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Cahiers de civilisation

espagnole contemporaine
12 (2014)
printemps 2014

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Joël Delhom
César M. Lorenzo : Horacio Prieto. Mon
père
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Référence électronique
Joël Delhom, « César M. Lorenzo : Horacio Prieto. Mon père », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En
ligne], 12 | 2014, mis en ligne le 03 juillet 2014, consulté le 14 juillet 2014. URL : http://ccec.revues.org/5107

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César M. Lorenzo : Horacio Prieto. Mon père 2

Joël Delhom

César M. Lorenzo : Horacio Prieto. Mon


père
1 Rares sont les biographies de militants anarchistes espagnols écrites par un de leurs enfants ;
à vrai dire, nous n’en connaissons qu’une seule publiée dans les deux dernières décennies,
pourtant riches en production biographique comme nous le signalions ici même dans un
numéro précédent1. Lorsqu’il s’agit d’un homme ayant occupé les plus hautes responsabilités,
dont les choix ont remis en cause les fondements idéologiques du mouvement libertaire, et
que le fils biographe est lui-même historien de ce mouvement2, un tel livre ne peut manquer
d’éveiller un grand intérêt, d’autant qu’il est aussi fait une grande place à la vie privée. Celui
de César M. Lorenzo ne nous a pas déçu ; c’est un ouvrage courageux, souvent sévère, toujours
sincère, qui retrace la vie et l’évolution idéologique d’Horacio Prieto (1902-1985).
2 Ecrire sur son père n’est jamais facile. C’est un défi dont l’auteur n’ignore pas les écueils :
l’excès de complaisance ou de sévérité. Il évoque d’ailleurs son « déchirement intérieur : à
cause de la complexité du personnage, de ses contradictions profondes, et à cause des relations
souvent peu amènes [qu’ils ont] eues » (p. 8). Toutefois, C. M. Lorenzo ne renie pas son père ;
il en revendique même l’héritage en « extirpant », ce que ses idées peuvent avoir « d’obsolète et
de radicalement erroné » (p. 9). Le livre est ainsi divisé en deux grandes parties, la biographie
proprement dite, suivie de deux chapitres, « Interrogations » et « Confrontations », réunis sous
le titre commun « Lui et moi ». L’ensemble est accompagné d’une bibliographie des œuvres
de Prieto, d’un index onomastique et d’un livret de photos et autres illustrations de 32 pages.
Un des intérêts de ce travail est qu’il s’appuie abondamment sur les mémoires inédits, dont
l’auteur prépare aussi l’édition, et les archives personnelles de Prieto. Entre les chapitres sont
intelligemment intercalés des extraits originaux, parfois inédits (portraits de militants, analyses
et prises de position). De nombreuses citations, toujours éclairantes, parsèment aussi le texte
principal.
3 La première partie, écrite dans un style alerte et captivant, évoque d’abord l’enfance et la
jeunesse de Prieto dans le quartier ouvrier d’Ollerías à Bilbao, où son père était cordonnier
et sa mère vendeuse de poisson. En 1919, lorsque la CNT s’ancre dans cette ville basque, il
constitue un groupe anarchiste. La facture à payer ne tarde pas à être présentée : de 1921 à
1924, il est déporté à pied à Séville et fait plusieurs séjours en prison avant d’émigrer en France.
Malgré ses réserves sur l’opération, il participe à l’incursion révolutionnaire manquée de Vera
de Bidasoa mais, chanceux, il parvient à regagner la frontière. A Paris, il s’oppose à l’activisme
de Pérez Combina et García Oliver, plus tard désignés comme « anarcho-bolcheviks ». Après
une nouvelle incarcération en Espagne en 1929 et 1930, il retourne en France jusqu’en août
1931. Ayant acquis une réputation de polémiste et de conférencier durant ses années de prison,
Prieto participe à plusieurs tournées de propagande en Espagne en 1932 et 1933. Sa première
brochure, Anarco-sindicalismo. Cómo afianzaremos la revolución (1932), est vivement
critiquée par la Fédération anarchiste ibérique (FAI), dont les membres ne vont cependant pas
s’opposer à son ascension syndicale. Lorenzo analyse (58-61) cet opuscule dans lequel son
père se montrait selon lui clairvoyant en envisageant des évolutions en matière de justice
(tribunaux populaires), d’économie (fédérations syndicales d’industrie) et de défense (armée
révolutionnaire), qui ne pouvaient manquer d’advenir. L’auteur souligne aussi l’essentialisme
et le racialisme qui caractérisaient la manière dont Prieto abordait la question des nationalités
en Espagne : « De là, ce pessimisme antiévolutionniste, ce fixisme géo-historique insoutenable,
radicalement contraire aux idées libertaires qu’il défendait et qui en définitive sera pour lui
terriblement autodestructeur » à la fin de sa vie (54). Lorenzo s’interroge également sur sa
tentation de rejoindre le Parti communiste, une possible « accointance passagère » (68) de
1930 à 1932, définitivement classée après un voyage d’un mois en Union soviétique. Bien
qu’il réprouve la stratégie insurrectionnelle de la FAI, Prieto ne se rapproche pas pour autant
des dissidents « trentistes », dont il partage certaines analyses (73-74). Après avoir été à

