Vous êtes sur la page 1sur 47

1

Introduction au Droit Canonique

Chapitre premier : Quelques notions de grande importance

Signification des termes


Diritto (italien), recht (allemand),derecho (espagnol), direito (portugais) prawo
(polonais) right law (anglais), ius (latin). Les Romains utilisent diverses expressions ius suum
cuique tribuere (reconnaitre à chacun son droit), ius civitatis (droit de citoyenneté), ius fundi,
vinculum iuris (le lien de droit).
Canon : vient du grec et signifie roseau. Dans l’antiquité, le roseau symbolisant
l’austérité, signifie règle, ou « règle de droit ». Gratien appelle « canons » les lois
ecclésiastiques
En latin deux mots étaient employés pour désigner la loi Lex et ius
La Lex s’entend d’une loi individuelle, particulière. De sa forme plurielle, Leges nous tenons
l’étymologie des mots législateur et législation.
Le ius par contre, s’entend de tout système de droit ou du sujet de la loi dans
l’abstrait.
De ius nous tenons l’étymologie de justice et jurisprudence.
Lorsque l’Eglise parle du droit canonique, elle se réfère à cette notion du ius. Ainsi le
Code de Droit canonique s’appelle en latin Codex Iuris Canonici (cf. AAS 75 [1983]). Ainsi le
Code de Droit Canonique est formé des canons (règles). Sa caractéristique fondamentale : de
constituer un corps organique avec valeur normative. Sa langue officielle est le. LATIN (la
traduction a pour but d’aider l compréhension du texte original. Elle n’a pas valeur officielle).
Le Code de 1983 est constitué de 1752 canons en 7 livres ;
- Livre I : les normes générales (règles fondamentales du système juridique de l’Eglise
- Livre II : Le peuple de Dieu (Le droit constitutionnel de l’Eglise : le comportement= de
l’Eglise
- Livre III : Munus docendi (La fonction d’enseignement de l’Eglise)
- Livre IV : Munus sanctificandi (la fonction de sanctification)
- Livre V : Les biens temporels.
- Livre VI : les sanctions dans l’Eglise (pénal) décrit les réactions de l’Eglise aux
comportements des délinquants.
- Livre VII : Les procès (droit processuel).

Définition et autres appellations


L’ensemble des lois proposées, élaborées ou approuvées par l’autorité
compétente dans l’Eglise, en vue d’assurer le bon ordre de la société ecclésiastique et
de diriger l’activité des fidèles vers la double fin que l’Eglise poursuit : le bien de la
communauté catholique et le bonheur éternel (R. NAZ).
Il y a lieu de distinguer trois sortes d’éléments dans le concept du droit
canonique :
2

1°. Les uns viennent de Dieu : ce sont les prescriptions du droit divin, naturel ou
positif. L’Eglise ne fait et ne peut que les proposer à l’observation des fidèles. N.B. Les
principes du droit divin qui ne sont pas proposés par l’Eglise conservent leur valeur
propre et autonome mais ne font pas partie intégrante du droit canonique.
2°. D’autres ensembles de droit canonique sont élaborés par les chefs de l’Eglise en
vertu du pouvoir législatif qu’ils tiennent de Jésus christ et qui leur est indispensable pour
maintenir l’ordre dans la société catholique.
3°D’autres enfin ne sont qu’approuvés, ayant été emprunté aux lois naturelles puis
adoptés et sanctionnés dans l’Eglise.
D’autres appellations :ius sacrum et religium ; ius pontificiu ;, ius divinum ; ius
decretalium

Dans le droit canonique se distinguent :


a. Le droit divin : c’est l’ensemble des facteurs qui ont Dieu comme Auteur, autour
desquels doit se développer l’organisation ecclésiastique
1) Le droit divin naturel, l’ensemble des règles d’action que l’homme trouve dans sa
raison. Cicéron le définit : Non scripta sed nata lex.
2) Le droit divin positif : est celui que Dieu a fait connaître par le moyen de la
Révélation. Il se trouve dans l’Ecriture Sainte et dans la Tradition (l’ensemble de
facteurs et normes juridiques qui concernent l’élévation de l’homme à l’ordre
surnaturel.

b. Le droit de l’Eglise : ensemble des facteurs et normes juridiques qui donnent à l’Eglise
la structure d’une société juridiquement organisée.
Le droit canonique est l’harmonique union des éléments divins et éléments humains. En lui,
se reflète le mystère de l’Eglise. (LG 8a).
Le droit divin constitue le fondement du droit canonique. La vérité fréquemment répétée
que les Saintes Ecritures constituent avec la Sainte Tradition la règle suprême de la foi
catholique de l’Eglise (Dei Verbum, n. 21) cela vaut aussi pour le droit de l’Eglise.

La loi canonique doit avoir une intrinsèque spécifique rationalité ; c-à-d doit être, lecture,
interprétation et application du plan de Dieu sur l’Eglise. C’est en d’autres termes, ordinatio
rationis et ordinatio fidei en vue de la communion ecclésiale.

Spécificité et caractéristique de droit canonique.

Relativement à sa portée d’application territoriale, on distingue :


- Le droit universel et général et commun, applicable dans le monde entier
- Le droit particulier qui ne s’applique que sur certains territoires ou à certaines
collectivités.
3

Quant à sa portée d’application personnelle, le droit canonique est général s’il oblige tous
les fidèles et spécial s’il concerne seulement quelques catégories. En fonction du but
poursuivi on le nomme droit public, l’ensemble des lois qui s’efforcent de pourvoir au
bien commun de l’Eglise et droit privé l’ensemble des lois qui tendent à assurer le bien
particulier des fidèles, et seulement de façon indirecte le bien commun.

CHAPITRE I

Le développement des sources ecclésiales

L’histoire du droit canonique est extrêmement importante parce que ce droit s’est
constitué au long de vingt siècles qui représentent le temps de la vie de l’Eglise. Le Code
actuel peut être relu comme la résultante de cette histoire, et il est possible de repérer les
différences couches de sédimentation qui le constituent. D’ailleurs les Eglises d’Orient
demeurent fidèlement attachées à ces antiques références comme à autant de sources
vivantes.

Ci-après, on présentera les principales sources du droit canonique, en n’hésitant pas


à les assortir de quelques citations qui montrent une Eglise en train de se structurer.

§ 1. La Tradition des Pères

Etymologiquement, traditio signifie transmission. Elle a même un sens juridique


précis en droit romain, exprimant la remise de la chose lors du contrat de vente. En ce sens,
la Tradition est une chaîne qui transmet l’Ecriture et la porte aux générations suivantes (Dei
Verbum 9).

Les premiers tenants de la Tradition, ses initiateurs sont les Pères de l’Eglise que l’on
a coutume de définir à partir de quatre critères :

- l’ancienneté : les Pères sont aux origines de l’Eglise, dans la continuité des apôtres ;
- l’orthodoxie de la doctrine qui doit être en conformité avec l’Ecriture ;
- la sainteté de vie qui vient la confirmer ;
- l’appropriation de l’Eglise.

Nous retiendrons seulement quelques Pères, comme autant de grands témoins qui
ont apporté des éléments importants à l’organisation de l’Eglise, à son fonctionnement donc
à sa vie juridique.

A. Clément de Rome

Clément fut évêque de Rome entre 92 et 101. Il fait partie des Pères apostoliques qui
ont directement connu les apôtres. En 95 ou 96, l’évêque de Rome a envoyé une lettre à
l’Eglise de Corinthe qui s’était soulevée contre ses presbytres. L’épître ne dit pas qui a
4

sollicité le siège de Rome. Il peut s’agir des presbytres renversés : on serait alors en face du
premier recours au Siège romain. Ou bien il peut s’agir d’un scandale résonnant
publiquement de Corinthe jusqu’à Rome et dont Clément se serait personnellement saisi :
pareille intervention motu proprio serait tout à fit remarquable et montrerait que l’Eglise de
Rome, dès la fin du premier siècle, se faisait déjà un devoir d’intervenir dans les affaires
d’une autre Eglise en difficulté. Dans l’une ou l’autre hypothèse, le Pontife montre la haute
conscience qu’il a de sa mission.

La lettre est fort longue qui invite à pratiquer les vertus de concorde et indique les
remèdes propres à rendre la paix à l’Eglise de Corinthe. L’unité de l’Eglise est hiérarchique :
« Le Christ vient de Dieu ; les apôtres viennent du Christ … prêchant à travers les villes et les
campagnes, les apôtres éprouvèrent dans le Saint Esprit leurs prémices et les établissements
comme épiscopes et comme diacres des futurs croyants » (42). La charité seule peut
maintenir l’unité du Corps du Christ. Donc « ceux qui ont été établis par les apôtres, avec
l’approbation de toute l’Eglise, qui ont rempli leur office de façon irréprochable … nous
estimons qu’il n’est pas juste de les démettre de leurs fonctions » (44). Clément prescrit une
solution identique pour les presbytres. On le voit, à la transmission héréditaire de la fonction
lévitique, succède ici une cooptation appuyée par un consensus ecclésial.

Clément ne se borne pas à affirmer de tels principes ; en vue de leur correcte


application, il envoie à Corinthe des médiateurs, les premiers légats, qui seront chargés de
rétablir le bon ordre et de revenir à Rome mission accomplie. Voilà qui en dit beaucoup sur
les relations entre l’Eglise de Rome et les autres Eglises, sur l’organisation interne des
communautés selon le principe de la succession apostolique : apparaissent parallèlement les
premiers genres d’un droit pénal ecclésiastique. Aussi Harnack a-t-il pu voir dans cette lettre
« la meilleure introduction à l’histoire ancienne de l’Eglise ».

B. Ignace d’Antioche

Ignace, évêque d’Antioche, fut condamné à être livré aux bêtes à Rome. Il y subit le
martyre en 107. Enchaîné, il écrivit pendant son long parcours sept lettres aux Eglises
locales. Sur le plan canonique, on peut retenir deux éléments.

L’admirable lettre aux Romains témoigne, en son adresse, d’une suprématie certaine
de l’Eglise de Rome « digne de Dieu ; digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse,
digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ ». On en
trouve trace encore au Concile Vatican II qui la cite (Lumen Gentium 13).

Par ailleurs, Ignace insiste, et dans plusieurs lettres, sur l’unité hiérarchique de la
communauté autour de son évêque : « Là où paraît l’évêque, là est la communauté autour
de son évêque : « Là où paraît l’évêque, là est la communauté … (aussi) votre presbyterium
doit-il être accordé à l’évêque comme les cordes à la cithare » (aux Smyrniotes). Chaque
Eglise locale est, à elle seule, catholique par son harmonisation symphonique autour de
l’évêque représentant du Père : « Accomplissez toutes vos actions dans cet esprit de
5

concorde qui plait à Dieu, sous la présidence de l’évêque qui tient la place de Dieu, des
presbytres qui représentent le sénat des apôtres, des diacres … chargés du service de Jésus-
Christ » (lettre aux Magnésiens). On le voit, comme dans les épîtres pastorales
contemporaines, un certain flou entoure les différents degrés de la hiérarchie cléricale. Mais
de ces lettres, se dégage un sens fort de la catholicité autour des Eglises locales et de leurs
évêques, sans négliger une certaine primauté de l’Eglise de Rome.

C. Irénée
Né zen Asie Mineure vers 140, Irénée deviendra évêque de l’Eglise qui est à Lyon et y
mourra martyr sous Septième Sévère vers 202. Son œuvre la plus importante est un gros
ouvrage, composé de cinq livres, adversus haereses. Le titre exact et complet dit bien le but
de l’auteur : « Mise en lumière et réfutation de la gnose au non mensonger ». Irénée veut y
réfuter les fausses connaissances et les fausses vérités sur Dieu, cette prétention à s’élever
au-dessus de la foi. Il n’y a pas de science supérieure ni extérieure à la Bible et à la Tradition
de l’Eglise. D’où le livre III intitulé « Réfutation (de la pseudo-gnose) par la Tradition et la
doctrine des apôtres ».

De forts passages vont tout naturellement nous renseigner sur la Tradition reçue des
apôtres et transmise par leurs successeurs de façon ininterrompue. Autrement dit, la
succession apostolique est garantie d’une saine Tradition et la fonde en vérité : « La
Tradition des apôtres a été répandue dans le monde entier. En effet, lorsque les apôtres
fondateurs des Eglises, ils choisissent des hommes saints et les établissaient comme évêques
à la tête de ces Eglises. Les apôtres transmettaient à ces évêques l’enseignement qu’ils
avaient reçu du Christ. Ces évêques devaient, à leurs tour, transmettre ce même
enseignement à ceux qui seraient évêques après eux, et ainsi de suite » (III.1.).

Par ailleurs, Irénée dégage dans la succession apostolique une certaine primauté de
l’Eglise,= de Rome, tout à fait dans le vaine de la lettre de Clément de Rome expressément
citée : « C’est avec cette Eglise de Rome, en raison de sa plus puissante autorité de fondation
(par les très glorieux apôtres Pierre et Paul), que doit nécessairement s’accorder toute
Eglise, c’est-à-dire les fidèles qui proviennent de partout, elle en qui toujours a été conservés
la Tradition qui vient des apôtres » (III.2.). du reste, l’évêque de Rome peut se targuer de
succéder personnellement, par une suite ininterrompue d’évêques, à l’apôtre Pierre. Alors
qu’implicitement les autres évêques, quelle que soit l’ancienneté de leur siège, fut-il
apostolique, succèdent au collège des apôtres.

Cependant, il serait erroné de voir en saint Irénée un défendeur inconditionnel de la


primauté romaine. Entre 190 et 200, dans la grande controverse qui oppose les Eglises d’Asie
Mineure au reste de la chrétienté à propos du jour de la célébration de la Pâque, il écrit à
Victor, évêque de Rome qui voulait excommunier les Asiates, pour lui demander d’agir avec
tolérance et de respecter des coutumes différentes au sein de l’Eglise, dans la mesure où
6

l’une et l’autre Eglises proviennent des apôtres. En outre, Irénée écrit directement, à cette
même occasion, à beaucoup d’autres chefs d’Eglises, manifestant ainsi une sollicitude
certaine pour l’Eglise universelle. Chez Irénée, primauté romaine et collégialité épiscopale
d=se conjuguent plus qu’elles ne s’excluent.

D. Cyprien

Cyprien naquit en Afrique vers 200 dans une famille païenne. Après sa conversion, il
sera rapidement élu évêque de Carthage à la fin de 248 ou au début de 249. Quelques mois
plus tard, éclaté la persécution de Dèce. Il ne crut pas devoir attendre le martyre, mais se
cacha jusqu’en 251. Pendant ce temps, Fabien évêque de Rome est martyrisé. Le Siège
romain reste inoccupé quinze mois durant, et le collège épiscopal divisé. Finalement
Corneille est élu, mais le candidat évincé, Novatien, fait schisme. L’un et l’autre envoient des
agents à Carthage pour obtenir la communion de l’Eglise voisine. Cyprien, publie alors son
traité De l’unité de l’Eglise catholique, qui met en garde contre les démons de la division.
L’œuvre constitue une apologie convaincu de l’unité, considérée comme le signe et le
ferment de la véritable Eglise. Oui, l’Eglise se doit d’être « le sacrement visible de cette unité
salutaire », formule reprise par Vatican II « Lumen Gentium 9).

Unanime, l’Eglise est tenue de se rassembler autour de l’évêque de Rome, selon un


argumentaire que le décret Pastor Aeternus de Vatican I saura utiliser pour fonder
l’infaillibilité pontificale. « Facile est pour la foi la démonstration, car le chemin de la vérité
est court. Le Seigneur duit à Pierre : « Je te dis, Moi, que tu es Pierre et que sur cette pierre
je bâtirai mon Eglise … » au même Pierre, il dit après sa résurrection : pas mes brebis. C’est
sur un seul qu’il édifie l’Eglise ; et lui confie ses brebis à faire paître. Et quoi qu’Il dispense à
tous les apôtres un pouvoir égal, Il n’a cependant établi qu’une seule chaire et Il organise
par l’autorité de sa Parole l’origine, la modalité de l’unité. De toute façon, les autres
(apôtres) étaient aussi ce que (fut) Pierre, mais la primauté est donnée à Pierre, et une Eglise
unique, une chaire unique nous est montrée » (IV). On remarque ici la célèbre formule,
promise à une grande fortune ‘primatus Petro datur’, qui n’inclut certainement pas à
l’époque toutes les conséquences juridiques et disciplinaires qu’on en fera découler plus
tard. Au surplus la critique est réservée sur une formule qui n’existe que dans un état du
manuscrit, mais non dans un autre état : serait-ce l’adjonction d’une main étrangère ?

