et de la «foi», la foi qui sauve et justifie, ainsi que nous la voyons partout mentionnée
dans le Nouveau Testament comme une chose absolument nécessaire. «Crois au Seigneur Jésus, et tu
seras sauvé,» dit Paul au geôlier. «Vous êtes sauvés par la grâce, par la toi,» écrit-il aux Éphésiens. Et
aux Romains: «Ayant donc été justifiés sur le principe de la foi.» (Actes 16:31; Éphésiens 2:8;
Romains 5:1.) Au lieu de cela, il est question de la régénération et toujours en rapport avec le baptême,
parce que l'on prenait les paroles du Seigneur: «Si quelqu'un n'est né d'eau et de l'Esprit,» comme dési-
gnant cet acte, et qu'ainsi l'on croyait qu'on était «né de nouveau» quand on avait été baptisé. On pen-
sait que le baptême purifiait de tous les péchés. Aussi plusieurs de ceux qui s'étaient déclarés
chrétiens, comme l'empereur Constantin, par exemple, ne se faisaient-ils baptiser que sur leur lit de
mort, afin de n'être pas exposés à commettre des péchés après leur baptême. Combien l'on avait oublié
les précieuses vérités de la Parole qui nous dit que, non par le baptême, mais «le sang de Jésus Christ...
nous purifie de tout péché.» (1 Jean 1:7.)
Qu'est-ce donc que le baptême? Il est le signe de notre mort avec Christ, comme l'explique l'apôtre
Paul en Romains 6:3-4, afin que nous marchions en nouveauté de vie. On l'administre comme signe

1. On nommait ainsi les nouveaux convertis qui désiraient être joints à l'assemblée chrétienne. Néophyte veut dire
nouvellement né ou planté.
que celui qui le reçoit entre dans l'Église chrétienne, qui est sur le terrain de la mort et de la résurrec-
tion de Christ. Mais on demandera peut-être aussi: «Que veulent dire les paroles du Seigneur, être né
d'eau et de l'Esprit?» L'eau désigne la parole de Dieu, qui agit dans l'âme par la puissance du Saint
Esprit pour la purifier et produire une vie nouvelle qui nous met en relation avec Dieu. Lisons avec
soin les passages qui montrent clairement ce que nous venons de dire — «En la purifiant (l'Église) par
le lavage d'eau par la parole.» (Éphésiens 5:26.) Par parole explique ce que veut dire l'eau. «Il nous a
engendrés par la parole de la vérité» (Jacques 1:18), et vous avez été «régénérés... par la vivante et
permanente parole de Dieu» (1 Pierre 1:23); ces passages nous font bien voir que ce n'est pas l'eau du
baptême qui lave et régénère, mais que c'est l'action de la parole de Dieu.
Maintenant, voyons ce qui avait lieu avant la réception du baptême et comment cet acte s'accom-
plissait. On commençait par s'informer si celui qui désirait être baptisé avait une conduite recomman-
dable. Dans ce cas, il devait avant tout recevoir une instruction qui durait un an ou plus. Cet
enseignement comprenait d'abord toute l'histoire sacrée depuis la création, et les récits des évangiles.
Ensuite, on traitait les sujets qui se rapportent à Dieu le Père, à Christ, au Saint Esprit, au corps et à
l'âme, et au jugement à venir. Pendant que durait l'instruction celui qui la recevait portait le nom de
catéchumène. Il était bien considéré comme chrétien, mais ne portait pas le nom de fidèle, réservé à
ceux qui avaient reçu le baptême,
Les catéchumènes n'assistaient qu'à la première partie du service des chrétiens, c'est-à-dire à la lec-
ture des Écritures et à l'exhortation. Cela terminé, un diacre les invitait à se retirer. Les fidèles seuls
restaient pour le culte et la célébration de la Cène.
