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Maquette de couverture :

Atelier Didier Thimonier


Maquette intérieure :
www.atelier-du-livre.fr
(Caroline Joubert)

© Dunod, 2020
11 rue Paul Bert – 92240 Malakoff
ISBN : 978-2-10-081411-4
Table des matières
Avant-propos

CHAPITRE 1 – Repérage des troubles du comportement alimentaire


1. Classification des troubles
1.1 L’anorexie mentale
1.2 La boulimie
1.3 Les accès hyperphagiques
1.4 Les formes atypiques
1.5 Grignotage et autres particularités alimentaires
2. Sémiologie
2.1 Aspects comportementaux
2.2 Distorsions cognitives
2.3 Aspects émotionnels
3. Repérage précoce et évolution des troubles
3.1 Outils de repérage précoce et de suivi
3.2 Conséquences physiques, psychologiques et sociales
3.3 Troubles associés
3.4 Évolution et pronostic

CHAPITRE 2 – Facteurs de vulnérabilité et facteurs de protection


1. Facteurs de risque environnementaux
1.1 Les facteurs socioculturels : médias, culture et représentations
1.2 Caractéristiques des relations familiales
1.3 Les métiers à risque
2. Facteurs de risque individuels
2.1 Déterminants biologiques et neurologiques
2.2 Facteurs développementaux
2.3 Facteurs émotionnels et personnalité
2.4 Facteurs précipitants
3. Modèles de compréhension des troubles
3.1 Évolution des modèles de compréhension des troubles
3.2 Un modèle biopsychosocial : l’addiction
3.3 Vers de nouveaux modèles de compréhension

CHAPITRE 3 – Accompagnement et prises en charge classiques


1. L’hospitalisation
1.1 Contrat et principe de séparation
1.2 Traitements fondamentaux
2. Principales approches psychothérapiques
2.1 Approches cognitives et comportementales
2.2 Approches familiales
2.3 Thérapies interpersonnelles
2.4 Psychanalyse et thérapies d’inspiration analytique
2.5 Manuels d’autothérapie ou « self-help »

CHAPITRE 4 – Innovations thérapeutiques


1. Thérapie par la remédiation cognitive
1.1 Principes généraux et mécanismes d’action
1.2 Historique et développements
1.3 Profils neurocognitifs
1.4 Les programmes de remédiation cognitive
2. Le développement de la pleine conscience
2.1 Adaptation aux problématiques alimentaires
2.2 Développer la conscience corporelle
2.3 Améliorer la régulation émotionnelle
2.4 Réduire l’insatisfaction corporelle
2.5 Favoriser l’intégration des pratiques dans le quotidien
3. Les apports de la psychologie positive
3.1 Les interventions de psychologie positive
3.2 Alimentation et émotions
3.3 Développer un bien-être durable
3.4 Thérapies centrées sur la compassion
4. L’approche centrée sur l’acceptation et l’engagement
4.1 Développer la flexibilité psychologique
4.2 Les valeurs en toile de fond
4.3 Acceptation n’est pas résignation
4.4 La défusion cognitive

CHAPITRE 5 – Prévention des troubles des conduites alimentaires


1. Interventions de prévention
1.1 Typologie des actions
1.2 Modèles de prévention
1.3 Efficacité des interventions
1.4 Risques et limites des programmes de prévention
2. Développement des programmes de prévention des troubles du comportement alimentaire
2.1 Des actions aux effets contrastés
2.2 Induction de dissonance cognitive
2.3 L’usage d’Internet et l’éducation aux médias
2.4 Développement du sentiment de compétence
2.5 Prévention sélective chez les jeunes
2.6 De nouvelles perspectives inspirées de la psychologie positive

Conclusion et perspectives
1. De la prévention à la promotion de la santé
2. Perspectives de recherche
Bibliographie

Index des notions

Index des auteurs


Avant-propos

Les troubles des conduites alimentaires font aujourd’hui partie des


préoccupations de santé publique en raison de leur augmentation des
risques induits sur la santé physique et mentale des individus concernés,
ainsi que sur leurs proches. Une récente revue systématique des recherches
publiées entre 2000 et 2018 montre que l’augmentation des troubles des
conduites alimentaires était de 3,5 % entre 2000 et 2006, puis de 7,8 %
entre 2013 et 2018 (Galmiche, Déchelotte, Lambert et Tavolacci, 2019).
Ainsi, la prévalence moyenne qui ressort de ces études est de 8,4 % pour les
femmes et 2,2 % pour les hommes. Ces troubles, en particulier l’anorexie
mentale et la boulimie, concernent entre 6 et 8 % des adolescents et
représentent une cause sérieuse de mortalité chez l’adolescent et le jeune
adulte.
Dans une société où l’idéal de minceur ainsi que la valorisation extrême
de la performance et de la maîtrise sont promus, les personnes s’orientent
plus fréquemment vers des comportements de contrôle du poids. La
maîtrise semble d’autant plus nécessaire que les tentations sont importantes
et les moyens favorisant l’équilibre alimentaire peu présents : aliments
sucrés considérés comme des récompenses, publicités pour des produits
hypercaloriques, déstructuration des repas en raison des horaires de travail,
développement de la consommation en fast-food, prix élevé des aliments
comportant des nutriments essentiels tels que les vitamines et les minéraux,
faible place accordée à l’apprentissage de la gestion des émotions et des
comportements dans l’éducation (on considère que les enfants doivent
obéir, mais on ne leur apprend pas à développer les compétences permettant
de le faire). Cette surabondance alimentaire, particulièrement prégnante
dans les grandes villes, côtoie une focalisation importante sur l’apparence
physique, en particulier chez l’adolescente et la jeune adulte. Ainsi, une
majorité de filles se déclarent insatisfaites de leur apparence physique au
moment de la puberté, et plus de la moitié commencent à faire des régimes
à cette période de la vie. On constate, depuis peu, que l’insatisfaction
corporelle gagne même les préadolescentes, ce qui pourrait contribuer à
l’apparition plus fréquente de troubles du comportement alimentaire avant
l’adolescence. Ces conduites prennent ainsi progressivement les devants de
la scène ; en témoigne la multiplicité des émissions et des publications sur
la question.
Le présent ouvrage propose une synthèse des connaissances actuelles,
dans le but d’améliorer la compréhension et la prévention de ces troubles.
Nous traiterons des principales formes de troubles des conduites
alimentaires, anorexie, boulimie, hyperphagie et d’autres formes atypiques
ou subcliniques dont l’incidence est en augmentation. L’appellation
« subclinique » concerne les restrictions alimentaires induisant une
réduction du poids moins importante que l’anorexie, le recours occasionnel
aux crises de boulimie, l’excès d’exercice physique et la représentation
corporelle négative ou erronée. Les troubles des conduites alimentaires
seraient à considérer comme un continuum allant du normal au
pathologique, le mode catégoriel apparaissant trop réducteur.
Cette nouvelle édition apporte une mise à jour des données
épidémiologiques concernant les personnes touchées par les troubles des
conduites alimentaires, notamment en population française chez l’adulte.
De plus, cet ouvrage présente un outil de repérage précoce des troubles des
conduites alimentaires dont l’usage est recommandé et pourrait favoriser
une diminution des risques induits par ces troubles et leur chronicisation. Le
chapitre sur les approches innovantes en termes d’accompagnement fondées
sur la remédiation cognitive, la pleine conscience, l’approche d’acceptation
et la psychologie positive a également été réactualisé au regard des
avancées rapides dans ces domaines.
Chapitre 1
Repérage des troubles
du comportement alimentaire
Sommaire
1. Classification des troubles
2. Sémiologie
3. Repérage précoce et évolution des troubles
La prévalence des troubles du comportement alimentaire est en
augmentation dans les pays industrialisés : parmi les 12-25 ans, elle se situe
actuellement autour de 0,5 à 1 % pour l’anorexie mentale, entre 1,8 et 2 %
pour la boulimie et pour l’hyperphagie. Cependant, la plupart des études
recourent à une phase initiale de dépistage par questionnaire autorapporté,
ce qui ne paraît pas être une procédure suffisamment fiable en raison de la
fréquence des attitudes de déni, en particulier dans l’anorexie. Ainsi, le
nombre de personnes concernées par les troubles alimentaires reste une
approximation. La pratique de régimes restrictifs, considérée comme étant
un facteur de risque dans le développement de ces troubles, est également
largement répandue dans la population occidentale : selon les études, 30 à
77 % des adolescentes auraient déjà fait un régime. La plupart de ces
régimes évoluent spontanément de manière favorable par un retour à une
alimentation normale. Cependant, un certain nombre de ces adolescentes
développent, souvent au décours de leur régime, un trouble du
comportement alimentaire. Ce trouble peut prendre plusieurs formes qui
seront exposées dans ce chapitre.
Dans le DSM-5, la nouvelle version du manuel diagnostic des troubles
mentaux (American Psychiatric Association – APA, 2013 ; traduction
française Crocq et Guelfi, 2015), les principaux troubles du comportement
alimentaire ont été intégrés dans la catégorie « Troubles des conduites
alimentaires et de l’ingestion d’aliments ». Parmi ceux-ci sont répertoriés
l’anorexie mentale de type « restrictive » ou « hyperphagique et
purgative », la boulimie et les accès hyperphagiques (ou binge eating
disorders) qui étaient auparavant classés dans les troubles alimentaires non
spécifiques. Ce changement dans la classification explique pourquoi les
taux de prévalence de troubles alimentaires non spécifiques diminuent,
puisque le plus grand nombre de cas identifiés présentaient un diagnostic
d’hyperphagie.
Sur la base des critères diagnostiques du DSM-5, les études
épidémiologiques indiquent une prévalence de 9 à 12 % au cours de la vie
(Smink, van Hoeken et Hoek, 2013 ; Smink, van Hoeken, Oldehinkel et
Hoek, 2014). Une récente étude corrélationnelle menée en France auprès de
49 603 adultes a mis en évidence un risque de trouble alimentaire chez
15,8 % des femmes et 8 % des hommes (Andreeva et al., 2019).
Toutefois, malgré le taux de prévalence élevé, les troubles des conduites
alimentaires restent insuffisamment détectés en population générale, ce qui
entraîne un retard de prise en charge (Keksi-Rahkonen et Mustelin, 2016 ;
Mond, Hay, Rodgers et Owen, 2007). Ainsi, moins de 10 % des cas de
troubles boulimiques et hyperphagiques et moins de 50 % des cas
d’anorexie sont diagnostiqués par les médecins généralistes (Godart et al.,
2013). Malgré une meilleure information des professionnels de la santé
concernés par les problématiques alimentaires telles que l’anorexie mentale
et la boulimie, l’hyperphagie est un trouble moins bien compris et moins
connu des professionnels (Supina, Herman, Frye et Shillington, 2016), étant
classée dans les principaux troubles alimentaires seulement depuis la sortie
du DSM-5 en 2013.

1. Classification des troubles


1.1 L’anorexie mentale
Il existe aujourd’hui près de 40 000 anorexiques en France au sein de la
population des 12-19 ans, majoritairement des femmes (90 %), les deux
pics d’apparition du trouble se situant autour de 13-14 ans et 17-18 ans.
Chez l’adulte, la population des 18-25 ans est la plus à risque de présenter
une anorexie mentale. Dans le cadre d’une enquête en ligne menée auprès
d’adultes de la cohorte NutriNet-Santé, 1,3 % des femmes ont été
identifiées comme présentant les signes d’une anorexie mentale, et 0,2 %
des hommes (Andreeva et al., 2019).
Le taux de mortalité, plus précoce qu’attendu par rapport à l’âge de
l’individu, est important en raison des conséquences de la dénutrition, des
vomissements, ou encore du suicide (e.g. Arcelus et al., 2011 ; Hudson,
Hiripi, Pope et Kessler, 2007). L’anorexie est le trouble de santé mentale
dont le risque de mortalité prématurée est le plus élevé (Chesney, Goodwin
et Fazel, 2014). Plus les épisodes sont prolongés, plus les taux de mortalité
précoce augmentent : environ 20 % pour les études dépassant 20 ans de
suivi, dont 5 à 10 % de suicides.
L’anorexie « mentale » se différencie de l’anorexie (ou perte d’appétit)
secondaire, pouvant survenir à la suite de la prise d’un médicament ou au
cours d’une maladie. L’anorexie mentale est une conduite de restriction
alimentaire volontaire dont la persistance et la sévérité ont laissé penser
qu’il s’agissait de la manifestation de troubles névrotiques tels que
l’hystérie, le trouble obsessionnel-compulsif ou encore d’un trouble de la
personnalité plus grave, impliquant une perte de contact avec une partie de
la réalité (le corps) et un déni massif des besoins fondamentaux.
Les descriptions de conduites anorexiques datent de l’Antiquité, mais on
attribue les premières descriptions psychopathologiques à Gull (hysteria
apepsia) et à Lasègue (anorexia nervosa). Depuis les années quarante,
nombre d’hypothèses psychogénétiques ont été formulées, notamment par
Bruch, Selvini-Palazzoli, Kestemberg ou Jeammet. Si l’étymologie du mot
« anorexie » fait référence à la perte d’appétit, l’origine du problème ne
réside pourtant pas dans l’absence de sensation de faim. En effet, loin
d’avoir perdu l’appétit, la personne anorexique lutte activement contre la
sensation de faim, du moins au début de la maladie, dans le but de ne pas
prendre de poids. Après une période de restriction alimentaire importante,
le corps s’adapte à cet état de famine et la sensation de faim disparaît. Les
mécanismes biologiques de la faim et de la satiété se dérèglent, mais la faim
reprend souvent le dessus, entraînant dans 50 % des cas d’anorexie
restrictive un passage à des comportements boulimiques.
1.1.1 Critères diagnostiques

« Anorexie » signifie « perte d’appétit ». Or il s’agit plus précisément d’un


refus alimentaire lié à une peur intense de prendre du poids, alors que le
poids est inférieur à la normale. Cette angoisse conduit à une diminution
drastique des quantités ingérées et à une réduction de la diversité des choix
alimentaires. Ces comportements s’accompagnent d’une altération de la
perception du poids ou de la forme de son propre corps avec un déni de la
gravité de la maigreur. On observe parallèlement une influence excessive du
poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi. L’attitude de
l’anorexique face à la perte de poids est caractérisée par une banalisation de
l’amaigrissement ou une dissimulation de celui-ci par le port de vêtements
amples. Cette perte de poids spectaculaire entraîne souvent, dans un
premier temps, des bénéfices secondaires comme l’admiration, l’attention et
les félicitations des proches. D’après le Manuel diagnostique et statistique
des troubles mentaux – DSM-5 (APA, 2013), l’anorexie est évoquée lorsque
la perte de poids conduit au maintien d’un poids inférieur à 85 % du poids
attendu. Cet amaigrissement est rapide et important (entre 10 % et 50 % du
poids normal pour la taille et l’âge du sujet), l’indice de masse corporelle
(IMC) devenant inférieur à 17. L’IMC (poids divisé par la taille au carré)
adapté se situe autour de 20. En dessous de 17,5 le poids est considéré
comme insuffisant et participe à l’identification de l’anorexie. À partir
d’un IMC inférieur à 15, le pronostic vital est en jeu et l’hospitalisation
pour réalimentation est recommandée.
1.1.2 Les différentes formes d’anorexie mentale
Il existe deux formes principales d’anorexie mentale : le type restrictif pur
et le type avec accès hyperphagique et purgatif. La première catégorie
concerne les anorexiques qui perdent du poids exclusivement via des
restrictions caloriques sévères, éventuellement accompagnées d’exercice
intensif. La seconde catégorie constitue une association entre des
comportements anorexiques et boulimiques. Les crises de boulimie sont
généralement suivies de vomissements et de prises de purgatifs. En
comparaison avec les personnes anorexiques restrictives, le type avec accès
hyperphagique et purgatif est davantage associé à des comportements
pathologiques tels que la consommation de substances psychoactives, ainsi
qu’une plus grande variabilité de l’humeur.

1.2 La boulimie
Le terme « boulimie » est dérivé du grec bous, le bœuf, et limos, la faim,
signifiant ainsi « faim de bœuf ». Des premières descriptions apparaissent
dans l’Antiquité, qui deviennent plus précises à partir du dix-
neuvième siècle. Les critères diagnostiques exacts sont définis seulement
depuis 1980 (DSM-III). Depuis ces années, il semblerait que la boulimie se
soit répandue davantage, notamment au sein des sociétés de type occidental.
Outre le fait que les troubles sont mieux connus et donc plus facilement
repérés, l’impact des exigences culturelles et des représentations collectives
sur les cognitions et les comportements des femmes semble
particulièrement impliqué dans la survenue de ces troubles.
On compte aujourd’hui une prévalence d’environ 1 % de boulimie dans la
population adolescente, le trouble survenant plutôt vers la fin de
l’adolescence (18 ans), et principalement chez les filles (90 %). Chez
l’adulte, la population des 18-25 ans est la plus touchée par ces troubles.
Dans le cadre d’une enquête en ligne menée auprès d’adultes de la cohorte
NutriNet-Santé, 4,4 % des femmes ont été identifiées comme présentant les
symptômes de la boulimie, et 1,1 % des hommes (Andreeva et al., 2019).
1.2.1 Critères diagnostiques

La boulimie se caractérise par des épisodes récurrents d’hyperphagie


incontrôlée (consommation de grandes quantités d’aliments sans parvenir à
se retenir), survenant depuis plus de trois mois, à raison d’au moins une
crise par semaine (DSM-5 ; Crocq et Guelfi, 2015). Un tel épisode consiste
en une prise alimentaire en un temps court (inférieur à deux heures), d’une
quantité de nourriture largement supérieure à celle que la plupart des gens
mangeraient dans le même temps et les mêmes circonstances. Elle
s’accompagne d’une impression de perte de contrôle des quantités ingérées
ou de la possibilité de s’arrêter. Parallèlement, la personne met en œuvre
des comportements compensatoires visant à éviter la prise de poids :
vomissements provoqués, prise de laxatifs ou de diurétiques, jeûne, excès
d’exercice physique. Comme dans les autres troubles alimentaires, le
jugement porté sur soi est fortement influencé par la forme et le poids du
corps. Ce qui différencie le diagnostic de boulimie de celui d’anorexie-
boulimie est le fait que le poids reste dans les limites de la normale, l’indice
de masse corporelle restant supérieur à 17.
1.2.2 Accès d’hyperphagie incontrôlée

L’accès boulimique est composé de plusieurs phases. Une première phase


avec excitation, lors de laquelle l’individu se sent envahi d’une sensation
oppressante le poussant à consommer des aliments, accompagnée
d’angoisse et d’une forte irritabilité. La deuxième phase est caractérisée par
un accès hyperphagique : surconsommation alimentaire incontrôlable,
impérieuse, irrépressible, de survenue brutale, d’aliments hypercaloriques,
faciles à ingérer (de 3 000 à 20 000 calories par accès). Cet événement se
produit de manière furtive et précipitée, parfois sans mastication et pouvant
aller jusqu’à l’étouffement. L’accès s’arrête en général à l’arrivée d’une
tierce personne, lorsqu’il n’y a plus d’aliments ou quand les maux de ventre
et le sentiment de dépersonnalisation deviennent trop intenses. Après la
crise, la troisième phase est caractérisée par un malaise profond aussi bien
physique (douleurs et lourdeurs abdominales, nausées, céphalées, fatigue)
que psychique (honte, remords, culpabilité, dégoût, haine, mépris de soi).
La fréquence des accès est variable, allant de quelques crises
hebdomadaires jusqu’à dix par jour, souvent suivies de comportements
visant à éliminer rapidement les calories ingurgitées. En dehors des accès de
boulimie, la personne présente de nombreuses préoccupations concernant le
corps et la nourriture. Les cognitions alimentaires sont récurrentes,
impliquant la nécessité d’une lutte pour leur résister et des stratégies
d’évitement des situations augmentant la tentation : proximité de lieux à
risque comme les boulangeries, argent disponible, temps de pause dans la
journée, solitude. Cependant, la peur du manque entraîne des
comportements de stockage d’aliments, ce qui pousse certains individus à
congeler systématiquement les aliments pour en éviter la consommation
immédiate. Il arrive pourtant que des patients consomment même des
aliments encore congelés lors de crises.
La distinction entre boulimie et anorexie-boulimie est remise en cause
actuellement par certaines recherches, ce dernier sous-type se rapprochant
davantage de la boulimie que de l’anorexie (e.g. Gleaves et al., 2000).
Plusieurs études arrivent à la conclusion qu’il existe davantage de
différences au sein d’un même diagnostic (entre anorexie et anorexie-
boulimie), du point de vue des traits de personnalité ou de l’étiologie,
qu’entre les diagnostics d’anorexie et de boulimie (e.g. Wonderlich et
Mitchell, 2001).

1.3 Les accès hyperphagiques


Les accès hyperphagiques sont similaires aux comportements que l’on
rencontre dans la boulimie, mais sans comportements compensatoires. Ils
surviennent sur une période d’au moins trois mois à raison de trois fois par
semaine minimum et sont suivis d’une détresse importante. Ces accès sont
associés à au moins trois caractéristiques parmi les cinq suivantes (extrait
du DSM-5, Crocq et Guelfi, 2015) :
– consommation d’aliments plus rapide que la normale ;
– consommer jusqu’à en avoir une sensation pénible de distension
abdominale ;
– consommation de grandes quantités d’aliments en l’absence de sensation
de faim ;
– consommation solitaire en raison de la honte liée aux quantités excessives
ingérées ;
– dégoût, culpabilité et autres émotions négatives éprouvées à la suite de la
consommation excessive.
En raison de l’augmentation de la pression vers la minceur, accompagnée
de près par une pression envers la surconsommation (publicités,
présentations astucieuses dans les magasins, déstructuration des temps de
repas…), les accès hyperphagiques figurent aujourd’hui parmi les troubles
du comportement alimentaire les plus répandus, passant avant la boulimie et
l’anorexie mentale qui sont plus connues. Dans le cadre de l’enquête en
ligne menée auprès d’adultes de la cohorte NutriNet-Santé, 8,1 % des
femmes ont été identifiées comme présentant les signes d’un trouble
hyperphagique, et 5 % des hommes (Andreeva et al., 2019). Contrairement
à l’anorexie mentale et à la boulimie, les jeunes adultes ne sont pas plus à
risque que les plus âgés. Chez les hommes, les risques augmentent même
après 40 ans.
Ainsi les troubles hyperphagiques sont aujourd’hui les troubles
alimentaires les plus répandus. Le développement croissant de
l’hyperphagie nécessite la conception et l’évaluation de nouvelles modalités
de prise en charge centrées sur la capacité à résister aux pressions ainsi que
sur la régulation des émotions et des comportements.

1.4 Les formes atypiques


1.4.1 Les troubles alimentaires au masculin

Les troubles des conduites alimentaires sont plus rares chez le garçon
(10 %), bien que les chercheurs considèrent qu’il existe une sous-évaluation
des cas de troubles alimentaires chez les garçons en raison des
représentations véhiculées autour de la maladie. En effet, ce type de trouble
étant considéré comme une maladie féminine, l’entourage est moins
facilement alerté par l’amaigrissement des garçons, et ceux-ci sont moins
enclins à en parler en raison d’une stigmatisation redoutée. Chez les
garçons, le surpoids au cours de l’enfance est plus fréquent et peut
expliquer la survenue d’une insatisfaction corporelle en raison de remarques
récurrentes de l’entourage, ainsi qu’un déclenchement des troubles avant le
début de la puberté. Sur le plan biologique l’on observe une diminution de
la testostérone et des anomalies de la production d’hormones de croissance
(augmentation ou diminution). Les troubles de l’érection et l’absence de
libido sont considérés comme des équivalents de l’aménorrhée. L’activité
sexuelle et les fantasmes érotiques sont ainsi considérés comme des
éléments de pronostic favorables.
Plusieurs recherches ont mis en avant l’incidence plus importante de
troubles des conduites alimentaires dans la population homosexuelle, ce qui
pourrait s’expliquer par une plus grande insatisfaction corporelle chez ces
individus (voir Hospers et Jansen, 2005). D’autre part, on observe chez les
hommes présentant un trouble du comportement alimentaire des taux
nettement supérieurs d’abus sexuels et de négligence au cours de l’enfance
que chez leurs homologues féminins (Eliot et Baker, 2001). Lorsque le
trouble du comportement se manifeste chez le garçon avant la puberté, il
correspond le plus souvent à un symptôme psychopathologique d’un trouble
sous-jacent tel que la dépression infantile.
Chez l’adulte, avec la nouvelle classification des troubles du
comportement alimentaire proposée par le DSM-5, le nombre d’hommes
concerné par un trouble alimentaire est mieux identifié car le pourcentage
d’hommes présentant un trouble hyperphagique est non négligeable.
1.4.2 Les troubles des conduites alimentaires chez l’enfant

Il existe des troubles de l’alimentation dès la naissance, mais l’étiologie de


ces troubles diffère, au moins en partie, de celle des troubles qui se
manifestent au cours de l’adolescence. En revanche, on observe des formes
d’anorexie prépubère (9-12 ans) dont les causes et les symptômes semblent
similaires à ce qui est observé chez l’adolescent. L’incidence accrue de la
forme prépubère est préoccupante en raison des retentissements potentiels
sur la croissance : le retard staturo-pondéral est parfois irréversible et les
carences sont nombreuses, entraînant un dysfonctionnement général de
l’organisme. La boulimie n’est que très rarement rapportée chez l’enfant,
les seuls cas observés étant des sujets présentant de graves troubles de la
personnalité par ailleurs.
1.4.3 Les troubles alimentaires d’apparition tardive
En ce qui concerne l’anorexie ou la boulimie de l’adulte, on parle
d’apparition tardive lorsque les symptômes surviennent après l’âge de
25 ans. Cependant, des premiers signes sont généralement apparus au cours
de l’adolescence à la suite d’événements spécifiques. Ces signes sont passés
sous silence ou restés inaperçus, mais sont fréquemment restitués par les
patients suivis à l’âge adulte. La décompensation apparaît souvent à la suite
d’un événement bouleversant comme une naissance, la perte d’un emploi
ou le départ d’un enfant. Cette forme est considérée comme à risque de
chronicisation, le trouble alimentaire n’étant pas en lien avec la
problématique adolescente et les modifications physiques dues à la puberté,
mais davantage utilisé comme un mode d’adaptation générique face aux
difficultés rencontrées au cours de la vie.

1.5 Grignotage et autres particularités alimentaires


1.5.1 Le grignotage

Le grignotage est une habitude fortement répandue qui consiste en une


ingestion répétée de faibles quantités de nourriture en dehors des repas
habituels. Le grignoteur mange parfois en cachette, mais sans grande
culpabilité. Il apprécie particulièrement certains aliments comme les
sucreries, le chocolat et les biscuits apéritifs. Or, dans une société où la
minceur et la maîtrise de soi sont hautement valorisées, le grignotage est
rapidement associé à une pathologie. Ainsi, nombre de personnes rapportent
des envies très fortes d’aliments, principalement le chocolat (40 % des
femmes), et craignent une « addiction alimentaire ». Le désir d’un aliment
agréable au goût entre en conflit avec la nécessité culturellement imposée
d’en réduire les apports, ce qui accentue l’envie de consommer cet aliment
et amène à l’interpréter comme une addiction (« chocoholisme »). Or,
plusieurs recherches qui se sont intéressées à la question de l’addiction
alimentaire indiquent qu’il s’agit d’une conception inexacte. En effet, il
n’existerait pas d’addiction à des aliments spécifiques comme le chocolat. Il
peut s’agir d’une recherche de régulation de l’humeur et de l’anxiété par
l’apport d’aliments dont le goût est plaisant, ce qui augmente les émotions
positives. Il ne s’agit pas d’une addiction à un composant de l’aliment en
question, mais d’une recherche de plaisir gustatif.
1.5.2 La surconsommation alimentaire au cours des repas

Parmi les comportements alimentaires on rencontre également des cas de


surconsommation alimentaire au cours des repas, mais sans caractère
incoercible, irrépressible ou incontrôlable, et avec une absence de conduites
d’extrême contrôle du poids. Cette pratique peut mener à l’obésité, mais,
dans la majorité des cas, l’obésité provient d’une association entre une
prédisposition génétique et une situation génératrice de prise de poids
comme la sédentarité. Le recours à l’alimentation comme stratégie de
gestion des émotions peut bien sûr s’ajouter à cette situation, mais ce
comportement se distingue nettement de la boulimie. Il importe également
de ne pas confondre boulimie et gourmandise, cette dernière étant toujours
associée à la notion de plaisir, tandis que la personne boulimique souffre
profondément de son état.
1.5.3 L’orthorexie

Le terme « orthorexie » provient du grec orthos qui signifie « droit,


correct » et de orexis qui signifie « appétit ». Cette appellation a été donnée
pour désigner des individus dont l’attention est considérée comme
excessivement centrée sur la qualité de la nourriture (biologique,
végétarienne, sans gluten…), sans raisons médicales justifiant l’anxiété
générée par une alimentation perçue comme malsaine, qu’ils ne se donnent
pas le « droit » de consommer. Manger sainement devient une obligation et
une préoccupation de chaque instant. Ainsi, ces personnes préféreront éviter
de manger un repas plutôt que de consommer un aliment qui ne figure pas
dans la liste des ingrédients bons pour la santé (par exemple un hamburger).
De plus, ils consacrent des heures à se renseigner sur les régimes
alimentaires les plus sains et s’essaient à des régimes alimentaires parfois
extrêmes tels que le végétalisme (éviter de consommer tout produit
animalier) ou le crudivorisme (éviter tout aliment cuit). Les spécialistes de
la nutrition et les articles scientifiques sont moins souvent considérés
comme dignes de confiance en raison des nuances apportées (consommer
du gluten n’est pas mauvais pour un individu, à moins qu’il ne présente une
allergie au gluten ; se priver de gluten lorsque l’on n’est pas allergique
constituerait plutôt un facteur de risque pour la santé) et des revirements de
situation. En effet, les avancées importantes de la recherche nutritionnelle
battent parfois en brèche des idées reçues. À l’inverse, d’autres études
viennent confirmer l’efficacité de certains remèdes de grand-mère tels que
le miel pour améliorer l’efficacité des défenses immunitaires. Les
orthorexiques préfèrent se référer à des ouvrages dans lesquels les règles
des régimes à suivre sont clairement édictées. Il suffit de les suivre à la
lettre, ce qui entraîne des comportements alimentaires rigides, sources
d’angoisses et de culpabilité, surtout si l’on doit aller manger chez des
amis… ou, pire, au restaurant (sans parler des fast-foods !). Les femmes
sont principalement concernées par ce type de fonctionnement.
1.5.4 Le pica

Pica est le nom latin donné à la pie, cet oiseau qui consomme toutes sortes
de choses. Le pica est une pathologie qui consiste en une ingestion de
substances non comestibles telles que la terre, les feuilles, le sable, le
plastique… On parle de pica lorsque ce comportement perdure depuis plus
d’un mois et ne correspond pas à un comportement que l’on rencontre
habituellement à cet âge. Le pica est associé à l’apparition d’infections et
d’intoxications en raison des substances ingérées. Ce trouble étant
particulièrement à risque, il figure dans le DSM-5, qui recommande une
prise en charge clinique. On retrouve ce type de conduites chez des
individus présentant un retard mental ou encore un trouble envahissant du
développement tel que l’autisme.

2. Sémiologie
Les critères diagnostiques de l’anorexie et de la boulimie coexistent avec
d’autres symptômes qui reflètent les difficultés des personnes souffrant de
ces troubles. Le trouble alimentaire se manifeste par un ensemble
d’attitudes inhabituelles ou de comportements dysfonctionnels face à la
nourriture, au corps, à la santé et aux autres personnes.

2.1 Aspects comportementaux


2.1.1 Restriction alimentaire et ritualisation

Les troubles des conduites alimentaires débutent souvent par une phase de
restriction alimentaire quantitative et qualitative. La personne mange
nettement moins que ce qui serait nécessaire pour sa taille et son âge et
sélectionne les aliments en fonction de croyances. Pour certains, les
aliments blancs seraient plus faciles à manger, car ils semblent plus
« purs ». Les aliments crus sont davantage appréciés par d’autres, croyant
qu’ils feraient moins grossir, ou sont à l’inverse rejetés car ils provoquent
davantage de ballonnements. Comparativement à la conduite d’un régime
normal, l’entrée dans l’anorexie est caractérisée par une ritualisation de
nombreux comportements, celle-ci pouvant être comprise comme un besoin
de maîtrise des besoins physiologiques comme le fait de manger, qui
deviennent oppressants sous l’effet de la restriction alimentaire.
Les rituels observés concernent la pesée de chaque aliment consommé, le
découpage patient de tous les aliments présents dans l’assiette en toutes
petites unités, le tri, la pesée, etc. D’autres comportements de rangement ou
de nettoyage viennent renforcer l’apparence d’un trouble obsessionnel-
compulsif. Il est à noter que ces comportements semblent être secondaires à
la restriction alimentaire. Une expérimentation réalisée aux États-Unis
indique que, lors de l’imposition d’un régime restrictif auprès d’un
échantillon de personnes du tout-venant (hommes et femmes adultes), des
pensées obsédantes d’alimentation assaillent le sujet, de même que des
pulsions à consommer de grandes quantités d’aliments hautement
caloriques (crises de boulimie). Les comportements se ritualisent (horaires
de repas strictement respectés, rangement des aliments à des emplacements
très précis, etc.), cette attitude venant contaminer l’ensemble de la vie
quotidienne des participants de l’étude. Cette attitude de contrôle et
d’organisation peut être analysée comme une tentative de gestion de
l’anxiété générée par les besoins physiologiques non satisfaits.
2.1.2 Conduites d’évitement et d’exposition
Les personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires tentent de
lutter contre la sensation de faim au moyen de stratégies comme la
consommation de liquides. La conduite active de restriction est souvent
dissimulée par la personne, qui s’arrange pour établir un planning
d’activités précisément aux horaires habituels de repas. Ce refus alimentaire
contraste avec un fort intérêt (voire une obsession) pour l’alimentation. Ces
personnes possèdent souvent des connaissances étendues en matière de
nutriments, sont parfois passionnées de cuisine, les plats étant cependant
destinés aux autres membres de la famille… Ainsi, l’anorexique se met en
quelque sorte à l’épreuve, afin de se prouver sa capacité à contrôler l’acte
alimentaire. Cela lui permet de se rassurer constamment sur ses capacités de
maîtrise, sa plus grande peur étant de perdre le contrôle face à la nourriture.

2.2 Distorsions cognitives


2.2.1 Troubles de l’image du corps
Aujourd’hui, le pèse-personne tend à supplanter le miroir du conte de
Blanche Neige pour valider ou infirmer la beauté d’une femme… Parmi les
personnes concernées par les troubles des conduites alimentaires, l’estime
de soi est très fortement dépendante de l’image du corps. Cette image est
constituée de composantes perceptuelles, subjectives et comportementales
(Thompson, 1990). La composante perceptive concerne la précision avec
laquelle on perçoit la taille du corps et de ses différentes parties. Les
personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires perçoivent
certaines parties de leur corps comme ayant une taille supérieure à la réalité
(hanches, cuisses). Les études réalisées sur cette distorsion cognitive
montrent que l’estimation perceptive est erronée chez les personnes
atteintes de troubles des conduites alimentaires : elles considèrent, par
exemple, qu’il leur faudrait plus d’espace pour passer par une porte que les
mesures objectives ne le montrent.
La composante subjective (cognitive et affective) concerne les attitudes,
sentiments, cognitions et évaluations suscités par les aspects physiques et le
poids du sujet comme l’insatisfaction, l’anxiété, la préoccupation
corporelle… Les personnes ayant des troubles des conduites alimentaires
ont l’impression que leur corps n’est pas agréable à regarder, elles
considèrent que les observateurs perçoivent la moindre imperfection et
jugent la personne en fonction de son apparence. Selon elles, les personnes
en surpoids seraient perçues comme étant faibles, manquant de volonté et
n’étant pas dignes d’être appréciées. Elles maintiennent des croyances
erronées quant à la silhouette qu’elles devraient avoir et plus
particulièrement quant au lien existant entre l’apparence physique et la
réussite sociale et professionnelle. Ainsi, l’estime de soi se constitue à partir
de ce prisme, les autres composantes de cette estime ayant un impact
beaucoup plus faible sur l’estime de soi globale. Outre l’attractivité
physique, les individus non concernés par les troubles alimentaires prennent
d’autres paramètres en compte comme le fait d’être en bonne santé, les
compétences intellectuelles et relationnelles… Cependant, l’on constate
qu’un nombre croissant de personnes se préoccupent en priorité de leur
apparence physique, bien que leurs distorsions cognitives ne soient pas
aussi importantes que celles des patients anorexiques et boulimiques.
Enfin, la composante comportementale de l’image du corps s’observe à
travers des conduites d’évitement de situations exposant le corps ou, à
l’inverse, des conduites visant à l’exhiber. Dans le cas des troubles
alimentaires, les particularités perceptives et subjectives s’accompagnent de
comportements d’évitement de situations comme la pratique d’activités qui
attirent le regard des autres (danse) ou le port de vêtements moulants. Le
mal-être corporel se manifeste également par la répétition des pesées au
cours de la journée, par peur de grossir rapidement en restant sédentaire ou
en ayant l’impression d’avoir mangé trop copieusement.
Le trouble de l’image corporelle se définit par une préoccupation exagérée
par rapport à une partie de son corps jugée insatisfaisante et produisant un
mal-être cliniquement significatif qui peut s’accompagner d’une
détérioration sociale, professionnelle ou dans d’autres domaines importants
de l’activité de l’individu (Rosen, 1995). Ce trouble dysmorphique serait
davantage à considérer de manière dimensionnelle et non catégorielle au vu
du nombre de personnes concernées par leur apparence physique de nos
jours. Il s’agit donc d’évaluer l’insatisfaction corporelle sur un continuum
allant d’une attention portée à l’apparence jusqu’à une préoccupation
perturbant l’ensemble du fonctionnement quotidien du sujet. En effet,
l’image du corps est influencée par la manière dont celui-ci est
culturellement perçu et représenté. Ainsi, dans une société où le corps est
plus souvent représenté comme un objet (théorie de l’objectivation ;
Fredrickson et Roberts, 1997), la tendance à le considérer soi-même comme
un objet (en se percevant à travers le regard d’autrui) est plus forte. Cette
tendance à l’auto-objectivation constitue un facteur de risque de troubles
des conduites alimentaires chez les femmes (Piran et Cormier, 2005).
L’auto-objectivation est considérée comme pouvant entraîner une
diminution de la perception de ses sensations, et notamment des signaux de
faim, ce qui faciliterait le passage à un régime restrictif draconien.
2.2.2 Particularité des cognitions alimentaires
Les comportements alimentaires ne proviennent pas uniquement de
connaissances nutritionnelles ou de la disponibilité alimentaire, mais aussi
de cognitions générant une impression selon laquelle l’incorporation d’un
aliment donne la sensation d’en absorber les caractéristiques. Dans le cadre
des troubles des conduites alimentaires, il existe des croyances particulières
concernant l’alimentation, ainsi qu’une manifestation de stress face à ce qui
concerne la nourriture. La tâche de Stroop modifiée est utilisée pour
mesurer le conflit interne produit par la présentation de mots en lien avec
l’alimentation. La tâche de Stroop originelle consiste à nommer la couleur
d’un mot apparaissant sur un écran, alors que le mot qui apparaît est le nom
d’une autre couleur (le mot « rouge » est écrit en jaune, la tâche étant de
nommer la couleur du mot, donc jaune). Le temps de réponse permet de
mesurer le conflit cognitif produit par cet événement. Dans le cadre du
paradigme expérimental proposé à des participants atteints de troubles des
conduites alimentaires, l’on constate que les temps de réaction sont plus
longs pour nommer la couleur de mots relatifs au corps, au poids et à la
nourriture, en comparaison d’un groupe témoin. Ce type d’expérimentation
révèle les préoccupations des participants. Ainsi, l’on retrouve des temps de
réaction lents chez toute femme présentant un intérêt important pour
l’apparence physique ou pour la nutrition, de même que chez des personnes
en état de déprivation nutritionnelle (Stewart et Samoluk, 1997). D’autres
outils sont donc utilisés pour mesurer les distorsions cognitives propres aux
personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire.

Afin d’approfondir les connaissances en matière de croyances nutritionnelles, une étude


menée par Urdapilleta et ses collègues (2005) s’est intéressée à la catégorisation
alimentaire réalisée par des patients atteints de troubles des conduites alimentaires. Il
était demandé à ces participants de regrouper des termes se référant à l’alimentation et
d’argumenter leurs choix de catégorisation. Ces critères diffèrent significativement de
ceux du groupe témoin et semblent spécifiques à chaque forme de trouble alimentaire.
Un premier critère de regroupement effectué par les anorexiques concerne l’effet de
l’aliment sur le corps : il existe des aliments difficiles à éliminer, riches, gras et donc
indigestes et des aliments bons pour le transit et bénéfiques pour l’organisme comme les
légumes. Une autre catégorie porte sur le caractère naturel ou artificiel de la nourriture,
les aliments artificiels, c’est-à-dire fabriqués par l’homme, étant considérés comme
néfastes pour le corps. Enfin, il existe des aliments « autorisés » (yaourts) et d’autres
« interdits » (desserts). Pour les anorexiques-boulimiques une catégorie spécifique
apparaît concernant les aliments consommés lors de crises, souvent « lourds » ou
« bourratifs », opposés aux aliments dits « légers ». Le pain et les gâteaux sont ainsi
regroupés non parce qu’il s’agit de sucres, mais d’aliments qui permettent de réduire
rapidement la sensation de faim et de manque. Chez les boulimiques à poids normal,
une catégorie particulière concerne la texture des aliments, ceux-ci étant regroupés en
fonction de la nécessité de mâcher ou, à l’inverse, de leur caractère mou qui permet de
les avaler rapidement. Ces personnes s’intéressent également à l’effet des aliments sur
les crises de boulimie en regroupant, par exemple, les aliments qui évitent les aigreurs
lors de repas trop conséquents. On constate donc que ces patients effectuent des
catégorisations en fonction de leurs investissements, de leurs expériences personnelles,
plutôt qu’en référence à des connaissances nutritionnelles (familles d’aliments, types de
nutriments…).

L’une des particularités des individus souffrant de troubles des conduites


alimentaires est une tendance supérieure à présenter un biais cognitif appelé
fusion pensée-forme (Shafran, Teachman, Kerry et Rachman, 1999). Ce
biais est caractérisé par le fait que lorsque l’individu se représente
mentalement un aliment, il a l’impression que cela équivaut à le manger (il
considère qu’il prend du poids en pensant à un hamburger par exemple ;
voir encadré ci-après).
L’intensité du biais cognitif de fusion pensée-forme se mesure en
additionnant le score obtenu à chacune des phrases. Il se situe entre 0
(absence de biais) et 72 (biais très prononcé). Des pratiques telles que la
pleine conscience (conscience de ses automatismes de pensée notamment et
considération des pensées comme des phénomènes survenant dans le champ
de la conscience et non comme des réalités) sont actuellement considérées
comme un moyen de pouvoir diminuer ce type de biais cognitif (voir
chapitre 4).
2.2.3 Le déni de la maladie

Les personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires, en


particulier les anorexiques, présentent une attitude de déni face à leurs
troubles et face à leurs besoins physiologiques : elles méconnaissent ou
dénient la sensation de fatigue et l’ensemble des besoins physiologiques en
repoussant les limites de leur corps de plus en plus loin. On observe une
pratique intensive de la gymnastique, de la danse, du jogging ou de la
marche prolongée, mettant sans arrêt à l’épreuve un corps présentant de
multiples signes de carences. L’importance de la maigreur contraste alors
avec le sentiment de bien-être, celui-ci étant induit par les effets du jeûne
sur la production d’endorphines. Cette sensation de bien-être éloigne les
sentiments d’anxiété et les symptômes dépressifs, encourageant ainsi la
poursuite du comportement adopté. Ce déni de la maladie peut ainsi être
considéré comme responsable de la prise en charge tardive des patients
anorexiques, ce qui pourrait expliquer, en partie, les difficultés à se défaire
d’un comportement déjà bien ancré.
Échelle de fusion pensée-forme (Shafran, Teachman, Kerry et Rachman, 1999 ;
version française Coelho et al., 2013)
Veuillez évaluer chaque proposition en entourant le chiffre qui décrit le mieux à quel
point vous êtes d’accord avec la proposition, ou dans quelle mesure cette proposition est
vraie pour vous. Même si certaines de vos réponses peuvent vous sembler
irrationnelles, nous voulons savoir ce que vous ressentez. Veuillez répondre à chaque
item sans passer trop de temps sur un item en particulier.

Pas
Un Totalement/
du Modérément Beaucoup
peu toujours
tout
Je me sens plus gros(se) après avoir
pensé à manger de la nourriture
0 1 2 3 4 5
« interdite » ou qui fait grossir (par ex.
du chocolat).

