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LES PARADOXES DE LA SUBJECTIVITÉ (3)

Les critiques de la subjectivité (Heidegger, Deleuze, Whitehead)

I. Heidegger : la subjectivité comme appel, dépassement et renouvellement de la subjectivité

A. Le problème phénoméno-ontologique d’Être et temps (ouvrage inachevé, très dur à traduire…)

Disciple d’Husserl qui a d’abord été très élogieux avec la première philosophie d’Husserl (il parle de
« percée phénoménologique ») mais le tournant idéaliste lui pose problème. Il est très critique de la
subjectivité transcendantale car Husserl n’aurait pas réussi son pari d’un retour aux choses mêmes (en
langage heideggérien : la phénoménologie d’Husserl n’a pas posé la question fondamentale, à savoir la
question du sens de l’être)

Seule la phénoménologie peut rendre compte du sens de l’être, l’ontologie classique n’en étant pas capable
selon Heidegger

En outre, Husserl serait resté trop cartésien puisqu’il a aspiré à définir la phénoménologie comme une
science absolue en mettant au jour la sphère de la conscience pure, de l’ego pur : il aurait raté la question
ontologique fondamentale en la cantonnant seulement à la différence entre l’être de la conscience et l’être
des choses transcendantes. Il y a bien différents modes d’être mais Husserl en serait resté à une ontologie
régionale : la question de l’être est résorbée dans la question de la conscience pure et, par conséquent, il ne
maintient pas cette question, pensant l’avoir résolu. Or, pour Heidegger, il faut maintenir la question,
l’ontologie régionale devant être entendue comme dérivée de la distinction ontologique fondamentale
entre l’être et l’étant

L’être n’est pas lui-même un étant : c’est le principe (actif) de manifestation de l’étant qui n’en est pas
lui-même un, et qui n’est en aucun cas la chose en soi

Il faut infléchir et redéfinir la phénoménologie à l’aune de la question ontologique fondamentale cf. extrait 1
Sens originaire du phénomène qui est le « se révéler », le fait même de se révéler, ou le « ce qui se montre
en lui-même » (bien distinguer le phénomène de l’apparence : Heidegger n’exclut pas que les choses ne
soient pas ce qu’elles paraissent  apparence dérivée du sens originaire)

Le « se manifester » de l’étant c’est ça l’être de l’étant

Par exemple, le soleil se manifeste, il apparaît, il se donne à travers son phénomène, il n’y a donc pas à
distinguer un soleil apparent et un soleil en soi  c’est le même

Ce n’est que dans certains cas précis qu’il faut faire la différence (décor de film)
L’être c’est le principe actif du « se manifester » de l’étant (ce n’est PAS la chose en soi)

Rupture avec Husserl : la phénoménalité n’est pas subjective (ce n’est pas l’ego transcendantal qui
conditionne l’apparition des phénomènes mais l’être à travers des structures qu’il décrit dans Être et temps)

Ce principe actif est en retrait, il n’apparaît pas

Pourtant, nous avons une précompréhension de l’être, certes insuffisante, mais sans cette précompréhension,
tout questionnement sur le sens de l’être serait impossible  la phénoménologie devient herméneutique
(interprétative)

Le fait que l’être de l’étant ne se manifeste pas exige une étude qui prend la forme d’une élucidation, d’une
explicitation des phénomènes (de ce qu’il appelle « la phénoménalité comme telle », non pas ce qui apparaît
dans le phénomène mais le phénomène en tant que tel, le fait qu’il y a phénomène)

L’être de l’étant a tendance à se voiler et à se recouvrir (c’est dans son essence)  il faut donc l’amener
au phénomène, le manifester, càd le comprendre et l’expliciter

Ouvre le concept d’herméneutique (prend un sens ontologique : déchiffrer le « phénomène » de l’être à


même l’étant qui apparaît car l’être ne s’ouvre pas comme l’étant puisqu’il rend possible l’apparaître)

Herméneutique : auto(interprétation de l’étant par laquelle peut se poser la question du sens de l’être (à
savoir le Dasein, c’est l’homme mais Heidegger ne veut pas de ce terme car renvoie à toute une tradition
humaniste)

Le Dasein commence par se mécomprendre et donc doit s’auto-expliciter (mise au jour de ses structures)
afin de rendre compte de son être, et a fortiori, de ce qui le rend possible, l’être  Heidegger vise l’être (pas
l’homme en tant que tel), càd ce qui est présupposé pour la compréhension du Dasein

B. Dasein et subjectivité (Dasein : « existence » en allemand courant)

La subjectivité ne va pouvoir recevoir son sens d’être (ontologique) qu’au sein de l’horizon de la question
fondamentale (à savoir du sens de l’être) : ce n’est pas elle-même qui est étudiée, mais à travers elle la
question du sens de l’être

Il y a une dépendance de la subjectivité à l’égard de ce qui la précède et la conditionne, càd l’être du


Dasein  : elle n’est plus le centre de donation originaire (comme chez Husserl) et perd ainsi son statut de
fondement, de principe (Heidegger remonte à ce qui, avant l’expérience, dévoile la présence de l’étant). La
subjectivité est totalement secondaire dans Être et temps : elle est rapportée au Dasein
Objectif de Heidegger : dévoiler le sens de l’être, et pour cela, il faut d’abord dévoiler le sens de l’être
du seul étant qui se pose cette question (l’homme, le Dasein) et qui peut la maintenir comme une
énigme  : seul l’homme se sait être et l’être précède et conditionne de l’être

Le Dasein, c’est le « là de l’être », c’est « l’avoir lieu de l’être » car, essentiellement, c’est pour lui que la
question se pose

On pourrait même aller jusqu’à dire que le Dasein est cette question même, il n’a de sens que pour cette
question. Nous n’existons que dans la question de l’être en tant qu’il est l’horizon de notre propre présence,
de notre propre pensée

Faute de pouvoir s’emparer de l’être, il faut tâcher de saisir la manière dont l’être s’empare de
l’homme Question des déterminations ontologiques qui vont structurer le Dasein : de quelles manières
l’être vient-il se manifester à travers l’homme, rendant possible notre expérience empirique ?