Quoi qu’il en soi, Cyprien est aussi un grand défenseur du collège des évêques en face
des prérogatives pontificales. Pour preuve sa lettre 71 sur la question du rebaptême des
lapsi : il ne faut point se retrancher derrière la coutume (romaine : ne pas rebaptiser ;
africaine : rebaptiser), mais il faut vaincre par la raison. Pierre, que le Seigneur a choisi tout
d’abord et sur lequel il a bâti son Eglise, se trouvant par la suite en désaccord avec Paul au
sujet de la circoncision, ne montre point d’arrogance ou de prétention insolente ; il ne dit
point qu’il avait la primauté et que les nouveaux venus et les moins anciens devaient plutôt
7

lui obéit, et il ne méprisa point Paul sous le prétexte qu’il avait été le persécuteur de l’Eglise,
mais il se rendit de bonne grâce à la vérité et aux justes raisons que Paul faisait valoir. Il nous
donnait ainsi une leçon d’union et de patience », et finalement, dans cette lettre écrite en
256. Cyprien de prendre parti contre le Pape Etienne en préconisant le rebaptême des
hérétiques.

En résumé, Cyprien est sans doute un défenseur équilibré des droits du collège des
évêques et du Pontife romain. Car l’unité de l’Eglise est revendiquée autour de l’évêque qui
la préside : « L’épiscopat est un et indivisible … La dignité épiscopale est une ; et chaque
évêque en possède une parcelle sans division du tout ; et il n’y a qu’une Eglise qui, par sa
fécondité toujours croissante, embrasse une multitude toujours plus ample » (Traité V). ou
encore, « L’évêque vit dans l’Eglise, et l’Eglise dans l’évêque ; et si quelqu’un n’est pas avec
l’évêque, il n’est pas dans l’Eglise » (lettre 66).

§ II. Les textes pseudo apostoliques

Il s’agit d’une littérature ancienne composée de textes fort disparates, et d’intérêt


inégal pour le droit canonique. Les plus anciens remontent à la fin du 1 er siècle, et ils
s’échelonnent jusqu’au IVe siècle. On a même parfois pensée intégrer tel d’entre eux dans le
canon des Ecritures. Rien de très étonnant à cela car tous, dans la veine des épîtres
pastorales, se réclament de l’autorité des apôtres pour appuyer les traditions d’une Eglise
naissante et venir ainsi combler les lacunes disciplinaires du Nouveau Testament.

A. La Didaché

Document très ancien, il remonte au début du IIe siècle et dut vraisemblablement


rédigé dans la région de Syrie. Son titre est révélateur de son ambition : ‘Doctrine des douze
apôtres’. Son sous –titre également : ‘Doctrine du Seigneurs aux nations par les douze
apôtres’. Le texte émane d’une communauté de Juifs convertis au christianisme, et donc
imprégnés de culture sémitique. Toutes les prescriptions liturgiques relatives à la célébration
du baptême et de l’Eucharistie en sont parquées. La hiérarchie ecclésiale est brièvement
évoquée : il est question d’évêques et de diacres, mais nullement de presbytres. « Ainsi
donc, élisez-vous des évêques et des diacres dignes du seigneur, des hommes doux,
désintéressés, véridique et éprouvés, car ils remplissent auprès de vous le ministère des
prophètes et des docteurs » (15). Les catégories sont aux frontières incertaines, car les
prophètes qui vont de communauté en communauté ont le droit de célébrer l’Eucharistie
« Laissez les prophètes rendre grâce autant qu’ils voudront », conclut la prière eucharistique
(10).

B. La Tradition apostolique
8

Souvent confondue avec les Constitutions apostoliques, la Tradition a été écrite par
Hippolyte, un prêtre de l’Eglise de Rome au début du IIIe siècle. Le genre littéraire de ce
recueil est original qui contient de nombreuse prières et prescriptions liturgiques, mais aussi
institutionnelles et disciplinaires. L’auteur, peut-être du fait de son origine romaine, tient à
rappeler la discipline de l’Eglise en donnant des directives non seulement à sa communauté,
mais aussi aux autres Eglises.

Dans la communauté, quelques-uns prennent une place spéciale par le fait que
l’imposition des mains leur confère un don particulier de l’Esprit Saint : « Qu’on ordonne
donc comme évêque celui qui a été choisi par tout le peuple (et qui est) irréprochable.
Lorsqu’on aura prononcé son nom et qu’il aura été agréé, le peuple se rassemblera avec le
presbyterium et les évêques qui sont présents le jour du dimanche. Du consentement de
tous, que ceux-ci lui imposent les mains et que le presbyterium se tienne sans rien faire »
(2). Avec une exception vraisemblable : à Alexandrie, jusqu’au début du IVe siècle, l’évêque
était sans doute non seulement élu mais encore ordonné par les prêtres de son diocèse.
Quoiqu’il en soit, nous trouvons dans le ex consensu omnium les prémices de la désignation
des évêques cum clero et populo.
L’ordination du prêtre se fait par l’évêque seul. Cependant, au plan liturgique, il est
accueilli dans le presbyterium avec lequel il participe au même sacerdoce ministériel ; aussi
« quand on ordonne un prêtre, que l’évêque lui impose la main sur la tête, tandis que les
prêtres le touchent également » (7). La précision a demeuré jusqu’à nos jours. Le diacre, lui,
est établi par la seule imposition des mains de l’évêque, notamment pour le soin des
malades (8). Quant au sous-diacre, il est simplement nommé pour qu’il suive le diacre (13)
ainsi la hiérarchie cléricale se précise, se complexifie aussi. Mais elle est encore loin d’être
stricte. Pour preuve, la mention des confesseurs de la foi arrêtés pour le nom du Seigneur
(9) : à eux on n’imposera pas les mains pour l’accès au diaconat ou à la prêtrise, car ils en
possèdent les honneurs de par leur confession.
On trouve également dans la Tradition plusieurs développements sur les sacrements
de l’initiation chrétienne, baptême et Eucharistie. Ainsi il est précisé que dès sa consécration,
le nouvel évêque exerce son sacerdoce en célébrant l’Eucharistie avec le presbyterium. Le
diacre apporte les dons et aussitôt l’évêque impose les mains avec les prêtres.

C. Le Didascalie

Elle est un document plus expressément pseudépigraphique, intitulé ‘Enseignement


catholique des douze apôtres’. Elle a été rédigée en Syrie, également au IIIe siècle. La
référence à l’autorité apostolique s’est avérée utile pour lutter contre les hérésies : « comme
toute l’Eglise était en péril d’avoir des hérésies, nous nous réunîmes ensemble, tous les
douze apôtres, à Jérusalem et nous réfléchissons à ce qui devait être … » suivent des
obligations à l’égard de la hiérarchie qui est fortement structurée autour de son évêque.
Celui-ci est assisté par des prêtres qui sont définis comme ses auxiliaires, puis par des diacres
9

qui sont des interprètes de l’Evangile envers le peuple. Au-dessus d’eux, des sous-diacres.
Chez les femmes, on trouve des diaconesses et des veuves.

En outre, la didascalie traite de trois sacrements : le baptême, l’Eucharistie et la


pénitence (alors confiée à l’évêque).

D. Les Constitutions apostoliques

Elles représentent une importante compilation de traditions existantes réalisée vers


380 dans la région d’Antioche. Il s’agit encore d’une littérature pseudépigraphique se
targuant de l’autorité des apôtres réunis à l’occasion de l’Assemble de Jérusalem, et
supposée rédigée par Clément qui était tenu pour leur secrétaire. Le document a pour
objectif d’affermir l’autorité des règlements en vigueur dans l’Eglise, et donc de réguler le
fonctionnement des communautés. De fait, le texte s’adresse aux évêques et concerne aussi
bien la pastorale ou la liturgie que la vie ecclésiale.
On est en face d’une de plus antiques « expressions du droit canonique (Metsger).
Les communautés primitives en expansion ne peuvent se contenter des embryons
réglementaires inclus dans les lettres de Paul ou les épîtres pastorales. Des compléments
sont nécessaires pour lesquels les rédacteurs des Constitutions auront largement recours à
l’Ancien Testament : la première Loi (Ex 19-24) ne demeure-t-elle pas toujours valable ? Et
l’Eglise n’est-elle pas le nouvel Israël, véritable peuple de Dieu ? L’opposition laïcs-clercs, ou
plus exactement entre tous et quelques-uns, se précise, les hiérarchies se développent ; le
rôle des diaconesses est précise : ministère subalterne auprès des femmes et qui n’est pas
symétrique du rôle des diacres.
Le dernier Livre (VIII) comprend quelque 85 canons apostoliques qui réglementent la
vie de la communauté. Entre autres : « L’évêque est ordonné par deux ou trois évêques ; les
presbytre par un seul évêque, de même le diacre et les autres clercs » (47,1). Ou encore :
« Un évêque ne portera pas le souci des affaires séculières ; sinon on le déposera » (47,6).
On trouve également ce canon qui pose le germe de l’incardination : « Si un presbytre ou un
diacre, ou tout autre de la liste des clercs, déserte son district … contre la volonté de son
évêque, nous lui interdisons d’exercer son ministère (47,15). Semblablement « un évêque ne
se permettra pas de conférer des ordinations hors de son secteur … contre la volonté des
responsables de ces villes ou territoire » (47,35). Pr ailleurs, seuls l’évêque ou le presbytres
ont le pouvoir de réconcilier avec l’Eglise (47,52). En outre, les Constitutions contiennent
tout un code pénal sanctionné par la peine de l’exclusion.
Les Constitutions apostoliques sont un témoin privilégié d’accès aux anciennes
institutions chrétiennes. Un témoin relativement archaïque du fit du caractère
encyclopédique de l’œuvre. Un témoin théologiquement discutable, car les Constitutions
seront suspectées d’hétérodoxie arienne et condamnées par Constantinople II en 691.

§ III. Les sources conciliaires


10

Aujourd’hui, la convocation d’un concile demeure exceptionnelle. Depuis la


renaissance, l’Eglise n’a connu que trois réunions œcuméniques. Quant aux échelons
intermédiaires, jadis si florissants, ils sont tombés en désuétude au profit de structures
nouvelles comme les conférences d’évêques, il y a sans doute beaucoup à redécouvrir en
consultant ces sources conciliaires, en retrouvant la valeur d’un principe général qui avait
guidé au Moyen-âge les décrétistes : « Ce qui intéresse tout le monde doit être approuvé par
tous ». Sans que cela s’altère en rien l’autorité du Pontife romain.

A. Les différents niveaux conciliaires

On peut trouver le fondement, ou au moins l’origine, des conciles dans l’Ecriture,


précisément dans l’Assemblée de Jérusalem rapportée par les Actes des Apôtres (15,6-29).
En doctrine, c’est Tertulien qui donnera la première définition juridique du concilium ; il écrit
en 215 : « En Orient, en certains lieux se tiennent des conciles réunissant toutes les Eglises
dans lesquels sont débattues des questions importantes ; cette représentation de tout le
nom ‘chrétien’ est célébré avec beaucoup de respect ». Ainsi ces réunions élargissent le
principe de territorialité diocésaine et manifestent la sollicitude des évêques, dans un souci
de communion, pour les autres Eglises. Quant au mot collegium, il sera inventé par saint
Cyprien pour exprimer justement la solidarité entre évêque dans leurs responsabilités
épiscopales.

Historiquement les conciles locaux sont les plus anciens : ils se sont tenus à Rome ou
en Afrique dès la fin du IIe siècle. Les conciles provinciaux sont convoqués par le
métropolitain qui rassemble ses suffragants, comme à Iconium en 230. Leur caractère local
ne doit pas tromper : certaines de leurs décisions auront une grande importance, en étant
reçues par l’Eglise universelle. Les réunions de ces conciles seront cependant épisodiques,
malgré les tentatives des conciles de Nicée II (787) puis de Latran IV (1213) qui prévoiront
leur réunion annuelle. Mais en vain. On noter aussi que ces conciles provinciaux, outre un
pouvoir législatif, détiennent un pouvoir judiciaire d’appel envers les jugements épiscopaux.
Au Moyen-Age enfin, des conciles de légats seront parfois réunis, directement présidés par
des ambassadeurs du Pontife romain. Un glissement s’opère alors : les conciles provinciaux
deviendront un instrument d’unification du droit au service du siège apostolique.

A un échelon plus élevé, il existe des conciles nationaux (même si le qualificatif est
historiquement anachronique) qui réunissent les évêques de plusieurs provinces d’une
même région ou d’un même royaume. On citera le cas très ancien du concile d’Elvire
(Espagne 300), ou encore de plusieurs conciles de Carthage. Ces conciles sont normalement
présidés par le premier métropolitain auquel on reconnaîtra plus tard le titre de patriarche
(par exemple, Tolède). Le roi prendra l’habitude, chez les Francs, de convoquer les conciles
nationaux : ainsi Clovis convoque en 511 le concile d’Orléans qui réunira 32 évêques. En 743,
11

Carloman, maire du Palais, se rendant compte de l’état de décomposition de l’Eglise, décide


de réunir un synode dans le royaume franc. Son frère Pépin, maire de Neustrie, suivra cet
exemple en convoquant 23 évêques à Soissons la même année. A l’époque, le Pape est le
grand absent de cette législation conciliaire : il ne préside pas le concile ; on ne fait, en
principe », pas appel à lui pour trancher les différends. Le souverain s’appuie lors sur la
législation conciliaire pour contrecarrer le Pape. La réforme grégorienne changera cette
situation, et les conciles nationaux se réuniront au moins sur autorisation du Pontife romain.
Sur le fond, les décisions de ces conciles sont extrêmement diverses, car adaptées aux
circonstances et situations locales. On relève par exemple de grandes disparités
disciplinaires entre l’Orient et l’Occident. En témoigne explicitement le concile Quinisexte in
Trullo (692).

Au niveau suprême, depuis le début du IVe siècle, se réunissent des conciles


œcuméniques. Leurs réunions deviennent possibles dans le nouveau contexte de liberté
religieuse introduite par Constantin. il ne s’agit pas de réunir effectivement tous les évêques
de l’univers, mais du moins une portion représentative de cet épiscopat rassemblée autour
de l’évêque de Rome. L’histoire nous montre, du reste, des réunions parfois assez
restreintes. Ainsi le Concile de Trente rassembla-t-il au maximum 236 évêques, mais dans
certaines sessions il n’y a en eut que 17 … Et pourtant il s’agit là d’un concile œcuménique
par son autorité ; du reste la réception de ses actes a bien été le fait de l’Eglise universelle.

Initialement, les empereurs convoquaient les conciles. Rien d’étonnant car ils
légiféraient alors directement pour l’Eglise, on l’a vu. Ainsi Constantin convoque le Concile
de Nicée (325) ; ou encore après le brigandage d’Ephèse (449) ; le Pape saint Léon supplia
Théodose II de convoquer un nouveau concile, et ce sera Chalcédoine en 451. En revanche,
l’empereur, pas plus que le Pape d’ailleurs, ne préside le concile ; celui-ci est présidé par un
évêque, un légat du Pape, l’empereur étant représenté par des commissaires. Enfin, au tout
début du moins, c’était l’empereur qui confirmait les décisions conciliaires et prescrivait de
les observer. A partir de saint Léon, la ratification politique sera remplacée par la réception
pontificale.

Les quatre premiers conciles œcuméniques occupent une place à part dans l’histoire
de l’Eglise, d’autant qu’ils sont les seuls à avoir été reçus par presque toutes les Eglises
chrétiennes. Ils ont été réunis dans le souci de lutter contre les hérésies abondantes en ces
premiers temps de l’Eglise, afin de préserver l’intégrité de la foi et en même temps de
cimenter l’unité de l’Empire. Les conciles de Nicée et Constantinople ont condamné
l’arianisme ; Ephèse, le nestorianisme ; tandis que Chalcédoine sanctionnait le
monophysisme. La doctrine a reconnu l’importance fondamentale des quatre premiers
conciles ; ainsi Gratien, au Moyen-Age, n’hésitera pas à les comparer aux autres Evangiles.
L’auteur du Décret considère leurs dispositions comme de droit divin insusceptibles de
dispense, à l’exception de règles disciplinaires particulièrement rigoureuses et du canon 28
12

de Chalcédoine qui n’a jamais été reçu par l’Eglise de Rome – ce canon reconnaissant une
primauté d’honneur comparable au siège de Constantinople.

B. Les canons conciliaires

Sur le fond les conciles adoptent, outre des principes théologiques nombreuses
mesures d’organisation de l’Eglise, et ses règles disciplinaires pour attaquer l’Eglise au
monde de son temps, tout en assurant sa pro cohérence.

Les canons les plus anciens remontent au concile d’Elvire. On trouve un véritable
code pénitentiel assorti de nombreuses sanctions. Le souci des évêques est alors de lutter
contre les pratiques idolâtriques hérétiques et de développer la pureté du clergé. Par
exemple :
- C.1 : « Si un adulte baptisé est entré dans un temple d’idole pour y sacrifier, et a ainsi
commis un crime capital, il ne peut être reçu à communion même à la fin de sa vie ».
- C.13 : « Si des vierges consacrées à Dieu rompent le pacte de 1 virginité … sans
reconnaître leur péché, il conviendra de les excommunier à jamais ».
- C.75 : « Celui qui, par un faux témoignage a accusé un évêque, prêtre ou un diacre,
ne pourra-même à l’article de la mort – recevoir communion ».

