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Konrad Stettbacher

Pourquoi
la souffrance
La rencontre salvatrice avec sa propre histoire
Préfaa d'Alice Mi/kr

Aubier
POURQUOI LA SOUFFRANCE
DU MEME AUTEUR

Le Drame de l'enfant doué, traduction Bertrand Denz-


ler, Paris, PUF, 1983.
C'est pour ton bien - Racines de la violence dans
l'éducation de l'enfant, traduction Jeanne Etoré,
Paris, Aubier, 1984.
L'Enfant sous terreur- L'Ignorance de l'adulte et son
prix, traduction Jeanne Etoré, Paris, Aubier, 1986.
Images d'une enfance, traduction Jeanne Etoré, Paris,
Aubier, 1987.
La Connaissance interdite - Affronter les blessures de
l'enfance dans la thérapie, traduction Jeanne Etoré,
Paris, Aubier, 1990.
La Souffrance muette de l'enfant - L'Expression du
refoulement dans l'art et la politique, traduction
Jeanne Etoré, Paris, Aubier, 1990.
Abattre le mur du silence - Pour rejoindre l'enfant qui
attend, traduction Léa Marcou, Paris, Aubier, 1991.

CHEZ LE MEME EDITEUR

J. Konrad Stettbacher, Quand la souffrance a un sens,


1991. Préface de Alice Miller.
J. KONRAD STETTBACHER

POURQUOI
LA SOUFFRANCE
La rencontre salvatrice
avec sa propre histoire

Traduit de l'allemand
par
Léa Marcou

Préface d'Alice MILLER

AUBIER
Titre original :
Wenn Leiden einen Sinn haben sol/

© 1990, Hoffmann und Campe Verlag, Hamburg.


© 1991, Aubier pour la traduction française.
ISBN : 2-7007-2112-8
Imprimé en France.
Si la souffrance a un sens, elle ne peut
en avoir d'autre, à mes yeux, que l'abo-
lition des souffrances. Cela signifie, pour
moz~ rechercher et reconnaître leurs causes
d' hi~r afin de pouvoir, demain, les pré-
venzr.
PREFACE

La parution de ce livre est un immense défi à


toutes les écoles thérapeutiques existantes. Car la
thérapie de Stettbacher apporte la preuve qu'il est
parfaitement possible de lever le refoulement de
l'enfance d'une manière ni dangereuse ni génératrice
de confusion des idées.
Que de souffrances inutiles m'auraient été épar-
gnées, auraient été épargnées à mes enfants et à mes
futurs petits-enfants, si j'avais pu lire ce livre dans
ma jeunesse et prendre conscience, dès cette époque,
de ce qu'avait été mon enfance. Que de fourvoiements
aurais-je pu éviter, à moi-même ainsi qu'à mes
patients, si du moins il était tombé entre mes mains
après mes études, et avant de me laisser induire en
erreur par ma formation de psychanalyste. Mais, en
ce temps-là, la thérapie de Stettbacher n'existait pas
encore. Elle devait d'abord être éprouvée, testée,
conceptualisée et enfin décrite, et fait maintenant
seulement l'objet d'une publication.
Une consolation, cependant, vient adoucir mes
regrets: ce livre aidera un grand nombre d'êtres
humains à se repérer avant de s'aiguiller vers les
voies décisives du mariage et de la procréation. Mais
il aidera aussi des individus plus âgés à découvrir,
pour s'extraire du piège où ils sont prisonniers, des
10 Pourquoi la souffrance

chemins non destructeurs, qui les mèneront à décou-


vrir en eux-mêmes des possibilités insoupçonnées.
Grâce à ce livre ils apprendront que, contrairement
aux affirmations de Freud, nous pouvons parfaitement
reconstituer la réalité de notre enfance. Et aussi que
cela ne doit pas s'effectuer par des moyens artificiels,
et par conséquent dangereux, comme le LSD ou
l'hypnose, mais lentement, en tenant pleinement
compte des mécanismes de défense naturels, pas à
pas mais en avançant résolument vers le but : trouver,
à l'aide des sentiments, la vérité sur les traumatismes
subis. Car l'être blessé est capable de rechercher
l'histoire de ses blessures et d'abolir leurs effets.
C'est là une découverte révolutionnaire, dont les
conséquences seront considérables. Il ne sera plus
guère possible, après la parution de ce livre, de
continuer à détourner les victimes de parents mal-
traitants de leur véritable histoire au moyen de
théories absconses, de symboles à multiples sens, de
la méditation, voire de médicaments - à l'exception
peut-être de quelques cas où la situation réelle de
l'enfant était si inconcevable que l'adulte reste piégé
dans le colin-maillard des théories. Ceux qui veulent
apprendre leur vérité le sauront désormais: c'est
absolument possible.
Le refoulement nous a certes permis dans l'enfance
de survivre à la cruauté, mais à l'âge adulte il nous
empêche de mener une vie consciente et responsable.
La plupart d'entre nous ne savent pas qu'ils ont été
blessés dans leur enfance, et que ce sont précisément
ces blessures qui les empêchent de respecter et de
protéger la vie. C'est pourquoi à leur tour ils blessent
leurs enfants, et baptisent des mauvais traitements
patents du nom d'endurcissement, d'éducation ou de
socialisation. Le refoulement des premières expé-
Préface 11

riences, qui a aidé l'enfant à survivre, présentera la


facture à l'adulte sous la forme du commandement
'' Tu ne te rendras compte de rien ,,, auquel il obéit
scrupuleusement. Mais il est inutile de continuer à
payer cette facture si nous savons qu'il existe un
chemin permettant de recouvrer la conscience jadis
perdue. Nul thérapeute sérieux ne peut désormais
s'autoriser à ignorer cette découverte.
La méthode de Stettbacher pour la levée systé-
matique du refoulement est une percée vers une
conception loyale de l'aide à autrui et à soi-même
sans la moindre trace de pédagogie, et parallèlement
vers une nouvelle vision de l'homme, vers une
anthropologie aux perspectives insoupçonnées. Car
dès qu'il y aura suffisamment de thérapeutes
conscients, de par leur propre expérience, de la
dynamique des mauvais traitements infligés aux
enfants, le cycle infernal de la destruction et de
l'autodestruction de l'être humain pourra être brisé.
Ayant expérimenté cette thérapie sur moi-même
et pu vérifier dans mon corps, mon affectivité et ma
pensée son action étonnante et globale, je puis la
recommander sans réserve à tous ceux qui souffrent
et cherchent de l'aide. Pouvoir enfin m'exprimer ainsi
m'est un grand soulagement car, depuis la parution
de mes premiers livres il y a dix ans, l'on me demande
sans cesse des adresses de thérapeutes travaillant en
accord avec les connaissances que j'ai mises au jour.
Mais il m'était impossible, avec la meilleure volonté
du monde, de satisfaire cette demande car mes livres
sont, à l'évidence, en totale contradiction avec ce qui
est, aujourd'hui encore, l'enseignement reçu par les
thérapeutes et leur pratique.
C'est seulement dans la méthode de J. Konrad
Stettbacher que j'ai rencontré une thérapie prenant
12 Pourquoi la souffrance

pleinement en compte la réalité des mauvais traite-


ments infligés aux enfants, sans aucune compromis-
sion, sans se laisser ébranler ou aveugler par quelque
crainte que ce soit, sans rien enjoliver, sans rien
voiler. Elle ne prêche pas le pardon mais se fait
l'avocat de l'enfant, sans que rien ne puisse l'entraver
dans cette tâche. Chaque page de son livre en
témoigne: Stettbacher est à l'opposé des opinions et
comportements traditionnels, et aussi de la pratique
usuelle - même si, contrairement à moi, il renonce
à toute polémique.
Bien entendu, la demande de thérapeutes capables
d'accompagner sans crainte le patient jusqu'aux plus
effroyables prémices de son existence, parce qu'ils
connaissent déjà leurs propres terreurs, est extrême-
ment importante. L'offre en revanche est, pour autant
que je le sache, quasiment inexistante. Mais la for-
mation a commencé, et la situation changera dans
un proche avenir.
Ce livre peut, en tout cas, aider à utiliser ce délai
comme une préparation et à ne pas abandonner
l'espoir, tout à fait réaliste, de trouver un jour sa
propre vérité. Cette thérapie offrant nombre de pos-
sibilités d'applications créatrices, sa description aidera
certainement chacun à faire de nouvelles découvertes
et à épanouir ses talents - à condition d'être prêt à
se confronter avec la vérité, quelle qu'elle soit.

Septembre 1989
Alice MILLER
I. LA BASE THEORIQUE
DE LA THERAPIE
INTRODUCTION

Un être humain qui a eu la chance, un jour, de


rencontrer quelqu'un de protecteur, compréhensif,
créateur; qui a eu la chance d'apprendre combien il
est bon de vivre ensemble en paix et en s'acceptant
l'un l'autre, souhaitera conserver ce genre de vie et
mettra tout en œuvre pour y réussir.
Manifestement, nous n'en sommes pas encore là.
Les agissements destructeurs nous menacent, nous et
tous les autres habitants de notre planète. Indiscuta-
blement, l'homme est aujourd'hui la créature la plus
puissante de la terre. Cette position, il l'a acquise
grâce à ses capacités d'apprentissage, son expansion
démographique et son aptitude à former des groupes.
Mais c'est aussi l'homme qui, par son comportement,
sa conduite envers les autres créatures vivantes et les
choses, menace le plus la vie sur notre planète. Ce
fait devrait nous inciter à réfléchir à nos rapports
avec autrui et avec la nature, et à les modifier. Nos
erreurs de conduite, à nous les humains, doivent
avoir des causes, que l'on peut identifier et corriger.
L'individu décide de son action et, en tant
qu'adulte, doit en assumer la responsabilité et en
subir les conséquences. S'il n'a pas été entraîné sur
une mauvaise voie, il agira raisonnablement.
Pourquoi avons-nous tant de mal à vivre de manière
16 Pourquoi la souffrance

raisonnable? Les conditions de base sont pourtant


réunies. Un individu, quel qu'il soit, ne peut satisfaire
que ses besoins naturels. Or ceux-ci ne sont pas
insatiables tant qu'ils sont naturels, c'est-à-dire tant
que les besoins primaires n'ont pas été transformés
en perverswns.
Est-ce le « destin >> de certaines espèces que d'at-
teindre leurs limites avec leur prolifération, qui les
conduit à l'échec et à la disparition? Nous faudra-
t-il nous multiplier jusqu'à ce que le déséquilibre
infligé à la nature, le tarissement des ressources
alimentaires, ou notre mécontentement de nous-
même entraîne l'anéantissement de l'humanité? Ou
bien est-ce le comportement agressif de l'homme, sa
tendance à la destruction - augmentant au fur et à
mesure de son déplaisir face à la détérioration de la
qualité de la vie - qui mène à son anéantissement?
Est-ce un héritage de notre passé qui nous contraint
à éliminer ce qui nous pèse ou nous dérange, fût-ce
notre propre espèce?
Tout cela, ce sont d'éventuels effets secondaires.
Mais la misère de l'homme a pour fondement l'insuf-
fisance, la carence ou la perturbation de sa conscience.
Chacun d'entre nous devrait être conscient qu'il dépend
de ses semblables et du monde environnant, et que notre
environnement répond à nos actes. Dès que l'homme
est privé de la capacité d'éprouver des sentiments et
de comprendre ce qui se passe sans crainte, il est en
danger. C'est la crainte d'autrui et du monde envi-
ronnant qui nous empêche de prendre des décisions
claires et positives, et d'agir de manière constructive.
La crainte* inconsciente qu'a l'individu de ne pas

* Dans la langue actuelle, ce mot peut paraître un peu faible;


mais J. Konrad Stettbacher l'utilise dans le sens fort du verbe
Introduction 17

se montrer à la hauteur, d'être personnellement, en


tant que créature vivante, méchant, mauvais, inca-
pable, sans valeur: c'est cela la racine des compen-
sations et des évolutions négatives. Un être humain
qui se sent reconnu dans sa nature primaire aime la
vie et n'est pas destructeur.
En fait, nous devrions avoir exorcisé les craintes
qui transparaissent sous le couvert des mythes et
légendes de l'enfance de l'humanité, ces diverses
tentatives d'explication symbolique de ses difficultés
inexpliquées. Nous connaissons l'histoire de notre
espèce, celle de notre évolution, et nous sommes
capables de comprendre la genèse de l'univers et des
êtres vivants. Mais tant que des parents raconteront
à leurs enfants des histoires effrayantes pour les
accabler d'une responsabilité et, de la sorte, déformer
la vérité, la source de ces craintes subsistera.
La crainte inconsciente qui est le fruit de bien des
peurs er douleurs de l'enfance provoque, conjuguée
à des sentiments de culpabilité, une surcharge émo-
tionnelle pour la conscience. Ce poids se trouve à
l'origine de nombreuses erreurs d'attitude qui vont
influer sur la communication et l'action, altérer le
bien-être, et entraîner des souffrances.
La crainte naît de surcharges émotionnelles pri-
maires, et les conséquences de la crainte provoquent
inévitablement des souffrances. L'individu qui souffre
n'est pas seul à en pâtir : les conséquences sont
également d'ordre économique et - ce n'est pas le
moindre des problèmes- d'ordre écologique. Plongé
par ses souffrances dans l'inquiétude et le désarroi,
<< craindre ,, : ''Envisager quelque chose comme dangereux, nui-
sible, et en avoir peur , (Petit Robert). << La crainte étant le fruit
des peurs , (p. 27), on peut dire qu'elle est une peur inconsciente
(N.d.T).
18 Pourquoi la souffrance

l'individu souffrant ne dispose plus pleinement de ses


capacités à discerner les réalités et à évaluer les enjeux
et, du même coup, le monde habité devient malade,
de plus en plus malade. Les erreurs de jugement, les
décisions erronées aboutissent à des erreurs dans les
actes, erreurs qui à leur tour susciteront des sentiments
de culpabilité inconscients, lesquels occasionneront
des erreurs de jugement. Un cycle infernal, engendré
par la souffrance psychique, la souffrance de l'âme.
Pour pouvoir, à l'avenir, éviter la « souffrance
psychique ,,, il nous faut d'abord savoir ce qu'est cette
souffrance et comment elle naît. La souffrance, l'an-
tienne de la détresse et de la peine, la complainte de
nos angoisses et de nos désespoirs, est l'expression du
sentiment d'être malade, faible, sans ressort, désarmé
et fragile, dans une profonde détresse, au bout du
rouleau. Les maux de l'âme semblent la cause de
toute souffrance, ce qui oblige à se poser la question :
comment naissent ces maux, qu'est-ce qu'être « malade
dans son âme ,, ?
QU'EST-CE QU'ETRE
« MALADE DANS SON AME »?

L'âme, c'est l'ensemble de ce qu'éprouve, ressent,


pense un être humain, l'ensemble de ses expériences
vécues et de tous ses souvenirs.
Ame vient du latin anima. De tous temps, les
hommes ont vu en l'âme des choses différentes. Pour
les uns elle était le souffle, pour d'autres le vent.
Certains l'imaginent incarnée, d'autres comme une
ombre, un " animalcule » ou encore, immatérielle,
« en route » vers un autre corps.
En allemand, l'âme, c'est die Seele, étymologique-
ment << ce qui appartient à la mer >> . Dans la mytho-
logie germanique, l'âme, avant la naissance et après
la mort, habitait la mer.
Il n'y a pas, dans l'organisme humain, de territoire
réservé à l'âme. L'ensemble des souvenirs, y compris
les souvenirs phylogénétiques, est nécessaire à chaque
individu pour sa survie et son développement. L'ex-
pression de l'âme, du psychisme, est constituée par
la somme de ce que nous disons et faisons. On peut
dire : l'âme de l'être humain permet à ce qui le meut
d'émerger et de s'exprimer, afin de défendre et de
sauvegarder la vie.
L'être dont les possibilités de se sauvegarder ont
été perturbées ou dévoyées se trouve en danger en
tant qu'individu, en tant que membre d'un groupe
20 Pourquoi la souffrance

ou de la société, ou encore il tombera malade. Par


conséquent, être malade dans son âme est une per-
turbation de notre système de sauvegarde.
Comment et par quel mécanisme de telles pertur-
bations peuvent-elles survenir dans notre " système ,, ?
Le mot système désigne un « ensemble structuré ''·
L'homme en tant qu'ensemble structuré, l'homme
que la nature a enfanté comme sa mère l'a enfanté,
l'homme en tant qu'ensemble structuré à la fois clos
et ouvert sur l'extérieur, extraordinairement complexe,
merveilleux, doté d'un mode de fonctionnement
prodigieux, est un système qui a pour mission d'as-
surer la conservation de l'être vivant.
Ce système, qui fonctionne dès le départ, a besoin
pour sa sauvegarde de la sollicitude désintéressée et
de l'aide de ses parents et de ses proches, parce qu'au
début (la phase primaire) il est faible et dépendant.
Les parents doivent avoir avec leur enfant une
relation chaleureuse, se montrer responsables, atten-
tifs et efficients, afin de pouvoir identifier et satisfaire
ses besoins. La satisfaction des besoins naturels,
primaires, apporte à l'enfant une sécurité, une
confiance et une joie de vivre fondamentales qui,
réunies, constitueront la base d'une capacité à établir
des relations positives. Lorsque ces conditions sont
remplies, le « système homme ,, se dote d'une capacité
relationnelle optimale. Et par là sont jetés les fon-
dements d'une capacité optimale à vivre et à aimer.
Pour remplir ces conditions, il nous faut connaître
les besoins du petit d'homme. Il sait fort bien les
signaler, et toute mère les connaît instinctivement.
Le désir sincère d'assouvir et de satisfaire les besoins
de l'enfant suffit. Le petit d'homme a besoin de
beaucoup d'attention, d'une nourriture adaptée, de
soins prodigués avec tendresse, de la présence de gens
Qu'est-ce qu'être «malade dans son âme »? 21

calmes qui l'encouragent avec amour, d'un entourage


qui le protège tout en lui donnant la possibilité de
faire ses preuves. Il a besoin d'informations conformes
à la vérité et d'une aide éclairante. L'être humain a
besoin de tout cela, durant son développement, pour
acquérir la confiance en soi, pour établir et conserver
la capacité d'entretenir des relations positives avec
lui-même et son environnement.
Lorsqu'un jeune être se voit refuser la satisfaction
de ses besoins primaires, il est insécurisé. Si, malgré
ses cris et ses pleurs, le petit d'homme ne reçoit
aucune aide, il deviendra la proie de souffrances et
d'angoisses croissantes auxquelles il restera livré sans
défense. Cet état, il l'éprouve et le ressent comme sa
propre insuffisance. Il ne doit pas et ne peut pas se
rendre compte qu'il est abandonné dans sa détresse.
Si cette situation se prolonge, il doit devenir indif-
férent et insensible, car sinon il en subirait les atteintes
jusque dans son corps, voire il mourrait. Il s'apercevra
que quelque chose ne fonctionne pas dans son système
de sauvegarde. Comme son entourage ne répond pas,
ou guère, à ses appels, comme il n'obtient aucun
soutien, sa confiance dans ses capacités relationnelles
s'effondrera rapidement, et pour finir il sera perturbé.
La non-satisfaction des besoins entraîne des troubles
de la capacité relationnelle.
Les troubles relationnels entraîneront à leur tour
des perturbations dans le système général, dans la
collectivité. L'importance des dégâts dépendra de la
capacité d'absorption et de la solidité du système
général.

Ma définition de la << maladie de l'âme >> implique


l'affirmation que cette maladie est un trouble rela-
tionnel provoqué par des individus souffrant de troubles
22 Pourquoi la souffrance

relationnels. Voilà qui est dur et désagréable à


entendre. Chacun d'entre nous se sentira sans doute
« remis en question» et s'en défendra. Personne ne
veut être coupable d'avoir rendu quelqu'un malade.
Nombre d'entre nous souffrent - pas forcément de
manière grave ou dangereuse - de quelque trouble
de nos relations avec le monde environnant ou bien
avec nous-mêmes. Nous souffrons dans certaines
circonstances, sans vouloir en prendre conscience, car
nous ne comprenons pas pourquoi nous souffrons.
Nous préférons dissimuler notre faiblesse. Et restons
empêtrés dans nos difficultés. L'on ne peut remédier
à un trouble de la capacité relationnelle que si, au
préalable, il a été reconnu comme tel. Or pouvoir le
reconnaître présuppose que NOUS, chacun d'entre
nous personnellement et la collectivité tout entière,
acceptions de nous << remettre en question >> pour
découvrir l'origine de nos troubles. C'est seulement
ainsi que nous pourrons, si nécessaire, modifier notre
propre système relationnel et notre comportement.
Ceci signifie également que la << maladie de l'âme ,,,
le <<trouble de la capacité relationnelle ,,, ne peut être
guérie par une intervention extérieure. Chaque indi-
vidu doit vouloir changer par lui-même. Il doit en
prendre la décision et accomplir lui-même ce chan-
gement.

Nous pouvons partir du principe que, lorsqu'il est


protégé par un environnement sain et qui le soutient,
l'organisme humain, le système humain se trouve
encore, à la période pré- ou postnatale, dans un état
d'harmonie, en accord avec lui-même. Les trois
sphères de l'activité relationnelle, la sensation (phy-
sique), le sentiment (affectivité), et la pensée (l'intel-
lect), ces champs de référence de l'âme, sont encore
Qu'est-ce qu'être « malade dans son âme , ? 23

indemnes, intacts, et assurent la sauvegarde du sys-


tème. Reste la question : comment des troubles psy-
chiques peuvent-ils survenir lorsqu'un individu n'est
atteint d'aucune maladie héréditaire ni anomalie
génétique, et qu'il a, selon toute apparence, une
constitution normale et un environnement qui fonc-
tionne de manière adéquate?

Les troubles psychiques se manzfestent et exercent


leurs effets sous forme de réactions défectueuses, qui
peuvent être dirigées vers l'extérieur ou vers l'intérieur,
contre autrui ou contre soi-même. Ce sont des réactions
qui nous sont préjudiciables, nous embrouillent, nous
accablent d'un fardeau trop lourd, nous mettent en
danger ou nous font du mal - « nous , signifiant, en
l'occurrence, l'individu ou la société.
A mon point de vue, nos réactions, dans la mesure
où elles sont des manzfestations de notre âme, sont
déterminées par le fait que nous ayons ou non subi
quelque blessure (intégrité de la personne), par l'har-
monie ou la dysharmonie de notre système. Une sur-
charge émotionnelle (traumatisme) inflige à l'enfant, au
jeune être, des blessures dans son harmonie primaire,
dans son système, dans son organisation et sa capacité
d'organisation primaires. Cette blessure est provoquée
par des stimuli générateurs d'angoisse et de souffrance,
auxquels le jeune organisme est incapable de réagir ou
ne peut réagir que de manière imparfaite, et que son
système ne peut assimiler.
Les surcharges émotionnelles sont des souffrances et
des angoisses qui semblent n'avoir pas de cause ou dont
le facteur responsable ne peut être détecté - ou, pour
des raisons vitales, ne doit pas être détecté. Ces sur-
charges émotionnelles (traumatismes) irritent le système,
24 Pourquoi la souffrance

perturbent ses capacités de fonctionnement et son inté-


grité primaires.
Il existe d'autres sources de blessures psychiques
lourdes de conséquences : la déformation de la réalité
ou des falsifications de l'histoire, c'est-à-dire de la vérité
sur le passé personnel (ontogénétique) aussi bien que sur
le passé de l'espèce (phylogénétique). De semblables
atteintes à l'intégrité de la sphère intellectuelle, par
exemple par la transmission de croyances aberrantes,
déstabilisent profondément le système. De tels trauma-
tismes psychiques brouillent tout le système. Nombre
d'expériences vécues, bien réelles et qui devraient s'ins-
crire dans la conscience, sont vouées à être refoulées
dans l'inconscient parce qu'elles ne peuvent s'accorder
avec les représentations irréelles.
Toutes les blessures et surcharges émotionnelles
de l'intégrité primaire du petit d'homme ont pour
origine la négation de ses besoins. Lorsqu'il manque
de soins, se voit peu considéré, ou qu'on exige trop
de lui, lorsqu'il lui faut faire l'expérience toujours
renouvelée d'un << pas assez >> de bonne sollicitude et
d'un << trop >> de mauvaise sollicitude, le système du
jeune être se trouvera débordé et perturbé. La plupart
du temps, tout cela n'est pas fait dans une mauvaise
intention, mais ces comportements sont transmis, les
yeux fermés, de génération en génération.
Dans le système accablé d'un trop lourd fardeau,
traumatisé, se forme une multiplicité de réactions
inconscientes, latentes, dirigées vers l'intérieur et vers
l'extérieur, qui deviendront le lit de manifestations
que l'on qualifie de névrose, psychose, troubles psy-
chosomatiques ou délinquance. Toutes ces << anoma-
lies >> peuvent être regroupées sous la notion de
<< malade dans son âme >>.
Par conséquent, « malade dans son âme >>, c'est ceci:
Qu'est-ce qu'être « malade dans son âme ,, ? 25

un organisme blessé dans son intégrité primaire, un


être humain perturbé dans son harmonie originelle
parce qu'il a été traumatisé; sa capacité de prise de
consczence se trouve diminuée, et il est lésé dans ses
fonctions.

COMMENT SE CREENT DES BLESSURES


ET QUELS SONT, PRECISEMENT, LEURS EFFETS?

