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Psychanalyse
Anne Bourgain
SUBJECTIVITE ET EXPERIENCE
Voilà de quoi convoquer ce que dans notre jargon nous nommons la clinique du sujet et sa
logique inconsciente : invitation à prendre les choses du côté d’une clinique du symptôme qui
appelle un déchiffrement et non du côté d’un trouble souvent traité par une réponse
médicamenteuse : si le trouble est perçu comme externe, a contrario on considère que le sujet
y est pour quelque chose dans son symptôme.
Qu’est-ce qu’un sujet pour qui n‘exclut pas l’hypothèse de l’inconscient ? qu’est-ce que le
moi, qu’est-ce que le Je … et qu’est-ce que l’autre ?
On peut penser l’inconscient comme un autre soi en soi, puisque comme l’énonce Lacan,
l’inconscient, ça parle … La formule de Julia Kristeva, Etranger à soi-même, est également
parlante, tant il s’agit dans l’expérience analytique bien sûr, mais aussi dans certaines
expériences de la vie quotidienne, de s’entendre parler comme un autre : le sujet émerge aussi
d’un certain rapport à la voix.
Le sujet peut aussi s’entendre comme sujet politique, du côté de l’assujettissement. Cet autre
versant des choses permet d’introduire le sujet dont se préoccupe la psychanalyse, le sujet de
l’inconscient, qui ne sait pas ce qu’il dit, disons qu’il dit autre chose que ce qu’il croit dire,
que c’est un sujet divisé comme nous le verrons. Il reste toujours un point d’énigme :
comment penser l’inconscient, qui, inaccessible par définition, nécessite une traduction, par
définition impossible, ou toujours imparfaite. L’inconscient en quelque sorte, ça laisse
toujours à désirer.
Mais s’il y a un autre en soi comme on l’a vu, comment se déprendre de soi ? comment se
désaliéner ?
On comprend que la question est insaisissable, c’est une instance difficile à penser. Faut-il en
conclure que tout serait subjectif, ce serait trop vite dit, ce qui nous renvoie à ce flou dont
nous parlions d’entrée de jeu, à cette notion de subjectivité décidément irréductible.
Le terme Subjektivität traduit par subjectivité : conscience (mens), moi, par opposition à
objet : il s’agira, par opposition à l’objectivité, de délimiter la sphère du psychique ou du
mental.
Commencent les ambiguïtés. Subjectum : « être sous-mis » au sens étymologique : être placé
dessous, littéralement « mis en dessous » n’est pas forcément subjectus : être assujetti.
Prenons le mot sup-position : le destin du français suppost (XIV °) puis suppôt (1611) illustre
cette notion d’assujettissement, par exemple dans le « suppôt de Satan », serviteur d’une
mauvaise cause, comme on le rencontre chez Artaud dans le recueil suppôts et supplications.
Issu du latin suppositum (utilisé aussi bien en grammaire, logique, physique, psychologie …)
dans son usage français, suppost (de la fin XII à la fin XV) signifiera vassal, sujet de
quelqu’un, voire son subalterne (le sous-fiffre, le larbin : c’est celui qui est sous l’autorité,
sous les ordres de quelqu’un.
On constate qu’il y a une métaphore spatiale commune : être dessous, en bas de la pyramide,
être la base. Mais subjectum ne doit pas pour autant être réduit au subjectus …
Cette confusion possible (du fait de l’équivoque, ou de l’homophonie) en français ou anglais
(subject), espagnol (sujeto) et italien (soggetto) n’existe pas en allemand puisque Subjekt
(celui d’Aristote) ne peut pas se confondre avec Untertan, untertänig : humble, soumis, qui
donne Untertänigkeit : obéissance, soumission, et Unterwerfung : sujétion, alors qu’on peut
traduire Subjekt et Untertan par le même mot français : sujet.
Donc ce mot ne pouvait pas au départ fasciner Freud (qui a par ailleurs écrit un article très
intéressant sur les sens opposés des mots primitifs). C’est pourquoi c’est Lacan, à partir de la
langue française, plus que Freud n’aurait pu le faire depuis l’allemand, qui développera la
notion de sujet en psychanalyse.
Quoi qu’il en soit, la place du sujet semble relever d’emblée du registre de la soumission.
Qu’on pense aux résonances du terme « islam » (muslim, apparu au VII ° siècle en langue
arabe et coranique, mais n’apparaît pas en français avant le XVI°) qui selon les traductions
évoque la sujétion radicale (les musulmans comme soumis,) ou l’abandon confiant de soi à
Dieu ou en Dieu : celui qui se soumet, ou celui qui s’en remet à Dieu.