L’importance de ces canons d’Elvire fut grande ; plusieurs directement repris sans les
canons de Nicée.

Dns la foisonnante législation conciliaire de cette époque, on citera les 22 canons du


concile d’Arles (314) qui sanctionne les mariages et cantonne les pouvoirs des diacres en ces
termes : « Pour les diacres nous avons appris qu’en beaucoup de lieux ils offrent (le
sacrifice), il a été décidée que cela ne doit absolument pas se faire ». Quant au concile de
Nimes (396) ; il s’insurge contre une nouvelle coutume autorisant l’accès des femmes au
diaconat : « la discipline ecclésiastique ne l’admet pas ; c’est inconvenant ».

Les conciles œcuméniques adopteront également des canons qui, s’ils sont reçus par
l’évêque de Rome, feront partie de la législation de l’Eglise universelle. Ainsi les canons de
Nicée insistent beaucoup sur la hiérarchie ecclésiastique, sur la distinction entre l’ordo
ecclesiasticus et la plebs. L’ordo comprend d’un côté évêques, prêtres et diacre ; et puis il y a
les autres clercs (acolytes, lecteurs, exorcistes, portiers) qui exercent des fonctions mineures
(c. 16). Sont seuls députés au sacerdoce les évêques et les prêtres, les diacres étant ordonné
ad ministerium. L’accès aux fonctions sacerdotales doit être précédé d’un temps de
probation (c.2). les canons 4 et 6 développent la liturgie des ordinations : on est ici en face
de règles qui rentrent dans les détails liturgiques. Pr ailleurs, le concile de Nicée moule
l’organisation des diocèses dans le creuset des provinces de l’Empire : la province comprend
un synode qui se réunit chaque semestre ; elle se choisit un métropolitain et donne don
13

consentement pour le choix des évêques suffragants. Plus tard, le concile de Chalcedoine
systématisera, en les reprenant, des règles adoptées par des conciles antérieurs : on est là
en face d’une source fondamentale pour le droit à venir. Par la suite, seul l’examen des
collections canoniques permettra de dresser le tableau des conciles acceptés, de leurs
canons reconnus (infra § V).

L’histoire ultérieure limitera la spécificité voire l’importance des décisions


conciliaires. Au moyen-âge, l’autorité éminente du Pape sur le concile sera bien affirmée.
Après Latran IV (12/5), Pierre le Chantre écrit : « Il est clair que les décrets peuvent être
modifiés parce qu’ils procèdent de la volonté du pape, de sorte qu’ils peuvent être
interprétés à son gré … Il lui appartient d’établir, d’interpréter et d’abroger les canons ». Plus
tard, Thomas d’Aquin n’hésitera pas à considérer la législation conciliaire comme l’œuvre du
pape. Et l’on sait que les positions conciliaristes du concile de Constance (1414-1418), et du
concile de Bâle qui en 1433 osa même dé » poser Eugène IV, seront dûment condamnées,
tandis que le concile de Florence (1439) déclarera la primauté du siège Apostolique sur toute
la terre. L’Eglise catholique refuse absolument à se définir comme une démocratie conciliaire
acéphale.

§ IV. Les décrétales des Papes

Ici encore, comme pour la législation conciliaire, on repérera la genèse de cette


source de droit, ce qui en explique la philosophie. La décrétale est un terme médiéval, mais
son origine historique est bien plus ancienne. Elle recouvre toute réponse juridique apportée
par l’évêque de Rome à une question posée par un autre évêque voire un laïc.

La plus ancienne décrétale remonte sans doute à 375 ; elle est attribuée à l’évêque
Damase : les évêques de Gaule avaient consulté « l’autorité du siège Apostolique » pour
connaître la loi et les traditions relatives aux clercs. La réponse, argumentée à partir des
canons de Nicée, montre bien le souci de s’inscrire dans la Tradition en se réfugiant derrière
l’autorité emblématique de Pierre. Le texte pontifical est source de droit : « Non seulement
Nous, mais la divine Ecriture appelle les évêques, prêtres, diacres à vivre dans la plus grande
chasteté et nos pères ont ordonné de garder la continence … Au sujet des ordinations, il fut
toujours observer la règle selon laquelle seuls des clercs peuvent devenir évêques. Et qui n’a
pas fait ses preuves un temps suffisant, dans un ordre mineur ne saurait être proposé à la
cléricature ».

Innocent I (401-417) développe cette activité juridique, en répondant par exemple à


Vitricius de Rouen, à Exupère de Toulouse ou à Dicentius de Gubbio. Les décrétales trouvent
leur plein épanouissement avec les Papes Léon et Gélase. Celui-ci, le 11 mars 494 répond à
une demande émanent de trois évêques par une lettre adressée à tous les évêques de
l’univers. Ce passage de l’individuel au général est tout à fait caractéristique du pouvoir
14

pontifical : sollicité pour régler des difficultés ou litiges individuels, le Pape en vient à
prendre des décisions générales. On observe là l’émergence d’un véritable pouvoir normatif
dont l’éclosion n’est pas sans évoquer celle de la jurisprudence. Au reste une décrétale
d’innocent 1er se qualifie elle-même de Liber regularum. Et le vocabulaire pontifical imite
celui des constitutions impériales en reprenant une terminologie soucieuse d’autorité
(constituimus, praecipimus, prohibimus …). La ressemblance terminologique est frappante
qui révèle la volonté du Pontife romain d’endosser les prérogatives impériales : comme
l’empereur, il prend des rescrits et s’entoure d’une Chancellerie pour les préparer et les
conserver à compter du IVe siècle.

On le remarque encore une fois (voir supra p. 20), l’analogie est ici évidente avec le
pouvoir législatif des premiers empereurs romains. Pas plus que le Pape, l’empereur ne
s’était vu attribuer le pouvoir législatif par une clause formelle. Mais l’un et l’autre sont
menés à régler des situations embarrassantes pour les évêques ou les fonctionnaires qui ont
recours à eux. Engagée sur cette voie, la papauté interviendra à l’occasion directement, de
son propre mouvement. Cependant pour asseoir leur autorité, les Papes se référeront à
l’Ecriture, à la Tradition des Pères, aux canons conciliaires, puis de plus en plus aux actes des
Pontifes eux-mêmes, sans du reste qu’ils se sentent toujours liés par les décisions de leurs
prédécesseurs. Les Décrets du Siège Apostolique deviennent ainsi une source autonome de
droit que le Pape Hilaire, en 465, ose ranger au même niveau que les divines constitutions.

Pareille suprématie des décrétales ne représente du reste que la traduction juridique


d’une souveraineté que le Pontife romain revendique expressément à partir de Léon le
Grand. Celui-ci écrit en 443 : « La disposition voulue par la Vérité demeure donc et saint
Pierre, persévérant dans cette solidité qu’il a reçue, n’a pas abandonné le gouvernail de
l’Eglise mis entre ses mains. Car il a été institué avant les autres pour le fait d’être appelé
Pierre, proclamé fondement, constitué portier du Royaume des cieux, préposé comme
arbitre pour lier et délier par des jugements dont la décision doit demeurer jusque dans les
cieux ». Ou encore écrit-il, deux année plus tard : « Sans doute, chaque pasteur gouverne-t-il
son troupeau avec une spéciale sollicitude et sait bien qu’il devra rendre compte des brebis
qui lui ont été confiées ; mais notre souci à nous prend sa part de celui de tous, et ce que
doit administrer l’un ou l’autre dit toujours parue de notre labeur du monde entier, en effet,
on accourt au siège du saint apôtre Pierre, et cet amour de l’Eglise universelle que lui
recommanda le Seigneur, on réclame aussi que nous le dispensions… ».

Au Moyen-âge, les décrétales seront une source de droit en pleine expansion, pour
régir les domaines les plus divers (infra Par VI).

§ V. Les collections canoniques


15

Il s »’agit d’œuvres privées qui rassemblent les textes de droit applicable à l’Eglise.
Les plus anciennes collections ramassent des canons conciliaires. Ainsi on connaît une
collection romaine des conciles de Nicée et de Sardique rédigée vers 350. En Orient, le canon
I de Chalcedoine se réfère à une série de canons antérieurs. Œuvres d’autant plus utiles que
ce canon ont dispensés et émanent de conciles souvent locaux. Ensuite il y aura des
collections de décrétales : collections de Cologne, reins et Albi vers 420. La collection de
Fraising, vers 495, mixte des documents conciliaires et des décrétales auxquelles on ajoutera
parfois du droit romain.
A. Du Vie au XIe siècle

A Rome, vers les années 500, le moine Denys le Petit devait rédiger une collection
promise à une grande fortune. Il établit une traduction latine des conciles orientaux et
présente les décrétales pontificales. La Dionysienne comportait trous grandes parties
présentant trois séries concernant l’Orient, l’Afrique et Rome. Vaste compilation, la
collection comporte forcément une sélection : ainsi le fameux canon 28 de Chalcédoine qui
mettait en question la primauté de Rome en est exclu. La compilation est donc au service
d’une thèse, d’une démonstration : en l’occurrence affermir l’autorité pontificale. En 774, le
Pape Hadrien offre à Charlemagne la dionysienne : elle devient la Dionyso-Hadriana, code
quasi-public de l’Empire, selon G. Le Bras. On peut également citer la Hispana qui
rassemblait les textes des conciles gaulois et espagnols, selon un plan non point
chronologique mais systématique. Ces deux collections seront fusionnées en 800 dans la
Dacherina (qui sera publiée au XVIIe siècle par Luc d’Achery), laquelle deviendra une source
essentielle pour les collections à venir.

A côté de ces textes authentiques, il convient de mentionner une série de documents


faux ou faussement attribués. L’acte le plus ancien, à portée politique, sera rapidement
exploité par la papauté : la fausse Donation de Constantin (vers 750). L’empereur y reconnaît
la primauté de l’évêque de Rome sur tous les autres patriarches ; en outre, il lui confère les
insignes impériaux, lui attribuant en même temps le pouvoir temporel sur tout l’Occident,
l’empereur se retirant en Orient. Globalement la Donation servira surtout à assurer la
supériorité du pape sur le pouvoir royal. Mais sa validité sera vite contestée, et le Décret de
Gratien n’en fera pas mention.

L’œuvre canonique la plus importante de l’Occident carolingien est constituée par les
faux Isidoriens ; elle comprend quatre groupes : des interpolations de l’Hispana, deux séries
de Faut capitulaires et les Fausses décrétales. Les Faux capitulaires sont l’oeuvre de Benoît le
diacre vers 847 ; leur auteur triture de nombreux textes antérieurs et les attribue à Pépin ou
à charlemagne pour s’appuyer sur le prestige de ces souverains ; aussi est-il très difficile de
discerner le vrai du faux ! Les Fausses décrétales ont été rédigées autour de Reins vers 852.
On y retrouve mêlés des textes authentiques (canions conciliaires), des textes faussement
attribués (par exemple aux Papes avant Nicée), et des faux intégraux (ainsi la Donation de
16

Constantin ou les lettres des Papes jusqu’en 604). Le but de ces faux est de limiter l’autorité
des métropolitains et des chorévèques, en appuyant celle des évêques. A cet effet, les
évêques sont priés de s’adresser directement u Pape Qui peut toujours recevoir les appels
des clercs, ayant autorité sur toute l’Eglise. Ces textes donnent une image très juridique et
centralisée de la papauté qui marquera l’histoire à l’évêque de Rome sont réservées toutes
les causes majeures et la prérogative de convoquer les conciles. En outre, ils veulent
préserver ! Eglise des Etats, notamment en déclarant ses biens sacrés ou en pontificale devra
beaucoup aux fausses décrétales, largement reprises dans le Décret de Gratien et qui auront
une influence jusqu’à la Renaissance.
Le Pape lui-même pourra se mêler de structurer le droit canonique. En témoignent
les dictatus Papae établis par Grégoire VII en 1075. Ils contiennent une déclaration des
droits du Pontife romain en forme de table des matières d’une collection canonique. En
filigrane, on discerne la querelle avec l’empereur romain-germanique qui débouchera
l’année suivante sur le déposition d’Henri IV. Aussi le Pontife romain veut-il asseoir
doublement son autorité. Sur l’Eglise d’abord :
- 1. L’Eglise de Rome a été fondée par le Seigneur seul.
- 3. Seul le Pontife romain peut déposer ou absoudre les évêques
- 14. Il peut, où il veut, ordonner un clerc de n’importe quelle Eglise
- 21. Les causes majeures de toute Eglise doivent lui être rapportées.
- 25. Il peut, en dehors d’une assemblée synodale, déposer et absoudre les évêques.
Le Pontife romain désire également établir sa suprématie politique face aux Etats :
- 2. Seul le Pontife romain mérite d’être appelé universel.
- 8. Seul, il peut user des insignes impériaux
- 12. Il lui est permis de déposer les empereurs
- 19. 11 ne doit être jugé par personne.
- 26. Le Pape peut délier les sujets du serment de fidélité fait aux injustes.

Un tel schéma est, selon la formule de M. Prélot, de type sacerdotaliste : la


prépondérance sur le politique est transférée à l’institution ecclésiale. Œuvre de
circonstances, les dictatus Papae n’en posent pas moins certaines règles qui ont servi à
forger l’image de la papauté jusqu’à nos jours.

Pour terminer, on remarquera que tous ces textes, ces collections canoniques font
une large utilisation du droit romain qu’ils transposent à l’Eglise. Ce droit était notamment le
seul référent possible pour légiférer sur de nouvelles matières canoniques (contrats,
successions) et assurer un ordre public cohérent chez les clercs comme chez les laïcs. Et puis
la procédure ecclésiastique en inspirera très largement. Progressivement, le canoniste ne
pourra plus se passer de droit romain. Sur cette question, voir supra p. 201.

B. Le Décret de Gratien (1140)


17

Gratien a quelques prédécesseurs célèbres : Bruchard de Worms et surtout Yves de


Chartres. Au Prologue de son décret, rédigé vers 1095, Y. de Chartre prévient : « Je me suis
efforcé, non sans mal, de réunir en un seul vol urne un choix de règles ecclésiastiques, tirées
des lettres des pontifes romains, des actes des conciles des évêques catholiques, des
commentaires des Pères orthodoxes et des ordonnances des rois catholiques ». L’ordre
retenu par l’auteur est intéressant : en bon réformateur grégorien il cite en premier lieu les
décrétales ; puis en seconde place seulement, les actes conciliaires car ils ont besoin de
l’approbation pontificale pour leur validité ; les écrits des Pères ensuite, alors qu’il n’était
pas courant avant le XIe siècle d’y voir une source de droit, enfin les lois séculières, royales
ou impériales – ce qui peut renvoyer au droit canon.

Sur le fond, deux domaines l’ont retenu plus que d’autres : le mariage et les
investitures. Il fit admettre que le roi n’avait aucune action dans le domaine spirituel, se
contenant d’offrir aux évêques la disposition de leurs biens temporels – la consécration
épiscopale et la remise de la cura animarum relevant des Eglises locales.

Y. de Chartres inaugure une science canonique, c’est-à-dire une réflexion


fondamentale sur les principes du droit canonique. Il ouvre la voie à Gratien en se penchant
sur le concordance entre canons discordants, qu’il essaie d’articuler par une théorie de la
dispense ; il se range à une flexibilité du droit qui doit toujours être ordonné à la loi suprême
de la charité enfin sa proposition de distinguer lois immobiles et mobiles contient en germe
la distinction entre droit divin ecclésiastique.

Gratien, ‘père de la science du droit canonique’, excellera dans cette démarche qu’il
systématisera et dépassera, ce qui lui valut très tôt le titre de magister noster :
probablement moine, il enseignera à l’Université de Bologne. Son Décret, qui remonte aux
années 1140-1150, deviendra rapidement un texte semi-officiel extrêmement répandu.
Ultérieurement, les décrétistes ajouteront au Décret des papes en comblant ses lacunes (par
ex. sur les bénéfices, le mariage ou les effets des sentences). La compilation a pour sous-titre
Concordantia discordantium canonum. Ce qui explique la méthode suivie par son auteur.