A l'aube de sa vie, l'être humain est pour ainsi


dire '' tout corps ,, il se découvre par ses sens. Ses
perceptions et les réactions qu'elles engendrent sont
régies par ses sensations. Ses sensations lui désignent,
par exemple, le chaud, le froid, le doux et le dur, le
bruit et le silence, la lumière et l'obscurité, etc. Pour
le petit être, le bien et le mal sont synonymes de
plaisir et déplaisir. Il ne connaît encore aucun mot,
il est encore « tout sensation ,,, et pour le moment
dépend complètement de ce premier niveau de la
perception : la sensation. Les expériences vécues sur
le plan de la sensation engendrent, dès le ventre
maternel, un deuxième niveau perceptif: le sentiment.
Les expériences vécues sur le plan de la sensation
sont enregistrées par l'enfant, qui va les emmagasiner
sous forme de souvenirs. Le plaisir suscite en lui le
sentiment « bien ,,, et le déplaisir issu par exemple
d'une douleur ou d'une peur (gêne) suscite le senti-
ment « mal ''·
Les expériences faites par le petit être, tant par
rapport à lui-même que par rapport à son environ-
nement, vont former en lui le niveau de << ce que je
ressens» comme préfiguration de ce qu'il voudrait
obtenir ou éviter. A partir de ses expériences et
réactions, accordées à ses sensations et sentiments, il
26 Pourquoi la souffrance

s'est déjà constitué en lui une opinion, une définition


intérieure de ce qui est bien et de ce qui est mal.
La définition issue de la combinaison de la sensation
et du sentiment forme le MOI qualifiant.
Le fœtus déjà peut être blessé dans son intégrité
par des surcharges émotionnelles qui nuisent à son
bien-être. Il est encore entièrement soumis à ses
sensations, qui seules vont déterminer ses réactions:
il est incapable d'y réfléchir et de «comprendre». Il
est incapable d'interpréter la peur et la douleur, elles
le plongent dans le désarroi. Si par exemple une
mère, contrainte de dissimuler sa grossesse, comprime
son corps, elle inflige déjà un traumatisme à son
enfant. Le petit être se sentira à l'étroit, menacé et
écrasé sans pouvoir comprendre ce qui se passe.
Toutes ses réactions ne lui apporteront qu'un soula-
gement insuffisant, car son espace vital demeure
restreint. Les sentiments suscités par cette situation
peuvent se décrire à peu près ainsi : <<Je ne réussis
pas à m'installer mieux, je suis trop faible, je n'y
arrive pas, je fais quelque chose de travers, je dois
me tenir tranquille, sinon j'aurai encore plus mal.»
L'enfant à naître longtemps condamné à une telle
restriction de son espace vital et de sa liberté de
mouvement sera, du fait des souffrances et des peurs
subies, inhibé, insécurisé, blessé dans sa personnalité
dont le développement sera entravé. Si un être humain
ne peut mettre en place, en réponse à des situations
engendrant la peur et la douleur et survenant de
manière répétée, des conduites lui permettant de
s'exprimer et de s'adapter suffisamment, il se produira
dans l'organisme une réaction latente. Celle-ci pro-
voque, de manière totalement ou partiellement
inconsciente, une tendance à des crispations, à des
formes de comportement stéréotypées (par exemple
Qu'est-ce qu'être ,, malade dans son âme » ? 27

faire le mort ou attaquer). Il se crée une réponse


constante aux stimuli, une réaction latente à la
surcharge émotionnelle, projetée vers l'avenir. Cette
réaction est fixée, en tant qu'attitude défensive, sur
des caractéristiques données et sur la somme des
caractéristiques de l'événement primaire. Dans le cas
de la situation décrite ci-dessus, elle va ainsi se fixer
sur l'humidité, certaines sensations tactiles très défi-
nies, l'obscurité, la pression, l'impression d'être serré.
Avec pour effets: angoisse, cœur battant la chamade,
douleurs organiques, une grande dépense d'énergie
en pure perte, etc.
L'être humain ainsi traumatisé présentera à l'avenir
des formes de réaction correspondant aux schémas
induits par tel ou tel type de caractéristiques et de
signaux, sans pouvoir décider librement de son
comportement. Il va utiliser à l'âge adulte des formes
de comportement et de relations qui se sont appa-
remment avérées efficaces dans la situation primaire,
et que son système estime à présent nécessaires. Bien
que sa forme de réaction spécifique n'ait pas apporté
de solution satisfaisante ni d'apaisement, elle a été
enregistrée dans le système comme apparemment
efficace. Autrement dit : cette personne est obligée
de se comporter selon la voie tracée parce que la
crainte (la crainte étant le fruit des peurs) d'un résultat
pire encore l'empêche de tenter une autre forme de
comportement et de relation. Elle ne sait pas, en
effet, ce qui lui est arrivé dans la situation primaire,
et à présent non plus ne sait pas ce qui se passe en
elle. La crainte - toujours la même crainte - la
pousse à la fois à redoubler d'efforts et à se tenir
coite, afin de parvenir enfin à une solution appropriée,
à une détente.
La traumatisation décrite ci-dessus aura pour censé-
28 Pourquoi la souffrance

quence un rétrécissement de toute la personnalité,


qui va se cantonner dans des formes de comportement
et de relations imposées par une contrainte incons-
ciente. Et l'individu traumatisé ne cessera, incons-
ciemment, d'en souffrir, comme d'une plaie qui refuse
de se cicatriser. Il sera en proie à un sentiment de
malaise à peine perceptible, et constamment poussé
à des conduites mal adaptées. La blessure décrite ci-
dessus provoque entre autres le sentiment d'être
incapable de mobilité, et une réticence angoissée face
à ce qui exige un effort physique ou intellectuel. Dès
que l'être blessé se sent menacé, pour des raisons
intérieures ou extérieures, ses souvenirs inconscients
vont alerter le système de sauvegarde. Il se produit
une tension. Le système de sauvegarde réagit de la
manière imprimée en lui, étant donné qu'il ne connaît
que cette solution préprogrammée- et n'a confiance
qu'en elle.
C'est là une réaction aveugle, latente, une disposition
permanente à un type donné de réaction, qui s'est
constituée en raison d'un événement inconscient afin
d'assurer la survie. C'est pourquoi ces mécanismes sont
si tenaces.
Le malaise persistant - bien qu'à peine perceptible
- suscite en l'être humain une impulsion aveugle,
incapable de s'exercer dans une direction précise, à
se défendre contre cet état. Il n'en connaît pas les
causes. Les sentiments de colère et de résignation
qui l'accompagnent sont qualifiés de méchanceté et
de faiblesse. Pour l'affectivité, cela représente un
fardeau trop lourd. Et il s'ensuivra des sentiments
inconscients de culpabilité.
Ce malaise sous-jacent et incompris pousse à une
défense. Mais comme l'<< ennemi» ne peut être appré-
hendé ni reconnu, il ne subsiste que la position
Qu'est-ce qu'être « malade dans son âme » ? 29

défensive. Celle-ci est inconsciente, aveugle, présente


dans tous les domaines, et peut se déclencher à
n'importe quel moment, en réponse à un signe apparu
par hasard mais qui a valeur de signal. La raison du
malaise, la blessure primaire, restera toujours une
menace redoutée, car elle a été subie dans une
situation d'impuissance et n'a pas été ressentie en
toute conscience.
La réaction latente, aveugle, a encore d'autres
conséquences dans le domaine affectif. Ainsi, par
exemple, l'incapacité à trouver une solution dans
cette situation de détresse est enregistrée dans le
système comme une prétendue faiblesse personnelle.
Des éléments négatifs comme être méchant, coupable,
nul, déprimé viennent accabler l'affectivité et par là
le MOI. Je ne suis pas encore venu au monde et me
voici, sans raison compréhensible, comprimé, entravé
dans mes mouvements, accablé de souffrance et
d'angoisse, craintif, livré sans défense au monde
environnant, empli de malaise et d'une colère sous-
jacente - dès le ventre maternel, l'état d'âme d'un
être humain peut ressembler à cela! Que l'on dise:
cet organisme est « malade ,,, ou il est << névrotique ,,,
peu importe, c'est la même chose. L'on n'aime à
entendre ni l'un ni l'autre qualificatif: ils ne font
que fixer les angoisses et les opinions. Ce qui compte,
c'est que, du fait de ses blessures, cette personne
connaîtra des difficultés d'adaptation dans la suite de
son existence. Sa qualité de vie est déjà détériorée,
les deux premiers niveaux de son système relationnel
- la sensation et l'affectivité - sont déjà affectés d'une
surcharge émotionnelle, et insécurisés.
'Cet être humain se trouve prisonnier d'une attitude
défensive permanente: il est non seulement sensibi-
lisé, mais encore empli d'amertume. Et, au contraire
30 Pourquoi la souffrance

d'un individu intact et sûr de lui, toute activité en


deviendra pour lui plus difficile. C'est une illusion
de croire que la retenue suscitée par ces blessures
pourrait un jour se révéler profitable. Un individu
sain montre de la retenue lorsque, ayant examiné la
situation, cela lui paraît le comportement adapté.
Une retenue constante due à la peur, associée à des
explosions d'agressivité, est un stress permanent qui
consomme beaucoup d'énergie et n'apporte aucun
bénéfice. Une semblable symptomatique prénatale est
encore renforcée et compliquée par une naissance
longue et difficile.
Un enfant ayant subi un tel dommage primaire
peut, de par son comportement, se voir en butte, au
cours de son enfance, à des railleries et des persé-
cutions. Ce traumatisme supplémentaire aggrave la
blessure de l'intégrité fonctionnelle, et l'approfondira
encore d'un niveau. Ces railleries et ces persécutions,
l'individu ne peut les supporter : il sait peut-être qu'il
est un peu bizarre, mais ne parvient pas à le
comprendre. Il n'arrive pas davantage à saisir pour-
quoi il ne peut se changer, pourquoi sa singularité
lui vaut ces persécutions, et pourquoi personne ne le
comprend. Il subit, impuissant, cette situation. Tant
qu'il n'aura pas trouvé de secours, il a même une
conscience particulièrement aiguë du rejet mortifiant
du monde environnant, et reste cependant sans défense
face à tout ce qui lui est ainsi infligé. Les blessures
traumatiques répétées confortent ses expériences pré-
cédentes au niveau de la sensation comme au niveau
du sentiment. De ce fait, la surcharge émotionnelle
devient de plus en plus importante. Le mode de
réaction latent inscrit dans son potentiel affectif - et
qui va déterminer son mode de comportement -
pourrait se décrire à peu près ainsi : «Moi on ne peut
Qu'est-ce qu'être ''malade dans son âme » ? 31

pas m'aimer, je suis quelqu'un de bizarre, tous les


autres sont meilleurs et plus capables, je suis haïssable,
je dois me donner encore plus de mal, bien que j'en
aie plein le dos, et depuis longtemps déjà. Je dois
redoubler d'efforts, faire preuve de retenue, courber
l'échine, sans savoir ce qu'il faut faire, et à quel
moment, pour qu'il n'arrive pas de catastrophes. Je
devrais enfin changer, c'est de ma faute si je n'ai pas
encore trouvé une solution à mes problèmes ... »
Pour des raisons de survie, ces réactions sont rigides,
et prêtes à intervenir à tout instant. L'entourage de
cet être qui souffre se heurte à ces souffrances et aux
difficultés qui y sont liées. Les membres de cet
entourage vont l'abreuver de leurs théories (exemple:
" Chacun est responsable de son caractère ,, ), et poser
des diagnostics. L'un comme l'autre ne seront d'au-
cune utilité pour l'intéressé - pis, ils lui nuiront.
Coller une étiquette bloque la recherche d'une compré-
hension globale. Et n'aboutira qu'à accroître l'insé-
curité, à aggraver la perte d'intégrité.
Nous voilà donc, à présent, face à un être blessé
dans son intégrité :
1) Au niveau de la sensation (corps).
2) Au niveau des sentiments (affectivité).
3) Au niveau de la compréhension (pensée).

Ces blessures ont une action globale et vont se


répercuter sur l'organisme entier. Le comportement
alimentaire, les conduites de protection et de fuite
seront affectés. Les réactions latentes inconscientes,
compulsives qui, malgré l'absence de lien conscient
avec les situations originelles, sont maintenues par le
système dans sa défense contre une situation de
détresse exigent un effort permanent. Ce surmenage
épuise les énergies, aura un effet négatif sur l'attention
32 Pourquoi la souffrance

et sur les capacités de mémorisation et d'apprentis-


sage. De plus, la surcharge émotionnelle des trois
champs de l'âme porte atteinte à toutes les autres
fonctions physiques et mentales.
Un être humain «malade dans son âme,, est
quelqu'un qui a été blessé dans son intégrité et son
fonctionnement originels. Il y répond inconsciem-
ment par des schèmes de comportement individuels
élaborés pour une défense contre des dangers le plus
souvent supposés - parfois réels. Il souffre de ses
compulsions inconscientes, a envers autrui un
comportement provocateur et, involontairement, pèse
sur son entourage. Il souffre de ses importants sen-
timents de culpabilité, et est enfermé dans ce cercle
infernal.
SOUVENIRS

L'être humain, notre système biologique, est consti-


tué de souvenirs; des souvenirs issus d'expériences
que de nombreux systèmes biologiques (y compris
préhumains) ont inscrits dans l'organisme. Ces sou-
venirs biologiques ont constitué la base de notre
organisation physiologique; on les appelle également
information génétique. Des souvenirs de communi-
cations du groupe social de l'homo sapiens avec son
environnement ont également influé sur la formation
de notre système physiologique. Ces souvenirs, nous
les disons issus de nos expériences phylogénétiques
(liés à l'histoire de l'espèce), par opposition aux
souvenirs que nous nommons ontogénétiques (ceux,
personnels, de l'individu).
Les expériences physiques et émotionnelles consti-
tuent la mémoire de l'individu. En chaque nouvel
être humain, les expériences liées à l'histoire de
l'espèce et les expériences personnelles vont devenir
des souvenirs. Ce processus va entraîner des restruc-
turations permanentes à la base, au physique comme
au mental. Toutes nos expériences laissent en nous
des souvenirs, que nous ne pouvons évidemment
maintenir conscients en permanence. Ces expé-
riences, devenues souvenirs, font néanmoins partie
de notre << savoir , intérieur. Nombre de souvenirs,
34 Pourquoi la souffrance

en particulier ceux provenant de stades précoces du


développement, sont emmagasmes uniquement
comme des événements, et non comme une expé-
rience vécue consciemment. Au moment où cet
événement s'est produit, les zones cérébrales capables
d'assimiler une expérience vécue consciemment n'ont
pas pu fonctionner pleinement, car cela nécessitait
des concepts et des mots que le jeune enfant ne
possédait pas encore.
Toutes les expériences douloureuses et angoissantes
emmagasinées seulement sous une forme fragmen-
taire sont néanmoins des souvenirs que l'on peut
rendre conscients au cours du processus thérapeu-
tique. Il est possible d'amener à la conscience jusqu'à
des souvenirs de la vie fœtale : << Maintenant, je sais
ce qui est arrivé en ce temps-là. »
MALADES DE NOS TRANSFERTS

Quand j'étais petit, j'ai joué au bord de l'eau et


appris alors que la pierre, quand je la touchais, était
froide et dure. Lorsque je me suis tapé sur les doigts
avec cette pierre, j'ai éprouvé une '' sensation désa-
gréable ,, que ma mère a appelé << bobo , dans un
premier temps, et plus tard douleur. Grâce à cette
pierre, j'ai déjà fait trois expériences, qui m'ont
communiqué une appréciation de la pierre et une
évaluation de mon action. L'expérience <<froid et
dur, et l'expérience <<douleur,, déterminent mon
rapport intérieur avec l'objet ''pierre>>. Au-delà de
mon impression visuelle - la forme et les couleurs
de cette pierre -, cette expérience s'est gravée dans
mon souvenir comme la somme de mes perceptions.
Ce souvenir va réémerger, sans que je m'en rende
véritablement compte, lorsque je rencontrerai un objet
analogue à celui de cette première expérience, une
pierre comparable. Ma manière d'agir s'est automa-
tiquement adaptée, puisque mon système << sait >> déjà
ce que cette pierre m'a fait vivre. << L'expérience
pierre ,, va transférer mon expectative d'une pierre à
l'autre.
Dans la vie quotidienne il se produit perpétuelle-
ment de semblables transferts, c'est-à-dire que l'on
s'attend à vivre ceci ou cela dès que surgit un objet
36 Pourquoi la souffrance

ou une personne- par exemple« un individu porteur


d'un signe , - associé à des représentations et des
expériences déterminées. Le transfert de personne à
personne est certes un peu plus compliqué que celui
d'une pierre à une autre. Bien que (et précisément
parce que) il existe chez l'homme une attente ins-
tinctive, liée à l'histoire de l'espèce, les transferts de
personne à personne sont plus difficiles à reconnaître
clairement. D'un côté, nous avons envers nos sem-
blables une attente phylogénétique : par exemple,
nous ne nous attendons pas à être mangés par un
autre être humain. De l'autre, nous transférons d'une
personne à une autre les signes et les jugements liés
à nos expériences personnelles, c'est-à-dire des signes
et des comportements qui nous sont présentés ici et
maintenant. Ces jugements liés à nos expériences, les
<<signes, dont l'individu (l'objet) est porteur, et les
signaux qui en résultent influent, consciemment ou
inconsciemment, sur notre comportement, en parti-
culier sur nos sympathies ou antipathies. La multi-
plicité des signes peut donner lieu à des signaux
contradictoires.
A titre de comparaison : une rose odorante peut
nous ravir, mais si nous nous piquons à ses épines
nous serons moins ravis - voire pas du tout (selon
que l'épine a pénétré plus ou moins profondément).
Les signes conditionnant l'image que nous nous
faisons de quelque chose sont neutres à l'origine.
Cette image intérieure n'aura une valeur qualitative
(bonne ou mauvaise) qu'à partir du moment où nous
attribuons une signification au signe. Cette signifi-
cation est induite par nos sensations et nos sentiments.
Ce sont ces signes qui vont évoquer en nous une
ou plusieurs expériences avec un objet ou un être -
par exemple un homme ou une femme - similaire.
Malades de nos transferts 37

Ces signes vont donc acquérir une fonction primor-


diale. Plusieurs signes, constituant une somme, seront
intériorisés sous forme d'une valeur symbolique. Un
exemple : l'expérience constituant une somme avec
le signe '' sein maternel , peut susciter, sur le plan
symbolique, le jugement de valeur << rondeurs douces,
chaudes, protectrices "·
Le système nerveux sensitif sophistiqué et l'extra-
ordinaire capacité de différenciation de l'être humain
lui permettent d'effectuer, la plupart du temps incons-
ciemment, un grand nombre de ces jugements de
valeur.
Notre comportement et nos relations - que ce soit
par la pensée ou lors d'un contact direct - portent
l'empreinte de ces représentations intériorisées, de
nos attentes, de nos images et symboles. Nous sommes
tributaires, dans la conduite de notre existence, de
l'<< imagerie intérieure,, 1ssue de nos expériences
individuelles.
L'attente de telle ou telle expenence, chez un
individu, se fonde 1) sur la base instinctuelle, les
expériences phylogénétiques, et 2) sur son vécu, ses
expériences personnelles et ses expériences actuelles.
Nous formons notre image intérieure d'une personne
à partir des signes, sensations et sentiments que nous
avons perçus en la rencontrant par le biais de nos
perceptions visuelles, tactiles, auditives, phonétiques
et cénesthésiques.
En d'autres termes : face à autrui, nous rassemblons
des expériences et les relions à nos perceptions - des
perceptions constituées de signes comme la stature,
la voix, les mots, les couleurs, la coiffure, l'odeur, les
mouvements, etc. Les expériences conscientes et
inconscientes que nous avons enregistrées et emma-
gasinées sont le support et partie intégrante de la
38 Pourquoi la souffrance

tonalité générale de notre image intérieure. A partir


de cette image, qui sera affectée d'un jugement de
valeur par l'association avec nos sensations et nos
sentiments, nous orientons nos attitudes dans telle ou
telle direction - attitudes qui vont à leur tour susciter
nos modes de relation et nos attentes relationnelles.
Nos expériences avec des personnes ou des objets
situés dans un environnement donné, et présentant
des signes particuliers à chacun mais variables, sont
reliées les unes aux autres. Elles vont former la base
des orientations de notre comportement et de nos
transferts. Nous avons besoin de cette forme de
transfert pour éviter tel type de contact qui constitue
pour nous une menace, ou pour reproduire tel autre
qui nous est nécessaire.
Sans nos perceptions sensorielles, nous sommes
incapables de nous orienter et incapables d'interac-
tion. Ce que nous avons perçu, et le jugement de
valeur y afférant, nous le transférons - dans un
premier temps sans vérification préalable - à d'autres
objets ou personnes avec qui nous entrons en relations
et dont les caractéristiques et la « somme des signes ,,
sont semblables à ceux de l'objet de notre première
expérience.
Mais, ce faisant, nous ne pouvons être totalement
sûrs que notre attitude, nos exigences et notre attente
soient bien adaptées à cette nouvelle rencontre. Même
lorsqu'il s'agit d'une personne présentant énormément
de ressemblances avec des gens connus dans le passé.
Cela peut entraîner des points de vue inappropriés
(préjugés) fondés sur des caractéristiques que nous
avons perçues chez l'autre. Lorsque l'expérience ori-
ginelle a eu lieu à une époque où la conscience
n'était pas encore mûre, il faut vérifier ce qui se
passe. Aux stades précoces du développement où les
Malades de nos transferts 39

intentions, les objectifs et les actions de l'enfant ne


peuvent encore être reconnus, et où il est encore
livré sans défense à des négligences et des abus,
nombre d'empreintes sont problématiques. Nous ne
sommes capables de corriger les attitudes engendrées
par des transferts que lorsque nous connaissons ce
mécanisme, et accordons toute notre attention à
l'examen et la prise en considération de ce qui se
passe en nous. Lors de contacts de courte durée, ou
de rencontres sans importance, il ne sera ni nécessaire
ni possible de rechercher les jugements de valeur
intériorisés intervenant dans le processus du transfert,
ce qui exige beaucoup d'attention consciente. Notre
attention, nous en avons besoin essentiellement pour
nos comportements de protection et de fuite. Elle
doit être disponible pour la coordination des pulsions
d'incorporation, motrices, d'accouplement et d'éva-
cuation. Ces priorités ne nous permettent pas d'exer-
cer un jugement pleinement conscient lors d'une
rencontre, pour peu qu'elle s'annonce source de
conflit. Lorsque l'une ou plusieurs des pulsions vitales
s'accroissent, notre capacité de jugement est diminuée
du fait des transferts inconscients.
Les transferts, qui subissent l'influence des attentes
inconscientes - attentes d'angoisse ou de douleur-,
rendent plus difficiles une entrée en relations, et peuvent
même dans certains cas constituer un danger mortel.
Dans le comportement psychotique, il ne peut
pratiquement pas se faire d'examen conscient du
transfert à cause de la prédominance de pulsions
hypertrophiées, et parce que des attentes d'angoisse
et/ou de souffrances très importantes viennent" exas-
pérer le conflit. Les schèmes de relations névrotiques
et psychotiques résultent d'une attitude d'antici-
pation intensément '' malade des transferts ». Des
40 Pourquoi la souffrance

transferts chaotiques s'effectuent inconsciemment, et


s'accompagnent d'explosions de détresse, de rage,
de fureur, de désespoir et d'angoisse qui n'ont rien
ou pas grand-chose à voir avec la réalité de la
rencontre en cours.
Lorsque tels ou tels signes et caractéristiques
signalent un risque de blessure ou de montée d'an-
goisse, il doit s'ensuivre une attitude d'attente appro-
priée : étant donné que la relation se révèle dange-
reuse, il nous faut être prêt à la défense, au retrait
ou même à l'attaque. En revanche, l'apparition dans
notre vie d'une personne porteuse de signes qui nous
font espérer quelque chose d'agréable déclenchera
une attitude engageante, afin de renouveler une
expérience désirable.
Un transfert neutre - nous restons dans l'expec-
tative - n'est possible que lorsque notre attente est
vécue consciemment, et non hypothéquée par des
souffrances et des peurs inconscientes. Une fois que
nous aurons décidé, dans le cadre de la rencontre
présente, de tirer au clair nos sensations et sentiments
diffus, il pourra se créer une relation sans équivoque
et réaliste.
Puisqu'elles sont associées à des objets donnés -
par exemple à tel ou tel individu et à ses caractéris-
tiques-, nos expériences positives ou négatives ayant
un effet frappant et durable vont, par suite de
transferts conscients ou inconscients, influencer notre
relation avec chaque autre personne pour l'améliorer
ou la compliquer, la mettre en péril voire la rendre
impossible. Le processus de transfert peut, dans des
cas extrêmes, constituer un danger pour l'autre ou
pour nous. Il en est ainsi lorsque le transfert est
inconscient : si nous sommes tout à fait conscients
de ce qui se passe en nous, nous n'aurons pas de
Malades de nos transferts 41

difficultés à mettre nos sensations et nos sentiments


à leur juste place.
Le transfert ne peut être utile à notre sauvegarde
que lorsqu'il s'effectue consciemment. Sinon le vécu
destructeur et/ ou satisfaisant sera transféré à l'aveu-
glette.
Les transferts se fondent sur des caractéristiques
et sur notre appréciation des expériences faites avec
des personnes dont les << signaux » ou les stimuli
sensoriels sont captés par nos organes des sens. Lors
d'une rencontre, d'une relation et d'une interaction,
nous entendons, voyons, humons et sentons les signes
et caractéristiques de notre interlocuteur ou d'un
objet donné, et de son environnement. Parallèlement,
nous ressentons en notre for intérieur tel ou tel état
d'humeur. En même temps, nos perceptions, sensa-
tions, sentiments et notre humeur seront intériorisés,
associés les uns aux autres, et emmagasinés en qualité
d'expérience. Le souvenir ainsi stocké sera déclenché
(actualisé) dès que, lors d'une rencontre réelle ou
imaginaire, émergera un objet - ou une partie d'un
objet - se rapportant à ce souvenir. Nous transférons
ensuite sur la personne ou l'objet nouvelle.m ent ren-
contré notre attente, et éventuellement nos demandes.
Ce processus se déroule soit consciemment, soit
inconsciemment.
Des événements favorables à notre sauvegarde, ou
au contraire gravement perturbateurs, sont souvent
emmagasinés inconsciemment durant les premiers
stades du développement. De ce fait, l'individu malade
est, inconsciemment, livré à son passé et, du même
coup, accablé par le fardeau des traumatismes subis.
SAIN-BLESSE-SOUFFRANT
DANS SON INTEGRITE PRIMAIRE

L'attente inconsciente des événements angoissants et


douloureux - que nous avons vécus sans le savoir -
provoque en nous ce que nous appelons une souffrance
(névrose, psychose, affection psychosomatique, délin-
quance). C'est l'attente angoissée et douloureuse de la
répétition du passé. Elle dévoile nos réactions latentes,
inconsciemment préprogrammées.
Des réactions de crainte-défense sont des mécanismes
généralisés acquis dans le passé, comme par exemple
le refoulement, le déni, le retournement en son
contraire, un embellissement, une justification, la
projection, etc. Bref, des déformations de la vérité,
parce que celle-ci n'est pas supportable telle qu'elle
a été. Mais, inconsciemment, l'on n'attend pas du
présent et de l'avenir qu'ils se montrent différents de
ce que fut le passé. Les expériences ont fixé aux
réactions des modèles que l'organisme va persister à
suivre. Des surcharges émotionnelles et des défail-
lances ont engendré des tendances qui fonctionnent
inconsciemment, et peuvent parfois amener à un
refus total de l'action, des rapports humains, voire
de la vie, ou à des actes destructeurs. Il faut enfin
accepter de voir l'ampleur des désastres que peut
entraîner la blessure de l'intégrité primaire. Il est
effrayant de voir à quel point l'aptitude à vivre et la
Sain-blessé-souffrant 43

capacité relationnelle d'un être humain peuvent être


perturbées par des abus de sa faiblesse primaire.
Des blessures physiques et morales survenues sans
que l'on en prenne conscience, une souffrance infligée
apparemment sans cause : tout cela décide de ce que
seront nos forces et comment nous les mettrons en
œuvre. Que nous fassions de notre vie quelque chose
de constructif ou de destructeur dépend de nos
réactions personnelles, tant conscientes que latentes-
inconscientes. Et ces dernières sont liées à nos expé-
riences primaires. C'est pourquoi, s'il existe en nous
une tendance à vouloir détruire un autre être humain,
nous n'en sommes pas forcément conscients. La
tendance destructrice s'enracine dans une expérience
oubliée depuis longtemps qui provoque en nous un
malaise - malaise à peine perceptible, mais qui a fait
son œuvre.

