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Différence et répétition : système formé autour des deux concepts. On pourrait supposer que
Deleuze n’a besoin de personne. C’est lui qui est allé chercher Guattari. Comment se fait-il qu’il ait
eu besoin d’aller débaucher Guattari, alors qu’il disposait d’un système philosophique achevé ?
Quelle est la raison d’être de cette collaboration qui conduit à l’Anti-Oedipe ?
i. Avec G, D passe du structuralisme au machinisme. Après la parution de Diff et rep et de
logique du sens, Guattari écrit un article nommé « Machine et structure ». Guattari est
psychanalyste, il est disciple de Lacan. Il doit proposer cet exposé en 69 à l’école freudienne. Il est
imprégné de Marx et de Lacan. Il emprunte des références aux textes de D. Ce texte est présent dans
la réédition d’un ouvrage de G qui a pour titre Psychanalyse et transversalité. Il est question dans ce
texte d’un concept qui sera central dans l’AO, celui de machine désirante. C’est mentionné en
passant. Ce concept sera au coeur de l’AO. Dans Mille Plateaux ils remplaceront ce concept par
celui d’agencement. D passerait du structuralisme au machinisme. Mais en réalité cela n’explique
rien, on décrit juste qch. C’est A puis B mais on n’explique pas B parce que A. On ne fait
qu’énoncer un fait, que D est passé du S au M. Il faudrait voir ce qui ne va pas dans le
structuralisme de D pour qu’il soit amené à proposer un machinisme avec G. D vient d’écrire
deux livres qui se réclament du S mais il y renonce presque aussitôt. Qu’est-ce qui ne va pas ?
ii. Comme G était un militant politique qui a commencé dans la voie communiste, puis
gauche prolétarienne, mouvement du 22 mars, etc. Il était dans tous les coups et restera toute sa vie
très actif sur le plan politique. Il a collaboré à ce qu’on appelle la psychanalyse institutionnelle. Ils
essayaient de proposer un autre soin thérapeutique aux schizophrènes que celui qui leur était réservé
d’ordinaire. G est qqn dont les activités ne sont théoriques que lorsqu’elles servent le pratique.
D est qqn qui écrit dans sa chambre et qui a un soucis de l’oeuvre à produire. D aurait eu
besoin de G pour proposer une philosophie politique. Il est vrai qu’avec l’AO et dans les
ouvrages qui suivent la question politique est essentielle. Tout est pensé depuis la critique du
capitalisme. Ils veulent brancher Kafka sur le politique, faire en sorte que l’écriture soit
directement liée au politique. Cette dimension politique est tout à fait secondaire et reste littéraire
dans DR et LS. Avec G tout à coup la pratique de la philo s’accompagne de l’analyse du
capitalisme et des formes de sociétés non capitalistes. L’explication serait recevable si D n’avait
rien modifié à son système de pensée et avait juste rajouté un rayon politique. Ce n’est pas le cas. Si
tel avait été le cas, s’il s’agissait juste d’apporter une portée politique à une philo qui en manquait,
on ne comprendrait pas pourquoi D aurait eu besoin d’abandonner le S. Ces deux raisons ne sont
absolument pas suffisantes pour expliquer la collaboration de ces deux auteurs.
Pour comprendre la raison de cette association avec G, il faut nécessairement que qch cloche
dans la pensée de D, au point d’éprouver le besoin, après avoir lu l’article de G, de lui proposer de
travailler ensemble. Il y a qch qui ne va pas dans le S, cad dans DR et dans Logique du sens.
Cela suppose qu’on examine un tant soit peu le S de D. Est-ce que qch aurait permis de voir une
issue possible ? N’y aurait-il pas une sorte de blocage à l’intérieur de Logique du sens ?
Qu’est-ce qui pose problème à D dans le S qu’il soutient, qu’il a exposé dans Logique du
sens ? D se réclame du S à la fin des années 60. Il y a un article célèbre et important rédigé en 1967
mais qui ne paraît qu’en 1972 dans une vaste Histoire de la philo dirigée par François Châtelet. Cet
article a pour titre : « A quoi reconnaît-on le S ? ». Dans cet article il y a une phrase qui concerne
Foucault. En parlant de F on sent bien que c’est de lui dont il parle. Cf p. 244 dans L’Ile déserte :
« C’est pourquoi F peut proposer une nouvelle répartition de l’empirique et du transcendantal, ce
dernier se trouvant défini par un ordre de place indifféremment de celui qu’il occupe
empiriquement. Le S n’est pas séparable d’une philosophie transcendantale nouvelle où les
lieux l’emportent sur ce qui les remplit. ». Cela s’applique bcp plus à D qu’à F. Il propose une
philo transcendantale nouvelle qui serait celle du structuralisme. Que veut dire
transcendantal ici ? Il s’agit de proposer une enquête sur les conditions de l’expérience, selon
les exigences fixées par Kant. Mais ces conditions ne doivent pas être indépendantes de
l’expérience, elles doivent se trouver au coeur même de l’expérience et permettre dès lors, au lieu
d’avoir une relation de conditionnement comme c’est le cas chez Kant, une genèse. Il y a des
éléments de l’expérience qui expliquent génétiquement la formation des formes d’expérience à
travers lesquelles nous passons. L’exigence tr est une exigence génétique. La philo tr chez D a
une ambition génétique. Elle doit produire des genèses, ce qui n’est pas le cas chez Kant. Chez Kant
on a une XP en fait et on se demande comment elle est possible. Il faut expliquer comment
s’engendrent les formes de l’XP à partir de l’XP même. C’est l’une des originalités du S de D.
La coutume veut que l’on oppose structure et genèse. La nouveauté de la philo tr de D est de dire
que désormais la philo tr doit être génétique. 2e nouveauté : le S se concilie avec cette ambition
génétique. Ce n’est pas genèse ou structure, le S peut avoir une ambition génétique. C’est la raison
pour laquelle le S doit s’accompagner pour D d’une philo tr nouvelle. Le S peut nourrir les
ambitions d’une philo génétique. Le S qui sera celui de D doit nécessairement avoir une
puissance génétique.
1. Lire le texte « A quoi reconnaît-on le S ? ». Ce texte a l’avantage de récapituler certaines thèses
de DR. La thèse générale de l’article est qu’il n’y a de structure « que de ce qui est langage ».
C’est le langage de l’inconscient, le langage silencieux du corps à travers ses symptômes etc. On
peut faire de bcp de choses un langage (peinture, cinéma, etc.). Langage doit être pris comme un
synonyme de langage. Une approche structuraliste classique consistera à chercher en quoi
consiste le langage de tel ou tel domaine et à en dégager le fonctionnement structural. Cette 1e
définition nous arrange à bien des égards, parce que LS est tout entier un livre sur le langage. Ce
n’est rien d’autre qu’un livre sur le langage.
Digression : Idée reçue : D réexposerait tout son système dans chaque ouvrage.
En réalité, D a un pb dans DR c’est celui de la diff et de la rep et dans la logique du sens le pb
est celui du sens. Dans l’AO c’est encore un autre pb et dans mille plateaux c’est un livre sur la
logique du multiple. A chaque fois il y a un pb précis et un contexte central. Dans LS ce dont il est
question est la question du langage. C’est la seule question de ce livre, donc il est éminemment
structuraliste.
Dans la mesure où LS se présente comme un livre qui examine la question du langage, puisque on a
dit que la démarche de D était génétique, il s’agit de concevoir comment s’engendre le langage dans
la pensée. Comment s’engendre l’exercice du langage dans la pensée ? Il y a plusieurs genèses
dans LS. Chez D, logique a toujours voulu dire genèse.
Dans son article A quoi reconnaît-on le S ?, Deleuze énumère différents critères assez précis
grâce auxquels on reconnaît le S. Il y en a six principaux et puis quelques autres qui peuvent
s’ajouter facultativement.
1er critère : le symbolique, comme étant un ordre, un niveau qui dépasse en profondeur les
deux ordres classiques du réel et de l’imaginaire et les jeux de miroir qu’il peut y avoir entre
le réel et l’imaginaire. Il y aurait une sorte d’ordre tiers qui serait le symbolique, qui serait ni de
l’ordre de l’objectivité, ni de la subjectivité, ni des jeux de l’un et de l’autre.
2e critère : l’élément du symbolique. « Les éléments d’une structure n’ont ni désignation
extrinsèque (qui leur soit extérieure et auxquels ils renverraient) ni signification intrinsèque (qui
vaudrait en elle-même intellectuellement), ils n’ont rien d’autre qu’un sens. » Cela veut dire que le
sens n’est ni la désignation ni la signification. Le sens du mot fenêtre ne consiste pas à montrer la
fenêtre réelle qui se trouve en face ni à dire de la fenêtre qu’elle est un encadrement translucide etc.
Ce sens est un sens de position ou de place
cf métaphore du jeu d’échecs pour caractériser le jeu d’échecs chez Saussure. Le sens que reçoit le
cheval ici est compte tenu de la configuration dans laquelle il est prise. Son sens se déplace compte
tenu de la place qu’il a sur l’échiquier. C’est dans un espace structural, cad topologique, cad
inextensif, un espace symbolique. Les places ou les rôles que chacun occupe empiriquement (ex
de la famille) sont déterminés par la position qu’il occupe dans la structure, d’où la
répartition de l’empirique et du transcendantal. C’est le niveau tr qui détermine les positions
occupées empiriquement, exactement comme notre pensée vient prendre sa place dans la langue qui
nous préexiste, comme l’individu prend sa place dans l’ordre social. Le sens est produit par la
combinaison d’éléments qui ne sont pas eux-mêmes signifiants au sens où ils ne sont pas
intrinsèques. D insiste sur le rapport qui unit sens et non-sens. « Il y a un non-sens du sens dont
le sens résulte. ». S’il faut produire une logique du sens, elle devra accorder une place décisive au
non-sens, puisque le sens résulte du non-sens. Le sens est engendré par le non-sens. Le non-sens
n’est pas un manque de sens. Ce n’est pas non plus l’absurde. D se distingue radicalement de
Camus et de la philo de l’absurde. Le non-sens est un trop-plein de sens. « Le S ne doit rien à
Albert Camus mais bcp à Lewis Carroll. » C’est à la fois une blague (Carroll serait plus important
que la figure de Camus pour le S) et pas une blague du tout puisque la LS se présentait comme un
petit essai sur LC. LC est le maître du non-sense. C’est le non-sense au sens de LC qui importe et
pas l’absence de sens ou la nausée sartrienne. On ne sait pas encore exactement ce que cela veut
dire. Les éléments du symbolique sont affaire de place et de position, ce qui détermine leur
sens.
3e critère : le rapport différentiel et le singulier. Cela concerne les rapports entre éléments. Ce
sont des rapports différentiels. C’est le rapport différentiel qui détermine la place de chacun.
Le différentiel et le singulier s’opposent à l’universel et au particulier. Une structure est un
ensemble d’éléments différentiels qui se distinguent par leur toponymie, leur place dans la
structure.
4e critère : le différenciant ou la différenciation (tout ce dont on a parlé vaut pour la structure
prise en elle-même, indépendamment de son actualisation). C’est valable idéellement, cad
indépendamment de toute prise de parole effective, si l’on prend l’ex du langage. Le 4e critère
concerne la manière dont une structure va s’actualiser, dont le langage va devenir parole ou
écriture par ex, dont il va acquérir une réalité empirique.
5e critère : le sériel. Le sériel c’est l’idée que les éléments symboliques pris dans des rapports
différentiels s’organisent nécessairement en séries, mais toujours pour se rapporter à une
autre série. La série des mots se rapporte à celle des choses par ex. Les séries fonctionnent
toujours par paires. Il y a toujours deux séries. Le propre du S de Lévi-Strauss est qu’une culture
n’a de sens que par les transformations qu’elle subit lorsqu’elle rencontre une autre culture. Lorsque
LS reprend l’étude du totémisme, il montre à quel point le phénomène est mal compris tant qu’on
l’interprète en termes d’imagination. On n’a pas dégagé le niveau symbolique sur lequel il faudrait
se situer pour étudier le totémisme. L’imagination conçoit nécessairement le totémisme comme
l’opération par laquelle un homme ou un groupe d’homme s’identifie à un animal. Mais
symboliquement il s’agit de tout autre chose. Non pas l’identification imaginaire d’un terme à
l’autre, mais l’homologie structurale de deux séries de termes : d’une part une série d’espèces
animales pris comme ensemble d’éléments différentiels, d’autre part une série de positions sociales
elles-mêmes saisies symboliquement dans leurs propres rapports. On a deux séries qui entrent dans
des rapports complexes. La confrontation se fait entre ces deux systèmes de références. De ce point
de vue là le S est toujours sériel, il y a toujours au moins 2 séries.
6e critère : C’est le critère qui reçoit le plus long développement dans l’article de D. C’est ce qu’il
appelle la case vide. Tous les termes occupent une place, mobile et variable, mais il y a une case
vide. La case vide est un objet qui manque à sa place, pour reprendre la formule de Lacan. Cela
veut dire que sa place est de ne pas être à sa place. Il est à sa place en tant qu’il manque à sa place.
Cf Lettre volée de Poe. C’est qn qui cherche une lettre qui a été volée et il la cherche partout mais
elle est posée sur la cheminée. Il ne la trouve pas parce qu’elle manque à sa place. Elle n’est pas là
où elle doit être mais elle est là où elle ne doit pas être. Cette case vide est ce qui circule entre ces
deux séries. Entre les deux séries il y a une case vide et cette case vide est un objet qui ne cesse
pas de faire converger deux séries qui sont pourtant divergentes mais il ne peut les faire
converger alors qu’elles sont divergentes que parce qu’il manque à sa place. C’est un objet
dont la nature est de différer sans cesse de soi. « Cet objet singulier est le point de convergence de
séries divergentes en tant que telles (en tant qu’elles restent divergentes l’une par rapport à l’autre).
Il est « éminemment symbolique mais précisément parce qu’il est immanent aux deux séries à la
fois. Comment l’appeler, sinon objet = X. ».
ex : l’objet = X c’est admettons le truc indéfinissable. C’est qch qui échappe à l’ordre du
langage, c’est presque à la limite insaisissable dans le langage et en même temps cela
appartient à l’ordre réel. C’est ce qui fait que nous parlons, cela échappe et cela fait se
rapporter l’un à l’autre et l’ordre du langage avec lequel on parle et l’ordre du réel dont nous
voulons parler. Le propre de cet objet est de manquer à sa place. Cela nous échappe par
définition. Un trou de mémoire serait juste une case vide de fait. La case vide n’est pas une
incapacité intellectuelle momentanée, c’est qch qui est constitutif du rapport entre la série des
états de choses et la série du langage. Elles ne se rapportent l’une à l’autre dans leur
divergence que par l’intermédiaire de cet objet = X. Autrement dit, c’est un non-sens. C’est le
blituri des Stoïciens, ou le snark chez LC. Il a pour propriété de ne pas pouvoir être trouvable.
Derniers critères : « du sujet à la pratique ». On appellera sujet, une subjectivité (inspiration
lacanienne), celui qui poursuit la case vide ou objet = X. Chez Lacan cela correspond au phallus.
Le sujet a pour caractéristique d’être assujetti au déplacement de la case vide, laquelle n’est pas une
transcendance puisqu’elle est immanente aux deux séries.
Une structure est un ensemble d’éléments symboliques qui sont réels en tant qu’ils sont
symboliques mais qui ne sont pas actuels, cad qu’ils n’ont pas d’existence empirique. Cela
veut dire qu’ils sont virtuels, pris dans des rapports différentiels, différenciés en eux-mêmes
quoique non actualisés. La structure forme une totalité. C’est une totalité mobile, ouverte,
sans cesse mouvante et ce qui la met en mouvement, c’est cette case vide ou objet = X, qui
manque à sa place, qui rend possible le jeu entre les éléments ordonnés en séries (deux séries
au moins). Pour jouer il faut toujours des cases vides. Cette case vide est pour le langage le
non-sens du sens, cad le non-sens qui engendre le sens.
Ex : Foucault donne une description des Ménines de Vélazquez au premier chapitre des Mots et des
choses. Il y a une place vide qui n’est occupée par personne sauf par le sujet, qui ne peut pas
intervenir dans l’âge classique mais seulement au XVIIIe siècle. Cette place vide rend possible
l’espace de la représentation. Toute la description s’ordonne autour de ce manque, de cette place
manquante, mais omniprésente par le fait qu’elle se déplace.
