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Les destinées du patrimoine

Le Corbusier
Les unités d’habitation en France

nm Gérard Monnier
LE CORBUSIER
LES UNITÉS D'HABITATION EN FRANCE

Librairie de l'Architecture et de la Ville


Publiée avec le concours du Ministère de la culture et de la communication
(Centre national du livre et Direction de l'architecture et du patrimoine)
Les destinées du patrimoine
Collection dirigée par Jean-Yves Andrieux

La destinée des monuments, des sites patrimoniaux n’est qu’un continuel


— et parfois hasardeux — renouvellement :chaque temps de cette histoire
comporte ses surprises, ses symboles, ses attraits, et contrairement
à l'opinion commune, les temps les plus proches de nous
sont fréquemment les plus riches en circonstances curieuses.

Dans la même collection

L'ABBAYE DU THORONET
La mesure de la perfection
par Jean-Yves Andrieux

LA TOUR EIFFEL
Cent ans de sollicitude
par Frédéric Seitz

LE CREUSOT
Une ville industrielle, un patrimoine glorieux
par Louis Bergeron

LE CHÂTEAU D’ANET
L'amour de Diane de Poitiers et d'Henri II
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ARC-ET-SENANS
Un monument industriel, allégorie des Lumières
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LES JARDINS DE VILLANDRY


La nature mise en ordre
par Louis-Michel Nourry

LE WORLD TRADE CENTER


Une cible monumentale
par Jean-Yves Andrieux
et Frédéric Seitz
LE CORBUSIER
LES UNITÉS D'HABITATION
EN FRANCE

Gérard Monnier

BELIN-HERSCHER
8 rue Férou 75278 Paris cedex 06
iti belin.com
Du même auteur
L'architecture moderne en France, tome IIT,
De la croissance à la compétition 1967-1999, Paris, Picard, 2000.
L'architecture du xx° siècle, Paris, PUF, «Que sais-je ? », n° 3112, 1997.
L'art et ses institutions en France, de la Révolution à nos jours,
Paris, Gallimard, coll. « Folio-Histoire » n° 66, 1995.
Histoire de l'architecture, Paris, PUE, «Que sais-je? », n° 18, 1994.
L'architecture moderne en France 1918-1950, une histoire critique,
Paris, Philippe Sers, 1990.
Le Corbusier, Lyon, La Manufacture, 1986 ;nouvelle édition mise à jour,
La Renaissance du Livre, Tournai (Belgique), coll. «Signatures », 1999.

Remerciements
L'auteur doit beaucoup à ses conversations avec Roger Aujame, André Wogenscky
et à la lecture des chroniques de François Chaslin. Il remercie Mme Tréhin
de l’avoir autorisé à consulter les archives de la Fondation Le Corbusier,
et le personnel de la bibliothèque de sa grande disponibilité. Il est redevable
de beaucoup d'informations sur Marseille à Mme Sylvie Denante, à Mme Lhérisson,
à M. Jean-Pierre Dufoix, architecte en chef des Monuments historiques,
à M. Richard Bisch, à M. Jacques Sbriglio et à M. Alain Hayot, qui a eu l’obligeance
de lui indiquer la maîtrise de Caroline Jacquot ;sur Rezé à Mmes Annick Bruneau,
Annie Devismes, Marilyne Monnier, à MM. Jean-Yves Cochais, secrétaire
général de la mairie de Rezé, Michel Robert, à Rezé, à MM. Neuilly, directeur général,
et Devenyns, secrétaire général, Loire-Atlantique-habitations, à Nantes,
et à M. Philippe Ranouil, chef du service des travaux de l'Entreprise Bouyer,
à Nantes; sur Briey, à Mme Véronique Léonard, à M. Denis Grandjean,
et à M. Joseph Abram, de l'association «La première rue» ; sur Firminy, à Jean-Loup
Herbert et Benoît Pouvreau. Ce travail est tributaire des travaux antérieurs
des chercheurs notamment de ceux de Gilles Bienvenu, Philippe Bataille,
Daniel Pinson, Jean-Bernard Cremnitzer, Marc Bédarida, Vincent Bradel,
Gilles Ragot et Mathilde Dion ; le vœu de l’auteur est que cet ouvrage
soit un aboutissement de leur démarche.

En couverture : L'unité d'habitation de Marseille, les pilotis (voir planche V, p. 160).

Le code de la propriété intellectuelle n’autorise que « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé
du copiste et non destinées à une utilisation collective » {article L. 122-5] ; il autorise également les courtes citations
effectuées dans un but d'exemple ou d'illustration. En revanche « toute représentation ou reproduction intégrale ou
partielle, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » [article L. 122-4].
La loi 95-4 du 3 janvier 1994 a confié au C.F.C. (Centre français de l’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-
Augustins, 75006 Paris), l'exclusivité de la gestion du droit de reprographie. Toute photocopie d'œuvres protégées,
exécutée sans son accord préalable, constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code
pénal.

© Éditions Belin, 2002 ISSN 1624 — 687 X ISBN 2-7011-2577-4


SOMMAIRE

INTRODUCTION
Un moment dans la culture de l'habitat

CHAPITRE I
Les sources et le contexte 19
CHAPITRE II
L'unité d'habitation de Marseille 45
CHAPITRE III
L'unité d'habitation de Rezé 91
CHAPITRE IV
L'unité d'habitation de Briey-en-Forêt 125
CHAPITRE V
L'unité d'habitation de Firminy 147

CHAPITRE VI
Les unités d'habitation : de l'élaboration à la réception 163

CONCLUSION
Une architecture tragique 185

ANNEXES
Caractères techniques des unités d’habitation construites 191
Projets non construits 196
Chronogramme des unités d'habitation 208
Tableaux chronologiques 211
Sources et bibliographie 221
Index 227
Table des matières 233
Librairie de l'Architecture et de la Ville 237

PS: 5
En hommage à Maurice Besset
Introduction

UN MOMENT DANS LA CULTURE


DE L'HABITAT

et ouvrage observe — depuis leur conception jusqu’à nos jours


— les quatre «unités d'habitation de grandeur conforme »
construites en France par Le Corbusier et ses collaborateurs, p. 18

entre 1945 et 1967 : à Marseille (Bouches-du-Rhône), à Rezé (Loire- pl. I-p. 160
Atlantique), à Briey (Meurthe-et-Moselle) et à Firminy (Loire). Il laisse pl. VIl-p. 161

de côté l'unité construite en 1958 à Berlin-Tiergarten, différente en ce pl. XIV-p. 162


que son contexte ne relève ni du logement social, ni de la commande pl. XVI-p. 162
par des organismes publics. Ces quatre édifices ont, pour de bonnes et
mauvaises raisons, défrayé la chronique ; depuis, ils reçoivent de leurs
habitants une attention exceptionnelle, alimentant une histoire conti-
nue, mais très dissemblable d’une unité à l’autre.

Des objets d’étude exceptionnels


Il s’agit d'analyser, pour chacun de ces bâtiments, le processus de
conception et de réalisation ;puis de constater son devenir comme
ensemble d'habitation depuis sa construction ;enfin d'enregistrer les
manifestations successives de l'opinion à son égard. Construits sépa-
rément, par des maîtres d'ouvrage distincts, ces bâtiments relèvent de
volontés diverses, à commencer par celles des décideurs et gestion-
naires, qu'il faut identifier. Mais ici, le contenu des monographies se
complique, puisque les données locales sont mises en réseau ; d’abord,

Rs.
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

pendant la conception et la production, par le maître d'œuvre et ses


collaborateurs ;ensuite, dans la durée, et au fur et à mesure que se pré-
cise une perception de l’intérêt de l’œuvre, par les habitants, qui tout
en construisant une identité locale, organisent aussi, d’une unité à
une autre, une certaine solidarité des idées et des pratiques.
Lhistorien porte donc le regard sur un moment exceptionnel
dans l'élaboration de la culture de l’habitat, puisque les unités sont
l'objet d’une réception originale, où se conjuguent la vérification de
la valeur d'usage et des attitudes de mémoire, ainsi que la recon-
naissance locale de l’œuvre et l’action de l’administration de la
Culture. En effet, ces quatre immeubles — qui sont ou ont été pour
la plupart des logements sociaux — sont reconnus et protégés au titre
des Monuments historiques, à partir des mêmes textes et avec les
mêmes procédures que les cathédrales médiévales ou les châteaux
de la Renaissance.

Une question de méthode


Ce livre comble une lacune manifeste de l’historiographie architec-
turale, lacune déjà repérée par des observateurs attentifs, qui y déce-
laient un recul devant un «crime de lèse-majesté » (Bataille et Pinson,
1990, p. 127). À cette exception remarquable près :depuis 1980, et
son premier article sur ce sujet, «Que sont devenues les quatre mai-
sons du fada? », (Le Monde, 30 novembre 1980), François Chaslin a
entretenu avec une solide continuité ses lecteurs, en France et à
l'étranger, des vicissitudes des différentes unités d'habitation, en par-
ticulier à l’occasion de la fermeture de Briey en 1984, dans une
démarche qui ouvrait la voie à la synthèse que nous tentons ici.
Jusqu'à présent, l'effort comparatiste des autres auteurs s’est limité
à présenter les dessins des élévations des édifices, en même temps que
les plans et coupes des appartements (Sbriglio, 1987 et 1992). Ce bon
point de départ émerge d’études monographiques dont il faut réunir
les savoirs disponibles sur chacune des unités, afin de les assembler
de façon cohérente et de remettre en équilibre les points de vue.

=
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

D'abord en privilégiant la précision et la vérification des infor-


mations, puisque la critique a multiplié les approximations, des plus
factuelles — telle cette mention, sous une plume reconnue, d’une
unité construite «à Lunéville » — aux plus idéologiquement tendan-
cieuses, lorsque l’auteur se préoccupe surtout de ruiner la réputation
de Le Corbusier et de réduire les édifices qu’il a construits à une
détestable manifestation de totalitarisme.
Ensuite en retenant deux principes de la problématique histo-
rique appliquée à l'architecture : ne pas séparer l’histoire du projet
et de la production de celle de l'usage et de la réception ; ne pas dis-
socier l’histoire sociale et culturelle de l’histoire des formes bâties,
puisque la première est la condition de la seconde.
Enfin en ne perdant pas de vue que ces édifices d'exception sont
confrontés à la question de la production du logement de masse, p.37

lorsque, en France, on passe laborieusement de la période de la


Reconstruction à la période de la croissance industrielle ; c’est en les
disposant dans cette situation d'ensemble que peuvent se comprendre
leur valeur, leur portée et leurs limites.

L'ordre du bonheur
Il y aura des inspecteurs d'étage dans la machine à habiter de Marseille.
Dans le monde rêvé par Le Corbusier, la joie et la propreté sont obliga-
toires — sans parler du reste. Est-ce que Le Corbusier se rend compte
qu'on entrait à Buchenwald au son des violons?
On vient d'écrire une parole grave, et ce n’est pas un hasard. L'univers
de Le Corbusier, c’est l'univers concentrationnaire. C’est, au mieux, le
ghetto. Je répète qu’il n’est pas question de faire de Le Corbusier le pro-
pagandiste de l’ordre de Pétain ou de Hitler, les hommes aux mains ou
aux manches souillées de taches de boue et de gouttes de sang. Mais il est
révélateur du mal qui ronge notre époque que ce monstrueux ordre nou-
veau soit la version pervertie d’une idéologie qui, en elle-même, me paraît
infiniment dangereuse pour l'avenir de l’homme. Personne n’a le droit
de faire de force le bonheur du voisin. Cela s’appelle l’Inquisition. Et les
inquisiteurs, comme tous les bourreaux, ne sont jamais que le reflet cari-
catural des faiblesses d’une société. Le Corbusier a exposé lui-même, non
sans lyrisme, comment lui était venue l’idée de la machine à habiter, de

TE
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

la ruche bourdonnante des mille et un bonheurs obligatoires — et sur


mesure. Jamais il ne s’est trouvé aussi parfaitement libéré que pendant
ses voyages transatlantiques — à l’époque où l’on voyageait encore en
paquebot. De se sentir isolé dans sa cellule, au centre d’un univers qui fonc-
tionne parfaitement en vertu d’un ordre puissant, aussi réglé que le
mouvement des montres de la Chaux-de-Fonds, lui procurait un épa-
nouissement total de son être. Plus tard, à la chartreuse d'Emma, près
de Florence, il a également senti son climat. Enfin, la vue des petites
villes anciennes dans les Flandres a donné à Le Corbusier un troisième
moment de certitude. Le Corbusier est de ceux qui aiment que le monde
marche tout seul autour d’eux et qui se sentent poète lorsque leur esprit
est délivré des contingences. Je crois au contraire qu’il n’y a de bonheur
viril pour l’homme que dans le plein exercice de ses responsabilités.
Il est absolument incontestable, son propre témoignage est là, que
Le Corbusier pose comme la formule rationnelle du bonheur humain
la création de la cellule à habiter. Il est resté attaché au mythe de la
fourmilière humaine, de la ruche, de la Vie des Abeilles de Maeterlinck.
C’est chez lui tout un système. À la base se trouve la mère, la cellule
et la famille. Une réunion de cellules forme une unité d’habitation.
Des unités d’habitation forment une cité. Des cités forment un monde.
Chacun y est à sa place ; on l’y maintient au besoin ; et tout le monde
est heureux, heureux, éperdument. Les hommes régénérés fondent de
gratitude pour ceux qui leur ont préparé leurs cadres, ils se perdent
en délicieuses rêveries au sein d’une Nature — une petite villa au 17°
étage avec vue sur la mer et plantation de carottes sur le toit — bien
ordonnée ; ou bien dans des activités — contrôlées — que l’on appellera
des loisirs.

Pierre FRANCASTEL, Art et technique, Paris, Éditions de Minuit, 1956,


rééd. Gonthier, 1964, «Médiations », pp. 34-35.

Un système urbain
Ce sont les unités d’habitation qui constituent la contribution construite
de Le Corbusier à l’urbanisme contemporain. Certes, le prototype de
Marseille, comme les unités de Nantes, Briey, Berlin, Lunéville (sic) ne
représentent qu’un élément (l’habitation) d’un système. Cependant,
c’est là, et là seulement, que l’on peut évoquer l’image corbuséenne de
la cité future.
L'unité d'habitation projette au-dessus de ses pilotis dix-sept niveaux.
Les appartements à deux niveaux (duplex) et double orientation ; ceux-
ci sont disposés dans l’ossature «à la manière des bouteilles dans un bou-

= Îes
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

teiller », selon la comparaison de Le Corbusier. Ils ouvrent sur cinq cor-


ridors ou «rues intérieures ». Au-dessus des pilotis, un étage technique.
Au milieu de l’édifice, une «rue marchande » qui pourvoit aux besoins
immédiats avec une série de «services communs » de boutiques et un
hôtel. Sur le toit-terrasse, une école maternelle, un gymnase, une piste
de course et une aire pouvant tenir lieu de théâtre. Le Corbusier reprend,
sous une forme verticale, la version fouriériste de la commune :même
idéal communautaire, même chiffre de population (mille six cents per-
sonnes environ), même réduction du milieu et du comportement. En
revanche, l'habitat individuel, conçu comme une véritable maison par-
ticulière suspendue, confère à la cellule familiale une importance refu-
sée par Fourier.

Françoise CHOAY, dans Transmondia, 1966, texte repris par l’auteur


dans Urbanisme, n° 282, 1995, pp. 36-42.

Type ou série ?
Ces quatre unités forment-elles une série ? Sont-elles la réponse tar-
dive au mythe du « standard» que formule Le Corbusier au début des
années 1920 ? Constituent-elles un type architectural nouveau ? On
a perdu de vue que la modernité architecturale avait eu pour objec-
tif l'invention typologique. L'histoire de la modernité est jusqu’à pré-
sent bien discrète sur ce point. La question des éléments du type (le
toit-terrasse, les pilotis, le mur-rideau, etc.) a fixé l'attention au détri-
ment du type lui-même. Capable d’entrer dans la définition d’un
style, et donc de se relier à la tradition d’une histoire artistique de
l'architecture, l'élément a été mis en avant au détriment de l’en-
semble ; ainsi en va-t-il des cinq points de l’architecture moderne —
pilotis, toit-terrasse, plan libre, fenêtre en longueur, façade libre — pré-
sentés de façon emphatique par Le Corbusier dès 1927.
En écartant l'invention typologique, la critique a altéré un des
principaux objectifs explicités par la première génération des archi-
tectes modernes. Le concept de typologie a eu en effet une place cen-
trale dans la formation de leur doctrine. La «typification » est au
centre du débat qui, en 1914, oppose Hermann Muthesius et Henry
van de Velde, à Cologne; la «création de formes-types, comme nécessité
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

sociale», est à nouveau formulée en 1925 par Walter Gropius. Ce


principe, opératoire mais abstrait, n’a pas résisté à l’approche for-
maliste de la modernité, qui s’est rapidement imposée, avec la consé-
cration du «style international» par le Musée d’art moderne de New
York, en 1932. Les manifestations de l’actualité, dès lors, se sont
confondues pour les milieux cultivés avec des suites d'œuvres sin-
gulières, éléments d’un réseau de références aux architectes les plus
en vue, ces «produits du sérail », comme les évoque Tom Wolfe dans
ses textes polémiques. Surtout, l’exaltation dans le même temps de
«l’architecte-et-son-œuvre » l’a emporté sur tout ce qui, dans le type,
produisait la banalité, la répétition, la durée. Bref, une forme d’his-
toire appauvrie, réduite au rapport de l’homme et de l’œuvre, a
négligé du même coup ce qui inscrit l’œuvre, le plus souvent entre
les deux guerres, dans une formule typologique. À partir de 1940, chez
Alvar Aalto comme chez Le Corbusier, la démarche des maîtres eux-
mêmes, lorsqu'ils sont confrontés à des commandes d’exception,
donne à l’œuvre singulière l’avantage sur les éléments-types. De
Ronchamp à Chandigarh, la gloire tardive de Le Corbusier se nour-
rit d'œuvres singulières.

La question du logement social


L'unité d'habitation est aussi un instrument du nouvel urbanisme :
à ceci près que les unités d'habitation, à partir de 1945, représentent
dans la carrière de Le Corbusier cette permanence obstinée à élabo-
rer une invention typologique du logement collectif et un élément de
l'aménagement. Cette démarche est en pleine connivence avec les
données d’un moment où surgit la plus forte pression de la demande
sociale, car le logement et la nouvelle urbanisation deviennent, dans
l'Hexagone, une question politique de premier plan. Construites à
quatre exemplaires en France (auquel s’ajoute l’unité de Berlin), pres-
crites par Le Corbusier à plus de soixante-dix exemplaires dans toutes
sortes de projets urbains dispersés sur le territoire, les unités d’ha-
bitation dominent de façon écrasante les propositions de logement

10 =
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

collectif formulées par l'architecte après 1945. Jusqu'à ses dernières


années, elles constituent pour lui une préoccupation permanente,
puisqu'il travaille encore au début des années 1960 à l'adaptation de
l'unité à des procédés de construction industrielle.
En amont de toute problématique descriptive, une telle démarche
donne des informations inédites sur les valeurs collectives qu’exprime
le type, des valeurs que partagent les membres d’une population de
professionnels de l’architecture, de maîtres d'ouvrages et de conseillers.
Ainsi, avec la croyance dans les valeurs du réformisme social et la
redistribution des richesses, qui s'imposent, depuis la République de
Weimar jusqu’au Welfare State tel qu’il se généralise après 1950 en
Europe de l’ouest et du nord, les programmes de l’habitat constituent
une demande radicalement différente dans l’histoire de l’architecture.
D'où l'inscription de l’unité d'habitation dans cette réponse globale —
qui en France s'exprime par des «formes-types », par la cité-jardin et
en Allemagne par la Siedlung — à cette «nécessité sociale » qu’affirme
Walter Gropius en 1925. De ce point de vue, après les recherches typo-
logiques explicites de Bruno Taut (immeubles d'habitation), celles de
Le Corbusier (depuis la maison Citrohan et les études pour des
immeubles-villas) s'expriment dans la mise au point, différée par la
conjoncture pendant vingt ans, de l'unité d'habitation. Ce retard n’est
pas unique : l’adhésion au type de la tour d'habitation, conçu dans
l'entre-deux-guerres, attend aussi, notamment en Grande-Bretagne,
les années de l'après-guerre (Glendinning et Muthesius, 1994).

Des œuvres malgré tout spécifiques


Par la constance du programme (une cité-jardin verticale), des dispo-
sitifs et des formes (une structure cellulaire), unité d'habitation forme
un type nouveau, issu de toute une suite d’antécédents. Mais est-ce pour
autant une série, au sens répétitif et industriel de ce terme? Il faut,
à ce sujet, s’écarter de ce qu’affirme l'architecte lui-même, comme le
propose Jacques Sbriglio : «Bien que Le Corbusier ait à de nombreuses
reprises accrédité la thèse de la série au risque de s’exposer à une

er
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

critique utilisant la méthode comparative pour dénoncer la perte de


qualité entre le modèle de Marseille et les autres unités d'habitation,
il semble qu'il soit plus juste aujourd’hui d’analyser chacun de ses
projets pour ses valeurs et ses significations respectives ».
Comment, sous une apparence très voisine — le volume, les
dimensions, le matériau de la structure, les figures architecturales,
comme les pilotis ou les loggias, et picturales, comme la polychromie
— les édifices se différencient-ils ? Quelles sont, pour chaque unité,
les particularités dans le processus de décision ? Comment naissent
les variantes, dans les programmes, les dispositifs constructifs et
l'expression morphologique ?Comment l’occupation des unités par
leurs habitants, du début à aujourd’hui, comment les débats et les
conflits qu’elle suscite, bref comment la complexité des faits — d'ordre
politique, juridique, social et matériel — tissent-ils cette histoire et
lui donnent-ils un sens ? Comment mettre en évidence toute cette sub-
stance sans faire l’économie d’une chronique, indispensable ?
Et comment s’achève cette production analogique ? Les variantes
proposées par d’autres architectes ont profondément marqué les
années 1960: l'empreinte du type est présente, en France et en
Europe, dans un large champ d'application dont on a donné de mul-
pp. 178-183 tiples interprétations. Plus étrange est l’incohérence apparente entre
le petit nombre d'unités réalisées par l’agence de Le Corbusier, et l’im-
portant corpus des projets étudiés, en réponse à la sollicitation pres-
sante des maîtres d'ouvrage, et demeurés non construits. Plusieurs
sondages dans les archives locales, à Tours et à Meaux, permettent
de compléter les informations déjà réunies (Ragot et Dion, 1997) et
de proposer des explications.

La force de la réception locale ou l’irrésistible


adhésion au type et à l’œuvre
Aux aléas d’une reproduction rapidement désenchantée — que
Le Corbusier, captivé par de nouveaux chantiers, confie à ses col-
laborateurs — et aux schémas les plus pauvres de la critique anglo-

ee GA:2
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

saxonne, s'oppose la vigueur des croyances locales dans la décou-


verte et dans la réception de l’œuvre, une vigueur encore vivace
aujourd’hui et relayée par de nouveaux animateurs. Comment est
vécu le grand écart entre les militants, les «fanas du Corbu» (qui
d’ailleurs, ce qui est remarquable, se maintiennent d’une généra-
tion à une autre), et ceux des habitants restés passifs, qui n’accè-
dent pas à cette forme de culture de l’habitat ? Comment le poids
de la référence à un patrimoine prestigieux s'est-il imposé, l’em-
portant sur les controverses et devenant, avec le temps, un critère
déterminant dans les décisions ? Comment chaque unité, en par-
ticipant à l'identité de la ville, est-elle devenue plus ou moins,
aujourd’hui, un enjeu de la vie municipale ? Comment les savoirs
des «savants» (historiens, architectes, sociologues) et les compé-
tences des «acteurs » (gestionnaires, animateurs d’association) se
sont-ils partagé les analyses et les représentations? Les unités
étaient-elles prédestinées à devenir ces chaudrons où mijote un
tonique «bouillon de culture » ?

De la haine à la consécration
Loin des chantiers, des campagnes violentes ont été conduites pour
nuire à l’architecte et à sa démarche ; à l'écart de la satisfaction des
habitants, le dénigrement des édifices réalisés a alimenté des
conflits politiques. À ces manifestations du refus et de la haine,
sur lesquelles il faut faire le point, succèdent ensuite les formes
d’une reconnaissance, dans une gamme qui va de l'inscription dans
une perspective de patrimoine officiel à une authentique et active
compréhension. Dans ce domaine, des informations substantielles,
attestant du rôle des habitants, des gestionnaires et des élus, ont
été produites ; il fallait en particulier réunir et consulter le maté-
riau précieux constitué par les études systématiques conduites,
notamment à Rezé (Bataille et Pinson, 1990), pour éclairer depuis
vingt ans la démarche de rénovation, et rencontrer les témoins,
anciens ou plus jeunes, acteurs de ces pans d'histoire récente, où

se TT 2
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

l'observation du mode de vie et des représentations complète l’h1s-


toire matérielle et institutionnelle. Dans ce sens, cet ouvrage se
propose de montrer quelle peut être la contribution d’une approche
historique et critique de la réception à l’histoire sociale et culturelle
des monuments du xx° siècle.

La critique de Corbu
Après avoir hissé la rue dans les étages pour ne pas déparer les «espaces
verts», Le Corbusier hisse l'immeuble sur des poteaux afin de libérer le
sol encore plus complètement. L’immeuble sur échasses s’est généralisé
et c’est certainement un des aspects les plus étonnants et les plus révé-
lateurs de l'architecture actuelle que la généralisation d’un mode d’amé-
nagement qui n’a jamais pu trouver l’usage auquel le destinait Le
Corbusier, ce qui ne peut surprendre car il ne résiste pas à l’analyse, ni
à l'expérience.
L'espace libéré au sol, au-dessous de l’immeuble, est en principe des-
tiné à la circulation, mais il a fallu un certain temps pour s’apercevoir que
les piétons n’en voulaient pas. À New York, le rez-de-chaussée de l’im-
meuble Lever est ouvert et offre une circulation libre, de plain-pied avec
les trottoirs ; il est en outre décoré et attrayant. Les passants le dédaignent
et préfèrent s’entasser sur les trottoirs périphériques. La raison en est le
courant d'air qui ne cesse de balayer l’espace entre les piliers. Le Corbusier
n'avait pas prévu que l’échauffement inégal de deux façades opposées,
l’une à l’ombre, l’autre au soleil, aurait cet effet.

Jacques RIBoUD, «Les erreurs de Le Corbusier et leurs conséquences »,


Revue politique et parlementaire, Paris, 1968.

Le Corbu, une référence pour l'architecte Pierre Vago


Dans l’immeuble que je construisis à Berlin en 1954, les trois cages
d'escalier conduisaient à une grande terrasse commune, en partie cou-
verte et abritée, aménagée en espaces de rencontre et de jeux pour les
tout petits. Le rez-de-chaussée, en partie sur pilotis, reliait les espaces
verts aménagés de part et d'autre de la construction. Grâce à un jeu de
rampes conduisant au parking du sous-sol, cet espace était entièrement
piétonnier.
Mes pièces de séjour avaient une hauteur d’un étage et demi: j'évi-
tais ainsi le double inconvénient des cités radieuses : trop de hauteur par
rapport à la surface pour les séjours, pas assez pour le reste du logement
(2, 26 m) et, défaut commun à tous les logements de type maisonnette,

= 6 =
UN MOMENT DANS LA CULTURE DE L'HABITAT

l'escalier obligatoire pour aller d’une partie à l’autre du logis. Malgré la


grande variété des types de mes appartements, les éléments structuraux
— l’ossature en béton armé, les planchers, escaliers, sanitaires — étaient
standardisés et rigoureusement économiques, ce qui permit de rester
dans la limite des prix imposés.

Pierre VAGO, Une vie intense, Bruxelles,


Archives d'architecture moderne, 2000, pp. 365-366.
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îl Unités construites ï :
MuE"DOIMTRENRIR ASNIÈLE
E Opérations étudiées, et non realisées
(entre parenthèses, le nombre d'unités prévues)
[] Opérations envisagées

Les unités d'habitation en France.


Chapitre I

LES SOURCES ET LE CONTEXTE

a question du logement de masse hante les sociétés indus-


trialisées depuis le milieu du xIx* siècle. Patrons d’entreprises,
promoteurs immobiliers, philanthropes, philosophes et mili-
tants politiques ont multiplié, les uns après les autres, les approches
et les réalisations, dans un registre qui va des solutions rudimentaires
— les corons — à des propositions radicales : le Familistère, construit
par l'industriel Jean-Baptiste Godin à Guise, ou la Garden City, la
cité-jardin, étude de Ebenezer Howard.

De l’immeuble-villas à l’unité d'habitation:


la conception et ses origines
Sans revenir en détail sur cette histoire, contentons-nous d’un constat:
en France, à partir de 1900, après une longue absence des profes-
sionnels dans ce débat, plusieurs jeunes architectes y prennent part
et annoncent un programme d’activité prometteur. Lorsqu’en 1904
il envoie à l’Institut son étude, La Cité industrielle, Tony Garnier, jeune
lauréat du prix de Rome, affiche la nécessité d'engager l’architecte
dans d’autres desseins que les projets, traditionnels pour les titu-
laires de cette distinction, de palais grandioses et de résidences pour

bd —
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

chefs d'État. La Fondation philanthropique Rothschild, en organisant


en 1905 un concours pour la construction d'habitations à bon mar-
ché (HBM), rue de Prague à Paris, ouvre la voie à une spécialisa-
tion des architectes dans ce programme, une orientation que les
services de la ville de Paris poursuivent avec les programmes d'HBM
des années 1920 et 1930. Rue de la Saïda, en 1912, pour le Groupe
des maisons ouvrières, l'architecte Labussière introduit des prin-
cipes d'avenir, en adoptant, pour des raisons de coût, des modules répé-
titifs construits avec une ossature de béton armé, et en se détournant
de la composition d’un îlot à cours fermées. Ce véritable essai d’in-
vention d’un type marque la capacité de ce programme nouveau à sti-
muler une étude rationnelle des projets d’'HBM, appuyée sur des
critères d'économie, de salubrité et de confort. Dans ce sens, l’'appa-
rition d’une architecture du logement de masse, en France comme
en Allemagne, appartient bien, par ses questionnements, à la proto-
modernité architecturale.
Le Corbusier ne participe en rien aux essais et aux proposi-
tions de cette phase. Avant son installation à Paris en 1917, le jeune
Charles-Édouard Jeanneret, pour ses premières commandes à la
Chaux-de-Fonds, a bâti plusieurs villas cossues et esquissé un pro-
jet de lotissement. Mais, dès le début de son séjour à Paris, la conjonc-
ture de la reconstruction des régions dévastées par la guerre, comme
l'opportunité de projets de logements ouvriers, le conduisent à abor-
der la question, en mettant l’accent sur la recherche de procédés
industrialisés de construction. D’où des propositions de «maisons en
série », qui aboutissent au début des années 1920 aux études célèbres
de la maison Citrohan et de ses variantes. Dans ces études, où il opte
pour un habitat individuel, Le Corbusier montre son intérêt pour
le vide de la salle de séjour, correspondant avec les chambres à
l'étage, formant mezzanine. Mais cette formule n’est pas compa-
tible avec la modestie des maisons qu’il édifie pour les quartiers
modernes à Pessac, qui n’utilisent pas le vide du séjour, et son appli-
cation reste l'exception, avec la maison érigée en 1927 au Weissenhof
à Stuttgart.

= fs
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

L’'immeuble-villas
C’est donc parallèlement à ces recherches sur la maison en série
qu’en 1922 Le Corbusier débute toute une série d’études consa-
crées à l’immeuble-villas, une sorte de lotissement vertical, dont il
expose au stand d'urbanisme du Salon d'automne la première ver-
sion, en la présentant ainsi : «les immeubles-villas proposent une
formule neuve d'habitation de grande ville. Chaque appartement
est, en réalité, une petite maison avec jardin, située à n'importe
quelle hauteur au-dessus de la chaussée » (Le Corbusier et Pierre
Jeanneret, Œuvre complète, 1910-1929, p. 41). Cette première pro-
position d'immeuble d'habitation collective réunit une centaine de
«villas », chacune occupant deux niveaux; elles sont superposées pp. 42-43

sur cinq rangées, soit dix étages, dans deux corps de bâtiment
parallèles, de chaque côté d’une longue cour ouverte aux deux extré-
mités. Chaque villa dessine un plan en L, disposé autour d’une très
vaste loggia, ouverte sur deux niveaux. Dans la formule de 1922,
encore tributaire de l’îlot haussmannien, les loggias ouvrent sur les
élévations extérieures. Le critère principal de cette innovation typo-
logique est la combinaison de l’individuel et du collectif, combi-
naison dont les historiens ont établi qu’elle a sa source dans le
voyage de Charles-Édouard Jeanneret en Toscane à l’automne
1907, lorsque, après sa visite de la chartreuse d'Emma, où il voit
que les cellules de moines dessinent un L, autour d’un petit jardin,
il écrit à ses parents : «j'ai trouvé la solution de la maison ouvrière-
type unique » (Gresleri, 1987). Dans des croquis publiés par Jean
Petit, il note: «cellule d’un frère à la chartreuse d'Emma.
S’appliquerait admirablement à des maisons ouvrières [...].
Tranquillité épatante ». Toute la question est évidemment de pas-
ser de ce modèle, inscrit dans la communauté d’un monastère et,
par conséquent, relatif à un mode de vie et à une règle, à l’organi-
sation de l’habitat pour la vie profane au xx° siècle, alors que la
demande sociale contemporaine semble alors s’accommoder de la
co-existence de l'appartement et de la villa suburbaine sans jamais

A. des
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

en proposer la synthèse. C’est bien en cela qu’il faut assimiler


Le Corbusier à un pionnier de l’avant-garde, dans sa recherche de
produits architecturaux en dehors du marché conventionnel et des
modèles qu’il admet, dont la majorité s’accorde à limiter le renou-
vellement au prix de leur habillage par les modes du moment.

L'expérimentation du pavillon de L'Esprit nouveau


En 1995, dans le cadre de l'Exposition internationale des Arts déco-
ratifs, Le Corbusier centre sa contribution-manifeste sur la présen-
tation d’une cellule de l’immeuble-villas, qui forme le pavillon de
L'Esprit nouveau, et que complète un diorama consacré au plan
Voisin pour Paris. La réalisation en vraie grandeur de l’apparte-
ment, meublé et décoré, est un événement. Pour la première fois, le
public peut accéder à une approche où les qualités du logis s’expri-
ment non pas en termes de style ou de luxe du décor, mais en termes
d'espaces utiles modernes. La réception n’est pas à la hauteur du
concept :d’une part, les équipements collectifs qui sont incorporés dans
le programme de l’immeuble-villas ne peuvent être perçus, d’autre
part s’impose une sorte de surcodage, puisque le signe qu’on retient
du pavillon de L'Esprit nouveau est la figure de l'arbre passant dans
un large orifice du toit, une réponse élégante aux contraintes impo-
sées par la construction temporaire du pavillon sur le site, mais qui
suppose une performance tout à fait incompatible avec les étages
courants de l’immeuble-villas.
À cette occasion, l'étude initiale évolue nettement : à l’ilot étroit
de 1922 succède un ensemble bien différent:les dimensions de l’im-
meuble-villas atteignent 400 x 200 m, les élévations équipées de log-
gias se tournent vers un vaste parc central (plus de 300 x 120 m);
tous les deux étages, des passerelles relient les niveaux de l'édifice
à l'édifice voisin, en franchissant un espace de service, où sont ins-
tallés, au sol, des garages (dessin en axonométrie FLC 30 849). Sur
le toit terrasse, on distingue des abris et des jardins. Des services
importants sont prévus pour la distribution de denrées alimentaires

= 85 =
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

dans des locaux frigorifiques, pour la fourniture dans l'appartement


de repas préparés par le restaurant de l'immeuble. C’est donc main-
tenant la proposition d’un système urbain neuf; s’il annonce à long
terme des solutions typologiques qui ont encore toute leur actualité
(immeuble de la rue de Meaux, à Paris, Renzo Piano arch., 1987-
1991), à court terme l’immeuble-villas est la matrice de l’unité d’ha-
bitation de grandeur conforme. Mais précisons bien que le problème
le plus important qui demeure à résoudre pour que la proposition évo-
lue vers autre chose que l’architecture de papier est le vide pro-
grammatique : les études pour l’immeuble-villas sont conduites en
l'absence de toute commande, en dehors des normes de toute demande
sociale ; la surface des appartements, très vaste, l’écarte du loge-
ment collectif, le surcoût de chaque loggia majore le prix de revient
de la surface habitable utile et pénalise son éventuel statut de co-pro-
priété. Bref, il reste à rapprocher le concept d’une commande vrai-
semblable.

La force des images, la simplicité des concepts


Dans ses plans de reconstruction de Saint-Dié, de Saint-Gaudens, de
La Rochelle, Le Corbusier revient sur cette idée (de l’unité d'habitation
de grandeur conforme); enfin, en 1946, le ministère de l'Urbanisme et
de la Reconstruction le charge de réaliser une première expérience
concrète à Marseille. Après mille difficultés et oppositions, le bâtiment
est terminé en 1952; le résultat architectural est tellement impres-
sionnant qu’il mobilise même le grand public, ce qui n’était pas arrivé
depuis longtemps. Mais quelques difficultés de fonctionnement demeu-
rent :une partie des logements reste vide et les services communs aux
septième et huitième étage - magasin d’alimentation, bar, cafétéria,
bureau de tabac, coiffeur, magasin de journaux, fleuriste, bureau de poste
— ne seront réalisés que plus tard. Ainsi l'édifice fonctionne pendant
quelques années comme un monument inspecté chaque jour par trois
cents visiteurs payants ; on y organise des expositions de peinture et des
réunions, et les prospectus touristiques le nomment sans hésiter ville
radieuse.
Leonardo BENEVOLO, Histoire de l'architecture moderne, t. 3,
Les conflits de l'après-guerre, Dunod, Paris, 2° éd. 1987, p. 220.

sis
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

De l'immeuble type «ville radieuse » à l’unité d’habitation


Comme souvent chez Le Corbusier, les données de la commande
réelle stimulent la mise au point de la formule. Pour les construc-
tions que Le Corbusier et Jeanneret mettent au point pour le
Weissenhof à Stuttgart, l'étude du projet de maison double (à ne
pas confondre avec le projet de type Citrohan) met l’accent sur l’éco-
nomie des surfaces, dans un appartement traversant où des cloi-
sons mobiles permettent des aménagements distincts pour le jour
et pour la nuit. En 1928 et 1929, plusieurs études de logements
locatifs font une place aux problèmes posés par l’adaptation des
études de l’immeuble-villas ; en particulier, en 1928-1929, dans un
projet d'immeuble pour artistes (Le Corbusier et Pierre Jeanneret,
Œuvre complète, 1910-1929, p. 185), les coursives, le double niveau
et un «jardin » (en fait une loggia) montrent la prégnance des solu-
tions fondatrices. Dès 1928, à l’occasion de son premier voyage à
Moscou, l'architecte suit les premières réalisations des «maisons
communes », le programme révolutionnaire de la nouvelle généra-
tion d'architectes soviétiques, où des services collectifs complètent
des logements de petite taille. En 1929, il voit la maison commune
du Narkofim (1928-1929, Moïse Guinzbourg et Ignace Milinis, arch.),
dans laquelle un couloir, dans deux niveaux sur cinq, distribue l’ac-
cès à des logements établis sur deux niveaux; il rapporte à Paris les
tirages des plans et des coupes, qui proposent l’esquisse de la rue
intérieure.
Un saut est franchi avec le projet Wanner à Genève (1930-1932),
dans lequel un «couloir général», tous les deux étages, distribue
dans la partie — centrale, et donc obscure — du plan l’accès aux appar-
tements de deux niveaux (double hauteur de 4, 50 m). Les études pour
le «jardin suspendu » reprennent le thème de la grande loggia de
limmeuble-villas (Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Œuvre com-
plète, 1910-1929, pp. 180-183).
En 1932, on observe le passage de la continuité du bâti à des élé-
ments plus petits et discontinus. Alors que l’immeuble-viaduc, pour

PT
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

le plan Obus à Alger, comme l'immeuble à redents pour l’urbanisa-


tion d'Anvers se développaient sur de grandes dimensions linéaires,
une étape décisive est franchie avec le projet pour un immeuble
ouvrier à Zurich (1932-1933). L'échelle (trois cent cinquante loge-
ments), les volumes construits sur pilotis, l’organisation d’une rue inté-
rieure, la double hauteur des logements (mais non traversants), les
équipements collectifs au sol et sur le toit-terrasse, l’accès par un
pavillon de gardien (qui s’inspire de la formule du pavillon suisse à
la cité universitaire de Paris), sont autant de points qui annoncent
la formule de l'unité d'habitation. L'étude avance encore lors de la mise
au point de la «ville radieuse», conduite à partir du projet de «réponse
à Moscou » (1930-1933) (J.-L. Cohen, 1987, pp. 178-195). Les coupes p. 39

des immeubles à redents comportent beaucoup d'indications sur la


répartition des équipements aux différents niveaux :service de santé
sous le toit-terrasse, utilisation des deux premiers niveaux au-des-
sus des pilotis pour les services communs.

Une gestation progressive et incomplète


En 1934, les études pour l'urbanisation de Nemours, en Algérie,
conduisent à franchir une nouvelle étape: en raison d’un terrain
accidenté (il en sera de même dans le projet pour Bat’a à Zlin), la conti-
nuité des immeubles à redents, caractéristique de immeuble «type
VR> (pour ville radieuse) est remplacée par la fragmentation; les
immeubles deviennent séparés, lamelliformes, de taille moyenne, de
dimension identique ; ils sont orientés nord-sud. Le volume est celui p. 38

d’un immeuble-type, qui devient bivalent :à la fois formule d’habi-


tat et élément pour le plan-masse des projets d'urbanisation et d’amé-
nagement. La distribution intérieure, le principe de l'appartement
traversant, l’emboîtage des logements au-dessus et au-dessous de
la rue intérieure sont repris de l’immeuble «type VR» pour le plan
de Paris, en 1937, et apparaissent dans les pages qui suivent l'étude
pour l’îlot n° 6 (Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Œuvre complète,
1934-1938, pp. 52-55). Si les études, conduites en 1934-1935 pour

nee
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

l'exposition de 1937, maintiennent la formule continue de limmeuble


à redents, le concept d’unité d’habitation se fixe au moment du pro-
jet pour l’immeuble du bastion Kellermann (Le Corbusier et Pierre
Jeanneret, Œuvre complète, 1934-1938, pp. 148-149).
Au terme de ce processus d’accumulation, la plupart des don-
nées du type sont acquises ;mais, notons-le, ces données concer-
nent l’organisation volumétrique et la distribution, non pas leur
relation avec un système constructif laissé indéterminé. Certes, à
l’occasion du projet d’une Exposition internationale de l’habitation
qui se serait située, dans le cadre de l’exposition de 1937, à
Vincennes, Le Corbusier mentionne «un débat sur les ossatures :
acier, béton armé», une construction «en usine, par pièces déta-
chées » (Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Œuvre complète, 1934-
1938, p. 145). Mais cette évocation, formulée en termes vagues, et
sans conviction, est révélatrice : la conception du type est conduite
sans investissement dans le système constructif. Est-ce par pré-
caution, comme si les architectes pensaient que seule une com-
mande véritable pouvait constituer le cadre d’une réelle approche
de la construction ? Est-ce par effet de contamination avec les pra-
tiques observées à Moscou en 1930, où le caractère fruste de la
construction en béton armé limite l’approche constructive à une
interprétation passive du projet ? En fait, cette démarche qui éta-
blit une hiérarchie entre la conception des volumes et leur construc-
tion, ne procède pas en intégrant la pensée de l’espace et la pensée
constructive. Elle implique, le moment venu, la recherche d’une
interprétation constructive du type et annonce, du même coup, les
difficultés qui surviendront, lorsqu'il faudra passer au stade de
l'édification industrialisée des unités.

L'unité d'habitation, pour quoi ? pour qui ?


On a vu le caractère indéterminé de l’immeuble-villas : des loge-
ments trop vastes pour s'inscrire dans les normes du logement social
de l’époque, des logements dépourvus de la «chambre de bonne»,

20e
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

complément obligé de l'appartement bourgeois. En quelques années,


au cours de la phase qui va de sa participation en 1930 à la consul-
tation pour les projets d’une «ville verte», au nord-est de Moscou, à
. l'édition de la Ville radieuse en 1935, Le Corbusier donne des objec-
tifs concrets à ses recherches sur le logement collectif. Il propose une
substance sociale et un mode de vie, à la fois tributaires des problé-
matiques qu’il rencontre dans le cadre de sa collaboration avec les
Soviétiques à Moscou et ancrés sur le principe d’une combinaison du
logement individuel et des services collectifs.

Les modèles: de Moscou à New York en passant


par Stockholm
Ce serait une erreur de croire que cette question des équipements
et des services disponibles dans l'immeuble collectif est seulement
issue du contexte soviétique et des études pour la «maison com-
mune ». En effet, elle est ouverte en France dès le Familistère de
Godin à Guise (vers 1870) et récurrente dans tous les programmes
de logement social. Relayée par les analyses d’'Émile Cheysson
pour le programme du concours de la Fondation Rothschild à Paris
(1905), elle est au cœur des propositions progressistes sur l’habi-
tat. Elle est aussi présente dans les réalisations suédoises des
années 1930, portées par le climat de l’État-providence; loin du
radicalisme des propositions soviétiques, les études conduites en
1930 pour des ensembles de logements dans la banlieue de
Stockholm par l'architecte Sven Markelius combinent l'habitat de
masse avec restaurant, gymnase, solarium, salles de lecture et
salles de jeux. En 1934, le même architecte mène à bien un ensemble
de cinquante-six logements à Stockholm (6, John Ericssonsgatan),
complétés par une garderie, une cuisine collective, un commerce
d'alimentation, des monte-charges. Géré par une société coopéra-
tive, cet immeuble, qui attire l’attention des milieux intellectuels
progressistes, est une «maison collective », une «autre forme d’ha-
bitat», qui répond aux tensions nées entre le travail salarié des

UT
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

femmes et la vie au foyer (J.-B. Cremnitzer, 1997) ;entre 1938 et


1960, plusieurs unités d'habitation collective semblables sont
construites à Stockholm et dans ses environs, ainsi qu’à Gôteborg,
la plupart réalisées en relation avec des organisations de femmes
actives dans la vie professionnelle.

Un «condensateur social »
Cette syntaxe surréaliste [des villas Jaoul à Neuilly] ne pouvait guère être
utilisée pour l'unité d'habitation à dix-huit étages construite à Marseille
en 1947-1952. Et pourtant en abandonnant la technologie machiniste
légère de l’avant-guerre, l'unité se montra tout aussi engagée dans des
méthodes de construction «brutalistes ». Cela apparaît dans le coulage de
sa structure de base en béton dans un coffrage de bois brut, mise en évi-
dence délibérée du mode de construction que Le Corbusier allait justifier
par des arguments presque existentiels.
En dehors de son apparence de béton brut, l'unité avait une organisation
bien plus complexe que les bâtiments types de la ville radieuse (VR)
d’avant-guerre. Alors que la barre VR était un volume horizontal continu,
contenu hermétiquement dans du verre, l'unité révélait sa structure cel-
lulaire grâce aux balcons brise-soleil et aux auvents en porte-à-faux sur
le corps principal du bâtiment. Ces brise-soleil, avec leurs murs latéraux,
marquaient le volume des unités à deux étages s'étendant sur la largeur
du bâtiment — formes de mégaron construites à l’intérieur de la structure
en béton de la manière dont les bouteilles sont disposées dans un casier.
Des «rues » intérieures à un étage sur deux permettaient l’accès hori-
zontal vers les unités qui s’assemblaient par croisements.
Cette morphologie cellulaire exprimait automatiquement le regrou-
pement de logements privés (cf. le projet Rogq et Rob), alors que la gale-
rie commerciale et les équipements communautaires sur le toit servaient
à établir et à représenter le domaine public. Le statut honorifique de cet
ensemble plus grand était exprimé au rez-de-chaussée par des colonnes
au profil délicat supportant le bas-ventre du bâtiment. Ces pilotis, pro-
portionnés avec précision suivant le Modulor de Le Corbusier, suggé-
raient l'invention d’un nouvel ordre «classique ». Réunissant ses trois
cent trente-sept logements grâce à une galerie commerciale, un hôtel,
une terrasse, une piste de course, un bassin à patauger, un jardin d’en-
fants et un gymnase, l’unité était autant un «condensateur social » que
les immeubles soviétiques des années 1920. Cette intégration totale des
services communautaires rappelait le modèle du xix® siècle du phalans-
tère de Fourier, non seulement de par la taille, mais aussi de par son iso-
lement par rapport à l’environnement immédiat. Et de même que le

a TQ
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

phalanstère devait loger l’homme dans un domaine princier (Fourier


détestait le caractère misérable de la maison individuelle), pour Le Corbusier,
l'unité restaurait la dignité de l’architecture jusqu’au simple logis indi-
viduel.

Kenneth FRAMPTON, L'architecture moderne, une histoire critique, 1'° éd. en anglais,
Londres, 1980, éd. française, Paris, Philippe Sers, 1985, pp. 197-198.

. Si on ne sait rien de l’accès de Le Corbusier à ces références


suédoises, par contre l’approche de la «ville radieuse » est en phase p. 41

avec le programme soviétique de la «ville verte » qui lui est com-


muniqué en 1930; il se propose : «l’union des plus hauts résultats
acquis par la technique d'Occident avec les principes socialistes. Cela
signifie qu’il ne suffit pas d’atteindre dans les travaux pour la «ville
verte» (le) niveau de la plus récente économie urbaine d'Occident
(transports développés, mécanisation, électrification, commodité des
logis), mais que tout cela doit être utilisé au point de vue des formes
socialistes de la vie: instauration de services communs, garantie
maximale de la santé des travailleurs, établissement rationnel des
formes de repos, sports et cures, éducation des enfants, etc. La «ville
verte» doit devenir une maison de santé prolétarienne modèle où
les ouvriers de Moscou et à un certain point ceux de la région puis-
sent soit vivre (de façon continue) soit y passer leurs jours de repos »
(J.-L. Cohen, 1987, p. 166).