Si je pense au fait de prendre du poids,


je veux m’assurer que je ne suis pas 0 1 2 3 4 5
plus à l’étroit dans mes vêtements.

Penser prendre du poids est aussi


« immoral » pour moi que prendre 0 1 2 3 4 5
réellement du poids.

Le simple fait de m’imaginer prendre


du poids peut réellement me faire 0 1 2 3 4 5
prendre du poids.

Je me sens énorme juste en


m’imaginant de ne pas faire d’exercice 0 1 2 3 4 5
pendant un mois.

Le simple fait de penser à m’empiffrer


0 1 2 3 4 5
me pousse à vouloir me peser.

Penser à faire un écart à mon régime


me pousse à vouloir vérifier dans le
0 1 2 3 4 5
miroir que je ne parais pas plus
gros(se).

Le simple fait de penser à ne pas faire 0 1 2 3 4 5


de l’exercice peut changer mon
apparence.

Je me sens plus gros(se) à la seule


0 1 2 3 4 5
pensée de m’empiffrer.

Le simple fait de penser à ne pas faire


de l’exercice durant un mois me pousse 0 1 2 3 4 5
à vouloir manger moins.

Pas
Un Totalement/
du Modérément Beaucoup
peu toujours
tout
Il est presque aussi inacceptable de
penser faire un écart à mon régime que 0 1 2 3 4 5
de réellement faire un écart.

Ma silhouette peut réellement changer, à


la simple idée de manger des aliments 0 1 2 3 4 5
qui font grossir.

Je me sens plus gros(se) à la simple idée


0 1 2 3 4 5
de prendre du poids.

M’imaginer manger de la nourriture


« interdite » ou qui fait grossir (p. ex. du
chocolat) me pousse à vouloir vérifier 0 1 2 3 4 5
mon corps pour être certain(e) que je
n’ai pas pris de poids.

À quelle fréquence avez-vous des


pensées concernant les effets de manger
0 1 2 3 4 5
de la nourriture interdite ou qui fait
grossir ?

Généralement, jusqu’à quel point les


pensées au sujet de la nourriture
interdite vous affligent-elles ou 0 1 2 3 4 5
interfèrent-elles avec votre vie
quotidienne ?

Quand vous avez des pensées de la


nourriture interdite, jusqu’à quel point
0 1 2 3 4 5
est-il important pour vous de les chasser
de votre esprit ?

Quand vous avez des pensées de la 0 1 2 3 4 5


nourriture interdite, jusqu’à quel point
est-ce difficile de les chasser de votre
esprit ?

2.2.4 La pensée dichotomique

Les personnes ayant des comportements de restriction alimentaire


développent une forme de pensée binaire. La lutte permanente contre la
tentation d’aliments interdits les rend sensibles au moindre échec, car tout
écart est potentiellement menaçant : les personnes rapportent une angoisse
importante face à la transgression alimentaire, imaginant que celle-ci
pourrait déclencher une hyperphagie non contrôlée. Elles se construisent un
système de référence alimentaire séparant les aliments « interdits » des
aliments « autorisés », toute transgression étant considérée comme un échec
de tout le régime.
Cette pensée dichotomique est accentuée par le fait que les personnes
atteintes de troubles des conduites alimentaires rapportent souvent
l’impression d’être scindées en deux et, ce, à plusieurs niveaux : le corps
distinct de l’esprit, l’esprit lui-même comportant deux voix qui s’opposent.
Les patients racontent ainsi les dialogues intérieurs entre « ange » et
« démon », une voix « malsaine » les entraînant sans cesse vers une
augmentation du contrôle, du rejet de l’alimentation et des relations.
Certaines personnes anorexiques expriment même une sensation d’angoisse
vertigineuse face au constat de leur perte de contrôle de l’amaigrissement :
alors qu’elles voudraient retrouver un poids normal, elles se retrouvent
piégées par une partie d’elles-mêmes qui les maintient dans la pathologie.
En effet, tous les anorexiques ne dénient pas la maigreur, mais se focalisent
sur certaines parties de leur corps qu’ils trouvent trop grosses, par exemple
les cuisses. La petite voix intérieure s’évertue alors à pousser le régime à
l’extrême pour faire disparaître les dernières formes résistantes. Les études
montrent ainsi qu’une majorité d’anorexiques ont conscience d’une certaine
maigreur, mais se sentent trop gros. Dans une étude récente menée par
Couturier et Lock (2006) sur 86 adolescentes anorexiques, le déni de la
maigreur ne concernait qu’un tiers des participantes.

2.3 Aspects émotionnels


2.3.1 Troubles de l’identification des sensations et des émotions
Les personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires présentent
des difficultés à identifier de manière exacte les sensations telles que la faim
et la satiété, ainsi qu’une difficulté à différencier les sensations physiques
des émotions sous-jacentes, qu’elles parviennent difficilement à décrire. Les
personnes boulimiques, par exemple, ont parfois recours aux crises pour
réduire une angoisse intense, mais sont rarement capables d’identifier l’état
émotionnel produit par une situation qui les a poussées dans cette crise. Il
existe ainsi une échelle permettant de mesurer la conscience émotionnelle
des individus (Lane et al., 1990) – conscience de ses propres émotions et de
celles des autres – qui n’est pas influencée par l’état de dépression et
d’anxiété du sujet, contrairement aux mesures habituelles d’alexithymie.
L’alexithymie se définit comme un déficit cognitivo-affectif caractérisé par
une difficulté à identifier les émotions et à les distinguer des sensations,
ainsi que par une difficulté à communiquer ses émotions. Ce
fonctionnement pourrait s’apparenter à celui du jeune enfant, chez qui le
traitement cognitif complexe des émotions ne peut encore se faire, et chez
qui il se limite à une forme d’expression essentiellement somatique. Ainsi,
l’apparition d’une émotion serait comprise comme l’expression d’une
détresse somatique. Ce fonctionnement permettrait de comprendre le
recours à l’alimentation ou au jeûne comme une tentative de régulation des
émotions. L’étude de Bydlowski (2007) souligne un déficit du traitement
émotionnel global chez ces patients. Le comportement alimentaire aurait
alors tendance à se répéter étant donné que l’émotion n’est pas comprise et
réapparaît, interprétée comme un malaise à éliminer à nouveau. En effet,
toute émotion vient signaler une particularité de la situation (la colère peut
arriver en réaction à une injustice, la tristesse en réaction à une perte…) et
pousse à agir dans le but de la modifier. Si l’individu n’est pas à même de
percevoir l’utilité d’une émotion et cherche seulement à éliminer un malaise
intérieur, la situation reste inchangée et l’émotion réapparaît.
2.3.2 Évolution des affects au cours de la maladie

Le début du trouble alimentaire est souvent marqué par l’expérience


d’affects positifs en raison de l’impression de contrôle de soi et de la vie. La
maîtrise de la prise alimentaire s’accompagne d’un sentiment de triomphe
et de fierté auxquels s’ajoutent les bénéfices secondaires du comportement
(éloges des proches…). De plus, cette phase de restriction alimentaire
génère, comme tout jeûne, une sécrétion accrue d’endorphines qui procure
une sensation de plaisir et de bien-être. Cette période est ainsi appelée
« lune de miel » comme dans le cas des premiers contacts avec une
substance psychoactive. De manière plus ou moins rapide selon les
individus, cette période de bien-être est mise à mal en raison de trois
menaces principales : la sensation intense de faim qui peut mener à une
perte du contrôle alimentaire, la persistance de l’insatisfaction corporelle et
la réduction des performances physiques et intellectuelles.
La nourriture devient une obsession, ce qui génère une forte angoisse.
Parallèlement, plus l’amaigrissement est important, plus la peur de grossir
devient intense, entraînant une restriction alimentaire encore plus drastique,
pouvant aller jusqu’à la consommation d’un fruit ou d’un yaourt par jour,
tout obstacle à la restriction étant considéré comme une menace. Lorsque
des crises de boulimie surviennent, elles engendrent des sentiments intenses
de honte, de culpabilité et de désespoir. Ces affects dysphoriques sont
renforcés au cours de l’amaigrissement en raison des distorsions cognitives
liées à la perte de poids : malgré une silhouette de plus en plus maigre,
l’insatisfaction corporelle persiste et empire même avec le temps, les
exigences devenant de plus en plus tyranniques. Enfin, les carences
alimentaires qualitatives et quantitatives entraînent une sensation de fatigue
avec des troubles de la concentration et de la régulation des émotions,
celles-ci étant déniées depuis longtemps. Au cours de cette phase de
désespoir – pouvant aller jusqu’à l’idéation suicidaire – la demande d’aide
peut émerger ou être effectuée à la demande d’une tierce personne. Mais le
parcours thérapeutique est aussi parsemé d’autres affects dysphoriques en
lien avec la reprise de poids qui donnent lieu à des impressions d’intrusion
et de déformation, augmentées par les troubles digestifs comme les
ballonnements et les douleurs abdominales. Cependant, si la reprise de
poids est suffisamment lente, elle s’accompagne d’une réduction de
l’angoisse et des affects dysphoriques.
2.3.3 Autres troubles psychoaffectifs

Outre l’irritabilité importante et les troubles de l’humeur générés par la


lutte contre la sensation de faim et contre le besoin de s’alimenter, d’autres
troubles psychoaffectifs apparaissent, notamment une diminution du désir
sexuel : raréfaction des activités masturbatoires et des rapports sexuels ou
automatisation de ces comportements sans désir perçu ou exprimé par le
sujet. On constate une réduction des contacts sociaux avec un isolement
progressif contrebalancé en apparence par un surinvestissement intellectuel
qui maintient ces personnes dans une apparente adaptation sociale
contrairement aux personnes sujettes à d’autres conduites à risque comme
la dépendance aux substances psychoactives. Le surinvestissement dans les
activités intellectuelles se manifeste par la fréquence de résultats scolaires
brillants. Cependant, les recherches montrent que les capacités imaginatives
sont faibles, le manque de souplesse psychique constituant une entrave à la
gestion créative des cognitions. D’autre part, en raison de la dénutrition, les
performances intellectuelles s’amenuisent à moyen terme.

3. Repérage précoce et évolution des


troubles
3.1 Outils de repérage précoce et de suivi
Il existe différents types d’outils permettant d’évaluer les dimensions
cognitives, émotionnelles et comportementales des troubles des conduites
alimentaires, dont certains ont été évoqués comme la tâche de Stroop.
Malgré l’intérêt des outils de mesure indirecte, les questionnaires
autorapportés ou les entretiens semi-directifs sont plus fréquemment utilisés
pour des raisons d’ordre pratique, mais aussi en raison de l’importance de la
perception du clinicien dans l’interaction avec le patient. Plusieurs échelles
ont été validées au niveau international, dont les plus utilisées seront
présentées ici. Il s’agit d’outils de repérage précoce, d’outils d’aide au
diagnostic, et d’outils permettant de mesurer l’évolution des symptômes au
cours de la prise en charge des patients.
3.1.1 Repérage précoce des troubles

En raison de la prévalence importante de troubles des conduites


alimentaires et du manque de repérage précoce favorisant un
accompagnement adapté, un questionnaire court pouvant être utilisé par les
professionnels de la santé, en particulier les médecins généralistes, a été
développé. Cet outil, appelé SCOFF (Sick, Control, One stone – 6,35 kg –,
Fat, Food ; Morgan, Reid et Lacey, 1999 ; traduction française Garcia et al.,
2010), est composé de cinq questions auxquelles il est possible de répondre
par oui ou par non. Deux réponses positives indiquent la présence très
probable d’un trouble du comportement alimentaire. Pour identifier plus
précisément le type de trouble alimentaire, un algorithme spécifique a été
développé afin de combiner les réponses au questionnaire et l’indice de
masse corporelle de l’individu concerné. Cet algorithme, appelé ExpaliTM
(Tavolacci, Gillibert, Zhu-Soubise, Grigioni et Déchelotte, 2019), est conçu
pour répertorier les réponses et l’IMC en quatre grandes catégories de
troubles du comportement alimentaire fondées sur les catégories du DSM-
5 : restriction alimentaire, boulimie, hyperphagie, et autres troubles
alimentaires non spécifiés. Cet algorithme s’avère efficace pour distinguer
les trois catégories principales de troubles du comportement alimentaire :
restriction alimentaire, boulimie et hyperphagie. Toutefois, cet algorithme
distingue mal la catégorie des autres troubles alimentaires non spécifiés,
notamment en raison de la proximité entre les troubles subcliniques et les
troubles alimentaires avérés. L’utilisation de cet outil de repérage précoce
pourrait être recommandée pour les professionnels de la santé, notamment
les médecins généralistes. Il pourrait également être proposé comme un
autodiagnostic en ligne pour orienter au mieux les personnes vers une prise
en charge précoce et adaptée à leur problématique.

Questionnaire bref de repérage précoce d’un trouble du comportement alimentaire


1. Vous êtes-vous déjà fait vomir parce que vous ne vous sentiez pas bien « l’estomac
plein » ?
2. Craignez-vous de perdre le contrôle des quantités que vous mangez ?
3. Avez-vous récemment perdu plus de six kilogrammes en moins de trois mois ?
4. Pensez-vous que vous êtes trop gros(se) alors que les autres vous trouvent trop
mince ?
5. Diriez-vous que la nourriture domine votre vie ?
La réponse à chacune des questions est oui ou non. Si la personne répond positivement
à deux des questions, il y a probablement un trouble du comportement alimentaire. Le
type de trouble alimentaire dépend aussi de l’indice de masse corporelle du répondant. Il
convient donc de demander la taille et le poids de la personne de manière à pouvoir
combiner les réponses au questionnaire et l’IMC pour identifier plus précisément le
diagnostic.

L’algorithme ExpaliTM pour identifier le type de trouble du comportement


alimentaire
Sur la base de 104 combinaisons possibles entre les réponses aux SCOFF et l’IMC de
l’individu, des chercheurs ont développé un algorithme permettant de classer ces
combinaisons en quatre grandes catégories correspondant à celles proposées dans le
DSM-5. L’utilisation de cet algorithme en population clinique a montré son efficacité pour
distinguer les trois catégories principales de troubles alimentaires : restriction
alimentaire, boulimie et hyperphagie (Tavolacci et al., 2019). Cet outil pourrait donc
constituer une aide au repérage précoce en population générale.

3.1.2 Mesure des comportements alimentaires

Les deux questionnaires de comportements alimentaires les plus


fréquemment utilisés sont l’EAT (Eating Attitude Test) et l’EDI (Eating
Disorders Inventory) conçus par Garner et ses collaborateurs (1982 ; 1983).
L’EAT vise à identifier les troubles du comportement alimentaire
cliniquement significatifs et permet de mesurer la sévérité des symptômes.
Il comporte trois sous-échelles : restriction alimentaire, boulimie et
obsession de la nourriture, contrôle de la prise alimentaire. La version
abrégée en 26 items est fortement corrélée à la version originale à 40 items.
L’EDI est une seconde échelle d’autoévaluation qui a pour objet d’étudier
les caractéristiques cognitives et comportementales des sujets présentant
des troubles du comportement alimentaire. Il comporte 64 items cotés en
6 degrés (toujours, habituellement, souvent, quelquefois, rarement, jamais)
qui sont répartis en sous-échelles : désir de minceur, boulimie, insatisfaction
corporelle, sentiment d’inefficacité, perfectionnisme, méfiance
interpersonnelle, conscience de soi, peur de grandir. Il existe une version
étendue (EDI-II ; Guelfi et al., 2008) qui comprend 91 items répartis en
11 échelles et qui ajoute à l’évaluation l’ascétisme, le contrôle des pulsions
et l’insécurité sociale. La version française de l’EDI-III est en cours de
validation (Bouvard, université Savoie Mont-Blanc).
D’autre part, des entretiens diagnostiques structurés peuvent être utilisés,
tels que l’EDE (Eating Disorder Examination ; Cooper et Fairburn, 1987).
Il s’agit d’un entretien semi-structuré permettant l’évaluation de la
psychopathologie des troubles des conduites alimentaires. Il est composé de
quatre sous-échelles mesurant la restriction alimentaire ainsi que l’attitude
face à l’alimentation, au poids et au corps. L’EDE a également été adapté en
format questionnaire (EDE-Q ; Reas, Grilo et Masheb, 2006 ; pour la
version française, Carrard, Rebetez, Mobbs et Van der Linden, 2015).
3.1.3 Mesure des représentations dysfonctionnelles
Plusieurs échelles ont été développées pour évaluer les cognitions
négatives concernant l’image de soi, l’acceptation du poids et de
l’apparence physique, permettant d’étudier le lien entre estime de soi,
insatisfaction corporelle et comportements de contrôle du poids (voir Mizes
Anorectics Cognitions Questionnaire ; Mizes et Klesges, 1989). Cependant,
ces instruments mesurent principalement les attitudes générales face à
l’alimentation et non les représentations concernant des aliments
spécifiques. Un questionnaire a donc été élaboré récemment, relatif aux
cognitions alimentaires portant sur la catégorisation des aliments et les
arguments justifiant ce classement personnalisé (Urdapilleta et al., 2005).
Au-delà des aspects diagnostics, des outils mesurant des particularités du
fonctionnement cognitif et relationnel sont également utilisés. Par exemple
les outils mesurant la flexibilité mentale ou encore la conscience corporelle
et les compétences émotionnelles. Ces outils seront présentés dans le
chapitre 4 en lien avec les thérapies visant à modifier ces dimensions.

3.2 Conséquences physiques, psychologiques et


sociales
3.2.1 Aspects somatiques

L’examen biologique révèle la présence de carences et de


dysfonctionnements physiologiques comme les troubles digestifs, les
vertiges, l’hypothermie et l’hypotension. La fonte musculaire engendre
aussi un rétrécissement de tous les organes constitués par du tissu
musculaire, même le cœur. Certains anorexiques présentent dès lors un
ralentissement du rythme cardiaque et/ou une arythmie cardiaque allant
parfois jusqu’à l’arrêt cardiaque. On observe également des signes
physiques, outre l’amaigrissement important, comme le déchaussement des
dents, une atteinte des phanères et de la peau (cheveux, ongles et peau
déshydratés et ternes), avec l’apparition d’une fine pilosité sur l’ensemble
du corps appelée lanugo. Le capital osseux se constituant au moment de
l’adolescence, la restriction alimentaire entraîne un risque d’ostéoporose
précoce. De plus, la croissance peut être retardée, notamment la croissance
osseuse avec une déminéralisation au niveau de la colonne vertébrale à
partir de trois ans d’évolution, et un tassement des vertèbres après cinq
années. L’ensemble du corps étant affecté par la dénutrition, l’on constate
même une atrophie cérébrale dans le cas de pertes de poids importantes,
celle-ci étant toutefois réversible après restauration du poids (e.g. Andres
et al., 2013 ; Ehrlich et al., 2008). Des modifications au niveau du
fonctionnement cérébral sont notamment attribuables à la diminution de
l’afflux sanguin, notamment au niveau du système limbique, ce qui génère
des perturbations au niveau de la régulation des émotions et des conduites
alimentaires (e.g. Lask et al., 2005 ; Schienle, Schafer, Hermann et Vaitl,
2009). Le déficit en nutriments essentiels peut aussi entraîner des troubles
neurofonctionnels (Achamrah et al., 2017).
Les conséquences de la dénutrition entraînent un affaiblissement à
différents niveaux, ce qui augmente notamment les risques de cancer. Une
étude montre ainsi que les anorexiques ayant été hospitalisées présentent un
risque multiplié par six de développer un cancer de la peau (Brewster,
Nowell et Clark, 2015). Enfin, l’immunité est affaiblie, entraînant un risque
accru de maladies et de décès.
3.2.2 Conséquences des crises de boulimie

La boulimie s’accompagne de comportements compensatoires comme les


vomissements provoqués et l’abus de laxatifs, entraînant des conséquences
médicales importantes. Les vomissements répétés peuvent
considérablement et définitivement altérer l’émail dentaire, ce qui rend les
dents très fragiles. Plus grave, ces vomissements peuvent causer des
troubles hydro-électrolytiques, en particulier des carences sérieuses en
potassium, ce qui a un impact sur le fonctionnement cardiaque (arythmie et
arrêt cardiaque). En raison de l’acidité des vomissements, des ulcères de
l’œsophage et de l’estomac peuvent se développer avec un risque
d’hémorragie œsophagienne. De même, ces conduites entraînent un risque
accru de cancers de l’œsophage. De plus, une réalimentation trop rapide
peut déclencher une hépatite brutale, parfois mortelle. Malgré les risques
somatiques importants, les études semblent montrer que le risque le plus
important de décès chez les boulimiques reste le suicide en raison de leur
souffrance psychique.
3.2.3 Conséquences de l’abus de purgatifs

Malgré la faible efficacité des laxatifs en termes de régulation du poids


(les comportements d’élimination par laxatifs provoquent une perte de 12 %
des calories consommées), la majorité des personnes présentant un
diagnostic d’anorexie ou de boulimie utilisent ce type de produits. Or,
certains comportent des risques pour la santé en raison de composants
toxiques pour l’organisme. Certains purgatifs entraînent par exemple un
affaiblissement des muscles cardiaques pouvant mener au décès. D’une
manière générale, l’abus de laxatifs peut produire un syndrome du côlon
irritable, c’est-à-dire que les lavements répétés réduisent la présence du
mucus protecteur des parois intestinales et provoque, à terme, des douleurs
abdominales, des troubles digestifs et même des infections intestinales. Ces
nombreuses perturbations digestives peuvent rendre le sujet dépendant des
laxatifs, sans lesquels il ne parvient plus à éliminer les aliments en raison
d’une constipation trop importante. D’autre part, ces abus engendrent une
déshydratation comportant des risques pour les reins. L’organisme, dans une
tentative de rétention d’eau, pourra être amené à développer des œdèmes au
visage ou aux extrémités des membres.
3.2.4 Troubles de la pensée

Les conséquences de la restriction alimentaire s’observent sur certaines


fonctions cognitives, avec une réduction des capacités attentionnelles et de
mémorisation, en particulier la mémoire de travail (Kaye, Frank, Bailer et
Henry, 2005). Cette évolution affecte l’estime de soi des personnes atteintes
de troubles des conduites alimentaires, en particulier les anorexiques qui
investissent fortement le domaine intellectuel et scolaire. Cette réduction
des capacités est réversible après la reprise pondérale. Toutefois, le manque
d’études longitudinales mesurant la qualité du fonctionnement intellectuel
des personnes ayant eu des troubles des conduites alimentaires sévères doit
amener à une prudence quant aux conclusions actuelles.
3.2.5 Modifications de l’humeur et désinvestissement social

Les personnes concernées par les crises de boulimie présentent un mal-


être de plus en plus intense à mesure que leur comportement se chronicise.
La culpabilité et la honte fragilisent en permanence une estime de soi déjà
défaillante. D’autre part, la restriction alimentaire entraîne une
augmentation de l’irritabilité et des fluctuations de l’humeur. Cette
dégradation de l’humeur et les troubles de la régulation des émotions
entraînent à leur tour des difficultés relationnelles conséquentes, notamment
avec les membres de la famille. Les relations amicales sont également
réduites, car les crises de boulimie et les comportements compensatoires
occupent parfois la quasi-totalité du temps de veille, l’individu étant
entièrement centré sur les activités de consommation et d’élimination. Le
repli sur soi est ainsi lié à la gestion des conduites alimentaires, mais aussi à
une autre particularité ayant été étudiée plus récemment : l’anhédonie
sociale (Tchanturia et al., 2012). L’anhédonie est caractérisée par une perte
d’intérêt pour les activités qui s’accompagne d’une diminution de la
motivation à pratiquer ces activités. Les personnes atteintes de troubles des
conduites alimentaires présentent une diminution de l’activation du système
de récompense (Kaye, 2008), ce qui génère une moindre sensation de plaisir
dans le cadre d’une activité agréable, de la consommation d’aliments, ainsi
que dans les interactions sociales (e.g. Davies, Schmidt, Stahl et Tchanturia,
2010). Ceci contribue à expliquer la plus grande difficulté à investir les
relations sociales.

3.3 Troubles associés


Les recherches montrent que la boulimie est plus souvent associée à
d’autres troubles que l’anorexie, notamment les achats compulsifs ou la
kleptomanie. En raison de la souffrance psychique plus prononcée dans les
troubles alimentaires qui impliquent une perte de contrôle, les conduites
autoagressives sont également plus fréquentes comme l’automutilation
(brûlures, scarifications…). Enfin, le comportement le plus fréquemment
associé aux troubles alimentaires concerne la dépendance aux substances
psychoactives, notamment chez les boulimiques.
3.3.1 Consommation de substances psychoactives

En 1994, Holderness et ses collègues ont publié une synthèse de la


comorbidité addictive dans les troubles du comportement alimentaire en
rassemblant 51 études réalisées entre 1977 et 1991. Ils ont montré que
l’association du trouble alimentaire à la consommation ou à l’abus de
substances psychoactives était plus forte chez les boulimiques et les
anorexiques-boulimiques que chez les anorexiques restrictives. Une étude
prospective longitudinale plus récente a également montré que les patientes
boulimiques avaient sept fois plus de risque de développer une co-addiction
que les patientes anorexiques restrictives (Strober et al., 1997). Selon la
synthèse des 51 études (Holderness et al., 1994), 20 % à 25 % des
boulimiques ont une histoire de dépendance alcoolique ou à un autre
produit psychoactif. Inversement, 20 % des femmes ayant une histoire de
dépendance à un toxique (8 % à 40,7 % selon les études) souffrent de
conduites boulimiques. Des recherches en neurosciences cognitives ont mis
en évidence des prédispositions génétiques similaires représentant des
facteurs de risque communs aux différentes addictions. Par exemple, dans le
cas de l’hyperphagie, il s’agirait d’une difficulté d’inhibition d’un
comportement non souhaité, qui résulte d’un déficit d’activation au niveau
du cortex préfrontal responsable de l’autorégulation (Schreiber, Odlaug et
Grant, 2013).
Une synthèse et méta-analyse des recherches menées sur les liens entre
troubles des conduites alimentaires et tabagisme a récemment mis en
évidence que le trouble alimentaire le plus associé au tabagisme était
l’hyperphagie, avec une prévalence de 47,7 % au cours de la vie, suivi de la
boulimie, avec une prévalence de 39,4 % au cours de la vie, suivi de
l’anorexie mentale, avec une prévalence de 30,8 % au cours de la vie
(Solmi et al., 2016). Dans le cas du tabagisme, contrairement aux autres
addictions aux substances psychoactives, l’anorexie mentale est aussi
fortement corrélée en raison de l’utilisation du tabagisme comme stratégie
de régulation du poids et de l’appétit (Anzengruber et al., 2006 ; Kendzor
et al., 2009).
3.3.2 Comorbidité psychiatrique

Les principales pathologies associées aux troubles des conduites


alimentaires sont les troubles de l’humeur (prévalence-vie entière de 60 % à
80 % contre 20 % pour les témoins), les troubles anxieux (prévalence-vie
entière de 37 % à 75 % des cas contre 20 %) et une forte anxiété de
séparation (prévalence-vie entière de 14 % à 30 % contre 5 %). La
fréquence des épisodes dépressifs est accrue chez les patientes boulimiques,
la plupart des symptômes apparaissant souvent secondairement aux troubles
alimentaires. Les troubles anxieux sont également plus répandus dans la
population atteinte de boulimie : une étude réalisée en 2000 par Godart et
ses collaborateurs indique que plus de 70 % des personnes atteintes de
troubles boulimiques déclarent avoir reçu un diagnostic de trouble anxieux
au cours de leur vie. D’autre part, on observe une impulsivité plus
importante chez ces personnes qui semble liée à certains troubles de la
personnalité : les études rapportent entre 25 et 45 % de personnalités limites
(borderline).

3.4 Évolution et pronostic


3.4.1 Évolution

Le taux de mortalité à 5 ans chez les personnes atteintes de troubles


alimentaires est de 5 %, et de 15-20 % après 20 ans d’évolution, le suicide
survenant dans 5-10 % des cas. En dehors du suicide, le plus souvent les
anorexiques décèdent d’un accident intercurrent comme un trouble
métabolique, un arrêt cardiaque ou une sensibilité plus grande aux
infections, et, plus rarement, par complication de l’état de dénutrition.
Si l’on prend comme unique critère de guérison la disparition de la triade
symptomatique (reprise d’une alimentation adaptée, du poids nécessaire et
retour des règles), celui-ci concerne environ 80 % des anorexiques à long
terme et 70 % des boulimiques. Cependant, si l’on prend en compte les
critères de fonctionnement psychique (souplesse, créativité, prise de recul,
gestion de l’anxiété par d’autres moyens que par le contrôle alimentaire),
ainsi que la qualité de vie affective et sociale, elle concerne dans le meilleur
des cas 50 % des personnes. D’un point de vue général, le retentissement
psychosocial des troubles alimentaires est important. Des difficultés
étendues concernant la scolarité, le travail, les relations sociales et la
sexualité persistent même après la reprise d’un poids acceptable. Dans une
étude de Nilsson et Hägglöf (2005), 36 % déclaraient avoir des difficultés
dans leurs études, le même pourcentage de personnes évitait les relations
sexuelles et 46 % se disaient insatisfaites de leurs relations sociales.
Halvorsen et ses collaborateurs (2004) montrent, en effet, que seules 48 %
des personnes atteintes de trouble des conduites alimentaires se déclarent
satisfaites de leur vie contre 83 % des groupes témoins. De plus, certains
auteurs soulignent l’impact du trouble alimentaire sur les enfants de
personnes ayant souffert de troubles alimentaires : plus de la moitié des
enfants d’un échantillon de jeunes femmes ayant été anorexiques avant
l’âge de 25 ans avaient présenté des épisodes de refus alimentaire
(Heymann et al., 1993).
3.4.2 Pronostic

D’après Lewinsohn et ses collaborateurs (2000), 58 % des personnes ayant


eu un syndrome complet de trouble du comportement alimentaire et 43,5 %
de celles qui ont eu un syndrome partiel ont été prises en charge. Parmi les
échantillons cliniques, l’on constate que les rechutes surviennent dans 50 %
des cas après une prise en charge en milieu hospitalier ou en traitement
ambulatoire. La chronicisation du trouble entraîne des risques
physiologiques accrus (carences, troubles circulatoires, déchaussement des
dents, etc.), ainsi que des troubles psychiques associés (phobies, obsessions,
conduites addictives). Les personnes ayant eu un trouble alimentaire au
cours de l’adolescence présentent un risque accru de rechute à l’âge adulte
ou d’autres problèmes psychologiques tels que l’anxiété, la dépression, la
dépendance à une substance ou encore des troubles de la personnalité.
L’étude de Johnson et de ses collègues (2002) indique un risque accru de
troubles de la santé physique et mentale chez le jeune adulte ayant souffert
d’un trouble alimentaire au cours de l’adolescence : 62 % présentent au
moins deux problèmes de santé physique tels qu’une fatigue chronique, des
troubles cardiovasculaires ou une maladie infectieuse.
Le déni du trouble reste le facteur le plus important de pronostic négatif,
en particulier lorsqu’il persiste au-delà de quatre ans. Le retard de prise en
charge entraîne un autorenforcement du comportement et une identification
de plus en plus complète de la personne à celui-ci, de sorte que la sortie du
trouble suppose un remaniement identitaire parfois trop anxiogène pour être
entrepris. Parmi les autres facteurs de pronostic négatifs on compte le poids
minimal atteint par le patient – plus il est bas, plus le pronostic est grave –
ainsi que la durée d’évolution de la maladie – plus elle est brève, meilleur
est le pronostic. Les facteurs de pronostic positif concernent un début tardif
du trouble alimentaire, un événement traumatisant en lien avec l’apparition
des perturbations alimentaires facilement identifiable par la personne et par
ses proches, une prise en charge précoce et une levée du déni de la maladie.
Enfin, on constate l’importance de l’implication familiale dans la prise en
charge au niveau de la rapidité de l’amélioration des symptômes.
Chapitre 2
Facteurs de vulnérabilité
et facteurs de protection
Sommaire
1. Facteurs de risque environnementaux
2. Facteurs de risque individuels
3. Modèles de compréhension des troubles
L’origine multifactorielle des troubles des conduites alimentaires est
largement reconnue : facteurs biologiques, psychologiques, culturels,
sociaux, familiaux, etc. Ces facteurs de vulnérabilité contribueraient au
déclenchement, au maintien et à l’aggravation des troubles. Un facteur de
risque peut être un facteur prédisposant lié à une vulnérabilité personnelle,
ou un facteur précipitant, à savoir un événement, une expérience ou une
condition de vie auxquels est exposé un individu (Blanchet, Laurendeau,
Paul et Saucier, 1993). Au vu du faible nombre de recherches empiriques de
type longitudinal, il reste difficile, dans certains cas, de distinguer les
facteurs qui seraient à l’origine du trouble de ceux qui seraient liés à son
installation dans la durée. Les facteurs de risque sont des caractéristiques
mesurables chez un individu, dans une population donnée, qui précèdent le
trouble observé dans cette population avec une fréquence significative. La
notion de facteur de risque est statistique, comprise dans une dimension
collective, elle ne possède donc pas de valeur clinique prédictive à
l’échelon individuel.
La compréhension de ce domaine, ainsi que les modalités de prise en
charge profitent des apports de nombreux travaux issus de divers courants
théoriques, explorant un large ensemble de facteurs. Ces dernières
décennies, le culte du corps et de la maîtrise s’est répandu : un corps idéal,
mince, contrôlé dans ses moindres détails, parfois bien éloigné des besoins
du corps réel… Des régimes amaigrissants aux séances intensives de sport,
les médias façonnent un climat dans lequel il n’est pas surprenant de
retrouver des troubles du comportement alimentaire. L’étude des facteurs de
risque des troubles des conduites alimentaires a fortement amélioré la
compréhension des troubles, permettant la mise en œuvre de programmes
de prévention et de prise en charge plus efficaces.

1. Facteurs de risque environnementaux


1.1 Les facteurs socioculturels : médias, culture et
représentations
Le taux de troubles alimentaires cliniques et subcliniques est en
augmentation depuis la seconde moitié du vingtième siècle. Bien que les
méthodes et outils diagnostiques aient évolué, les changements sociétaux
sont aussi incriminés dans cette évolution. Les premières recherches
transculturelles réalisées à partir des années soixante-dix indiquent que les
cas de troubles des conduites alimentaires sont rares dans les cultures non
occidentales. Cependant, un certain nombre de biais méthodologiques –
comme le manque d’adaptation des outils diagnostiques – et de difficultés
dans le recueil des données empêchent de connaître de manière précise
l’état de la question dans l’ensemble des pays. En revanche, il est possible
d’étudier ces troubles de manière plus précise lors de l’arrivée dans un pays
occidental. On constate que l’immigration et l’acculturation sont des
facteurs augmentant le risque de troubles alimentaires. Par exemple, les
adolescents asiatiques en Grande-Bretagne ont plus de risques de
développer un trouble alimentaire que leurs pairs restés dans leur pays
d’origine (Bhadrinath, 1990), en particulier lorsque les jeunes adhèrent
fortement aux nouvelles normes sociales. En effet, en intégrant ces normes,
ils assimilent également l’idéal de minceur et de maîtrise. Les résultats des
recherches actuelles viennent remettre en question la représentation selon
laquelle la pathologie alimentaire serait présente uniquement chez les
Blancs des pays occidentaux : les populations noires immigrantes sont
concernées, les pays asiatiques observent une nette augmentation, etc. On
constate également qu’au sein des pays occidentaux, il n’existe pas de
différence de prévalence des troubles alimentaires ou de la pratique des
régimes entre les personnes de différentes origines ethniques et culturelles.
On peut conclure de ces différentes observations que l’idéal de minceur
véhiculé par les médias au sein des cultures occidentales pourrait aussi
entraîner une augmentation des troubles des conduites alimentaires dans
d’autres cultures à travers la recherche d’identification aux nouveaux
modèles proposés. Mais comment expliquer les différences de prévalence
de troubles des conduites alimentaires entre les États-Unis et l’Europe
occidentale ou entre le Nord et le Sud de l’Italie (Ruggiero et al., 2000) ?
Le type de régime alimentaire propre aux pays et aux régions peut être
utilisé comme moyen d’expliquer ces différences. En effet, les habitudes
alimentaires influencées par la présence de quantité de fast-foods aux États-
Unis ont entraîné une augmentation du surpoids dans cette population. Cette
évolution a engendré à son tour une hausse de la conscience des excès
alimentaires potentiels, ceci provoquant une sensation de menace et de peur
de prise de poids. Ainsi, les troubles alimentaires seraient plus présents dans
les régions où le risque d’excès de poids est plus important et davantage
observé. La modification des habitudes alimentaires a également été
observée par d’autres recherches menées au sein de pays en développement.
Les résultats soulignent effectivement un lien entre ces habitudes et
l’augmentation du poids de la population qui pourrait ainsi entraîner une
augmentation de la conscience du poids.
1.1.1 À l’origine de l’insatisfaction corporelle : le poids de la culture

À partir des années soixante, un terrain culturel propice au développement


des troubles alimentaires s’est progressivement mis en place dans les pays
occidentaux, modifiant sensiblement les standards proposés jusque-là : un
corps désirable n’est plus un corps en bonne santé mais un corps dont le
poids et les formes sont parfaitement contrôlés dans le sens d’une minceur
sans cesse plus flagrante. Par conséquent, pour les jeunes femmes, le
bonheur et le succès deviennent largement et artificiellement déterminés et
évalués à travers toute une série de caractéristiques et de mesures
corporelles (la quantité de graisse, le poids, les formes, etc.). Le surpoids est
alors stigmatisé. Même les enfants jeunes considèrent que le fait d’être gros
est indésirable (Smolak et al., 1996), et les filles préfèrent jouer avec des
poupées fines que des poupées grosses. La pression exercée par la société
en faveur de la minceur présentée par les médias est relayée par la famille,
qui valorise les comportements de contrôle du poids et porte un regard
critique sur la prise de poids. Le modèle esthétique est intégré dès le plus
jeune âge à travers les jouets proposés. La poupée Barbie, par exemple, que
possèdent 90 % des filles de 3 à 11 ans, présente des mesures corporelles
irréalistes, alors qu’elle est considérée comme un modèle à suivre pour les
filles. Ainsi, dès cet âge, l’enfant confronte l’image qu’il a de son corps à
celui de cet idéal, ce qui pourrait expliquer le taux important
d’insatisfaction corporelle chez les filles, même avant la puberté. Stice
(2001) montre en effet que l’insatisfaction corporelle est fortement corrélée
aux affects négatifs (anxiété et dépression) et à la poursuite de régimes à
l’adolescence. À la suite des recherches ayant mis en évidence les effets
délétères de l’idéal de minceur chez les jeunes, une poupée de type Barbie,
appelée « Lammily » (concepteur N. Lamm) avec des mensurations
réalistes (fondées sur les proportions moyennes chez une jeune fille de
19 ans aux États-Unis), a été mise sur le marché. D’autres mesures allant
dans le même sens ont été prises concernant le recrutement des mannequins
ou encore le remaniement des photos pour les publicités. Toutefois, l’idéal
de minceur reste encore très présent dans les sociétés occidentales.
Le courant féministe américain en est venu à mettre en accusation l’image
sociale de la femme comme principale cause des troubles du comportement
alimentaire. Sont ainsi mises en cause l’obligation sociale faite à la femme
d’être artificiellement mince, les médias contribuant largement à la
fétichisation et à la glorification d’un corps féminin anormalement svelte, et
la nécessité faite aux femmes d’être à la fois de bonnes épouses, des
travailleuses dynamiques et des amantes attirantes. Le modèle sociétal
normatif induit ainsi une forte culpabilité chez celles qui ne s’y conforment
pas (Guillemot et Laxenaire, 1995). Ainsi, les médias promeuvent des
moyens de contrôler le poids et la forme du corps (régimes alimentaires,
exercice physique intensif, médicaments…) et insistent sur l’importance de
l’apparence, alors même que les modèles présentés ne correspondent pas
aux normes pondérales des femmes en bonne santé. En se comparant à ces
images, les femmes développent une insatisfaction corporelle importante,
terreau des divers troubles de l’alimentation qui commencent souvent par
une dérégulation des repas (tentatives de restriction alimentaire, sauts de
repas, développement de croyances concernant certains aliments dits
« interdits »), menant progressivement à une pathologisation du
comportement chez certaines personnes. Cette insatisfaction corporelle
apparaît plus marquée chez les jeunes filles dont la puberté survient tôt.
Ceci s’explique par la prise de poids, en particulier de masse adipeuse, et
l’apparition de formes féminines, à un âge où la fille n’est pas encore prête
psychologiquement à assumer ce nouveau rôle biologique (procréation) et
social (séduction). Ces jeunes filles sont donc plus à risque de développer
un comportement de restriction alimentaire dans le but de retourner à leur
état antérieur en faisant disparaître leurs formes physiques.
1.1.2 Les risques du régime

Une majorité de femmes commencent un régime au moment de


l’adolescence, entre 12 et 14 ans, 66 % considérant ce comportement
comme étant bon pour la santé (Roberts, McGuiness, Bilton et Maxwell,
1999). On constate ainsi que la prise alimentaire se modifie à la puberté :
alors que les besoins physiologiques augmentent, les adolescentes
restreignent leur alimentation et consomment seulement 76,5 % de la ration
journalière recommandée (Rousseau et Knotter, 2007) dans le but d’éviter
la prise de poids. Cette restriction s’effectue notamment par une diminution
du nombre de repas (plus de la moitié des adolescents manquent le petit-
déjeuner). Or, Stice et ses collaborateurs (2008) précisent que toute
restriction entraîne un risque accru d’hyperphagie incontrôlée (pour une
revue, voir aussi Desmurget, 2015). En effet, plus une personne se retient de
consommer, plus le besoin se manifestera de manière intense. Ainsi, les
habitudes alimentaires des adolescents pourraient favoriser la survenue de
comportements de type boulimique.
Une bactérie en cause ?
Une découverte récente a été effectuée par des chercheurs de l’unité Inserm 1073
« Nutrition, inflammation et dysfonction de l’axe intestin-cerveau ». Une protéine (ClpB)
mimerait les effets de l’hormone de la satiété (mélanotropine). Cette protéine est
fabriquée par des bactéries naturellement présentes dans la flore intestinale qui est
composée de quelque 100 milliards de bactéries. Sous l’effet du stress l’on constate une
activation de ces protéines bactériennes qui envoient au cerveau des signaux de satiété
dans le cas de l’anorexie mentale ou réduisent la sensation de satiété dans les cas de
boulimie et d’hyperphagie. Ces découvertes offrent des perspectives complémentaires
pour l’accompagnement des personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires
(Dominique et al., 2019).

Les dysfonctionnements du centre de récompense : le rôle des complications


obstétriques
Parmi les hypothèses récentes concernant les causes de l’anorexie, l’on compte
aujourd’hui les complications obstétricales sur les structures cérébrales (Favaro,
Tenconi, Degortes, Manara et Santonastaso, 2014). Des dysfonctionnements du centre
de récompense avaient été identifiés chez les patients souffrant d’anorexie mentale. Ce
système de récompense, impliqué dans la régulation des désirs et des plaisirs, implique
notamment le noyau accumbens. Celui-ci apparaît comme étant plus petit et avec moins
de connexions fonctionnelles chez les anorexiques, ce qui semblerait lié à des
antécédents obstétricaux. En effet, les personnes souffrant d’anorexie sont plus
nombreuses à avoir subi des complications obstétricales, ce qui pourrait avoir un effet
neurotoxique sur le système de récompense cérébral. Cela pourrait constituer un facteur
de risque de troubles du comportement alimentaire. Toutefois, il existe des méthodes
permettant d’améliorer la régulation des émotions telles que celles présentées dans le
chapitre 4.
1.1.3 Classe sociale, niveau d’études et urbanisation
Une étude réalisée par McClelland et Crisp (2001) auprès de 692 patients
a montré qu’il existait près de deux fois plus de cas d’anorexie mentale dans
les classes moyennes et supérieures. Concernant la boulimie, elle apparaît
comme étant plus fréquente dans les classes sociales défavorisées, comme
la majorité des troubles psychiatriques (Gard et Freeman, 1996). Dans
l’enquête menée sur la cohorte NutriNet-Santé auprès de 49 603 adultes
(76,3 % de femmes ; âge moyen 50,4 ans ; Andreeva et al., 2019), il a été
montré que le niveau d’études post-secondaire était associé à moins de
troubles boulimiques et hyperphagiques, mais pas à moins de risques de
restriction alimentaire. À l’inverse, être étudiant dans l’enseignement
supérieur était associé à un risque accru de troubles alimentaires de type
restrictif.
Concernant les niveaux d’urbanisation, les recherches épidémiologiques
indiquent qu’il existe trois à cinq fois plus de cas de boulimie dans les
zones urbaines (Hoek et al., 1995), ce qui pourrait s’expliquer par une
disponibilité plus grande de nourriture hautement calorique et déséquilibrée
(fast-food), une réduction des temps de repas en famille et une prégnance
plus importante de l’idéal de minceur.