D’un côté, les auctoritates représentent les sources juridiques de l’œuvre, réparties
en quelques 4000 chapitres. On y trouve les canons conciliaires, orientaux ou occidentaux,
les décrétales mis aussi de nombreux textes patristiques (saint Augustin surtout), sans
oublier des références, notamment procédurales, au droit canon. Chacun des textes
rapportés est précédé d’un bref sommaire qui en résume la portée et aide à la consultation,
selon une méthode qui doit beaucoup à Y. de Chartres. C’est le Décret, par exemple, qui fixe
définitivement l’autorité des quatre premiers conciles œcuméniques, elle-même fondée sur
un consensus général. Nous sommes face à une première théorie générale des sources du
droit canonique.
18

D’un autre côté, les dicta sont des commentaires plus ou moins développés qui
accompagnent les sources en tentent éventuellement de les concilier. Autrement dit les
auctoritates ne sont pas seulement compilées, mais également commentées par les dicta de
Gratien qui assure ainsi la charpente du Décret. En outre l’auteur propose des solutions
personnelles aux discordances. Prenons le cas des biens propres des clercs. Pour Jérôme,
Augustin ou Ambroise, tous les biens des clercs doivent leur être communs et ils ne
sauraient posséder aucun bien séculier. Au contraire, les canons des apôtres et les conciles
d’Agde ou d’Antioche reconnaissent cette possibilité juridique. Gratien en déduit en début
qu’il convient de distinguer la situation canonique des clercs en Occident, et en Orient où ils
peuvent être mariés.
Certains dicta pourront cependant ne pas faire ensuite l’unanimité chez les
canonistes. Tel celui qui affirme : « La sacro-sainte Eglise romaine impose son droit et son
autorité aux saints canons », parce que le Pape est le seul à pouvoir définir des articles de foi
qui pourraient dépasser les décisions des conciles œcuméniques. Les décrétistes insisteront
surtout sur les exceptions qui doivent être apportées à ce principe général posé par Gratien !
Pour eux, ce qui intéresse tout le monde doit être approuvé par tous, et le pape ne pourrait
même pas accorder des dispenses à des décisions conciliaires.
L’œuvre, qui est une approche systématique du droit de l’Eglise, à l’exception très
large des sacrements, connaîtra un profond retentissement grâce aux commentaires
autorisés de ces très nombreux décrétistes. Dans les siècles qui suivront, on lui fera même
des ajouts. Mais le travail demeure privé. Les premières collections officielles seront des
compilations de décrétales rassemblées par la papauté.
§ VI. Le ius novum des Pontifes romains et le Corpus iuris canonici
Le Moyen-âge est caractérisé par la production systématique de décrétales, le Pontife
ne se borne plus à répondre à des demandes de consultation émanant des évêques, mais
intervient directement motu proprio. Cette activité croissante sera rendue possible par la
compétence canonique de certains Papes et le développement de la curie. Le Pape peut agir
seul ou en consistoire de cardinaux. A cette époque, la doctrine se met à distinguer le récrit,
acte à portée individuelle, et la décrétale, qui est à portée générale et impersonnelle. Le
rescrit comporte une faveur qui est concédée pro gratta ou un privilège accordé contra ius.
La décrétale va surtout servir à combler les déficiences du Décret : par exemple, dans
le domaine des bénéfices ou en procédure criminelle. Ailleurs, ainsi en droit du mariage, il
s’agira seulement de préciser les règles apportées par le Décret. Le Pontife romain devient
progressivement le législateur unique, le chef direct de l’administration et le juge suprême.
On en vient à le qualifier de Jons iuris. Et les décrétales l’aident à asseoir son propre pouvoir.
Sans compter qu’il se reconnaît la prérogative d’interpréter le droit en vigueur, aussi bien les
constitutions apostoliques que les décrets conciliaires.

Ces décrétales foisonnent, ce qui justifie de nouvelles systématisations. Grégoire IX


souhaite réformer toutes les collections existantes et confie ce travail en 1230 à un juriste
éprouvé, Raymond de Pennafort. L’auteur ne se borne pas à rassembler des textes ; il les
19

harmonise en supprimant les doublets, en abrégeant voire en modifiant. Cependant la


compilation, à l’intérieur des titres, reste normalement chronologique. Ce code, approuvé en
1234 par le Pontife romain, est envoyé aux universités pour diffusion et enseignement ? il
est à noter que la compilation ne touche pas au Décret, mais qu’en cas de conflit avec les
décrétales celles-ci l’emportent. C’est la consécration officielle et supérieure du ius novum.
Du reste, la publication des décrétales de Grégoire IX pourra être saluée comme un nouveau
Code de Justinien et, à ce titre, ouvrira le champ à tout un appareil de gloses et de sommes
qui seront l’œuvre des décrétalistes.

Pour tenir au courant de l’évolution du droit, la papauté va poursuivre la publication


de collections. Citons, entre autres, le Sexte (complétant les cinq livres du code de 1234) de
boniface VIII : il abroge, dans un souci de clarté, tous les textes postérieurs aux décrétales de
Grégoire IX sauf s’ils sont expressément repris. La bulle de promulgation attribue la paternité
di Sexte au Pontife lui-même ; la collection doit donc être considérée comme un ensemble
de lois. On citer encore les Clémentines envoyées en 131 – par Jean XXII. Ici s’avère l’activité
compilatrice du Saint Siège en vue de la constitution du droit des décrétales. Ensuite vont
circuler à nouveau des collections privées, telles les Extravagantes de Jean XXII (1318 qui
vagant extra Decretum, lesquelles seront intégrées dans le Corpus : à venir. D’autres
décrétales seront ajoutées au XVIe siècle par Jean Capuis : les Extravagantes communes.
Le Corpus Iuris Canonici va présenter l’assise fondamentale du droit canonique jusqu’au
Code de 1917. L’expression semble remonter ai, Bref Quum pro munere de Grégoire XIII
déclarant : « Hoc iuris canbonic corpous … uoc ius canonicum… Libri dicti iuris canonici ». Le
Corpus regroupe, après le Décret, cinq collections d’origine et de forme différente chacune
conservant son autorité propre, soit :
- Le Décret de Gratien
- Les Décrétales de Grégoire IX,
- Le Sexte,
- Les Clémentines,
- Les Extravagantes de Jean XXII,
- Les Extravagantes communes.
Le perfectionnement des textes pour publication fderaz l’objet de différents travaux qui
seront approuvés en 1580 par la Constitution Cu pro munere. Toute modification du texte
officiel est désormais interdite, et les Décrets du Concile de Trente ne seront jamais intégrés
dans le Corpus. On parlera à cet endroit de ius novissimum tridentin et post-tridentin. Son
interprétation relève de la congrégation du concile dont les décisions ne seront
annuellement publiées dans le Thesaurus qu’à compter de 173 seulement. En outre, les
Papes n’hésiteront pas à aggraver les mesures conciliaires si les circonstances paraissent
l’exiger. Dans ces conditions, la place du Corpus devient de plus en plus relative, et c’est dans
les Bullaires qu’il faudra chercher le tout nouveau droit des plus récentes décrétales même si
leur valeur juridique reste discutée en doctrine.
§ VII. Naissance de la jurisprudence canonique
20

A côté de la doctrine canonique, privée ou officielle, on observe à partir du XIIIe siècle


l’éclosion d’une systématisation de pratique judiciaire dont l’ensemble ordonné peut devenir
source de droit : jurisprudence. Elle est bien sûr à mettre en parallèle avec le développement
du rôle des tribunaux.
Les causes traitées à l’Audience du Palais Apostolique sont primitivement examinées en
consistoire par le Pape lui-même. Les décisions passeront donc directement dans les recueils
de décrétales. L’autonomie de l’audience, à partir du XIIIe siècle, changera cette situation,
les canonistes regrouperont l’examen des causes dans des traités spécifiques, en suivant
fréquemment le plan du Décret. Les juges de la Rote eux-mêmes, en Avignon, se mettront à
composer des recueils qui les aideront dans leur tâche contentieuse : signalons, au début du
XVIe siècle, celui de Guillaume Cassador. Cette jurisprudence canonique sera très importante
dans le droit des nullités de mariage.
Une ébauche de jurisprudence administrative émerge également avec la publication des
Consuetudines Curiae romanae due à Bonaguida d’Arezzo sous le pontificat d’innocent IV.
On y trouve les méthodes d’interprétation des rescrits, le champ des excommunications et
absolution. Ultérieurement, les congrégations romaines permanentes prendront l’habitude
de publier leurs déclarations, résolutions ou réponses spécifique, tel le Saint Office qui publie
en 1559 le premier index des livres prohibés. Mais il s’agit davantage de doctrine
administrative que de jurisprudence au sens moderne de ce mot.
§ VIII. La coutume
La coutume peut être définie comme un ensemble d’usages considérés par le milieu
intéressé comme juridiquement obligatoires. Un simple usage, on le voit, ne constitue pas
une norme ; il y faut le consentement d’une communauté. Celle-ci peut être représentée par
l’Eglise universelle ou par une Eglise particulière, un institut religieux etc. historiquement, les
coutumes locales ont servi à se protéger contre la primauté romaine ; par exemple, en
France, à défendre le gallicanisme. Généralement un certain délai est nécessaire à
l’émergence d’une coutume ; il peut varier de quelques années à bien davantage (10,20
ans). En cas de doute, on sollicitait le Siège Apostolique de confirmer l’existence de la
coutume litigeuse. De là on glissera à la nécessité d’une approbation par le Pontife romain :
la coutume canonique doit recevoir le consentement du législateur, lequel peut être général
et implicite, ou bien exprès en cas de coutume contraire au droit. Et il n’est pas rare du reste
que le législateur intervienne pour réprouver des coutumes abusives, ou approuver des
coutumes universelles comme l’empêchement de disparité de culte en matière de mariage.
Alors, dûment rédigée et promulguée, la coutume change certainement de nature. Quoiqu’il
en soit, saint Thomas appuiera ce principe : la valeur d’une coutume lui vient toujours de
l’approbation donnée par le souverain. Pareille approbation législative confère à la coutume,
jusqu’à nos jours, une coloration particulière en droit canonique. On parlera alors de
coutumes romaines dont l’autorité même du siège Apostolique impose le maintien. Quant
aux coutumes particulières, elles ne concernent que des matières marginales (sacramentaux,
cérémonies ou rites). Une coutume pourra être invoquée devant le juge, mais ce sera à lui,
21

en dernier ressort, d’en constater l’existence et de l’interpréter, toujours de façon stricte. A


bien des égards la coutume est donc une source du droit dépendante.

Chapitre troisième

Le Pontife romain
L'évêque de Rome, de par son élection sur ce siège, reçoit autorité comme
pasteur suprême de tous les fidèles; il exerce alors, à son gré selon une forme
collégiale ou personnelle, le gouvernement de ! 'Église universelle. De façon
incontestable, il contribue à assurer l’unité de l’Église catholique.

§ 1. La primauté pontificale et le ministère d'unité

La primauté du siège de Rome est très ancienne. On en discerne des traces


visibles dès les premiers siècles chez les Pères de l'Église, Ignace d'Antioche et Irénée
notamment (supra p. 22), mais aussi chez saint Augustin ( « Roma /ocuta est, causa finira
») ou saint Ambroise ( « ubi Petrus, ibi ergo Ecc/esia »),même si des tentatives de
résistance se font jour en Afrique. La primauté alors envisagée est celle de la Sedes, ancrée
dans] 'ancienneté de fondation remontant au martyre des bienheureux apôtres Pierre et Paul.
Au Concile de Chalcédoine, un glissement s'opèrera en faveur de la primauté du Sedes, du
Pontife régnant. Les légats du Pape argumenteront ainsi : puisque la Ville de Rome est la tête
de toutes les autres Eglises, il en va de même pour l'évêque de cette ville i « Pierre peut donc
parler par Léon »; selon ces mêmes sources. La succession pétrinienne transmet la primauté
de Pierre, elle-même ancrée dans l’Évangile, à savoir : la confession de foi (Mt 16, 18),
l'invitation faite à Pierre d'affermir ses frères dans la foi (Le 22, 32) et le privilège de la
première apparition du Ressuscité (Le 24, 34).

Au Ve siècle, le Code de Justinien transcrira ces prérogatives du successeur de


Pierre qui est appelé le premier de tous les évêques, et qui reçoit autorité sur les autres
Églises en tant qu'évêque de Rome. Au Moyen-âge, la primauté pontificale va s'affirmer face
au pouvoir politique (pour assurer la suprématie ecclésiale sur les rois ou les empereurs ; cf.
supra p. 34, les Dictatus Papae) mais aussi dans l'Église (pour contrer notamment les
prétentions des métropolitains). Pour fonder ce pouvoir, la volonté du Christ fait référence:
Pierre a été appelé à prendre soin de tout le troupeau. Alexandre III (1154-1181) utilisera
notamment la métaphore de la mère qui fera fortune : « L'autorité ecclésiastique a établi
que, dans les affaires les plus graves, il faut recourir au Siège Apostolique comme à la tête
et à la mère de tous. Celui-ci sait en effet secourir, avec les entrailles de sa charité
maternelle, ses fils opprimés». Ainsi l'Église romaine devient) 'Église mère, la matrice de
toutes les Églises. En pareil système, le Pontife romain détient la plenitudo potestatis, la
plénitude du pouvoir de gouvernement - les évêques n'ayant, quant à eux, qu'une part de
sollicitude ('pars sollicitudinis') pour l'Église universelle. Innocent III (1198-1216) peut
22

écrire:« Les autres apôtres ont été amenés à partager le pouvoir, mais Pierre est le seul qui
ait été amené à jouir de la plénitude ... Le Pape est le vicaire de Celui dont le royaume n'a
pas de limites ». Ce qui signifie clairement, ajoute-t-il en commentant Luc 22, 32 que « les
successeurs de Pierre n'ont jamais dévié de la foi ». On passe alors de l'indéfectibilité de
l'Église, qui trouve sa source dans l 'inerrance de) 'Écriture, à l'infaillibilité du Pontife
romain, même s'il faudra attendre Vatican I pour qu'elle soit solennellement proclamée.
Entre temps, les poussées anti-conciliaristes lui auront ouvert la voie, particulièrement le
Concile de Florence qui, en 1439, proclama la primauté du Siège Apostolique sur toute la
terre et que la Constitution Pastor Aeternus citera expressément : « Le Pontife romain est
le vrai vicaire du Christ, la tête de toute l'Église, le père et le docteur de tous les chrétiens ; à
lui, dans la personne de saint Pierre, a été confié par N .S .J .C. plein pouvoir de paître, de
régir et de gouverner toute l'Église». À Vatican I on va justement reconnaître au Pontife
romain un pouvoir vraiment épiscopal sur toute la terre. En cette même période, tandis que
la souveraineté politique de l'Église est contestée, le Pape va chercher à asseoir son autorité
magistérielle. Dans un contexte ecclésial tourmenté qui oppose ultramontains de droite (de
Maistre) et de gauche (Lamennais) aux gallicans de France (Maret, Dupanloup, Darboy),Pie
IX va en faire une affaire personnelle: son Magistère peut être infaillible de par lui-même et
non en vertu du consentement de l'Église (sur les conditions strictes alors posées, voir infra
p. 117-118). Ainsi tranche la Constitution Pastor Aeternus sur laquelle certains Pères
conciliaires préfèreront s'abstenir en quittant
Rome.
On le voit, l 'histoire a inscrit la primauté pontificale dans une perspective biblique
certes, mais aussi très politique, ne la réduisant pas à une simple primauté d'honneur en
insistant sur ses implications hiérarchiques. Le Concile Vatican II et surtout l'encyclique Ut
unum sint de 1995 permettent de revisiter cette histoire. Jean-Paul II y qualifie sa charge de «
présidence dans la vérité et dans l'amour» (n° 97). Le collegium est un terme de droit romain,
repris par saint Cyprien, qui correspond à la notion biblique d 'adelphotes, de fraternité
apostolique des ministres de l 'Évangile. La primauté s'inscrit dans ce collège, à son service et
non au-dessus de lui (Tillard). Voilà le sens authentique de la primauté pétrinienne, laquelle est
inséparable de la collégialité et ne doit servir qu'à l'édification de l'Église. Du reste, tout à fait
traditionnellement, le Pontife romain est qualifié de Servus servorum Dei. Aussi Jean-Paul Il,
dans une perspective œcuménique , se disait-il prêt à rechercher, avec les théologiens et les
pasteurs des différentes Églises, des formes nouvelles de ce ministère d'amour. Notamment il
est désormais acquis que le champ de la primauté peut évoluer dans un sens ou dans l'autre: «
Le fait qu'une tâche déterminée ait été assurée par la primauté à une certaine époque ne signifie
pas à lui seul que cette tâche doive nécessairement être toujours réservée au Pontife romain; et
inversement le seul fait qu'une fonction déterminée n'ait pas été préalablement exercée par le
Pape n'autorise pas à conclure qu'elle ne puisse jamais, d'aucune manière, devenir dans l'avenir
une compétence de la primauté» (Congr. pour la Doctrine de la Foi, Note sur la primauté du
successeur de Pierre, 1998). L'histoire ne nous éclaire donc pas sur un noyau dur de la
23

primauté; celle-ci est d'appréciation conjoncturelle et peut toujours donner lieu à des relectures
du Nouveau Testament. Dans le nouveau Peuple de Dieu, le cardinal Ratzinger pouvait
écrire en 1971 : « L'image d'un État centralisé ... le droit ecclésial unitaire, la liturgie unitaire,
l'attribution unitaire de sièges épiscopaux à partir du centre romain - tout cela ce sont des
choses qui ne font pas nécessairement partie de la primauté en tant que telle». La communion
même imparfaite avec les autres Églises devrait aider à de possibles redéfinitions.

