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ENS

Éditions
Hegel à Iéna | Jean- Michel Buée, Emmanuel Renault

La « philosophie
du travail » dans
les esquisses de
système à Iéna
(1802-1806)
Franck Fischbach
1 « Philosophie du travail » est l’expression utilisée, en passant, sans davantage de
commentaire, par Myriam Bienenstock dans l’étude dont elle a fait suivre sa traduction de la
philosophie de l’esprit de 1803-18041.

Au fond, je ne ferai que montrer la pertinence de cette formule dont l’auteur ne mesurait sans doute
pas toute la portée. Il me semble en effet que le travail n’est pas seulement un objet dont s’occupe
parmi d’autres la philosophie de l’esprit dans les différentes ébauches qu’en donne Hegel durant ses
années d’Iéna – un objet parmi d’autres, c’est-à-dire un objet de même niveau et importance que le
« langage » ou le « peuple » –, mais que la philosophie de l’esprit est elle-même essentiellement une
philosophie du travail. La philosophie de l’esprit comme philosophie du travail : telle est l’hypothèse
de lecture et d’interprétation que je voudrais proposer ici.

2 Guy Planty-Bonjour avait déjà remarqué que, dans la philosophie de l’esprit de 1805 comme
dans celle de 1803, « plusieurs figure de l’esprit, comme le travail, la famille, la lutte pour la
reconnaissance, sont analysées deux fois : une première fois avec l’esprit dans son concept […],
l’autre fois avec l’esprit effectif ».2 C’est parfaitement exact, mais il faut encore ajouter deux
remarques : premièrement, si l’on prend en considération l’ensemble des ébauches de philosophie
de l’esprit depuis le Système de la vie éthique, il apparaît alors que le travail est la seule figure de
l’esprit qui soit toujours analysée deux fois ; et, deuxièmement, la figure du travail est la seule à
laquelle il arrive d’être traitée à trois reprises dans un même exposé, comme c’est le cas dans le
Système de la vie éthique, pour ne rien dire de la philosophie de l’esprit de 1805 où se trouvent au
moins six occurrences différentes et significatives du concept de travail. Voilà qui confère au travail
d’emblée un certain privilège dont je me propose de tenter de prendre l’exacte mesure en
examinant de plus près de quelle manière exactement, et surtout pour quelles raisons l’analyse du
travail est toujours conduite au moins à deux reprises par Hegel dans les ébauches de philosophies
de l’esprit à Iéna. La question est de savoir si c’est bien le même concept de travail qui apparaît ainsi
à différents niveaux de ces ébauches, autrement dit, si Hegel a plusieurs concepts du travail à
l’époque, ou bien si le travail lui-même doit se dire en plusieurs sens. La question qui se poserait
alors, mais que nous n’aurons pas la possibilité de traiter ici, serait alors de savoir si Hegel a
maintenu après Iéna cette pluralité de sens du concept de travail, ou s’il les a réunis dans un seul
concept.

3 Si l’on commence avec le Système de la vie éthique, on trouve une première analyse du
travail dès la première section, intitulée « La vie éthique absolue selon le rapport ». Ici, la vie éthique
est considérée comme « vie éthique naturelle », raison pour laquelle l’aboutissement en sera la
famille. Dans cet élément de la vie éthique naturelle, le point de départ est constitué de la
considération des individus naturels et singuliers dans leurs rapports à un monde extérieur et
objectif. Nous ne sommes donc plus dans ce que Hegel appelle