FAIBLESSE PRIMAIRE

La méconnaissance et l'abus de la faiblesse primaire


engendrent des états de souffrance et des troubles
relationnels.
La représentation schématique du circuit suivi par
les besoins humains dans leur développement, en
partant du besoin jusqu'à sa satisfaction, montre
comment un être peut être atteint de perturbations
fondamentales dans son système (voir p. 46).
La dépendance de l'enfant, consécutive à sa fai-
blesse, elle-même liée à l'inachèvement de son déve-
loppement intellectuel (visible, dans le schéma no 1,
à la troisième position: «Vérification de l'objet »),
englobe entre autres l'incapacité du petit enfant à
raisonner, à formuler verbalement des concepts, et à
44 Pourquoi la souffrance

identifier et comprendre les motivations des actes des


adultes. Par suite de sa dépendance, l'enfant est obligé
de refouler et d'oublier les mauvais traitements qu'il
subit, sa faiblesse ne lui permettant pas une autopro-
tection adaptée. Il est entièrement, ou presque, livré
aux humeurs des adultes.

SCHEMAS DES CIRCUITS

Le premier schéma représente le circuit suivi dans


le cas d'un développement sain, à partir du besoin
jusqu'au repos-récupération.
Le deuxième schéma montre une situation de
blessure : elle perturbe le circuit, et donc les besoins
vitaux. A présent, trouver le repos devient problé-
matique, et/ou il subsiste une crispation sous-jacente
qui va troubler durablement l'harmonie intérieure.
C'est déjà là l'état d'un individu qui souffre.
Le troisième schéma montre le circuit perturbé :
à la suite de la blessure, le cours des événements a
été modifié. (Les troubles et travestissements de la
satisfaction naturelle des besoins par des perversions
seront décrits plus loin.) Les perversions individuelles
ne sont rien d'autre que des réactions à des blessures.
Elles naissent comme des tentatives de dérivation ou
d'évitement, en réaction à des atteintes à l'intégrité
primaire du circuit. Les causes, ici encore, se nomment
peur, douleur, sentiment de ne pas être à la hauteur.
Regardez le schéma: votre circuit personnel pri-
maire, dans son intégrité, intact. Puis réfléchissez à
votre propre histoire. Cherchez les perturbations et
les atteintes qui ont pu provoquer des difficultés
émotionnelles et des blocages.
Sain-blessé-souffrant 45

Ce schéma peut s'appliquer à tous les domaines


de besoins:
3) En ce qui concerne les besoins cognitifs, la
compréhension - nous avons besoin d'informations
vraies, correspondant à la réalité.
2) En ce qui concerne les besoins émotionnels, les
sentiments - tu es quelqu'un de bien, tu réussis, c'est
bien comme ça ...
1) En ce qui concerne les besoins somatiques, du
corps - les sensations sont correctes ...

Les blessures ont toujours pour conséquence une


crainte inconsciente.
La crainte est convertie en attitudes individuelles de
défense afin d'assurer la survie.
Les blessures de l'intégrité primaire ont pour consé-
quence inévitable la souffrance.
La prise de conscience de la faiblesse d'autrefois, et
la réaction assurant un << rattrapage » de l'événement
primaire permettent de réduire, voire de faire dispa-
raître, cette souffrance.

ABOLITION DE TYPES SPECIFIQUES


DE SOUFFRANCES

On aura aboli :
-Une compulsion de servitude lorsqu'on ne sera
plus inconsciemment obligé de se mettre, bien qu'on
ne le souhaite pas, au service d'autrui;
-Une compulsion à se taire, une compulsion anti-
pensée, une compulsion ami-émotion, une compul-
sion ami-sensation,
• lorsqu'on sera capable de décider librement si
l'on veut se taire, parler, penser, ressentir, éprouver;
46 Pourquoi la souffrance
SCHÉMA SAIN-BLESSÉ-SOUFFRANT
_ _ _ _ _ _.,.. engendre/apporte

Au commencement estooooooooooo ooooooooooBesoin

Comportement de recherche
1) NORMA U
SAIN
Détente Vérification de l'objet

Satisfaction

Besoin

2) BLESSURE
Etat de crispation Comportement de recherche
sous-jacente
Cécité par rapport à l'ob-
Crainte jet, en tant que faiblesse
(culpabilité-peur) primaire ou secondaire
sans la possibilité d'iden-
tifier la raison de la dou-
leur
Douleur

Besoin
(ou cas échéant perversion)
3) SOUFFRANCE
(réaction à la blessure)
Recherche d'évitement/
POSITION TERMINALE * modification
Haine (crainte et rage)
Etat de crispation, car
Accroissement de la tension douleur attendue sans rai-
(punition-douleur) son identifiable

ooo DOULEUR-PLAISIR-DOULEUR ooo


Abréaction, tentative de satisfaction déviant de la normalité,
besoin substitutif

* A inclure dans cette catégorie : désespoir, résignation, tristesse, épuisement, colère, etc.
Sain-blessé-souffrant 47

• lorsqu'on pourra accepter ses émotions et ses


sensations, et les vivre de la manière «bonne pour
soi ,,, sans être contraint d'agir sous l'emprise de la
crainte;
• lorsqu'on sera délivré de la compulsion qui
inconsciemment oblige à obéir, à «aimer,,, à servir,
à s'infliger des privations, à souffrir, à désespérer, à
haïr, à se mettre en rage, à tempêter, à être plongé
dans la tristesse, à se résigner, à se soumettre, à
craindre, à être à bout de forces;
• lorsqu'il sera devenu possible de prendre sa vie
en mains, de la mener librement et consciemment
comme on l'entend, lorsqu'on aura acquis le droit
d'aimer ce qui est véritablement aimable.

Dans le premier cercle du schéma, « normal/ sain »,


position 1-6, il est aisé de reconnaître comment se
déroule le processus de la satisfaction du besoin: il
passe par le comportement de recherche de l'objet et
sa vérification. Selon l'objet de l'assouvissement, il
sera décidé si cet assouvissement peut apporter ou
non du plaisir, afin que s'installe la détente. L'inter-
action ayant fonctionné avec succès, l'on peut ensuite
se reposer jusqu'à ce que se manifeste un nouveau
besoin.
Exemple: Le nourrisson a faim, il cherche sa mère
qui tient compte de son appel et y réagit correctement.
Ici se situe déjà le premier stade de la vérification de
l'objet. Sur ce, il cherche et trouve le sein, tète avec
plaisir, jusqu'à ce que, rassasié et détendu, il sourie
à sa mère. Elle le berce, et il s'endort dans ses bras.
Au bout d'un certain temps de repos, il va se réveiller
et chercher sa mère des yeux en lui souriant.
Dans le schéma «blessure», nous voyons comment
au point 3 - cécité par rapport à l'objet - l'enfant
48 Pourquoi la souffrance

est à la merci de l'adulte et, étant donné sa faiblesse,


risque de subir un dommage. J'appelle <<cécité par
rapport à l'objet,, l'impuissance de l'enfant, son
inexpérience, sa totale dépendance. Sa faiblesse soumet
l'enfant à l'arbitraire de l'adulte qui peut, à son gré,
lui infliger des blessures. L'assouvissement de ses
besoins, qui devrait être vécu comme un plaisir,
devient du fait de la blessure une expérience doulou-
reuse, sans que l'enfant ait la possibilité d'identifier
la cause de sa douleur. Un enfant n'est que besoin,
et doit obéir à ses besoins. Tout refus, toute rebuffade,
est une maltraitance. Quelle que soit la raison de
celle-ci, l'enfant ressentira la blessure comme son
insuffisance personnelle.
Exemple de blessure : Le nourrisson a faim, il
appelle, il crie, mais la mère réagit par de l'énerve-
ment. Elle réchauffe hâtivement le biberon, vérifie à
peine la température du lait, soulève l'enfant avec
des gestes brusques et un visage renfrogné. L'enfant
pleure, ouvre la bouche de mauvaise grâce, essaie
avec plus ou moins de succès de refuser le liquide
trop chaud. Lorsque l'aliment est trop chaud, les
muqueuses buccales sont surstimulées ou brûlées.
Non seulement la tolérance chaleur-douleur de la
bouche sera artificiellement accrue, mais encore
<<l'endurcissement ,, entraînera une accoutumance
contraire aux données physiologiques. Cette tolérance
anormale à la chaleur peut frayer la voie à des lésions
organiques, voire les provoquer directement. (En
outre, l'on prédispose ainsi à devenir fumeur - ou à
d'autres habitudes créant une surstimulation.) Au lieu
de la satisfaction attendue, accompagnée de plaisir,
l'enfant se voit infliger de la douleur- et ce justement
par sa mère ou la personne qui s'occupe de lui, dont
il attend le contraire, à savoir aide et apaisement.
Sain-blessé-souffrant 49

Cet enfant garde dans sa mémoire l'expression pleine


de reproches de sa mère. Dorénavant, il va prendre
peur dès qu'un besoin se manifeste, et tenter en vain
de modifier sa situation. Ces atteintes physiques et
morales (dans notre exemple: des blessures massives
du premier et du deuxième niveau relationnel) vont
créer dans ce système des hyperréactions latentes, qui
constituent un fardeau pour l'individu et sont géné-
ratrices d'une anxiété permanente.

L'(AUTO)DAMNATION

La douleur et la déception suscitent chez l'enfant


des sentiments de peur et de culpabilité. Mon système
n'a pas été à la hauteur, proclament désormais les
instances de contrôle de l'enfant. A l'avenir, cet
enfant aura peur de ses besoins, se crispera lorsqu'il
en ressentira un, parce que son système l'alerte : il
doit s'attendre à être blessé. Parallèlement, il craint
également la/les personne(s) qui s'occupe(nt) de lui,
qu'il continue toutefois, aussi longtemps que possible,
d'idéaliser afin de pouvoir survivre. Après les expé-
riences répétées, sa confiance en soi se mue en
méfiance : la confiance en soi, fondement de toute
activité, s'évanouit. Du coup, il lui deviendra impos-
sible de vivre sainement. Cet enfant durablement
insécurisé ne connaîtra quasiment jamais un vrai
repos. Il est toujours en proie à des sentiments de
culpabilité inconscients, et il souffre.
Le troisième schéma, « la souffrance » , Le tableau,
ici, devient le suivant : dès que, dans son système, le
besoin vital devient irrépressible, l'enfant est obligé
d'obtenir que son besoin soit satisfait. Mais sa pulsion
va déclencher un état de crispation - voire une
50 Pourquoi la souffrance

véritable crise - dû à sa peur, car tout en éprouvant


et ressentant ses besoins il s'attend, par expérience,
à une douleur qu'il voudrait éviter. Dès lors que le
besoin est plus fort que l'attente de subir peur et
douleur, l'enfant se résignera également à une satis-
faction substitutive. Il se rend aux conditions et aux
exigences de l'environnement. Il est déjà habitué à
souffrir et prêt au renoncement. Dans des cas extrêmes
il devra mourir. Il enregistre inconsciemment dans
son système la colère, la rage, le désespoir, les
sentiments de culpabilité et de peur, la haine
qu'éveille en lui cet assouvissement raté et douloureux
de ses besoins, comme un échec de sa faculté
d'adaptation. L'ensemble de la situation sera emma-
gasiné, en liaison avec les éventuelles perceptions de
l'entourage. Le résultat de tout cela: un enfant tendu,
toujours crispé en son for intérieur, sur la défensive
- un pauvre enfant qui souffre. Il craindra cette haine
et cette rage inconscientes liées à ses expériences et
qui bouillonnent en lui, mais ne saura que faire pour
s'en sortir. Dès son réveil, chaque journée sera pour
lui un fardeau.
Exemple de souffrance: Le bébé fait un cauchemar,
se réveille tout rouge et en hurlant. La mère arrive,
mais cet enfant ne lui donne aucune joie, elle l'a en
aversion. Pendant qu'elle accomplit son devoir - par
peur d'une sanction, non par amour pour l'enfant-,
toute son attitude exprime le rejet. Le nourrisson
cherche sa nourriture et en même temps a envie de
la refuser, car il s'est déjà réveillé dans l'angoisse et
la douleur et s'attend à une nouvelle douleur. Tendu,
crispé, il cherche et refuse à la fois, et c'est pour lui
une torture. Il avale sa nourriture de force et dans
la douleur. Sa tension physique et son désespoir
augmentent puisque, malgré tous ses efforts, il ne
Sain-blessé-souffrant 51
parvient pas à s'adapter de manière satisfaisante.
L'enfant est épuisé, triste, plongé dans le désarroi, et
la mère, mécontente, le laisse seul. L'enfant finit par
s'endormir, épuisé et en ayant peur de tout.

CE QUI SOMMEILLE DANS LA CRAINTE

Tant que nous souffrons de tensions dues à des


blessures, des surcharges émotionnelles ou des pri-
vations, nous vivons sans le savoir à la merci de notre
passé. Nous lui obéissons aveuglément, et vivons ainsi
dangereusement, car le transfert inconscient tient les
commandes.
Reprenons le schéma (voir p. 46) illustrant la souf-
france : nous allons nous trouver emprisonnés dans
la position terminale, en ligne de défense contre de
vieux tourments. Malheureusement, nous ne sommes
guère capables de nous rendre compte de tout ce qui
agit en nous. Nous ne sommes pas davantage
conscients, la plupart du temps, de l'intensité de nos
sentiments. Les réactions latentes tapies en nous,
prêtes à entrer en action, sont parfois comme des
bombes secrètement programmées, dont le détonateur
répond à des signes codés que nous ne connaissons
pas car le programmateur ne nous en a pas informés.
Chaque fois qu'une explosion menace, montent en
nous des sentiments qui déclenchent la sonnerie
d'alarme, provoquent la mobilisation et nous tour-
mentent, sans que nous puissions en comprendre
exactement la cause. Bien entendu, nous souffrons
de cet état, qui suscite en nous des manifestations
physiques ou des poussées émotionnelles à peine
supportables, liées à des sentiments de haine - haine
des autres et de soi-même. Pour guérir, il est néces-
52 Pourquoi la souffrance

saire de nous autoriser à éprouver toutes ces sensations


et tous nos sentiments, à ne pas les réprimer; il faut
au contraire leur accorder notre attention en nous
demandant comment, en quelles circonstances, pour-
quoi et en face de qui ils se sont déclenchés. Tous
les sentiments, positifs et négatifs, et en particulier
les sentiments de haine très violents et les désirs
irrésistibles, sont des traces nous ramenant, à coup
sûr, vers notre passé. Ces traces, il faut les suivre
pour en identifier l'origine et faire disparaître compul-
sions et détresse. La détresse se signale par des
sentiments de haine, de colère, de peur, de désespoir,
de chagrin, d'épuisement et de résignation: tout cela,
ce sont des rappels que nous adresse notre passé. Et
notre crainte les recèle. La force destructrice latente
enfouie en nous est à l'image des blessures primaires :
grande et dangereuse. De vieilles forces destructrices
sont perpétuellement à l'œuvre, ou prêtes à agir,
comme une bombe à retardement dont la minuterie
est enclenchée. Elles sont nées dans la victime, en
l'enfant maltraité.
II. LA THERAPIE
DE QUOI S'AGIT-IL?

Le nom de << thérapie primaire ,, est une indication


de ce qui se passe dans la thérapie, à savoir la mise
au clair curative des relations primaires et des diffi-
cultés qu'elles ont engendrées. Le but est la liqui-
dation de l'angoisse, des souffrances et du désarroi
d'origine primaire par la reconnaissance de leurs
raisons secrètes. Ceci implique la confrontation << soli-
taire » avec les parents et avec toutes les autres
''personnes primaires"·
La thérapie primaire est une '' auto-aide » qui peut
s'apprendre. Cela exige beaucoup de discipline et
d'endurance. La thérapie explore les événements du
passé, qui doivent maintenant être revécus consciem-
ment et activement.
Dans notre centre thérapeutique, la thérapie s'ef-
fectue en deux temps : une période de thérapie de
base, suivie d'un travail en groupe. La thérapie de
base dure en moyenne vingt à vingt-cinq jours, répartis
sur quatre à cinq semaines. Chaque journée comporte
une séance d'en principe trois heures, le reste du
temps étant consacré au repos et au travail personnel,
par exemple la réécoute des enregistrements de la
thérapie. La thérapie en groupe qui succède à cette
thérapie de base se déroule à raison d'une séance par
semaine, très régulièrement. Chaque séance dure
56 Pourquoi la souffrance

cinq heures, et est dirigée par le/la thérapeute. Dans


la plupart des cas, la thérapie en groupe s'étend sur
une période variant de plusieurs mois à plusieurs
années.
Certains patients parviennent, à l'issue d'une période
de base, à poursuivre la thérapie par eux-mêmes. La
thérapie en groupe n'est indiquée qu'une fois que la
thérapie de base a permis de bien assimiler les
découvertes fondamentales. Le groupe apporte une
stimulation considérable, et apprend à partager les
expériences d'autres personnes.
La thérapie primaire est tout à la fois une prise
de conscience de soi-même et un système d'appren-
tissage qui doit permettre à l'individu de mettre au
clair, et de liquider, ses troubles relationnels et ses
désarrois. Ce qui jusque-là avait été << subi » devient
<< vécu ,,, les souvenirs accèdent à la conscience.

Il se crée une conscience qui ouvre à l'être humain


l'accès à ses pensées, à ses sentiments et à ses
sensations. Au fur et à mesure du déroulement de la
thérapie, l'individu souffrant acquiert de nouvelles
possibilités qui jusque-là lui restaient cachées. Avec
le temps il va disposer, pour ses rencontres présentes
et futures, d'une attitude d'attente sereine, réaliste,
qui le rendra capable de réactions saines et construc-
tives. Le processus de guérison prend un temps très
variable, et ne dépend pas uniquement de la thérapie.
Certaines personnes gravement atteintes sont obligées
de travailler sur elles-mêmes, au moyen de la thérapie,
des années durant pour pouvoir simplement conti-
nuer, tant bien que mal, à vivre.
LE THERAPEUTE

Les thérapeutes pratiquant cette forme de thérapie


primaire doivent posséder une formation générale
approfondie. Les médecins et les psychologues pré-
sentent, de par leur profession, les profils les plus
favorables. Les thérapeutes doivent être suffisamment
avancés dans leur thérapie personnelle pour pouvoir
affronter n'importe quel problème. Ils doivent pos-
séder des connaissances sur l'évolution des êtres
vivants, en psychologie et en physiologie. Les thé-
rapeutes doivent être libres de toute crainte. Ils
doivent pouvoir au moins reconnaître ouvertement
les peurs et les douleurs subies dans leur propre
enfance, et savoir comment se comporter à leur
égard. Ils doivent savoir se prendre en charge. Les
thérapeutes doivent avoir le sens des réalités. On est
inapte à ce métier si l'on est dépendant envers l'alcool
ou la drogue, si l'on a soif de reconnaissance, ou si
l'on vit dans des rapports de dépendance susceptibles
d'amener à se renier ou à se laisser abuser. Un
thérapeute qui se juge supérieur aux << simples >>
humains, et pense qu'il sait mieux que quiconque ce
qui s'est passé dans la vie du patient, est dangereux.
Les thérapeutes ont besoin d'une grande expérience
de la vie, et de la faculté de comprendre intuitivement
la personne qui vient chercher de l'aide. Un théra-
58 Pourquoi la souffrance

peute incapable de faire preuve de patience envers


les personnes qui se confient à lui est inapte à ce
métier. Les thérapeutes compétents sont capables de
présenter leurs excuses s'ils ont commis une erreur
et ne laissent subsister aucun malentendu. Les thé-
rapeutes doivent être des hommes et des femmes
sensibles, aux connaissances étendues, compréhensifs
et secourables. Etre thérapeute est une tâche difficile
et exigeante. Se confronter avec les égarements
humains les plus incroyables, les plus terribles et les
plus ténébreux, on ne peut le demander qu'à des
hommes et des femmes stables et solides. Et l'on ne
doit, me semble-t-il, accepter ce travail que si on le
conçoit comme un service rendu à l'évolution de
l'être humain.
CONDITIONS NECESSAIRES A LA THERAPIE

Avant toutes choses, il faut déterminer si une


psychothérapie est nécessaire, ou si la souffrance est
due à des affections organiques. Un examen médical
fiable est indispensable. S'il y a lieu, la décision de
suivre la thérapie sera prise par l'intéressé lui-même.
La thérapie primaire est la confrontation totale
avec son passé et, de ce fait, elle est très éprouvante.
La ferme résolution d'oser cette confrontation
'' advienne que pourra ,, est une condition essentielle,
car il est fort probable que l'on devra affronter des
événements terribles. Malgré cela, la thérapie est
constructive.
Commencer la thérapie avec un accompagnement
approprié est comparable à un accouchement avec
une bonne assistance. Celle-ci ne peut être assurée
que par quelqu'un qui veut ''l'enfant''· Mais si l'on
ne peut trouver ce quelqu'un, il est nécessaire de se
créer le thérapeute en soi-même. C'est possible: les
hommes et les femmes qui, courageusement, ont osé
le tenter et vu leurs efforts couronnés de succès en
apportent la preuve. La thérapie peut s'apprendre au
moyen de la description que nous en donnons dans
cet ouvrage. La tragédie des enfants non aimés est
terrible. Elle pèse d'un poids si lourd, blesse si
durement parce que l'enfant ne peut absolument pas
60 Pourquoi la souffrance

comprendre ce qm est arrivé. Laisser un enfant


manquer de soins est contraire aux lois biologiques.
Pour cet enfant, il est presque intolérable de devoir
se rendre compte qu'il a toujours été mal aimé, et
qu'en réponse à chacune de ses demandes d'amour
il a été utilisé, exploité, menacé, terrorisé, battu,
abusé, rejeté. De sorte que, finalement, chaque fois
que quelqu'un lui témoignera une affection sincère,
il ne pourra s'empêcher de soupçonner un piège et
de se << refuser » parce que cela signifie : danger.
L'enfant ne peut admettre que ces êtres auxquels il
était entièrement livré, pour le meilleur et pour le
pire, ne l'ont pas aimé mais haï. Seulement, son
inconscient pilote son système pour éviter des dangers
- et, ce faisant, il fuit la vie. La joie de vivre a
sombré dans un amer océan de silence. Lui faudra-
t-il donc jusqu'à la fin de ses jours obéir aux zombies,
et n'être lui aussi qu'un mort vivant? Non. Par
bonheur pour lui, la thérapie existe : mais sortir de
cette torpeur, se désensorceler, est une tâche que
chacun doit accomplir lui-même.