L'orthodoxie, d'abord, admet parfaitement l'idée d'une primauté patriarcale, même si


celle-ci est desservie par l'acuité des différents nationalismes. Mais le patriarche de
Constantinople n'est qu'un primus inter pares ayant une simple primauté de service face à
des Églises autocéphales lesquelles parfois opposent beaucoup de freins (en témoigne la
réunion toujours reportée d'un concile panorthodoxe). Cependant le patriarche
Bartolomée F' lui-même a pu reconnaître en Jean-Paul Il « un frère aîné, l'évêque de
la première Rome avec lequel nous sommes en communion d'amour» (29 juin 1995).
Et Jean-Paul II de lui répondre que le Christ a envoyé ses apôtres deux par deux : «
Peut-être cela veut-il dire que le Christ nous envoie ensemble pour que nous portions
témoignage ». C'est dans cet esprit que Benoît XVI, en juin, 2006, pourra qualifier
les deux Églises de Rome et de Constantinople d'Eglises sœurs. Le document de la
Commission mixte internationale catholique-orthodoxe, publie le 13 octobr e 2007,
approfondie encore ce thème : les deux parties reconnaissent qu'il y a un ordre canonique, une
taxis, dont témoigne l'Église primitive et rappellent qu'historiquement Rome occupait
la première place dans cette taxis, tandis que son évêque était le protos de tous les
patriarches.
De son côté jadis, le primat de la Communion anglicane, le Dr Ramsey a-t-il pu
reconnaître une certaine primauté à l'évêque de Rome; mais cette interprétation reste
isolée et loin de refléter les positions plus dures des Églises luthérienne et surtout
réformée.
Tout cela montre que la primauté qui, hier, fut une pomme de discorde entre
chrétiens, pourrait devenir demain le chemin de leur unité, à condition de ménager les
étapes ! À cet effet, certains proposent de ne pl us confondre primauté romaine et
patriarcat sur l'Église latine, le Pontife pouvant se voir reconnaître des prérogatives
différenciées dans l'exercice de ses deux fonctions. Dans une perspective de
communion œcuménique, la vie de l'Église pourrait se dérouler au sein d'un ensemble
coordonné de patriarcats soit par grandes zones géographiques (Amérique, Asie,
Europe ) soit par traditions propres (patriarcats orthodoxe, anglican, luthérien ).
Chaque patriarcat garderait ses coutumes propres, préservé par un droit propre, mais
dans le cadre d'un lien de communion à définir avec le Pontife romain ; par exemple,
chaque patriarche pourrait intervenir dans les nominations épiscopales, confirmerait
les métropolitains, mais le droit d'appel à Rome serait toujours sauvegardé. La
perspective est séduisante; est-elle bien réaliste et conforme à l'évolution de la
24

Tradition?

II. L’élection du Pontife romain

Le Pontife romain est élu au sein de son Eglise particulière qui est l’Eglise de Rome.
Traditionnellement il est l’élu des cardinaux qui sont tous titulaires d’un siège ou
d’une charge dans l’Eglise de Rome. L’élection du Pontife romain revient à leur
collège depuis le XIIIe siècle. Mais pendant très longtemps, en pratique jusqu’à
l’élection de Pie X, il y a eu immixtion des pouvoirs civils, certaines grandes
puissances ayant un droit de veto. Actuellement, c’est uniquement une affaire de
l’Eglise dont les modalités sont prévues par la Constitution apostolique Universi
Dominici Gregis du 22 février 1996 qui a trouvé à s’appliquer en 2005 après la mort
de Jean Paul II et qui a été légèrement modifiée par Benoît XVI, le 11 juin 2007.

Le conclave comprend les seuls cardinaux âgés de moins de quatre-vingts ans,


étant précisé que le nombre de cardinaux électeurs ne doit pas dépasser 120. L'élection
se déroule à huis clos (cum clave, sous clef). Les électeurs prêtent le serment de garder un
secret absolu sur tout ce qui peut concerner l'élection. Le cardinal camerlingue veille
au secret des délibérations que préside le Doyen du Sacré Collège.
Le mode d'élection était autrefois complexe, car il pouvait revêtir trois
formes: par acclamation, ou proclamation unanime et à haute voix du nom de l’élu ;
par scrutin à la majorité qualifiée ; et, en cas de blocage, par compromis - les
cardinaux s'en remettant alors à quelques-uns du soin de l'élection. Jean-Paul II a
voulu moderniser et simplifier la procédure: il a supprimé la première formule
inusitée et la dernière qui déresponsabilisait les cardinaux. Il a donc conservé le
seul principe d'élection par scrutin. Celui-ci a normalement lieu à la majorité des
2/3. Cependant, après dix-neuf tours de scrutin infructueux, le vote portera sur les
deux seuls cardinaux qui auront obtenu le plus de suffrages (eux-mêmes ne prenant
pas part au vote).
Tout homme baptisé dans l’Église catholique peut être élu évêque de Rome.
S'il n'est pas encore évêque, il reçoit tout de suite l'ordination épiscopale des mains
du Doyen du Sacré Collège. Dans le passé, des prêtres ou même des diacres (Adrien
V en 1276) ont pu être élus. L'élu est appelé à consentir à son élection. Après cette
acceptation, l'élu est immédiatement évêque de l'Église de Rome, Pape et chef du
collège épiscopal.
Par-delà les détails de procédure, une seule question importe: faut-il maintenir
l'élection du Pontife romain par le seul collège des cardinaux? Ce corps électoral est
restreint et aristocratique. Certains ont pu souhaiter son élargissement afin de
favoriser la collégialité, d'asseoir la représentativité du Pontife, voire d'instiller de la
démocratie dans le système. Dans le passé, Rahner avait proposé l'élection du
Pontife par le collège des évêques, ou du moins par des représentants de celui-ci.
25

Paul II a lui-même, un temps, songé d'élargir le conclave aux patriarches des Églises
orientales voire aux membres du secrétariat du synode des évêques. De tels
bouleverse n'auraient pas été sans inconvénients: détacher le Pontife romain du
clergé de son Église de Rome (même si l’appartenance des cardinaux à cette Église
est fictive: infra p. 126); accroitre encore l’autorité du Pontife élu par une base
élargie ; boucher, de ce fait, des perspectives de rapprochement œcuménique. Oui,
finalement il semblerait dangereux à bien des égards de dissocier le Pontife romain
de son Église particulière pour en faire un délégué de l'Église universelle. On ne
peut donc qu'approuver le statu quo actuel.

Pour terminer, on signalera que le Pontife romain peut renoncer à sa charge


(c.332 §2), mais il n'est pas tenu de le faire, à la différence des évêques à soixante-
quinze ans accomplis. L'histoire connaît un seul cas de renonciation: celui de
Célestin V en 1294. On le sait le Pape Jean-Paul II, pourtant très malade, n'a pas
exercé ce droit malgré certaines pressions.

§III. Les compétences du Pontife romain


Le Pontife romain a une compétence universelle d'enseignement, de
sanctification et de gouvernement. On en présentera les spécificités, avant de
mentionner la nature de ses pouvoirs.

A. Enseignement: le Magistère
La question de l'enseignement par le Pontife romain amène à examiner plus
largement la question du Magistère dans l’Eglise qui, est également exercé par les
évêques pour déterminer ce qui appartient à la foi. Depuis le Concile de Trente, Le
Magistère est l’élément décisif de la Tradition (Kasper).
La problématique est déjà ancienne. On a repéré dans l'historique (supra p. 28
s. et 31 s.) le développement progressif des pouvoirs des conciles et des Papes. Cet
accroissement des prérogatives d'enseignement sera une vive pomme de discorde avec
la Réforme: le libre-examen prôné par M. Luther s'oppose à l'autorité magistérielle. Le
dogme de l’infaillibilité pontificale, trop souvent mis en avant depuis la fin du XIXe
siècle, ne fera qu'envenimer le débat. Mais, par son Magistère, l'Église aura aussi à se
défendre contre les ennemis de l’intérieur. Ce sera, au début du XX e siècle le serment
anti-moderniste imposé pour préserver l'autorité du Magistère; sa forme actualisée en
est le serment de fidélité imposée aux décideurs et aux enseignants dans l'Église.
Le Concile Vatican II a posé, sous une forme renouvelée, l'autorité du Magistère
en examinant à nouveaux frais, et non sans débats passionnés, l'articulation de la
Tradition sur ! 'Écriture. Les positions de Dei Verbum (n° 10) ont le mérite de la
clarté: le Magistère n'est pas au-dessus de la Parole de Dieu, mais la sert en la portant.
26

La question demeure très actuelle. Elle a donné lieu, de la part de Rome, à de


récents rappels lors de conflits avec les théologiens (instruction Donum veritatis de
1990 sur la vocation ecclésiale du théologien) ou à propos de la controverse sur
l'ordination sacerdotale des femmes (lettre apostolique Ordinatio sacerdotalis de 1995
et question-réponse de la Congr. pour la Doctrine de la Foi sur la valeur de cette
doctrine). La question est fondamentale dans la mesure où le Magistère est
d'institution divine: au service de la Parole de Dieu, « il a été voulu positivement par le
Christ comme élément constitutif de l'Église» (instr. de 1990 préc.). Le Magistère sert,
en effet, à garantir l'unité de l'Église dans la vérité du Seigneur, en la préservant de
tout dissentiment.
Les formes du Magistère sont diverses. Vatican I a dégagé la notion
d'infaillibilité du Pontife romain, et précisé ses conditions. Vatican II fera émerger les
prérogatives des évêques et affirmera, de façon analogue, leur infaillibilité. C'est le
Magistère solennel. Mais, depuis lors, les débats se sont surtout amplifiés autour de
l’existence du Magistère ordinaire et universel.

Le Saint Siège refuse notamment de limiter l'infaillibilité du Magistère dans les


conditions strictes posées à Vatican I pour son exercice par le Pontife romain. II
multiplie les positions définitives en matière dogmatique (Ordinatio sacerdotali) ou
morale Humanae vitae, Veritatis splendor). Ici ou là des critiques se lèvent qui
émanent de théologiens vivement rappelés à l’ordre en 1990, voire de conférences
épiscopales (telle la conférence des évêques allemands utilisant un droit de
remontrance en 1989 contre la profession de foi et le serment de fidélité). Dans cet
environnement, le souci de Rome est de bien dégager le Magistère pontifical, d’en asseoir
l'autorité et d'en assurer la sanction. Tel a été l'objet du Moru proprio Ad tuendam
fidern du I 9 mai 1998 qui a porté, à ce jour, la seule réforme du Code de droit
canonique rendue nécessaire par le contenu de la nouvelle profession de foi de 1989.

Ces précisions apportées, il est maintenant loisible de distinguer les différents


niveaux d'intervention du Magistère.

1) Le Magistère solennel

C'est le Magistère classique d'infaillibilité, dont le nom évoque


automatiquement la prérogative reconnue par Vatican I au Pontife romain. Mais son
champ est bien plus large, selon les délimitations du Concile Vatican II. À cette
occasion, son ancrage théologique a été revisité: il peut être repéré dans le sensus
fidei, ce sens surnaturel commun à tous les fidèles qui, dans leur c~uni versel, ne
peuvent se tromper dans la foi (Lumen Gentium 12). L'infaillibilité in credendo vient
27

soutenir l'infaillibilité in docendo qui appartient au Magistère d'enseignement. Cette


infaillibilité, et c'est très important, découle elle-même de l 'inerrance de l’Écriture.

Le Magistère solennel est inscrit au c. 749 qui, avec sobriété et précision,


codifie les apports successifs des deux Conciles du Vatican.

Le Magistère du Pontife romain a été âprement discuté à Vatican I, la


minorité ayant même préféré quitter le Concile avant le vote. Très contesté par la
Réforme et l'orthodoxie, le dogme de l'infaillibilité pontificale est aujourd'hui bien
assis en dogmatique et en doctrine canonique.

Le c. 749 § 1 en rappelle les modalités qui reprennent les conditions posées par
la Constitution Pastor Aeternus (laquelle doit être relue à la lumière du rapport
Gasser). Ces conditions sont au nombre de trois:

- Quant à l'auteur de l'acte: le Pontife romain doit avoir agi comme ‘pasteur et
docteur suprême de tous les fidèles’'. Il doit vouloir vraiment décider comme Chef de
l’Eglise catholique, en tant que son suprême enseignant. Ce qui n’est pas réalisé
lorsqu'il parle à des groupes linguistique particuliers, par exemple, ou lors
d'instances peu solennelles comme les audiences du mercredi. L'intention d'agir ainsi
doit être expresse, c'est-à-dire explicitée par le Pontife romain ; autrement dit il n'y a
pas.de présomption d'infaillibilité (c. 749 §3).

- Quant à la nature de l'acte, celui-ci doit être décisif ou plutôt 'définitif'


(definitivo actu). C'est un acte qui engage irréversiblement l'Église en se situant
expressément dans la Tradition.
- Quant à la matière: l'acte doit concerner la foi ou les mœurs. II s'agira donc
d'une définition dogmatique ou d'un énoncé moral. Cela recouvre bien sûr le donné
révélé par la Parole de Dieu, mais aussi « toutes les vérités qui sont nécessaires pour
que le dépôt de la Révélation soit maintenu dans son intégrité» (rapport Gasser).
L'infaillibilité s'étend jusqu'aux vérités nécessaires pour comprendre la Révélation, à
tout ce qui permet de garder et d’exposer saintement le dépôt de la RévéÎation
(Lumen Gentium 25).
L'enseignement solennel du Pontife a valeur infaillible en lui-même, ex sese, et
non en vertu d'un quelconque consentement de l'Église.
On sait que, depuis la proclamation de Vatican I, le Pontife n'eut recours à ce
procédé exceptionnel qu'une seule fois, pour définir en 1950 le dogme de
l’Assomption par la Constitution Munificentissimus Deus. On remarquera, comme
Pie XII l'a écrit, qu'il s'agissait d'une dévotion mariale extrêmement ancienne,
28

largement appuyée par la doctrine spirituelle; en outre, le Pape avait fait précéder sa
définition par une consultation de tous les évêques de l'univers qui, quasi
unanimement, avaient répondu positivement à la question posée.
Le Magistère du concile œcuménique a été affirmé par Vatican II dans la
Constitution Lumen Gentium (n° 25) selon des conditions symétriques à celles
prévues pour le Pontife romain. On rappellera que ce même Concile n'a pas proposé
de nouvelle définition dogmatique solennelle, se bornant à exercer son Magistère
ordinaire et universel - ce qui conduisit certains à qualifier le Concile Vatican II de
simplement « pastoral ».

Le non-respect du Magistère solennel est lourdement sanctionné. L'hérésie est


justement définie, par le c. 751, comme la négation ou le doute obstiné sur une vérité
qui doit être crue de foi divine et catholique. Elle est punie d'excommunication latae
sententiae (c. 1364 § 1).

2) Le Magistère ordinaire et universel des évêques en lien avec le Pontife


romain
Sans prononcer une déclaration solennelle d'infaillibilité, les évêques même
dispersés à travers le monde, gardant le lien de la communion entre eux et avec le
successeur de Pierre, peuvent adopter des positions qui reflètent la doctrine constante
de l'Église. Pie IX déjà, dans la lettre Tuas Libenter du 21 décembre 1863, y faisait
allusion se référant au « Magistère ordinaire de toute l'Église dispersée sur la terre»
auquel on doit répondre par une obligation de foi. La Constitution Dei Filius (chap.
III) le qualifiera, avec une plus grande précision de « Magistère ordinaire et
universel», et lui attachera une force impérative comparable au Magistère solennel : «
On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de
Dieu, c'est-à-dire dans l’Écriture et dans la Tradition, et tout ce qui est proposé par
l'Église comme vérité divinement révélée, soit par un jugement solennel, soit par son
Magistère ordinaire et universel ». Cette disposition sera reprise, presque mot pour
mot, par le Code de 1983 au c. 750 (actuel§ 1).

Cet héritage, qui s'enrichit au cours des siècles, couvre donc tout le champ de la
Révélation ainsi que ce qui est transmis par la Tradition : canon et inerrance des
Écritures, affirmations christologiques ou mariales (c. 750 § 1 préc.). Le serment de
fidélité de I 989 a encore élargi le champ de ce Magistère en y incluant des vérités 'à
croire' simplement connexes à la Révélation, c'est-à-dire qui ne sont pas directement
inscrites en elle mais qui peuvent en être déduites, par exemple les enseignements sur
la contraception ou l’euthanasie, sur la prostitution, les canonisations ou le sacerdoce
réservé aux hommes. On le devine, la liste peut être longue de toutes ces vérités
requises pour garder saintement et fidèlement le dépôt de la foi. Le Moru proprio Ad
29

tuendam fidem de I 998 insiste sur le statut de ces vérités: elles sont définitives et
doivent être gardées comme telles. À la double condition qu'elles appartiennent à la
substance de la foi ou des mœurs et qu'elles soient conformes à la Tradition. Ce texte a
été codifié dans le §2 duc. 750 ajouté au Code de droit canonique.

