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Les anarchistes et les élections

Emma Goldman

Titre original : Anarchists and elections, Emma Goldman Vanguard Juin-Juillet 1936.

« Tout d’abord, la question de savoir si s’abstenir de participer à des élections est une question de
principe pour les anarchistes. Je pense qu’elle l’est assurément et qu’elle devrait l’être pour tous les
anarchistes. Après tout, participer à des élections signifie transférer sa volonté et son pouvoir de
décision à quelqu’un d’autre, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de l’anarchisme.
Deuxièmement, puisque les anarchistes ne croient pas aux formules jésuitiques des bolcheviques
selon les lesquelles la fin justifie les moyens, il est logique qu’ils ne considèrent pas la participation
politique comme « une simple question de tactique ». De telles tactiques ne sont pas seulement
incompatibles avec la pensée et les principes anarchistes mais elles sont aussi une injure au statut de
l’anarchisme comme la seule et vraie philosophie sociale révolutionnaire.
Troisièmement, « Les anarchistes peuvent-ils, sans scrupules, et dans à certaines circonstances,
exercer le pouvoir durant une période de transition ? ». J’avoue que j’ai été surprise de voir qu’une
telle question venait d’Espagne qui a toujours représenté aux yeux du monde entier le modèle de
l’intégrité et de la cohérence. Même sans l’expérience de la révolution russe et les justifications des
soviets pour une période de transition, je ne me serais pas attendue à ce que les anarchistes
espagnols se laissent éblouir par ce terme au nom duquel tous les crimes contre la révolution ont été
commis par le Parti Communiste en Russie et au dehors. Ils affirment que la prise du pouvoir est
inévitable durant la période de transition. A moins que les camarades en Espagne qui partagent la
même opinion jésuitique imaginent qu’ils sont plus sages et moins corruptibles que les autres, je ne
peux pas comprendre comment ils peuvent aspirer au pouvoir.
Depuis son origine même, l’anarchisme et tous ceux qui l’ont enseigné ont soutenu que ce n’était
pas l’abus de pouvoir qui corrompt tout le monde, le meilleur des hommes plus souvent que le plus
mauvais ; c’est la chose elle-même, à savoir le pouvoir qui est mauvais et qui s’empare de l’esprit et
de la force du combat révolutionnaire de tous ceux qui détiennent le pouvoir.
Les marxistes ont une excuse simple pour prendre le pouvoir puisqu’ils croient en l’état et en font la
propagande, ils croient donc au pouvoir et le défendent. Mais comment pourraient le faire des
anarchistes dont la philosophie sociale répudie l’état, toute forme de pouvoir politique, de pouvoir
de gouvernement, bref, toute forme de pouvoir et d’autorité sur ses semblables ? Il s’agit pour moi
d’un déni de l’anarchisme et d’une tendance des plus dangereuses, qui, si elle l’emportait, saperait
les progrès et la reconnaissance comme force de combat révolutionnaire que les anarchistes
espagnols ont représenté depuis si longtemps.
Cela signifie t’il que je ne suis pas consciente du danger du fascisme ou que je ne reconnais pas la
nécessité de le combattre par tous les moyens ? Rien n’est plus éloigné de ma pensée. Ce que je
veux simplement dire est ceci : si les anarchistes étaient assez forts et assez nombreux pour faire
pencher les élections à gauche, ils seraient également assez forts et assez nombreux pour mobiliser
les ouvriers dans une grève générale , ou même une série de grèves à travers l’Espagne.
En réalité, le moment psychologique pour les anarchistes espagnols pour faire usage de l’action
directe aurait été la révolte de octobre 1934. C’était leur devoir impérieux de se joindre aux
travailleurs et de combattre avec eux jusqu’à la fin. L’excuse donnée par la CNT à l’époque pour
laisser les masses héroïques dans les Asturies à leur sort était qu’elle ne voulait pas s’associer avec
les socialistes, avec des hommes comme Caballero, qui avait si souvent poignardé dans le dos nos
camarades. C’était une pauvre excuse. Mais cet argument fut justifié par commodité. Comment
alors certains anarchistes rejoindraient-ils les socialistes dans les élections ?
Nos camarades furent incités à cette participation par leur solidarité envers les 30 000 prisonniers
politiques. C’était, sans aucun doute, un sentiment louable. Mais, en même temps, leur amnistie
n’était qu’un bref sursis. Car il apparaît déjà que les nouveaux dirigeants au pouvoir ne laisseront
pas les prisons vides très longtemps.
En conclusion, laissez moi dire que, même si certains anarchistes en Espagne sont éblouis par le
succès des communistes dans différents pays, il reste vrai néanmoins que ce n’est qu’un effet de
mode. L’avenir appartient à ceux qui continuent avec audace et avec constance à combattre le
pouvoir et l’autorité du gouvernement. L’avenir nous appartient, à nous et à notre philosophie
sociale. Car c’est le seul idéal social qui prône la pensée indépendante et la participation directe des
travailleurs à leur lutte sociale. De même, c’est seulement à travers les forces économiques
organisées des masses qu’ils pourront se débarrasser et se débarrasseront du système capitaliste et
de tous les maux et les injustices qu’il contient. Tout écart envers cette position ne fera que retarder
notre mouvement et en fera un cheval de Troie pour les politiciens. »

Emma Goldman
Traduction R&B

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