LE PREMIER RENDEZ-VOUS

Il sert à déterminer d'une part si le patient veut


faire la thérapie avec ce thérapeute-ci, et d'autre part
si le thérapeute veut et peut aider ce patient-ci. De
plus, il faut également discuter des conditions finan-
cières et les fixer. Si vous avez trouvé un thérapeute
qui peut pratiquer une thérapie primaire, il faudra
vous résigner à une certaine période d'attente. Vous
lui enverrez une courte << autobiographie » et devrez
remplir les questionnaires dont le/la thérapeute a
besoin pour son information.
LE TRAVAIL THERAPEUTIQUE

Ce travail se déroule en étroite association avec le


thérapeute, car il se crée ainsi un climat de confiance.
Le patient habite un logement approprié où il est au
calme, retiré, ''cloîtré», seul avec lui-même. L'idéal
est sans doute qu'il puisse loger au centre thérapeu-
tique même, mais cela implique des investissements
et des frais de fonctionnement.
Pour suivre la thérapie de base, le patient devra
accepter certaines conditions que le thérapeute for-
mulera lorsqu'il lui donnera, personnellement, ses
directives. Celles-ci comportent les prescriptions
d'abstinence, les conditions de travail, et des conseils
pour la bonne marche de la thérapie.
Le travail thérapeutique commence par le rappel
à la mémoire de l'histoire de votre vie, en la mettant
par écrit aussi complètement que possible. Commen-
cez par la description de la situation que vivaient vos
parents avant leur mariage. Un petit arbre généalo-
gique, remontant à la génération des grands-parents,
en donnera un premier aperçu. Vous inscrirez sur
un tableau les données concernant votre vie person-
nelle, avec des mots clés, et vous compléterez ce
tableau par des dessins montrant telle ou telle situation
que vous avez vécue. Des croquis représentant l'en-
vironnement et le logement où vous avez passé votre
62 Pourquoi la souffrance

enfance sont très utiles pour raviver les souvenirs. Les


exemples figurant pp. 66 sqq servent d'illustration.
Lorsque l'on doit mener la thérapie seul, sans aide,
on se comporte comme si un thérapeute était présent.
En ce cas, la description que vous trouverez dans ces
pages peut, partiellement du moins, jouer un rôle de
« tuteur ''· Essayez d'intérioriser provisoirement un
thérapeute imaginaire, par exemple l'auteur. Avec le
temps, vous deviendrez votre propre thérapeute, dis-
ponible à tout moment. Vous pourrez vérifier, aussi
souvent que vous le souhaiterez, votre méthode
d',, auto-aide,, en vous reportant à la description.
Avec ou sans thérapeute, la démarche thérapeutique
est foncièrement la même.

DIRECTIVES POUR LA THERAPIE DE BASE

Ces directives sont données au patient avant le


début de la thérapie. Elles doivent être respectées.
Mais si d'aventure l'on y contrevient, ce n'est pas un
crime. Elles sont conçues pour apporter une aide et,
lorsqu'on les observe, peuvent favoriser la thérapie.
Les écarts doivent être signalés au thérapeute afin
que, bien informé, il puisse vous aider le plus
efficacement possible.
1. Cessez de fumer et de consommer des boissons
alcoolisées vingt-quatre heures avant le début de la
thérapie. Arrêtez maintenant de vous intoxiquer avec
ces produits: vous avez besoin de votre énergie pour
guérir.
2. Les somnifères et autres drogues doivent être
supprimés au début de la thérapie et jusqu'à nouvel
ordre.
3. Vous devez passer la journée précédant le début
Le travail thérapeutique 63

de la thérapie - c'est-à-dire les dernières vingt-quatre


heures - seul et cloîtré. Vous pouvez, pendant ce
temps, lire la documentation concernant la thérapie.
Vous avez le droit d'aller vous promener, mais non
de rechercher d'autres distractions.
Toutes les activités sexuelles doivent être suspen-
dues. Non que nous les considérions a priori comme
malsaines, mais parce que l'abstinence favorise la
thérapie. C'est pourquoi, si vous commettez un écart,
nous vous prions de le signaler sans délai. Merci.
Toutes ces dispositions ont pour but de vous aider
à atteindre complètement vos sentiments et vos sen-
sations. Tenez un journal : vous pourrez le donner à
lire au thérapeute si vous l'estimez utile. Notez ce
qui vous arrive, comment vous vous sentez. Notez
vos souvenirs.
4. Au cours de la thérapie, essayez de dire sans
réserve toutes les émotions que vous éprouvez, tout
ce qui vous préoccupe. Vous pouvez poser n'importe
quelle question, on vous y répondra sincèrement. Si
vous êtes fatigué, veuillez l'indiquer : on ne peut
suivre une thérapie avec profit quand on est épuisé.
5. Vous avez droit à trois heures quotidiennes de
thérapie. La séance peut être interrompue à tout
moment, soit par le thérapeute soit par vous-même,
si cela paraît nécessaire pour la thérapie. Vous passerez
le reste de la journée à vous reposer, à « digérer ,, la
thérapie (vous pouvez écouter l'enregistrement de la
séance au magnétophone). Interrompez l'écoute dès
que vous vous sentez fatigué. Une fois reposé, vous
la reprendrez à l'endroit où vous vous êtes arrêté: il
est important de la réécouter dans sa continuité.
Prenez des notes sur la thérapie, et complétez pro-
gressivement votre << autobiographie >>. Dès que vous
en aurez la possibilité, faites les tableaux et dessins
64 Pourquoi la souffrance

conseillés dans la documentation : votre arbre généa-


logique, le tableau synoptique, le croquis du cadre
de vie. Vous compléterez le récit de votre vie par
une description de la situation de vos parents avant
leur mariage.
6. Reposez-vous le plus possible et faites des pro-
menades. Si vous voulez pratiquer un sport, parlez-
en d'abord au thérapeute. Veuillez vérifier soigneu-
sement si vous avez fourni tous les renseignements
nécessaires à la thérapie. Relisez à plusieurs reprises
toutes les informations concernant la thérapie. Tout
ce que vous confierez à votre thérapeute restera entre
lui et vous : un psychothérapeute est astreint au secret
professionnel. Vos informations seront protégées de
tout regard indiscret.
7. N'hésitez pas à passer un coup de fil au théra-
peute si vous sentez que vous n'allez pas bien. Son
numéro de téléphone est inscrit sur votre appareil.
8. Dans votre intérêt, vous devez vous appliquer à
respecter toutes les directives. Si quelque chose ne
vous paraît pas clair, n'hésitez pas à poser des
questions.

LE CABINET THERAPEUTIQUE

Cette pièce doit être spécialement insononsee et


capitonnée afin que d'éventuelles manifestations phy-
siques du patient ne créent pas de problèmes. Il doit
y régner une température agréable, ses murs doivent
être de couleur sombre et l'éclairage réglable. Un
magnétophone avec télécommande fait partie de
l'équipement (voir également pp. 104-105).
Dans la mesure du possible, la pièce sera, pendant
la séance de thérapie, tout à fait silencieuse et
Le travail thérapeutique 65

obscure : les perceptions sont ainsi plus intenses, et


les souvenirs reviennent avec des images plus nettes.
La dimension du divan doit être suffisante pour que
le patient ne soit pas limité dans ses mouvements.

" PLANS DE VIE,,

L'attente inconsciente de l'événement angoissant et


douloureux - que nous avons vécu sans le savoir -
suscite en nous ce que nous appelons une souffrance.
C'est l'attente angoissée/ douloureuse de la répétitz"on du
passé, une attente chargée de nos réactions latentes
inconscientes, prêtes à se déclencher.
66 Pourquoi la souffrance

CÔTÉ PATERNEL

FRANÇOIS 99 HÉLÈNE 03
PAYSAN COUTURIÈRE
AU FOYER

FRANÇOIS ERNEST THOMAS DORA


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DANIEL
55
FONCTIONNAIRE
Le travail thérapeutique 67

CÔTÉ MATERNEL

RUDOLF 95 URSULE OS
EMPLOYÉ DES POSTES INSTITUTRICE

HENRI ISABELLE DORA


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THOMAS SABINE
58 59
TRAVAILLEUR SOCIAL INSTITUTRICE
19- 54,55,56,57,58,59,60 161 162163 64 65 66 67 68
PÈRE Taciturne, travailleur, coléreux, rude è la peine.
FRANÇOIS
3.1.24
Enfant trouvé

30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44
MÈRE Une sainte nitouche qui manipule mari et enfants.
DORA
6.8.22

32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46
FRÈRE Le chouchou de la mère. Le plus important pour lui : ses collègues.
DANIEL
10.10.55

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
THOMAS
9.2.58 .,.ai
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0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
SOEUR La préférée du père. Sévère envers elle-même.
SABINE
17.3.59

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1
1
71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89
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14.
8

47 48 49 50 51 52 53
Sentiments de culpabilité, arthrose.

49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67

16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34

Ce tableau sert 6 fixer les souvenirs.


Sur la ligne supérieure: les chiffres indiquant l'année.
En dessous, par ordre chronologique, les frlres et sœurs.
Les chiffres correspondent 6 leur Ige.

Vous vous réservez le plus grand espace,


pour y inscrire des mots clés:
- Evénements -Maladies
-Accidenta - Opérations
-Scolarité - Déménagements, amis, ennemis etc.

13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31

12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
CADRE DE VIE 1

ARMOIRE


LITA
BARREAUX
-
[
PÈRE

PIÈCE
MÈRE ALANGER

• D
Daniel a de 0 à 2 ans
Nous tentons de faire prendre conscien c e
du cadre de vie de l'enfance
en faisant dessiner le plan de l'appartement.

ENTRÉE
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Daniel 5 ans, Tho rtagent le même lot
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jusqu'à la naossan

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1 • 1 TABLE
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1

• RADIO + ÉLECTROPHONE
CADRE DE VIE 3

LOGGIA

BRIC ABRAC
ET TRÉSORS

ARMOIRE
avec vieux "déguisements"

• CHAMBRE PARENTS

PÈRE

MÈRE

• j

DANIEL A
UN TRAIN
Daniel14 ans, Thomas11 ans, Sabine 10 ans
Thomas et Sabine ont partagé le même lit
jusqu'au 5' anniversaire de Thomas environ .

~NTICHAMBRE

ENTRÉE

THOMAS

SABINE ET
SDN NOUNOURS

) •
Il

TOUJOURS LE MÊME
VIEUX MACHIN
AVOCAT DE L'ENFANT

Vous devez à présent vous faire l'avocat de l'enfant


blessé, l'avocat de l'enfant qui est en vous et qui, par
crainte de dangers inconscients, influence jour après
jour votre comportement, vous empêche d'agir et de
décider librement. Le thérapeute connaît le phéno-
mène du transfert, qui fait sans cesse reporter sur
l'entourage nombre de sensations, d'émotions et de
jugements venus de l'enfance. Dans la thérapie pri-
maire, le transfert sur le thérapeute joue également
un rôle. Même si nous ne les mettons pas en œuvre
de manière ciblée, les transferts sont inévitables. Il
est très utile que vous exprimiez, autant que faire se
peut, tout ce que vous ressentez, y compris lorsque
cela vous paraît osé, inconvenant ou insolent. Essayez
également de parler en vous débarrassant de toute
censure, et à cœur ouvert. Dans la thérapie, vous
n'avez à redouter ni rejet ni sanction. La thérapie est
là pour << faire le ménage ,, de notre misère morale.
Or on ne peut mettre de l'ordre que si l'on a le
courage de regarder le désordre.
Si vous sentez devoir agresser le thérapeute, il faut
exprimer ces sentiments aussitôt que possible. Au cas
où vous vous sentiriez menacé ou bloqué par le
thérapeute, dites-le sans tarder. Les sentiments, cela
peut se comprendre, et ceux qui ne se rapportent
78 Pourquoi la souffrance

pas à la situation actuelle pourront aussi être effica-


cement remis en place.
Tout commencement est difficile. A partir du
moment où il connaît bien votre histoire et a compris
votre problématique, le thérapeute peut vous aider,
vous apporter un soulagement et un encouragement
à progresser. Il vous accompagnera pas à pas dans la
thérapie. Elle sera enregistrée au magnétophone, afin
que vous puissiez écouter ces enregistrements pour
retravailler ce qui s'est passé durant les séances et
l'approfondir. Faites-le, comme nous l'avons dit, de
manière suivie, mais seulement quand vous vous
sentez réceptif et capable de cette écoute.
Durant la thérapie, vous garderez les yeux fermés.
Même dans une pièce où l'on a fait l'obscurité, il
subsiste encore des reflets lumineux gênants. L'hy-
persensibilité ou l'anxiété peuvent empêcher de fer-
mer les yeux : en ce cas, il est indispensable de le
reconnaître et d'en parler. Avoir les yeux clos permet
de mieux se concentrer et de << voir , plus nettement
les images surgies de vos souvenirs. Nos possibilités
de remémoration sont variables. D'un côté, il peut
être possible de << voir >> des scénarios entiers, comme
dans un film. De l'autre côté, il existe beaucoup de
gens qui, de par leur attente d'angoisse ou de douleur,
ne s'autorisent jamais une image directe, distincte, de
leurs parents ou des personnes qui s'occupaient d'eux.
De ce fait, beaucoup de patients s'attachent, dans un
premier temps, à se remémorer des situations en les
décrivant. Un souvenir peut être rappelé à la <<vie>>
à partir d'un souvenir partiel. Parfois, l'on peut aussi
réactiver le souvenir de personnes et d'histoires du
passé à l'aide de photos de cette époque. C'est parfois
sur une photo que l'on sera pour la première fois
Avocat de l'enfant 79

capable d'un regard conscient et critique sur des


parents et des relations.
Il est essentiel, pour le progrès de la thérapie, de
nouer aussitôt que possible le dialogue avec les
personnes de référence actuelles et d'autrefois - un
vrai dialogue que vous mènerez, à haute et intelligible
voix, avec les personnes qui peuplent vos souvenirs.
Un dialogue est constitué de vos propos et des
réponses de votre << interlocuteur ''· Vous tirerez ces
réponses de tout ce dont vous vous souvenez: atti-
tudes, mimiques, gestes, remarques et affirmations de
ces personnes, ainsi que de nombreux détails que
vous avez jadis enregistrés et emmagasinés automa-
tiquement, sans pouvoir à l'époque assimiler
consciemment ce << matériel ''· Dès que cela vous sera
possible, vous appliquerez cette forme de dialogue à
des événements actuels, de manière à les clarifier -
et cette même méthode vous permettra de découvrir
et d'analyser des situations de votre enfance. De cette
façon, nous pouvons devenir effectivement l'avocat
de l'enfant.
Grâce à l'introduction dans ce dialogue de notre
point de vue d'adulte, au face-à-face critique qui
nous permet de corriger les erreurs de jugement
commises autrefois par les adultes et leurs idées
fausses, nous libérons l'enfant qui est en nous de
sentiments de culpabilité inconscients et infondés. Il
nous est maintenant possible d'oser, sans nous mettre
en danger, la confrontation avec nos anciennes per-
sonnes de référence. Il est enfin permis de mener
des discussions jusqu'au bout et de nous constituer
des réactions salvatrices qui, à l'époque, nous étaient
impossibles ou interdites. Ainsi, avec le temps, nombre
d'opinions sur les autres et sur nous-mêmes vont se
transformer en connaissances réelle~ .
80 Pourquoi la souffrance

En partant des événements, états d'âme et senti-


ments actuels, nous allons, à l'aide de la thérapie,
nous enfoncer dans le passé. Ce faisant, nous allons
vivre de plus en plus consciemment nos sensations
physiques et nos sentiments en rapport avec les
événements. Au début, la défense contre la réalité
du passé est encore importante- jusqu'à ce que nous
nous permettions de mieux discerner les événements
douloureux. Nous parvenons ainsi, avec le temps, à
manifester les réactions jusque-là interdites; nous
apprenons à mieux nous comprendre et à vaincre des
difficultés qui nous écrasaient. Chaque interaction
thérapeutique menée de la sorte, et qui s'effectue en
quatre étapes, éclaire les événements et, par là, dissipe
pas à pas les tensions et les problèmes enracinés dans
les conflits relationnels. Les événements et ce que
nous avons vécu deviennent des expériences dans
lesquelles nous puiserons une réorientation et une
autonomie grandissantes.
Dans notre enfance, nous n'avons soit jamais pu,
soit jamais eu le droit d'apprendre le dialogue. Peut-
être même avons-nous dû le désapprendre. C'est
pourquoi il nous faut à présent réapprendre le dia-
logue et nous y entraîner. Avec le temps se rétablira
une liberté d'action et de réaction en harmonie avec
nous-mêmes. En conséquence, nous disposerons de
nos facultés et fonctions de sauvegarde naturelles, et
la loi de la crainte cessera de régir tout ce que nous
entreprendrons.
Nous serons capables de réagir à la douleur et à
l'angoisse de manière de plus en plus consciente.
Dans la thérapie, la communication peut être rétablie
aux trois niveaux relationnels (sensation, affectivité,
pensée), au fur et à mesure que l'énergie qui se
libère dans l'interaction thérapeutique sera ressentie
Avocat de l'enfant 81

et s'exprimera. Elle s'exprimera même parfois avec


véhémence, par des paroles et des cris. Certains
battent l'air de leurs bras, ou frappent les murs
capitonnés du cabinet thérapeutique. Cela permet à
l'énergie de se décharger. Il est nécessaire de crier
et de faire du tapage de temps en temps, afin que le
flux psychosomatique s'organise et que le circuit
puisse à nouveau se régler. Des simulacres ou des
exercices où l'on fait semblant - comme le jeu
dramatique - ne servent ici à rien. Seule la réaction
induite et justifiée par des faits et des sentiments
apportera une détente physique et morale durable.
Les exercices des quatre étapes de la thérapie, qui
nous apprennent à nous soigner nous-mêmes, doivent
être effectués à haute et intelligible voix, car cela nous
permet de vérifier nous-mêmes, à tout instant, les
interactions avec notre système. Le contenu exprimé
se trouvera ainsi présenté à notre propre contrôle et,
de ce fait, modifiera notre vécu émotif. Ce compor-
tement autothérapeutique exercera, avec le temps,
son effet équilibrant sur le cours de nos pensées.
Il se créera de la sorte de nouvelles passerelles
entre les champs de référence de l'âme ou, si vous
voulez, entre le corps et le système nerveux central.
Notre hémisphère cérébral gauche, qui domine les
fonctions d'analyse et « gouverne » le type de réactions
se rapportant à ce domaine, ainsi que notre hémis-
phère cérébral droit, qui régit l'intuition, l'appréhen-
sion '' globale » d'une situation, peuvent, grâce à la
thérapie, parvenir à s'accorder plus harmonieusement.
La clarification progressive facilite nos fonctions, dans
tous les domaines. Nous pouvons vivre de manière
plus objective et plus conforme à la réalité, et nos
organes pourront fonctionner avec moins d'entraves.
LES QUATRE ETAPES

Ces quatre étapes reposent sur la capacité innée


de l'être humain, présente chez chacun d'entre nous
à l'état primaire, à entrer en relation avec son
environnement et avec lui-même.
La succession des quatre étapes correspond à l'édi-
fication des fonctions de notre capacité d'interaction.
Nos perceptions sensorielles engendrent des sensa-
tions et des sentiments. Notre système << comprend»
et interprète ces signaux internes. Il se réfère, ce
faisant, aux expériences phylogénétiques et indivi-
duelles emmagasinées en nous. Nos réactions et nos
interactions vont se fonder sur ces bases.
Les perceptions éveillent en nous des sensations et
des sentiments, auxquels sont attribuées des valeurs.
Ces appréciations, jointes aux influences de notre
raison, dirigent notre système de pilotage. C'est là
que naissent les réactions, ainsi que la formulation
des besoins qui sont les nôtres, de nos aspirations et
exigences face à la vie.
Dans la table ci-après, les quatre étapes sont exposées
avec des subdivisions qui n'ont cependant pas la pré-
tention de donner une liste complète : il s'agit seule-
ment d'indications. Chacun mènera le dialogue avec
ses propres mots. Il est néanmoins indispensable que
chaque interaction comporte les quatre étapes.
Les quatre étapes 83

On pourrait croire qu'une fois franchie la troisième


étape, la prise de conscience sera accomplie, et donc
la thérapie achevée. Ce n'est pas exact, car seule la
quatrième étape (qui nécessite que l'on soit passé par
les trois premières) permet de ramener à la surface
l'événement inconscient. A quoi sert de se contenter,
par exemple, de la constatation « mes parents étaient
comme ci et comme ça » si ce « comme ci et comme
ça » ne peut jamais être clairement identifié, avec
toutes ses conséquences?
L'entière vérité sur ce qu'ils étaient réellement en
tant que parents ne peut être dévoilée que par un
questionnement implacable et des investigations menés
dans le cadre de la troisième étape; par la suite, c'est
à la quatrième étape que la définition du comment
des parents devraient être sera élaborée. C'est pourquoi
la quatrième étape de la thérapie est indispensable.
L'élan vital, les besoins et les impulsions nécessaires
à l'organisation de la vie de l'enfant ont été lésés,
punis, perturbés. Les coups ainsi portés représentent
une menace mortelle. Par suite, cet enfant va main-
tenir ses besoins plus ou moins inconscients, refoulés.
Et c'est ainsi qu'il va vivre: sans prendre conscience.
Il y a encore une autre raison à cet état de choses :
il a dû réprimer ses sentiments réactionnels contre
les responsables de sa détresse, sous peine de nouvelles
menaces et de nouvelles punitions. Il a été impossible
à cet enfant d'identifier les responsables. Il lui était
interdit de se rendre compte de ce qui se passait.
Aujourd'hui encore il en souffre, et c'est pourquoi
des éléments essentiels de son histoire restent incons-
cients.
La thérapie primaire, telle que je l'entends, signifie
la levée de ce maintien dans l'inconscient provoqué
par la blessure de l'intégrité primaire :
84 Pourquoi la souffrance

-au moyen de l'étape quatre : parce qu'il a été


porté atteinte au besoin;
-au moyen de l'étape trois : parce que cela s'est
produit en violation des lois de la nature, au mépris
du fait qu'un enfant a encore besoin d'un utérus
social;
-au moyen de l'étape deux : parce que la blessure
a provoqué de la rage, de la colère, et bien d'autres
choses encore. Nous demeurons prisonniers de cette
blessure et de ses conséquences parce que nous ne
pouvons pas comprendre ce qui est arrivé en ce
temps-là;
-au moyen de l'étape un : parce que dans la
position terminale (voir schéma des circuits) règnent
le désarroi, la détresse et la confusion, qui empêchent
l'intéressé, face à une situation ou une rencontre
nouvelles, de se repérer et de se comporter d'une
manière adaptée à la vie.
Le résultat est obtenu dès que les symptômes ont
disparu. La partie principale de la thérapie commence
par la description de son « état des lieux » personnel.
TABLE DES QUATRE ETAPES

1) Perception (actuelle ou revenue à la mémoire)


A la première étape de la thérapie, je fais mon
« état des lieux ,,, je dis :
Ce que je ressens
constate
VOlS
entends
sens (avec mon odorat)
Ce qui me préoccupe ...
2) Affectivité
A la deuxième étape de la thérapie, je dis mes
sensations et sentiments, ainsi que leurs significations
et leurs effets :
Ce que ceci ou cela me fait
suscite en moi
provoque
me laisse
signifie ...
3) Compréhension
A la troisième étape de la thérapie, je mets en
question la situation, la scène et ses différents acteurs
(moi y compris). Je demande des explications (m'ex-
plique) et des raisons. Je demande:
Pourquoi fais-tu cela : dans quel but
à quoi cela doit-il servir
86 Pourquoi la souffrance

comment cela se fait-il


pourquoi
au nom de quoi ...
Qu'est-ce que j'ai fait de mal
pas compns
raté, commis...
4) Aspiration (le véritable besoin)
A la quatrième étape de la thérapie, Je formule
mes aspirations et exigences :

Ce n'est pas ça dont j'ai besoin...


J'ai besoin de... pour vivre.

REMARQUES SUR LA TROISIEME ETAPE


DE LA THERAPIE

Mettre quelqu'un en question signifie mettre en


question son comportement et ses agissements à mon
égard. Les effets et les conséquences du comportement
de la personne de référence doivent être jugés. Mon
questionnement doit également explorer les raisons
de ses actes et de son comportement, mais toujours
par rapport à moi. Exemple : pourquoi m'infliges-tu
cela? T'ai-je donné motif à le faire?
Le questionneur a peut-être besoin, pour son propre
soulagement, d'éclaircissements sur l'histoire de vie
de la personne de référence, les événements à l'origine
de son comportement - quels sont les motifs, qui
n'ont rien à voir avec moi, qui l'ont poussée à mal
se comporter à mon égard? Cela lui permet de
comprendre les problèmes de la personne de réfé-
rence. Mais pouvoir expliquer les erreurs de compor-
tement d'autrui n'aide guère à la découverte de sa
propre vérité. Sa propre vérité, soit on la reçoit en
Table des quatre étapes 87
cadeau - lorsque l'intégrité primaire est protégée par
les parents-, soit il faudra, péniblement, la mettre
au JOUr.