Le transcendantal de vient asubjectif (il n’est plus d’ordre subjectif)

Ces déterminations du Dasein ne sont pas des catégories (Aristote), ce ne sont pas des catégories cognitives
(Kant), ce ne sont pas des modes de donation de la conscience (Husserl)  ce sont des existentiaux, ce sont
des possibilités d’être qui renvoient aux projections d’être du Dasein

Rôle d’abord négatif qui consiste à écarter les mauvaises interprétations du Dasein  : ce n’est pas la
subjectivité transcendantale qui pose un objet en face d’elle  permet de résister à toute détermination
ontique (caractéristiques générales : sociologiques, psychiques par exemple) qui a tendance à objectiver le
Dasein

La mise au jour des existentiaux va permettre à Heidegger de montrer que la subjectivité n’est qu’une
manière possible (mais non exclusive) de réaliser des structures du Dasein

(Ontologique : au niveau de la structure / ontique : au niveau de la réalisation de ces structures)

Il essaie de dégager les possibilités d’être fondamentales qui structurent son être. Mais ce qui reste au centre
de tout cela c’est l’horizon de la question de l’être

Avec le Dasein : décentrement de la pensée (là où la subjectivité était un centre)

L’être conditionne la subjectivité comme une possibilité parmi tant d’autres


(Objectivité – subjectivité : distinction régionale, dérivée d’une distinction plus originaire : l’être et l’étant)

Parce que l’être est en retrait, la phénoménologie heideggérienne sera herméneutique (interpréter, déchiffrer
le phénomène de l’être à même l’étant qui apparaît)  on va s’intéresser au seul étant qui se pose la
question de l’être, càd le Dasein
La subjectivité est décentrée : elle n’est plus une donnée originaire  d’où le changement d’appellation :
elle devient le Dasein (l’ouverture à l’être), par opposition aux choses

LE DASEIN EXISTE (presqu’un pléonasme)

Ce qui définit en propre le Dasein, c’est l’existence (cf. extrait 2). Il s’ouvre à la question de l’être.

Proximité dans le langage entre l’existence et l’être (on les confond souvent) :

Heidegger distingue l’existence du Dasein de l’existentia (latin : être une occurrence de quelque chose,
cette table est un cas particulier du concept de table) qui s’oppose à l’essence

L’existence au sens classique est renvoyée à un mode d’être qui est la Vorhandenheit (« être-sous-la-
main ») qui caractérise les objets face à un sujet (vor : devant soi). Ce mode est dérivé d’un mode plus
fondamental qui est la Zuhandenheit (« être-à-portée-de-la-main ») et qui désigne l’étant qu’on utilise (qui
a un sens en tant qu’outil)  l’existence pour Heidegger n’est plus une propriété au sens classique, ce n’est
plus une réponse à la question « qu’est-ce que » (question de l’essence)

Le Dasein répond à la question « qui » (question de l’ipséité : rapport à soi-même)

L’existence du Dasein ne renvoie pas à une détermination propre aux objets, mais il s’agit d’un possible que
le Dasein doit prendre en charge, une possibilité qu’il a à être

Le Dasein se rapporte au monde et à lui-même comme un ensemble de possibilité d’être : il est un


dépassement continuel (dans le registre des possibles, on est toujours projeté au-delà de soi-même), il est un
PROJET au sens où il ne coïncide jamais avec soi-même, il est toujours au-delà de ce qu’il est (« extase
du futur »)

On comprend mieux le décentrement de la subjectivité opéré par Heidegger : le Dasein qui est toujours au-
delà de lui-même est foncièrement excentré (pas de centration comme chez Husserl) : il a toujours son
centre à l’extérieur de lui (ce qui est lié à l’être), et non donné en lui

L’existence du Dasein est donc profondément dynamique (pas d’identité statique) : il se projette toujours
déjà dans les virtualités du monde (je vois l’escalier, il est toujours possible de le monter…) mais qui ne sont
pas toujours thématisées de manière conscience

En quelque sorte : l’existence s’excède toujours elle-même (c’est la transcendance du

Dasein)
La transcendance du Dasein, c’est ce qui définit ce mouvement d’être au-delà de soi-même : le Dasein n’est
qu’en tant qu’il peut être, il se rapporte à lui-même comme une possibilité (§7)

Le concept de possibilité n’est plus subordonné à l’effectivité. Au contraire, c’est l’effectivité (ce qui se
réalise) qui devient subordonnée à la possibilité

En sous-main, se profile la notion d’APPEL : le Dasein est appelé à devenir ce qu’il peut être

Il faut ajouter à cet appel, le fait de la mienneté, càd que c’est toujours à la première personne que la
question de mon existence se pose : ce sont mes possibilités qui sont en jeu  question de l’être du Dasein
prend une forme individuée : « Qui suis-je, moi qui suis cet être à chaque fois mien ? »

Sorte de facticité (c’est un fait, ça nous tombe dessus) de l’individuation de l’existence

ATTENTION la mienneté ne prend pas la forme d’un ego identique dans le temps : cette mienneté, elle est à
être, elle est une possibilité qui m’est propre et qui est toujours en jeu (elle n’est pas donnée comme telle)

Nouvelle définition de l’ipséité (qui se reprise par Ricoeur dans Soi-même comme un autre, chapitres 5-6 sur
la question de la promesse)

La mienneté renvoie à un rapport de soi à soi qui peut prendre soit la forme de l’authenticité, soit la forme de
l’inauthenticité (pas de signification morale à ces notions, pas dans un premier temps : cela dit, condition de
la conscience morale)

Le point de départ de l’analytique existentiale (les a priori du Dasein), c’est l’inauthenticité du Dasein qui
est à l’œuvre dans l’indifférence de la quotidienneté (par opposition à sa quotidienneté) car elle est la perte
dans le « on », dans le bavardage  d’emblée, le Dasein est jeté dans la quotidienneté, dans le bavardage
etc. (lien avec le divertissement pascalien)

Le Dasein se rapporte à lui-même sur le mode de l’inauthenticité (le mode du « on  ») c’est-à-dire sur le
mode d’un échappement (il s’échappe à lui-même) qu’on peut définir comme l’absence de véritable rapport
à soi-même et au monde  ce mode reste une structure du Dasein, un existential (un des rapports possibles
à soi mais c’est un mode négatif)  cela reste une manière d’exprimer la mienneté, cela reste un rapport à
soi mais sur le mode de l’échappement

Les modes négatifs ne sont pas des opposés (ils ne sont pas l’absence de mode, mienneté) : ils restent des
manières d’actualiser le mode, la mienneté

LE MONDE DU DASEIN (§12)

Heidegger analyse la structure existentiale (a priori) la plus importante du Dasein : l’être-au-monde

Cet être-au-monde doit être articulé à l’existence qui caractérise l’être du Dasein
Si le Dasein existe, càd s’il se rapporte à lui-même et au monde comme à des possibilités propres ou
impropres, alors il faut préciser qu’il ne le fait pas par un pouvoir réflexif (comme peut le faire
traditionnellement la conscience) mais il ne le fait que par le détour de l’extériorité

C’est bien parce que l’homme est au monde, plongé dans le monde, que le Dasein peut se saisir lui-même,
se comprendre : pas d’immédiateté (attaque de la notion de réflexivité)

L’être-au-monde désigne alors un ensemble d’outils et d’autres Dasein qui constituent l’horizon de
l’existence du Dasein

Dès lors, le MONDE n’est pas comme au sens classique la totalité des objets, l’ensemble des étants, mais
c’est une structure à partir de laquelle peuvent apparaître des outils et d’autres Dasein

(Deux paragraphes à lire d’Être et temps  : §13 et §25)

Critique le schème sujet-objet dans la subjectivité (ne fonctionne plus, ne renvoie plus à Dasein et monde)

Si la subjectivité est une sphère close sur elle-même, comment peut-elle sortir vers l’extérieur ?