« L’identique totalement absolu » qui, pour cette raison même, est également dit par Hegel « a-
conscient »3, ce qui signifie que nous ne sommes plus dans l’élément de la vie naturelle, nous
sommes bien dans la vie certes encore naturelle mais néanmoins déjà éthique, ce qui implique la
suppression de l’identique absolu et donc l’introduction d’une séparation sans laquelle ne pourrait
émerger quelque chose comme une conscience. Nous nous situons ainsi dans ce que Hegel appelle «
la séparation en subjectif et objectif »4, une séparation qui ne sera surmontée une première fois que
dans et par la famille. Mais pour le moment nous avons un pôle subjectif immédiatement en rapport
avec une objectivité extérieure dont il est séparé. Du côté subjectif, il y a un sentiment immédiat de
cette séparation et, selon Hegel,
« le sentiment de la séparation est le besoin » (ibid.). La séparation en subjectif et objectif n’est donc
pas une séparation entre deux termes indifférents : l’un des deux, le subjectif, n’est pas indifférent à
l’autre, il s’y rapporte sur le mode du besoin qui est à satisfaire – ce qui signifie tout aussi bien qu’il
s’y rapporte activement. Telle est la raison pour laquelle Hegel propose d’appeler le sentiment « la
puissance pratique » (ibid.). C’est là un point de première importance : le rapport par lequel le pôle
subjectif entre en relation avec l’extériorité objective est immédiatement un rapport pratique dans la
mesure où c’est le rapport par lequel le premier entreprend activement de trouver dans le second la
satisfaction de son besoin. La séparation du subjectif et de l’objectif se manifeste donc d’abord
comme besoin, puis comme activité en vue de la satisfaction du besoin, donc en vue de «
l’annihilation de la séparation »5. Très exactement il s’agit de l’activité « d’annihiler l’intuition
empirique objective selon laquelle l’objet du besoin est au-dehors » (ibid.) ; il y va ici non pas d’une
annihilation de l’objet comme tel, mais d’une annihilation de son extériorité, et donc d’une activité
d’appropriation de l’objet : c’est, dit Hegel, « la peine et le travail » (ibid.). Là est la différence entre la
jouissance et le travail : la première est restauration de l’identité à soi du sujet à partir de la
différence de l’objet et, cela, par suppression et annihilation pure et simple de l’objet. Dans le cas du
travail, il y a aussi annihilation de l’objet, mais de telle sorte que « cette annihilation est remplacée
par une autre intuition ou un autre objet »6, ou encore : « […] l’objet n’est pas annihilé comme objet
en général, mais de telle sorte qu’un autre objet est posé à sa place » (ibid.) – ce qui signifie qu’un
objet est transformé en un objet autre par le travail du sujet. Autrement dit, à la différence de la
jouissance, le travail n’annihile l’objet que dans sa forme, et il préserve la réalité de l’objet, mais tout
en faisant que la réalité de l’objet n’ait plus la signification d’une réalité extérieure, indifférente au
sujet et indépendante de lui. Le maintien de l’objet dans sa réalité suppose que la jouissance, comme
destruction de cette réalité par consommation de l’objet, soit « entravée et ajournée » (ibid.). Et le
fait que la jouissance soit ainsi ajournée et différée permet qu’émerge du côté du sujet une
manière de se rapporter à l’objet qui n’est plus portée par le besoin, mais par le « désir » : en tant
qu’objet du désir, et non plus du simple besoin, l’objet n’est plus un objet indépendant du sujet, il
n’a plus de réalité qui soit extérieure au sujet, il n’est plus, comme dit Hegel, un objet « réel pour soi
» ; mais, pour autant, et cette fois par opposition à l’objet de la jouissance, il n’est plus non plus un
objet destiné à être anéanti et supprimé dans la consommation.

4 « Dans le travail, écrit Hegel, est posée la différence du désir et de la jouissance. » C’est parce
que l’objet devient objet du désir, et qu’il n’est plus objet de la seule jouissance, et donc parce que la
jouissance est non pas réprimée, mais différée et ajournée, que l’objet peut aussi devenir objet du
travail, objet pour le travail : parce qu’il n’est pas immédiatement anéanti, parce qu’il est maintenu
comme un objet existant réellement, il peut devenir l’objet d’une activité qui en modifie la forme
pour le rendre plus apte à la satisfaction du besoin, et donc aussi plus apte à une jouissance d’autant
plus satisfaisante qu’elle aura été différée et que son objet aura été élaboré. Où l’on voit que le
maintien de l’existence réelle de l’objet ne consiste pas à le maintenir comme un existant pour soi,
indépendant du sujet, mais au contraire à en faire un objet réellement existant pour le sujet, et
existant d’autant plus pour le sujet qu’il aura été modifié et donc approprié par lui.

5 Plus précisément, dès lors que l’objet n’est plus seulement un objet pour la jouissance
immédiate, le processus se déroule selon les trois temps suivants : d’abord un rapport à l’objet porté
par le désir et donc une « prise de possession » de l’objet fondée sur le désir ; ensuite une activité
de négation de la forme de l’objet, une trans-formation de l’objet sans suppression de sa réalité, et
donc un travail ; et enfin une possession du produit, c’est-à-dire de l’objet transformé et donc la
possibilité de le nier et de passer à la jouissance qui avait été retardée jusque-là.
6 L’essentiel, dans le concept de travail que Hegel élabore ici, est sans doute l’idée que le
travail est une activité qui maintient l’objet dans sa teneur de réalité, qu’il est une conduite qui
suppose, de la part du sujet, une pleine reconnaissance de l’objectivité de l’objet comme d’une
objectivité subsistant indépendamment du sujet : le travail est cette activité par laquelle le sujet, à la
fois, parvient à reconnaître l’existence de l’objet comme une existence indépendante de lui, sans que
cette indépendance ait toutefois le sens d’une indifférence de l’objet à l’égard du sujet. L’objet peut
à la fois être autre que le sujet et être pour le sujet : c’est ce dont le travail permet la pleine et
entière reconnaissance.