1.2 Caractéristiques des relations familiales


1.2.1 Le rôle des parents
Dès les premières descriptions cliniques de l’anorexie mentale réalisées
par Lasègue en 1873 et Gull en 1874, les parents ont été associés à la
genèse du trouble, leur comportement étant décrit comme produisant des
interactions dysfonctionnelles au sein de la famille. Plusieurs publications
de la fin du dix-neuvième siècle prônent ainsi l’isolement de l’anorexique
dans le but de le protéger ou de le désintoxiquer d’une influence nocive.
Cette vision a marqué la prise en charge des troubles alimentaires jusqu’à
nos jours, soutenant l’idée d’une « parentectomie » bénéfique.
Au cours de la première moitié du vingtième siècle, avec l’apport des
théories psychanalytiques à la compréhension de l’anorexie mentale, des
auteurs ont proposé une vision plus élaborée du rôle des parents, tout en
continuant à souligner les aspects pathogènes des relations, en particulier
celles de la mère à l’enfant. L’inaptitude de la mère à décrypter les
messages de l’enfant et à nommer ses besoins prolonge la confusion interne
que vit le nourrisson, engendrant chez l’enfant une distorsion de l’image du
corps, une difficulté à reconnaître ses sensations et un sentiment
d’impuissance, de dépendance. Le trouble alimentaire serait alors une lutte
pour acquérir plus d’autonomie, de compétence et de contrôle sur soi.
Selon les psychanalystes, les désirs des patients atteints de troubles des
conduites alimentaires seraient fortement dépendants du regard des autres.
L’approche psychopathologique considère que le désir de l’enfant s’est
constitué en miroir du plaisir narcissique procuré à la mère, celle-ci n’ayant
pas laissé suffisamment de place au désir propre de l’enfant. La
représentation imaginaire de la mère est projetée sur l’enfant, qui aura
davantage de difficultés à se constituer une individualité propre, reconnue et
acceptée. On observerait ainsi une confusion des rôles au sein des familles,
qui s’avère particulièrement difficile à gérer au moment de la puberté, où la
reviviscence des conflits œdipiens vient déstabiliser les relations
apparemment cohésives de la famille. Le couple parental se désagrège au
profit du couple mère-enfant et père-enfant en opposition aux autres
membres de la famille. Or le refus de conflits ouverts fréquemment observé
dans ces familles entraîne une transposition des conflits interpersonnels en
conflits intrapsychiques pouvant donner lieu à l’apparition de symptômes.
L’agressivité directe étant évitée, elle se retourne contre le sujet lui-même.
Le courant psychanalytique s’est ainsi longtemps intéressé à la relation
mère-enfant considérée comme étant potentiellement source de
dysfonctionnements dans le rapport à la nourriture. Pourtant, les études
empiriques n’ont pu montrer d’effet spécifique d’un type de relation
particulier. L’étude de Johnson et ses collègues (2002) portant sur près de
800 enfants suivis de l’enfance à l’âge adulte indique que la relation mère-
enfant n’est pas corrélée à l’apparition d’un trouble alimentaire au cours de
l’adolescence. En revanche, la relation père-enfant présente un lien
significatif. Les pères sont alors décrits comme manifestant peu d’affection
et d’attention à l’enfant.
1.2.2 Les interactions familiales
À la suite des premières observations réalisées dans les familles, les
systémiciens se sont intéressés à l’ensemble des interactions familiales. Les
premières descriptions d’interactions familiales dysfonctionnelles
appliquées aux troubles des conduites alimentaires s’appuient sur le modèle
de la famille psychosomatique décrit par Minuchin et ses collaborateurs
(1978). Ce type de famille est caractérisé par un enchevêtrement relationnel
entre les membres de la famille et entre les générations qui s’accompagne
d’une proximité excessive et d’une intensité disproportionnée des
interactions. La surprotection des uns par les autres, la rigidité et le manque
d’adaptabilité font partie des principales problématiques. Ainsi, ces familles
présentent de grandes difficultés à faire face aux crises. Leur intolérance
aux conflits mène à leur évitement et, par-là, à l’absence de résolution de
ceux-ci. Le symptôme de l’enfant vient focaliser les tensions intrafamiliales
et le place en position de bouc émissaire, ce qui permet de renforcer la
cohésion familiale menacée.
Bien que ce modèle théorique soit intéressant, les études montrent que ce
type familial n’est pas spécifique aux familles de personnes ayant un
trouble alimentaire. De plus, au sein même du groupe des familles
concernées par les troubles, il existe une multiplicité de configurations
différentes qui ne permet en aucune manière de faire une description aussi
précise du fonctionnement familial qui s’appliquerait à tous. L’étude de
Rastam et Gillberg (1991) portant sur 51 familles d’anorexiques indique
que moins de 20 % des familles présentent une cohésion excessive, 35 %
des parents ayant divorcé, la plupart du temps bien avant l’apparition du
trouble alimentaire. Une étude française portant sur 40 familles
d’anorexiques plaide également en faveur d’une diversité de
fonctionnements (Cook-Darzens et al., 2005). Celle-ci souligne même qu’il
existerait une moindre cohésion sociale dans ces familles par rapport aux
groupes témoins. Ainsi, les descriptions types des familles sont fondées sur
des éléments théoriques qui contrastent avec les observations empiriques. Il
en va de même pour les théories portant sur des troubles psychologiques
particuliers des parents. Ces descriptions ne semblent pas prendre en
compte la diversité des situations et sous-estiment les dysfonctionnements
engendrés par le trouble de l’enfant lui-même. Afin de faciliter le travail
avec les familles, les cliniciens visent à minimiser les croyances liées aux
conceptions pathologiques des parents car elles ont un impact négatif sur
leur engagement dans la prise en charge.
1.2.3 Impact des interactions sur le maintien du trouble

Grâce à l’évolution des méthodes de recherche, il est devenu possible


d’étudier plus en détail les éléments favorisant ou réduisant le maintien des
troubles alimentaires. Les méthodes de recueil de données telles que
l’évaluation écologique en temps réel, l’échantillonnage d’expériences ou
encore la tenue d’un journal quotidien ont permis de déterminer l’impact
des interactions familiales sur les comportements boulimiques. L’évaluation
écologique en temps réel (ou les autres méthodes similaires) consiste à
signaler plusieurs fois par jour des temps d’arrêt où l’individu note ses
pensées, émotions, comportements, pendant plusieurs jours ou plusieurs
semaines. Okon, Greene et Smith (2003) ont demandé à 20 femmes
souffrant de boulimie de noter huit fois par jour les événements familiaux
stressants et leurs symptômes boulimiques. Les résultats montrent que, pour
les femmes percevant leur famille comme étant hautement conflictuelle, les
stresseurs familiaux précédaient et prédisaient les comportements
boulimiques. Ceci permet d’établir un lien entre les interactions familiales
et le maintien des troubles alimentaires. L’intérêt de cette méthode est de
contourner les limites propres aux questionnaires autorapportés comme la
perte d’informations, les biais de mémorisation et de rappel d’information,
notamment influencés par l’état émotionnel, etc. Les études expérimentales
visent également à limiter le nombre de biais inclus dans la recherche, mais
présentent un problème de généralisation à la vie « réelle ». Ainsi, la
méthode écologique, bien que coûteuse en termes de temps demandé aux
participants et aux chercheurs pour l’analyse, offre un éclairage nouveau sur
les comportements étudiés. Les approches centrées sur les compétences
familiales permettent de diminuer le type d’interactions familiales qui ont
tendance à augmenter les troubles du comportement alimentaire (voir
chapitre 3).

1.3 Les métiers à risque


Certains métiers apparaissent comme étant plus à risque de provoquer des
troubles des conduites alimentaires, notamment dans les domaines de la
danse et de la mode, mais il est difficile de savoir si ces métiers attirent plus
les sujets à risque de troubles du comportement alimentaire ou si les
troubles surviennent comme une résultante des exigences de ces milieux.
Certains traits de personnalité pourraient notamment jouer un rôle dans le
choix d’un entraînement intensif comme le besoin de réussite, de contrôle,
le perfectionnisme, l’attention portée au corps et la peur de grossir. Parmi
l’élite sportive on retrouve une focalisation très importante sur le corps
aussi bien du point de vue esthétique que des performances. La pression de
certains coaches pour un contrôle du poids est également fréquente.
Pourtant, certains sportifs soulignent au contraire qu’il s’agit d’un milieu
protecteur étant donné qu’ils sont très bien suivis au niveau de la santé
physique et psychique, ce qui évite un certain nombre de débordements. De
plus, l’activité physique leur permet de réguler leurs émotions et favorise un
meilleur équilibre psychique. Une majorité d’études rapportent cependant
une augmentation du risque de troubles alimentaires dans cette population.
Les danseuses classiques, par exemple, courent un risque huit fois supérieur
de développer un trouble alimentaire (Lowenkopf et Vincent, 1982).
D’autres sports sont à risque en raison des contraintes de poids pour rester
dans une équipe ou une catégorie de combat par exemple. Les sportifs
doivent ainsi contrôler leur poids en permanence et perdre du poids souvent
sur de courtes périodes précédant les compétitions. L’aspect compétitif est
également un facteur aggravant : les danseuses au niveau national sont plus
à risque que les danseuses au niveau régional, par exemple.

2. Facteurs de risque individuels


2.1 Déterminants biologiques et neurologiques
La contribution des facteurs génétiques correspond à la part des facteurs
causaux liés aux différences interindividuelles du génome. La fréquence
d’anorexie mentale serait onze fois supérieure chez les enfants de femmes
anorexiques que chez des enfants de femmes non concernées par un trouble
des conduites alimentaires (Strober et al., 2000). En ce qui concerne la
famille élargie, on a aussi trouvé une proportion plus élevée de cas de
troubles alimentaires, ceci aussi bien dans la branche maternelle que
paternelle. Ces conclusions ne sont cependant pas suffisantes pour affirmer
que les troubles alimentaires auraient une origine génétique, ce taux plus
élevé pouvant aussi être expliqué par un contexte familial particulier qui se
propage sur plusieurs générations. Des études sur les jumeaux ou sur les
enfants adoptés sont en général nécessaires pour établir la contribution
génétique pour une maladie. Des études ont été menées sur des paires de
vrais et de faux jumeaux dont l’un des deux souffrait d’un trouble
alimentaire. D’après ces recherches, on constate des taux de concordance
nettement plus élevés chez les anorexiques que dans la population générale,
ainsi qu’une différence significative de taux entre les vrais et les faux
jumeaux : les jumeaux monozygotes auraient 30 à 50 % de risques de
développer tous les deux une anorexie mentale ; en revanche, les jumeaux
dizygotes n’auraient que 10 % de risques de concordance. Ces résultats
vont en faveur de la présence d’une composante génétique dans l’anorexie,
en particulier dans l’anorexie restrictive (la concordance dans ce cas est
encore plus élevée). En ce qui concerne la boulimie, on observe également
un taux de concordance plus élevé chez tous les jumeaux que dans la
population normale, mais sans différences notables entre monozygotes et
dizygotes, ce qui impliquerait davantage d’influence du contexte familial
que d’un héritage génétique.
D’autres arguments en faveur de facteurs génétiques propres à l’anorexie
sont mis en avant. Des études portant sur les jumeaux monozygotes non
affectés par la maladie (discordants) n’ont pu démontrer qu’il y aurait chez
ceux-ci une tendance favorable à d’autres troubles psychiatriques –
l’existence de cette tendance pourrait en effet prouver une vulnérabilité de
base commune à tous les troubles. On a cependant trouvé chez les jumeaux
non affectés (monozygotes et dizygotes) des taux élevés de tendances
perfectionnistes, ce qui pourrait mettre en cause un contexte familial
propice au perfectionnisme, élément présent chez la plupart des personnes
anorexiques. L’état actuel des recherches ne permet pas de distinguer
nettement entre ce qui est à l’origine du trouble et ce qui constitue un effet
secondaire. Cependant, en s’appuyant sur les données génétiques, la plupart
des auteurs s’accordent à dire qu’il existe un terrain biologique fragile au
niveau des troubles alimentaires sévères.

2.2 Facteurs développementaux


2.2.1 Troubles de l’attachement
Bien que le trouble du comportement alimentaire survienne plutôt au
cours de l’adolescence, période où le groupe de pairs revêt une importance
capitale, le lien d’attachement aux parents demeure la première source de
sécurité dans les situations de détresse. Les troubles du lien d’attachement
rendent ainsi l’adolescent plus vulnérable à une réponse inadaptée face aux
difficultés rencontrées. Le type d’attachement peut être réparti en trois
catégories : « détaché », « préoccupé » et « sécurisé ». Le type « détaché »
se caractérise chez l’adolescent par une faible expression des affects, celle-
ci étant régulée de façon rigide au sein de la famille. Le type « préoccupé »
se manifeste par une expression maximale et une faible régulation des
affects. La catégorie « sécure » se situe à mi-distance dans ce continuum,
avec un équilibre entre régulation et expression des affects, ceux-ci pouvant
être reconnus et traités de façon souple et cohérente. L’attachement
insécurisant (« détaché » et « préoccupé ») entraîne une faible estime de soi
et un sentiment de rejet de la part des autres, favorisant par-là
l’identification aux modèles sociétaux, notamment concernant l’apparence
(Sharpe et al., 1998). Ce type d’attachement accentuerait ainsi le
développement de préoccupations pondérales et corporelles. En effet, les
personnes présentant un attachement insécurisant dans l’étude de Sharpe et
ses collaborateurs présentent des préoccupations pondérales plus
importantes que les autres participants, sans différence significative de
perception de l’image corporelle.
Les troubles de l’attachement sont considérés comme un facteur entraînant
des difficultés de régulation des états internes ainsi que des relations
(e.g. Tasca, Ritchie et Balfour, 2011). Face à l’état d’inconfort, l’individu
cherche à réguler ses émotions par le biais de conduites alimentaires dans le
but de trouver une sensation d’apaisement et/ou de contrôle. En effet, dans
un premier temps, la restriction alimentaire diminue la perception des
émotions négatives et augmente les émotions positives, notamment en
raison du sentiment de maîtrise. Dans un deuxième temps, cette restriction
contribue à développer davantage de symptômes anxieux et dépressifs, que
l’individu va tenter à nouveau de réguler par la restriction alimentaire,
créant un véritable cercle vicieux (Lamas et al., 2012).
2.2.2 Comportement alimentaire et poids au cours de l’enfance
Le surpoids dans l’enfance est un facteur de risque de développement d’un
trouble alimentaire à l’adolescence, en particulier chez les garçons (50 %
des cas ; Fairburn et Brownell, 2002). Le rapport conflictuel autour de
l’alimentation au cours de l’enfance peut également constituer un facteur de
risque d’un trouble de ce type à l’adolescence. Ainsi, l’étude de Kotler et de
ses collaborateurs (2001), réalisée sur un échantillon de 800 enfants pendant
17 ans, montre que la présence de conflits autour de l’alimentation à l’âge
de 6 ans prédit l’évolution vers une anorexie mentale par la suite.
2.2.3 Adolescence et puberté

L’une des caractéristiques les plus marquantes des troubles des conduites
alimentaires concerne le fait qu’il s’agisse d’une pathologie principalement
féminine. Les pressions psychosociales exercées sur la femme vers un idéal
de beauté ont été largement documentées. Ces pressions entraînent
l’adoption de comportements de contrôle du poids qui vont à l’encontre des
réalités biologiques. Les femmes étant biologiquement prédestinées à
acquérir plus de masse adipeuse que les hommes, elles luttent pour
maintenir une silhouette irréaliste. La restriction alimentaire entraîne un
risque de développement de troubles de l’alimentation, les boulimiques
rapportant presque dans tous les cas avoir commencé un régime avant
l’apparition des premières crises de boulimie. Ainsi, les aspects
développementaux liés à la puberté sont au cœur de la problématique des
troubles alimentaires.
2.2.4 Antécédents traumatiques

Les résultats des recherches ayant étudié le lien entre les abus sexuels au
cours de l’enfance et les troubles alimentaires à l’adolescence sont
contradictoires. Cela s’explique notamment en raison des différences
d’antécédents pris en compte : abus sexuels ou climat incestuel,
maltraitance intra ou extrafamiliale… Il est à noter que le suivi d’une
cohorte de près de 800 enfants réalisé par Johnson et ses collaborateurs
(2002) révèle un lien significatif entre la négligence parentale et l’abus
sexuel dans l’enfance, et l’apparition ultérieure d’un trouble du
comportement alimentaire. Plusieurs études ont également mis en évidence
le fait que les individus souffrant de troubles des conduites alimentaires
avaient subi des situations de stress chronique ou de stress aigu, telles que
l’abandon, le décès d’un proche ou la violence. Ainsi, dans l’étude de
Reyes-Rodriguez et de ses collaborateurs (2011), sur 753 femmes ayant été
anorexiques, 40 % rapportaient avoir subi au moins un événement
traumatique au cours de leur vie. Concernant les abus sexuels, le taux varie
selon les études : entre 20 % et 50 % des personnes atteintes de troubles des
conduites alimentaires rapportent avoir subi un abus sexuel au cours de
l’enfance ou de l’âge adulte, avec une proportion plus importante chez les
personnes présentant des symptômes boulimiques (e.g. Carter et al., 2006 ;
Waller, 1991, 1992). L’effet cumulé de plusieurs situations traumatiques et
aversives multiplie le risque d’apparition d’un trouble. Pike et
collaborateurs (2008) montrent par exemple que les commentaires négatifs
concernant l’apparence physique renforcent le risque de trouble alimentaire
induit par un événement traumatique.

2.3 Facteurs émotionnels et personnalité


2.3.1 Personnalité et troubles du comportement alimentaire

Les recherches portant sur le lien entre personnalité et troubles des


conduites alimentaires sont nombreuses. La revue réalisée par Cassin et Von
Ranson en 2005 apporte un éclairage précis sur les données actuelles dans
ce domaine. La plupart des études sont de type corrélationnel, réalisées à
partir de questionnaires autorapportés, ce qui appelle à une certaine
prudence dans l’interprétation des résultats. La méta-analyse rapporte un
lien entre les troubles alimentaires et les caractéristiques suivantes :
perfectionnisme, obsession-compulsion, personnalité évitante. Dans le cas
spécifique de l’anorexie, on observe des corrélations avec la persévérance et
une faible recherche de nouveauté, tandis que la boulimie semble davantage
liée à la recherche de sensations nouvelles et à l’impulsivité. D’autres
recherches portant sur les traits de personnalité ont pu mettre en avant un
lien entre troubles alimentaires et névrosisme (prédisposition à l’émotivité,
à l’anxiété, à la dépression). Ainsi, divers traits de personnalité pourraient
prédisposer aux troubles alimentaires, dont les principaux seront détaillés
ci-après.
2.3.2 Perfectionnisme et obsession-compulsion
On constate une combinaison de traits perfectionnistes (attentes irréalistes,
anxiété de performance, attention excessive portée aux erreurs) et une
insatisfaction générale avec la mise en valeur d’échecs par le sujet atteint de
troubles du comportement alimentaire. Confronté à l’écart important entre
l’idéal visé et la situation qui est la sienne, l’individu tente de reprendre le
contrôle des événements en s’engageant dans un projet à l’issue duquel il
peut connaître un succès, ici la perte de poids. Si l’entreprise est fructueuse,
même pour une courte période, le sentiment immédiat de succès procure
une puissante validation des comportements de contrôle du poids. En
d’autres termes, la personne qui a accusé une série d’échecs ou de
conséquences négatives découvre enfin un domaine où elle excelle… Outre
le perfectionnisme, on observe une association avec un certain nombre de
traits obsessionnels tels que le doute, les rituels de vérification, la recherche
d’exactitude et de minutie. D’après les études rétrospectives, ces traits
précèdent la survenue d’un trouble alimentaire et sont plus présents parmi
les personnes concernées par ces troubles que chez d’autres types de
patients psychiatriques. Ces caractéristiques perdurent après la rémission
chez les anorexiques comme chez les boulimiques, contrairement aux
représentations consistant à croire que ce trait serait spécifique à l’anorexie.
2.3.3 Impulsivité et recherche de sensations

La recherche de sensations concerne le besoin d’expériences nouvelles,


associé souvent à la prise de risques permettant d’augmenter les sensations
expérimentées. Ce trait de personnalité est plus présent chez les personnes
souffrant de symptômes boulimiques, de même que l’impulsivité. Celle-ci
est caractérisée par le manque de capacité à inhiber une action et par la
moindre prise en compte des conséquences des actes. Les personnes
atteintes de troubles boulimiques et hyperphagiques sont davantage
concernées par ce trait que les sujets sans troubles psychiatriques, alors que
les anorexiques le sont moins (e.g. Bénard et al., 2019). Cependant, des
études longitudinales analysant cet aspect seraient nécessaires afin de
pouvoir conclure si l’impulsivité impliquée dans les crises de boulimie est
simplement un effet de la restriction et de la désorganisation des prises
alimentaires, ou s’il s’agit d’un trait persistant après rémission du trouble.
2.3.4 Narcissisme et trouble de l’image du corps
Le narcissisme reflète une préoccupation pathologique concernant
l’apparence physique et la nécessité d’une validation extérieure de sa
présentation. Elle s’accompagne d’une grande sensibilité interpersonnelle et
d’une faible estime de soi. Ce trait de personnalité est particulièrement
présent chez les individus atteints de troubles du comportement alimentaire
par rapport à d’autres types de pathologies comme l’anxiété. De plus, cette
caractéristique perdure après la rémission du trouble. Le lien entre
l’insatisfaction corporelle et l’estime de soi pourrait, en partie, expliquer la
prévalence du narcissisme dans cette population.
L’estime de soi est fortement influencée par la satisfaction corporelle dans
les sociétés occidentales où la maîtrise de soi et la performance sont
hautement valorisées. Cette estime est donc mise à mal à la puberté lorsque
les transformations physiques viennent perturber les représentations
corporelles. Cash et Deagle (1997) montrent que la relation entre cette
estime de soi et les troubles des conduites alimentaires est médiée par un
trouble de l’image du corps.
Plusieurs facteurs concourent au développement d’un trouble de l’image
du corps. Tout d’abord, on constate que celle-ci est influencée par l’âge
d’arrivée des transformations pubertaires. La puberté précoce –
généralement définie par l’arrivée des règles avant 11 ans ou par des
transformations physiques précoces par rapport au groupe de pairs – est
associée à une plus grande insatisfaction corporelle. Par ailleurs, un indice
de masse corporelle élevé prédit également un risque plus important
d’insatisfaction corporelle, bien que celle-ci n’apparaisse pas
nécessairement chez les personnes en surpoids. Sur un autre plan, les
expériences de moquerie participent aussi à la constitution d’un trouble de
l’image du corps, en particulier lorsque le père est impliqué dans ce type de
communication. D’autre part, les attitudes parentales face à leur propre
apparence ont un impact sur l’image du corps par le processus de modeling
largement décrit par les théories de la psychologie sociale. À ce titre,
l’attitude des amis proches et des conjoints peut également jouer un rôle
non négligeable. Certains événements de vie participent également à
l’organisation ou à la réorganisation de l’image du corps, notamment les
abus sexuels, les accidents ou les maladies comme le cancer du sein. Enfin,
l’étiologie socioculturelle a été largement étudiée, et deux modérateurs
principaux ont été mis en évidence : la tendance à l’intériorisation de l’idéal
de minceur et la tendance à la comparaison sociale.
2.3.5 Le rôle des émotions

Les troubles alimentaires apparaissent notamment comme une


conséquence de faibles compétences émotionnelles telles que définies par
Mikolajczak, Quoidbach, Kotsou et Nelis (2014). Cinq types de
compétences ont été identifiés : la capacité à identifier les émotions (repérer
les signes et nommer l’émotion), à les comprendre (que vient signaler cette
émotion), à les exprimer (préciser l’émotion et si possible le besoin sous-
jacent), à les réguler (éviter les débordements délétères pour soi et pour son
entourage) et à les utiliser (mettre en œuvre un comportement adapté
permettant de répondre à la situation ayant fait émerger l’émotion). Les
compétences émotionnelles peuvent être développées tout au long de la vie
mais, lorsqu’elles font défaut, le recours à des conduites à risque est
fréquent. La difficulté d’accéder à ses émotions et de les réguler a
spécifiquement été repérée comme facteur de risque de troubles des
conduites alimentaires. Un certain nombre de travaux ont ainsi mis en
évidence un lien entre l’alexithymie, définie comme la difficulté à identifier
et à nommer ses émotions, et les troubles des conduites alimentaires.
D’autres travaux ont porté sur le déficit de régulation des émotions
négatives telles que la colère, la peur et la tristesse.
Des recherches se sont également intéressées au rôle de l’anxiété (proche
de la peur), en particulier l’anxiété sociale, dans l’apparition des troubles du
comportement alimentaire. L’anxiété sociale peut être décrite comme une
peur face aux situations sociales dans lesquelles les individus se perçoivent
comme pouvant être évalués de manière négative par d’autres. Dans les cas
les plus extrêmes, on parle de phobie sociale, marquée par une peur intense
des situations sociales et de performances dans lesquelles le sentiment de
malaise et d’embarras peut surgir, cela entraînant une perturbation
importante du quotidien de la personne. La prévalence-vie entière de la
phobie sociale est de 4,9 % pour les hommes et de 9,5 % pour les femmes.
En raison des préoccupations importantes concernant l’apparence physique
et les difficultés relationnelles présentes dans les troubles des conduites
alimentaires, l’hypothèse selon laquelle ces troubles seraient corrélés à la
phobie sociale a été testée par plusieurs études (voir Godart et al., 2000).
Celles-ci révèlent effectivement une comorbidité élevée : 55 % chez les
anorexiques et 59 % chez les boulimiques. Ainsi, les troubles des conduites
alimentaires pourraient être considérés comme des moyens de faire face à
une anxiété sociale sous-jacente.
2.3.6 Le sentiment de honte

La honte est une expérience émotionnelle complexe. Elle inclut une


dimension d’évaluation sociale (en se comparant aux autres ou en
imaginant ce que les autres pensent de nous) et une dimension
d’autoévaluation (jugement négatif porté sur soi). Elle comporte également
une dimension émotionnelle, mêlant des émotions telles que l’anxiété, la
colère et le dégoût, qui s’accompagne de manifestations physiologiques et
de réactions comportementales impliquant généralement l’inhibition et la
fuite (Gilbert, 2002). La dimension interne et externe de la honte a donné
lieu à la conceptualisation d’une honte « interne » et d’une honte
« externe » (Kaufman, 1989). La honte « interne » est le fait de se
considérer comme étant inférieur(e), inutile, inadapté(e), tandis que la honte
externe est le fait de penser que les autres nous considèrent comme étant
inférieur, inutile et inadapté, ce qui génère une peur d’être rejeté. Les deux
formes de honte sont généralement fortement corrélées (Goss, Gilbert et
Allan, 1994). Toutefois, ce n’est pas nécessairement le cas. Par exemple,
dans le cas de l’anorexie, les comportements de restriction alimentaire sont
perçus comme étant jugés négativement par l’entourage, alors qu’ils
génèrent un sentiment de fierté chez l’individu en raison de sa capacité de
contrôle. L’anorexique sera alors amené à camoufler sa maigreur dans le but
d’éviter le sentiment de honte « externe ».
Les personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires présentent
un niveau de honte interne et externe plus élevé que la population non
clinique. Les sentiments d’inutilité, d’échec et d’infériorité sont
particulièrement présents et associés à l’image du corps : la forme
corporelle est considérée comme un marqueur de réussite ou d’échec. Le
sentiment de honte corporelle entrave ainsi toute tentative de modification
des conduites alimentaires. C’est pourquoi le travail sur la honte apparaît
aujourd’hui comme un élément essentiel de l’accompagnement
thérapeutique dans le but d’enrayer la dynamique dans laquelle l’individu
est enfermé : la honte amène à des conduites de restriction ou de
compensation (crise de boulimie), mais ces conduites n’améliorent pas la
satisfaction corporelle et génèrent donc un sentiment accru d’échec. Gilbert
(2002) souligne que le sentiment de honte interne est plus intense chez les
boulimiques et les hyperphages en raison de la perte de contrôle et du
sentiment d’impuissance face aux épisodes de crise hyperphagique. Outre
l’apparition du sentiment de honte dans ces situations, la honte par rapport à
son corps est considérée comme un facteur de risque de trouble alimentaire.
Andrews (1997) montre ainsi que la honte corporelle est même un meilleur
prédicteur de l’apparition de la boulimie que l’insatisfaction corporelle, et
que cette honte a un effet de médiation dans la relation entre abus sexuels et
boulimie.

2.4 Facteurs précipitants


2.4.1 Régimes alimentaires

Le régime est considéré comme l’un des principaux facteurs précipitants.


Plus de 50 % des filles à la puberté se déclarent insatisfaites de leur
apparence, ceci d’autant plus que les modifications physiques et
physiologiques surviennent tôt. Cette insatisfaction, qui a pour effet
d’entraîner la poursuite de régimes nombreux et inefficaces (pour une
revue, voir Desmurget, 2015), porte d’entrée vers les troubles alimentaires à
la fois en raison du sentiment de contrôle et de bien-être momentanément
généré par la restriction alimentaire, et par le risque d’un basculement vers
les crises de boulimie faisant suite à des restrictions trop importantes.
Lorsque le cerveau perçoit que le corps perd ses réserves lipidiques, il
envoie des signaux d’alerte en permanence pour orienter l’action vers la
prise alimentaire. De plus, au bout de quelques mois, il modifie son
métabolisme dans le but de consommer moins de calories et de stocker
davantage de graisses. C’est ainsi que les personnes qui cherchent à
contraindre leur corps à un régime restrictif s’embarquent dans une lutte
sans fin entraînant plus de restrictions et plus de pertes de contrôle dans une
tentative toujours renouvelée de la part du cerveau d’ingérer les calories
nécessaires à son fonctionnement.
2.4.2 Événements stressants
Parmi les facteurs déclenchants l’on compte également des situations qui
semblent parfois anodines, mais qui provoquent le déclenchement du
trouble. Il peut s’agir de changements relationnels importants comme le
divorce des parents, une rupture sentimentale, le départ d’un membre de la
fratrie du domicile familial, ou d’expériences d’échec (mauvaises notes),
d’humiliations (remarques désobligeantes, notamment en lien avec
l’apparence physique) ou d’agression. Les théories du stress et du coping se
sont ainsi intéressées aux événements stressants pouvant déclencher les
troubles. L’étude de Welch, Doll et Fairburn (1997) montre que 76 % des
femmes boulimiques rapportent des événements stressants au cours de
l’année contre seulement 40 % dans le groupe témoin. Cependant, certaines
recherches arrivent à des conclusions contradictoires, notamment en ce qui
concerne les événements de vie anciens. Les auteurs soulignent que lorsque
les différences de diagnostic sont prises en compte, il devient possible de
rendre les résultats plus cohérents. Une étude menée sur 17 cas de boulimie
et 17 cas témoins (Crowther et al., 2001) montre qu’il n’existait pas de
différence de fréquence d’événements stressants dans le quotidien des
participants, mais que les personnes atteintes de boulimie évaluaient les
événements comme étant plus stressants. De plus, ces personnes ingéraient
plus de calories les jours d’un stress perçu comme important, tandis que la
population témoin ne modifiait pas sa quantité calorique journalière en
fonction du stress perçu. Ainsi, la question de la perception du stress
pourrait être importante à traiter.
2.4.3 Les stratégies d’adaptation

Le type de stratégie d’adaptation utilisé (ou stratégie de coping) détermine


en partie l’impact de l’événement sur la personne. Les résultats des
recherches sont convergents : qu’il s’agisse de questionnaires ou
d’entretiens d’évaluation, les personnes concernées par les troubles des
conduites alimentaires ont un sentiment d’impuissance plus élevé que la
population non clinique et utilisent davantage de stratégies d’évitement, et
les personnes boulimiques font moins appel au soutien social. De plus, les
anorexiques ont davantage tendance à utiliser l’évitement cognitif pour faire
face aux difficultés tandis que les boulimiques ont recours à la rumination
cognitive. Certains auteurs considèrent le trouble du comportement
alimentaire comme une manière de tenter de réguler ses émotions. En effet,
sans aller jusqu’à l’hyperphagie, nombre de personnes sont concernées par
l’utilisation de l’alimentation comme moyen de réguler les émotions
désagréables. C’est ce qui a été appelé alimentation émotionnelle. Des
auteurs tels que Levitan et Davis (2010) postulent qu’il s’agit d’un
comportement appris (conditionné) par l’association d’expériences
négatives suivies d’une proposition d’aliment agréable. Par exemple,
lorsque l’enfant pleure, on lui donne un biscuit pour le réconforter.
Le stress apparaît comme étant le premier facteur déclenchant de
l’alimentation émotionnelle chez les jeunes filles. L’objectif est d’éviter de
ressentir l’émotion négative en passant à une sensation de plaisir (comme
dans le cas de consommation de substances psychoactives). Des chercheurs
ont ainsi mis en évidence que des techniques de gestion du stress pouvaient
être utiles dans la réduction de l’alimentation émotionnelle en particulier si
les individus parviennent à prendre conscience des automatismes qui les
poussent à consommer en dehors des périodes de faim (voir chapitre 4).

3. Modèles de compréhension des troubles


Les premiers modèles explicatifs concernant les troubles des conduites
alimentaires (modèles psychanalytique, féministe, culturel…) se sont
davantage intéressés aux facteurs psychosociaux et à l’impact des
interactions familiales. Ainsi, il n’est pas surprenant de constater que
malgré les parallèles existant entre l’abus de substances et les troubles du
comportement alimentaire, de nombreuses réticences surgissent lorsqu’il
s’agit de considérer que ces troubles peuvent avoir une étiologie commune.
La comparaison est rendue d’autant plus complexe que les profils types de
ces patients diffèrent. Le stéréotype de l’individu dépendant d’une drogue
est associé au sexe masculin, à la criminalité et à la déviance sociale, tandis
que le stéréotype de la personne atteinte de troubles alimentaires est une
femme qui vise plutôt le conformisme social. Cependant, au cours des
dernières décennies, un changement paradigmatique a vu le jour dans le
champ de la recherche sur les troubles des conduites alimentaires,
s’éloignant progressivement des explications uniquement centrées sur les
facteurs psychosociaux, en analysant notamment les dysfonctionnements
dans l’action des neurotransmetteurs. L’un des effets de cette nouvelle
orientation est l’intérêt croissant pour la compréhension du lien entre les
troubles du comportement alimentaire et l’abus de substances
psychoactives. Un certain nombre de troubles du fonctionnement
biologique sont produits par la restriction alimentaire présente dans
l’anorexie et dans la plupart des cas de boulimie. Cependant, ces altérations
engendrent à leur tour et exacerbent le comportement qui les a provoquées,
entraînant un cycle de reproduction du comportement qui s’apparente alors
à une forme d’addiction. Certains auteurs considèrent même que les
facteurs physiopathologiques expliqueraient davantage le maintien des
troubles du comportement alimentaire que les facteurs
psychopathologiques.
Ainsi, nombre de modèles ont été proposés pour tenter de comprendre les
troubles des conduites alimentaires issus de différents courants de la
psychologie, dont certains ont même des conceptions opposées. Les
principaux seront présentés ici tout en gardant à l’esprit que ces hypothèses
théoriques sont à considérer comme des grilles de lecture permettant
d’enrichir la conception des troubles et d’améliorer leur prise en charge.
Ces principes théoriques, certes inspirés de la clinique, ne sauraient rendre
compte intégralement de la multiplicité et de la complexité des cas
rencontrés. Le traitement de la question des troubles des conduites
alimentaires en tant qu’addiction sera discuté plus en détail, étant donné
qu’il s’agit d’un modèle intégrant l’apport des recherches des différents
courants et qui apparaît aujourd’hui comme étant le plus pertinent pour la
compréhension et la prise en charge de ces troubles.

3.1 Évolution des modèles de compréhension des


troubles
3.1.1 L’approche psychanalytique

Historiquement, les premiers modèles de compréhension des troubles des


conduites alimentaires sont issus des théories psychanalytiques, en
particulier à la suite des publications de Hilda Bruch. Aujourd’hui, les
différentes conceptions psychanalytiques se rejoignent en prenant en
considération le lien avec le processus d’adolescence (Jeammet, 1990) et
pas uniquement le lien avec les relations précoces entre parents et enfants.
Le trouble alimentaire apparaîtrait notamment chez des individus présentant
une difficulté dans l’autonomisation et l’acceptation du corps sexué. La
restriction alimentaire serait une façon de regagner un sentiment de maîtrise
afin de diminuer la dépendance face à autrui. La crise de boulimie serait
une façon de court-circuiter la pensée afin d’éviter l’expérience d’affects
négatifs. Il s’agirait d’une part de ressentir des sensations plutôt que d’être
confronté à des émotions, et d’autre part de remplacer la relation à l’autre
par une relation à un objet maîtrisable.
3.1.2 L’approche systémique

Après les théories psychanalytiques, ce sont les systémiciens qui se sont


intéressés à la question des troubles des conduites alimentaires. D’après les
différents courants systémiques, des difficultés conjugales et familiales
seraient à l’origine du trouble alimentaire de l’enfant. Le système familial
présenterait des perturbations au sein des interactions dans le but de
maintenir l’unité familiale. Ainsi, les conflits seraient évités, voire niés, la
dépendance encouragée, les changements rejetés, ceci venant mettre à mal
le processus adolescent qui vise à l’autonomisation de l’enfant. Le trouble
alimentaire peut être compris comme ayant plusieurs fonctions au sein de
cet équilibre familial précaire. Il serait une manière de focaliser l’attention
du groupe familial sur un symptôme plutôt que sur le problème fondamental
qui génère des tensions et permettrait au jeune de rester « enfant »,
dépendant, nécessitant des soins parentaux. Cette stratégie non consciente
de maintien de l’unité familiale s’avère pourtant souvent contre-productive,
créant des tensions encore plus importantes au sein de la famille ainsi que
des conflits conjugaux majorés par la recherche d’alliance « à deux » dont
les personnes atteintes de troubles alimentaires sont particulièrement
friandes.
3.1.3 Le modèle comportemental

Le modèle comportemental s’appuie sur les travaux commencés par


Pavlov, puis Skinner. Les modèles les plus anciens postulent que le trouble
du comportement alimentaire serait dû à une conduite apprise, poursuivie
en raison des renforcements extérieurs. La réaction de l’entourage produit
un renforcement positif (admiration, félicitations, attention). Concernant la
boulimie, l’insatisfaction corporelle de l’individu le pousserait à produire
un comportement d’amaigrissement, celui-ci conduisant à un manque
nutritionnel important. Ce manque nutritionnel engendrerait à son tour des
comportements impulsifs de consommation dans le but de réduire les
tensions perçues. Ces actes seraient compensés au travers du contrôle du
poids par les vomissements, la restriction alimentaire et la prise de laxatifs.
La réduction des tensions produites par la crise de boulimie renforcerait ce
comportement. C’est cet effet renforçateur qui caractérise les modèles
comportementaux. Toutefois, les recherches par échantillonnage
d’expériences (évaluation des émotions à différents moments de la journée)
montrent que les crises de boulimie ne sont pas suivies d’une amélioration
de l’état émotionnel de la personne (Wegner et al., 2002). Le modèle
comportemental ne semble pas prendre en compte l’ensemble des facteurs
explicatifs des troubles des conduites alimentaires ; c’est pourquoi l’on
s’intéresse aujourd’hui aux modèles cognitifs et comportementaux, la
dimension cognitive apparaissant comme essentielle dans la compréhension
de ces difficultés.
3.1.4 Le modèle cognitif

À la suite de nombreuses recherches ayant porté sur les troubles des


conduites alimentaires au cours des dernières décennies, le modèle cognitif
a supplanté les autres modèles dans la compréhension et pour
l’accompagnement des personnes concernées par des troubles des conduites
alimentaires. Bien que les mécanismes de conditionnement classique et
opérant, ainsi que l’apprentissage social participent au maintien des
troubles, le rôle des pensées dysfonctionnelles dans l’évolution du trouble
alimentaire apparaît fondamental. Les perturbations cognitives ne se
limitent pas aux représentations corporelles, elles concernent également le
mode de pensée rigide, ne laissant aucune place au compromis et à la
nuance (« si je ne suis pas mince, alors je suis grosse »). D’autres
distorsions cognitives apparaissent, telles que la surgénéralisation et
l’exagération (« si je prends 500 grammes, je ne serai plus digne ») ou
encore le biais de fusion pensée-forme évoqué précédemment. Les théories
cognitives analysent ainsi le trouble alimentaire comme étant la résultante
de processus cognitifs dysfonctionnels.

3.2 Un modèle biopsychosocial : l’addiction


Il existe une comorbidité importante entre les troubles des conduites
alimentaires et d’autres types d’addictions comme la consommation de
tabac ou d’alcool. L’abus de substances psychoactives est présent chez 30-
37 % des patients boulimiques, et chez 12-18 % des anorexiques (APA,
2000). L’impulsivité semble expliquer en partie la prédisposition à
consommer des toxiques. L’on constate, par exemple, une moindre
consommation de psychotropes chez les patients anorexiques sans épisodes
boulimiques associés. Cependant, plusieurs caractéristiques communes
entre les troubles des conduites alimentaires et l’addiction aux substances
permettraient de considérer ces troubles comme faisant également partie des
addictions (Corcos et al., 2003), et plus précisément d’addictions dites
« comportementales » (Varescon, 2009).
3.2.1 Le processus addictif

Le terme « addiction » provient d’un mot latin signifiant « esclavage pour


dette » ou « contrainte par le corps ». Il désigne ainsi métaphoriquement ce
qu’on appelait avant la toxicomanie, dans une conception qui faisait de la
dépendance l’équivalent d’une peine auto-infligée. La dépendance qui se
manifeste dans l’addiction se caractérise par son intensité, l’urgence du
besoin de satisfaction et l’impossibilité de s’y soustraire. L’origine des
conduites addictives trouve deux principales sources motivationnelles : la
recherche de sensations positives ou l’automédication en réponse à des états
affectifs négatifs. Ainsi, il s’agit d’un comportement réalisé dans le but de
produire une satisfaction et la disparition de sensations aversives, qui est
caractérisé par deux éléments principaux : une incapacité de contrôler le
comportement et un maintien du comportement en dépit de conséquences
négatives. Le concept d’addiction regroupe les addictions aux substances
(tabac, alcool, opiacés…) et les addictions comportementales (jeu
pathologique, achats compulsifs…).
3.2.2 Arguments en faveur d’une conduite addictive

Outre l’association fréquente à d’autres troubles des conduites (abus


d’alcool ou de psychotropes, conduite d’automutilation, etc.), un certain
nombre d’arguments étayent le rapprochement entre troubles du
comportement alimentaire et addictions. On constate notamment qu’il s’agit
d’un comportement qui devient progressivement compulsif (restrictions,
exercice physique, vomissements, abus de laxatifs, etc.), malgré des
conséquences négatives sur le fonctionnement général de l’individu (santé,
relations, travail, etc.). De plus, à la suite d’une exposition continue au
comportement déviant, l’individu augmente l’occurrence de ces conduites
pour obtenir un même effet renforçateur. Ces personnes ont tendance à
ressentir un besoin de plus en plus irrépressible de ce comportement
(craving) qui peut perdurer même après une longue période d’abstinence.
Cela explique d’ailleurs en partie le nombre important de rechutes dans le
domaine des addictions. On retrouve par exemple des comportements tels
que la restriction alimentaire, l’excès d’exercice physique et les excès
alimentaires, comportements habituels qui se sont transformés en
comportements excessifs. Les patients soulignent la compulsion importante
à reproduire ces comportements en dépit de problèmes de santé majeurs. De
plus, les personnes elles-mêmes se définissent comme dépendantes, faisant
l’expérience d’un véritable esclavage, comme dans les autres addictions. On
peut également parler de syndrome de sevrage dans le cas des troubles
alimentaires. Pour l’anorexique, l’interruption du jeûne ou de la restriction
alimentaire peut être considérée comme un sevrage. Après avoir mangé,
l’anorexique se plaint de douleurs, de malaises, éprouve de l’angoisse, etc.
En ce qui concerne les boulimiques, ils font l’expérience intense du manque
à l’origine de troubles de l’humeur avec irritabilité, et de troubles du
comportement tels que l’agressivité envers soi ou envers les autres.
On retrouve également une caractéristique commune pouvant déclencher
la conduite addictive : le fait de consommer une petite quantité (ou de voir
une substance ou un contexte rappelant la substance ; Levitan et Davis,
2010) peut déclencher une crise. Cette étape de priming est suivie par les
trois phases classiques des conduites addictives : consommation excessive
activant le système de récompense au niveau cérébral, phase de
« descente » qui s’accompagne d’émotions négatives, puis phase
d’anticipation anxieuse précédant un nouvel accès (Parylak, Koob et
Zorrilla, 2011).
3.2.3 Caractéristiques prémorbides similaires

L’hypothèse selon laquelle les deux types de troubles ont des bases
communes repose notamment sur l’observation de caractéristiques
prémorbides similaires, telles que la présence de symptômes anxieux et
dépressifs, une moindre capacité à reconnaître ou à interpréter les
sensations internes, la recherche de sensations, la sensibilité aux
récompenses et aux punitions et la mauvaise estime de soi. Certains
chercheurs suggèrent qu’il existe un certain nombre de traits de personnalité
communs aux deux types de troubles qui prédisposent un individu au risque
d’adopter des comportements potentiellement excessifs. Ces recherches
montrent notamment que les patients atteints de troubles des conduites
alimentaires obtiennent des scores comparables à ceux de patients
dépendants de drogues aux échelles mesurant les caractéristiques de la
personnalité dépendante (Davis et Claridge, 1998). Une même séquence
temporelle prédictive des troubles à l’adolescence est observée, les troubles
anxieux et dépressifs apparaissant souvent avant la conduite addictive.
Ainsi, l’addiction pourrait être comprise comme un style de coping évitant.
Lorsque celui-ci est mis en œuvre de manière préférentielle, il pourrait
entraîner une vulnérabilité à toute autre addiction également utilisée comme
stratégie d’adaptation. Les troubles des conduites alimentaires peuvent
correspondre à une tentative de contenir, à travers le recours au corps et aux
sensations, l’angoisse expérimentée par les adolescents face aux
nombreuses dimensions en pleine mutation.
3.2.4 Des patterns neurobiologiques communs

Du point de vue biologique, on constate d’autres similarités. L’exercice


physique intense et le jeûne activent le système dopaminergique de
récompense. Les modifications biologiques qui en découlent sous-tendent la
dépendance aux opioïdes endogènes auto-induite, un argument en faveur
d’une prise en compte du processus addictif, même pour les patients
anorexiques restrictifs. En d’autres termes, les crises de boulimie, le jeûne
et l’exercice physique ont pour objet d’augmenter les niveaux de bêta-
endorphines qui agissent comme le ferait une substance psychoactive
exogène sur le système dopaminergique. La compréhension du phénomène
de dépendance repose sur l’effet de la substance sur les affects dysphoriques
et sur l’absence de plaisir éprouvé (anhédonie).
3.2.5 Limites du concept d’addiction

L’un des risques du rapprochement entre troubles des conduites


alimentaires et addiction concerne la sélection des informations : les
ressemblances sont mises en avant et les différences ignorées. Un premier
argument avancé à l’encontre de ce rapprochement porte sur le fait que les
boulimiques se montrent capables de réguler leur prise alimentaire en
fonction de la possibilité ou non d’élimination après un repas, ce qui remet
en cause la question de la perte de contrôle (Rosen et al., 1985). Par
ailleurs, outre le fait qu’il existe une différence de fond entre l’utilisation
d’une substance toxique et de la nourriture, le rapport à la consommation
après la guérison est nécessairement distinct. En effet, il est possible de
s’abstenir de consommer des substances psychoactives, alors que
l’alimentation est nécessaire à la survie. Ainsi, les patients restent
confrontés plusieurs fois par jour à l’objet problématique. Les modes de
traitement de ces troubles ne peuvent donc être entièrement similaires.