LE DEBUT D'UN CHANGEMENT

A la première étape de la thérapie, il vous est


demandé de dire comment vous vous sentez, de
procéder à votre << état des lieux >> actuel. Il vous est
également demandé d'exprimer ce que vous voyez de
plus urgent : le problème qui vous préoccupe. Pour
ce faire, vous êtes confortablement allongé dans la
pièce obscurcie et, les yeux clos, vous tentez d'être
<< présent à vous-même >>, Confiez-vous à votre système
général : de tout ce qui est emmagasiné en vous ne
remontera à la perception que la dose de souvenirs
que vous pouvez supporter. Dès qu'elle est dépassée,
votre propre dispositif de régulation des fonctions
corporelles vous insensibilisera ou vous fera perdre
connaissance. Le thérapeute est assis à vos côtés, vous
portant toute son attention, afin de vous soutenir. Il
connaît déjà votre histoire dans ses grandes lignes et
sait comment vous aider. Vous raconterez sans doute
vos difficultés actuelles. Le thérapeute écoute, et
interviendra dès qu'un secours se montrera nécessaire.
Exemple: << ... J'ai très mal dormi. Je me réveille
régulièrement à trois heures, même si je me suis
endormi peu de temps auparavant. Il me faut ensuite
une ou deux heures pour me rendormir, bien que je
me sois couché très fatigué ... >>
A la deuxième étape de la thérapie, vous raconterez
spontanément les sensations et sentiments entraînés
par cette perception. Vous décrivez leurs effets et
leur signification.
88 Pourquoi la souffrance

Exemple: << ... J'avais mal dans tous mes membres,


comme si j'étais passé dans une essoreuse. J'étais
furieux et je craignais que " ça " recommence. Ce
problème, je l'ai déjà eu souvent. Personne jusqu'à
présent n'a pu m'aider. Même les somnifères n'y font
rien ... ,,
A la troisième étape de la thérapie, vous recherchez
les causes des problèmes, vous mettez en question la
situation et ses acteurs, y compris vous-même.
Exemple: << ... Pourtant, ni hier ni avant-hier je n'ai
fait du sport ou ne me suis surmené d'une manière
ou d'une autre. Et je n'ai pas bu de café non plus.
- Ici, le thérapeute va peut-être signaler que des
événements dramatiques survenus dans le passé ont
pu programmer une fonction d'éveil de sorte à la
faire entrer en action à une heure donnée du jour
ou de la nuit. - « Il y a quelques années, j'ai roulé
de nuit, en montagne, dans une tempête de neige.
C'était après le mariage de mon frère. Comme il n'y
avait pas assez de place à l'hôtel, une partie des
invités devaient dormir ailleurs. Comme je connais
bien la route, je me suis décidé à rentrer à la maison,
en franchissant le col. Il faisait déjà nuit noire. On
était en juin, mais le col était encore un peu enneigé.
Dans la descente, je me suis retrouvé en pleine
tempête de neige. Elle tombait si dru que je n'y
voyais presque rien. J'étais d'autant plus inquiet que
j'avais des passagers, mais je n'ai eu ni le courage de
m'arrêter ni celui de leur avouer que j'avais peur.
Par-dessus le marché, je luttais contre le sommeil. Il
m'a fallu rassembler toutes mes forces pour ramener
dans la vallée à trois heures du matin, sains et saufs,
les gens qui m'avaient confié leur sort. Cet événement
peut-il avoir stimulé la fonction d'éveil? >>- << Comme
l'aventure s'est bien terminée, cela paraît peu pro-
Table des quatre étapes 89

hable. ,, - « Il me vient quelque chose à l'esprit : trois


heures du matin, c'est l'heure de ma naissance. Je
n'y avais encore jamais pensé.,, - «Comment s'est
passée votre naissance? ,, - '' Ça a été, m'a expliqué
ma mère récemment quand je lui ai posé la question,
une naissance tout à fait normale. Après avoir ressenti
des douleurs modérées, elle a accouché à trois heures
du matin, tout à fait normalement. Elle était venue
à la clinique à quinze heures, en taxi. On lui avait
donné du protoxyde d'azote, j'étais un peu bleuâtre,
mais après quelques bonnes tapes sur les fesses j'ai
poussé des cris vigoureux. ·Ma mère m'a tenu dans
ses bras pour la première fois dès sept heures du
matin, mais elle n'a malheureusement pas pu m'al-
laiter car j'avais des hoquets à n'en plus finir. On
m'a fait prendre des médicaments, je me suis calmé
peu à peu, et elle a pu m'allaiter. Malheureusement
ça n'a duré qu'une semaine, car ensuite elle a eu
une mammite. A partir de ce moment-là j'ai été
nourri au biberon, et je l'ai bien accepté. ,,
Ici, le patient a besoin que le thérapeute lui
fournisse des éclaircissements sur le déroulement de
sa naissance et ses conséquences. La longueur de la
période d'expulsion- douze heures- a provoqué un
traumatisme, comme en témoigne le manque d'oxy-
gène (le nouveau-né était bleuâtre). Le cordon ombi-
lical a été coupé immédiatement, ce qui a entraîné
des sensations d'étouffement, et les claques lui ont
fait mal et peur. L'enfant n'a été apporté à la mère,
pour la première fois, que quatre heures après la
naissance. A la suite du traumatisme de la naissance,
de la séparation d'avec sa mère, de l'absence de
contact corporel et de sécurisation tactile - << tu es à
l'abri, tout ira bien ,, - l'enfant reste en état de choc.
Après une naissance qui l'a brutalisé, il a absolument
90 Pourquoi la souffrance

besoin d'être immédiatement et longuement récon-


forté par sa mère afin de pouvoir venir à soi, venir
au monde. Cette naissance a été une expérience
terrible que l'enfant, d'après ses sensations, n'a pu
vivre que comme une torture. Aussi les souvenirs
inscrits dans son corps lui disent-ils : '' Se mouvoir >>
et « vouloir >> sont des dangers mortels.
Des événements aussi traumatisants survenus à la
naissance doivent avoir laissé une fonction d'éveil qui
a pour but d'éviter la répétition d'une semblable
menace mortelle. A présent, le patient va s'adresser
à sa mère, lui dire son désarroi et lui demander
comment tout cela a été possible :
« ... Mais c'est épouvantable. J'ignorais que ma
naissance avait été aussi terrible et que cela, jour
après jour, me tourmente dans mon inconscient. Mère,
comment cela est-il donc arrivé, comment l'as-tu
vécu? N'y avait-il personne auprès de toi pour
t'assister et te dire de quoi il s'agissait, l'importance
de tout ça? Pourquoi t'es-tu montrée aussi soumise
envers le médecin accoucheur, sans savoir à quoi il
faut veiller, quand on doit couper le cordon ombilical?
Pourquoi n'avais-tu aucune idée de tout ça? Une
femme doit pourtant s'informer de tout ce qui
concerne la grossesse et l'accouchement. Et puis Papa
était médecin, il aurait certainement pu tout t'expli-
quer - ou bien non? Où était-il lors de ma naissance?
Il faisait son service militaire, il n'a eu sa permission
que le lendemain. Pourquoi donc? Il l'aurait sûrement
eue avant s'il s'en était occupé. Sans doute était-il
hostile à cette naissance, comme il m'a presque
toujours été hostile, à moi. Papa t'a-t-il laissée seule
parce que, au contraire de toi, il ne voulait pas
d'enfant? C'est quand même incroyable, j'ai un père
médecin, et j'ai failli mourir à ma naissance parce
Table des quatre étapes 91

qu'il n'a pas voulu être présent. Pour moi, c'est tout
à fait inconcevable et insupportable ... ,
A ce moment-là, le patient ressent sans doute pour
la première fois un peu des sentiments liés à cette
situation primaire et enfouis en lui. Que peut-il
exprimer de sa colère, de sa douleur et de son
indignation? Cela dépend de l'ensemble des circons-
tances, et de sa capacité intérieure à affronter ces
découvertes désagréables. Les conséquences d'une
situation traumatique submergent véritablement notre
entendement. C'est pourquoi une partie de ce qui
est arrivé doit à nouveau être refoulée, et ce que
nous pouvons garder conscient, il nous faudra consa-
crer beaucoup de temps à l'examiner et le mettre au
clair. Et donc, il est notamment nécessaire de retra-
vailler à plusieurs reprises ces découvertes. Nous en
avons continuellement la preuve dans des situations
quotidiennes, chaque fois que surgit une difficulté
relationnelle nous montrant des traumatismes pri-
maires encore à l'œuvre. Il nous est absolument
impossible de nous fabriquer instantanément toutes
les réactions correctes nécessaires, non seulement
parce que tout cela exige beaucoup d'énergie et de
temps, mais aussi parce que notre système ne peut
tout assumer d'un seul coup. La colère, la peur, la
douleur, l'indignation, le chagrin, le désespoir et la
résignation doivent être mis en évidence et motivés,
et ceci de façon circonstanciée, pour que puisse
s'installer une détente. Il faut faire table rase de
probables sentiments de culpabilité, et créer un apai-
sement.
Un événement où tout est embrouillé, fortement
chargé en émotions, et qui se trouve pour la première
fois appréhendé avec des mots et des concepts, devra
être déroulé telle une pelote de laine, décomposé en
92 Pourquoi la souffrance

ses différents éléments, et tout cela devra être nommé,


trié, classé. Le patient, replacé dans la scène primaire,
doit maintenant pouvoir réagir. Il faut à présent
rattraper, en y consacrant beaucoup de temps, ce qui
a lieu spontanément chez un enfant capable de
conscience.
Pour suivre et pouvoir continuer la thérapie, il
nous faut beaucoup de persévérance, et beaucoup de
patience envers nous-mêmes et notre histoire. Le
refoulement a été vital: le seul moyen, pour l'enfant,
de survivre. Le simple fait de n'être pas aimé est,
pour un enfant, insoutenable. A plus forte raison, il
lui faut bannir de son répertoire de souvenirs les
mauvais traitements et les attentats à sa vie. En cas
de blessures graves, de traumatismes très sévères, nos
organes exploseraient si le système humain ne savait
pallier le danger par l'insensibilisation et le refoule-
ment. Face au traumatisme, la conscience, la fonction
vigile, se ferme provisoirement. L'individu se comporte
ensuite comme s'il n'était rien arrivé. Les états de
choc résultant de traumatismes passés peuvent per-
sister des années, des décennies. Ils influent sur notre
aptitude à vivre jusqu'au moment où ils seront devenus
conscients, devenus du << vécu ».
A la quatrième étape de la thérapie, vous formu-
lerez, en vous replaçant à nouveau dans la même
situation, les besoins et les exigences justifiées, dont
la satisfaction aurait évité des dégâts et vous aurait
aidé à vivre.
Exemple : << ••• Il aurait été indispensable que vous
vous mettiez d'accord avant la grossesse. Ce n'était
pas bien, Mère, de vouloir avoir un enfant contre la
volonté de Papa. Tu savais certainement déjà à cette
époque combien il est entêté. Tu as voulu avoir un
enfant pour toi, et ce à mes dépens. Plus tard, quand
Table des quatre étapes 93

tu es tombée malade, Papa ne t'a pas apporté d'aide


non plus. Tu étais souffrante, tu ne pouvais pas
satisfaire mes besoins. Moi, j'aurais eu besoin d'une
mère en bonne santé, gaie, rayonnante. Ton visage
triste est encore bien présent à ma mémoire. Je n'ai
cessé de ressentir une profonde pitié pour toi, et je
ne savais jamais quelle faute j'avais commise et
comment faire pour la réparer. Et pourtant tu aurais
dû être là pour moi, complètement disponible, tu sais
bien que sans ton aide je ne peux pas vivre ... »

Cette thérapie ne s'arrête naturellement pas là :


cela va toujours continuer. Le thérapeute doit veiller
à ce que le fil ne casse pas. Le patient est toujours
<< sur la piste de lui-même ». Seulement, il n'est pas

encore un << pisteur >> aussi assuré que le thérapeute.


Celui-ci puise son assurance dans ses connaissances,
dans la théorie primaire, dans l'efficacité - qu'il a
personnellement éprouvée - de la thérapie, et aussi
dans son expérience thérapeutique. Le récit de la vie
et des souffrances de la personne qui vient lui
demander de l'aide ne représente pas seulement un
poids pour le thérapeute : cela va, au contraire,
constituer une part très importante de cette richesse
en expérience qui sous-tend la thérapie.
Avec les quatre étapes que nous avons vu franchir
dans cet exemple, il s'est déjà créé un nouvel état de
conscience. Mais comme chaque cellule, chaque
organe, chaque sentiment et chaque pensée est en
relation avec les autres, il reste encore beaucoup à
faire. Lorsque la thérapie est devenue partie inté-
grante du comportement quotidien, elle peut frayer
la voie à des changements en profondeur.
Cette méthode de thérapie se propose essentiellement
de permettre à la personne de vivre consciemment, c'est-
94 Pourquoi la souffrance

à-dire avec la pleine conscience de ses sensations, de


ses sentiments et de ses pensées.

IMPORTANT

Quand vous << faites votre thérapie ,,, restez seul


dans une pièce où vous serez tranquille, en vous
munissant si possible d'un magnétophone. Ne jouez
jamais à la thérapie avec des parents ou amis. La
prétendue compréhension atteint souvent ses limites
beaucoup plus rapidement qu'on ne l'aurait imaginé.
La confrontation directe, immédiate, avec vos
parents et des membres de votre famille au sujet de
votre passé ne mène à rien - sauf si les personnes
concernées la souhaitent expressément. Vous devez
néanmoins vous assurer au préalable, et très préci-
sément, si cette discussion a un sens, et dans quelle
mesure. Ce ne sera le cas que si vos interlocuteurs
savent quels sont l'objectif et la signification d'une
confrontation, à savoir des changements personnels
positifs. Votre thérapie est votre affaire, et une affaire
strictement privée. Cela ne se prête pas à être mis
sur la place publique.
Adresser des reproches à ses parents et ses éduca-
teurs comporte des dangers. Ne le faites que dans
votre pièce bien close. Des confrontations incontrôlées
sont dépourvues des objectifs constructifs de la thé-
rapie, et ont souvent des conséquences fâcheuses. Si
cependant vous ne pouvez vous empêcher de déclen-
cher une querelle, cela relève de votre responsabilité,
et vous devez vous attendre à des dégâts qui auraient
pu être évités.
LA THERAPIE PAR ECRIT

Une thérapie par écrit est une bonne solution


chaque fois que, notamment faute de place, il n'est
pas possible de parler à voix haute. La thérapie par
écrit est un moyen éprouvé de parvenir à s'aider soi-
même. Faire une description écrite de la situation,
de ses états d'âme, de ses sentiments et déductions,
du questionnement, de ses besoins, aspirations et
exigences permet de les formuler avec beaucoup de
précision. Ecrivez comme si vous meniez une conver-
sation à cœur ouvert, sans aucune espèce de censure.
A la relecture, il est aisé de contrôler et compléter
les quatre étapes. Mais faire la thérapie par écrit ou
par la pensée ne dispense pas - en tout cas pas sans
quelque risque - de compléter le dialogue thérapeu-
tique par l'expression à haute voix de ses émotions.
Un exemple:
A la première étape, Ruth décrit la situation comme
suit : '' Hier je me suis sentie toute retournée par la
présence d'un collègue dans mon bureau. Robert a
des yeux gris-bleu, des cils et des sourcils noirs. Je
ne sais pas exactement pourquoi je suis ainsi boule-
versée en ta présence. C'est manifestement à cause
de toi. Quand tu es là, tout le reste passe à l'arrière-
plan. Je ne suis plus capable d'un seul geste spontané,
je me sens observée et décontenancée. ,,
96 Pourquoi la souffrance

Le passage à la deuxième étape se fait tout seul : << Je


me sens perpétuellement obligée de te plaire. C'est
si insécurisant pour moi de ne plus pouvoir agir et
penser librement. Je passe mon temps à essayer de
savoir ce que tu penses de moi. Mon besoin que toi
tu me trouves " bien ", que tu fasses attention à moi
et que tu m'aimes bloque en moi tout le reste.
J'attends sans arrêt une marque d'intérêt de ta part.
Plus cette attente se prolonge, et plus je perds toute
assurance. Je ne sais plus où j'en suis, je suis incapable
d'être naturelle. Quand je te vois ainsi auprès de moi,
je n'ai qu'une envie : me blottir contre toi, plonger
mon regard dans tes beaux yeux, dans ces profondeurs
obscures et calmes, pour trouver le repos auprès de
toi.»
La troisième étape commence avec le questionnement.
Par exemple : << Qu'est-ce qui m'empêche de te mon-
trer ma sympathie? Il n'y a pourtant rien de mal à
ce besoin de contact chaleureux. Pourquoi suis-je
aussi insécurisée en ta présence? Je ne sais plus
comment me comporter, je perds quasiment la tête.
Je pense que ça a un rapport avec ton amie. Tu as
déjà quelqu'un dans ta vie. Je n'ai aucun droit à te
demander quoi que ce soit, mais dans mon cœur je
le fais quand même. J'ai si peur de me trahir et
d'être rejetée que c'en est à peine supportable. Tu as
de la chance, tu as quelqu'un à tes côtés. Tu n'as
pas, comme moi, absolument besoin d'être soutenu,
considéré, aimé. Il me serait très douloureux de te
voir rire de moi, te moquer de moi, parce que je
cherche à compter pour toi. Je me sens de plus en
plus à ton égard comme une petite fille, et c'est ainsi
que je me comporte. Je dis des choses complètement
irréfléchies, dont j'ai honte ensuite. Tu secoues la
tête. Qu'est-ce qui te prend? C'est toi, Papa? Tu lui
La thérapie par écrit 97

manques donc toujours, à la petite fille qui est en


moi? C'est donc toujours cette soif inassouvie, avoir
un père auprès de qui me blottir? L'enfant qui aspire
à ton affection, à trouver auprès de toi sécurité, un
abri, la paix - tout ce que tu ne m'as jamais donné?
Suis-je devenue aussi peu sûre de moi parce que tu
m'as toujours donné le sentiment que je n'avais pas
le droit d'être proche de toi, que tu n'aimais pas cela,
que tu ne m'aimais pas? Je me suis toujours donné
beaucoup de mal pour te plaire, sans succès - comme
maintenant envers Robi. J'ai toujours eu l'impression
que mes efforts t'importunaient. Tu n'as jamais encou-
ragé l'intérêt que je te portais, et tu ne m'as jamais
payée de retour. Tu ne m'as jamais donné l'assurance
que tu m'aimais comme je suis. Et cela, c'est insé-
curisant. ,,
Déjà, entre-temps, la quatrième étape se présente,
avec ces phrases de Ruth: <<J'ai besoin d'entendre
de toi, que tu me fasses sentir, que tu me trouves
intelligente, vive et jolie, et que tu es fier de ta petite
fille, si vivante. -Un professeur a dit un jour: "Les
filles qu'on traite avec amour deviennent jolies",
Papa. Cela me manque tellement, un Papa à aimer,
dont j'ai le droit de m'approcher, qui me fait des
câlins, avec qui j'ai le droit de bavarder et de dire
des bêtises. (Tout à coup je me sens mal, avec un
drôle de tiraillement dans le dos.) ,,
L'interaction, étape un à quatre, recommence:<< Papa,
tu m'as toujours manqué, et je n'avais même pas le
droit de me rendre compte à quel point j'avais besoin
de toi. Plus tard j'ai senti le fossé entre nous : il y
avait chez toi une sorte d'embarras quand, exception-
nellement, nous nous parlions. Mais ça m'a toujours
paru incompréhensible. Une fois, lors d'une prome-
nade en montagne, nous avons entamé une vraie
98 Pourquoi la souffrance

conversation, et j'ai eu le sentiment que nous étions


plus proches l'un de l'autre. Mais tu as tout de suite
repris tes distances, comme si tu étais effarouché.
J'avais à peu près douze ans à cette époque, j'étais
seulement enflammée du désir de mieux te connaître,
exaltée d'avoir le droit de montrer la profondeur de
notre attachement. De toute ma vie, tu ne m'as jamais
donné l'occasion d'être vraiment proche de toi. Je
n'ai jamais pu apprendre à te parler à cœur ouvert,
sincèrement, à exprimer devant toi mes sentiments,
mes peurs et mes soucis. Et quand je réussissais à
me forcer, chacun de mes élans suscitait chez toi une
réaction bizarre : tu avais l'air mal à l'aise, embarrassé,
et tu te dérobais- jamais je n'avais le droit d'exprimer
mes sentiments profonds. Faut-il que je tombe malade
pour te montrer à quel point j'ai besoin de toi,
combien ma situation est désespérée et sans issue?
Pourquoi as-tu ces réactions à mon égard? Quand, à
présent, je te revois dans telle ou telle situation - et
il y en a beaucoup-, c'est toujours la même image
que j'ai devant les yeux : tu as cet air curieusement
embarrassé, comme si tu avais peur de moi. Je ne
t'ai pourtant jamais agressé, au contraire. J'attends
perpétuellement que tu me témoignes un peu d'in-
térêt, afin que je puisse te montrer mon affection.
C'étaient sans doute tes difficultés affectives qui te
bloquaient, Papa. Je ne te fais pourtant aucun mal,
je ne veux pas te séduire sexuellement. Est-ce de cela
que tu as peur? C'est peut-être ta sexualité qui te
trouble, c'est peut-être pour cela que tu te dérobes
constamment. Mais moi je n'y suis pour rien, Papa.
Tes difficultés à toi me font perdre confiance en moi.
Pourquoi donc me désires-tu? Est-ce cette petite fille
qui voudrait t'aimer que, pour te protéger de ton
propre bouleversement, tu dois tenir à distance? C'est
La thérapie par écrit 99

une chose terrible. Pour moi, ta fille, tout cela est


inconcevable. Je devrais pourtant avoir le droit de
me sentir bien auprès de toi. J'ai besoin de savoir
que je suis quelqu'un de valable, digne d'être aimée,
et qui ne fait pas peur aux hommes. A partir d'une
certaine époque, quand j'ai commencé à avoir de la
poitrine, je me sentais toujours mal à l'aise au moment
des repas. Toi, Papa, tu me regardais d'un air gêné,
et tu voulais me prescrire comment m'habiller, en
me critiquant parce qu'on voyait «tout"· Parfois, ces
derniers temps, on m'a dit que j'avais de beaux yeux,
mais je l'ai toujours pris pour du baratin. Ce n'est
qu'hier - comme on me l'avait répété - que je me
suis bien regardée dans la glace, et ma foi j'ai trouvé
mes yeux pas vilains. Lorenzo, mon coiffeur, dit
toujours que j'ai dans les yeux quelque chose de
profond, qui donne envie de s'y laisser engloutir. Il
y a seulement très peu de temps que je me dis : tu
n'es peut-être pas affreuse. Aujourd'hui où moi aussi
je ressens ma sexualité, je suis tourmentée par l'im-
pression de n'être pas désirable, de manquer de
rayonnement. Cela vient certainement aussi, Papa,
de ce que tu ne m'as jamais dit ou fait sentir que je
suis digne d'être aimée. Jamais je n'ai reçu de toi
une marque d'approbation ni un compliment. Ton
refus de me témoigner que je suis bien comme je
suis me handicape encore aujourd'hui. J'ai besoin de
me sentir confirmée par toi, Papa. Je veux et j'ai
besoin de me l'entendre dire par toz~ parce que je
t'aime, Papa. Alors seulement je pourrai avoir plei-
nement, sereinement confiance en moi. Ton hoche-
ment de tête bienveillant et satisfait quand je te
rapporte un bon livret scolaire ne me suffit pas. J'ai
besoin d'entendre et de sentir, au moins une fois,
que je suis aimée. Pour une fois, ouvre la bouche,
100 Pourquoi la souffrance

