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Habituation et sensibilisation

Les animaux vivent dans un environnement en perpétuelle dynamique, où ils


sont soumis à des événements qui provoquent diverses réponses
comportementales. Certains événements vont effrayer les chevaux, mais si ces
événements se répètent, ils ne les effrayeront plus : c’est l’habituation. A
moins que la peur ne prenne le dessus : c’est la sensibilisation. Voyons de quoi
il s’agit et comment bien les utiliser dans l’éducation et le dressage des
chevaux.

Par Léa LANSADE - Marianne VIDAMENT - Christine BRIANT - Nelly GENOUX - | 14.08.2019 |

Niveau de technicité :
Petits rappels sur les apprentissages

Qu’est-ce qu’un apprentissage ?


Un apprentissage est une modification durable du comportement d’un individu comme résultat d’une
expérience passée, exprimée par l’animal après exposition à un (des) stimulus (stimuli) * environnemental
(environnementaux). L’animal reproduira ce nouveau comportement quand il sera à nouveau confronté au même
stimulus. En général, les animaux modifient leur comportement de la façon qui leur est la plus favorable.

* stimulus = tout changement dans l’environnement qui entraîne une réponse


comportementale de l’animal (aides du cavalier, évènement du milieu extérieur,
individu, objet, bruit, odeur…)

Habituation et sensibilisation : des apprentissages non associatifs


L’habituation et la sensibilisation sont des apprentissages dits « non associatifs ». Ces formes
d’apprentissage se manifestent soit par l’atténuation soit par l’augmentation d’une réponse comportementale
suite à la répétition d’un stimulus.

L’habituation : atténuation/suppression d’une réaction


face à un stimulus

Habituation : qu’est-ce que cela signifie ?


L’habituation est un processus par lequel l’intensité d’une réponse à un stimulus (exemples : spray anti-
mouches, douche, passage dans un gué, montée dans un van, bruit des avions de chasse…) est diminuée suite à
une exposition répétée à ce stimulus (atténuation voire disparition du comportement initialement observé lors de
la stimulation). Autrement dit, c’est rendre familier et neutre quelque chose (un nouvel objet, une nouvelle
situation…) qui ne l’est pas au départ.

Le cheval va progressivement apprendre à moins réagir, voire à ne plus réagir du tout, à un stimulus qui n’est
associé à aucune conséquence. Il va comprendre qu’une réaction calme est plus appropriée, car plus économe,
que l’alerte ou la fuite.

Le terme de « désensibilisation », bien que n’étant pas reconnu


scientifiquement, est couramment utilisé pour parler de l’habituation. Ceci est
relativement incorrect, car la désensibilisation suggère qu’il y ait eu une
sensibilisation au préalable.

Pourquoi habituer son cheval à quelque chose ?


L’habituation peut être utile pour :
Faciliter et sécuriser toutes les manipulations pouvant engendrer de la peur ou du stress (transport, tonte, ferrage,
soins, injections, administration de vermifuge…).
Et pour habituer les chevaux à de nouveaux stimuli dont ils ont une peur innée du fait :
De leur taille (gros tracteur, camion…)
De leur intensité (coup de fusil, avion de chasse…)
De leur nouveauté (voiture qui n’était pas garée là hier, nouvel obstacle…)
Ou de leur soudaineté (personne qui arrive sans prévenir au coin du manège, déclenchement de l’arrosage
automatique dans la carrière…)

Ce principe d’apprentissage est applicable à tout âge, aussi bien chez le poulain, que chez le jeune cheval au
débourrage ou chez le cheval adulte.

Comment procéder pour habituer mon cheval à un stimulus ?


Pour induire une habituation, il faut procéder par étapes, en augmentant l’intensité du stimulus de manière
très progressive, sans jamais dépasser le seuil de tolérance, limite à partir de laquelle le cheval commence à
avoir peur. L’intensité du stimulus nécessaire pour atteindre ce seuil diffère d’un cheval à l’autre et va évoluer au
cours de l’habituation. Attention, si l’on reste trop en-dessous du seuil, il n’y a pas d’apprentissage. La limite est
ténue et parfois compliquée à ressentir. Il s’agit de capter l’attention de l’animal, sans le mettre sous tension.
Mais alors, comment s’y prendre ?

Etape 1 = identifier le seuil de tolérance


Le seuil de tolérance correspond au moment à partir duquel le cheval manifeste une réaction face au stimulus
présenté. Bien souvent, il s’agit du moment d’apparition des premiers signes de peur.

Exemple : Prenons le cas où l’on cherche à déterminer le seuil de tolérance par rapport à l’application d’un
spray…

1) Je me tiens à 2 mètres du cheval, le spray à la main. Il n’y prête pas spécialement attention, encolure basse et
détendue, oreilles relâchées.
→ Tout va bien, je suis sous le seuil de tolérance, je peux passer à l’étape suivante.

2) Je me tiens désormais tout près du cheval, le spray à la main. Cette fois-ci il regarde l’objet, commence à
pointer les oreilles en avant et à relever légèrement l’encolure.
→ Je suis à la limite du seuil de tolérance, il faut consolider ce stade, voire éventuellement revenir en arrière.