La question du sujet en philosophie concerne à la fois ce qu’il en est du subjectum et ce qu’il
en est du subjectus.
- L’usage latin de subjectum évoque d’abord, chronologiquement, les origines médiévales de
la certitude subjective des Modernes, origines partagées voire écartelées entre les héritages
d’Aristote (d’après le commentaire d’Averroés, dans le sujet de la pensée, ce n’est pas à vrai
dire l’homme qui pense, ses images sont pensées par l’intellect séparé des sens) et de saint
Augustin (modèle trinitaire : l’âme humaine, la conscience, la connaissance de soi)
séparation entre le sujet des sens et le sujet de l’intellect.
Ensuite il faut prendre en compte - avec Nietzsche - la critique contemporaine de la notion
d’unité du sujet.
Subjectum est la traduction latine du grec hupokeimenon, rencontré chez Aristote : sujet
physique (qui subit des transformations, des changements) et logique (propositions
grammaticales) : La subjectité est la suture (onto-logique) entre l’être et le dire : ousia
(Aristote) : l’essence.
L’essence, et non la substance (qui est davantage du côté de la physique, les accidents du
sujet) : c’est une conjonction en fait de la logique et de la physique.
Ce n’est ni dire ni être, hupokeimenon n’est ni prédicat ni accident, c’est un nouage, à savoir
ou bien la matière, déterminée par la forme, ou bien l’ousia, avec les passions, les accidents,
ou bien le sujet logique. Nous avons donc à faire à une pluralité de sens, à plus d’un sens …
L’individu (étymologiquement ce tout indivisible) est celui à qui arrive tel ou tel affect ou qui
subit tel ou tel accident : ainsi l’animal est-il sujet à bouger, à être de telle ou telle couleur, à
souffrir ou non d’une affection dans une perpétuelle tension entre le singulier et l’universel.
On assimile souvent sujet et personne. La persona (celui qui est masqué au théâtre) est
l’équivalent du grec prosopon (visage de la loi ou de la cité. La per-sona est littéralement un
porte-voix, désignant celui qui a droit à la parole : c’est aussi une notion juridique. Ce terme
de persona distingue l’homme libre (caput) de l’esclave (servus).
Si l’on entend ainsi la subjectivité du côté de l’assujettissement, on peut la rapprocher du
terme d’hupostasis, (la substance individuelle d’une nature) qui s’avère encore plus ambigü
qu’hupokeimenon : le sens reste indécidable entre substance et subsistance.
L’intraduisible sujet :
La traduction introduit systématiquement le terme sujet (sujet obéissant, sujet voulant) alors
que le texte de Nietzsche fait porter la critique sur l’illusion du Ich. (le sujet qui se désigne
comme Je (Ich) ou ego relève d’une fiction grammaticale. ) Cala introduit du même coup une
nuance avec le terme français sujet, équivoque, (qui rend toute l’ambivalence des rapports
réels et imaginaires de subordination) qui n’existe pas en allemand avec das Subjekt. Nous
voilà avec ce texte au coeur même des tensions linguistiques propres à l’usage de la notion de
sujet.
Une notion à déconstruire : critique de la question dite du sujet par Foucault, Deleuze,
Derrida.
Or à proprement parler, il n’y a pas de véritable théorie du sujet chez Descartes (avec le
fameux sujet du cogito - J’existe en tant que je pense - ni même chez Kant.
Descartes met certes en avant la pensée contre le corps (avec la théorie dite des animaux-
machines : « les hirondelles qui viennent au printemps agissent en cela comme des
horloges (…) les chiens, les chats qui grattent la terre pour y ensevelir leurs excréments le
font par instinct et sans y penser » : seule l’âme pense, le corps ne pense pas. Il prend ainsi le
soi comme vérité première : cette conscience de soi auto-fondée est objet d’un savoir
indubitable, comme une évidence. Mais il n’en fait pas, ou pas encore, une théorie du sujet.
Ce sont des relectures qui après coup formuleront et problématiseront ensuite les choses ainsi.
Ce trop rapide détour dans l’histoire des idées nous fera peut-être entendre quelque chose de
ce que la philosophie de langue française entend à la question de la subjectivité, qui n’est
donc pas tant une question d’essence qu’un véritable enjeu politique.