LS est l’exploration d’un aspect de DR. LS représente une tension. LS porte exclusivement sur la
question du langage, et se propose de constituer une philo tr du langage et non de répéter les
analyses structurales relatives au langage. Il s’agit d’y ajouter une dimension tr, ce qui suppose
une tentative d’établir des genèses. Produire donc une ou plusieurs genèses du langage.
Comment s’engendre le langage pour la pensée ? Logique veut toujours dire genèse chez D.
Logique est une logique d’engendrement = logique génétique.
On pourrait distinguer au moins deux genèses :
1. Une genèse statique, depuis l’intérieur de la structure : comment s’engendre le sens depuis
l’intérieur de la structure qu’est le langage ?
Distinction entre les corps et les incorporels (distinction propre à l’ontologie stoïcienne). Il
existe des corps et à certains égards il n’existe que des corps. Quels rapports s’établissent entre les
corps ? Ce sont des rapports de cause (et non de cause à effet). Cela suppose que les âmes sont
considérées comme des corps pour autant que les âmes reçoivent des impressions de corps. Les
impressions laissent des traces ce qui veut dire qu’il y a une mémoire corporelle des âmes. Rapports
de mélange entre les corps. Donc il y a des rapports des corps les uns avec les autres. Et puis il y a
une deuxième dimension : les incorporels, qui sont l’autre aspect de la philo stoïcienne. Les
incorporels sont abstraits du monde des corps. Les incorporels sont la métaphysique des stoïciens,
métaphysique à la surface des corps et non dans le ciel des Idées comme chez Platon. Les
incorporels sont les effets qui se produisent, indépendamment des causes. Qch de l’ordre de
l’incorporel : c’est l’évènement pur au sens où il se passe qch qui est un effet irréductible aux
rapports de causalité qui se rencontrent par ailleurs au niveau des corps.
Ex : Une goutte de mon sang tombe dans la mer Egee, donc où que je sois dans la mer Egee il y a
mon sang mélangé à l’eau de mer.
Deux combattants se battent, l’un transperce l’autre de son épée, il y a mélange des corps, leurs
sangs se mélangent et la coupure est l’évènement incorporel.
Une bataille est un évènement incorporel qui se dit des combattants. C’est qch qui appartient au
langage.
L’évènement n’appartient pas au registre des corps. Il y a un moment où il y a bataille, un seuil est
franchi qui fait qu’un effet incorporel se dégage et qu’il y a bataille. Effet de franchissement de
seuil qui fait évènement.
La bataille n’a que du sens et est irréductible aux trois dimensions de la proposition.
Irréductibilité de l’évènement à la proposition. On ne peut pas saisir l’évènement puisqu’il est
césure.
Il y a de l’incorporel qui accompagne les rapports entre les corps, en tant que cela appartient
au langage.
Les incorporels sont ce qui se dit des choses. C’est par là que surgit qch de nouveau qui est le
sens, cad ce qui se dit des choses. La bataille sera le sens de ce qu’il advient des corps en train de se
mêler à la poussière, aux chevaux, etc. Le sens est intérieur au langage puisqu’il se dit des
choses, et en même temps c’est des choses qu’il se dit donc il est à la surface des choses. Le
sens est dans l’entre-deux : entre les choses et les propositions.
Cours 2 :
Le sens est entre les choses et les propositions. La bataille est le sens de ce qui arrive mais ce qui
arrive est d’une toute autre nature puisque cela ne concerne que les corps. « Le sens est exactement
à la frontière des propositions et des choses. ». Le sens est entre la série des propositions et celle des
états de choses et c’est cela l’incorporéité. Les corps ne produisent aucun effet si ce n’est un effet
incorporel. A quel moment se produit l’évènement incorporel qui fait que l’on dit de qqn qu’il est
chauve ? Cf stoïciens.
Sorte d’entité qui appartient aux propositions en tant que le sens est ce qui se dit des choses. Il est
entre les deux. Le sens se définit alors comme un évènement. C’est l’évènement en tant que
c’est l’effet qui se dégage du rapport causal des corps les uns avec les autres. On voit bien en
quoi le sens peut être distinct des choses auxquelles il renvoie. On voit bien en quoi le sens peut être
indépendant des corps (verdoyer est qch qui ne peut pas être vu). Mais en quoi l’évènement est-il
irréductible aux trois dimensions que l’on reconnaît à la proposition ? Ce sont la désignation,
la manifestation et la signification. L’usage exhaustif de la proposition est désignation,
manifestation, signification. Ces trois dimensions de la proposition sont en rapport de
présupposition l’une avec l’autre. Les 3 dimensions de la proposition se supposent les unes les
autres. Cela veut dire que l’on ne peut pas engendrer ce qui fait qu’une proposition a du sens à
partir de ces 3 dimensions là parce que l’on est pris dans un cercle où chacune présuppose l’autre.
On est dans l’impossibilité d’engendrer ce qui fait sens à partir de ces 3 dimensions. Il faut
trouver d’autres exemples qui témoignent de l’irréductibilité du sens par rapport à la proposition.
L’enjeu est double. D’un côté le sens est irréductible aux états de choses dont il se dit. La
bataille est irréductible aux corps qui livrent bataille. L’acte de couper est irréductible au couteau
qui coupe et à la pomme coupée.
Indépendance du sens par rapport aux dimensions de la proposition. Mais on pourrait penser
que l’on peut tout à fait rabattre ce que l’on dit sur une seule de ces dimensions. Deleuze est
contraint de prendre des cas où il y a du sens sans que cela puisse renvoyer à aucun état de
choses possible. C’est là qu’intervient Lewis Carroll. Il propose des situations où ce qui est dit
n’a que du sens. Cela ne désigne rien, cela ne manifeste aucun contenu mental et cela n’a
aucune signification. Ex : le sourire sans chat. Cela ne désigne rien, ne manifeste aucun contenu
mental et n’a aucune signification et pourtant cela a du sens. Ou alors, autre ex que D tire chez
Meinong. Les objets apatrides n’ont pas de lieu, ils sont extra-être mais ils ont une manière
d’exister : la montagne sans vallée par ex. Ce sont des objets impossibles qui n’ont aucune
signification et qui pourtant ont du sens. Dans la mesure où ils n’ont ni signification, ni
désignation, ni manifestation, ils n’ont que du sens. Ils tiennent le sens qui est le leur de leur
non-sens (au sens anglais, non-sense). Le non-sens est générateur du sens, c’est ce qui donne
son sens au sens, c’est ce qui fait que le sens fait sens.
Il est question ici de qch qui ne peut être que dit, qui n’existe que parce qu’on le dit. Ex du
cercle carré. En ce sens, il existe (au sens de Meinong) des objets apatrides qui sont intérieurs
au langage. Ils sont si intérieurs au langage et au langage seul, ils appartiennent si bien au
langage qu’ils sont comme l’envers du langage, au sens où ce sont des non-sens. D’une
certaine manière, ce sont des non-sens en tant qu’ils n’ont que du sens. C’est leur non-sens qui
fait qu’ils n’ont que du sens.
Du côté des états de choses, c’est une forme d’extra-être qui a le minimum d’existence des objets
qui ne peuvent être que pensés et qui ne peuvent occuper aucune place des objets possibles au réel
puisque ce sont des objets impossibles. Ils sont donc à l’extérieur de l’être mais ils occupent une
situation précise et distincte à l’extérieur de l’être dans la mesure où on en parle. Le non-sens est à
la fois ce qui n’a pas de sens et ce qui est donateur de sens. Par là, le non-sens, en tant qu’il est
donateur de sens, nous fournit la condition génétique du sens. La logique (au sens de genèse)
du sens est le fait que le sens est engendré, puisqu’il en est inséparable, par le non-sens. Le
non-sens est l’engendrement du sens.
Le non-sens, dans son rapport avec le sens, est ce qui échappe. En en parlant, je le laisse
échapper. Je peux démultiplier le non-sens sur une sorte de surface mais je peux également
l’extraire d’une situation, d’un état de choses, qch. J’extrais qch de ce qui est manifestable,
signifiable, désignable. Ce qui est caractéristique de l’évènement est que l’on ne peut pas le
saisir puisqu’il est césure. Il n’est pas saisissable dans son effectuation. Il y a toujours une part
idéelle de l’effectuation. Il y a qch d’incorporel dans le fait de dire il y a bataille, c’est
l’idéalité de l’effectuation de l’évènement.
Il y a des choses que seule la pensée peut penser.
Séparation entre le monde des corps et le monde du sens en tant qu’il est généré par le non-
sens.
Quel intérêt d’avoir une logique qui ne vaut que pour les exemples du type cercle carré ? Cela
renverrait la question du sens à une sorte de domaine parfaitement gratuit et stérile. Si l’on s’en tient
à LC on en reste au niveau de la reine de pique, du sourire sans chat… Le snark est ce qui n’a que
du sens parce que c’est un non-sens. C’est seulement ce qui est non-sens qui peut produire du
sens.
Il y a qch que je ne peux pas dire et c’est parce que je ne peux pas le dire que je veux essayer
de le dire. Il se passe qch qui est de l’ordre de l’événementialité et que je peux saisir que dans
le langage. La littérature doit tordre le langage pour parvenir à dire ce qu’elle a saisi. C’est pour
cela que la littérature se situe aux limites du langage.
Seul le sens est irréductible aux corps. « Le langage est rendu possible par la frontière qui le
sépare des choses, des corps et non moins de ceux qui parlent. » p.194 Autrement dit, le langage
est rendu possible par le sens. p.217 : « Le langage est rendu possible par ce qui le distingue. » De
quoi ? Des corps. La seule chose qui distingue le langage des corps puisque ce n’en est pas un,
c’est le sens en tant qu’il est incorporel. Il faut une contre-épreuve de cet argument. Qu’est-ce qui
se passe si on perd le sens ? Le langage ne peut plus se distinguer du corps. Il redevient un corps,
cad un bruit, un flux sonore. Le sens incorporel, comme résultat des actions et des passions des
corps, ne peut préserver sa différence avec le nom d’une cause corporelle, que dans la mesure où il
se rattache à une quasi-cause, elle-même incorporelle. Si on perdait le sens, le langage ne
signifierait plus rien, il ne manifesterait plus rien, il ne signalerait plus rien.
Il y a un cas et ce cas c’est la schizophrénie d’Artaud. Il est celui pour qui les mots deviennent
des réalités matérielles avec des sonorités incisives qui pénètrent le corps. « Dans cette faillite
de la surface, le mot tout entier perd son sens. ». Le langage tel qu’il est, tel qu’il est articulé, me
vole ma pensée, me dépossède de ma pensée. Le schizo éprouve que le langage est un corps qui le
blesse mais en plus il sent qu’on lui a organisé son corps et que la manière dont Dieu lui a organisé
son corps le fait souffrir. Il faudrait un langage qui soit plus articulé et un corps sans langage. La
fêlure qui le traverse de part en part fait qu’il ne pourra jamais reconstruire une surface.
Non-sens des profondeurs = infra-sens (c’est l’impossibilité dans laquelle la pensée se trouve
de produire le moindre langage articulé). On a deux pôles : le pôle LC et le pôle Antonin
Artaud. L’un rend possible le langage et l’autre est une sorte d’effondrement dans la
profondeur.
Cours 3 :
D affirme que le sens est ce qui rend le langage possible. Le langage est rendu possible par ce qui le
distingue des corps, en tant précisément qu’il est incorporel. Dégager les conditions tr du langage. Il
est engendré par le sens compris par non-sens. Ce n’est une genèse empirique. Saut noétique par
quoi on passe de l’usage de certains mots à l’idée du langage en tant que structure.
Cf logique du sens : genèse empirique (celle de l’apprentissage progressif du langage, du voc, de
la syntaxe, …) et genèse idéelle et tr qui fait que l’on accède au tout virtuel qu’est le langage,
depuis lequel nous formerons les énoncés qui seront les nôtres.
« A un moment, on accède au tout du langage, parce qu’on entre dans l’élément du sens
(irréductible à la signification, la signalisation, la manifestation). De quelque manière que le
langage soit acquis, les éléments du langage ont du être donnés tous d’un coup, puisqu’il… ».
Série signifiante qui opère au niveau du langage comme totalité virtuelle puis acquisition
progressive de totalité produite. C’est le paradoxe de Robinson. Il faut bien qu’il y ait une totalité
virtuelle qui précède l’acquisition partie par partie. La genèse idéelle, à savoir le tout du langage qui
advient à la pensée, est tout à fait distincte de la genèse empirique, qui est progressive, discursive,
…
Le langage est rendu possible par ce qui le distingue. Si le langage ne se distingue plus de ce
dont il est censé se distinguer, alors il redevient un corps et à ce moment là on se retrouve
confronté au danger de la schizophrénie. Tout est perdu et on retombe dans l’infra-sens. Le
langage devient un corps, compte-tenu du fait qu’il n’y a que des corps. On voit que le sens a
disparu lorsque le langage devient un corps, cad lorsqu’il ne se distingue plus des corps.
Dans la schizo les mots perdent leur sens, le langage perd son sens. « Dans cette faillite de la
surface, le mot tout entier perd son sens. Il garde peut-être un certain pouvoir de désignation
(ressenti comme vide), un certain pouvoir de manifestation (ressenti comme indifférent), un certain
pouvoir de signification (ressentie comme fausse). »
La surface du sens par laquelle se déploie la pensée s’est fissurée et s’ouvre sur les
profondeurs de l’infra-sens, cad le gouffre de la psychose. D parle d’Artaud comme profondeur
absolue. Opposition entre le sens comme production d’une surface idéelle et l’infra-sens qui
est profondeur absolue. Il y a une véritable polarité entre surface et profondeur. Il y a qch que le
schizo ne supporte pas dans le langage et dans toute cette activité de surface générée par le sens,
c’est le fait que le langage soit articulé (à corréler avec l’organisation du corps comme organisme).
Le schizo ne supporte pas que sa pensée soit articulée par le langage tout comme il ne
supporte pas que son corps soit articulé comme un organisme. Le schizo sent le principe
d’articulation agir sur lui et il en souffre, comme si on le dépossédait de sa vitalité propre. Tout lui
est dérobé en vertu même de ce principe d’articulation. C’est pourquoi au langage articulé le
schizo oppose les mots sourds et au corps articulé il oppose le corps sans organe (comme ce
qui repousse l’organisation propre à l’organisme, cad la promotion d’un corps non-organisé,
d’un corps lisse, amorphe et surtout impénétrable, dans la mesure où il est fluide aucune
articulation ne peut entrer en lui pour le désosser où l’obliger à supporter certaines
contraintes organiques).
2 pôles : Tout ce qui concerne la surface et la production du sens et qui relève de la structure =
ce qui se déploie à partir du sens comme étant la case-vide ou l’élément générateur de cette
structure VS profondeur du corps sans organes et les cris inarticulés du schizo. Pôle Lewis
Carroll VS pôle Antonin Artaud. 2 paires d’yeux qui témoignent l’une de la production de
surface l’autre de l’engloutissement dans la profondeur. On peut concevoir cette polarité
autrement, à l’aide de catégories cliniques : le pôle de la perversion (LC) d’un côté et celui de
la schizo de l’autre (AA).
3e pôle dans logique du sens, qui serait celle de la névrose.
Quel est le perso conceptuel ou la cat clinique favorisée par D ?
cf textes de la même période : L’opération psychologique privilégiée est celle de la perversion,
c’est l’activité philosophique par excellence. Pervertir est philosophique.
Cf analyse de Masoch + article Klossowski + analyse Robinson de Tournier (Il faut imaginer
Robinson pervers. R devient un perso philosophique en tant qu’il est pervers.).
cf psychopathia sexualis : livre qui recense toutes les perversions liées à la sexualité.
Les coupeurs de nattes sont un danger social très important. D ne résiste pas au plaisir de voir les
auteurs perdre pied quand il s’agit des coupeurs de nattes.
La perversion consiste à obéir à la loi, aux règles fixées dans le contrat avec la maîtresse, avec
un zèle si grand que l’on est puni et que la punition est en réalité l’obtention d’un plaisir. On
obéit avec tellement de zèle à la loi que l’on finit par obtenir ce qu’elle est censé interdire. On
pousse un principe si loin que l’on finit par le retourner en son opposé. C’est exactement ce
que fait D fait avec certains auteurs, où il pousse si loin la logique de certains auteurs qu’ils
finissent par se retourner contre eux-mêmes (selon D). C’est une méthode philo pour D :
suivre un auteur jusqu’au point où on le retourne (=faire un enfant dans le dos pour D). La
perversion est l’opération philo principale. Elle l’emporte parce qu’elle passe entre l’ordinaire
de la névrose et l’effondrement de la psychose, en étant la doublure de chacune, parce qu’elle
instaure cette surface métaphysique qui rend possible cette pensée dans la pensée.