Ce schème est un obstacle à la compréhension de la structure existentiale qu’est l’être-au-monde

Ce schéma (cartésien, kantien, husserlien) finit par refermer la subjectivité dans son intériorité dont on voit
mal comment elle peut sortir d’elle-même pour atteindre l’extériorité du monde

Est aussi attaquée ici l’intentionnalité husserlienne (si la conscience est toujours conscience de quelque
chose comment peut-elle se donner un objet ?)

Ce schème sujet-objet ne correspond qu’à une approche seulement théorique du problème et cette approche
n’est qu’une attitude dérivée (seconde) de l’attitude première originaire qui consiste dans le contact, dans le
commerce quotidien avec les étants

Cette attitude première (ce commerce avec les étants) est en-deçà de la distinction théorie et pratique

L’attitude théorique est seconde

Exemple du marteau (quand je suis en train d’enfoncer un clou, j’utilise mon marteau, je ne le regarde
pas comme tel)

Exemple de l’outil cassé (c’est au moment où il ne fonctionne plus que je change mon regard)

Mode théorique : changement de regard face à un outil qui devient alors autre chose (je l’inspecte, je ne
l’utilise plus…)

Le monde ne fait donc pas face à une conscience, à une subjectivité (ça c’est l’attitude théorique dérivée)
mais l’être-au-monde est une structure ontologique du Dasein. Celui-ci est toujours d’emblée dans le
monde : il n’y a pas de distance entre lui et le monde (ce qui résout le problème de l’intériorité)
L’être-au-monde c’est le fait d’habiter, de séjourner dans le monde, d’être auprès des étants : cela renvoie
à une forme de familiarité

Le Dasein rencontre les étants du monde, mais sur un mode spécifique, le Zuhandenheit, càd le mode de
l’instrumentalité : tout ce qui entoure le Dasein est considéré par lui comme des outils, des instruments
potentiels relatifs à notre existence (je vais m’en servir) : même faire de la philosophie s’inscrit d’abord
dans une perspective instrumentale (une dissertation c’est du bricolage)

(Structure la plus fondamentale : le souci)

On voit donc encore une fois que le schème sujet-objet est secondaire car le Dasein est toujours déjà
engagé dans le monde (dans un monde d’outils qui se présente comme disponible pour lui)

Ces outils ne sont jamais donnés seuls (il n’y a pas un outil) mais connectés les uns aux autres, formant ce
qu’Heidegger appelle «  le monde ambiant du Dasein  » qui est un ensemble de significations possibles en
vue du Dasein lui-même, de son projet  signification = structure de renvoi des objets les uns aux autres
(pour former le monde ambiant)

Cointrication du Dasein et du monde : (1) le monde est une totalité instrumentale pour un Dasein qui s’y
projette comme possibilité ; (2) le Dasein ne peut être sans relation au monde en tant que le monde est une
totalité d’instrument

A strictement parler, on ne peut pas dire que le Dasein est en relation avec le monde (ce qui implique
une distance : les termes sont séparés) : le Dasein est dans une intimité avec le monde  cela veut dire
que le Dasein accède à ses potentialités propres que dans et par le monde  il se comprend lui-même qu’à
partir des étants dans le monde (parallèle avec Kant)

L’être-au-monde est donc un existential : essentiel car il est la condition de possibilité de la


transcendance qui définit le Dasein

Pour être auprès des choses, sur le mode de la Zuhandenheit (mode originaire), le Dasein doit être ouvert au
monde, qui est comme une toile de fond, une structure par laquelle les étants m’apparaissent (même si le
monde n’apparaît pas comme tel)

L’être-au-monde c’est la manifestation de l’être pour le Dasein  condition du rapport sujet-objet


(l’intentionnalité qui n’est que secondaire)

C. Le « qui » du Dasein
Après avoir modifié profondément la notion de subjectivité qui n’est plus constituante mais constituée,
Heidegger attaque une autre caractéristique essentielle, celle de la réflexivité (§25, cf. extrait 4, problème de
l’ipséité, de l’être soi-même du Dasein)

Heidegger a déjà affirmé que la mienneté définit le Dasein car cette existence qui est en jeu est à chaque fois
mienne : ce n’est pas une existence, mais mon existence

L’ipséité est pensée généralement sur le modèle du je pense, de l’ego qui est un noyau identique à lui-même
(même chez Kant et Husserl, l’ego se donne dans l’horizon d’une identité à soi)  or, l’ego ne relève pas de
l’être du Dasein mais plutôt de la Zuhandenheit  autrement dit, la subjectivité portée par l’ego a le mode
d’être d’une chose (même Husserl est resté au niveau des étants)

L’ipséité pose le problème de la conscience de soi, de la réflexivité

Traditionnellement, l’idée de subjectivité se confond avec celle d’autoréflexion où le je se pense comme


centre des pensées et des actions qu’il pose  Heidegger remet en cause cette évidence : le moi n’est pas
donné à lui-même immédiatement, car il peut être donné à lui-même selon différents modes

Or l’analyse existentiale a montré que le Dasein qui dit je n’est d’abord et le plus souvent pas lui-même, ce
qui est premier, c’est l’inauthenticité, càd la perte de soi, à même les étants intramondains qui peuple la
quotidienneté  cela ne supprime pas l’ipséité (les modes négatifs restent des modes, des façons, des
guises) mais cela confirme l’ipséité  en n’étant pas soi-même, le Dasein se confirme comme existant (il ne
se réduit pas à un être-sous-la-main, à une chose qui serait identique à elle-même)

La possibilité de ne pas être soi-même caractérise le Dasein par opposition aux étants intramondains
(critique vigoureuse de la phénoménologie husserlienne)

Ainsi, la question « qui » ne trouve pas de réponse dans un retour réflexif mais seulement dans l’analyse
existentiale de l’être quotidien du Dasein (grand détour…)

Le Dasein ne peut pas se comprendre en-dehors dans de son engagement dans le monde

(Sartre : « On est ce qu’on fait. »  je m’identifie à mes tâches dans le monde, qui sont miennes, je me
comprends à partir de mes actions)

Le Dasein se réduit alors à un étant sous la main (à un objet dira Sartre)  dans l’être quotidien du Dasein,
j’échappe à mes potentialités d’être propres  au fond, je suis moi-même amis sur le mode de

l’impropriété : le je se donne comme un on (c’est un je comme les autres)  j’ai beau dire « je »,
ma singularité authentique n’est pas en jeu  être dans la quotidienneté nous décharge du poids d’être
soi-même (quelque chose de rassurant là-dedans, familiarité vs angoisse)

Mon mode d’être dans la quotidienneté est le laisser-aller (mais ça reste une structure a priori, nécessaire du
Dasein, personne n’y échappe)
Par conséquent, l’ipséité n’est pas donnée, mais elle est en jeu  le Dasein a à être son être