7 Et c’est cela qui permet à Hegel d’étendre le concept de travail bien au-delà du seul travail
portant sur des objets inertes, et, par l’élaboration du concept de ce qu’il appelle le « travail vivant
», de considérer comme travail l’activité que les hommes exercent sur les plantes, sur les animaux
et, enfin, sur les enfants. Si la culture des plantes, l’élevage des animaux et l’éducation des enfants
sont conçus par Hegel comme travail, et plus exactement comme « travail vivant », c’est
essentiellement en raison du fait que le travail est cette activité dont on peut dire à la fois qu’elle
annihile la forme des objets sur lesquels elle s’exerce, et qu’elle en respecte absolument le contenu
de réalité, la teneur de réalité. C’est pourquoi cette activité est capable de se laisser guider par la
chose sur laquelle elle s’exerce, de se laisser commander par elle et d’en épouser la nature, mais
pour d’autant mieux en modifier la forme. C’est par excellence le cas lorsque le travail, comme «
travail vivant », consiste à intervenir sur le milieu de manière à favoriser la croissance des plantes, à
domestiquer et élever des animaux et à éduquer les enfants. Cette troisième et dernière forme du «
travail vivant » me paraît posséder une importance décisive dans le dispositif hégélien de l’époque.
Dans ce dernier cas, en effet, on a affaire à une forme supérieure du travail dans la mesure où il s’agit
du travail que l’espèce, en l’occurrence humaine, exerce sur elle-même, du travail d’éducation et de
formation, de Bildung dont l’espèce est à la fois le sujet et l’objet, travail par lequel les hommes
entreprennent de se rendre eux-mêmes conformes à leur propre concept par modification de la
forme immédiate et naturelle de leur existence. Le sens même du concept de travail subit ici une
modification majeure : aussi longtemps qu’il s’agit du travail de transformation de la matière inerte,
et même encore du « travail vivant » portant sur les plantes et les animaux, le travail est associé par
Hegel à l’idée de « peine »7, et, pour ce qui concerne le travail sur la matière inerte, la peine
qu’implique le travail ne commence de trouver une solution qu’avec l’introduction du « moyen-
terme » qu’est « l’outil »8. L’outil est cet objet réel et en même temps déjà totalement approprié et
transformé par le sujet, et qui lui sert à transformer un autre objet, de telle sorte que, « dans l’outil,
le sujet sépare de soi son usure et son objectivité, il abandonne un autre à l’annihilation et rejette sur
l’autre la part subjective de celle-ci »9. En ce sens, l’outil est la subjectivité du travail rendue
objective, il est « la rationalité du travail » rendue « réale », il est « la règle permanente du travail »
(ibid.) exposée dans l’extériorité objective, et donc universalisée puisque rendue appropriable par
d’autres. Mais, comme activité du travail désormais séparée du sujet, l’outil est aussi et surtout ce
qui, dans l’objectivité, est désormais exposé à l’usure à la place du sujet. On peut dire que la peine
subsiste, mais qu’elle perd sa forme subjective de peine pour prendre la forme objective de l’usure
de l’objet-outil.

8 Or, et c’est le point important, cette dimension négative du travail, qu’elle se dise comme «
peine » du côté du sujet ou comme « usure » du côté de l’objet, est absente de la forme ultime du «
travail vivant », c’est-à-dire du travail éducatif portant sur les enfants, et plus encore de la forme
universalisée de ce travail éducatif, c’est-à-dire de l’activité d’auto-formation que l’espèce exerce sur
elle-même : ici, aucune mention n’est faite par Hegel de cette part négative de la peine ou de l’usure.
Pourquoi ? À mon avis parce que cette forme-là du travail est conçue par Hegel comme une forme
positive sans reste : c’est la forme du travail qui consiste entièrement en une réalisation et en un
accomplissement, ou, plus exactement, en ce qu’il ne serait pas faux d’appeler une libération ou une
émancipation. Désignant cette figure suprême du travail comme « la totalité du travail »10, Hegel
ajoute qu’elle est « l’individualité accomplie et, par là, une égalité des opposés » (ibid.).