Un service public de l’habitat


Les expériences de ce «laboratoire de l'habitat» appartiennent, par leur
contenu systématique, à l’histoire sans rupture des études menées par
Le Corbusier depuis le début des années vingt. Il n’en est pas de même
pour les aspects plastiques, car ce grand chantier d'architecture est le
lieu d'innovations formelles dont les résultats engagent toute la produc-
tion de l'architecture, après 1950, dans une interprétation nouvelle de la
forme et de son rapport aux techniques constructives. Et, tandis que l’édi-
fice n’a jamais été à ce point associé à la technique et dans la dépendance
de dispositifs mécaniques, cette mise en images poétiques d’une construc-
tion en béton armé se détourne du modèle machiniste, et «parle» du
béton comme d’un mélange de terre et d’eau, pétrifié dans un moule som-
maire de bois brut, comme si la beauté de la maison des hommes était le

Le 00
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

plaisir de la vue, dans les «conditions de nature retrouvées ». L'édifice se


propose d'ouvrir la voie à une pratique sociale nouvelle. Il contient l’hy-
pothèse (ou l’utopie ?) du «service public de l'habitat», géré par la com-
munauté des résidents.
Gérard Monnier, 1986, pp. 98-100.

La participation enthousiaste de Le Corbusier à la problématique


de la maison commune pour la «ville verte» le conduit à adhérer à
la théorie de l’habitat collectif conçu comme un ensemble de services
socialisés, étape vers une proposition de service public de l’habitat.
Tout en affirmant, à la différence des architectes moscovites, le carac-
tère indépendant et privé du logement, il condamne l’archaïsme de
la domesticité privée, affirme la nécessité d'équipements spéciali-
sés, employant des salariés, et permettant le développement de
grands services. Les études consacrées en 1930 aux services com-
muns de la «ville radieuse » font la plus large place à ces nouveaux
contenus, mais dans une interprétation acceptable en Occident, où
les coopératives de distribution font partie des institutions ;voici,
en suivant la nomenclature des planches 18, 19 et 20 consacrées aux
services communs (dessins FLC 24912-24913-24914), la liste de ces
services, en suivant leur emplacement de haut en bas de l'édifice:
— sous le toit-terrasse :
«centre familial de santé (maternité et dispensaire)»,
«service des sports » ;
— au niveau + 7,50 m :
« stocks » (de la coopérative d’alimentation),
— au niveau + 5 m:
« coopérative d'alimentation » comprenant
«boulangerie », «poissonnerie» et «stocks frigo»,
niveau «arrivée des autos » ;
— au niveau 0 (pilotis):
«halls du public», «ascenseurs et monte-charge »,
«arrivée des camions » et «garage autos » ;
— au niveau -4 m: :
«bloc service», «climatisation », «incinération des ordures ».

hote
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

On notera que les services d'éducation, indépendants du bâti-


ment, ne font pas partie de cette liste ; à ce stade, l'étude insiste, de p. 38-39

façon nouvelle, sur l'équipement technique du bâtiment :batteries d’as-


censeurs et escaliers de secours, regroupés dans un volume intégré
au volume principal (et non plus dans un volume hors d'œuvre),
ascenseurs de service, dans la partie centrale du plan, canalisations,
évacuation et incinération des ordures. On peut s'interroger : le ser-
vice dans les grands hôtels aux États-Unis et aussi celui dans les
appartements des immeubles de luxe à Manhattan, ne sont-ils pas
d’autres sources possibles pour ces équipements ?
Lorsque la commande effective, après 1945, déterminera
l'étude des projets des unités, la prégnance de beaucoup de ces
dispositifs, présents dans les études antérieures, sera incontes-
table. Elle ne correspond pas pour autant à l’établissement d’une
relation particulière avec les institutions capables de donner un
contenu social à ces dispositifs : il n’y a pas de trace de contact de
Le Corbusier avec les coopératives, ni avec les mouvements asso-
ciatifs. Et, faute de tout lien avec les structures de ce que nous
nommons aujourd'hui l’économie solidaire, un projet aussi avancé
que celui de Marseille dans la voie du service public de l'habitat
se fera en porte-à-faux, tandis que la démarche initiale des res-
ponsables de la future unité de Rezé sera accueillie par l’archi-
tecte avec réticence, les contraintes de budget de la construction
sociale étant considérées par Le Corbusier comme incompatibles
avec la conception de l’unité.

De la Reconstruction à l'urbanisation:
la production et son contexte
Un pays dévasté, où partout règne la pénurie de biens matériels, un
pays qui émerge d’une crise politique majeure :en 1945, rien dans
la France de la Reconstruction ne semble favoriser la commande
d’édifices d'habitation modernes et sophistiqués. Le moment est
plutôt celui de la mobilisation des ressources pour faire face dans

nn
ET
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

l'urgence à la pénurie de logements :importation de constructions


préfabriquées en bois, par exemple. Pour sa part, dès 1940,
Le Corbusier propose la discipline de l’autoconstruction d’abris rudi-
mentaires, construits en maçonnerie et. couverts de charpente, les
«murondins ».
Comme l'ont bien établi les récents travaux sur la Reconstruc-
tion, l’organisation technocratique mise en place par le régime de
Vichy, et maintenue à la Libération par le gouvernement provisoire,
conduit à définir pour la Reconstruction des objectifs nationaux
ambitieux (D. Voldman, 1997 ; J. Abram, 1999). Contrôlée par un
appareil d’État qui a tous les pouvoirs, le ministère de la
Reconstruction et de l'Urbanisme (MRÜ), animée par un meneur
d'hommes de premier ordre, Raoul Dautry, la reconstruction parvient,
malgré le handicap de l’extrême dispersion et de la grande hétéro-
généité des sites détruits, à fixer des projets forts, caractéristiques
du rôle que l'État, dans la ligne des orientations du Comité natio-
nal de la Résistance (CNR), entend assumer dans tous les domaines
de la Reconstruction. Dautry et son entourage, tout en imposant
une modernisation des espaces urbains, s’attachent à respecter la
diversité des doctrines ; ainsi, ils confient la reconstruction du Havre
à Auguste Perret et à ses élèves, celle de Maubeuge à André Lurçat
(en remplacement de Paul Janin). Le Corbusier, qui a un allié puis-
sant au MRU en la personne d'Eugène Claudius-Petit, a des mis-
sions plus diverses: il est nommé architecte en chef de la
reconstruction de La Pallice (mais renonce devant les difficultés
rencontrées localement) ; il participe au voyage d’étude organisé
par le MRU aux États-Unis, ainsi qu'aux études pour la recons-
truction de Saint-Dié, mais sans mandat officiel du ministère, ce
qui à terme entraîne sa mise à l'écart de l'opération. Lorsque Dautry
décide de lui confier la construction d’une unité d’habitation à
Marseille, il lui attribue une responsabilité à la fois limitée dans ses
dimensions, substantielle dans ses perspectives et exceptionnelle
dans le contexte à venir de l'urbanisation, une véritable mission de
démonstration.

EN
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

Les conditions de la commande des unités d'habitation


Projet culturel au moins autant que technique, la commande par
l'État de l'unité de Marseille est extraordinaire car elle a valeur
d’une carte blanche pour montrer comment un nouvel art de bâtir
transforme le mode d'habitat. Cette commande a aussi un indéniable
contenu politique : la question d’une modification radicale du statut
de l'habitat a été abordée par le Congrès de l’Union des ingénieurs
et techniciens combattants (l’UNITEC, fondée en 1942); réuni à
Alger du 16 au 19 mars 1944, le congrès adopte un vœu révolution-
naire : «l'habitation peut et doit devenir un service public», un thème
qui oriente la démarche de Claudius-Petit (Pouvreau, 1999). Il en
reprend les termes dans sa première intervention à la tribune de
l’Assemblée consultative, le 5 mars 1945 : «Nous avons eu l’époque
des cathédrales, celle des grands cloîtres, puis l’époque des palais
municipaux, et nous en sommes à celle des palais ouvriers [...]. La
France réussira cette reconstruction ou elle la ratera. Elle doit la
réussir pour inscrire dans son sol même les conditions d’un véri-
table socialisme. La France ne pourra pas continuer à faire du socia-
lisme théorique, libérer l’homme dans les textes et dans les livres,
en le laissant enchaîné dans une vie de bagnard et de forçat [...].
Allons-nous essayer de lutter avec cette espèce de conception capi-
taliste que nous espérons dépassée ? N’allons-nous pas, au contraire,
apporter une solution nouvelle à ce problème du logement, trans-
former l'habitat en un véritable service public [...], allons-nous prendre
conscience que tout ce qui touche le logement est une affaire qui
regarde essentiellement la société, l'État et la communauté toute
entière ? » (J.O., débat du 5 mars 1945, pp. 284-297). L'hypothèse du
service public de l’habitat, comme base politique de la conception de
l'unité de Marseille — hypothèse que nous avions déjà formulée
(Monnier, 1986) — se trouve ainsi confirmée. Ainsi la démarche idéale
de l'architecte a bel et bien croisé la démarche politique du moment,
et sa générosité, que recoupe l'invention du système de la sécurité
sociale. Mais de ce point de vue, la commande, une fois réalisée, et

Pa
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

faute d’un cahier des charges spécifique, rencontrera des objectifs


insurmontables, et la mise en service de l'unité de Marseille ne sera
jamais conforme à sa destination initiale.
Une commande aventureuse, donc. L'épisode aurait pu être sans
suite :mais tout se passe comme si les enthousiasmes du moment
allaient veiller sur la réussite du projet. Les frustrations d’une longue
période — la crise des années trente, puis les années de conflit — ont
concentré des forces et des volontés libérées par l'immédiat après-
guerre, dans un climat de renouveau et de pugnacité, que Gabriel
Chéreau, alors jeune avocat à Nantes, exprime en 1944, dans un
courrier à Le Corbusier où il écrit: «Il faut au moins que des évé-
nements aussi épouvantables aient un côté constructif qui rachè-
tera l’horreur que nous avons subie ».
Dans le contexte d’une reconstruction aussi politique et sociale,
qui prend souvent la forme d’un renouvellement des élites, quelques
personnalités exercent une force de proposition et d'innovation com-
plétée d’une dimension culturelle forte, bien souvent en dehors du
cadre parisien. Toute une partie de l’histoire de la reconstruction
l'indique: les responsables de l'imprimerie Mame à Tours, qui font
le choix d’un architecte en vue; l'avocat Gabriel Chéreau et l’indus-
triel Edmond Decré, tous deux vice-présidents de la coopérative la
Maison familiale, à Nantes, qui décident de confier à un architecte
célèbre le projet d’un logement ouvrier exemplaire ; Jean et Jean-
Jacques Duval, en offrant la reconstruction de leur usine de Saint-
Dié à Le Corbusier, provoquent une affirmation sans précédent de
la culture moderne qui s'exprime dans la construction de bâtiments
utilitaires.

Les unités et la politique de planification


de l'après-guerre
Tributaire de la générosité des espoirs nés dans l'esprit de la
Résistance, cette orientation répond à l’affirmatiôn, au centre gauche,
des forces politiques réformistes qui vont de l’'UDSR (Union des

ER
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

démocrates socialistes pour la République) et des anciens de la Jeune


République à la démocratie chrétienne ; ils trouvent un appui, dans
l’ordre de la production de l’espace, chez plusieurs personnalités, de
l'ingénieur Bernard Laffaille au ministre Claudius-Petit, lui-même
ancien militant de la Jeune République.
Mais ce contexte de la reconstruction n’explique pas seul l’his-
toire des unités d'habitation. En effet, les commandes successives
éclairent aussi la transformation de la demande. On passe de la
réponse à une pénurie née des destructions (Marseille, Rezé) à la
satisfaction d’un nouveau besoin de logements, né de la croissance
de l’activité industrielle (Briey, Firminy). À partir de 1950, débute une
phase de mutation : sous l’aiguillon des experts du commissariat au
Plan, la France de Paris et le désert français (J.-F. Gravier, 1947)
s'engage dans un énorme effort de décentralisation et d'aménagement
du territoire. Le Plan d'aménagement national, adopté par le gou-
vernement en janvier 1950, fixe deux axes à cet effort :un axe quan-
titatif, avec la priorité donnée à la production de logements (qui doit
passer de 50 000 à 240 000 logements par an), un axe qualitatif:
avec les logements, les équipements et les infrastructures doivent
tendre à atténuer l'écart entre régions. Il en découle que les élus des
agglomérations moyennes sont en première ligne de la prise de déci-
sion. Et il n’est pas superflu de constater que ce sont à nouveau des
personnalités venues des couches militantes du mouvement social
de l'entre-deux-guerres qui placent dans l'intervention de Le Corbusier
l'espoir de concrétiser un projet de société.

7
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

Devenu un conférencier à succès, au chic vestimentaire incontestable, invité un peu partout


en Europe après sa scandaleuse mise à l'écart du concours pour le Palais des nations
à Genève, Le Corbusier se fait essentiellement le porte-parole d’une nouvelle conception
de l'habitat et de la ville. Ici, en octobre 1928, devant l’Académie des sciences
à Moscou, il expose son analyse du confort thermique d’un immeuble dans les conditions
d’un hiver rigoureux, en fait celles de son Jura natal. Le propos est appuyé sur des schémas
didactiques, tracés au fur et à mesure devant son auditoire.

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LES SOURCES ET LE CONTEXTE

Amiens, ville parmi tant d’autres, nous rappelle l'extrême pénurie de logements
qui s’installe de façon durable partout sur le territoire français au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale. Sur les sites touchés par les destructions de la guerre, entre 1940 et 1945,
qui n’ont épargné aucune région, des constructions sommaires et provisoires hébergent
les sinistrés. Des centaines de milliers de personnes attendront, pour la plupart de longues
années, un relogement dans des édifices de la reconstruction.

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LES SOURCES ET LE CONTEXTE

Ce schéma, publié dans La Ville radieuse en 1935, fait la synthèse de la conception


technologique de Le Corbusier sur l’habitat en hauteur, articulé avec les réseaux urbains
de la distribution d’eau, d'énergie (gaz et électricité), et de communication (téléphone).
En découle un nouveau paysage urbain, sous la forme d’un parc délectable à la vue,
pour l'habitant d’un appartement équipé de l’« air exact » — terme emphatique qu’utilise
l’auteur, dans son jargon enthousiaste, pour désigner l'air conditionné.

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LES SOURCES ET LE CONTEXTE

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Le dessin de cette coupe apparaît en 1935 dans la publication de La Ville radieuse.


Cette coupe est essentielle dans le processus qui conduit à l'élaboration de l’organisation
de l’espace de l’unité d'habitation : aux éléments déjà établis dans des études antérieures
(toit-terrasse, pilotis), s’ajoute en effet, pour la première fois, le dispositif-clef des appartements
traversants, dont les deux niveaux sont combinés, tête-bêche, avec la rue intérieure.
Les circulations verticales forment encore un volume annexe (comme dans le pavillon
de la Suisse), les loggias ne sont pas prévues, et la structure, en dehors des pilotis
des deux premiers niveaux, reste indéterminée.

= 80=
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

Ce schéma, publié dans La Ville radieuse, évoque une agglomération systématique


de bâtiments reliés par une rocade sur pilotis. Les édifices,
eux aussi sur pilotis, préfigurent le type des unités d'habitation.
Il s’agit du projet d'urbanisation de Nemours, une petite localité côtière d'Algérie,
pour laquelle Le Corbusier avait étudié un plan d'aménagement en 1934.

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LES SOURCES ET LE CONTEXTE

Accompagnant le projet d'urbanisation de Héllocourt, en Lorraine, pour la société Bat’a,


cette vision d’un paysage s’appuie sur le type du « gratte-ciel cartésien », une proposition
théorique de 1935, née de la critique de Le Corbusier découvrant à New-York les gratte-ciel
américains. Le programme précise ici que ces grands bâtiments comportent « tous les services
communs utiles, capables de répondre à la qualité des ouvriers manufacturiers attirés
dans ce nouveau centre industriel ». La démarche inscrit l'unité d'habitation dans la question
de l'habitat populaire, ouverte dans ce sens depuis le Familistère de Godin à Guise.
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

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Ces croquis de conférence de Le Corbusier, en 1929, sont consécutifs


à l’immeuble-villas, une étude de 1922, dont ils reprennent le type de l'appartement à angle
droit, une cellule accompagnée d’un jardin. Le premier de ces schémas, en insistant
sur les commodités de l’espace du paquebot, où le luxe ne se limite pas à une cabine de 15 m°,
souligne l’importance des services collectifs. Il ouvre la voie à l'argumentation du logis collectif
en hauteur, où le logement proprement dit est une « cellule avec jardin », desservie
par une « rue en l'air », c’est-à-dire dans les étages, articulée avec.le « réseau des habitants »,
les garages, le hall et les circulations verticales. Dans la démarche de Le Corbusier,
qui est reprise dans son ouvrage Précisions sur un état présent de l'architecture
et de l'urbanisme, publié en 1930, les principes d'organisation de l’espace
précèdent sa mise en forme.
LES SOURCES ET LE CONTEXTE

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Ce second schéma introduit des indications sur la distribution des éléments


et sur les données architecturales et quantitatives, absentes du premier : les niveaux
du bâtiment près du sol sont attribués au « service hôtelier », où une « usine alimentaire »
et le « hall hôtelier » sont en contact direct avec les réseaux de voirie, les espaces sur le toit
abritent les « services communs ». La hauteur de l'immeuble, avec ses étages de « cellules »
et de « rues en l’air », ne dépasse pas « 30 ou 40 mètres ». Ce moment, à la fin des années 1920,
est bien celui, intermédiaire, entre la conception de « l’immeuble-villas » et celle de la « ville
radieuse ». Suit-1l la visite des « maisons-communes », vues à Moscou en 1929 ?

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Chapitre II

L'UNITÉ D'HABITATION
DE MARSEILLE

\
Marseille, boulevard Michelet, c’est la cité radieuse. Ou encore
un monument historique de luxe. À moins d'être paralysé par
une vision distraite opiniâtre, la vue de l’unité de Marseille ne pl. I-p. 160

laisse pas indifférent. Parce que, dans cette large artère, où le bâti ne
parvient pas à répondre à ses dimensions monumentales, l’insolite
est là : un vaste espace libre, de grands arbres derrière un rideau de
cyprès formant écran, et les formes minérales de l’unité, en retrait de
l'avenue, dans un lieu dont on ne sait s'il est privé ou public. Des
masses, un volume, des épaisseurs minérales formidables qui distin-
guent l'édifice de son environnement. Sur le côté : un étrange blockhaus,
dont les courbes semblent dessinées par Mirà ; une construction miro-
bolante donc, tout à fait à sa place, comme cet abominable calembour
lui-même, dans ce monde qui semble venu d’ailleurs. Par devant : un
parvis ponctué d'objets improbables. De loin : des pilotis massifs qui
laissent courir le regard, au-delà d’un parc, parvis paisible et sans pro-
tocole, d’où s'écartent les voitures, dont les couleurs vives sont entr'aper- p. 77

çues plus loin, au-delà. Plus haut : une élévation alvéolaire, dont les
multiples cellules donnent l'échelle ; à cette distance, le béton brut et pl. III-p. 160

son agrégat minéral, avec sa texture violente, dans les pieds-droits et


les garde-corps des loggias, affirme sa rudesse défensive, dans une
sorte de mise à distance ; qui cesse, lorsque le regard se fixe sur les parois
lisses des logias, sur leur mise en couleur franche, éclairée par le blanc

mais
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

des sous-faces, une vision d'espaces paisibles qu'on devine voués à la


vie domestique. Puis, le regard glisse sur des répétitions chromatiques
qui n'en sont pas, sur des rythmes, l'équivalent optique d’une portée
musicale. Plus près, insolite, l’image schématique du Modulor, graf-
pl. Il-p. 160 fiti moulé en creux dans la paroi de béton, proche de l'entrée ; puis le
dallage, et la pierre inaugurale, où se posent les signes et les mots :une
pensée. Plus près encore, les glaces claires des portes d'entrée dans le
hall, montées sans menuiserie, et qui font contraste avec le béton, les
dalles. Et dans le hall, qui a la dimension de l’espace d'accueil d’une
grande entreprise, au pied des parois, une coquille Saint-Jacques,
moulée en creux, et peinte de couleur vive ;mais quoi ? un rouge, un
bleu, Ô mémoire ? Un pseudo-fossile, vestige d’une mythique histoire
minéralogique, pour ceux qui savent voir et croient savoir.

Déjà handicapée, avant 1940, par la médiocrité de son habitat,


au lendemain de la guerre, Marseille, ville sinistrée, souffre d’une
criante pénurie de logements (trente deux mille familles sont sans
abri). La Libération a mis des hommes nouveaux à la tête de la ville,
Gaston Defferre à la délégation municipale, Jean Cristofol au comité
de Libération.

Les circonstances de la commande

Les conditions de la commande de l’unité de Marseille sont connues :


alors que la ville, dans les mois qui suivent, est politiquement domi-
née par le parti communiste, Raoul Dautry, ministre de la
Reconstruction et de l'Urbanisme depuis novembre 1944, en confiant
à Le Corbusier en août 1945 la construction d’une «maison collec-
tive», entend bien le mettre au pied du mur : il provoque une confron-
tation entre les communistes de la mairie et le théoricien de l'habitat,
dont Dautry aurait dit, sans complaisance excessive, qu'il avait «beau-
coup construit de livres ». Mais une confrontation généreuse, puisque
le ministre donne immédiatement son accord aux franchises que
réclame l'architecte, dispensé de suivre les réglementations. Le ministre

me DD
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

formule le 30 novembre 1945 la commande officielle, qui confie à


Le Corbusier les «opérations préliminaires », nécessaires à «l’édifica-
tion d’un immeuble sans affectation individuelle (ISAD) sur un ter-
rain qui sera choisi ultérieurement en accord avec la municipalité ».
Le 27 décembre, le ministre informe Jean Cristofol et la délé-
gation municipale : «J’ai décidé qu’une construction de Le Corbusier
serait faite dans votre ville. Il s’agit d’une formule hardie devant
allier une grande rapidité d'exécution, et donc de mise à disposition
de nombreux logements, les réalisations les plus modernes de l’hy-
giène, de l'esthétique et du confort». Pour atténuer l’impact de cette
décision venue d’une autorité nationale bien lointaine — Dautry ne
passe pas son temps à négocier de tels projets sur place — le ministre
ajoute: «Il est prévu qu’une équipe composée de huit à dix archi-
tectes assurera l’exécution des travaux, équipe composée pour moi-
tié d'éléments adaptés aux disciplines de Le Corbusier, pour moitié
d'architectes marseillais ». Dans les jours suivants, la presse locale
fait état du projet, tandis que plusieurs architectes locaux se mettent
sans attendre sur les rangs : Jean-Louis Sourdeau, un chef de file pro-
fessionnel, ancien résistant, et aussi un jeune émule, André Dunoyer
de Segonzac (Sbriglio, 1992, p. 29).

Une moderne arche de Noé ?


En 1941, en rédigeant avec François de Pierrefeu La maison des hommes,
il a émis l'hypothèse de la «cité-jardin verticale», une sorte d’«unité »
relativement autonome. Articulée sur le binôme «universel» logement/
équipement, cette unité d'habitation serait un «en-soi», une réponse
valable en général, quelle que soit la ville, quel que soit le contexte géo-
graphico-climatique, quelle que soit l’absence de la ville. Dans ce siècle
abandonné par la responsabilité politique, devant l’impossibilité de réa-
liser une ville-œuvre, une ville moderne entièrement conçue comme une
architecture, Le Corbusier s'attache désormais à dégager les conditions
minimales de l'émergence d’une nouvelle architecture. Il postule alors
une unité architecturale type qui puisse porter suffisamment de collec-
tif pour que, dans le cadre d’un urbanisme réduit à la réticulation des
éléments architecturaux, à leur relation topologique et fonctionnelle, une
forme de civilisation perdure, dialoguant avec le ciel sous la protection du

D
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

soleil, ne refusant pas la ville, mais n’en faisant plus son unique objet.
La commande par Raoul Dautry du prototype de Marseille, en 1945, per-
met à l'architecte de concrétiser ses nouvelles idées et de réaliser un
immeuble total, véritable témoin de la fin des villes. Un abri, un repli, une
arche pour la traversée des tempêtes à venir? Les villes modernes ne
peuvent plus, pour Le Corbusier, exister comme architecture.

Patrice NOVIANT, « Vichy: le refus des villes », Urbanisme, n° 282, 1995, pp. 76-77.

L'étude initiale de 1945


Sur un terrain situé à La Madrague, au contact de la zone portuaire
et industrielle, Le Corbusier et son équipe mettent en place la pre-
mière approche d’une unité d'habitation, une approche qui nourrit déjà
de façon substantielle la mise au point du type. Le projet comporte
trois bâtiments : un bâtiment A (deux cent dix-huit appartements),
orienté avec ses deux longs côtés face à l’est et à l’ouest, et deux bâti-
ments moins élevés (R+6), le bâtiment B (cent huit appartements) et
le bâtiment C (trente-deux appartements), disposés à l’équerre avec
le bâtiment À, et dont les appartements, non traversants, sont des-
servis par une coursive au nord (comme au pavillon de la Suisse à la
cité universitaire de Paris). Les esquisses en perspective montrent pour
p. 76 le bâtiment À un volume de seize niveaux, et dont les dimensions
sont dans un ordre de grandeur qui ne variera plus : environ 100 m
de long, 50 m de haut, 20 m de profondeur. Le bâtiment repose sur une
dalle, appuyée sur des couples de piliers massifs, de section arrondie
mais constante, un dispositif qui découle lui aussi directement du
pavillon de la Suisse. Les élévations montrent sur le pignon sud et le
côté ouest les profondes loggias, délimitées par un cadre saillant, une
volumétrie qui disparaît au niveau de la rue des services communs,
au 7° étage, et aussi pour marquer l'emplacement des circulations
verticales, mis en relation avec un hall d’entrée.
Le programme accueille un service de santé, qui dispose de
tout l'étage situé au-dessous du toit terrasse. Les esquisses du plan
des appartements en duplex montrent qu’ils sont desservis par une

e Êb
L’UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

rue intérieure (dessin FLC 27 191). L'ossature forme une trame dis-
tincte de celle des cellules :trois cellules occupent deux travées de
l'ossature, ce qui entraîne la présence de piliers dans la partie
médiane d’une cellule sur deux, celle-ci étant plus large que les
autres. Une double paroi sépare deux appartements contigus.
Plusieurs formules d’escalier intérieur sont élaborées, avec des
emplacements distincts : à volée simple, à double volée avec un
palier intermédiaire. Enfin, et en suivant les recherches déjà
conduites sur le plan en 1944 (dessin FLC 27 192), les pièces humides,
cuisine et sanitaire, ont un plan arrondi, en forme de nodules, qui
suggèrent des volumes préfabriqués intégrant des équipements
sanitaires. Ces dessins sont repris dans L'Homme et l’architecture,
n° 1-2, 1945 (pp. 24-27). La capacité cumulée des trois bâtiments (trois
cent cinquante-huit appartements, pour mille six cents habitants)
préfigure la capacité de l’unité à venir.

L'avant-projet de 1946
Le second terrain proposé se situe boulevard Michelet, côté est.
L'avant-projet correspondant à cette implantation est étudié de mars
à juin 1946; les documents graphiques essentiels sont publiés en
novembre, dans L’Architecture d'aujourd'hui, et Le Corbusier signe
un article intitulé : « Urbanisme 1946 : les travaux ont commencé »
(pp. 3-6). Le dispositif est à peu près arrêté: les dimensions sont à
peu de choses près les dimensions définitives :140 m de long, 50 m
de haut, 22 m de profondeur, et dix-sept niveaux, avec cinq rues inté-
rieures. Si les pilotis sont encore cylindriques, l’ossature en béton
porte cette fois sur un «terrain artificiel», dont la coupe biseautée sur
les flancs montre bien les deux poutres maîtresses longitudinales
appuyées sur les pilotis, une partie essentielle du système construc-
tif définitif. Le principe d’une construction à ossature se précise,
comportant six piliers dans l'épaisseur du bâtiment, avec parois,
planchers et plafonds rapportés. La trame est maintenant unique,
et donc identique pour la structure et les cellules. La longueur du

== 49 —
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

bâtiment est divisée en quatre sections, marquées par des pilotis


doubles, séparées par des joints de dilatation. Ce volume des circu-
lations verticales abrite un escalier, neuf ascenseurs (de petite taille)
et un monte-charge. Deux autres escaliers de secours sont prévus.
Dans le dessin des élévations, le traitement des loggias en alvéoles
régulières s'affirme ; ces alvéoles s’interrompent pour la partie nord
de la double rue des services, mais se poursuivent le long de la paroi
murale du massif des circulations verticales, percée de cinq baies
par niveau ; entre les dessins de mai 1946 (dessin FLC 31864) et la
maquette d'étude, ce parti se simplifie, la paroi des circulations
devient continue sur toute la hauteur du bâtiment.
Le programme se précise: trois cent cinquante appartements,
définis par trois cellules-types, dont la disposition permet une tren-
taine de variantes ; mais la plupart sont des duplex non traversants,
en raison de la présence d’une double paroi, non porteuse, formant
refend longitudinal, et curieusement construite dans l’axe et au-des-
sus de la rue intérieure. La surface habitable est obtenue en reliant
deux cellules juxtaposées. Deux étages sont réservés, sur toute la
longueur du bâtiment, aux «services communs de ravitaillement,
de commerce et d'artisanat, ainsi que quelques chambres d’hôtel » ;
sous le toit-terrasse, deux niveaux accueillent un important «ser-
vice sport et santé», dont le gymnase émerge par un vaste volume
pl. VI-p. 161 sur le «toit-jardin », où un autre volume abrite une garderie d’en-
fants. Au sol, le plan masse donne des indications sur plusieurs
constructions qui complètent le programme de l'unité : une auberge
de jeunesse avec piscine, une école primaire, une école maternelle,
une crèche; l’accès des piétons au hall de l'édifice est double: par
une allée venant du boulevard, par une allée couverte venant du
garage ; celui-ci, construit à l’est de l’unité, comporte quatre niveaux,
deux aériens et deux souterrains, le niveau supérieur, surélevé, est
accessible par une rampe inclinée venant du boulevard. Si la gale-
rie technique «visitable » est à sa place définitive, la machinerie est
installée dans un niveau enterré, ainsi que le garage à «bicyclettes
et voitures d'enfants ».

æ Pie
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Les plans indiquent deux hypothèses pour l'implantation du


bâtiment : sur la photographie de la maquette d'étude, comme sur le
plan masse, le bâtiment est strictement parallèle au boulevard, ce
qui résulte d’un choix esthétique ; sur le plan au niveau du sol, une
rose des vents schématique donne une indication contraire : l'axe du
bâtiment est nord-sud.
Peu de temps après avoir obtenu sur cet avant-projet l'accord
du ministre en poste, François Billoux, un communiste marseillais,
le terrain est déclaré inconstructible par les services municipaux en
juin 1946 ; un troisième site est proposé à Le Corbusier dans le
quartier de Saint-Barnabé, à l’est du centre ville. Attaché aux quar-
tiers sud, Le Corbusier obtient peu après, en novembre 1946, de
construire sur un quatrième et dernier terrain, au contact à nouveau
du boulevard Michelet, mais à l’ouest de celui-ci. Il semble que dans
ces péripéties, qui auraient pu être fatales, l’appui politique conjoint
du ministère et de la municipalité ait facilité les tractations. Le
bilan, depuis la commande, est positif : en moins d’un an, les études
ont fait avancer de façon décisive la conception, concrétisée par
l'avant-projet de mai-juin 1946. Celui-ci est approuvé par les auto-
rités qui sont parvenues à mettre un terrain très favorable à la dis-
position de l'architecte.

Le projet définitif de 1947


Ce projet, détaillé dans L'Homme et l'architecture, n° 11-14, 1947 D 19

(pp. 42-120), est conduit dans le cadre d’une organisation nou-


velle, l'Atelier des bâtisseurs (ATBAT), créé en 1946, sorte de
bureau d’études intégré à l'Atelier Le Corbusier. Ce dispositif,
installé à Marseille même, se révèle tout à fait pertinent pour,
dans une première phase, élaborer le projet, et, dans une seconde,
produire les dessins d'exécution, entretenir les contacts avec les
entreprises, contrôler le chantier et procéder aux ajustements
nécessaires. L'efficacité de l'ATBAT, cohérent avec le caractère
artisanal et traditionnel du chantier, sera considérable dans

ne
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

l'étude et la mise au point des innombrables dessins (deux mille


sept cent quatre-vingt-cinq !) que nécessite le projet ; c’est la coor-
dination avec Le Corbusier, peu présent à Marseille et quelque-
fois absent de France pour des périodes plus ou moins longues,
qui sera le point faible du système.
Sur le terrain définitif, le projet adapte le projet de 1946, en le
pl. I-p. 160 retournant par symétrie, puisque l’accès depuis le boulevard se fait
maintenant par l’est, en le disposant sur un axe nord-sud, et donc en
formant un angle évident avec le boulevard et ses alignements
d'arbres, avec la volonté pour Le Corbusier d'obtenir un effet esthé-
tique, par le retrait de la construction et son implantation, une sorte
de différenciation.
L'édifice définitif mesure 137 m de long, 56 m de haut, 24 m de
profondeur, comporte dix-huit niveaux et sept rues intérieures. Dans
la longueur, la construction est divisée en quatre blocs par des joints
de dilatation. Deux fois moins nombreux que dans l’avant-projet, les
pl. IV-p. 160 pilotis sont plus massifs et forment des couples bien lisibles ;par
trois fois, le joint de dilatation recoupe les pilotis. L'ossature de l’élé-
vation en béton et le «terrain artificiel » proviennent de l’avant-pro-
jet. Le dessin du projet applique les données nouvelles du Modulor,
mis au point en 1947. Dans les élévations, le système de grille en
p. 83 béton armé vibré apporte sa contribution spécifique à l'affirmation
d’une unité morphologique, en masquant le plus souvent le caractère
hétérogène des espaces et de leurs fonctions. Ainsi, pour les lames
verticales qui habillent de façon uniforme les services communs et
les circulations des niveaux sept et huit.

Du béton à la philosophie
Plus qu’un simple bâtiment [l'unité d'habitation de grandeur conforme]
est une sorte de cité coopérative intégrant aux logis divers services col-
lectifs. Immense barre sur pilotis, l'unité a été orientée de façon à présenter
un pignon au sud. Les façades ont été munies de ces brise-soleil, qui ser-
vent aussi de balcons. Le Corbusier aurait aimé une construction en acier,
mais les conditions économiques de l’après-guerre l’interdisaient. Ce fut
donc un bâtiment en béton.

= 8 2
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Vingt-trois types d'appartements différents sont disposés dans la struc-


ture comme des bouteilles dans un casier. La coupe autorise un ingénieux
entrelacement de pièces de séjour à double hauteur, et de chambres ou
cuisines sur un seul niveau. Ainsi, chaque appartement bénéficie-t-il d’une
double orientation : est et ouest, montagne et mer. Les parties communes
sont situées au rez-de-chaussée, au niveau intermédiaire de la rue inté-
rieure (avec son café et ses boutiques), enfin sur le toit-promenade et ses
sculpturales cheminées de ventilation, qui rappellent l’éruption rocheuse p.77
à l'horizon. D’une capacité d’accueil de seize cents habitants, l'unité donne
une impression certaine d'ordre collectif, dans laquelle la vie privée peut
se poursuivre derrière les loggias et les balcons. Sa dimension héroïque rap-
pelle la force de l'aspiration utopique de Le Corbusier à redessiner les col-
lines de la ville industrielle et à redonner à l’homme moderne les «joies
essentielles » de la lumière, de l’espace et de la verdure.
En ce sens, l’unité est emblématique de la philosophie corbuséenne :
elle rassemble plusieurs propositions antérieures. [...] Globalement, l'unité
semble dédiée au culte corbuséen de la Méditerranée, où soleil, sensua-
lité et recherche intellectuelle trouvent un heureux équilibre. [...] En
tant que solution individuelle pour Marseille, l'unité représente une rela-
tive réussite : pourtant, le modèle est loin de s’être imposé partout, comme
le souhaitait Le Corbusier. Au cours des années cinquante, l’idée a sou-
vent été imitée, mais les données essentielles du théorème ont été lais-
sées de côté.
William J.R. CURTIS, Le Corbusier, une encyclopédie,
Paris, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1987, pp. 246-247.

Le programme évolue : les services collectifs sont tous ramenés


à l’intérieur du volume de l’unité, déterminant des espaces collectifs
tout à fait nouveaux, comme le déambulatoire qui accompagne, der- pl. V. 160
rière la façade ouest, la galerie des boutiques et services, prévue
dans l’avant-projet, et qui demeure ; au 17° niveau, l'attribution des
locaux de la partie sud, occupée dans l’avant-projet par un «service
de santé» devenu bien improbable, fait l’objet de plusieurs variantes :
musée, bibliothèque, restaurant panoramique ; ce niveau, non des-
servi par une rue intérieure, mais par un hall, reste en fait disponible
jusqu’à la fin du chantier. Pour l'habitat, les appartements traversants
constituent maintenant la majorité; la répartition des différentes
cellules devient dans le projet définitif:

os
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

Type Surface en m°? Nombre Nombre réel

A 12 18 (chambres d’hôtel) 16
B pa 27 26
C 59 45 44
El 98 13 (non traversant) 21
E2 98 196 (traversant) 199
G 137 35 17
H 176 / 203 mire
334 326

La capacité de l’unité à offrir cet éventail de solutions, non seu-


lement par les surfaces, mais par les espaces, à la différence des
conventions des logements sociaux de l’époque, offre évidemment
un avantage spécifique, limité cependant par la surface réduite et
constante de la cuisine — un des inconvénients majeurs de la cellule.

La conduite du chantier
Le projet du gros œuvre n’est pas achevé que de nouveaux aléas inter-
viennent :le 3 janvier, le sous-secrétariat d'État à la Reconstruction
informe le délégué départemental du MRU que le financement du
projet est remis en question. Après de nouvelles interventions, le
rétablissement de ces crédits est acquis le 21 janvier. Échaudé,
Le Corbusier achève le projet, le fait approuver par l’administration
du MRU en mars, et au même moment, ouvre le chantier, entre-
prend les forages et les fondations. Les baraques de chantier sont en
place, et on implante le chemin de grue, à l’est du bâtiment, entre les
dépôts de matériaux de gros œuvre et l’édifice projeté. Mais ce démar-
rage du chantier ne supprime pas les incertitudes : dans un contexte
économique national difficile, le ministère de la Reconstruction fait
à nouveau pression pour que les projets des immeubles d'État soient
révisés dans le sens du moindre coût; il faut les interventions
conjointes de Claudius-Petit et de Cristofol, devenu maire de Marseille,
pour que le chantier de l’unité ne soit pas fermé; l'issue est dans
l’étalement du financement de la construction, qui portera sur plu-

HA
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

sieurs budgets successifs. Par contre le contexte local, avec l’arrivée


des communistes à la mairie de Marseille, joue dans un sens favo-
rable :de même que François Billoux a donné son appui, comme
ministre, l’année précédente, le nouveau maire de Marseille entend
tirer parti de la démonstration positive, et peut-être exemplaire, que
peut représenter l’achèvement de l’unité.
La pose de la première pierre, le 14 octobre 1947, qui réunit
Claudius-Petit et Jean Cristofol, intervient au sommet d’un effort
considérable pour la mise au point des projets d'exécution. Sont
étudiés à ce moment les détails des pilotis, notamment, avec le des- p. 79

sin des banches du coffrage, produit d’une connivence assez remar-


quable entre Le Corbusier et Bodiansky. À partir de février 1948,
après l’adjudication des travaux, le chantier du gros œuvre (pilotis p. 80

et étage technique) est conduit par blocs successifs, au risque de


voir l’administration limiter la longueur du bâtiment ; une ruse élé- p. 81

mentaire détermine donc l’ordre de construction des blocs, les deux


du nord d’abord, ensuite le bloc d'extrémité au sud, puis le bloc
intermédiaire des indispensables ascenseurs (dont le projet est mis
au point en dernier).

Pourquoi cette masse de béton?


Je ne sais pas si je vous en ai encore parlé. J'étais au Portugal, et je suis
allé de Lisbonne à Rome en train, pour voir un ami dominicain dont j'avais
fait la connaissance ici, à Rio. Je me suis arrêté à Marseille, à l’aube, pour
voir l'immeuble. À cette heure-là, il n’y avait de tram que seulement toutes
les heures. J’ai attendu que ce tram arrive et j'ai expliqué au conducteur
où je voulais aller, je lui ai demandé de me laisser à côté. J’ai sauté du
tram au milieu d’une brume à couper au couteau. Je n’ai aperçu aucun
immeuble et je me suis vu à moitié perdu sur ce long boulevard désert. J’ai
commencé à marcher dans la brume et, soudain, j'ai senti à côté de moi une
silhouette énorme, un peu comme si c'était un navire échoué, le flanc du
navire c'était l’unité d'habitation surgie au milieu de cette brume. Je me
suis dit qu’il devait y avoir un gardien quelconque, mais comme mon objec-
tif était de voir l'ouvrage, je suis entré: le gardien devait être en train de
dormir. Il y avait un portail en bois et j’ai commencé à faire le tour, à aller
et venir en admirant cette masse robuste, solide [...] Ces pilotis, ça a été
un choc. J’ai été désarmé, sans savoir que dire. J'étais en train de suppu-

mit
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

ter et d’exiger des calculs afin de réduire le diamètre des pilotis, et voilà
p. 82 que brusquement arrivaient des pilotis énormes, toute cette masse [...]. Je
me souviens avoir eu plus tard une conversation avec Michel, alors qu'ils
étaient en train de faire les villas Jaoul, de sorte que j'étais impressionné
et je protestais, disant que c'était une absurdité d’ériger une telle masse
en béton, cette chose préhistorique, un procédé tellement primitif, quand
en réalité le béton armé sous-entend une spéculation intellectuelle, à
savoir tirer parti de la structure, des possibilités de la structure, de l’éco-
nomie, et ne jamais employer le béton pour la masse. Mais c'était un mou-
vement qui était en train de surgir. Nous n’étions pas préparés à cette
façon de construire, mais après avoir vu le résultat à Marseille jai com-
mencé à chercher à comprendre. Ces pilotis ! Il faut aussi se rendre compte
que l’édifice étant isolé comme il l'était au milieu du terrain, ça n'avait
pas de sens de compter sur le commerce de rue, ces boutiques si agréables.
C’est pourquoi il a eu l’idée de faire un étage pour le commerce, une rue
intérieure, avec des boutiques, des magasins, des bureaux.
Lucio CosrTa, 1995.

La construction se poursuit lentement, dans la mesure où la


pénurie des matériaux et la rareté de la main-d'œuvre, sollicitée alors
par de nombreux chantiers, forment un goulot d’étranglement. En
avril 1949, le système des issues de secours doit être complété au
nord par un escalier extérieur ;en juillet, le dessin des superstructures
du toit terrasse, puis une maquette en plâtre, par le sculpteur grec
Constantin Andreou, parachèvent le projet (Bédarida, 1987). Le 25
juillet, un arrêté dérogatoire écarte les constructions expérimentales
de l'obligation du permis de construire. Les plans d'exécution essen-
tiels sont achevés le 14 août 1949 (à la veille du départ de l’équipe tech-
nique de l’'ATBAT). Le gros œuvre est terminé en décembre 1949. La
visite du chantier par les participants au VII® congrès international
d'architecture moderne (CIAM), venus de Bergame, en août, amorce
pp. 84-85 toute une série de visites de personnalités, venues du monde poli-
tique et des arts, visites qui consacrent dès lors l'importance cultu-
relle de l'édifice. Mais c’est aussi à ce moment qu’un extravagant
groupuscule de circonstance, la Société pour l'esthétique générale de
la France (SEGF), déclare que l’ensemble de Le Corbusier nuit à la
beauté du paysage marseillais et porte l'affaire devant la justice.

os D
L’UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Le second œuvre
La phase suivante, celle de l'équipement technique et du montage
des appartements, implique une multitude de décisions : l’évacua-
tion des déchets, le choix du système de chauffage, la sélection des
matériaux pour l’isolation des parois des appartements, l'étude de
la cuisine et de ses équipements. Pour les déchets, un broyeur d’évier
dans chaque appartement est complété par une petite déchetterie
automatique, alimentée par gravité; elle est abritée par un bâti-
ment dessiné en 1951 par Afonso et Xenakis, en forme de block-
haus, construit dans le parc, dans l’axe longitudinal de l’unité. Pour
le chauffage, après l’examen de diverses possibilités (rapport
Bonhomme, 14 décembre 1949, FLC), un double dispositif est retenu:
électricité et chaudière au mazout ; celle-ci, en 1951, après de labo-
rieuses discussions entre Wogenscky et Bodiansky, ne sera pas loca-
lisée dans l'étage technique, mais enterrée, comme le proposait ce
dernier. La mise au point des menuiseries des baïes qui ouvrent les
salles de séjour sur les loggias est l’occasion d’une réalisation res-
tée exceptionnelle : pour ces vitrages ouvrant en partie basse vers
l'extérieur, et qui s’effacent dans l’épaisseur de la loggia, la menui-
serie originale combine dans le même dispositif, de facture robuste,
un seuil, la commodité d’une banquette et l’habillage d’un chauffage
électrique posé en plinthe, que vient compléter une quincaillerie à
l'ergonomie étudiée.
C’est dans ce traitement des ouvrants que la générosité de cette
incitation par Le Corbusier au «savoir habiter», prend son sens.
Au lieu d’être une proposition de nature «consumériste », c’est la
proposition d’un lieu inédit dans l’habitat, tel qu’il attend de chaque
habitant l'invention d’un usage, en terme de mode de vie, de cette
limite si souvent médiocre ou mal exploitable, entre le dedans et le
dehors. Ici, la seule référence possible pour cette ingéniosité domes-
tique renvoie aux trouvailles de Pierre Chareau pour les aména-
gements de la maison du docteur Dalsace, rue Saint-Guillaume à
Paris, où la présence du concepteur sur le chantier avait permis,

en er
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

au contact de l’entreprise, des trouvailles improbables autrement.


pp. 158-159 À Marseille, c’est le rôle de l’'appartement-témoin qui rend possible
l'invention. Cet appartement-témoin, construit en 1949 avant la fin
du chantier de gros œuvre, par l’entreprise Barberis (à Ajaccio),
qu'il ne faut pas confondre avec la cellule construite à Paris pour le
salon des Arts ménagers de 1950, a joué un rôle essentiel dans la
prise de décision et dans la conception des détails.
La cuisine de l’unité, étudiée avec la collaboration de Charlotte
p. 86 Perriand, et mise au point par André Wogenscky, participe aussi de
cet art de l’agencement éprouvé dans la mise au point d’un proto-
type ; issue de divers modèles — celui de la cuisine ouverte, à l’amé-
ricaine, mais aussi celui de la cuisine ergonomique, dans la tradition
des recherches de la fameuse «cuisine de Francfort » — elle doit
interpréter des contraintes dimensionnelles fortes, puisque sa sur-
face est réduite (4,80 m2). Son équipement comporte une plaque
chauffante électrique, un évier équipé d’un broyeur de déchets, un
plan de travail en aluminium, une hotte, une glacière, des range-
ments en partie haute et basse, un meuble en épi. Son articulation
avec la rue intérieure est un point essentiel de sa conception origi-
nale : l'alimentation de l’armoire frigorifique en glace, le dépôt des
denrées alimentaires quotidiennes et l’accès aux compteurs s’ef-
fectuent directement à partir de volets qui s'ouvrent dans la rue
intérieure ; l’ingéniosité est ici mobilisée pour que soient effectives
et l'indépendance du logis et sa relation avec l’espace des services
collectifs. Mais, pour qui persiste à penser que le sommet des
recherches sur l’habitat minimum de l’entre-deux-guerres, ne peut
plus être un modèle dans une phase qui est celle de la croissance,
et de la prospérité proche, cette extrême exiguïté de la cuisine et son
incapacité à accueillir les produits du machinisme domestique à
venir sont la marque d’une imprévision, au mieux, et, au pire, d’un
anachronisme. Ses dimensions uniques, quelle que soit la capacité
de l'appartement, sont un point faible, explicitement critiqué (comme
le prouve la visite des adjoints au maire de Tours, en octobre 1960,
à Rezé et à Briey).

D ee
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Les derniers aménagements


En septembre 1951, le ministère demande la construction d’une
école au sol, comme dans l’avant-projet de 1946. Le Corbusier s’at-
tache à trouver la réponse -— l'installation d’une école maternelle
— dans l'enceinte de l’unité, au 17° étage, à la place destinée à cet
hypothétique «service de santé » prévu depuis 1945 dans les pro-
jets successifs. Est-ce avec la pleine conscience des enjeux immé-
diats et lointains que représente à la fois un service au cœur de
la vie sociale quotidienne de la plupart des habitants et un équi-
pement public ? C’est vraisemblable ; en effet, depuis le mois de jan-
vier, Le Corbusier se préoccupe du statut et de la gestion de l’unité
(note au ministre, le 9 janvier 1951). Or cette école maternelle pl. VI-p. 161

fixe dans l’unité une norme de service public, un repère impor-


tant dans la dérive statutaire qui s’amorce. Son installation prend
effet bien après la mise en service du bâtiment ; sa directrice,
Lilette Ripert, sera pour une large part responsable de son succès,
de son rayonnement et de la contribution que cette école pas comme
les autres apportera à l’image d’une architecture bienveillante.
Dans les unités suivantes, l'architecte tirera les leçons de cette
réussite et installera également «sur le toit » une école maternelle
(à Rezé et à Firminy).
Lorsque la fin du chantier approche, plusieurs interventions
personnelles de Le Corbusier manifestent l'extrême intérêt qu'il
prend à l’achèvement artistique de ce qui est devenu sous ses yeux
une œuvre de première importance. En août 1951, la polychromie pl. Ill-p. 160
des parois des loggias est ainsi un acte pictural qui enrichit consi-
dérablement la perception, dans une vue oblique et à distance, de
cette enveloppe alvéolaire du bâtiment ;et en même temps, cette
polychromie qualifie l’espace domestique, l’identifie, lui donne une
place plus lisible dans l'épaisseur du volume. Le choix d’un maçon
sarde, auquel l'architecte confie le soin de modeler les volumes du
jardin d’enfant, permet de surcroît à Le Corbusier d’ajouter des élé-
ments plastiques imprévus.

2 59
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

La cérémonie d’inauguration
p. 88 À la fin des travaux, l'inauguration de l'unité, le 14 octobre 1952,
est un moment fort. Dans l’allocution qu’il prononce en remettant à
Claudius-Petit l'unité d'habitation de Marseille, «commandée par
l'État, libre de toute réglementation », Le Corbusier ne cache pas les
difficultés rencontrées. Il remercie le ministre «pour sa sympathie
indéfectible », et «ses collaborateurs, ouvriers et entrepreneurs [...],
ceux qui nous ont aidés et non pas ceux qui se sont mal conduits ».
Le laconisme de cette allocution — pas un mot pour la part prise par
Bodiansky — fut remarqué ; amertume devant une œuvre qui le laisse
insatisfait ou bien lassitude, sinon épuisement, au terme d’une rude
série d'épreuves ? La presse régionale se divise suivant un clivage
durable : à gauche, La Marseillaise et Le Provençal sont favorables ;
à droite Le Méridional est très hostile. Le 25 juillet 1953, la visite de
l'unité par les congressistes du IX® CIAM, réuni à Aix-en-Provence,
réitère à l’architecte la consécration de ses pairs.