Evoquons rapidement le cas de Rousseau qui dans le Contrat social fait correspondre les
figures du citoyen, auteur de la loi, et du sujet avec la notion de liberté du sujet trouvée dans
l’obéissance à cette loi (« de l’aliénation des volontés individuelles surgit la volonté générale
constitutive d’un moi commun »). Dans la dixième promenade des rêveries du promeneur
solitaire, le même Rousseau lie la question du moi véritable à celle de l’assujettissement : « il
n’y a pas de jour où je ne me rappelle avec joie et attendrissement cet unique et court temps
de ma vie où je fus moi pleinement sans mélange et sans obstacle et où je puis véritablement
dire avoir vécu (…) je ne pouvais souffrir l’assujettissement, j’étais parfaitement libre, et
mieux que libre car assujetti par mes seuls attachements, je ne faisais que ce que je voulais
faire ».
Hegel commentera d’une certaine façon implicitement ces propos dans la phénoménologie de
l’esprit par cette formule : « un moi qui est un nous, un nous qui est un moi ».
Au risque d’aller un peu vite, beaucoup trop vite, nous pourrions poser cette question :
Rousseau commenté et revu par Hegel et par Nietzsche produiront-ils un tournant
révolutionnaire, permettant la subversion du rapport entre souveraineté et subjectivité, ce que
Bataille mettre en acte ? (à propos de la souveraineté du sujet chez Bataille, on pourra se
référer aux documents proposés en annexe.)
Voilà peut-être déjà de quoi subvertir la question du sujet, en philosophie pour commencer,
puis dans d’autres champs.
Gilles Deleuze qui travaillera ensuite les questions de servitude et d’asservissement articule
pour sa part de la manière suivante les notions de subjectivité et de sujétion :
« cette différence entre le point de vue de l’origine des idées et celui de leur qualification,
c’est celle que Hume rencontre encore sous la forme d’une antinomie de la connaissance ; elle
définit le problème du moi. L’esprit n’a pas de sujet, il est assujetti. Et quand le sujet se
constitue dans l’esprit sous l’effet des principes, il se saisit en même temps comme un Moi
parce qu’il est qualifié. Mais justement, si le sujet se constitue seulement dans la collection
des idées, comment la collection des idées peut-elle se saisir elle-même comme un moi,
comment peut-elle dire « moi », sous l’effet des mêmes principes ? « (Deleuze, Empirisme et
subjectivité, 1953, p 15).
Il faut attendre la modernité (XIX°) pour que cette évidence d’un sujet de la conscience (cette
illusion du Ich) soit remise en cause.
Schopenhauer puis Nietzsche considéré comme un des maîtres de la philosophie dite du
soupçon ouvrent sur la notion de pensée inconsciente, (création de soi, volonté de puissance
chez Nietzsche) qui ouvrent déjà la voie à ce qui sera plus tard nommé par Lacan le sujet de
l’inconscient.
Si Lacan revendique clairement sa dette à la philosophie, sans forcément toujours nommer ses
sources, Freud se montre plus ambivalent dans son rapport à la philosophie, soucieux qu’il est
de défendre une autonomie de la psychanalyse alors naissante. Il dit ainsi avoir « longtemps
évité Nietzche », au motif de « conserver un esprit non prévenu ». (cf autoprésentation de
Freud).
On peut dire que l’inconscient est subjectif, en ce sens qu’il introduit la singularité et non pas
neutre, commun à tous. C’est peut-être en partie pourquoi la notion d’inconscient collectif
mise en avant par Jung n’est pas perçue d’un très bon œil par la communauté analytique.
Jamais donné d’avance, ni une fois pour toutes, jamais acquis, l’inconscient qui est toujours à
découvrir et à reconstruire suppose un mouvement de réappropriation – ce que je suis n’est
pas une donnée, mais le produit d’une quête, il faut du désir pour (se) connaître : ce que je
suis est d’abord perdu, étranger à moi-même ; il faut donc un effort pour exister, ce qui
renvoie à ce que Lacan a nommé l’éthique du désir. Le désir, par opposition à la jouissance (y
compris celle du symptôme) c’est bien ce sur quoi il convient de ne pas céder.
Le langage qui nous précède et que nous habitons témoigne de notre rapport au monde. A la
base du psychisme, il y a comme une structure inconsciente qui a une fonction déterminante,
comme l’énonce la célèbre formule de Lacan : « l’inconscient est structuré comme un
langage. »
Rappelons les trois humiliations repérées par Freud : la première correspond au décentrement
du savoir humain opéré par la découverte de Copernic : la Terre n’est pas le centre de
l’univers, c’est la révolution copernicienne.
L’homme n’est pas davantage ce centre, n’étant pas premier dans l’ordre biologique C’est la
révolution darwinienne avec la théorie de l’Evolution.