Telle est la structure de l’appel : j’ai à être mes possibilités les plus propres et, pour cela, je dois échapper à
cette fuite dans la quotidienneté pour me reprendre moi-même, pour me ressaisir

L’angoisse n’est pas la fuite devant la mort, au contraire, c’est l’affrontement de la possibilité qu’il n’y ait
plus de possibilités (être pour le Dasein, c’est pouvoir-être)

Parmi ces pouvoir-être, il y a la possibilité de sa propre est mort : possibilité la plus intime car elle atteint
l’être (cette possibilité est particulière car elle annule toutes les autres possibilités et elle permet au Dasein
de ressaisir son existence dans sa totalité)  la possibilité de la mort retotalise notre existence (voir sa vie
défiler, redonner un sens global à une vie morcelée) et donc de lui redonner du sens en quelque sorte

Devant cette fin de son existence qui se trame, la réaction normale du Dasein est de fuir, de ne pas
s’affronter soi-même  ainsi la question « qui suis-je », je ne peux pas répondre « je suis moi » car cela
présuppose une subjectivité constituante qui alors s’emparerait de la question

Pour Heidegger, au contraire, la subjectivité est toute entière dans la question « qui »  il faut garder cette
question ouverte, le passage de l’inauthenticité à l’authenticité est une question

Ce qui demeure de la subjectivité, c’est cet appel, elle se réduit à ça  consiste à répondre de soi, de son
être, non pas devant les autres ou devant Dieu, mais devant soi-même

Mais être soi-même, c’est rester fondamentalement ouvert à l’être, s’interroger sur soi

Le « qui » du Dasein n’est pas isolé du monde, au contraire, il ne peut se situer que dans le monde

Basculement dans la subjectivité : ce n’est plus un certain mode d’être, mais il faut la comprendre comme un
avoir à être, càd comme une tâche indéfinie par laquelle on se pose la question de notre être (pas besoin de
la philosophie pour ça)

L’existence du Dasein n’est rien d’autre que ce mouvement continuel d’échappement (dans l’inauthenticité,
dans la quotidienneté qui est notre mode d’être normal) et de reprise de soi-même

« On se perd, on se reprend, on se perd, on se reprend »  c’est ça notre existence

Heidegger fait subir une double-attaque à la subjectivité : d’abord, un décentrement (car les conditions de
possibilité de la pensée ne sont plus subjectives, mais s’échappent vers l’être qui est la condition de l’étant) ;
puis, une désabsolutisation (ce n’est plus une sphère absolue, elle devient un possible parmi tant d’autres et
surtout qui devient un mode dérivé du Dasein qui rate le mode d’être véritable qui est dans l’écart permanent
entre ce que je suis et ce que j’ai à être )
II. Deleuze : libérer la pensée de la subjectivité

A. La critique du fondement et de l’image dogmatique de la pensée

Chapitre 3 de Différence et répétition (chapitre accessible…)

Philosophe difficile (écriture lapidaire, beaucoup d’implicite…)

Critique de l’image dogmatique de la pensée (pensée classique de la représentation) : dogmatique car ce


paradigme n’interroge pas assez ses propres fondements, ses propres présupposés, ce qui appauvrit le
potentiel propre à la pensée (son potentiel critique et son potentiel créateur)

Pensée : « création de concepts » (cela ne va pas de soi : la phénoménologie ne crée pas, elle décrit)

La subjectivité renvoie à un des opérateurs du fonctionnement de l’image dogmatique de la pensée (pensée


de l’identité)

LA CRITIQUE DU FONDEMENT

La philosophie échoue à commencer véritablement, selon Deleuze  problème du fondement

L’autoposition de la subjectivité (cartésienne, husserlienne) n’échappe pas à cette critique : elle est critiquée
en tant que fondement de l’accès à l’être, au savoir, mais aussi en tant qu’autofondement qui se soutient lui-
même en rentrant en lui-même (réflexivité)  a priori, rien ne précède ce fondement

OR Deleuze montre de manière percutant que, par définition, tout fondement qui s’affirme comme absolu,
exige qu’il n’ait aucun présupposé. Or ce n’est pas le cas
Logiquement parlant, le cogito ne présuppose rien. Or ses présupposés sont ceux du sens commun car au
moment de l’autoconstitution du cogito, il est présupposé que chacun sait ce que veut dire « moi », « être »
et « penser » (reprise de la critique nietzschéenne)  Deleuze relègue cela à une « évidence
préphilosophique  »

Descartes était censé avoir rompu avec le sens commun par l’épreuve du doute, amis implicitement il renoue
avec ce sens commun. Ainsi la subjectivité comme fondement ne peut être pleinement autonome et ne peut
donc être une autoconstitution

L’intuition est un avatar de la reconnaissance platonicienne : il y aurait un savoir qui précède tout savoir

(Depuis Platon, geste inaugural de la philosophie : rompre avec l’opinion)

Contre cela, Deleuze va prôner « l’effondement » càd une pensée qui ne fonde plus : pour que la pensée
comme véritablement, il faut qu’elle renonce à commencer et qu’elle admette des commencements et des
recommencements

Pour Deleuze, le véritable commencement ce n’est pas l’œuvre de la subjectivité mais c’est ce qui ne dépend
pas d’elle, càd un événement, un rapport au dehors (qui n’est pas l’extériorité) : quelque chose nous force à
penser qui relèverait de l’intrusion (début de Proust et les signes)  c’est l’œuvre d’une rencontre qui
n’est pas sans violence, qui nous arrache à l’opinion et qui nous pousse à rechercher la vérité (primauté
de la relation extérieure sur les termes, la relation ne dépend pas des termes, au contraire, elle va
déterminer les termes : anti-hégélien)

La nécessité du fondement viendrait du hasard de la rencontre (et ce hasard devient nécessité)

Ce qui importe c’est qu’une telle rencontre soit comprise et assumée (théorie d’une fidélité à la rencontre, au
hasard)

LA CROYANCE EN UNE BONNNE VOLONTE DU SUJET

Dire que la pensée commence avec l’effraction d’un événement, c’est dire qu’elle n’est pas l’œuvre d’une
volonté de vérité (influence de Nietzsche). Si la pensée ne commence qu’avec une rencontre, alors il n’y a
pas une volonté de vérité  la pensée n’est pas originairement en lien avec la vérité (critique de la
réminiscence elle n’est pas faite pour chercher la vérité)

La subjectivité n’est donc pas naturellement dotée d’une pensée droite (faite pour rechercher la vérité) : il
n’y aurait pas d’affinité naturelle entre la subjectivité et ce qu’elle recherche

De même que dans la pensée classique la volonté veut toujours le bien, il suffirait de vouloir le bien pour
que se dessine la direction (par analogie, c’est la même chose pour la subjectivité et la vérité)  présupposé
moral introduit au sein de la recherche de la vérité : rien ne nous garantit que la pensée est faite pour la
vérité