Des obstacles en série


L'exemption du permis de construire, attribuée en raison du caractère
«expérimental », en utilisant ce terme de façon plus mythique que
scientifique, montre la volonté de l’administration d’éviter que les
règles administratives habituelles entravent la conception et la réali-
sation de l'édifice. Si on suit les sources judiciaires, les obstacles for-
mels n’ont pas manqué: le 8 octobre 1948, le conseil supérieur de
l’'Hygiène publique émet un refus à la construction de l’immeuble ; le
13 octobre 1948, le ministre de l'Intérieur transmet un avis au MRU,
«insistant sur certains dangers ».
S'appuyant sur la vive polémique entretenue par la campagne de
presse, lancée en janvier 1952, pour ruiner le projet de l’unité d’habita-
tion de Rezé, une attaque frontale vient en juillet 1952 d’une ubuesque
Société pour l'esthétique générale de la France (SEGF), qui cite à com-
paraître devant le tribunal correctionnel de Marseille Le Corbusier et
les principaux entrepreneurs du chantier « aux fins de s’entendre condam-
ner à 20 millions de francs de dommages et intérêts pour avoir, sans per-
mis de construire et au mépris des règles élémentaires de l’hygiène, de
la salubrité et de la sécurité des habitants, édifié à Marseille, boulevard
Michelet, un immeuble dit La Maison radieuse ». Elle prétend que les

= ÈÛ=
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

arrêtés d’exemption du permis de construire, pris «pour effacer le délit »


que constitue le début des travaux, n’ont pas d’effet rétroactif.
Le tribunal, siégeant le 13 décembre 1952, prend en compte les argu-
ments de la défense (et notamment de M° Gabriel Chéreau, du barreau
de Nantes) et, considérant que seul le chef du service départemental du
MRU est compétent, d’après les textes en vigueur, pour saisir le tribunal
d'une infraction sur le permis de construire, d’une part;et que le plaignant
ne peut justifier «un préjudice certain, direct et personnel », juge que «la
SEGF [...] ne pouvait baser sa demande sur une notion aussi vague, chan-
geante et variable que l'esthétique ; que si ses idées sur l'esthétique dif-
fèrent de celles de M. Le Corbusier, cela n’implique point qu’elle subit un
préjudice personnel, direct et certain, monnayable ; tout au plus peut-
elle alléguer une piqûre d’amour-propre, ce qui est juridiquement insuf-
fisant ». Il déclare irrecevable la demande de la SEGF et dit qu'il n’y a pas
lieu à statuer au fond.
D’après la Gazette du Palais, n°77-79, 18-20 mars 1953.

«La bataille de Marseille »

Il n’était pas possible, dans ces circonstances, de ne pas associer à l’œuvre


de reconstruction le seul homme dont on pouvait dire qu’en architecture
comme en urbanisme, il était vraiment révolutionnaire. C’est ainsi que,
. malgré l’hostilité de la profession (qui ne tardera pas à se manifester
publiquement), le ministère de la Reconstruction donna à Le Corbusier
un os à ronger : un ensemble de logements, non localisé dans un premier
temps, mais finalement situé à Marseille.
Pour l’équipe de jeunes architectes constituée autour de Le Corbusier,
comme pour Le Corbusier lui-même, l'unité d'habitation de Marseille allait
faire la preuve que la ville radieuse n’était pas une vue de l'esprit, mais une
possibilité bien réelle des Temps nouveaux et de la Société machiniste,
dont ils pensaient qu’ils allaient se développer dans la France libérée.
On s’aperçut rapidement qu’il n’en était rien et que la conjugaison des
différents intérêts corporatistes [des professions] du bâtiment et du
conservatisme borné de la majorité de l’opinion publique allait bloquer
la plupart des initiatives progressistes — combien rares pourtant — de la
politique de reconstruction. Ce dont Le Corbusier sera chargé ne sera pas,
comme on avait pu l’espérer un quartier de la ville radieuse, mais une
unité d'habitation, considérée par le ministère comme expérimentale,
et constituée de quelque trois cents logements pouvant abriter environ
mille deux cents habitants ainsi qu’un certain nombre de «prolonge-
ments du logis » (commerces, équipements destinés à l'enfance, gym-
nase, hôtellerie, etc.). C’est autour de ce projet, puis de son chantier, que

7 ee
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

se déroulera de 1945 à 1952 ce que l’on ne peut appeler autrement que


«la bataille » de l'unité d’habitation de Marseille; car, du jour où le pre-
mier ministre de la Reconstruction, Raoul Dautry, proposa à Le Corbusier
de réaliser une expérience en matière d’habitation, jusqu’au 14 octobre
1952 — où le ministre d'alors, Eugène Claudius-Petit, en inaugurant
l'unité, put dire : «Monsieur Le Corbusier, vous avez réussi» — pas un jour
ne se passa sans que ce qui constitue la seule expérience radicale en
matière de logement de toute l’histoire de la reconstruction en France,
ne soit attaqué, ridiculisé, calomnié et freiné jusque par des membres de
ces mêmes services de la Reconstruction, chargés de promouvoir l’expé-
rience, mais plus sensibles sans doute aux pressions des professionnels
de l’architecture et de la construction qu'aux indications de leurs ministres
successifs.

Anatole Kopp, 1987, pp. 179-189.

Une architecture en représentation


On ne soulignera jamais assez l’extrême ingéniosité du dispositif
d'habitat proposé à Marseille. Aux espaces originaux et généreux
des appartements (exceptionnels dans les conditions du moment)
répondent la qualité des aménagements (menuiserie du pan de
verre, installation de la cuisine), le niveau satisfaisant des équi-
pements de confort (chauffage, ventilation) et les performances
convaincantes de l'isolation phonique. Les espaces de la circula-
tion collective (sept rues intérieures) et leur appareiïllage sont, eux
aussi, de grandeur conforme : trois ascenseurs, deux monte-charges
notamment.
Malgré de nombreux obstacles, Le Corbusier a eu le mérite
considérable de mener à bien son projet en maintenant de façon
imperturbable la conception si originale d’un édifice qui organise
dans des cellules de logement la vie privée du foyer, en lui offrant le
bénéfice de services collectifs ;Le Corbusier reprend, en cela, les
théories les plus avancées du logement social, de Godin à Cheysson,
et, à leur imitation, réfute les préjugés qui jusqu'alors condamnaient
toute forme de logement collectif, suspect d'entretenir une vie sociale
où pouvait fermenter l'expression de la lutte des classes. Au moment

= =
L’UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

de son occupation par les premiers habitants, sinistrés ou fonction-


naires, la gamme des services qu'il est prévu d'offrir aux locataires
de l’unité est impressionnante : un hôtel destiné à héberger les visi-
teurs des habitants, une crèche-garderie, une école maternelle, une
agence postale, un gymnase, un téléphone intérieur gratuit, un ser- pl. VI-p. 161

vice de gardiennage, un service frigorifique qui produit sur place les


pains de glace et les délivre à domicile, un service d’alimentation
qui distribue de même les denrées fraîches, un service d'usage des
parties communes — avec liftiers pour la marche des ascenseurs et
ouvriers d'entretien — auxquels s'ajoutent les salles de réunions, les
locaux pour les activités gérées par les habitants et le théâtre en
plein air. L'importance de ces choix n’échappe pas aux contempo-
rains, lorsqu'ils constatent judicieusement que la longueur des rues
intérieures, qui se substituent à la voirie publique, justifierait que
la ville de Marseille prenne en charge leur entretien (Le Monde, 15
décembre 1951).
Mais on ne peut pour autant passer sous silence les ambiguïtés
de cette offre de services, bien fragile devant les péripéties du statut
juridique de l'unité. J’ai déjà dit que ces services étaient incompatibles
avec la répartition de leur coût sous forme de charges locatives et donc
que Le Corbusier et la maîtrise d'ouvrage avaient, volens nolens, mis
en place, en fait, un service public de l’habitat, dont le coût de fonc-
tionnement impliquait sa prise en charge partielle par un ensemble
plus large que celui de la communauté des locataires (Monnier, 1986,
repris par Sbriglio, 1992). L'énergie qu’il a fallu déployer pour mettre
sur pied l’école maternelle fournit une indication sur l'impact de cet
équipement dans l'orientation donnée à la gestion.

Quelle gestion de l’unité ?


Ce choix est de nature politique. Il recoupe les prises de position
émises en mars 1944 à Alger par le congrès de l’Union des ingé-
nieurs et techniciens combattants (UNITEC), qui forme le vœu de
la création d’un «service public de l'habitation » (Archives Nationales

LL GE)
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

538 AP). Bien que, jusqu’à présent, aucune trace documentaire n’éta-
blisse dans le projet de l’unité de Marseille la continuité de la pro-
position, il est tentant de constater que l’investissement de Le
Corbusier dans la mise au point de ce projet se confond avec la
démonstration des possibilités qu'offre une transformation radicale
du statut de la production et de la gestion de l'habitat. On peut aussi
comprendre que la discrétion dans l'affirmation du contenu théo-
rique se soit imposée ; s’il avait été exprimé avant l’achèvement, il
aurait été de nature à justifier, sous la pression d’une partie du per-
sonnel politique ou d’une partie de la presse, des critiques d’une
toute autre nature et d’une toute autre portée que celles qui se mani-
festèrent, anodines ou destinées à sombrer dans le ridicule. Ce choix
politique resta donc implicite; il est occulté par le mutisme de l’ad-
ministration, jusqu'aux décisions que prend celle-ci en 1951, dans la
période qui précède l’ouverture du bâtiment. L'État a longtemps
temporisé pour remettre en question le statut locatif, et pour cause,
puisque l’immeuble ISAT supposait la mise en location des loge-
ments ; celle-ci une fois effective, rien ne s’opposait plus à la cession
par les Domaines des logements et des équipements. Et, en même
temps, cette cession devait intervenir le plus tôt possible pour évi-
ter que ne se mette en place, dans l’intervalle, une gestion temporaire,
au service des locataires, de ces équipements collectifs.

La mise en vente des appartements


En janvier 1951, une commission nommée par le ministre se réunit
pour mettre au point la gestion de l’unité ; à la première réunion est
adopté le principe de la cession des appartements. Dès lors, le choix
d’une gestion lourde des services par l’État propriétaire est écarté.
La seconde réunion, le 8 février 1951, à Marseille, en présence du
maire, a pour objet de déterminer le prix de vente des appartements,
fixé pour un type E à 3200 000 F (Le Provençal, 9 février 1951). En
juillet 1952, des prix sensiblement supérieurs, valables à compter du
1% octobre, sont à nouveau publiés (Le Provençal, 11 juillet 1952):

un
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

Appartement Prix de vente Loyers Charges Total / mois


(au 1% octobre 1952)

Type B 1300000 F 2 800 1900 4700 F


Type C 2400000 F 4400 3 400 7800 F
Type E 3 650 000 F 6500 5 600 12100 F
Type G 5200000 F 8750 7 800 16550 F

En fait, dans les semaines qui suivent la mise en service du


bâtiment, la situation est la suivante : concurremment à l'achat par
plusieurs administrations de l’État de logements pour leurs fonc-
tionnaires (Éducation nationale, PTT), sont admis à acquérir un
appartement des personnes relevant des catégories prioritaires, qui
sont, dans l’ordre suivant: les sinistrés immobiliers de tous les dépar-
tements français, les acquéreurs au comptant, les détenteurs de
dommages de guerre rachetés. Quatre-vingts appartements ache-
tés par l'État dans un premier temps, puis cent de plus, sont loués
à des fonctionnaires.
La décision du MRU de procéder à la vente de tous les appar-
tements et, par contrecoup, de conférer le statut de copropriété à
l'unité, est effective le 25 mai 1954; les locaux commerciaux sont
mis aux enchères le 18 octobre 1954. Mais les locataires traînent les
pieds: le recensement de 1954 décompte 8 % de copropriétaires
(Février, 1974). La Cour des comptes en février 1956 demande aux
Domaines de procéder à une définitive mise en vente. La location à
une personne privée en avril 1956 du gymnase, en transformant en
espace commercial un lieu attribué de fait depuis 1952 à la com-
munauté des habitants, symbolise la transformation profonde de
l'unité. L'association dispose encore de locaux (la crèche sur le toit-
terrasse, la bibliothèque, deux clubs aux 14° et 15° étage), maïs la perte
d’une vaste salle de réunions, adaptée aux besoins de la commu-
nauté — des habitants mentionnent la messe de minuit des premières
années — est très mal perçue.
Dans les faits, cette transformation du statut juridique est à la
fois expéditive et favorable aux occupants :pas de frais de notaire,
pas de frais d'enregistrement, déduction pour les anciens locataires

Te
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

du montant des loyers déjà perçus, taux dérisoire de 2% d'intérêts


pour attirer les acquéreurs extérieurs (Jacquot, 1997). Ne désigne-
t-elle pas la volonté de l'administration de sortir à tout prix d’une com-
plexité ambiguë ?

Les conséquences d’un statut flou


Cette situation en fait perdure plusieurs années, et l'État, proprié-
taire d'appartements, assume la gestion, en fournissant un agent
des Domaines pour remplir les fonctions de syndic. La contestation,
à la fois par les locataires et par les copropriétaires, des charges
entraînées par l’usage des parties communes et par le coût de
l'entretien, achève d’empoisonner les relations entre les gestion-
naires et les habitants. L'administration des Domaines se retire de
la gestion en juillet 1959 (FLC E2 14 145-148).
Les malentendus, nés de l'attente des habitants devant des locaux
collectifs incomplètement utilisés et devant des services morts-nés,
étaient inévitables; l'écart se creuse entre les responsables de l’as-
sociation des locataires et le «géniteur » de l’unité, bien en peine de
trouver une solution à leurs doléances. Tout dépend de la capacité
des copropriétaires et des locataires à s'organiser, à décider de charges
non directement nécessaires ; si l'association des habitants assure
pendant plusieurs années le fonctionnement de la crèche-garderie
sur le toit terrasse, on ne peut pas attendre beaucoup plus de cette
première génération de locataires, souvent de jeunes fonctionnaires,
qui n’ont pas les moyens d’opposer des solutions collectives à la com-
mercialisation des services rentables, le restaurant, l'hôtel, le gymnase.
Dans la 3° rue, un petit nombre de boutiques sont affectées en 1956
à des commerces de proximité : une supérette, une blanchisserie, une
poissonnerie, un kiosque à journaux. Dans les années 1960, la liste
évolue :une supérette toujours, une boucherie, une droguerie, une
laverie, un boulanger-pâtissier, une épicerie-primeurs. Les autres,
longtemps inoccupées, donneront prétexte à dénoncer l'échec de l'unité
d'habitation, avant d’être transformées au profit de bureaux affec-

= 68=
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

tés à des professions libérales; celles-ci occupent tous les locaux de


la partie nord de la 4° rue, où s’est également installée une galerie d'art.
Dans la phase récente, l'installation de grandes surfaces dans le quar-
tier modifie les données du problème ; aujourd’hui, il ne subsiste plus
qu’une supérette et une pâtisserie. Le bar-restaurant et l’hôtel conti-
nuent également leur activité.

Téléphone et sécurité
Le téléphone intérieur, qui relie tous les appartements, est dans un pre-
mier temps utilisé pour relier les membres bénévoles d’une équipe de
sécurité intérieure à l'immeuble, une vingtaine d'habitants, qui reçoivent
une formation adaptée. Depuis les années 1980, le syndic et le conseil
syndical confient à une entreprise privée le gardiennage et la sécurité, assu-
rés par un personnel qui a reçu la qualification ad hoc, équipe que ren-
force le régisseur ; notons que le respect des normes a été facilité par
l'absence de réseau de gaz dans l'immeuble.

Le peuplement de l’unité et la vie collective


En raison de l’urbanisation rapide des quartiers sud de Marseille,
où les barres et les tours d'immeuble en copropriété se multiplient
dans les années 1960 et 1970, l’unité perd assez rapidement son
caractère d'exception volumétrique. Par contre, le brassage des habi-
tants reste unique; les professions intellectuelles et libérales, plus
tard venues, côtoient le gros contingent de locataires du début ou
leurs descendants.
En se fondant sur les recensements de 1954 et 1962, une étude
de la population de l’unité montre cependant que, dès le début, la
répartition socioprofessionnelle de ses habitants n’est pas à l’image
de la population de Marseille, puisqu'elle comporte «quatre fois plus
de cadres supérieurs, cadres moyens et professions libérales et près
de huit fois moins d'ouvriers » (Février 1974). Ces données sont à
nuancer, dans la mesure où la jeunesse des habitants primitifs et
l'importance du nombre de fonctionnaires (67 %) définissent une
dominante correspondant à la classe moyenne inférieure, avec un
niveau culturel relativement élevé. Ces données sont très favorables

ce DR=
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

à l'affirmation d’une solidarité de voisinage et à des activités sociales


et culturelles spécifiques : «Cette population de fonctionnaires jeunes
et enthousiastes se prêtait complaisamment aux possibilités offertes
[...] ; dès octobre 1952, les embryons des programmes culturels étaient
posés : bals et séances de théâtre et de cinéma sur le toit, invitations
lancées à des conférenciers et à des artistes (Gérard Philipe), gestion
communautaire de la bibliothèque ; de même se développait une orga-
nisation interne d’aides et de services réciproques » (Février 1974).
La «mémoire habitante » recoupe aujourd’hui cette analyse:
«Au début, nous étions tous des jeunes locataires [...]. Le toit-ter-
rasse était à nous, c'était un lieu de rencontre. On faisait du chant
choral, du théâtre, on prenait des repas ensemble» (Lilette Ripert,
dans Le Provençal, 30 avril 1995). L'attachement au lieu dès lors est
réel pour nombre d’habitants. Après avoir été le syndic de la copro-
priété pendant vingt ans, André Verron, qui a pris sa retraite sur
place dans un appartement, et dont trois des enfants résident éga-
lement dans l’unité, porte témoignage, en 1982 : « Au départ, les
cadres moyens n'étaient pas très chauds, mais très rapidement ça leur
a plu et ils ont tous acheté leur logis. Même mutés ailleurs, ils ont
conservé leur appartement et ils y reviennent aujourd’hui en fin de
carrière. Si bien qu’à présent on trouve ici en majorité des hauts
fonctionnaires, des magistrats, des médecins, des architectes ».

L'évolution sociale des usagers


Les analyses récentes de Caroline Jacquot la conduisent à distinguer
trois générations dans le peuplement de l'unité: la génération des
pionniers (entrés entre 1952 et 1960), la génération attirée par le coût
de logements avantageux (entre 1960 et 1986, lorsque l'écart est net
entre les prix, et au profit de l’unité), et la génération venue depuis la
restauration matérielle et symbolique de l'édifice. Son étude confirme
que la composition socioprofessionnelle est lentement tirée vers le
haut ; les mécanismes du marché, pour leur part, suivent l'attrait pour
un lieu devenu recherché en raison de sa cohésion sociale.

ma ÉŸ ee
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

La première génération a joué un rôle prépondérant dans l’as-


sociation des habitants, créée le 13 janvier 1953. Elle s’efforce de
donner réalité au projet de vie communautaire de la cité radieuse,
édite toujours un manuel du «savoir-habiter », gère les activités ins-
tallées (clubs de ping-pong, de bridge, bibliothèque), organise les
célébrations et les anniversaires. Ainsi en octobre 1982, pour le tren-
tième anniversaire de la mise en service (avec la présence de Claudius-
Petit, d'André Wogenscky, du directeur de l'Architecture, M. Duport),
pour le centenaire de la naissance de Le Corbusier en 1987, et enfin
en octobre 1992, pour le quarantième anniversaire, occasion d’une
fête marquante (concert, exposition, plantation d’un arbre symbo-
lique dans le parc). Ces manifestations d’une identité se sont ren-
forcées avec le temps, en relation étroite avec l'émergence de la
perception de l’œuvre. Le rôle du syndic et du conseil syndical est à
souligner (ils sont les mandataires des copropriétaires) et aussi celui
de la ville de Marseille, détentrice des locaux de l’école; en leur
temps, Gaston Defferre et Robert Vigouroux, maires de Marseille, ont
rendu visite à la «maison radieuse ». Dans les années 1980, le der-
nier syndic «habitant», architecte de profession, a joué un rôle dans
la mise en route du projet de classement. Depuis, les syndics sont des
professionnels de l'immobilier, qui gèrent un budget annuel sub-
stantiel de l’ordre de 5,7 MF en 1998.

Restauration et maintenance de l’unité


Les conditions de la construction, l'exécution des coffrages et la rus-
ticité des bétons des années 1950 ont marqué à terme l’apparence
de l'édifice. Dans les années 1980, on observe la mise à l’air des
armatures du béton, soit à la suite de défauts dans la mise en œuvre,
soit, pour les voiles minces, à la suite d’épaisseurs trop faibles. Par
ailleurs, conséquence d’un contrôle insuffisant, les interventions
des habitants sur les loggias multiplient les additions, les vitrages
et les «verrues », plus ou moins arbitraires, qui contribuent à don-
ner un aspect négligé aux élévations; ici ou là, des garde-corps

FT ve
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

supplémentaires ont transformé le brise-soleil horizontal en ter-


rasse. À la suite du classement au titre des Monuments historiques
(MH) en 1986, et en vue de préparer la célébration du centenaire de
l'architecte, en 1987, ont lieu des interventions importantes sur
l'enveloppe du bâtiment ; les parois aveugles sont déposées, ren-
dues étanches et reposées ; ponctuellement, les composants en béton
des loggias sont purgés des parties instables, opération suivie d’un
colmatage à la résine. Une remise en l’état systématique des loggias
est menée à bien, et le nouveau syndic parvient à imposer la sup-
pression des aménagements parasites. C’est alors que ces travaux,
les premiers conduits en application du classement MH, et à la
mesure des tensions qui se sont fait jour pour les imposer, com-
mencent à opérer leur effet dans la revalorisation de l’unité par les
habitants. Dans les années 1990, la remontée des prix des appar-
tements sur le marché immobilier marseillais sanctionne cette res-
tauration autant symbolique que matérielle (on fait état aujourd’hui
d’une valeur de revente atteignant ou dépassant 10 000 F le m2).
À partir de 1989, une importante campagne de restauration est
conduite sous la direction de M. Dufoix, architecte en chef des
Monuments historiques. Le montant des travaux est de 8,7 MF; la
participation de l’État s'élève à 40 %, celle du département à 25 %, celle
de la région à 15 %. Les travaux, étalés sur dix-huit mois, portent sur
l'étanchéité de la terrasse et des superstructures, ainsi que sur les
parements de celles-ci. «L'état misérable des bétons fissurés, des fers
apparents et des multiples couches de résine desquamées avait contri-
bué à donner à certains éléments un aspect ruiniforme. » (Dufoix, 1996)
Le maître d'œuvre ayant exclu la dépose du dallage, les travaux
d'étanchéité de la terrasse ont été exécutés ponctuellement, dans
les parties où des infiltrations avaient été localisées ;mais par
suite de la présence du podium du théâtre, au nord de la terrasse,
une partie de cette dernière n’a pu être traitée. La couverture du
pl. VIl-p. 161 gymnase a été reprise en totalité. Faute de joints, cette coque posée
sur des nervures transversales s’est fissurée en long; d’autres
lézardes affectaient la partie inférieure de la coque: «Ces joints

= ff
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

naturels ont été rebouchés et la continuité de la voûte a été réta-


blie. De nouveaux joints ont ensuite été créés de façon régulière et
orthogonale » (Dufoix, 1996). L'étanchéité de la coque, après abla-
tion des couches hydrofuges ajoutées, a été obtenue par la pose
d’un film transparent. Dans l’ensemble, toutes ces opérations cher-
chent à conserver les épaisseurs initiales et l’aspect de surface pri-
mitif. Tous ces travaux de restauration ont rendu une appréciable
fraîcheur au bâtiment. En outre, en vue d’aider l'association à gérer
l'appartement ouvert à la visite, le classement de celui-ci inter-
vient en 1995. Mais à nouveau, en 1999, des désordres apparais-
sent dans les composants des loggias ; une nouvelle purge est
réalisée et la question d’une intervention plus lourde, de même
nature qu’à Rezé, commence à être évoquée.

Un monument ouvert à la visite


Dans les années 1960, les visites du bâtiment sont confiées à une
agence de voyage de Marseille ;mais, à la suite d’un usage mal
contrôlé des ascenseurs par des groupes un peu trop envahissants,
surtout friands d’un accès au toit-terrasse, des habitants s'opposent
à la poursuite de ces activités.
Depuis, un appartement, demeuré en l’état d’origine, classé
Monument historique, est ouvert à la visite, une fois par mois, après
demande auprès du syndic; la circulation dans les étages et sur le
toit-terrasse est libre. Le service de gardiennage, qui tient à la dis-
position des visiteurs un registre, estime le nombre des visiteurs à
plus de dix mille par an.

La transformation de la réception
et la construction d’une identité
Depuis le climat polémique qui dominait la période de la mise en
service, les appréciations externes locales se sont transformées.
L'unité de Marseille ne laisse pas indifférent et les excès mêmes des

<= gi ==
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

critiques n’entachent pas son image d’architecture populaire, au


sens que donnent à ce qualificatif vertueux d’autres acteurs
incontestables de la vie culturelle, comme Jean Vilar.
Le site de Marseille a joué son rôle: la ville qui a toujours asso-
cié des niveaux d'expression culturelle bien distincts, lettrée et
savante mais aussi vernaculaire — de la sculpture de Puget aux san-
tons, des films de Pagnol à l'OM (le club de football :l'Olympique de
Marseille) — se devait de mettre sa marque dans l'invention du double
mythe de la «cité radieuse» et de la «maison du fada», et dans sa vul-
garisation nationale. Concrètement, quand, avec malice et d’incon-
testables arrières-pensées, Dautry situe à Marseille l'édification de
la première commande d’État passée à Le Corbusier, l’acte dépasse
de beaucoup sa volonté : il la situe dans la ville où elle peut prendre,
plus qu'ailleurs, une identité locale et nationale. Si les politiques se
déplacent à Marseille, les culturels quant à eux, qui fréquentent
Avignon chaque été, trouvent Marseille sur l'itinéraire de Saint-
Tropez ou de Vallauris. Que se serait-il passé si Le Corbusier avait
reçu la commande de la première unité d'habitation à Saint-Dié?

Une maison universelle, mais bâtie à Marseille


Ainsi l’idéologie de la «ville radieuse » ou celle, plus tardive, de la «cité
linéaire industrielle » auxquelles se réfère l’unité d'habitation de Marseille,
occultent le plus souvent, dans le discours de la critique, ce qui n’est pas
moins essentiel dans le bâtiment : son architecture. Comme l’a écrit André
Malraux à propos de Le Corbusier :«Ce ne sont pas ses théories qui ont
rendu manifeste la grande parenté des formes de l’architecture, ce sont
ses œuvres ». Fragment d’un urbanisme utopique, fonctionnalisme outran-
cier, modes de vie autarcique, voilà quelques images, parmi beaucoup
d’autres, qui accompagnent le mythe de la cité radieuse. Un mythe qui
semble aujourd’hui se perpétuer en continuant d’exercer sur l'observateur
une fascination paradoxale. Avec, d’une part, une impression de nostal-
gie qui évoque la fin d’un monde marqué par la chute des idéaux de la
modernité restés, comme le rappelle Aldo Rossi, «sous les bombes de la
Seconde Guerre mondiale » ; idéaux entièrement, tendus vers une archi-
tecture qui, grâce au progrès technologique, devait permettre d’édifier
dans l’harmonie le cadre bâti d’une société sans classes. Et, d'autre part,
un sentiment d’admiration devant la capacité que possède cette archi-

she
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

tecture culte de symboliser un progrès social. Œuvre d’un seul autant


que d’une collectivité unie vers le même objectif, l'unité d'habitation de
Marseille exprime dans le moindre de ses détails cette sensation de l’ef-
fort, de la performance, dans un domaine — le logement collectif — jusque-
là peu innovant. Maîtrise des différentes échelles, beauté des proportions,
inventivité des formes, ingéniosité dans la combinaison de différentes
techniques constructives, qualité des espaces, sensualité des matériaux,
tout concourt dans ce bâtiment au projet d’édifier de la façon la plus digne
l’'archétype de la maison de l’homme moderne, en accord avec la nature
et le cosmos.

Jacques SBRIGLIO, 1992, pp. 159-160.

Dans la durée, et à partir de 1987, les organes de la presse régio-


nale s’alignent sur des positions de reconnaissance positive de l’œuvre,
dans une convergence sans faille d'opinions favorables, alimentées
par des commentateurs qui trouvent sans difficulté leurs arguments
dans la banalisation de la réussite sociale. À une autre échelle,
l'avance prise par la reconnaissance officielle que forme la protection
au titre des MH, acquise dès 1964, et une couverture photographique
plus abondante, favorisent un incontestable effet de masque, au
détriment des autres unités, qu’éclipse la célébrité de l’unité du bou-
levard Michelet. Avec comme résultat culturel massif d'identifier le
concept corbuséen de l’unité d'habitation à l’unité de Marseille. Le
renfort du statut artistique du bâtiment, dans ces conditions, estompe
d'autant mieux la dimension sociale et politique de la démarche, son
identité locale, autrement présente à Rezé.

Un destin photographique et cinématographique


De toutes les unités, celle de Marseille est, depuis les nombreuses
prises de vue du chantier, et jusqu’à aujourd’hui, de loin la plus pho-
tographiée, en raison de sa nouveauté, mais aussi pour d’autres rai-
sons. La plasticité des pilotis, les effets de lumière rasante sur les p. 82

détails du parement du béton brut, sont des motifs à portée d’objec-


tif. C’est avec des photographies de l’unité de Marseille que Lucien

Bu DSme
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Hervé attire l'attention de Le Corbusier, qui lui confie ensuite la cou-


verture photographique de ses constructions récentes. La visite des
personnalités (Picasso, Mme Auriol, Jean Vilar, etc.) donne aussi l’oc-
casion de clichés. Le Corbusier lui-même suggère à deux photographes
un travail de prises de vues sur les enfants, à Marseille et à Rezé, qui
fournit le matériau d’un livre Les maternelles, publié en 1968.
Plusieurs films sont tournés à l’occasion du chantier de l’unité
de Marseille, La vie commence demain, avec Nicole Védrès et Jean-
Pierre Aumont, en 1949, et la même année, L'unité d'habitation, de
R. Zuder. Gabriel Chéreau, l’inspirateur de l’unité de Rezé, tourne en
1951 à Marseille un troisième film, Le Corbusier travaille. En 1952,
La cité radieuse, documentaire de $. Sacha, produit par Tenoudji,
est tourné pendant l'été, avant l'occupation du bâtiment par les habi-
tants; réalisé à des fins didactiques, ce film a beaucoup intéressé
Le Corbusier qui semble avoir obtenu que le générique mette en
valeur les différents matériaux en gros plan ; mais l’année suivante
il considère que l’œuvre est « démodée», puisque vide d'habitants.
À la suite de ce film, et une fois la construction achevée, en 1953,
Le Corbusier envisage de travailler avec Albert Camus à un film de
fiction dont l’action se déroulerait dans l’unité d’habitation de
Marseille ; le projet intéresse le producteur Tenoudiji, les réalisateurs
pressentis sont J. Pinoteau et R. Lucot. En 1956, également à
Marseille, P. Kast réalise Le Corbusier, architecte du bonheur, film de
25 minutes, produit par Vivet et Leenhart (Arnaud François, «La
cinématographie de l’œuvre de Le Corbusier », 1996, pp. 39-58).

Épilogue
L'unité d'habitation de Marseille a une double vie. Elle est à la fois
le chantier de l’invention, de la construction et de la création des
formes, où se tisse de façon étroite la pensée de Le Corbusier et de
ses collaborateurs avec l'intelligence des praticiens dans l'exécution.
Elle est aussi l’objet et le lieu d’une œuvre, définie et perçue par les
représentations, les mots, les images et les mémoires.

==
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

À ce titre, elle est différente des autres unités : depuis sa concep-


tion, elle est l’œuvre insigne confiée à Le Corbusier par un ministre
— qui n’est pas un politique — au nom de l’État, et en lui donnant les
moyens réglementaires et budgétaires nécessaires, dans un acte
auquel ses successeurs donnent, bon gré mal gré, la suite conve-
nable. En ce sens, elle est une œuvre d'exception. D’où l’intense pro-
duction des représentations qui la consacrent et la constituent, à
commencer par celle de Claudius-Petit lorsqu'il la qualifie, à la tri-
bune de l’Assemblée nationale, d’«architecture monumentale pour
le simple logement des hommes » (FLC N4.14.40).
Une officialité incontestable, une célébration étendue : une place
à part. À la différence des autres unités, le passage brutal à la co-pro-
priété, en prenant de court une population passive, fixe très tôt un
statut dont la stabilité s’est tout à fait confirmée. De ce point de vue,
l'unité de Marseille n’a pas d'histoire sociale autre que celle de la ges-
tion d’une population dont tous les intérêts, culturels et économiques,
sont aisément compatibles avec le statut de l’œuvre monumentale.
Ce consensus, dont les agents sont pour la plupart aujourd’hui repré-
sentatifs des classes moyennes, ne doit pas conduire à perdre de vue
que l'unité de Marseille, lieu d’un véritable brassage social, fut une
architecture authentiquement populaire.
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

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Avant-projet de l'unité d'habitation sur le terrain de la Madrague à Marseille, 1945.


Ce dessin de la future unité, vue du sud-ouest, montre que, dès les premières études,
des choix majeurs sont définitifs : la masse de l’édifice repose sur un portique très ouvert,
sur des pilotis peu nombreux, et la galerie marchande est déjà à sa place. Par contre,
les pilotis dessinant un portique frontal sous le pignon sud et l'expression des circulations
verticales sur l'élévation ouest ne seront pas retenues. La construction des loggias donne
une animation plastique plus confuse aux élévations, dans lesquels l'indication horizontale
des niveaux ne se dégage pas clairement ; de même les superstructures au sommet
ne sont pas encore définies. Dans ce dessin, établi par un dessinateur de l’agence,
Le Corbusier ajoute à la plume des solutions pour l'insertion dans la pente du site
et des suggestions pour l’environnement végétal.

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L’UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

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L'unité d’habitation, boulevard Michelet à Marseille, vue du nord-ouest.


On voit ici l'édifice dans sa noblesse et dans son étrangeté : la ligne des pare-soleil
de la galerie marchande, la spirale de l'escalier de secours, les superstructures sur le toit-
terrasse. La multiplication des éléments formels insolites ne met pas en question l’imposante
unité du bâtiment, qu’elle enrichit. Cette prise de vue, effectuée dans les années soixante,
montre au loin les formes banales, tours et barres, de l'urbanisation des quartiers sud
de Marseille, postérieure à la construction de l’unité d'habitation.
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

Avant-projet sur le côté est du boulevard Michelet, façade ouest, 10 mai 1946.
En raison de cette implantation sur un terrain en face du site définitif, cette élévation
devient celle où l’architecte met au point les figures principales du bâtiment, en relation
avec l'élaboration de la structure : les alvéoles régulières des loggias, l'expression
des circulations verticales par une paroi, la continuité de la galerie marchande,
dont les vitrages ne sont pas encore accompagnés par le dispositif du brise-soleil
(que l'architecte mettra d’abord au point dans l’usine Duval à Saint-Dié).
L'étage technique est en place, le pilotis correspond à une double travée dans l'élévation
(on remarque des pilotis doubles au droit des joints de dilatation). Sur le toit débute
la distribution des superstructures : le gymnase et la partie destinée aux enfants
sont en place. Il n’est pas encore question d’école : les coupes et les plans correspondants
désignent une utilisation médicale, hélio et hydrothérapie,
en relation avec le projet de dispensaire.

ss
L’UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Étude des pilotis : esquisse de Vladimir Bodiansky (10 novembre 1947).


Cette esquisse montre que l’étude plastique des pilotis est conduite en relation étroite
à la fois avec l’agencement des poutres de l’étage technique et avec le dessin des éléments
- du coffrage, qui exaltent l'expression des volumes. Ce document témoigne aussi de l’intense
collaboration de l'ingénieur avec Le Corbusier dans la recherche des solutions plastiques :
le détail élaboré par Bodiansky pour l'extrémité de l’enveloppe de la poutre
est effectivement retenu dans la réalisation, et se voit sur le pignon sud.

Ca
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

xx

Le chantier, en septembre 1948, vue du sud-ouest.


Les pilotis dans leur masse et leur pureté portent l’imposant sol artificiel
qui accueillera l'étage technique.
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Le chantier, vue du sud-ouest. Neuf rangées de pilotis supportent le sol artificiel


des deux premières tranches du bâtiment, dont six niveaux de l’ossature primaire
sont en cours de construction. Au premier plan à droite les coffrages de deux piliers
sont différents ; ils seront incorporés au volume du vestibule, côté ouest.
Une poutre de l'étage technique, avec son trou d’homme, montre l'importance
de sa hauteur libre, pratiquement équivalente à celle d’un étage d'appartement.
Le coffrage des pilotis de la tranche sud est en place. Cet échelonnement des tranches
est une ruse de l'architecte, pour qui le début du chantier par le nord et sa poursuite
par la tranche sud met l’exécution de son projet à l'abri des aléas du financement.
En effet pour rendre l'édifice habitable, la construction de la dernière tranche
intermédiaire, avec ses circulations verticales, devient indispensable.

ke
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Le chantier : les pilotis. Le pan oblique de l’étage technique est déjà décoffré,
le fût des pilotis est encore sous coffrage. Le document, en montrant la précision
de l'assemblage des pièces de coffrage, suggère l'importance du travail de calepinage,
ce dessin préalable des détails de la construction.

EN
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

Le chantier : la structure des étages, en novembre 1949.


Ce document est essentiel pour comprendre le dispositif complexe retenu pour la construction
de l'unité de Marseille. Le système est double, et emboîté l’un dans l’autre :
»,
la structure primaire en béton armé, que Le Corbusier nomme le « casier à bouteilles
comporte des piliers et des poutres, ainsi que des parois pare-feu. Des poutrelles en acier
forment la structure secondaire qui portera le plancher. C’est dans ce dispositif
que s’emboîtera à son tour la construction des parois des appartements, séparées
par des vides d’air, et isolées par l'intermédiaire de boîtes en plomb de la structure
, au fond,
secondaire. Les résultats sont une excellente isolation acoustique. On voit enfin
le garde-corps des loggias, construit en éléments moulés préfabriqués.

os —
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

Le Corbusier tenant une conférence de presse sur le chantier de Marseille.


Rencontres avec la presse, visites de personnalités, en se multipliant au fur et à mesure
qu’avance le chantier, donnent à la réalisation l'importance d’un événement.

sis
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

Le Corbusier et Claudius-Petit sur le chantier de l’unité d'habitation.


Le soutien et la protection d’Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction
de 1948 à 1953, n’ont pas fait défaut tout au long de la réalisation.

LINE=
L'UNITÉ D’'HABITATION DE MARSEILLE

ee

Prototype I de la cuisine de l’unité d'habitation. Établi avec la collaboration


de Charlotte Perriand, ce prototype est exposé au Salon des Arts ménagers de Paris,
en 1950. Dans cet espace très resserré, mais bien équipé (cuisinière électrique,
broyeur d’évier, hotte aspirante), la mise au point des hauteurs est attentive à l'ergonomie.
Au-dessus du passe-plat, une découpe incurvée du plateau du bar, en bois massif,
évoque les formes organiques proposées déjà en 1935 par Charlotte Perriand.
L'aluminium, matériau moderne, s’impose pour l’évier et le plan de travail.
Les portes coulissantes, laquées en couleur, et leurs poignées de bois massif formant
raidisseurs est une formule familière à Jean Prouvé qui se répand
dans le design du mobilier à ce moment.
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

La loggia et son usage (en 1959). À la belle saison, la relation loggia-séjour


prend tout son sens. La menuiserie de bois massif des baies, ouvrante en dehors,
s’éclipse dans la profondeur de la loggia. Le large seuil, devenu banquette
et qui recouvre un radiateur, procure une continuité qui incorpore le dehors au dedans.
En repoussant la limite de l’espace quotidien jusqu’au garde-corps,
.
ce dispositif ajoute à l'agrément de la vie domestique dans l'unité d'habitation

RUE
L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE

La visite des officiels, à l’occasion de l'inauguration du bâtiment, le 14 octobre 1952.


On ne s’étonnera pas de voir, à la tête du cortège qui parcourt le toit-terrasse,
Le Corbusier, flanqué du préfet et du ministre Claudius-Petit.

2 188
L’UNITÉ D’HABITATION DE MARSEILLE

La conférence-débat, organisée le 14 octobre 1982, pour le 30° anniversaire


de l'inauguration. Réunie dans le gymnase, l’assemblée écoute les deux grands témoins,
André Wogenscky et Eugène Claudius-Petit.

O0 ee
Chapitre III

L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

a vision de la «maison radieuse », comme la nomment ses habi-


tants, est d'abord celle de l'implantation insolite d’une masse
minérale, associée au paysage urbain depuis les années 1980
par les effets de scénographie apportés par le nouvel hôtel de ville de pl. XIII-p. 162

Rezé (A. Anselmi, architecte). Difficile de ne pas faire, ici, une place
au regard aigu et peu complaisant de Julien Graca, un des trop rares
auteurs littéraires de sa génération à savoir goûter la ville et ses lieux :
«Deux ponts presque continuellement embouteillés par le trafic
relient aujourd’hui Nantes, par-dessus son fleuve, à une rive sud qu'à
l’ouest de Saint-Sébastien, je ne reconnais plus : les prairies de la Sèvre
et leurs saules têtards ont laissé place à un paysage qui n'est ni la
ville, ni vraiment la banlieue, mais plutôt, si on regarde du haut d’un
belvédère comme celui de Sainte-Anne, une ébauche de cité-jardin lais-
sée à l'abandon, reconquise par les espèces sauvages et par une végé-
tation hirsute de plantes rudérales. Au milieu de cette plantation
pavillonnaire assez diluée, la cité radieuse de Le Corbusier à Rezé
dresse son bloc enfumé qui semble moins une “résidence”
que plutôt une
réplique, égarée en zone résidentielle, de la centrale électrique toute
proche de Cheviré. » (La forme d’une ville, dans Œuvres complètes,
tome IL, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1985, p. 834.)
Et du même auteur encore, plus loin :

NC
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

« Toute plate sur l'horizon, la ville de Rezé ferme le regard,


bousculade inextricable de pavillons de banlieue, de “blocs”, de bou-
quets d'arbres, de saulaies étiques, étalée à perte de vue autour du
donjon central de la cité radieuse [...]. Paysage ample mais sans
beauté, qui porte partout la livrée grise du travail industriel, et la
trace des mutations contemporaines de son habitat, plutôt qu'il
n'évoque le mouvement incessant à ciel ouvert, débordant de bruits,
de couleurs et d’odeurs, des ports méditerranéens chers à Valéry. Tout
l’ancien affairement humain s’est retiré, cloîtré dans ses cavernes
de béton et ses cathédrales de tôle » (pp. 839-840).
Mais dans cette vision des lieux, qui se limite à la grande distance,
il manque tout ce qu'apporte la proximité. D'abord la dimension et la
pl. VIII-p. 161 beauté du parc, où une végétation très drue masque et dévoile à la
fois l'enveloppe alvéolaire du bâtiment, dont la puissance ici aussi
opère ; en profondeur et au-delà de la grille minérale, rude et discon-
tinue, des rives de planchers, des potelets, des trumeaux, des appuis
des loggias, l’espace de l’habitation se livre avec parcimonie, sous la
forme d’éclats de couleurs vives, et seulement dans une vision oblique.
Le regard se pose sur les parois colorées lisses, symptômes divers de
l'occupation domestique. Plus près : la découverte de l’accès par la
pl. IX-p. 161 passerelle, en franchissant une pièce d’eau, et l’image reflétée du por-
tique, image d’un luxe résidentiel exotique daté. Plus près encore, l’em-
D. 122 preinte du Modulor, et d'autres figures, dans le béton brut de la paroi.
Puis le hall, son dallage d'ardoise de Trélazé, la banque de l'accueil,
ses formes organiques, venues en droite ligne du design Corbu, mais
dans le béton, avec l'empreinte des planches d’un coffrage soigné.
La genèse de l'opération, voulue localement comme une démons-
tration sociale de la capacité d’un organisme d'HBM à produire des
logements de type nouveau est à la fois radicalement différente de
celle de Marseille, et d'une grande complexité, en raison des problèmes
de financement spécifiques rencontrés. La chronologie l’établit : La
décision prise en 1948 de construire l'unité de Rezé ne se réfère pas à
l’accomplissement de l'unité de Marseille, mais à la proposition typo-
logique et à sa réception par des acteurs locaux potentiels.

0e
ÉD cie
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

L'inspirateur :Gabriel Chéreau (1909-1990)


Au début de 1944, Gabriel Chéreau, jeune avocat du barreau de
Nantes, qui a fait son droit après deux années d’études aux Beaux-
Arts, est de ceux qui donnent une dimension morale aux contraintes
de la prochaine Reconstruction. C’est avec une conviction profonde
qu’il s'attache à mener, sur les conseils de son mentor, qu’il ren-
contre alors à plusieurs reprises, une application de la charte
d'Athènes à Nantes — déclarée ville sinistrée dès 1943 — et à son
agglomération.
Cette étude, intitulée : Destin de Nantes, achevée le 29 août
1944, est le point de départ de son action, à la fois civique et sociale,
en vue d'orienter la production de l’habitat à Nantes et dans sa
conurbation. Son projet s’oppose aux études menées par les services
municipaux avec la collaboration de l’architecte Michel Roux-Spitz ;
à partir de mars 1945, celui-ci a officiellement la charge d'établir le
plan de reconstruction de la ville — plan exposé au musée des Beaux-
Arts en décembre, puis approuvé par le conseil municipal le 8 février
1946, par le ministre le 27 août 1948. Entre temps, le plan Chéreau,
dans sa forme définitive du 28 septembre 1945, est présenté, sans par-
venir à le convaincre, au maire communiste de Nantes, Jean Philippot,
puis publié en septembre 1946 dans L’Architecture d'aujourd'hui,
appuyé explicitement par Le Corbusier auprès du rédacteur en chef,
Pierre Vago. Inspiré par les travaux de l'ASCORAL (Association des
Constructeurs pour la rénovation architecturale, fondée en mars
1943 par Le Corbusier), dont il est maintenant membre, Chéreau
épargne le centre historique, organise le zonage et la circulation,
suit les propositions de Le Corbusier pour investir les parcs et les quar-
tiers privilégiés, où il implante une dizaine d’«unités de grandeur
conforme », associées à des parcs de sport (G. Bienvenu, «Nantes
ville radieuse, ou l'appel au Corbusier », Villes reconstruites, du des-
sin au destin, Paris, L'Harmattan, 1994, tome I, pp. 283-291). Le
Corbusier, soucieux de ne pas entrer en conflit avec Roux-Spitz, ne
cesse de mettre en garde Chéreau contre les coups d'éclat, et obtient
L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

que celui-ci limite son propos à des Suggestions pour un plan direc-
teur de transformation de la ville de Nantes — titre définitif de l'étude
en septembre 1945. Bien lui en prend, puisque c’est à partir d’une
position déontologique sans défaut que Le Corbusier sera amené à
solliciter l'avis de Roux-Spitz pour le projet de Rezé.
C’est donc une personnalité proche intellectuellement de
Le Corbusier (il est son défenseur dans le procès que lui intente en
août 1949 la SEGF) et un citoyen déjà mobilisé dans les affaires
d'urbanisme et d’architecture qui suggère à ses amis de la Maison
familiale, trois ans après, de faire appel à Le Corbusier pour édifier
des logements sociaux exemplaires. Il n’est pas indifférent que l’ins-
pirateur éclairé de cette expérience devienne ensuite une figure
locale, spécialiste du droit maritime ; Gabriel Chéreau sera bâtonnier
du barreau de Nantes en 1963 et premier président de la Fondation
Le Corbusier, de 1968 à 1971.

La société de la Maison familiale


Société anonyme coopérative d'HBM créée à Nantes en 1911, la
Maison familiale, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale,
réunit parmi ses administrateurs Jean Raulo, président, vice-prési-
dent de la Caisse d'allocations familiales (CAF) de Loire-Inférieure,
secrétaire départemental de la Confédération française des tra-
vailleurs chrétiens (CFTC) ; Émile Decré, vice-président (collège
employeurs), puis président de la CAF (de 1947 à 1955); Gabriel
Chéreau, vice-président (collège professions libérales), vice-prési-
dent de la CAF. Le directeur de la Maison familiale est Jacques
Gauducheau, venu lui aussi de la CFTC.
La culture architecturale contemporaine de Gabriel Chéreau
et d'Émile Decré est exceptionnelle ; un catholicisme éclairé les rap-
proche. Émile Decré (1897-1973), directeur général des grands maga-
sins qui portent son nom, a la responsabilité de la refonte complète
de ces bâtiments commerciaux en 1930. Il a fait appel à l'architecte
Henri Sauvage, qui construisit un magasin d’acier et de verre remar-

-S'É8=
L’UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

quable (détruit par le bombardement allié du 23 septembre 1943):


membre depuis 1926 de la Confédération française du patronat
catholique (CFPC), dont il préside la section nantaise pendant vingt-
cinq ans, il est un patron «progressiste», qui avait créé avant la
guerre dans les locaux de son entreprise un service social et sanitaire,
avec obligation pour le personnel d’une visite médicale annuelle
(É. Dubas).
En mars 1945, alors en relation avec Chéreau, Decré prend
contact avec Le Corbusier à Paris. Le moment venu, il sera un allié
solide de l'avocat, lorsque celui-ci aura pris contact avec la Maison
familiale. Les motivations sociales et la conviction de la nécessaire
modernité des constructions du moment trouvent donc chez Chéreau
et Decré des agents hors pair. Émile Decré appuie le projet de l’unité,
auprès des autres administrateurs de la Maison familiale. C’est lui
qui, en mars 1951, au retour de la visite de l’unité de Marseille,
«chante en permanence les louanges de l’unité » (FLC N4.14). Quant
à Gabriel Chéreau, il est le véritable inspirateur de toutes les
démarches entreprises par les dirigeants de la Maison familiale en
direction de son ami Le Corbusier, depuis la décision jusqu'aux moda-
lités de financement et à la question des honoraires.