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la tête du Comité révolutionnaire de la région Nord en 1933, il est nommé vice-secrétaire


du Comité national de la Confédération nationale du travail (CNT), puis secrétaire général
en 1934. Il met en œuvre des orientations pragmatiques avant d’être arrêté et emprisonné.
Néanmoins, il abandonne ses fonctions à l’issue du Congrès de mai 1936 à Saragosse : « Le
refus des congressistes de prendre au sérieux l’urgence de se préparer à la lutte armée et
l’utopique résolution sur le ‘Concept confédéral du communisme libertaire’ l’amenèrent à
démissionner », écrit Lorenzo (86).
4 Après le soulèvement fasciste, Prieto est le premier à prôner la participation des libertaires au
gouvernement. Alors qu’il est commissaire à la Santé en Biscaye, Prieto rédige une Charte
du combattant, un règlement militaire ayant servi de base aux bataillons CNT de l’armée sous
les ordres du gouvernement basque autonome. Sa réélection à la tête de la CNT, lui donne
plus de résonnance lorsqu’il prônr la militarisation des milices et l’entrée des libertaires au
gouvernement central, mais la division de la CNT sur ces sujets le contraint à démissionner
en novembre. Il est aussitôt nommé directeur général du Commerce extérieur sous l’autorité
de Juan López, avec lequel ses relations se dégradent rapidement. Lorenzo considère qu’en
1937 il défend toujours des « points de vue plus révisionnistes que jamais sur le rôle de l’Etat
et de la loi, sur les problèmes économiques, sur les élections, l’unité syndicale, la meilleure
façon de vaincre le PCE, etc. » (98). Prieto joue encore un rôle essentiel à partir de l’automne
1937, où il siège au comité national de la CNT, voyage en Europe, négocie avec l’UGT, avec le
ministre de la Défense Indalecio Prieto, contribue à réorganiser l’économie, siège au comité
national du Front populaire antifasciste et est nommé sous-secrétaire à la Santé sous l’autorité
de Segundo Blanco. Nous regrettons que cette partie de la vie de H. Prieto ne soit pas davantage
développée par l’auteur.
5 Vient le temps de l’exil à Meaux, puis Orléans avec sa mère et sa compagne. Prieto ne
croit ni à la brièveté de la guerre ni au soutien des Alliés et il considère, dès juin 1939, que
« seule une restauration de la monarchie pourrait précipiter la fin de la dictature franquiste » et
qu’il faut donc « favoriser indirectement cette possibilité » (116). Lorenzo passe rapidement
sur les difficultés de la vie quotidienne sous l’Occupation et s’attarde davantage sur les
questions idéologiques, en soulignant l’amertume de Prieto suite aux affrontements avec
ses compagnons du mouvement libertaire. Dans ses mémoires, ce dernier critique tout aussi
bien l’immobilisme isolationniste des « absolutistes » que la démarche scissionniste des
« réformistes » de l’exil, qui ne partagent pas ses idées de création d’un parti politique
libertaire, ou encore l’activisme armé des Jeunesses libertaires et la politisation de la CNT
clandestine en Espagne. Toutefois, la dent semble plus dure à l’égard de la CNT de l’exil. Parce
qu’il continue de penser que la tactique d’alliance antifasciste est la meilleure, Prieto accepte
le ministère des Travaux publics dans le gouvernement républicain en exil (cabinet Giral).
Cependant, il refuse l’offre qui lui est faite de présider le Partido laborista créé en Espagne,
dont il dénonce l’opportunisme. Dès janvier 1946, il présente aussi un plan de réunification de
la CNT, mal accueilli des deux côtés. César Lorenzo se fait l’exégète de la pensée de son père au
positionnement complexe à la fin de la guerre mondiale, « coincé entre le syndicat-secte d’un
anarcho-syndicalisme fossilisé, monolithique, en contradiction avec lui-même, et le syndicat-
parti d’un syndicalisme autosuffisant et opportuniste, idéologiquement rachitique » (131).
L’auteur cite des extraits de El anarquismo español en la lucha política (1946) et de Marxismo
y socialismo libertario (1947), où Prieto défend le besoin d’un parti libertaire et d’un Etat
régulateur.
6 Fin 1946, la famille aménage à Paris. Ses propres contradictions et l’hostilité de ses
compagnons font entrer Prieto dans un état dépressif au début des années cinquante, durant
lesquelles il travaille comme peintre en bâtiment. Il enseigne ensuite l’espagnol à partir de
1957 jusqu’à sa retraite en 1972. Après la réunification de la CNT et alors que même certains
de ses soutiens l’abandonnent, il publie encore Posibilismo libertario (1966), dont le titre
dispense de préciser l’orientation, un ouvrage qui sera à peine commenté et dont Lorenzo cite
quelques passages. Selon son fils, ce livre marque le début de l’effondrement psychologique
de Prieto, qui continue pourtant à écrire dans l’amertume et le désespoir. Il meurt à 82 ans,
le 26 avril 1985.