On choisissait pour baptiser le temps compris entre les fêtes de Pâques et de la Pentecôte1. Pendant
quarante jours, les catéchumènes se préparaient par le jeûne et la prière à recevoir le baptême. On leur
faisait apprendre alors la confession de foi et l'oraison dominicale, et on les instruisait touchant la
nature des sacrements et la discipline de l'Église. Le baptême était administré à minuit par l'évêque ou
par un ancien, à la lueur des torches. Les femmes étaient séparées des hommes par des rideaux. Le
catéchumène, tourné vers l'ouest, étendait la main et, disait: «je renonce à toi, Satan, à toutes tes
œuvres, à toutes tes pompes et à tout ton service.» Puis se tournant vers l'est, il répétait la formule de
foi: «Je crois au Père, au Fils et à l'Esprit Saint.» On l'oignait alors d'huile et l'évêque le conduisait
vers la piscine où il était plongé trois fois après avoir répété la confession de foi. Il était ensuite de
nouveau oint d'huile et revêtu d'une robe blanche, symbole de la pureté de son âme après avoir été
régénéré par le baptême. Il recevait le baiser de paix et on lui présentait un peu de miel et de lait. Alors,
pour la première fois, il disait l'oraison dominicale. Il était compté parmi les fidèles et pouvait parti-
ciper à la Cène. Dans les temps de persécution, on abrégeait souvent la durée du catéchuménat, et on
donnait le baptême à ceux qui avaient confessé Christ.
Tout ce cérémonial montre combien la simplicité évangélique s'était altérée et était remplacée par
des formes dont nous ne trouvons aucune trace dans le Nouveau Testament. Que l'on compare avec
ce que nous venons de dire des récits des Actes des apôtres où il est question de baptême. Ceux qui
ont entendu la prédication de Pierre et qui ont cru, sont baptisés et ajoutés à l'assemblée. (Actes 2:41.)

1. Déjà parmi les chrétiens s'était introduit l'usage de célébrer des fêtes à certains jours fixés. Mais rien, dans le Nouveau
Testament, n'autorise cette coutume. Les Juifs avaient les fêtes établies par la loi de Moïse — les fêtes de l'Éternel. Mais
tout cela a été aboli par la venue de Christ. C'était une ombre des choses à venir. (Colossiens 2:16-17.)
Il en est de même à Samarie. (8:12.) L'officier de la reine Candace reçoit la parole du Seigneur, des-
cend de son char et est baptisé sur la route déserte. (8:36-38). Mais surtout lisons ce qui a lieu quand
le geôlier à Philippes eut été converti. (Actes 16:28-34.) Il avait demandé, dans l'angoisse de son âme:
«Que faut-il que je fasse pour être sauvé?» Et Paul et Silas lui avaient dit: «Crois au Seigneur Jésus,
et tu seras sauvé, toi et ta maison,» et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur. Et cette même nuit,
dans la prison ou dans sa demeure, il fut baptisé avec tous les siens, après avoir montré, par les tendres
soins qu'il donne aux apôtres, ce que Dieu avait opéré dans son âme. Combien cela est simple. Ce que
le Seigneur demandait, c'était que l'on crût en Lui. On était baptisé, on rompait le pain, on se réjouis-
sait d'avoir cru et d'être sauvé, et le Seigneur avait soin que l'assemblée fût instruite, enseignée, édifiée
par les pasteurs et les docteurs qu'il lui donnait. (Voyez Actes 11:21-26.) Et il en est de même main-
tenant. En général, les parents font baptiser leurs enfants et ils sont tenus de les élever sous la disci-
pline et les avertissements du Seigneur. (Éphésiens 6:4.) Ils ont pour les diriger en cela la parole de
Dieu. Et les enfants et jeunes gens peuvent suivre les réunions où les Écritures sont exposées et expli-
quées par des serviteurs de Dieu. Seulement, ils sont sous la responsabilité d'écouter et de retenir dans
leurs cœurs les choses qu'ils entendent. (Proverbes 3:1; Ésaïe 55:3; Luc 11:28.) Souvent aussi Dieu
met au cœur d'amis chrétiens de s'entretenir plus spécialement de la Parole avec les enfants et les jeu-
nes gens. Et il faut en profiter, en être reconnaissants, et il faut lire soi-même la sainte parole de Dieu,
en Lui demandant de nous la faire comprendre. Mais nulle part, dans cette Parole, nous ne trouverons
qu'il faille un enseignement d'un an ou plus pour pouvoir participer à la Cène du Seigneur. Ce que
Dieu demande, c'est la conversion du cœur et la foi au Seigneur Jésus comme Sauveur, accompagnées
d'une vie sainte par la grâce et la puissance de l'Esprit Saint.