Qui va proposer à la foi des fidèles de telles vérités considérées comme


divinement révélées? Bien sûr les conciles qui reprennent des éléments de cet
enseignement épiscopal continu, en dehors même de toute définition solennelle : tel
fut le cas à Vatican II au fil des différentes constitutions et déclarations conciliaires.
notamment de Lumen Gentium et Dei Verbum qui enseignent et rappellent la
doctrine du Christ. Mais, le plus souvent, c'est le Pontife romain qui sera comme le
régulateur de ce Magistère ordinaire et universel. C'est lui qui va le constater,
particulièrement dans ses encycliques (cf. Humanae vitae, veritatis splendor).
Autrement dit, « le Magistère pontifical ordinaire peut enseigner comme définitive
une doctrine en tant qu'elle est constamment conservée et tenue par la Tradition et
transmise par le Magistère ordinaire et universel» (note du secrétaire de la Congr.
pour la Doctrine de la Foi du 20 décembre 1997).

Une telle doctrine est définitive car elle a un lien intrinsèque avec la vérité
révélée et désire souvent mettre un point final à des controverses. Alors le Pontife
romain porte un jugement définitif sur une matière jusque-là discutée ; il la ferme au
débat - ce qui n'est guère dans l'esprit de Lumen Gentium 25, mais bien plus du
schéma De Magisterio qui avait pourtant été retiré.

Définitive, pareille doctrine peut être proposée à croire infailliblement.


L'infaillibilité n'est donc nullement réservée aux définitions solennelles du Pape ou
d'un concile: sur ce point Lumen Gentium 25 est formel et porte justement sur
l'infaillibilité des évêques dispersés. L'exemple du refus d'ordonner des femmes
comme prêtres est tout à fait éclairant sur ce point délicat. Dans sa lettre apostolique
de 1994 Ordinatio sacerdotalis, Jean-Paul II soulignait que cette position,
constamment observée par la Tradition et fermement enseignée par le Magistère
jusque dans les documents les plus récents, devait être définitivement tenue par
l'Église et « concerne la constitution divine elle-même de l'Eglise » ; autrement dit,
elle est de droit divin. Le fondement de cette position a été explicité, le 18 novembre
1995, dans la question-réponse émanant de la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi: le caractère définitif de cet enseignement repose sur l'infaillibilité même du
Magistère ordinaire et universel de l'Eglise. On perçoit bien l'argumentaire: le
Magistère 'ordinaire', c'est-à-dire authentique, du Pontife romain constate une
doctrine constante, synchroniquement et diachroniquement tenue par tous les
évêques de l'univers; en vertu de Lumen Gentium 25-2 expressément cité, c'est là
30

une doctrine infaillible et la Congr. pour la Doctrine de la Foi se borne à le rappeler.


Enfin, la Congrégation a, le même jour, publié une explicitation de sa réponse, afin
d'insister sur l'assentiment plénier dû à une telle doctrine définitive et donc
irrévocable: « Cette doctrine appartient au dépôt de la foi de l'Église. Il faut donc
souligner que le caractère définitif et infaillible de cet enseignement n'est pas né
avec la lettre Ordinatio sacerdotalis ». Et plus loin : « Un acte du Magistère
pontifical ordinaire, en soi non infaillible, atteste le caractère infaillible de
l'enseignement d'une doctrine déjà en possession de l’Église ». L'essentiel est dit: le
Pontife ne fait que constater le dépôt assumé par le Magistère ordinaire et universel.
Et Mgr Bertone va plus loin en observant que la déclaration pontificale jouit de la
même infaillibilité que le Magistère ordinaire et universel. Ce qui rappelle la thèse
de Vacant, défendue au lendemain de Vatican I, selon laquelle le Pontife romain
peut exercer un Magistère ordinaire infaillible par symétrie avec celui des évêques -
thèse toujours demeurée marginale en doctrine.
On a souvent critiqué cette réforme, conséquence du Motu proprio Ad tuendam
fidem, notamment en ce qu'elle a introduit un élargissement difficile à contrôler des
vérités à croire, leur nivellement aussi. Et puis elle a conduit à des glissements
successifs dans l'utilisation de l'infaillibilité qui avait pourtant été strictement
cantonnée à Vatican I. Finalement, à tout moment, le Pontife romain peut découvrir
de nouvelles pépites d'infaillibilité dans des matières connexes à la Révélation, en se
référant implicitement à la communion épiscopale qui sous-tend leur formulation.
La sanction du Magistère ordinaire et universel varie selon la nature de la
matière en cause. Les vérités de foi duc. 750 § I requièrent un assentiment de foi
sanctionné par l'hérésie (c. 751) qui entraîne une excommunication latae sententiae
(c. 1364). En revanche, sera seulement « puni d'une juste peine ... qui rejette avec
opiniâtreté un enseignement dont il s'agit au c. 750 §2 » (c. 1371 l 0). L'opiniâtreté est
caractérisée après que l’intéressé eût refusé d'obéir malgré une monition du Siège
Apostolique ou de son Ordinaire. La peine pourra consister, par exemple, dans la
privation d'un office ou de la faculté d'enseigner, dans l'interdiction de demeurer dans un lieu
voire dans la suspense a divinis pour les clercs. La gradation des sanctions ici prévue
montre bien la hiérarchie qui s'établit entre les vérités de foi duc. 750 § 1 et celles qui leur
sont seulement connexes du §2.

3) Le Magistère authentique du Pontife romain et des évêques

Il est prévu par les c. 752 et 753. C'est, pourrait-on dire, le Magistère de droit
commun dans la mesure où, sauf précision contraire, c'est lui qui est engagé dans le mu nus
docendi .

Il appartient au Pontife romain dans tous les cas où celui-ci n'engage pas son
31

Magistère solennel : c'est le Magistère pontifical ordinaire, et on vient de voir ses


interférences avec le Magistère ordinaire et universel des évêques.

Les évêques. à titre individuel, engagent également le Magistère authentique de


l'Église; ou encore s'ils sont réunis en conférences (sous certaines conditions. supra p. 84-
85) voire en conciles pléniers.

Ce Magistère est authentique parce qu'il est revêtu de l'autorité du Christ, laquelle est
justement confiée aux évêques. Inauguré par Vatican Il (Lumen Gentium 25), il requiert «
une soumission religieuse de l'intelligence et de la volonté» (c. 752). Autrement dit, une
obéissance de jugement est demandée aux fidèles; cette soumission est qualifiée de
'religieuse' parce qu'elle n’est pas forcément scientifique ou rationnelle, mais fondée sur
l'autorité spirituelle du Magistère assisté par l’'Esprit Saint. Pareille obéissance de foi oblige
à faire un effort pour entrer dans les vues de l'autorité. La Note sous le Motu proprio Ad
tuendam fidem (n° 11) est curieusement plus souple sur ce point, soulignant que des degrés
différents d'adhésion peuvent être requis selon la nature de chaque document ou la volonté de
ses auteurs. Elle reprend ici l'instruction sur la vocation ecclésiale du théologien (n° 24) qui
avait tenu compte de la nature des questions soulevées, lesquelles peuvent encore être
débattues (telle la procréation assistée dans l'instruction Donum vitae de 1987). On observe
ici une plasticité tout à fait remarquable de l'adhésion sollicitée à l'égard du Magistère
authentique.

De façon plus générale, le refus d'obéir au Magistère authentique constitue une faute
relevant de la Pénitence et pourra éventuellement être puni d'une juste peine dans les
conditions prévues au c. 1371 § 1 préc.

B. Sanctification

Le Pontife romain est grand prêtre et dispensateur des mystères de Dieu pour! 'Église
de Rome et! 'Église universelle à laquelle il préside dans la communion de la charité. À ce
titre, il a des responsabilités particulières ; on retiendra ci-après les principales.

1) Fonctions liturgiques
Il revient au Siège Apostolique d'organiser la sainte liturgie de l'Église tout
entière, d'éditer les livres liturgiques, de reconnaître leurs traductions diverses
(préparées sous l'autorité des conférences d'évêques) et de veiller à ce que les règles
liturgiques soient fidèlement et partout observées (c. 838 §2). Le régime est
relativement centralisé: compte tenu du caractère public de l'action liturgique et de ses
implications théologiques, il revient en effet à l’autorité suprême de l’Eglise de la
32

réglementer. L'action liturgique vient comme prolonger 1’enseign’ment du Magistère,


car la lex orandi est le corollaire de la lex credendi. C’est pourquoi la divine liturgie a
toujours été soumise aux lois de l'Eglise. Dans la veine du Concile Vatican II, la
Congrégation pour le Culte divin a institué en 1970 le nouveau Missel romain dit de
Paul VI puis révisé progressivement les rituels des sacrements.

Il revient au Pontife romain de prononcer les béatifications et canonisations,


actuellement réglementées par la Constitution Divinus perfectionnis Magister de I
983. La procédure ne peut normalement être ouverte que cinq ans après la mort de
l’intéressé (sauf exception autorisée par le Pape, par exemple récemment en faveur de
Mère Teresa puis de Jean Paul Il). Elle débute par une instruction menée par l’évêque
diocésain, soit d'office soit à l’'instigation d'un groupe de fidèles. Une biographie est
établie par le postulateur de la cause ; les écrits du Serviteur de Dieu sont examinés
par des censeurs qui se penchent sur leur validité théologique et morale; des témoins
ainsi que des experts peuvent être entendus; une enquête sera conduite sur les vertus
ainsi que sur les miracles présumés, car il en faut au moins un. Puis le dossier remonte
à la Congrégation pour les causes des saints qui commence par vérifier le bon déroulé
de la procédure diocésaine ; des théologiens seront consultés et le promoteur de la foi
n'hésitera pas à mettre en relief les difficultés éventuelles ; des experts, par exemple
des médecins, donneront leur avis sur les miracles. Les consulteurs théologiens
émettront ensuite un vote qui éclairera la Congrégation, laquelle se prononcera en
assemblée plénière de cardinaux et évêques. La décision ultime revient au Pontife
romain qui prononcera la béatification puis éventuellement plus tard, après un
nouveau miracle, la canonisation ouvrant ainsi la voie à un culte public et universel.
Le juriste observera que la procédure s'apparente à un véritable procès, à 'une cause
criminelle renversée' (Parsi) dont le but n'est pas de condamner mais de louer; et elle
débouche sur une juridiction purement gracieuse, sur un acte de grâce du Souverain
Pontife.

3) Indulgences
L'autorité suprême de l'Église a également le pouvoir d'accorder des
indulgences. L'indulgence est caractéristique de la miséricorde de Dieu : elle est
gratuite. Dans l'ancienne Alliance, elle était liée à l’année jubilaire, année de remise
des dettes. Dans l'Église actuelle, elle est « la remise devant Dieu de la peine
temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée» (c. 992). Le péché est,
en effet, générateur de peines en ce monde (souffrances, épreuves, cicatrices diverses)
ou dans l'au-delà (peines purificatoires) ; en péchant, nous nous sommes blessés nous-
mêmes ou nous avons blessé les autres. L'Eglise croit que la communion des saints est
une solidarité de grâce, un don de Dieu qui désire que tout le bien fait dans le monde
puisse profiter aux pécheurs impuissants par eux-mêmes à se sauver. C’est un trésor
33

que celui des mérites des saints dans lequel le Pape s'autorise à puiser en accordant des
indulgences. Pour l'obtenir, le pécheur doit être en état de grâce, avoir été pardonné et
avoir réparé les préjudices éventuellement causés. L'indulgence est comme un
prolongement de la pénitence, une irradiation de la rédemption. Encore faut-il que le
pénitent fasse une démarche concrète de conversion, et accomplisse une œuvre au
temps et selon les modalités fixés par l'Église. On signalera enfin que l'indulgence est
plénière ou partielle selon qu'elle libère totalement ou partiellement de la peine
temporelle due pour les péchés (exclusion de la peine ou simple réduction de peine
comme dans le procès pénal). Pour éviter pareille comptabilité, dans un domaine
sensible très critiqué par la Réforme. le Bulle d'indiction du grand Jubilé de l'an 2000
a davantage insisté sur l'indulgence de Dieu que sur 'les' indulgences au pluriel ;
Benoît XVI fera de même lors de son intronisation ou pour fêter le quarantième
anniversaire de la clôture de Vatican Il en 2005.
C. Gouvernement

La potestas regiminis, encore appelée pouvoir de gouvernement ou de


juridiction, appartient pleinement au Pontife romain sous ses trois formes: pouvoir
législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire (cf. c. 135).Au niveau suprême, il y a
concentration des pouvoirs entre les mains du Pontife romain, ce qui accentue la
perspective hiérarchique et centralisée dans l'organisation de l'Église catholique, son
caractère apparemment monarchique également.

1) Pouvoir législatif

Le Pontife romain est le premier titulaire du pouvoir législatif dans l'Église. C'est
lui qui élabore la loi, mais aussi éventuellement la constitution, laquelle actuellement
n'en est pas différenciée formellement puisque insérée dans le même Code de droit
canonique (v. supra p. 45-47 sur l'échec du projet de Loi fondamentale). C'est lui
également qui peut modifier la loi de l'Église universelle, ce qu'il ne fait que fort
rarement: depuis 1983, le Motu proprio Ad tuendam fidem de 1998 a seulement
modifié deux canons du Code (supra p. 119 s.) ; voilà qui éloigne l'Église de la
pratique des États modernes qui, à temps et à contre-temps, toilettent leurs
législations ; mais peut-être l'Église est-elle, à l'inverse, trop prudente pour procéder à
l’aggiornamento de son droit dans une société en constante et rapide évolution? Et
pourtant la procédure législative est autrement plus souple dans l'Église que dans les
démocraties contemporaines. Le pouvoir législatif peut, en effet, s'exercer sous les
formes les plus variées: constitution apostolique, Motu proprio, décret général (destiné
à une communauté particulière de personnes capables de recevoir la loi, selon le c. 29).
Le Pape peut même légiférer par simple chirographe, voire par oracle de vive voix
sans jamais être tenu par la règle du parallélisme des formes et des procédures. En
34

outre, les Congrégations de la Curie romaine se voient elles-mêmes reconnaître un


pouvoir législatif vicarial, dont la nature est cependant controversée par la doctrine
canonique ; quoi qu’il en soit leurs décisions sont de nature pontificale si elles sont
approuvées en forme spécifique par le Pontife romain. Ainsi, dans l’Église, de simples
structures administratives peuvent être habilitées à légiférer.
Toutes ces lois universelles sont promulguées dans les Acta Apostolicae Sedis et
obligent trois mois après leur promulgation (c. 8), sauf mention contraire (ainsi pour le
Code de 1983. le délai fut porté à six mois).

2) Pouvoir exécutif
Le Pontife romain dispose du pouvoir exécutif qu'il exerce avec l’aide de la
Curie. Il assure l’exécution des lois grâce à des décrets généraux exécutoires
(justement pris pour leur application: c. 31); par le canal de la Curie différentes
instructions seront publiées, parfois approuvées par le Pontife romain. Par ailleurs, il
procède aux nominations les plus importantes (évêques, légats notamment). Il accorde
des privilèges ou des dispenses par la voie de rescrits ou d'indults (ainsi la dispense
des vœux perpétuels dans un institut de droit pontifical : c. 691 §2 ; la dispense du
mariage non consommé: c. 1698 ; ou encore la dispense de célibat en faveur d'un
prêtre désirant se marier: c. 291).

3) Pouvoir judiciaire
Le Pontife romain dispose du pouvoir judiciaire qu'il exerce normalement par
l'intermédiaire de tribunaux spécialisés (infra p. 133- 135). Cependant, il a un pouvoir
général d'évocation l’autorisant à se saisir de toute affaire pendante devant une
quelconque juridiction ecclésiastique, et le Code (c. 1405 § 1) lui réserve le droit
exclusif de juger les Chefs d'État, les cardinaux et les évêques dans les affaires
pénales.

D. Nature des pouvoirs du Pontife romain


Selon le c. 331 qui est le premier consacré au Pontife romain, celui-ci détient
dans l'Église« le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel qu'il peut
toujours exercer librement».

1) Pouvoir ordinaire

Le pouvoir du Pontife romain est en effet attaché à sa charge par le droit. Ce pouvoir
35

ne lui est délégué par personne, fut-ce le collège = évêques ni même le conclave qui] 'a élu. Ses
prérogatives proviennent de son autorisation épiscopale sur le Siège de Rome. Cela souligne
bien la conception catholique de l’Église universelle: elle ne se conçoit pas comme une
fédération d'Eglises particulières, mais elle possède une singularité, une réelle autonomie
voire une préexistence par rapport à elles (supra p. 62). Le c-,331 constate, en outre, que ce
pouvoir est reconnu ès-qualité à ‘l’évêque de 1 'Eglise de Rome': c’est bien l'évêque de cette
Église qui en tant que tel, est Pontife romain (supra p. 114-115). De ce fait, l’Eglise de Rome a une
vocation universelle.