De la décision au projet, quel enjeu ?


En septembre 1948, la nomination de Claudius-Petit, comme ministre p. 35

de la Reconstruction et de l'Urbanisme dans le gouvernement Queuille,


ne semble pas étrangère au processus qui se met en place dans ce
noyau militant de la Maison familiale. Celui-ci rallie à ses vues le
directeur, Jacques Gauducheau, par ailleurs animateur d’un bureau
d’études statistiques. C’est lui, au terme d’une phase de contact avec
Le Corbusier et ses proches, qui est amené à formuler en novembre
1948 les objectifs que se donne l’équipe de la Maison familiale. Devant
les réticences de Le Corbusier, il montre à Wogenscky que l’enjeu est
justement l'amélioration des HBM et, par contrecoup, un effet d’exem-
plarité : «il faut en effet bien se représenter », écrit-il, «que la grande

FX 7
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

partie à jouer à l'heure actuelle est précisément l'amélioration des


constructions HBM. Il n’y a, à l'heure actuelle, strictement que ce
moyen pour promouvoir un mouvement de construction d’une réelle
importance, étant donné que seuls les organismes d'HBM peuvent
contracter des emprunts à la Caisse des dépôts et consignations [...].
C’est pourquoi mes idées restent bien qu'il faut arriver à construire
rapidement des HBM nouvelles, qui seront bien supérieures aux
anciennes par leur conception, leur disposition, leur aménagement,
etc., et qui, cependant, grâce à des procédés de construction modernes,
ne seront pas d’un prix de revient supérieur [...]. Ce qu’il faudrait
réaliser à Rezé devrait être, à mon avis, quelque chose qui consti-
tuerait une étape (pour) adapter aux ressources et aux populations
ouvrières actuelles ce que vous êtes en train de construire à
Marseille » (FLC N4.15).
Peu soucieux d'affronter l’avis de Roux-Spitz, tout puissant à
Nantes, les dirigeants de la Maison familiale, à la fin de l’année
1948, ont jeté leur dévolu sur un terrain à Rezé (alors Rezé-les-
Nantes), dont le territoire relève du contrôle par l'architecte en chef
de la Reconstruction, Jules Lemaresquier. Le 4 janvier 1949,
Gauducheau informe Wogenscky que le terrain de Rezé est choisi
(FLC N4.15.11). Dans les jours suivants, l'agence de Le Corbusier com-
mence à réunir les premiers éléments de réponse : étude du terrain,
système constructif, estimation des prix. Le 28 janvier, Wogenscky
transmet à Gabriel Chéreau la proposition d’une : «unité d’habita-
tion analogue à celle de Marseille, quant au nombre d'appartements
et à la population, aux dispositions d'appartements, etc. Nous appor-
terons toutefois certaines améliorations, soit dans les dispositions inté-
rieures, soit dans les principes de construction ;notamment, nous
construirons les pilotis et le terrain artificiel en béton, mais au-des-
sus nous réaliserons une ossature d’acier [...]. Le coût actuel d’un
tel immeuble doit être estimé à 1 milliard 200 000 F » (FLC N4.14.84).
Suit une estimation des honoraires à 72000000 F, ce qui laisse à
penser que l'estimation des travaux est transcrite de façon erronée
et qu'il faut restituer le chiffre de 1 milliard 200 MF

TE
L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

De leur côté, au sein de la Maison familiale, les partisans de


l’appel à Le Corbusier doivent franchir le cap de l’avis donné par le
conseil d'administration ; présentée en janvier 1949, l'annonce d’un
projet d'unité d'habitation ne soulève pas d’opposition. Le 28 février
1949, Gauducheau écrit à Wogenscky : «Raulo a l'air assez satisfait,
pas du tout heurté comme je le craignais » (FLC N4.15.18). Le 27
janvier 1950, Chéreau renchérit auprès de Le Corbusier :«Pas de
hurlements ni de coups de sirène comme escompté !» (FLC N4.14 123).
Parallèlement, d'importants entretiens avec Claudius-Petit ont lieu
le 16 juin 1949; le 7 juillet, dans une lettre à Gabriel Chéreau, Le
Corbusier évoque l'application «pour Nantes » du béton précontraint,
une «technique de 1'° classe ».

Chronologie du projet
Le 29 juillet 1949, le conseil d'administration de la Maison familiale pp. 208-209

prend la décision de «construire sur le terrain de Rezé une première


tranche de cent logements en immeuble collectif» ; le directeur géné-
ral demande à Le Corbusier d'établir un avant-projet technique (FLC
N4.15.44). Au terme de diverses entrevues avec le ministre et ses
adjoints, pendant l'été, Jacques Gauducheau précise plus tard à
Le Corbusier que le projet, conformément aux directives données
par le ministre à l’architecte et à Gabriel Chéreau le 16 juin, doit être
tenu dans les limites des normes du logement HBM, soit pour un loge-
ment du type IV (A ou B), dans la limite de 2 MF (incluant la construc-
tion, le terrain et les frais d'étude). Le 28 octobre, il donne son accord
à Le Corbusier sur le règlement de 10 % des honoraires à titre de pro-
vision, en trois versements de 330 000 F (FLC N4.15.58) ; un avant-
projet de contrat est préparé.
En mars 1950, il y a désaccord sur la conception de cette pre-
mière tranche de travaux. Pour l’agence de Le Corbusier, le choix
est celui d’un premier niveau de la construction, soit trois étages
desservis par une rue intérieure, sur toute la longueur du bâtiment
définitif (projet du 28 février 1950). Pour la Maison familiale, au

20 =
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

contraire, il faut «réaliser immédiatement une tranche du bâtiment


mais sur toute la hauteur définitive. Ainsi pourrons-nous faire sup-
porter la charge financière de chaque tranche de fondations par les
loyers des logements édifiés sur cette tranche» (lettre à Le Corbusier,
30 mars 1950, FLC N4.15.94). Bien entendu, cette approche, qui
laisse de côté la question de la desserte des étages par des ascenseurs,
est inacceptable. Cette première tranche est toutefois portée à cent
cinquante logements, sur un total prévu porté à quatre cent cin-
quante.
Ces inadéquations cessent quand le projet du 1° juin 1950
devient celui d’une unité complète, de trois cent vingt-et-un appar-
tements, dont les surfaces et la répartition sont les suivantes:

Type Nombre Surface Surface (en m2)


(en m?) avec loggia
B1 23 29 35
B2 8 46 55
C 20 64 70
D 50 85 94
E1 sup. ou inf. 40 106 118
E2 154 92 98 (2 loggias)
G2 sup. ou inf. 26 132 150 (2 loggias)

Le projet met l’accent sur les appartements de taille moyenne


(types D et E). Pour 32 905 m? de planchers d'appartements, et
7651 m? de circulations et escaliers, le prix est arrêté à
818 460 000 F. À cette occasion, Wogenscky rappelle qu’« à la suite
de la conférence avec le ministre, et d’un court échange de vues
que nous avons eu, M. Le Corbusier et moi-même, avec MM. Raulo
et Chéreau, ainsi qu'avec M. Dayre qui assistait également à cette
conférence, nous avons longuement étudié la question des services
collectifs. Ces réflexions nous ont conduits à penser que nous com-
mettrions une grave erreur si nous ne réservions pas la possibilité
d’équiper ce bâtiment en services communs indispensables pour un
groupe de cette importance [...]. Nous croyons que le fonctionnement

=. 40
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

même de la vie quotidienne dans ces immeubles est basé essentiel-


lement sur ces divers services, qui déchargent la mère de famille
d’une grande part de sa tâche et de sa fatigue. Nous avons, par consé-
quent, prévu dans notre projet environ 3 500 m? de plancher utili-
sables qui pourraient être équipés en magasins de ravitaillement,
boutiques, crèches, garderie d'enfants, etc. Nous vous faisons remar-
quer que cette superficie est faible par rapport à la superficie totale
de 32905 m? pour les planchers utilisables d'appartements » (FLC
N4.15.12).

La phase délicate des études techniques


La discussion sur plusieurs de ces points devient plus serrée. Le
directeur de la Maison familiale, au nom du bureau de cette société,
répond qu’il attend des économies de construction qui justifient de
faire trois cents logements d’un coup, qu'il faut réduire les surfaces
des appartements pour tenir compte des circonstances, comme y
invite le ministre, et qu’il faut distinguer les équipements supplé-
mentaires des équipements normaux. Il manifeste une opposition
déterminée à la présence de commerces dans l’unité et demande le
maintien de «services sociaux ».
En juin et juillet, l'étude des aspects techniques est conduite
avec la collaboration de l'ingénieur Bernard Laffaille, conseil de
l'agence de Le Corbusier, pour les fondations et pour le système
constructif à adopter pour l’unité. Le budget limité impose des
choix techniques moins coûteux que ceux de Marseille. Le terrain
est favorable : le sous-sol est heureusement très propice, puisque,
entre - 2 met - 4 m, les fondations peuvent s’appuyer sur un mas-
sif compact de schiste; l’excavation d’une ancienne carrière se prête
sans frais à la création d’un étang. Dans un premier temps, on pro-
pose un sol artificiel, analogue à celui de Marseille, posé sur des pilo-
tis espacés, et qui supporte, par l'intermédiaire d’une poutraison
importante, une superstructure de panneaux porteurs préfabri-
qués solidarisés par des câbles de précontrainte. Ce dispositif est

Er —
L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

approuvé par la Société technique pour l'utilisation de la


précontrainte (STUP), et Freyssinet s’affirme prêt à cautionner
auprès du ministre le projet de construction, du point de vue tech-
nique comme du point de vue économique (FLC N4.14.163). Mais
l'étude d’une travée complète, poussée jusqu’au dessin d'exécution,
et soumise aux entreprises, révèle que le système reste coûteux. En
septembre 1951, la mise au point du système constructif définitif,
qui doit encore être soumis au contrôle du MRU, reste à faire;
Laffaille fait évoluer l’étude dans un sens plus économique. Son
pl. X-p. 161 choix se porte sur un système de murs de refend banchés, dont
l’écartement de 3,66 m définit la largeur des appartements, et qui
s'appuient au premier niveau sur des piliers alternativement incli-
nés vers l’intérieur (en V) ou vers l’extérieur (en M); ces derniers
par leur empattement contribuent à la stabilité du bâtiment.
Visuellement, l'alternance des supports est satisfaisante, car elle
atténue la perception d’une travée de pilotis sur deux. Ce principe
sera repris dans les unités de Briey et de Firminy.
L'été ne se passe pas sans que le conseil d'administration de
la Maison familiale manifeste son impatience devant les délais
d’études et que le directeur réclame de nouveaux plans. La réponse
de Wogenscky est dilatoire, car il ne peut que demander de nou-
veaux délais, pour une étude technique qui n’est pas achevée. Les
négociations avec le ministère se poursuivent en parallèle ; alors
que la ville de Nantes et le Conseil général de la Loire-Inférieure
ont fait savoir qu’ils n’apporteraient pas leur concours à l’opéra-
tion (Abel Durand, sénateur et président du conseil général, décla-
rant à cette occasion aux administrateurs de la Maison familiale
qu’il n’aiderait pas à la construction d’un «nid de communistes »),
en janvier 1951, intervient une heureuse nouvelle : la ville de Rezé
accorde sa garantie à la Maison familiale sur l’ensemble de l’em-
prunt, soit 90 % du montant des travaux, en raison de la crise du
logement et de l’appui que le ministre apporte au projet, «qui doit
servir de type pour des constructions analogues à réaliser par la
suite dans d’autres points de France » (FLC N4.15.20). Peu de

— 100—
L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

temps après, les administrateurs de la Maison familiale organisent


un voyage pour visiter l’unité de Marseille, en cours d’achève-
ment ; ce voyage, qui a lieu les 1% et 2 mars 1951, soulève l’en-
thousiasme des participants.

La mise au point du système constructif


Le bureau d’études Séchaud et Metz, nommé par la Maison familiale
pour assister Le Corbusier, met enfin au point le système proposé par
Laffaille. Le contreventement longitudinal du bâtiment est assuré
par la construction en deux blocs distincts : le bloc sud, contreventé
par les murs longitudinaux extérieurs du pignon sud; le bloc nord,
contreventé par le mur de façade de la tour des escaliers et le mur
intérieur qui lui est parallèle, un joint de dilatation générale les
séparant. L'insonorisation entre deux appartements mitoyens est
obtenue par le coulage de la paroi de béton entre deux épaisseurs de
béton cellulaire, formant coffrage perdu, un dispositif étudié avec la
collaboration de l’entreprise. L'insonorisation verticale est assurée par
une dalle flottante de 7 cm d'épaisseur, qui associe divers matériaux
industriels (isorel mou, laine de verre et revêtement de sol en Dalami)
et les conduites du chauffage par le sol. Si l’on met à part les parois
porteuses, avec leur coffrage perdu, coulées entre les flancs de chas-
sis métalliques, la plupart des autres éléments (poutrelles et corps
creux des planchers, parois des loggias, garde-corps, claustras, ban-
deaux, trumeaux, brise-soleil) sont préfabriqués sur le chantier. Deux
galeries techniques sont prévues :la galerie inférieure, suspendue au
plancher du premier niveau, et la galerie supérieure, sous le sol du
toit-terrasse.
La question de l’équipement des cuisines, plus sommaire qu’à
Marseille, oppose les points de vue. Ainsi les interventions per-
sonnelles de Chéreau auprès de Wogenscky, les 7 et 13 décembre
1951, manifestent son intérêt pour les suppressions sélectives dans
l'équipement de l’édifice. «Je te répète», dit-il, «qu'il faut absolu-
ment trouver une solution pour avoir le vide-ordures individuel

— 101—
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

dans chaque appartement (...). Il est primordial. Là se trouve une


des articulations de l’expérience sociale. Avec cela nous rallions
les trois cents femmes de l’immeuble et par là les trois cents
hommes. Interroge des femmes et tu verras » (FLC N4.2.414 et
415). Il n’en sera rien: le vide-ordures, accessible dans les esca-
liers, sur les paliers d’étage, est collectif.

La polémique
Le financement des prêts n’est toujours pas accordé; en juillet,
la commission des prêts au MRU ajourne sa décision, les repré-
sentants des organismes d'HLM étant opposés. Maïs le ministre
apparaît à Wogenscky décidé à convaincre les membres de la
commission d'attribution des prêts HLM qu’il est lui-même dési-
reux de faire exécuter le bâtiment. Le 5 octobre, le chef de cabi-
net de Claudius-Petit présidant la commission, les crédits — 782
millions pour deux cent quatre-vingt quatorze appartements —
sont attribués ; l'administration du MRU et celle des Finances
signent l’arrêté interministériel correspondant le 8 novembre.
Le contrat de l'emprunt avec la Caisse des dépôts est signé le
21 janvier 1952.
C’est vraisemblablement en relation avec ce calendrier et avec
la volonté d’enrayer le processus de financement, alors que le pro-
jet technique du bureau Séchaud et Metz est établi, que les adver-
saires de Le Corbusier choisissent de lancer au grand jour une
attaque virulente contre le projet de Rezé. Le 18 janvier, deux archi-
tectes, Charles Labro, architecte des Bâtiments civils et des Palais
nationaux, et Béguin, secrétaire général du Comité national des
classes moyennes et président de la sous-commision de la construc-
tion et du plan à l’aménagement du territoire, tiennent une confé-
rence de presse à Paris au siège de la Société des architectes DPLG
(Diplômés par le Gouvernement), 100 rue du Cherche-Midi. Cette
attaque en règle est connue par un document remis à la presse
(FLC N4-14.39). Elle porte surtout sur l'octroi de prêts HLM à l’opé-

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L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

ration, un abus commis au détriment des organismes de crédit


immobilier qui aident la construction des maisons individuelles —
alors que celles-ci seraient préférées par une majorité de Français
— et, au delà, sur la politique du logement que conduit le ministre.
Les orateurs s’appuient sur l’erreur qui aurait été commise à
Marseille, et ils tentent de disqualifier les déclarations de Claudius-
Petit qui, à plusieurs reprises, en 1950 et 1951, a fait état avec hau-
teur de vues et noblesse de son soutien à Le Corbusier.
Cette campagne n’efface pas la sérénité des administrateurs de
la Maison familiale. Réuni le 19 janvier, en présence de Wogenscky,
son conseil est informé par la presse du jour de ces attaques. Chéreau,
qui tient immédiatement à manifester son appui à Le Corbusier,
lui écrit le lendemain une note, au style rapide et tonique. « Tout le
monde était là, sauf Decré empêché. Rien que des chics types
(ouvriers, employés), attentifs. Ils ont fait confiance à ce que disait
Wog en votre nom. Les attaques des jaloux ont plutôt donné un coup
de fouet aux syndicalistes, que la lutte en perspective rend plus
combatifs. Personne n’a molli, au contraire. Il y avait CGT, CGT
(FO) et CFTC. Tout le monde d’accord sur le projet ingénieurs STP
(Société des ingénieurs des Travaux publics), etc. L’'atmosphère est
qu’on marche les yeux fermés avec vous parce que vous n’avez pas
bourré le crâne et que vous êtes sincère ainsi que Wog. C’est pour-
quoi, tout cela (les journaux) ne m'a pas trop impressionné.
Conclusion : vous pouvez vous appuyer à Nantes sur un bloc sans
fissure. Fidélité » (FLC N4.14.40).
La polémique s'étend. Le maître d'œuvre et ses amis ne lais-
sent pas cette affaire sans réponse: dans les jours suivants,
Le Corbusier saisit d’une plainte le président de l’ordre des architectes,
estimant que cette conférence de presse porte le discrédit sur les
travaux qui lui ont été confiés par l'État. Bernard Zehrfuss démis-
sionne avec éclat de la SADG (Société des Architectes Diplômés par
le Gouvernement), dont le Bulletin mensuel d'Information, en
décembre 1951, a déjà mis en cause un confrère qui, précise-t-il, «est
actuellement, dans le monde entier, respecté et admiré à juste titre

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L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

par tous les sociétés et groupements d’architectes ». En réponse au


long article que La France Catholique (n° 272, 1° février 1952)
consacre à la future unité de Rezé, en se faisant l'écho complaisant
de l'attaque de Labro et Béguin, Chéreau, chrétien engagé, adresse
au directeur, Jean Le Cour-Grandmaison, une longue lettre, per-
sonnelle et véhémente ; il lui dit son indignation devant les «ragots
les plus misérables qui ont été colportés sur le sujet [...]. Vous les
faites vôtres sans même un essai de vérification objective [...]. Ceci
est indigne d’un grand journal, du grand journal français de la pen-
sée catholique » (FLC N.4.14.40).

Un financement original
Le projet définitif est connu par le descriptif du 31 juillet 1952, rec-
tifié le 31 mars 1958. Les surfaces et la répartition des deux cent
quatre-vingt quatorze appartements sont fixées (entre parenthèses,
la répartition effective ) :
B 23 m°? 33 (29) (HLM I BB 30 m?)
45 m? 33 (46) (HLM II B 46 m2)
D 59 m2? 26 (15) (HLM III B 57 m2)
E 90 m? 183 (190) (HLM IV B 68 m2)
F 112 m2? 14 (5) (HLM V B 82 m2?)
G 123 m°? 5 (9) (HLM VI B 96 m2)

Le prix de revient maximum admissible en février 1953 est


fixé à 876 MF, honoraires compris. Le prêt étant de 782 MF il reste
à définir le complément du financement. Conseillée par Chéreau,
la Maison familiale adopte pour ce complément un dispositif de
financement original, qui a des conséquences sur le statut de l’oc-
cupant. Celui-ci prend à sa charge la part hors emprunt de l’État,
soit 15 % du prix du logement (plus 1,5 % de droit d'entrée et de frais
d'étude) sous la forme d’un apport personnel à la société coopéra-
tive, qui lui attribue un nombre d’actions correspondant ;chaque
année, la part du loyer relative à l'amortissement de l'emprunt de
l'État fait également l’objet d'attribution d’actions. Le locataire

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L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

devient ainsi, sinon le propriétaire de son logement, tout au moins


un copropriétaire des actions de la société coopérative. Pour les
employeurs, désireux de financer des appartements pour loger
leurs salariés, le dispositif s'applique aussi, mais les 15 % sont ver-
sés à fonds perdus.
Il est prévu de répondre, le cas échéant, aux besoins nouveaux
de l’occupant (dimension de la famille, mobilité) par l'échange ou la
cession d'actions, avec la possibilité d'échange d'appartement. Ce
dispositif — par la sélection qu’impose l'apport personnel — ne sera
pas étranger à la répartition socioprofessionnelle de la première
génération des locataires, ni à leur ardente conviction «d’habiter
un lieu unique», d’appartenir à la «maison radieuse», «dans une
dynamique d’appropriation collective » bien spécifique (Bataille et
Pinson, 1990).

Derniers obstacles
Après les études techniques détaillées qui occupent l’année 1952,
intervient l’exemption du permis de construire, accordée le 23
décembre, Claudius-Petit étant encore ministre. Les appels d’offres,
lancés en juin 1952, conduisent à des prix trop élevés, incompatibles
avec le budget des travaux; à la suite de deux concours successifs,
jugés négatifs en octobre 1952 et janvier 1953, le maître d'ouvrage
prend la décision de poursuivre par des marchés de gré à gré, conclus
le 26 février 1953.
Après le départ de Claudius-Petit du ministère, en janvier 1953,
et son remplacement par Pierre Courant, des difficultés nouvelles et
inattendues s'accumulent. Une dernière autorisation du ministre
est nécessaire avant d’ouvrir le chantier. Alfred Simon, directeur de
cabinet du nouveau ministre, reçoit le 10 avril 1953 une délégation
de Rezé, composée de Jean Raulo, Émile Decré, Jacques Gauducheau
(pour la Maison familiale) et de Benezet, maire de la ville. À ceux-
ci, qui font état d’un financement acquis, d’études terminées — celles-
ci ont coûté 23 MF à la Maison familiale ! — et d’adjudications

— 105—
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

préparées, Simon adresse une mise en garde; il mentionne qu’à


Marseille, «les habitants ne sont pas satisfaits, la moitié des appar-
tements ne sont pas occupés », et il ajoute : «Avez-vous bien réfléchi ?
Vous risquez d’avoir un grand nombre d'appartements qui ne seront
pas occupés.» En apprenant que la réponse lui sera communiquée
plus tard, la délégation sort très inquiète de cette entrevue. Un mois
plus tard, interprétant ce nouveau délai comme une manifestation
réitérée de «la haine professionnelle [qui en France lui] barre le che-
min», Le Corbusier cherche un appui auprès de Gaston Bonheur,
directeur de l'hebdomadaire Match. Mais le ministre finit par don-
ner peu après sa signature.

Un chantier tenu pour exemplaire


Les travaux débutent le 11 juin. Le 31 octobre a lieu sur le chantier,
en présence de Le Corbusier, la pose symbolique de la «première
pierre » (un bloc de béton). L'organisation du chantier adopte le prin-
cipe d’une entreprise pilote, ici la Compagnie d’entreprises élec-
triques, mécaniques et des travaux publics (CEEMTP), qui a la
charge du gros œuvre. C’est elle qui répartit l'emprise au sol de
chaque entreprise adjudicataire. Ses jeunes ingénieurs assurent la
direction des travaux ; motivés par ce chantier exceptionnel, ils appli-
quent avec énergie le planning prévu par l’entreprise pilote. Deux
grues, respectivement de 32 m et 52 m sous crochet, sont installées
de part et d’autre du bâtiment. L'entreprise de gros œuvre, en orga-
nisant de façon répétitive l'exécution des refends porteurs, parvient
à limiter à quarante compagnons et soixante manœuvres ses effec-
tifs. Les grèves d’août 1953, et les journées de grand vent, qui obli-
gent en 1954 à suspendre à plusieurs reprises l’activité, conduisent
à rattraper le retard sur le planning par des périodes à double poste
de travail, ce qui n’était pas prévu.
En fait plusieurs dispositifs sont adoptés en cours de chantier
seulement. En novembre, le système de chauffage par le sol des
appartements est adopté; en février 1954, à la ville de Rezé qui

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L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

demande l’installation d’une école primaire complète (dix classes)


sur le toit, Wogenscky répond que celle-ci occuperait toute la ter-
rasse et que, construite sur deux niveaux, cette superstructure trop
importante risquerait de «ne pouvoir s'intégrer dans l'esthétique
générale du bâtiment. Le Corbusier préconise par principe pour tous
les services autres que quotidiens la construction dans le parc» (FLC
N4.2.465). C’est à ce moment qu’est décidée l'installation d’une école
maternelle à trois classes sur le toit terrasse.
En mai 1954, la rudesse de l'exécution suscite des remarques de
Gauducheau, et en réponse une vive réplique de Le Corbusier auprès
de Chéreau : «Je tiens à vous répéter toute ma satisfaction au sujet
du chantier. C’est un admirable chantier qui nous change des ater-
moiements et des hésitations de Marseille. Tout marche dans l’exac-
titude. Il n’y a pas de faute et c’est un résultat extraordinaire dû à
la qualité des jeunes qui sont responsables de cette affaire, de ceux
du 35 de la rue de Sèvres et ceux des entreprises, aussi bien les
jeunes ingénieurs que les trois jeunes chefs de chantier. C’est dû
encore à la qualité de nos entrepreneurs qui sont de “la famille”.
C’est dû encore à la grande valeur de nos clients, c’est-à-dire vous
autres, vous le premier qui avez été l’âme de l'affaire, et qui avez su
soulever magnifiquement des types comme Raulo et Cie».
«J'ai dit à ceux qui grognassaient un peu contre la rudesse de
l'exécution : j'aime cette rudesse, c’est cela que j'aime, c’est cela mon
apport dans l'architecture moderne : la remise à l’honneur des maté-
riaux primaires, la rudesse de l’exécution conforme au but pour-
suivi, c’est-à-dire abriter les vies, non pas de rupins ou de grandes
“horizontales”, mais les vies de foyer qui sont dans la bagarre quo-
tidienne où le tragique voisine avec les joies [...]. J’ai dit énergi-
quement à Gauducheau, qui levait le nez devant les aspérités du
ciment : attendez-donc que ce soit fini et qu’au lieu de n’avoir à
regarder qu’un raccord de ciment raté (ce qui est très humain et
quotidien), vous regarderez des visages de gosses ou celui d’une p. 123

femme. À ce moment vous apprécierez le travail de Rezé» (14 juin


1954, FLC N4.2.474).

— 107—
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

L'édifice habité
La durée du chantier, mené à bien en dix-huit mois, s’inscrit dans les
limites fixées par le maître d'œuvre ; contrastant heureusement avec
les travaux interminables de Marseille, ce chantier contribue jusqu’au
bout à la satisfaction de l'architecte. Les travaux sont achevés le
21 mars 1955. Dès le 16 mars, les premiers habitants font leur entrée.
En juillet ont lieu l'inauguration (le 2) et la réception provisoire (le
16). Le parc, l'étang et sa passerelle sont en dehors de toutes les
normes du logement social, comme, dans le hall, la boutique d’un
buraliste-marchand de journaux et une agence postale, et le sol, en
ardoise de Trélazé, dont les grandes dalles dessinent un puissant
opus incertum. Les trois ascenseurs sont sans doute les plus grands
et les plus récents de toute l’agglomération nantaise.
Dans les étages, les rues intérieures — avec leur ambiance sombre,
pl. XI-p. 162 le sol en dalami noir, l'éclat de couleur des portes, les blocs des boîtes
à lettres au droit du palier des ascenseurs — sont toutes identiques.
Les rues n° 1-2-4-5-6 desservent trois niveaux de plancher, la rue
n° 3 deux seulement. En relation avec les vides laissés par les esca-
liers, de nombreux locaux sont disponibles pour les «clubs » et acti-
vités que gère l’association des habitants de la Maison radieuse,
dont les statuts, étudiés dès 1953, ont permis une mise en place
rapide. Sur le toit-terrasse, bordé par une étroite piste périphérique,
les volumes de l’école maternelle et l’auvent qui protège son accès occu-
pent l'essentiel de l’espace ; on y trouve une aire de jeux, au nord, les
deux cheminées d'aération et un belvédère en surplomb sur la façade
est, installé au-dessus des volumes de la batterie d’ascenseurs ; on
y accède par un étroit escalier aérien.
Les appartements les plus nombreux sont traversants (type E)
avec les deux variantes :supérieure (chambres à l’étage) ou infé-
rieure. La réduction de l'épaisseur du bâtiment (par rapport à
Marseille) supprime pratiquement le vide du séjour, dont il ne sub-
pp. 158-159 siste qu'une trémie au-dessus de l'escalier intérieur, espace inter-
médiaire dans la partie médiane entre les sanitaires et la chambre

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L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

principale. Dans le séjour, le pan de verre, équipé de doubles vitrages,


est une version simplifiée de celui de Marseille ;l’accès des enfants
à la loggia est contrôlé par des dispositifs commodes. Les sanitaires
comportent une salle d’eau (avec douche et lavabo), munie d’un sol
étanche, de deux portes arrondies et d’un seuil élevé. La cuisine — dont
le plan, les dispositifs d'aération (hotte), le placard à double entrée
(ouvrant depuis la rue) et le meuble passe-plat sont analogues à
ceux de Marseille — a un équipement réduit (ni appareil de cuisson,
ni évier à double bac, ni vide-ordure individuel).
La découverte de cet espace et de ce confort est une grande
satisfaction pour la population primitive de l’unité, dont les condi-
tions de logement étaient auparavant souvent misérables. Les
enquêtes successives ont enregistré ces opinions, qui appartien-
nent durablement à la mémoire collective de la «Maison radieuse ».
Pour leur part, à la suite d’une visite du bâtiment le 2 mai 1956,
les délégués du Conseil supérieur de l’hygiène rédigent un rapport
très satisfaisant sur les prescriptions du règlement sanitaire qui
ont fait l’objet de dérogations. Les seuls points critiqués sont les
gaines d'extraction, qui contiennent les colonnes montantes de gaz,
et l'impossibilité de doser l'extraction de l’air suivant les besoins
(FLC M2-18-1-19).

La population de l’unité en 1957


Les études statistiques et sociologiques conduites en 1957 par Chombart
de Lauwe et en 1987 par Bataille et Pinson, permettent de mieux
connaître la population du bâtiment de Rezé que celle des autres uni-
tés. Elles confirment qu’en 1957, «si l'immeuble contient un tissu social
populaire, c'est malgré tout dans le haut du panier qu'il recrute» (Bataille
et Pinson, 1990). Voici les données que l’on peut présenter à ce sujet:

Catégories en 1957 dans l’unité dans Rezé

Professions intermédiaires 36,5 % 23,8%


Employés 39,8 % 9,6%
Ouvriers 229 36,7 %

— 109—
L'UNITÉ D’HABITATION DE REZÉ

Cette population d’origine est jeune ; tous les chefs de famille ont
moins de 50 ans, et la plupart d’entre eux (53 %) ont entre 25 et 35
ans. Expression claire du baby-boom de cette période, il y a en
moyenne plus de deux enfants par famille; ces enfants sont pour
46 % dans la classe d'âge des 6-12 ans. Une partie des habitants ont
derrière eux un passé de militants : syndicalistes, politiques ou ani-
mateurs de la vie associative.
Les conditions sont réunies pour une adhésion forte à l’unité
des premiers locataires, qui ont vécu leur installation comme «une
libération par rapport aux conditions d'habitat antérieur [...] ; la
mémoire habitante traduit avec relief l’immensité de l’attente des
ménages aux portes des HLM ». Ils y trouvent, en premier lieu,
un logement spacieux, dont la dimension est adaptée au nombre
et à l’âge de leurs enfants, un équipement (cuisine, sanitaires,
ascenseurs) et un confort (ventilation et chauffage) qui sont sans
commune mesure avec les habitations de l’agglomération nan-
taise à l’époque, où tous ces critères mettent l’unité en position
d'exemple exceptionnel. Les points de vue sur les particularités de
l’espace du logement viennent en second lieu; la distribution en
profondeur et sur deux niveaux est très appréciée pour ses aspects
pp. 158-159 fonctionnels (séparation parents / enfants, ou activités / repos) et
symboliques (ressemblance avec une maison). C’est dans la rela-
p. 87 tion avec la loggia que les habitants expriment leur préférence
très majoritaire pour le type montant, où la loggia prolonge direc-
tement la salle de séjour, et où les chambres sont «en haut», et non
«en bas», ce qui les dévalorise.
Le parc et la maternelle sont l’objet d’une très vive adhésion;
la maternelle est non seulement un «service public» dont la proxi-
mité est appréciée, mais où les relations avec les institutrices et
aussi avec les autres parents sont plus fortes. Les fonctions initiales
du hall, avec un marchand de journaux et une agence postale, sont
celles d’un point de passage obligé qui favorise,à l'instar de la place
du village, les relations entre les habitants.

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L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

La population de l’unité en 1987


Les études de 1987 montrent une évolution nette des occupants, et
aussi des appréciations de la valeur d'usage. La population comporte
la même proportion d'ouvriers et d'employés (60 % ensemble), mais
comprend désormais 15 % de locataires sans revenus d’activité (chô-
meurs indemnisés). 55 % des logements sont occupés par des per-
sonnes seules (veufs divorcés, célibataires) ; 25 % des chefs de famille
ont plus de 50 ans, 26 % (contre 53 % en 1957) sont dans la tranche
des 25-35 ans. Les enfants sont moins nombreux (75 % des familles
n’ont pas d'enfant), plus âgés (30 % sont dans la tranche des 17-20 ans).
Les familles monoparentales font leur apparition (16 %).
En 1987, anciens et nouveaux locataires ont en commun un
sous-emploi relatif de l'appartement. Mais pour les locataires qui l’oc-
cupent dans les conditions d’habitabilité prévues en 1952, le manque
d'espace est plus fortement ressenti :les usages récents ont rendu
obsolètes les normes des années 1950, particulièrement dans la cui-
sine et dans le séjour, où les appareils frigorifiques, les machines à
laver et la télévision n’ont pas leur place. Sans que cela soit res-
senti comme une carence de la conception initiale, l'installation
électrique est totalement vieillotte. L'insuffisance des espaces de
rangement et de la cave s’est aussi révélée, avec le temps, par l’uti-
lisation des loggias en débarras; les capacités d'adaptation des
appartements sont limitées, les arrangements les plus fréquents
sont la suppression du meuble passe-plat entre la cuisine et le
séjour, et la rénovation de la salle d’eau. L'isolation phonique, sou-
vent dégradée à la suite de nombreux percements et chevillages
dans les parois, est trop faible pour la puissance des enceintes acous-
tiques récentes.
Dans le traitement esthétique de l’appartement en 1987, on
perçoit la différence entre une population attentive aux qualités
formelles initiales (menuiserie vernie, murs peints, plafonds et
sols conservés, absence de rideaux) et une autre qui tend à imiter
les appartements plus conventionnels : boiseries peintes, murs

— 111—
L'UNITÉ D’HABITATION DE REZÉ

tapissés, rideaux et voilages aux fenêtres. Malgré de nombreuses


critiques, le bilan est cependant nuancé: les qualités de l’espace
initial restent souvent perçues, le confort reconnu (isolation ther-
mique, ventilation, chauffage); les locataires les plus anciens se
montrent soucieux de situer leur point de vue dans les conditions
de vie des années 1950. Enfin, la maternelle et le parc ont gardé,
dans la mémoire habitante et pour la vie quotidienne, tout leur
prestige.

Le changement de statut et ses conséquences


De nouvelles dispositions législatives en 1965 obligent les sociétés
coopératives à se transformer. Pour sa part, la Maison familiale
constitue en 1968 trois sociétés distinctes : la société anonyme (SA)
d'HLM Loire-Inférieure habitations, la société coopérative de loca-
tion-attribution la Maison familiale et la société de location coopé-
rative la Maison radieuse, qui se limite à l’unité de Rezé, pour laquelle
cette transformation n’a pas d'effet sensible. Par contre, la loi
Chalandon, en 1971, qui décide la suppression des sociétés coopé-
ratives de location, bouleverse le statut de l’unité de Rezé. Dans un
premier temps, les habitants protestent, manifestent leur refus
devant ce qui deviendra, pour la plupart d’entre eux, une déposses-
sion. En 1974, mis en demeure par le préfet, à la suite du décret
d'application de 1972, ils sont obligés de choisir entre le statut de
copropriétaire (en remboursant par anticipation le capital restant dû)
et celui de locataire en bénéficiant d’un bail privilégié, en relation avec
l'apport initial, laissé à la société. Une petite minorité (12 %) fait le
choix de la copropriété. En 1976, la SA d'HLM Maison radieuse
fusionne avec la SA d'HLM Loire-Inférieure habitations (LIH), qui
gère depuis les deux cent trente-deux logements locatifs de l’unité,
devenue un édifice en copropriété. À la liquidation de la Maison
familiale, le 17 décembre 1980, les coopérateurs affirment leur volonté
de préserver l'édifice et son environnement, dans l'esprit de l'unité
d'habitation voulu par Le Corbusier.

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L'UNITÉ D’HABITATION DE REZÉ

Dès lors intervient entre «propriétaires » et «locataires » une


césure; celle-ci ne se limite pas à une différence de statut, mais
retentit sur les comportements, en raison d'intérêts divergents. Les
habitants entrés depuis le changement de statut ne sont plus des
coopérateurs volontaires, mais des locataires ordinaires d’un immeuble
HLM, attirés de surcroît par des loyers peu élevés. D'où l’évolution
d’une population relativement plus aisée et plus stable, vers une
population économiquement moins homogène et, pour une partie,
plus instable. L'opposition entre «propriétaires ultra » et «locataires
indésirables », si elle est devenue possible, ne semble pas cependant
s'imposer comme une réalité. Parmi les associations présentes dans
l'unité, à côté de la Confédération syndicale des familles (CSF) et
de la Confédération nationale du logement (CNL), association des
habitants de la Maison radieuse (AHMR), qui réunit les deux caté-
gories, parvient à entretenir la vie sociale propre à l’unité, en orga-
nisant des activités variées (bibliothèque, bricolage, photo, club
vêtements, etc.) et en maintenant des liens avec les associations
sœurs des unités de Marseille et de Firminy.
La vision de l'édifice est si disparate et contrastée que les socio-
logues ont pu écrire: « En fait une majorité des nouveaux arrivants
nourrit à propos de la maison radieuse une opinion très nuancée, où
la reconnaissance des qualités de l’immeuble est toujours contreba-
lancée par une évidente constatation de son vieillissement {...], qui
englobe aussi bien l'usure du bâtiment, son inadéquation aux normes
contemporaines que l’inadaptation de son espace, en particulier de sa
surface, aux modes de vie actuels, quelle que soit leur diversité. Ce
point de vue nuancé se heurte souvent au jugement de respect absolu,
d’admiration béate, de religiosité exagérée que professent des cor-
buséens dogmatiques [...], les “fanas du fada”» (Bataille et Pinson).

La réhabilitation et après.
À partir de 1980, plusieurs travaux sont conduits par Loire-Atlantique
habitations : réfection des pseudo-rochers sur le toit-terrasse et

— 113—
L'UNITÉ D’HABITATION DE REZÉ

étanchéité de celui-ci (1981-1982), transformation de la chaufferie.


En relation avec la protection au titre des Monuments historiques
intervenue en 1965 (façades et toitures inscrites à l'inventaire sup-
plémentaire, le 16 septembre 1965), il est clair que la notion de
l’œuvre est maintenant présente ; si elle apporte ses contraintes à la
maîtrise d'ouvrage, elle est aussi stimulante pour les architectes,
dont la démarche est marquée par la volonté d’une cohérence des tra-
vaux avec le concept initial.
Pour mieux maîtriser la suite du processus, en 1983, la com-
mande d’un diagnostic d'ensemble est passée à l’architecte Jean-
Louis Pellerin, associé au bureau SOCOTEC (Société de contrôle
technique et d'expertise de la construction), déjà présent en 1953
sur le chantier initial. Il résulte de cette étude, dans un premier
temps, en 1985 et 1986, un ensemble de 6 MF de gros travaux, qui
permettent la réfection des façades (réparations partielles à l’aide de
pl. X-p. 161 résine et peinture des loggias restituant la polychromie d’origine),
l'installation d’un sas dans le hall d'entrée, la réfection complète de
la batterie d’ascenseurs, ainsi que, avec le concours d'EDF le trans-
fert du transformateur en dehors de l’immeuble.
Dans un second temps, les interventions, menées par deux
maîtres d'œuvre distincts, portent plus directement sur la sécu-
rité (coupe-feux dans les escaliers, gaines verticales techniques)
et sur l’habitabilité des logements : transformation des dispositifs
techniques (ventilation plus performante, mise aux normes des cir-
cuits électriques, nouvel aménagement des cuisines et des salles
d’eau). Ces interventions dans les appartements, pour un prix
moyen de 70 000 F par logement, résultent d’une double enquête,
architecturale et sociologique. La première est conduite par l’ar-
chitecte Pellerin, qui s’est beaucoup investi dans la connaissance
précise du bâtiment, par le relevé en plan de l’état des lieux exact
de chaque appartement, par le constat de l’appropriation effectuée
par les habitants et par une attitude d’imprégnation personnelle
(il séjourne et travaille un certain temps dans l'appartement témoin).
La seconde, à la suite des contacts pris par Loire-Atlantique habi-

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L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

tations avec les associations, est menée par Joël Guibert de février
à mai 1987; limitée par les conditions de la commande à une enquête
par questionnaire fermé (cent quarante réponses sur deux cent
trente ménages sollicités), cette enquête de caractère statistique
actualise les données sur la population et fait le point sur les satis-
factions (2/3 de satisfaits, 1/3 d’insatisfaits) et sur les attentes des
locataires.
Précédés d’une phase de concertation, qui débouche sur la pré-
sentation aux locataires d’un appartement-test le 12 mars 1988, les
travaux sont menés entre avril et novembre 1988.
Une journée «portes ouvertes », le 21 janvier 1989, vient clore
l'opération par la présentation au public d’un appartement réamé-
nagé ; les documents illustrés édités par la maîtrise d'ouvrage à cette
occasion insistent sur la sauvegarde du concept de «village verti-
cal», de «village en plein ciel», sur le rôle de l’école et sur les clubs
et activités proposées par l’association des habitants, qui gère et
anime «l’appartement témoin où sont préservées les traces et la
marque de Le Corbusier ».
Le coût global de ces deux registres de travaux (en chiffres arron-
dis) est de 2,6 MF pour les travaux de sécurité et de 9,4 MF pour les
travaux d'amélioration, ce qui conduit, avec les honoraires, assurances
et frais divers (2,2 MF) à un montant total de 14,2 ME, un coût financé
par une subvention d'État (20 %), un prêt de la Caisse d'épargne (70%),
et les fonds propres de Loire-Atlantique habitations (10 %).
Mais la satisfaction résultant de ces travaux est contredite par
l'augmentation des loyers et de nombreux départs sont enregistrés :
soixante-douze en 1988 et trente au premier trimestre 1989. Loire-
Atlantique habitations entreprend alors un appel à candidature et
constate que les familles avec enfants sont rebutées par l'exiguïté des
appartements. La société gestionnaire entreprend de céder certains
d’entre eux à des étudiants en colocation, par l'intermédiaire d'accords
avec le CROUS (centre régional des œuvres universitaires et sco-
laires), et à de jeunes couples. Tout cet effort est bien reçu puisque,
en septembre 1989, la quasi-totalité des appartements offerts à la

— 115—
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

location est occupée. Depuis, Loire-Atlantique habitations se pro-


pose d’équilibrer progressivement le nombre de locataires par un
nombre équivalent de copropriétaires. :

La reconnaissance de l’œuvre
Présente, chez les acteurs internes, tout au long de la procédure de
la réhabilitation, la reconnaissance de l’œuvre bénéficie, depuis la fin
des années 1980, des attentions de l’active politique municipale
menée par le député-maire de Rezé, Jacques Floch, élu en 1978.
Celui-ci considère en effet que, à côté de l’archéologie (qui établit
l'importance des activités sur le site de la rive gauche de la Loire, véri-
table frontière naturelle à l’époque protohistorique), l'architecture
contemporaine est un élément primordial d’une identité de Rezé
dans l’agglomération nantaise :«Le Corbusier est notre signature
internationale », dit-il. Membre fondateur de l'association Villes et ban-
lieues, présent dans l'émergence du mouvement « Banlieue 89 » (aux
côtés de l'architecte Cantal-Dupart, originaire de Rezé), Jacques
Floch mène dans la commune une politique d’édification consé-
quente : la ville commande plusieurs édifices publics, une média-
thèque (Maximiliano Fukssas, arch.) et surtout l'hôtel de ville,
pl. VII-p. 161 construit de 1987 à 1989 par Alessandro Anselmi, dont les volumes
organisent une spectaculaire mise en scène des points de vue vers
la «maison radieuse ». Cette attention de la ville de Rezé prend dans
les années suivantes des aspects concrets, qui la constituent en par-
tenaire des instances de gestion et de l’association des habitants.
Mentionnons d’abord l'extension du parc, qui passe de 2 à 6 hec-
tares, défendu vigoureusement par l’Association des habitants de la
Maison radieuse, avec succès, contre les projets récurrents de nou-
veaux tracés de voirie ;ensuite l’acquisition par la ville de deux
appartements, destinés à devenir des lieux d'exposition.
Vient enfin la délicate question de l’application des nouvelles
normes de sécurité, posée en 1986 par les services de la sécurité
civile (ministère de l'Intérieur), lorsque ceux-ci constatent que l’unité

— 116—
L'UNITÉ D’HABITATION DE REZÉ

de Rezé entre dans la catégorie des immeubles de grande hauteur


(IGH) ;les normes nouvelles imposent d'importants travaux sur la
ventilation, l'installation de portes coupe-feu et la présence en per-
manence d’une équipe de sécurité (pour un coût de fonctionnement
évalué à 2,5 MF par an). L'application de ces mesures est incompa-
tible avec le statut économique de l'édifice et avec l'ouverture de
l’école maternelle. C’est à ce titre que la ville de Rezé devient partie
prenante dans un long débat avec les services de l’État qui, après des
négociations serrées, acceptent, au printemps 1999, des mesures
compatibles avec le maintien du fonctionnement de l’école et avec les
capacités financières de la copropriété : des dispositifs mettent les
accès en sécurité, et un agent de sécurité, avec les qualifications
requises par la réglementation des IGH, est recruté. La ville, qui
dans cette affaire a pris à cœur la défense de la «Maison radieuse »,
obtient que l'accord obtenu soit applicable aux autres unités édifiées
sur le territoire national.

La restauration de la Maison radieuse


La participation de tous les acteurs à la reconnaissance de l’œuvre
se manifeste avec éclat au moment du grand chantier de restau-
ration des façades, conduit de 1995 à 1999. Les interventions sur
l'enveloppe alvéolaire caractéristique du bâtiment sont rendues
nécessaires à la suite de la dégradation des bétons composant la
plupart des éléments préfabriqués, et de la chute dangereuse de frag-
ments. Le maître d'ouvrage est le syndicat des copropriétaires,
représenté par Loire-Atlantique habitations, en tant que syndic.
L'opération s’appuie sur les copropriétaires, sur la conservation
régionale des Monuments historiques, sur l'architecte des bâti-
ments de France et sur les conseils de Robert Rebutato, au nom de
la Fondation Le Corbusier. Dès 1993, les limites de la précédente
restauration (menée en 1985) apparaissent ; les désordres font l’ob-
jet de plusieurs expertises et analyses par des organismes spécia-
lisés qui concluent tous à leur gravité: la corrosion des armatures

— 117—
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

et l'éclatement des bétons sont d'autant plus graves que la plupart


des pièces en question sont suspendues aux voiles séparatifs des
loggias, eux-mêmes suspendus aux refends porteurs ; si les voiles,
peints dès l’origine, sont demeurés en bon état, les autres éléments,
de plus faible épaisseur, sont atteints par les conséquences d’un
enrobage insuffisant des aciers, de la médiocre qualité des mor-
tiers employés et de la carbonatation. On évoque aussi la corro-
sion par les fumées soufrées de la proche centrale thermique de
Cheviré. En 1994, le maître d'ouvrage sollicite le cabinet rennais
Aria pour assurer la maîtrise d'œuvre. Un démontage complet de
la loggia de l’appartement 125 permet de vérifier les dommages. Les
travaux sont décidés en s’accordant sur les critères : «mise en sécu-
rité et pérennité de l’ouvrage, respect de l’œuvre de Le Corbusier » ;
ainsi les partenaires consacrent-ils formellement l’œuvre patri-
moniale.

L'innovation au service d’un Monument historique


La complexité du problème posé, en particulier le respect des épais-
seurs et les conditions de l'intervention en site occupé, imposent de
recourir à des solutions innovantes ; à l’«appel d’offres restreint
performanciel » (marché sur appel d'offres qui permet d'intégrer la
performance technique proposée dans les critères de jugement),
lancé en décembre 1994, cinq entreprises répondent en janvier 1995.
Le choix oscille entre une intervention visant à réparer les dom-
mages et à les prévenir par un procédé de «régénération électro-osmo-
tique des bétons » (proposition Freyssinet), et la solution suggérée
par l’entreprise nantaise Bouyer qui est retenue par les coproprié-
taires le 8 juillet 1995. Elle consiste à découper et déposer les pièces
préfabriquées existantes (environ deux mille cinq cents), à les rem-
placer par des pièces identiques en micro-béton à hautes perfor-
mances et armatures en acier galvanisé, soit l'association originale
de techniques de pointe avec des procédés artisanaux. Dix pour cent
des claustras sont refaits à l'identique, à partir d’un moule en bois

— 118—
L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

unique. La fabrication est organisée dans un atelier installé sur le


site. Les parties restées en place, les voiles séparatifs, les acrotères,
les panneaux des murs aveugles et les pilotis font l’objet de répa-
rations ponctuelles, la plupart sous la forme du colmatage des fis-
sures à la résine.
Pour Loire-Atlantique habitations, le financement de cette inter-
vention lourde (50000 heures de travail) pose un problème particuliè-
rement difficile:le budget total de 26,6 MF dépasse de beaucoup les
capacités de financement de la co-propriété, et impose d’obtenir des
concours extérieurs. Ces sollicitations aboutissent :le FEDER (Fonds
européen pour le développement régional), l'État (au titre des Monuments
historiques), la région, le département et la ville subventionnent à 50%
l'opération, dont le financement devra cependant être étalé sur quatre
exercices budgétaires. La charge pour un copropriétaire, après subven-
tion, reste lourde (environ 48 000 F pour un type E).
Le chantier s'ouvre en juillet 1996 ; une puissante plate-forme pl. XII-p. 162

élévatrice bi-mâts (haute de 53 m, large de 18 m) est mise en place.