LE GOUVERNEMENT DE L'ÉGLISE
En parlant de l'église de Thyatire, nous avons déjà touché ce sujet. Nous entrerons maintenant dans
quelques détails. Bien des abus et bien des erreurs s'étaient peu à peu glissés dans l'Église, soit dans
ses ordonnances, soit dans le culte et même dans la doctrine. Une autre chose fâcheuse s'était intro-
duite; c'était l'établissement d'un clergé distinct des simples fidèles que l'on nommait les laïques ou le
peuple. Le clergé formait un corps à part composé des évêques, des anciens ou presbytres, des diacres,
et de plusieurs fonctionnaires en sous-ordre, tels que les sous-diacres qui aidaient les diacres, les aco-
lytes qui suivaient l'ancien lorsqu'il portait la cène aux malades, les lecteurs chargés de la lecture et
de la garde des Écritures, les exorcistes qui, dans la cérémonie du baptême, prononçaient les paroles
par lesquelles on pensait, éloigner du néophyte les puissances infernales. Or nous ne trouvons rien de
semblable dans la parole de Dieu.
Nous n'y voyons mentionnées que deux charges dans l'Église: les anciens et les serviteurs ou dia-
cres. A ces derniers appartenaient le soin des pauvres et des veuves, et la distribution des aumônes
aux nécessiteux. (Actes 6:1-6; 1 Timothée 3:8-13.) Il y avait aussi des diaconesses ou servantes,
comme nous le dit ce passage: «Or je vous recommande Phœbé, notre sœur, qui est servante de
l'assemblée qui est à Cenchrée1, afin que vous la receviez dans le Seigneur.» (Romains 16:1.) Quant
aux anciens, ils sont aussi nommés surveillants, qui est la traduction du mot grec «episcopos» d'où
l'on a fait évêque. On n'a qu'à lire ce que Paul dit aux anciens de l'église d'Éphèse: «Prenez donc garde
à vous-mêmes, et à tout le troupeau au milieu duquel l'Esprit Saint vous a établis surveillants pour

1. Cenchrée était le port de la ville de Corinthe. Cette ville est aussi, mentionnée en Actes 18:18.
paître l'assemblée de Dieu.» (Actes 20:28.) Nous voyons par là que, dans une assemblée, il y avait
plusieurs anciens, et que leur charge consistait à veiller sur le troupeau des fidèles afin d'y maintenir
l'ordre, une saine doctrine et une conduite pure. Parmi les anciens, il pouvait y en avoir qui fussent
spécialement doués pour présenter aux âmes la parole de Dieu et pour enseigner la vérité; ceux-là et
ceux qui présidaient dûment, qui s'appliquaient bien au gouvernement de l'assemblée, devaient être
«estimés dignes d'un double honneur», c'est-à-dire particulièrement respectés, dit Paul à Timothée. (1
Timothée 5:17.)
Qui établissait les anciens? La Parole nous montre que c'étaient les apôtres ou quelqu'un, comme
Tite, qui en avait reçu la commission de la part de Paul, un apôtre. (Actes 14:23; Tite 1:5.) Même
quand il s'agit des serviteurs ou diacres, c'est bien l'assemblée qui les présente, mais ce sont les apôtres
qui les établissent. Nous le voyons par ces paroles: «Jetez donc les yeux, frères, sur sept hommes
d'entre vous, qui aient un bon témoignage, pleins de l'Esprit Saint et de sagesse, que nous établirons
sur cette affaire.» (Actes 6:3.) Les anciens et les diacres étaient donc établis par l'autorité apostolique.