2) Pouvoir suprême

Le Pontife romain est source de droit, au niveau le plus élevé, mais il n'est pas lié par le
droit. Le principe général patere legem quem fecisti ne lui est pas applicable: il n'est pas
tenu de supporter la loi qu'il a faite, sauf si elle consacre du droit divin. En outre, il peut
dispenser de l'application de la loi. Par ailleurs, il peut évoquer toutes les causes majeures et
ainsi dessaisir les institutions légalement saisies. Enfin, il bénéficie d'une immunité absolue
de juridiction que le c. 1404 énonce d'une façon large: « Le Premier Siège n'est jugé par
personne. » Ne peuvent donc être soumis à aucun jugement, d'aucun pouvoir humain, ni le
Pontife ni ses décisions ni celles qu'il a faites siennes en les approuvant. Le Décret de Gratien
introduisait une réserve à cette immunité « si le Pontife romain venait à s'écarter de la foi»;
convaincu d'hérésie, il se trouverait ipso facto déchu de sa charge; en vertu du parallélisme
des formes, un tel constat pourrait revenir au collège des cardinaux (d'Onorio).

3) Pouvoir plénier

Le Pontife romain détient la plénitude du pouvoir dans! 'Église. C'est ainsi qu'il exerce
les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Et il choisit toujours la façon de les exercer
personnellement ou collégialement (c. 333 §2).

4) Pouvoir immédiat et universel

Le pouvoir du Pontife s'exerce directement sur les pasteurs comme sur tous les fidèles
catholiques de 1 'univers entier.

Pour signifier cela, Vatican I qualifiait le pouvoir pontifical de « vraiment épiscopal»,


ce qui fut codifié au c. 218 §2 du Code de 1917. L'assertion représentait une condamnation
36

des thèses de Tamburini qui, au XVIIIe siècle, distinguait la fonction de 1 'évêque de Rome,
lequel exerçait une juridiction épiscopale diocésaine, et le pouvoir du Pape, pouvoir de
surveillance sur toute l'Église mais non épiscopal. Ce dualisme a été dépassé par Vatican II
et, dans son sillage, par le Code de 1983 dont le c. 331 affirme que le Pontife romain
est « le pasteur de l’Eglise toute entière sur cette terre ».

Cependant, le pouvoir pontifical doit s'exercer dans le respect des épiscopats


locaux, puisqu'il doit « affermir et garantir» le pouvoir propre des évêques dans leurs
diocèses (c. 333 §1).

§ IV. Les collaborateurs du Pontife romain


Le Pontife romain est assisté, dans sa charge, par les évêques qui sont invités à
manifester leur sollicitude pour l'Église universelle; cela est pa11iculièrement vrai
lorsque le synode est réuni (voir la formulation explicite duc. 334 et supra p. 108 s.).
Mais il est surtout aidé, au quotidien, par les cardinaux et les institutions du Siège
Apostolique.

A. Le collège des cardinaux


.
Les cardinaux sont fondamentalement liés à! 'Eglise de Rome. Leur origine
s'enracine dans le clergé de Rome, prêtres et diacres autour de leur évêque qui les
réunissait fréquemment en synodes. Au XI° siècle, ces personnalités seront appelées
cardinaux, car ils sont à la disposition du Pape carda et caput de l'Eglise universelle.
Ils offrent leurs services à l'Église de Rome, notamment pour participer au culte
liturgique; mais ils vont se mettre plus largement au service de l'Église universelle et
d'importantes fonctions administratives leur seront attribuées.

1) Structure du Sacré Collège


On distingue, dès le XI" siècle, trois types de cardinaux:
- Les cardinaux évêques, présents au synode romain et qui sont titulaires de
diocèses dans le voisinage immédiat de Rome (Ostie, Albano, Palestrina ... ). Ils
assuraient un service liturgique hebdomadaire à St Jean de Latran, cathédrale du Pape.
- Les cardinaux prêtres prêtaient leurs services aux plus anciennes églises
titulaires de Rome (St Pierre, St Paul hors les murs ... ).
- Les cardinaux diacres lisaient l'Évangile dans les églises stationnaires de Rome
(St Laurent, St Clément. .. ).
Cette répartition du collège des cardinaux en trois ordres a perduré jusqu'à nos
jours, sous la seule réserve que les patriarches orientaux reçus dans le Sacré Collège
gardent pour titre leur siège patriarcal. Tous les autres reçoivent un titre fictif dans
l'Église de Rome: ils prennent possession de leur siège, mais ne 1e gèrent pas cc. 3.57 §
37

1). Tous les évêques diocésains nommés cardinaux font partie de l'ordre presbytéral.
Ils peuvent être appelés, par nomination en consistoire au bout de dix années, à faire
partie de l’ordre épiscopal qui leur est supérieur: ce sont eux et eux seuls qui élisent,
sous réserve de l’approbation du Pontife romain, le Doyen du Sacré Collège qui reçoit
automatiquement pour titre le diocèse d'Ostie.

Jadis tout baptisé catholique pouvait être promu cardinal, même s'il était laïc, et il en est
de célèbres comme Mazarin. Aujourd'hui le c. 351 § 1 réserve le cardinalat au moins à des
prêtres et « ceux qui ne sont pas encore évêques doivent recevoir la consécration épiscopale».
Certains, comme jadis le P. de Lubac, ont pu la refuser afin d'éviter le reproche, d'être évêque
de nulle part (reproche jadis adressé, lors de son ordination épiscopale, au cardinal Daniélou).

La création de nouveaux cardinaux est toujours annoncée en consistoire. Cependant le


Pontife romain peut se réserver in pectore la désignation de certains noms, par exemple pour
des raisons politiques ou de persécution. La désignation in pectore ne produira effet qu'à
compter de l'annonce publique de la nomination ... laquelle sera parfois reportée après la mort
de l'intéressé !

2) Statut et fonctions des cardinaux

Les cardinaux ont des prérogatives personnelles: un droit de préséance, l'exemption de


la juridiction de! 'Ordinaire du lieu où ils résident. Mais surtout, ils sont le conseillers
privilégiés du Pontife romain auquel ils prêtent un serment particulier de fidélité. Jusqu'à
soixante-quinze ans, tous les cardinaux sont membres des dicastères qu'ils sont tout
naturellement appelés à présider. Ils participent ainsi activement à l'administration de l'Église
au sein de la Curie romaine qu'ils animent.

Ensemble, les cardinaux constituent un collège que le Code de 1917 appelait hier 'le
Sénat du Pontife romain' (ancien c. 230). On en trouve trace dans le c. 349 qui dispose
notamment : « Les cardinaux assistent le Pontife romain en agissant collégialement quand ils
sont convoqués en corps pour traiter des questions de grande importance.» Le Pape les réunit
alors en consistoires. Le terme est ancien: il est hérité du droit romain puisqu'il désignait le
lieu où les conseillers de l'empereur tenaient leurs délibérations. Le Pontife romain prendra
pareillement l'habitude de traiter les questions les plus importantes de fratrum nostrorum
consilio. Les consistoires se réunissent à huis clos, sauf les consistoires publics qui n'ont
qu'une valeur symbolique, ainsi pour les pétitions officielles de béatification ou de
canonisation. Le consistoire est ordinaire si les cardinaux se trouvant à Rome sont seuls
convoqués ; il est dit extraordinaire si tous les cardinaux de l'univers sont convoqués. Parmi
les derniers consistoires réunis, on citera en 1991 celui sur l'éthique, en 2001 celui sur les
perspectives pour le IIIème millénaire, enfin en 2006 celui réuni par Benoît XVI relatives à
38

quelques questions ecclésiales d'actualité. Le Pontife romain peut aussi réunir des conseils
de cardinaux: ainsi pour les finances de l'Église, il existe un conseil de quinze cardinaux
qui se réunit au moins trois fois par an et qui joue un peu le rôle d'un ministère des Finances
dans! 'Église.

Sede vacante, le collège des cardinaux reçoit des prérogatives particulières. C'est
lui qui pourvoit à l'administration de l'Église, selon le c. 359 précisé par la
Constitution Universi Dominici Gregis. En effet, dès la mort du Pontife régnant
dûment constatée par le cardinal camerlingue, tous les chefs des dicastères cessent
d'exercer leurs fonctions. La charge du gouvernement de l'Église est confiée au Sacré
Collège des cardinaux. Les affaires les plus importantes relèveront de la Congrégation
générale qui comprend - sous la présidence du cardinal Doyen du Sacré Collège - tous
les cardinaux jusqu'à la réunion du Conclave, purs les seuls cardinaux électeurs. Les
affaires les plus simples seront confiées à une congrégation particulière qui comprend
le camerlingue et trois autres cardinaux tirés au sort (régulièrement tous les trois
jours). Durant l'interrègne, le grand principe demeure: nihil innovetur. Il ne saurait
donc être question de modifier ni d'abroger les lois de l'Église, mais seulement de
gérer les affaires courantes. Sede vacante toujours, certains cardinaux ont un pouvoir
propre: le camerlingue veille sur l'administration des biens de l'Église; le grand
pénitencier continue à administrer la justice au for interne; le vicaire général pour le
diocèse de Rome poursuit sa tâche de gouvernement pour les affaires ordinaires; le
Doyen du Sacré Collège préside le Conclave; le cardinal proto-diacre enfin, qui est le
plus ancien dans l'ordre des cardinaux diacres, annoncera au peuple le nom du Pontife
nouvellement élu.
Au total, le Sacré Collège offre le visage d'une vénérable institution de type
aristocratique, mais qui a su rester bien vivante par-delà les siècles ; sans doute parce
qu'il a su prolonger au quotidien son pouvoir dans la Curie.

B. La Curie romaine
Elle est un rouage essentiel du Saint Siège qui assiste le Pontife romain pour
préparer, prendre et exécuter ses décisions.

1) Historique
Le terme de Curie apparaît sous Urbain II à la fin du XI° siècle: la camera
désigne alors une institution financière du Siège Apostolique, sur le modèle de
l'organisation impériale. La Chambre apostolique, sous l'autorité d'un camérier, gère
les fonds souvent considérables de l'Église. Puis, avec l'accroissement des contentieux,
on lui confiera des responsabilités judiciaires: à partir du XII° siècle, la Pénitencerie
recevra une partie des pouvoirs juridictionnels des Papes avec la dispense des
39

excommunications et des interdits. Enfin les cardinaux de la Curie vont 'souscrire',


donc attester par leur signature, les documents les plus solennels. Au XIII° siècle, se
développera le rôle de la Chancellerie: on y publiera, mais on y rédigera aussi lettres
apostoliques, rescrits, bulles etc. Cette expansion, à la fois financière, judiciaire et
administrative, explique le gonflement de la Curie qui au XIVe siècle comprenait
quelque 2 000 curialistes. Dans ces conditions, La Curie en vient à préparer le travail du
Pontife romain et des consistoires de cardinaux, à veiller aussi sur son exécution.

En 1588, la première Constitution de Sixte V organise la Curie pour la mise en œuvre


des décisions du Concile de Trente et leur correcte application dans le monde entier. À partir
de cette époque, et progressivement, la curie va se substituer pour le travail
administratif aux consistoires de cardinaux : à l'unique collège cardinalice, on préfère une
fragmentation en différents dicastères composés de quelques cardinaux mais aussi de
spécialistes.

À l'époque moderne, on retiendra la Constitution de Pie X Sapienti consilio (1908) qui


assure une répartition plus stricte des compétences entre les dicastères et leur enlève
l'essentiel de leurs prérogatives de juridiction, tout en rétablissant la Rote qui avait été
supprimée en 1870.

Le déroulement du Concile Vatican II a exposé au grand jour les faiblesses de la Curie:


sa bureaucratisation, sa romanisation, le secret dont elle s'entourait, la suprématie du Saint
Office, le chevauchement des compétences entre les dicastères source de réponses
contradictoires. Certains, comme le patriarche Maximas IV, proposaient une réforme tout à
fait radicale avec l’institution d'un Sacré Collège de! 'Église universelle composé des
cardinaux et de représentants élus par les conférences d'évêques. Plus modestement, mais
avec efficacité dans le sillage conciliaire, Paul VI mènera à bien, en 1967, la réforme de la
Curie en la désenclavant, en l’internationalisant, en l'ouvrant aussi aux évêques diocésains, en
supprimant le Saint Office, en adjoignant une seconde section au Tribunal de la Signature
Apostolique. Toutes ces réformes et bien d'autres seront suivies par une commission spéciale.

Jean-Paul Il poursuivra ce travail. Il lancera un vaste chantier pour lequel il procédera à


de larges consultations: les dicastères et les cardinaux, I es conférences d'évêques et même un
synode en 1985. Aussi pourra-t-il promulguer en 1988 la Constitution apostolique Pastor
Bonis qui vient comme compléter, sur ce point, le Code de droit canonique. Le titre même de
ce document reflète le souci pastoral de son auteur: que la Curie devienne un meilleur
instrument au service du Pontife romain et un creuset plus efficace de collaboration avec les
Églises particulières comme avec les conférences d'évêques. Selon l'introduction de Jean-Paul
Il, les évêques du monde entier devraient être les premiers et les principaux bénéficiaires de
l'œuvre: la Curie est conçue comme un pont à deux sens de circulation entre le Pontife romain
40

et les évêques. Dans un souci de communion hiérarchique, de communication, d'unité. La


Curie vivifie l'affectus collegialis qui unit les évêques présents dans les différents dicastères,
en lien étroit avec le Pontife romain. Jean-Paul II y discerne en effet « une certaine note de
collégialité» qui) 'habilite bien à être au service du collège des évêques. On s'en aperçoit, le
Pape a pris soin de justifier avec le plus grand soin l'existence et le fonctionnement de la
Curie.

2) Les différents dicastères


Les dicastères sont les structures principales de la Curie qui comprend des
congrégations analogues à des ministères dans un État, et des conseils.

L'esprit de cette structuration est bien explicité par- le Concile Vatican II


dans le Décret Christus Dominus au n° 9: « Dans l'exercice de son pouvoir suprême ...
le Pontife romain se sert des dicastères de 1~ Curie romaine; c'est donc en son nom et
par son autorité que ceux-et remplissent leur charge pour le bien des Églises est le
service des pasteurs. » La Curie est ainsi un organisme vicaire qui n'agit pas par son
droit propre ni de sa libre initiative. Jean-Paul II écrit dans l'introduction de Pastor
Bonus : « La plénitude de (son) pouvoir réside dans la Tête, à savoir dans la personne
du Christ qui l'attribue aux dicastères de la Curie en fonction de la compétence et du
cadre de chacun.»

Au centre, ou plutôt au sommet de l’édifice, on trouve la Secrétairerie d'État,


sorte de Premier Ministère présidé par le cardinal Secrétaire d'État. Elle comprend
deux Sections qui définissent bien ses fonctions :
- la Section des Affaires générales qui s'occupe des rapports entre les dicastères.
C'est un véritable secrétariat général à la présidence pour le Pontife romain : il traite
les affaires courantes et assume la coordination du travail. Mais la Section s'occupe
aussi de diplomatie: direction des légats dans leurs activités vis-à-vis des Églises
particulières, relations avec les ambassadeurs près du Saint Siège. En outre, elle assure
la publication des actes officiels dans les Acta Apostolicae Sedis et veille sur
l'Osservatore romano. Cette Section est présidée par un Substitut à la Secrétairerie
d'État;
- la Section des rapports avec les États, qui traite avec les gouvernements civils,
soutient l'activité diplomatique du Saint Siège notamment dans les organisations
internationales ou auprès des États (pour la conclusion de concordats par exemple).
Elle est directement présidée par le Secrétaire d'État et s'apparente largement à un
ministère des Affaires Étrangères. En pratique, à cet endroit, on peut seulement
regretter quelques flottements de compétences entre les deux Sections.

Les congrégations, qui sont actuellement au nombre de neuf, sont


41

juridiquement égales entre elles. Cependant, dans les faits, certaines se dégagent, dont
la plus importante d'entre elles est la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Elle
a des compétences horizontales : tout ce qui touche la foi ou les mœurs, et qui vient à
être traité dans un quelconque dicastère, doit être soumis à son jugement préalable
(art. 54). Dans le droit fil du Saint Office, même si ses prérogatives ont été réduites et
son nom changé, elle reçoit une double fonction: promouvoir la doctrine d'une part,
défendre la vérité de la foi et l'intégrité des mœurs d'autre part. Elle est aidée par deux
Commissions : biblique et théologique. En outre, par le Motu Proprio Ecclesiae
unitatem de juillet 2009, elles 'est vue rattacher la Commission Ecclesia Dei chargée des
rapports entre l'Église catholique et la Fraternité lefebvriste saint Pie X. Ainsi, après la levée
des excommunications, le Pape a voulu déplacer le débat de la discipline à la doctrine afin
d'ouvrir de larges échanges pour tenter de retrouver, un jour, la pleine communion de cette
mouvance avec l'Église.

La promotion de la foi se traduit par la publication de différents documents doctrinaux ;


parmi les plus récents, on citera les instructions sur le don de la vie, sur les théologies de la
libération ou sur la vocation ecclésiale du théologien.