Papa : dis-moi quelque chose de gentil, d'affectueux,


pour que je prenne un peu d'assurance, et cesse de
désespérer de moi. En fait c'est toi que je devrais
trouver désespérant, la sécheresse avec laquelle tu me
traites! Mais comment le pourrais-je, moi, une enfant?
Je suis convaincue qu'il y a en moi plein de choses
qui ne vont pas, presque tout. Maman me confirme
dans l'idée de mon insuffisance par ses chicaneries
incessantes, elle ne peut s'empêcher de me critiquer
tout le temps. C'est pourquoi être reconnue et accep-
tée par toi, Papa, m'est absolument nécessaire. ,,
Pas à pas, aller et retour. L'important, c'est d'effectuer
les quatre étapes. Le dialogue peut continuer ainsi :
<< Pourquoi n'avez-vous pas été capables de me donner
dès le début la sécurité qui m'est indispensable? Me
faut-il vraiment passer ma vie entière à douter de
moi? A traîner ma tristesse sans savoir pourquoi, à
courir après les gens et m'épuiser en efforts, à "jouer
la comédie " pour leur plaire? Et en dépit de tout
cela, quand quelqu'un me trouve bien, ne jamais
pouvoir l'accepter - uniquement parce que vous, mes
parents, ne me l'avez jamais dit ni donné à ressentir?
Vous seuls et personne d'autre êtes tenus de me venir
en aide. Vous devez m'encourager, afin que je puisse
trouver un peu d'attrait à moi-même et à ce monde.
Vous m'avez mise au monde, sans que je l'aie
demandé. Je suis la continuation de votre vie. Mais,
pour que je puisse l'assumer, il faut d'abord que vous
ayez été là pour moi. Si j'avais reçu de vous la
moindre confirmation dans mon être, je ne serais pas
devenue aussi peu sûre de moi et, en même temps,
aussi dépendante du jugement de personnes étran-
gères. Non seulement il est difficile de vivre dans ces
conditions-là mais, de plus, je dépense mes forces à
d'inutiles quêtes de la considération d'autrui, au lieu
La thérapie par écrit 101

de les consacrer à mon propre épanouissement. Vous


n'avez eu absolument aucune idée de ce que signifie
mettre un enfant au monde. On dirait que cela n'était
pas de votre ressort. Tels que je vous connais, vous
diriez quelque chose du genre: si tu existes, c'est de
par la volonté de Dieu. La moitié de l'humanité
s'abrite derrière de pareilles échappatoires. Cela per-
met de se décharger de toute responsabilité sur une
instance supérieure. C'est presque incroyable, mais
pour moi la conclusion s'impose : en réalité, vous ne
vous intéressiez pas à moi. J'étais juste bonne à être
exhibée ou à servir de bonniche. Vous semblez n'avoir
aucune idée de mes besoins, pas plus de bébé que
d'enfant ni d'adolescente - aucune idée de ce dont
j'ai besoin pour pouvoir devenir une femme saine et
forte, avec les deux pieds sur terre, autorisée à se
défendre et sachant ce qu'elle est et qui elle est.
Aujourd'hui encore nombre de gens, y compris mon
ami, m'utilisent plus qu'ils ne m'aiment et ne me
respectent, et je n'en suis pas consciente parce que
j'ai l'habitude qu'il en soit ainsi. Dans ma naïveté, je
confonds s'intéresser à moi et m'exploiter. Ma dépen-
dance prend même des proportions croissantes, et
quand on ne m'exploite pas j'ai l'impression que moi
j'ai quelque chose qui cloche. »
« Maintenant, pour la première fois, je me rends
compte de tout cela. Mais ça ne m'en reste pas moins
inconcevable. Et puis voir combien est inéluctable ce
pouvoir que vous exercez sur ma vie me fait peur.
Je me demande parfois par quel miracle je parviens
tout simplement à établir des relations avec des
hommes. C'est sûrement à toi, Jeannot, mon petit
frère, que je le dois. Oui, c'est là, au fond, mon
"chez moi" - dans le lit à côté de Jeannot. Jusqu'à
mes neuf ans nous avons partagé la même chambre.
102 Pourquoi la souffrance

J'avais le droit de rejoindre Jeannot dans son lit, il


me grattait doucement le dos, me consolait. Jamais
plus je ne me suis sentie aussi en sécurité et heureuse
qu'auprès de lui. Quand j'y pense, les larmes me
viennent aux yeux. Jeannot, je n'ai été nulle part
aussi bien qu'auprès de toi : calme et en paix. Ce
sentiment, je ne l'ai jamais connu auprès de vous,
Papa et Maman. C'est pourquoi j'ai toujours été si
jalouse de toutes les filles qui te faisaient les yeux
doux, Jeannot. Quand tu es mort, tout le monde a
parlé de toi avec respect. Tu étais quelqu'un de très
bien, tu te destinais à la prêtrise. Hélas, un jour que
tu te rendais à l'église pour servir la messe, tu as eu
un accident, tu as été écrasé par une auto. Quelle
était donc ta détresse pour que tu n'aies pas pu faire
attention à toi? A mes yeux tu es resté un rebelle
qui, dans mes rêves, m'emmenait faire de grands
voyages. J'aurais pu à tout instant me réfugier auprès
de toi et épancher mon cœur, mais tu n'es plus là.
Se pourrait-il que la peur de te perdre vienne toujours
s'immiscer dans mes relations avec les hommes? Oui,
naturellement : maintenant que cette idée me vient
à l'esprit, beaucoup de choses deviennent plus claires.
Tu étais de trois ans mon aîné. Moi, vis-à-vis d'un
homme, je me sens toujours comme une sœur. Quand
un homme me plaît, j'ai des humeurs mélancoliques
que jusqu'à présent je ne comprenais pas. Dans mon
for intérieur je suis toujours ta petite sœur, Jeannot,
qui te cherche dans le monde entier sans te trouver.
Pour te chercher, j'ai dû m'enfuir de la maison, et
malgré cela je n'ai toujours pas réussi à te trouver.
Je suis allée de déception en déception, faute d'avoir
eu le soutien que tu m'apportais dans mon enfance. >>
« Que d'humiliations, de douleurs et de souffrances
m'auraient été épargnées, si vous, mes idiots de
La thérapie par écrit 103

parents, vous m'aviez transmis ce dont j'ai absolument


besoin pour vivre : le sentiment que je vaux quelque
chose, sentiment qui m'aurait permis d'être bonne
envers moi-même, comme Jeannot s'est montré bon
envers m01 ... >>

Les êtres gravement blessés dans leur âme ont un


fort besoin d'aide directe. Ils ont également besoin,
de la part du thérapeute, d'une compréhension appro-
fondie. Ils doivent pouvoir s'appuyer sur lui, compter
sur lui, recevoir ses conseils pour se guider. Leurs
exigences ne sont pas insatiables et illimitées, mais
leur détresse est telle qu'ils sont complètement englués
dans leur problématique personnelle et leur histoire.
La thérapie de groupe sera pour eux, en tant que
prolongation de la thérapie de base, une aide pré-
cieuse. Non parce qu'ils y rencontreront des êtres
susceptibles de leur prêter assistance - bien évidem-
ment, l'on cherche partout un soutien - , mais parce
que dans la même pièce d'autres hommes et femmes
suivent leur thérapie, dépeignent leurs difficultés, et
se mobilisent pour s'en sortir. Ainsi l'individu souf-
frant n'est plus «seul au monde,,, le seul individu
souffrant sur terre. Des désespérés prennent courage
et espoir : ils savent à présent, par expérience, que -
et comment - même un être gravement blessé dans
son âme peut découvrir le chemin de la guérison par
ses propres moyens.
LA THERAPIE DE GROUPE

Elle est ainsi nommée parce que plusieurs patients


sont réunis dans la même pièce et forment un groupe.
Dans le groupe de thérapie primaire, il est très rare
que durant la séance se produisent des contacts
personnels ou des querelles entre les participants.
Chaque patient a besoin d'un « espace » protégé où
il peut exprimer librement ce que lui dictent ses
sentiments, ses sensations et son état d'esprit. Nos
groupes se composent habituellement de trois à cinq
patients, de sorte qu'un « nouveau >> peut se familia-
riser rapidement avec la situation. Il faudra naturel-
lement un certain temps pour que chaque participant
parvienne à s'exprimer sans aucune censure. Cela
entraîne perpétuellement des stimulations impor-
tantes: parfois, l'émotion des autres est vécue comme
une véritable agression. Il faut que chacun soit
conscient qu'ici il est en thérapie, et que ces stimu-
lations constituent en quelque sorte un apport du
groupe à ses confrontations personnelles. Chaque
membre du groupe doit avoir un espace - au sens
littéral du terme - suffisant: chez nous, chacun
dispose d'une surface d'environ 160 x 220 cm, qui
constitue pour ainsi dire son territoire personnel. Les
murs sont matelassés d'un capiton de 20 cm d'épais-
seur et il règne dans la pièce, tapissée d'une couleur
La thérapie de groupe 105

framboise foncé, une température de 26 degrés, de


sorte que l'on y est« comme dans le ventre maternel"·
Durant les séances de groupe - d'une durée de cinq
heures - la pièce est plongée dans le noir. Chaque
participant trouvera une lampe de poche à la place
qu'il occupe, de manière à pouvoir se repérer dans
la pièce en cas de besoin. A côté de la salle de
thérapie, il y a bien entendu des toilettes, un réfri-
gérateur, etc.
Le processus de la thérapie primaire va se pour-
suivre dans le groupe suivant les mêmes principes
que durant la thérapie de base - mais cette fois en
présencé d'autres personnes. Les stimulations prove-
nant de membres du groupe ou du thérapeute doivent,
pour se montrer profitables, être accueillies avec une
certaine tolérance. Il s'agit donc, en s'appuyant sur
une assistance thérapeutique, de faire sa thérapie par
ses propres moyens.
1) Exprimer l'état dans lequel on se sent;
2) Décrire ses répercussions;
3) Mettre en question les conséquences et les
personnes afin de
4) nommer les véritables besoins.
En groupe, des manifestations bruyantes peuvent
bien entendu être gênantes. En cas de « besoin de
crier » prolongé, le thérapeute proposera à l'intéressé
une pièce séparée, ou le priera de s'en chercher une:
cette mesure s'impose en effet- en particulier lorsque
ces manifestations sont liées à des décharges d'énergie
intenses - pour ne pas gêner les autres participants.
Chaque membre du groupe, cela va de soi, porte la
responsabilité de ses agissements et doit en répondre.
Tous doivent au préalable examiner les conditions
dans lesquelles se déroule la thérapie afin de s'y
adapter. Toutefois, entendre une autre personne
106 Pourquoi la souffrance

exprimer vigoureusement sa colère peut parfaitement


se révéler une aide. Durant le travail en groupe
comme lors de la thérapie de base, il est recommandé
de garder, dans la mesure du possible, les yeux clos.
Le thérapeute assiste chacun dans le cadre de l'accord
conclu, et dans la mesure où la situation du moment
le nécessite.
Chaque participant a la possibilité de présenter des
comptes rendus de séance, qui seront étudiés par le
thérapeute. En outre, chaque participant peut en cas
de besoin prendre contact par téléphone avec ce
dernier ou lui demander un bref renseignement.
Chaque membre du groupe s'engage par écrit à
une totale discrétion, à traiter tous les autres avec
considération et respect. Les infractions peuvent être
passibles d'exclusion de la thérapie - sans préjudice,
le cas échéant, d'une action en justice.

DANS LE GROUPE

Dans le groupe, l'on parle, l'on pleure, l'on exprime


ses plaintes et sa fureur, parfois - plus rarement -
l'on rit. Mais ce n'est pas tout : beaucoup de souf-
frances se font jour, on apprend à connaître sa propre
souffrance, et l'on peut à présent faire le travail
thérapeutique.
Parallèlement, chacun constatera que sa propre
histoire est singulière et comparable à nulle autre.
Dans le groupe, même des psychotiques - des
personnes qui ont subi des blessures très profondes
- trouveront une aide. Comme du reste tous les
autres, ils doivent pouvoir se sentir en sécurité lors
de l'évocation d'une scène primaire. Pour cela ils
ont, dans la plupart des cas, besoin d'un contact
La thérapie de groupe 107

corporel. Une main ou un bras formera pour ainsi


dire le pont protecteur avant le plongeon dans l'in-
connu. Courir le risque de pénétrer dans une scène
primaire véritablement meurtrière, comme le sont
celles qui font le lit d'une psychose, nécessite presque
obligatoirement de rassurer le patient par un contact
corporel. Le secours apporté par le thérapeute et le
groupe garantit ainsi au patient que, dans la situation
actuelle, il est protégé. Le thérapeute, la pièce et le
groupe permettront à celui qui entreprend « un voyage
dans la jungle terrifiante du passé» de s'orienter, et
d'en revenir avec des souvenirs. Ces fragments de
souvenirs l'aideront à compléter la mosaïque de sa
vie et de ses souffrances.
Exemple : Une femme voudrait protester contre le
bruit que l'on fait autour d'elle. Elle éprouve alors
subitement une sensation d'étranglement et, en même
temps, elle voit le visage de sa mère, défiguré par la
colère. Sur ce, elle s'évanouit, revient bientôt à elle,
et raconte ce qu'elle vient de vivre. Ensuite, elle
exprime ses pensées et ses sentiments à l'égard de la
mère maltraitante et prend la défense de l'enfant
maltraitée. En général, il faudra assez longtemps à
une femme aussi gravement blessée pour s'autoriser
à prendre conscience de l'acte dément de sa mère,
et pour pouvoir y réagir. Tous ceux qui ont subi de
graves blessures dans leur petite enfance portent en
eux des réactions latentes psychotiques. Ce sont à
vrai dire des mesures de légitime défense, destinées
à échapper à la maltraitance dont ils ont souffert
dans le passé. Si l'enfant avait dû la vivre consciem-
ment, il serait mort ou aurait perdu la raison.
Les psychoses sont des tentatives généralisées, s'ex-
primant sur un plan symbolique, d'interprétation d'un
108 Pourquoi la souffrance

passé meurtrier et, parallèlement, de défense contre


celui-ci.
Un patient qui revit dans le cadre du groupe les
viols dont il a été victime aura, grâce à la présence
de plusieurs témoins, moins tendance que lorsqu'il
suit sa thérapie seul à s'imaginer qu'il vient d'être
violé, ici et maintenant. De plus, il trouvera toujours
des compagnons de souffrance susceptibles de l'aider
dans son travail d'intégration. Les viols de tous genres,
et spécialement ceux d'ordre sexuel, nécessitent un
travail thérapeutique prolongé et approfondi, afin
d'extirper complètement les sentiments de culpabilité
sans cesse renaissants.
Un patient attentif peut avoir dans le groupe de
véritables révélations. Les règles sur lesquelles reposent
les réactions latentes inconscientes sont très simples,
mais leurs incidences se montrent très complexes et
difficiles à saisir. Il peut ainsi arriver qu'un propos
d'un autre membre du groupe mette brusquement
en lumière une connexion apparemment indiscer-
nable. Un exemple : une femme se plaint de ses
réactions au désir sexuel. Régulièrement, elle éprouve
la sensation d'avoir la tête lourde, et tombe dans un
état d'engourdissement dont elle ne réussit à sortir
qu'après un moment de repos. En s'appuyant sur la
description de ce phénomène, la patiente parvient,
avec l'aide du thérapeute, à décrypter ainsi la situa-
tion : elle est aujourd'hui capable de se choisir un
partenaire et de se réjouir à la perspective de faire
l'amour avec lui. Mais, sitôt qu'elle se sent excitée,
elle est prise de vertiges, doit tout interrompre et se
reposer un moment avant de pouvoir être de nouveau
<<complètement présente"· Au fur et à mesure qu'elle
relate le déroulement des événements, la manière
dont se développent ses sensations et ses sentiments,
La thérapie de groupe 109

ainsi que leurs retentissements, se dévoile. La femme


trouve le partenaire qui lui plaît, se réjouit de ce
qu'elle va vivre avec lui puis, dès qu'elle ressent une
excitation, elle est bloquée par un état d'engourdis-
sement. Dans le passé, il lui arrivait même parfois
de s'évanouir. Ce n'est plus le cas ces derniers temps.
Il n'en reste pas moins que ce phénomène la gêne
et l'irrite. Cette femme est parfaitement informée du
processus de la naissance, et sait que la sienne a été
difficile. De ce fait, elle parvient à s'expliquer ce qui
se passe en elle. En premier lieu, elle a un souvenir
intra-utérin : celui d'avoir éprouvé de la joie, sans
doute à la perspective de ne plus être enfermée dans
cet espace étroit. Cette joie recèle un certain plaisir,
vraisemblablement un plaisir moteur qui aboutit à de
l'excitation. Malheureusement, la suite des événe-
ments n'a rien de plaisant. La petite fille est venue
au monde dans des «conditions cliniques », c'est-à-
dire que le cordon ombilical a été coupé prématu-
rément, qu'on l'a frappée et« ranimée» en lui pinçant
les parties génitales. La mère n'avait pu s'y opposer.
Le médecin de service avait dédaigneusement rejeté
sa prière de ne couper le cordon qu'après la cessation
des vibrations indiquant que le sang continue à y
affluer. On lui avait également refusé le rooming-in.
De sorte que le nouveau-né n'avait pu être suffisam-
ment consolé ni sa terrible angoisse apaisée.
L'adulte - l'enfant de jadis - a maintenant décou-
vert que ses évanouissements constituaient une réac-
tion à la perception de l'excitation. Elle a compris
que ces pertes de conscience exerçaient une fonction
d'insensibilisation, se déclenchant automatiquement
dès que l'excitation atteint un certain niveau d'inten-
sité qui, pour le système, est un signal d'alarme: il
s'attend à devoir souffrir. Cette femme a ainsi décou-
110 Pourquoi la souffrance

vert l'une des réactions latentes les plus importantes :


perdre conscience remplit une fonction protectrice
toujours efficace, permettant de « survivre ,, aux tor-
tures qui ont suivi la joie et le plaisir précédant la
naissance- des tortures que l'on s'attend, avec angoisse,
à devoir revivre jusque dans l'âge adulte. L',, éva-
nouissement salvateur , était devenu une << réaction
de survie » automatique, liée à la montée des sensa-
tions de plaisir et d'excitation.
En écoutant cette femme, un autre membre du
groupe déclara souffrir d'un phénomène analogue -
survenant il est vrai dans de tout autres circonstances.
Chaque fois qu'il se sentait impressionné par un texte
scientifique qu'il avait pourtant en soi envie de lire
et comptait lire avec plaisir, il était saisi d'une grande
fatigue et, au bout d'une ou deux phrases, d'un léger
vertige (comme s'il était au bord de l'évanouissement)
qui le contraignait à interrompre sa lecture. Il devait
mettre ce travail de côté et se consoler en se disant
qu'il le reprendrait plus tard. Les deux patients ont,
pendant un certain temps, mené en commun un
travail thérapeutique sur ce problème, et les symp-
tômes ont disparu.
L'on peut recevoir ainsi, au sein du groupe, beau-
coup de petits et gros coups de main pour sa propre
thérapie.
Parfois, il s'agit de quelque chose de très simple.
Par exemple : quelqu'un constate que, bizarrement,
il ne peut s'empêcher de témoigner de l'hostilité à
tout un chacun ou presque. Un peu plus tard, il
comprend qu'il se comporte ainsi pour éviter un
rapprochement en réalité souhaité mais qui lui fait
trop peur. Entendre de telles révélations permet à
d'autres membres du groupe de mieux discerner les
raisons sous-jacentes de leurs propres problèmes.
UN PATIENT NOUS ECRIT

Vous m'avez demandé de raconter ce qu'est la


thérapie que j'ai récemment commencé à suivre.
La thérapie primaire de J. Konrad Stettbacher part
de l'idée que les carences et les surcharges émotion-
nelles dont nous avons souffert à l'aube de notre vie
et dans notre enfance sont les premiers responsables
des souffrances psychiques et somatiques. Etant donné
sa totale dépendance envers ses parents, l'enfant ne
peut (et il n'en a pas le droit) voir et identifier ce
qui lui a été infligé. Il ne peut pas non plus réagir
comme il le faudrait aux mauvais traitements et au
mépris de ses besoins. Et, hélas, il pensera par-dessus
le marché que ses malheurs sont de sa faute.
La thérapie m'aide à me rendre compte de ces
carences et de ces surcharges émotionnelles en disant
ma détresse, et en me permettant de demander à
ceux qui l'ont causée pourquoi tout cela m'a été
infligé et refusé. J'ai le droit d'exprimer mes angoisses
et ma douleur, ma colère et mon indignation, de
constater que j'ai subi tel ou tel mauvais traitement
et de demander pourquoi. Quand j'étais enfant, je ne
pouvais pas le faire par crainte de mes parents, et
j'ai tout oublié. Plus tard, je n'ai plus été capable de
poser des questions pour comprendre pourquoi je suis
comme je suis.
112 Pourquoi la souffrance

Mes parents m'ont rejeté et ignoré! Cela s'est ancré


en moi si profondément que je ne comprenais plus
rien, et que j'étais quotidiennement torturé par des
sentiments insupportables. J'avais l'impression d'être
continuellement une gêne pour tout le monde, d'être
de trop, pas à la hauteur, bon à rien et, surtout,
mauvais et coupable. Je faisais des efforts épuisants
pour surmonter ces sentiments ou leur échapper. De
temps à autre, j'éprouvais une terrible envie de me
supprimer, de m'<< avorter ,, - de faire ce que mes
parents n'avaient pas osé, alors que c'était en réalité,
au fond d'eux-mêmes, ce qu'ils auraient voulu.
A force de me sentir en permanence << de trop » et
'' coupable ,,, mon existence a été privée à mes yeux
de toute justification. Il m'a fallu m'évertuer à me
prouver chaque jour que j'existe pour << quelque
chose ''· J'ai été condamné à répéter continuellement
la même expérience : je ne suis pas assez bien pour
qu'on m'aime vraiment. J'avais beau rendre service,
me dévouer, solliciter, supplier, multiplier les efforts
en tous sens, rien n'était jamais suffisant pour me
donner le sentiment que l'on puisse m'apprécier et
m'aimer.
Grâce à la thérapie, je parviens petit à petit à saisir
le retentissement que le pouvoir exercé sur moi par
mes parents, durant mon enfance et mon adolescence,
a eu sur ma vie. A présent, je m'en rends compte,
nul autre que moi-même ne peut me venir en aide.
Je dois voir clairement, complètement, les aspects
destructeurs de mon enfance, et ressentir les émotions
qui y sont liées. Il ne me sera pas épargné de sentir
combien ça m'a fait mal, et combien ça me fait
encore mal quand quelqu'un ou quelque chose me
rappelle ce passé.
Grâce à cette thérapie, je parviendrai avec le temps
Un patient nous écrit 113

à me délivrer de cette nécessité intérieure qm me


pousse à confondre, affectivement, les autres avec
mes parents. Parce que mes parents m'ont manqué,
j'ai passé mon temps à les chercher dans les autres.
Et pour ne pas souffrir de ce que j'avais subi, j'ai dû
le refouler.
Le thérapeute m'apprend à devenir « l'avocat de
l'enfant» et me soutient dans cette tâche. J'arrive de
mieux en mieux à exprimer mes sentiments, à crier
au besoin ma protestation, à dissoudre mon chagrin
dans mes larmes, et à mettre ma colère en mots. Je
réussis de mieux en mieux, aujourd'hui, à établir les
rapports entre ma détresse, mes difficultés, et leurs
causes.
Pas à pas, étape par étape, je me débarrasse de mes
attentes et de mes contraintes intérieures négatives.
Et un jour- maintenant je le sens sans aucun doute
possible-, je me libérerai entièrement de ce fardeau.
D'heureux changements vont se produire dans mon
existence: j'en ai déjà les premières preuves. Depuis
peu, je suis capable de regarder les gens dans les
yeux et de leur parler sans crainte. Je n'éprouve plus
aucune peine à m'abstenir de cigarettes et d'alcool,
et j'ai réappris à rire.
LETTRE DU THERAPEUTE

Cher patient,
Je voudrais ajouter, à propos de la thérapie primaire,
quelques idées qui peut-être vous aideront à atteindre
le but.
Le but de notre thérapie peut, de manière très
simplifiée, se résumer en une phrase: Nous voulons
devenir comme nous sommes, pour vivre comme il
nous plaît.
C'est plus simple à dire qu'à faire. Devenir comme
nous sommes? Mais nous sommes comme nous
sommes! Certes. Seulement, il y a en nous beaucoup
de choses que nous ne savons plus, et que nous
sommes devenus incapables de ressentir. Nous avons
depuis fort longtemps « oublié » l'enfant en colère,
furieux, désespéré enfoui en nous, cet enfant entiè-
rement à la merci des adultes et qui souffre. Tout ce
qui, venant de notre passé, nous oppresse et nous fait
mal, nous l'avons en horreur, nous n'en voulons pas,
et nous le repoussons en nous armant de toutes nos
défenses. Nous avons assez à faire avec le présent et
avec l'organisation de notre vie quotidienne. Par la
force des choses, nous sous-estimons le pouvoir du
passé et bataillons tant bien que mal avec le présent.
Vous avez maintenant résolu de découvrir pas à
pas ce passé. Vous voulez apprendre - et vous
Lettre du thérapeute 115

apprendrez - quels événements et quelles personnes


ont provoqué vos souffrances physiques et morales.
Vous pouvez réussir à vous délivrer de « tout ça ».
Mais vous rencontrerez l'obstacle d'une opinion lar-
gement répandue : « Mes parents, la génération des
parents, étaient gentils, de braves gens pleins de
bonnes intentions. Mes souffrances ne peuvent pas
venir d'eux. ,, Cette opinion peut être partiellement
exacte. Ce qui ne change rien à la réalité de la
souffrance et des entraves qu'elle met à notre vie.
A mon point de vue, l'être humain ne peut trouver
la capacité de vivre pleinement que si, dans le respect
de son intégrité primaire, il est traité de telle manière
qu'il conserve une claire connaissance de ses véritables
besoins. Une personne en possession de toutes ses
aptitudes à éprouver des sensations et des sentiments
saura toujours ce dont elle a besoin pour être et
demeurer en bonne santé.
Ceci veut dire : la génération précédente n'a en
général pas encore compris ce dont l'être humain a
besoin pour sa santé physique et morale. Les parents
n'ont pas su quels étaient les besoins de l'enfant, et
ces besoins n'ont pu être convenablement satisfaits.
Votre souffrance provient de ce manque.
Vous avez maintenant entrepris de détecter les
blessures et les carences subies dans votre enfance,
et de les effacer. Sachez-le : c'est une grande entre-
prise, qui exigera beaucoup de temps. Vous devez
viser à ne plus réprimer vos souffrances mais à vous
attaquer à leurs causes. Il ne s'agit pas de supporter,
d'endurer passivement angoisses et souffrances.
Vous apprendrez, au cours de la thérapie, comment
vous comporter face à vos angoisses et vos souffrances
afin qu'elles puissent, avec le temps, se dissiper.
Quels changements pouvez-vous espérer?
116 Pourquoi la souffrance

Vous redeviendrez sensible à vos besoins naturels.