Pour les habitants, les bruits et la poussière sont au rendez-vous :
ils résultent de la déconstruction des éléments de béton par hydro-
découpage, technique que complète l’usage d’une nouvelle pince à
béton portative. Pour la fabrication des nouveaux éléments, l’en-
treprise et le maître d'œuvre, sous l’impulsion de l'architecte des
bâtiments de France, M. Congar, ont la volonté de pousser l’analo-
gie avec les composants initiaux; ce qui les conduit à identifier et
consulter la main-d'œuvre du chantier de 1953, à retrouver les agré-
gats des parements extérieurs en réouvrant un filon abandonné
dans la carrière de Bouguenais, à contrôler la répartition aléatoire
des coloris des minéraux. Le résultat est à la hauteur des efforts:
l'édifice sort de l’opération remis à neuf, avec une probabilité de
pérennité très supérieure à l’état initial. Après la fin du chantier,
la remise en état des pelouses, au printemps 1999, parachève cette
intervention exemplaire, qui a permis de concilier une restauration
exigeante avec les limites économiques imposées par la gestion de
l'habitat social.

— 119—
L'UNITÉ D’HABITATION DE REZÉ

Épilogue
Au contraire de ce que suggère la chronologie des travaux, l'unité de
Rezé, si elle est édifiée au lendemain de la mise en service de
Marseille, n’est en rien la réplique d’un édifice existant. Elle est déci-
dée en 1948 - les travaux de Marseille débutent à peine, à la faveur
d’une opportunité politique, Claudius-Petit devenu ministre — avec
des objectifs et des attendus inédits et spécifiques, puisqu'ils expri-
ment de façon authentique la volonté d'hommes déjà acteurs du
mouvement social :améliorer le logement des travailleurs, à l’inté-
rieur des normes définies par l'administration, pour démontrer et faire
date ;pour ces militants, si l’action est locale, une volonté démons-
trative plus large, capable de s'imposer au mouvement social dans
son ensemble, prédomine. Leur démarche veut conjuguer efficacité
et exemplarité.
Dans la suite des unités d'habitation de Le Corbusier, ce projet
d’une architecture produite par les forces du mouvement social reste
unique. Dans tous les autres cas, construits ou non, les initiatives pro-
viennent des politiques. Il n'empêche que les appuis que donne
Claudius-Petit à l’opération, du début jusqu’à la fin, sont décisifs.
Son destin est aussi unique par les oppositions qui se sont dressées
pour empêcher, dans un climat de polémique sans précédent, la
démonstration que se proposent d'opérer des militants, à partir d’une
petite structure locale ; dans l’organisation de la campagne de presse,
tout se passe comme si les adversaires mobilisent l'opposition natio-
nale à Le Corbusier pour interdire des objectifs qui sont ceux du
réformisme social.
À Rezé, en raison de la qualité du projet social et culturel,
l'épreuve du temps est particulière, puisque le statut des coopérateurs-
locataires, même si la législation l’efface formellement, fixe une
empreinte résistante. Cette mémoire de l’objectif initial fonde une cul-
ture spécifique, à la fois chez les habitants et chez les gestionnaires,
d’où le rôle continu de l’association des habitants de la Maison
radieuse dans l’histoire du lieu. Cette culture, difficilement com-

— 120—
L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

municable sans l’expérience — ou la référence, pour les plus jeunes


— du contexte des années 1950, inspire encore la problématique de
la réhabilitation respectueuse conduite par les gestionnaires et leurs
interprètes entre 1987 et 1989, et donne une base forte à cette prise
de conscience de l’œuvre, qui se renforce et s'étend, malgré les condi-
tions contraignantes, à l’occasion de la restauration de 1995-1999.
L'obstacle du coût très élevé de cette restauration, techniquement
exemplaire, a été surmonté grâce à la capacité de persuasion de la
société Loire-Atlantique habitations vis-à-vis de ses partenaires
locaux et régionaux.
Dans la dernière période, le renouvellement des acteurs, que ce
soit dans l'appareil municipal, dans l’équipe du gestionnaire ou dans
le bureau de l'association, n’affaiblit pas la prise de conscience d’une
responsabilité à l’égard et de la communauté des habitants et de
l’œuvre. En effet, en 1999, le nouveau maire de Rezé, Gilles Retière,
demande le classement de l'édifice, tandis que l’actuelle présidente
de l'association, une jeune femme, Marilyne Monnier, lance la publi-
cation d’une nouvelle série pour le bulletin, Ici Corbu. Faite d’une
constante connivence, chez les habitants, la recherche interne d’un
«savoir-habiter », en croisant les attentions des acteurs externes,
plutôt fixées sur l’œuvre, a produit une «réception active», qui consti-
tue une authentique originalité culturelle locale.

— 121—
L'UNITÉ D'HABITATION DE REZÉ

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Le relief du Modulor, au rez-de-chaussée de l’unité de Rezé. Disposé dans l’axe


de la passerelle qui franchit la pièce d’eau (voir la planche couleur IX), la présentation
de ces reliefs en creux associe de façon poétique la géométrie de l’angle droit, l’image
de l’homme et les formes organiques. C’est un des aspects les plus attachants
de Le Corbusier, qui affirme dans toutes les conditions sa volonté d'artiste :
laisser ouverte la lecture de l’œuvre.

— 122—
L'UNITÉ D’'HABITATION DE REZÉ

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L'élévation de l’unité de Rezé, vue du sud-est, vers 1970. En raison d’une structure
simplifiée, l'étage technique disparaît, et avec lui tout l'effet du sol artificiel.
Les pilotis sont deux fois plus nombreux, mais leur minceur, celle de simples voiles
de béton alternés, atténue la figure du portique monumental. Depuis le travail des
photographes sur l’école maternelle de Marseille, qui enchanta Le Corbusier,
l’image des enfants est un des lieux communs du reportage sur les unités.
Mais ici, elle prend un sens particulier, en raison de la proximité des responsables
de l’organisme constructeur, la Maison familiale, avec la Caisse d'allocations familiales
de Loire-Atlantique. Ne perdons pas de vue que la période est celle du baby-boom.

— 123—
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Chapitre IV

L'UNITÉ D’'HABITATION
DE BRIEY-EN-FORÊT

onjon isolé dominant la forêt, vision insolite dans les vues à


grande distance, plantée dans les bois de Napatan, l'unité
de Briey, une fois inscrite dans le processus de l'approche, pl. XVI-p. 162
perd son étrangeté. À proximité, plusieurs équipements, l'hôpital, un
lycée, qui font un quartier, au dessin un peu lâche. L'édifice revient
de loin : il est la seule unité à connaître l'épreuve de la fermeture com-
plète et de l'absence totale des habitants. Cet épisode se prolonge cinq
années durant, et la tension culmine au moment de la célébration du
centenaire de Le Corbusier. Depuis 1987, et grâce à la pugnacité de
quelques-uns, dont le maire de Briey, le sauvetage de l’unité, avec des
solutions durables, est acquis.

Dans les années 1950, l'arrondissement de Briey connaît le plein


emploi ;les mines de fer et les entreprises sidérurgiques sont le
moteur d’une croissance forte. La construction de nouvelles usines
attire une nombreuse main-d'œuvre de techniciens qualifiés et de
cadres qui, en raison de la durée des chantiers, souhaitent mener sur
place leur vie de famille. Cette importante population flottante, bien
rémunérée, qui s’ajoute à la population de souche et aux jeunes
ménages, crée une tension très vive sur le marché du logement loca-
tif, en particulier à Briey même, petite sous-préfecture de cinq mille
habitants. C’est pour venir à bout de cette tension que naît en mars

— 125—
L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

1953 entre Le Corbusier, Georges-Henri Pingusson et André


Wogenscky, l’idée d’une cité radieuse, qui réglerait la question du
logement à Briey en apportant quatre cents logements d’un coup.

Un produit de la prospérité.
Le promoteur de cette idée lumineuse est un ex-secrétaire d'État au
Travail du gouvernement de Léon Blum, Philippe Serre, ancien député
de Briey et conseiller général, qui a commencé sa carrière politique
contre François de Wendel aux législatives de 1932, dans la circons-
cription de Briey, sous la bannière du mouvement Jeune République,
où il côtoie, parmi les militants parisiens, Eugène Petit, le futur
Claudius-Petit (B. Pouvreau, 1999). Est-ce à celui-ci que Serre doit
d’être devenu un fervent des idées nouvelles de Le Corbusier ? Fervent
— il sera un des premiers locataires de l'unité de Briey — et déterminé:
dès février 1954, il discute l’intention initiale de Le Corbusier de
construire une unité plus grande qu’à Nantes, et demande une réplique
à Briey de la construction de Rezé. Après la visite qu’il effectue dans
cette ville à la fin de 1954, Philippe Serre convainc ses amis de l’as-
semblée départementale de soutenir un projet présenté par un office
public intercommunal d'HLM, créé en 1951, réunissant quarante-trois
communes de l'arrondissement, et dont le directeur est J.-J. Grumbach.
Ce projet est appuyé par le maire de Briey, un ami de Philippe Serre,
le docteur Pierre Giry. Ce dernier accueille, le 15 septembre 1955,
Le Corbusier devant le conseil municipal, d’abord réticent devant ce
choix qui paraît un choix personnel du maire. Le Corbusier, fort de
l'achèvement et de l'inauguration toute récente de l’unité de Rezé, n’a
pas de mal à emporter l'adhésion de son auditoire.
La prospérité de la commune, assurée par les redevances des
sociétés minières et industrielles, permet d'engager l'opération. Le
site choisi, après l'accord de la direction des Mines, s'inscrit dans le
plan d'urbanisme confié depuis 1953 à Georges-Henri Pingusson,
qui, par opposition à Briey-le-Vieux, définit le nouveau quartier de
Briey-en-Forêt, avec ses équipements, comme la zone d’extension de

— 126—
L'UNITÉ D’HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

l’agglomération. L’ambitieux «programme de Briey-en-Forêt», arrêté


le 25 novembre 1955 par Serre, Pingusson, Grumbach et Wogenscky,
exprime assez bien la dimension euphorique du programme. Aux
habitations, confiées à Le Corbusier (trois cent cinquante-et-un
appartements) et à Pingusson (deux cents appartements), s’ajou-
tent non seulement un groupe scolaire, mais aussi des magasins,
des équipements de loisirs, un restaurant de luxe «sur le toit-ter-
rasse », un Café-restaurant, un cinéma-théâtre, un terrain de sport,
une «maison de jeunes et de la culture», une église;des chambres
d'hôtel sont enfin prévues dans l’unité d'habitation.
En réalité, depuis 1954, les zones d’indécision entre les parte-
naires, sources de difficultés ultérieures, se sont multipliées :aux
discussions sur la taille de l’unité succèdent celles sur les services
communs, que Le Corbusier affirme indispensables en décembre
1954. Curieusement, il ne met pas en avant, à ce moment-là, la ques-
tion d’une école intégrée à l’unité. Après le rapport favorable pré-
senté au comité supérieur d'hygiène du 14 mai 1956, à la suite de la
visite de l’unité de Rezé, le projet bénéficie, comme les autres unités,
de lexemption de permis de construire, accordée par arrêté minis-
tériel le 7 juin 1956. Mais les délais mis par lOPHLM (Office public
d'habitations à loyer modéré) pour préparer les contrats retardent
la présentation du dossier d'appel d'offres. Le contrat principal, signé
le 1° février 1957, désigne Le Corbusier comme architecte chef de
groupe et André Wogenscky comme architecte d'opération ; un autre
contrat confie les calculs techniques au bureau d’études Séchaud et
Metz, déjà sollicité pour l’unité de Rezé.

… et aussi un produit dérivé


Après avoir à nouveau tenté d'intégrer une structure primaire métal-
lique au projet, Le Corbusier se contente de suivre les solutions mises
au point pour l'unité de Rezé, dont il reprend l'épaisseur limitée (à
17 m plus les loggias), les voiles porteurs en béton et les pilotis. Bien
que Wogenscky affirme le 5 octobre 1956, à l’attention de l'OPHLM,

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L'UNITÉ D’HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

et pour justifier l'importance du travail de l’agence, avant même que


ne soit signé le contrat, que «pas un seul des plans (de Nantes-Rezé)
n’est utilisable pour Briey » (FLC M2.18.21.36), la solution technique,
envisagée par le bureau d’études Séchaud et Metz, est à ce point proche
de la construction de Rezé que plusieurs dessins du projet sont, pour
l'appel d'offres, repris de son dossier (lettre de Séchaud et Metz à
Wogenscky le 28 novembre 1956, FLC M2.18.109) ; une liste des neuf
plans de Rezé réutilisables est même fournie (FLC M2.18.112).
Il est remarquable aussi que, dans le même temps, Wogenscky
sollicite par lettre une entreprise de construction métallique (Estiot,
à Dijon), en lui proposant de «façon confidentielle » d'étudier, sans
attendre l’appel d'offres, une réalisation «en construction métal-
lique » de l’unité projetée à Briey (lettre du 29 septembre 1956).
Démarche symptomatique d’une anticipation des tensions qui vont
naître à propos des coûts du projet, cette requête signale à nou-
veau la préoccupation récurrente du changement de principe
constructif.

La phase des études ou le dépassement des coûts


Conduit depuis le début par André Wogenscky, le projet rencontre plu-
sieurs obstacles. Les plans des cellules doivent, pour se rapprocher
des normes HLM, être revus à la baisse, sur injonction du minis-
tère ; un premier appel d'offres en juillet 1957 conduit à des envolées
de prix qui dépassent de beaucoup les crédits alloués. Wogenscky
alors cherche la solution en modifiant les escaliers de secours, au
nord et au sud, pour augmenter le nombre des appartements dans
le même volume construit. Pour le second appel d'offres, examiné le
24 octobre 1957, il demande aux entreprises consultées d'établir des
prix en tenant compte d’une variante, avec un nombre d’apparte-
ments plus élevé, trois cent trente-neuf au lieu des trois cent vingt-
et-un prévus dans l’avant-projet (contre deux cent quatre-vingt
quatorze à Rezé), soit 5 % d'appartements en plus. La répartition
des appartements est la suivante (FLC M2.13.45):

— 128—
L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

Type Appartement Variante


Type I 51
Type II 49 +9
Type IV 216 + 4
Type VI 5 +5
Total 321 + 18 soit 339

Au terme de l'appel d'offres d’octobre 1957, les entreprises sont


désignées. Plusieurs ont déjà été actives sur le chantier de Rezé: la
CEEMTP est, comme à Rezé, chargée du gros œuvre et nommée
entreprise pilote ; on trouve de même, pour les menuiseries, l’entre-
prise Barberis (présente à Marseille et à Rezé), pour les ascenseurs
Otis, pour la vitrerie la société Alazard, pour le chauffage Missenard-
Quint, toutes déjà présentes à Rezé.
Dans les descriptifs fournis par les entreprises, on note une sen-
sible réduction des prestations techniques. L'isolation transversale
disparaît. Les dalles flottantes des planchers, et les matelas isolants
qui s’y rapportaient, sont remplacés par des dalles pleines de 0,13 m
d'épaisseur. Si l’on maintient les «tours de fixation » (ascenseurs et
tour sud), qui, comme à Rezé, déterminent le contreventement des
deux blocs distincts, ceux-ci sont construits par le nouveau procédé
du coffrage glissant, plus économique en main-d'œuvre. Les proposi-
tions s'élèvent tout de même, pour trois cent trente-neuf apparte-
ments, au prix total de 820575 427 FE alors que le crédit construction
est de 822 750 238 F Dans le dossier de l’avant-projet, en décembre 1956,
le prix total des travaux était de 713 600 775 F ; si la plupart des entre-
prises ont fait des devis inférieurs à l'estimation de 1956, pour le gros
œuvre, au contraire, on passe d’une enveloppe de 324000 000 F à
451 000 000 F soit plus de 40% en sus!

Des négociations compliquées avec le pouvoir politique


Que se passe-t-il alors?Rien, d’abord... Plus d’un an s'écoule encore
avant le début des travaux. À l’approche des élections municipales
du 8 mars 1959, le chef de file de la liste d'opposition, le docteur

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L'UNITÉ D’'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

Hubert Martin, écrit à Le Corbusier que la présence de celui-ci à la


cérémonie de pose de la première pierre, le 4 mars, signifiera son
appui, sur ce sujet, à la municipalité sortante (FLC M2.20.39) ;la
réponse hautaine de l'architecte n’annonce guère des rapports favo-
rables avec le nouveau conseil. Devenu maire, le docteur Martin
obtient que son prédécesseur, le docteur Giry, représente la ville et
préside l'OPHLM, «la mission actuelle de cet office [étant] l’achè-
vement de l'immeuble Le Corbusier» (lettre du 8 octobre 1959, FLC
M2.20.75). Après la dissolution du précédent office le 20 janvier
1959, et avec comme tâche principale la construction de l’unité, un
nouvel OPHLM, plus restreint, créé par arrêtés préfectoraux en
mai et décembre 1959, réunit en effet Briey à huit communes voi-
sines, sous la présidence du docteur Giry.
L'école maternelle implicitement prévue sur le toit, comme à
Rezé, est l’occasion de difficultés. Bien que le docteur Giry souhaite
une école maternelle propre à la population de l’unité, le nouveau
conseil municipal décide le 20 mai 1959, en cours de chantier, que pour
répondre aux besoins du nouveau quartier, cette école doit compor-
ter six classes. Le Corbusier demande alors l'avis de Mme Ougier, lins-
titutrice de l’unité de Marseille :«Pourquoi six classes? Quelles
sortes de classes [...] ? Soyez assez gentille pour me faire une pro-
position schématique de la disposition des locaux » (lettre du 3 juillet
1959, FLC M2.14.256). Le projet, ramené à quatre classes, est étu-.
dié au printemps 1960 par l'agence, assistée, pour élaborer la cou-
verture, par le bureau d’études Présenté ; le dispositif constructif du
toit-terrasse est adapté pour recevoir la nouvelle superstructure et
Le Corbusier parvient à obtenir que Wogenscky — malgré ses vives
réticences — prenne la responsabilité de cette opération supplé-
mentaire. Mais l’équipe municipale décide finalement, le 25 avril
1960, d'annuler ce projet. |
Le docteur Giry propose alors de substituer à la maternelle un
restaurant, dont l'étude est confiée à nouveau à Wogenscky, qui
donne son accord au maître d'ouvrage le 30 septembre 1960, toujours
sous la pression de Le Corbusier, lequel compte sur son «amicale per-

— 130—
L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

sévérance pour finir le travail » (FLC M2.12.94). En définitive, l’école


sera construite au sol et le projet de restaurant abandonné à son tour.
Ces péripéties programmatiques ne font qu’accuser les heurts qui
règnent depuis le début entre les acteurs de l'opération.

Du chantier à l'inauguration, encore une suite de tracas


Pour le marché des travaux, l’appel d'offres est lancé par lots sépa-
rés, au début de 1957; le jury du concours se réunit le 3 juillet. Le 4
mars 1959, la pose de la première pierre, en présence de Le Corbusier,
ouvre le chantier qui s’étend sur vingt-trois mois et sera dans la
pratique suivi par André Wogenscky, confronté jusqu’au bout aux
limites d’un budget vraiment étriqué. La situation conduit à des
affrontements, comme celui de novembre 1959 lorsque Philippe
Serre, fort de sa visite de Rezé, lui demande de transformer le vitrage
du séjour et d'installer dans la chambre des parents un ouvrant sur
toute la hauteur. Cette démarche impose un garde-corps non prévu
et entraîne des suppléments qu'aucun avenant ne permet de finan-
cer. Notons ici que cette intervention du politique est résolument
extérieure à la maîtrise d'ouvrage.
Les premiers locataires s'installent dans l’unité le 26 janvier
1961. France-soir, dans son numéro du 31 janvier, donne le ton
enthousiaste de la réception initiale : «Hier deux pièces pour onze
personnes — un taudis sans eau — aujourd’hui huit pièces dans
cette cité radieuse ». Le maire de Briey, pourtant non-initiateur du
projet, accueille les nouveaux habitants par une lettre personnelle.
Au début de 1962, les trois cent trente-neuf appartements sont
occupés et il subsiste trois cents demandes en attente. Mais il y a
le revers de la médaille, et la campagne de dénigrement de l’unité
naît avec elle, se nourrissant des rivalités des communes voisines,
handicapées par le poids de cette opération qui leur ferme l’accès
aux subsides des HLM ; on impute rapidement la petite délinquance
à la cité radieuse, puis toutes sortes de délits. Le nouveau maire n’hé-
site pas à mentionner, dès octobre 1959, bien avant l’ouverture de

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L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

l'unité «les inconvénients dramatiques des grands ensembles, résul-


tant de la concentration verticale, qui posent des problèmes com-
parables à ceux des taudis, spécialement en matière d'éducation
(enfance inadaptée, délinquance juvénile)». Plus tard, et avec le
recul, un journal local pourra écrire : «La rumeur a eu la peau de
l'envie d’habiter » (L'Est républicain, 7 octobre 1985).

L'impact de la crise du Bassin lorrain


Dans un premier temps, les attributions réunissent dans l’unité des
couches socioprofessionnelles variées ;aux travailleurs de l’indus-
trie se joignent des cadres et des employés du secteur tertiaire, des
fonctionnaires, des professeurs, des magistrats, un élu (Philippe
Serre) et Guy Vattier, le futur maire (qui y réside trois ans). Huit
nationalités en 1961 sont identifiées dans la population, qui se répar-
tit en 69,3% de Français, 25,5% d’Italiens et 5,2% pour le reste:
Hongrois, Yougoslaves, Irlandais, Espagnols, Polonais et Suisses (on
notera qu’en 1961, un an avant l’indépendance de l'Algérie, les sta-
tistiques ne peuvent identifier les Algériens).
Peu de temps après la mise en service de l’unité, les premiers
effets de la crise de l’industrie lourde en Lorraine apparaissent. Dans
les mines de fer, le licenciement des effectifs débute en 1963, puis se
répand dans les exploitations du minerai, enfin dans les cokeries. Pour
une partie, la population venue trouver du travail dans le bassin le
quitte, et la décrue des locataires de l’unité de Briey commence.
Après le départ de la France de l'OTAN en 1966, soixante apparte-
ments occupés par des militaires américains et leurs familles devien-
nent vacants d’un coup. Les attributions prononcées alors par l'office,
dit-on, se font sur des critères moins stricts, avec pour effets la dégra-
dation des espaces communs et l'augmentation du nombre des loyers
impayés. Dès 1964, la gestion de l'office intercommunal d'HLM attire
les critiques de la Cour des comptes, qui en 1967 constate le désé-
quilibre de son budget, en raison de plusieurs handicaps :«Le coût
élevé de la cité radieuse de Briey, les malfaçons qui ont été relevées

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L'UNITÉ D’HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

et qui n’ont toujours pas été réparées depuis 1962, la désaffection des
locataires ».
Le 15 décembre 1967, lOPHLM de Meurthe-et-Moselle, à la
suite de pressions de l’État et des collectivités locales, prend le relais
de lOPHLM de Briey et devient le gestionnaire de l'unité, vraisem-
blablement sans un enthousiasme excessif chez ses dirigeants. Le pro-
jet de l’ouverture en 1965 d’un centre commercial sur le site échoue.
Dès 1971, l’amicale des locataires, qui réclame des interventions
plus actives de la mairie, lance ses premiers cris d'alarme : «Briey-
en-Forêt veut vivre ! » Présenté par un jeune conseiller municipal, Guy
Vattier, le projet d’un ambitieux centre socioculturel est adopté par
le conseil municipal en novembre 1972, mais non réalisé; soixante
appartements demeurent vacants. La machine à disqualifier l’unité
est en route: les équipements sociaux éducatifs et les commerces
sont demeurés absents, tandis que pèse une «gestion paresseuse »,
comme l'écrit alors Wogenscky, puisqu'elle écarte par le surloyer les
ménages aisés.

L'inexorable engrenage de l'échec


Les effets démographiques de la crise de la sidérurgie, à partir de
1973, deviennent sévères : si le département de Meurthe-et-Moselle,
en dix ans, perd six mille habitants, le «pays haut», c’est-à-dire le
bassin minier et sidérurgique, qui chevauche la Moselle et la Meurthe-
et-Moselle, en perd dix-huit mille, soit 9% de sa population totale.
Dans l'unité de Briey, le nombre des appartements vacants devient
alarmant, et la spirale de l’appauvrissement, complété par les dégra-
dations, s’installe. De cent trente logements vacants au 31 décembre
1979, on passe dix-huit mois plus tard à cent soixante-et-un, avec 60 %
d’impayés pour les appartements encore occupés, puis à deux cents
en octobre 1982. À partir de 1980, l'entretien est pratiquement sus-
pendu. Le conseil d'administration de lOPHLM de Meurthe-et-
Moselle décide le 3 octobre 1981 «la désaffectation de la cité radieuse
de Briey». En janvier 1982, un rapport de l'office public

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L’UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

d'aménagement et de construction (OPAC) conclut à la nécessité


d’un choix entre une réhabilitation compensée par des hausses de
loyer, ou la fermeture - alternative que dénonce le syndicat des loca-
taires. Après la prise de position du conseil municipal, favorable à une
réhabilitation avec prise en compte du coût par l'État, le docteur
Martin, sénateur-maire de Briey, est reçu par le ministre du logement,
Roger Quilliot. LOPAC de Meurthe-et-Moselle demande la partici-
pation du département au déficit que représente la gestion de l’unité
de Briey. Le 26 avril 1983, les administrateurs de l'OPAC décident
de fermer l'unité. En juillet, au sein même de l’équipe municipale,
découragée par l'absence de réponse des différents ministères appe-
lés à l’aide, la fermeture est envisagée comme une étape nécessaire,
«en attendant de trouver un nouveau destin » (G. Vattier, adjoint au
maire). Dans les mois qui suivent, les derniers locataires, soit cent
quarante-quatre familles, sont relogés, pour la plupart, par les soins
d’une commission mixte mise en place par le sous-préfet. En juillet
1984, les entrées sont murées.

Briey, automne 1983.


Il fait froid et brumeux en cette mi-novembre. La cité qui se voulut radieuse
émerge, sinistre, du carré de pré que lui tailla Le Corbusier dans la forêt
lorraine et qui est aujourd’hui semé de détritus épars ; la maigre bise qui
pénètre le brouillard disperse les vieux journaux parmi les immondices de
«l’espace vert» : ustensiles ménagers jetés du dix-huitième étage, éplu-
chures, serviettes hygiéniques. Il reste peu de voitures au parking, une
douzaine tout au plus, vieilles et pauvres. Le magasin Coop a fermé; le
hall est en ruines, ses vitres cassées ou grises de crasse. S'il n’y a plus sur
la façade, depuis qu’on a installé une antenne collective de télévision, ce héris-
sement métallique d'autrefois, du linge pend encore à quelques balcons.
La boutique du rez-de-chaussée, désertée par son propriétaire, Monsieur
Boni, vers la fin de été, offre aux regards ses planches arrachées ; des néons
déchaussés y diffusent une lumière blême [...] Partout des inscriptions:
amoureuses, obscènes ou simplement punks, et aussi d’extraordinaires
lettres d’adieu («la cité super baraque», «folle de cité», «la cité est un
des meilleurs monuments historiques », et encore : «pourquoi s’aimer
alors qu'ont n’est fait pour se séparé» ; ou bien ailleurs, plus prosaïque:
«la cité vous dit merde»). Et ce long texte sur un des pilotis : «Adieu ma

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L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

cité radieuse, et pourquoi que quand on aime quelqu'un, il faut toujours


qu'il nous quitte. Adieu ma cité, adieu ;mais je t’aimé;adieu !je ne t’ou-
blierais pas».
François CHASLIN, « Marseille, Rezé, Briey et Firminy.… » 1983.

Une sculpture éplorée


L'unité d'habitation de Marseille sera une provocation :quand on prêche
la standardisation et la production industrielle du bâti, ces constructions
à l'échelle colossale, immenses sculptures (à vocation monumentale plus
encore qu’architecturale), apparaissent comme un refus drastique des
exigences de la production de série. Elles sont individuelles et, avant tout,
plastiques — geste orgueilleux de sculpteur qui impose le lieu et la forme,
mais ne se soucie plus du tout, en revanche, de l'utilité de son œuvre —
au point qu’on se demande aujourd’hui si le meilleur usage qu’on pour-
rait faire de l’unité d'habitation de Briey, désertée par ses habitants, ne
serait pas de la transformer en une ruine monumentale, dont la carcasse,
ouverte à tous vents, aurait cette grandeur poétique que seuls les châteaux
médiévaux, dans leur démesure, ont pu conquérir autrefois.

François LOYER, «Le destin ambigu d’un opposant», Le Figaro, 5 novembre 1987, p. 39.

Un auteur anonyme, après avoir rappelé la fermeture complète


dix ans auparavant de l’unité d'habitation de Briey, évoque «cet
improbable brise-glace égaré dans le Bassin lorrain » (Paris Match,
n° 2411, 10 août 1995).
Les manifestations de résistance n’ont cependant pas manqué:
dès le printemps 1982, et à la demande de la directrice de la Maisons
des jeunes et de la culture (MJC) de Briey, Mme Colas, Joseph Abram,
professeur à l’école d'architecture de Nancy, collabore avec le syndicat
des locataires de l’unité; fort des analyses méthodiques qu’il mène
depuis 1979 à Nancy pour montrer que la désuétude du grand ensemble
du Haut-du-Lièvre n’est pas fatale, Joseph Abram ouvre en octobre un
atelier de projet consacré à la reconquête de l’unité de Briey. Malgré
l'hostilité de la municipalité et de l'OPAC, la MJC expose en mai 1983
les projets des élèves de l’école d'architecture de Nancy, invite Wogenscky
à prononcer une conférence le 18 mai, qui conforte la pugnacité des
défenseurs de l'unité, regroupés dans une association de défense.

— 135—
L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

Un sauvetage problématique
La période qui suit débute dans la confusion. Entre l’'OPAC, pro-
priétaire de l'édifice, et les défenseurs de l'avenir de l’unité, avec
à leur tête le nouveau maire de Briey, Guy Vattier, élu en 1984,
partisan convaincu d’un sauvetage, le conflit est réel. Il est marqué
par une vive guerre de communiqués, relayés par la presse régio-
nale, qui rend compte avec objectivité de l'affaire : sous la plume de
J. Heller, Le Républicain lorrain consacre une série à l’affaire («Vie
et mort d’un rêve», 27 juillet-7 août 1987). Bien des attendus de ce
conflit devront un jour être éclaircis ; quel rôle y joue l’opposition
endémique entre le chef-lieu, Nancy, et le «haut pays» de Briey?
Quels sont les enjeux électoraux?
Les démarches que Guy Vattier avait conduites en avril 1984
pour recenser les besoins immobiliers des entreprises ou adminis-
trations décentralisées, dans le cadre du «Plan acier » défini par le
gouvernement de Laurent Fabius, étaient restées vaines. Il en découle
que les solutions doivent être trouvées sur place; l'installation des
services de la Sécurité sociale minière, en pleine restructuration,
est proposée, mais sans résultat. En juin 1985, une première étude
de réhabilitation, conduite par l'OPAC, reste sans suite, malgré l’ap-
pui que lui donne le maire de Briey.
Celui-ci prend alors l'initiative, et des négociations s’enga-
gent pour l’achat d’une partie de l’unité par l’hôpital Maillot, dont
le maire de Briey préside le conseil d'administration ; l'OPAC fixe
à 3 MF la vente de 7500 m2. Le 12 février 1986, le conseil d’ad-
ministration de l’hôpital Maillot propose d'acquérir un tiers des
appartements de l’unité afin d’y installer une école d’infirmières
et des logements de fonction pour le personnel de l’hôpital.
L'arrêté autorisant la cession est signé par le préfet le 18 novembre.
Mais l'OPAC, en ne signant pas l’acte de vente, bloque les travaux
qui ne peuvent commencer ; le 17 mars 1987; le directeur de l’hô-
pital, Bernard Schmitt, indique que l’urgence des travaux d’ex-
tension pourrait le conduire à chercher ailleurs la solution.

— 136—
L’UNITÉ D’'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

Le lendemain, le maire dénonce devant le conseil municipal ce


qui lui semble relever d’un «complot des élus socialistes et com-
munistes », lesquels ne saisiront pas de la question de l’unité le
Premier ministre, Jacques Chirac, à l’occasion de sa venue immi- |
nente en Lorraine.

L'extension de la controverse

Dans les jours suivants, la polémique s’installe, le maire parle de


scandale, dénonce l’'OPAC, «qui n’a pas eu dans cette affaire le
souci d’une bonne gestion des deniers publics », et en tant que pré-
sident du conseil d'administration de l’hôpital, fixe au 30 avril
1987 la date limite de transaction. Le 6 avril, l'OPAC propose à la
ville de Briey, en échange d’une vente, au prix symbolique de 1 F,
de reprendre à son compte le solde débiteur qui s'élève à 13 MF.
Le sénateur et président du conseil général, Claude Huriel,
convoque, de son côté, une réunion de travail le 13 avril, tandis que
Guy Vattier annonce une conférence de presse à Paris le 22 avril,
habilement prévue à la Fondation Le Corbusier, car l’année du
centenaire de l'architecte met en porte-à-faux le ministre de l’É-
quipement, Pierre Méhaïgnerie, autorité de tutelle de POPAC, non
avare par ailleurs de bonnes paroles sur la commémoration du
grand homme.
Guy Vattier dénonce la «manœuvre dilatoire» de l'office et
«se fait fort de faire de la réouverture de la cité radieuse une affaire
nationale ». La réunion du 13 avril débouche sur une diversion : en
affirmant ne pouvoir vendre que si une dérogation est accordée
par le ministre, l'OPAC contribue également, à sa façon, à dépla-
cer la décision à Paris. Revirement sans doute significatif de l’opi-
nion, un comité de défense de l’unité se manifeste à Briey;
rassemblant des anciens habitants, il interpelle les élus de lar-
rondissement, représentants du maire et édiles de gauche com-
pris ;tous prennent leur distance avec l’'OPAC et appuient les
projets de la ville de Briey.

— 137—
L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

La «bataille de Briey » se gagne à Paris


Le 22 avril 1987 à Paris, la conférence de presse de Guy Vattier se
tient à l'hôtel Lutétia (et non à la Fondation Le Corbusier). Claudius-
Petit, Philippe Serre, Jean Jenger, président de la Fondation
Le Corbusier, et André Wogenscky sont présents pour lui manifes-
ter leur soutien. Le maire de Briey dénonce l’inertie suspecte de
l'OPAC, montre les possibilités de la réhabilitation et fait partager
son émotion «devant ce grand vaisseau ensablé, échoué par la faute
de naufrageurs » ; au nom de ses souvenirs d’ancien habitant, il veut
faire revenir la vie dans la cité, et dit sa tristesse et sa colère:
«Tristesse devant le spectacle de ces seuls oiseaux qui trouvent
refuge sur ses balcons. Colère devant le crime contre l’intelligence que
constitue la situation actuelle [...]. Tous les habitants de notre bas-
sin de Briey, tous les élus, ne souhaitent pas voir se renouveler là le
scandale de La Villette [...]. Que jamais on ne lise dans les livres
d'histoire de l’art: Le Corbusier né en 1887, assassiné à Briey en
1987 ». La formule fait mouche : elle est reprise par la presse qui en
fait ses titres (Le Républicain lorrain, 23 avril 1987).
Le résultat ne se fait pas attendre : à Metz, le 24 avril, Pierre
Méhaignerie, ministre de l'Équipement, annonce au président du
conseil général qu’il accorde la dérogation souhaitée. Il faut attendre
la réunion du conseil de l'OPAC, le 24 juin, pour que la position du
ministre apparaisse dans toute son étendue : c’est en effet la tota-
lité de l’unité qui est cédée à l’hôpital Maillot, pour le franc sym-
bolique, et sans contrepartie. Celui-ci accepte le 30 juin (l'acte de
vente est signé dès juillet). La bataille de Briey se termine par une
éclatante victoire, et par un succès personnel incontestable pour
Guy Vattier, qui reconnaîtra plus tard avoir mis dans le conflit une
part de lui-même (J.-Y. Andrieux et Frédéric Seitz, 1998). Mais
comme la mer qui découvre les brisants en se retirant, la tension
révèle l'intensité des passions qui avaient pour objet le destin de la
cité radieuse : dans les jours qui suivent l’annonce de la décision
du ministre, un commando armé de tronçonneuses pénètre dans

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L'UNITÉ D’HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

l'unité, saccage les cages d’escalier et cent cinquante appartements.


La police ne démasquera jamais les coupables. Pour sa part, l'OPAC,
avec un rare sens de l'opportunité, procède en juillet 1987, auprès
des anciens locataires, à un rappel de charges des exercices allant
de 1981 à 1984.

La réhabilitation
Les travaux de réhabilitation d’un tiers de l'unité, conduits par l’hô-
pital Maillot, sont adjugés en juillet; ils débutent en août, sur un
projet étudié par les architectes Rauzier et Boos, de Saint-Avold. Ils
ont pour objet de réaliser l’école d’infirmières et les locaux de l’internat
dans l'aile nord. L'école d’infirmières occupe les niveaux 1, 2 et 3,
les soixante studios les niveaux 4, 5 et 6; quatre appartements de fonc-
tion sont prévus dans la 4° rue. Bernard Schmitt, directeur du centre
hospitalier général Maillot, précise à cette occasion que son établis-
sement ne se substituera pas aux investisseurs privés pour le reste
de la réhabilitation, ce qui suppose la vente des deux tiers de l’unité.
Dans les étages, pour permettre l’agrandissement des locaux par
l'ouverture des murs séparatifs entre les cellules, les travaux de per-
cement des voiles font l’objet d’un choix technique. Le découpage au
chalumeau à béton est écarté, le déplacement des lourds fragments
de paroi qui en résultent faisant problème ; on choisit la destruction
au marteau piqueur. Une nouvelle chaufferie est installée sur la ter-
rasse;elle s’appuie sur des plots en attente, prévus pour porter le bâti-
ment de l’école. Enfin, pour améliorer l'apparence, la structure de
béton est peinte.
En octobre, dans le cadre des manifestations du centenaire de
la naissance de Le Corbusier, de nombreux visiteurs et les caméras
des médias (Antenne 2) fréquentent le site, observent et commentent
le chantier. La visite d’un groupe d’élèves de l’École des Ponts et
Chaussées, accompagnés de leurs professeurs, est célébrée par la
presse régionale ;c’est l’occasion pour le maire de la ville d'évoquer
un des projets qui lui tient à cœur, la création d’un centre européen

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L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

sur l'architecture dans l'unité. La ville de Briey organise en novembre


une exposition et des conférences sur l’œuvre de Le Corbusier, et
utilise au mieux ce contexte favorable à une excellente opération de
relations publiques, qui justifie son action;c’est alors que l’unité de
Briey prend le sens d’une œuvre. Le contexte devient propice à la
commercialisation des appartements.
Le 21 octobre, l'hôpital Maillot, en accord avec son ministère de
tutelle, engage la procédure pour vendre à un promoteur privé, la
société KLM résidences, la partie restante de l'unité. Étudiée par
les architectes Rauzier et Boos, la réhabilitation technique des appar-
tements comporte, pour les plus vastes, l'agrandissement des cel-
lules; seront ainsi disponibles des surfaces attrayantes : F1 de 24
m?, F1 bis 45 m?, F2 80 m°, F3 100 m?, F4 110 m?, F5 135 m°, F6 155
m?. Les parties communes, le hall, les rues, les escaliers seront réha-
bilités, les ascenseurs remplacés. Le 19 décembre, les appartements-
témoins sont ouverts et débute la vente au public de cent quatre-vingt
un appartements, selon toute une gamme de formules, en fonction
des travaux d'aménagement et de finition plus ou moins poussés
des appartements. Les prix de vente sont évidemment attractifs. À
cette occasion, une fête nocturne publique sur le site de l'unité, offerte
par le promoteur, conclut cette phase, avec un spectacle laser et un
éclairage de l’édifice, mis en scène par l'architecte Frank Jacolin.

L’embellie
La nouvelle ère débute en juillet 1988, par l'installation dans leurs
appartements des premiers copropriétaires, regroupés dans une nou-
velle structure juridique : la «Résidence Le Corbusier». Le 7 sep-
tembre est inaugurée l’école d’infirmières de l'hôpital Maillot (devenue
depuis un institut de formation en soins infirmiers). Trois ans plus
tard, en mars 1991, la totalité des appartements est vendue.
Appuyée par la ville, par le département et par la région, la
démarche des animateurs du centre d'architecture prend corps dans
des délais plus longs. Le projet est original : il définit sa mission à par-

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L’UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

tir d’un territoire, la première rue de l'unité, et des trente-quatre


appartements qu’elle dessert, destinés à devenir, après réhabilitation,
un centre européen de recherche. L’animateur du projet, Ron Kenley,
professeur à l’École polytechnique de Londres, et la plupart des
membres fondateurs — une quarantaine d'architectes et d'artistes, ori-
ginaires de plusieurs villes d'Europe (Londres, Berlin, Athènes,
Vienne, Nancy, etc.) - donnent un caractère cosmopolite à l’entre-
prise. L'association «La première rue » — atelier européen de la
recherche continue, mise en route en 1989 — avec l’aide de person-
nalités, comme le maire de Briey et le directeur de l'hôpital Maillot,
membres de droit — se consacre au printemps suivant à l’aménage-
ment des locaux, et est formellement créée le 15 septembre 1990.

Une animation associative exceptionnelle


Au terme de la première année d'activité, en 1991, qui consacre son
rôle de centre pédagogique, de rayonnement international, l’exposi-
tion inaugurale, qui porte sur les travaux de l'architecte américain
John Hedjuk, est préparée et montrée dans les locaux de la «Première p. 145
rue», du 12 octobre au 10 novembre. Production culturelle de l’as-
sociation, elle connaît ensuite un destin brillant;elle est en effet
montrée à Zurich dans la galerie Architektur Forum du 28 novembre
au 20 décembre, puis à la Fondation Cartier, à Jouy-en-Josas, de
février à avril 1992. En juin, un projet de master, « European Studies
in Architecture», associant l’École polytechnique de Londres et l'École
d'architecture de Nancy est mis en place pour l’année 1993 ; il intègre
à la scolarité un stage de quatre mois à Briey. Une exposition-inter-
vention, en novembre 1992, consacrée à l'interprétation des espaces
de l'unité, fait une place à deux acteurs américains de la scène archi-
tecturale internationale, l'architecte Philip Johnson, et le critique
Jeffrey Kipnis.
Les années suivantes sont une phase de consolidation. En
novembre 1993, l'État consacre les efforts de réhabilitation en ins-
crivant l’unité à l’inventaire supplémentaire des Monuments

— 141 —
L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

historiques (façades, toitures, portique, hall et comptoir, première


pp. 144-145 rue et sept appartements : n° 101, 116, 128, 131, 132, 133, 134).
Tandis que les activités culturelles de la « Première rue» se pour-
suivent à un rythme soutenu, le problème du poids des charges
immobilières, proportionnelles au nombre d'appartements dont elle
est propriétaire, devient préoccupant pour le budget de l’associa-
tion, qui doit à ses bonnes relations avec la copropriété de ne pas
être mise en difficulté ; sous la présidence de Denis Grandjean, direc-
teur de l’École d'architecture de Nancy, un redressement s’amorce.
À partir de 1997, la cession d’une douzaine d'appartements, soit à une
société immobilière, la SCI Mabileau-Gauche, soit à des membres
fondateurs, permet de rétablir un équilibre, tandis que la cession à
la copropriété de la plate-forme entre les pilotis contribue à alléger
les charges. La création, en juillet 1996, sur la proposition de Joseph
Abram et de Kenneth Rabin (un des animateurs de l'association), d’un
«Espace Le Corbusier », qui occupe cinq appartements de la pre-
mière rue, pérennise le projet initial. Destiné à être ouvert au public,
un appartement-témoin est restitué dans l’état d’origine.
En 1998, la ville de Briey entreprend de faire étudier un réamé-
nagement des abords par l'architecte suisse Bruno Reichlin, avec
pour collaborateur associé le paysagiste Graïig Verzone ; l’année sui-
vante, les travaux de réfection de la terrasse sont entrepris par l’ar-
chitecte Hubert Rio, tandis qu’une étude de la mise en sécurité de
unité est confiée à l’architecte Bauchet.

Épilogue
Pensée pour loger la population variable née localement de la crois-
sance, l'unité de Briey est née d’un projet politique, qui trouve en
elle l'outil d’un service public municipal de l'habitat — un concept
déjà identifié pour l’unité de Marseille, Réponse à la demande d’un
élu au conseil général, le projet subit assez rapidement les effets de
l'instabilité politique et de l’alternance électorale. L'unité de Briey
est, dès le début, un projet «sous influence» : les élus au conseil géné-

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L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

ral et au conseil municipal ne cessent de proposer des modifications


au programme, en essayant d'influencer de l'extérieur la maîtrise
d'ouvrage. Par ailleurs, la relation du programme avec le contexte
industriel et minier est si étroite que les aléas de celui-ci retentis-
sent sans délai sur les pratiques, sans que les positions bienveillantes
puissent endiguer les oppositions, de nature politique, qui mettent
à profit la situation critique de la gestion pour construire et répandre
les représentations les plus négatives sur ses habitants, avec la
conviction que disqualifier le contenu aurait raison du contenant,
et donc des manifestations du camp adverse.
C’est à partir de ces tensions originelles que se forme la relation
à l’œuvre et que naît le puissant levier de son prestige culturel natio-
nal;en s’appuyant avec habileté sur cette consécration au moment
du centenaire de Le Corbusier, Guy Vattier, maire de Briey, déjoue
le piège, transforme l'édifice déserté en instrument pour obtenir une
intervention de l'État telle qu’elle met hors jeu le propriétaire «natu-
rel » et qu’elle livre l'édifice au marché avantageux de la réhabilita-
tion, publique et privée. La ville, tout en mettant «le pied dans la
poïte» de la gestion, y gagne un instrument culturel inattendu, de
dimension internationale, qui, à son tour, instrumente l’œuvre.

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L'UNITÉ D'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

Un appartement de l'unité d'habitation de Briey : les chambres d’enfant.


À la fois séparées et reliées par une cloison coulissante qui sert de tableau noir,
les deux chambres d’enfant, étroites, trouvent dans ce dispositif,
comme ici en position d'ouverture, une amélioration sensible de la valeur d'usage ;
tout au moins lorsque les enfants sont d’âge rapproché.

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L'UNITÉ D’'HABITATION DE BRIEY-EN-FORÊT

Un appartement de l'unité d'habitation de Briey aujourd’hui propriété


de l'Association « La première rue ». La salle de séjour de cet ex-appartement
accueille une bibliothèque et un centre de documentation.

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Te
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Chapitre V

L'UNITÉ D'HABITATION
DE FIRMINY

algré les hauteurs qui bornent ses limites lointaines, le site


est ample et ouvert ; dans ce quartier de Firminy-vert, l'es-
pace d’une ville moderne et aérée saute aux yeux. La variété
des volumes construits, les tracés de voirie adaptés au relief, les pentes
habitées suivent le modèle de l’urbanisme scandinave et proposent
un paysage urbain dépourvu de la banalité sinistre des grands
ensembles. À la limite, au sud, sur un relief la grande silhouette fami- pl. XIV-p. 162
lière de l’unité d'habitation, marque ultime avant les pentes et les
bois du Pilat. Plus près, la masse du bâtiment, posée sur ses minces
voiles de béton, est frappante. À sa mesure, l’antenne gigantesque d’un
émetteur radio, scintillante sur le toit-terrasse. Plus près encore, la
lecture inattendue du vide des loggias de la partie nord, dans toute
cette partie abandonnée, et qui vous annonce : ici, il y a problème.

Élu député de la Loire en octobre 1945, Eugène Claudius-Petit


est ministre de la Reconstruction du 10 septembre 1948 au 23
décembre 1952. Après avoir rencontré au cours de l’hiver 1952 une
délégation d'habitants de Firminy, il se présente aux élections muni-
cipales du printemps 1953. Député-maire, élu sous l'étiquette de
l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), prési-
dent de l'office municipal d'HLM, l’ancien ministre déploie beaucoup
d'énergie pour rénover l’agglomération, soumise depuis le xIx° siècle

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L'UNITÉ D'HABITATION DE FIRMINY

aux pressions conquérantes de l’industrie et de l'exploitation minière.


Entre 1955 et 1960, d'importants travaux concernent l'assainissement
et le traitement des eaux, corrigent la vétusté des équipements
publics, complètent l'équipement scolaire. Les trente-deux logements
mis en chantier par l'office municipal d'HLM, fondé en 1948, sont sans
rapport avec les besoins d’une population en expansion, qui ne dis-
pose pas du parc de logements sociaux correspondant aux perspec-
tives de la croissance économique ; les vingt-deux mille habitants de
1953 passent à vingt-six mille en 1962.

Une opération d'urbanisme moderne: « Firminy-vert »


S’inspirant des réalisations récentes de la Finlande et de la Suède,
Claudius-Petit confie à une équipe de ses anciens chargés de mis-
sion du Ministère (les architectes-urbanistes André Sive, Marcel
Roux, Jean Kling), à laquelle se joint Charles Delfante, l'étude
d’un plan directeur pour, d’une part, restructurer le centre ville,
et, d'autre part, créer un nouveau quartier, « Firminy-vert», appuyé
sur les pentes au sud de l’ancienne agglomération. Claudius-Petit
entend en faire une «ville de la lumière, opposée à la ville de
l'ombre », et «opposer la ville fonctionnaliste à la ville industrielle,
la ville de la modernité à la ville de la révolution industrielle ». Le
programme de Firminy-vert comporte mille soixante-dix loge-
ments, pour quatre mille cent cinquante habitants, avec les équi-
pements collectifs correspondants; il est traité par Marcel Roux
et André Sive.
Avec habileté, Claudius-Petit, qui a consulté très tôt Le Corbusier
sur cette opération importante, se garde de le mettre en première
ligne, conscient de la capacité de rejet de la population face à la répu-
tation de modernité agressive que la presse a faite à Le Corbusier,
et encore récemment, en janvier 1952, au moment de la campagne
de presse orchestrée pour empêcher la constrüction de l’unité d’ha-
bitation de Rezé; si Le Corbusier fait, en juin 1954, un séjour inco-
gnito, toutefois mentionné dans ses Carnets (vol. 3, 1954-1957), ce n’est

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L’UNITÉ D’'HABITATION DE FIRMINY

qu’en 1955 qu'il est chargé des édifices du centre civique de Firminy-
vert, c’est-à-dire du stade et de la maison de la Culture, et en 1960
de l’église Saint-Pierre, étudiée depuis l’année précédente. La piscine
couverte est confiée à André Wogenscky, un théâtre couvert de 600
places est étudié par José Oubrerie en 1960. L'opération reçoit en
1961 le grand prix d'urbanisme.