3.3 Vers de nouveaux modèles de compréhension


Jusqu’à présent, la plupart des recherches portant sur les facteurs
impliqués dans le développement des troubles des conduites alimentaires
ont porté sur des facteurs de risque. Toutefois, la capacité de chacune de ces
variables à prédire la survenue d’un trouble alimentaire demeure
relativement faible (Stice, 2002), ce qui tend à suggérer que l’apparition des
troubles serait liée à une interaction de plusieurs facteurs, mais aussi qu’il
existerait des facteurs diminuant l’apparition du trouble malgré la présence
de facteurs de risque. Par exemple, dans une étude prospective, il a été
montré que le fait de partager régulièrement des repas en famille constituait
un facteur de protection face aux troubles des conduites alimentaires
(Neumark-Sztainer et al., 2010), comme cela a été montré dans le cas
d’autres conduites à risque telles que l’abus d’alcool chez les adolescents.
L’explication avancée pour comprendre le lien entre les temps de repas
partagés et la réduction des risques d’addiction porte sur le maintien d’une
proximité et d’un soutien social suffisants au cours de l’adolescence, avec
des temps de partage et de communication entre parents et adolescents.
L’étude des facteurs de protection apparaît donc comme un moyen de
développer des interventions plus efficaces.
3.3.1 Limites de l’étude des facteurs de risque

Les facteurs de risque ont été répartis en deux catégories (Kraemer et al.,
1997) : les facteurs de risque « fixes » et les facteurs « malléables ». Les
facteurs fixes sont l’âge (en lien avec les modifications générées par la
puberté) et le genre (les filles sont plus à risque que les garçons). Les
facteurs malléables sont ceux sur lesquels il est possible d’agir : la pression
vers la minceur exercée par les médias, la recherche de minceur, l’influence
des émotions négatives… Les programmes de prévention et de prise en
charge portant sur ces facteurs malléables ont une efficacité faible ou
modérée selon les études (Stice et al., 2007). Cela s’explique notamment
par le fait qu’en présence d’une émotion négative, différentes réponses sont
possibles. Certains individus auront tendance à chercher à lutter contre
l’émotion ou encore à éviter les situations pouvant générer cette émotion.
C’est ainsi qu’une personne en vient à fuir son reflet dans un miroir,
cherche à éviter le regard des autres… À l’inverse, d’autres personnes
développent une attitude de « bienveillance envers soi » et d’« acceptation »
(voir chapitre 4) consistant à considérer l’expérience désagréable comme
faisant partie des expériences que l’on peut rencontrer au cours d’une
journée, sans pour autant que cela les empêche de poursuivre les activités
considérées comme importantes pour elles, telles que voir des amis. Ce
constat a mené les chercheurs et les praticiens à s’intéresser davantage à ces
facteurs dits « protecteurs » qui permettraient de maintenir une qualité de
vie satisfaisante en dépit de la présence de facteurs de risque.
3.3.2 Les facteurs protecteurs génériques

On entend par « facteurs de protection » les aptitudes, caractéristiques


individuelles et ressources du milieu qui contribuent à la capacité de
s’adapter aux situations rencontrées (Shankland, 2019). Ces caractéristiques
servent en quelque sorte d’amortisseurs en cas d’événements difficiles, et
offrent un réservoir de ressources permettant de composer efficacement
avec ces stresseurs (Willinsky et Pape, 2001). Parmi ces facteurs, on compte
les aptitudes cognitives à résoudre des problèmes, le sentiment d’avoir du
contrôle sur sa vie, des antécédents de mise en œuvre de compétences de
même type et de succès dans la gestion de difficultés, les compétences
sociales et aptitudes à rechercher du soutien.
Un intérêt croissant est accordé aux facteurs protecteurs communs à
différents troubles qui permettraient d’agir en amont des problèmes
rencontrés. Comme les facteurs de risque, les facteurs protecteurs
s’organisent en trois catégories principales : les facteurs individuels,
familiaux et environnementaux (pour plus de détails, voir Shankland,
2019). Sur le plan individuel, les facteurs protecteurs les plus étudiés
actuellement sont les compétences dites « psychosociales ». Initialement
regroupées en dix compétences présentées par binômes par l’Organisation
mondiale de la Santé, elles représentent des compétences émotionnelles,
cognitives et sociales :
– savoir résoudre des problèmes / savoir prendre des décisions ;
– avoir une pensée créative / avoir une pensée critique ;
– savoir communiquer efficacement / être habile dans les relations
interpersonnelles ;
– avoir conscience de soi / avoir de l’empathie ;
– savoir réguler ses émotions / savoir gérer son stress.
Les interventions visant à développer ces compétences sont aujourd’hui le
plus souvent préconisées dans le cadre d’actions de prévention. Toutefois,
elles sont également utiles pour l’accompagnement, favorisant par-là une
réduction des risques de rechute.
3.3.3 Les facteurs protecteurs spécifiques
Parmi les facteurs de protection étudiés à ce jour concernant les troubles
des conduites alimentaires, l’on retrouve essentiellement cinq catégories de
facteurs :
1. l’appréciation de son corps et le plaisir à en prendre soin ;
2. le sentiment d’autonomie pour contrecarrer la pression du groupe ;
3. la conscience et la régulation des sensations et des émotions ;
4. la bienveillance envers soi, aussi appelée autocompassion ;
5. les facilités de communication au sein de la famille.
La seconde catégorie de facteurs protecteurs concerne l’autonomie et le
sentiment de compétence. Concernant la première catégorie, des travaux ont
porté sur la satisfaction corporelle. Ils montrent notamment que le fait de
pratiquer une activité physique coopérative et dans laquelle la fonctionnalité
du corps est plus importante que l’apparence physique joue un rôle
protecteur face à l’insatisfaction corporelle et aux troubles des conduites
alimentaires (e.g. Smolak, Murnen et Ruble, 2000). Cela s’explique
notamment par le fait que l’individu valorise son corps pour les bénéfices
qu’il peut apporter en termes de plaisir éprouvé, de sensations de détente, et
non en termes de jugement esthétique émis par autrui. Lorsque ce facteur
protecteur fait défaut, l’on constate que l’apparence physique prend une
importance majeure dans l’évaluation de soi (estime de soi). Par exemple, à
partir de la puberté, les jeunes filles ont tendance à s’habiller en suivant la
mode et en prenant moins en compte leur confort physique (Piran, 2014).
Cette tendance contribue à modifier progressivement leur rapport au corps
qui est moins perçu comme une source de plaisir et davantage considéré
sous l’angle de l’apparence (celle-ci étant généralement source
d’insatisfaction).
Cette catégorie, aussi présentée comme la capacité à résister à la pression
sociale, à la pression du groupe de pairs en particulier, constitue un facteur
protecteur contre l’insatisfaction corporelle (Clark et Tiggemann, 2008).
La deuxième catégorie de facteurs protecteurs concerne l’autonomie et le
sentiment de compétence. Cette catégorie, aussi présentée comme la
capacité à résister à la pression sociale, à la pression du groupe de pairs en
particulier, constitue un facteur protecteur contre l’insatisfaction corporelle
(Clark et Tiggemann, 2008).
La troisième catégorie de facteurs, également déterminante, concerne la
capacité à identifier ses sensations (faim, satiété, manifestations du
stress…) et à les distinguer des émotions (peur, colère, tristesse…). Au-delà
de la prise de conscience, la compétence de régulation consiste en la
possibilité de répondre de manière adaptée en fonction de la situation. Plus
l’individu a tendance à réguler ses émotions de manière rigide (toujours de
la même manière), plus le risque de trouble devient important. La souplesse
des stratégies de régulation est ainsi un facteur protecteur clé, comme nous
le verrons dans les nouvelles approches thérapeutiques présentées au
chapitre 4.
La quatrième catégorie de facteurs protecteurs porte sur la réduction de
l’autocritique répétitive négative à propos de soi. Il s’agit d’un facteur de
risque de troubles anxieux et dépressifs identifié par les recherches depuis
plusieurs décennies. Plus récemment, des recherches orientées vers la
réduction des troubles des conduites alimentaires ont mis en évidence
l’importance du développement d’une attitude bienveillante à l’égard de
soi, appelée autocompassion : une forme de compassion orientée vers soi,
comme si l’on était en présence de son ou de sa meilleur(e) ami(e). Les
recherches sur l’approche fondée sur la compassion (Gilbert, 2010) ont fait
la preuve de leur efficacité auprès de cette population et l’on gagnerait à
inclure ce type de pratiques dans le cadre des interventions de prévention
des troubles des conduites alimentaires (e.g. Braun, Park et Gorin, 2016), et
plus largement dans le cadre d’une prévention transdiagnostique, c’est-à-
dire qui cible des facteurs de risque et de protection communs à plusieurs
troubles psychopathologiques. En effet, l’amélioration de la bienveillance
envers soi permet également de réduire la présence d’autres facteurs de
risque de troubles psychopathologies – y compris les troubles du
comportement alimentaire – tels que les pensées répétitives négatives à
propos de soi, des autres et de l’avenir, qui génèrent une augmentation des
affects négatifs, de l’insatisfaction corporelle, et de la comparaison sociale
ascendante. Ainsi, un travail sur l’attitude envers soi permettrait de réduire
un fonctionnement cognitif délétère pour l’individu et pour les relations aux
autres.
Enfin, les facilités de communication au sein des familles ont été
identifiées comme un facteur protecteur des problématiques alimentaires
(Levine et Smolak, 2016). Des recherches ont par exemple mis en évidence
que le fait de prendre des repas en commun représentait un facteur
protecteur par rapport aux conduites à risque de l’adolescent, notamment en
raison de la communication que cela permet entre parents et adolescent. La
prévention universelle gagnerait ainsi à communiquer auprès des familles
l’importance d’orienter l’attention vers des temps propices aux échanges
apaisés, des temps où les parents laissent de côté les critiques ou les
remarques qu’ils auraient tendance à adresser à l’adolescent. En effet, la
communication facilitée passe notamment par le degré d’empathie et de
compassion envers autrui.
3.3.4 Vers un modèle intégrant les facteurs de risque et de protection

La prise en considération des facteurs de protection a donné lieu à la


conception de nouveaux modèles de compréhension des troubles des
conduites alimentaires. Parmi ceux-ci, le modèle développemental de
l’« embodiment » (Piran et Teall, 2012) apporte un éclairage utile
concernant les facteurs de protection en lien avec le rapport à son corps
(voir tableau 2.1). L’« embodiment » fait ici référence à la manière
d’habiter son corps. Selon les événements, les contextes et les modèles de
rôles que l’individu côtoie, cela aura un impact sur la manière dont il se
sentira dans son corps et dont il en prendra soin ou au contraire tentera de le
contraindre à se conformer à un modèle irréaliste. La façon de se sentir dans
son corps est dépendante du contexte (pressions multiples liées à
l’apparence physique), aux expériences passées, ainsi qu’à certains facteurs
individuels tels que les capacités d’affirmation de soi et l’estime de soi.
Prenons l’exemple du facteur protecteur lié à la fonctionnalité du corps
(valorisation du corps pour ce qu’il nous permet de faire plutôt que pour
l’apparence qu’il donne à voir). Lorsque l’activité physique est appréciée et
valorisée pour elle-même, elle diminue la focalisation sur l’apparence. À
l’inverse, certains contextes augmentent la focalisation sur l’apparence,
notamment en termes de tenue vestimentaire. En 2004 en Australie, le
passage officiel à une tenue vestimentaire plus ajustée dans l’un des sports
les plus pratiqués par les jeunes filles (netball) a diminué de 35 000 le
nombre de joueuses (Dubecki, 2007 ; rapporté par Piran, 2014). Cela
illustre comment le contexte peut réduire la tendance des jeunes filles à
s’engager dans des activités physiques favorisant une expérience positive de
leur corps. Parallèlement, des chercheurs ont constaté que l’activité
physique était davantage valorisée chez les garçons, de même que la
présence de muscles, ce qui les encourage à pratiquer davantage. À
l’inverse, les jeunes filles peuvent être stigmatisées lorsque leurs muscles
sont trop saillants (Piran, 2014).
Le chapitre 5 du présent ouvrage présente de nouvelles pistes de
prévention des troubles des conduites alimentaires s’appuyant sur ce type
de constat. Les interventions sont orientées vers la réduction de
l’intériorisation des stéréotypes de genre, en particulier en ce qui concerne
l’apparence physique. Sur le plan de la prise en charge, de nouveaux
programmes se focalisent également sur cette dimension dans le but de
renforcer l’affirmation de soi face aux stéréotypes et aux pressions sociales
vers la minceur (e.g. Stice, Rhode, Burtyn, Menke et Marti, 2015).
Les modèles de compréhension multidimensionnels recueillent
actuellement un relatif consensus (Lamas, Shankland, Nicolas et Guelfi,
2012). De manière schématique, les troubles des conduites alimentaires
apparaissent chez des individus prédisposés par un ensemble de facteurs
d’ordre psychologique, génétique et neurobiologique lorsque les facteurs
protecteurs font défaut. Sous l’effet de facteurs déclenchants (insatisfaction
corporelle liée à la puberté, restriction alimentaire, commentaires répétés
sur l’apparence physique, séparation…), les troubles se développent et sont
ensuite maintenus par des facteurs pérennisants (dénutrition, réaction des
autres, renforçateurs) qui entraînent dans un cercle vicieux (Garner, 1993).
Tableau 2.1 – Facteurs protecteurs référencés par la théorie développementale de l’embodiment
(inspiré de Piran, 2014)
Domaine physique Domaine psychologique Domaine social

Absence d’exposition à
Engagement dans des activités des expériences de
physiques procurant du plaisir Capacité d’affirmation de soi discrimination liée au genre
(plutôt que de la contrainte) ou de critiques liées à
l’apparence physique

Engagement dans des activités


favorisant le sentiment de Passion pour des activités Environnement social
compétence et valorisant l’aspect non reliées à l’apparence favorisant l’égalité de pouvoir
fonctionnel du corps (plutôt que physique et la liberté d’expression
l’apparence)

Attitude critique face aux Faible pression


Rapport positif au désir, associé à stéréotypes de genre (les environnementale vers des
la notion de plaisir (et non de femmes doivent être standards liés à l’apparence
crainte) séduisantes) et aux standards physique allant à l’encontre
actuels de beauté du bien-être physique

Contexte favorisant la Modèles de rôles favorisant


Expériences de soins corporels
valorisation d’autres l’acceptation de soi et le
favorisant l’attention portée au
dimensions que l’apparence pouvoir d’agir
bien-être physique
physique (empowerment)

Absence de violences/intrusions physiques


Chapitre 3
Accompagnement
et prises en charge classiques
Sommaire
1. L’hospitalisation
2. Principales approches psychothérapiques
Il existe très peu d’études randomisées contrôlées portant sur l’efficacité
des prises en charge de l’anorexie mentale et aucune, à ce jour, sur des
troubles subcliniques. En revanche, nombre d’études ont pu montrer
l’efficacité à court terme de certaines psychothérapies pour les personnes
concernées par la boulimie. Chercheurs et praticiens dans le champ des
troubles des conduites alimentaires s’accordent cependant majoritairement
pour recommander un traitement multimodal quel que soit le trouble
concerné, associant la prise en charge nutritionnelle, psychothérapique et
psychoéducative. En effet, le travail thérapeutique n’est souvent possible
qu’après une reprise de poids minimale permettant un meilleur
fonctionnement cognitif. Parallèlement, une prise en charge uniquement
nutritionnelle est souvent vouée à l’échec, le patient n’ayant pas considéré
le problème sous-jacent à la pathologie. On voit ainsi apparaître des formes
de thérapie éclectiques (thérapie cognitivo-analytique, thérapie familiale
comportementale systémique…) ayant pour objet de répondre de manière
plus adéquate aux problématiques rencontrées. Nous aborderons ici les
principales formes de prise en charge en présentant les différences selon le
diagnostic posé.

1. L’hospitalisation
La reprise de poids et l’hospitalisation sont des aspects thérapeutiques
presque exclusivement réservés aux anorexiques. Les boulimiques sont
rarement hospitalisés, sauf en cas de dépression grave ou dans le but de
rompre le cycle de crises de boulimie/vomissements. En effet, dans la
majorité des cas, le poids des personnes atteintes de boulimie reste normal,
alors qu’en moyenne, au moment où les anorexiques s’engagent dans un
premier traitement, ils se situent déjà de 25 à 30 % en dessous d’un poids
normal, cette perte de poids pouvant atteindre 50 % du poids considéré
comme normal. Dans les unités ou centres hospitaliers spécialisés, la reprise
de poids est souvent négociée dans le cadre d’un « contrat » établi avec
chaque patient anorexique. Il s’agit souvent de procédures théorisées par
l’approche comportementale qui visent aussi à établir un échange avec le
patient, souvent réfractaire à toute relation ou à tout discours thérapeutique :
en échange de l’acceptation de manger et de la reprise de poids progressive,
le patient reçoit des « récompenses », comme l’accès à certaines
commodités, à des activités, aux visites des proches, à l’autorisation de
sortie pour le week-end, etc. Parallèlement à ce contrat, les personnes
anorexiques participent à différents types de thérapies, individuelles ou de
groupe, et à des activités à visée thérapeutique comme la relaxation et
l’ergothérapie. Pour les personnes anorexiques chez qui la perte de poids a
été moins spectaculaire ou s’est stabilisée, la reprise de poids peut être
proposée en ambulatoire accompagnée d’une prise en charge thérapeutique.
Toutefois, il semble que la reprise de poids ne soit pas la partie la plus
compliquée du traitement, car plusieurs études rapportent une reprise de
poids chez au moins 85 % des patients en début de traitement. Les autres
aspects de la prise en charge thérapeutique semblent beaucoup plus
difficiles à mettre en œuvre, alors qu’ils sont indispensables. En effet, se
centrer exclusivement sur le poids ne permet pas de remédier aux difficultés
sous-jacentes avec un risque de rechute important.

1.1 Contrat et principe de séparation


Les objectifs du traitement hospitalier de l’anorexie mentale sont en
priorité la reprise d’un poids adapté et le retour à un fonctionnement
physiologique normal, avec la reprise d’une ovulation et de règles normales
chez la femme, le retour du désir et de la puissance sexuelle chez l’homme,
ou la reprise du développement physique et sexuel chez l’enfant et
l’adolescent. Cela passe par le développement de la motivation du patient à
reprendre une alimentation adéquate en apportant des informations quant
aux conduites alimentaires nécessaires et en travaillant sur les troubles de la
pensée et des attitudes face au corps. La participation du patient au
traitement est un élément crucial afin de prendre en charge les troubles
psychiatriques associés (dépression et troubles anxieux) et le soutien à la
famille dans un but de prévention des rechutes. Il s’agit également de
dépister et de traiter les complications somatiques survenues.
Contrairement aux pratiques de « parentectomie » (consistant à séparer
l’enfant de ses parents) répandues par le passé, un changement radical a été
apporté à la prise en charge des troubles des conduites alimentaires, les
parents étant devenus des partenaires à part entière. Bien que des études
aient montré une efficacité identique des soins ambulatoires (donc sans
séparation d’avec les parents), dans les premiers temps de l’hospitalisation,
une séparation est souvent pratiquée dans le but de permettre
l’établissement d’un nouveau fonctionnement et d’ouvrir le patient à
d’autres modes relationnels. Ainsi, dans les unités spécialisées qui
fonctionnent par contrats, au début de l’hospitalisation, le patient ne reçoit
pas de visites et n’est pas autorisé à sortir de l’unité. Cet isolement complet
est de plus en plus rare dans les services en raison de l’importance des
interactions sociales dans la prise en charge de ces troubles. Cependant,
dans ces services, en accord avec le patient, le contrat est défini de telle
sorte que la levée de l’isolement se fait à partir de l’acquisition d’un poids
décidé, de même que la sortie de l’hôpital, qui se produit lors d’une
stabilisation qui se situe entre 90 % et 100 % du poids adapté. Pour éviter
l’angoisse liée à une reprise de poids trop importante, des objectifs à court
terme sont fixés, comme la prise de 2 kg, le contrat étant renégocié lorsque
chaque objectif intermédiaire est atteint.

1.2 Traitements fondamentaux


1.2.1 Traitement symptomatique de l’amaigrissement

Un programme nutritionnel est entrepris dès lors que l’amaigrissement est


important. Il vise à restaurer non seulement un poids adapté, mais aussi une
façon correcte de s’alimenter, ainsi que la redécouverte et l’acceptation des
sensations de faim et de satiété. Le traitement a pour objet de remédier aux
conséquences biologiques et psychologiques de la dénutrition, ce qui
implique une réalimentation lente, sans quoi le patient s’expose à des
risques physiologiques (surcharge liquidienne, perturbation de l’équilibre
hydroélectrolytique, défaillance hépatique…) et psychologiques (difficultés
d’acceptation de la nouvelle morphologie). Une reprise de poids de 0,5 à
1,5 kg par semaine est préconisée pour faciliter cette période. Une étude
réalisée chez l’adulte montre qu’une reprise de poids faible (500 gr par
semaine) est associée à un meilleur devenir qu’un objectif plus élevé
(750 gr), la reprise de poids plus rapide étant associée à un nombre plus
important de ré-hospitalisations (Willer et al., 2005). Cette partie du
traitement est délicate lorsque les individus n’ont pas conscience de leur
maladie, car ils n’acceptent pas le traitement. Dans ces cas difficiles où le
pronostic vital est engagé, des mesures de réalimentation qualifiées de
coercitives (sonde gastrique) sont envisagées afin d’échapper au risque de
décès. Cette forme de réalimentation initiale est parfois préférée par les
patients, qui se sentent soulagés de ne pas avoir à affronter les aliments et à
prendre la décision de les consommer. Cependant, le manque d’implication
et de travail réalisé par le patient dans cette situation pourrait impliquer une
faible efficacité de ce traitement au-delà d’une reprise de poids immédiate.
1.2.2 Traitement pharmacologique

Il n’existe pas de preuve de l’efficacité des psychotropes pour favoriser la


reprise de poids. Ces traitements sont parfois proposés après la prise de
poids, lorsque les effets psychologiques propres à la dénutrition se sont
estompés, l’objectif étant la prévention des rechutes (antidépresseurs,
anxiolytiques). Cependant, en termes d’efficacité, les études ne montrent
pas de supériorité des psychothérapies associées à une pharmacothérapie
sur les psychothérapies seules chez les personnes en sous-poids.
1.2.3 Objectifs de la psychothérapie au cours de l’hospitalisation

Les objectifs des psychothérapies entreprises lors de l’hospitalisation sont


multiples : compréhension et coopération avec les programmes de
réhabilitation nutritionnelle, amélioration du fonctionnement interpersonnel,
prise en compte des troubles psychiatriques et des conflits psychologiques
qui pérennisent et renforcent le trouble du comportement alimentaire.
1.2.4 Effets contrastés de l’hospitalisation

Bien que l’hospitalisation soit souvent recommandée dans les cas de


dénutrition importante, certaines études montrent que l’hospitalisation peut
engendrer un pronostic moins favorable qu’une prise en charge en
ambulatoire, indépendamment de l’état initial de dénutrition (Gowers et al.,
2000). Soixante-quinze anorexiques pris en charge en moyenne à partir de
15 ans ont été rencontrés 2 ans et 7 ans après le début de leur prise en
charge. L’évolution a été jugée satisfaisante pour 62 % des patients n’ayant
jamais été hospitalisés contre seulement 14 % des autres participants. Ainsi,
les conséquences potentiellement négatives de l’hospitalisation mériteraient
d’être davantage prises en compte et étudiées.
2. Principales approches
psychothérapiques
2.1 Approches cognitives et comportementales
L’objectif de la thérapie cognitivo-comportementale est de traiter l’attitude
globale vis-à-vis de la nourriture et pas uniquement le symptôme comme la
crise de boulimie. Cette attitude face à l’alimentation est souvent générée
par le facteur déclenchant de la maladie ainsi que par les aspects
renforçateurs du comportement. Il s’agit donc d’une rééducation
nutritionnelle et diététique visant à reprendre des habitudes alimentaires
correspondant aux besoins physiologiques. Ainsi, des études ont mis en
évidence que les aliments rarement consommés généraient plus de peurs et
d’évitement. Lorsque l’individu prend l’habitude de les consommer plus
fréquemment, cette crainte est progressivement remplacée par du plaisir.
L’objectif de l’approche comportementale est de développer un rapport
apaisé à l’alimentation qui passe notamment par des méthodes d’approche
aussi appelées « exposition ». Plus récemment, des approches d’exposition
virtuelle sont venues s’ajouter aux techniques d’exposition classiques afin
de faciliter la reprise de contact avec les aliments (voir encadré).
La cuisine virtuelle : une technique d’exposition
Ce dispositif a été développé par C. Perpiñá de l’université de Valencia en Espagne
initialement inspiré par la technique d’exposition à l’alimentation développée par
Steinglass et ses collègues (2007 ; 2011). Il est actuellement également utilisé à l’hôpital
de Maudsley à Londres. Comme d’autres dispositifs utilisés dans les thérapies
cognitives et comportementales, ce logiciel vise à exposer le patient à des situations
impliquant la nourriture de manière virtuelle, dans le but de générer une activation moins
angoissante, bien qu’aussi intense qu’une exposition réelle (Ferrer-Garcia et al., 2009 ;
Gorini et al., 2010) en raison de la présence du thérapeute, et de permettre d’apprendre
à accueillir les sensations et les émotions lorsqu’elles surviennent. Les pratiques
d’exposition virtuelle sont considérées comme une alternative efficace à l’exposition
réelle (Riva, 2009), tout en diminuant le taux de rejet et d’abandon de ce type de
méthode (Choy, Fyer et Lipsitz, 2007). Le patient est invité à explorer la cuisine et à se
servir dans les placards et le réfrigérateur qui contient des aliments à haute et basse
teneur calorique (fruits, légumes, produits laitiers, viandes, plats cuisinés, produits
sucrés). Le patient peut préparer les aliments et les consommer virtuellement (l’on
entend le bruit des couverts, par exemple, pour rendre l’expérience plus réaliste). Grâce
aux techniques d’exposition, le patient parvient progressivement à diminuer la peur
d’approcher, de manipuler et de consommer des aliments. Dans le cadre de la relation
thérapeutique sécurisante, le patient peut se permettre d’explorer les dimensions
inconfortables de ces expériences et d’identifier les différentes ressources qui peuvent
lui permettre d’y faire face. L’une de ces ressources est l’acceptation : accueillir
simplement la sensation ou l’émotion sans y ajouter d’interprétation et sans se laisser
emporter par le processus automatique qui mène au comportement problématique. Ce
sont ces aspects vers lesquels la troisième vague des thérapies cognitives et
comportementales s’est orientée (voir chapitre 4).
En mode « pilotage automatique » Émilie aurait tendance à se dire : « Ah… je n’aurais
pas dû ouvrir ce frigo. Qu’est-ce qui m’a pris ? Quelle imbécile ! Je me fais toujours
avoir. Je me piège moi-même. À croire que je ne m’aime pas ! D’ailleurs personne ne
m’aime… Pourquoi m’aimerait-on ? Je suis moche et bête en plus ! Je crois que je ne
vais pas y arriver… Aujourd’hui c’est trop dur de se retenir… C’est impossible… Je vais
me laisser aller à la crise et demain je m’y mettrai vraiment, je n’ouvrirai pas le frigo de la
journée. » Émilie est aujourd’hui devant l’écran et elle ouvre le réfrigérateur. Elle voit une
bonne lasagne et même des crèmes au chocolat. Immédiatement elle referme la porte.
La thérapeute lui propose de faire le point sur son état : quelles sont les sensations et
les émotions présentes ? Est-il possible de rester un petit temps avec ces émotions ?
Puis, la thérapeute suggère de reprendre contact avec la globalité de son corps, avec la
respiration, comme dans les pratiques de pleine conscience. Émilie apprend
progressivement à aller au contact de ses sensations et de ses émotions, pour mieux les
connaître, mieux les comprendre et les apprivoiser pour réduire la peur de les éprouver.
Cette pratique d’exposition réduit de manière efficace l’anxiété et les peurs alimentaires.
De plus, cet exercice améliore l’état émotionnel et l’estime de soi. L’individu se sent plus
compétent pour faire face aux situations quotidiennes. De plus, la diminution des
angoisses améliore les relations familiales et sociales, ce qui participe à l’amélioration du
bien-être général de la personne.

Un travail sur le fonctionnement cognitif accompagne également la prise


en charge comportementale afin d’identifier les représentations erronées et
de les modifier. Un travail spécifique porte notamment sur l’image de soi,
en mettant l’accent sur la valorisation des aspects positifs du patient et de
ses réussites. Ces programmes se déroulent souvent en plusieurs étapes, un
contrat étant passé avec le patient qui s’engage à suivre le traitement en
groupe ou en thérapie individuelle. La première étape est la phase de
préparation du traitement : évaluation du trouble (durée, intensité, etc.) et
présentation du modèle théorique de référence. La deuxième étape est
généralement fondée sur une approche comportementale où il s’agit de
fournir les bases d’une alimentation saine ainsi que des informations
concernant les conséquences des comportements pratiqués en soulignant
par exemple l’inefficacité de la prise de laxatifs pour contrôler la prise de
poids. L’auto-monitoring des comportements alimentaires est proposé par le
biais du carnet alimentaire : le patient doit noter scrupuleusement ce qu’il
consomme (nourriture et boissons), le lieu, la manière dont se déroulent
l’épisode et les comportements de contrôle de poids qui le suivent. Dans le
cas de crises de boulimie, il est demandé au patient de noter les émotions et
les pensées survenues avant, pendant et après. Des techniques de contrôle
du comportement alimentaire sont proposées afin de le réguler, comme la
mise en place d’un plan alimentaire journalier composé de trois repas
principaux et de trois collations à prendre à des intervalles réguliers ne
dépassant pas trois heures. Ce type de plan étant difficile à gérer seul en
soin ambulatoire, le soutien de l’entourage familial est vivement encouragé.
Ces programmes permettent notamment de réduire l’alternance d’épisodes
de restriction et de suralimentation. De plus, des repas accompagnés
permettent de faciliter la prise alimentaire dans un premier temps pour les
patients suivis en soin ambulatoire.
Dans une troisième phase, parallèlement au plan alimentaire, la
restructuration cognitive est introduite, centrée sur l’identification des
pensées automatiques dysfonctionnelles et des distorsions cognitives, puis,
dans un quatrième temps, le traitement de ces pensées, sentiments et
attitudes liés au corps, au poids, à l’alimentation et à l’estime de soi. Au
cours de cette étape, le patient peut aussi être amené à développer de
nouvelles stratégies de résolution de problème et de gestion des affects.
Enfin, au cours de la dernière phase, le patient est informé des risques de
rechute et entraîné à identifier les situations menaçantes auxquelles il
pourrait être confronté. À la fin du traitement, des séances de suivi sont
programmées afin de continuer à soutenir la personne en fonction de ses
besoins.
2.1.1 Traitement spécifique de l’image corporelle

Les préoccupations corporelles apparaissent comme un facteur important


de développement et de maintien des troubles des conduites alimentaires.
Une étude longitudinale réalisée auprès de 1 100 adolescents ne présentant
pas de troubles alimentaires a évalué les facteurs de risque d’apparition de
l’un de ces troubles au cours d’un suivi de trois ans (The McKnight
Investigators, 2003). Un grand nombre de facteurs ont été évalués :
préoccupations corporelles, pression sociale à la minceur représentée par les
moqueries du groupe de pairs, soutien social, résultats scolaires,
événements de vie négatifs, usage de substances psychoactives,
préoccupations parentales pour la minceur et leurs remarques et, enfin,
caractéristiques psychologiques telles que la confiance en soi et l’humeur.
Sur l’ensemble de ces facteurs, seules les préoccupations de minceur et la
pression sociale se sont avérées être des prédicteurs significatifs d’un
trouble du comportement alimentaire. Ces caractéristiques devraient donc
être davantage prises en compte dans la prévention et la prise en charge des
troubles alimentaires.
Les études qui évaluent les différences qui existent entre la représentation
que le sujet se fait de la taille de son corps ou d’une partie de celui-ci et les
mesures objectives que l’on peut en faire révèlent que les personnes
atteintes de troubles alimentaires ont une représentation erronée de leur
corps. Les auteurs soulignent que les personnes présentant des troubles des
conduites alimentaires n’ont pas de leur corps une représentation fixe mais
incertaine et instable. Elle peut, de ce fait, être modifiée, rendue plus
positive et plus proche de la réalité. Il s’agit donc de leur proposer un
entraînement à une perception corporelle correcte (Rosen, 1995). Les
thérapeutes ont ainsi recours à la technique de désensibilisation
systématique par rapport à certaines parties du corps ou à certaines
situations entraînant un sentiment de malaise lié au corps. Le sujet est ainsi
exposé de manière répétée aux situations sources d’anxiété, en fonction de
la hiérarchie de difficulté établie par lui. En parallèle de cette méthode, la
restructuration cognitive est également utilisée face aux distorsions :
examen des arguments en faveur et en défaveur de la perception négative du
corps. Enfin, des techniques d’affrontement sont utilisées pour éviter les
rechutes. Le patient décrit les situations qu’il considère comme étant à
risque concernant son image corporelle. Il tente ensuite d’établir des
pensées rationnelles pouvant être utilisées dans ces différentes occasions
pour remédier à la sensation de malaise. Des techniques de relaxation sont
aussi proposées pour gérer l’anxiété suscitée par ces situations.
2.1.2 Efficacité des thérapies cognitivo-comportementales

La psychothérapie cognitivo-comportementale est le type de thérapie dont


les preuves d’efficacité sont les plus fréquemment rapportées,
spécifiquement pour la boulimie et l’anorexie-boulimie. Les recherches
montrent une réduction des troubles alimentaires de type anorexique pour
près de 50 % des patients et de type boulimique et des troubles associés
pour plus de 80 % des patients suivis (Maj et al., 2003). L’efficacité de cette
thérapie est supérieure à celle des traitements pharmacologiques et le taux
d’attrition est plus faible chez les personnes suivant ce type de thérapie que
chez les individus sous traitement médicamenteux. Cette amélioration se
maintient à un an. On observe une diminution de la restriction alimentaire et
du recours aux crises de boulimie, accompagnée d’une amélioration de la
satisfaction corporelle. On constate que la majorité des changements
surviennent dans les six premières semaines du traitement, les effets étant
partiellement médiés par la réduction du comportement de restriction chez
les boulimiques.
L’ensemble des autres thérapies s’avèrent moins efficaces en termes de
réduction des troubles, mis à part deux études qui montrent l’intérêt de
l’approche centrée sur les relations interpersonnelles (Garner et Garfinkel,
1997). Ce type de thérapie semble particulièrement efficace pour une
réduction des crises de boulimie, mais ne modifie pas la satisfaction
corporelle ni les conduites de purge. Les effets de la thérapie
interpersonnelle sont aussi bénéfiques que les thérapies cognitives et
comportementales, avec une efficacité maintenue à 6 ans pour plus de 60 %
des patients, contre seulement 14 % de ceux ayant bénéficié d’une thérapie
uniquement comportementale (Maj et al., 2003). En revanche, les
changements sont moins rapides dans cette forme de thérapie, ce qui
pourrait entraîner un risque plus important d’arrêt du traitement.

2.2 Approches familiales


Les dysfonctionnements familiaux sont considérés comme un facteur de
développement et de maintien des troubles alimentaires. Le travail est
centré sur la restauration de la communication entre les différents membres.
En effet, la communication au sein de la famille est parfois rompue, souvent
évitée et enfin sélective. Par exemple, la mère ne s’adresse à sa fille que par
personne interposée ou encore les membres de la famille ne parlent que de
nourriture ou n’en parlent plus du tout… Le rôle du thérapeute est alors de
favoriser une communication plus souple, sans tabous, sans dénégation,
toute la difficulté portant sur la mise en place d’une communication ouverte
sans confrontation brutale. La thérapie familiale parvient également à
réduire le sentiment de culpabilité des parents, qui comprennent
progressivement la complexité du trouble, et celui de l’enfant, qui se sent
davantage compris : il ne s’agit pas d’un comportement de simple révolte,
mais bien d’une entrée dans un engrenage dont on ne ressort pas facilement
sans aide extérieure. Cette double déculpabilisation (famille et patient)
semble être un préalable essentiel à toute ouverture au changement. Il existe
principalement deux approches familiales : les approches de type
psychothérapique d’inspiration analytique et surtout systémique, et les
approches psychoéducatives, la thérapie de type systémique apparaissant
comme plus efficace.
D’autres formes de thérapies familiales se sont développées par la suite
comme les thérapies multifamiliales de type systémique ou psychanalytique
et les groupes psychoéducatifs de type cognitivo-comportemental, l’objectif
principal étant l’accroissement de la communication positive au sein des
familles et du sentiment de sécurité de l’adolescent et du jeune adulte. Ces
thérapies favorisent la prise de conscience des problèmes de
communication, le développement d’une expression plus souple et
spontanée, et le rétablissement des rôles de chacun au sein de la famille. Ce
type de thérapie fait partie des interventions brèves offrant une information
sur la nature du trouble et pouvant entraîner des modifications des
interactions au sein des familles. Les modèles proposés aujourd’hui sont
davantage intégratifs, incluant un travail systémique aussi bien que cognitif
et comportemental. Ces pratiques répondent ainsi aux besoins spécifiques
des pathologies rencontrées en s’intéressant à plusieurs facettes de la
problématique, ce qui augmente leur efficacité.
2.2.1 Efficacité des thérapies familiales
Entre 1987 et 1997, le groupe de Maudsley à Londres a mis en place des
démarches de recherche rigoureuses en mettant l’accent sur la comparaison
de l’efficacité entre différentes thérapies pour les patients ayant des troubles
alimentaires. L’ensemble de ces auteurs soulignent une efficacité plus
grande des thérapies familiales pour les patients adolescents anorexiques,
non chronicisés (moins de trois ans de maladie), tandis que les thérapies
individuelles ont de meilleurs résultats chez les adultes. Par exemple, dans
l’étude de Eisler et de ses collaborateurs (1997) auprès de 36 patients
anorexiques, l’évaluation réalisée 5 ans après le début de la prise en charge
montre chez 90 % des patients suivis en thérapie familiale une évolution
qualifiée de bonne selon les critères de Morgan-Russell (retour des règles et
d’un indice de masse corporelle supérieur à 17), contre 36 % de ceux qui
avaient été traités en thérapie individuelle. Il s’agit donc d’une prise en
charge particulièrement efficace, et ce d’autant plus si la famille participe
aux consultations ou lorsque les parents sont suivis séparément de l’enfant
concerné (Fairburn et Brownell, 2002). Cependant, pour certaines familles
dans lesquelles l’affrontement ou le niveau de critique est trop important,
les thérapies familiales ne sont pas indiquées. Pour ce qui est de la prise en
charge des boulimiques, aucune forme de traitement ne présente de résultats
nettement supérieurs à d’autres, cependant les chercheurs s’accordent à dire
que la prise en charge familiale est essentielle lorsqu’il s’agit d’une
personne vivant au domicile familial.
Par ailleurs, l’impact des groupes psychoéducatifs pour familles a été
comparé à celui des thérapies familiales et s’avère aussi efficace. Les études
restent cependant encore peu nombreuses et comportent des limites
importantes. L’étude de Geist et de ses collaborateurs (2000) indique qu’au
bout de quatre mois, les deux modalités thérapeutiques obtiennent les
mêmes résultats avec une restauration du poids normal. Cependant, ces
modalités thérapeutiques ayant été réalisées au cours de l’hospitalisation, il
n’est pas possible de distinguer l’effet spécifique de chaque traitement.
D’autre part, au vu de la brièveté de la prise en charge évaluée, il n’est pas
surprenant que les chercheurs n’aient observé qu’une faible amélioration
des caractéristiques psychologiques. Parmi les nouveaux dispositifs
familiaux, on compte quelques études présentant des résultats intéressants
concernant les groupes psychoéducatifs et les thérapies multifamiliales. En
effet, les familles peuvent alors découvrir des facettes de leur propre
fonctionnement à travers l’histoire des autres familles ou, à l’inverse, des
fonctionnements tout à fait différents qui peuvent les aider à entrevoir des
pistes de changement.
2.2.2 La famille comme lieu de changement

Une tendance actuelle consiste à diminuer les hospitalisations, en


particulier pour les adolescents concernés par les troubles du comportement
alimentaire. Dans cette optique, un travail en lien étroit avec les familles
apparaît comme un moyen incontournable de faire face à la situation.
L’équipe de l’hôpital de Maudsley à Londres a ainsi développé un
accompagnement fondé sur les compétences de la famille (Family Based
Treatment ; Eisler et al., 2010). Les résultats présentés dans les rapports de
recherche sont particulièrement encourageants, avec une reprise de poids
maintenue à 5 ans pour 75 % à 90 % des adolescents anorexiques. Des
progrès similaires ont été observés par rapport aux dimensions
psychologiques. D’autres études ont mis en évidence qu’avec 20 séances
réparties sur une durée de 6 à 12 mois, 80 % des adolescents retrouvaient un
poids satisfaisant. L’accompagnement est proposé selon trois étapes. La
première consiste à encourager les parents à adopter une attitude
bienveillante à l’égard de leur enfant, en particulier en ce qui concerne son
alimentation (éviter de juger la peur et la difficulté de consommer).
L’augmentation de la compréhension du trouble favorise une attitude de
non-jugement à l’égard du jeune. En parallèle de cette attitude
bienveillante, il est conseillé d’encourager l’adolescent à consommer
davantage dans le but d’apprendre progressivement à surmonter son
angoisse (technique d’exposition). En effet, plus l’individu fuit la situation,
plus il lui devient difficile d’y faire face. À l’inverse, en s’exposant à la
situation, on diminue progressivement la peur. Ce type d’approche est
similaire à celle adoptée par les équipes soignantes dans les services
spécialisés dans l’accompagnement des troubles du comportement
alimentaire.
Dans la première étape, on propose à l’enfant ou à l’adolescent de passer
plus de temps en compagnie de ses amis afin d’éviter l’isolement. Côtoyer
les amis permet à la fois d’augmenter le sentiment de lien social et
d’orienter son attention vers d’autres sujets que celui du corps ou de
l’alimentation. Il est précisé que cette première étape est délicate et
nécessite un degré important de bienveillance et de soutien. Lorsque l’on
perçoit que le jeune parvient à augmenter progressivement sa prise
alimentaire ainsi que son ouverture sur l’extérieur de la famille, la
deuxième phase de l’accompagnement peut débuter. Il s’agit de redonner au
jeune davantage le contrôle sur son alimentation, c’est-à-dire de le laisser
progressivement prendre des repas en dehors de la présence des parents.
Toutefois, la priorité reste encore la reprise de poids, ainsi il est préférable
de continuer à partager les repas en minimisant les tensions, dans le but
d’aboutir à une plus grande confiance dans ses capacités de s’alimenter
suffisamment. Dans cette deuxième étape, il est également proposé de
centrer l’attention au cours des séances sur d’autres questions d’éducation
qui peuvent être problématiques. Les familles peuvent ainsi aborder
d’autres sujets qui ne sont pas liés au trouble alimentaire, comme la
question des horaires de coucher, de l’usage du téléphone portable, etc.
Enfin, la troisième étape débute lorsque le jeune a presque atteint le poids
adapté en fonction de son âge et de sa taille. Cette dernière phase est
davantage centrée sur l’autonomie du jeune et sur la construction de son
identité, ainsi que sur l’autonomie des parents, en particulier dans la
perspective d’un départ proche de leur adolescent devenu adulte. La
conception de cette phase repose sur l’hypothèse selon laquelle le processus
d’adolescence a été interrompu par l’apparition du trouble alimentaire. Il
s’agit donc de reprendre le chemin du développement habituel de
l’adolescence avec une remise en question des modèles de rôles, un
questionnement identitaire et les choix d’orientation qu’il implique.
Cette approche centrée sur les familles est préconisée pour les jeunes dont
le trouble a moins de trois ans. Il existe un manuel à destination des
thérapeutes (Lock, Le Grange, Agras et Dare, 2001) et un manuel à
destination des parents (Lock et Le Grange, 2005). Ce type
d’accompagnement permet d’éviter la chronicisation du trouble en lien avec
des interactions familiales dysfonctionnelles liées à une méconnaissance
des processus en jeu, et à une difficulté de mobiliser les compétences
familiales pour répondre différemment à la situation. Ce type
d’accompagnement est centré sur une conception positive du rôle des
familles, qui peuvent agir comme des alliées du processus thérapeutique.
Les familles sont ainsi considérées comme la « solution » et non plus
comme le « problème ». L’accompagnement consiste à développer le
sentiment de compétence des familles, qui constituent le « lieu » du
changement et non plus la « cible » de celui-ci (Eisler et al., 2010).