Mais il nous faut bien remarquer que l'Écriture ne nous dit pas qu'aucune autorité ait été laissée
pour en établir après les apôtres. Il n'y a pas un mot dans la Parole qui confère aux assemblées cette
autorité. On dit que toute société d'hommes a à sa tête des personnes qu'elle choisit pour la diriger et
l'administrer, et qu'ainsi une église doit se choisir aussi de telles personnes. Mais raisonner ainsi, c'est
faire des assemblées chrétiennes de simples associations d'hommes qui s'établissent des règles à leur
convenance, tandis que ceux qui sont vraiment réunis au nom de Jésus, par l'action et la puissance de
l'Esprit Saint, sont des assemblées de Dieu qui n'ont d'autre règle que la parole de Dieu. Christ est le
Chef de l'Assemblée qu'il aime, qu'il chérit et nourrit (Éphésiens 5:23, 25, 29), c'est à Lui que nous
devons laisser le soin de donner aux assemblées ce qui leur est nécessaire.
Remarquons à ce sujet ce que dit l'apôtre Paul aux anciens de l'assemblée d'Éphèse après les avoir
avertis du mal qui s'introduirait dans l'Église après son départ. Ce n'est pas: «Faites-vous des règle-
ments pour l'élection d'anciens, quand moi et vous, nous ne serons plus là»; mais il dit: «Je vous
recommande à Dieu, et à la parole de sa grâce.» (Actes 20:32.) Voilà donc ce qui restait après les apô-
tres: Dieu et sa Parole. N'était-ce pas tout à fait suffisant? Certainement, et c'est aussi pleinement suf-
fisant pour nous de nos jours.
Si l'on demande: «Mais qui instruira et édifiera dans les assemblées?» la réponse est: «Ceux à qui
Dieu a dispensé quelque don spirituel», comme il est dit dans les épîtres aux Romains et aux Corin-
thiens. (Romains 12:6-8; 1 Corinthiens 14:1-4, 12.) Ensuite nous voyons que le Seigneur Jésus donne
des évangélistes et des pasteurs et docteurs (Éphésiens 4:11, 12); mais ceux-là n'ont pas besoin d'être
établis par des hommes, puisque Jésus les donne et que l'Esprit Saint les qualifie. De plus, ils ne sont
pas pour une assemblée locale, comme l'étaient les anciens et les diacres, mais pour toute l'Église.
Mais on dira peut-être encore. «Qui prendra soin des pauvres et des saints qui sont dans la néces-
sité, qui veillera sur l'ordre dans les assemblées?» Si nous nous attachons à la parole de Dieu et si nous
nous attendons à Lui, soyons sûrs qu'il y pourvoira, en mettant au cœur de quelqu'un ou de quelques-
uns de s'employer pour Lui au service de l'Assemblée. C'est ainsi que, du temps de Paul, la maison de
Stéphanas s'était «vouée au service des saints», et que d'autres coopéraient à l'œuvre du Seigneur et y
travaillaient. (1 Corinthiens 16:15-16.)