Cf p. 173 logique du sens.
Passer entre l’ordre névrotique et le chaos psychotique = perversion. Entre la névrose et la
psychose on a la perversion comme art des surfaces et comme art du pliage des surfaces.
Si on lit le D de ces années-là, la perversion est le modèle philosophique par excellence de ces
années-là.
Mais phrase suivante : « Pour tout Carroll on ne donnerait pas une page d’Artaud. » (et suite, cf
page 114).
D’un côté Artaud et le droit imprescriptible qui est le sien, compte-tenu des souffrances
abominables qu’il a traversées. Artaud est l’affirmation d’un droit qui est celui de dire je n’arrive
pas à penser et j’ai le droit de témoigner en faveur de cette impuissance à penser et qui peut être le
lieu à partir duquel s’engendre la plus forte puissance de penser.
D’un côté valorisation de la perversion et de LC, caractérisé comme un logicien pervers, qui va
jusqu’au bout de la logique pour la renverser en non-sens. Mais importance du schizo, qui va être au
centre de l’AO. Peut-être que c’est finalement la figure de la schizo qui l’emporte.
« Mais Carroll reste le maître et l’arpenteur des surfaces que l’on croyait si bien connues que l’on
ne les explorait pas, où pourtant se tient toute la logique du sens. »
Logique du sens repose avant tout sur Carroll. D’un côté il faut faire droit à l’impuissance schizo
d’Artaud mais de l’autre il faut faire droit à l’instauration d’une logique du sens comme ce qui rend
l’exercice de la pensée possible. Le perso conceptuel du structuralisme que soutient D à ce moment-
là ne peut pas être le schizo en droit. Le héros du S deleuzien est le pervers, en tant qu’il assure
la logique du sens, tandis que le schizo est réfractaire à tout ce qui est d’ordre structural, si
bien qu’il tombe hors de la surface, dans les profondeurs de l’infra-sens.
Il ne s’agit pas de choisir entre le pervers et le schizo puisque D choisit les deux. Il s’agit d’établir
le droit du sens contre ceux qui le rabattent indûment sur les dimensions de la proposition.
Faire valoir le droit du sens et permettre ainsi la constitution d’une nouvelle surface métaphysique
et de l’autre faire droit aux revendications du schizo, à son infra-sens des profondeurs. Si la
perversion semble l’emporter malgré tout dans ce non-choix, c’est qu’il faut bien sauvegarder le
sens et la structure que le sens rend possible. C’est en ce sens-là que D est structuraliste. Il est S
contre les revendications du schizo, auquel il veut pourtant faire droit. Il est dans une sorte de
tension : il voit bien qu’il y a une présence du schizo mais le schizo tombe en dehors de la
juridiction de la structure, pour autant qu’elle est inséparable de la logique du sens.
G est malin parce qu’il sait lire. L’article « machine et structure » n’est pas un compte-rendu de
lecture. L’idée générale du texte de G : ce qu’il veut établir est que chaque structure
contingente, en tant qu’elle s’exerce historiquement, est hantée par un système de machines. Il
y a un fantôme dans la structure et le fantôme de la structure est une machine, au minimum une
machine logique. Pour définir la structure, G s’en remet à deux des conditions fixées par
l’article de D : l’hétérogénéité entre séries et la relation différentielle des termes entre eux.
Mais la 3e condition pour qu’il y ait structure selon D, à savoir le fait que les deux séries convergent
vers un élément différenciant et qui se différencie de lui-même. Les deux séries convergent dans
leur différence parce que l’élément convergent diffère de lui-même. Frumieux manque à sa
place, ce n’est ni furieux ni fumant, c’est les deux à la fois, il n’a pas de place mais fait se
conjoindre la série fumante et la série furieuse.
Ce 3e élément =X qui ne cesse de différer de lui-même lui semble devoir être rapporté
exclusivement à l’ordre de la machine. D ne le sait pas, mais il a déjà mis une machine dans la
structure. G pense que son S est déjà machinique (M). Le S de D serait comme déjà hanté par
un M.
Il précise la différence machine-structure par rapport au fait subjectif. Le sujet est toujours enserré
dans une ou plusieurs structures et si cette structure se défait c’est au profit d’une autre structure qui
la récupère et la retotalise. Elle retotalise les membres épars de la première structure. Dans le fond
on peut tout à fait passer d’une structure à une autre par déplacement par ex. Le sujet est au centre
de la structure qu’il ne cesse pas d’actualiser. Mais la machine « demeure excentrique par essence
au fait subjectif, le sujet y est toujours ailleurs. Le surgissement de la machine marque une date, une
coupure, non-homogène à une représentation structurale. »
Il y a qch d’extérieur à la structure qui vient la couper transversalement, la barrer, la faire muter.
C’est un processus révolutionnaire très local. La machine surgit comme qch qui ne peut pas être
totalisé dans une nouvelle structure en tant que coupure.
D sait lire G. La coupure est événementielle. C’est qch qui arrive du dehors à la totalisation
qu’est une structure. Le sujet y est toujours ailleurs. Le sujet est toujours excentré par
rapport à la machine, puisqu’il est toujours au centre de la structure. Il est adjacent à la
machine, celle-ci ne lui permettant pas d’occuper le centre. Si on pense que la machine est la
libido, alors le sujet est toujours excentré par rapport à l’intensité libidinale qui le traverse.
On a déjà affaire à qch qui est de l’ordre de la schizo, cad d’être extérieur au processus par
lequel pourtant la structure dont j’occupe le centre se défait. Irruption d’une libido (ou d’autre
chose), par rapport à laquelle je suis excentré (je ne sais pas que c’est moi à qui c’est en train
d’arriver), qui fait qu’il y a coupure avec moi qui est au centre de la structure et qui l’actualise. La
machine n’est pas dans l’histoire, elle est coupure de l’histoire. A ce titre elle est évènement.
Elle n’est pas sujet mais coupure du sujet. La machine est une coupure ou un évènement, en
tant qu’elle vient de l’extérieur par rapport à la totalité que forme la structure, à la totalité
virtuelle qu’est la structure. Même la machine technique est coupure, dans le sens où avec une
machine je dois repartir à zéro, je romps avec la transmission d’un savoir-faire artisanal. Elle est
coupure par rapport à la transmission historique des métiers. Le travail humain, dès lors que l’on
passe aux machines, devient un sous-ensemble résiduel par rapport à la machine. Il est excentré par
rapport à la machine. On a la même situation qu’il s’agisse du fait subjectif ou de la réalité de
l’intrusion de la machine dans l’histoire des techniques.
Extériorité constitutive de la machine, ce serait ce qui vient toujours du dehors, au sens
ordinaire du mot dehors. Tout lui est extérieur et elle est extérieure à tout. La structure, au
contraire, aurait l’intériorité de sa totalité (ex du langage). Or, dans la case vide, cet élément
différenciant qui perturbe en même temps qu’il assoit le fonctionnement de la structure, G y
voit qch de machinique. L’opération de la machine est la coupure en tant que non-sens
distributeur de sens. Voilà en quoi le 3e élément différenciant est machinique.
« L’essence de la machine est précisément cette opération de détachement d’un signifiant comme
représentant, comme « différenciant » (élément qui diffère de soi), comme coupure causale
hétérogène à l’ordre des choses structurellement établies. »
La machine est ce qui vient couper la structure. Glissement dans la lecture de G par rapport à ce
que D a signifié. Que veut dire coupure signifiante, telle que G l’utilise ? (La coupure renvoie à
des théorisations lacaniennes.) C’est une coupure qui est non pas significative mais opérante au
niveau du signifiant. C’est une coupure qui redistribue les significations. Elle ne peut advenir
que dans et par l’inconscient. Ex de G : dans La causalité, la subjectivité et l’histoire de G.
« Entre l’histoire révolutionnaire comme coupure signifiante et l’histoire développement comme
signifié, il faut opter. … ».
Tant que c’est dans le signifié que ça change, et bien ça ne change pas. Pas de coupure au niveau du
signifié, cad pas d'événementialité possible au niveau de l’histoire évènement.
D et G ont tous les deux une même conception de l’évènement. Il s’est passé qch qui change tout. Il
y a bataille.
« Ce qui a complètement changé, c’est le sens de toutes les significations, cad qch qui s’est produit
dans le signifiant. » Cela se voit dans la redistribution du signifié.
Ce n’est pas la transformation d’une même structure, c’est le passage d’une structure à une autre,
c’est pourquoi il y a coupure. Dans le S, le S n’est structuraliste que parce que l’on compare des
structures l’une à l’autre pour montrer qu’une structure est une transformation de l’autre, la 3 e de la
seconde etc. Variations et invariants qui se dégagent de ces variations et par les transformations de
la structure. Une structure est un transformat. Il y a qch qui est irréductible à la
transformation, c’est cette coupure signifiante. Qch a fait irruption qui fait que la structure s’est
« cassée la gueule ». C’est l’entre-deux structures comme évènementialité qui compte et cela, le
S n’arrive pas à le penser selon G, en dépit que le transformat soit l’essentiel du S. Le S
n’arrive pas à penser l'événementialité à savoir la machine. L’évènement est le non-structural
entre deux structures, c’est le machinique.
NB : Le véritable objet du S est la transformation des structures les unes dans les autres.
Qu’est-ce qu’il y a d’important pour D dans ce que dit G ? Il suppose qu’il y a une extériorité de la
structure qui s’appellerait machine. Chez D, on se trouve dans une situation où soit on occupe la
surface déployée par la structure en tant que logique du sens, soit on tombe en dehors, dans les
profondeurs de l’infra-sens. Soit l’évènement est intérieur au sens, à la sphère du sens (puisque
le sens est le sens de l’évènement et l’évènement est l’advenu du sens. Il y a bataille est
l’évènement et le sens de ce qui arrive. L’évènement est ce qui arrive et le sens est le sens de ce
qui arrive.), soit l’évènement est un effondrement, tel qu’il n’y a plus d’évènement. C’est une
disjonction exclusive, ou l’un ou l’autre, ou perversion ou névrose (mais on se fait chier dans la
névrose, c’est l’histoire développement comme signifié, on n’en finit avec rien) ou psychose. C’est
exclusif, c’est ou l’un ou l’autre, ou LC ou A. Ce que dit G est que cette disjonction n’est pas
forcément exclusive. Il faut simplement concevoir que l’évt n’est pas intérieur à la structure
mais extérieur. Il s’agit de concevoir une extériorité de la structure. L’évt n’est pas constitutif
de la structure en tant que donateur de sens, comme cause idéelle ou quasi-cause. Il est ext à la
structure en tant qu’il la coupe, en tant que coupure signifiante. Il est l’accident de la structure. Il est
ce qui arrive de l’ext à la structure ou au sens, cad au signifiant. Il est la coupure du signifiant donc
il arrive au signifiant sans être pour autant effondrement définitif de la structure dans la névrose. Il
n’y a plus de ou bien ou bien à condition de penser l’évt autrement, à partir de la structure et
de la machine. La machine n’est plus simplement la coupure ext à la structure mais à certains
égards également la raison d’être de la structure. C’est la coupure qui explique les mutations
par lesquelles passe la structure. Il y a qch que le S laisse en dehors de son champ explicatif, ce
sont les mutations par lesquelles elle est affectée.
Ce qui anime D dans Différence et répétition, c’est de satisfaire aux exigences du principe de
raison. Mais pour que tout puisse s’expliquer il faut renoncer à la raison parce qu’elle ne rend pas
raison de l’irrationnel. Au nom-même du principe de raison il faut renverser la raison pour proposer
des principes explicatifs d’un autre type. G dit dans le fond la structure ne peut pas rendre
compte de l’évt, de la coupure qui va la constituer. Si on veut adopter le principe de structure il
faut développer une philo de ce qui est ext à la structure, à savoir cette coupure signifiante, cette
évènementialité qui la fait muter,et non pas simplement des traductions et des correspondances qui
font que l’on ne sort pas de la structure. Le S ne peut pas rendre raison de ce qu’il laisse en
dehors de la structure, comme étant des ratés, de la diachronie, des accidents… Ce point est
décisif pour D, en raison de la revendication du principe de raison suffisante : il faut rendre
raison de tout ce qui est. Si D suit G, alors il faut tout réaménager. Il ne s’agit pas de tout
détruire, mais il faut tout redistribuer, tout réaménager.
NB :
Transformation → la forme de la structure change, simplement les termes de la structure peuvent
être déplacés.
Mutation → la structure telle qu’elle opérait n’opère plus donc on repart à zéro, quitte à ce que cela
produise de nouvelles structures. Qu’est-ce qui fait que qch qui existait ne peut plus exister ? Cette
mutation est l’évt : il s’est passé qch, qu’est-ce qu’il s’est passé pour que ? C’est une redistribution
des puissances et des possibilités.
Toute structure est une restructuration permanente.
La machine hante la structure, l'événementialité est toujours là, toujours possible, potentielle.
Une structure étant donnée, elle ne peut pas rendre raison de l’évt qui l’affectera du dehors
puisque cet évt sera sa liquidation. Si une structure pouvait anticiper sur l’évt qui viendra la
déstructurer, elle le ferait et se changerait de manière à ne pas avoir à disparaître, cad à éviter
la déstructuration.
Cours 4 :
L’AO est un livre sur le désir, sur la logique du désir en tant qu’il est inconscient, en tant que
libido. C’est ce que la psychanalyse a renommé libido.
Cf Lyotard économie libidinale.
La question logique d’ensemble est celle-là : comment ça marche le désir ?
Le désir est une machine. Or ce qui définit une machine est son fonctionnement. Donc il est
cohérent que l’on pose la question du fonctionnement du désir. Si le désir est machine, cela veut
dire que le désir est un évt extérieur à la S et un évt par rapport auquel le sujet est adjacent ou
périphérique. Comment marche le désir devient avec D quelle est la logique de la machine
qu’est le désir. Dire le désir est machine permet de comprendre d’emblée le concept central du livre
de machine désirante. La machine désirante est le désir en tant qu’il est machine ou la machine
en tant qu’elle est machine de désirs. Par essence, par définition le désir est machine et non S.
« Les machines désirantes sont la catégorie fondamentale de l’économie du désir (ou logique
du désir). »
On ne peut pas parler de la machine désirante puisque par définition toute machine est
couplée à une autre machine. Il n’y a pas de machine isolée, même dans les machines célibataires,
qui sont toujours des machines de machines. Il ne s’agit pas de dire les individus sont des machines
désirantes. Machine désirante veut dire que si je suis MD je suis couplé à d’autres MD elles-mêmes
couplées à des MD et ce de façon illimitée. Cf Leibniz « machine de machines ». Toute machine
est une machine de machines. Il y a plusieurs types de machines (désirantes, sociales, techniques,
méga machines…). Tout est machine mais il n’y a que des machines de machines. La machine est
un concept qui implique la multiplicité. Pour autant qu’il n’y a que des machines (au niveau où
on se situe ici), alors on peut parler de machinisme. C’est le M qui rendra raison des S
éventuelles, la S étant insuffisante pour rendre raison de l’intégralité de ce qui est, ce qui reste
l’ambition de D.
Chez G on a déjà vu toute l’extériorité du désir par rapport aux S politique, familiale, etc. la
coupure est toujours une sorte d’irruption du désir en tant que machine. On pressent que le désir a
qch de révolutionnaire au sens où il a pour vocation et comme spontanément de défaire la
structure, du seul fait de son mode de fonctionnement machinique.
L’hypothèse de l’existence des machines désirantes nous donne une idée du programme qui s’ensuit
nécessairement. On n’a pas le choix. Une fois établi cela, l’ordre des tâches qui s’ensuit pour le
reste de l’ouvrage est tracé. Un programme philosophique s’engage automatiquement, du seul
fait de l’identification désir = machine.