Une, deux ou trois unités ?


Au début des années 1960, la commune doit faire face à la pénurie
de logements ; l'office municipal d'HLM enregistre en 1959 une liste
d'attente de onze cents demandes. Dès lors, en juin ou juillet 1959, Le
Corbusier, sollicité par Claudius-Petit, répond par le projet d’une
unité d'habitation, complétée par un centre commercial et des garages,
sur un terrain qu'ils choisissent ensemble, mais qui doit être au préa-
lable débarrassé d’une ligne à haute tension ; le maire décide en 1963
de mettre à l’étude un plan d'extension de Firminy-vert, inscrit dans
une projection démographique qui porte la population de la commune
en 1985 à quarante-cinq mille habitants. Le projet s'étend vers le
sud, sur la commune du Chazeau (rattachée en 1961 à Firminy). Étu-
dié par Charles Delfante, le plan d'aménagement de Firminy-Chazeau
prévoit la construction de trois mille cinq cents logements, d’équipe-
ments scolaires et sportifs, d’un parc public de 11 ha, ainsi que d’un
centre commercial. C’est alors que Delfante prévoit l'implantation
sur le site de trois unités destinées à parachever l’urbanisation de
Firminy par leur éclat conceptuel. La première unité fait l’objet d’un
permis de construire délivré le 18 septembre 1964; c'est l'unité actuelle,
édifiée entre avril 1965 et octobre 1967, dont Le Corbusier pose la
première pierre le 21 mai 1965. Après sa mort soudaine le 28 août,
la maîtrise d'œuvre est assurée par André Wogenscky.
Le chantier de l’unité suivante, dont l'implantation est étudiée
par Wogenscky, est ouvert en avril 1969, mais fait l’objet d’un arrêt
formel des travaux, le 17 avril 1970. Claudius-Petit prend alors
contact avec le maire d’Albertville pour tenter d'obtenir son transfert

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L'UNITÉ D'HABITATION DE FIRMINY

en Savoie. Entre temps, le ralentissement de la demande s’est fait


sentir ; le taux de remplissage de l’unité est un indice incontestable :
pour une capacité de quatre cent quatorze logements, cent quatre-
vingt-dix sont occupés en 1968, et seulement trois cent cinquante-
quatre en 1973, ces chiffres décroissant ensuite constamment. Les
effets de la crise économique de 1973 et, en particulier, le retourne-
ment brutal de la tendance dans l’industrie sidérurgique de la Loire,
rendent cette évolution irréversible ; la population de Firminy vieillit
et décline (vingt-trois mille sept cents habitants au recensement de
1993). La défaite de Claudius-Petit aux élections municipales de
1971, battu par Théo Vial-Massat, à la tête d’une liste du Parti com-
muniste français (PCF), a d'importantes conséquences sur la place
de l’unité et du centre civique dans la politique conduite par la ville
à l'égard de Firminy-vert.

L'interprétation du programme
L'unité d'habitation à Firminy est une réalisation de l'office muni-
cipal d'HLM, entièrement financée dans le cadre des budgets en
vigueur pour l’habitat social. Le bâtiment, couvrant une surface de
27 859 m?, se rapproche par ses dimensions de l’unité de Marseille :
130,35 m de longueur, 50 m de hauteur, 21 m de profondeur. Il s'élève
sur vingt niveaux, les niveaux 18 et 19 sont consacrés à l’école, le
niveau 20 sert d'espace de récréation; les locaux affectés à l’école
maternelle s'étendent sur 1638 m2. Les quatre cent quatorze appar-
tements de l’unité sont ventilés en trente-deux types différents, dans
une gamme de surfaces allant de 25 m? à 113 m?; les appartements
de grande surface sont peu nombreux: quarante appartements de type
F5, dix-neuf de type F6. Ils sont desservis par sept rues. La structure,
pl.XV-p. 162 proche de celle de Rezé, comporte des voiles verticaux implantés,
comme à l’habitude, sur une trame de 3,66 m, et dont un sur deux
s'appuie sur des portiques, au nombre de trente. Une galerie tech-
nique médiane porte sur la tête des portiques. Le réseau thermique
est alimenté par la centrale de chauffage urbain.

— 150—
L’UNITÉ D’HABITATION DE FIRMINY

Le mode de financement — les crédits de la construction HLM,


plafonnés par le décret de mars 1966 à 700 F le m? — conduit à une
économie serrée du projet, qui suscite en juin 1963 une vive tension
entre Claudius-Petit et Le Corbusier, celui-ci trouvant trop exigeant
celui-là. Les garages et les caves ne sont pas prévus, l'isolation ther-
mique est rudimentaire (simple vitrage), malgré un climat rigou-
reux en hiver (altitude de près de 600 m); la qualité de l'isolation
phonique n’est pas au niveau de l'unité de Marseille ;les finitions du
béton sont frustes ; les trois ascenseurs offrent une capacité limitée
pour la circulation des quinze à dix-sept cents personnes suscep-
tibles d’habiter l’unité. Ces contraintes interdisent l'implantation
de locaux commerçants dans une rue intégrée à l’unité, comme à
Marseille. Mais la vie collective dispose de vingt-sept locaux, pour une
surface totalisant 1083 m2. Par l’ampleur des espaces affectés à
l’école maternelle, complétée par une halte-garderie, ces données
valorisent les fonctions sociales attendues de l’unité, qui résultent
des enquêtes menées au préalable par l’agence de Le Corbusier, sous
la direction de José Oubrerie. Ces choix montrent que Claudius-Petit
veut installer, dans le cadre de l’unité, un enseignement préscolaire
de qualité; c’est ainsi qu’il intervient personnellement, auprès de
l'administration de l'Éducation nationale, pour obtenir la nomination
d’institutrices particulièrement motivées.

Une chronique mouvementée


Dès la première année de son peuplement, l'unité divise ses habitants
en deux clans irréductibles. Aux détracteurs, qui critiquent le rela-
tif éloignement du centre ville et la disposition non conventionnelle
des appartements, s'opposent les enthousiastes, jeunes la plupart, qui,
dans le climat de 1968, trouvent dans l’unité le terrain favorable
aux expériences politiques, sociales, collectives et personnelles qui
doivent «changer la vie». Les mécontents, issus de Firminy, sont les
demandeurs d’un logement, inscrits sur les listes de l’office d'HLM ;
les «militants», venus de toute l’agglomération stéphanoise, sont

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L'UNITÉ D’HABITATION DE FIRMINY

motorisés, appartiennent aux couches moyennes et font le choix de


vivre dans l'unité, pour laquelle plusieurs aujourd’hui disent avoir
eu alors un véritable «coup de cœur ». Le contexte historique et cul-
turel de l'après 1968 joue donc son rôle; il fournit de façon inatten-
due une population en partie «engagée», dont le projet se coule
parfaitement dans le cadre de l’«utopie construite » de l’unité. Par
ailleurs, ce contexte, plus ou moins gauchiste, alimente les antago-
nismes politiques qui creuseront longtemps une tension, sinon une
hostilité, entre les gestionnaires municipaux et les occupants. Ceux-
ci sont regroupés dans une association des locataires, la seule asso-
ciation, dans l’ensemble du parc de lOPHLM de Firminy, active
depuis la mise en service de l’unité.
Dès 1971, le changement d'équipe municipale bouleverse la poli-
tique d'aménagement. Tout se passe comme si le succès électoral
des candidats du PCF - qui ont probablement trouvé un soutien
chez les commerçants et les petits propriétaires du centre ville,
contrariés par les effets de Firminy-vert sur leur activité — inscrivait
les réalisations de Le Corbusier dans un cercle d'objets néfastes, en
expiation symbolique de la longue modernisation conduite par
Claudius-Petit depuis son premier mandat de 1953. La suspension
des travaux, tout juste engagés, de l’église Saint-Pierre, l’inachève-
ment du stade et la fermeture de la maison de la Culture sont les actes
successifs d’une politique de l'effacement et de l’oubli. En atteignant
son interprète, Le Corbusier, il s’agit d’amoindrir et d’effacer le rôle
municipal du prédécesseur — dont le nom fait encore aujourd’hui
l’objet d’un tabou dans l’espace public — de Théo Vial-Massat à la
mairie. Le comble de cette antipathie envers les édifices de ce que
Le Corbusier nommait le «centre civique» est atteint le 29 juillet
1983, lorsque la municipalité débute les travaux d'implantation d’un
grand gymnase entre la tribune du stade et l’église Saint-Pierre. Il
faut une mobilisation internationale des architectes, en direction de
François Mitterrand (Richard Rogers) et de Georges Marchais (Oscar
Niemeyer) pour venir à bout de l'obstacle ; le ministre de la Culture
Jack Lang, en prenant une mesure d’instance de classement, obtient

— 152—
L'UNITÉ D’HABITATION DE FIRMINY

le déplacement du projet de gymnase vers un site plus neutre. Le clas-


sement en 1984 de la tribune du stade et de la maison de la Culture
met un coup d'arrêt définitif à ces tentatives, non sans rapport avec
les pulsions idéologiques qui encombrent la critique de la moder-
nité, à leur sommet dans les esprits à la fin des années 1970. |

Le conflit entre la gestion et la conviction


Dès 1987, la célébration du centenaire de Le Corbusier joue son rôle
dans une révision progressive des points de vue. La réouverture de la
maison de la Culture, sous le nom d’Espace Le Corbusier, puis la réha-
bilitation du stade, et la programmation des compétitions attrayantes
qui s’y déroulent, viennent, le moment venu, construire une image
municipale positive pour ce centre civique longtemps mal aimé.
Du côté de l’unité d'habitation, la vie collective est animée par
plusieurs pôles, l’école et les associations ; l’école maternelle, outre
le service scolaire, se révèle un outil prépondérant dans le sentiment
d'appartenance, par sa capacité à réunir les générations et les cul-
tures. La vitalité des associations implantées est remarquable ; on
y compte vingt-sept clubs et groupes, y compris une «radio libre»
très dynamique, Radio-Ondaine. Club ou association, chacun dis-
pose d’un local convenable (d’une surface de 27 m? à 90 m?). La
conception de l’unité offre un espace appréciable aux activités col-
lectives : les rues intérieures, les circulations, les locaux des clubs, le
toit-terrasse, l’école combinent en tout plus de 10 000 m2.
Les responsables de l'office d'HLM sont surpris par le remue-
ménage politique dont l’unité est le lieu;toutes les variantes de
l’extrême-gauche et de la gauche y déploient leur énergie — plu-
sieurs militants, qui formeront plus tard les cadres régionaux de
la gauche devenue plurielle, y font leurs premières armes. Ces
formes incontestables de la réussite sociale de l’unité déroutent les
gestionnaires ;la tension monte sur de sombres histoires de clefs
confisquées pour interdire l’accès de groupes à la terrasse et à ses
salles de réunion.

— 153 —
L'UNITÉ D'HABITATION DE FIRMINY

Après 1971, l'office d'HLM conduit en direction de l’unité et de


ses habitants une stratégie de démonstration négative et d’isole-
ment progressif, qui a pour objet d'établir l'erreur et l’impéritie du
maître d'ouvrage autant que du concepteur, avec à terme une pro-
bable démolition de l'édifice. L'entretien est réduit au minimum:
aucune intervention sur les menuiseries de bois n’a été observée
depuis la construction; les ateliers sont affectés aux services tech-
niques de l'OPHLM. En novembre 1981, celui-ci envisage le dépla-
cement des locataires de la partie nord vers la partie sud.

La crise de 1983-1984
Les faits démographiques se prêtent à cette stratégie à la fois dis-
suasive et coercitive : tandis que la population de Firminy décroît, le
taux d'occupation de l’unité baisse à partir de 1975, et en 1983 le
nombre de logements vacants (deux cent soixante) l'emporte sur
celui des logements occupés. Le 7 juillet 1983, le conseil d’adminis-
tration de l'OPHLM, passant à l’acte, décide de fermer la partie nord
du bâtiment et de regrouper au sud tous les locataires restants. Les
charges de chauffage sont mises en avant pour justifier cette déci-
sion. Dans chaque rue intérieure, la section nord est condamnée et
rendue inaccessible par un mur de parpaings.
En réponse, la mobilisation de l'association des locataires est
puissante ; l'entrée de la mairie est symboliquement murée (26 jan-
vier 1984), le conseil d'administration de l'OPHLM occupé, et une
délégation est reçue à Paris par le directeur de l’Architecture, Christian
Dupavillon. Au projet de vente des appartements à leurs habitants,
qui aurait pu avoir pour résultat d’atténuer le brassage social opéré
dans l'unité, les locataires opposent un refus massif. Les prises de
position des élus PS et RPR leur sont favorables. Un modus vivendi
est enfin trouvé, les murs de parpaings sont remplacés dans les rues
par des parois vitrées, tandis que la partie nord est mise hors chauf-
fage en octobre 1983. À partir d'octobre 1984, plusieurs appartements
de la partie sud (une vingtaine) font l’objet d’un «couplage », destiné

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L’UNITÉ D’'HABITATION DE FIRMINY

à augmenter les appartements de grande surface. En 1990, avec l’élec-


tion d’un nouveau maire, Bernard Outin, et d’une nouvelle équipe de
conseillers communistes, plus conciliante, les tensions s’apaisent.
L'OPHLM s'engage en 1991 dans un nouveau dispositif d’attri-
bution des logements, privilégiant la stabilité et une relative homo-
généité de la population. Des travaux de réhabilitation et de
maintenance sont entrepris (machinisme des ascenseurs, revête-
ment des sols dans les rues). Au terme de la procédure de conven-
tionnement, l’aide personnalisée au logement (APL) conforte le statut
d'HLM de l'unité, dont les loyers sont plutôt inférieurs aux autres
loyers de l'office dans Firminy-vert. Il s'ensuit une remontée rapide
de la population de l’unité et le maintien, depuis 1995, d’un taux de
remplissage de 100 % de la partie sud (cent soixante dix-huit appar-
tements). La réouverture d’une liste d'attente — indice d’une per-
ception améliorée du lieu — dégage l’horizon et annonce, pour un
futur sans doute proche, le repeuplement de la partie nord, tandis
que l’unité est classée Monument historique (MH) -— pilotis, façades,
école, terrasse — par arrêté du 9 septembre 1993.

Démarches et projets
En octobre 1994, le conseil d'administration de lOPHLM de Firminy,
sur incitation de la direction de l'Architecture, confie, avec le soutien
de la Caisse des dépôts et après appel d'offres, une analyse pré-opé-
rationnelle sur la partie nord de l'unité, à l’architecte Henri Ciriani
et au programmateur Joxe; les conclusions sont livrées le 27 mars
1996. Première conséquence concrète de la protection comme MH, la
réfection du toit-terrasse, confiée à l’architecte en chef Grange-
Chavanis, est mise en œuvre (juillet - décembre 1996) pour un bud-
get financé à 50 % par l'État, à 25 % par le conseil général de la Loire,
et à 25% par la ville et l'OPHLM de Firminy.
Les études pour la réhabilitation de l’unité et pour la rénovation
des parties privatives sont engagées à partir de janvier 1995. En
décembre, le conseil d'administration de lOPHLM donne son accord

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L'UNITÉ D'HABITATION DE FIRMINY

aux orientations proposées par Henri Ciriani dans son rapport : amé-
nager la partie nord, pour accueillir à la fois de nouveaux logements
(vingt environ), et de nouveaux usages, impliquant la recomposition
pp. 158-159 d’une partie de l’espace intérieur (sans modification des élévations),
créant ainsi une «fenêtre urbaine». Par ailleurs, un groupe de tra-
vail — qui réunit autour du maître d'ouvrage (l’OPHLM), la ville,
l'association Le Corbusier pour l’église de Firminy-vert, la société
d'histoire de Firminy — précise en février 1996 le nouveau programme
de cette recomposition de la partie nord: accueil et hébergement
pour le tourisme culturel, ateliers d'artistes, centre culturel de ren-
contres, centre de formation aux métiers de la ville (en liaison avec
l'École d'architecture de Saint-Étienne). En 1998, le ministre des
Transports, de l'Aménagement du territoire et du Logement, Jean-
Claude Gayssot, débloque 3 MF pour débuter les travaux de réha-
bilitation de l’unité.

La fermeture de l’école en 1998


À la suite des travaux de réhabilitation du toit-terrasse, on constate
que l’école ne répond plus aux normes de sécurité. C’est pourquoi le
député-maire Bernard Outin signe son arrêté de fermeture le
9 novembre 1998. Les normes de 1967, applicables à un édifice de très
grande hauteur (plus de 28 m), prescrivent que l’accès du public y
soit conditionné par des équipements spéciaux : escalier extérieur,
parois coupe-feu, équipe permanente de quatre pompiers. La fer-
meture de l’école a pour effet immédiat de souder plus que jamais
les habitants de l’unité les uns aux autres, et de raviver l’antago-
nisme avec la municipalité, devenue «gauche plurielle ». Une école
provisoire, édifiée dans le quartier, accueille les institutrices ;une
quarantaine de parents, à l'initiative de l'association des locataires,
occupent l’école de l'unité et assurent par roulement son fonction-
nement «sauvage» jusqu'à la fin de l’année scolaire. Forte de l'appui
d'anciens de l’unité, cette action conduit le maire à solliciter auprès
du ministère de la Culture et du ministère de l'Intérieur une déro-

— 156—
L'UNITÉ D’HABITATION DE FIRMINY

gation, afin de pouvoir conserver cette partie nécessaire à la vie


sociale de l’unité. Signe des temps, cette démarche est menée en
commun avec le maire de Rezé.

Épilogue
À Firminy, la relation de l’unité avec son contexte historique est
double : issue d’une analyse démographique qui envisageait une très
forte augmentation de la population de la commune, elle subit de
plein fouet les conséquences de l’effondrement industriel des années
1970 ; née de la volonté politique d’un élu, Claudius-Petit, elle devient,
après sa défaite électorale, l’objet de ce qu’il faut bien nommer un
règlement de comptes symbolique. La turbulence d’une partie des
habitants y marque la vie collective plus qu'ailleurs, par le «bouillon
de culture » qu’elle abrite, si bien qu’elle est la seule des unités où se
maintient, de façon intransigeante et complète, le statut initial d’im-
meuble HLM locatif.
Confrontée à un entretien insuffisant, la population se mobi-
lise à Firminy bien davantage dans la défense de ses droits de loca-
taires et de ses équipements collectifs, comme l’école, que dans la
revendication d’un droit à l’œuvre d’architecture ; cette notion de
l’œuvre qu’on voit se développer ailleurs pour l'unité d'habitation
elle-même, prend ici la forme d’une inscription de l’édifice dans les
références locales à Le Corbusier, c’est-à-dire dans l’ensemble des
édifices que celui-ci avait conçu pour le «centre civique ».

— 157—
L'UNITÉ D’'HABITATION DE FIRMINY

Unité d'habitation de Firminy, l’appartement-témoin, vue vers la loggia (en 2002).


Restituée avec son mobilier et son luminaire d'époque, la salle de séjour
de l’appartement-témoin, met en valeur l’effet lumineux de la double hauteur
du séjour, et la transparence, obtenue par la suppression de la contre-marche,
dans le traitement de l'escalier qui mène au niveau supérieur.

— 158—
L'UNITÉ D'HABITATION DE FIRMINY

pRGprreccerr— : .

Unité d'habitation de Firminy, l’appartement-témoin, vue vers la cuisine (en 2002).


Élément-clef de la distribution du plan, la cuisine ouverte sur le séjour se propose
de donner une nouvelle forme à l’intégration des activités domestiques
dans la traditionnelle cuisine-salle à manger de l'habitat populaire.
Mais cette conception, qui date, remonte à la période de la Reconstruction
— donc bien avant les années de la croissance — et a des conséquences :
les dimensions limitées posent aujourd’hui le problème de la capacité de cet espace
à faire une place aux instruments du machinisme ménager.

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LÉGENDES DES PLANCHES I À V

Planche I
Unité d'habitation de Marseille, vue de l’est (en 1986). La photo met en évidence l'insertion du
bâtiment, indépendante des tracés de voirie, et la puissance de sa masse, en totale opposition
avec le bâti hétéroclite du quartier. Sur le toit-terrasse, on distingue la distribution discontinue
des équipements : de gauche à droite le bassin pour les petits, la crèche,
une première cheminée de ventilation, la tour carrée de la machinerie des ascenseurs, la coque
de la couverture du gymnase, une seconde cheminée de ventilation et le podium.
Dans l'élévation alvéolaire, les profondes loggias restituent l’échelle de chaque habitation ;
les claustras de la partie droite indiquent l’étage de la galerie marchande.

Planche II
Unité d'habitation de Marseille, élévation est et dispositif d'accès (en 2001).
Cette vue frontale met en évidence les procédés du collage dans l’esthétique de Le Corbusier :
juxtaposition de la répétition régulière des percements de la paroi qui abrite les cages
d'escalier et des variations de la trame orthogonale des loggias, contraste du portique
des pilotis avec un socle plein, nécessaire à la mise en valeur des reliefs en creux
qui illustrent le système des proportions du Modulor.

Planche III

Unité d'habitation de Marseille, vue du nord-est (en 2001). Les effets de masse
et d'épaisseur s’accordent à la présence tactile du béton brut de décoffrage ; ils participent
à l’esthétique de l’espace public, tandis que les effets picturaux donnés par la polychromie
dans les loggias qualifient par leur diversité ce qui relève des espaces personnels
et domestiques. Cette différenciation, amorcée dans les années 1930 (pavillon de la Suisse
à la Cité universitaire de Paris), trouve ici son aboutissement.

Planche IV

Unité d'habitation de Marseille, vue des pilotis (en 2001). Cette vision familière du portique
s'impose aux habitants en quittant le vestibule. Elle exalte le traitement plastique
monumental des espaces collectifs dans l’unité et leur jeu dans la lumière.
Effets de l’art, la masse des pilotis est fictive (ils sont creux) et la poutraison et le plafond
de béton brut sont l'habillage d’un étage technique.

Planche V

Unité d’habitation de Marseille, le promenoir dans la galerie marchande (en 1968).


La double hauteur, les parois scandées par des piliers, le contrôle de la lumière par les lames
du brise-soleil, la banquette continue de béton, ponctuée de céramique colorée : la volonté
est d'offrir un lieu apaisant, propice à la halte, aux conversations entre voisins.
Dans la pratique, cette réinterprétation de la placette de quartier est court-circuitée
par l'absence des usagers dans une galerie marchande, détournée aujourd’hui du statut
projeté. Reste l’incomparable plaisir — en particulier aux-heures de l'après-midi —
d’un lieu investi par la poétique architecturale de Le Corbusier.

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LÉGENDES DES PLANCHES VI À X

Planche VI
Unité d'habitation de Marseille, toit-terrasse et passage sous la crèche (en 2001).
Coins et recoins : dans cette sorte de lucarne du « grenier », ici à ciel ouvert,
les espaces proches encadrent la vision d’une succession de lieux : la rampe en pente douce
de la crèche, les minces pilotis qui la supportent, le bassin pour les petits, les espaces
de jeux, et au loin les collines de Marseille-Veyre.

Planche VII

Unité d'habitation de Marseille, toit-terrasse et gymnase (en 2001). Le gymnase,


cet étrange vaisseau retourné, quille en l'air, a une paroi décorée d’une ornementation primitive
en céramique. Il forme, avec la cheminée de ventilation est, cet autre lieu délectable.
Des arêtes coupant la lumière, des volumes de révolution, continus ou déformés, constituent
une combinaison insolite de géométries rectilignes aux gradations infinies.

Planche VIII
Unité d'habitation de Rezé, élévation vue de l’est (en 1999). L’énormité de la masse,
sa rudesse, et le chatoiement des couleurs dans l’espace habité des loggias ;
de près , que reste-t-il du « bloc enfumé » qu’apercevait de loin Julien Gracq ? Un morceau
de « ville à la campagne » ? À ceci près que ce rapport idéal à l’environnement résulte
en partie d’une extension récente, par décision municipale, de l’espace du parc,
qui passe de deux à six hectares. Un rapport élaboré dans le temps, et conforme à cette
recherche d’un équilibre entre formes techniques de l’architecture contemporaine, et plénitude
organique de son complément végétal. Une compréhension positive, par les élus locaux,
de la contribution de Le Corbusier à l’histoire de l'esthétique du paysage urbain au xx*° siècle,
et de sa part dans l’amélioration souhaitée pour tirer vers le haut l'habitat populaire.

Planche IX

Unité d'habitation de Rezé, la pièce d’eau (en 1999). Au pied de l'édifice, les architectes
tirent parti des excavations d’une ancienne carrière de schiste pour créer un bassin
que franchit une passerelle, où se succèdent les apprentis pêcheurs. Complément
inattendu au programme d’un HLM, la pièce d’eau participe à cette promotion de l’habitat
populaire par un complément ludique, au-delà du nécessaire. On voit ici la générosité
du projet, jamais démentie par les usages depuis quarante ans.

Planche X

Unité d'habitation de Rezé, les pilotis (en 1999). Si le traitement des surfaces — béton brut
et polychromie — reste identique à celui de Marseille, les changements structuraux
sont importants. Alors qu’à Marseille les appartements sont supportés par une grille de béton
(page 83), ici des voiles de béton, séparatifs des appartements, partent des fondations
et multiplient par deux le nombre des piliers apparents. Plus minces, ces voiles dessinent
des pilotis alternés qui forment un portique très différent de celui de Marseille. Par ailleurs
la suppression de l'étage technique atténue l'important effet de socle de celui-ci.

— 161—
LÉGENDES DES PLANCHES XI À XVI

Planche XI

Unité d'habitation de Rezé, une rue intérieure (en 1999). Malgré le changement
de quelques équipements (boîtes à lettres, luminaires), l'esthétique d'ensemble de la rue
intérieure a été préservée, au prix d’un entretien très attentif. Le dallage thermoplastique
du sol est d’origine, sa couleur noire met en valeur la polychromie.

Planche XII
Unité d'habitation de Rezé, le chantier de restauration des façades (1995-1999).
Après une étude très poussée, la restauration des façades conduit au remplacement de toutes
les pièces de béton moulé qui constituent les loggias. On voit ici, menée de haut en bas
sur les appartements du pignon sud, la dépose des garde-corps, mise en œuvre à partir
d’une longue nacelle suspendue à des mâts métalliques. Cette opération est devenue
depuis la référence pour d’autres chantiers (restauration du Pavillon du Brésil,
Cité universitaire de Paris).

Planche XIII
Unité d'habitation de Rezé, vue du nouvel hôtel de ville (en 1999). Ce nouvel hôtel de ville,
construit de 1987 à 1989 par l’architecte Alessandro Anselmi, est conçu comme
un effet de « mise en scène » de la « Maison radieuse » : le bâtiment en deux parties comporte
à gauche une haute superstructure incurvée, dont le mouvement conduit le regard
vers l'édifice de Le Corbusier. Peu d'exemples témoignent d’une telle attitude face
au patrimoine moderne : hommage d’une génération à une autre, construction d’un espace
propice à la mise en valeur d’un élément de l’histoire locale récente. C’est dans cet acte
que se vérifie, par les décisions municipales, l'élaboration de la valeur de l’œuvre,
qui s'ajoute à une valeur d'usage admise par tous à Rezé.

Planche XIV
Unité d’habitation de Firminy, élévation vue de l’est (en 1999). Dernière version du type,
l'unité d'habitation de Firminy n'échappe pas aux vicissitudes de la crise industrielle
des années 1970, qui conduit à l’effondrement de la demande de logements sociaux.
Sur ce document, les appartements de la partie nord , à droite du volume des circulations
verticales, sont désaffectés, et les parties communes correspondantes condamnées.
La fermeture de l’école, visible ici sur le toit-terrasse, a soulevé de vives controverses.

Planche XV
Unité d'habitation de Firminy, vue partielle de l'élévation ouest (en 1970). Plus encore
qu’à Rezé, la plastique des élévations est simplifiée : le béton lisse ne fait plus de place
aux parements minéraux, la claustra du garde-corps est remplacée par une paroi de verre,
la polychromie est réduite. Dans ce document, l'appropriation des espaces verts
par la première génération des habitants ne laisse aucun doute sur leur compréhension
des qualités propres de l’unité.

Planche XVI

Unité d’habitation de Briey, vue du sud-ouest (en 1991). Très proche par ses élévations
de l’unité de Rezé, l'unité de Briey tranche par son implantation isolée dans un site boisé,
qu’elle domine. Après les aléas de la fermeture et de l’abanddn, puis la mise en vente
des appartements, suivie des concessions jugées nécessaires — la peinture du béton brut
par exemple — le document montre combien il est difficile de concilier les critères
du marché immobilier avec le respect de l’authenticité de l’œuvre.

— 162—
Chapitre VI

LES UNITÉS D'HABITATION :


DE L'ÉLABORATION
À LA RÉCEPTION

9 élaboration des unités donne un coup de fouet à l'agence du


35 rue de Sèvres, fermée de 1940 à 1944. S'y rassemblent un
nombre important de jeunes collaborateurs, pour la plupart sta-
giaires ; si les Français y sont plus nombreux, à la différence de l’avant-
guerre, l'entourage de Le Corbusier retrouve son statut cosmopolite,
qu’alimente l'instabilité politique de plusieurs pays, comme la Grèce.
En 1946 et 1947, l'étude de l’avant-projet et du projet pour Marseille
donne lieu à un travail de conception et de mise au point sans pré-
cédent dans une agence d'architecture en France; il laisse à ses
acteurs un souvenir exaltant. Mais, à l’occasion des commandes sui-
vantes, l’équipe, amoindrie par des départs, ne parvient pas à faire
face à l’industrialisation de la structure. En 1959, la sous-traitance
des études techniques à un bureau d’études extérieur n’apporte pas
de solution à la construction industrielle des nouvelles unités.
À la mesure des enthousiasmes et des conflits qu’elles suscitent,
celles-ci focalisent ensuite une bonne part des opinions contempo-
raines sur Le Corbusier. Leur architecture attentive aux problèmes de
la vie quotidienne, conçue à un moment de profonde pénurie, croise un
moment crucial dans la redéfinition de la culture de l'habitat en France
et illustre le projet avorté d’un service public du logement. Mais, en peu
de temps, les histoires et les croissances locales hétérogènes dispersent
cette logique éphémère de la réponse à une attente.

— 163—
LES UNITÉS D’'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

L'impact des études et le suivi des chantiers ont des consé-


quences importantes sur l’organisation de l’agence de la rue de
Sèvres, privée depuis 1940 de la présence essentielle de Pierre
Jeanneret (cousin de Le Corbusier). La charge de travail que repré-
sente l'étude des unités coïncide avec la plus grande quantité de
dessins, de pièces et de documents divers que demande, depuis 1945,
le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, une adminis-
tration avide de procédures en bonne et due forme.

Les unités et l’agence


La solution est d’abord recherchée dans la création en 1946 de
l'ATBAT, bureau d'étude intégré, composé de quatre sections : «archi-
tecture » dirigée par André Wogenscky, «études techniques » par
Vladimir Bodiansky, «direction des travaux» par Marcel Py et «sec-
tion administrative» par Jacques-Louis Lefèvre (Bédarida, 1987).
Cet organisme suscite l'inquiétude et la suspicion des confrères, au
point que le conseil parisien de l’Ordre des architectes désigne, en
janvier 1948, l'architecte Paul Picot pour questionner Le Corbusier
sur cette société qui semble «établie en contravention des règles
professionnelles » et que l’architecte semble présider. Celui-ci répond
qu'il n’est ni président ni associé de la «société ATBAT », dont le
gérant est l'ingénieur Lefèvre ; il admet qu’une «confusion a pu se
produire dans l'esprit de certains confrères [du fait] qu’il a com-
mandé certaines études, pour des constructions dont j’assume la
responsabilité en tant qu’architecte, à ce bureau dirigé technique-
ment par Vladimir Bodiansky, ingénieur » (FLC 4.14.10 et 11).
Par ailleurs, ce dispositif a des tâches de gestion plus larges:
«C'est l'ATBAT qui finance les études [de Marseille] jusqu’à la confir-
mation de la commande à l’automne 1947» (N. Chatzidakis, 1987).
C’est dans son cadre, avec comme principale activité les études pour
Marseille (mais aussi pour l'usine Duval à Saint-Dié), que Bodiansky
et Wogenscky deviennent des collaborateurs de premier plan, le pre-
mier pour tous les aspects de l'étude et de la mise au point de la

— 164—
LES UNITÉS D’'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

construction, le second pour l'architecture. Mais l’entente entre Le


Corbusier et Bodiansky est fragile : «Jusqu'à l'ouverture du chantier
[de Marseille], l'entente a fonctionné cahin-caha » (A. Wogenscky,
1987). Pendant les voyages hors de France de Le Corbusier, les ini-
tiatives que prend Bodiansky conduisent à une vive tension, puis à |
la rupture, suivie du départ de l’équipe technique, qui quitte l’ate-
lier de la rue de Sèvres le 14 août 1949.
La rupture avec Bodiansky est pénible : «Ils se sont quittés de
façon épouvantable. C'était d'autant plus triste que Bodiansky avait
beaucoup apporté. Alors que Le Corbusier était souvent parti en
Amérique, en Inde, Bodiansky était là, tous les jours, solide, péda-
gogue » (A. Maisonnier, 1987). Par la suite, Wogenscky prend petit
à petit le statut de chef d'agence, amené à suivre toutes les affaires
dans leur ensemble, à la différence des autres collaborateurs, qui tra-
vaillent en général sur un seul projet. Il a la charge de l’applica-
tion du Modulor au projet de l’unité de Marseille. Lors de la
commande puis du projet de Rezé, et avec le titre modeste d’archi-
tecte-adjoint, Wogenscky, interlocuteur direct de Gabriel Chéreau
et du directeur de la Maison familiale, joue en réalité un rôle de
tout premier plan. Il en est de même pour le concours de Strasbourg ;
en 1956, à quarante ans, il quitte l’agence à son tour, après l’achè-
vement du chantier de Rezé.

Technique et architecture
Le départ de Bodiansky oblige l'atelier de Le Corbusier à se tourner
vers les bureaux d'étude; c’est ainsi que Laffaille puis Freyssinet
sont consultés pour la construction de Rezé; à partir de 1959, c’est
le bureau d’études Présenté, sous la forme d’un «service exécution»,
qui suit les études de construction, en particulier pour adapter le
type de l’unité à des procédés d’industrialisation.
L'achèvement de l’unité de Marseille, en raison peut-être des
questions mal résolues de sa gestion, fait de Le Corbusier un chef
d'agence ambigu. Il a, en effet, d’une part, tout lieu d’être satisfait

— 165 —
LES UNITÉS D'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

d’avoir mené à bien une longue étude et un chantier complexe, ébran-


lés par plusieurs revirements du maître d'ouvrage. L'issue, sur la
ligne très problématique de la mise en œuvre d’une doctrine, est une
incontestable réussite, dans laquelle son rôle personnel a été ample-
ment soutenu par les investissements considérables de toutes les
équipes. Cette conclusion lui est très profitable, dans la mesure où elle
apporte une confirmation éclatante de son statut artistique, puisqu'il
se montre capable, dans le plus terre à terre des programmes, de
manifester une expression artistique largement reconnue. « Le béton
brut, écrit-il à José-Luis Sert en mai 1962, est né de l’unité d’habita-
tion de Marseille où il y avait quatre-vingts entrepreneurs et un tel
massacre de béton qu'il ne fallait pas rêver de faire des raccords utiles
par des enduits. J’avais décidé: laissons tout cela brut. J’appelais
cela du béton brut. Les Anglais m'ont immédiatement sauté sur le mor-
ceau et m'ont traité de “brutal” — béton brutal — en fin de compte la
brute c’est Corbu. Ils ont appelé cela le new brutalism. Mes amis et
admirateurs me tiennent pour la brute du béton brutal. »
D'autre part, il est un peu réservé à la perspective de s’in-
vestir dans les lourdes études impliquées par de nouvelles com-
mandes. Les témoignages en ce sens se recoupent ; ainsi celui d’un
jeune ingénieur, qui travaille pour l’ATBAT de 1946 à 1949:
«J'étais présent [dans l’agence] lors d’une visite du conseil muni-
cipal de Glasgow, qui devait commander cinq unités d’habitation :
à cette époque, c'était une commande formidable. Et puis plus
rien. La rumeur disait qu’on aurait demandé à Le Corbusier de
venir sur place, voir le climat, le site. Il aurait dit : “Si cet immeuble
vous plaît, vous le prenez tel quel, si ça ne vous plaît pas, allez
chercher ailleurs”. Le Corbusier s’offrait le luxe de refuser une
commande énorme. Et puis il n’appréciait pas que l’on soit aussi
nombreux : “On n’est plus chez soi avec tous ces ingénieurs”, disait-
il» (N. Chatzidakis, 1987).

— 166—
LES UNITÉS D'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

L'obstacle de l’industrialisation
L'obligation de passer par des approches technologiques plus pous-
sées, pour multiplier les répliques du type dans des programmes
d'urbanisation, largement accessibles à ce moment, avive ces ten-
sions. Entre 1952 et 1960, Le Corbusier est sollicité, comme il ne
l’a jamais été, et à maintes reprises, pour construire des unités
d'habitation. En janvier 1961, un tableau établi par le bureau
Présenté fait état de quatorze unités en cours d’étude sur sept
sites distincts ;mais en dehors de l’unité de Firminy, aucune ne
verra le jour.
Que s'est-il passé ? C’est dans l’industrialisation des procédés de
construction, et à cause du partage grandissant du pouvoir avec les
ingénieurs, que les tensions accumulées à Marseille jouent un rôle
dissuasif. Le corollaire de ces attitudes et de ces contraintes est un
ensemble de contradictions. D’abord, la pression pour augmenter
les salaires et reconnaître l’apport personnel des collaborateurs se
renforce dans l’agence, où elle exprime des insatisfactions nom-
breuses. On traverse alors une période de plein emploi pour tous les
métiers de l'architecture et les «patrons» d'agence, grandes et petites,
embauchent à tour de bras. Or, en août 1959, en réponse à leurs
demandes salariales, trois des collaborateurs principaux de l’agence,
Maisonnier, Tubito et Xenakis, sont brutalement licenciés, sans la
moindre explication.
Ensuite, mener à bien de grands projets d'urbanisation, pour
répondre à la croissance forte des besoins de logement dans les
centres urbains, implique des performances que les méthodes tra-
ditionnelles d'étude et de construction ne parviennent pas à satis-
faire. Pour des programmes de plusieurs milliers de logements, les
délais de construction ne peuvent pas être ceux de Rezé: dix-huit
mois de chantier pour trois cents logements. Pour mettre en chan-
tier plusieurs unités d’habitation à la fois, la double difficulté — d’une
limite serrée des prix et de délais de réalisation courts — impose le
recours à des procédés de construction industrielle, qui exigent eux-

— 167—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

mêmes une adaptation du type de l'unité; une collaboration et des


accords en profondeur avec les bureaux d’étude et les entreprises
deviennent nécessaires.

La disparité des systèmes constructifs envisagés


Au terme de l'étude des projets successifs de Marseille, au terme
de ce vaste chantier de travail intellectuel collectif, mais conduit
avec des méthodes obsolètes — à commencer par le bénévolat imposé
à une armée de stagiaires — le pronostic est celui d’un développe-
ment improbable. Ce que confirme l’analyse historique. Après ce
chantier, des hésitations précèdent toujours le choix des systèmes
constructifs :par quoi remplacer l’ossature coffrée — formant ce
p. 83 que Le Corbusier a nommé «le bouteiller » ? Pour Rezé, tout au
long de l’année 1949, Le Corbusier, qui a bien compris que la réa-
lisation impose une construction moins coûteuse qu’à Marseille,
propose successivement une ossature en acier (janvier) et la
construction en béton armé précontraint (juillet), technique nou-
p. 123 velle pour lui. La construction de voiles porteurs et la remise en jeu
de l'isolation donnent plus tard la clef d’une solution économique
pour Rezé. Mais le projet pour les deux unités de Strasbourg, étu-
diées pratiquement dans le même temps, est fondé sur des volumes
moulés préfabriqués, en béton armé, formant les cellules, empilées
les unes sur les autres, et dont la masse (considérable) porte sur
un sol artificiel de structure complexe (arcs et tirants de béton
armé). Ce procédé a pour inconvénient évident de surdimension-
ner les épaisseurs — donc le poids et le coût — des parois portantes,
puisqu'elles sont identiques à tous les niveaux de la construction.
Si les conséquences morphologiques du procédé sont faibles pour
les élévations et les cellules, il n’en est pas de même pour les pilo-
tis, cylindriques, devenus dans ce projet deux fois plus nombreux ;
leurs alignements extérieurs sont à l’aplomb des élévations, ce qui
fait disparaître le puissant effet de surplomb du volume. Pour
Firminy et pour Briey, le recours aux solutions éprouvées de Rezé,

— 168—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

s’il s'impose de façon pratique pour la réalisation d’une seule unité


à la fois, ne permet pas de faire avancer la question industrielle et
diffère la solution au problème.
Or celle-ci ne cesse de se poser pour la plupart des projets étudiés
à partir de 1955. Les études menées pour Meaux et pour Roussillon
par le bureau d’études G. Présenté font en quelque sorte machine
arrière, reviennent au principe d’une ossature primaire en acier posée
sur le sol artificiel en béton, dans laquelle des cellules préfabriquées
sont mises en place à la grue. La cellule est tronçonnée en trois par-
ties dans sa longueur, et ses éléments, en provenance d’une usine spé-
cialisée, sont montés et assemblés dans une usine-relais, abritée sous
le sol artificiel (note de G. Présenté, De l’industrialisation du bâti-
ment, 1% décembre 1959). C’est le sens de la collaboration conduite sur
ces questions avec Renault Engineering. Outre les réserves émises
contre ce système tout acier par le centre scientifique et technique du
bâtiment (CSTB) pour des raisons de mauvaise tenue au feu, Renault
calcule que, pour être économiquement acceptable, la série doit por-
ter sur plus de vingt-cinq mille logements.

Le Corbusier, piètre technicien ?


Ces démarches laissent sceptique: l’étude du bureau Georges
Présenté, qui se contente d’une structure primaire rudimentaire,
dans laquelle le contreventement n’est pas prévu, ne semble pas
nourrie d’une pensée technique originale ni stimulante. Dans toutes
ces recherches, le projet analogique des cellules de l’unité initiale
reste très rudimentaire, sans remettre jamais en cause des données
comme la largeur unique des cellules (cette donnée fixe, entre autres,
la dimension constante des cuisines, dont on a vu les inconvénients).
Autant d'indications sur la faible mobilisation de Le Corbusier et
de ses meilleurs interprètes dans leurs rapports avec les industriels.
Le renouvellement des hommes a joué aussi son rôle : après le
départ de Bodiansky (qui collabore avec Le Corbusier de 1946 à
1956), de Wogenscky (de 1936 à 1956), de Maisonnier et de Xenakis

— 169—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

(tous deux dans l’agence de 1947 à 1959), tout se passe comme si


les forces vives indispensables pour aider Le Corbusier à passer le
cap de l’industrialisation des unités aient fait défaut. Ni Renault
Engineering, ni aucune entreprise ne manifeste de réelle conni-
vence avec les objectifs de l’architecte. Ces épisodes qui concernent
la vie de l’agence et ce relatif désintérêt personnel de Le Corbusier
confirment que sa culture technique et industrielle est insuffisante.
Pour renouveler la pensée sur la production en masse, c’est d’un
Laffaille (mais il meurt en 1955) ou d’un Prouvé (mais il est moins
autonome à ce moment), que Le Corbusier aurait eu besoin.

Le point d'équilibre d’une trajectoire


L'étude et la fabrication des unités constituent non seulement un fil
conducteur de longue portée dans l'itinéraire de Le Corbusier, mais
bien davantage : elles conduisent l’architecte à y investir l'essentiel
de son projet d’acte social bienveillant. Il y joue, pour la dernière
fois, avec l'efficacité du langage, dans un registre qui va de l’image
p.38 «qui-donne-à-voir », la cité-jardin verticale, à l'obscurité pseudo-tech-
nologique et administrative de l'unité d'habitation de grandeur
conforme, qu’il convient de ranger parmi les trouvailles de la langue
de bois. Il y réunit des collaborateurs d'exception. Il y conclut un
dialogue, si souvent malheureux par ailleurs, avec le pouvoir. Il y
compense sa mise à l'écart de la Reconstruction par une démons-
tration éclatante, une «sortie par le haut», qui complète et actualise
son image, nationale et internationale. Et lorsque le chantier s'achève,
il y impose, par les médias et par les messagers culturels et poli-
tiques, une haute figure de «l’architecte-de-son-temps ».
Les unités, et tout particulièrement celle de Marseille, ont pris
une place prépondérante dans la réception de Le Corbusier. Devant
la pénurie du logement de masse et l’urgence, les unités ont donné
pl. XV-p. 162 en leur temps des réponses appréciées : les surfaces sont nettement
supérieures à celles des normes du logement social de l’époque, le
niveau élevé du confort et de l'équipement, l'aménagement poussé

— 170—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

du logis et le souci d’aider les femmes dans leurs tâches ménagères pp. 86-87

sont reconnus ; cet effort pour une architecture bienveillante au


quotidien a été partagé par un effort symétrique en terme de savoir-
habiter, même si le volontarisme de plusieurs dispositions soulève
des réserves : la cuisine trop petite, l'étrange longueur des chambres p. 144

d'enfant, l’efficacité incomplète des brise-soleil. Mais l'essentiel est


ailleurs :l'acte d'inventer a été compris. À un journaliste qui lui
demande si elle envisage de quitter son logement dans l’unité de
Rezé, une habitante répond: «Jamais. Vous ne voudriez tout de
même pas que j'aille habiter en appartement » (Cantal-Dupart,
Tribune, n° 168).

Une réception complexe et différenciée


Peu de chroniques illustrent mieux que celles des unités les varia-
tions de la réception dans l’espace et dans la durée. Les manifesta-
tions d’hostilité, du procès à la campagne de presse, sont destinées
à entraver la production et à disqualifier l'architecte et ses appuis.
La célébration prend la forme d’une inauguration officielle, de visites
de personnalités, puis de la protection au titre des Monuments his-
toriques; des jeux et des spectacles consacrent la métamorphose
d’un immeuble destiné à l'habitat en lieu de culture. À défaut d’autres
monuments contemporains édifiés ici ou là, sur les unités se concentre
un effet d’exceptionnelle actualité.

La réception interne
Esquissons une typologie. Il s’agit d’abord d’une réception interne,
incontestable à Marseille et à Rezé. Elle est faite de l'enthousiasme
des premiers groupes d'habitants, de l’action des gestionnaires, atten-
tifs aux usages et à un entretien cohérent, d’une part, et de celle des
responsables d’associations, des militants qui prennent à la fois en
charge la prescription d’un savoir-habiter et la mémoire des lieux,
d'autre part. Pour une minorité d’habitants, ces pratiques locales
sont mises en réseau, dans la durée, par des visites organisées d’une

— 171—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

unité à une autre, par des séjours croisés, notamment entre Marseille
et Rezé. Le regard et la mémoire d’une unité, pour ces habitants,
s’enrichissent et se relativisent par les informations sur les autres
unités, leur distribution, les services, l'équipement des appartements.
Et au fur et à mesure que se précise la perception de l’œuvre et de
sa valeur, les unités, dans ce processus banal de comparaison, font
l'objet, chez les habitants, d’une construction mentale originale.

La réception locale
Vient ensuite une réception locale, qui implique les partenaires de
l'édifice à l’échelle du territoire municipal. Le meilleur exemple est
pl. VIII-p. 161 Rezé où, à partir des années 1980, les élus municipaux engagent
pl. XIII-p. 162 des actions fortes qui valorisent l’édifice dans l’espace urbain, au
point d’ajouter une superficie nouvelle au parc public complétant
l'unité, au point de l’incorporer dans le jeu scénographique produit
par l'édification de nouveaux bâtiments. Avec comme double issue l’in-
corporation de l'édifice à l’image de marque du territoire municipal,
et l'adoption d’une œuvre de Le Corbusier, la Main ouverte, comme
idéogramme officiel. L'implantation d’une unité, dans les conditions
d’une réception très positive, produit des effets différés sur une
longue durée, pratiquement d’une génération d'élus à une ou deux
autres.

Les formes contrastées de la réception professionnelle


Du côté des jeunes architectes, les indices d’une réception locale favo-
rable des unités sont nombreux. Beaucoup, dans le cadre du pro-
gramme de logements collectifs, retiennent la structure modulaire
dans une barre, avec des appartements traversants, et combinent
des éléments architecturaux, plus ou moins proches du modèle. À
Marseille même, plusieurs édifices démontrent la vigueur de l’auto-
rité immédiate des unités sur les jeunes architectes locaux, et aussi
sur les promoteurs. Parmi les interprétations les plus soignées, notons
pp. 180-181 l'ensemble Cantini (142 logements, 1955-1957, André-Jacques Dunoyer
de Segonzac, arch), avec ses pilotis, une trame large et puissante, un

— 172—
LES UNITÉS D'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

parement de béton brut;l'immeuble d’habitation le Brasilia (221 p. 182


logements, 1957-1967, Fernand Boukobza, arch.), est construit sur
le type d’une barre cintrée : il reprend les pilotis, les appartements en
duplex, l'escalier de secours sur le pignon comme manifeste plas-
tique. En Bretagne, à une échelle régionale sinon locale, le modèle
de Rezé inspire plusieurs architectes : à Lorient, l'immeuble d’habi-
tation au Moustoir (1962, Henri Conan, arch.) ; à Trébeurden, la rési- pp. 178-179
dence Hélios (1952-1957, Roger Le Flanchec, arch.).
À ces niveaux s'ajoute celui d’une réception à distance enfin,
dans laquelle il faut distinguer ce qui relève des milieux de l’ar-
chitecture et ce qui relève des professionnels de la culture. La viru-
lence des attaques conduites pendant l'édification de l’unité de
Marseille a déjà été analysée (A. Kopp, 1987): conduites par des
institutions (l’Ordre des médecins du département de la Seine, le
conseil supérieur d'hygiène de la France), relayées avec complai-
sance par des organes de la presse professionnelle (L’Architecture
française, en 1948), elles impliquent des architectes, qui se font les
porte-parole de groupes d'intérêt hostiles à la mise en question des
modes traditionnels de la production de logements. En sens inverse,
de nombreux architectes participent à grossir l’écho international
des unités par l'interprétation typologique des barres de logements ;
cette interprétation devient référence flagrante et mimétique dans
les cinq barres dessinées par les architectes du département d’ar-
chitecture du London County Council, pour l'unité de voisinage de
Roehampton (Alton West), entre 1955 et 1959. Et la poétique du
béton brut mise au point à Marseille est une source incontestée du p. 183
new brutalism.