3) Je touche le cheval avec le spray. Il a les oreilles pointées, l’encolure redressée, les yeux grands ouverts et les
muscles tendus, voire commence à s’acculer sur les postérieurs et à « ronfler ».
→ J’ai dépassé le seuil de tolérance, il faut revenir en arrière et rassurer le cheval.

4) J’actionne le spray et le cheval fuit ou tire au renard.


→ C’est trop tard ! Je suis allé trop loin, l’exercice est un échec.
Seuil de tolérance déjà dépassé : le cheval se cabre © A.
Laurioux

Bien sûr, cette échelle n’est qu’un exemple. Tous les chevaux ne réagiront pas de la même façon, et pas
forcément aux mêmes stimuli. A vous de bien connaître votre cheval et de savoir l’observer pour l’habituer à de
nouvelles choses sans dépasser le seuil de tolérance.

Etape 2 = planifier les séances en définissant un certain nombre de paliers


En fonction de la sensibilité et du tempérament du cheval, il faudra définir à l’avance un certain nombre de
er
paliers (distance objet-cheval, puissance…) à atteindre, le 1 palier étant le seuil de tolérance. Par la suite,
chaque palier devra être confirmé avant de passer au palier supérieur, c’est-à-dire répété plusieurs fois (2-3
essais) sans que le cheval ne réagisse, faute de quoi il faudra redescendre au palier inférieur. Pour que le cheval
soit dans les meilleures conditions, il est important d’éloigner le stimulus entre chaque palier pour lui permettre
de se décontracter. Dans tous les cas, ne pas hésiter à multiplier le nombre de paliers, avec peu de différences de
l’un à l’autre, et privilégier des séances courtes (de l’ordre de plusieurs minutes) et répétées de manière
assez espacée. Loin d’être une perte de temps, cette manière de procéder est la clé de la réussite. C’est le
meilleur moyen pour éviter de dépasser le seuil de tolérance et de devoir tout reprendre à zéro.

Exemple : Reprenons l’exemple du spray ci-dessous, dans le cas où votre cheval vous laisse l’approcher avec un
spray à la main mais montre des signes de peur quand vous actionnez l’objet. On pourra par exemple définir 6
paliers :
Montrer l’objet au cheval sans l’actionner
Actionner l’objet à distance (par exemple plusieurs mètres) du cheval à faible intensité
Actionner l’objet à distance à plus forte intensité
Actionner l’objet à côté du cheval, mais pas dans sa direction
Actionner l’objet en direction du cheval à faible intensité
Actionner l’objet en direction du cheval à plus forte intensité
1er palier : montrer la bâche au cheval à pied © A. Laurioux

2ème palier : faire franchir la bâche au cheval © A. Laurioux

3ème palier : faire franchir la rivière au cheval © A. Laurioux

Etape 3 = se lancer dans un environnement calme


Au début, on privilégiera un environnement calme, dans des conditions favorables, pour avoir un cheval le
plus disponible possible.
Exemple : Dans l’exemple de l’habituation au spray, on commencera l’apprentissage dans une salle de soin
fermée, à un moment où il n’y a ni bruits ni agitation autour (passage d’autres chevaux, bruit du tracteur, monde
dans l’écurie…).

Etape 4 = généraliser dans d’autres environnements

Mon cheval franchit maintenant une rivière à la maison… qu’en


est-il d’une rivière barrée ? Acceptera-t-il aussi de la franchir en
concours ? © A. Laurioux

Une fois l’apprentissage réussi dans un environnement calme, la procédure sera recommencée dans son
intégralité pour confirmer l’apprentissage dans différents environnements. Quand le cheval n’a plus peur,
et ce, quel que soit l’endroit où il se trouve, on dit qu’il a généralisé. Devenu familier avec un stimulus dans une
situation donnée, le cheval montre une réaction initiale moins forte si le stimulus est présenté différemment
(stimulus similaire ou le même dans un autre lieu).

Exemple : Mon cheval accepte que je vaporise un spray dans sa queue dans la salle de soin de l’écurie. En est-il
de même dans la cour de l’écurie lorsque quelqu’un me le tient en main ? En concours, attaché à un van ?...

Et si ça ne marche pas ?
Votre cheval est-il particulièrement émotif ?
Depuis quand le cheval a-t-il peur du stimulus ? Si la peur est très ancienne, il sera certainement difficile d’y arriver avec la
simple technique d’habituation.
La procédure a-t-elle bien été respectée, avec progressivité ?
Est-ce un manque de généralisation ?
Y a-t-il eu un nombre suffisant de répétitions ?
L’apprentissage n’est-il pas trop complexe ? Demander une seule chose très simple à la fois, sinon le cheval va avoir du mal à
comprendre ce qui est demandé.
L’intensité de présentation de l’objet n’était-elle pas trop basse ? Il ne faut jamais dépasser le seuil de tolérance, mais si on
reste trop en-dessous il n’y a pas d’apprentissage.
A l’inverse, le seuil de tolérance n’a-t-il pas été dépassé ? Il ne faudrait pas sensibiliser le cheval au lieu de l’habituer au
stimulus. Redescendre d’un palier avant d’aller plus loin.
Y a-t-il des stimuli associés qui augmentent la peur ? Veiller à travailler dans un environnement calme.