Vous chercherez à les satisfaire, cesserez de courir
après des besoins de substitution. Vos défenses ina-
daptées s'écrouleront, vous ne serez plus l'esclave
souffre-douleur d'un quelconque fantôme. Vous orga-
niserez votre vie en accord avec vos possibilités, et
de manière à vous sentir « bien dans votre peau ».
Je vous souhaite bonne chance, bon courage, et
j'espère aussi que vous trouverez durant ce travail du
temps pour reprendre haleine. Le processus de gué-
rison, comme tout autre processus naturel, a besoin
de prendre son temps.

J. Konrad STEITBACHER
III. POURQUOI LA THERAPIE
EST-ELLE INDISPENSABLE?
COMME TU ES NE...

Comme tu es né, tu vivras. Si ton père et ta mère


t'ont vraiment voulu, tu auras le droit de vouloir.
S'ils t'ont vraiment aimé, tu seras capable d'aimer.
Tu auras envie de vivre, et de la joie de vivre. Si ton
père et ta mère t'ont vraiment respecté, tu respecteras
la vie.
Il ne servira à personne de pleurer sur << le drame
de la mère non douée» ou de proclamer: << J'en ai
ras le bol d'être un facteur pathogène. Nous, les
mères, nous contre-attaquons. Nous nous refusons à
être plus parfaites que le reste de l'humanité. Nous
ne sommes pas une station d'épuration entre le monde
extérieur, sale et méchant, et la famille, pure et
bonne. Nous nous refusons à écouter plus longtemps
les conseils contradictoires des "experts", qui n'ont
qu'une idée en tête : nous donner mauvaise cons-
cience.»
Il est tout aussi absurde et dangereux d'affirmer :
,, L'asthme, la toxicomanie, l'impuissance, ce sont les
mères qui en sont responsables. » Même si c'était le
cas, de semblables accusations ne servent à rien tant
que l'on n'a pas compris ce qui se passe. Désigner
les mères comme seules coupables serait faire revivre
le mythe d'Eve. Personne, aucun être humain, n'as-
sume en connaissance de cause une telle faute. Il
120 Pourquoi la souffrance

s'agit là de dettes dont on ne peut jamais s'acquitter,


et qui nous anéantiront si nous n'apprenons pas à
éviter de les contracter. Le créancier, lui non plus,
ne pourra les recouvrer. Mais le débiteur a une
possibilité de se libérer de cette dette : la reconnaître,
avouer son ignorance et manifester son repentir à
l'intéressé.
Bien des parents nient, consciemment ou incons-
ciemment, leurs fautes envers leurs enfants. Ce déni,
les uns comme les autres en pâtissent - sans compter
la société. Presque tous les enfants seraient prêts,
spontanément, à pardonner même des erreurs gros-
sières à leurs parents, pourvu que ceux-ci soient prêts
à œuvrer à une réconciliation. Malheureusement,
beaucoup de parents s'entêtent à se considérer infail-
libles, et rejettent toute responsabilité dans le malheur
ou la maladie de leurs enfants. Cette attitude ne
cesse de bloquer, d'entraver, voire d'empêcher la
thérapie et, du même coup, freine la guérison.
Lorsqu'on y regarde de plus près, l'on constate que
le refus des parents de reconnaître qu'ils se sont mal
conduits est bien souvent à l'origine des souffrances
de l'enfant : celui-ci, ainsi trompé sur les véritables
raisons du comportement de ses père et mère, est
plongé dans le désarroi et les sentiments de culpabilité.
Notamment affirmer, au mépris de la vérité, «tu as
été un enfant désiré , équivaut à lui faire porter une
lourde charge, qui le maintiendra prisonnier de sa
prétendue culpabilité. Le plus grand service que
peuvent rendre à un enfant un père et une mère qui
lui ont fait du mal, c'est s'efforcer de reconnaître
leurs erreurs, afin de délivrer l'enfant de son désarroi
et de ses angoissantes interrogations.
Toutefois, se borner à des aveux, sans se remettre
soi-même en question, ne rime à rien, et personne
Comme tu es né 121

n'en tirera bénéfice. Le père ou la mère qui« confesse»


brutalement à un enfant qu'il a été conçu par
mégarde, qu'il est un « accident », etc., fait preuve de
la même brutalité que celle qui sous-tend l'ensemble
de son comportement. Les parents n'ont pas le droit
de se montrer injustes et agressifs envers leur enfant,
même s'ils estiment avoir quelque bonne raison à
cela. S'ils le font néanmoins, c'est à cause de leurs
propres problèmes : des problèmes intérieurs ou dus
au monde extérieur, mais dont l'enfant n'est pas
responsable. Des parents fautifs ont le devoir de
présenter leurs excuses à l'enfant.
'' Je ne peux pas vivre si vous ne voulez pas de moi
et ne pouvez pas m'aimer. » C'est là, inéluctablement,
la réaction d'un enfant non désiré et par suite non
aimé. Par bonheur, ces enfants trouvent parfois de
l'amour auprès d'un autre membre de leur entourage.
Ce n'est pas fréquent - l'état et la détresse de tant
de nos contemporains n'en témoignent que trop
clairement. Il n'y a aucune raison - sauf l'égoïsme,
l'exploitation d'autrui et le mépris de l'humanité -
de mettre au monde, consciemment, un être humain
que l'on n'aimera pas. Mais, inconsciemment, cela se
produit tous les jours, mille et mille fois; un accrois-
sement quotidien du potentiel destructeur de l'hu-
manité. Une multiplication quotidienne des instru-
ments de la catastrophe : des êtres mis au monde à
l'aveuglette, avec une totale irresponsabilité, et voués
à se détruire eux-mêmes ou à détruire le monde
environnant. L'être humain, animal timide à l'aube
de son histoire, a pris le pouvoir sur notre monde :
c'est pourquoi il est, sur cette planète, la créature
responsable. Chacun d'entre nous doit, sans délai,
prendre conscience de sa responsabilité si nous vou-
122 Pourquoi la souffrance

lons enrayer la destruction de la vie avant l'épuisement


de nos ressources.
C'est pourquoi la responsabilité globale commence
par celle de l'individu. Or celui-ci ne peut l'assumer
que s'il est conscient de lui-même et de son environ-
nement. La balle est dans le camp des parents : ils
peuvent se remettre en question. L'enfant, lui, n'y
parviendra qu'avec le temps, et encore à condition
que son intégrité ait été préservée. Les hommes et
les femmes à qui il a été interdit de devenir conscients,
et qui de ce fait ont abîmé leurs enfants ou leur ont
porté préjudice, se montrent incapables de faire face
à leur faute. Sans une aide extérieure, ils emploieront
tous les moyens pour éviter d'ouvrir les yeux sur les
tristes conséquences de leur comportement.
Dans une culture où l'on se décharge constamment
de ses responsabilités sur des « supérieurs », nier sa
faute est de règle.
Etre en faute ne signifie pas forcément que l'on a
commis quelque acte criminel. La faute, c'est essen-
tiellement d'avoir failli à ses obligations * : avoir
négligé les besoins de son enfant, ne pas avoir su les
satisfaire, ne pas avoir su lui donner. Si l'on regarde
les choses objectivement, on ne doit quelque chose
qu'à un enfant, car il est faible et dépend de nous.
Estimer que d'emblée il nous devrait quelque chose,
à nous qui sommes plus grands, plus forts, plus
expérimentés, plus savants que lui, voire « tout-puis-
sants », est contre toute logique. Par principe, seul le
puissant peut se mettre en faute envers le faible, celui
qui n'a aucun pouvoir. Quel mal un petit enfant,
aussi furieux soit-il, peut-il faire à son père? Les
* L 'allemand utilise le même mot, << Schuld "• pour << faute ,,
et " dette ,, - et en français '' faute , dans son sens ancien,
<<absence, défaut >> (N. d. T.).
Comme tu es né 123

parents n'ont pas non plus besoin que leurs enfants


soient obéissants. Les enfants apprennent vite et
suivront le bon exemple - pourvu que l'on soit
capable de le leur donner.
Aujourd'hui, chacun d'entre nous est confronté
avec <<tout ''· Comme nous ne grandissons plus dans
la sécurité d'un petit groupe clos, trouver cette
sécurité au sein de la cellule familiale est d'une
importance cruciale. Vivre son enfance en se sachant
protégé est la condition fondamentale pour devenir
un être humain conscient. Un enfant qui apprend à
communiquer sans crainte est capable de saisir beau-
coup de choses et de rapports entre les choses, et de
comprendre le monde, aussi compliqué soit-il.

L'événement le plus émouvant, le plus impression-


nant, le plus marquant dans la vie d'un être humain
est sa naissance. Dans toute sa vie, rien d'autre ou
presque ne provoquera un bouleversement aussi total,
avec une excitation de tous ses sens. Et, sa vie durant,
toute autre expérience excitant son organisme sera -
par le biais d'une fonction de signal - mesurée à
l'aune de cette expérience fondamentale. Dès qu'une
excitation se fait jour, le souvenir de la naissance
resurgit. L'excitation est la réponse à un état de
tension émotionnelle : une mise en alerte et/ou une
mobilisation, qui met en jeu tout l'organisme. Une
mobilisation totale - tant sur le plan physique qu'é-
motionnel - de l'attention ainsi que des événements
nécessitant une implication s'accompagnent d'exci-
tation.
Pendant neuf mois, nous sommes au << paradis ,, :
bien protégés, et rien que nous deux - maman et
moi. Nous pouvons (quand tout se passe bien), en
paix et dans un dialogue avec la mère, construire
124 Pourquoi la souffrance

notre organisme avec le matériau que nous a légué


notre espèce, forte de ses millions d'années d'expé-
rience de la vie. A la fin de cette période paradisiaque
nous commençons à nous sentir comprimés. Cela va
croissant, nous aspirons à la délivrance, et rassemblons
nos forces en vue de cet événement. Avant la déli-
vrance, l'enfant ressent de la joie et du plaisir: je me
le rappelle fort bien, et d'autres personnes qui sont
remontées aussi loin dans leurs souvenirs me l'ont
également rapporté. Peu après survient l'excitation
en réponse à la sollicitation, poussée à son maximum,
de l'activité corporelle. Ceci devrait à nouveau s'ac-
compagner de plaisir si la naissance - avec l'effort à
accomplir, tous ces pétrissages et massages - pouvait
être vécue comme un plein succès. Le bon départ
dans la vie pourrait se définir ainsi : venir au monde
avec physiquement des sensations de plaisir, et psy-
chiquement de la joie, le sentiment d'être en sécurité,
et véritablement le bienvenu.
Malheureusement, ce départ dans la vie n'est que
trop souvent une brutale et douloureuse expulsion
du «paradis». Parfois, c'est une plongée en enfer,
dans la chambre de tortures de la salle d'accouche-
ment. Ici, «en toute bonne foi», l'on torture un être
vivant censé pouvoir devenir plus tard un homme ou
une femme équilibré(e), sachant se diriger dans la
vie. L'inconscient de l'enfant n'oubliera jamais cette
expulsion et ce mauvais accueil. Avant d'être libéré
de son confinement, il avait éprouvé de la joie et du
plaisir: c'est, en quelque sorte, dans cet état d'humeur
qu'il s'apprêtait à entrer dans la vie. Mais lorsque cet
événement, accompagné d'une intense excitation, se
termine en torture, l'enfant ne trouve rien dans son
répertoire phylogénétique qui puisse lui en fournir
une explication. Il ne pourra pas non plus analyser,
Comme tu es né 125

conceptualiser cette monstrueuse expenence, car il


n'a pas encore de pensée abstraite. L'enfant se sent
livré à d'étranges forces qui le maltraitent, le tirent,
le poussent, le pressent, le battent, le suspendent par
les pieds. Il s'étrangle et s'étouffe. Pour pouvoir
survivre à cette torture sans dommages, il n'y a qu'un
seul moyen : son organisme s'anesthésie de lui-même.
Si l'organisme ne disposait pas de cette possibilité, la
trop forte douleur entraînerait des lésions organiques,
voire la mort. Mais cette plongée dans l'insensibili-
sation n'empêche pas le corps d'emmagasiner dans
l'inconscient les << données ,, nécessaires à l'individu
pour sa survie. Ainsi, même des phénomènes péri-
phériques (qui ne pourront recevoir qu'ultérieure-
ment une identification et une interprétation) sont
enregistrés avec beaucoup de précision, avant et après
le << black-out ''· Entre-temps, le petit être torturé
percevra confusément des objets et des silhouettes
qui deviendront, par la suite, les supports de sa
remémoration de l'événement. Si plus tard il travaille
sur ses souvenirs, les informations ainsi stockées se
montreront utiles. Mais s'il ne le fait pas elles
viendront, angoissants fantômes, hanter ses cauche-
mars, sèmeront la confusion dans sa vie quotidienne,
provoqueront même parfois des troubles somatiques.
Rien d'étonnant à ce que, le corps ayant enregistré
ce terrible traumatisme, l'événement devienne l'image
même de l'enfer, reste déposé dans l'inconscient
comme l'horreur suprême, et comme un signal
d'alarme annonciateur de tortures mortelles.
Imaginez qu'un médecin arrache un nourrisson de
son berceau, l'attrape par les pieds, le laisse ainsi
suspendu et le frappe. On le considérerait, y compris
dans notre culture, comme un fou et un danger
public. Mais traiter de la sorte un petit être humain
126 Pourquoi la souffrance

quelques jours plus tôt, à sa naissance, passe pour


une indication médicale. Or c'est le moment où le
système nerveux central humain est le plus sensible,
et le plus capable d'apprentissage. Après la naissance,
nous devenons pour ainsi dire de jour en jour plus
oublieux, parce que nous devons recueillir et assimiler
de plus en plus d'impressions. Le nouveau-né n'a pas
encore d'autre expérience du monde extérieur que
ce qui lui a été transmis dans le ventre de sa mère.
Il est stupéfiant de voir que l'on traite avec aussi peu
de scrupules et de ménagements le petit humain au
moment de sa vie où il est le plus sensible et le plus
vulnérable.
Dans le cours de la vie, chaque excitation suscitera
à l'insu de l'intéressé une réminiscence de la brutalité
de la naissance, qui influera sur chacune de ses
actions. La base de la vie - une torture? Hélas oui,
bien trop souvent. Cette torture, chacun de nous la
vit différemment, mais les réactions latentes, le poids,
les difficultés qui en résultent n'en exerceront pas
moins - à des degrés divers - leurs effets pernicieux
tout au long de l'existence.
Comment un homme (ou une femme) accablé
d'une lourde surcharge émotionnelle pourrait-il mener
une vie normale, autonome? Il souffrira, et on lui
collera une étiquette : « névrosé », « psychopathe ,, ou
autre, parce que personne ne peut ou ne veut
comprendre ce qui se passe. Tout ce qu'il entreprend
signifiera à ses yeux: danger. Ses efforts ne peuvent
être qu'avant-coureurs d'une catastrophe, et le mal-
heureux est déjà à deux doigts de perdre conscience.
Au lieu d'aimer la vie, il la subira. Il ne pourra
adhérer ni << au monde ,,, ni à lui-même. Presque tout
lui est tourment et devient une oppressante angoisse.
Sur cette vie-là règne un tyran : la crainte.
Comme tu es né 127

Chaque naissance a des conséquences différentes. Elle


peut devenir un point d'appui pour toute la vie, le
fondement de la confiance originelle. Ou bien empoi-
sonner par ses répercussions chaque jour de l'existence.

Toutes sortes de surcharges émotionnelles peuvent


être à l'origine de réactions latentes négatives. Par
exemple, tout ce qui est lié au plaisir entraînera de
l'angoisse ou des craintes. Si l'on s'est senti doulou-
reusement bloqué dans le corps maternel, il en
résultera le sentiment latent d'une '' interdiction de
passer,,, d'un verrouillage, qui mènera à l'évitement,
voire au refus dès que survient un plaisir moteur. Si
une tétanisation se produit lors de la naissance, il en
subsistera une tendance à << faire le mort ,,, à se
rigidifier, à s'interdire de respirer, particulièrement
face à un danger. L'expérience selon laquelle l'anes-
thésie, l'endormissement, constitue le moyen de se
protéger de l'intolérable suscite ou favorise la nar-
colepsie (brusques et invincibles accès de sommeil).
Le désir d'engourdir sa sensibilité incitera plus tard
à fumer: le tabac, c'est bien connu, est un stupéfiant
et en même temps un moyen de lutter contre le
stress. Une souffrance prolongée, des complications
survenant au cours de l'accouchement, ou encore
l'incompétence et l'insensibilité d'un accoucheur,
sources de tortures pour l'enfant, ont pour consé-
quence des auto-anesthésies (plus ou moins prolon-
gées selon le cas) dont l'action peut persister des
mois, des années, voire des décennies durant.
Les souffrances (subies dans le ventre maternel ou
lors de l'accouchement) qui s'accompagnent d'en-
gourdissement et de paralysie suscitent des paralysies.
Elles peuvent aller jusqu'à des parésies (paralysie
partielle, affaiblissement d'un muscle ou d'un groupe
128 Pourquoi la souffrance

de muscles) semblables aux symptômes de lésions


cérébrales morphologiquement décelables, et produire
ainsi des réactions fonctionnelles du type de l'infirmité
motrice-cérébrale. A mon avis, la sclérose en plaques
est un exemple de ces réactions latentes fonctionnelles
aux conséquences tragiques. Chez ces malades, tout
élan spontané, toute réaction de plaisir, toute impul-
sion créatrice, tout plaisir moteur est suivi en quelques
fractions de seconde d'une mise en garde : << Attention,
ne le fais pas, ce pourrait être dangereux! ,, De plus,
la position latente de défense contre la souffrance
rend impossible une détente complète, aussi bien sur
le plan physique que psychique.

Le trop-plein de souffrances, les tortures et le senti-


ment d'abandon, avant, pendant et après la naissance,
mettront obstacle notre existence durant à notre aptitude
à vivre, et nous priveront de la joie de vivre.

Quand on voit le cruel << destin ,, des intéressés,


comment oserait-on dresser la longue liste des drames
provoqués par une souffrance évitable? Car cette
souffrance pourrait être évitée si l'on prenait les
précautions nécessaires. Certaines personnes savent
faire de leur souffrance vertu : cela peut être une
aide, donner un sens à leur existence - mais cela
reste un triste substitut, qui ne saurait remplacer une
vie épanouie. L'être humain, et l'enfant en particulier,
exprime quotidiennement sa détresse. Et c'est ce qui
laisse aux parents une chance de pouvoir secourir
leur enfant.
Il est effectivement possible de guérir de graves
blessures. A la condition de prêter attention aux
signaux, aux appels de l'enfant. Chaque fois qu'on
lui apporte un réconfort, que l'on satisfait véritable-
Comme tu es né 129

ment ses besoins, ses tensions seront apaisées. Des


soins corporels prodigués avec amour, l'assurance
apportée au petit être qu'il est digne de respect et
d'amour, aident à guérir presque toutes les plaies.
Du moment qu'ils ont été reconnus comme tels, des
blessures, des désarrois, des sentiments d'insécurité
peuvent être effacés avec des mots et des actes. La
victime d'une surdité psychique pourra retrouver
l'ouïe, d'une mutité psychique la parole, d'une cécité
psychique la vue.
La guérison exige dans la plupart des cas beaucoup
de temps, de patience et d'endurance. Le succès, et
la joie qu'il apporte, seront la récompense de ces
efforts. Il faut savoir, à ce propos, que l'enfant
souffrant d'une surcharge émotionnelle demeurera
assez longtemps incapable d'exprimer de la satisfac-
tion ou de la joie. Au début, contenter cet enfant ne
sera pas une tâche facile. Il est susceptible et irascible,
exprimera très souvent des peurs, et donnera l'im-
pression que ses besoins sont insatiables. Un certain
temps lui sera nécessaire pour faire confiance au
''nouveau régime>>: il s'est déjà construit un système
de défense qui ne se laissera pas abattre d'un seul
coup. Il a besoin de parents sensibles, capables de
rester à son écoute, avec toute leur attention et leur
amour, jusqu'à ce qu'il puisse reprendre confiance.
Malheureusement, beaucoup de parents ne se
rendent jamais compte de la détresse de leur enfant,
et ne sont pas prêts à se remettre en question pour
l'aider. Ils préféreront se décharger du «problème>>
sur des professionnels, qui trop souvent n'ont aucune
idée de la véritable situation et de ses raisons pro-
fondes, notamment parce que les parents ne leur
fournissent jamais des informations complètes. Mais
la meilleure protection contre la chronicisation des
130 Pourquoi la souffrance

souffrances demeure l'aide immédiate. Lorsque après


une naissance difficile la mère peut calmer et allaiter
son enfant, l'encourager encore et encore, elle évitera
dans la plupart des cas l'installation de troubles
durables. Le dommage peut être « réparé » par les
parents s'ils savent traiter leur enfant avec la sollici-
tude et l'amour nécessaires. Après les souffrances qui
lui ont été infligées, le nouveau-né a besoin, physi-
quement et psychiquement, d'une bienfaisante ten-
dresse. La mère, de son côté, ne pourra se montrer
attentive et sensible aux besoins de son enfant que si
elle dispose d'une aide extérieure et de sécurité
intérieure. Un grand nombre de femmes ont, semble-
t-il, des difficultés à vivre l'allaitement comme un
plaisir, soit par suite de «scrupules moraux,,, soit
parce qu'elles ont une relation perturbée avec leur
propre corps. Une mère en bonne santé et équilibrée
éprouve du plaisir lors de l'allaitement : plus parti-
culièrement au niveau des seins et de la zone génitale,
mais aussi dans tout son corps. C'est en quelque sorte
la récompense de la nature pour le don de la
nourriture primaire. L'allaitement peut constituer,
après la naissance, la communication la plus intense,
la plus riche en plaisir, entre la mère et l'enfant.
Non seulement le lait maternel contient tous les
anticorps et les substances nutritives dont l'enfant a
besoin pour construire son organisme, mais encore
l'acte de téter en lui-même s'accompagne d'une
stimulation agréable de ses organes et de son activité
qui, à son tour, va frayer la voie à l'établissement
d'une bonne capacité relationnelle. Téter avec plaisir
est un excellent point de départ pour un dévelop-
pement psychosocial harmonieux. La mère qui dis-
pense à son enfant stimulation et amour crée en lui
un sentiment du moi positif qui lui permettra de
Comme tu es né 131

forger, sur cette base solide, une bonne image de lui-


même en tant qu'être vivant. Un enfant dont les
besoins sont satisfaits cherchera à s'épanouir dans la
vie et à transmettre aux autres sa joie de vivre.
Pour pouvoir « donner de la vie ,, la mère a besoin
du soutien du père et de la reconnaissance de la société.
Nous ne pouvons et ne voulons pas renoncer aux
''vraies,, mères. L'on a d'ores et déjà décrit les
enfants-éprouvettes comme des «monstres,,, et l'on
voit mal comment ils pourraient à leur tour produire
autre chose que des '' monstres ». Il me semble plus
simple d'empêcher la fabrication de '' monstres,, par
des inconscients que d'attendre le développement de
méthodes artificielles d'« élevage» de l'être humain.
Je suis convaincu que nous deviendrons peu à peu
des individus conscients, car c'est là notre seule
chance de sauvegarder l'espèce humaine.
BESOINS ET PERVERSIONS