On vit bientôt dans l'Église le danger qu'il y a à ne pas rester soumis à la parole de Dieu. Déjà à la
fin du premier siècle, quand l'apôtre Paul était encore là, on voit Diotrèphe s'arroger une place d'auto-
rité dans l'assemblée dont il faisait partie. Il aimait à être le premier et ne recevait pas l'apôtre et ceux
qui lui étaient attachés. (3 Jean 9, 10.) C'était le commencement du clergé, en complète contradiction
avec ce que dit Pierre aux anciens de son temps, de ne pas dominer sur le troupeau, mais d'en être les
modèles. (1 Pierre 5, 2, 3.) Ignace, le martyr, dans ses lettres, attribue à l'évêque, aux anciens et aux
diacres, une place qui n'est nullement celle que leur donne l'Écriture. Nous voyons déjà alors celui qui,
par ses dons, son dévouement ou son activité, se distinguait parmi les anciens d'une église, prendre ou
recevoir le titre d'évêque qui n'est attribué qu'à lui seul. Les anciens sont son conseil ou les exécuteurs
de ses ordres. Il était ainsi le chef de l'église. D'abord choisi par les anciens avec l'approbation de
l'église, il fut plus tard nommé ou consacré par les évêques du voisinage, et alors ce fut lui qui nomma
les anciens que confirmait l'assemblée. Tout un ordre humain s'introduisit ainsi dans l'Église, sans
aucune sanction de l'Écriture. Peu à peu les évêques des localités de la campagne furent subordonnés
à ceux des villes et n'eurent plus que le nom de presbytres. On forma ainsi des diocèses ou circons-
criptions qui avaient à leur tête l'évêque, celui-ci ayant sous son autorité les églises de cette circons-
cription.
Au commencement, les évêques et les autres fonctionnaires des églises étaient simples dans leurs
mœurs, travaillant souvent de leurs mains pour leur subsistance et ne recherchant pas le gain. Ils obéis-
saient ainsi aux exhortations des apôtres Pierre et Paul. (1 Pierre 5:2; 1 Timothée 3:3.) On pourvoyait
aux besoins de ceux qui n'avaient point de ressources au moyen de dons volontaires, ou de dîmes,
comme chez les Juifs. Dans les campagnes et les villes peu importantes, cette simplicité se conserva
longtemps. Mais dans les grandes villes les dons étaient abondants, et les évêques et les hauts fonc-
tionnaires qui en avaient la plus large part, commencèrent à vivre dans le luxe. Déjà Cyprien, évêque
de Carthage, déplorait cette tendance. Au VIe siècle, les choses étaient venues au point qu'un auteur
de ce temps, Ammien Marcellin1, écrivait à propos des évêques de Rome: «Il ne faut pas s'étonner de
voir ceux qui ambitionnent la grandeur humaine, lutter avec tant d'ardeur pour obtenir cette — dignité
(celle d'évêque). Le candidat préféré est enrichi par les offrandes des matrones (les dames romaines);
ils peuvent alors déployer un grand faste, se faire traîner sur des chars magnifiques, vêtus de riches
habits, et la somptuosité de leurs festins dépasse celle des tables royales. Ils seraient plus révérés si,
au lieu d'étaler leurs vices, ils ressemblaient aux évêques de province, sobres, simples et modestes.»
C'était cette gloire et cette puissance mondaines des évêques de Rome qui faisaient dire à un païen.
«Faites-moi évêque de Rome, et je me fais chrétien.»
Voilà, hélas! où en venaient peu à peu ceux qui auraient dû être les modèles des troupeaux. Com-
bien peu ils ressemblaient à cet humble Jésus qui n'avait pas un lieu où reposer sa tête et dont, cepen-
dant, ils professaient être les disciples! Combien peu ils marchaient sur les traces de Paul, le faiseur
de tentes! Ce sont bien eux qui sont représentés par ce serviteur dont parle le Seigneur et qui disait
dans son cœur: «Mon maître tarde à venir,» et qui se mettait à battre les serviteurs et les servantes, et
à manger, et à boire, et à s'enivrer. (Luc 12:45.) Ce mal, une fois introduit, ne fit que s'accroître dans
la période suivante de l'histoire de l'Église. Toutefois il ne faut pas oublier que ce n'étaient encore que

1. Sans être païen, il ne professait pas le christianisme. Il écrivit une histoire de Rome qui allait de l'empereur Nerva à
Valens, mais dont le commencement est perdu. Le reste comprend l'histoire de l'empereur Julien et de ses successeurs.
des cas isolés, et qu'il y avait bien des évêques dévoués à leurs troupeaux et qui montrèrent un grand
courage dans les persécutions.

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