9 Cet accomplissement est celui qui s’effectue par « l’action réciproque et l’éducation
universelle des hommes » (ibid.) : cette action réciproque et cette éducation sont ce par quoi les
hommes accèdent à la représentation de leur égalité mutuelle, surmontant par là l’inégalité qui
subsiste dans la relation entre parents et enfants. Le produit et le résultat du travail de cette
éducation universelle, du travail de l’espèce sur elle- même, sont ce que Hegel nomme ici
l’individualité accomplie qui reconnaît toute individualité autre comme égale à elle-même. Chaque
individu vaut ici pour chaque autre comme « une essence égale, indépendante » (ibid.), de sorte que
le rapport des individus entre eux se rend ici lui-même indépendant de la forme qui peut être la
sienne dans l’ordre de la sensation (amour, amitié, ou l’inverse : haine, inimitié) : c’est là, précise
Hegel, « une forme extérieure qui ne concerne pas l’essence du rapport, laquelle est l’universalité
dans laquelle les individus se tiennent » (ibid.). Cette universalité est celle d’un rapport consistant en
ce que Hegel appelle un « reconnaître qui est mutuel » et qui est aussi « le degré suprême dans
l’individualité et la différence externe » (ibid.). Le résultat de la forme suprême du travail comme
travail de l’espèce sur elle-même, comme travail de formation de l’espèce par elle-même, ce sont
donc des individus réellement indépendants les uns des autres, n’ayant plus de rapports ni de
dépendance mutuelle ni d’inégalité, et se reconnaissant les uns les autres mutuellement comme des
individus égaux. S’il y a une limite au résultat de ce travail universel d’éducation réciproque, elle
consiste en ce que « l’égalité absolue des individus réside ici dans l’intérieur et [en ce que],
conformément à toute la puissance dans laquelle nous sommes, le rapport n’a de consistance que
dans l’individu » (ibid.). Hegel veut ainsi dire que nous ne nous situons pas encore ici dans un
rapport relevant de l’éthicité, ce qui peut surprendre dans la mesure où il est quand même déjà
question d’une reconnaissance réciproque entre des individus se considérant mutuellement comme
des égaux. Mais, ce qui importe ici à Hegel, c’est que cette relation de reconnaissance réciproque,
résultat du travail de l’espèce sur elle-même n’est pas ici une relation instituée comme telle : c’est
pourquoi elle n’est encore « que dans l’intérieur », c’est- à-dire pas encore instituée, et encore moins
institutionnalisée, cela ne pouvant avoir lieu que dans l’élément de l’éthicité comme telle.

10 S’agissant justement du passage à l’élément ou plutôt, selon le terme schellingien utilisé par
Hegel à l’époque, à la « puissance » de l’éthicité, on s’aperçoit que c’est à nouveau le travail qui joue
ici un rôle décisif, non pas tant d’ailleurs au sein de l’éthicité elle-même (où son rôle concerne
essentiellement le second état, l’état de la droiture, c’est-à-dire l’état des bourgeois commerçants),
que dans le processus qui y conduit. Le travail qui, à la première puissance, a essentiellement
consisté à former l’individualité naturelle singulière jusqu’à permettre la reconnaissance mutuelle
des individus comme égaux les uns aux autres, intervient maintenant comme un opérateur
d’idéalisation et d’universalisation, dont la limite semble à première vue résider dans le fait qu’elle
prenne l’aspect d’une universalité encore seulement abstraite.

11 La manière dont Hegel conçoit l’œuvre du travail dans cette seconde puissance est à
première vue aussi essentiellement négative qu’elle était essentiellement positive dans la première
puissance. Dans cette première puissance, le travail était compris et présenté comme permettant
une objectivation de soi, une individualisation, une réalisation et même, finalement, un
accomplissement ; ici, au contraire, le travail semble être d’abord lié à la mise en œuvre de
puissances abstraites et anonymes, négatrices de l’individu. Cela apparaît à trois niveaux, à
commencer par la division du travail : le travail se détache ici de l’activité de l’individu singulier et de
ses besoins propres, il devient ce que Hegel appelle « un travail plus universel »11, réparti entre une
multiplicité d’individus travaillant chacun à la satisfaction des besoins des autres. « Cette manière de
travailler qui se répartit ainsi présuppose en même temps, écrit Hegel, que le reste des besoins soit
satisfait d’une autre manière – par le travail d’autres hommes » (ibid.). Il s’effectue ainsi une
spécialisation qui réduit l’individu à effectuer mécaniquement un travail limité, abstrait et répétitif :
c’est ce que Hegel appelle « l’abrutissement du travail mécanique » (ibid.), auquel un remède ne
peut être apporté que par le développement du machinisme. Seconde forme de cette abstraction
médiatisée par le travail, cette fois du côté non de l’activité elle-même, mais du produit du travail
qui, lui aussi, devient un produit abstrait : détaché des besoins et de la jouissance de l’individu
singulier, le produit du travail devient pour l’individu un excédent qui n’a d’utilité que s’il est échangé
contre un autre produit, c’est-à-dire contre le produit du travail d’un autre. De la possession qui,
dans la première puissance, était arrimée au désir singulier de l’individu, Hegel dit maintenant «
qu’elle a perdu son importance pour le sentiment pratique du sujet, elle n’est plus besoin pour lui,
mais excédent ; pour cette raison, sa relation à l’usage est une relation universelle […] – c’est une
relation à l’usage qu’en ont les autres »12. À l’universalité abstraite de la division du travail succède
donc l’universalité abstraite de l’échange : autant le travail, sous la première puissance, possédait
une dimension essentiellement qualitative, autant, sous cette seconde puissance, il devient le
vecteur d’une fondamentale quantification de toutes choses, à commencer par lui-même.