Les décalages de la réception culturelle


Du côté culturel, la réception à distance est tributaire d’interprètes
et d'auteurs, écrivains, critiques ou historiens, dont la distance par
rapport aux réalités locales est souvent considérable, et qui traitent
souvent avec désinvolture la valeur d'usage matérielle et sociale,
sur laquelle ils sont peu informés. Au point de prendre la forme


LES UNITÉS D’'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

d’écarts majeurs et d'aboutir à des jugements approximatifs, comme


ceux, mentionnés plus haut, de Pierre Francastel et de Julien Gracq.
En l'absence prolongée d'ouvrages de référence, sans tenir compte des
approches conduites par des sociologues, ces points de vue superfi-
ciels ont longtemps perduré, pratiquement jusqu'aux publications liées
à la préparation du centenaire de Le Corbusier en 1987, ou jusqu'aux
mises au point mieux avisées (J. Sbriglio, 1992).
Les analyses, dans cette réception à distance, distinguent for-
tement les unités par des relais très disparates : la matière publiée
se concentre exclusivement sur l’unité de Marseille ; ainsi, dans l’in-
dex de Le Corbusier une encyclopédie, on trouve trente-quatre entrées
pour Marseille, deux pour Firminy, deux pour Rezé (sous la rubrique
Nantes), une pour Briey (en réalité, en dehors de dessins compara-
tifs, il n’y a pas de renseignements sur les unités autres que celle de
Marseille). Avant 1992, dans la plupart des ouvrages, seule l’unité
de Marseille est mentionnée, ce qui lui vaut de prendre place dans
le corpus des œuvres majeures. Ces différences, si fortement déca-
lées avec les niveaux de réception interne et locale, entravent l’ap-
proche scientifique. On peut considérer qu’une des quatre unités
masque complètement par sa présence la réception des autres.
L'édition destinée à la diffusion sur le site confirme le sort particu-
lier réservé à Marseille ; ainsi, un seul dépliant consacré à une unité
est publié par la Fondation Le Corbusier, et il s’agit toujours de
Marseille.
Seule la chronique des restaurations et des sauvetages réta-
blit, dans une certaine mesure, l’existence médiatique des autres
unités. Les indications sur les travaux de restauration, dans la
mesure où ils dépendent de l'administration de l’État, ou d’interve-
nants, architectes ou entreprises, qui ont une dimension hexago-
nale, tendent à réduire la mise à l'écart de Rezé. Les récents projets
de Ciriani sur l’unité de Firminy ont été connus et commentés à
Paris. Et on a vu comment, pour le sauvetage de l’unité de Briey, la
menace de démolition a pu être utilisée par un élu pour mobiliser les
médias nationaux.

— 174—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

De l’opprobre à la gratitude ?
La longue durée de la réception — près d’un demi-siècle — donne une
consistance remarquable et significative à certaines approbations
différées ;en fait, on observe des réceptions successives, dans un
contexte instable. Une des manifestations les plus remarquables est
celle exprimée par le dessinateur Jean-Marc Reiser en 1973. À ce
moment, dans un contexte bien différent de la sévère pénurie des ori- p.177
gines, Reiser, porte-parole de préoccupations libertaires et écolo-
giques, délivre un message enthousiaste sur le niveau de confort
offert par les unités «il y a trente ans» (notons au passage que sa men-
tion du vide-ordures de Briey trahit un séjour sur place). Le sup-
port, Charlie-hebdo, un périodique bien connu pour sa virulence,
ajoute au sens de cette reconnaissance profane. La durée contribue
ici à faire apparaître un sens nouveau.
La longue durée donne aussi toute sa signification au respect
de l'édifice comme objet matériel, lorsqu’à l'évidence ce respect se
consolide, par l’entretien du gros œuvre, les interventions sur les
parties communes, les décisions successives sur les équipements
techniques. À Rezé, la qualité de l’entretien du sol des rues inté- pl. XI-p. 162
rieures — un dallage plastique d’origine — prend valeur d’un mani-
feste de la pérennité ; à Briey, la mise en peinture de la structure
évoque les concessions faites à l’authenticité du bâtiment. Ces pl. XVI-p. 162
données fragmentaires, assemblées, enrichissent la valeur de
l’œuvre : elles font référence à une durée franchie, à des degrés
de la résistance à l’usure et au temps. Et ce ne sont pas des per-
formances seulement mécaniques et triviales, mais des décisions
et des opérations qui laissent une empreinte durable sur l'édifice ;
venues de gestionnaires ou de techniciens, ces traces enrichissent
d’une accumulation de données positives l’observation des lieux.
À l'inverse, la vision à Firminy d’une partie de l’unité, désertée et
clôturée, est l'équivalent d’un message d’alerte sur le statut critique
du bâtiment.

— 175—
LES UNITÉS D’'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

Les unités d'habitation au Panthéon...


La protection et les opérations menées au titre des Monuments
historiques sont les formes officielles de ce respect matériel, trans-
posé dans le domaine des biens culturels. Elles aussi s’étendent dans
la longue durée, de 1964 et 1965 (les unités de Marseille et de Rezé
sont, dans cet ordre, inscrites à l’inventaire supplémentaire) à aujour-
d’hui, avec une extension de la protection au classement d’apparte-
ments et d'espaces collectifs. Cette protection, dont l’origine est due
aux interventions d'André Malraux, ministre d’État, et de son entou-
rage, s'impose face aux réticences d’une administration, qui a jus-
qu’alors appliqué avec une extrême parcimonie la loi de 1913 aux
édifices du xx® siècle. De ce point de vue, la protection — du vivant
de l'architecte — de l’unité de Marseille (inscrite sur la liste supplé-
mentaire, le 26 octobre 1964) a pu paraître comme doublement scan-
daleuse : premier édifice de Le Corbusier à bénéficier d’un statut de
Monument historique, d’une part, elle consacre un architecte d’avant-
garde, qui peu de temps auparavant était constamment sous la pres-
sion d'attaques, d'insultes et de manifestations d'exclusion ; et, d’autre
part, elle intègre une expérience d'habitat populaire dans les plus
hautes catégories des œuvres de l’art et de la culture. Dans ce sens,
cette officialité de la réception des unités d'habitation est un repère
historique majeur, pour comprendre les nouvelles attitudes prises par
les pouvoirs publics, à partir de 1975, envers les édifices du xx° siècle.

Page ci-contre : dessin de Jean-Marc Reiser paru dans Charlie-Hebdo, n°152, 15, octobre 1973.

— 176—
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LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

L'immeuble d'habitation Le Moustoir, à Lorient. Élaboré entre 1959 et 1961


pour l'office municipal d'HLM par l'architecte Henri Conan (1917-1983),
cet édifice de 99 appartements locatifs, dont les deux tiers en duplex, s’inspire des unités
de Le Corbusier. Les pilotis dessinent un portique, ouvert sur les deux tiers
de la longueur du bâtiment. Le toit-terrasse est utilisé pour un vaste séchoir à linge,
couvert, et pour une salle de jeux pour les enfants. L'implantation dans l’axe
d’un carrefour de voies divergentes suggère que la vision frontale est utilisée
pour la mise en place d’un point fort du paysage urbain.

— 178—
LES UNITÉS D'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

La résidence Hélios, à Trébeurden, dessin en perspective, sd. Projeté et construit


entre 1951 et 1957, par l'architecte Roger Le Flanchec (1915-1986),
cet édifice de 13 étages se proposait d’être un hommage à Le Corbusier.
La proximité avec son modèle ne se limite pas à une ressemblance formelle
de l'élévation ouest avec la façade de l’unité de Marseille et avec les pilotis :
l'insonorisation des appartements et l'équipement poussé de la cuisine sont aussi
au programme. L'architecte, aux prises avec des problèmes de malfaçons
et de commercialisation, renoncera au restaurant panoramique prévu sur le toit.
Pour Saint-Brieuc, en 1952, Le Flanchec étudie aussi un projet
de “Cité radieuse”, sur pilotis (non réalisé).

— 179—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

Immeuble Cantini, avenue Cantini, à Marseille : état à la fin du chantier,


printemps 1958. L'édifice, de 142 appartements, est construit pour la Société du Gaz du Midi
par un jeune chef de file des architectes de Marseille, André Dunoyer de Segonzac (né en 1915),
et par son collaborateur Roger Dabat. Il présente une interprétation soignée
de plusieurs des éléments de l’unité de Le Corbusier : l'élévation alvéolaire,
plusieurs loggias construites en encorbellement.

— 180—
LES UNITÉS D'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

Immeuble Cantini à Marseille (architecte A. Dunoyer de Segonzac).


Les pilotis du rez-de-chaussée reconstituent ici un portique, ouvert sur la rue.

— 181—
LES UNITÉS D'HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

— 182—
LES UNITÉS D’HABITATION : DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION

Ci-dessus, la caserne de pompiers, 37 bd Masséna, Paris XIIT° arrondissement, 1971.


Dans ce grand bâtiment étudié par les architectes Jean Willerwal et Prvoslav Popovic,
la silhouette générale et le dessin des éléments interprètent les formes des unités d’habitation.
L'accent est mis sur les alvéoles proéminentes des loggias, sur l'implantation désaxée
des circulations verticales, sur les superstructures du toit-terrasse.
La combinaison des contraintes du service et des besoins d'intimité des logements
trouve dans le modèle une solution fonctionnelle.

Ci-contre, l'immeuble Brasilia, boulevard Barral, à Marseille, Cet édifice,


une commande du maître d'ouvrage Georges Laville — un des principaux promoteurs-
constructeurs de Marseille — est l’indice d’un succès commercial escompté
à partir d’une référence incontestable à l’unité de Le Corbusier, édifiée à proximité.
Construit entre 1957 et 1967, cet édifice est la première œuvre de l'architecte Fernand
Boukobza (né en 1926). Plusieurs éléments sont repris de l’unité de Le Corbusier :
la typologie des appartements en duplex (221 logements), les élévations alvéolaires,
l'escalier de secours, en plus spectaculaire encore. Le plan courbe et la grande hauteur
suffisent à établir une différenciation forte.

— 183—
CONCLUSION

UNE ARCHITECTURE TRAGIQUE


difiées avec la générosité du visionnaire qui croyait que l’ar-
chitecture conduisait à la «maison des hommes», ces quatre
unités forment aujourd’hui un ensemble unique. À la fois
proches et distinctes l’une de l’autre, elles se sont imposées, bien au-
delà de leur valeur d'usage, dans les actes et les décisions d’un milieu
local, dans les références à une culture architecturale de la moder-
nité, et au rang des œuvres majeures signées par une haute per-
sonnalité de l’histoire architecturale du xx° siècle. Assurément, toutes
les composantes de leur statut artistique l’ont finalement emporté
sur la désuétude, sur l'indifférence et sur les négligences qui expli-
quent le sort banal que notre société réserve depuis les années 1960
au logement de masse, jusqu’à l'application, pour les quatre unités,
des textes qui fondent la protection des Monuments historiques ;
d’où le haut niveau des restaurations récentes qui ont requis des
financements importants.
Mais leur intégration dans la culture locale est peut-être plus
profonde que celle d’une pièce, même éminente, dans un patrimoine
architectural. Tout se passe comme si de nombreux acteurs étaient
encore capables de voir, dans chacune des unités, l'empreinte des
passions qu’elles ont suscitées et comme si ce regard averti les armait
dans leur résistance à la banalisation. À la différence d’autres édi-
fices de cette période — par exemple les constructions de Perret et de

— 185—
UNE ARCHITECTURE TRAGIQUE

ses élèves au Havre, celles de Lurçat à Maubeuge — dont l’élabora-


tion, la gestation et l'usage furent plus paisibles, les unités ont été
avant tout des manifestes d'opposition, paradoxalement appuyés
par des ministres successifs, très sensibles à leur portée politique.
Elles ont fixé tant d’espoirs, tant d’enthousiasmes, tant de haïnes
aussi, elles ont mobilisé tant de générosité, produit tant d'énergie et
de heurts pour installer une conception exemplaire, sinon révolu-
tionnaire, de l'habitat, à un moment où la France se reprenait à
croire à la joie de vivre, à la paix et à la sécurité revenues, que leur
émergence est bien celle d'œuvres d'exception. Nées dans la fureur,
elles sentent encore la poudre.
Ne perdons pas de vue que cette tension, dans ce contexte, est
justifiée par la recherche de nouvelles satisfactions, matérielles,
fonctionnelles, plastiques, chromatiques et tactiles, faites pour la vie
quotidienne des hommes et des femmes ordinaires ; des qualités nou-
velles, du confort, et bien plus, pour la vie des hommes. Les unités,
dans le champ de production à la fois matériel et culturel qui est le
leur, sont des œuvres tragiques. C’est bien, une génération après, ce
qu'y voit encore Jean-Marc Reiser.
Conçues dans les premiers mois de l'effort de Reconstruction,
bâties dans la pénurie de l’après-guerre, pensées et désirées pour
donner d’un coup des satisfactions qualitatives insolites et inouïes
à des gens ordinaires (et même à de petites gens), elles sont des pro-
positions scandaleuses, dans un effort collectif, indépendant des
pesanteurs et des routines, des conventions, des hiérarchies et du mar-
ché. Et ce projet fait effectivement scandale, partout, longtemps,
mobilise une opposition, suscite des procédures judiciaires aventu-
reuses, des campagnes de presse, des textes stipendiés; il met en
difficulté des ministres, dont l'entourage, circonspect, mesure avec
précaution les risques d’une politique qui manque d’appuis solides ;
une politique qui débouche sur la démonstration d’un improbable
service public de l'habitat, dont, le moment venu, personne n’accepte
d’endosser la mise en évidence ;exit, dès 1951, la partie statutaire du
projet, enfouie dans les oubliettes de l’histoire.

— 186—
UNE ARCHITECTURE TRAGIQUE

Tragique aussi, incapacité de l'architecte à assumer, au-delà d’un


tout petit nombre d'éléments, la réponse à la demande sociale qui se
manifeste ensuite. Coûteux, le mode constructif des unités est figé,
devient rapidement obsolète, et la démarche de l’invention se retourne
même contre son concepteur, dont les efforts d'adaptation, vite deve-
nus dérisoires, ne peuvent passer le cap d’une production en masse
et rapide. Tragique aussi, cet échec devant les critères de l’indus-
trialisation des années de la croissance.
Née dans un contexte daté et déterminé, la démarche, bientôt
devenue désenchantée, ne se renouvelle pas, devient stérile; et,
source d’une tragédie professionnelle et personnelle cette fois, elle isole
son auteur qui, dans une fuite en avant, écarte plusieurs de ses
proches collaborateurs, avant de choisir le départ vers d’autres espoirs
et d’autres déceptions.
Derrière l'apparence d’une assimilation et d’une empathie deve-
nue paisible, il fallait proposer cette lecture rétrospective :témoins
virulents d’un moment d'exception, les unités ne sont décidément
pas des bâtiments comme les autres.

— 187—
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CARACTÈRES TECHNIQUES
DES UNITÉS D'HABITATION CONSTRUITES

Unité d'habitation de Marseille

Localisation : 280 boulevard Michelet, 13 008 Marseille,


Bouches-du-Rhône.

Statut juridique : — immeuble en co-propriété depuis mai 1954;


— classé Monument historique le 20 juin 1986:
à l'extérieur :façades, terrasse
et ses aménagements, portique;
à l’intérieur: hall d'entrée,
espaces de circulation
(ascenseurs exceptés), appartement n° 643
destiné à la visite;
— classé Monument historique
le 12 octobre 1995,
l'appartement n° 50 est destiné à la visite.

Commanditaire : ministère de la Reconstruction


et de l'Urbanisme ;
ministres successifs : Raoul Dautry,
François Billoux, Jules Moch,
Charles Tillon, Jean Letourneau,
René Coty, Eugène Claudius-Petit.

Maîtrise d’œuvre : Le Corbusier.

Principaux Roger Aujame, Vladimir Bodiansky,


collaborateurs : Georges Candilis, Fernand Gardien,
Gérald Hanning, Olek Kujawsky,
André Maisonnier, Jacques Michel,
Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Guy Rottier,
André Roux, André Wogenscky,
Shadrach Woods, Iannis Xenakis.

— 191—
ANNEXES

Bureau d’études: ATBAT

Principales entreprises:
gros œuvre : la Construction moderne française
(structure béton)
Travaux du Midi (éléments de béton vibré)
Ateliers Jean Prouvé (structure planchers)
étanchéité : Asphaltoit
sols, planchers bois : Barthélémy
revêtements de sols: Modep, Barges
menuiserie bois : Barberis (baies et équipement des cuisines)
vitrerie : Baget
serrurerie : Bricard
ascenseurs : Otis-Pifre
électricité : Chauvin-Geerincks, Robert, Noël et Pellegrini
canalisations et sanitaires : Laurent Bouillet / Paul Deux
chaufferie : Neu

Dimensions :
longueur: 137 m
épaisseur : 24 m
hauteur : 56 m
surface hors œuvre : 75 000 m2?
surface habitable : 28 773 m?
surface des équipements : 5738 m?
nombre d'appartements : 326

Unité d’habitation de Rezé

Localisation : boulevard Le Corbusier, 44 400 Rezé,


Loire-Atlantique.

Statut juridique : — copropriété et immeuble locatif,


géré par Loire-Atlantique habitations;
— inscription des façades et toitures
à l'inventaire supplémentaire des Monuments
historiques, le 16 septembre 1965.

Commanditaire : société coopérative d'HLM la Maison familiale.

— 192—
ANNEXES

Maîtrise d'œuvre : Le Corbusier

Principaux André Wogenscky, Bernard Laffaille,


collaborateurs : Tannis Xenakis

Bureau d’études: Séchaud et Metz

Principales entreprises :
gros œuvre et pilote: Compagnie d'entreprises électriques,
mécaniques et des travaux publics (CEEMTP)
revêtements de sols : Modep
menuiserie bois : Barberis (Ajaccio) et Bidoilleau (Nantes)
vitrerie : Alazard
serrurerie : Marin
ascenseurs : Otis
électricité : Chauvin-Geerinckx (Paris) et Vivant (Nantes)
- canalisations et sanitaires: Laurent Bouillet (Lyon) et Rinaud (Nantes)
chaufferie : Missenard-Quint (Paris)
et Lefort-Francheteau (Nantes)

Dimensions :
longüeur : 105,71 m
épaisseur: 19,03 m (loggias comprises)
hauteur : 51,80 m
surface hors œuvre : 36936 m°?
surface
des planchers d’appts: 20 921 m2 (dans le projet 32 905 m?)
surface des équipements : dans le projet 11 122 m°?
(avec les rues et les terrasses)
nombre d'appartements : 294

Durée de la construction : 18 mois

Budget 1955 (prix en francs):


prix de la construction : 794657 202 F
prix toutes dépenses confondues
(terrain, voirie, frais d'étude, assurances): 870753 787 F
mobilier supplémentaire : 10853000 F
prix au m? hors œuvre construction seule : 21514 F
prix au m? toutes dépenses confondues : 23614F

— 193—
ANNEXES

Unité d’habitation de Briey-en-Forêt

Localisation : lieu-dit bois de Napatant, 54 150 Briey,


Meurthe-et-Moselle.

Statut juridique: — à l’origine, immeuble locatif HLM, géré


par l'OPHLM de Briey, puis, de 1967 à 1987,
par l'OPHLM (devenu OPAC)
de Meurthe-et-Moselle ;ensuite propriété
de l’hôpital Maillot et enfin co-propriété.
— inscription à l’inventaire supplémentaire
des Monuments historiques (arrêté du 26
novembre 1993) portant sur façades, toitures,
portique, hall et son comptoir, première rue
et sept appartements (n° 101, 116, 128, 131,
132, 133, 134).

Commanditaire : office public intercommunal d'HLM de Briey

Maîtrise d'œuvre : Le Corbusier, André Wogenscky

Bureau d’études: G. Présenté

Principales entreprises :
gros œuvre et pilote: CEEMTP
étanchéité : Mines de bitume et d’asphalte du Centre
revêtements de sols : Revelor
menuiserie bois : Barberis
vitrerie : Alazard
serrurerie : J. Bernard
ascenseurs : Otis
électricité : Droniou
canalisations et sanitaires: Sanceau
chauffage et ventilation : Missenard-Quint
peinture : Martin
paratonnerre : Mongin

Dimensions:
longueur : 110 m
épaisseur : 20 m
hauteur : 50 m
surface hors œuvre : information non connue
surface habitable : 36 000 m2
nombre d'appartements : 339

— 194—
ANNEXES

Unité d’habitation de Firminy

Localisation : quartier des Bruneaux, Firminy, 42 700 Loire.

Statut juridique : propriété de la ville de Firminy


et de lOPHLM de Firminy.

Commanditaire : Eugène Claudius-Petit,


député-maire de Firminy.

Maîtrise d’œuvre : Le Corbusier

Collaborateurs José Oubrerie, Fernand Gardien,


principaux : Taves, Rebutato, André Wogenscky,
en charge de l’opération après le décès
de Le Corbusier.

Bureau d’études : G. Présenté

Principales entreprises: informations non connues

Dimensions :
longueur : 131 m
épaisseur : 21m
hauteur : 55 m
surface habitable : 45 700 m2
surface des équipements : 7103 m? (sans les rues)
nombre d'appartements : 414

— 195—
PROJETS NON CONSTRUITS

Saint-Dié (1945), La Rochelle-La Pallice (1945-1947), Marseille-Veyre (1947-1951),


Antony (1947), Paris (1949-1950), Strasbourg (1951), Roubaix (1952-1953 et 1956-
1958), Meaux (1955-1957), Agen-Boé (1960-1961), Vélizy-Villacoublay (1960-1961),
Brétigny-sur-Orge (1960-1961), Roussillon (1960-1963), Tours (1960-1961), Marseille-
Le Canet-Malpassé (1963).

Les unités d'habitation non parvenues au stade de la réalisation sont ici


recensées dans l’ordre chronologique; on se limite aux études menées en
France (voir page 18), laissant de côté les démarches, accompagnées ou non
d’une approche graphique, à Barcelone, Glasgow et Dakar. Cette liste de
soixante-et-onze unités comporte deux catégories de projets: les uns sont
centrés sur l'élaboration d’une ou deux unités, en réponse à une requête pré-
cise, définie par un programme et un terrain (par exemple Antony, Paris,
Strasbourg, Roubaix, Agen-Boé). Ils sont de surcroît quelquefois associés à
une innovation constructive (Roussillon). Les autres concernent l’aménage-
ment d’un site, où les unités sont les éléments standards de l’urbanisation
(Saint-Dié, Meaux, Marseille-Veyre, Tours).
D’autres études visaient à implanter des unités d'habitation à Bor-
deaux en 1959 ; Annecy en 1960 ; Dijon, Malo-les-Bains, Metz, Nîmes, Saint-
Étienne, Toulouse, en 1961; Mérignac en 1962 ;Albertville en 1970 (Ragot
et Dion, 1997, p. 379). Le nombre des unités prévues pour ces opérations
étant inconnu, ces études ne sont pas prises en compte dans le nombre des
soixante-et-onze unités retenues. Il arrive que ces projets résultent de
contacts ou d'interventions de Le Corbusier, dans le but d’obtenir des com-
mandes (Strasbourg, Meaux), afin de maintenir l’activité dans l’agence; la
plupart du temps ils sont issus d’une demande d’un élu ou d’un promoteur ;
tous ne sont pas étudiés personnellement par Le Corbusier : « Plusieurs col-
laborateurs ont en effet remarqué que, Marseille achevé, l'architecte consi-
dérait avoir fait la preuve de ses idées et trouvait quelque peu incongru
d’être contraint de se répéter; sans doute acceptait-il les projets d'unité

— 196—
PROJETS NON CONSTRUITS

d'habitation pour des raisons financières, les honoraires lui permettant


d’éponger les frais engagés sur des études théoriques ou des projets infruc-
tueux » (Bédarida, 1987, p. 358).
Le nombre important de ces études, la référence dans plusieurs d’entre
elles aux unités de Rezé, Briey et Firminy, démontrent une approche typo-
logique, mais aussi l'absence d’une véritable série, puisque les procédures de
production industrielle n’aboutissent pas et que chaque étude est davantage
la proposition d’une variante analogue que celle d’une version identique. En
1961, avec une agence réduite, l'étude technique et la mise au point des pro-
jets d'unités nouvelles sont confiées à un «service exécution», sous la direc-
tion de Georges Présenté. Un tableau daté du 30 janvier 1961, fait état de
sept sites (Firminy, Tours, Péage-de-Roussillon, Agen-Boé, Brétigny-sur-
Orge, Aulnay, Grenoble), sur lesquels sont envisagées quatorze unités (FLC
E2 20 59). De cette série, une seule (Firminy) est réalisée.
Le petit nombre de commandes effectives, par rapport aux soixante-dix-
sept unités étudiées au total, est un bon indice sur l’inadéquation de l'agence
au marché de la production du logement, en forte croissance après 1951; si la
commande échappe parfois à Le Corbusier pour des raisons idéologiques (Rou-
baix), il semble que dans plusieurs cas la raison de l'échec se trouve ailleurs,
soit dans l’irrespect des exigences exprimées par la direction départementale
du ministère de la Reconstruction et du Logement (comme à Meaux), soit dans
l’insuffisante collaboration avec les entreprises, clef de l’industrialisation des
chantiers qui autorise les délais courts et le respect des prix-plafonds — autant
de critères alors primordiaux pour la maîtrise d'ouvrage.

Saint-Dié (huit unités, 1945)

Pour la reconstruction de cette ville des Vosges, détruite par l’armée alle-
mande avant de se replier (8-19 novembre 1944), Le Corbusier propose un
plan d'ensemble en 1945. Maïs, pris dans une controverse qui met en jeu à la
fois plusieurs groupes de pression locaux et l'administration du ministère de
la Reconstruction, confronté au projet de l’architecte Jacques André (1904-
1985), officiellement chargé par le ministre de la reconstruction de la localité,
Le Corbusier, pourtant nommé architecte-conseil de la ville de Saint-Dié, le
19 avril 1945 — un titre dépourvu de toute valeur juridique — doit renoncer
en 1946; après la démission de Jacques André, le projet de Raymond Malot,
inspecteur de l'urbanisme à Nancy, est adopté par le conseil municipal en
octobre 1946 et mis en œuvre par l’architecte en chef Michau.
À Saint-Dié, Le Corbusier, fort de l’appui d’un jeune industriel, Jean-
Jacques Duval, et de ses amis, a trouvé «un site et un programme à la mesure
de ses ambitions, qui ont joué un rôle de catalyseur » (Bradel, 1994). À la croi-
sée de deux axes hérités des tracés du xvuI* siècle — nord-sud et est-ouest —

— 197—
PROJETS NON CONSTRUITS

il installe les équipements publics d’un «centre civique» piétonnier et dis-


tribue, de part et d’autre de celui-ci, le long de l’axe est-ouest, une série de
huit unités d’habitation, deux à l’ouest, six à l’est; ces unités, conformes au
type en cours de mise au point à Marseille, sont orientées nord-sud.
Si les édifices prévus ne sont pas l’objet d’une représentation détaillée,
l'argumentation est substantielle, dans le droit fil des études conduites
antérieurement pour la Ville radieuse; ainsi, en s’appuyant sur la com-
mande de l'unité de Marseille, leur programme est mis en avant par Le Cor-
busier auprès de ses interlocuteurs de la CGT, dont il sollicite l'appui :«Le
logis, capable d’abriter la vie de famille des travailleurs, comporte avant
toute chose les moyens de libération de la maîtresse de maison, son affran-
chissement d’une part importante des charges domestiques. Ce but ne peut
être atteint que par la concordance de trois éléments à conjuguer, à savoir:
1 — un logis rationnel et suffisant,
2 — l'aménagement des services communs: ravitaillement et prépara-
tions de certains mets, services de médecine préventive et curative, culture
physique indispensable à l'enfant et à l’adulte, etc.
3 — organisation des prolongements du logis, c’est-à-dire pouponnière,
maternelles, écoles primaires, ateliers, clubs d’adolescents, sport au pied des
maisons (basket-ball, course, nage, football, etc.).
Équipement facultatif de jardins potagers groupés non pas pour une
production d'ordre lucratif, mais pour satisfaire à des besoins d’ordre spiri-
tuel “cultiver son jardin”. »
(Le Corbusier à Lebrun, secrétaire général de la CGT, le 15 novembre
1945)
En décembre 1945, et pour tenter de sauver son projet, Le Corbusier
annonce à Jean-Jacques Duval la mise au point d’un plan pour «l'étape
1946» de la reconstruction de Saint-Dié. Dans ce plan, à côté des construc-
tions provisoires, le projet de deux unités apparaît comme le noyau d’un
choix stratégique pour la suite concrète de l’opération, dont on attend des
résultats par l'interprétation qu’en donneront les entreprises: «Deux
constructions de type ISAI (immeubles sans affectation individuelle) — for-
mule du ministère pour désigner des constructions du genre de celles que
nous avons prévues — munies de services communs, de prolongements du
logis. Ces deux premières constructions ISAI seront confiées à deux indus-
triels concurrents, de façon à les stimuler et à avoir deux expériences de réa-
lisation différente. Grâce à ces deux ISAI, on pourrait absorber
immédiatement trois mille sinistrés, c’est-à-dire près de six cents familles »
(Le Corbusier à Jean-Jacques Duval, le 19 décembre 1945).
Partie essentielle du projet de Saint-Dié par leur implantation, ces huit
unités seront les premières images largement diffusées du concept ;en effet,
le projet de la reconstruction de Saint-Dié, bien qu’il ne dépasse jamais le

— 198—
PROJETS NON CONSTRUITS

stade d’une proposition officieuse, est la première application tant soit peu
crédible de la Charte d'Athènes par son auteur. Sa réception par les profes-
sionnels est exceptionnelle, à la mesure de la diffusion des images du projet
dans le monde, reproduites, à la suite de l'exposition des plans à New-York,
dans de nombreuses revues, où elles acquièrent un statut d’exemplarité.

Sources : Archives FLC, H-3-18.


Le Corbusier, Œuvre complète 1938-1946, pp. 132-139.
Bibliographie: Le Corbusier et Saint-Dié, catalogue d’exposition, musée municipal
de Saint-Dié, 1987.
Bradel Vincent, «Saint-Dié : sans Corbu ni maître», Villes reconstruites,
du dessin au destin, Paris, éditions L'Harmattan, 1994, tome 1, pp. 292-304.
Ragot Gilles et Dion Mathilde, Le Corbusier en France, pp. 284-289.
Voldman Danièle, «Saint-Dié, les sinistrés, l'architecte et les autres »,
La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954, Paris,
éditions L'Harmattan, 1997, pp. 197-208.

La Rochelle-La Pallice (quatre unités, 1945-1947)

Nommé le 2 mai 1945 architecte en chef de la reconstruction de La Pallice, site


et havre industriels de La Rochelle, Le Corbusier prévoit d'étendre le port et
d’urbaniser l’agglomération. Il étudie une nouvelle cité résidentielle entre le
centre historique de La Rochelle et le port de La Pallice ; pour le projet de cette
cité résidentielle du Vaugoin, il utilise toute la gamme des formules étudiées
avant la guerre :maisons individuelles, immeubles à redans et quatre unités
d'habitation, équipées de services collectifs. Les difficultés que Le Corbusier
rencontre dans sa mission le conduisent à démissionner le 14 novembre 1947.

Sources : Archives FLC, Q-2-1, Q-2-17.


Le Corbusier, Œuvre complète 1938-1946, pp. 166-169.
Bibliographie: Giacomato Valérie, et Raymond Henri, Technostructure et architecture.
Le Corbusier à La Rochelle, Paris, MULT / SRA, 1984.
Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., pp. 290-294.

Marseille-Veyre et Marseille-sud (vingt-trois unités, 1947-1951)

Depuis 1943, Le Corbusier montre plusieurs fois son intérêt pour l’urbanisa-
tion de Marseille. Après les quatre sites successifs qui lui sont proposés pour
implanter l'unité édifiée, le projet d'urbanisation de Marseille-Veyre répond
aux sollicitations en 1947 d’un géomètre, Léon Trouin (père d'Édouard Trouin,
le complice de Le Corbusier pour les projets de la Sainte-Baume). Proposant
une urbanisation des quartiers au sud de Marseille, le projet, dessiné en mai
1949, comporte les équipements publics nécessaires à une cité résidentielle de
quarante-six mille habitants, logés dans un ensemble de vingt-trois unités

— 199—
PROJETS NON CONSTRUITS

d'habitation. À la suite, Le Corbusier propose de compléter l'unité du boulevard


Michelet alors en construction, par trois autres, orientées de façon identique et
implantées à l’est du boulevard, par deux tours cylindriques destinées à la
population nomade, aux «célibataires (et aux) couples n’ayant pas encore d’en-
fants »; l’ensemble est situé entre deux rues marchandes, à l’est et à l’ouest.

Sources : Archives FLC, I-3-1.


Le Corbusier, Œuvre complète 1946-1952, pp. 85-89.
Bibliographie: Sbriglio Jacques, «Les projets pour Marseille »,
Le Corbusier et la Méditerranée, Marseille,
Éditions Parenthèses, 1987, pp. 168-177.
Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 295.

Antony (deux unités, 1947)

En réponse à un concours ouvert en juin 1947 par l'OPHBM du département


de la Seine sur deux terrains à Antony, Le Corbusier et André Wogenscky
présentent un projet de deux unités d’habitation dérivant, semble-t-il, du
projet de Marseille, et dont la capacité répond à la jauge du concours (trois
mille cinq cents habitants). Exposé avec les autres projets au musée d’Art
moderne de la ville de Paris, du 8 au 11 novembre 1947, le projet n’a pas
laissé de trace graphique ou écrite. L'équipe lauréate du concours est com-
posée de H. Caïgnart, de Mailly, R. Armand, R. Carme et P. Henri.

Sources : Archives FLC, U-1-17.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 312.

Paris (une unité, 1949-1950)

À l'initiative d’un promoteur privé, M. de La Garde, Le Corbusier et André


Wogenscky étudient le projet d’une unité d'habitation pour un terrain situé
près de la porte de Saint-Cloud. Un croquis de la coupe (FLC I.3.2, pièce 35)
montre qu'ils inscrivent cent vingt appartements traversants, répartis sur
cinq niveaux, distribués par deux rues intérieures, dans un épannelage res-
pectant les règlements de voirie en vigueur à Paris. L'unité a 25 m d'épaisseur,
95 m de longueur et comporte vingt-quatre travées de 3,66 m de largeur utile,
portées par des pilotis formant portique. Dans le comble arrondi, sont prévus
«quarante appartements pour jeunes ménages». Dans une lettre de mars
1950, André Wogenscky propose à M. de La Garde, pour un terrain situé bou-
levard de Montmorency, un descriptif plus complet (FLC J.1.5, pièces 86-88).

Sources : Archives FLC, I-3-2 et J-1-5.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 322.

— 200—
PROJETS NON CONSTRUITS

Strasbourg (deux unités, 1951)

Le MRU met au concours en 1951 un ensemble de huit cents logements,


quartier de Rotterdam, à Strasbourg; les architectes concurrents, associés à
des entreprises, doivent formuler des réponses qui permettent l’industriali-
sation de la construction. Il est admis que ce concours marque le début de
l’histoire des grands ensembles de l’après-guerre. Associé à la Société natio-
nale de construction et à l'Omnium technique de l'habitation, Le Corbusier
étudie un projet qui a pour base deux unités d'habitation de quatre cents
appartements chacune; les deux unités, orientées nord-sud, sont séparées
par 200 m et complétées, à titre de variante, par une tour cylindrique de
50 m de hauteur, dont la construction apporterait cent logements supplé-
mentaires et «une plus grande harmonie générale des formes ».
Dans ce projet, le système technique retenu pour la construction diffère
fortement des unités de Marseille et de Rezé; ce dispositif est caractéris-
tique des recherches d’industrialisation du moment (procédés Camus, entre
autres). Chaque appartement est formé d’un volume de béton armé moulé,
un «monolithe », qui forme le plancher et les parois latérales ;ces volumes
en U, juxtaposés et superposés, forment la structure; un vide sépare les
parois de deux appartements contigus. Les piliers qui supportent le bâti-
ment sont cylindriques ; plus nombreux, ils dessinent quatre files et seize
travées ; le «terrain artificiel » sur lequel s’appuie le bâtiment est complexe :
la descente des charges des trente-deux travées sur les seize travées de
piliers s’effectue par l'intermédiaire d’arcs de béton verticaux et obliques,
dissimulés dans la hauteur de la galerie technique, dont le plancher est
armé de tirants. Cette disposition écarte les deux longues poutres maî-
tresses employées à Marseille et supprime le porte-à-faux apparent du bâti-
ment sur ses appuis. Les quatre travées du pignon sud portent, par un
dispositif différent, sur les trois travées des piliers.
Si le principe constructif est nouveau, pour le reste, la conception est
sensiblement en retrait sur la hardiesse de l’unité primitive. Pour un
nombre de niveaux identique — dix-sept niveaux — pour une longueur et une
hauteur comparable (140 m et 50 m), l'épaisseur de l'édifice (17,50 m) est,
comme à Rezé, bien inférieure, si bien que, dans les appartements à deux
niveaux, le vide de la salle de séjour se limite au volume de l'escalier; les
rues intérieures sont plus étroites. Il en est de même pour les prolongements
du logis et pour les équipements : ainsi, la rue commerçante et l’école dispa-
raissent du projet. Dans ce sens, le projet de Strasbourg préfigure deux
aspects essentiels de l’unité de Rezé: le disparition du vide de la salle de
séjour dans les appartements, la suppression de la rue commerçante. Pour
les aspects constructifs cependant, il faut attendre le projet de Roussillon
pour retrouver le choix d’un procédé industrialisé.

— 201—
PROJETS NON CONSTRUITS

Le jury, qui comprend A. Perret, R. Camelot, P. Herbé, E. Pontremoli, A.


Lurçat, G.-H. Pingusson, délibère le 21 juillet 1951. Le lauréat du concours
est Eugène Beaudouin, associé à l’entreprise Boussiron;le projet de Le Cor-
busier est classé quatrième.

Sources : Archives FLC, U-1-7.


Le Corbusier, Œuvre complète 1946-1952, pp. 102-111.
Bibliographie: «Le concours du chantier d'expérience de Strasbourg»,
L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 35, 1951.
«Concours de Strasbourg», L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 37, 1951.
Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., pp. 332-336.

Roubaix (une unité, 1952-1953 et 1956-1958)

Quelques jours après l'inauguration de l’unité de Marseille, Le Corbusier est


invité par Albert Prouvost, important industriel, à visiter, le 25 octobre
1952, un terrain de 14 ha, situé à Hem, près de Roubaix. Prouvost, qui pré-
side le comité interprofessionnel du logement (CIL) de Roubaix, passe peu
de temps après commande d’un ensemble de huit cent dix-neuf logements.
Le projet et le descriptif sont envoyés en mai 1953 au comité. À côté de trois
cent vingt-six maisons à un étage, de trois cent trente maisons à rez-de-
chaussée, le projet comprend une unité d'habitation (deux cent quatre-vingt
quatorze appartements sur dix-sept étages), dérivée du projet pour Rezé. Le
conseil d'administration du CIL, au sein duquel la personnnalité de Le Cor-
busier rencontre de vives oppositions, et qui ne se considère pas engagé par
la commande de son président, demande en septembre 1953 l’arrêt des
études; il refuse de régler les honoraires qui lui sont réclamés par Le Cor-
busier en 1957.
En 1956, un propriétaire foncier de Roubaix demande à Le Corbusier
d'étudier une vaste unité d'habitation de quatre cents logements ; l’avant-
projet, étudié en décembre 1956, est arrêté en 1958, faute de financement.

Sources : Archives FLC, 1-2-12 et I-3-2.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., pp. 344-345.

Meaux (six unités, 1955; puis quinze unités, 1957)

Nous sommes au moment où la pénurie de logements en région parisienne est


à son comble. À Meaux, douze cents demandes de logement HLM sont en ins-
tance, sans compter les besoins qui découleraient de la résorption de l’habitat
insalubre. À la suite d’une intervention, semble-t-il, du sous-préfet de Meaux,
Frantz Gaignerot, les collaborateurs de Le Corbusier viennent en septembre

— 202—
PROJETS NON CONSTRUITS

1955 examiner les terrains disponibles pour une grande opération. Leur choix
se porte, à l’est de la ville, sur un site de 25 à 30 ha, limité par la boucle du
canal de l’Ourcq et la route nationale n° 3 au nord. Un projet est présenté
devant la commission plénière du conseil municipal le 30 septembre.
Devant le conseil municipal réuni en séance extraordinaire le 4 octobre
1955, le maire de Meaux, M. Barennes, déclare que, «pour faire face à la
situation tragique créée à Meaux et ses environs immédiats par la crise du
logement (et après avoir rappelé que) l'office n’a pu construire que cent
soixante-quatorze logements et cent logements de première nécessité, (il
informe) le conseil qu’à la suite des déclarations gouvernementales sur la
nécessité de construire davantage et sur l’annonce de crédits importants à
ouvrir en 1956, il a reçu de M. Le Corbusier des propositions pour la
construction à Meaux d’une «Ville radieuse» de deux mille logements ; des
études très sommaires ont été faites. Le chiffre de deux mille logements n’a
rien de fantaisiste, il paraît très raisonnable. Les conditions de construction
seraient les suivantes :
1 - Les constructions seraient effectuées non par l’office dont l’organi-
sation serait très insuffisante pour une opération aussi importante, mais
par une société d'HLM bien connue, la société Orly parc, qui a déjà collaboré
avec M. Le Corbusier.
2 — La ville de Meaux apporterait le terrain.
3 — Elle apporterait sa garantie aux remboursements des emprunts à
taux réduit que la société d'HLM aurait contracté, conformément à la légis-
lation sur les HLM. Le montant global de l'opération étant de 4 500 MF la
garantie porterait sur 85 % de ce montant, soit sur 3 825 MF.
4 — La ville avancerait les 15 % laissés à la charge de la société d'HLM.
Les commissions des finances et des travaux entendues, le conseil,
après avoir délibéré, décide que le principe de la construction d’une «ville
radieuse » de deux mille logements par la société Orly parc, sous la direction
de M. Le Corbusier architecte, est adopté» (extrait du registre des délibéra-
tions, archives communales de Meaux). Le Corbusier inclut, dans ce projet,
six unités d'habitation (ce nombre est ensuite réduit à cinq) et deux tours
pour célibataires et jeunes ménages. La presse locale, mettant en valeur le
compte-rendu de cette proposition spectaculaire, évoque des délais très
courts pour sa réalisation :«dix-huit mois», écrit le rédacteur de La Marne
(7 octobre 1955).
Un an après, l’opération, suivie et approuvée par le ministère, fait l’ob-
jet d’une nouvelle délibération du conseil municipal, qui charge l'office
public d'HLM de Meaux de l'opération (séance du 19 octobre 1956). L'admi-
nistration départementale régularise la situation en proposant la nomina-
tion d’un urbaniste chargé du projet d'aménagement de la ville, M. Calsat,
et demande au maire de désigner Le Corbusier pour la mise au point du

— 203—
PROJETS NON CONSTRUITS

«projet complémentaire concernant le projet d'extension dans la boucle


formé par le canal de l’Ourcq», l'État prenant en charge sa rémunération.
Le 29 octobre 1956, le maire prend un arrêté dans ce sens. Le Corbusier
signe le contrat relatif à cette mission le 4 juin 1957. La presse parisienne
prend alors le relais, évoque «la nouvelle cité radieuse construite à Meaux
par Le Corbusier», première tranche d’un programme destiné à faire passer
la petite ville de dix-huit mille à cinquante mille habitants (Le Journal du
Dimanche, 27 mars 1957).
En juillet 1957, l'agence recherche une solution constructive indus-
trielle, qui la conduit à soumettre un projet de préfabrication de cellules à
Renault Engineering. Au début de 1958, le projet évolue, comptant quinze
unités d'habitation et quatre tours. Dans le même temps, les services dépar-
tementaux de la construction font étudier par les architectes Ginsberg et
Tournier, appuyés sur lOmnium technique pour l’habitat (OTH), une pre-
mière tranche de huit cent quatre-vingts logements HLM sur la partie sud
du site, au titre du «secteur industrialisé ». Puis le projet de Le Corbusier
s’enlise, l’agence ne parvenant pas, semble-t-il, à se plier aux procédures
administratives de la production du projet. Entre mars 1957 et janvier 1958,
Le Corbusier réclame au maire de Meaux, à plusieurs reprises, un contrat
pour la rémunération de ses études d'architecture ; son statut d’urbaniste
rémunéré par l’État rend sans objet ces démarches. L'année suivante, en
1959, les élections municipales, qui conduisent au remplacement du maire
par M. Bouvin et à la création par une société d'économie mixte, la société
d'équipement de la Seine-et-Marne, d’une zone à urbaniser en priorité
(ZUP) sur le terrain choisi (arrêté ministériel du 3 août 1959), modifient les
conditions de l’urbanisation effective du site. Des appels directs de Le Cor-
busier à André Malraux et à Michel Debré, Premier ministre, contribuent à
donner le contrôle du projet au centre scientifique et technique du bâtiment
(CSTB); ce contrôle technique, qui porte sur l’industrialisation du chantier,
la partie la moins aboutie du projet, met un terme à l'intervention de
Le Corbusier comme architecte à Meaux.

Sources : Archives municipales de la ville de Meaux (42D9, dossier 98).


archives FLC, M-3-10.
Le Corbusier, Œuvre complète 1952 -1957, pp. 198-199.
Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., pp. 365-367.

Agen-Boé (une unité, 1960)

Au terme de contacts avec Raymond Pujols, ingénieur et directeur d’une


société de construction, Le Corbusier propose en septembre 1960 la
construction d’une unité d'habitation de quatre cents logements, inspirée

— 204—
PROJETS NON CONSTRUITS

par l'unité de Firminy. Approuvé par le conseil municipal de Boé, le projet


fait l’objet en mars 1961 d’un avis défavorable de la direction départemen-
tale de l'Urbanisme, qui l'estime non conforme au plan masse déjà adopté.

Sources : Archives FLC I-2-10 et 11.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 379.

Vélizy-Villacoublay (deux unités, 1960-1961)

En compensation de la mise à l’écart de Le Corbusier de l'opération de


Meaux, le ministre de la Construction et du Logement, Pierre Sudreau, se
décide à l’appuyer pour une autre opération en Île-de-France. Après une ten-
tative infructueuse à Sevran, Le Corbusier étudie un projet pour le respon-
sable d’une société coopérative d'HLM (dite «l’habitat communautaire ») qui
dispose d’un terrain à Villacoublay. Le projet du 21 juin 1960 comporte deux
unités d'habitation de quatre cents logements chacune. L'opposition de l’ar-
mée de l'air, qui contrôle les constructions proches de l’aéroport de Villacou-
blay, empêche la concrétisation du projet.

Sources : Archives FLC I-2-18.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 383.

Brétigny-sur-Orge (sept unités, 1960-1961)

À la demande en 1960 de la mairie de Brétigny, et du directeur de l'office


public d'HLM, Le Corbusier étudie l'implantation de sept unités d’habita-
tion; le projet, qui ne tient pas compte des servitudes imposées par le voisi-
nage de la piste de l’aérodrome voisin, est refusé par l’administration de
l'urbanisme.

Sources : Archives FLC I-2-11.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 383.

Roussillon (une unité, 1960-1963)

Les projets étudiés à la demande de M. Coquet, maire de Roussillon, dans


l'Isère, sont dans la continuité des études menées avec Renault Engineering,
à l’occasion de l'opération de Meaux, pour la préfabrication de cellules. Pour
un premier terrain, Le Corbusier étudie en mars 1960 un petit immeuble de
trois niveaux, avec une seule rue intérieure. Puis sur un autre terrain, il pro-
pose une unité d'habitation de quatre cents logements ;appuyé sur un rem-
blai qui contient une galerie technique, le bâtiment, profond de 21 m, est
conforme au type de l’unité. La conception de l’appartement traversant, en

— 205—
PROJETS NON CONSTRUITS

trois sections longues de 6 m (plus les deux loggias de 1, 50 m ), s’adapte à


un projet de préfabrication des cellules, mises en place à la grue (note de G.
Présenté, De l’industrialisation du bâtiment., datée du 1° décembre 1959).
Après avoir écarté une solution tout acier, refusée par le CSTB en raison des
risques de mauvaise tenue au feu, Le Corbusier soumet à Renault Enginee-
ring un projet de caisson en béton multicellulaire ;le médiocre suivi du pro-
jet par l’agence et la faible performance économique escomptée conduisent
en 1962 à l'abandon de l'opération.

Sources : Archives FLC I-2-11 et 12.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 386.

Tours (deux unités, 1960-1961)

Grand bâtisseur, Jean Royer, député-maire de Tours, est confronté à une


sérieuse pénurie de logements dans la ville; en 1960, quatre mille cinq cents
demandes sont en instance auprès de l'office d'HLM, trois cent cinquante
familles sont encore logées dans les baraquements provisoires édifiés après les
bombardements de la guerre. Le projet du maire est d'entreprendre l’urbani-
sation de la rive droite du Cher, une zone inondable, et d’y construire quatre
mille cinq cents logements. Il invite, le 3 octobre 1960, Le Corbusier à présen-
ter le thème de l’unité d’habitation à une conférence devant les élus, les archi-
tectes et les techniciens. Entre-temps, deux missions municipales se rendent à
Rezé (le 4 octobre) et à Briey (le 7 octobre) pour observer les unités déjà
construites. Le 10 octobre 1960, dans la conférence qu’il prononce à Tours,
Le Corbusier expose la doctrine des unités d'habitation et propose d’inscrire
deux unités dans l'opération prévue. Il est accompagné de Georges Présenté,
qui évoque les études d’industrialisation en cours, conduites pour diminuer les
délais. Dans leurs interventions, les adjoints au maire, après leur visite à Rezé
et à Briey, s'ils critiquent la petite dimension des cuisines et la finition du béton
brut, sont très satisfaits de l’insonorisation et du calme qui règne dans les rues
intérieures, ainsi que des logements «conçus dans leur moindre détail». Les
propos du maire sont positifs: il insiste sur la monumentalité attendue d’une
implantation symétrique, relative à l’axe nord-sud de la ville; il pense à «une
porte» marquant l'entrée de la ville par le sud. Plusieurs intervenants plaident
pour qu’on tienne compte du prestige que gagnerait la ville à faire travailler
Le Corbusier, en raison de sa notoriété. Le maire demande que les études à
venir incorporent l’implantation de deux unités; la presse locale rend compte
de cette conférence. Une étude technique ultérieure établit que, par leur
volume et leur densité, les unités d'habitation peuvent conduire à des écono-
mies significatives sur le coût des remblais nécessités par des constructions en
zone inondable. Les contacts se poursuivent après cette réunion.