2.3 Thérapies interpersonnelles


La thérapie interpersonnelle avait été initialement conçue comme une
thérapie brève proposée dans les cas de dépression grave. Elle a ensuite été
adaptée à la prise en charge des personnes souffrant de troubles des
conduites alimentaires, en particulier la boulimie. Cette forme de thérapie
dérive des théories considérant les relations interpersonnelles comme un
élément critique de la qualité de l’ajustement et du bien-être psychologique.
Elle s’appuie également sur les recherches empiriques indiquant un lien
entre les modifications de l’environnement social et le développement et le
maintien d’un trouble de l’humeur. Concernant les troubles des conduites
alimentaires, les auteurs considèrent que le développement de la pathologie
survient dans un contexte interpersonnel. Il s’agit alors d’identifier et de
modifier ce contexte afin d’améliorer le comportement alimentaire. Les
personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires rapportent
fréquemment avoir eu des difficultés relationnelles avec leurs parents et
leurs proches ayant engendré une augmentation du stress perçu avant le
début du trouble alimentaire. De plus, rétrospectivement, les sujets
rapportent des expériences de moquerie et de critique concernant leur
apparence physique, en particulier les boulimiques.
Ainsi, le fonctionnement interpersonnel a un impact sur l’état affectif du
sujet et sur l’estime de soi, les deux étant liés à l’apparition et au maintien
des troubles. Ces personnes sont repérées comme étant plus souvent seules
et percevant un moindre soutien social : les sujets rapportent moins de
personnes-ressources, moins de soutien pratique et émotionnel et se disent
moins enclins à rechercher de l’aide en cas de difficulté, par rapport à une
population contrôle (Wilfley et al., 2003). Les troubles du comportement
alimentaire sont associés à des difficultés dans différents champs de
l’ajustement social comme l’adaptation au travail, la pratique d’activités
sociales et de loisirs, les réunions familiales. Ces personnes se sentent
moins compétentes du point de vue relationnel et gèrent moins bien
l’anxiété sociale et les difficultés relationnelles comme la prise
d’indépendance par rapport à la famille, les conflits ou le refus d’une
relation amoureuse. Pour ces raisons, les auteurs suggèrent que les tensions
relationnelles auraient un impact plus important que d’autres événements
sources de stress.
La thérapie interpersonnelle fait partie des thérapies brèves. Elle
s’organise en 15 à 20 séances sur une période de 4-5 mois en trois phases :
identification du problème relationnel, traitement de la problématique
repérée, la dernière phase étant consacrée à la continuité du travail réalisé
par le patient après l’arrêt de la thérapie. L’identification des difficultés
repose sur l’exploration de la quantité et de la qualité des contacts, l’analyse
de la satisfaction relationnelle et les moyens d’améliorer les modes de
relation en place. Après la phase d’identification, il s’agit de se focaliser sur
la résolution de problèmes dans l’un des quatre principaux domaines
relationnels : le deuil (perte d’un être cher ou d’une relation), le déficit
relationnel (isolement social ou poursuite de relations insatisfaisantes pour
la personne), la gestion de conflits et la transition de rôles en lien avec un
changement de statut (départ de la maison, changement de travail,
maladie…). En raison du temps imparti, seul l’un des axes est choisi pour le
traitement. Il est à noter que la capacité du thérapeute à maintenir la
focalisation du traitement sur les problématiques interpersonnelles est
associée à de meilleurs résultats. Pour l’ensemble des troubles alimentaires,
le travail de deuil constitue rarement le problème central, tandis que
l’apprentissage de la gestion de conflits est souvent au cœur de la thérapie.
Le déficit relationnel apparaît comme étant plus fréquent dans l’anorexie et
les difficultés liées aux transitions de rôles davantage repérées parmi les
boulimiques.
2.3.1 Efficacité des thérapies interpersonnelles
Les recherches comparatives montrent que les effets des thérapies
interpersonnelles sont similaires à ceux des thérapies cognitivo-
comportementales sur le long terme, bien que ces dernières apportent des
changements plus rapidement à court terme (voir Fairburn et al., 1995). Il
s’agit de la seule forme de thérapie, évaluée à ce jour dans le traitement de
la boulimie, qui parvienne à égaler les résultats des thérapies cognitives. De
plus, les patients évaluent de manière plus positive la thérapie
interpersonnelle en termes d’adaptation à leurs difficultés et croient
davantage en la réussite de cette prise en charge. Cependant, l’étude réalisée
par l’équipe de McIntosh (2005) montre que cette efficacité n’est pas
retrouvée dans le cas de l’anorexie.

2.4 Psychanalyse et thérapies d’inspiration analytique


Les troubles alimentaires sont considérés en tant que symptômes de
dysfonctionnements personnels plus profonds qu’il s’agit d’aider à repérer
et à exprimer. La psychanalyse classique ne peut être proposée en première
indication en raison des difficultés d’introspection et de reconnaissance des
émotions. Ainsi, des thérapies d’inspiration analytique se sont développées
dans le but de s’adapter au type de patient rencontré. Pourtant, celles-ci se
révèlent souvent délicates avec ces personnes en raison d’un attachement à
la fois labile et massif, et de nombreuses conduites d’évitement face à cet
attachement (vécu abandonnique) et du risque dépressif concomitant des
prises de conscience successives. Ces formes de thérapies sont proposées en
complément d’autres formes davantage centrées sur les cognitions et les
comportements, ou lorsque le patient fait le choix de cette orientation. Des
évolutions actuelles tendent vers la mise en place de thérapies intégratives
cognitives et analytiques.
2.4.1 Thérapies à médiation artistique

Le champ d’application des thérapies à médiation artistique est vaste, les


pratiques et les références théoriques sont multiples, ce qui rend la
définition de l’art-thérapie complexe. Cependant, l’utilisation de médiations
non verbales, vecteurs de possibilités d’expression, constitue un outil
thérapeutique spécifique. L’œuvre produite peut constituer un point de
départ d’associations, de remémorations et d’élaborations verbales. L’art-
thérapie s’appuie en partie sur les théories psychanalytiques, le transfert
étant considéré comme un outil thérapeutique, sa reconnaissance et son
interprétation favorisant le processus de changement. De plus, le processus
créatif lui-même, avec ses composantes intégratives et sublimatoires, est
considéré comme thérapeutique. Les auteurs postulent que cette activité
permet d’assouplir le fonctionnement psychique, de percevoir à nouveau
ses affects et de les exprimer dans un cadre non menaçant. La production
serait génératrice de prises de conscience qui dynamiseraient le processus
d’individuation à l’œuvre chez le patient. Cette pratique offre la possibilité
d’une première approche psychologique avec des patients qui sont encore
dans le déni et dont le langage parlé est soit pauvre soit envahissant et
défensif. Ainsi, l’approche non verbale peut entraîner la poursuite d’un
travail verbal plus élaboré dans un second temps.
2.4.2 Efficacité des thérapies d’inspiration analytique

En termes d’efficacité de la prise en charge des troubles des conduites


alimentaires, les études contrôlées et randomisées ont montré une
supériorité des thérapies cognitives comportementales et systémiques par
rapport aux thérapies d’inspiration analytique ou à la psychanalyse. Ces
résultats ont, en partie, été expliqués par le fait que le travail analytique
nécessite une bonne capacité d’introspection (souvent amoindrie dans le cas
des troubles alimentaires, notamment de l’anorexie où l’on constate une
utilisation importante de mécanismes de défense réduisant l’accès conscient
aux émotions), et une motivation pour analyser ce que les psychanalystes
nomment les « conflits intrapsychiques ». Il est possible que cette forme de
thérapie, plus coûteuse du point de vue cognitif et psychique, ait une
efficacité réduite chez des patients insuffisamment motivés.

2.5 Manuels d’autothérapie ou « self-help »


Au cours des dernières décennies, un grand nombre d’ouvrages permettant
aux personnes de s’en sortir par elles-mêmes ont été publiés, s’inspirant
notamment des thérapies cognitivo-comportementales. Les chercheurs
anglo-saxons ont exploré les possibilités dites d’« autotraitement », ou self-
help, pour offrir une solution au manque fréquent de psychothérapeutes
disponibles ou de places dans les unités de soins. Ils souhaitaient également
trouver des alternatives aux contraintes d’espace et de temps liées à tout
traitement psychothérapeutique. Il n’est aucunement question de remplacer
la composante humaine de la thérapie en « éduquant » les patients au
moyen de livres. L’autotraitement ne peut se substituer aux thérapies
individuelles ou de groupe, mais vient plutôt enrichir la palette de soins
disponibles pour les personnes qui sont en attente de prise en charge. Il est
même envisageable de l’utiliser comme première ligne de traitement pour
une population de patients aux caractéristiques ciblées qui en feraient un
traitement indiqué. L’autotraitement peut être utilisé avec ou sans la
supervision d’un thérapeute.
2.5.1 Efficacité de l’auto-traitement

En France, ce type de pratique est encore peu répandu, mais les études
réalisées dans les pays anglo-saxons ont démontré l’efficacité de cette
méthode : environ 30 % des patients voient leurs troubles évoluer de
manière positive, ceci pouvant aller jusqu’à la rémission complète.
S’inspirant de l’approche cognitivo-comportementale, un programme a été
récemment développé en Suisse proposant un guide d’auto-traitement par
Internet destiné aux patients souffrant de boulimie (Rouget et al., 2005).
L’implémentation de cet auto-traitement sur Internet, qui offre plus
d’interactivité et de convivialité qu’un ouvrage, permet d’augmenter la
motivation des participants ; le programme informatique peut fournir des
informations individualisées comme des bilans hebdomadaires à propos de
modifications de certains comportements. Ce guide est composé de sept
étapes qui permettent au patient de reprendre progressivement le contrôle
de son comportement alimentaire, notamment grâce à la pratique
d’exercices. À chaque étape, il est possible de suivre la manière de faire et
les réflexions d’un personnage mis en scène tout au long du support.
L’évaluation de ce traitement de quatre mois montre : une disparition des
symptômes pour 17,2 % des personnes ; pour 68,9 % d’entre elles une
réduction des crises de boulimie ; 58,6 % des personnes ont des
vomissements. Ces résultats sont comparables à ceux obtenus en utilisant
un ouvrage.
Les participants se sont déclarés satisfaits de ce traitement, et notamment
du soutien par les contacts électroniques hebdomadaires avec un thérapeute.
La majorité d’entre eux ont apprécié le fait de pouvoir gérer eux-mêmes le
trouble. Cette prise en charge a accru leur sentiment d’efficacité personnelle
face au problème alimentaire. Par ailleurs, les analyses indiquent que plus
de 40 % des connexions étaient effectuées en dehors des horaires de
disponibilité des thérapeutes (entre 19 heures et 8 heures), ce qui renforce
l’intérêt pour cet outil comme forme de traitement complémentaire des
thérapies en face-à-face. De plus, les personnes ayant entrepris ce
traitement n’auraient pas nécessairement été enclines à commencer une
thérapie, notamment en raison de la honte face au comportement
problématique. Les études menées aux États-Unis montrent que cette forme
de traitement est plus efficace que l’absence de traitement et peut être
proposée aux patients en attente d’une prise en charge. Les chercheurs
constatent par ailleurs que cette méthode réduit le nombre de consultations
nécessaires à la prise en charge thérapeutique faisant suite à l’autotraitement
(Maj et al., 2003).
Chapitre 4
Innovations thérapeutiques
Sommaire
1. Thérapie par la remédiation cognitive
2. Le développement de la pleine conscience
3. Les apports de la psychologie positive
4. L’approche centrée sur l’acceptation et l’engagement
Des avancées importantes ont été réalisées concernant la compréhension et
l’accompagnement des troubles des conduites alimentaires, en particulier
pour la boulimie et l’hyperphagie. En ce qui concerne l’anorexie restrictive,
il n’existe pas à ce jour de type d’intervention officiellement recommandée
sur le plan international en raison des résultats moins systématiques obtenus
à ce jour. C’est pourquoi de nouvelles pistes sont en cours d’étude dans le
but d’accompagner au mieux ces patients. Parmi les nouvelles pistes
explorées, l’on compte notamment les thérapies par la remédiation
cognitive, les approches visant à développer la pleine conscience,
l’acceptation, ainsi que la bienveillance envers soi. L’ensemble de ces
interventions se sont avérées efficaces pour la réduction des accès
boulimiques et hyperphagiques, et certaines ont montré des bénéfices pour
les patients souffrant d’anorexie restrictive.

1. Thérapie par la remédiation cognitive


1.1 Principes généraux et mécanismes d’action
La thérapie par la remédiation cognitive a été développée dans le but
d’améliorer la régulation de l’attention et des émotions, avec un objectif
spécifiquement centré sur l’augmentation de la flexibilité cognitive et
comportementale. La flexibilité cognitive a été définie de multiples façons.
Une façon simple de comprendre ce que le concept recouvre est de prendre
son contraire : la rigidité cognitive, qui se manifeste notamment par la
difficulté de changer de stratégie cognitive pour résoudre un problème alors
que la stratégie habituelle est peu efficace.

Par exemple, dans une étude il était demandé à des participants de réaliser des mots
croisés. Pour chaque tableau de lettres, il existait une solution permettant d’identifier le
mot donné (soit à l’horizontale, soit à la verticale, soit en diagonale). Les premiers
tableaux comportaient une solution qui était toujours à la verticale, puis un tableau était
présenté dans lequel la solution était un mot à l’horizontale. Les chercheurs ont alors
mesuré le temps que mettait l’individu pour trouver la bonne solution. Plus la
modification de la stratégie cognitive utilisée est rapide, plus cela démontre une forme de
flexibilité cognitive : être capable d’utiliser une autre stratégie plus rapidement.

La flexibilité comportementale est similaire : il s’agit de la capacité à


mettre en œuvre des comportements variés en réponse à des contextes
(internes et externes) différents. Par exemple, il peut être approprié de rester
en retrait lorsque l’on se trouve dans une réunion où l’on ne maîtrise pas
bien le sujet de discussion, mais il est moins adapté de rester en retrait
lorsqu’il s’agit d’un entretien d’embauche. La flexibilité comportementale
implique ainsi un répertoire varié de conduites possibles. D’une manière
plus générique, la flexibilité serait la capacité à modifier une stratégie
cognitive ou le cours d’une action en fonction des changements dans la
situation. Cette flexibilité requiert un ensemble d’habilités cognitives telles
que l’attention et le contrôle (capacité à inhiber une réponse automatique
grâce à la mobilisation des aires du cortex préfrontal). Le programme de
remédiation cognitive vise donc à améliorer ces habiletés pour aboutir à une
plus grande flexibilité, celle-ci ayant été identifiée comme faisant défaut
chez les individus atteints de troubles des conduites alimentaires.

1.2 Historique et développements


Initialement proposée pour d’autres troubles psychopathologiques, cette
forme de thérapie a attiré l’attention des spécialistes de la prise en charge
des troubles des conduites alimentaires pour plusieurs raisons. Tout
d’abord, en raison d’un nombre insuffisant de données probantes permettant
de recommander une forme de thérapie pour les anorexiques, les praticiens
sont à la recherche de méthodes complémentaires. D’autre part, malgré
l’efficacité de certaines psychothérapies, elles présentent un certain nombre
de limites qui compliquent surtout le début de la prise en charge. Par
exemple les thérapies cognitives et comportementales nécessitent des
habiletés cognitives qui sont plus difficiles à mobiliser en raison de l’état de
dénutrition des patients. De plus, même une fois que la reprise de poids est
enclenchée, en fonction des profils neurocognitifs des patients,
l’implication dans la psychothérapie peut être réduite lorsque les pratiques
proposées ne sont pas adaptées au profil. Le profil neurocognitif décrit les
spécificités du fonctionnement cognitif de l’individu, par exemple sa
capacité à adopter une perspective différente sur une situation, à modifier
une stratégie cognitive lorsqu’elle devient inappropriée, etc.
Les patients anorexiques ont été identifiés comme ayant un profil
neurocognitif spécifique avec des difficultés marquées dans l’utilisation de
certains processus cognitifs tels que la flexibilité cognitive (Tchanturia
et al., 2011). Ces individus ont également tendance à percevoir les détails
d’une situation et ont plus de difficultés à développer une vision
d’ensemble. Les propositions de pratiques faites dans le cadre des thérapies
cognitives et comportementales faisant partie de la troisième vague
(Mindfulness, ACT, psychologie positive) développent ce type d’habileté.
Les chercheurs ayant développé la thérapie fondée sur la remédiation
cognitive suggèrent que cela pourrait constituer une première étape avant de
pouvoir bénéficier pleinement des autres formes de prise en charge.

1.3 Profils neurocognitifs


Les patients anorexiques présentent un déficit de flexibilité cognitive
malgré un QI supérieur à la moyenne (Lopez et al., 2010). En effet, le
quotient intellectuel prédit une certaine forme de performance intellectuelle
telle que la rapidité dans le traitement d’une tâche, mais ne prédit pas
nécessairement la capacité de changer de stratégie cognitive, ce qui
caractérise la flexibilité cognitive. Ce déficit de flexibilité se manifeste
notamment par une difficulté à trouver des solutions pour résoudre des
problèmes. En effet, chaque situation étant unique, la résolution de
problèmes nécessite une forme de créativité permise par la flexibilité
cognitive. Cette difficulté repose également sur une autre particularité du
fonctionnement caractérisé par une tendance à percevoir les détails plutôt
que la globalité d’une situation. C’est ainsi par exemple qu’on a pu repérer
un biais perceptif par rapport au corps : les personnes atteintes de troubles
des conduites alimentaires perçoivent davantage les détails du corps sur une
photographie (formes féminines) que la globalité du corps. Cette tendance à
percevoir le détail plutôt que l’ensemble peut entraîner des réponses
inadaptées à la situation dans son ensemble. Dans le but de mesurer ces
deux dimensions (rigidité mentale et focalisation sur le détail), un
questionnaire a été développé (Roberts, Barthel, Lopez, Tchanturia et
Treasure, 2011) et utilisé pour mesurer l’efficacité de la remédiation sur ces
dimensions du fonctionnement (voir encadré ci-après).
DFlex : Questionnaire de détail et de flexibilité (Detail and Flexibility
Questionnaire, Roberts et al., 2011 ; traduction Chesnoy et Berthoz, 2011 ;
validation française en cours sous la direction de S. Berthoz)
Pour chacune des affirmations suivantes, indiquez la réponse qui vous paraît la plus
proche de la réalité parmi les 6 choix proposés et reportez le chiffre correspondant à
votre réponse dans la case de droite.

Fortement
Plutôt en Un peu en Un peu Plutôt Fortement
en
désaccord désaccord d’accord d’accord en accord
désaccord
1 2 3 4 5 6

1. Je me mets en colère si les gens ne font pas les choses à ma façon. 1. |__|
Parfois, j’ennuie les autres quand je divague trop à propos de
2. 2. |__|
certaines choses.
Ça me contrarie si quelqu’un perturbe mon planning pour la journée
3. 3. |__|
en arrivant en retard.
4. J’ai du mal à prendre des décisions. 4. |__|
Lorsque les autres suggèrent d’autres façons de faire les choses, ça
5. 5. |__|
me contrarie ou me déstabilise.
J’ai du mal à me souvenir de la trame générale d’un film, d’un livre
6. ou d’une pièce de théâtre, cependant je peux me souvenir de 6. |__|
certaines scènes précises de manière très détaillée.
Une fois que je suis dans un certain état émotionnel, par exemple en
7. 7. |__|
colère ou triste, ça m’est très difficile de me calmer, de m’apaiser.
Je consacre autant de temps à différentes tâches, quelle que soit leur
8. 8. |__|
importance.
J’aime planifier des événements complexes comme des voyages, des
9. 9. |__|
projets de travail.
Lorsque je lis, je peux rester bloqué(e) sur des détails plutôt que d’en
10. 10. |__|
comprendre l’essentiel.
J’ai un niveau élevé d’anxiété ou de gêne : je peux voir ou sentir que
11. 11. |__|
les choses ne sont pas tout à fait normales.
J’ai tendance à me focaliser sur une chose à la fois et dans des
12. 12. |__|
proportions démesurées par rapport à la situation globale.
J’aime faire les choses dans un ordre précis ou selon une certaine
13. 13. |__|
routine.
Les anorexiques présentent également une difficulté à envisager le
changement (la disparition des symptômes), même en ce qui concerne de
petites habitudes du quotidien en lien avec la nourriture (modifier l’heure
du repas, l’endroit où les aliments sont rangés), mais aussi avec d’autres
aspects de leur routine (modifier l’heure du jogging ; pour plus de détails,
voir Roberts et al., 2011). Ces personnes présentent un degré élevé
d’intolérance à l’incertitude (Sternheim et al., 2011), ce qui les pousse à
planifier et à organiser toutes les dimensions de leur vie dans le but de
pouvoir contrôler le plus possible les situations. Ce phénomène est d’autant
plus prégnant que les individus présentent de faibles compétences en termes
de régulation des émotions, ce qui les rend encore plus anxieux face aux
imprévus. Ainsi, l’hypercontrôle des comportements et des situations,
caractéristique des anorexiques, est considéré comme un moyen de
compenser le faible sentiment de contrôle par rapport à soi et à son
existence (Sternheim et al., 2011).

1.4 Les programmes de remédiation cognitive


Le format de l’intervention peut varier : en individuel ou en groupe. Pour
améliorer les capacités de prise de perspective (changer de point de vue par
rapport à une situation), le groupe est particulièrement utile puisqu’il
favorise la prise de conscience des différentes perspectives possibles, ce qui
facilite le développement de la flexibilité cognitive et comportementale.
Toutefois, il est à noter que les patients souffrant de troubles de
l’alimentation éprouvent souvent une grande difficulté face au groupe (forte
anxiété sociale qui s’accompagne parfois d’une inhibition, voire d’un refus
ou d’un désengagement). Le format en groupe restreint pourrait favoriser un
climat de confiance suffisant tout en permettant une ouverture vers la prise
de perspective. Le groupe, appelé « atelier de flexibilité », est mené par un
psychologue et par un autre membre de l’équipe soignante.
La version la plus récente est composée de cinq séances qui comprennent
des temps de psychoéducation sur les styles de pensée, un travail à partir
d’illusions d’optique (voir par exemple la figure 4.1), ainsi qu’un travail de
préparation à l’utilisation de nouveaux styles cognitifs dans des activités du
quotidien. Au-delà des objectifs en termes de flexibilité mentale, ces
groupes visent également à augmenter la motivation au changement et le
sentiment d’efficacité personnelle face au changement (se considérer
comme capable de changer). Ce programme a été testé auprès de
populations adultes et adapté ensuite à un public plus jeune.

Figure 4.1 – L’illusion d’optique de Titchener

Les premières études de cas portant sur l’application de la thérapie par la


remédiation cognitive aux troubles des conduites alimentaires ont été
publiées il y a une dizaine d’années (Davis et Tchanturia, 2005). Depuis,
des études contrôlées randomisées ont confirmé les bénéfices de cette
thérapie, notamment en termes de préparation à des psychothérapies plus
complexes telles que les thérapies cognitives et comportementales, qui
nécessitent des capacités de prise de perspective et une vision globale des
situations (Lock et al., 2013). Les résultats des études ont souligné le
caractère réalisable et acceptable de ce type d’intervention. La thérapie par
la remédiation cognitive est appréciée par les thérapeutes et par les patients.
On constate un faible taux d’abandon de la thérapie en cours de traitement
(10 % à 15 % d’après Tchanturia, Lloyd et Lang, 2013). Cela s’explique
notamment par le fait que cette forme d’intervention n’est pas centrée sur
les symptômes alimentaires, ce qui diminue l’anxiété des patients face à la
prise en charge. D’autre part, elle permet de travailler sur les facteurs de
risque de rechute et de maintien des troubles des conduites alimentaires, ce
qui explique l’engouement pour cette thérapie parmi les praticiens
(Tchanturia, 2015).
Les études ont fait état d’une augmentation de l’IMC des participants
anorexiques, d’une diminution des symptômes de troubles des conduites
alimentaires supérieure aux patients qui n’avaient pas suivi le groupe et
maintenue six mois après la fin de l’intervention. Ces améliorations sont
attribuables aux effets spécifiques de ce programme. En effet,
comparativement à d’autres types d’entraînement cognitif, ce programme
apporte une amélioration plus importante de la flexibilité cognitive
(Brockmeyer et Friederich, 2015). L’adaptation de cette thérapie aux
enfants et aux adolescents a également donné lieu à des résultats
encourageants sur le plan qualitatif, même si les progrès sur les échelles de
flexibilité cognitive, de motivation et de sentiment de compétence par
rapport au changement ne sont pas significatifs (Pretorius, Espie et Simic,
2015). À la suite des premières recherches, des adaptations nouvelles ont
été proposées, notamment en prolongeant le programme sur un format de
huit séances pour les adolescents. D’autres programmes ont été développés
dans le cadre de thérapies familiales (en cours d’évaluation). En effet, des
études ont mis en évidence que les proches de personnes atteintes
d’anorexie présentaient également un fonctionnement cognitif similaire.
Ainsi, la remédiation cognitive peut s’avérer utile pour l’ensemble des
membres d’une famille. Ce champ d’intervention semble donc prometteur,
bien que les résultats empiriques doivent encore être confirmés par des
études à plus grande échelle. Il existe également d’autres approches qui ont
pour objectif de développer une plus grande flexibilité cognitive et
psychologique. Parmi celles-ci l’on compte notamment les approches
fondées sur la pleine conscience.

2. Le développement de la pleine
conscience
La « pleine conscience » (traduction du terme mindfulness) résulte du fait
de porter son attention intentionnellement sur l’expérience du moment
présent, sans porter de jugement particulier sur l’expérience vécue (Kabat-
Zinn, 2003). La dimension de non-jugement est particulièrement importante
dans le cadre des troubles des conduites alimentaires, bien que tout individu
présente une tendance à catégoriser les expériences en « agréables » ou
« aversives ». Une fois qu’un type d’expérience a été intégré dans la
catégorie « aversive », il devient plus difficile de changer de perspective. La
pratique de pleine conscience vise à permettre une plus grande flexibilité
dans le but de pouvoir adopter plus facilement de nouvelles perspectives
face aux situations rencontrées. Cela passe par une pratique d’observation
des événements perceptuels tout en s’entraînant à ne pas chercher à les
cataloguer (comportement bon/mauvais, aliment autorisé/interdit) et à ne
pas réagir immédiatement (temps de pause pour ne pas mettre en œuvre
d’emblée la réaction automatique). La pleine conscience peut être comprise
comme la capacité mentale d’un individu à se focaliser sur la perception de
l’instant présent, accompagnée d’un état de conscience lui permettant de
s’extraire de ses modes habituels de réaction gouvernés par ses filtres et ses
biais cognitifs (Shankland et André, 2014).
S’inspirant de pratiques bouddhistes, Jon Kabat-Zinn a conçu un premier
programme laïc il y a une trentaine d’années, à destination de patients
souffrant de douleurs chroniques. Par la suite, de nombreuses adaptations
ont été réalisées dans le but de répondre à différentes problématiques, dont
les troubles des conduites alimentaires (e.g. Alberts, Thewissen et Raes,
2012 ; Kristeller et Hallett, 1999). Par le biais de ces pratiques, il est
possible de renforcer les compétences permettant d’augmenter la fréquence
et la qualité des moments de pleine conscience dans la vie quotidienne. Les
effets de ces pratiques ont été évalués par un nombre croissant de
recherches mettant en évidence un impact sur les trois dimensions du bien-
être telles que définies par l’OMS : physique (e.g. amélioration des défenses
immunitaires), mentale (e.g. réduction de l’anxiété et de la dépression) et
sociale (e.g. augmentation de l’empathie et du sentiment de proximité
sociale). Au-delà de l’intérêt de ces pratiques en termes de développement
du bien-être (pour une revue, voir Brown et Ryan, 2003), des travaux ont
montré des effets particulièrement utiles pour les personnes souffrant de
troubles des conduites alimentaires, notamment en termes d’amélioration de
la conscience corporelle (Kristeller et Hallett, 1999) et de la régulation
émotionnelle, ce qui constitue la cible des prises en charge actuelles
(Bydlowski et al., 2005 ; Corstorphine, 2006).
En effet, l’on considère que les difficultés à supporter et à réguler ses
émotions génèrent une tendance à l’évitement des émotions qui passe
notamment par un comportement alimentaire visant à mettre les sensations
au premier plan (et les émotions au second plan). Cette tendance à utiliser
les comportements alimentaires comme moyen d’éviter les émotions
participe à augmenter les difficultés à distinguer les signaux physiologiques
de faim et de satiété des signaux générés par une détresse émotionnelle
(Pinaquy, Chabrol, Simon, Louvet et Barbe, 2003). La pleine conscience
représente à la fois une attitude qui favorise la prise de contact avec ses
émotions et un moyen de repérer plus finement les signaux physiologiques
en favorisant une interprétation moins biaisée de ceux-ci. Elle développe
une plus grande acceptation de soi et une meilleure compréhension des
comportements alimentaires, ainsi qu’une diminution de la boulimie et de
l’hyperphagie (Alberts et al., 2012 ; Kristeller, Baer et Quillian-Wolever,
2006 ; Kristeller et Hallet, 1999 ; Kristeller, Wolever et Sheets, 2013). La
réduction des troubles des conduites alimentaires perdure après la fin du
programme lorsque l’individu continue à pratiquer (Kristeller, Wolever et
Sheets, 2014). Quelques études rapportent un effet bénéfique pour les
anorexiques restrictives lorsqu’elles ne se trouvent pas dans un état de
dénutrition sévère (Hepworth, 2011). L’efficacité de ces programmes est
également liée à l’amélioration de la régulation des émotions.

2.1 Adaptation aux problématiques alimentaires


Les programmes de pleine conscience sont habituellement proposés en
groupe dans le but de favoriser la capacité à prendre conscience de la
diversité des expériences et de découvrir des perspectives différentes. Cela
contribue au développement de la flexibilité cognitive et comportementale.
Ces programmes sont composés de huit séances d’environ 2 heures, à
raison d’une rencontre par semaine. Des pratiques sont ensuite proposées
pour la semaine, avec un engagement de la part des patients à réaliser ces
pratiques quotidiennement. Dans les programmes adaptés pour les
personnes atteintes de troubles alimentaires, une place plus importante est
accordée aux pratiques consistant à manger en pleine conscience (mindful
eating), y compris des aliments considérés par les patients comme
« interdits ». Dans le cadre sécurisant de la séance, les patients peuvent
appréhender la nourriture en étant moins influencés par leur humeur et par
leurs automatismes de pensée. Il s’agit ainsi de réduire la réactivité aux
stimuli internes et externes, de prendre conscience, d’observer et
d’accompagner les sensations, pensées, émotions, sans porter de jugement
sur celles-ci.
Le programme MB-EAT (Mindfulness Based Eating Awareness Training ;
Kristeller et Wolever, 2010) est l’un des premiers à être fondés sur la pleine
conscience ayant été spécifiquement conçus pour diminuer les conduites
alimentaires problématiques. Il comprend quatre composantes principales :
1. développer la pleine conscience ;
2. développer la capacité de manger en pleine conscience ;
3. cultiver l’équilibre émotionnel ;
4. cultiver la bienveillance envers soi.
Dans ce programme, peu de place est laissée aux pratiques corporelles
(yoga) en pleine conscience. Ainsi, bien que les effets bénéfiques de ce
programme en termes de réduction de l’hyperphagie aient été démontrés,
d’autres programmes fondés sur des pratiques corporelles (telles que le
yoga ; voir chapitre 5) semblent également prometteurs. Davantage de
recherches sont nécessaires pour identifier précisément les composantes
responsables des effets observés.

2.2 Développer la conscience corporelle


Chez les personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires l’on
retrouve un pourcentage important de personnes dites « alexithymiques »,
c’est-à-dire présentant une difficulté à identifier, nommer, exprimer leurs
émotions. Cette alexithymie est associée à une moindre conscience
corporelle des émotions ainsi qu’à une plus grande difficulté à identifier les
signaux intéroceptifs tels que la faim et la satiété (Herbert, Herbert et
Pollatos, 2011). Cette capacité d’intéroception, qui se réfère à la perception
et au traitement des variations des états physiologiques et corporels (voir le
Questionnaire de conscience corporelle dans l’encadré ci-après), a une
fonction essentielle dans la mise en œuvre de comportements répondant aux
besoins physiologiques fondamentaux de l’organisme (Craig, 2002, 2009).
Lorsque cette fonction est défaillante, les réponses apportées peuvent nuire
à la santé comme on l’observe dans le cas des comportements alimentaires
problématiques où les signaux sont interprétés en fonction de croyances
influencées par l’état émotionnel et par les stimuli externes (pour plus de
détails, voir Shankland, Strub, Guillaume et Carré, 2016). Par exemple, une
crampe d’estomac pourra être considérée par une personne anorexique
comme le signe d’un trouble de la digestion entraînant un comportement de
purge. En réalité, il s’agit d’une crampe, soit un signal normal de faim qui
devrait provoquer un comportement de consommation alimentaire.
La répétition et le maintien de ces erreurs d’interprétation des expériences
intéroceptives conduit à l’instauration d’erreurs systématisées dans la
reconnaissance des signaux physiologiques de faim et de satiété (Shankland
et al., 2016). Dans d’autres cas, les signaux sont simplement ignorés, ce qui
revient à une forme d’agnosie intéroceptive, ou alexisomia, en référence
aux perturbations d’identification et de communication des sensations. La
pleine conscience constitue un moyen de réduire la dissociation entre les
perceptions corporelles et l’élaboration cognitive qui en est faite (voir
l’Échelle de conscience et de connexion corporelle dans l’encadré ci-après),
comme cela a été mis en évidence pour des patients souffrant de douleurs
chroniques ou ayant subi des abus sexuels (Price, 2007). Des pratiques
telles que le balayage corporel (bodyscan) permettent de porter son
attention sur les sensations dans un environnement sécurisant pour
apprendre à mieux identifier et comprendre les signaux intéroceptifs
(Hepworth, 2011).
Questionnaire de conscience corporelle (Body Awareness Questionnaire)
(Shields, Mallory et Simon, 1989 ; traduction et validation française Carré,
Guillaume, Duclos, Bayot et Shankland, 2015)
Consignes : un certain nombre d’affirmations concernant votre sensibilité aux processus
corporels normaux et non émotionnels sont listées ci-dessous. Pour chaque affirmation,
sélectionnez un chiffre de 1 à 7 qui correspond le mieux à la manière dont l’affirmation
vous décrit, et placez le chiffre dans le carré à la droite de l’affirmation.

Pas du tout vrai Très vrai me


me concernant concernant

1 2 3 4 5 6 7

1 Je remarque des différences dans la façon dont mon corps réagit 


à divers aliments.

Quand je me cogne je peux toujours dire si cela va se


2. 
transformer en hématome ou non.

Je sais quand je me suis dépensé(e) jusqu’au point d’avoir des


3. 
courbatures le lendemain.

Je suis toujours conscient(e) des changements dans mon niveau


4. 
d’énergie quand je mange certains aliments.

5. Je sais par avance lorsque je suis en train d’attraper un rhume. 

Je sais quand j’ai de la fièvre sans avoir à prendre ma


6. 
température.

Je peux faire la distinction entre la fatigue causée par la faim et


7. 
la fatigue causée par le manque de sommeil.

Je peux prédire de manière exacte à quelle heure de la journée


8. 
le manque de sommeil va me rattraper.

Je suis conscient(e) de la présence d’un cycle dans mon niveau


9. 
d’activité au cours de la journée.

Je ne remarque pas les rythmes saisonniers ni les cycles dans la


10.* 
façon dont mon corps fonctionne.

Dès que je me réveille le matin, je sais combien d’énergie


11. 
j’aurai pendant la journée.

Je peux dire, quand je vais me coucher, à quel point je vais bien


12. 
dormir cette nuit-là.

Je remarque des réactions corporelles particulières quand je suis


13. 
fatigué(e).

Je remarque des réactions corporelles spécifiques aux


14. 
changements de climat.

Je peux prédire la quantité de sommeil dont j’aurai besoin la


15. 
nuit pour me réveiller régénéré(e).

Quand mes habitudes d’entraînement changent, je peux prédire


16. très précisément comment cela va affecter mon niveau 
d’énergie.

Il semble qu’il y ait une heure « idéale » pour moi, pour aller
17. 
me coucher le soir.

Je remarque des réactions corporelles spécifiques au fait d’être


18. 
affamé(e).
Note : * indique un item dont le score est à inverser avant de calculer le score global.
Pour calculer le score de conscience corporelle, il suffit d’additionner l’ensemble des
chiffres après avoir inversé le score de la question 10. Plus le score est élevé, plus le
degré de conscience intéroceptive est important.

Échelle connexion corporelle (Price et Thomson, 2007 ; traduction et


validation française Guillaume, Shankland, Duclos, Watin-Augouard et Price, en
préparation)
Consignes : ce questionnaire porte sur votre conscience corporelle et vos réactions à
cette conscience corporelle. Pour chacune des affirmations, merci de bien vouloir cocher
la case qui correspond le mieux à ce que vous ressentez en général. Il n’y a pas de
bonne ou de mauvaise réponse. Merci de répondre de la manière la plus sincère
possible. Il y a deux questions qui portent sur l’activité sexuelle ; il s’agit de prendre en
compte toute activité sexuelle, y compris l’autostimulation. Si vous n’avez pas d’activité
sexuelle, veuillez laisser les cases correspondantes vides.
Pour répondre aux questions, prenez en compte les deux derniers mois.

La
Pas Tout
Un Une partie plupart
du le
peu du temps du
tout temps
1 2 temps
00 4
3
1. S’il y a une tension dans mon corps, je suis
conscient(e) de cette tension.

2. Il est difficile pour moi d’identifier mes émotions.

3. Je remarque que ma respiration devient moins


profonde quand je suis nerveux(se).

4. Je remarque ma réaction émotionnelle lors d’un


contact physique attentionné.

5. Lors de situations inconfortables, j’ai la sensation


que mon corps est gelé, comme s’il était engourdi.

6. Je remarque comment mon corps change lorsque je


suis en colère.

7. J’ai l’impression de regarder mon corps comme si


je me trouvais à l’extérieur de mon corps.

8. Je suis conscient(e) de sensations internes au cours


d’une activité sexuelle.

9. Je sens le déplacement de mon souffle dans mon


corps quand j’expire profondément.
10. Je me sens séparé(e) de mon corps.

11. Il est difficile pour moi d’exprimer certaines


émotions.

12. Pour m’aider à comprendre comment je me sens,


je recueille des signaux de mon corps.

13. Quand je ne me sens pas bien physiquement,


j’essaie de voir ce qui a pu causer cet inconfort

14. Je suis à l’écoute des informations provenant de


mon corps à propos de mon état émotionnel.

15. Quand je suis stressé(e), je remarque le stress


dans mon corps.

16. Je pense à autre chose lorsque je perçois un


inconfort physique.

17. Quand je suis tendu(e), je prends note de la


localisation de cette tension.

18. Je constate que je perçois mon corps


différemment après une expérience paisible.

19. Je me sens comme dissocié(e) de mon corps au


cours d’une activité sexuelle.

20. Il est difficile pour moi d’être attentif(ve) à mes


émotions.

Ce questionnaire comprend deux sous-échelles :


1. Conscience corporelle (Body Awareness), items : 1, 3, 4, 6, 8, 9, 12, 13, 14, 15, 17,
18.
2. Dissociation corporelle (Body Dissociation), items : 2, 5, 7, 10, 11, 16, 19, 20.
Il s’agit donc de mesurer deux scores différents. Ces deux sous-échelles mesurent plus
précisément la conscience corporelle des émotions, et la dissociation corporelle et
émotionnelle. Pour la cotation, il convient de faire la somme de tous les items de chaque
sous-échelle, et de les diviser respectivement par 12 (BA) et par 8 (BD).
Il est possible selon les auteurs de calculer un score global en inversant les items de la
sous-échelle « Dissociation corporelle ». Dans ce cas, un score plus important sera
associé à une connexion au corps plus forte. La cotation se fait après inversion en
ajoutant les scores de chaque item et en divisant par 20. Toutefois, dans la validation
française, les deux sous-échelles, n’étant pas corrélées, doivent être utilisées
séparément.