12 Et pourtant, Hegel ne voit en définitive dans tout cela que du positif ; il écrit en effet ceci :

Ce n’est que dans toute cette puissance que commencent les puissances véritables de l’intelligence
pratique ; avec le travail excédentaire, l’intelligence pratique cesse, dans le besoin et le travail,
d’appartenir au besoin et au travail ; le rapport à un objet que l’intelligence pratique acquiert
pour le besoin et l’usage, et qui n’a pas été élaboré par elle- même pour son usage, dans lequel elle
n’annihile pas son propre travail, est le point de départ de la jouissance et de la possession
juridiques, formellement éthiques.13

13 Ce que le travail accomplit ici, c’est en définitive l’accession au droit et à la dimension


juridique comme telle :

La propriété s’introduit dans la réalité par la pluralité des personnes comprises dans l’échange, en
tant qu’elles se reconnaissent mutuellement ; la valeur s’introduit dans la réalité des choses et en
chacune d’elles en tant qu’excédent ; le concept se mouvant s’introduit […] à la place de ce qui était
possédé antérieurement.14

14 Tel est donc ce que le travail effectue ici : il introduit la valeur dans la chose, il introduit la
personne dans l’individu, il introduit la propriété dans la possession – ce qui ne veut rien dire d’autre
sinon qu’il introduit le règne de la liberté dans l’empire de la nécessité.

15 Voilà qui ne peut que confirmer le rôle absolument essentiel dévolu au travail dans cette
première philosophie de l’esprit de Hegel : le travail est ce par quoi l’idéel s’introduit dans le réel, et
le rationnel dans l’effectivité. Et même si le travail ne peut introduire et réaliser l’idéel sans en
réaliser aussi le formalisme et l’abstraction, il n’en demeure pas moins que l’examen de cette
seconde puissance (où formalisme et abstraction apparaissent en effet au premier plan) confirme le
résultat de la première puissance : le travail est d’abord, pour le Hegel du Système de la vie éthique,
un concept désignant des processus qui sont essentiellement des processus de libération et
d’émancipation dans l’exacte mesure où ils sont en même temps des processus d’abstraction,
d’universalisation et d’idéalisation.
16 Reportons-nous maintenant du Système de la vie éthique, considérée comme la première
philosophie de l’esprit d’Iéna, à la dernière philosophie de l’esprit d’Iéna, c’est- à-dire à celle de 1805,
contemporaine du début de la rédaction de la Phénoménologie de l’esprit. À première vue, il
pourrait sembler que le travail n’y joue plus un rôle aussi central que dans le premier texte : et cette
première impression peut être confirmée par l’absence dans le texte de 1805 de développement sur
le travail considéré comme auto-éducation de l’espèce ; ainsi, le développement sur la famille
s’achève certes toujours sur l’éducation de l’enfant, mais, outre que l’éducation n’est plus décrite ici
dans les termes d’un travail éducatif dont l’enfant serait la matière et dont le but serait la
transformation de l’enfant, on constate aussi que l’éducation des enfants n’est elle-même plus
universalisée dans la conception d’un travail d’auto- éducation ou d’auto-formation de l’espèce par
elle- même. En lieu et place de ce travail éducatif de, par et sur l’espèce, Hegel insère désormais le
développement central sur la « lutte pour la reconnaissance » : le concept de reconnaissance n’était
certes pas absent du texte de 1802, au contraire, on y trouvait même déjà une conception précise de
la reconnaissance définie en tant que « la pensée de l’autre comme concept absolu » par laquelle «
celui-ci existe en tant qu’être libre »15. Mais, dans le texte de 1802, dans le Système de la vie
éthique, le moment central et charnière n’était pas la lutte pour la reconnaissance, c’était bien au
contraire la non- reconnaissance, les diverses formes de la méconnaissance et de la négation de la
reconnaissance (notamment dans le crime, le vol, l’oppression), bref tout ce par quoi est remise en
cause et niée une reconnaissance déjà acquise comme le résultat même du travail d’auto-formation
par lequel les hommes entreprennent de se rendre conformes à leur propre concept. Ce travail
n’étant plus pris en compte dans le texte de 1805, et la reconnaissance étant comprise comme le
résultat d’une lutte et non plus comme celui du travail éducatif de l’espèce sur elle-même, on
pourrait avoir quelques motifs de soutenir que la philosophie de l’esprit de Hegel, entre 1802 et
1805, serait passée d’une « philosophie du travail » à une « philosophie de la reconnaissance ».

17 Une thèse de ce genre se heurterait néanmoins à certaines objections, dont la principale


pourrait se fonder sur le constat de l’omniprésence du concept de travail dans le texte de 1805.
Quantitativement en tout cas, il est encore plus question du travail que dans le Système de la vie
éthique. Relevons les moments du texte où intervient le concept de travail.