Habituation à notre insu


« Mon cheval ne réagit plus à la chambrière à la longe ». « J’ai beau mettre la jambe, mon cheval n’avance pas
»… Si l’habituation est un apprentissage en général volontaire, nos actions ont parfois des effets indésirables pour
l’éducation et le dressage des chevaux : agiter en permanence la chambrière derrière le cheval à la longe, bouger
ou serrer sans cesse les jambes à cheval… Sans nous en rendre compte, nous apprenons progressivement au
cheval à ne plus réagir à certaines de nos sollicitations. C’est ce qu’on appelle « l’habituation à notre insu ».

Habituation passive : lieu de vie


Un autre processus d’habituation consiste à placer dans le milieu de vie du cheval (box, paddock, pré) des objets
qu’il risque de rencontrer lors de son utilisation. Il s’y habitue alors progressivement et de façon passive. C’est ce
qu’on appelle « l’habituation passive ». Il faut cependant veiller à ce que cela ne constitue pas, en fait, un
stress pour l’animal, et à changer les objets de place de temps en temps pour la généralisation. Il s’agit de
trouver le juste équilibre entre monotonie et excès de stimulation.

La sensibilisation : amplification d’une réaction face à un


stimulus

Sensibilisation : qu’est-ce que cela signifie ?

Refus franc devant la rivière… le cheval s’est fait peur, il y a


sensibilisation © A. Laurioux

Si le seuil de tolérance du cheval est dépassé, la répétition d’un stimulus peut induire le phénomène inverse de
l’habituation : la sensibilisation. Le cheval apprend alors à réagir très fortement au stimulus appliqué. En règle
générale, ce stimulus est désagréable et la sensibilisation se produit lorsque le cheval est dans l’incapacité
d’éviter ou de fuir l’exposition. La situation augmente sa peur initiale. Son niveau d’attention est augmenté et sa
réponse au stimulus plus intense et rapide.

Exemple : cheval qui tire au renard à la simple vue d’un spray suite au fait que la présentation du spray n’a pas
été faite correctement

Par quels processus le cheval est-il sensibilisé ?


La sensibilisation a lieu quand le stimulus est présenté au-dessus du seuil de tolérance. A chaque
présentation, la réaction du cheval est intensifiée.
Sensibilisation le plus souvent involontaire
Ce phénomène de sensibilisation peut se produire de manière involontaire avec un cheval très délicat/sensible
ou si le processus d’habituation n’est pas assez progressif. Si l’on n’y fait pas attention, le cheval va réagir
de plus en plus fort. Sensibilisation aux sprays, aux injections, à l’odeur de l’alcool, au bruit de la tondeuse, à la
carte de randonnée qui se déplie à cheval… c’est ainsi que certains chevaux se mettent à paniquer dans
certaines situations données. D’où l’importance d’être attentif au comportement de son cheval et au moindre
signe de peur qu’il peut montrer, pour comprendre d’où vient cette peur et éviter ce genre de réaction.

Sensibilisation volontaire : intérêts et limites


Il arrive parfois également que ce processus d’apprentissage soit utilisé de manière volontaire pour rendre un
cheval à nouveau réactif à une demande de son entraîneur, à laquelle il était devenu insensible. Lorsque le
cheval ne répond plus à la chambrière, le longeur est parfois obligé de lui faire un rappel en claquant cette
dernière derrière lui pour le faire réagir. Après cela, le simple fait de lever la chambrière, sans l’agiter, remettra le
cheval en avant. Attention cependant à ne pas multiplier les situations de peur, ce qui aurait à terme des
conséquences sur la relation Homme-cheval et le bien-être de l’animal.

Ce qu’il faut retenir

Il est important de bien connaître les principes d’apprentissage pour que le


cheval apprenne facilement ce qu’on attend de lui.

L’habituation, c’est rendre familier et neutre ce qui ne l’est pas.

La technique d’habituation la plus usuelle, et sans doute la plus efficace, consiste


à présenter plusieurs fois le stimulus suivant différents paliers, tout en restant
sous le seuil de tolérance et en agissant avec tact (car chaque cheval est
différent).

Sauf cas particulier, attention à ne pas produire l’effet inverse : la sensibilisation,


qui augmente l’intensité de la réponse spontanée lorsque le seuil de tolérance
est dépassé.

En savoir plus sur nos auteurs

Léa LANSADE Ingénieure de recherche en éthologie IFCE-INRAE


Marianne VIDAMENT Docteur vétérinaire - ingénieure de projets & développement « Éthologie » et « Médiation équine » IFCE
Christine BRIANT Docteure vétérinaire - ingénieure de projets & développement « Bien-être des équidés » IFCE
Nelly GENOUX Ingénieure agronome - ingénieure de développement IFCE

Bibliographie

IFCE (2015). Travailler son cheval selon les principes de l’apprentissage. Editions Haras Nationaux, 77
pages.

Pour retrouver ce document: www.equipedia.ifce.fr


Date d'édition :29 03 2023

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