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1 L’analyse de la pensée […], du comportement cognitif, contemplatif, passif1, d’un être ou d’un « sujet connaissant »

2 ne découvre jamais le pourquoi et le comment de la naissance de la conscience de soi2. […] La contemplation3 révèle l’objet,
3 et non le sujet. […] L’homme « absorbé » par l’objet qu’il contemple ne peut être « rappelé à lui » que par un désir4 : par le
4 désir de manger, par exemple. C’est le désir (conscient) d’un être qui constitue cet être en tant que moi et le révèle en tant
5 que tel en le poussant à dire : « Je... ». C’est le désir qui transforme l’être révélé à lui-même par lui-même dans la
6 connaissance (vraie), en un « objet » révélé à un « sujet » par un sujet différent de l’objet et « opposé » à lui5. C’est dans et
7 par, ou mieux encore, en tant que « son » désir que l’homme se constitue et se révèle — à soi-même et aux autres —
8 comme un moi, comme le moi essentiellement différent du, et radicalement opposé au, non-moi. Le moi (humain) est le
9 moi d’un — ou du — désir. L’être même de l’homme, l’être conscient de soi, implique donc et présuppose le désir.

10 Par conséquent, la réalité humaine ne peut se constituer et se maintenir qu’à l’intérieur d’une réalité biologique,
11 d’une vie animale. Mais si le désir animal est la condition nécessaire de la conscience de soi, il n’en est pas la condition
12 suffisante6. A lui seul, ce désir ne constitue que le sentiment de soi7.

13 Le désir anthropogène8 diffère donc du désir animal […] par le fait qu’il porte non pas sur un objet réel, « positif »9,
14 donné, mais sur un autre désir. Ainsi, dans le rapport entre l’homme et la femme, par exemple, le désir n’est humain que
15 si l’un désire non pas le corps, mais le désir de l’autre, s’il veut « posséder » ou « assimiler » le désir pris en tant que désir.

Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel

1
Tous ces termes désignent une même réalité : les phénomènes de compréhension et d’activité intellectuelle, par opposition aux
phénomènes de désir et de volonté.
2
Connaissance qu’un sujet possède de ses représentations et de lui-même.
3
Contempler signifie ici : attitude du sujet face à l’objet qui ne met pas en œuvre que le regard, mais surtout l’activité intellectuelle.
4
Désir : recherche d’une réalité qu’on estime être source de satisfaction.
5
Passage difficile : cette phrase signifie que la fonction assumée par le désir est de séparer sujet humain et objet extérieur dans notre
pensée, ce qui autorise un rapport de connaissance entre le sujet et l’objet (il faudra expliquer pourquoi le désir peut assumer cette
fonction)
6
Condition nécessaire : ce sans quoi une chose ne peut pas être. Condition suffisante : ce qui suffit à faire être une chose.
Exemple (sans rapport avec le texte) : pour être heureux, satisfaire ses besoins « primaires » est une condition nécessaire (on ne peut
pas être heureux tourmenté par la faim) mais pas suffisante (on peut être malheureux même si ces besoins sont satisfaits)
7
Connaissance immédiate de soi, à dominante affective et intuitive, sans aucune représentation intellectuelle.
8
(Du grec anthropos, homme, et génésis, force productrice) Qui engendre l’homme.
9
Qui peut être posé, qui est de la nature du fait.

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