LE MODELE DE LA RECOGNITION (reconnaissance théorique, et non pas reconnaissance pratique)

Critique de l’analogie : réduction de ce qu’il y a à connaître à ce qui est déjà connu  se retrouve au
commencement de la pensée et concourt au cheminement de la pensée

On présume la forme de l’objet, avant même de l’avoir effectivement rencontré  toujours le même
problème qui est celui de la réminiscence, le fait qu’on doit connaître ce que l’on cherche avant même de le
chercher : on postule par avance la forme de l’objet avant même de le connaître  c’est ce que fait Kant
avec les formes a priori (qui assignent à l’objet un certain cadre dans lequel il doit rentrer)

Husserl aussi soumet l’objet à cette logique de l’identité (faire revenir au même) quand dans la Krisis, il
postule l’homogénéité et la permanence de l’objet (toutes les esquisses convergent vers une unité
permanente)

Selon Deleuze, l’objet serait soumis au principe d’identité : la pensée a d’abord identifié la forme de ce
qu’elle ne connaît pas encore (c’est ça le modèle de la recognition)  elle projette dans l’extériorité des
formes identiques à elle-même : elle veut s’y retrouver

Conséquence (sous le patronage de Nietzsche) : on présuppose un monde véridique, identique à lui-même


qui viendrait répondre à cette pensée du même, de l’identité. Le monde sensible serait alors une image
déformée de cette identité, de ce monde véridique

Ainsi, l’image dogmatique, pour Deleuze, parvient à l’intériorisation du rapport de la pensée à son dehors.
La subjectivité c’est l’opérateur permettant ce rapport prédéterminé au dehors. Par le biais de la subjectivité,
la pensée présuppose la nature de son dehors avant même de le rencontrer effectivement

Certes il y a des erreurs de fait, mais cela ne remet pas en cause le fait que la pensée soit capable de rendre
compte adéquatement du réel

Il y aurait une relation intime de la pensée avec son dehors (traditionnellement, figure de l’ami ou l’amant de
la sagesse, à laquelle Deleuze substitue une relation de violence)

Cette affinité naturelle passe par l’intuition de l’évidence (l’intuition présupposant que la pensée peut rendre
compte adéquatement de l’objet : il y a une homogénéisation présupposée)

A cette image dogmatique de la pensée, Deleuze va substituer une pensée sans image  il va penser le
dehors non plus comme homogène à la pensée, mais comme hétérogène. La pensée se meut dans un milieu
qui n’est pas clair et distinct, mais qui est obscur
La pensée, en-deçà de sa subjectivité, dans cette rencontre avec le dehors, ne fait pas que reconnaître ce qu’il
y a dans ce dehors, mais elle crée

La vérité, traditionnellement comprise comme adéquation de la pensée avec le réel, est réinterprétée en
termes de création. Mais cette création n’est pas un acte de la subjectivité au sens d’un acte de décision du
sujet (si on présuppose cela on retombe dans les énoncés de l’image dogmatique de la pensée)

La pensée est fondamentalement créatrice et, en cela, elle puise ses racines dans le concept de vie

Par conséquent, Deleuze montre par la critique de l’image dogmatique que la subjectivité ne peut être que
mise à mal par le devenir propre de la pensée. Et le devenir propre de la pensée se comprend par le fait
qu’il faut «  amener la pensée au point extrême de son impuissance » (≠ l’harmonie préétablie dans
l’image dogmatique entre la pensée et son objet dépend d’un certain agencement des facultés du sujet :
Kant)

Pour Deleuze, ce qui est premier, ce n’est pas un certain ordre des facultés, c’est un certain dérèglement
des facultés par l’effet de la rencontre violente avec le dehors qui va porter ces facultés à leur propre
limite

B. La subjectivité constituée

Deleuze entend mettre en place un champ transcendantal sans sujet, càd de mettre au jour les conditions
non-subjectives de la pensée

Projet d’un empirisme transcendantal (en germes sur ses monographies sur Hume, sur Kant, sur
Nietzsche…)

« LE JE FÊLÉ »

Deleuze ne se contente pas de disqualifier la subjectivité, il veut aussi rendre compte de ses modes de
constitution réelle (possibilité)  il part de la subjectivité transcendantale kantienne

Il va montrer que, chez Kant, les deux fonctions de la subjectivité (à savoir fonction d’universalité de la
connaissance et fonction individualisante) deviennent disjointes

Pour Kant, le « je pense » est un acte de synthèse qui ne s’apparaît à lui-même que comme phénomène à
travers notamment la forme a priori du temps (sens interne)

Les deux fonctions se retrouvent totalement séparées l’une de l’autre, irréconciliables, alors même que pour
Kant la condition du moi transcendantal
Il y a donc une fêlure qui traverse le sujet et qui sépare l’empirique  fêlure qui caractérise l’essence de la
subjectivité

Il va opérer une synthèse entre Kant et Rimbaud (je est un autre) : le sujet est séparé de lui-même par une
différence transcendantale  c’est bien le temps qui vient briser la subjectivité en son cœur qui va perdre
son unité (subversion de la logique d’identité qui est propre à la subjectivité)

Deleuze radicalise Kant (il lui fait un enfant dans le dos) en faisant de lui un précurseur du concept de
différence : la différence devient la condition transcendantale de tout phénomène (devient ontologique)

Pour Deleuze, la différence c’est la condition de toute différentiation, de toute différence (entre deux
tables) : il appelle cela « la différence en soi »  une différence avec elle-même

Cette différence n’est pas soumise à la logique de l’identité comme c’est le cas dans la dialectique
hégélienne. Ce n’est pas une différence par rapport à quelque chose d’identique : ce n’est pas un simple
contraste entre deux choses. La différence en soi, ce n’est pas la comparaison entre deux termes, mais c’est
la différence en elle-même

Il n’y a pas d’abord des identités fixes dont on exhiberait après coup la différence, mais la différence
est première et ne renvoie à aucun terme identique  elle est différence de différence, à l’infini

Si on prend la différence entre deux termes, ces termes en sont pas identiques mais sont eux-mêmes effet
d’une différence qui sont eux-mêmes effet d’une différence  régression à l’infini, il n’y a pas de
premier terme (photo de Deleuze, miroirs se réfléchissant à l’infini)  on régresse de différence en
différence (il n’y a donc pas de fondement)

Deleuze voit dans Kant celui qui, pour la première fois, exhibe (malgré lui) cette différence portée au niveau
transcendantal

La subjectivité n’est plus soumise à l’identité (pas de rapport à elle-même) : elle va s’exprimer elle-même

On aboutit à une forme de champ transcendantal sans sujet qui précèderait toute subjectivité

La subjectivité est le résultat d’une individuation à partir des «  devenirs » sans être rapportée à une identité
fixe. De même, la fonction gnoséologique du sujet (fonction universalisante) est transformée et prend la
forme de ce qu’il appelle « le singulier »