Le troisième décentrement est opéré par la découverte de l’inconscient au sens de la
révolution freudienne : Freud montre que le moi n’est pas maître dans sa propre maison.
Le « devenir conscient » par lequel le sujet s’approprie son désir, ne lui appartient pas, lui
échappe. On est loin ici en apparence du savoir absolu de Hegel, loin d’un sujet qui dès
l’origine et jusqu’au bout sait ce qu’il veut. Pourtant pour Hegel ce qui compte, ce qui domine
le monde, ce sont les passions (comme la passion du pouvoir, l’hypertrophie du moi) qui se
réalisent par leur contraire. Hegel fait remarquer que cela produit un effet qui lui est conforme
à la raison : la raison à l’insu des sujets côtoie la passion. C’est une théorie dite de la ruse de
la raison : on accomplit ainsi un destin dont on n’a pas conscience, voilà ce qui apparaît au-
delà de l’apparence. La tâche du philosophe est de dévoiler ce sens. Comme dans Œdipe-roi,
c’est un aveugle (Tiresias) qui ouvre les yeux du roi. C’est finalement assez proche de
l’enseignement freudien. Pour Hegel, la pensée s’accomplit à partir du désir.
La question du sujet, c’est ce que la psychanalyse vient subvertir. La raison n’a plus la même
figure depuis Freud. Elle est devenue une raison de l’inconscient, une raison inconsciente.
La fonction du sujet telle que l’instaure l’expérience freudienne disqualifie à la racine ce qui
s’est constitué comme étiquette scientifique sous le nom de psychologie (du côté de ce que
Lacan a épinglé sous le nom de la psychologie du moi (ego-psychology). Et qui a trait au sujet
de la connaissance, alors que depuis la découverte freudienne il nous faut plutôt assumer qu’il
y ait du savoir inconscient.
Il y a de l’Autre.
Après les formules percutantes d’un Pascal « le moi est haïssable » et d’un Rimbaud « Je est
un autre », Lacan posera à son tour la question sous la forme : « qu’est-ce qu’un sujet ? » et
tentera d’articuler la notion de subjectivité avec la question de l’aliénation.
Qu’est-ce donc que le sujet pour Lacan ? une suite d’effets de l’aliénation de « sujets »
toujours déjà dépendants. Sujet dépendant de par sa détresse primitive (hilflosigkeit, que l’on
pourrait tenter de traduire par désaide. D’emblée prématuré par rapport à l’animal non humain
beaucoup plus vite autonome, le petit d’homme a besoin du secours d’un autre
(Nebenmensch) pour survivre. Sujet déterminé, recevant ses propres énoncés sous une forme
inversée : la parole le constitue dans un univers symbolique (discours, institutions) sur lequel
il n’a aucune prise. Le sujet est ainsi soumis au signifiant qui le sépare radicalement de lui-
même. D’un côté il est régi par le sentiment d’identité, les croyances, le narcissisme, autant de
captations imaginaires qui se trouvent réunies dans le « moi », cette figure illusoire. (y a de
l’un, dira Lacan pour rendre compte de cette unité mythique). Tandis que du côté de
l’autre viennent des conflits, des questions, dont la question du désir : « l’effet des signifiants
chez ceux qui viennent pour lui (pour le sujet) à représenter l’Autre, en tant que sa demande
leur est assujettie. » (Lacan, Ecrits p 628)
« Quel est cet autre à qui je suis plus attaché qu’à moi, puisqu’au sein le plus assenti de mon
identité à moi même, c’est lui qui m’agite ? » (ibid.Ecrits).
La question de l’altérité interroge la relation du sujet à l’autre, cette relation étant déterminée
de façon inconsciente : quel est le fantasme qui organise le rapport du sujet à l’autre ?
L’inconscient freudien défini comme l’autre scène est radicalement différent des précédentes
théories de l’inconscient issues de la psychologie. De là l’écriture lacanienne qui introduit
une majuscule (Autre/autre). Au départ, cette distinction n’était pas si nette.
En 1936, la théorie lacanienne de l’altérité est centrée sur le spéculaire et l’imaginaire : l’autre
est désigné comme un autre soi-même, une représentation du moi, avec une prévalence de la
relation duelle à l’image du semblable. Lacan est alors inspiré par la lecture que fait Kojève
de la phénoménologie de l’esprit de Hegel (la dialectique de la négativité) : toute
reconnaissance de l’autre passe par une lutte à mort : il faut annuler l’autre pour faire
reconnaitre son désir propre.