18 1. Dès l’analyse de l’intelligence dans la première partie du texte, et plus exactement dans
l’analyse de la mémoire, celle-ci est comprise comme un travail de l’esprit sur lui-même : le travail de
mémorisation des noms est présenté par Hegel comme « le premier agir intérieur sur soi-même, une
occupation entièrement non sensible et le commencement de la libre élévation de l’esprit, car celui-
ci est devenu lui-même son objet »16. Ou encore : « L’exercice de la mémoire est le premier travail
de l’esprit éveillé »17 (Hegel souligne « travail » ici). En retenant les noms qu’il donne aux choses,
l’esprit stabilise son rapport aux choses et il stabilise les choses elles-mêmes : la chose devient le
nom, le nom devient la chose elle-même, et l’esprit qui nomme, et parce qu’il nomme, devient lui-
même nom et donc chose, puisque chose et nom sont identiques. C’est pourquoi Hegel peut dire dès
ce tout premier moment que « le travail consiste en ce que le moi se change lui-même en ce qu’il est
dans l’acte de donner des noms, à savoir en chose, en étant – le moi est le nom et il est une chose ; le
moi se fait chose ».18 Dans ce cas, le verbe « être » prend un sens actif : le moi fait être le nom
comme chose, et il se fait lui-même être chose en la nommant.

19 2. Ce devenir-chose du moi (ou de ce qu’on pourrait appeler par anticipation l’esprit


subjectif) devient central dans la seconde apparition du travail dans le texte, cette fois sous la forme
du travail productif et formateur. Dans la nomination des choses et dans le travail de la mémoire qui
fixe et retient les noms, le moi est bien déjà l’être de la chose, mais seulement intérieurement ; ici,
dans le travail productif, le moi est la chose, mais extérieurement à lui cette fois, et en tant que la
chose est son œuvre. Le moi ici sait bien toujours la chose comme la sienne, mais il le sait en ayant
lui- même posé la différence de la chose et en l’ayant posée à partir de lui-même à la fois comme
sienne et comme autre que lui. Le travail est donc bien, comme Hegel le répète ici, « l’acte de se faire
chose »19, mais de telle sorte ici que la chose soit maintenant un produit extérieur qui, comme tel,
« tombe dans la conscience extérieure »20. L’accomplissement d’un tel « se-faire- chose » du moi
est dans le transfert à la chose de l’activité même du moi, et donc dans la production et l’usage d’une
chose qui soit « auto-active », c’est-à-dire d’une machine.

20 3. Le travail réapparaît ensuite dans la famille, non pas comme travail éducatif, à la différence
du texte de 1802, mais bien de nouveau comme travail productif, et, en l’occurrence, comme un
travail dont les produits ne sont pas destinés à satisfaire les besoins de celui qui produit, mais à
accroître la richesse de la famille : la chose produite « vient dans le trésor commun et c’est en
puisant dans ce trésor que tous se conserveront »21. Ce qui aboutit à l’idée de « possession » et
conduit Hegel à la question de la transformation de la possession en propriété : la reconnaissance
intervient ici comme l’opérateur de cette transformation. Il s’effectue ici une élévation au droit
comme tel et à l’universel, au centre de laquelle ce n’est plus le travail, mais la lutte pour la
reconnaissance qui joue le rôle moteur. C’est ce qui apparaît clairement quand on retrouve une
nouvelle fois le travail dans l’élément de « l’être reconnu » auquel la « lutte pour la reconnaissance »
permet justement d’accéder.

21 4. Dans le Système de la vie éthique, c’était le travail sur soi comme travail de formation qui
permettait l’élévation à la sphère du droit et à la représentation abstraite de tout homme comme
d’une personne. Le travail était alors lui-même cet opérateur d’idéalisation qui permettait d’accéder
à l’universalité et à l’abstraction du droit. Ce n’est plus le cas en 1805 : l’accès à l’abstraction
juridique est acquis au terme de la lutte pour la reconnaissance, et Hegel en examine ensuite les
conséquences sur le travail. Il écrit ainsi : « Le moi étant pour soi est abstrait ; mais il est au travail ;
son travail est de même abstrait. »22 Avant, en 1802, il était nécessaire que le moi travaille pour
parvenir au plan de l’abstraction juridique où des concepts comme ceux de « personne » et de «
propriété » deviennent possibles. Maintenant, on a un moi qui est déjà abstrait, qui est déjà une
personne reconnue comme telle, et on constate ensuite, comme un fait contingent, que ce moi
abstrait est en outre un moi qui « est au travail », de sorte que son travail lui-même doit aussi
être un « travail abstrait ». Par un « travail abstrait », Hegel entend ici un travail qui ne se limite
pas au besoin de celui qui travaille, mais qui s’étend au besoin comme tel pris lui-même
abstraitement, c’est-à-dire aux besoins des autres : il y a travail abstrait dès lors que « chacun
satisfait les besoins de plusieurs, et que la satisfaction des multiples besoins particuliers d’un chacun
est le travail de plusieurs autres »23. Où l’on retrouve une analyse du travail abstrait menée en des
termes très proches de ceux utilisés déjà en 1802, à savoir que l’abstraction du travail consiste en sa
division, en sa parcellisation, en sa mécanisation et, enfin, en l’identification des produits du travail
en ce qu’ils sont tous porteurs de valeur et, par là, deviennent échangeables abstraction faite de
leurs qualités sensibles particulières. Et revient l’idée selon laquelle le travail consiste
essentiellement en un se-faire-chose : en effet, dans le produit du travail désormais abstraitement
posé comme chose-de-valeur échangeable comme telle contre toute autre chose-de-valeur, c’est
bien le moi, lui-même abstraitement posé comme « personne », qui se fait lui-même chose. C’est son
propre être-reconnu que la personne intuitionne extérieurement dans la chose-de-valeur
socialement échangeable contre toute autre.