— 206—
PROJETS NON CONSTRUITS

Un projet de Le Corbusier, daté du 30 janvier 1961, porte sur un autre


site, la rive gauche du Cher (dessin FLC 5 713). Il y prévoit trois unités d’ha-
bitation, édifiées dans une zone inondable, appuyées sur trois îles artifi-
cielles remblayées et reliées par des passerelles à un terre-plein, construit
sur la rive du Petit Cher afin de porter les parcs de stationnement. L'avis
hostile du directeur du laboratoire d’hydraulique de Chatou interrompt
l'étude. Mais la mise au point insuffisante des procédés industriels évoqués
pour construire dans des délais brefs a également pu jouer un rôle dissua-
sif. En 1962, Le Corbusier attribue cet échec aux «exigences de la commis-
sion des sites ».

Sources : Archives municipales de Tours, 0200 W 1 et 2.


Archives FLC, I-2-11.
Bibliographie: «À propos de la rive nord de Tours, Le Corbusier a fait une conférence»,
Nouvelle République, 12 octobre 1960.
«L'activité municipale. Construction. Conférence de M. Le Corbusier»,
L'Espoir, 15 octobre 1960.
Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p.384

Marseille-Le Canet-Malpassé (deux unités, 1963)

L'initiative de cette étude, la dernière que Le Corbusier consacre au site de


Marseille, revient à un promoteur privé, le groupe Planche, qui envisage de
confier à l’agence de l’architecte, dans la ZUP nord de Marseille, la construc-
tion de deux unités d'habitation, inspirées de l’unité de Firminy, et d’un
centre commercial. Deux implantations différentes, élaborées sous forme de
plan-masse, sont la seule trace de cet ultime projet.

Sources : Archives FLC I-2-12.


Bibliographie: Ragot Gilles et Dion Mathilde, op. cit., p. 397.

— 207—
CHRONOGRAMME DES UNITÉS D'HABITATION EN FRANCE

Étude et projet BE Fermeture


Construction et travaux Occupation partielle
EE Occupation ISMH : Inscription à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques

UNITÉS NON CONSTRUITES Marseille-Le-Canet (2)


Tours (2) ==
Roussillon (1) ==
Brétigny s/Orge (7) E=3
Velizy-Villacoublay (2)
Agen-Boé (1)
Meaux (15)
Roubaix (1)
Strasbourg (2) =
Paris (1) =
Antony (2)
Marseille-Veyre 9 SSS
La Rochelle (4) EZZ
Saint-Dié (8) res lé OR dé EE. | |EN SRE RE | RL TRE ©{ |
46 47 48 49 51 52,59 24 56 S7 58.59 61 62 63 64
1945 1950 1955 1960 1965

UNITÉS CONSTRUITES Firminy

Briey-en-Forêt

Marseille UUJNT RO
46 47 49 SIMS2 6531 54 S6 15798059 61 62 63 64 66 67 68 69
1945 1948 1950 1955 1960 1965

— 208—
ESS

Appartement
| iclassé MH

FOIE 07 9 81 82 83 84 86 87 88 89 91 9209394 I6MI7MIEMIS


1975 1980 1985 1990 1995 2000

— 209—
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TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

Le Corbusier
Dates Evénements

1885 Jules Grévy est réélu président de la République.


1886 Inauguration de la statue de la Liberté à New York.
6 octobre 1887 Naissance de Charles-Édouard Jeanneret
à La Chaux-de-Fonds (Suisse).
1889 Exposition universelle de Paris. Tour Eiffel.
1900 Première ligne du métro et exposition universelle de Paris.
1906 C.-É. Jeanneret construit la villa Fallet à la Chaux-de-Fonds.
Armand Fallières est élu président de la République.
1912 C.-É. Jeanneret construit la villa Favre-Jacot
à La Chaux-de-Fonds. Il est professeur à l’école d’art de la ville.
1913 Raymond Poincaré est élu président de la République.
3 août 1914 L'Allemagne déclare la guerre à la France.
1914 Étude du système Dom-Ino.
1916 C.-É. Jeanneret bâtit la villa Schwob à La Chaux-de-Fonds.
1917 Il vient s'installer à Paris.
11 novembre 1918 Signature de l’armistice.
29 juin 1919 Traité de Versailles.
1919 C.-É. Jeanneret fonde la revue L'Esprit nouveau
et signe désormais Le Corbusier.
1920 Paul Deschanel (17 janvier), puis Alexandre Millerand
(24 septembre) sont élus présidents de la République.
1922 Début de la collaboration avec Pierre Jeanneret.
Installation de l'atelier commun d’architecture
au 35 de la rue de Sèvres, à Paris.

— 211—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

1924 Construction de la villa La Roche-Jeanneret.


Gaston Doumergue est élu président de la République.
1925 Pavillon de l'Esprit nouveau à l’exposition internationale
des arts décoratifs de Paris.
1928 Le Corbusier participe au premier congrès international
d'architecture moderne (CIAM).
1929 Construction de la villa Savoye à Poissy.
1930 Construction du pavillon de la Suisse
à la Cité universitaire internationale de Paris.

1931 Paul Doumer est élu président de la République.


1932 Albert Lebrun est élu président de la République.
1934 Le Corbusier organise le quatrième CIAM
sur le paquebot Patrix et à Athènes.
septembre 1939 Début de la Deuxième Guerre mondiale.
10 juillet 1940 Le maréchal Pétain devient chef de l’État français.
1941 Le Corbusier propose ses services
à Vichy pour la reconstruction. Il est éconduit.
1942 Publication de La Charte d'Athènes.
3 juin 1944 Gouvernement provisoire.
1947 Construction de l’usine Duval à Saint-Dié.
Vincent Auriol est élu président de la République.
1951 Début des travaux de la chapelle de Ronchamp.
Commande de Chandigarh, capitale du Pendjab.
1953 René Coty est élu président de la République.
1954 Construction de la villa Jaoul à Neuilly.
1956 Début des travaux du couvent de La Tourette.
1958 Charles de Gaulle est élu président de la République.
27 août 1965. Mort subite de Le Corbusier au cours d’une baignade
à Roquebrune-Cap-Martin.
1% septembre 1965 Discours d'André Malraux «À la mémoire de Le Corbusier ».

Unité de Marseille
août 1945 Études préalables.
27 décembre 1945 Courrier MRU annonçant à la municipalité la décision
de construire une unité d’habitation à Marseille.
19 avril 1946 Avant-projet :études sur divers terrains.

— 212—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

9 juillet 1946 Commande :Le Corbusier est nommé architecte,


chef de groupe.
8 octobre 1946 Le Corbusier et Vladimir Bodiansky sont institués
architectes d'opération.
5 novembre 1946 Choix du terrain, boulevard Michelet.
mars 1947 Approbation du projet.
17 mars 1947 Installation du chantier.
14 avril 1947 Le MRU demande de réviser les projets d'immeubles
d’État dans le sens d’une économie ;à la suite, interventions
de Claudius-Petit et de Jean Cristofol, maire de Marseille.
14 octobre 1947 Pose de la première pierre en présence de l’architecte
et du maire.
février 1948 Adjudication des travaux et ouverture du chantier.
avril-août 1948 Construction des pilotis et de l'étage technique.
7 juillet 1949 Arrêté d’exemption de permis de construire
pour diverses «constructions expérimentales ».
Mise au point d’un prototype d'appartement.
août 1949 Dessin des éléments du toit-terrasse. Les participants
du 7° CIAM, tenu à Bergame, visitent le chantier.
décembre 1950 Achèvement du gros œuvre. Construction des appartements.
janvier 1951 Une commission réunie au ministère décide la mise
en vente des appartements.

8 février 1951 La commission vient à Marseille pour fixer leur prix de vente.
mars 1951 Choix du système de chauffage.
26 août 1951 Réception du gros œuvre et mise au point de la polychromie.
12 septembre 1951 L'administration réclame une école «sur le terrain de
l'unité » ; étude pour une installation au 17° étage.

15 décembre 1951 Début du contentieux contre l’unité.

21 janvier 1952 Aménagement du parc.


juillet-août 1952 Installation des premiers locataires, sinistrés
ou fonctionnaires.
14 octobre 1952 Le ministre, Eugène Claudius-Petit, et Le Corbusier
inaugurent l'unité.
14 janvier 1953 Création de l'association des habitants et mise en vente
par les Domaines des appartements et des équipements.

25 juillet 1953 Le 9 C.I.A.M. réuni à Aix-en-Provence, visite l’unité.

25 mai 1954 Critiques de la Cour des comptes, qui rappelle le principe


du régime de co-propriété.
18 octobre 1954 Mise aux enchères des locaux commerciaux.

— 213—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

mai 1955 Ouverture de l’école.


20 novembre 1955 Premier numéro du bulletin de l'Association des habitants,
Cité radieuse.
avril 1956 Location du gymnase par un entrepreneur privé et mise }
en vente des appartements qui appartiennent encore à l'Etat.
28 mai 1963 Cession gratuite du parc à la ville de Marseille
qui assure, depuis, son entretien.
26 octobre 1964 Inscription à l'inventaire supplémentaire des Monuments
historiques (façades et toitures).
14 octobre 1982 À l'initiative des habitants, fête du trentième
anniversaire de l'inauguration.
20 juin 1986 La façade, la terrasse et les parties communes sont classées MH.
1986 Première tranche des travaux de restauration (3,4 MF).
1987 Fête à l’occasion du centenaire de la naissance
de Le Corbusier.
1989-1991 Deuxième tranche de travaux (8,7 MF), restauration
des façades et des terrasses par l'architecte J.-P. Dufoix.
25 octobre 1992 À l'initiative des habitants, fête du quarantième anniversaire.
12 octobre 1995 L'appartement n° 50, destiné à la visite, est classé MH.

Unité de Rezé
décembre 1948 Études préalables :choix du terrain.
25 novembre 1949 Commande: les honoraires sont fixés à 5 % du montant
des travaux.
1950 Étude du projet.
23 janvier 1951 Garantie de l'emprunt par la ville de Rezé.
24 mai 1951 Autorisation de principe du MRU.
28 septembre 1951 Accord du MRU sur la base d’un prix de revient de 600 MF.
8 novembre 1951 Crédits attribués par arrêté interministériel signé
des ministères de la Reconstruction et des Finances.
19 décembre 1951 Eugène Freyssinet est sollicité pour étudier la construction.
18 janvier 1952 Les adversaires du projet tiennent une conférence
de presse à Paris. |
21 janvier 1952 Contrat de prêt avec la Caisse des dépôts, puis mise
en route des études techniques détaillées.
23 décembre 1952 Exemption de permis de construire.
juin 1952 Premier appel d'offres.
octobre 1952 Echec du premier concours.

— 214—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

21 janvier 1953 Echec du second concours. La procédure du marché


de gré à gré est adoptée.
26 février 1953 Fin de la négociation du marché de gré à gré.
11 juin 1953 Début des travaux.
31 octobre 1953 Pose de la première pierre en présence de Le Corbusier.
4 novembre 1953 Choix d’une installation de chauffage par le sol.
février 1954 Études pour l'installation d’une école de dix classes.
16 mars 1955 Entrée des premiers habitants.
2 juillet 1955 Inauguration.
16 juillet 1955 Réception provisoire.
2 mai 1956 Les délégués du Conseil supérieur d'hygiène visitent
l'immeuble de Rezé. Leur rapport est utilisé pour l'examen
du projet de Briey, le 14 mai suivant.
1957 Enquête du sociologue Chombart de Lauwe.
16 septembre 1965 Première protection au titre des Monuments historiques
(à la suite du décès de Le Corbusier).
1968 Restructuration de la société de location coopérative
«Maison radieuse ».
juillet 1971 La loi Chalandon supprime la location-coopérative ;
contestée par les habitants, la loi provoque un conflit
entre propriétaires et locataires.
juin 1974 La «Maison radieuse » adopte le statut
de société anonyme (SA).
1976 Elle fusionne avec la SA de HLM «Loire Atlantique
habitations » (LAH).
1981 Réhabilitation des appartements.
1982 Travaux d'étanchéité de la terrasse, puis diagnostic
thermique et réfection de la chaufferie.
1983 Diagnostic technique complet, par l'architecte J.L. Pellerin
et l’entreprise SOCOTEC.
1985 Premier programme de gros travaux: réfection des façades
et des peintures des loggias, installation d’un sas
dans le hall d'entrée, remplacement des trois ascenseurs (6 MF).

juin 1985 Colloque pour le trentième anniversaire de l’unité


d'habitation de Rezé.
1986 La commission de sécurité estime que l’unité
n’est pas conforme à la réglementation sur les immeubles
de grande hauteur.

1987 Enquête diligentée par Loire-Atlantique habitations.

juin 1987 Étude préalable à la réhabilitation.

— 215—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

21 janvier 1989 Journée «portes ouvertes», suivie de la réfection


des appartements et de la mise aux normes
de l’équipement électrique.
1993 Restauration des élévations est et ouest: pré-rapport
de SOCOTEC.
19 décembre 1994 Appel d'offres lancé par Loire-Atlantique habitations
pour la restauration des façades.
24 janvier 1995 Réponses de sept entreprises.
mars 1995 Édition d’une plaquette documentaire par la ville de Rezé.
3 mai 1995 Présélection des entreprises Bouyer (Nantes) et Freyssinet.
8 juillet 1995 L'entreprise Bouyer est choisie par l’assemblée
des copropriétaires.
18 mars 1996 . Signature du marché du chantier pour la restauration
des élévations.
8 juillet 1996 Première tranche des travaux.

22 janvier 1997 Deuxième tranche.


9 février 1998 Troisième tranche. Le préfet met en demeure la société ges-
tionnaire sur les normes de sécurité.
8 mars 1999 Réception du chantier.
30 mars 1999 Accord de la direction de la Sécurité civile sur les mesures
de sécurité proposées par la ville.
8 avril 1999 Demande de classement de l’unité comme Monument historique.

Unité de Briey
février 1954 Philippe Serre, conseiller général, demande la construction
d’une unité d'habitation.
1% février 1957 Le Corbusier et Wogenscky signent les contrats
de commande.
8 juillet 1957 Jugement de l’appel d'offres.
octobre 1957 La direction des Mines concède un terrain dans la forêt
de Napatan. L'Office public intercommunal d'HLM prend
la décision de bâtir l’unité.
4 mars 1959 Pose de la première pierre en présence de Le Corbusier.
20 mai 1959 Le conseil municipal décide la construction d’une école
de six classes sur le toit de l’unité.
mars-avril 1960 Étude du projet de l’école.
15 avril 1960 Le nouveau conseil municipal annule:la construction
de cette école.
17 novembre 1960 L'architecte Georges-Henri Pingusson quitte ses fonctions
d'architecte de la ville de Briey.

— 216—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

26 janvier 1961 Entrée des premiers habitants.


11 février 1965 Pose de la première pierre d’un centre commercial
sur le site de l'unité. Le projet tourne court.
1966 La France se retire de l'OTAN, en conséquence soixante
familles américaines quittent l’unité.
15 décembre 1967 L’'OPHLM de Meurthe-et-Moselle est chargé de gérer l’unité.
1969 Achèvement du hall; le conseil général finance
des travaux complémentaires dans les appartements.
I9TE Achèvement des abords et de la zone de stationnement.

1975 La crise de la sidérurgie et des mines de fer provoque


les premiers départs d'habitants.
31 décembre 1979 Cent trente logements sont vacants.
80 juin 1981 Cent soixante-et-un logements sont vacants ;60 % des loyers
sont impayés. Suspension de l’entretien.
janvier 1982 Rapport de l’'OPAC, proposant soit la réhabilitation,
soit la fermeture, contre l’avis du syndicat des locataires.
Le conseil municipal prend une position favorable
à une réhabilitation, par transfert des charges à l’État.
11 février 1982 Intervention du docteur Martin, sénateur-maire de Briey,
auprès du ministre Roger Quilliot.
octobre 1982 Deux cent un logements sont vacants. L'école d’architecture
de Nancy soumet un projet de réhabilitation.
février 1983 Le conseil général admet le processus de désaffectation
de l’unité proposé par l’'OPAC et même sa destruction,
s’il est impossible de la céder.

26 avril 1983 Cent trente logements sont encore occupés.


L'OPAC décide de fermer l’unité.
18 mai 1983 Conférence d'André Wogenscky à Briey.

31 décembre 1983 Arrêt du premier ascenseur.

1% mars 1984 Interruption du chauffage.

31 mars 1984 Arrêt du deuxième ascenseur.


juillet 1984 Après le départ des derniers locataires,
les entrées sont murées.
13 juin 1985 La première étude de réhabilitation de l'OPAC reste
sans suite, malgré l'appui du maire de Briey, Guy Vattier.

12 février 1986 L'hôpital Maillot propose de racheter le tiers de l’unité.


22 décembre 1986 L'entreprise «KLM Résidences » fait une offre d’achat
des logements, rejetée par l’'OPAC.

18 mars 1987 Guy Vattier dénonce un «complot».

— 217—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

22 avril 1987 Il tient une conférence de presse à Paris.


23 avril 1987 À l’occasion du voyage du premier ministre Jacques Chirac,
en Lorraine, le ministre de l'Équipement, Pierre Méhaignerie,
accepte le principe de vendre l'unité à l’hôpital Maillot
pour le franc symbolique.
19 mai 1987 Un commando s’introduit dans l'unité et détruit
cent cinquante appartements.

21 octobre 1987 L'hôpital Maillot vend à KLM Résidences les deux tiers
des appartements.
19 décembre 1987 Présentation des appartements-témoins et début
de la vente au public; création de la co-propriété
«Résidence Le Corbusier ».
juillet 1988 Installation des nouveaux occupants.
7 septembre 1988 Inauguration de l’école d’'infirmières dans l'unité.
septembre 1989 Création de l’association « La première rue ».
1990 Celle-ci achète trente-quatre appartements
et la plate-forme sous les pilotis.
1991 Premières activités culturelles et éducatives dans ces locaux.
12 novembre 1991 Exposition inaugurale «John Hejduk ».
1992 Exposition «Johnson-Kipnis ».
26 novembre 1993 Inscription de l’unité à l'inventaire supplémentaire
des Monuments historiques.

1995 Début d’un cycle d'expositions consacrées aux architectes


et artistes contemporains (toujours en cours).

juillet 1996 Pour réduire ses charges, «La première rue» se propose
de mettre en vente une partie de son patrimoine
et décide de créer, au sein de cinq appartements,
un «Espace Le Corbusier», en sauvegardant dans son état
initial un appartement-témoin ouvert au public
(projet de J. Abram et K. Rabin).
20 juin 1997 La société civile immobilière Mabileau-Gauche achète
neuf appartements. «La première rue» cède
douze appartements supplémentaires, tandis que la ville
de Briey confie à l’architecte Bruno Reichlin
un important programme d'aménagement des abords.
12 juillet 1997 La propriété de la plate-forme sous les pilotis
est transférée à la co-propriété Résidence Le Corbusier.
février-octobre 1998 Bruno Reichlin et ses associés répondent à l’appel
d'offre de la ville.
30 avril 1999 Vente d’un dernier appartement supplémentaire
par «La première rue».

— 218—
TABLEAUX CHRONOLOGIQUES

Unité de Firminy
19 juin 1959 Commande de l'unité. Seconde visite de Le Corbusier
à Firminy et nouveaux dessins de l'architecte.
mars 1960 Contrat avec Le Corbusier.
avril 1960 Demande d’avances.
juin 1960 Dessins d'implantation.
14 juillet 1960 Courrier de Le Corbusier à Claudius-Petit confirmant
l'avancement du projet.
24 juin 1961 Troisième visite de Le Corbusier à Firminy.
mai 1962 Étude de coûts pour l’unité, selon les normes des HLM.
juin 1962 Premiers dessins des cellules par l'architecte de l’agence
de Le Corbusier, Rebutato.
avril 1963 Le Corbusier suggère à Claudius-Petit d'abandonner le projet.
mai 1963 Note d'honoraires de Le Corbusier (400 000 F).
avril-octobre 1963 Dessin définitif des cellules par Rebutato.
avril 1964 Plan d'urbanisation du quartier.
juin 1964 Projet de financement au titre des HLM.
décembre 1964 Choix des entreprises.
21 janvier 1965 Début des travaux.
21 juin 1965 Pose de la première pierre en présence de Le Corbusier.
octobre 1965 André Wogenscky devient maître d'œuvre, à la suite
du décès de Le Corbusier.
décembre 1966 Entrée des premiers habitants.
juillet 1983 L'OPHLM décide de fermer la partie nord;
opposition et mobilisation des habitants.
9 septembre 1993 Classement de l’unité comme Monument historique.
octobre 1994 L'OPHLM confie une étude de réhabilitation
et transformation aux architectes Henri Ciriani et Denis Joxe.

juillet 1995 Réfection du toit-terrasse, avec l’aide de l’État


et du département, sous la direction
de l'architecte Grange-Chavanis.
décembre 1995 Accord de l'OPHLM sur les propositions de Ciriani.
9 novembre 1998 Arrêté municipal ordonnant la fermeture de l’école de lunité.

— 219—
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SOURCES
ET BIBLIOGRAPHIE

—— A. SOURCES IMPRIMÉES ———

Archives de la Fondation Le Corbusier


Archives communales : ville de Tours, ville de Meaux.

LE CORBUSIER, Œuvre complète 1938-1946, Zurich, Girsberger, 1946.

LE CORBUSIER, Œuvre complète 1946-1952, Zurich, Girsberger, 1953.

LE Coste, Œuvre complète 1952-1957, Zurich, Girsberger, 1957.

LE CORBUSIER, Sur les quatre routes, Paris, NRE, Gallimard, 1941.

LE CORBUSIER (avec François de Pierrefeu), La Maison des hommes, Paris, Plon, 1942.

LE CORBUSIER, « L'Unité d'habitation La Madrague », L'Homme et l'architecture,


n° 1-2, 1945, pp. 24-27.

LE CORBUSIER, « Urbanisme 1946 : les travaux ont commencé ! », L’Architecture


d'Aujourd'hui, n° 9, 1946, pp. 3-6.

LE CORBUSIER, Les trois établissements humains, Paris, éditions de Minuit, 1957.

LE CORBUSIER, Les maternelles, Paris, Denoël-Gonthier, coll. «Les carnets de la


recherche patiente», n° 3, 1968.

LE CORBUSIER et JEANNERET P., Ihr Gesamtwerk von 1910 bis 1929, Zurich,
Girsberger, 1934, traduction française sous le titre Œuvre complète 1910-1929,
Zurich, Girsberger, 1937.

LE CORBUSIER et JEANNERET P., Œuvre complète 1929-1934, Zurich, Girsberger, 1934.

LE CORBUSIER et JEANNERET P., Œuvre complète 1934-1938, Zurich, Girsberger, 1938.

«Unité d'habitation à Marseille de Le Corbusier » L'Homme et l'architecture,


n° 11-12-13-14, 1947, pp. 42-120.

— 221—
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

——— B. BIBLIOGRAPHIE —

Sur Eugène Claudius-Petit :

Baupour R., «La recherche de l’autorité », in «La ville selon Le Corbusier»,


Urbanisme, n° 282, 1995, pp. 66-73.

POUvVREAU B., «Eugène Claudius-Petit :un ministre bâtisseur », Urbanisme, n° 30,


1999, pp. 33-40.
POUVREAU B., Eugène Claudius-Petit, un politique en architecture, thèse
pour le doctorat de l’université de Paris I, exemplaire dactylographié, mars 2002.

Sur Le Corbusier :

BEDARIDA M., «Rue de Sèvres, 35. L'envers du décor», Le Corbusier.


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INDEX

Index des lieux Finlande 148


Firminy 7, 35, 59, 100, 113, 147-152,
Agen-Boé 196-197, 204-205 154-159, 162, 167-168, 174-175, 195,
Aix-en-Provence 60 197, 205, 207
Ajaccio 58, 193 Flandres 10
Albertville 196 Florence 10
Alger 25, 33, 63 Francfort 58
Allemagne 20
Amérique 165 Genève 24, 36
Amiens 37 Glasgow 166, 196
Annecy 196 Gôteborg 28
Antony 196, 200 Grande-Bretagne 13
Aulnay 197 Grèce 163
Avignon 72 Grenoble 197
Guise 19, 27, 41
Barcelone 196
Berlin-Tiergarten 7, 10, 12, 16, 141 Haut-du-Lièvre (Le) 135
Bordeaux 196 Havre (Le) 32, 186
Bouches-du-Rhône 7 Hélios (immeuble) 173, 179
Bouguenais 119 Héllocourt 41
Brasilia (immeuble) 173, 183
Bretagne 173 He de Frans 205
Brétigny-sur-Orge 196-197, 205 Inde 165
Briey-en-Forêt 7-8, 10, 35, 58, 100,
125-128, 130-138, 140-145, 162, Jaoul (villas) 28, 56
168, 174-175, 194, 197, 206 Jouy-en-Josas 141
Jura 36
Cantini (immeuble) 172, 180-181
Chandigarh 12 Kellermann (immeuble) 26
Chatou 207
Chaux-de-Fonds (La) 10, 20 La Rochelle-La Pallice 23, 32, 196, 199
Chazeau 149 Le Moustoir 178
Cher 206-207 Loire-Atlantique 7, 113-114, 116-117,
Cheviré 91, 118 NOM 18125192
Citrohan (maison) 13, 20, 24 Londres 141
Cologne 11 Lorient 173, 178
Lorraine 41, 132, 137
Dakar 196 Lunéville 9-10
Dijon 128, 196 Lyon 193

Emma (chartreuse d?) 10, 21 Maillot (hôpital) 136, 138-141, 194


États-Unis 31-32 Malo-les-Bains 196

— 2271—
INDEX

Manhattan 31 Sevran 205


Marseille 7, 9-10, 14, 23, 28, 31-35, Stockholm 27-28
45-46, 48, 51-56, 58, 60-64, 67, 69, Strasbourg 165, 168, 196, 201
71-77, 83-84, 92, 95-96, 99, 101, Stuttgart 20, 24
103, 106-109, 113, 120, 123, 129-130, Suède 148
135, 142, 150-151, 160-161, 163-168,
170-174, 176, 179-181, 183, 191, Toscane 21
196, 198-202, 207 Toulouse 196
Maubeuge 32, 186 Tours 14, 34, 58, 196-197, 206-207
Meaux 14, 23, 169, 196-197, 202-205 Trébeurden 173, 179
Mérignac 196
Metz 101-102, 138, 193, 196 Vallauris 72
Meurthe-et-Moselle 7, 133-134, 194 Vélizy-Villacoublay 196, 205
Moscou 24-27, 29, 36, 43 Vienne 141
Moustoir (Le) 173 Villette (parc de la) 138
Vincennes 26
Nancy 135-136, 141-142, 197 Vosges 197
Nantes 10, 34, 61, 91, 93-94, 96-97,
100, 103, 126, 128, 174, 193 Weissenhof 20, 24
Napatant (bois de) 125, 194
Narkofim (maison du) 24 Ziin 25
Nemours 25, 40 Zurich 25, 141
New York 12, 16, 27
Nîmes 196

Paris 20, 22-25, 27, 48, 57-58, 86, 91,


95, 102, 137-138, 154, 160, 162, 174, Index des noms
183, 193, 196, 200
Péage-de-Roussillon (Le) 197 Aalto (Alvar) 12
Pessac 20 Abram (Joseph) 135, 142
Alazard (Sté) 129, 193-194
Rezé 7, 15, 31, 35, 58-60, 71, 73-74, 91- André (Jacques) 197
92, 94, 96-97, 100, 102, 104-107, 109, Andreou (Constantin) 56
112, 116-117, 120-123, 126-131, 148, Anselmi (Alessandro) 91, 116, 162
150, 157, 161-162, 165, 167-168, Aria (cabinet) 118
171-176, 192, 197, 201-202, 206 Aumont (Jean-Pierre) 74
Roehampton 173 Auriol (Jacqueline) 74
Ronchamp 12
Rotterdam 201 Barberis (Sté) 58, 129, 192-194
Roubaix 196-197, 202 Barennes 203
Roussillon 169, 196-197, 201, 205 Bauchet 142
Beaudouin (Eugène) 202
Saint-Avold 139 Béguin (Robert) 102, 104
Saint-Barnabé 51 Benezet (M.) 105
Saint-Brieuc 179 Billoux (François) 55, 191
Saint-Dié 23, 32, 34, 72, 78, 164, Blum (Léon) 126
196-198 Bodiansky (Vladimir) 55, 57, 60, 79,
Saint-Etienne 156, 196 164-165, 169, 191
Saint-Gaudens 23 Bonheur (Gastan) 106
Saint-Tropez 72 Boos 139-140
Sainte-Baume 199 Boukobza(Fernand) 173, 183
Savoie 150 Boussiron (Sté) 202
Seine-et-Marne 204 Bouyer (Sté) 118

— 228—
INDEX

Calsat 203 Godin (Jean-Baptiste) 19, 41, 62


Camelot (Robert) 202 Gracq (Julien) 91, 161, 174
Camus (Albert) 74 Grange-Chavanis 155
Chalandon (Albin) 112 Grandjean (Denis) 142
Chéreau (Gabriel) 34, 61, 74, 93-98, Gropius (Walter) 12-13
101, 103-104, 107, 165 Grumbach (J.-J.) 126-127
Cheysson (Émile) 27, 62 Guibert (Joël) 115
Chirac (Jacques) 137 Guinzbourg (Moïse) 24
Ciriani (Henri) 155-156, 174
Claudius-Petit (Eugène) 32-33, 35, Hedjuk (John) 141
54-55, 60, 62, 69, 75, 85, 88-89, 95, Herbé (Paul) 202
97, 102-103, 105, 120, 126, 138, Hervé (Lucien) 73
147-152, 157, 191, 195 Howard (Ebenezer) 19
Colas 135 Huriel (Claude)13
Conan (Henri) 173, 178
Congar 119 Jacolin (Frank) 140
Coquet 205 Janin (Paul) 32
Courant (Pierre) 105 Jeanneret (Charles-Édouard)
Cristofol (Jean) 46-47, 54-55 dit Le Corbusier 20-21
Jeanneret (Pierre) 21, 24-26, 164
Dalsace (Dr) 57 Jenger (Jean) 138
Dautry (Raoul) 32, 46-48, 62, 72, 191 Johnson (Philip) 141
Debré (Michel) 204
Decré (Edmond) 34, 94-95, 103, 105 Kenley (Ron) 141
Defferre (Gaston) 46, 69 Kipnis (Jeffrey) 141
Delfante (Charles) 148-149 Kling (Jean) 148
Dunoyer de Segonzac (André) 47, KLM (Sté) 140
180-181
Dupavillon (Christian) 154 La Garde (de) 200
Durand (Abel) 100 Labro (Charles) 102, 104
Duval (Jean-Jacques) 197-198 Labussière 20
Duval (Sté) 34, 78, 164 Laffaille (Bernard) 35, 99-101, 165,
170, 193
Ericssonsgatan (John) 27 Lang (Jack) 152
Estiot (Sté) 128 Laville (Georges) 183
Eugène Claudius-Petit 126 Le Cour-Grandmaison (Jean) 104
Le Flanchec (Roger) 173, 179
Fabius (Laurent) 136 Lebrun 198
Floch (Jacques) 116 Leenhart 74
Fondation Cartier 141 Lefèvre (Jacques-Louis) 164
Fondation Le Corbusier 94, 117, Lemaresquier (Jules) 96
137-138, 174 Lurçat (André) 32, 186, 202
Fondation Rothschild 20, 27
Fourier (Charles) 11, 28-29 Maeterlinck (Maurice) 10
Freyssinet (Eugène) 100, 118, 165 Mailly (Jean de) 200
Fukssas (Maximiliano) 116 Maisonnier (André) 165, 167, 169,
191
Gaignerot (Frantz) 202 Malot (Raymond) 197
Garnier (Tony) 19 Malraux (André) 72, 176, 204
Gauducheau (Jacques) 94-97, 105, 107 Marchais (Georges) 152
Gayssot (Jean-Claude) 156 Markelius (Sven) 27
Ginsberg (Jean) 204 Martin (Dr Hubert) 130, 134, 194
Giry (Dr Pierre) 126, 130 Méhaignerie (Pierre) 137-138

— 229—
INDEX

Michau (Georges) 197 Ripert (Lilette) 59, 68


Michel (Jacques) 56, 191 Rogers (Richard) 152
Milinis (Ignace) 24 Roux (Marcel) 148
Mir (Joan) 45 Roux-Spitz (Michel) 93-94, 96
Missenard-Quint (Sté) 129, 193-194
Mitterrand (François) 152 SA d'HLM Loire-Inférieure habitations
Monnier (Marilyne) 121 Mantis121
Muthesius (Hermann) 11, 13 SA d'HLM Maison radieuse 112
Sauvage (Henri) 94
Schmitt (Bernard) 136, 139
Niemeyer (Oscar) 152
SCI Mabileau-Gauche (Sté) 142
Séchaud (Sté) 101-102, 127-128, 193
Orly parc (Sté) 203 Segonzac (André-Jacques de) 172
Otis (Sté) 129, 192-194 Serre (Philippe) 126-127, 131-132,
Oubrerie (José) 149, 151, 195 138
Ougier 130 Sert (José-Luis) 166
Outin (Bernard) 155-156 Simon (Alfred) 105-106
Sive (André) 148
Pagnol (Marcel) 72 Sourdeau (Jean-Louis) 47
Pellerin (Jean-Louis) 114 Sudreau (Pierre) 205
Perret (Auguste) 32, 185, 202
Perriand (Charlotte) 58, 86 Taut (Bruno) 13
Petit (Jean) 21 Tenoudji 74
Philipe (Gérard) 68 Tournier 204
Philippot (Jean) 93 Trouin (Léon) 199
Piano (Renzo) 23 Tubito 167
Picasso (Pablo) 74
Picot (Paul) 164 Valéry (Paul) 92
Pingusson (Georges-Henri) 126-127, Van de Velde (Henry) 11
202 Vattier (Guy) 132-134, 136-138, 143
Pontremoli (Emmanuel) 202 Védrès (Nicole) 74
Popovic (Prvoslav) 183 Verron (André) 68
Présenté (Georges) 130, 133, 165, 167, Verzone (Graig) 142
169, 194-195, 197, 206 Vial-Massat (Théo) 150, 152
Prouvé (Jean) 86, 170, 191-192 Vigouroux (Robert) 69
Prouvost (Albert) 202 Vilar (Jean) 72, 74
Puget (Pierre) 72 Vivet 74
Pujols (Raymond) 204 Voisin (Gabriel) 22
Py (Marcel) 164
Wanner 24
Wendel (François de) 126
Queuille (Henri) 95 West (Alton) 173
Quilliot (Roger) 134 Willerval (Jean) 183
Wogenscky (André) 57-58, 69, 89, 95-
Rabin (Kenneth) 142 98, 100-103, 107, 126-128, 130-131,
Raulo (Jean) 94, 97-98, 105, 107 133, 135, 138, 149, 164-165, 169,
Rauzier 139-140 191, 193-195, 200
Rebutato (Robert) 117 Wolfe (Tom) 12
Reichlin (Bruno) 142
Reiser (Jean-Marc) 175-176, 186 Xenakis (Iannis) 57, 167, 169, 191,
Renault Engineering (Sté) 169-170, 193
204-206
Rio (Hubert) 142 Zehrfuss (Bernard) 103

— 230—
INDEX

Index des sigles HBM 20, 92, 94, 96-97


HLM 102, 104, 110, 113, 128, 131, 151,
Le développement du sigle figure 155, 157, 161, 194, 202-204
dans le texte, à la première occurrence.
IGH 117
ISAI 47, 64, 198
AHMR 113
APL 155 MH 70, 73, 155
ATBAT 51, 56, 164, 166, 192 MJC 135
MRU 32, 54, 60-61, 65, 100, 102, 201
CAF 94
CEEMTP 106, 129, 193-194 OPAC 134-139, 194
CFPC 95 OPHBM 200
CFTC 94, 103 OPHLM 127, 130, 133, 147-156,
CIAM 56, 60 194-195, 203, 205-206
CIL 202 OTH 201, 204
CNL 113
CNR 32 SA 112
CROUS 115 SADG 103
CSF 113 SEGF 56, 60, 61, 94
CSTB 169, 204, 206 SOCOTEC 114
STP 103
DPLG 102 STUP 100

FEDER 119 UDSR 34, 147


FLC 22, 30, 49-50, 57, 66, 75, 95-100, UNITEC 33, 63
102-104, 107, 109, 128, 130-131, 164,
197, 199-200, 202, 204-207 ZUP 204, 207

— 231—
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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION — UN MOMENT DANS LA CULTURE


DE L'HABITAT
Des objets d'étude exceptionnels
Une question de méthode
Type ou série?
La question du logement social
Des œuvres malgré tout spécifiques
La force de la réception locale ou l’irrésistible adhésion
au type et à l’œuvre
De la haïne à la consécration

CHAPITRE I - LES SOURCES ET LE CONTEXTE


De l’immeuble-villas à l’unité d'habitation :
la conception et ses origines
L'immeuble-villas
L'expérimentation du pavillon de L'Esprit nouveau
De l'immeuble type «ville radieuse » à l'unité d'habitation
Une gestation progressive et incomplète
L'unité d'habitation, pour quoi ? pour qui?
Les modèles : de Moscou à New York en passant par Stockholm
De la reconstruction à l’urbanisation : la production et son contexte
Les conditions de la commande des unités d'habitation
Les unités et la politique de planification de l’après-guerre

CHAPITRE II - L'UNITÉ D'HABITATION DE MARSEILLE


Les circonstances de la commande
L'étude initiale de 1945
L'avant-projet de 1946

— 233—
TABLE DES MATIÈRES

Le projet définitif de 1947 51


La conduite du chantier 54
Le second œuvre 57
Les derniers aménagements 59
La cérémonie d’inauguration 60
Une architecture en représentation 62
Quelle gestion de l’unité? 63
La mise en vente des appartements 64
Les conséquences d’un statut flou 66
Le peuplement de l'unité et la vie collective 67
L'évolution sociale des usagers 68
Restauration et maintenance de l’unité 69
Un monument ouvert à la visite AL
La transformation de la réception
et la construction d’une identité 71
Un destin photographique et cinématographique 73
Épilogue 74

CHAPITRE III - LUNITÉ D'HABITATION DE REZÉ 91


L'inspirateur :Gabriel Chéreau (1909-1990) 93
La société de la Maison familiale 94
De la décision au projet, quel enjeu ? 95
Chronologie du projet 97
La phase délicate des études techniques 99
La mise au point du système constructif 101
La polémique 102
Un financement original 104
Derniers obstacles 105
Un chantier tenu pour exemplaire 106
L'édifice habité 107
La population de l’unité en 1957 109
La population de l’unité en 1987 111
Le changement de statut et ses conséquences 112
La réhabilitation et après. 113
La reconnaissance de l’œuvre 116
La restauration de la Maison radieuse 117
L'innovation au service d’un Monument historique 118
Épilogue 120

— 234—
TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE IV - L'UNITÉ D’HABITATION


DE BRIEY-EN-FORÊT 125
Un produit de la prospérité. 126
… et aussi un produit dérivé 127
La phase des études ou le dépassement des coûts 128 :
Des négociations compliquées avec le pouvoir politique 129
Du chantier à l'inauguration, encore une suite de tracas 131
L'impact de la crise du Bassin lorrain 132
L'inexorable engrenage de l'échec 133
Un sauvetage problématique 136
L'extension de la controverse 137
La «bataille de Briey » se gagne à Paris 138
La réhabilitation 139
L'embellie 140
Une animation associative exceptionnelle 141
Épilogue 142

CHAPITRE V — L'UNITÉ D’HABITATION DE FIRMINY 147


Une opération d'urbanisme moderne :«Firminy-vert » 148
Une, deux ou trois unités ? 149
L'interprétation du programme 150
Une chronique mouvementée 151
Le conflit entre la gestion et la conviction 153
La crise de 1983-1984 154
Démarches et projets 155
La fermeture de l’école en 1998 156
Épilogue 157

CHAPITRE VI — LES UNITÉS D'HABITATION:


DE L'ÉLABORATION À LA RÉCEPTION 163
Les unités et l’agence 164
Technique et architecture 165
L'obstacle de l’industrialisation 167
La disparité des systèmes constructifs envisagés 168
Le Corbusier, piètre technicien? 169
Le point d'équilibre d’une trajectoire 170
Une réception complexe et différenciée 171

— 235—
TABLE DES MATIÈRES

La réception interne FA
La réception locale 172
Les formes contrastées de la réception professionnelle 172
Les décalages de la réception culturelle 173
De l’opprobre à la gratitude ? 175
Les unités d'habitation au panthéon... 176

ConcLusION — UNE ARCHITECTURE TRAGIQUE 185

ANNEXES
Caractères techniques des unités d’habitation construites 191
Projets non construits 196
Chronogramme des unités d'habitation 208
Tableaux chronologiques 211
Le Corbusier 211
Unité de Marseille 212
Unité de Rezé 214
Unité de Briey 216
Unité de Firminy 219
Sources et bibliographie 221
Index 227
Index des lieux 227
Index des noms 228
Index des sigles 231

— 236—
Librairie de l'Architecture et de la Ville
Publiée avec le concours du Ministère de la culture et de la communication
(Centre national du livre et Direction de l'architecture et du patrimoine)

Jean-Louis Violeau Gwenaël Delhumeau


Situations construites L'invention du béton armé.
Paris, Sens & Tonka, 1998 Hennebique, 1890 - 1914
Paris, Norma, 1999
Henri Sellier
Une cité pour tous Jean-Pierre Lefebvre
Paris, Le Linteau, 1998 Une expérience d'écologie urbaine
Paris, Le Linteau, 1999
Rudy Ricciotti
Pièces à conviction Diana Chan Chieng et Li Dexiang
Paris, Sens & Tonka, 1998 France, 99 architectures en 99
A3 : Architecture Art Association,
Rainier Hoddé Paris, 1999
Alvar Aalto
Paris, Hazan, 1998 Didier Laroque
Le discours de Piranèse.
Frédérique Lemerle et Yves Pauwels L'ornement sublime et le suspens
L'architecture à la Renaissance de l’architecture
Paris, Flammarion, 1998 Paris, La Passion, 1999
Monique Eleb et Jean-Louis Cohen Susan Day
Casablanca. Mythes et figures Jean-Charles Moreux.
d’une aventure urbaine Architecte — décorateur - paysagiste
Paris, Hazan, 1998 Paris, Norma, 1999

Frank Lloyd Wright Joseph Abram


Autobiographie L'architecture moderne en France
Paris, La Passion, 1998 Tome 2 : du chaos à la croissance,
1940 - 1966
Odile Jacquemin et Catherine Berro Paris, Picard, 1999
Territoires littéraires, des îles à la ville,
Hyères-les-Palmiers Yann Nussaume
Hyères, Mémoire à lire Tadao Andô et la question du milieu
- territoire à l’écoute, 1998 Réflexions sur l'architecture
et la paysage
Peter Rice Paris, Le Moniteur, 1999
Mémoires d’un ingénieur
Colin Rowe
Paris, Le Moniteur, 1998
Mathématiques de la villa idéale
Claude Prélorenzo et autres essais
Une histoire urbaine. Nice Paris, Hazan, 2000
Paris, Hartmann, 1999
Nicolas Detry et Pierre Prunet
Chilpéric de Boiscuillé Architecture et restauration
Balise urbaine. Nomades dans la ville Sens et évolution d’une recherche
Besançon, L’Imprimeur, 1999 Paris, La Passion, 2000

— 237—
LIBRAIRIE DE L'ARCHITECTURE ET DE LA VILLE

Jacques Leenhardt Simona Talenti


Michel Corajoud Histoire de l’architecture en France.
Paris, Hartmann, 2000 Emergence d’une discipline
(1863 - 1914)
Frédérique Lemerle Paris, Picard, 2000
Les annotations de Guillaume
Philandrier sur le De Architecture
Che Bing Chiu
de Vitruve, Livres I à IV
Yuanming Yuan.
Paris, Picard, 2000 Le jardin de la clarté parfaite
Besançon, L’Imprimeur, 2000
Gérard Monnier
L'architecture moderne en France
Tome 3 : de la croissance Jupp Grote et Bernard Marrey
à la compétition, 1967 — 1999 Freyssinet : La précontrainte et l'Europe
Paris, Picard, 2000 Paris, Le Linteau, 2000

Jean-Marie Pérouse de Montclos Henri Lefebvre


Philibert De l’Orme, La production de l’espace
architecte du roi (1514 - 1570) Paris, Anthropos, 2000
Paris, Mengès, 2000

Paola Misino et Nicoletta Trasi Daniel Rabreau


André Wogenscky. Claude-Nicolas Ledoux (1736 — 1806).
Raisons profondes de la forme L'architecture et les fastes du temps
Paris, Le Moniteur, 2000 Bordeaux, William Blake & Co, 2000

Alessandra Ponte Baron Haussmann


Le paysage des origines. Edition établie par Françoise Choay
Le voyage en Sicile (1777) Mémoires
de Richard Payne Knight Paris, Le Seuil, 2000
Besançon, L'Imprimeur, 2000

TA. Marder Camillo Boito


Bernin Conserver ou restaurer.
Sculpteur et architecte Les dilemmes du patrimoine
Paris, Abbeville, 2000 Besançon, L’Imprimeur, 2000

Marcel Poëte Sigfried Giedion


Introduction à l'urbanisme Construire en France, construire en fer,
Paris, Sens & Tonka, 2000 construire en béton
Paris, Editions de la Villette, 2000
Les Frères Perret. L'œuvre complète
Sous la direction de Maurice Culot,
David Peyceré et Gilles Ragot Jean Petit
Paris, Institut français d'architecture Ciriani, lumière d'espace
et Norma, 2000 Lugano, Feda SA, 2000

Pierre Vago Mutations


Une vie intense ouvrage collectif
Bruxelles, Archives d'Architecture Bordeaux — Barcelone, Arc-en-rêve
Moderne, 2000 et Actar, 2000

— 238—
LIBRAIRIE DE L’ARCHITECTURE ET DE LA VILLE

Roland Simounet à l’œuvre. André Corboz


Architecture 1951 - 1996 Le territoire comme palimpseste
Sous la direction de Richard Klein et autres essais
Villeneuve d’Ascq, Besançon, L’Imprimeur, 2001
Musée d’art moderne
Lille Métropole, 2000
Créateurs de jardins et de paysages.
En France de la Renaissance
Simon Texier au début du xIx° siècle
Georges-Henri Pingusson Sous la direction de Michel Racine
Latitude 43 Arles, Actes Sud / Ecole supérieure
Paris, Jean-Michel Place, 2001 du paysage, 2001

Lewis Mumford
Le piéton de New-York Jean-Jacques Deluz
Paris, Le Linteau, 2001 Alger, chronique urbaine
Paris, Bouchène, 2001
Claude Eveno
Un amateur d'architecture Henry-Russell Hitchcock
Besançon, L’Imprimeur, 2001 et Philip Johnson
Le style international
Fernand Pouillon, Marseille, Parenthèses, 2001
architecte méditerranéen
Sous la direction Edouard André (1840 - 1911).
de Jean-Lucien Bonillo Un paysagiste botaniste
Marseille, Imbernon, 2001 sur les chemins du monde
Sous la direction de Florence André
Benoit Goetz et Stéphanie de Courtois
La dislocation. Architecture Besançon, L’Imprimeur, 2001
et philosophie
Paris, La Passion, 2001 Lucien Kroll
Tout est paysage
Jean-Marie Pérouse de Montclos Paris, Sens & Tonka, 2001
L'architecture à la française.
Du milieu du XV° à la fin du xvur°
François Chaslin
Paris, Picard, 2001
Deux conversations
avec Rem Koolhaas et caetera
Jean Nouvel
Paris, Sens & Tonka, 2001
L'Église Sainte-Marie de Sarlat
Bordeaux, Le Festin, 2001
Jean-Christophe Bailly
Charles Garnier La ville à l'œuvre
Le nouvel Opéra Besançon, L’Imprimeur, 2001
Paris, Le Linteau, 2001
La querelle du fer.
Christian Dupavillon Eugène Viollet-le-Duc
Architectures du cirque contre Louis Auguste Boileau
des origines à nos jours présentation de Bernard Marrey
Paris, Le Moniteur, 2001 Paris, Le Linteau, 2002

— 239 —
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Pour les œuvres de Le Corbusier : © FLC et Adagp, Paris 2002

Pour les photos de la couverture, les planches I à XV du cahier couleur, ainsi que celles
des pp. 89, 145, 181, 182, 183 : G. Monnier /Archipress ; pour la planche XVI du cahier
couleur : J. Abram.

pp. 36, 37, 77 Collection Roger-Viollet


p. 86 Charlotte Perriand / Photo Karquel, © Adagp, Paris 2002
p. 87 René Burri / Magnum photos
p. 123 Véra Cardot et Pierre Joly
pp. 158 et 159 Bernard Peyrol
p. 177 © Jean-Marc Reiser
p. 178 Archives municipales de Lorient
p. 179 Fonds Le Flanchec, Archives Nationales / Institut Français d'Architecture
p. 180 © Dunoyer de Segonzac

Carte p.18 et schéma p.208 : Corédoc

Imprimé en France par Chirat — 42540 Saint-Just-la-Pendue


N° d’imprimeur : 5970 — N° d'édition : 002577-01
Dépôt légal : septembre 2002
Le Corbusier
Les unités d'habitation en France

Parmi les constructions de l'après-guerre,


les «cités radieuses » de Le Corbusier n'ont
jamais fait l'objet d'une étude complète.
Ce livre fait le point sur l'ensemble des projets conçus
par l'agence de l'architecte. Il observe en détail les
circonstances et les acteurs de leur création.
Des années 1950 à aujourd'hui les unités
d'habitation de Marseille, Rezé, Briey, Firminy ont
connu des sorts très contrastés: la contestation
(Marseille), l'adoption (Rezé), l'abandon (Firminy)
et la démolition évitée de justesse (Briey).
Elles ont cristallisé beaucoup des opinions, souvent
acerbes ou subjectives dont l'architecture
fut l'objet en France pendant un demi-siècle.
Aujourd'hui on s'y arrache les appartements à prix d'or.

Gérard Monnier est professeur d'histoire


de l'art contemporain à l'université de Paris |
et spécialiste de l'architecture du XX siècle. :
Il est également l'auteur d'une monographie
sur Le Corbusier.

Visitez les Éditions Herscher


àà l'adresse
j' suivante DANGER
www.editions-belin.com @rPL

| | code 002557
9 |8270 T'ES
[l TE 0 1 prix 25,95 €

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