On doit se confronter aux autres conceptions du désir, au premier rang desquelles il faut
placer la psychanalyse structurale. Le concept de machine désirante, qui ne se conçoit pas en
fonction de la forme de la S, entre en conflit direct avec la psychanalyse. Quel est le complexe
(rouage d’un désir libidinal inconscient) dont on dit justement qu’il structure, sinon
réellement, au moins symboliquement ? C’est le complexe d’Oedipe. Il joue un rôle
structurant dans la formation de l’inconscient. On comprend que définir le désir comme
machine suppose nécessairement de se confronter à la psychanalyse pour autant qu’elle conçoit la
structuration du désir à partir du complexe d’Oedipe comme ce qui fait que …
« Oedipe devient donc maintenant pour nous la pierre de touche de la logique. »
Pour D c’est une question de logique : quelle est la logique du désir ? Celle qui renvoie aux
machines ou celle héritée de la psychanalyse structurale ? Est-ce que la conception que la
psychanalyse se fait du désir est logique ou est-elle truffée de paralogismes, cad de fautes logiques
au sens où elle déforme le mode de fonctionnement de la machine désirante ? Ils font la liste des
paralogismes que l’on rencontre dans la psychanalyse. Toute la question est de savoir si la
thèse défendue par la psychanalyse (l’inconscient structuré par Oedipe) depuis ses débuts est
fondée, cad est-ce qu’on peut dire que le désir est en droit structuré par le complexe d’Oedipe,
cad qu’il obéit à une logique de type structurale ? Que l’inconscient soit structuré en fait par
O, c’est incontestable. En fait, les inconscients, notamment en régime capitaliste, sont structurés
par le complexe d’O. Il ne s’agit pas de contester la réalité du complexe d’O, le fait que les
inconscients soient oedipianisés. C’est un des constats de l’AO. Toute la question est de savoir
si ce fait qui atteint une forme d’universalité peut être élevé au niveau du droit. Est-ce que ce
qui vaut en fait peut valoir en droit ?
Est-ce que l’on peut, une fois admis le fait irrécusable de l’oedipianisation de l’inconscient,
d’ériger cela en définition de l’inconscient en droit ? De quel droit décalquer une déf en droit
de l’inconscient à partir d’une réalité de fait ?
Cf passage de la question kantienne quid facti à la question quid juris : le fait étant établi,
qu’en est-il en droit ? Le fait de la connaissance étant établi, qu’en est-il de la question des
conditions de possibilité de la connaissance en droit ? D reproche de concevoir la Critique de la
raison pure comme une réflexion. Une fois établi que je connais en fait, que puis-je connaître en
droit ? D reproche à Kant de décalquer le droit du fait : c’est la question de la déduction. D
reprend cette question, c’est la même question qu’il instruit au cours de l’AO. C’est une question
kantienne que posent D et G à la psychanalyse : est-ce que vous avez le droit de faire ce que
vous avez fait, de faire d’O qch qui revient en droit à l’inconscient, qui caractérise en droit la
structure de l’inconscient ? Il en va de la définition du désir, puisque ici désir et inconscient sont
synonymes. C’est une question de type kantien qui doit être posée en tant que philosophe, en droit,
cad au niveau d’une déduction.
« L’AO avec une ambition kantienne : il fallait tenter une sorte de la critique de la raison pure
au niveau de l’inconscient, d’où la détermination de synthèses propres à l’inconscient (ce sont
des synthèses propres à un inconscient indépendamment de son oedipianisation de fait). »
Répondre à cette question (est-ce que l’universalité en fait d’O renvoie à une universalité en droit),
qui correspond à la question de la déf du désir, exige au moins deux réponses : est-ce que la
psychanalyse parvient à penser la logique du désir en le pensant comme nécessairement oedipianisé,
cad en le pensant à partir du complexe d’O, et d’autre part à partir d’une logique structurale ?
La tâche est à la fois positive (donner une nouvelle déf du désir) et critique (récuser les autres
définitions du désir si elles sont invalides en droit).
S’il fallait déf d’un mot très général le désir, indpt du fait qu’il est machine, il faudrait dire du
désir qu’il est liaison. Le désir produit des liaisons. Le désir est synthèses (NB : au pluriel). La
synthèse n’est jamais qu’une liaison, cad ce qui fait tenir ensemble des termes ou des éléments
hétérogènes entre eux. Désirer c’est lier en étant lié par les liaisons que le désir produit. C’est
l’investissement libidinal. D avait déjà proposé une théorie du désir dans diff et rép. Les synthèses
du temps sont présentées d’abord d’un point de vue philosophique puis seconde présentation des
synthèses du temps, cette fois ordonnée à la question de la liaison de la libido en vue de la
satisfaction d’un désir, selon les trois synthèses du temps exposées dans diff et rép. Dans cette 2 e
exposition, plus analytique que la première, l’important c’est la liaison, cad comment se lie la
libido, qui est en même temps conçue comme synthèse du temps. L’AO définira le désir à partir de
synthèses, cad de liaisons. Il y aura aussi trois synthèses mais elles ne viennent pas de diff et rép,
elles viennent de la lecture de Marx. La déf générale du désir est qu’il est liaison et synthèse, ou
investissement libidinal, ou bien encore machine de machines. Toute la question sera de savoir
en quoi consistent les liaisons du désir quand on le conçoit comme machine ? A quels types de
liaisons a-ton affaire en droit et en fait ?
Si le désir est machine, et si le désir, en droit, n’obéit pas à la même logique que celle à laquelle il
obéit en fait, …
Le reproche que D adresse à Kant c’est précisément de décalquer le droit du fait par
réflexion. Kant veut dégager par la réflexion les conditions a priori par lesquelles la
connaissance a posteriori s’exerce. Il lui reproche de concevoir l’image en droit de la
connaissance à partir de l’exercice en fait de la connaissance. Le transcendantal que parvient à
dégager Kant, à savoir ce que la pensée peut connaître en droit, est à l’image de l’empirique. C’est
donc un transcendantal qui est déclassé en tant que tel puisque il est à l’image de ce qu’il est
supposé rendre possible. Comment qch qui existe peut être conditionné par qch qui est à
l’image de ce qch qui existe ?
D récuse l’idée que le transcendantal puisse être décalqué de l’empirique ou que ce qui vaut
en droit puisse être décalqué de ce qui vaut en fait. Il ne doit pas y avoir de relation de décalque
entre le droit et le fait. Il doit y avoir une différence de nature entre ce qui fonde et ce qui est
fondé, entre ce qui est condition et ce qui est conditionné. Alors on peut arriver à un tr lavé de
l’accusation d’être l’image de l’empirique.
De quel droit pouvez-vous dresser une image telle de l’inconscient à savoir que vous le
décalquez du fait ? Avez-vous le droit d’affirmer qu’O est une condition en droit de
l’organisation de l’inconscient ?
Si on accepte que le désir est machine et si on suppose que le désir n’obéit en droit pas à la
même logique que celle à laquelle il obéit en fait, quand bien même ce fait aurait une forme
d’universalité, toute la question va être de savoir comment le désir, s’il se définit comme
réfractaire à toute cette organisation structurale dont on a parlé, peut se retrouver dans la
situation où il est oedipianisé ?
Si on pose cette question il faut faire une histoire de l’inconscient. Il va falloir produire une
histoire de l’inconscient. O ne peut plus être l’invariant anhistorique construit par la psychanalyse,
elle-même secondée en cela par l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss. O cesserait d’être un
invariant structural pour devenir une production historique. Quelles sont les forces qui ont
oedipianisé l’inconscient à l’intérieur des formations sociales ? Quel type d’histoire va-t-il
falloir produire pour montrer comment l’inconscient a été oedipianisé ? Cela serait tenter une
histoire de l’inconscient, cad une histoire des investissements libidinaux, cad des liaisons. On
peut encore préciser la question : comment les formations sociales ont-elles réussi à lier le
désir, à lier la libido ? Comment opère la désirabilité des champs sociaux ? Qu’est-ce qui fait
qu’un champ social est désiré au point de tout investir en lui ? Comment se fait-il que les
individus luttent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur liberté ? Comment se fait-il
que les individus se sont laissés prendre par la désirabilité des champs sociaux ?
Cours 5 :
L’anti-Oedipe aurait une exigence kantienne : soumettre la notion de désir à la questio juris de la
répartition du droit et du fait. Le désir est universellement oedipianisé en fait mais l’est-il en
droit ? Cela suppose un examen critique des positions de la psychanalyse sur le désir. Peut-on
penser le désir à partir de sa structuration par le complexe d’O, cad à partir d’une logique
structurale. Si le désir se définit comme machine on pressent que la réponse sera négative. Première
tâche, qui est double : critiquer la psychanalyse et proposer une autre conception du désir.
Si le désir est machine et s’il obéit à une logique autre que celle du triangle oedipien, comment
s’est-il retrouvé universellement oedipiniasé ? Si le fait n’est pas légitime en droit, il faut
malgré tout l’expliquer.
Cette question implique de considérer qu’O n’est plus un invariant an- ou transhistorique
mais qu’il doit être considéré comme une production historique. Cela suppose de produire une
histoire de l’inconscient, des investissements libidinaux et ce sera celle de leur oedipiniastion
progressive, pour expliquer comment on en est arrivé au fait de l’oedipianisation des
inconscients. La 2e tâche serait de dresser le tableau historique de l’oedipianisation des
inconscients, qui se confondra pour D et G avec une histoire universelle.
3e et dernière tâche à accomplir : pour cela il faut d’abord préciser ce qu’est cette histoire. Il
faut faire l’histoire des investissements du désir dans les formations sociales. Comment le désir
a-t-il investi les diverses formations sociales ? Il faut faire l’histoire de la manière dont les
formations sociales se sont rendues désirables. Autrement dit, il faut faire l’histoire de la
désirabilité des sociétés. Qu’est-ce qui fait la désirabilité des diverses formations sociales ? La
résolution de cette question permettra de déterminer comment l’inconscient a pu être
oedipianisé. Ce n’est pas la psychanalyse qui a oedipianisé les inconscients, mais elle a rencontré
des inconscients oe qu’elle a seulement eu le tort de concevoir comme une structure an- ou
transhistorique, cad de l’élever à une structure qui vaut en droit. Comment les sociétés sont-elles
parvenues à lier le désir, lui dont on sait qu’il est réfractaire à toute organisation sociale en
tant que machine ? Comment les sociétés sont-elles parvenues à le lier ? En ce sens D et G
retrouvent le pb que posaient déjà La Boétie et Spinoza : comment les hommes ont-ils accepter
l’asservissement du désir au sein des formations sociales ? Comment les masses ont-elles pu
désirer le fascisme ?
La première tâche va être de définir le désir en tant que machine, cad le définir tel qu’il est en
droit pour D et G, autrement dit qu’est-ce qu’une machine désirante ? Comment ça marche ?
Le désir se définit essentiellement comme liaison, cad comme synthèse. C’est un acquis de Diff
et Rép qui définissait trois types de liaison du désir à partir de la répétition, cad de la synthèse du
temps. Ce qui subsiste est que le désir est toujours conçu comme liaison ou comme synthèse.
Cf p. 289 Deux régimes de fous ambition kantienne de l’AO.
Les synthèses de l’inconscient sont les suivantes :
- la synthèse connective ou dite « production de production » ;
- la synthèse disjonctive ou « production d’enregistrement » ;
- la synthèse conjonctive ou « production de consommation ».
Ce sont les trois modes de liaison du désir. Ces trois modes renvoient à trois logiques distinctes :
connective, disjonctive, conjonctive. Ces synthèses sont toutes les trois productrices ou productives.
Synthétiser ou lier, c’est produire. Le désir est production. C’est le propre d’une machine que de
produire.
Cf texte de Marx, Introduction générale à la critique de l’économie politique :
C’est un texte critique dans lequel Marx critique les économistes classiques. Il part de la distinction
classique entre trois activités économiques : la production, la distribution et la consommation.
« Considérons une thèse qui a tout du lieu commun. Dans la production les membres de la société
produisent les biens en fonction des besoins. La distribution détermine la proportion dans laquelle
l’individu participe à la production. … Dans la conso les prod deviennent objets de jouissance,
d’appropriation individuelle. »
Les trois activités sont distinctes et séparées. Ce que montre Marx c’est que la production est
au principe des trois activités. Chacune des trois activités est production. Il y a production de
production, production de distribution et production de consommation. Tout est production.
D’abord la production est immédiatement consommation. On n’a pas besoin d’en passer par la
distribution dans la mesure où un individu qui produit développe ses capacités et les consume dans
l’acte de produire. Toute consommation produit l’homme capable de produire. Pas de conso qui ne
soit production et pas de production qui ne soit immédiatement conso. On peut toujours
supposer qu’entre la production et la conso intervient, comme une sphère autonome, distincte de la
production, la distribution. Dans la distrib les économistes font entrer la rente foncière, le salaire,
l’intérêt, le profit. Mais il est bien évident qu’ils sont eux aussi produits. Non seulement ils sont
produits mais ce sont des modes de reproduction du capital. Il faut produire cette production. La
distribution des produits est d’abord distrib des instruments de prod destinés à les produire pour
ensuite les distrib. Il faut bien distrib les instruments de prod et répartir les membres de la société
entre les diff processus de production. Prod, distrib et conso sont toutes productives et elles
dépendent toutes de la production comme de leur sphère constitutive.
Il faut dire exactement la même chose du désir. Les 3 synthèses sont toutes prod. Prod de
prod, prod d’enregistrement et prod de conso. L’alliance Freud Marx est à même la définition du
désir. C’est à partir d’une allusion constante à Marx qu’ils conçoivent les trois synthèses du
désir. Liaison, synthèse et prod doivent être considérés comme synonymes. Le désir ne peut pas
être défini par le manque qui serait constitutif de sa définition. Il faudrait plutôt dire que le manque
est produit par le désir. Tout dans le désir est production. Le désir n’a aucune négativité, il est
pleine positivité, puisqu’il n’est rien d’autre que production.
En quoi consistent chacune de ces synthèses ?
La synthèse connective peut être définie comme prod de prod. L’oeil est immédiatement
producteur. Il produit la vision. Il est œil parce qu’il produit la vision. Il est producteur d’un flux de
vision. Toute machine organe est productrice en tant qu’elle produit un flux. Cela veut dire qu’il
synthétise un flux de lumière. L’oeil produit la synthèse par quoi la lumière va devenir un flux de
vision. L’oeil coupe le flux de lumière pour en faire un flux de vision. La coupure de flux signifie
que le flux est synthétisé par une autre machine. L’oeil se produit comme producteur de vision.
L’oeil est une machine à faire de la vision à partir d’un flux de lumière. Une machine produit à
partir de la production d’une autre machine. Il n’y a jamais de machine isolée. Il y a toujours des
couplages de machine. La synthèse est connective pour autant qu’il y a couplage entre deux
machines dont l’une est flux et l’autre synthèse de flux. La machine produit sur de la
production et elle se produit en produisant. Identité du produit et du produire : l’oeil n’est
rien d’autre que la vision. La machine établit des connexions qui font qu’elle se produit elle-
même à partir des connexions qu’elle opère. Tout est flux, production de flux mais tout flux
s’obtient par coupure ou synthèse d’un autre flux. On ne peut pas définir un flux sans sa
coupure par un autre flux. Un flux ne vaut que parce qu’il est coupé par un autre. Il faut toujours
penser une relation binaire : flux – coupure de flux. Il n’y a jamais un flux seul ou jamais que
des flux, il y a toujours des flux coupés par des flux. Un flux n’est jamais obtenu que par la
coupure d’un autre flux, grâce auquel il se produit comme flux à son tour pour une autre
coupure. On a bien affaire à une production de flux mais à une production de production. Tout flux
est en même temps une production de production.
« Les machines désirantes sont des machines binaires à règle binaire ou régime associatif. Toujours
une machine couplée avec une autre. La synthèse productive, la production de production a une
forme connective. C’est qu’il y a toujours une machine productrice d’un flux et une autre qui lui
est connectée, opérant une coupure. Comme la première est à son tour connectée à une autre par
rapport à laquelle elle se comporte comme coupure ou comme enregistrement, ... ».
La synthèse ne produit rien d’extérieur à elle-même puisqu’elle ne produit que de la
production. C’est à l’aide de cette première synthèse que se produit un corps, un organisme.
Un organisme c’est flux et coupures de flux. Un organisme avec ses machines organes.
« Les machines désirantes nous font un organisme. S’il y a organisme c’est en vertu de cette
synthèse productive. » Elles produisent un organisme qui est producteur.