2.3 Améliorer la régulation émotionnelle


Les individus repérés comme présentant un degré élevé de pleine présence
font également preuve de bonnes capacités d’autorégulation et ont un
rapport moins négatif aux événements vécus. Or, l’impulsivité et le degré
d’affects négatifs en situation de stress sont des facteurs aggravant les
tendances addictives, notamment liées à l’alimentation. Une étude réalisée
auprès de 878 jeunes (Pivarunas et Conner, 2015) rapporte une association
positive entre le niveau d’impulsivité, le degré d’émotions négatives en
situation de stress et le potentiel addictif de l’alimentation. Dans le cadre
des interventions fondées sur la pleine conscience, le développement de la
non-réactivité (ne pas réagir de manière impulsive grâce au temps
d’observation accordé par la pleine conscience) permet de réduire les
affects négatifs (Kristeller et al., 2006) et de limiter le recours à des
stratégies dysfonctionnelles qui engendrent des perturbations à long terme
(Desrosiers, Vine, Curtiss et Klemanski, 2014). Cette diminution de
l’impulsivité (notamment alimentaire) est favorisée par un travail sur le
discernement. Le discernement provient du fait d’observer ses expériences
quotidiennes afin de parvenir progressivement à distinguer les faits des
réactions qu’ils suscitent à l’intérieur de soi (jugement, aversion…).
Des recherches en neurosciences cognitives ont mis en évidence l’impact
de pratiques de méditation sur l’amélioration des fonctions exécutives,
celles-ci étant impliquées dans la capacité de réguler les comportements et
les émotions, d’anticiper et de prendre des décisions (pour une synthèse,
voir Hanson et Mendius, 2009). De plus, l’augmentation du degré de pleine
conscience tend à réduire les préoccupations en lien avec les stimuli
alimentaires auxquels les individus sont exposés (Paolini et al., 2012).
Même face au craving, cette sensation impérieuse d’avoir besoin de
consommer, les pratiques de pleine conscience permettent de diminuer le
recours à la crise de boulimie. En étant capable de distinguer l’événement
de la relation à cet événement (réactions), il devient possible de choisir de
ne pas réagir en suivant son mode habituel de réaction. Ceci est considéré
comme l’un des facteurs expliquant l’efficacité de cette pratique dans le
cadre des addictions, notamment comportementales telles que les troubles
des conduites alimentaires.
Il existe un programme de pleine conscience spécifiquement conçu pour la
prévention des rechutes addictives (Mindfulness Based Relapse Prevention,
ou MBRP ; Bowen, Chawla et Marlatt, 2010) qui débute précisément sur le
travail de discernement. Une autre pratique utile pour la diminution des
accès d’hyperphagie consiste à apprendre à « surfer sur la vague du
craving ». Habituellement les individus ont tendance à considérer qu’avec
un peu de bonne volonté, ils devraient être capables de résister à
l’impulsivité alimentaire. Toutefois, lorsque le degré de restriction
alimentaire est important, il devient parfois impossible de résister à
l’impulsivité (c’est ce que l’on identifie comme étant une perte de contrôle).
La proposition de pratique de pleine conscience consiste à identifier l’état
de craving et les différentes sensations qui le caractérisent, ainsi que les
émotions et cognitions associées. Le fait de ne pas chercher à lutter contre
ou à diminuer l’angoisse associée libère des ressources attentionnelles
permettant de demeurer face à ses sensations sans chercher à produire une
réponse immédiate et sans juger cet état comme étant dangereux ou aversif.
Nous avons tendance à juger l’envie, la sensation de manque ou l’anxiété
comme un état négatif qu’il faudrait éradiquer. Cela entraîne des tentatives
de contrôle de l’émotion ou de la sensation. Or, cette recherche de contrôle
peut précisément constituer le cœur du problème pour le patient, qui est
amené à proposer une réponse visant le contrôle dans un premier temps
(restriction) puis, n’ayant plus la possibilité de lutter contre, le cerveau, en
état d’alerte en raison du manque calorique, oriente toute activité vers une
consommation alimentaire (voir Desmurget, 2015), et bascule dans la perte
de contrôle.
Dans le cadre d’une approche de pleine conscience, il s’agit simplement
de prendre conscience de son état, sans chercher à le contrôler. Selon les
auteurs, le craving est une sensation brève, passagère. S’il devient possible
pour l’individu de faire face à cet état, progressivement le craving génère
moins d’angoisse et occupe une place moins importante. La pratique
consistant à « surfer sur la vague » des émotions et des sensations constitue
un exemple du changement de relation à l’expérience vécue. C’est cela que
visent les programmes de pleine conscience.
La thérapie dialectique comportementale (Dialectical Behavioral Therapy,
ou DBT ; Linehan, 1995) a également pour objet d’engendrer un
changement de rapport à ses émotions, notamment par le biais d’une
augmentation de la tolérance aux états affectifs. Initialement conçue pour
les personnes présentant un trouble de la personnalité limite (borderline), la
thérapie dialectique comportementale vise à réduire la tendance aux
conduites extrêmes engendrées par les émotions (un patient peut ainsi
passer du rire à la tentative de suicide à quelques minutes d’intervalles, à la
suite de l’expérience d’une émotion intense qui génère une angoisse qui le
submerge). Au-delà des techniques cognitives et comportementales
classiques, le terme dialectique fait référence au développement d’un
dialogue permettant d’intégrer les polarités. Parmi les polarités
fréquemment rencontrées chez les personnalités borderline, Carraz (2009)
cite par exemple : grosse-maigre ; dépendance-autosuffisance ; agressivité-
soumission ; envahissement émotionnel-hypercontrôle des émotions ;
intrusion-fermeture ; nulle-parfaite. La dichotomie que l’on retrouve dans le
cas de la personnalité borderline et chez les personnes atteintes de troubles
des conduites alimentaires (dont bon nombre ont une personnalité de ce
type) donne lieu à des conduites extrêmes de même qu’à un découragement
intense face à l’impossibilité de vivre selon ces polarités. Dans le cadre de
la thérapie dialectique, le travail porte sur la manière de pouvoir concevoir
et percevoir les nuances de la réalité entre ces deux pôles.
Parmi les pratiques favorisant ce rapport différent à l’expérience
émotionnelle l’on compte notamment les pratiques de pleine conscience qui
font ainsi partie intégrante des protocoles de thérapie dialectique. De plus,
la thérapie dialectique inclut un travail spécifique sur les compétences
relationnelles, étant donné que les relations figurent souvent au cœur des
souffrances des personnes borderline. Enfin, la thérapie comprend des
modules sur la régulation ainsi que sur l’acceptation des émotions. En effet,
il est possible de réguler l’intensité d’une émotion par le biais de la
respiration et de la relaxation par exemple, mais pas de contrôler l’arrivée
d’une émotion. Dans ce cas, il convient de travailler sur la tolérance face à
la détresse émotionnelle : un individu peut être triste sans que cela signifie
que sa vie n’a plus de sens. Pour les individus borderline, le passage d’une
émotion à des pensées extrêmes de ce type est très fréquent. L’intérêt d’une
approche d’acceptation est de favoriser l’accueil de l’émotion sans y ajouter
de pensées liées à l’anticipation face à l’avenir (« Est-ce que je serai triste
comme ça toute ma vie ? »), ou liées au fait de ressasser des événements du
passé (« On m’avait prévenu que la vie n’allait pas me sourire… »). La
thérapie dialectique de même que les pratiques de pleine conscience
permettent d’apprivoiser progressivement les émotions générées par les
expériences internes et externes, notamment celles liées à l’image du corps.

2.4 Réduire l’insatisfaction corporelle


Les personnes sujettes aux troubles des conduites alimentaires présentent
des préoccupations excessives concernant la silhouette et le poids,
manifestent une gêne intense vis-à-vis du regard d’autrui, et des difficultés à
se montrer en public pouvant les conduire à renoncer à certaines activités
susceptibles d’exposer leur corps. L’un des objectifs de l’accompagnement
est de réduire la tendance au jugement sur soi en se focalisant davantage sur
le mode de pensée que sur le contenu des pensées (Antoine, 2015). Cela a
notamment pour effet de diminuer l’impact des ruminations et d’augmenter
la flexibilité psychologique. Une étude s’intéressant à la disposition à la
pleine conscience (un trait qui prédispose à être plus souvent présent à
l’expérience du moment présent) sur une large population non clinique de
femmes a montré une relation positive entre la pleine conscience et la
satisfaction corporelle (Dijkstra et Barelds, 2011). Cette étude a également
mis en évidence une association négative entre la pleine conscience et la
tendance à la comparaison de son corps avec celui des autres. Les auteurs
attribuent ces résultats à la qualité de non-jugement que permet la pleine
conscience. D’après une étude réalisée auprès d’une population subclinique,
les interventions fondées sur la pleine conscience réduisent l’insatisfaction
corporelle (Alberts et al., 2012) et, ensuite, la présence d’affects négatifs et
les tendances à la restriction alimentaire.
Dans un premier temps, certaines pratiques de pleine conscience peuvent
paraître plus difficiles pour les individus présentant un degré élevé
d’anxiété et d’insatisfaction corporelle. Dans ce contexte, certains auteurs
recommandent de commencer par des pratiques de focalisation
attentionnelle sur un objet tel qu’une bougie (Cook-Cottone, 2015). Des
patients rapportent un effet apaisant de ce type de pratique, et surtout
rassurant en termes de capacités de contrôle attentionnel et émotionnel.
Dans un deuxième temps, des exercices visant l’ouverture attentionnelle
(Langer, 1989) peuvent être proposés, dans le but de développer davantage
la pleine conscience (conscience des expériences internes variées,
notamment en lien avec les stimulations internes et externes qui nous
parviennent par les cinq sens).

2.5 Favoriser l’intégration des pratiques dans le


quotidien
Pour certaines personnes, notamment celles qui sont particulièrement
anxieuses, les pratiques de pleine conscience formelles à effectuer seul chez
soi peuvent constituer une source d’angoisse (sensation de vide, de solitude,
d’échec, expérience de dissociation…). Pour diminuer cet aspect anxiogène,
un programme a été développé visant à réaliser des pratiques d’attention
consciente (mindful awareness) intégrées au quotidien (marcher en pleine
conscience, manger en pleine conscience…). Cet accompagnement vise à
agir sur les processus permettant d’améliorer la flexibilité psychologique, la
bienveillance envers soi et la non-réactivité au cours des activités
habituelles. L’objectif est de permettre aux participants de prendre
conscience des moments où ils fonctionnent en mode « pilote
automatique », de leurs jugements envers eux-mêmes, et d’apprendre
progressivement à accueillir leurs sensations, pensées et émotions avec
bienveillance au cours des activités habituelles. Ainsi, bien que les
pratiques de pleine conscience formelles puissent développer certaines
compétences de manière plus approfondie, les pratiques d’« attention
conscience intégrée » apportent des bénéfices similaires auprès d’une
population d’individus s’inscrivant en raison de problèmes de stress
(Shankland et al., 2016).
Ce programme est composé de huit séances de 2 heures, uniquement
centrées sur des pratiques de développement de l’attention au moment
présent, sans jugement. Il s’appuie sur des exercices similaires développés
par le docteur Vittoz et complète ceux que l’on retrouve dans les
interventions fondées sur la pleine conscience, tels qu’écouter, manger ou
parler en conscience. Ce programme, appelé FOVEA (Flexibilité et
Ouverture, fondées sur la méthode Vittoz – pour favoriser l’Expérience
Attentive ; Shankland et al., en cours de publication) a donné lieu à la
rédaction d’un manuel pour les intervenants et d’un livret de pratiques pour
les participants. L’objectif est de favoriser une approche très progressive
(comme dans le programme MBCT-Child ; Semple et Lee ; 2016), en
travaillant sur chacun des sens l’un après l’autre, dans un esprit de
découverte. Par exemple, pendant une semaine il est proposé aux
participants de porter leur attention sur le sens du toucher, puis la semaine
suivante sur l’odorat, en essayant de se laisser surprendre par les
expériences quotidiennes, sans chercher à classer, juger, simplement en
accueillant les sensations, ainsi que les émotions et les pensées associées.
À ce jour, plus de 400 personnes ont suivi un programme FOVEA et les
résultats montrent des effets positifs sur la réduction du stress et
l’amélioration du bien-être, maintenus trois mois après la fin du
programme. Les analyses de médiation ont montré que ces effets passaient
par une augmentation de la pleine conscience telle que mesurée par le Five
Facets Mindfulness Questionnaire (Heeren et al., 2011). Parmi les
praticiens formés à la méthode Vittoz et au programme FOVEA, certains se
sont penchés sur la question des problématiques alimentaires. Les données
qualitatives rapportées indiquent une réduction de l’angoisse face à la
nourriture grâce à une meilleure capacité à distinguer les sensations, les
émotions et les pensées, et à une diminution de la réactivité face à des
pensées de jugement et à des émotions négatives liées à la nourriture (voir
encadré ci-contre).
Les pratiques consistant à manger en pleine conscience permettent
d’accroître l’expérience d’émotions positives associées à la consommation
d’aliments. En réduisant l’impact des pensées et des interprétations, la
pleine conscience favorise une ouverture au plaisir gustatif. Au cours de
telles pratiques, les personnes apprennent à repérer les différents signaux de
satiété, et à choisir de cesser de manger en fonction de ceux-ci, ce qui est
d’une grande aide pour les personnes concernées par l’hyperphagie
(Daubenmier et al., 2011 ; Kristeller et Wolever, 2010). Les participants
découvrent que la satiété survient plus rapidement lorsque l’on mange en
pleine conscience, ce qui est particulièrement rassurant pour ces patients qui
craignent au départ, en prenant plus de plaisir, de perdre davantage le
contrôle.
Extrait d’un suivi individuel dans le cadre du programme FOVEA
Lors de la séance sur le goût, la thérapeute présente les aliments disposés sur un
plateau. Parmi les aliments figurent des fruits, mais aussi des biscuits et du chocolat.
Dans le manuel il est précisé qu’il convient de demander au participant s’il a des
allergies alimentaires et de lui montrer les aliments sur un plateau avant de les lui faire
goûter afin de réduire l’anxiété qu’il peut éprouver face à de « mauvaises surprises »
(par exemple certaines craignent qu’on leur fasse goûter de la moutarde). La thérapeute
indique à la patiente : « Je vais vous proposer de goûter les différents aliments
présentés sur ce plateau en essayant d’accueillir simplement les sensations, les
saveurs… Si cela suscite des émotions et si des pensées vous viennent, notez-les
simplement et ramenez votre attention vers les sensations liées au goût, dans un esprit
de découverte. » Avant de commencer l’exercice, la thérapeute demande à la patiente,
qu’elle nomme Talia, comment elle se sent face à la nourriture (il s’agit de leur quatrième
rencontre). Talia raconte qu’elle trouve la présentation très jolie et que dans le même
temps, cela génère de l’angoisse en imaginant qu’elle va devoir manger des aliments
sucrés. Elle précise que cela génère toutefois moins d’angoisse que d’habitude
lorsqu’elle se trouve face à une assiette garnie.
La thérapeute fait le constat du développement de la capacité de discernement (ou
décentration) : Talia perçoit les aliments et prend conscience des émotions et des
pensées que cela suscite, sans se laisser happer pour autant par celles-ci. Cela
constitue une étape importante de la pleine conscience. Pour réduire l’angoisse de Talia,
la thérapeute précise qu’elle peut simplement placer un aliment dans sa bouche pour en
percevoir les saveurs, mais qu’elle ne doit pas nécessairement l’avaler si elle ne le
souhaite pas. Elle peut ainsi se donner le temps de percevoir les saveurs, les réactions
physiologiques, les pensées et les émotions suscitées. Talia, rassurée, commence
l’exercice. Elle ferme les yeux et la thérapeute place un aliment dans sa main. Talia le
porte à sa bouche, croque un morceau et se laisse le temps de la découverte. Elle
esquisse un sourire et, après un temps d’exploration gustative, avale l’aliment… Contre
toute attente, elle avale plusieurs aliments – dont des aliments sucrés « interdits » – et
lorsqu’elle ouvre les yeux à la fin de l’exercice, elle est toute surprise d’avoir pu avaler de
la nourriture sans angoisse. Elle explique : « J’étais tellement concentrée sur les
sensations, la découverte de saveurs que j’avais oublié d’avoir peur d’avaler, au
contraire c’était très agréable de manger. Cela ne m’est pas arrivé depuis des années ! »
Au cours de la semaine suivante, les pratiques furent plus difficiles qu’en séance.
Toutefois, Talia avait pu changer de perspective et retrouver espoir dans le fait qu’il était
possible de développer un rapport différent à la nourriture. Cela ne suffit pas pour se
sortir d’un trouble alimentaire, mais peut apporter une aide complémentaire aux prises
en charge classiques.

Au-delà de l’intérêt de la pratique de pleine conscience pour les patients,


plusieurs recherches ont également mis en évidence des effets bénéfiques de
la pratique des thérapeutes sur leur bien-être, de même que sur la qualité de
l’accompagnement réalisé (Germer, Siegel et Fulton, 2013 ; Shapiro et
Carlson, 2009). Ainsi, la pleine conscience peut devenir une pratique
commune. Dans certains hôpitaux, patients et professionnels pratiquent
ensemble chaque semaine dans le cadre d’un groupe ouvert. Toutefois, il est
à noter que la pratique de pleine conscience ne peut se substituer à une prise
en charge habituelle des troubles des conduites alimentaires. En effet, à ce
jour, les recherches sont encore peu nombreuses, en particulier les
recherches longitudinales. Nous avons réalisé une revue systématique des
recherches et une méta-analyse afin de préciser les effets des programmes
fondés sur la pleine conscience et destinés aux personnes souffrant de
troubles des conduites alimentaires (Turgon, Ruffault, Juneau, Blatier et
Shankland, 2019). Les résultats de cette méta-analyse (analyses statistiques
menées sur l’ensemble des recherches interventionnelles fondées sur la
pleine conscience, réalisées auprès de personnes atteintes de troubles du
comportement alimentaire) indiquent qu’en comparant l’état des patients
avant et après le programme de pleine conscience l’on observe une
diminution des symptômes de troubles alimentaires, de l’alimentation
réactionnelle aux émotions, des affects négatifs, de l’insatisfaction
corporelle, et un indice de masse corporelle qui se rapproche davantage de
la norme. Les tailles d’effet varient de modérées (d = .62 pour les affects
négatifs) à élevées (d = 1.05 pour les symptômes de troubles alimentaires).
Les analyses statistiques ont également mis en évidence que les personnes
bénéficiant le plus de ces programmes en termes de compétences de pleine
conscience et de régulation des émotions étaient les femmes et les
personnes présentant des troubles hyperphagiques. Toutefois, il s’agit de
résultats qui devront être confirmés par des méta-analyses futures, portant
sur un nombre plus important d’études contrôlées randomisées, c’est-à-dire
que les patients sont répartis aléatoirement entre une intervention de pleine
conscience et un groupe contrôle sur liste d’attente, ou un groupe contrôle
actif bénéficiant d’une autre pratique en groupe. En effet, sur les 22 articles
inclus dans la méta-analyse, seules 10 études étaient des essais contrôlés
randomisés, donc comportaient une méthodologie suffisamment solide. De
plus, les échantillons des recherches étaient relativement faibles, et peu de
réplications ont été menées. C’est la raison pour laquelle, malgré des
résultats prometteurs, il convient de rester prudent quant aux effets que l’on
peut attribuer à ces programmes pour l’instant.
Ainsi, la pleine conscience peut être proposée en prévention ou en
complément d’une intervention dont les preuves scientifiques liées au
trouble sont solides. Cook-Cottone (2015) propose une synthèse des
précautions à prendre dans le cadre de la mise en œuvre de pratiques
thérapeutiques complémentaires. Parmi celles-ci, elle recommande en
particulier de porter à la connaissance du patient le type de pratiques, les
mécanismes d’actions ainsi que les effets indésirables potentiels tels que
l’ennui, l’angoisse, l’inconfort, voire la dissociation, générés par certains
exercices. Le patient est encouragé à rapporter tout effet indésirable.
Certains peuvent constituer un lieu de travail (sur l’ennui ou les émotions
négatives si cela semble possible pour le patient), tandis que d’autres effets
devraient suggérer un retour à des formes de thérapie plus classiques pour
l’individu concerné. D’autre part, la question de l’identité culturelle, et
notamment la religion, est à considérer. En effet, lors de la présentation de
pratiques dans le cadre de protocoles de recherche, certains participants ont
signalé que ce type de pratique s’apparentait trop au bouddhisme (dont elles
sont issues), et qu’ils ne souhaitaient pas s’y engager en raison des réactions
possibles venant de leur entourage. Enfin, bien que les recherches aient
montré des effets bénéfiques pour les patients dépressifs, en phase de
dépression sévère les difficultés de concentration sont parfois telles que les
pratiques proposées pourraient générer un sentiment d’échec et nuire à
l’implication dans la prise en charge. De manière similaire, dans le cas des
addictions, les pratiques semblent plus efficaces après une première étape
de sevrage (Young, DeLorenzi et Cunningham, 2011). Il existe d’autres
approches complémentaires pouvant correspondre aux personnes pour
lesquelles la pratique de pleine conscience semble trop difficile ou
lorsqu’elles expriment un faible degré de motivation. En effet, l’efficacité
des programmes de pleine conscience étant fonction du temps de pratique,
un faible degré de motivation à la pratique entraîne une diminution de
l’efficacité potentielle.

3. Les apports de la psychologie positive


3.1 Les interventions de psychologie positive
La psychologie positive constitue une orientation relativement récente
(Seligman et Csikszentmihalyi, 2000) dont l’objectif a été, après un siècle
de recherche sur les dysfonctionnements et les pathologies, une meilleure
compréhension du fonctionnement humain via une analyse fine des
déterminants et des processus en jeu dans l’épanouissement et le bien-être
des individus, des groupes et des institutions (Gable et Haidt, 2005). Le
terme « psychologie positive » vise à mettre l’accent sur l’autre versant des
comportements humains, comme certains tenants de la psychologie
humaniste : le fonctionnement « sain » (James, 1902) ou « optimal »
(Rogers, 1959). Depuis une quinzaine d’années, des recherches ont mis en
évidence l’importance de l’étude des ressources et des compétences des
individus dans le but de compléter leur compréhension et leur
accompagnement. Les pionniers tels que Seligman, Csikszentmihalyi,
Fredrickson et Lyubomirsky ont mis en évidence l’utilité du travail sur des
dimensions telles que l’optimisme, la créativité et les émotions positives
(Csikszentmihalyi, 2006 ; Fredrickson, 1998, 2001 ; Lyubomirsky, 2001 ;
Seligman, 2008).
Les travaux réalisés par l’équipe d’Isen (e.g. Estrada, Isen et Young,
1997 ; Isen, Daubman et Nowicki, 1987) ont servi de base à la conception
du modèle de Fredrickson (« Élargir et construire », 2001) présentant les
effets des émotions positives sur le bien-être à court et à long terme. Dans
l’étude présentée par Estrada et ses collaborateurs (1997), les chercheurs
avaient demandé à des internes en médecine d’étudier un cas fictif. Ils
devaient établir un diagnostic et proposer des traitements adaptés. La moitié
des internes avaient reçu un petit présent (induisant une émotion positive).
En analysant les résultats de l’étude, les chercheurs ont montré que les
internes ayant expérimenté une émotion positive avaient détecté plus
rapidement la pathologie présentée dans l’étude de cas, et proposé une plus
grande variété de traitements ainsi que des traitements plus adaptés.
D’autres études ont rapporté des résultats allant dans le même sens, tout en
précisant les mécanismes sous-jacents tels que l’augmentation de la
créativité. Par exemple, lorsqu’on induit une émotion positive chez des
individus via la présentation d’une courte vidéo humoristique, ils
parviennent ensuite à produire des listes de solutions possibles à des
situations complexes qui sont plus fournies et plus originales que celles
d’individus ayant visionné une vidéo neutre ou générant une émotion
négative. Le modèle « Élargir et construire » de Fredrickson résume ainsi
l’apport des émotions positives en montrant comment l’extension de ces
répertoires favorise le développement de nouvelles compétences dans les
situations rencontrées, ce qui participe à la construction de la personne et
d’un bien-être durable.
Au-delà de la compréhension plus globale de l’être humain qui est visée
par cette orientation, les applications concrètes issues de ce champ de
recherche apparaissent comme étant prometteuses (pour une revue, voir
Shankland, 2019). Des dimensions telles que l’optimisme, la satisfaction
par rapport à la vie, le sens de la vie et l’engagement (Gongora, 2014) sont
associées à une diminution des risques de troubles des conduites
alimentaires. Par exemple, l’optimisme modère l’effet de l’insatisfaction
corporelle sur les comportements boulimiques (plus l’optimisme est élevé,
moins l’insatisfaction corporelle génère de conduites problématiques ;
Brannan et Petrie, 2011). Ces premiers résultats ont généré un engouement
pour le développement d’interventions agissant sur ce type de facteurs.
Les interventions en psychologie positive visent à modifier le contenu et la
fréquence des expériences vécues dans le but diminuer la tendance à
ressasser les dimensions négatives de l’expérience et toute autre tendance
qui maintient l’état affectif négatif conduisant à terme au développement et
au maintien de symptomatologies diverses telles que les troubles des
conduites alimentaires. Comme les programmes de pleine conscience, les
interventions de psychologie positive s’avèrent efficaces dans le cadre de
l’amélioration du bien-être physique, mental et social, et plus
particulièrement dans la réduction des symptômes anxieux et dépressifs
(Sin et Lyubomirsky, 2009). À ce titre, elles ont été intégrées aux thérapies
cognitives et comportementales sous l’appellation de « troisième vague »
(la première vague correspondant à l’approche comportementale, et la
deuxième à l’approche cognitive ; Cottraux, 2007 ; Dionne et Neveu, 2010).
Ces interventions apparaissent comme des pistes nouvelles pouvant être
utiles en complément des prises en charge classiques des troubles du
comportement alimentaire. En effet, au cours du vingtième siècle, la
psychologie s’étant focalisée plus particulièrement sur les troubles et les
dysfonctionnements, l’attention s’est davantage portée sur l’étude des
émotions négatives (peur, dégoût, colère) et sur leurs liens avec les
conduites alimentaires. Sur la base de revues systémiques de la littérature
scientifique, il a été établi que les personnes atteintes de troubles des
conduites alimentaires présentaient des difficultés de plusieurs types liées
aux émotions : la reconnaissance, l’expression et la régulation des émotions
(Tchanturia et al., 2015). Ceci entraîne des troubles du comportement
(alimentaire) ainsi que des difficultés relationnelles, ce qui augmente le
recours aux troubles des conduites alimentaires (Treasure, Corfield et Cardi,
2012).
Plus récemment, la question des émotions positives dans
l’accompagnement dwes personnes atteintes de troubles des conduites
alimentaires a attiré l’attention des chercheurs et des praticiens (Tchanturia
et al., 2015). En effet, au vu du profil neurocognitif de ces personnes
(manque de flexibilité et difficulté à percevoir la situation dans son
ensemble), il semblerait particulièrement pertinent de favoriser davantage
l’émergence d’émotions positives. Par ailleurs, parmi les facteurs de risque
et de maintien des troubles des conduites alimentaires l’on compte
également le déficit de compétences relationnelles (Treasure, Cardi,
Lappanen et Turton, 2015). Or les émotions positives sont associées à
l’augmentation de comportements prosociaux (altruisme et coopération ;
e.g. Boundenghan, Desrumaux, Léoni et Nicolas, 2012 ; Frey et Meier,
2004 ; Shankland, 2012), ce qui favorise le maintien et l’amélioration des
relations.
À ce jour, peu d’interventions de psychologie positive ont été menées
auprès de personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires.
Toutefois, plusieurs programmes ont montré des effets positifs en termes de
prévention de la dépression (pour une méta-analyse, voir Brunwasser,
Gillham et Kim, 2009). Étant donné que l’affectivité négative constitue un
facteur de risque des troubles des conduites alimentaires, ce type de
programme pourrait être intéressant à proposer en prévention des troubles
du comportement alimentaire. Gongora (2014) montre par exemple que
l’insatisfaction corporelle et la recherche de minceur sont plus élevées chez
des jeunes filles présentant davantage d’émotions négatives. Les
interventions de psychologie positive seraient susceptibles de compléter les
approches déjà présentes dans le champ de la prévention et de la prise en
charge des troubles des conduites alimentaires en se focalisant sur les
facteurs protecteurs et pas uniquement sur les facteurs de risque. Toutefois,
des adaptations sont à prévoir en tenant compte des difficultés spécifiques
de ces individus, notamment en termes de profils neurocognitifs,
d’alexithymie et d’alexisomia. Par exemple, des pratiques ont été proposées
à des personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires visant à
repérer davantage dans leur quotidien les petites choses pour lesquelles
elles pouvaient éprouver de la satisfaction, voire de la reconnaissance. Lors
d’une première rencontre, ces personnes ont été motivées par ces exercices.
Toutefois, après avoir essayé concrètement d’identifier des éléments de leur
quotidien pour lesquels elles éprouvaient de la satisfaction ou de la
gratitude, cela leur a semblé très compliqué. D’autres étapes préalables
étaient nécessaires, telles qu’un travail sur l’identification d’émotions et de
sensations agréables – même de très courte durée. Cela leur a semblé plus
proche de leurs possibilités. Il apparaît donc nécessaire de prendre en
compte les spécificités de chaque individu dans le but d’adapter au mieux
les pratiques (pour une revue des travaux sur la gratitude, voir Shankland,
2016).

3.2 Alimentation et émotions


L’alimentation est influencée par les états émotionnels. Ainsi, les émotions
aversives sont associées à l’augmentation de troubles des conduites
alimentaires tels que la restriction chez les anorexiques (e.g. Engel et al.,
2005 ; Lavender et al., 2013 ; Steinglass et al., 2010), et l’hyperphagie pour
d’autres patients (voir la méta-analyse de Cardi, Leppanen et Treasure,
2015). De plus, ces émotions constituent un facteur de risque, de maintien
et de mauvais pronostic concernant les troubles des conduites alimentaires.
C’est pourquoi les stratégies visant à diminuer la place accordée aux
émotions négatives chez les patients souffrant de troubles des conduites
alimentaires pourraient constituer une approche complémentaire utile.
Concernant les émotions positives, peu d’études ont été menées auprès de
populations souffrant de troubles des conduites alimentaires. Une étude
portant sur ce type d’émotions a mis en évidence un faible degré de
différenciation entre les émotions positives dans la population concernée
(Selby et al., 2014). Cette faible distinction semble entraîner une tendance à
rechercher dans la conduite de restriction une manière de générer des
émotions positives. À ce jour, l’utilisation des conduites de restriction
comme moyen de développer une sensation de bien-être a peu été étudiée
(Walsh, 2013). Or le contrôle des conduites alimentaires constitue une
manière d’améliorer la confiance en soi et l’estime de soi (généralement
défaillante chez ces individus). Par la suite, la perception de corps émaciés
peut entraîner une émotion positive : le simple fait de visionner un corps
maigre génère une activation du système de récompense chez les personnes
concernées par les troubles des conduites alimentaires (Fladung et al.,
2010). Cela contribuerait à expliquer l’engouement pour les sites Pro-Ana
(pro-anorexie) qui exposent des photographies de corps décharnés.
Pour aller plus loin dans la compréhension des effets du manque de
distinction, ou granularité, c’est-à-dire de précision dans la perception
(Feldman, 1995) entre les différentes émotions positives, Selby et ses
collaborateurs (2014) ont utilisé une méthode d’échantillonnage des
expériences (Experience Sampling Method ; Larson et Csikszentmihalyi,
1983). Elle consiste à collecter des informations de manière répétée auprès
d’individus dans leur environnement naturel, à l’aide d’un outil de
télécommunication, comme un smartphone qui sonne à heures fixes, ou de
manière aléatoire, selon l’objectif de l’étude. Lorsque l’appareil sonne,
l’individu doit répondre, dans une fenêtre de temps rapide, à plusieurs
questions posées. Par exemple : compléter un petit tableau sur les
sensations et les émotions éprouvées à ce moment-là, ainsi que les pensées
associées ; noter le type d’événement qui vient de survenir et les émotions
suscitées (comportement de restriction, d’élimination, activité
physique, etc.). Grâce à cette méthode, les chercheurs ont pu identifier chez
les personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires des
particularités liées à l’effet des émotions positives en lien avec les
comportements alimentaires : plus les personnes présentaient un faible
degré de différenciation des émotions positives, plus elles avaient tendance
à recourir à des méthodes de contrôle du poids, lesquelles étaient suivies
d’une augmentation du degré d’émotion positive. Curieusement, le degré
d’émotion positive élevé prédisait également l’arrivée d’une nouvelle
conduite de restriction. Bien qu’il s’agisse d’un domaine d’étude peu
exploré, cela invite à la prudence quant aux pratiques centrées sur le
développement des émotions positives. La recommandation formulée par
les auteurs de cette étude porte ainsi sur le développement d’autres sources
générant des émotions positives chez ces personnes, ainsi qu’un travail sur
la perception des émotions positives et sur la distinction entre différentes
émotions complexes dans le but de favoriser une meilleure conscience
émotionnelle et une recherche de sources de bien-être plus diversifiées. La
prudence accordée au « simple » développement d’émotions positives
rejoint les résultats de recherche en psychologie positive ayant montré que
la poursuite du bien-être (c’est-à-dire la quête d’émotions positives) pouvait
générer des effets contre-productifs en termes de bien-être durable (Mauss,
Tamir, Anderson et Savino, 2011).

3.3 Développer un bien-être durable


3.3.1 Bonheur durable et bonheur fluctuant : le rôle des valeurs

Il existe différentes conceptualisations du bien-être (aussi appelé bonheur


par certains auteurs). Parmi celles-ci on retrouve classiquement deux
concepts étudiés (Ryan et Deci, 2001) : le bien-être hédonique (davantage
centré sur le plaisir : émotions positives, satisfaction de la vie actuelle,
Diener, 1984) et le bien-être psychologique (davantage centré sur des
dimensions existentielles telles que l’acceptation de soi, le sens de la vie, le
sentiment de compétence ; Ryff, 1989 ; pour plus de détails, voir
Shankland, 2019). Dambrun et Ricard (2011) ont également contribué à
l’identification de dimensions de bien-être pouvant être plus ou moins
stables : le bonheur appelé « durable » est caractérisé par une plus grande
stabilité de l’humeur (moins de hauts et de bas) et il apparaît comme étant
davantage fondé sur une capacité à se décentrer, à être orienté vers autrui. À
l’inverse, le bonheur appelé « fluctuant » est davantage fondé sur la quête
de bénéfices pour soi (l’auto-centration). Il apparaît comme étant davantage
dépendant des situations rencontrées et des émotions suscitées par celles-ci.
Les individus étant davantage à la recherche de gratifications personnelles
(pouvoir et réussite) sont plus enclins au bonheur fluctuant, tandis que les
personnes qui orientent leur attention et leurs actions vers des bénéfices
également utiles pour autrui, qui correspondent à des valeurs telles que la
bienveillance et l’universalisme (d’après le modèle de Schwartz, 1992),
sont plus enclines au bonheur durable (Dambrun, article en cours
d’expertise).
Dans le cadre de l’accompagnement de personnes souffrant de troubles
des conduites alimentaires, il semble donc intéressant d’identifier le type de
valeurs poursuivies, celles-ci pouvant prédire l’orientation vers un bien-être
durable ou instable. Le travail sur les valeurs proposé par la thérapie
d’acceptation et d’engagement, présentée dans la section suivante, pourrait
permettre une réorientation de l’attention vers des valeurs davantage liées à
un bien-être durable. Pour évaluer l’efficacité d’une prise en charge sur le
long terme il serait possible d’utiliser l’échelle développée par Dambrun et
ses collaborateurs (2012) présentée dans l’encadré ci-après.
Échelles de bonheur durable et fluctuant (Dambrun et al., 2012)
Bonheur durable. Veuillez répondre en utilisant l’échelle ci-dessous :
Très faible 1 2 3 4 5 6 7 Très élevé
Dans votre vie, quel est votre niveau régulier :
– de bien-être général ? 1 2 3 4 5 6 7
– de bonheur ? 1 2 3 4 5 6 7
– de plaisir ? 1 2 3 4 5 6 7
– de félicité (bonheur qui paraît complet) ? 1 2 3 4 5 6 7
– de quiétude (tranquillité d’esprit) ? 1 2 3 4 5 6 7
– de satisfaction ? 1 2 3 4 5 6 7
– de sérénité ? 1 2 3 4 5 6 7
– de déplaisir 1 2 3 4 5 6 7
– de béatitude (bonheur parfait) ? 1 2 3 4 5 6 7
– de paix intérieure ? 1 2 3 4 5 6 7
– d’épanouissement ? 1 2 3 4 5 6 7
– de joie ? 1 2 3 4 5 6 7
– de mal-être ? 1 2 3 4 5 6 7
– de calme intérieur ? 1 2 3 4 5 6 7
– de plénitude ? 1 2 3 4 5 6 7
– de malheur ? 1 2 3 4 5 6 7

Bonheur hédonique-fluctuant
Veuillez répondre en utilisant l’échelle ci-dessous :
Pas du tout d’accord 1 2 3 4 5 6 7 Totalement d’accord
Dans ma vie :
– je connais des satisfactions, mais également des insatisfactions importantes. 1 2 3 4 5
67
– les phases de plaisir que je connais laissent toujours place à des phases de déplaisir.
1234567
– mon niveau de sérénité est très variable. 1 2 3 4 5 6 7
– je connais souvent des phases d’euphorie, mais qui laissent presque toujours place à
des phases beaucoup moins exaltantes. 1 2 3 4 5 6 7
– je passe souvent de l’euphorie à la tristesse. 1 2 3 4 5 6 7
– je passe souvent à des phases de bien-être qui succèdent à des phases de mal-être. 1
234567
– mon niveau de bonheur est plutôt instable, tantôt élevé, tantôt bas. 1 2 3 4 5 6 7
– je passe souvent d’un niveau de plaisir assez élevé à un niveau de plaisir assez faible.
1234567
– je connais des alternances entre des moments de plénitude totale et des moments
beaucoup moins satisfaisants. 1 2 3 4 5 6 7
– dans la même journée, il peut m’arriver d’être tantôt joyeux, tantôt malheureux. 1 2 3 4
567
Ce questionnaire donne lieu à deux scores en additionnant les items de chacune des
sous-échelles : un score de bonheur durable et un score de bonheur fluctuant. Si l’on
identifie un score élevé de bonheur fluctuant, il pourrait être intéressant de proposer une
approche d’acceptation visant à réduire la tendance à l’évitement des émotions
désagréables. Toute émotion peut être considérée comme utile (elle apporte une
information permettant de favoriser une meilleure adaptation à la situation). En
changeant son rapport à l’émotion, on diminue la fluctuation de l’humeur. De plus, le type
de score obtenu donne également une indication sur un éventuel travail à effectuer
concernant les valeurs et les actions pouvant être mises en œuvre pour s’en rapprocher
(voir section suivante consacrée aux approches d’acceptation et d’engagement). Les
personnes en quête de plaisir ont tendance à tenter d’éviter toute émotion désagréable,
même lorsque celle-ci peut être une étape nécessaire pour arriver à un but choisi. Cette
tendance s’accompagne d’une plus grande sensibilité aux petites fluctuations
émotionnelles (comme l’on peut le voir avec les items de l’échelle de bonheur fluctuant),
alors qu’une personne davantage centrée sur ses buts de vie parvient à maintenir un
degré de bien-être plus stable, malgré les aléas du quotidien. Bien que les recherches
en psychologie positive aient montré qu’il était possible d’apprendre à réorienter
l’attention vers des aspects satisfaisants de son existence ou de la situation rencontrée,
dans le but d’améliorer le bien-être, il convient de préciser aux patients qu’il ne s’agit pas
d’éviter les émotions négatives, qui ont leur utilité. L’objectif des interventions de
psychologie positive est de permettre à l’individu de s’exposer à des situations et de
s’impliquer dans des actions susceptibles de développer un bien-être durable
(Shankland, 2016). En effet, le simple fait de croire que les événements qui procurent du
plaisir vont mener au bien-être durable entraîne une tendance à vouloir rendre ces
moments permanents en refusant qu’ils cessent, ce qui génère de l’anxiété (Wallace et
Shapiro, 2006). De même, lorsqu’on demande à des individus de vivre une expérience
en essayant d’éprouver le plus d’émotions positives possible, cela réduit l’apparition des
émotions recherchées (Schooler, Ariely et Loewenstein, 2003). Ainsi, le travail sur le
développement des émotions positives passe davantage par le développement d’autres
dimensions du bien-être telles que la bienveillance envers soi (ce qui augmente l’estime
de soi et le sentiment de compétence), l’engagement dans des activités en lien avec ses
valeurs (ce qui augmente le sens de la vie et la satisfaction par rapport à la vie) et les
compétences relationnelles (qui favorisent un bien-être social et diminuent le sentiment
de solitude).

3.3.2 Favoriser un bien-être durable

Au cours des dernières années, une conceptualisation intégrative du bien-


être a été préconisée, comprenant les dimensions favorisant
l’épanouissement de la personne (Henderson et Knight, 2012 ; Kashdan
et al., 2008 ; Keyes, 2002, 2006 ; Seligman, 2011). En focalisant les
interventions de psychologie positive sur ces dimensions, il serait possible
d’éviter les effets contre-productifs de la poursuite du bonheur évoqués ci-
dessus. Dans cette perspective, un programme appelé CARE (Compassion,
Attention, Relations, Engagement) a été développé (Shankland, Kotsou et
André, 2015). Ce programme comprend huit séances de 2 heures centrées
sur trois processus visant à améliorer le bien-être de manière durable : la
réorientation de l’attention vers les aspects satisfaisants de l’existence, le
développement de la bienveillance envers soi (compassion pour soi), et
l’engagement dans des actions prosociales. Le programme a été proposé
dans le cadre d’interventions de prévention de l’épuisement académique
chez des étudiants, de l’épuisement professionnel chez les travailleurs
sociaux et les soignants, ainsi que dans l’accompagnement de patients
atteints de troubles des conduites alimentaires. La dimension de
bienveillance envers soi apparaît comme étant particulièrement utile pour
les personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires. Ainsi, des
programmes uniquement centrés sur cette dimension ont été développés.

3.4 Thérapies centrées sur la compassion


3.4.1 La compassion pour soi

La bienveillance envers soi ou compassion pour soi (self-compassion)


consiste en une ouverture et une acceptation de ses propres limites et
difficultés en y répondant de manière attentionnée, en prenant en
considération le fait que tout être humain possède ses propres limites et
traverse des phases de turbulence (voir l’échelle de bienveillance envers soi
dans l’encadré ci-dessous). C’est ce qui a été appelé la « commune
humanité » (Neff, 2003). Par exemple, une personne qui se considère
comme étant légèrement en surpoids peut porter un jugement sévère sur soi
(« tu es incapable de suivre un régime ! »), ce qui a tendance à augmenter
ses restrictions alimentaires ainsi que ses crises d’hyperphagie. À l’inverse,
une autre personne dans la même situation peut avoir une attitude
bienveillante envers elle-même qui consiste à constater que son corps n’est
pas parfait ou pas comme elle voudrait qu’il soit, tout en prenant conscience
du fait que personne n’a le corps qu’il souhaiterait et que chacun possède
ses petits défauts. Cela n’empêche pas de s’épanouir et de développer des
relations positives avec les autres. Cette attitude prédit un fonctionnement
plus souple et une diminution des comportements alimentaires
problématiques.
Questionnaire de bienveillance envers soi (Self-Compassion Scale, Kotsou et
Leys, 2016)
Veuillez indiquer dans quelle mesure les propositions qui suivent vous décrivent
effectivement. Il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse.
En ce qui me concerne personnellement :

1 2 3 4 5 6 7

Presque
Jamais Très rarement Rarement Parfois Souvent Toujours
toujours
vrai vrai vrai vrai vrai vrai
vrai

1 2 3 4 5 6 7

1.* Lorsque j’échoue à quelque chose d’important pour


      
moi, je me juge durement.

2. J’essaye d’être compréhensif(ve) et patient(e) envers les


      
aspects de ma personnalité que je n’aime pas.

3.* Lorsque je me sens mal, j’ai tendance à me focaliser


      
sur tout ce qui ne va pas chez moi.

4.* Je suis intolérant(e) et impatient(e) à propos des


      
aspects de ma personnalité que je n’aime pas.

5.* Je suis dur(e) avec moi-même.       

6. J’accepte mes imperfections.       

7. J’observe mes difficultés/défauts avec bienveillance.       

Le score de bienveillance envers soi se calcule après avoir inversé les scores des
items 1, 4 et 5 (un score de 1 devient 7 ; 2 = 6 ; 3 = 5 ; 4 = 4 ; 5 = 3…), en additionnant
le score obtenu à chaque item. Le score total va de 7 (faible bienveillance envers soi) à
79 (grande bienveillance envers soi).