LA SUBJECTIVITÉ PRATIQUE

Sur la base de la radicalisation de Kant, Deleuze va jouer Hume contre Kant. Hume va être déplacé sur le
niveau transcendantal (empirisme transcendantal) : on passe d’une constitution du donné par la
subjectivité à une constitution de la subjectivité par le donné

Deleuze dégage ainsi un plan immanent où la pensée est en contact direct avec l’expérience (pas de rupture)
Il déplace la question de la subjectivité sur le plan pratique (reprise de Bergson : c’est parce que l’homme a
des intérêts pratiques qu’il pense)

En deçà du sujet actif, il faut que l’esprit (imagination chez Hume) soit affecté par quelque chose pour qu’il
y ait pensée. L’affection pour Hume est avant tout de nature passionnelle et sociale

(Esprit : collection fluante d’idées de sensation, sans que ces idées soient unies par un sujet unifiant)

Début de Empirisme et subjectivité : comment l’esprit devient un sujet ? (au départ, pas de sujet unifiant)

Il faut deux choses qui précèdent le sujet (sur la base desquelles le sujet peut se constituer) : d’abord, les
principes d’association (que sont la ressemblance, la contiguïté et la causalité qui vont permettre au sujet de
croire, càd d’établir des relations fixes entre les choses), puis, l’action des passions (qui orientent les
relations d’une certaine manière)

Le sujet se constitue dans le donné par les principes d’association, mais cela par la prise en compte des
circonstances (c’est les passions qui vont appliquer les relations au donné) : le sujet est avant tout
PRATIQUE

Unification progressive du sujet par l’habitude (Deleuze le déplace sur le plan transcendantal) qui va former
un embryon de subjectivité, d’où le premier stade de constitution que Deleuze appelle « le sujet larvaire »

Il ne faut pas comprendre que l’habitude concerne le sujet aurait des habitudes. L’habitude est définie ici à
un niveau plus fondamental, lorsque la subjectivité n’est pas encore totalement constituée : ce n’est pas
seulement la représentation du même (logique de l’identité que Deleuze écarte), car si la répétition ne
change rien quant à l’objet (toujours le même chemin que je prends), elle change toutefois quelque chose
dans l’esprit qui le contemple (faire un chemin pour la deuxième fois : repères) : l’objet reste le même mais
quelque chose s’est opéré dans notre esprit

Deleuze définit l’habitude comme un pouvoir de contraction (contracter des habitudes) qui précède toute
réflexion (référence à Bergson : la sensation comme contraction d’ébranlement, de vibration de la matière,
mouvements microphysiques  saisie physique)

L’habitude forme, chez Deleuze, « le présent vivant » car elle va permettre de contracter les instants
homogènes dans une même contraction qualitative (« intensive »). C’est pourquoi le présent enveloppe le
passé comme rétention et le futur comme anticipation  quasi-organique

L’habitude dessine les contours d’une subjectivité préréflexive, passive, quasi-biologique qui consiste en
des milliers de contractions qui définit le sujet larvaire (mais pas de pôle pour les unifier, au contraire,
ces contractions vont former le pôle)  ces milliers de contractions, il les appelle des « synthèses
passives  »

(Analogie : les petites perceptions chez Leibniz)


C’est l’imagination qui va être le lieu de ces synthèses passives sur lesquelles s’appuient les synthèses
actives de la mémoire et de l’entendement

AINSI : JE EST UNE HABITUDE (cogito deleuzien)

Avant toute sensation, avant toute pensée, avant tout organisme unifié, il y a ce pouvoir de contraction à tous
les niveaux, ce sujet larvaire qui est comme une interface (« une plaque sensible ») avec le dehors

L’habitude constitue le milieu à peu près stable (il y a quand même de la différence qui le traverse) dans
lequel la subjectivité au sens classique peut advenir. Il y a un ensemble de synthèses passives en dessous
de toute conscience qui vont former le sujet larvaire  il parle aussi de « sujet passif » et de «  sujet
dissous »

Ce sujet larvaire n’a aucune unité, il n’est qu’une pluralité de contraction de synthèses passives (il est
traversé de part en part par la différence)

En d’autres termes, la subjectivité est repensée comme une forme de concentration de singularités
préindividuelles qui vont simplement converger (MAGMA)

En termes leibniziens : sorte de pli de l’extériorité qui va former une intériorité : l’intériorité n’est pas
première

Ce sujet primitif va s’unifier progressivement sans être amené à un principe d’identité

Sur cette base, Deleuze va explorer dans ses ouvrages postérieurs de nouvelles entités impersonnelles
(collectives) qui vont produire comme effet des sujets, des subjectivités d’un nouveau genre

III. Whitehead : devenir et subjectivité

Procès et réalité : recueil de conférences (de haut niveau)  subjectivité, non pas constituante, mais
constituée

Beaucoup de définitions, de distinctions conceptuelles dans lesquelles on entre pas en détails (ressemble un
peu à l’Ethique de Spinoza)

A. La méthode et le projet de Procès et réalité

LA CRITIQUE DU « PRINCIPE DE BIFURCATION DE LA NATURE »

Ce contre quoi s’élève Whitehead : le principe de bifurcation de la nature (division du réel en deux
réalités hétérogènes l’une à l’autre : d’une part, la réalité appréhendée par une conscience, une
subjectivité, càd le monde des sensations qui apparaît à un sujet ; d’autre part, la réalité qui est la cause de
la conscience, ce qui précède ce qui apparaît à la subjectivité, par exemple, les atomes, les corps étudiés par
la science qui ne sont pas seulement des phénomènes pour la conscience mais des conjectures  réalité qu’il
y a derrière l’apparaître)

Ce principe est sous-jacent à la distinction de Locke entre les qualités premières (mouvement, repos,
étendue) et les qualités secondes (les phénomènes, ce qui apparaît : les couleurs…)

Progressivement, la philosophie, dans le sillage de la science, essaie de se passer des qualités secondes (ce
qui apparaît) : elles deviennent des projections de l’esprit, elles sont déréalisées  cette bifurcation de la
nature constitue, pour Whitehead, le geste fondamental de la modernité

(Bifurcation : on ne parvient jamais à réunifier les deux types de réalité)

(Même Spinoza ne parvient pas à s’en dépêtrer : il réitère cela avec les attributs, la pensée et l’étendue)

Geste qui fait bifurquer la nature en deux orientations irréconciliables

Toute tentative de réconciliation reste tributaire de cette bifurcation

On retrouve cette bifurcation dans de nombreux champs de la connaissance. Dans le champ de la biologie,
on distingue le phénotype (traits observables d’un organisme) et le génotype (traits non-observables). Dans
le champ psycho-social, on distingue les phénomènes sociaux et les représentations.