Element produit par l’identité entre produire et produit mais réfractaire à l’organisme. Il y a
comme une matière inorganisée qui refuse d’être corps, d’être ce corps organisé là. C’est une
matière intensive qui refuse l’organisation sous cette forme d’un organisme. C’est une
instance d’anti-production ou un corps improductif. En même temps qu’est produit un corps
producteur est produit un corps improductif, le corps sans organe. Au coeur de la machine il y
a un CSO improductif produit par l’organisation en organisme. Le CSO est un pur flux. Il
n’est pas coupé, c’est de la matière encore non coupée. C’est la part de libido qui n’entre dans
aucune machine pour l’instant. C’est de la matière qui n’est pas un corps. Il n’a pas pris la
forme d’un corps ni ne s’est organisé selon la forme d’un corps. Il y a une matière qui n’occupe
aucune étendue, qui est réfractaire à l’organisation en organes. C’est une matière purement
intensive qui est produite en tant qu’anti-production, en tant qu’il ne veut pas se couler dans
l’organisation du corps comme organisme. Il n’y a pas de production sans production d’un
élément d’anti-production.
Il y a bien un coeur improductif au sein du corps capitaliste, c’est le capital lui-même, inertie
qui génère des choses à partir de son improductivité propre. Dans la société capitaliste il y a le
capital qui est improductif mais qui permet des prod.
On a besoin de passer par le CSO avant d’en venir à la seconde synthèse. Ce corps est un
agent de déliaison. La synthèse connective n’a été que liaison. Voilà que ce CSO est déliaison,
c’est sa manière à lui de repousser l’organisme. C’est un agent actif de destruction des
liaisons, notamment organiques. C’est une force de destruction. C’est le CSO, la présence en
nous d’une matière intensive, qui explique que les liaisons qui s’établissent puissent se défaire
pour se refaire autrement. Le CSO va expliquer les déplacements libidinaux. Or un
déplacement libidinal suppose que ce qui était un investissement vis-à-vis d’un objet X meurt pour
se déplacer. L’énergie devient neutre et se déplace vers Y. Elle retrouve une 2 e vie en investissant Y.
Ces mouvements là, ces redistributions de la libido se font depuis le CSO parce que c’est lui
qui repousse l’organisation. Il a cette vertu de défaire les connections de la synthèse
productive, qui ne pourront se faire que si elles se refont autrement. Il n’y a de machine que
détraquée. Tantôt le CSO ne supporte plus les organes, en tout cas l’organisation et les organes
eux-mêmes comme des outils de persécution, et dans ce cas il se fige dans la catatonie et devient
l’improductif pur, ce qui renvoie au modèle de la mort. Cela correspond au pôle paranoïaque.
C’est concevoir l’organisme et les organes comme des outils de persécution. 2 e possibilité : le
CSO qui transmue les organes comme s’il les avait lui-même engendrés. Il s’agit d’une
expérience de la mort et non plus d’un modèle de la mort. Les investissements libidinaux sont
morts donc je fais l’expérience d’une mort grâce à quoi il y a une renaissance dans un autre
investissement libidinal. Répulsion et attraction sont les deux forces de cette matière intensive
qu’est le CSO. Les intensités qui nous traversent sont le CSO. Le rapport entre attraction et
répulsion en fonction des intensités qui nous traversent va engendrer des variations d’intensité par
lesquels le corps passe. Là ils invoquent le schizo. Le schizo est celui qui éprouve jusqu’à
l’intolérable les variations intensives par lesquelles il passe. Le schizo est celui qui est en
contact direct avec cette matière intensive, il n’y a rien de protecteur. Il vit sur cette limite où
la pensée touche la matière.
Cf Virginia Woolf : « J’ai l’impression qu’une pierre ponce me frotte le cerveau. »
« Expérience déchirante, trop émouvante, par laquelle le schizo est le plus proche de la matière,
d’un centre intense et vivant de la matière. Il s’installe à ce point insupportable où l’esprit touche la
matière … »
Nous sommes traversés d’intensités et elles favorisent le déplacement de la libido. C’est cet
élément qui permet de passer à la deuxième synthèse. On doit en passer par lui parce qu’il est un
agent de déliaison. S’il n’y avait que la machine connective la liaison, une fois établie, ne se déferait
pas. Il est un agent de déliaison mais il permet aussi la reliaison. Pour parler comme Marx il
est un agent de distribution. Il faut en passer par le CSO pour accéder à la synthèse de
distribution, cad à la synthèse disjonctive. Il y a production de distributions en fonction des
intensités qui traversent le CSO. Le CSO renvoie à ce que l’on sent.
Cf professeur Schreber : Il éprouve qu’il devient femme lorsque des intensités le traversent.
L’énergie libidinale est perceptible à même la pensée de ce désir de Dieu qu’il se transforme en
femme. Le CSO permet cette redistribution : je vais avoir un nouvel organe, une poitrine de femme,
c’est Dieu qui l’a voulu. Le CSO est la surface depuis laquelle tout se redistribue. C’est bien lui
qui permet d’examiner la 2e synthèse dite disjonctive en tant que production d’enregistrement. Par
enregistrement il faut entendre distribution.
La distribution, en tant que synthèse, est nécessairement liaison mais ce qu’elle lie ce sont des
termes hétérogènes en vue d’assurer le fonctionnement de ce nouveau corps, de ce corps
machiné autrement. Cela consiste à assurer de nouveaux rapports entre les machines organes
ou même créer de nouveaux organes.
Le 2e exemple est celui du petit Joey dans le texte de Bettelheim. Il ne peut manger qu’à
condition d’être connecté à des machines techniques. Il ne peut pas digérer ou déféquer s’il ne passe
pas par des branchements à ces machines. La machine organique ne marche que si elle est
connectée à une autre machine, une machine technique. Le désir ne passe qu’à condition de se
réorganiser, qu’en se machinant avec de l’inorganique. Ce n’est pas du tout de l’ordre du
fantasme mais de celui de l’activité technique.
Il y a enregistrement au sens où c’est par ces synthèses là que le désir passe.
Pourquoi appeler cette synthèse disjonctive et pas connective comme la première ? Pourquoi
cette 2e synthèse est-elle nécessairement disjonctive ? Pourquoi l’appeler disjonctive alors
même qu’elle produit des liaisons ? Quelle est la logique à l’oeuvre ici ?
La synthèse connective était du type et. C’est une logique du et. La logique de la synthèse
d’enregistrement est une logique du ou. Ou bien ou bien, soit soit, A ou B. Mais dans ce cas si
c’est disjonctif ce n’est plus une synthèse : je choisis un élément pour rejeter l’autre. Mais la
synthèse retient les deux, affirme les deux dans la disjonction. La logique du ou renvoie à des
disjonctions exclusives l’une de l’autre. Si tel est le cas il perd son statut de synthèse. Qu’il s’agisse
d’une synthèse disjonctive ou d’une disjonction incluse (ce qui revient au même), au lieu de
dire de deux choses l’une on dit de deux choses les deux. Entre les deux termes A et B on affirme
les deux à travers la distance qui les sépare l’un de l’autre mais par laquelle ils se rapportent en
même temps l’un à l’autre. Ils se tiennent par leur répulsion ou opposition mutuelle ou par la
distance qui les sépare l’un de l’autre. Je suis l’affirmation de la distance entre les deux pôles. Je
suis un pôle, l’autre pôle et la distance entre les deux. Je suis schizo. Dans la disjonction ce qui est
affirmé est la distance par laquelle les deux termes sont rapportés l’un à l’autre et ne valent
que l’un par l’autre, cad l’affirmation simultanée de deux réalités incompatibles ou
incompossibles. Il existe une logique qui est celle de la disjonction incluse. Il arrive des
évènements dans ce monde qui sont incompatibles entre eux mais qui arrivent en même temps.
C’est en même temps que je suis amoureux et que je ne suis plus amoureux. J’affirme les deux dans
la distance qui les sépare.
Au niveau de l’inconscient, il y a sans cesse des disjonctions incluses par quoi je suis A et non
A, X et Y en même temps au lieu d’être l’un ou l’autre.
Cours 6 :
P.133 : « Que le sens ne soit rien d’autre que l’usage ne devient un principe ferme que si nous
disposons de critères immanents capables de déterminer les usages légitimes par opposition
aux usages illégitimes qui renvoient au contraire l’usage à un sens supposé et restaurent une
sorte de tr. » La psychanalyse oedipienne a une métaphysique puisqu’elle dispose d’une tr
depuis laquelle elle comprend ce qu’il se passe dans l’incs. On se sépare de cette
métaphysique : même geste que Kant : critique de la métaphysique au nom de critères
immanents qui permettent de décrire un usage légitime des synthèses.
NB : Le conatus chez Spinoza se définit par sa productivité indépendamment de tout manque.
Allusions à Spinoza dans tout le livre. Parenté entre désir chez D G et chez S.
Cet inconscient schizo renvoie à ce qu’ils appellent l’homo natura par distinction, mais pas
par opposition, avec l’homo historia. L’homme telle que la nature le produit (droit) et
l’histoire telle que l’homme le produit (fait). Mais il y a la grande égalité : nature = histoire.
La nature et l’histoire sont comme l’envers et l’endroit d’une même réalité. L’homme est une
nature historicisée. A la distinction irréversible entre nature et culture chez Levi-Strauss on a là
une réversibilité de la nature et de l’histoire. Passer dans l’histoire ce n’est pas quitter la nature.
C’est un peu la différence Spinoza / Hobbes du point de vue de la théorie du contrat. Contre
certaines tendances de la psychanalyse on n’a pas d’un côté une réalité psychique autonome
séparée, distincte de la réalité sociale, une sorte d’inconscient monadique ou solipsiste et puis
de l’autre une réalité sociale extérieure. L’inconscient investit directement le champ social.
Cela veut dire que dans l’inconscient il y a du social, de l’économique, etc. L’homo natura est
homo historia. Les 3 synthèses dont on a parlé ne cessent pas de prendre pour matériau du
politique et du social. C’est par cet investissement libidinal collectif des inconscients qu’une
société se constitue, cad qu’une société fait littéralement corps. Il y a corps social parce qu’il y
a un investissement collectif des inconscients par quoi une société fait corps. Le désir produit
des corps sociaux et à ce titre fait pleinement partie des infrastructures des sociétés.
P. 416 : « Le principe le plus général de la schizo-analyse est que toujours le désir est
constitutif d’un champ social. De toute façon il est de l’infrastructure, pas de l’idéologie. »
C’est la raison pour laquelle l’histoire que propose l’AO est à la fois une histoire des
formations sociales et une histoire de l’inconscient, cad des investissements libidineux, cad une
histoire des différents corps sociaux produits dans et par l’inconscient. Ces corps sociaux sont
des délires de l’inconscient. Mais ces délires n’ont rien de subjectif, ce ne sont pas des projections
ou des fantasmes mais des productions de réalité, cad que le délire ne s’ajoute pas à la réalité
sociale, il constitue cette réalité et il en assure le fonctionnement. Il s’agit à la fois de dire contre
la psychanalyse que les délires de l’inconscient sont directement politiques et sociaux mais aussi
corrélativement d’affirmer que tout champ social et politique est immédiatement délirant. Toute
société se présente comme une sorte de délire, avec ses causalités miraculeuses, ses images, ses
fétiches, ses calculs de taux d’intérêts… au nom desquels il y a des pratiques politiques. L’histoire
des formations sociales est celle d’une succession de délires ou de fictions opératoires qui ne
s’ajoutent pas à la réalité mais qui sont de la réalité. Il n’y a pas d’histoire du sujet. Il n’y a
qu’une histoire, dite universelle, qui rend indiscernables ces deux aspects et c’est le sens même
de la corrélation nature=histoire. Quel corps l’inconscient délire-t-il, au sens où il est produit
comme une réalité historique, qui témoigne de son inscription sociale ?
Ces questions font que du point de vue de l’ordre des raisons on ne peut pas suivre l’ordre du
livre. La psychanalyse est une invention tardive, donc elle intervient tardivement dans la
longue histoire de l’inconscient et des formations sociales. Bien plus, elle n’apparaît que
lorsque l’inconscient est déjà oedipinianisé, c’est d’ailleurs pour cela qu’elle le découvre
comme une espèce de fait universel. L’inconscient est déjà oedipinianisé avant la
psychanalyse. La question serait plutôt comment les formations sociales s’y sont-elles pris
pour oedipianiser l’inconscient ? En réalité la psychanalyse n’a fait qu’accompagner le
mouvement, le renforcer, l’amplifier. A ce titre elle n’est qu’un effet de la manière dont le désir
s’est trouvé organisé selon la formation sociale produite par le capitalisme. La psychanalyse
n’a pas sa raison d’être en elle-même.
Il faut d’abord montrer comment s’est produite cette oedipianisation pour ensuite montrer
comment la psychanalyse a entériné ce processus et s’est faite l’alliée du capitalisme. On met
pour l’instant la psychanalyse complètement de côté, parce que l’ordre des raisons l’exige.
Le problème des sociétés est de lier le désir, de capter les désirs. Le désir est naturellement
réfractaire à toute organisation en raison même de sa productivité schizophrénique. Son
fonctionnement est en droit anarchique. Il est fait de liaisons mais ces liaisons sont changeantes,
instables, précaires, illogiques, aberrantes. Un inconscient de ce type (à tendance schizo) est un
monstre du point de vue de n’importe quelle formation sociale. Que veut dire alors lier le désir,
s’il fonctionne machiniquement comme ils le disent ? Cela voudra dire le soumettre à un
régime de disjonctions exclusives. De deux choses l’une et l’une seulement. Cela voudra dire
aussi le soumettre à des règles différenciées, des distributions stables (entre les biens, les
personnes), instaurer des liens de parentés, des liens matrimoniaux, bref des productions, des
distributions, des modes de consommation instaurateurs d’un ordre social reproductible. Ce
qui fait qu’un ordre social est un ordre, c’est sa reproductibilité, cad sa perpétuation. Les
productions sociales pourront se définir comme des appareils de liaison qui ont pour but
(inconsciemment) de mettre les forces productrices de l’inconscient au service du corps social
qu’elles constituent par là-même. Les liaisons du corps social n’ont pas d’autres fonctions.
Elles sont au service de la composition d’un corps social. En tant qu’elles lient le désir elles
doivent nécessairement avoir une désirabilité qui piège le désir, qui le trompe, qui le dévie de
sa schizophrénie en droit.
Il y a corps social lorsque la production désirante se met au service d’une instance qui couvre
l’ensemble du champ social, au sens où cette instance déborde ses parties constituantes
(famille, clan, communauté, etc.). Cette instance unifie le champ social, elle le totalise à la
manière d’une sorte de dieu qui non seulement est partout mais qui semble avoir engendré le champ
social lui-même (du fait de sa supériorité, de son ubiquité, de sa puissance, de son pouvoir de
totalisation etc). Pour qu’il y ait corps social il faut une instance qui soit au principe de chaque
formation sociale et dont la formation semble dépendre essentiellement, quant à sa survie
même. Le corps social ne se conçoit qu’en fonction de cette instance qui semble l’avoir engendrée
et à laquelle elle semble devoir sa survie. D et G distinguent trois grands types de formations
sociales : les sauvages, les barbares et les civilisés. Ils empruntent cette trinité à L. Morgan qui a
publié La société archaïque. Il distinguait dans cet ouvrage de 1877 trois grandes étapes du
développement de l’humanité. Ces étapes étaient surtout de type techniques et technologiques. Son
propos était résolument et platement évolutionniste. C’est le premier à s’intéresser aux liens
matrimoniaux et aux règles d’alliances. Il a pas mal fréquenté les Iroquois. D et G lui empruntent
cette distinction sauvages, barbares, civilisés.
Si on demande comment se forme une société, il ne suffit pas de dire qu’il y a des liaisons qui
captent le désir, encore faut-il savoir de quel type sont les liaisons qui composent le corps
social. Liaison signifie synthèse. Par quelles synthèses une société forme-t-elle un corps
social ? C’est exactement la même question qui se posait à propos de l’inconscient machine.