3.4.2 Les effets de la bienveillance envers soi

La compassion pour soi est associée à une meilleure image de soi, à une
plus grande satisfaction corporelle et à une moindre présence de processus
affectifs (ruminations) et cognitifs (préoccupations alimentaires) menant à
la désorganisation des conduites alimentaires (Adams et Leary, 2007 ;
Ferreira, Pinto-Gouveia et Duarte, 2011, 2013 ; Kelly, Vimalakanthan et
Carter, 2014 ; Schoenefeld et Webb, 2013 ; Wasylkiw, MacKinnon et
MacLellan, 2012 ; Webb et Forman, 2013). Adams et Leary (2007) ont
montré qu’en induisant une attitude bienveillante auprès d’une personne
ayant consommé un aliment calorique, cela diminuait sa tendance à
éprouver des affects négatifs et à en consommer une plus grande quantité
par la suite. En effet, la surconsommation alimentaire est une stratégie
utilisée pour lutter contre les affects négatifs éprouvés lors d’une première
consommation d’un aliment considéré comme « interdit » ou « à risque ».
Grâce au développement d’un dialogue intérieur bienveillant, il devient
possible d’enrayer cette dynamique.
Le développement de la compassion envers soi est associé à une
diminution de la tendance à être affecté par la pression vers la minceur (par
les médias ou par le groupe de pairs), à une réduction de l’internalisation de
l’idéal de minceur et à une diminution des troubles des conduites
alimentaires (Tylka, Russell et Neal, 2015). Moins la honte par rapport à
son corps est élevée, moins il y a de risque de conduites de restriction
(Breines, Toole, Tu et Chen, 2014). Dans une autre étude, il a été montré
que la compassion pour soi prédisait une moindre sévérité des symptômes
alimentaires chez des personnes ayant subi des traumatismes au cours de
l’enfance pouvant générer de la honte (abus sexuels). Plus la honte est
élevée, plus le trouble est sévère, tandis que la compassion pour soi
permettrait de réduire le jugement négatif sur soi, ce qui diminue le risque
de sévérité du trouble (Ferreira, Matos, Duarte et Pinto-Gouveia, 2014).
3.4.3 La thérapie centrée sur la compassion

Au vu des résultats positifs rapportés par les recherches, le développement


de cette attitude bienveillante face à soi, notamment à son corps et à son
alimentation, a ainsi été intégré à d’autres interventions thérapeutiques pour
les personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires (Gale,
Gilbert, Read et Goss, 2014). Il existe également des programmes
spécifiquement orientés vers le développement de la compassion pour soi
(Compassion Focused Therapy – CFT ; Gilbert, 2009, 2010). La thérapie
centrée sur la compassion s’avère bénéfique pour un grand nombre de
troubles psychopathologiques en raison des dimensions transdiagnostiques
sur lesquelles elle agit (l’autocritique, la honte, la culpabilité). On constate
ainsi une diminution des symptômes anxieux et dépressifs (Judge,
Cleghorn, McEwan et Gilbert, 2012). L’intérêt de cette approche a
également été mesuré auprès de populations psychotiques (Braehler, Harper
et Gilbert, 2013 ; Braehler, Gumley et al., 2013 ; Mayhew et Gilbert, 2008)
où l’on constate notamment que la compassion pour soi diminue la présence
de délires paranoïdes (Lincoln, Hohenhaus et Hartmann, 2013).
Cette forme de thérapie a également été adaptée à la prise en charge des
troubles des conduites alimentaires (Goss et Allan, 2010). Ce programme
est centré sur la régulation des affects négatifs, en particulier la honte et la
culpabilité qui génèrent et maintiennent les troubles des conduites
alimentaires, et mènent à des comportements autoagressifs associés tels que
les automutilations. Au-delà du travail sur le jugement et la compassion
pour soi et pour autrui, le programme intègre un travail sur l’analyse
fonctionnelle des comportements alimentaires, une compréhension de ces
conduites comme étant des stratégies dysfonctionnelles visant à réguler les
émotions, une approche des besoins en termes physiologiques et un travail
sur la manière d’appréhender sa vie dans une société qui promeut l’idéal de
minceur.
Les patients qui bénéficient d’une intervention permettant d’augmenter la
compassion pour soi au cours des quatre premières semaines de traitement
présentent une évolution plus rapide des conduites alimentaires après douze
semaines de suivi (Kelly, Carter et Borairi, 2014). De plus, une étude a
permis d’identifier l’impact spécifique de la partie portant sur le
développement de la compassion pour soi (Holtom-Viesel, Allan et Goss,
2014). Dans une première étape, les aspects psychoéducatifs et des
techniques cognitives et comportementales étaient proposés (analyse
fonctionnelle, compréhension des mécanismes, conseils concrets pour
diminuer les troubles des conduites alimentaires). Lors de l’évaluation
faisant suite à cette première étape, les chercheurs ont constaté une
augmentation du sentiment de honte et de l’autocritique. Dans une
deuxième étape, les thérapeutes introduisaient les pratiques visant à
développer la bienveillance envers soi. On a constaté alors une diminution
de la honte et de l’autocritique qui s’accompagnait d’une réduction des
troubles des conduites alimentaires.
La thérapie centrée sur la compassion apparaît particulièrement efficace
pour les personnes souffrant de boulimie. Cela rejoint les résultats des
études portant sur d’autres programmes qui indiquent généralement une
moindre efficacité pour les personnes souffrant d’anorexie. En analysant les
données de leur étude de plus près, Gale et ses collègues (2012) ont
constaté que les personnes du groupe souffrant d’anorexie n’avaient pas
diminué significativement leur degré d’hostilité envers elles-mêmes. Cela
impliquerait donc de renforcer cette composante dans la prise en charge.
D’autres approches ont abouti à des conclusions similaires qui ont entraîné
le développement de pratiques visant à augmenter la bienveillance envers
soi et notamment envers son corps. Cette attitude de bienveillance envers
soi est également favorisée par des approches dites « d’acceptation ».

4. L’approche centrée sur l’acceptation


et l’engagement
Le recours à des stratégies inefficaces de régulation des émotions telles
que l’évitement, la suppression et les ruminations est fréquent chez les
personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires (pour une méta-
analyse, voir Aldao, Nolen-Hoeksema et Schweizer, 2010). C’est dans cette
perspective qu’un accompagnement fondé sur l’approche d’acceptation et
d’engagement paraît prometteur. Cette approche repose sur le postulat selon
lequel la lutte contre le symptôme peut être contre-productive, car en
cherchant délibérément à réduire la douleur, l’émotion négative ou la
pensée intrusive, la focalisation des efforts sur cet objectif tend au contraire
à amplifier leur présence. La posture proposée consiste à considérer que
l’inconfort psychologique est normal ; ce qui peut être problématique est la
manière dont l’individu répond à cet inconfort (Monestès et Villatte, 2011).
L’approche d’acceptation vise à développer un mode de relation pacifié aux
expériences inconfortables, voire douloureuses, contrastant avec la
propension habituelle qui oriente l’action vers une tentative d’éradication
(Gauchet, Shankland, Dantzer, Pellissier et Aguerre, 2012).
La thérapie d’acceptation et d’engagement (Acceptance and Comitment
Therapies, ou ACT ; Hayes, Strosahl et Wilson, 1999), initiée au tournant
du vingt et unième siècle, a fait ses preuves dans l’accompagnement de
nombreux troubles tels que le stress et l’épuisement professionnel, la
dépression, les addictions et même des troubles particulièrement résistants
au changement tels que la schizophrénie (pour une revue, voir Ruiz, 2010 ;
pour une méta-analyse sur l’efficacité de l’ACT, voir Hayes, Luoma, Bond,
Masuda et Lillis, 2006). Quelques études ont porté sur l’application de
l’ACT aux personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires
(e.g. Heffner, Sperry, Eifert et Detweiler, 2002) et d’autres auteurs ont
commenté ces applications en apportant des précisions et recommandations
(e.g. Wilson et Roberts, 2002). D’après ces auteurs, la thérapie
d’acceptation et d’engagement est particulièrement indiquée dans le cas de
chronicisation des troubles en raison du travail effectué sur
l’assouplissement du fonctionnement (flexibilité psychologique). Ils mettent
l’accent sur l’importance d’un travail portant sur les valeurs, la défusion
cognitive, l’engagement et l’empowerment (sentiment d’avoir le pouvoir
d’agir sur sa vie).

4.1 Développer la flexibilité psychologique


Le concept de flexibilité psychologique est issu de l’approche
comportementale contextuelle, ou contextualisme fonctionnel (Hayes,
1993), qui représente la capacité de moduler ses comportements en fonction
du contexte et des buts poursuivis. D’après une définition récente proposée
par Monestès (2016), la flexibilité psychologique correspond au fait de
disposer d’un répertoire comportemental varié, d’être attentif aux
contingences de ces comportements (stimuli discriminatifs et conséquences
à court et à long terme), et d’être capable de mobiliser ces comportements
en fonction des buts correspondant aux valeurs de l’individu. L’étendue du
répertoire comportemental détermine ainsi l’adaptabilité de l’individu et,
par-là, une meilleure santé mentale.
La flexibilité est qualifiée de « psychologique » car elle ne comprend pas
uniquement les comportements perceptibles par autrui, mais également les
événements internes (pensées, émotions, sensations). La flexibilité
psychologique correspond à la possibilité de répondre de manière variée à
ces événements psychologiques (Monestès, 2016). Le manque de flexibilité
est considéré comme étant impliqué dans l’ensemble des troubles
psychopathologiques (Boulanger, Hayes et Pistorello, 2010). Dans l’ACT, le
manque de flexibilité psychologique est conceptualisé comme étant le
produit de six sous-processus :
– l’évitement d’expériences aversives ;
– la difficulté à prendre de la distance par rapport à ses pensées (fusion
cognitive) ;
– le manque d’attention portée à l’instant présent (pleine conscience) ;
– la difficulté à changer de perspective (à se décentrer) ;
– le manque de définition claire de ce qui est valorisé par le sujet (valeurs) ;
– le manque d’action en direction de ce qui est valorisé par le sujet
(engagement).
La flexibilité psychologique prédit une plus grande efficacité des prises en
charge thérapeutiques, ainsi qu’un meilleur état de santé et de bien-être
(Kashdan et Rottenburg, 2010). Il apparaît donc essentiel de développer des
méthodes favorisant une plus grande flexibilité psychologique en travaillant
sur différents processus. L’ACT apparaît comme l’une de ces approches
étant donné le travail proposé sur l’acceptation des expériences (dans le but
de réduire le recours systématique à l’évitement), la défusion cognitive et la
prise de perspective, les valeurs et l’engagement dans des actions en lien
avec celles-ci, le tout pouvant être favorisé par des pratiques de pleine
conscience qui favorisent la mise en œuvre de ces processus.

4.2 Les valeurs en toile de fond


Dans le cadre de l’ACT, des aspects considérés comme centraux sont
travaillés (valeurs, engagement, défusion) dans un ordre et à un rythme
dépendant du patient. Certains auteurs tels que Wilson et Roberts (2002)
insistent sur l’importance d’aborder la question des valeurs dès la première
séance pour des personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires
dans le but de favoriser l’empowerment : il est essentiel que l’individu sente
que le thérapeute cherche à lui redonner les rênes tout en l’aidant à trouver
dans quelle direction il souhaite aller. Lorsque le patient consulte, il s’est en
quelque sorte embourbé. L’objectif n’est pas de lui prescrire une reprise de
poids, mais de l’aider à retrouver dans quelle direction il souhaite s’orienter
afin qu’il puisse trouver par lui-même des moyens efficaces de sortir de
l’enlisement. Il s’agit donc d’élargir la palette de moyens permettant d’aller
dans la direction choisie. L’accompagnement est ainsi guidé par les valeurs
de la personne et non par la recherche de nouveaux moyens de tenir à
distance des émotions et des pensées désagréables. Ainsi, dès le début de
l’accompagnement, le thérapeute ne propose pas au patient de choisir un
comportement à faire disparaître, mais l’encourage à choisir la direction
dans laquelle aller, en modifiant son attitude par rapport au comportement
présenté comme problématique : un même comportement peut être
bénéfique et adapté dans certaines situations et ne pas l’être dans d’autres.
Si le patient décide de faire un pas en direction d’une reprise de poids parce
que cela lui permettra d’avancer progressivement vers la mise en œuvre
d’actions importantes pour lui telles que pratiquer une profession qui
corresponde à ses valeurs, la motivation sera plus importante que s’il tente
de reprendre du poids avec la reprise pondérale comme seul objectif en tête.
De plus la perspective transdiagnostique proposée par l’ACT oriente
davantage l’accompagnement vers la compréhension des processus
permettant un mieux-être plutôt que vers la diminution d’un symptôme en
particulier.

4.3 Acceptation n’est pas résignation


Le paradoxe de l’ACT, comme pour la pratique de pleine conscience,
réside dans le fait que l’évitement systématique des sources de désagrément
– appelé évitement expérientiel (Hayes, Wilson, Gifford, Follette et
Strosahl, 1996) – génère, à terme, plus de mal-être, tandis que l’acceptation
expérientielle augmente le bien-être (e.g. Ciarrochi, Kashdan, Leeson,
Heaven et Jordan, 2011). Ce constat contraste avec les idées véhiculées par
notre culture qui consistent à orienter les individus vers une quête
permanente de bien-être entraînant un refus de vivre des expériences
coûteuses, même lorsqu’elles pourraient nous rapprocher de nos objectifs
de vie. L’ACT propose d’avancer dans le sens de ce qui est important,
quelles que soient les émotions et les pensées difficiles qui apparaissent. La
lutte contre les états aversifs est perçue comme une façon de gaspiller son
énergie. La recherche de tentatives de contrôle des événements mentaux
aversifs constitue davantage un problème que l’événement mental lui-
même. Cette recherche de contrôle s’avère soit inefficace, soit coûteuse en
énergie (Dionne, Ngö et Blais, 2013). Si l’on cesse de lutter contre ces
pensées et ces émotions, l’on peut davantage s’investir dans ce qui est
important pour soi. Ainsi, l’acceptation (des émotions, des pensées) n’est
pas une forme de résignation, mais une façon de s’engager sans se laisser
enfermer par des peurs éventuelles. Il ne s’agit pas non plus de ne plus avoir
peur. Au contraire, la peur est très utile pour nous protéger des dangers.
L’objectif est d’élargir la palette des réponses possibles à une situation.
Lorsque le patient se trouve face à un aliment et évoque la peur de prendre
du poids, habituellement cette peur entraîne une obligation d’éviter
l’aliment (comportement de restriction). Si le patient peut percevoir que
cette peur existe, mais que plusieurs comportements sont possibles, il peut
choisir parmi ces différentes réponses celle qui lui paraît la plus adaptée
(manger ou non) en regard de la direction qu’il a choisi de prendre
(reprendre du poids dans le but d’améliorer son état de santé et de reprendre
les activités qu’il considère comme importantes pour lui). L’engagement
dans des actions permettant à l’individu de sentir qu’il avance dans la
direction souhaitée est un renforçateur essentiel. La mesure de l’acceptation
et de l’engagement s’effectue le plus souvent en utilisant l’échelle AAQ-2
(Acceptance and Action Questionnaire, version 2 ; Bond et al., 2011 ;
validation française Monestès, Villatte, Mouras, Loas et Bond, 2009). Il est
à noter qu’une version a été récemment adaptée à l’image du corps : Body
Image Acceptance and Action Questionnaire (en cours de validation
française ; Monestès et al., voir encadré ci-après).
AAQ-2 (Bond et al., 2011 ; validation française Monestès et al., 2009)
Voici une liste d’affirmations. Merci d’évaluer à quel point chaque affirmation est vraie
pour vous en entourant le chiffre qui correspond à votre réponse.

1 2 3 4 5 6 7

Presque
Jamais Très rarement Rarement Parfois Souvent Toujours
toujours
vrai vrai vrai vrai vrai vrai
vrai

1. Mes expériences et mes souvenirs douloureux me gênent


pour conduire ma vie comme il me tiendrait à cœur de le 1 2 3 4 5 6 7
faire.

2. J’ai peur de mes émotions. 1 2 3 4 5 6 7

3. J’ai peur de ne pas être capable de contrôler mes 1 2 3 4 5 6 7


inquiétudes et mes émotions.

4. Mes souvenirs douloureux m’empêchent de m’épanouir


1 2 3 4 5 6 7
dans la vie.

5. Les émotions sont une source de problèmes dans ma vie. 1 2 3 4 5 6 7

6. J’ai l’impression que la plupart des gens gèrent leur vie


1 2 3 4 5 6 7
mieux que moi.

7. Mes soucis m’empêchent de réussir. 1 2 3 4 5 6 7

Pour calculer le score d’acceptation et d’engagement, il suffit d’additionner le chiffre


entouré à chaque item. Plus le score est faible, plus le degré d’acceptation et
d’engagement est élevé. Après une thérapie d’acceptation, ce score est donc amené à
diminuer. C’est-à-dire que l’individu aura moins tendance à considérer les expériences
difficiles comme des obstacles qui l’empêchent d’avancer dans la direction souhaitée,
mais plutôt comme des événements réels ou mentaux qui font partie de son chemin.

Questionnaire d’acceptation et d’action – image du corps BI-AAQ (Sandoz, Wilson,


Merwin et Kellum, 2013 ; traduction française par Monestès, Villatte, Simon et
Cheval)
Voici une liste d’affirmations. Entourez le chiffre qui vous correspond le mieux. Par
exemple, si vous pensez qu’une des affirmations est toujours vraie pour vous, entourez
le chiffre 7.

1 2 3 4 5 6 7

Presque
Jamais Très rarement Rarement Parfois Souvent Toujours
toujours
vrai vrai vrai vrai vrai vrai
vrai

Mes préoccupations à propos de mon poids me gênent pour


1 2 3 4 5 6 7
vivre la vie que j’aimerais vivre.

J’accorde trop d’importance à mon poids et à mon apparence


1 2 3 4 5 6 7
physique.

Je me renferme sur moi-même quand je me sens mal à cause


1 2 3 4 5 6 7
de mon poids ou de mon apparence physique.

Mes pensées et mes émotions relatives à mon poids et à mon


apparence physique doivent changer avant que je puisse 1 2 3 4 5 6 7
prendre des décisions importantes dans ma vie.

Mes préoccupations à propos de mon corps me prennent trop


1 2 3 4 5 6 7
de temps.

Si je commence à me sentir gros(se), j’essaie de penser à 1 2 3 4 5 6 7


autre chose.
Pour pouvoir me lancer dans de vrais projets, je dois d’abord
1 2 3 4 5 6 7
me sentir mieux à propos de mon corps.

Je contrôlerais mieux ma vie si je pouvais contrôler mes


1 2 3 4 5 6 7
pensées négatives concernant mon corps.

Pour contrôler ma vie, je dois contrôler mon poids. 1 2 3 4 5 6 7

Le fait de me sentir gros(se) crée des problèmes dans ma vie. 1 2 3 4 5 6 7

Quand je commence à penser à mon poids et à la forme de


1 2 3 4 5 6 7
mon corps, il m’est difficile de faire autre chose.

Mes relations avec les autres seraient meilleures si mon poids


1 2 3 4 5 6 7
ou la forme de mon corps ne me tracassaient pas.

Pour calculer le score d’acceptation et d’action par rapport à l’image du corps, il suffit
d’additionner le chiffre entouré pour chaque item. Plus le score est faible, plus le degré
d’acceptation et d’engagement est élevé.

4.4 La défusion cognitive


Lorsqu’une personne affirme « Je déteste être grosse », si elle adhère à
cette pensée comme s’il s’agissait d’une donnée objective, cela entraîne une
conduite de restriction. En formulant la phrase de la manière suivante :
« J’ai eu la pensée : je déteste être grosse », cela replace l’événement
cognitif dans son contexte (une pensée qui survient dans le champ de la
conscience et qui n’est qu’une pensée). Cette tournure de phrase, bien
qu’elle paraisse artificielle, favorise la prise de distance, aussi appelée
défusion (Forman et al., 2012) ou décentration (Fresco, Segal, Buis et
Kennedy, 2007), permettant à la personne de moins s’identifier à ses
pensées et à ses émotions (voir échelle de décentration dans l’encadré ci-
après). Dans la thérapie ACT l’on fait référence au « soi comme contexte »,
c’est-à-dire comme contexte accueillant des émotions, des sensations, des
pensées qui transitent, mais qui ne sont pas la personne. Le travail de
défusion cognitive paraît pertinent au regard des biais cognitifs tels que la
fusion pensée-forme évoquée plus haut qui consiste à considérer que le
simple fait de penser à un aliment entraîne une prise de poids, ce qui va
entraîner des affects négatifs perturbant l’individu au point qu’il ne lui sera
plus possible de poursuivre l’activité dans laquelle il s’était engagé (voir le
questionnaire de fusion cognitive dans l’encadré ci-après).
Par le travail de défusion cognitive, d’acceptation et d’engagement dans
des actions en lien avec ses valeurs, l’ACT apparaît comme une approche
qui favorise le développement de la flexibilité psychologique telle que
définie précédemment. En effet, elle permet d’étendre la palette de réponses
possibles à une situation donnée, sans se laisser enfermer dans des réactions
automatiques liées à la crainte d’éprouver une émotion désagréable ou liée
aux croyances générées par des pensées considérées comme des faits.
Lorsque ce type d’approche est pratiqué en groupe, cela facilite d’autant
plus la prise de perspective et la défusion cognitive que l’on prend
conscience de la diversité des manières de vivre une même expérience,
ainsi que de la multiplicité des réponses possibles face à une situation
donnée.
Les approches innovantes présentées ci-dessus nécessitent une implication
importante du patient. En raison de l’ambivalence face au changement
identifié plus spécifiquement chez les patients anorexiques, l’approche
motivationnelle telle que développée par Miller et Rollnick (2006) constitue
un appui pertinent de l’accompagnement thérapeutique. Dans le cadre de
cette approche, l’ambivalence du patient n’est pas considérée comme un
frein, mais comme le cœur de la thérapie, c’est-à-dire que les échanges
entre patient et thérapeute centrés sur cette ambivalence constituent un outil
favorisant la prise de conscience, l’introspection, l’exploration et
l’engagement vers un processus de changement (pour plus de détails, voir
Treasure et Schmidt, 2008).
Les nouvelles approches évaluées dans le champ de la prise en charge des
troubles des conduites alimentaires apparaissent prometteuses. Toutefois, en
raison de la chronicisation de ces troubles dans plus de la moitié des cas
(Treasure et al., 2015), la question de la prévention demeure centrale.
Questionnaire de fusion cognitive (Gillanders et al., 2013 ; traduction et validation
française Dionne et al., 2014a, 2014b, 2016)
Voici une liste d’affirmations. Merci d’entourer le chiffre qui vous correspond le mieux.

6
1 2 3 4 5 7
Presque
Jamais Très rarement Rarement Parfois Souvent Toujours
toujours
vrai vrai vrai vrai vrai vrai
vrai
1. Mes pensées me font souffrir ou me rendent triste. 1 2 3 4 5 6 7

2. Je suis tellement pris(e) par mes pensées que je suis


1 2 3 4 5 6 7
incapable de faire les choses que je veux vraiment faire.

3. J’analyse trop les situations au point que cela devient


1 2 3 4 5 6 7
inutile pour moi.

4. Je lutte contre mes pensées. 1 2 3 4 5 6 7

5. Je m’agace moi-même d’avoir certaines pensées. 1 2 3 4 5 6 7

6. J’ai tendance à être très pris par mes pensées. 1 2 3 4 5 6 7

7. Je dois lutter énormément pour laisser tomber mes


pensées désagréables, même si je sais bien que cela 1 2 3 4 5 6 7
m’aiderait.

Pour calculer le score de fusion cognitive il suffit d’additionner le chiffre entouré à chaque
item. Plus le score est élevé, plus la tendance à la fusion cognitive est importante. Après
une thérapie d’acceptation, ce score est appelé à diminuer.
Chapitre 5
Prévention des troubles
des conduites alimentaires
Sommaire
1. Interventions de prévention
2. Développement des programmes de prévention des troubles
du comportement alimentaire
Le terme « prévention » vient du latin praevenire, qui signifie « prendre
les devants, anticiper ». La prévention consiste donc à anticiper des
phénomènes qui risqueraient d’entraîner des problèmes de santé physique
ou mentale et à produire un changement de comportement en faveur d’une
réduction du nombre et de la gravité des troubles. La santé physique
concerne le fonctionnement de l’organisme, les premiers programmes de
prévention se sont donc principalement intéressés à des maladies telles que
le cancer ou les problèmes cardiovasculaires. Aujourd’hui, la prévention de
l’obésité devient une priorité en termes de santé physique. La définition de
la santé mentale est plus complexe. D’après l’Organisation mondiale de la
Santé (OMS), la santé mentale est considérée comme un état de bien-être
dans lequel l’individu peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la
vie, accomplir un travail productif et fructueux, et contribuer à la vie de sa
communauté. Selon l’OMS, plus d’un quart des individus souffrent ou
souffriront de troubles psychiques durant leur vie. L’objectif principal de la
prévention des troubles de santé mentale est ainsi d’enrayer les dynamiques
qui mènent à l’émergence de processus d’inadaptation, et donc de réduire
l’apparition de souffrances comme la dépression, l’anxiété, les troubles du
comportement alimentaire… Ainsi, afin d’augmenter l’efficacité des actions
de prévention, on devrait s’appuyer sur les résultats des recherches qui
apportent une meilleure compréhension des processus pathologiques et des
éléments à l’origine de ces processus, et s’appuyer sur les travaux issus du
champ de la psychologie positive portant sur les facteurs protecteurs (Piran,
2015).
Des progrès importants ont été observés dans le champ de la prévention
des troubles des conduites alimentaires, qui ont abouti aujourd’hui à des
programmes permettant de diminuer de manière efficace plusieurs facteurs
de risque tels que l’insatisfaction corporelle et la recherche de minceur (voir
la méta-analyse de Stice, Shaw et Marti, 2007).

1. Interventions de prévention
1.1 Typologie des actions
La prévention comprend trois formes : prévention primaire, prévention
secondaire et prévention tertiaire. Cette terminologie est encore
fréquemment utilisée, mais tend progressivement à être supplantée par une
nouvelle catégorisation, que nous présenterons parallèlement : prévention
universelle, prévention sélective et prévention indiquée. La prévention
primaire a pour objet de réduire l’incidence d’un trouble au sein de la
population générale, c’est-à-dire de diminuer le nombre de nouveaux cas.
Les moyens les plus fréquemment utilisés sont l’éducation et l’information
sanitaire. Dans le cadre de la prévention primaire, la nouvelle catégorisation
distingue la prévention universelle, qui vise à modifier les attitudes et
comportements de la population générale au travers d’interventions
destinées à tous comme la réglementation des lieux autorisant la
consommation tabagique ou la vente d’alcool, et la prévention sélective, qui
cible une population dite « à risque ». Dans le cas des troubles des
conduites alimentaires il serait recommandé de cibler les jeunes ayant une
faible estime de soi et une forte insatisfaction corporelle, par exemple. La
prévention secondaire, ou indiquée, vise à éviter l’aggravation et la
chronicisation des troubles au sein d’une population donnée, notamment en
favorisant le diagnostic et la prise en charge précoce. Ainsi, dès l’apparition
des premiers signes de contrôle du poids excessif par exemple
(vomissements, prise de laxatifs…), il s’agit de proposer une intervention
adaptée permettant d’éviter l’aggravation et la chronicisation du trouble.
Enfin, la prévention tertiaire – qui fait partie du traitement – vise à
optimiser la qualité de vie des personnes atteintes de troubles chroniques en
évitant l’apparition d’autres troubles associés, et à diminuer le risque de
rechutes. Elle comprend ainsi des interventions ayant pour objet de
promouvoir une réinsertion scolaire, familiale, professionnelle en accord
avec les possibilités de l’individu.
1.1.1 Stratégies d’intervention
L’on distingue plusieurs types de stratégies d’interventions qui peuvent se
combiner entre eux. Les stratégies répressives visent à contrôler les
comportements à travers des contraintes exercées sur la population
(interdictions). Il existe des stratégies informatives dont le but est de
transmettre des messages afin de modifier les comportements par la
sensibilisation (associant information et dissuasion, comme on peut
l’observer dans les campagnes publicitaires sur la prévention de l’obésité),
la persuasion ou la manipulation (utilisation de techniques propres à la
psychologie sociale comme l’engagement ou la dissonance cognitive). On
distingue également les stratégies éducatives, qui visent à développer des
compétences et habiletés permettant de renforcer l’autonomie et les
capacités d’action des individus. Cela peut s’effectuer à travers un travail
d’affirmation de soi, de développement des stratégies d’adaptation ou
encore des capacités de prise de décision. Enfin, les stratégies intégratives
cherchent à renforcer les interactions et à augmenter la capacité des
individus et des groupes à agir en créant des liens solidaires et des espaces
d’initiatives. Ces deux dernières formes de stratégie s’orientent ainsi
davantage vers un modèle de promotion de la santé. Selon l’OMS, la
promotion de la santé est le processus qui permet aux populations
d’améliorer leur propre santé en leur donnant les moyens de mieux la
contrôler. L’axe principal consiste à encourager les ressources et les
compétences individuelles en prenant en compte l’environnement
économique, social et politique.

1.2 Modèles de prévention


Les recherches portant sur la prévention primaire des troubles des
conduites alimentaires peuvent être réparties en trois principaux paradigmes
(Rousseau et Knotter, 2007). Le premier modèle est celui des voies
spécifiques conduisant vers une insatisfaction corporelle et, de ce fait,
potentiellement vers un trouble alimentaire (Desease-Specific Pathways
Model, ou DSP). La connaissance de ces voies permettrait donc de réduire
les facteurs de risque en amont du problème. Les travaux de Killen (1996),
par exemple, ont visé la réduction des préoccupations des jeunes
adolescents concernant leur poids à travers le développement d’habiletés
sociales et de mécanismes cognitifs et comportementaux tels que le
modeling (imitation non consciente d’attitudes et de comportements
considérés comme positifs) ou l’auto-observation des comportements de
santé. L’objectif de Killen était ainsi de promouvoir les comportements de
santé et de réduire les comportements et les croyances dysfonctionnels liés
à l’apparence physique.
Le deuxième modèle est celui du stress en tant que facteur de vulnérabilité
non spécifique (Nonspecific Vulnerability Stressor Model, ou NVS).
Quantité d’études ont révélé un lien entre les troubles de santé mentale, le
stress, la présence de stratégies d’adaptation dysfonctionnelles et le manque
de soutien social. Les chercheurs postulent que le développement de
facteurs de résilience (soutien social, utilisation de stratégies de coping
adaptées…) devrait permettre une prévention efficace des troubles de
l’adolescent, et notamment des troubles des conduites alimentaires. Ces
programmes de prévention peuvent donc inclure des ateliers d’affirmation
de soi, de résolution de problèmes, de prise de décision, de relaxation… En
effet, les études actuelles dans le champ de la prévention et de la promotion
de la santé semblent mettre en avant la supériorité de l’efficacité des
méthodes centrées sur le développement des compétences transversales par
rapport à celles qui portent sur la réduction de risques spécifiques.
Le troisième modèle est celui de l’« empowerment relationnel », c’est-à-
dire l’augmentation du sentiment de compétence relationnelle. Il provient
essentiellement des travaux de Piran (1999), fondés sur une explication
féministe des troubles des conduites alimentaires. L’objectif est de donner
aux femmes les moyens de sentir qu’elles peuvent être à l’origine de leurs
propres choix, notamment en ce qui concerne leur apparence physique, au
lieu que les normes leur soient dictées par les médias et les représentations
collectives. Les actions proposées à partir de ce modèle ont pour objet
principal de mettre les jeunes filles en relation avec d’autres femmes plus
âgées pour partager $et$ s’inspirer de modèles de rôles différents,
permettant de développer un rapport apaisé à son corps et de réduire les
troubles de l’image du corps.
Les interventions fondées sur le modèle DSP centrées uniquement sur la
transmission d’informations concernant l’alimentation et les effets néfastes
du contrôle du poids ont des effets contre-productifs. En revanche, des
études ont montré que les programmes de prévention intégratifs faisant
appel au DSP et au NSV avaient des conséquences positives à court terme,
non seulement sur les connaissances, mais aussi sur l’acceptation de soi et
sur les comportements alimentaires en faveur d’une bonne santé.

1.3 Efficacité des interventions


D’après Nové-Josserand (2018), les premières interventions de prévention
universelle des troubles du comportement alimentaire étaient centrées sur la
transmission d’informations à propos des facteurs de risque socioculturels
ou biologiques de ces troubles. Puis, les approches interventionnelles se
sont développées, fondées sur les principes des thérapies cognitives et
comportementales dans le but de modifier les cognitions négatives à propos
du corps et du poids, réduire les tendances aux ruminations à propos de
l’apparence physique, ainsi que les émotions et comportements induits par
ce type de pensées (Chithambo et Huey, 2017). L’éducation aux médias
s’est développée en parallèle dans le but de promouvoir la pensée critique
face aux standards de beauté et de minceur irréalistes présentés dans les
médias (Richardson, Paxton et Thomson, 2009 ; McLean, Wertheim,
Marques et Paxton, 2017). D’autres interventions ont porté sur le principe
de la dissonance cognitive, dans le but de favoriser la réduction des
croyances personnelles portant sur l’idéal de minceur comme facteur de
réussite, en exposant les participantes à des activités allant à l’encontre de
cet idéal de minceur (par exemple écrire à une revue de mode en leur
expliquant les problèmes que peut générer sur les lectrices le fait de
présenter des photographies de mannequins très minces).
Pour déterminer la validité d’une intervention, plusieurs critères sont pris
en compte. Une première étape consiste à démontrer l’efficacité (efficacy)
de l’intervention dans des conditions contrôlées (comparativement à un
groupe contrôle actif de préférence). La deuxième étape consiste à évaluer
l’efficacité en condition réelle (effectiveness), c’est-à-dire dans un contexte
où des professionnels sont formés sur le terrain et dispensent l’intervention
en dehors du contexte d’un laboratoire de recherche. Enfin, la troisième
étape concerne l’efficacité de la dissémination de l’intervention (broad
dissemination). Il s’agit alors de vérifier la viabilité du programme dans la
durée, en tenant compte de la formation des professionnels, de
l’implantation dans différents contextes, de manière à assurer une pérennité
de l’intervention en l’absence de chercheurs.
Plusieurs revues systématiques des recherches et méta-analyses portant sur
les programmes de prévention des troubles du comportement alimentaire
ont été réalisées récemment (Le, Barendregt, Hay et Mihalopoulos, 2017 ;
Watson et al., 2016). Il en ressort que l’éducation aux médias semble être la
plus efficace en prévention universelle, tandis que les interventions faisant
appel à la dissonance cognitive sont plus efficaces en prévention sélective
(voir aussi la revue de la littérature réalisée par Saoudi, 2017). Toutefois,
peu d’études longitudinales ont été menées jusqu’à présent. Ainsi, seules les
études portant sur les interventions fondées sur la dissonance cognitive ont
montré des effets bénéfiques maintenus jusqu’à 3 ans après l’intervention.
À partir des revues systématiques et méta-analyses portant sur les
programmes de prévention des troubles du comportement alimentaire, il est
possible de dégager les principes généraux permettant d’augmenter
l’efficacité des interventions de prévention.
1.3.1 Prévention sélective et ciblée

Les recherches dans le champ de la prévention révèlent qu’un programme


de prévention universelle sera moins efficace qu’un programme ciblé sur
des populations à risque. Un même type de programme aura des effets plus
positifs s’il est implémenté sur une population à risque de troubles du
comportement alimentaire (métiers à risque, insatisfaction corporelle,
diabète…). Les auteurs suggèrent donc que les programmes en direction des
filles, et particulièrement des adolescentes, seraient plus efficaces.
Cependant, ce résultat s’explique, en partie, en raison du fait que les
personnes présentant de faibles risques ont une moindre marge d’évolution
positive à la suite du programme, en comparaison des sujets à risque. Il est
également essentiel d’adapter le programme en fonction de la culture. Un
programme qui s’avère efficace dans certains pays n’apportera pas
nécessairement les mêmes bénéfices dans un autre. Un programme
international réalisé aux États-Unis et en Italie (Wiseman et al., 2004) a
révélé des différences significatives entre les deux pays, les adolescentes
italiennes étant les seules à avoir réduit leur score de recherche de minceur
lors du post-test. Les auteurs expliquent notamment la moindre efficacité
aux États-Unis en raison de la plus grande pluralité ethnique au sein de
l’échantillon. En effet, chaque culture véhiculant ses propres représentations
du rapport au corps et de l’apparence physique, il est nécessaire d’adapter le
type d’intervention en fonction des problématiques propres au public
destinataire.
1.3.2 Interactivité dans la durée
Les programmes interactifs ont fait preuve d’une plus grande efficacité
que les interventions didactiques. L’implication des participants augmente
la possibilité de modification des comportements, en raison de facteurs
motivationnels, mais aussi en raison de processus psychologiques plus
complexes qui seront détaillés ci-dessous, faisant référence aux théories de
l’engagement et de la dissonance cognitive. D’autre part, les interventions
uniques (une séance d’une heure) sont considérées comme insuffisantes
pour produire un changement d’attitude ou de comportement. La répartition
des séances sur plusieurs semaines permet aux participants de réfléchir
entre deux sessions, d’approfondir leur compréhension, de questionner
l’intervenant, favorisant l’internalisation des composantes du programme.
Au niveau du contenu, les interventions informatives sont moins efficaces
que celles centrées sur l’acquisition ou l’amélioration de compétences
(gestion du stress, développement des capacités de communication, etc.).
1.3.3 Formation des intervenants

Le type d’intervenant joue également un rôle dans l’efficacité du


programme. En effet, les intervenants spécialisés (éducateurs de santé,
psychologues, addictologues…) sont formés à la complexité des facteurs
impliqués dans les troubles et à l’utilisation de la dynamique de groupe. De
plus, étant amenés à reproduire une même intervention à plusieurs reprises,
ils sont à même d’améliorer en permanence leur action. En effet, on
constate que lors de la mise en œuvre d’un nouveau programme, la
première réalisation est souvent moins efficace que celles qui suivent, les
intervenants devant disposer d’un temps d’adaptation et d’intégration des
différents éléments du programme en lien avec le public concerné.

1.4 Risques et limites des programmes de prévention


Un certain nombre d’études portant sur l’évaluation des programmes de
prévention des troubles alimentaires ou d’autres problématiques comme la
question du suicide ou de l’abus de substances psychoactives ont montré les
effets contre-productifs des programmes de prévention portant sur le trouble
lui-même (voir Mann et al., 1997). Un certain nombre de points peuvent
engendrer ou aggraver un trouble alimentaire comme le fait de citer des
moyens de contrôle du poids (vomissements, prise de diurétiques,
tabagisme…). En effet, certains jeunes en recherche de maîtrise de leur
poids et de leur alimentation ne connaissent pas encore bien les différentes
techniques pouvant être utilisées. D’autres auteurs soulignent que ce type de
programme peut provoquer une augmentation des préoccupations
corporelles en initiant une prise de conscience de l’idéal sociétal de
minceur, et donc de la demande implicite faite par la société de
correspondre à cet idéal de maîtrise et de minceur. Certains auteurs
indiquent même que lorsque l’on évoque le nom de célébrités ayant eu des
troubles alimentaires, cela rend le trouble attractif pour les jeunes, ce qui
comporte un risque d’identification au modèle proposé ; en témoignent les
nombreuses tentatives de suicide après celui du chanteur Kurt Cobain.
Enfin, le fait de venir parler des troubles alimentaires peut développer la
croyance que cette pathologie est très répandue, ce qui produirait une
banalisation des comportements en question.
Un autre axe pouvant produire des effets négatifs dans les interventions
centrées sur la nutrition concerne le développement de peurs liées à la
nourriture. En effet, les informations concernant les aliments présentant un
risque pour la santé contribuent à répandre l’idée que la nourriture peut être
dangereuse pour soi, entraînant une représentation dichotomique entre
aliments « bons » et aliments « mauvais » qui se rapproche de la
catégorisation entre « autorisés » et « interdits » que l’on retrouve dans les
troubles alimentaires. Cette peur, de même que celle liée à la prise de poids,
peut être largement véhiculée lorsque l’éducateur de santé en est lui-même
victime, ce qui est fréquent parmi les femmes. O’Dea et Abraham (2001)
ont également mis en évidence un certain nombre de conseils inappropriés
tels que suivre des régimes de manière stricte ou demander des conseils au
pharmacien concernant les produits facilitant la perte de poids. Certains
éducateurs de santé deviendraient alors des modèles néfastes pour les
jeunes, puisqu’ils renforceraient le modèle édicté par la société qu’il s’agit
précisément de critiquer afin de réduire l’insatisfaction corporelle des
adolescents. Ainsi, la formation des intervenants du champ de la prévention
est essentielle. Elle permet non seulement aux éducateurs de prévention de
posséder les connaissances nécessaires sur les différents comportements et
maladies concernés, mais aussi de travailler sur leurs propres
représentations et sur leur positionnement en tant que professionnels. Il
serait également particulièrement utile de proposer des programmes de
prévention universelle à destination des familles, car certaines pratiques
liées à l’alimentation (alimentation utilisée comme récompense) ou au corps
(remarques récurrentes liées à l’apparence physique) représentent des
facteurs de risque de problématiques alimentaires.

2. Développement des programmes de


prévention des troubles du comportement
alimentaire
2.1 Des actions aux effets contrastés
Les premières formes d’action de prévention s’inspiraient du modèle
comportemental en ayant recours à la transmission d’informations sur la
nutrition, sur les effets négatifs des restrictions alimentaires et de l’obésité,
sur l’impact de la pression sociale vers la minceur… Or ces travaux
d’information pédagogique se sont avérés inefficaces pour deux raisons
principales : le manque de travail sur les cognitions dysfonctionnelles et
l’effet de fascination exercé par ces informations pour des jeunes en quête
d’identité et parfois en situation de mal-être recherchant des moyens de le
gérer. Un certain nombre d’auteurs mettent en exergue le risque incitatif des
interventions. Au cours de la dernière décennie, de nombreux nouveaux
programmes de prévention des troubles des conduites alimentaires ont été
développés dans une perspective différente des premiers programmes qui
s’étaient avérés inefficaces, voire incitatifs. Cependant, sur l’ensemble des
programmes rapportés dans les méta-analyses, très peu ont fait l’objet
d’études randomisées contrôlées. D’autre part, l’évaluation des programmes
est parfois réalisée à court terme uniquement, ce qui reste insuffisant, voire
risqué pour déterminer leur efficacité. En effet, un programme proposé par
Carter et ses collègues (1997) à destination de cinquante jeunes filles âgées
de 13 et 14 ans dans deux collèges anglais a révélé des résultats inattendus.

Le programme consistait en huit sessions de 45 minutes à raison d’une période par


semaine. L’intervention, qui s’intégrait au curriculum régulier des étudiantes, contenait
une variété de méthodes éducatives et offrait des informations sur les thèmes suivants :
pressions socioculturelles exercées sur les femmes quant à leur poids et à leurs formes
corporelles, image corporelle et estime de soi, régulation du poids et effets des jeûnes et
des régimes, développement et caractéristiques des troubles des conduites alimentaires
et méthodes de résistance aux messages en faveur des régimes. Ces séances
d’information s’accompagnaient de techniques cognitives et comportementales. Dans le
premier volet, on initiait les jeunes filles aux facteurs cognitifs propres aux troubles
alimentaires et à leurs processus de maintien.
La principale intervention comportementale impliquait que les étudiantes notent dans un
journal d’auto-observation ce qu’elles mangeaient (période de deux semaines). Le but
de l’exercice était d’identifier et de changer leurs habitudes alimentaires et, plus
précisément, leurs comportements de restriction alimentaire. Le programme incluait un
enseignement didactique et des exercices en groupe (jeux de rôles, discussions). Malgré
la richesse de ce projet pilote, les résultats suggèrent que la prévention peut être contre-
productive à long terme : les facteurs de risque de troubles alimentaires ont diminué
dans un premier temps (régimes, peur de la prise de poids…), mais, après six mois, les
comportements de restriction ont été plus fréquents qu’avant l’implantation du
programme.

Les résultats des études sont parfois contradictoires en raison de


différences méthodologiques d’une part, et sans doute d’un manque de
connaissances de l’ensemble des facteurs en jeu dans l’efficacité des actions
d’autre part. Ainsi, avec un programme de prévention universelle
comportant une transmission didactique concernant le contrôle du poids et
les risques liés aux troubles des conduites alimentaires, l’incidence de ce
type de comportement a été diminuée dans la population expérimentale
(Neumark-Sztainer et al., 1995). À l’inverse, certains programmes
d’éducation aux médias se sont montrés efficaces lors d’une première
évaluation et sans effet lors de la réplication du projet. D’autres travaux
sont donc attendus pour asseoir les fondements de l’efficacité de ces
interventions. Il existe cependant certains projets qui se sont montrés
particulièrement efficaces comme les programmes d’induction de
dissonance cognitive.

2.2 Induction de dissonance cognitive


L’équipe de Stice s’est intéressée au développement d’autres méthodes de prévention
présentant une efficacité en termes de changement d’attitude et de comportement dans
une population à risque de troubles des conduites alimentaires (jeunes filles ayant une
forte insatisfaction corporelle), ainsi qu’en population générale dans les établissements
scolaires. L’objectif du programme était de réduire le risque actuel ou futur de troubles
du comportement alimentaire (anorexie et boulimie) et de surpoids. L’intervention était
constituée de 4 séances d’une heure en groupe (6-8 participants), à raison d’une séance
par semaine sur un mois, centrée autour de la remise en cause de l’idéal sociétal de
minceur. Étant donné qu’il était demandé aux filles de fournir des arguments allant à
l’encontre de cet idéal, il était supposé qu’elles y souscriraient moins par la suite, ce qui
entraînerait une réduction importante du risque de trouble alimentaire. Ainsi, des
exercices verbaux, écrits et comportementaux réalisés pendant et entre les séances ont
eu pour objet de produire une dissonance cognitive réduisant l’intériorisation de l’idéal de
minceur et orientant les participantes vers l’intégration d’un idéal de santé. Il n’était pas
fait mention des troubles alimentaires en eux-mêmes par l’animateur du groupe (tout
type d’éducateur ou de soignant formé au programme), étant donné que l’apport
d’informations sur les problèmes aurait un effet contre-productif.