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7 La seconde partie du livre se veut une confrontation – souvent poignante – du fils avec le père,
vu sous un angle plus psychologique. Une grande place est faite à l’intimité familiale. Lorenzo
écrit d’emblée : « Je ne l’aimais pas, mais je ne l’ai jamais détesté alors qu’on m’y incitait ; je
ne pouvais non plus rester indifférent tant était grand son pouvoir de fascination. » Il évoque
aussi sa mère, fille d’un médecin libertaire, et les relations entre ses parents, qui se dégradèrent
dès le début de l’exil en France, un sujet très rarement abordé dans les autobiographies et
biographies de militants. Lorenzo décrit « l’enfer familial » qu’il a vécu et dresse un portrait
sans complaisance de ses parents, tout en prenant la défense de sa mère dont il était plus proche.
On y trouve aussi d’intéressantes informations sur la formation intellectuelle désordonnée et
lacunaire de Prieto.
8 De manière plus surprenante, et probablement moins convaincante que le reste de l’ouvrage,
Lorenzo se livre ensuite à un essai « d’histoire alternative » qui lui permet de « revenir sur
quelques moments clés où le cours des choses […] aurait pu changer – dans d’étroites limites
en définitive – si l’intervention de [son] père, son rôle et son influence avaient été autres. Soit
qu’on l’eût toujours écouté, soit qu’il eût opté pour une autre ligne de conduite », afin de mieux
cerner sa responsabilité historique et d’affiner le portrait psychologique. L’auteur en tire une
conclusion pessimiste.
9 La confrontation du fils avec le père, dans leur désaccord idéologique, qui est aussi celle
de l’observateur attentif du mouvement libertaire avec l’homme engagé dans l’histoire, fait
l’objet des quarante dernières pages. Lorenzo ouvre avec le lecteur le débat intellectuel qu’il
n’a pu avoir avec Prieto et pose la question de l’intérêt actuel des idées de ce dernier :
« Ce qui m’a le plus intéressé dans son œuvre […] ce sont les germes d’un renouveau du
socialisme » (198), écrit-il. Après une analyse assez pessimiste du monde actuel, l’auteur
plaide pour un « socialisme clairement défini » vs. un « vague possibilisme » (202). Il souligne
« une des faiblesses, la plus étonnante, de la pensée de [son] père » : l’absence « d’une
conception cohérente de la liberté » (212-213). Il va de soi que nous ne souhaitons pas
commenter ici « une opinion strictement personnelle » (198) sur le socialisme libertaire, mais
disons tout de même que Lorenzo continue de croire au potentiel émancipateur de l’anarcho-
syndicalisme et qu’il partage avec Prieto la conviction selon laquelle les libertaires devraient
se doter d’un parti (227). Il se veut pragmatique et fait des propositions pour un socialisme
éthique d’aujourd’hui. En se faisant l’interprète des jugements de son père dans la première
partie du livre, l’auteur a pu donner parfois l’impression de les partager, d’où sans doute la
nécessité de cette seconde partie pour clarifier les choses.
10 Il s’agit bien d’un livre utile et nécessaire, parfois provocant, pour tenter de comprendre
Horacio Prieto, un personnage complexe qui incarne à lui seul les contradictions, les pôles
extrêmes de l’anarcho-syndicalisme espagnol, un homme qui préférait pourtant « l’anarcho-
syndicalisme radical aux salmigondis du syndicalisme politique » (147), aux dires de Lorenzo.
Celui-ci, a cherché à mettre le sujet de son livre à distance critique et n’utilise l’expression
« mon père » pour la première fois qu’à la page 155. D’une certaine manière, c’est aussi
une autobiographie de l’auteur. Lorenzo n’a rien perdu de la sévérité qu’on lui connaît, aussi
bien sur l’évolution de la FAI, une « lente métamorphose […] en organisation politique à part
entière » (90), que sur celle de son père, comparée à celle de Pestaña : « […] l’orientation
idéologique globale et la raison d’être essentielle du mal nommé Parti syndicaliste ne seront
pas si différentes de celle du parti socialiste libertaire que projettera Horacio Prieto » (90-91).
Nous encourageons chaleureusement C. M. Lorenzo pour le travail d’édition des mémoires de
Prieto et d’autres manuscrits inédits qu’il a entrepris, et que nous attendons avec impatience.