Les synthèses de l’inconscient forment un corps désirant. Les synthèses sociales forment un
corps social organisé. D et G importent ces 3 synthèses dans le champ de l’inconscient mais on
va les retrouver au niveau du champ social. Elles ne marcheront pas pareil mais ce seront les
trois mêmes. C’est de cette manière que les sociétés vont pouvoir tromper l’inconscient. Dans
une société il est question de produire, de distribuer et de consommer, même chose que dans
l’inconscient. Dans chaque formation sociale il y aura bien une synthèse productive et une
instance d’anti-production, une synthèse disjonctive et une synthèse conjonctive. Il existe une
identité de nature entre la production inconsciente et la production sociale. Les deux
productions sont immanentes l’une à l’autre, la seule différence est la différence de régime. En
réalité dire cela ne résout rien pour nous. Comment passe-t-on d’un régime à l’autre ? Comment
l’inconscient s’est-il fait avoir pour désirer qch qui va aller contre sa désorganisation
spontanée, naturelle ? Comment s’y prend une société pour lier les flux de désirs qui la
composent ?
L’inconscient lie les désirs pour former et un corps organisé et un CSO. Il produit des
distributions dont les moi larvaires jouissent. Mais comment cela va se passer dans le champ
social ? Quel est le vice du champ social ?
I. Les sauvages
Notre objectif est double dans l’examen de ces trois formations sociales. Buts proches : pour
chacune des formations sociales, déterminer comment elles vont lier le désir en tant qu’il est
en droit désorganisé? Ensuite, comment ces formations sociales vont-elles oedipianiser
progressivement l’inconscient ?
Cours 7 :
Coder est une activité pratique. On coupe un flux en produisant un autre flux. C’est ce qui fait
que l’on a affaire à des synthèses connectives. Les synthèses connectives ne produisent pas des
productions sans produire de l’anti-production. Engendrement d’une instance d’anti-
production. Tout semble dépendre de cette instance d’anti-production, que D et G appellent
un corps-plein. C’est le corps sur lequel vont reposer les corps sociaux et qui est distinct du
CSO. Ce corps est comme la cause ou l’origine de toute production, cad l’instance d’où tout
provient miraculeusement, d’où tout émane. C’est en fonction de ce corps plein, à partir de lui
et sur lui que se fondent les codages dont on vient de parler. Chez les primitifs, ce corps-plein
est celui de la déesse Terres ou du dieu du ciel. C’est un analogue du CSO. Cela veut dire que
les synthèses connectives vont devenir distributives.
« La Terre est la grande stase inengendrée, l’élément supérieur à la production qui
conditionne l’appropriation et l’utilisation commune du sol. »
« Le corps-plein (CP) de la déesse Terre réunit sur soi les espèces cultivables, les instruments
aratoires et les organes humains. »
Tout est posé sur la déesse Terre. Tout est approprié à la déesse Terre. Ce corps ne fait rien à
proprement parler. Il ne produit rien et pourtant tout procède de lui comme par miracle. Tout est
rapporté à une fondation, à la terre ou au ciel comme ce qui est l’assise d’un ordre social. L’acte de
fondation veut dire tout rapporter à cette instance primordiale et tout faire dépendre d’elle.
Ce corps ne se confond pas avec le corps social puisqu’il en assure la fondation. Il est sous-
jacent au corps social. Il est ce grâce à quoi, par le miracle duquel les corps qui composent le
corps social forment un corps social organisé. On change de synthèse : désormais coder ne
consiste plus seulement à qualifier les flux mais à les faire dépendre du corps plein et à faire
en sorte que le CP les distribue.
« Il n’y a de code que là où un CP comme instance d’anti-production se rabat sur l’économie
qu’elle s’approprie. »
Le codage c’est approprier l’économie au CP, cad faire dépendre toute la production de
l’instance d’anti-production qui en sera la fondation. Ce rabattement, c’est la synthèse
distributive qui l’opère. On retrouvera ce CP dans les deux autres formations sociales. Il est
coprésent aux trois formations sociales. C’est une conséquence de leur analyse du désir puisqu’il
n’y a pas de production désirante sans un corps d’anti-production. Cela vaut aussi bien pour les
machines désirantes individuelles que pour les formations sociales. Ce sont les mêmes machines
mais ce n’est pas le même mode de fonctionnement. Ce CP agit comme une surface
d’inscription, exactement comme le faisait le CSO, cad comme une surface d’enregistrement
qui permet de distribuer les rôles, les fonctions des agents d’une société donnée et de réguler
la circulation des biens aussi bien que des personnes. Le codage devient, à la faveur de cette
instance d’anti-production, une synthèse distributive (ou disjonctive). S’il s’agit de tout rabattre
sur la Terre (comme déesse), cela explique pourquoi D et G décrivent la machine sociale punitive
comme une machine territoriale, puisque toutes les productions sont rapportées à la Terre. Coder,
c’est marquer les corps, parfois physiquement, en tant qu’ils sont liés à la Terre et distribuer
les corps selon ces marques.
« Tout le corps est marqué par un régime qui rapporte ses organes à la collectivité. C’est un acte de
fondation par lequel l’homme cesse d’être un organisme biologique et devient un corps-plein, une
Terre sur laquelle ses organes s’accrochent et deviennent miraculés, … d’après les exigences d’un
socius. »
Le corps est construit comme CP, comme Terre sur laquelle s’opèrent des marquages, des
découpages, des distributions de rôles. C’est ce marquage des organes qui fait que
l’inconscient investit le CP de la formation sociale. C’est à la faveur de ces opérations de
marquage que l’inconscient va se lier au champ social. Ils participe à la Terre dont il est une partie,
une émanation spirituelle, animale, etc.
Le codage consiste à distribuer les droits et les puissances sociales à partir de la Terre comme
fondation du corps social. C’est ce corps-plein qui détermine ce qui est permis, ce qui est favorisé,
quelles alliances doivent être conclues etc.
Cela suppose tout un système de la cruauté, dans ces opérations de marquages (excisions,
tatouages, scarifications, …). Le codage n’est pas seulement qualification et rabattement des
distributions, c’est aussi une autre modalité de l’inscription, comme enregistrement se faisant
dans la chair, à même le corps.
Comment les sociétés s’y prennent-elles pour lier le désir à l’intérieur de la formation qu’elles
constituent ? Cette question devient : Comment donner une fondation au désir ? Parce que le
fonder cela sera le territorialiser, cad le fixer par un acte de fondation. Lier le désir, c’est
assurer sa fondation, ce qui ne veut pas dire lui donner un fondement, mais uniquement le
territorialiser.
L’importance de la fondation pour eux tient au fait qu’ils posent la question à partir du désir.
Le désir est extrêmement fluide donc il faut qch pour le fixer, pour lui assurer une fondation.
C’est la première sédentarité pour lier le désir à une formation sociale.
Cf opposition à Lévi-Strauss sur la question de l’échange :
Ce que fait LS dans les structures élémentaires de la parenté, c’est de dégager les fondements de
l’échange. Mais la question, pour D et G, c’est de savoir si l’échange lui-même assure la
fondation du champ social. Est-ce que c’est l’échange qui est fondateur du champ social ? Ce
qu’ils reprochent à LS, c’est de n’être pas remonté assez haut dans la quête de ce qui est
fondateur, jusqu’à ces actes cruels de fondation. Cela tient peut-être aussi au fait que l’essentiel
du matériau ethnographique de LS est amazonien, tandis que pour D et G les études proviennent
d’ethnologues africanistes. La fondation ultime est la production de ce CP en fonction duquel
sont perpétrées ces exactions. LS n’est pas remonté jusqu’au CP de la Terre.
« Nous n’avons pas de raison en effet d’accepter le postulat sous-jacent aux conceptions
échangistes de la société. La société n’est pas d’abord un milieu d’échange où l’essentiel serait
de circuler et de faire circuler mais un socius d’inscriptions où l’essentiel est de marquer ou
d’être marqué. », en fonction d’un CP sous-jacent qui est la raison d’être de ce codage-
marquage. Ce CP sous-jacent assure la fondation du corps social. LS passe à côté de la raison
d’être relative à la cruauté des actes de marquage.
L’acte de fondation ne consiste pas seulement à donner un socle, une terre, un sol sur lequel va
reposer le corps social, il faut que cet acte de fondation concerne l’inconscient puisque c’est lui
qui doit être lié et pour ainsi dire territorialisé. L’acte de fondation concerne essentiellement
l’inconscient. En quoi consistent ces techniques d’inscription ? En quoi elles permettent de
s’assurer que l’inconscient sera lié par elles au corps social ? En quoi s’assurer que ces
techniques d’inscription feront qu’il y aura corps social ?
NB : Fondation au sens d’assise, de socle sous-jacent.
Fonder consiste à implanter une mémoire dans l’inconscient, à lui fabriquer une mémoire.
Dans Diff et Rep, au niveau de la 2e synthèse du temps, dans le chapitre consacré à la répétition. La
1e répétition est importante. Mais la 2e synthèse du temps invoque la mémoire bergsonienne
reprise à l’intérieur d’une mémoire psychanalytique. La mémoire philosophique concerne la
nature du temps propre à chacune des synthèses. La 2e concerne le désir en tant qu’il est pris par
chacune des trois synthèses. Dans le 2e chapitre il y a deux présentations de chacune des trois
synthèses. La 2e synthèse du temps, sous sa version psychanalytique, montre bien que le désir
se construit d’après une sorte de manque lié à un élément immémorial. Eros conçu comme
manque en fonction de ce que la mémoire lui donne à poursuivre mais que partiellement. D’où
l’érotisme. La mémoire est conçue à partir d’un manque auquel elle s’alimente pour
consommer érotiquement ceux qui auront en eux un mode d’apparaître de cet élément à
jamais manquant. Une mémoire qui dispose d’une sorte de réalité immémoriale et cet
immémorial fait que le désir poursuit qch qui est toujours déjà perdu et qui ne peut être que
retrouvé partiellement. Les amours sont toujours les mêmes, à la différence près. L’alliance du
désir et de la mémoire est conçue comme …
Le manque dans Diff et Rep était la conséquence du présent et de l’avenir. J’espérais que l’avenir
me donnerait ce que j’ai toujours déjà perdu.
Cf Kierkegaard jeune homme mélancolique qui aime la femme qu’il aime de l’avoir déjà perdue.
Pour fonder le désir, pour le territorialiser et le sédentariser il faut lui implanter une mémoire
mais chez les sauvages la mémoire n’est pas production de manque mais d’autre chose qui va
se substituer à l’échange. La mémoire est formée de blocs de dettes finis (donc on peut régler
ses dettes). Ces blocs de dettes finis sont engendrés par les productions d’alliances.
NB : Il n’est pas sûr que la raison d’être d’un commencement appartienne au commencement lui-
même.
Selon eux l’échange ne suffit pas à constituer un corps.
Cf Tracé de fondations, D’Etienne : comment se sont opérés des tracés de fondation chez les
indiens d’Amérique, les mésopotamiens, … ?
Il faut attendre les barbares pour que la mémoire s’identifie avec l’instauration d’un manque
supérieur. Avec les barbares s’opère une transformation très violente, c’est d’ailleurs cette
transformation que décrit également Nietzsche dans la Généalogie de la morale. Elle est
violente à un double titre : d’une part par la violence de son acte fondateur et d’autre part par
la coupure qu’elle instaure, parce qu’il y a dans l’instauration de l’État une véritable coupure.
Cf Nietzsche au sujet de cette irruption des fondateurs d’État : « J’ai employé le mot Etat. Ce qu’il
faut entendre par là va de soi... ».
Leur activité principale consiste à fonder. A ce titre, les barbares sont les inventeurs de
l’appareil d’État. D et G n’aiment pas cette idée que les fondateurs d’État sont comme une
machine de guerre. Ce qui leur importe est cette forme d’extériorité par rapport aux sauvages, cette
extériorité et cette violence.
On entre dans l’âge des grands empires oubliés que D et G font correspondre aux modes de
production chez Marx. C’est une sorte de croisement Nietzsche-Marx pour concevoir la formation
sociale barbare.
Cf empires mycéniens, égyptiens, chinois.
Le corps-plein du socius n’est plus le même qu’au moment de la formation sociale sauvage. Une
coupure profonde se produit, plus profonde que toutes les autres coupures de l’histoire. C’est
presque une coupure an-historique ou trans-historique. Cette coupure est l’apparition de l’État,
sous sa forme archaïque, et d’un nouveau corps-plein qui est le corps du despote ou du dieu,
du dieu despote ou du despote dieu. De toutes façons le despote est directement affilié au dieu
dont il est l’incarnation, la présence sur terre, etc. Avec le despote viennent une armée, une caste
bureaucratique, des juristes, des prêtres, bref tout ce qui va composer un appareil d’État. Il vient
avec toute cette organisation et c’est comme si cette organisation se faisait d’un coup. Évidemment
l’État peut se développer progressivement mais l’idée d’État est donnée d’un coup, quitte ensuite à
ce que son développement soit progressif. Le despote est celui qui va initier de grands travaux en
vue de renforcer l’empire, grands travaux qui s’approprient toute la force de travail des
communautés agricoles (construction de digues, creusement de canaux, etc. cf « civilisation
hydraulique » dans Le despotisme oriental). On a aussi les grandes pyramides, les temples, les cités
impériales…
Il ne s’agit pas de détruire le type d’organisation qui opérait au niveau des sauvages, de
détruire les filiations et les alliances qui opéraient dans la machine primitive, mais de les
redistribuer à partir d’une nouvelle unité transcendante. Cela va être l’instauration d’un
nouveau droit.
« C’est comme un immense droit du premier né sur toute filiation, un immense droit de
première nuit sur toute alliance. Le stock filiatif devient l’objet d’une accumulation dans
l’autre alliance (celle avec le despote). La dette d’alliance devient une relation infinie dans
l’autre alliance. C’est tout le système primitif qui se trouve mobilisé, réquisitionné par une
puissance supérieure, subjugué par des forces nouvelles extérieures mises au service d’autres
buts. »
Tout est conservé et tout est détourné en même temps.
Marx explique dans les Principes de l’économie politique (chapitre 3) ce qu’il se passe avec le
régime despotique asiatique : « C’est la survenue d’une unité centralisatrice qui se dresse au-dessus
des petites communautés et fait figure de propriétaire suprême ou unique, les communes réelles
apparaissant dès lors comme de simples possesseurs héréditaires, l’unité (celle du despote) étant le
vrai propriétaire … de la proprio commune. Celle-ci peut apparaître comme un ph distinct
s’érigeant au-dessus des communautés particulières, l’individu isolé apparaissant en fait comme
sans propriété. » Le despote est qualifié de père des diverses communes. Le surproduit revient
au despote. C’est le despote qui va s’approprier tout ce qui se produit à l’intérieur de ses
terres. Tout vient du despote qui est par conséquent en droit de s’approprier tout ce qui
procède des communes.
Les deux opérations essentielles de l’appareil d’État vont saper les fondations mêmes de la
machine territoriale, à savoir le corps-plein de la terre et le système de dettes qui en était
inséparable :
1. Les territoires primitifs constitués par les sauvages et dont la caractéristique sous-jacente
est le corps-plein de la terre, ces territoires se voient déterritorialisés dans le mouvement
même par lequel l’État se les approprie. Cela veut dire que les territoires primitifs restent ce
qu’ils étaient mais sont redistribués en tant que « propriétés » dans un espace de coexistence qui les
enveloppe. Cela suppose de s’arracher à la territorialité pour concevoir un espace à l’intérieur
duquel elles prennent place (les différentes communes). L’affranchissement du territoire est la
déterritorialisation. La terre devient propriété d’État et à l’intérieur de la terre on a des
territoires comparés les uns aux autres. En dépit des apparences l’État n’est pas territorial
parce qu’il est l’instance qui déterritorialise les territoires. Ce que Mille-Plateaux montrera,
c’est que les communautés primitives ont un rapport avec la terre depuis laquelle tout émane, mais
les inventeurs de la terre en tant qu’espace à distribuer ou à répartir, c’est l’Etat. L’État invente la
terre comme son Etat à lui. L’État est l’inventeur de la terre comme un espace abstrait qui
englobe les territorialités primitives et qui les comparent entre elles, qui compare leur
rentabilité, leur productivité, pour en développer certaines, en appauvrir d’autres etc.
cf Marx la rente foncière c’est la possibilité de comparer la productivité des terres les unes par
rapport aux autres, comparaison qui ne vaut que lorsque l’on a conquis un point de vue
extraterritorial qui prend la forme d’un espace abstrait qui les contient (les territoires). Cette
déterritorialisation est constitutive de l’appareil d’État.