La théorie de la dissonance cognitive élaborée par Festinger a montré son


efficacité en termes de changement d’attitudes et de comportements dans
nombre de recherches. Cette théorie postule que si un individu réalise
librement des actions non conformes à ses croyances, cela produira une
remise en question de ses croyances produisant un conflit interne ou une
« dissonance cognitive ». Il s’agit donc de produire cette dissonance en
réalisant des actions ou en développant des arguments allant à l’encontre de
l’idéal de minceur véhiculé par les médias.
Des thérapies utilisant la dissonance cognitive ont été utilisées notamment
pour le sevrage tabagique (thérapies motivationnelles) et font partie des
seuls moyens connus aujourd’hui dans le champ de la prévention
permettant un réel changement de comportement. Le Projet corporel,
élaboré par Stice et ses collaborateurs, s’appuie sur son « modèle de la
double voie » (Dual Pathway Model ; voir Stice, 2002). Il s’agit d’un
modèle étiologique fondé sur une synthèse des modèles socioculturels
(impact de la société occidentale), physiologiques (effets de la privation
alimentaire) et émotionnels (comportement utilisé en tant que régulateur des
émotions). Ainsi, le modèle postule que les risques sont accrus par les
conduites de régimes et l’affectivité négative, ces éléments étant d’ailleurs
en interaction (effet de la privation sur l’humeur, etc.).
2.2.1 Efficacité de l’induction de dissonance
Ce programme a été évalué par cinq laboratoires de recherche
indépendants à travers 12 études empiriques (voir Stice et al., 2008).
L’efficacité a été mesurée à travers des questionnaires autorapportés portant
principalement sur les comportements alimentaires, les affects négatifs et
l’insatisfaction corporelle. En résumé, les résultats de la plupart de ces
études montrent que, comparativement aux groupes témoins (groupes
n’ayant pas de séances ou ayant des séances d’information et de conseil sur
l’alimentation, selon l’étude réalisée), les groupes tests ont présenté une
réduction de l’intériorisation de l’idéal de minceur, de l’insatisfaction
corporelle, des affects négatifs et des symptômes boulimiques. L’ensemble
de ces résultats est resté stable après un mois, 6 mois, un an, mis à part
l’affectivité négative, qui ne différait pas du groupe témoin dès le mois
suivant. Il est à noter que les réplications du programme sans formation
préalable (en utilisant simplement le manuel fourni) ou proposant des
modifications minimes ont présenté la même efficacité, toujours supérieure
à d’autres formes d’intervention ne faisant pas appel à la dissonance
cognitive. Le programme peut ainsi être proposé en 4 séances d’une heure
ou en 2 séances de deux heures ; il peut être animé par un seul ou plusieurs
intervenants.
Une recherche longitudinale menée par Stice et ses collaborateurs (2008)
sur 3 ans portant sur le Projet corporel et le Programme de développement
d’un poids adapté pour la santé (Healthy Weight Program) comportant trois
séances d’une heure présente des effets durables des deux programmes,
avec une réduction de 60 % des risques de troubles des conduites
alimentaires et de 55 % des risques d’obésité par rapport au groupe témoin
n’ayant bénéficié d’aucune intervention. Il est à noter que le Programme de
développement d’un poids adapté à la santé avait d’abord été conçu comme
un programme contrôle mais qui, au vu de son efficacité, a été ensuite
étudié à part, comme un programme efficace à part entière (Burton et Stice,
2006). Ce qui différencie ce programme des techniques cognitivo-
comportementales est qu’il ne s’intéresse pas à la remise en question de
l’idéal de minceur, mais propose de remplacer les comportements à risques
par des comportements de santé. Ainsi, ce programme réduit le risque
d’obésité et de troubles des conduites alimentaires en portant
principalement l’attention sur la mise en place de comportements de
contrôle du poids adaptés. Ce type d’action est uniquement efficace auprès
d’une population à haut risque de troubles alimentaires. Sa réalisation en
population générale pourrait, au contraire, avoir un effet incitatif.
Bien que ces deux programmes aboutissent à des résultats similaires sur le
long terme, les médiateurs supposés avoir un impact sur le changement de
comportement sont différents (Stice et al., 2007). En effet, le Projet
corporel produit des effets moindres sur l’adoption de comportements de
contrôle du poids adaptés, tandis que le Programme de développement d’un
poids adapté à la santé présente de moindres effets en termes de réduction
de l’internalisation de l’idéal de minceur. L’intégration de certains conseils
de contrôle du poids adapté permettrait peut-être d’augmenter encore
l’efficacité du Projet corporel.
Ainsi, les résultats de ces études montrent que le Projet corporel est
également efficace en termes de réduction du risque de surpoids, ce qui est
particulièrement intéressant pour la mise en œuvre de ces interventions
auprès d’un large public. Le Projet corporel est donc adapté en prévention
universelle ou en prévention sélective. Outre les éléments positifs de ce
programme, il semble nécessaire de prendre en considération le fait que les
émotions négatives ne peuvent pas être traitées efficacement par des
interventions de très courte durée. D’autres actions pourraient donc être
proposées en complément du fait de l’importance de l’affectivité négative
sur nombre de comportements à risque chez l’adolescent notamment.
2.2.2 La prévention par les pairs

La prévention par les pairs a connu un développement important au cours


de la dernière décennie en raison de la faible efficacité mesurée lors des
interventions de type informatif, surtout lorsqu’elles possédaient un
caractère moralisateur. La prévention par les jeunes pour les jeunes a
semblé un moyen intéressant d’éviter le décalage entre les représentations
d’adultes plus âgés et celles des jeunes par rapport à un comportement
donné. Ainsi, des jeunes pouvaient être formés à l’animation de groupes et
aux connaissances liées aux comportements à risque, tout en adaptant
ensuite leur discours et leur façon d’interagir à leur groupe de pairs. Dans le
cadre de la prévention des troubles des conduites alimentaires, le Projet
corporel a été testé en tant que programme de prévention par les pairs. En
effet, son efficacité avait été prouvée lorsqu’il avait été administré par
différents types de professionnels. Becker et ses collègues (2006) se sont
donc intéressés à l’efficacité d’actions de prévention réalisées par les pairs.
Les groupes expérimentaux ont été comparés à des groupes témoins
bénéficiant d’une éducation aux médias et de contenus proches de ceux du
groupe expérimental, mais ne mettant pas en jeu la dissonance cognitive
liée à l’idéal de minceur. Les deux types d’intervention ont engendré une
réduction de l’insatisfaction corporelle et des troubles du comportement
alimentaire, mais seuls les résultats du Projet corporel se sont maintenus à
8 mois. De plus, lors d’une réplication de l’étude, il a été possible de
montrer l’efficacité de ces deux types d’intervention pour une population à
haut risque, mais seul le Projet corporel s’est montré utile auprès d’une
population à faible risque, donc en tant que programme de prévention
universelle. Ces résultats indiquent ainsi que l’animation de ces groupes
peut être réalisée de manière efficace par des jeunes pour leur groupe de
pairs.

2.3 L’usage d’Internet et l’éducation aux médias


2.3.1 Programmes de prévention par Internet

Au vu de l’évolution des pratiques des jeunes avec l’utilisation accrue


d’Internet comme ressource informationnelle et comme moyen de
communication, ce média est emprunté dans le cadre de programmes de
soins (guides d’autothérapie) et de prévention des troubles des conduites
alimentaires. L’un de ces programmes, le Student Bodies (voir Winzelberg
et al., 2000), a été évalué à plusieurs reprises et semble efficace dans la
prévention de l’anorexie et de la boulimie. Il est présenté comme un
programme d’information sur la nutrition, l’exercice physique et les
régimes, et comme visant la réduction de l’insatisfaction corporelle. Il se
déroule sur 8 semaines et comprend des échanges par courriel à la demande
du sujet. Certaines études se sont intéressées à l’effet additionnel de la
participation à des forums de discussion avec ou sans modérateur. De même
que les amis proches ont un impact sur les comportements de santé, la
communication par Internet avec d’autres personnes concernées par un
trouble du comportement alimentaire peut avoir un effet incitatif (voir
Zabinski et al., 2003). Pourtant, l’étude de Low et de ses collègues (2006)
montre que les effets du programme Student Bodies sont les plus positifs
chez les utilisateurs ayant participé à des forums sans clinicien modérateur.
D’autres études sont nécessaires pour affiner ces constats, étant donné que
plusieurs recherches parviennent à des conclusions inverses.
2.3.2 Éducation aux médias
Parmi les facteurs ayant un impact sur le développement des troubles des
conduites alimentaires, le rôle de l’idéal social de minceur largement diffusé
par les médias est souvent incriminé. Pourtant, seul un faible pourcentage
des femmes développent un trouble du comportement alimentaire avéré.
Des recherches se sont donc développées concernant l’impact des médias
sur l’insatisfaction corporelle et les troubles alimentaires. Harrison (1997)
s’est intéressée au temps d’exposition à la télévision (où le modèle de
minceur est très prégnant), mais celui-ci n’expliquerait que 5 % de la
variance des scores à l’EAT, tandis que le fait de s’intéresser aux régimes et
à l’exercice physique en lisant des magazines expliquerait 31 % de la
variance. Il importe donc de comprendre plus en détail comment se produit
l’intériorisation de l’idéal de minceur en fonction d’autres facteurs non
reliés au temps d’exposition à la télévision.

Turner et ses collaborateurs (1997) ont mené une étude expérimentale auprès
d’étudiantes sur l’image du corps.
Avant la passation des questionnaires autorapportés, les participantes pouvaient se
trouver dans l’une des deux situations suivantes : soit elles restaient dans une salle
d’attente comportant quatre magazines de mode, soit elles attendaient dans une salle
comportant quatre revues d’actualité. Les résultats montrent que 80 % des étudiantes
ayant feuilleté les magazines de mode rapportaient une moindre satisfaction corporelle,
une plus grande culpabilité après avoir mangé et une peur plus importante de grossir.
Cette étude révèle donc le rôle des médias dans la formation de l’idéal de minceur et va
à l’encontre de l’idée que les médias ne seraient que le reflet d’un idéal social déjà
présent chez chaque individu.

Les adolescentes et jeunes adultes ayant déjà une faible estime de soi et
une faible satisfaction corporelle sont particulièrement sensibles à la
présentation de figures féminines fines et attractives dans les médias. Il
s’agit donc d’une population à risque de troubles des conduites
alimentaires. Des interventions de prévention favorisant la mise en œuvre
de comparaisons sociales descendantes plutôt qu’ascendantes pourraient
améliorer l’image du corps et l’estime de soi de ces personnes.
Afin de réduire l’impact des médias, des interventions d’éducation aux
médias ont été menées dans différents domaines. Les recherches menées par
Austin et ses collègues (1997) ont mis en avant les changements d’attitudes
et de comportements des jeunes par rapport à l’alcool grâce à l’éducation
aux médias. Ces interventions visaient à faciliter la compréhension des
mécanismes de persuasion utilisés et à déjouer les moyens de rendre
réalistes les images produites à la télévision. Plusieurs programmes se sont
inspirés de ce modèle d’intervention pour l’appliquer au champ des troubles
des conduites alimentaires. Irving, DuPen et Berel (1998) ont mesuré
l’efficacité d’une intervention pour 24 lycéennes portant sur le type de
question suivant : les femmes réelles ressemblent-elles aux modèles
présentés dans les publicités ? En achetant le produit présenté dans la
publicité, cela me permettra-t-il de ressembler au mannequin ? Est-ce que la
minceur garantit le bonheur ? Cette intervention d’une séance a permis de
réduire l’intériorisation de l’idéal de minceur et d’augmenter le regard
critique face aux médias par rapport au groupe témoin n’ayant bénéficié
d’aucune intervention.
2.3.3 Prévention universelle en classes élémentaires

Les programmes spécifiques de prévention des troubles des conduites


alimentaires en école primaire sont très rares. Pourtant, il s’agit de la
période où la prévention primaire est réellement possible étant donné que
l’idéal corporel n’est pas encore façonné. À l’inverse, les interventions
réalisées auprès d’un public adolescent ont pour rôle de modifier un idéal
déjà établi. Il semble donc intéressant de proposer des interventions
participant à la construction d’un idéal de santé qui permettrait d’éviter
l’intériorisation de l’idéal de minceur véhiculé par les médias. Plusieurs
axes peuvent être développés pour cela. Le premier est un axe non
spécifique aux troubles des conduites alimentaires qui consiste à développer
les capacités de gestion des émotions étant donné que les émotions
négatives sont corrélées à l’apparition de troubles alimentaires. Un
deuxième axe concerne la remise en cause du modèle de minceur en
proposant une éducation aux médias dès l’école primaire. Un troisième axe
porte sur l’éducation à la diversité afin de réduire l’expression de critiques
et de jugements, notamment à l’égard des enfants en surpoids. En effet, ce
type de remarques constitue un facteur de risque de déclenchement de
troubles du comportement alimentaire.
Le programme Eating smart, Eating for me (Smolak et al., 1998) est un
exemple type de programme de prévention primaire universelle. Il s’adresse
à des enfants d’école primaire, âgés de 9 à 11 ans, et comprend 10 séances
d’environ 40 minutes visant à améliorer les connaissances en matière de
nutrition, à encourager une meilleure hygiène de vie par la pratique
d’activités physiques adaptées et à réduire les régimes ou autres pratiques
de contrôle du poids néfastes pour la santé, à augmenter la satisfaction
corporelle notamment par le biais d’une critique des influences
socioculturelles propagées par les médias (culte de la minceur,
stigmatisation du surpoids, etc.). Malgré l’amplitude des thématiques
abordées, les études révèlent une efficacité limitée en termes de
changements d’attitude et de comportement, bien que l’on observe une
amélioration des connaissances dans le domaine nutritionnel et des
modifications physiologiques propres à la puberté. En effet, si les
programmes portent uniquement sur la réduction des facteurs de risque, ils
ne pourront être pleinement satisfaisants. Il apparaît nécessaire de
développer des compétences transversales permettant de faire face de
manière adéquate aux difficultés rencontrées au cours de la vie. Il importe
donc de s’orienter davantage vers le développement des facteurs de
promotion de la santé tels que l’apprentissage de stratégies de résolution de
problèmes et de gestion des émotions et des relations.

2.4 Développement du sentiment de compétence


Outre les représentations véhiculées par les médias, d’autres éléments
culturels semblent déterminants dans l’augmentation des troubles du
comportement alimentaire. Les transformations du rôle de la femme au sein
d’une société semblent être liées à une augmentation de l’incidence de ces
problématiques (Nasser, 1997). Le travail sur le développement du
sentiment de compétence et du pouvoir d’agir chez les femmes
(empowerment) et le développement des compétences psychosociales
constitueraient des facteurs protecteurs face aux changements culturels. Par
ailleurs, les recherches portant sur le phénomène d’acculturation dans les
pays occidentaux montrent que les changements de structuration et
d’interactions familiales ont un impact sur l’incidence des troubles
alimentaires. L’importance de la protection et du contrôle maternel sur
l’enfant augmenterait le risque de troubles (Lee, 1995).
Sans revenir sur les théories systémiques, un travail sur les interactions
familiales, et/ou auprès des équipes éducatives dans les établissements
scolaires pourrait donc favoriser une réduction des risques. En effet, les
comportements problématiques surviennent majoritairement à un âge où les
jeunes sont amenés à devoir prendre des décisions par rapport à leur avenir,
à gérer davantage de responsabilités, à devenir plus indépendants. Or, les
capacités de prise de décision et d’autonomie sont développées de manière
insuffisante dans certaines familles et dans certains systèmes scolaires. Le
faible sentiment d’efficacité personnelle face à ces nouvelles tâches
augmenterait ainsi le niveau d’anxiété et de mal-être chez le jeune. Ceci
pourrait être réduit de manière efficace par la mise en place d’interventions
visant le développement de compétences psychosociales. En effet, l’absence
de développement de ce type de compétences est présentée par nombre de
recherches comme une des explications de la faible efficacité des
interventions réalisées dans le cadre de la prévention des troubles de
l’adolescent.

2.5 Prévention sélective chez les jeunes


2.5.1 Relation aux pairs et image du corps au collège

Les pairs constituent une sous-culture particulièrement prégnante au cours


de l’adolescence pouvant augmenter ou réduire le risque de troubles
alimentaires. Plus de 40 % des filles au collège déclarent discuter de
l’apparence, du poids et des régimes avec leurs amies (Levine et al., 1994).
Ces discussions participent au développement de la croyance selon laquelle
l’apparence est le facteur de réussite sociale et relationnelle fondamental.
Bien qu’il y ait rarement une incitation directe à la poursuite d’un régime,
près de la moitié des filles de 14 ans disent avoir reçu des conseils de leurs
amies concernant le contrôle du poids. De plus, les attitudes et
comportements des amis proches s’influencent mutuellement : la
satisfaction corporelle et les comportements alimentaires (régimes, accès
boulimiques, etc.) sont corrélés entre amis, et la perception de l’intérêt porté
par ses amis à un idéal de minceur influence la poursuite de régimes chez la
jeune fille. Bien qu’il soit difficile de déterminer si les attitudes sont une
cause du rapprochement relationnel ou une conséquence de celui-ci, un
intérêt particulier devrait être porté aux interventions portant sur les groupes
de jeunes dans le cadre de la prévention, notamment la prévention sélective
comme les interventions proposées aux danseuses classiques.
Un programme de prévention sélective à destination d’une population de
femmes à haut risque de troubles alimentaires a ainsi été développé par
Bearman, Stice et Chase (2003), s’appuyant sur des techniques cognitivo-
comportementales. L’objectif de cette intervention de quatre heures est de
promouvoir la satisfaction corporelle, notamment en procédant à une
désensibilisation systématique afin de réduire l’anxiété liée à l’image du
corps. La désensibilisation consiste à proposer aux personnes de prendre
l’habitude de se regarder dans le miroir par exemple, sans rechercher les
défauts et sans se juger, simplement s’habituer à voir son corps tel qu’il est.
En effet, les personnes qui ont un niveau d’insatisfaction corporelle élevé
ont tendance à éviter de se regarder, de peur de découvrir un défaut de plus.
Or, les recherches montrent que plus l’on regarde une image ou un objet,
plus il aura tendance à être jugé positivement. Les auteurs du programme de
prévention sélective ont donc souhaité vérifier si l’exposition fréquente à
l’image de son propre corps permettait de réduire la tendance à le percevoir
négativement. Les résultats de ce programme montrent une réduction
durable de l’insatisfaction corporelle (évaluation à 6 mois). Toutefois, les
affects négatifs et les comportements boulimiques ont été réduits seulement
sur une période inférieure à 6 mois. Ainsi, d’autres pratiques pourraient être
associées à ce programme pour en augmenter l’efficacité.
2.5.2 Un programme pour les filles

S’appuyant, en partie, sur les théories féministes des troubles des


conduites alimentaires, certains programmes sont proposés aux filles à
partir de la puberté pour faciliter leur transition vers le statut de femmes.
D’après ces théories, les jeunes filles seraient davantage enclines à tenter de
correspondre aux demandes externes afin de se sentir acceptées et
appréciées. Ainsi, au moment de la puberté, l’augmentation de la masse
adipeuse n’étant pas en cohérence avec l’idéal sociétal de minceur, elles
risquent de considérer qu’elles ne sont plus acceptables ni aimables. Des
groupes de discussion ouverts ont été proposés durant quatre ans (de 10 à
14 ans) pour favoriser l’expression de ces émotions, perceptions et
expériences féminines dans le but de permettre aux filles de prendre
conscience que d’autres vivant des situations similaires. Les animatrices du
groupe travaillent sur l’histoire des participantes en mettant en avant la
trajectoire proprement féminine, qui est parfois négligée ou rejetée par
l’environnement social. Le travail porte essentiellement sur les pensées
automatiques (« je suis grosse », « je suis bête », etc.), le développement
des compétences relationnelles et l’acceptation du corps de femme dans le
but de réduire le risque de troubles du comportement alimentaire. Seule une
évaluation qualitative de ce programme a été réalisée. Les participantes ont
rempli une fiche précisant les éléments utiles du projet et les changements
produits en elles. L’évolution principale rapportée par les filles concerne le
développement de leur affirmation de soi.
2.5.3 Le sport de haut niveau

Une des approches de la prévention consiste à cibler des groupes


particulièrement à risque, comme les jeunes filles pratiquant des sports
comme la danse classique ou encore dans les métiers du mannequinat. On
retrouve une forte prévalence des conduites de restriction dans ces milieux
ainsi que la valorisation prégnante de l’idéal de minceur. Piran a développé
une série de projets sur plusieurs années, destinés aux danseuses de ballet
ayant pour objet de réduire l’obsession du poids, la restriction alimentaire et
d’améliorer l’estime de soi. Les premières évaluations de ces programmes
montrent des effets positifs à court terme sur les attitudes envers la
nourriture et l’image du corps, mais peu d’effets sur le comportement
alimentaire lui-même. Cependant, des évaluations plus récentes révèlent
une efficacité en termes de réduction de l’incidence des troubles cliniques et
subcliniques (troubles de l’image du corps, insatisfaction corporelle, etc.)
au sein de l’école de danse concernée (Piran et al., 1999). De plus, le
personnel de cette école s’est investi progressivement dans une
modification du suivi des élèves et une transformation des modèles
proposés dans le monde de la danse classique.
2.5.4 Le diabète
Le diabète insulinodépendant est une maladie chronique qui débute
souvent au cours de l’enfance ou de l’adolescence et concerne environ
0,3 % des jeunes, avec une répartition égale selon les sexes. En raison des
recommandations proposées pour la gestion du diabète comme la poursuite
d’un régime strict et la possibilité de manipulation de l’insuline en tant que
stratégie de contrôle du poids, les auteurs suggèrent un risque accru de
troubles des conduites alimentaires dans cette population. Au sein de cette
population, l’insatisfaction corporelle pourrait être augmentée en raison de
la prise de poids occasionnée par l’insulinothérapie. De plus, la difficulté à
identifier les sensations pourrait être accentuée par l’obligation du maintien
des repas à heure fixe, sans prise en compte des sensations de faim. On
constate ainsi qu’un pourcentage non négligeable d’adolescentes ont
recours à la réduction de l’utilisation d’insuline comme moyen de contrôle
du poids (13-36 % selon les études). Les risques encourus par ces patientes
sont plus importants que pour les autres personnes souffrant de troubles des
conduites alimentaires en raison des complications médicales du diabète.
Les conséquences apparaissent donc de manière rapide et les
hospitalisations sont beaucoup plus fréquentes. Une étude randomisée
contrôlée a permis d’évaluer l’efficacité d’un programme en six séances à
destination de ce type de patientes (Colton et al., 1999). Comparativement
au groupe contrôle ayant bénéficié d’interventions de gestion du diabète, le
groupe psychoéducatif visant à réduire l’internalisation de l’idéal de
minceur et à modifier la perception des prescriptions sociales en matière
d’apparence s’est montré efficace. Les chercheurs ont constaté une
réduction des comportements de restriction alimentaire et d’hyperphagie
incontrôlée qui perdurait 6 mois après l’intervention.

2.6 De nouvelles perspectives inspirées de la


psychologie positive
Bien que certains programmes de prévention centrés sur les facteurs de
risque des troubles des conduites alimentaires se soient montrés efficaces,
cette efficacité reste modérée (Stice, Becker et Yokum, 2013). Les
approches centrées sur les facteurs protecteurs pourraient offrir un
complément utile à ces interventions (Tchanturia et al., 2015). Parmi celles-
ci, Piran et Teall (2012) ont développé un modèle intégratif (présenté au
chapitre 2) appelé théorie développementale de l’embodiment. Cette théorie
prend en compte les dimensions sociales et sociétales impliquées dans la
qualité du rapport positif à son corps et encourage l’intervention à de
multiples niveaux. En envisageant le changement sur un plan systémique,
cela permettrait d’aboutir à une prévention plus efficace que si elle était
uniquement centrée sur des facteurs individuels. S’appuyant sur ce modèle,
des actions de prévention pourraient porter sur quatre domaines
d’intervention :
1. attitude bienveillante à l’égard de soi et des autres (compassion et
autocompassion) permettant de réduire la tendance à la critique répétitive
négative à propos de soi et des autres ;
2. soins et plaisirs liés au corps ;
3. affirmation de soi et remise en cause des stéréotypes et standards de
beauté véhiculés par les médias ;
4. promotion de nouvelles normes sociales et développement de contextes
favorables aux expériences positives non reliées à l’apparence physique.
Si les deux derniers domaines ont déjà été développés par le biais des
travaux s’appuyant sur le modèle de l’empowerment inspiré du féminisme,
les deux premiers domaines constituent un nouvel axe de recherche fondé
sur les travaux issus de la psychologie positive. Les travaux menés sur la
thérapie centrée sur la compassion sont prometteurs et permettraient de
développer de nouvelles perspectives d’intervention dans le champ de la
prévention.
2.6.1 La bienveillance envers son corps

La tendance à prendre soin de son corps est favorisée par l’attitude


bienveillante (aussi appelée compassion pour soi). La compassion pour soi
comprend une dimension de prise de conscience de l’expérience vécue, qui
s’accompagne d’une attention bienveillante envers soi et de la capacité à
remettre l’expérience en perspective : toute personne peut être amenée à
faire l’expérience d’un échec ou d’une émotion négative (cela a été appelé
« commune humanité »). Cette attitude envers soi protège des effets
délétères de la comparaison sociale (se trouver plus gros, plus petit, plus
ridé qu’autrui). Dans une expérimentation réalisée auprès de 263 femmes
(moyenne d’âge de 35 ans), Homan et Tylka (2015) ont montré que chez les
personnes ayant un niveau élevé de compassion pour soi, la comparaison
physique n’affectait pas l’image positive qu’elles avaient d’elles-mêmes,
tandis que les personnes avec un faible degré de compassion pour soi
s’évaluaient ensuite de manière moins positive. Dans une autre étude menée
en ligne auprès de 435 femmes, Tylka, Russel et Neal (2015) ont également
montré que la compassion pour soi diminuait la tendance à être affecté par
la pression des médias vers la minceur, et réduisait l’internalisation de
l’idéal de minceur, ainsi que les troubles des conduites alimentaires. La
compassion pour soi constituerait donc un facteur protecteur pouvant être
développé par le biais d’interventions de psychologie positive ou de pleine
conscience telles que celles présentées au chapitre précédent. Pour
confirmer l’intérêt de ce facteur protecteur, des études longitudinales sont
encore nécessaires.
2.6.2 L’alimentation intuitive

En ce qui concerne les plaisirs liés au corps, la capacité de manger pour le


plaisir (et sans honte ni culpabilité) est associée à une diminution des
risques de troubles des conduites alimentaires, de même qu’à un degré plus
élevé de bien-être comme le montrent les travaux portant sur l’alimentation
dite « intuitive ». Avec l’avènement de la psychologie positive, les
chercheurs spécialisés dans les troubles des conduites alimentaires ont
cherché à identifier ce à quoi pourrait correspondent une conduite
alimentaire « optimale » ou « adaptative », en complément de
l’identification des troubles des conduites alimentaires. C’est à partir de ce
questionnement que la définition de l’alimentation intuitive a vu le jour.
L’alimentation intuitive fait référence à la capacité de s’alimenter en
fonction de ses besoins physiologiques, en réponse aux signaux de faim et
de satiété, en s’autorisant toutes les catégories d’aliments ainsi que le plaisir
de manger (Tylka, 2006). L’alimentation intuitive est considérée comme un
mode d’alimentation sain, caractérisé par une compréhension et par une
réponse adaptées aux signaux physiologiques internes de faim et de satiété,
et moins dépendante de la situation et des émotions. Elle s’accompagne
d’un faible degré de préoccupation alimentaire. Cela contraste avec les
troubles des conduites alimentaires, qui sont essentiellement générés par
des déclencheurs émotionnels ou contextuels, et dans le cadre desquels les
individus sont davantage déconnectés des besoins et des signaux corporels
liés à l’alimentation. L’alimentation intuitive est liée à une meilleure
appréciation de son corps (respect, acceptation, satisfaction) et favorise le
bien-être (Tylka, Calogero et Danielsdottir, 2015). Comme cela a été montré
pour d’autres dimensions étudiées dans le champ de la psychologie positive,
l’alimentation intuitive n’est pas simplement l’absence de troubles des
conduites alimentaires. Il s’agit bien d’un mode de relation à son corps et à
la nourriture qui constitue un facteur protecteur concernant l’ensemble des
conduites alimentaires. Ainsi, des programmes visant à développer
l’alimentation intuitive semblent prometteurs.
2.6.3 L’image du corps positive

En parallèle de ces travaux sur l’alimentation intuitive, des chercheurs se


sont intéressés à l’identification d’une représentation corporelle positive
(qui contraste avec l’insatisfaction corporelle). Cette représentation positive
comprend plusieurs dimensions (pour une synthèse, voir Tylka et Wood-
Barcalow, 2015). La première concerne l’appréciation corporelle qui porte
sur une appréciation globale, en lien avec la fonctionnalité, l’unicité et la
santé. Le fait de porter son attention sur ce que le corps peut permettre de
faire et sur ce qu’il représente d’unique favorise une meilleure appréciation
de celui-ci (Wood-Barcalow Tylka et Augustus-Horvath, 2010), de même
que l’appréciation de la diversité physique favorise une meilleure
appréciation de son corps (Holmqvist et Frisén, 2012 ; Pope, Corona et
Belgrave, 2014). La deuxième dimension concerne l’acceptation et la
bienveillance envers son corps. Une étude qualitative a montré que les
jeunes femmes ayant une image positive de leur corps avaient ceci de
particulier qu’elles valorisaient davantage l’aspect unique de leur corps
plutôt que de tenter de se conformer à un idéal sociétal (Wood-Barcalow
et al., 2010). De plus, elles portent davantage d’attention aux aspects
qu’elles apprécient qu’aux imperfections, ce qui rejoint les travaux de
psychologie positive portant sur la gratitude et l’appréciation des
dimensions satisfaisantes du quotidien. De même les individus ayant une
image positive de leur corps orientent davantage leur attention vers les
compliments concernant leur corps, que vers les critiques.
La troisième dimension porte sur une conception de la beauté comme étant
plus vaste que les caractéristiques physiques. Par exemple, la confiance en
soi ou les émotions positives contribuent à augmenter la beauté d’un
individu. Wood-Barcalow et ses collaborateurs (2010) rapportent que les
jeunes femmes ayant une image positive de leur corps considèrent que la
beauté est davantage liée au fait de parvenir à être soi-même, plutôt que de
se conformer à un modèle. La quatrième dimension porte sur le fait de
prendre soin de son apparence en lien avec ce qui permet à l’individu de se
sentir bien. Il ne s’agit donc pas de tenter de rentrer dans des habits trop
serrés ou de chercher à cacher des aspects que l’on n’apprécie pas, mais
plutôt de mettre en valeur ce que l’on apprécie. Ainsi, les personnes ayant
une image corporelle positive ne négligent pas l’apparence physique, mais
ne cherchent pas à éliminer des traits spécifiques (cela rejoint la dimension
d’acceptation). Bien que de nombreux travaux se soient intéressés
récemment à la question de l’image corporelle positive, d’autres études
longitudinales et expérimentales permettront de caractériser plus
précisément les bénéfices spécifiques de ce facteur en termes de prévention
des troubles des conduites alimentaires.
De nouvelles pistes associant plusieurs formes de pratiques et
d’interventions ont été envisagées. Ainsi, Scime et Cook-Cottone (2008)
ont intégré la pratique du yoga à un programme de prévention primaire en
milieu scolaire destiné à diminuer les facteurs de risques tels que la pression
vers la minceur et l’insatisfaction corporelle. Cette première étude menée
auprès de 144 jeunes filles de CM2 (environ 10 ans) s’est avérée efficace en
termes de réduction de l’insatisfaction corporelle, ainsi que des symptômes
boulimiques. À la suite de cette étude, le programme a été modifié pour
donner lieu à la publication d’un manuel pour le programme réparti sur
14 semaines intitulé « Le développement des filles dans le bien-être et
l’équilibre : yoga et compétences psychosociales pour le développement du
pouvoir d’agir » (Girls Growing in Wellness and Balance : Yoga and Life
Skills to Empower ; Cook-Cottone, Kane, Keddie et Hauqli, 2013). Pour
mesurer les bénéfices spécifiques du yoga, il serait nécessaire de comparer
ce programme avec et sans pratique de yoga. Ainsi, bien que des pistes
prometteuses soient proposées, davantage de recherches sont nécessaires
pour déterminer les bénéfices spécifiques du yoga en termes de prévention
des troubles des conduites alimentaires.
Activités physiques et plaisir
Le rapport positif à son corps peut également être développé par le biais d’activités
physiques favorisant le plaisir et le bien-être. Cela contraste avec les tendances
observées chez certaines personnes pour qui l’activité physique a comme unique
objectif de perdre des calories. En général, ce type d’activité s’accompagne d’un degré
moins élevé de plaisir et d’un degré plus élevé de contrainte. Par exemple, toute prise
alimentaire doit être suivie d’une quarantaine d’abdominaux. Cette tendance au contrôle
du poids est associée à un moindre plaisir de manger et à pratiquer une activité
physique. De plus, le fait de contraindre son corps à réaliser une activité physique
intensive entraîne une augmentation de la tendance à consommer par la suite, ce qui se
répercute sur le désir de contrôle du poids. L’individu entre alors en lutte contre son
corps qui appelle la nourriture (sensation de faim), alors que l’on vient de chercher à
éliminer des calories (pour plus de détails, voir Desmurget, 2015). En termes de
prévention, l’orientation des jeunes vers des activités physiques plaisantes, non
compétitives et dans lesquelles la tenue vestimentaire n’est pas centrée sur la saillance
des formes physiques constituerait un levier intéressant. Des pratiques telles que le
yoga sont un moyen de développer une relation plus attentionnée et positive à son
corps.

La pratique du yoga en prévention


Des recherches portant sur les effets bénéfiques du yoga ont montré son impact
favorable sur la santé physique, le bien-être, la diminution des symptômes anxieux et
dépressifs, et l’amélioration de l’estime de soi. Plus récemment, des études contrôlées
randomisées auprès de personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires ont
montré une diminution des troubles (Carei, Breuner et Fyfe-Johnson, 2007 ; Carei, Fyfe-
Johnson, Breuner et Brown, 2010 ; McIver, O’Halloran et McGartland, 2009), ainsi
qu’une augmentation de la satisfaction et de la conscience corporelle, une meilleure
capacité de répondre aux signaux corporels, une diminution de l’auto-objectification
(impression que son corps est un objet), et l’amélioration des capacités d’autorégulation
(Dittmann, Freedman, Beddoe et Waldrop, 2008 ; Daubenmier, 2005). Des études
qualitatives ont également mis en évidence des effets de la pratique du yoga sur des
facteurs protecteurs tels que le sentiment de compétence et le pouvoir d’agir
(empowerment), ainsi qu’un rapport plus positif à la nourriture et à son corps (Boudette,
2006 ; McIver, McGartland et O’Halloran, 2009). Toutefois, il est à noter qu’une autre
étude, réalisée auprès de 93 femmes, mesurant l’efficacité d’interventions sur la
réduction de la recherche de minceur, a montré que le yoga n’apportait pas
d’amélioration supérieure à celle du groupe contrôle, contrairement à l’intervention
fondée sur la dissonance cognitive (Mitchell, Mazzeo, Rausch et Cooke, 2007). Il
s’agissait d’un programme de 45 minutes par semaine sur 6 semaines, ce qui peut
expliquer sa faible efficacité. De plus, Neumark-Sztainer (2014) souligne qu’associer la
pratique du yoga avec un travail sur la réduction de l’intériorisation de l’idéal de minceur
pourrait en potentialiser les effets.
Conclusion et perspectives
L’ensemble des travaux portant sur les troubles des conduites alimentaires
montrent l’importance de l’utilisation d’une approche intégrative permettant
d’aborder la pathologie sous différents angles. En effet, dans le champ de la
prévention des troubles des conduites alimentaires, on constate une
complémentarité essentielle entre les approches favorisant le
développement de compétences transversales et celles ayant pour objet de
modifier les représentations des individus à risque, ou encore celles qui
cherchent à orienter et à soutenir les personnes entrées dans l’engrenage de
l’anorexie ou de la boulimie. Au niveau de la prise en charge de ces
difficultés, l’approche intégrée est également recommandée, alliant les
aspects cognitifs, comportementaux, émotionnels et sociaux. Les cliniciens
doivent être encouragés à se distancier face aux oppositions théoriques
apparentes et à considérer l’apport de chaque méthode selon sa pertinence
vis-à-vis du patient concerné. Cette complémentarité est déjà appliquée
dans un certain nombre de services spécialisés dans la prise en charge des
personnes atteintes de troubles des conduites alimentaires. Cependant, le
taux de rechutes encore très élevé après une hospitalisation amène à penser
que d’autres formes de traitement ambulatoire devraient être davantage
développées. En effet, les études comparatives montrent une efficacité au
moins aussi satisfaisante de la prise en charge en ambulatoire. D’autre part,
certaines études ont mis l’accent sur l’effet potentiellement traumatisant
d’une hospitalisation. Enfin, le travail avec les familles gagnerait à être
promu dans l’ensemble des lieux de prise en charge, de même que
l’implication directe des parents dans l’aide à la gestion du trouble
alimentaire. En effet, l’implication directe des parents dans la prise en
charge du trouble alimentaire est corrélée à un meilleur pronostic. Les
prochaines étapes de développement de la clinique des troubles des
conduites alimentaires seraient ainsi dirigées vers un développement
précoce des compétences de l’enfant, un repérage plus rapide des troubles
alimentaires et une prise en charge globale du patient fondée sur des
modèles intégratifs de l’ensemble des troubles des conduites alimentaires,
en s’appuyant les facteurs de risque et de protection.
De la prévention à la promotion de la santé
Si la prise en charge apparaît longue, complexe et gratifiée parfois de
faibles résultats, il semblerait qu’à l’inverse, certains programmes de
prévention s’avèrent particulièrement efficaces dans la réduction de
l’apparition de troubles des conduites alimentaires. Il s’agit donc d’un
domaine à investir davantage afin de permettre une réduction de l’incidence
des troubles du comportement alimentaire. Bien que le caractère
spectaculaire de la maigreur et les risques encourus par les troubles des
conduites alimentaires justifient une focalisation importante des cliniciens
sur les soins, une meilleure compréhension des facteurs de prévention ou de
protection efficaces pourrait également permettre une prise en charge
s’appuyant sur de nouveaux axes dans le but d’en améliorer l’efficacité. Il
semble ainsi primordial d’introduire des techniques d’amélioration de
l’image corporelle en tant que facteur de prévention des troubles des
conduites alimentaires, mais aussi en tant que facteur de promotion de la
santé mentale, cette image négative ayant un impact sur les symptômes
anxieux et dépressifs. Enfin, il semble important de développer les valeurs
liées aux pratiques de santé en mettant l’accent sur l’importance
nutritionnelle de chaque catégorie d’aliments, et sur la primauté de la santé
sur l’apparence physique.
Dans le cadre de la mise en œuvre d’interventions de promotion de la
santé et de prévention des troubles des conduites alimentaires, certains axes
sont à travailler en priorité :
– le développement de la prise de conscience de ses émotions et des
capacités de gestion de celles-ci ;
– la capacité d’exprimer ses besoins et ses émotions, le développement
d’expériences corporelles positives, l’amélioration de l’estime de soi et la
valorisation de dimensions de cette estime autres que le soi physique, la
critique des modèles sociétaux superficiels, le renforcement des
comportements de santé.

Perspectives de recherche
Les évolutions technologiques récentes ont apporté un certain nombre de
transformations dans les activités et pratiques des individus. L’utilisation
des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le
cadre de la prévention est une piste de recherche actuelle de première
importance dont l’efficacité a été démontrée par plusieurs études. Mis à part
ces recherches récentes sur l’utilisation de supports informatiques, la
plupart des programmes présentant une évaluation satisfaisante sont des
projets menés sur un temps court et souvent en milieu scolaire. Or le type
de projet mené à bien par Piran (1999) pour une population de danseurs
montre l’importance de la mise en place de programmes sur le long terme,
impliquant des interventions à des niveaux multiples : auprès des jeunes, en
collaboration avec les professionnels, avec une implication de l’institution
et une modification de la formation des professionnels et de la
communication médiatique. Cela nécessite des moyens importants qu’il
n’est pas toujours possible de mobiliser. Ainsi, tout en étant conscients des
limites des interventions brèves de prévention, il est nécessaire de
poursuivre les recherches portant sur ce type de programmes afin qu’ils
puissent être implémentés facilement à large échelle dans de nombreux
pays. La dimension de réduction des risques par le travail sur la dissonance
cognitive peut côtoyer d’autres dimensions favorisant le développement de
facteurs de résilience. Dans ce sens, les programmes intégratifs semblent
prometteurs. Les résultats apportés par les programmes fondés sur la
dissonance cognitive en font un modèle de prévention qui gagnerait à être
utilisé pour d’autres actions visant la modification des attitudes et des
comportements comme la réduction du tabagisme, de l’abus d’alcool, des
rapports sexuels non protégés, etc. Il apparaît essentiel de communiquer
l’avancée des recherches dans le champ de la prévention de manière plus
large pour que les acteurs soient informés, de même que les pouvoirs
publics, afin de favoriser le financement d’actions efficaces validées.
D’autre part, le développement de projets permettant de prévenir les
troubles des conduites alimentaires tout en réduisant le risque d’obésité
serait à considérer comme une priorité. En effet, cet ouvrage présente les
troubles des conduites alimentaires comme une pathologie à haut risque,
mais le surpoids constitue aujourd’hui l’une des premières préoccupations
de santé publique. Le risque des programmes centrés uniquement sur la
prévention du surpoids concerne précisément le développement d’une
préoccupation excessive pour le contrôle du poids. Ainsi, ces deux axes de
prévention sont en apparence contradictoires. Or, comme le montrent les
travaux de Stice, les interventions peuvent avoir un effet préventif sur les
deux types de risques. L’organisation du champ de la prévention gagnerait
ainsi à être décloisonnée pour éviter l’opposition entre les effets recherchés
en termes de santé physique (prévention de l’obésité) et en termes de santé
mentale (prévention des troubles des conduites alimentaires). Cela
impliquerait de repenser la formation des intervenants et de favoriser la
collaboration interdisciplinaire dans le but de parvenir à une promotion
globale de la santé.
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Index des notions
A
abus sexuels 61
alexithymie 34
angoisse 19
anorexie 16
—mentale 16
anxiété 26
approche psychanalytique 70
approche systémique 70

B
boulimie 18

C
carences 39
contrat 86
coping 67, 68
culpabilité 35
culture 49

D
déni 30
distorsion cognitive 27

E
émotions 64
estime de soi 27, 41

G
grignotage 23

H
honte 35, 65
hospitalisation 85
hyperphagie 23

I
image corporelle 28, 91
indice de masse corporelle (IMC) 17
insatisfaction corporelle 52
interactions familiales 55, 56

M
médias 49
modèle cognitif 71
modèle comportemental 71
mortalité 11, 43

N
narcissisme 63

O
obsession-compulsion 62

P
parents 54
perfectionnisme 62
prévention 155

R
recherche de sensations 63
représentations 49
restriction alimentaire 25
rituels 26

S
self-help 101
sentiment de compétence 170
substances psychoactives 42

T
thérapies cognitivo-comportementales 92
thérapies familiales 94
thérapies interpersonnelles 97
troubles de l’attachement 59
Index des auteurs
B
Bydlowski S. 34

C
Cash T.F. 63
Cassin S.E. 62
Cook-Darzens S. 56
Cooper Z. 38
Corcos M. 72

D
Davis C. 74

F
Fairburn C.G. 38

G
Garner D.M. 37, 93
Godart N.T. 43
Guelfi J.D. 38

J
Jeammet P. 70
Johnson J.G. 61

K
Killen J.D. 157
Klesges R.C. 38

L
Lewinsonh P.M. 44

M
Maj M. 93, 102
Mann T. 161
McIntosh V. W. 99
Mizes J.S. 38

P
Piran N. 158
R
Rosen J.C. 28

S
Smolak L. 51
Stice E. 51, 159, 165
Strober M. 42

T
Thompson J.K. 27

U
Urdapilleta I. 29

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