22 5. Et c’est lorsque le concept de travail apparaît une cinquième fois que se confirment les
profondes évolutions entre le texte de 1802 et celui de 1805. On s’aperçoit en effet que Hegel
accorde une importance bien plus grande qu’auparavant à la face négative de l’abstraction du travail.
Comme aspect négatif de l’abstraction du travail, le Système de la vie éthique ne retenait que le fait
que le travail devienne une tâche mécanique et répétitive – un problème auquel il trouvait
immédiatement une solution dans le transfert du travail aux machines. Comparativement à cela, on
peut dire que les problèmes désormais posés selon Hegel par l’abstraction du travail sont bien plus
considérables et qu’ils ne trouvent plus de solution aussi aisée et aussi immédiate. Il y a même
maintenant un certain pessimisme de Hegel à l’endroit du travail considéré dans les formes sociales
qu’il prend sous ses yeux. Ce pessimisme s’exprime par exemple dans ce genre de formules : « Ici la
loi de l’individu, c’est purement et simplement que lui appartient ce qu’il a façonné par son travail et
ce qu’il échange ; mais l’universel est en même temps sa nécessité qui le sacrifie quant à sa liberté
fondée sur le droit. »24 Ou encore, cet autre constat désabusé : « Son travail est un travail abstrait ; il
gagne d’autant sur la nature ; mais ceci se renverse seulement dans une autre forme du hasard. »25
Ou encore : « Le spirituel [à l’œuvre dans le travail], cette vie accomplie consciente de soi, devient un
faire vide ; la force de soi consiste dans la richesse de son emprise ; cette force se perd » (ibid.). Par
ces formules, Hegel désigne les dynamiques sociales abstraites et anonymes qui, dans la société
moderne, ont pour effet de déposséder les individus de toute capacité de contrôle sur les processus
qu’ils mettent pourtant eux-mêmes en œuvre par leur propre activité sociale de production et
d’échange. Ainsi, explique Hegel :

La suprême abstraction du travail s’insère en d’autant plus d’espèces singulières et obtient une
extension d’autant plus grande ; cette inégalité de la richesse et de la pauvreté, cette détresse et
cette nécessité deviennent le suprême déchirement de la volonté, une révolte et une haine
intérieures.26

23 6. Dans le texte de 1805 le travail réapparaît enfin dans le développement consacré aux états
(Stände). C’est d’ailleurs le concept même du travail qui préside à l’exposition des trois états
inférieurs, puisque le passage de l’état des paysans à l’état des bourgeois et, enfin, à l’état des
commerçants se réalise par une abstraction progressive du travail, depuis le travail concret des
paysans, comme travail élémentaire, en passant par le travail déjà abstrait des bourgeois artisans,
jusqu’au travail totalement abstrait des commerçants dont l’objet n’a plus que l’abstraction d’un
simple signe, à savoir l’argent. Cette progression est comprise comme positive par Hegel, et cette
progressive abstraction du travail, depuis le paysan jusqu’au commerçant, est clairement présentée
par lui comme consistant en une élévation qui est en même temps une libération. Aussi, lorsqu’on
passe à l’examen de l’état supérieur que Hegel appelle « l’état universel » ou « l’état public », c’est-à-
dire un état qui comprend non seulement les fonctionnaires d’État, mais aussi ceux qu’il appelle les «
hommes d’affaires » et dont on peut penser qu’il s’agit des industriels à la tête des grandes
fabriques27, est-on étonné de retrouver ici une version négative de l’abstraction : parvenu à ce
niveau d’abstraction du travail universel des fonctionnaires d’État et de ceux qui président à la
production de la richesse sociale, et donc à un niveau d’abstraction supérieur encore à celui de
l’activité des marchands, Hegel écrit que « le travail de l’homme d’affaires est très fragmenté,
abstrait ; c’est le travail d’une machine ; son travail est bien immédiatement fait pour l’universel,
mais selon un aspect délimité et en même temps fixé auquel l’homme d’affaires ne peut rien changer
»28. Où l’on retrouve, au sommet de la hiérarchie des états, l’abstraction du travail comprise comme
la soumission de son activité à une contrainte externe qui s’exerce aussi anonymement
qu’implacablement, à la manière d’un destin ou, en tout cas, d’une puissance dont on n’a pas la
maîtrise.