L’État ne crée pas la terre sans se l’approprier aussitôt, raison pour laquelle l’État sera défini
dans MP comme appareil de capture. L’État est capture. Chez les primitifs ou sauvages, les
territoires succèdent aux territoires. Quand les ressources d’un territoire sont épuisées, les nomades
changent de territoire. Le territoire est l’unité, les territoires ne peuvent pas être comparés aux
autres puisqu’il n’y a pas de point de vue qui dépasse l’unité du territoire.
La première opération est donc cette déterritorialisation qui est inséparable d’une
appropriation.
2. Avec l’introduction de l’argent, d’une forme de monnaie, les anciennes dettes sont soit
abolies parce qu’elles n’étaient pas de type argent, soit elles sont transformées au profit d’un
impôt d’État qui va rendre la dette infinie. La 2e opération de l’appareil d’État est une
infinitisation de la dette. On parle de l’État en tant qu’il s’agit d’une forme despotique, d’un Etat
archaïque et pas du tout de l’État moderne, qui sera justement dans une sorte de nostalgie par
rapport à ces Etats archaïques.
Dette infinie signifie que le corps-plein du despote s’approprie toute la production comme il
s’approprie tout le surtravail. Le surtravail est le travail qui s’ajoute au travail nécessaire à la
subsistance. Quand l’argent est produit dans ces premières formes impériales, en réalité il n’est pas
créé pour favoriser l’échange, il est créé pour l’impôt. La raison d’être fondamentale de l’argent
n’est pas l’échange mais l’impôt. Le prélèvement de l’État, qu’il s’agisse de la terre ou du
travail, précède la production même en tant qu’il en est la raison d’être. On ne doit pas
supposer que l’argent existe d’abord pour régler les échanges ou favoriser les activités
commerciales et que l’impôt se serait ensuite greffé sur ces activités, c’est au contraire l’impôt qui
crée la forme argent, qui crée la monétarisation de l’échange. La monétarisation de l’échange
permet le prélèvement de l’impôt, comme la rente foncière crée la terre et l’appropriation du
surproduit crée le travail.
Cf MP : « La monnaie métallique est d’abord distribuée aux « pauvres » en tant que producteurs qui
s’en servent pour acheter des droits de terres (aux propriétaires terriens plus riches), elle passe donc
aux mains des riches à condition de ne pas s’arrêter, que tous, riches et pauvres, fournissent un
impôt, les pauvres en biens et services, les riches en impôts, de manière à créer une équivalence
entre biens, services et impôts. »
cf A0 p. 236 : « Car, à coup sûr, l’argent ne commence pas par servir au commerce ou du moins n’a
pas un modèle autonome marchand. »
Ce que produit l’État, c’est l’argent pour s’approprier le travail, la terre pour s’approprier les
territoires et…
Cours 9 :
Reprise : on avait vu que l’Etat est une Idée, ou plutôt que l’idée de l’État est analogue à l’idée
platonicienne en ceci qu’elle est à la fois immémoriale, car soustraite à l’historicité et oubliée.
L’idée de l’état est donc l’objet d’une réminiscence, d’un souvenir au sens bergsonien, au sens
où l’Etat ne peut être que retrouvé. En ce sens, on a une analogie avec la deuxième synthèse du
temps.
→Intéressant car on peut dégager le statut de l’Etat par rapport aux formations territoriales
primitives. Ces formations primitives opèrent par fondation : elles fondent l’inconscient par
l’implantation d’une mémoire de dette finie. L’analogie permet de dire que l’Etat joue le rôle
de fondement. La première forme est fondation, la deuxième est fondement.
Quelle différence entre fondation et fondement ?
On l’a dit, la fondation est territoriale : sa fonction est de circonscrire un territoire et de
former des alliances. La fondation reste à même le territoire, et pour la dégager, il faut donner
l’instance sous-jacente. Tout procède de la terre-même. Le fondement n’est pas territorial, car au
contraire il déterritorialise les territoires pour les inscrire dans un espace abstrait de la Terre
(comme concept). Le fondement prend de la hauteur, s’élève des territoires pour les comparer entre
eux et les faire coexister au sein d’une même terre. Le fondement est donc transcendant :
supérieur à ce qu’il fonde, mais aussi antérieur à ce qu’il fondait puisqu’il se pose toujours
comme préexistant à ce qui existe. Il peut donc être analogue à l’idée cérébrale. Il est toujours
déjà là, et capture ce qui existe par l’affirmation de sa préexistence. Capturer = affirmer sa
préexistence. La terre préexiste au territoire en droit, l’impôt préexiste à l’argent, etc. Le fondement
est transcendant.
On comprend par anticipation les remarques de Mille plateaux sur l’appareil d’Etat. P465. Depuis
que la philosophie s’est assignée le rôle de fondement, elle a décalqué sa doctrine des facultés sur
les organes de pouvoir de l’Etat.
Quelles conséquences ? Les sauvages codaient, tandis que les barbares surcodaient. La logique
de la fondation est codage, tandis que la logique du fondement est surcodage. Dans l’opération
de surcodage, les codages primitifs subsistent, mais à condition d’être repris en fonction de la
logique du fondement, qui leur préexiste. Ils doivent être recodés pour faire valoir la supériorité du
fondement. Surcoder, c’est rapporter les anciens codes aux nouveaux fondements. La machine
despotique procède donc toujours selon deux critères : la nouvelle alliance (car on surcode) et
la filiation directe. Le despote devient le nouveau corps plein dont tout dépend. La seconde
inscription est cette opération double. Ce qui compte n’est pas la personne du souverain ni même sa
fonction, mais la machine sociale qui a changé : méga-machine d’état, pyramide fonctionnelle qui a
le despote a son sommet. Les stocks font l’objet d’une accumulation, les blocs de dette
deviennent une relation infinie sous forme de tribut (p234). On a donc une construction qui
témoigne de cette transcendance, et tout est aspiré par cette puissance centrale despotique. On
a donc ces empires oubliés, avec les immenses sociétés esclavagistes organisées par castes.
Qu’est-ce que ça implique du point de vue de l’inconscient et de la liaison du désir ? Comment
se fait la liaison ? On comprend qu’en surcodant la machine territoriale primitive, la
formation despotique barbare va implanter un nouveau fondement dans l’inconscient : elle va
le soumettre à de nouvelles liaisons, le lier autrement. Elle introduit en lui une nouvelle
mémoire, un objet immémorial, détaché et transcendant après lequel la mémoire n’aura de
cesse de courir. Ça va être le signifiant/phallus (objet complet qu’on ne peut atteindre que
partiellement) = ce qui ne cesse d’échapper, l’objet X dont je ne peux rien dire mais qui est
condition de ce que je peux dire. Cet objet sur lequel sont rabattus toutes les significations est le
corps du despote, cad ce qu’incarne le despote. Il est à la lettre la complétude, ce qui fait sa
supériorité et sa hauteur. Voilà ce qui est implanté dans la mémoire, désormais chacun
poursuivra, s’élèvera vers les hauteurs, vers cette plénitude qui ne peut être retrouvée que
partiellement. On quitte la terre au profit d’une nouvelle institution/inscription venue des
hauteurs. On a retiré à la vie et à la terre quelque chose qui va permettre de juger la vie et de
survoler la terre. On implante dans la mémoire cette sorte de nouvelle instance → le régime de
la dette lui aussi se modifie. La dette n’est plus une succession de blocs finie, mais quelque
chose d’infini. Elle devient dette d’existence, c’est une dette que je ne peux pas rembourser
car je lui dois tout → dette a priori.
Si on parle d’Œdipe, qui va progressivement se constituer en complexe sous la forme que décrira
Freud, qui recueille un dernier état de l’inconscient formé en même temps que le capitalisme, on
constate un isomorphisme entre la formation de la psychanalyse et celle du capitalisme.
Quel était le statut de l’inceste chez les sauvages ? Il est prohibé, mais cette prohibition ne
prend pas la forme d’un inceste qui renvoie à des personnes distinguées les unes des autres.
Ça renvoie à des flux non codés préœdipiens. Les représentants de ces flux non-personnels. Les
personnes circulaient dans une logique de disjonction incluse. Les personnes étaient relatives à des
variations d’intensité. Ce qui est refoulé est la logique schizophrénique de la disjonction incluse,
en tant que cette logique est indifférente à l’inceste. Elle n’opère pas en fonction de personnes
discernables, mais par l’intermédiaire d’états intensifs communicants.
Qu’est-ce qui se passe avec le despote, chez les barbares ? Le despote peut avoir des relations
incestueuses. Il est même tenu d’en avoir deux : un avec la sœur, et un avec la mère. L’un
témoigne de la nouvelle alliance avec la sœur que s’autorise le despote car il prend sur lui l’interdit
du champ social. Mariage avec la mère pour devenir roi, avec la filiation directe. Le double inceste
du despote est en droit (il peut/doit en tant qu’il est despote). Mais comment l’inceste est devenu
possible, et comment est-il devenu la propriété exclusive du despote (p242) ? Il ne s’agit pas de
lever le refoulement sous prétexte qu’il serait consommé par le despote → c’est la
représentation de l’inceste du despote par la folie, la fureur, l’hybris. C’est précisément la
représentation de l’inceste qui devient l’organe du refoulement. Ce n’est plus le représenté qui
est refoulé, c’est la représentation qui est refoulante → elle a un pouvoir de répression. Le
despote prend sur lui tout le négatif du champ social comme sacrifice grâce auquel il n’y aura
pas d’inceste dans le champ social. On a donc un déplacement du désir, puisque l’inceste passe
au niveau de la représentation comme ce qui réprime le désir, et va faire croire que puisque
c’est interdit, c’est ce qu’il voulait. Ce qui se trame est la relation que le désir entretient avec
l’inceste et son refoulement dans le champ social. On a donc un déplacement en profondeur, ce
dont témoigne en surface le théâtre de la cruauté chez les primitifs (voix qui parle/oreille qui
écoute ; main graphique qui inscrit la voir ; l’œil appréciateur → l’ensemble de la mise en scène est
destiné à refouler la logique schizophrénique du désir), et un nouveau théâtre chez les barbares →
correspond au déplacement en profondeur, avec un nouveau régime de signes instauré par le
despotisme (nouveau triangle). Avec la nouvelle alliance du despote, et compte tenu de sa
filiation directe avec lui, les organes vont migrer et acquérir une nouvelle fonction. Le
graphisme de la main perd son indépendance et se subordonne à la voix. La main suit tellement bien
ce que la voix lui dicte qu’elle finit par supplanter la voix → naissance de l’écriture. La voix
devient muette des hauteurs ou de l’au-delà. on a une voix fictive qui se met à dépendre de
l’écriture et qui l’alimente. L’œil devient aveugle, il ne voit plus rien, il ne fait plus que lire → n’a
plus rien à voir. Tout est désormais subordonné à la voix silencieuse des hauteurs. L’écriture
arrache l’homme à la terre/au territoire. Chez les barbares, on écrit et on lit. Chez les
sauvages, se développe un système de connotation où chaque terme est relativement
indépendant des autres. Chez les barbares, on a un système de subordination → tout dépend
d’un objet transcendant ou d’une voix muette qui se confond avec celle de la signifiance.
Peut-être est-ce là que commence la question qu’est-ce que ça veut dire, et que l’exégèse va devenir
plus importante que le discours de base. Tout s’interprète, et toute interprétation doit
reconduire à la voix d’un signifiant suprême introuvable, insituable en vertu même de
l’opération de surcodage. C’est le visage qui donne la substance du signifiant, qui donne à
interpréter et qui change de trait quand l’interprétation redonne une signification à la substance.
Sur la double inscription : l’inconscient est pris entre deux langages : éléments phonétiques, et
celui qui traduit ce langage dans une autre langue qui le surcode. P274 : il appartient à Lacan
d’avoir reconduit le signifiant à sa source, l’âge despotique.
L’inconscient n’est plus soumis à des marques en pleine chair → on n’est plus dans le monde
de la cruauté. Avec les barbares, c’est le système de la terreur. Si les sauvages figurent les règles
sociales sur le corps des hommes, les barbares écrivent la loi partout (pierre, papier, monnaie). Tout
est désormais subordonné à la loi, mais à la loi comme forme de vide, indéfiniment interprétable,
qui depuis sa hauteur se contente de signifier sans jamais rien désigner. Il est donc impératif que la
loi signifie, mais tout aussi impératif que ces désignations soient arbitraires en fonction du bon
vouloir du despote. On ne se libère jamais du joug de la loi. La loi est la forme juridique que
prend la dette infinie (p235). Tu es toujours coupable au regard de la loi, qui est d’autant plus
terrifiante qu’elle est sans contenu.
Sur la troisième formation sociale : elle n’a plus besoin d’écrire en pleine chair, de marquer
les corps et les organes, ni de fabriquer aux hommes une mémoire. Le capitalisme ne procède
plus ni par marques, ni par lettres, mais par chiffres. Il ne procède plus selon les règles, ni
selon la loi, mais à l’aide d’axiomes. On aborde donc les civilisés = le capitalisme.
Que se passe-t-il avec le capitalisme, comment il rompt avec les formations précédentes ? Quel
est le point de rupture avec les deux autres formations ? Le capitalisme ne peut plus/n’a plus
besoin de fonder. Le capitalisme n’a plus besoin de mémoire non plus → devenue une
mauvaise chose, le capitalisme doit provenir des amnésiques. Son incessante activité comptable
fait qu’elle n’a plus besoin de l’écriture pour ses inscriptions, sinon à titre de survivance. L’écriture
n’a jamais été la chose du capitalisme, il est profondément analphabète (en plus d’être amnésique).
Que s’est-il passé pour que le capitalisme soit désormais dans l’incapacité de fonder ?
Cours 10 :
Comment définir l’État dans cette configuration, cad dans le régime dit civilisé ?
L’État apparaît comme un fondement post-mortem, un fondement qui ne peut plus fonder, même
s’il va tout faire pour, compte-tenu de la nature des flux qui empêchent qu’il puisse fonder, cad les
coder et les surcoder, mais qui va limiter, contrôler, réguler, capturer, bref qui va essayer de recoder
tout ce qu’il peut. L’État est comme un fondement qui n’agit plus comme fondement en tant
qu’il ne peut plus fonder. D’un fondement qui n’agit plus comme fondement on dira qu’il a un
rôle symbolique, mais réel à ce titre, avec son efficace de recodage, etc.
Tout se passe comme si les sociétés capitalistes étaient soumises à une sorte de vaste mouvement
pendulaire, comme ces vieilles horloges de campagne, donc il y a une oscillation des sociétés
capitalistes entre deux pôles : un pôle qui est tourné vers la forme despotique perdue, donc
vers un passé toujours déjà perdu, et un pôle orienté vers l’avenir, analphabète et amnésique.
« Archaïsme et futurisme, néoarchaïsme, exfuturisme, paranoïa et schizophrénie. »
Le capitalisme est toujours déjà néocapitalisme, une forme dérivée de lui-même, il est
toujours déjà contemporain de son propre dépassement.
Les deux mouvements sont inséparables, on ne va pas d’un côté sans aller de l’autre (donc la
métaphore de la pendule est inadaptée) : « les sociétés doivent concilier la nostalgie et la
nécessité de l’Urstaat avec l’exigence de l’inévitabilité de la fluxion des flux ». La fluxion des
flux désigne les flux en tant qu’ils se rapportent à des rapports différentiels. C’est le rapport
différentiel auquel sont soumis les flux pour perpétuer la domination du capitalisme. Du côté S
(schizo), une libération des flux sans précédent, dans une libération totale, mais le pôle schizo ne
bascule jamais vers une liberté absolue parce qu’il se retrouve confronté à une limite qui est celle du
produire pour produire, c’est la rationalité de sa démence. De l’autre, l’asservissement de ces flux,
leur aliénation, leur privatisation, leur liaison aux objectifs et aux buts « involontaires » de la méga-
machine sociale civilisée. Recodage incessant par l’appareil d’État, selon cette tendance
paranoïaque. On est pris dans un étau. Déterritorialisation d’un côté, reterritorialisation de
l’autre. Mais attention, l’un ne va pas sans l’autre. Il n’y a pas de déterritorialisation sans
reterritorialisation. Il y a toujours territorialité. Pour chaque déterritorialisation, il faut se
demander ce qu’est la territorialité de cette déterritorialisation.