MONISME ET PENSÉE SPECULATIVE

Cette critique de la bifurcation de la nature mène Whitehead à un monisme (une seule réalité) dont la tâche
va être de rendre compte de l’expérience complète. Ainsi, la lueur rouge du crépuscule est tout autant une
partie de la nature que les molécules par lesquelles les scientifiques expliquent la nature  pas de
discrimination, prendre en compte toutes les données et pas seulement celles de la science

Pour Whitehead, il faut revenir à une expérience immédiate, avant toute bifurcation. Cette expérience
immédiate, c’est une expérience en train de se faire, en train de se produire. Il faut renvoyer, en dernière
analyse, à une réalité une et unique, et qui correspond à une croissance perpétuelle (« le devenir ») : tout
est en processus (encore plus que chez Simondon)

Pour rendre compte de ce devenir, la méthode sera spéculative de sorte qu’elle expose les conditions de
production d’un savoir qui obéissent à certaines contraintes (constructivisme). Les trois principales
contraintes sont : (1) la formation d’un système, (2) le système se doit d’être cohérent et rationnel, (3) ce
système doit permettre d’interpréter l’expérience complète
La notion de méthode est une reprise du PRAGMATISME (qui ne consiste pas à analyser des idées mais
à les mettre à l’épreuve, à mesurer leurs effets : pour William James la vérité n’est plus une
correspondance de l’idée avec la chose, mais un événement qui arrive aux idées, elle devient un processus
de vérification : évaluer une idée revient à évaluer ce qu’elle produit, ce à quoi elle conduit)  l’idée
n’est pas donnée, elle est fabriquée, construite de toute pièce

Homologie de structure entre l’expérience et la théorie : l’expérience se définit par le devenir , par le
mouvement ; l’idée, elle, se doit d’exprimer d’une puissance de devenir qui lui est propre (il y aurait un
devenir propre aux idées)  analogie entre la réalité qui se passe et les idées qui se construisent

AINSI, s’il s’agit de rendre compte de l’expérience complète, il faut le faire à partir d’idées construites sur le
même mode. Whitehead appelle cela « la fonction interprétative » : même les faits têtus doivent pouvoir
être pensés par une construction de concepts (ou schèmes)

Tout peut être interprété si on construit le concept adéquat (optimisme rationaliste : rien ne résiste à la
connaissance, il n’y a pas d’inconnaissable, pas d’ineffable…)

BERGSON (L’Evolution créatrice) : l’élan vital se confond avec la durée pure qui n’est atteignable que par
une modification de nos modes d’expérience (à savoir la sympathie, l’approfondissement dans l’immanence
du devenir, par opposition aux expériences qui se contenteraient d’une observation seulement extérieure,
spatialisante qui déformerait le devenir)  tirés de l’intuition, ces concepts sont immanents et s’éprouvent
au sein même du dynamisme propre au devenir

A L’INVERSE, Whitehead assume totalement l’extériorité des schèmes construits pour penser le devenir
(pourquoi pas ?)

Il s’agit ici d’assumer un saut rationaliste (par rapport à ce devenir), une abstraction, une invention de
concept afin de penser la genèse du devenir

L’expérience, dans toute sa complétude, doit pouvoir être pensée conceptuellement (constructivisme)

Il faut partir de l’expérience, puis construire (par abstraction) des concepts, et enfin revenir à
l’expérience

B. Le principe ultime dans Procès et réalité

ULTIME (dans la philosophie classique) : réalité dernière au-delà de laquelle on ne peut plus remonter

OR, pour Whitehead, il faut entendre par ultime le premier élément posé (le postulat) pour qu’un
raisonnement puisse avoir lieu : il faut bien partir de quelque chose
L’ultime n’est pas un principe transcendant mais un principe différentiel (il est susceptible d’être modifié
selon les contextes, pragmatisme)  il le nomme « la créativité » (consiste en une production de
nouveauté)

L’ultime, la créativité n’existe pas en dehors de de ses actualisations : « Il y a quelque chose d’ultime qui est
actuel en vertu de ses accidents. »  l’ultime ne peut être caractérisé que par ses incarnations (ses
instanciations) accidentelles, et jamais comme un principe généralisant

La créativité ne peut être envisagée que localement. Localement, elle s’exprime sous la forme d’un passage
d’une pluralité (qu’il appelle « disjonctive », sans relation) à une conjonction, à une relation particulière :
cette conjonction instancie la créativité

Passage de la pluralité à l’unité : entité actuelle (on ne pense pas le devenir en général, on le pense dans des
instanciations locales)  la créativité n’existe que dans ses actualisations qui sont l’entité actuelle

Que sont ces entités actuelles ? Comment l’ultime (la créativité) s’actualise-t-il, existe-t-il ?

Whitehead associe existence et actualisation dans ce concept d’entité actuelle

Les entités actuelles entretiennent un rapport au devenir de celle-ci, entretiennent des relations avec d’autres
entités actuelles

Leurs caractéristiques : ce sont des éléments actifs (et non pas passifs), ce sont des entités agissantes,
elles se caractérisent par leurs actions, par leurs effets ; elle s’oppose à la puissance, elles sont toujours en
acte, elles existent de manière efficiente (Whitehead rejette la notion de possible : on ne peut penser le
possible en dehors de l’acte, la capacité de voir présuppose l’exercice de la vision)

Cette primauté accordée à l’acte sur la puissance ne doit pas laisser penser que l’entité actuelle soit
entièrement formée (s’oppose à la tradition aristotélicienne qui fait primer la forme, tradition qui remonte
jusqu’à Kant). Whitehead envisage non pas une forme figée, mais un processus

C’est la catégorie de la relation qui va primer sur celle de la qualité : les entités actuelles sont des êtres
relationnels, elles ne sont pas qualifiées, unifiées, mais toujours en mouvement, en devenir

Seules les entités actuelles existent (monisme pur)

C. Subjectivité et individuation

La correspondance de ce caractère processuel de l’existence est que cette entité n’existe pas une fois pour
toutes mais par un processus d’individuation que va être repensé la notion de subjectivité. Cette dernière va
être reconstruite à la lumière de l’individuation. Il faut penser ensemble individu et individuation,
subjectivité et subjectivation, entité actuelle et actualisation

Ce lien va être assuré par le concept de concrescence (renvoie à l’idée de croissance, de constitution) :
production d’un nouvel être qui renvoie à l’être-ensemble (prise de consistance d’un lien, d’une relation
entre plusieurs éléments hétérogènes)  on passe de cette pluralité disjonction à des rapports, à des relations
entre les relations actuelles qui vont donner lieu à une nouvelle existence (qui est toujours en voie de
réalisation) : Whitehead appelle cela la potentialité

Classiquement, la potentialité précède et conditionne l’acte.