24 Quel bilan peut-on tirer de ce parcours des figures du travail dans un texte inaugural et dans
un texte conclusif de la période d’Iéna ? Hegel comprend le travail comme mettant chaque fois en
jeu un processus d’idéalisation et d’abstraction. Mais il souligne la fondamentale ambiguïté d’un tel
processus d’idéalisation et d’abstraction. Cette ambiguïté consiste en ce que ce même processus
peut aussi bien être libérateur qu’oppressif : libérateur, il l’est en tant qu’il est le procès par lequel
les hommes s’élèvent à hauteur de leur propre concept et réalisent ce concept dans des institutions
de la reconnaissance telles que la famille, la société, le droit et l’État. Mais, oppressif, ce même
procès

l’est aussi en ce qu’il conduit les hommes à la soumission à des dynamiques abstraites dont ils n’ont
pas la maîtrise. Dans et par le travail peuvent se réaliser tout aussi bien une abstraction libératrice
qu’une abstraction oppressive. On peut alors être tenté de rejoindre à partir de Hegel les analyses de
Herbert Marcuse dans son article de 1933, « Les fondements philosophiques du concept économique
de travail »29, à moins que ce ne soient ces analyses de Marcuse qui proviennent elles-mêmes
initialement de Hegel, bien qu’il ne soit jamais cité, pas plus que Marx d’ailleurs, alors même que
Marcuse semble avoir écrit cet article sous l’influence directe de deux textes qui venaient juste d’être
publiés à l’époque : à savoir la Realphilosophie de Hegel publiée par Hoffmeister en 1931, et les
Manuscrits de 1844 de Marx, dont la première édition critique date de 1932. Quoi qu’il en soit,
partant d’un concept de travail à peu près aussi large que celui de Hegel, le travail étant compris par
Marcuse comme l’activité de faire advenir l’existence, il en arrive, lui aussi, à souligner ce
qu’il appelle la « bidimensionnalité » inhérente au travail, comme à l’existence elle-même
d’ailleurs. Le caractère unifiant du travail dans l’expérience humaine de l’existence est perdu dès lors
que sont séparées l’une de l’autre les deux dimensions inhérentes au travail, à savoir la nécessité et
la liberté : relève de la nécessité dans le travail tout ce qui a trait à la production et à la reproduction
des conditions de l’existence, et tout ce qui, dans le travail, relève de la confrontation avec une
objectalité qui résiste au travail et avec laquelle il doit constamment composer ; relève de la liberté,
en revanche, ce qui dans le travail a trait à la réalisation et à l’accomplissement de l’existence. Le
travail, dans son concept complet, est à la fois et indissociablement l’expérience de la nécessité de
devoir garantir l’existence en produisant, et l’expérience de la liberté dans la pratique d’une
activité qui permet non pas seulement de garantir, mais véritablement d’accomplir et de réaliser
l’existence. Tel me paraît avoir été le point de vue de Hegel quand il faisait dès Iéna du travail le lieu
de l’expérience d’une abstraction qui peut prendre à la fois l’aspect d’une contrainte externe et d’un
destin, et celui d’une formation qui est une émancipation.

Notes

1. M. Bienenstock, « La première philosophie de l’esprit. Essai d’interprétation génétique », PE


1803, p. 169.

2. G. Planty-Bonjour, « Avant-propos du traducteur », PE 1805, p. 9.

3. GW 5, 282 / SVE, 113.

4. GW 5, 281 / SVE, 112.

5. GW 5, 282 / SVE, 113.


6. GW 5, 284 / SVE, 116.

7. GW 5, 282 / SVE, 113.

8. GW 5, 291 / SVE, 123.

9. GW 5, 292 / SVE, 124.

10. GW 5, 290 / SVE, 122.

11. GW 5, 297 / SVE, 130.

12. GW 5, 297-298 / SVE, 131.

13. GW 5, 300 / SVE, 133.

14. GW 5, 301 / SVE, 134.

15. GW 5, 304 / SVE, 138.

16. GW 8, 194 / PE 1805, 21.

17. GW 8, 193 / PE 1805, 20.

18. GW 8, 193-194 / PE 1805, 20.

19. GW 8, 205 / PE 1805, 32.

20. GW 8, 206 / PE 1805, 33.


21. GW 8, 212 / PE 1805, 39.

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