La défense de la foi conduit ladite congrégation à juger des livres ou des


enseignements, selon une procédure qui a été précisée en 1997. Dès qu'il y a un péril grave
pour la foi ou les mœurs, la Congrégation peut intervenir: elle peut être saisie par un évêque
ou toute autre personne, même sur dénonciation. Une première phase de la procédure dite
interne peut rester secrète, sans même que l'intéressé en soit avisé - et ce dans le souci de la
protection des personnes innocentes. Ensuite s'ouvre une phase de procédure accusatoire qui
garantit les droits de la défense, d'autant qu'elle peut déboucher sur des sanctions graves qui
peuvent aller jusqu'à la suspense pour les clercs, ou l'excommunication.

Par ailleurs. Selon l’art. 54 de Pastor Bonus, la Congrégation est juge des délits les
plus graves commis contre les mœurs ou dans la célébration des sacrements. Le Motu
proprio Sacramentorum sanctitatis tutela du 30 avril 2001, intervenu dans le contexte du
scandale de la pédophilie auquel des clercs ont été mêlés, précise les délits les plus graves qui
sont réservés à la Congrégation, notamment la consécration des saintes espèces hors de la
célébration eucharistique, l’absolution du complice dans la violation du sixième
commandement, et « le délit contre (le même) commandement commis par un clerc avec un
mineur de moins de dix-huit ans.» L'Ordinaire informé, après enquête préalable, devra
systématiquement en porter connaissance à la Congrégation romaine qui soit jugera
directement l'affaire, soit la transmettra à qui de droit. L'objectif est ainsi atteint de garantir
une uniformisation du régime pénal pour des délits aussi graves et d'éviter d'inopportunes
transactions. Mais la procédure montre bien que la Congrégation est à la fois administrateur
42

et juge, selon un système de confusion des responsabilités abandonné depuis longtemps dans
les États de droit.

On retrouve ce dualisme fonctionnel dans d'autres dicastères. Par exemple à la


Congrégation pour les causes des saints qui mène à leur terme les procès en
béatification ou canonisation. Ou encore à la Congrégation pour le culte divin et la
discipline des sacrements qui, entre autres, propose les dispenses pour non-consommation
du mariage.

Une autre congrégation à vocation horizontale extrêmement importante est la


Congrégation pour les évêques qui traite de tout ce qui concerne la constitution et la
provision des Églises particulières, en lien éventuel avec la Secrétairerie d'État. Elle
reconnaît les décrets des conférences épiscopales et a, plus largement, un droit de
regard sur l'exercice correct de leur charge pastorale par les évêques.
D'autres congrégations ont une compétence plus étroitement spécialisée qui peut
être qualifiée de verticale, ainsi la Congrégation pour l'Education catholique ou celle
pour les Églises orientales.
Les congrégations ont toutes des pouvoirs de décision dans leur domaine de
compétences, des pouvoirs vicaires. Selon les cas, leurs actes peuvent être soumis au
Pontife romain qui les signe ou qui les approuve, à moins qu'il ne s’agisse d’actes qui
leur soient propres. A cet égard, les congrégations se distinguent nettement des
conseils en ce qu'elles possèdent un pouvoir de gouvernement: législatif dans certains
cas, administratif (instruction et contrôle) voire judiciaire.
Les conseils ont une fonction de promotion, de coordination et d'action auprès
des évêques ou des congrégations, mais sans pouvoir de décision. À la seule exception
du Conseil pontifical pour les laïcs qui approuve les statuts des associations
internationales de fidèles. Quant aux autres conseils, leurs champs de compétences
sont très diversifiés: la famille, les migrants, la santé, l'interprétation des lois etc.
L'ouverture vers les autres religions ou croyances est particulièrement soignée :
l’œcuménisme est géré par le Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des
chrétiens; le dialogue avec les religions non-chrétiennes, par le Conseil pontifical pour
le dialogue inter-religieux ; le dialogue avec les non-croyants revient au Conseil
pontifical de la culture. L'historien se rappellera que ces trois conseils remplacent trois
secrétariats institués pendant le Concile Vatican II : pour l'unité des chrétiens, pour les
religions non-chrétiennes et pour les non-croyants.

3) Organisation interne des dicastères


La structuration de la Curie romaine est largement conditionnée par la double
référence qui la sous-tend : l’ecclésiologie de communion qui insiste sur les relations
43

existantes entre le Pontife romain, les cardinaux et les évêques ; mais aussi la
rémanence de la théorie de la société parfaite qui fait ressembler l'ensemble à un
organigramme ministériel. Aussi dans l'annexe II à Pastor Bonus est-il insisté sur la
communauté de travail spécifique que forment les collaborateurs du Siège
Apostolique: ceux-ci feront montre du sens de leurs responsabilités et de leurs devoirs
au service d'une œuvre très haute à dimension spirituelle. Car si le Saint Siège est un
État souverain, il est un « État différent du type commun», ce qui n'est pas sans
conséquences financières ou sociales pour les agents des dicastères appelés à une
certaine sobriété et à une réelle discrétion.
On prendra maintenant l'exemple des congrégations: comment sont-elles
structurées ? Chaque congrégation est présidée par un cardinal préfet ou par un
archevêque président. Les membres proprement dits sont les cardinaux et les
évêques qui ont seuls voix délibérative et sont réunis, au moins une fois par an, en
assemblée générale. Sont adjoints à la congrégation différents consulteurs ou
officiers qui peuvent être des religieux ou des laïcs. Ils sont nommés pour cinq ans
par le Pontife romain. À 75 ans, la majorité des proposés à la Curie sont priés de
présenter leur renonciation à l'office.

La procédure de travail est précisée par la Constitution Pasto Bonus qui veille à
préserver les prérogatives du Pontife romain: les dec1s1ons d'importance majeure
doivent être soumises à son approbation (art: 18). Plus largement rien de grave ni
d'extraordinaire ne se fait sans avoir été préalablement communiqué au Pape. Si une
affaire intéresse plusieurs dicastères, des réunions ad hoc sont convoquées. À cet
effet, il existe aussi des commissions interdicastèrielles, telle celle pour la formation
des candidats aux ordres sacrés. Enfin, pour assurer un bon travail de coordination,
les cardinaux préfets tiennent, chaque année, plusieurs réunions communes parfois
sous la présidence du Pontife romain lui-même. On rappellera en outre que les
dicastères reçoivent régulièrement les évêques en visite ad limina (supra p. 71).

La réforme de la Curie est depuis longtemps à l'ordre du jour, d'autant que


Jean-Paul li est un Pape qui a beaucoup plus pastoralement innové que
fondamentalement réformé. Depuis une quinzaine d'années au moins, les voix les
plus autorisées jusque dans le corps épiscopal se font pressantes pour dénoncer
certains glissements: la centralisation excessive, le manque d'écoute des évêques
diocésains, la lourdeur d'un appareil bureaucratique dont les méthodes de travail
seraient à revoir, une certaine orthodoxie frileuse parfois. Quelques articles ont fait
sensation; certaines interventions ont marqué des consistoires et des synodes
d'évêques. Le Pape en tiendra-t-il compte? Des réformes profondes pourraient être
conduites : mais ne seront-elles pas confiées à la Curie elle-même qui, juge et partie,
risque de les freiner? Et pourtant beaucoup serait à faire pour alléger le système
44

curial, repenser la répartition des responsabilités entre les dicastères, ouvrir


davantage au dialogue œcuménique, développer le principe de subsidiarité. Tout en
conservant le meilleur de l'unité de l'Église catholique largement assurée par la
primauté pontificale, laquelle suppose pouvoir et autorité.

C. Les tribunaux du Siège Apostolique

Selon le c. 1442, le Pontife romain est le juge suprême pour le monde


catholique; il dit le droit par lui-même (par exemple en consistoire) ou par les
tribunaux ordinaires du Siège Apostolique voire par des juges qu'il aurait délégués.
C'est là un reflet de sa primauté qui lui assure un pouvoir ordinaire, universel et direct
sur toute l'Église catholique (supra p. 124).

Certaines affaires relèvent de plein droit du Pontife romain ; elles concernent


certaines personnalités qui reçoivent ainsi un privilège de juridiction: les Chefs d'État,
les cardinaux ou les légats. Mais plus largement le recours, la provocatio, au Siège
Apostolique est toujours possible : tout fidèle peut librement lui déférer toute cause à
n'importe quel moment de la procédure (c. 1417 § 1), sans que cela n'entraîne du reste
la suspension de celle-ci afin d'assurer le bon ordre de la justice, à moins que le Saint
Siège ne décide d'évoquer l'affaire. Toutes prérogatives qui sont
bien celles d'une justice retenue.

1) La Rote romaine

À compter du XW siècle déjà, on trouve des auditeurs qui traitent des causes
judiciaires confiées aux congrégations apostoliques. Jean XXIII transformera ces
auditeurs en juges qui rendront la justice au nom du Pontife. Les procédures iront en se
complexifiant, puis les pouvoirs de ces juges déclinent au profit des congrégations. La
Constitution Sapienti consilio de 1908 va restaurer la Rote, lui réserver l'exclusivité
du pouvoir judiciaire en dessaisissant les congrégations (à l'exclusion de la
compétence résiduelle laissée au Saint Office). L'origine de l'appellation 'Rote' est
incertaine. Peut-être parce qu'il existe un tour de rotation entre les juges. Peut-être parce
que les dossiers étaient placés sur un meuble à roues qui tournait devant les auditeurs.
Les principes d'organisation et de compétence sont établis par la Constitution
Pastor Bonus (art. 126 s.) que vient compléter une loi propre du 18 avril 1994. La
Rote est un collège d'égaux: tous les auditeurs, prêtres et docteurs en droit canonique,
sont nommés par le Pontife romain qui désigne également son Doyen. Celui-ci préside
la Rote et le droit lui accorde aussi des facultés extraordinaires d'administration (par
ex. la dispense des lois de procédure).
45

La Rote peut connaître plusieurs chefs de compétence - ce qui n'est pas la


moindre de ses originalités et lui donne plus de souplesse que ses homologues
étatiques comme la Cour de Cassation en France.

En première instance, lui sont notamment dévolus les contentieux relatifs aux
évêques ou abbés : ces personnalités se voient donc reconnaître un privilège de
juridiction (cf. c. 1405 §3); il en va de même pour les contentieux des diocèses ou
assimilés.
En deuxième instance, la Rote connaît des sentences dont il est directement fait
appel au Siège Apostolique: en effet, après une décision de première instance, on peut
toujours en appeler directement au Pontife romain, mais l'appel peut fort bien ne pas
être reçu.

En troisième instance, la Rote est saisie des décisions des Officialités d'appel ;
elle peut aussi connaître des décisions rendues par la Rote elle-même (d'un tour de la
Rote à un autre).
On le perçoit : la Rote, placée au sommet des institutions judiciaires, assure
l'unité de la jurisprudence et aide les tribunaux inférieurs (art. 126 de Pastor Bonus).
On lui reconnaît un véritable pouvoir normatif, comparable à celui d'un tribunal
suprême; pensons à toute sa jurisprudence très constructive en matière de mariage.
2) Le Tribunal Suprême de la Signature Apostolique
L'origine de ce tribunal remonte au IIIe siècle, lorsque le Pape cherchait à se
faire aider pour exercer son pouvoir judiciaire, selon deux procédures :
- la signature de grâce: les conseillers signeraient une supplique au Pontife
romain en lui demandant de rendre un jugement;

- la signature de justice lorsque les conseillers rendaient eux-mêmes le


jugement.

L'Office de la Signature sera organisé comme une véritable congrégation


composée de cardinaux. Il déclinera, comme la Rote, à partir du XVIe siècle, du fait
du développement des autres congrégations. Pie X le restaurera en 1908 sous la
forme d'un collège judiciaire, en lui donnant notamment la compétence d'un juge de
cassation.

À la suite de Vatican Il. Paul II en 1967 va lui modeler un nouveau visage afin
d'assurer - nouveauté dans l’Église - un contrôle juridictionnel sur les actes
administratifs. En conséquence, le Tribunal comporte deux principales Sections
correspondant à des chefs de compétences bien différents.
La première Section exerce un contrôle judiciaire suprême sur la Rote: elle se
46

prononce sur les requêtes en nullité de ses sentences ; elle peut aussi connaître d'un
procès en suspicion contre un auditeur de la Rote. C'est une sorte de Cour de
Cassation, mais qui juge en même temps au fond, donc sans renvoi.
La deuxième Section est, quant à elle, un véritable tribunal administratif, une
sorte de Conseil d'État qui peut vérifier, après un recours administratif préalable
devant une congrégation, la validité des actes administratifs particuliers de la Curie,
et accorder éventuellement des dommages-intérêts. C'est là l'embryon d'une justice
administrative dans l'Église, mais enfermée dans des règles de procédure et de délai
strictes, et demeurée à ce jour trop confidentielle d'autant que ses décisions ne sont
pas publiées. En outre, sa composition par des cardinaux et sa présidence par un
cardinal préfet la font davantage ressembler à un dicastère qu'à une juridiction. À
terme, on peut espérer la création de véritables tribunaux administratifs dans l'Église,
au plan régional par exemple. La protection des droits individuels y gagnerait
beaucoup.

Quelques perspectives canoniques

Le juriste n'aime pas conclure, encore moins synthétiser dans une conclusion ce
qui a déjà été écrit. .. et qui devient alors une simple redite ! En revanche, il accepte,
en quelques lignes, d'ouvrir une ou plusieurs fenêtres sur un avenir possible,
souhaitable. Quelles perspectives s'ouvrent donc au droit canonique en ce début du
XXIè siècle?

Les années 1980 et sui vantes ont montré la formidable capacité d'évolution du
droit canonique: son adaptation aux nouveautés portées par le Concile Vatican II. Le
Code de 1983 l’a fait de façon satisfaisant aux exigences de changement dans la
continuité voulue par les Pères conciliaires. Il a permis de faire largement passer dans
les faits les textes conciliaires. Sur certains points cependant, son application reste à
compléter. On a pu récemment noter, par exemple, que les conférences d'évêques
n'avaient pas toujours publié l’ensemble des textes d'application prévus par le Code.
On peut aussi relever que la dynamique des conciles particuliers n'a guère été mise en
mouvement. Tandis que des figures « hors Code » se sont développées, comme les
démarches para-synodales dans les diocèses ou les équipes d'animation pastorale dans
les paroisses. Pour contourner les rigidités de la codification? Peut-être.

Mais surtout ce Code commence à vieillir et, on l'a observé, en vingt-cinq ans il
n'a été modifié qu'une seule fois: en 1998 sur la question de l'autorité du Magistère.
Comme l'écrivait Marx, non sans une certaine ironie, « les superstructures s'attardent
» ! Il revient donc au législateur de les faire évoluer. L'élection de Benoît XVI, qui
47

connaît parfaitement la Curie, sa valeur, ses freins et ses limites, pouvait laisser
espérer une modification profonde de celle-ci, son allègement aussi. II n'en a rien été
jusqu'à maintenant, sauf des réformes relativement mineures comme le récent
rattachement de la Commission Ecclesia Dei à la Congrégation pour la Doctrine de la
Foi. Oui, la réforme de la Curie, et partant la modification de la Constitution Pastor
Bonus (qui remonte à 1988), restent entièrement à l’ordre du jour. L'allègement
pourrait aussi caractériser la réforme du droit canonique, en le réduisant à certaines
règles cadres. Non pas en revenant à une Loi fondamentale, fausse bonne idée, mais
en laissant plus de marges de manœuvre aux Conférences d'évêques, ou à leurs
regroupements, pour légiférer. Sous le contrôle du Saint Siège bien sûr, pourraient se
développer de plus larges zones d'autonomie des droits particuliers par exemple en
matière de mariage voire d'ordination, d'organisation paroissiale aussi. Sur ce dernier
point, de vastes chantiers seraient à ouvrir pour laisser de plus larges responsabilités
aux laïcs. Un nouvel équilibre serait par ailleurs, et plus fondamentalement, à trouver
pour accroître la collégialité épiscopale face à la primauté pontificale- sans vouloir les
opposer bien sûr. Il passerait peut-être par un accroissement des prérogatives du
synode d'évêques, dans la veine de certaines réformes déjà engagées avec bonheur par
Benoît XVI et qui mériteraient d'être poursuivies. Dans un autre domaine, essentiel
pour la protection des droits et libertés, le système embryonnaire de justice
administrative serait à systématiser; n'oublions pas que c'est, en France, le Conseil
d'État notamment qui a fait largement progresser l’Etat de droit. Le recours à des
processus de médiation, prévu à la marge par le Code, pourrait être facilité et mieux
connu ce qui éviterait, dans certains cas, des contentieux civils toujours préjudiciables
à l'Eglise.

Derrière toutes ces réformes, et notre liste est loin d'être limitative, c'est la
figure même de l'Église qui est enjeu : sa modernité, son adaptation aux nouvelles
réalités d'un temps qui change si vite, sa crédibilité même auprès des non-croyants. Il
ne s’agit pas pour l’Eglise de se replier sur la cléricalisation qui peut être, pour
certains, une tentation. Le mythe de la société chrétienne a vécu. L'Église ne peut
qu'en prendre acte et inventer de nouvelles formes d'évangélisation dans notre société
si sécularisée en Europe du moins. Pour l'y aider, son droit, ses structures ne seront
pas neutres !

Vous aimerez peut-être aussi