Notes
1 Nous faisions allusion à la biographie de Dolores Prat Coll (1905-2001) écrite par son fils Progreso
Marín : Dolores. Une vie pour la liberté, Loubatières, Portet-sur-Garonne, 2002, 158 p. On dénombre
une cinquantaine de biographies et autant d’autobiographies entre 1990 et 2011. Sur cette production,
voir <http://ccec.revues.org/3958> et « Dos décadas de publicaciones sobre el anarquismo español:
1990-2011. Inventario ordenado precedido por un breve comentario », Germinal. Revista de estudios
libertarios (Madrid), n° 10, julio-diciembre 2012, p. 55-96.

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2 Rappelons que C. M. Lorenzo est l’auteur du livre qui fit grand bruit à l’époque, Les Anarchistes
espagnols et le pouvoir, 1868-1969 (Seuil, 1969, 430 p.), traduit en espagnol en 1972 pour Ruedo Ibérico,
et dont il a récemment fait paraître une nouvelle édition actualisée et enrichie, Le mouvement anarchiste
en Espagne : pouvoir et révolution sociale (Les éditions libertaires, 2006, 559 p.).

Référence(s) :
César M[artínez]. Lorenzo : Horacio Prieto. Mon père, Les éditions libertaires, Saint-Georges-
d’Oléron, 2012, 252 p.

Pour citer cet article

Référence électronique

Joël Delhom, « César M. Lorenzo : Horacio Prieto. Mon père », Cahiers de civilisation espagnole
contemporaine [En ligne], 12 | 2014, mis en ligne le 03 juillet 2014, consulté le 14 juillet 2014. URL :
http://ccec.revues.org/5107

À propos de l’auteur
Joël Delhom
Université de Lorient

Droits d’auteur
© CCEC

Cahiers de civilisation espagnole contemporaine, 12 | 2014

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