Ce double mouvement schizo parano est l’axiomatisation même. C’est le double bind de
l’axiomatisation même. Le capitalisme n’a plus besoin de fonder. Quand bien même il le
souhaiterait il en serait incapable. Mais il est manifeste aussi qu’il y a certains de ces mouvements
de déterritorialisation qui sont des tentatives de renouveler une forme de despotisme, de réintroduire
des transcendances pour recoder les flux, ce dont témoigne à sa manière la nécessité et la nostalgie
de l’Urstaat. La D et la R seraient à la fois la disparition réelle du fondement et sa restauration
symbolique, l’un n’allant pas sans l’autre. C’est ce qu’on observe au niveau de la machine
sociale et des investissements de désir qui font fonctionner cette machine sociale, qui
fonctionne par le flux de désirs qu’elle attire à elle.
Comment est-ce que le désir investit le champ social dans la formation civilisée ?
Ce n’est pas un investissement partiel. Le désir investit le champ social tout entier en fonction
des images (à ne pas comprendre au sens de simulacres. D avait introduit la notion de simulacre
dans une étude de Platon, au sens de ce qui fait semblant d’être une copie, qui conteste la fidélité de
la ressemblance de la copie au modèle et par là même le modèle. Mais D déclare abandonner
expressément cette distinction dans l’une de ses rares participations à un colloque. En vérité il
reprendra plus tard cette notion sous le nom de puissance du faux, notamment dans ses analyses des
films d’Orson Wells. Il renonce à la notion de simulacre parce que l’idée qu’il y ait des simulacres
pourrait faire basculer vers celle d’un rapprochement avec l’idéologie chez Marx. Pour D et G il n’y
pas d’idéologie au sens de sphère qui serait détachée de la sphère de la productivité. La raison est
les travaux de Baudriard et la description de la société comme société de consommation. Cette thèse
a pu conduire D à renoncer au concept de simulacre, laissant supposer qu’il y aurait un
rapprochement possible avec les thèses de Baudriard, dont D et G ne se sont jamais sentis proches.)
de puissance sociale qui sont produites par ce champ social. D’où les fantasmes sociaux,
effectifs, réels que sont les images (celle de père de famille, de patron, d’employé modèle, de juge,
…). Ce sont des images qui incarnent une puissance sociale, raison de leur désirabilité.
Comme toujours, l’investissement se fait selon les deux pôles, le pôle S et le pôle P : d’un côté
le désir parcourt l’immanence du champ social, s’accroche et suit l’immanence du champ social,
entraîné toujours plus par les flux (ça et puis ça et puis ça…), cad ce que D appelle le champ
d’immanence du capitalisme, cad le grand flux intense qui traverse ce champ. Chacun veut sa part,
si maigre et repoussante soit-elle et si repoussants que soient les moyens de l’obtenir. Chacun est
grevé sur ce flux d’intensités qui traverse le champ capitaliste. Chaque désir est branché
d’une manière ou d’une autre sur le capital. C’est au niveau des flux monétaires et non pas de
l’idéologie que se fait l’intégration du désir au champ social. Par là, le désir est à même
l’immanence des flux. Il est pris dans cette immanence et dans sa frénésie. L’autre pôle, cad le 2 e
type d’investissement, (les deux pôles ne peuvent être que S et P, à l’exclusion de toute autre
typologie clinique)… Suivant l’autre pôle, le désir ne cesse de sécréter des transcendances par
lesquelles se fait la reterritorialisation. Le désir investit tous les rouages de la machine sociale
« sous des qualités imaginaires qui lui confèrent une sorte de transcendance ou d’immortalité à
l’abri desquelles l’individu, le moi, joue son pseudo destin » (du type moi je suis au service d’une
cause qui me dépasse). Aspect mortifère dans cet investissement là, d’autant plus mortifère
qu’il est façonné par l’immortalité. Mourir à soi-même pour défendre, en vertu d’un surmoi
hypertrophié, pour défendre une cause supérieure et transcendante, l’immortalité conférée à
l’ordre social. Il en résulte un assujettissement généralisé. La subjectivation capitaliste est
inséparable d’un asservissement qui est distinct de celui qui était engendré par les sociétés
despotiques. Promotion de la subjectivité qui ne va pas sans un assujettissement. La force du travail
n’appartient au travail seulement que pour être vendue. Assujettissement généralisé où chacun ne
fait plus qu’obéir, où les esclaves commandent aux esclaves puisque tous sont au service du
capital. « Moi aussi je suis esclave, tels sont les mots nouveaux du maître ». D’un côté le désir
épouse l’immense mouvement de déterritorialisation du capitalisme (côté cynique propre aux
sociétés civilisées) et de l’autre il se reterritorialise sur des transcendances (côté piété). « Ce
n’est plus l’âge de la cruauté, ni de la terreur, mais l’âge du cynisme, qui s’accompagne d’une
étrange piété. Le cynisme est l’immanence … du champ social et la piété le maintien d’un Urstaat
spiritualisé. » La formation sociale civilisée est ce mélange d’immanence et de transcendance
qui correspond aux deux pôles, le schizo et le parano.
Cours 11 :
cf Le Festin Nu.
Deux questions sur la drogue.
Ce qui importe dans la description de la psychanalyse est de voir en quoi ses principes
constituants étaient analogues aux deux tendances entre lesquelles oscille le capitalisme :
décodage généralisé des flux et recodage despotique qui consiste à tout reconduire vers
l’élément transcendant = X. Mais D ne souscrit plus à cette opérativité du grand élément = X que
l’on avait dans Logique du Sens. Le sens était cette instance = X dont la caractéristique était de
toujours manquer à sa place. En raison de ce déplacement perpétuel cela engendrait la multiplicité
des significations. C’est comme un élément machinique dans la structure. C’est son vide, le fait de
manquer à sa place et de différer sans cesse de soi qui caractérisait le signifiant.
« Cet objet singulier est le point de convergence des séries divergentes en tant que telles. Il est
éminemment « symbolique », mais précisément parce qu’il est immanent aux deux séries à la fois. »
Il dépasse les deux séries parce qu’il échappe à chacune d’elles en même temps qu’il permet de les
raccorder. Cet éminemment symbolique est devenu transcendant. Il est le non-sens, le
problématique, etc. La redistribution du système que D a conçu seul a modifié l’ensemble si
bien que la convergence des séries ne se fait plus en fonction de cet élément symbolique = X
mais à partir des variations d’intensité qui parcourent le corps sans organes, tandis que
l’objet signifiant est passé du côté de la loi despotique. La loi despotique est celle qui signifie
éminemment sans que l’on sache ce qu’elle désigne, bien qu’aucune série ne puisse en épuiser le
signe. Elle a une place supérieure à toute désignation. Ce qu’ils disent à propos de la
psychanalyse vaut principalement pour la psychanalyse dite structuraliste, cad pour la
manière dont Lacan a relu la psychanalyse freudienne à partir de ce foyer despotique que
Lacan dénonce comme tel. Pour D et G la psychanalyse est prise entre les barbares (recours à
la loi despotique, cad à un signifiant au-delà de toute désignation) et les civilisés (décodage des
flux). Grand mérite reconnu à F d’avoir libéré la sexualité mais rabattement de la sexualité sur la
mythologie grecque. La culture de Weimar permet de se protéger de la libération sexuelle entrevue
par la psychanalyse. La structure, qui était un des maîtres mots de Logique du sens et de
Différence et répétition, réunit désormais deux âges : celui du fondement transcendant qu’elle
s’obstine à faire survivre à travers la loi despotique et celui de l’effondrement du fondement,
puisqu’il ne survit plus que dans sa fonction symbolique (son champ s’est réduit puisqu’il
n’agit plus que sur les désirs privés de l’individu). La structure est le moyen grâce auquel le
fondement survit à son propre effondrement, comme si la psychanalyse avait trouvé le moyen
de fonder l’absence de fondement par le symbolique, sur le symbolique. Le fondement n’est
plus réel il est symbolique et par là il survit à son propre effondrement. Il y a du manque parce
que le fondement n’est pas là et c’est parce qu’il n’est plus là qu’il est présent
symboliquement. L’abolition du fondement est si bien réussie qu’il est rétabli exactement dans la
position qu’il occupait précédemment. Le fondement est détruit et aussitôt il est recréé, comme une
sorte de dieu mort qui continuerait à vivre malgré tout.
« Dieu mort ou pas mort, le père mort ou pas mort, ça revient au même, puisque la même répression
et le même refoulement se produisent. … Dieu et le père n’ont jamais existé, on n’a tué qu’un mort
de tout temps. »
Il ne s’agit pas de dire que la psychanalyse inscrit le désir dans l’organisation familiale, ça
c’est le fait du capitalisme. Sur ce point cf deux analyses qui peuvent compléter l’AO sur
l’enfermement de toute la psyché libidinale sur le triangle papa maman et moi par le capitalisme :
influence de l’AO sur le travail archéologique de Foucault. Cf le travail psychiatrique, séances du
28 novembre et du 5 décembre. Foucault a fait la préface pour l’édition de l’AO aux USA. Cf cours
les anormaux, deux séances du 5 et 12 mars 75 sur la manière dont la psychiatrie va
progressivement faire en sorte que la famille se réduise à son foyer nucléaire, cad que disparaissent
du paysage les domestiques, tout ce qui pouvait être étranger au cercle familial pur. Focalisation sur
la sexualité de l’enfant pour isoler la famille et faire en sorte qu’elle devienne le seul milieu protégé
d’influences extérieures jugées néfastes ou malsaines.
Cf livre de Robert Castel sur le familialisme.
Dans cette séance on introduit aux éléments sous-jacents qui vont conduire à Mille Plateaux.
Ce double caractère de la psychanalyse, qui est en même temps le double caractère des
sociétés capitalistes, est une autre manière de formuler le rapport qui s’établit entre la
déterritorialisation des flux de désir d’un côté et de l’autre leur reterritorialisation sur le
triangle familial, cad en fonction du rapport d’application que l’on a vu (à chaque image
sociale on fait correspondre une image dans la famille).
Pb central de l’AO qu’on a laissé de côté jusque là : c’est un pb qui fait déjà signe vers Mille
plateaux. C’est un pb sur lequel l’AO s’attarde peu mais qu’il résout quand même. Tant qu’on en
reste au niveau des formations sociales on n’y rencontre que des machines déjà constituées, déjà
établies, fonctionnantes, structurées, machines organiques, techniques, qui sont toutes subordonnées
à des méga machines sociales. Elles sont imbriquées les unes dans les autres. Cette imbrication de
machines constitue la corrélation nature histoire de Mille Plateaux. D et G ont présenté MP
comme étant une nouvelle tentative de philo de la nature. La corrélation nature histoire renvoie à
celle entre désir et société. D et G répètent en permanence que le désir est toujours déjà
socialisé, il n’y a pas de désir non social. Il est toujours déjà pris dans une formation sociale mais
il peut à certains égards être pris dans plusieurs. Le capitalisme récapitule les trois formations
sociales : il se répète lui-même, répète le despotisme et les territorialités sauvages sous la forme de
la territorialité maternelle. Le désir est toujours socialisé et comme ils le disent « il n’y a que du
désir et du social et rien d’autre », le désir étant toujours déjà social. Encore faut-il déterminer en
droit. En fait il en va de la sorte, le désir est toujours déjà socialisé, mais qu’en est-il en droit ?
Qu’est-ce qui fait que la question peut se poser en droit ? Un empirisme pourrait nous laisser
supposer que l’on a pas à se poser la question en droit puisqu’en fait c’est toujours comme cela.
C’est la question des machines désirantes, caractérisées selon leurs trois synthèses (connective,
disjonctive et conjonctive), qui sont ce en vertu de quoi le désir produit et se produit. En droit,
le désir est réfractaire à toute organisation sociale puisque les organisations sociales devaient
trouver des moyens de piéger le désir par leur désirabilité, et par là de le fonder, de le coder et de le
surcoder. Puisque le désir n’a rien de social en droit, il faut poser la question de savoir
pourquoi il serait en droit toujours relié au social. Comment peut-on corréler la définition
métaphysique du désir à un champ social quel qu’il soit ?
« C’est bien vrai que le social et la métaphysique arrivent en même temps, conformément aux deux
sens simultanés de formation sociale. »
Par quel miracle le désir devient-il social ?
On doit se poser cette question sans rien présupposer du champ social, parce que sinon on se
donne tout de suite nécessairement une théorie de la répression. Etant réfractaire au champ
social, le désir n’aurait dans ce cas pu se soumettre au champ social que parce qu’il aurait été l’objet
d’une répression ou d’une duperie. Comment expliquer le passage du désir ou de la nature à
l’histoire, au social, sans rien présupposer du social, sans se le donner ? Est-ce que l’on ne doit
pas supposer que le désir est naturellement conduit ou déterminé à investir le champ social, y
compris dans ses aspects les plus répressifs ?
Pour répondre à une question pareille (comment est-il possible que le désir en vienne
naturellement à investir le champ social ?), on est obligé de remonter en deça des formations
sociales constituées, en deça de ce qui est donné historiquement. On rejoint le tr parce qu’il s’agit
de voir comment le donné est donné en deça du donné. Il faut remonter en deça des machines
constituées, en deça en tout cas des machines sociales, pas des machines désirantes, puisque celles-
ci ne sont pas organisées. La forme d’organisation suppose déjà la soumission au champ social
et donc une pétition de principe, cad pose ce que l’on cherche à démontrer. En fait, on ne peut
pas distinguer le désir du social, on ne peut le faire qu’en droit. Il faut pour cela revenir à
l’immanence des machines désirantes, à ce que D et G appellent l’homo natura.
Il faut repartir de ce qui va devenir une préoccupation de MP, cad des machines désirantes
comme étant des multiplicités moléculaires. Là ils s’inspirent de l’inorganisation réelle du
désir (cf Serge Leclerc), qui définit génériquement la manière dont on a décrit le
fonctionnement des machines désirantes initialement. Pour D et G c’est cela le réel, cad cette
circulation libre des molécules qui n’entrent en relation les unes avec les autres qu’en fonction des
trois synthèses que l’on a définies les fois précédentes. Moléculaires au sens de en deça du champ
social. Dans le champ social les machines désirantes forment des rapports molaires, cad elles
consolident des rapports stables et à une autre échelle. Ces molécules sont dans des rapports de
métastabilité, cad de transformation permanente. Comment ces multiplicités en viennent-elles à
former des ensemble structurés, ordonnés, pour elles-mêmes, indépendamment de toute
formation sociale ?
L’hypothèse, tirée de Claussovski, est qu’il y a une accumulation statistique de ph
moléculaires qui obéissent, mais comme indpt d’eux-mêmes, à une pression sélective. Une sorte
d’agrégation s’opère et cette accumulation des molécules est inséparable d’une pression sélective.
Une sélection s’opère, il y en a qui n’entrent pas dans la masse. Cette sélection va les ordonner en
une masse grégaire qui va éliminer, écraser, subordonner, régulariser, normaliser les singularités
réfractaires ou tout simplement les singularités, cad les comportements qui sont étrangers à celui de
la masse. La foule ne retient que ce qui va dans son sens. C’est la grégarité même du
comportement de ces molécules, de ces multiplicités, qui va le structurer selon ce que l’on
appelle un effet de foule. Autrement dit, les multiplicités moléculaires s’asservissent mais
comme spontanément à l’ensemble qu’elles forment, au fur et à mesure qu’il grossit lui-même.
C’est la grégarité de l’ensemble qui le structure. Elles s’organisent et se structurent mais par leur
masse, si bien qu’elles accèdent par là à une structure d’un autre type. Elles constituent ce que
Claussovski appelle des « formes de souveraineté ». D et G rendent hommage dans MP à Canetti
dans … Il y a une forme de souveraineté qui se crée et qui est immanente à l’activité de ces
molécules. D et G rendent hommage à Nietzsche à travers leur hommage à Claussovski.
« L’ordre n’est pas grégarité → sélection mais au contraire multiplicité moléculaire → forme de
grégarité organisant la sélection → ensemble grégaire ou molaire qui en découle. » C’est de
cette manière que le désir va se socialiser. Une sorte de répression s’opère au sein même du
désir lorsqu’il accroît sa puissance, cad lorsqu’il se massifie, quelle que soit la raison de cette
massification. C’est de cette manière que les machines désirantes se soumettent
nécessairement, en vertu de cette sorte de loi des grands nombres, aux codes ou aux axiomes
d’un champ social donné. C’est cela l’investissement. C’est par là que les multiplicités
produisent un corps plein comme le fondement à partir duquel se définissent les intérêts
individuels, les objectifs, etc, qui correspondent aux intérêt du corps plein. Les entités
moléculaires font corps avec la société en même temps qu’elles font de la société un corps.