Pour Whitehead, la potentialité et l’actualité deviennent des notions relatives. En effet, la pluralité
disjonctive (ces éléments sans lien) n’est faite que d’êtres en acte qui ne deviennent des potentialités que
lorsqu’elles sont engagées dans un processus d’individuation

L’ACTE DEVIENT PUISSANCE (la possibilité dépend de l’acte)

L’acte peut devenir puissance et la puissance peut devenir acte  c’est une distinction fonctionnelle

L’individuation c’est le passage d’une pluralité disjonctive à une unité (l’être-ensemble), à savoir l’unité
d’une nouvelle entité (qui n’est pas figée, elle est processuelle)  ce passage, il l’appelle une préhension
(prehendere signifie « saisir, prendre, capturer ») mais il ne faut pas réduire cette capture à celle d’un objet
par un sujet car on réduirait la portée de ce concept à deux entités déterminées à l’avance

Ces entités se génèrent par et dans cette relation de préhension (primauté de la relation)

Cette relation de préhension est une activité de transformation qui modifie les éléments : création d’une
nouvelle entité

Cette transformation consiste à intégrer les éléments sur lesquels portent la préhension à l’intérieur d’une
nouvelle existence (forme d’intériorisation)  cette nouvelle existence est une création

ATTENTION : ce n’est pas une absorption, une réduction au même  car ce qui préhende n’est pas lui-
même constitué (elle se constitue par ce processus)

La préhension : activité propre et constitutive des entités actuelles (elles préhendent d’autres entités)

A partir de là, Whitehead va pouvoir distinguer sujet et objet à partir de ce processus d’individuation : ce
n’est pas une distinction ontologique, mais une distinction fonctionnelle

- OBJETS : entités déjà existantes (qui viennent de la pluralité disjonctive)

- SUJETS : entités nouvelles (qui émergent du processus)


Cette distinction sujet-objet est relative car il s’agit toujours d’entités actuelles (pas de différence
ontologique entre les deux). Le sujet (le préhendant) capture les entités existantes, càd les intègre à
l’intérieur de son propre processus de constitution. Whitehead appelle objectivation le processus par lequel
une entité actuelle est intégrée à une autre

Distinction de deux manières d’appréhender les préhensions : préhension, opération de capture par laquelle
la pluralité est intégrée (on est du côté de ce qu’il appelle l’objet)  Whitehead utilise le terme « sentir »
pour désigner cette pluralité telle qu’elle est éprouvée et intégrée, du point du vue du sujet (du préhendant)

Deux points de vue sur la même chose  relativité du schème sujet-objet

(Forme d’avatar de la notion de réflexivité)

D. Sujet-superjet (ce n’est plus en-dessous, mais « au-dessus »)

La définition du sujet est relative : c’est un rapport d’unification, d’intégration, d’appropriation (qui n’est
pas une réduction au même) qui procède du sentir  le sujet vient des sentirs

Inversion de la tradition de la subjectivité : le sujet n’est plus premier et constituant, càd les sentirs ne
sont pas les émanations de l’activité d’un sujet (Descartes), pour Whitehead, ce sont les sentirs qui sont
premiers et le sujet émerge des sentirs

On ne va plus de la subjectivité vers l’objectivité, mais de l’objectivité vers la subjectivité (tous ces
concepts sont repris dans une nouvelle acception : à bien définir en disserte !)

Autrement dit, on part de ce par quoi le monde est donné (les entités actuelles) vers la subjectivité (ce par
quoi il existe une expérience individuelle)

MAIS PROBLEME : on peut se demander comment l’objectivité peut être la cause de la subjectivité ?
Comment une objectivité va donner, par la préhension, à une entité actuelle la qualité de sujet ?

Il faut bien que le sentir soit un sentir de quelque chose, il faut qu’il y ait un porteur du sentir

L’objectivité va être orienté par un principe subjectif  pourquoi les objets ne donnent-ils pas naissance
à d’autres objets ?

Il faut bien que la subjectivité existe déjà en partie (de manière latente, sorte de sujet en devenir)

Le processus de constitution doit être subjectivement orientée (sujet en germes, sujet larvaire)
Résurgence du sujet mais un sujet complètement transformé  Whitehead rompt avec tout sujet substantiel
(devenir oblige), identique et autonome

Pour lui, le sujet est bien ce qui émerge des sentirs, càd qui émerge à partir du processus d’individuation :
SUPERJET  il vient s’ajouter (par-dessus) : il est toujours en excès par rapport à lui-même (il est donc
tout sauf identique à lui-même)

Le superjet est construit à même le processus

AINSI, les sentirs (qui sont les opérations de préhension du côté du sujet) sont animés par des subjectivités
virtuelles qui orientent le processus vers quelque chose qui n’est pas encore

Pas de différence de nature entre le sujet et le superjet, à condition bien sûr de vider le sujet de toutes
ses déterminations classiques (identité, substantialité, autonomie)  ils coexistent à tout moment

Cette visée qui anime le sujet est présente à tout moment de l’individuation et même dans sa réalité effective
quand le processus est terminé

ICI, Whitehead renoue avec les causes finales (avaient été évacuées parce qu’elles surchargeaient la
science)

Les sentirs sont orientés vers une fin et cette fin c’est le sujet, les sentirs tendent au sentant, mais en tant
qu’il est visé comme forme virtuelle

- Cause finale (but, visée qui oriente le devenir) : SUPERJET

- Forme virtuelle : SUJET qui se réalise

Le sujet et le superjet : la même chose sous deux angles différents

Le sujet, c’est l’entité actuelle du point de vue de sa constitution interne

Le superjet, c’est l’entité actuelle du point de vue de la visée qui l’anime

La visée qui anime les sentirs (superjet) est une cause finale que Whitehead « le but subjectif » (n’a rien à
voir avec une essence à réaliser) et ce but subjectif s’accomplit, alors l’individuation a atteint son terme : on
parle alors de « jouissance de soi »  avatar de la réflexivité (épreuve de soi)

Il s’agit d’une certaine intensité, un rapport d’intensité dans lequel une entité capture d’autres entités (qui
ne sont pas elles) dont elle s’enrichit

Cette jouissance de soi est le point culminant


Tout est appréhendé conformément au but subjectif  l’entité actuelle n’a plus de rapport qu’à elle-même

Elle va servir d’autres devenirs  perpétuelle préhension…

La subjectivité (qui jouit d’elle-même au terme de son processus d’individuation) est relationnelle, elle n’est
plus fermée sur elle-même  elle est une intériorité toujours en relation avec une extériorité (dans un
rapport de capture)

Elle s’éprouve comme remplie par toutes ses relations, càd par toutes ses préhensions : self-enjoyment

Retour du concept de subjectivité qui perd sa dimension de clôture et d’indépendance  la subjectivité


devient un pur processus relationnel

La subjectivité n’est plus principe et a une place limitée chez Whitehead car si il lui donne une place trop
grande, il retombe le principe de bifurcation de la nature

Whitehead étend l’extension de la subjectivité au-delà du sujet humain

La subjectivité peut être attribuée à des non-humains

EN SOMME, le sujet, c’est (1) ce qui s’individue, (2) le vecteur de cette


individuation (qui s’opère par captures successives), et (3) l’épreuve intensive
d’elle-même (self-enjoyment, réflexivité en germes)

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