En 1949, Lacan élabore la notion de symbolique inspirée des structures élémentaires de la
parenté (Levi Strauss) : naît alors une autre conception de l’altérité, débouchant sur la notion
de grand Autre. On coupe alors clairement avec les théories post-freudiennes de la relation
d’objet. C’est l’ordre symbolique (dit Lieu de l’Autre) qui détermine le sujet et non les
représentations du moi spéculaires ou imaginaires. Lacan énonce sa fameuse formule : « il n’y
pas de métalangage ». Il n’y a pas de détermination antérieure au langage qui viendrait
garantir son existence. Par là Lacan semble dénoncer l’illusion réaliste consistant à prendre ce
qu’on dit pour ce qui est. Mettons-le en perspective avec ce qu’il en dira plus tard : « on ne
peut parler d’une langue que dans une autre langue. J’ai dit autrefois qu’il n’y avait pas de
métalangage. Il y a un embryon de métalangage, mais on dérape toujours, pour une seule
raison, c’est que je ne connais de langage qu’une série de langues incarnées. (« Vers un
signifiant nouveau », Ornicar ?, 17-18, 1979, 7-23.)
Revenons à la graphie ( autre /Autre) : Si en 1953 dans Fonction et champ de la parole et du
langage, Lacan peut écrire que « l’inconscient du sujet est le discours de l’autre » puis en
1954 écrire à Jean Hyppolite que « l’inconscient est le discours de l’Autre » sans les
différencier, notons qu’en 1955 il ne les confond plus du tout : dans la topique de
l’imaginaire (Séminaire II, le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la
psychanalyse) : l’autre avec un petit a est le moi, alors que l’Autre agit dans la fonction de la
parole.
Lacan pendant ces années (1950-65) affine la théorie freudienne de l’inconscient avec
l’éclairage de la linguistique de Saussure. Il articule le désir, le sujet, le signifiant avec la
question de l’Autre.
En 1955, il énonce que l’Autre est ce lieu où se constitue le sujet. (cf « la chose freudienne ou
sens d’un retour à Freud », in Ecrits, Seuil, 1955) : le sujet est représenté par le signifiant dans
une chaîne qui le détermine. Cette notion de « grand Autre », référence même du Symbolique,
est vue comme un espace ouvert de signifiants rencontrés par le sujet dès son arrivée au
monde.
En 1956, dans le séminaire III consacré aux psychoses, il évoque l’Autre absolu. (cet Autre
qui ne répond pas et renvoie à la fameuse inconsistance de l’Autre. Ainsi de Dieu pour
Schreber : le sujet s’anéantit pour faire émerger cette figure d’un Autre absolu terrifiant.
C’est en 1957 (avec « la direction de la cure et les principes de son pouvoir », in Ecrits…) que
l’Autre du transfert sera « théorisé » devenant cette « autre Scène » que constitue
l’inconscient : le désir de l’homme est le désir de l’Autre. Et émerge la question : « que me
veut l’Autre ? » Un appui sur la figure littéraire d’Hamlet illustrera la question du désir et de
son interprétation (1958-59) puis le pari de Pascal est analysé comme tragédie janséniste du
désir, une tentative désespérée de répondre à la castration (cf « problèmes cruciaux de la
psychanalyse » in Ecrits). Tombe la fameuse assertion : Il n’y a pas d’Autre de l’Autre. Dieu
ne répond pas. Il n’y a pas de garantie. De même, Hamlet demeure impuissant en quelque
sorte à venger son père et aimer Ophélie.
La question sera reprise en 1968-69 avec le séminaire « D’un Autre à l’autre » et en 1975
avec le Séminaire XX (Encore) qui interroge la sexualité féminine comme jouissance
supplémentaire (Jouissance Autre, en lien avec la jouissance ineffable de la mystique.)
En 1960, dans Subversion du sujet et dialectique du désir, Lacan essaie de traduire de façon
algébrique, de formaliser les formules « le désir de l’homme est le désir de l’Autre » et « il
n’y a pas d’Autre de l’Autre » en jouant sur les fonctions S (le sujet qui peut être ou non
barré), s (le signifiant) ; a et A. (petit et grand a /Autre).
Ce sujet, divisé par le signifiant doit s’en remettre à l’Autre qui ne répond pas. Est-ce un
choix sans issue ?
« Si le désir est en effet dans le sujet cette condition qui lui est imposée par l‘existence du
discours de faire passer son besoin par les défilés du signifiant (…), le sujet a à trouver la
structure constituante de son désir dans la même béance ouverte par l’effet des signifiants
chez ceux qui viennent pour lui à représenter l’Autre, en tant que sa demande leur est
assujettie. » (Ecrits, op.cit, p 628)