La sexualité et les grossesses non désirées qui en


étaient la rançon faisaient partie, jusqu'à la découverte
du cycle de la fécondité, de la misère humaine.
Aujourd'hui, malgré la profusion des moyens contra-
ceptifs, il en est encore trop souvent ainsi. Qu'est-ce
qui pousse l'être humain à une procréation non
désirée?
Normalement, nous sommes poussés à procréer
par la pulsion d'accouplement, qui est sous dépen-
dance hormonale. Le patrimoine que nous lègue la
nature, une charge qu'elle nous impose? Quelque
chose en nous veut - sortir? - se décharger? -
s'apaiser? - éprouver du plaisir? - abréagir? -
transmettre la vie? - perpétuer l'espèce? - ou bien
tout cela à la fois et plus encore?
Aujourd'hui, tout être humain en état de procréer
devrait, lors de ses rapports sexuels, se demander ce
qu'il veut : vivre une expérience érotique ou, avec
amour, procréer un enfant? Si l'on veut concevoir
un enfant, encore faut-il que ce soit en pleine
conscience de ses responsabilités envers cette future
vie. Donner la vie à un enfant par négligence ou en
le considérant comme un jouet est un crime. Mal-
heureusement, la sexualité sert trop souvent d'exutoire
aux réactions latentes les plus diverses, à des abus de
Besoins et perversions 133

pouvoir, au mépris de l'autre ou au sadisme. Faire


semblant d'aimer pour pouvoir se défouler sexuelle-
ment est probablement la forme d'abus la plus
répandue.
Dès avant la puberté, l'enfant connaît des sensations
de plaisir dans la zone génitale, sans qu'il s'agisse de
'' sexualité». On devrait réserver ce terme à la pulsion
d'accouplement et à l'acte de procréation. L'enfant
ne veut pas cet acte car il n'est pas capable de
procréer. Lorsque, chez un petit enfant, le pénis est
en érection ou le clitoris durci, cela ne signifie
nullement qu'il est prêt à procréer mais traduit
simplement une excitation qui peut avoir diverses
origines et qui, quand l'organe en question se gonfle
sous l'afflux du sang, peut être voluptueuse ou
douloureuse.
Le 6, dont la forme évoque un sexe masculin, est
un signe d'excitation, un symbole. L'on a souvent
constaté qu'une érection se produisait au moment de
la mort, aussi bien chez des hommes mourant de
mort naturelle que lors d'une exécution. La mort
peut être un événement excitant et très chargé
d'émotion. Toute excitation, quel que soit l'événe-
ment qui l'a déclenchée, peut susciter l'érection du
pénis ou le gonflement du clitoris, la surstimulation
du membre permettant de l',, évacuer» aisément. Par
cette surstimulation, la tension s'accroît dans cette
zone corporelle jusqu'à un paroxysme. Sur ce, la
tension accumulée retombe en se diffusant dans le
corps entier. C'est ce phénomène que nous vivons
au moment de l'orgasme, et aussitôt après survient
la détente. Il s'accompagne de plaisir, ne serait-ce
que du plaisir de la délivrance. Une sorte d'apaisement
vient baigner le corps entier. Le système nerveux
central enregistre : << L'acte est accompli, le danger
134 Pourquoi la souffrance

est écarté», et l'organisme peut temporairement se


démobiliser et récupérer.
L'excitation est l'effet d'un état de tension émo-
tionnelle, une mise en alerte ou une mobilisation de
l'organisme. Elle atteint toujours tous les organes, et
en particulier ceux nécessaires à notre survie. Ces
organes sont aussi particulièrement sensibles à la
douleur : il s'agit par exemple des ovaires ou des
testicules. Chez la jeune fille et la femme, les ovaires
peuvent, lorsque la peur contracte le bas-ventre, réagir
avec une telle violence qu'aujourd'hui encore on
qualifie ces douleurs d'hystériques, bien que l'hustera
(l'utérus) n'en soit pas la cause. Il serait beaucoup
plus pertinent de parler de douleurs <<historiques ,,,
afin que l'intéressée sache qu'il s'agit d'un événement
lié à l'histoire de sa vie. Des crispations peuvent
entraîner des états douloureux parce que l'individu
n'a pas pu vivre consciemment l'excitation et doit la
refréner car elle est le prélude d'un danger incons-
cient. Chez l'enfant comme chez l'adulte, on observe
parfois, lorsque les manifestations de l'excitation sont
réprimées, des douleurs dans la zone tête-dos-bassin,
c'est-à-dire le long de la moelle épinière qui transmet
l'influx nerveux. L'enfant, si on ne l'en empêche pas,
se soulage en effectuant, à partir du bassin, des
mouvements de balancement avant que la contraction
ou les spasmes ne s'installent. Les douleurs liées à la
crispation peuvent être évitées par ce moyen d'auto-
assistance qui rappelle beaucoup les mouvements de
la naissance ou de la copulation. La masturbation
peut également être une forme, un peu plus intense,
d'autodéfense contre des excitations qui signalent
l'attente inconsciente de la peur ou de la douleur.
A l'évidence, le << comportement sexuel>> n'a, dans
certaines situations, rien à voir avec la sexualité. C'est
Besoins et perversions 135

pourquoi on ne peut parler de sexualité à propos


d'un enfant qui se balance ou se masturbe. Malheu-
reusement, les adultes ne cessent de le faire, afin de
légitimer ainsi les abus sexuels perpétrés sur l'enfant.
Abuser sexuellement d'un enfant est un crime grave,
dont les conséquences pèseront sur la victime sa vie
!furant. Même si la victime n'en sait rien ou ne peut
rien exprimer, même si elle en a fait une « vertu »,
c'est un état de souffrance.
Lors de chaque excitation, tous les événements ou
phénomènes qui lui furent autrefois liés entrent en
jeu. La nature des expériences précédentes va lar-
gement déterminer la manière dont nous vivrons
l'excitation actuelle : allons-nous la savourer, lui faire
face en nous sentant « en pleine possession de nos
moyens,, ou bien être pris de panique? C'est du
passé que cela dépend. Et une expérience joue toujours
en la matière un rôle prédominant et crucial : celle
de notre naissance parce que, dans la plupart des cas,
elle a été l'expérience la plus fertile en excitations
de notre vie. Plus la naissance s'est passée dans de
bonnes conditions, a constitué une expérience posi-
tive, structurante, plus une excitation - et par voie
de conséquence la sexualité - pourra être vécue
librement, de manière épanouissante et heureuse.
Inversement, plus une naissance a été douloureuse,
traumatisante, plus le besoin de faire tomber l'exci-
tation, d'abréagir, est impérieux, urgent. Dans la vie
sexuelle, cela provoque des troubles : frigidité, impuis-
sance, perversions. Cela peut aussi mener à des
rapports sexuels compulsifs, qui vont non seulement
laisser les deux partenaires insatisfaits, mais encore
aboutir à des grossesses non désirées. L'on peut
également concevoir un enfant « par inadvertance »
mais avec, pour secrète motivation, la quête d'une
136 Pourquoi la souffrance

sécurité, d'une protection que l'on n'a jamais connues.


La compulsion inconsciente d'échapper à la menace
dont l'excitation est porteuse (c'est-à-dire le drame et
les souffrances vécus lors de la naissance) l'emporte
sur toute raison.
Le bilan des faits conduit à cette constatation terri-
fiante : la tentative inconsciente, qui se poursuit la vie
durant, d'échapper aux tortures endurées à la naissance
se solde trop souvent par la mise au monde d'enfants
non désirés. Et, de la sorte, le plus important des besoins,
le besoin de reproduction, qui assure la perpétuation de
l'espèce humaine et dont la sexualité est l'indispensable
instrument, peut être gravement perturbé par des expé-
riences douloureuses et se transformer en perversions.
A l'image de la sexualité, tout besoin humain peut
se dénaturer, se pervertir, et devenir une cause de
souffrances. Le mécanisme de base est toujours le
même : lorsque les besoins primaires ont été ignorés
ou négligés, et que par suite l'enfant a subi des peurs
et des souffrances impossibles à comprendre et à
intégrer, il existe un danger de perversion. L'intéressé
n'a d'autre choix que d'éviter la menace intérieure.
Soit il fuira sa sexualité, soit il la vivra sous une
forme pervertie. Il est incapable de se rendre compte
que la perversion (le besoin dénaturé) est un compor-
tement protecteur destiné à lui éviter douleur et
déception. Plus la perversion se trouvera considérée
comme un besoin légitime, plus le besoin naturel se
trouvera profondément enseveli.
Si l'affectivité de l'enfant blessé pouvait parler, elle
dirait à peu près ceci :
''Je ne puis admettre que tu veuilles m'aimer. Il
est ridicule de prétendre que tu m'aimes : je sais bien,
et depuis longtemps déjà, que je ne suis pas digne
d'être aimé. Je dois éviter à tout prix de me "laisser
Besoins et perversions 137

avoir" par tes/mes sentiments. Je sais que c'est là un


piège mortel. Aimer est une pulsion pathologique qui
ne peut vous valoir que déception, rejet, humiliation
et souffrance. Je sais comment va ce monde. On vous
parle d'amour, de bonté, d'aider les autres ... tout ce
stupide blablabla a pour seul but d'amener les gens
à se laisser manipuler. Je ne me laisserai plus prendre
à ces mystifications. Je me refuse à croire qu'il existe
quelqu'un - une seule personne - capable de
comprendre vraiment un enfant, de prendre son parti,
et disposé à lui apporter son aide sans arrière-pensée.
Ne faire confiance à personne, c'est mon assurance
. la. vie. J'ai
sur . été cruellement déçu, et je ne veux plus
;amazs revzvre ça. »
Cet enfant, qui a été blessé à répétition, va s'inter-
dire de percevoir ses besoins naturels : c'est trop
dangereux et trop douloureux. L'enfant blessé est
craintif, vit sous une perpétuelle menace de nouvelles
peurs, de nouvelles douleurs, et renie pour ainsi dire
ses tendances naturelles afin d'échapper aux images
inquiétantes des souvenirs et des anticipations.
Se souvenir de traumatismes sexuels est une tâche
extrêmement ardue, car ces événements ont été
profondément refoulés; la victime elle-même, pour
mieux les exorciser, les tient pour des fantasmes
morbides. De plus, elle se défend contre l'émergence
de ces souvenirs de peur de se sentir coupable, en
vertu par exemple du raisonnement : '' Si je ne l'avais
pas voulu, cela ne me serait sûrement pas arrivé. »
Mais pour le thérapeute expérimenté, les symptômes
- à condition que le patient en fournisse la liste
complète - sont indiscutablement l'indice de trau-
matismes sexuels.
Toutes les perversions sexuelles découlent de bles-
sures infligées à l'intégrité de l'enfant. Mais si, dans
138 Pourquoi la souffrance

la thérapie, l'on se concentre uniquement sur la


découverte d'événements sexuels, le processus thé-
rapeutique sera bloqué. Il faut du temps pour parvenir
à s'autoriser la vision de la vérité, et pour parvenir à
la supporter. Il ne suffit pas de ramener au jour les
souvenirs pour effacer les séquelles directes de l'abus
sexuel, par exemple la frigidité, une perversion ou
une psychose. Il faut d'abord accomplir le travail
thérapeutique. L'on se heurte, dans le traitement des
maux d'origine sexuelle, à une difficulté spécifique:
l'excitation sexuelle est une excitation très intense,
proche de la douleur, de sorte que la différence entre
l'une et l'autre n'est pas toujours perçue. La réaction
en chaîne excitation-surstimulation-détente permet
de se soustraire à de multiples impressions doulou-
reuses liées à des sensations et des sentiments et, en
particulier, lourdement chargées d'angoisse. Souvent,
la douleur sera prise en compte dans ces états
d'excitation dynamique spécifiques de la sexualité.
Le principal demeurant: '' L'acte est accompli, le
danger est écarté. >>
L'aide thérapeutique repose sur une condition
essentielle : la totale franchise du patient. Si, par
honte de ceci ou de cela, il passe une partie de ses
symptômes sous silence et continue, pour pouvoir
éviter la douleur physique et morale enfouie dans
son passé, à s'infliger ou à se laisser infliger des
souffrances, il ne pourra recevoir une aide efficace.
Les hommes et les femmes victimes dans leur enfance
d'un abus sexuel- oral, génital ou anal - ont tendance
à rechercher la surstimulation et à accepter qu'on les
fasse souffrir. C'est pour eux un moyen d'empêcher
les souvenirs d'émerger et la douleur primaire de se
faire sentir. Et ces '' événements écran >>leur apportent
un soulagement temporaire. Ils finissent par devenir
Besoins et perversions 139

une sorte de drogue, et peuvent susciter de nouvelles


blessures qui vont << bétonner » le trouble psychique.
Le fétichisme tout comme d'autres perversions, de
même que l'exagération pathologique des désirs sexuels
ou la prostitution, résulte toujours de blessures mul-
tiples et répétées infligées à l'enfant- dans son corps
et dans son âme. Ces souffrances ne peuvent guérir
qu'avec la participation sans réserve de leur victime.

Les perversions servent à se soustraire à des souf-


frances physiques ou morales apparaissant dès que le
besoin primaire, naturel, se fait sentir. Les perversions
ont en outre pour fonction de masquer les angoisses et
les souffrances dues à des expériences traumatisantes,
de manière à ce qu'elles demeurent impossibles à
identifier.
CRIMINALITE

En 1959, l'Assemblée générale des Nations-Unies


a adopté la « Déclaration des droits de l'enfant ».
Cette déclaration, en dix articles, mettrait à coup sûr
un terme à la criminalité - sous toutes ses formes -
si elle était appliquée. Malheureusement, aujourd'hui
encore, plus de trente ans après leur proclamation,
les «Droits de l'enfant>> sont rarement reconnus, et
plus rarement encore respectés. Tout un chacun peut
voir, à la lecture de biographies de criminels (pour
autant du moins qu'elles sont complètes), quelles sont
les racines de la délinquance. Il n'est pas difficile de
déceler dans l'histoire de l'enfance les raisons (déclen-
cheurs) de la criminalité ultérieure quand on sait
qu'il s'agit toujours de blessures de l'intégrité primaire
et de la non-satisfaction des besoins fondamentaux.
Tout individu devenu criminel et désireux de s'en
sortir doit explorer lui-même son passé, et travailler
à le mettre au clair. Il doit, à l'aide de la thérapie,
abolir les impulsions destructrices qui lui ont été
inculquées dans son enfance comme prétendue solu-
tion aux problèmes personnels.
La criminalité prend-elle sa source, de même que
les perversions, dans les besoins non satisfaits? Oui,
et pour l'essentiel dans le déni de la responsabilité.
L'enfant ne connaît pas ses droits et peut encore
Criminalité 141

moins les revendiquer. Lorsque ni les parents ni la


société n'assument la responsabilité de les préserver,
l'enfant grandit comme un être dépourvu (partielle-
ment ou totalement) de droits. Tout enfant a le droit
d'être protégé et que l'on subvienne à ses besoins -
précisément parce qu'il n'a jamais demandé à venir
au monde. Son aptitude à vivre en société, qualité
fondamentale pour la survie de la société humaine,
se nourrit de ses expériences positives et du sens des
responsabilités, à son égard et à l'égard de l'environ-
nement, dont font preuve ses modèles. Un enfant
dont les besoins ont été satisfaits deviendra un adulte
apte à vivre en société et capable d'un apport construc-
tif à la collectivité.
Le premier besoin de l'enfant, celui qui va être
déterminant pour son bien-être, est celui d'être pris
en considération. Un enfant considéré et respecté
peut manifester tous ses autres besoins avec l'espoir
qu'ils seront satisfaits. Il n'obtiendra peut-être pas
tout son content de nourriture, d'instruction, etc.,
mais il peut formuler des demandes sans risquer de
se voir rejeté ou berné par de mauvais prétextes. Un
enfant respecté est capable de '' trouver ses marques ,,
dans la vie, et respectera de son côté les besoins des
autres. Ces enfants-là ne commettront pas de crimes
pour en obtenir des avantages ou se venger d'une
prétendue injustice. Ces enfants-là seront soucieux de
protéger le droit à la vie et le droit à la satisfaction
des besoins naturels.
La criminalité est la perversion du besoin d'être
pris en considération et respecté. Un comportement
perverti, sans aucune considération pour le prochain,
la collectivité et les créatures vivantes est le résultat
du mépris de ce besoin. Les fils ét filles de parents
qui ont dédaigné et laissé inassouvis leurs besoins
142 Pourquoi la souffrance

déplaceront leur demande sur d'autres personnes et


institutions. Ils chercheront à arracher au monde
extérieur, par la force ou par la ruse, la considération
et la satisfaction de leurs besoins qui, entre-temps,
auront été pervertis.
Il n'est pas rare de voir le comportement criminel
glorifié: c'est, dit-on alors, une conduite humaine
intelligente, une stratégie astucieuse dans la " lutte
pour la survie''· La criminalité est l'arrogante reven-
dication du droit du plus fort, du plus malin ou du
plus astucieux à qui, prétendument, revient le privi-
lège de s'emparer de ce qu'il peut et de faire ce qui
lui plaît. S'il est pris ou s'il y laisse sa vie, cela fait
partie des risques de l'existence, au même titre que
tous les autres. « Il a vécu et tiré parti de toutes ses
possibilités ''• dira-t-on, et les dégâts qu'il a faits, on
n'en parlera pas longtemps. Les enfants que l'on a
dévoyés, poussés à la criminalité, ne trouveront pas
le bonheur. Quel que soit leur secteur d'activité -
économie, politique, science ou syndicat du crime-,
ils nuiront à leur prochain. Le comportement criminel
existe, hélas, dans toutes les professions.

La criminalité est la perversion du respect de la vie


et des besoins d' autruz~ le mépris irresponsable des autres
êtres humains, de leur personne et de leurs biens.
LES ENNEMIS DE LA VIE

Qu'il est triste de ne pas avoir d'amis, uniquement


des ennemis. En est-il vraiment ainsi? Ou bien cette
opinion si largement répandue, « La vie est une lutte
pour la survie,,, n'est-elle, malgré tout, qu'une défor-
mation du darwinisme? A en croire des chercheurs
réputés, la capacité d'adaptation des êtres vivants joue
un rôle décisif dans la sélection naturelle. Avons-
nous, nous l'espèce humaine, de si grandes difficultés
d'adaptation? Ce n'est sans doute pas le cas. Grâce
à la technologie moderne, nous parvenons même à
nous adapter aux conditions d'environnement sur
d'autres planètes. Comment se fait-il alors que sur la
nôtre l'on ne cesse quotidiennement de tuer, d'assas-
siner, de torturer - le plus souvent sur ordre d'une
instance '' supérieure >>? On qualifie ses victimes ou
ses ennemis de '' mauvais , ou de '' malfaisants ,,, et
cela suffit souvent pour les vouer à l'extermination.
S'agit-il là d'actes mercenaires que n'importe lequel
d'entre nous est prêt à commettre pour le compte
d'autres individus ou d'une quelconque puissance?
Ou bien faut-il pour cela des raisons précises? Des
raisons de tuer son prochain, il peut y en avoir autant
que d'êtres humains. Par bonheur, tous les êtres
humains n'ont pas une histoire de vie qui leur
''permet,, d'en tuer d'autres sur ordre, et d'un cœur
144 Pourquoi la souffrance

léger. Ceux qui ont vécu une autre histoire ne veulent


pas tuer, même lorsqu'on le leur ordonne. Ils ont
même scrupule à tuer en cas de légitime défense.
Quelles sont donc les raisons profondes qui rendent
un être humain '' capable ,, de tuer?
C'est la haine de la vie, inoculée par leur enfance,
qui entraîne le désir de mort et le plaisir de tuer.
Ces enfants ont été à tel point << dégoûtés ,, de la vie
qu'ils n'attendent que l'occasion d'exprimer en actes
leur haine de la vie, et de se venger de ce qu'on ait
osé leur faire mener une telle << vie ''· Leur propre
peur, et celle du châtiment, les retiennent. Mais
malheur à nous s'ils accèdent à un pouvoir. Les
crimes des grands massacreurs de notre siècle (par
exemple Hitler, Staline ou Ceaucescu) sont connus.
Mais ce dont la conscience collective n'a le plus
souvent qu'une faible idée, c'est l'origine de leur rage
destructrice. En tout cas on n'en parle guère à
l'intention du grand public. Il serait pourtant essentiel
qu'il sache quelles déviations ont fait de ces êtres
humains des monstres, afin d'apprendre à éviter à
l'avenir ces dangers et tant de souffrances inutiles. Il
n'est certes pas agréable de devoir se pencher sur de
pareils monstres, surtout si l'on doit par la même
occasion rencontrer son propre << petit monstre ''· Bien
des habitants de notre planète sont malmenés dans
les premières années de leur vie et donc nombre
d'entre nous hébergent un persécuteur (plus ou moins
petit ou grand) en leur sein. Au cas où ce monstre
en nous devient aussi grand que le mauvais génie
dans la bouteille, de sorte qu'il risque en se dilatant
de la faire éclater, il y a péril en la demeure.
L'intéressé est un danger latent pour lui-même et les
autres. Il faut que la bouteille soit très solidement
Les ennemis de la vie 145

bouchée pour empêcher le mauvais génie destructeur


de s'en évader et de devenir un monstre géant.
Dans leur furieux désespoir, ceux qui furent des
enfants maltraités se dressent contre tout et tout le
monde. Beaucoup d'entre eux avouent: « De rage, je
pourrais détruire le monde entier. » Les termes
'' furieux ,, ou « enragé >> sont trop faibles pour décrire
l'état d'un être humain qui avance dans l'existence
avec une haine de la vie et un désir de mort latents.
S'il ne peut se libérer de la haine meurtrière dont
les premières années de sa vie l'ont rempli, il l'as-
souvira sur les autres sitôt qu'il en aura l'occasion.
Ou bien il se transformera lui-même en victime
expiatoire sur l'autel des parents et contractera une
maladie mortelle, en vertu du raisonnement « seul
un enfant mort est un bon enfant >>. Bien des destins
sont ainsi placés sous le signe inconscient du désir
de mort.
Les Assassins sont parmi nous n'est pas seulement
le titre d'un film, c'est une réalité quotidienne. On
« fabrique >> des assassins, et on les lâche sur l'hu-
manité. Qui élève des enfants en en faisant des
meurtriers latents ne peut être qu'un contempteur
du genre humain.
LES GARDIENS DE LA VIE

«Les sensations et les sentiments n'ont pas d'im-


portance, ils vont et viennent, le mieux est de les
oublier sans tarder. ,, Ainsi pensent les hommes et
les femmes de notre époque, une époque qui prise
si fort et tient en si haute estime les exploits de la
pensée rationnelle et l'intelligence brillante. On oublie
simplement que les êtres vivants sont guidés depuis
des millions d'années par leurs sensations et leurs
sentiments, tandis que la raison, vue à l'échelle de
l'histoire universelle, n'exerce un rôle important que
depuis peu. Aujourd'hui comme hier, nous ne pou-
vons vivre sans sensations ni sentiments. Ils sont
toujours les gardiens de notre être, de notre vie. Et
par conséquent le plus précieux de nos biens. Ces
deux << instances ,, nous surveillent et nous influencent
sans interruption, même pendant notre sommeil.
Quand nous les écoutons, elles nous permettent d'y
voir plus clair dans toute notre vie : le passé, le
présent et l'avenir, ce qui est bon ou mauvais pour
nous. Il importe que nous sachions prêter à ces
'' gardiens de notre vie ,, une oreille attentive, demeu-
rer sensibles à ce qu'ils ont à nous dire, et cultiver
cette sensibilité. Au début de notre vie, ces '' gardiens ,,
- les sensations et les sentiments - sont encore forts
et vigilants. Nous devons veiller à les maintenir en
Les gardiens de la vie 147

état de bon fonctionnement, à ce qu'ils ne deviennent


pas léthargiques, somnolents, myopes, sourds, hébétés
par l'alcool et sans forces. Nous ne devons pas inciter
les enfants à ne plus écouter << leurs gardiens ,, dont
la nature a assuré la formation pendant des millions
d'années. Devenir et rester conscient implique de
savoir écouter nos sensations et nos sentiments natu-
rels, primaires, de les prendre en considération et de
nous laisser guider par eux. Notre temps a une lourde
tâche à accomplir : nous devons retrouver de l'hu-
milité face à la nature, la respecter, et apprendre à
préserver ses capacités à nous venir en aide.
Tout enfant possède, à l'origine, ses ''gardiens,,
personnels et personnalisés. Afin qu'ils puissent rem-
plir leur rôle, le soutenir efficacement sa vie durant,
les parents et la société doivent les maintenir en
bonne santé.
En d'autres termes : l'enfant a besoin d'amour.
L'AMOUR n'est pas un objet. L'amour est la vie, celle
du corps et de l'âme. L'amour, c'est veiller activement
sur la vie, et il se réalise à travers la satisfaction des
besoins vitaux. La vie crée des besoins. Satisfaire ces
besoins, ou se voir accorder la satisfaction de ses
besoins, c'est aimer et protéger la vie. L'enfant n'a
qu'une seule demande: être aimé.
IV. INFORMATIONS
POUR CEUX
QUI CHERCHENT DE L'AIDE
LES OBSTACLES

Berne, juillet 1990

Si vous avez lu la description de la thérapie et


qu'elle vous convient, servez-vous-en comme« marche
à suivre , pour votre autothérapie. Vous avez besoin
pour cela d'une pièce où vous pourrez vous isoler
tranquillement, de temps, de patience, ainsi que d'un
magnétophone pour pouvoir contrôler votre travail
sur vous-même. La thérapie commence toujours par
l'établissement de votre « état des lieux,, : vos pro-
blèmes, pensées, sentiments actuels, vos préoccupa-
tions les plus urgentes, ici et maintenant. La descrip-
tion donnée dans ce livre se propose d'être un moyen
d'apprendre à mener la thérapie et à contrôler son
déroulement.
Mais cette thérapie ne comporte-t-elle pas des
risques, des dangers? Nombre de personnes, ou de
groupes entiers, à la recherche d'une aide posent
cette question. Nous, les enfants qui avons grandi,
nous avons terriblement peur. Mais, au fond, de
quoi? Des risques de la thérapie? Ne serait-ce pas
plutôt de ces événements très anciens, de la mons-
truosité réelle ensevelie dans notre passé, et dont
l'horreur reste à tout jamais indépassable?
La thérapie ne va-t-elle pas nous faire courir des
152 Pourquoi la souffrance

dangers? Un danger possible, ce sont des thérapeutes


incompétents qui risquent, lors de ce dévoilement de
la vérité, d'égarer le patient ou de lui imposer une
charge émotionnelle trop lourde. En revanche, un(e)
thérapeute compétent(e) vous sera d'une aide pré-
cieuse. Si vous devez mener la thérapie entièrement
par vous-même, sans une aide active et '' bien ciblée »,
les risques sont à vrai dire très réduits. Le danger de
« se perdre ,, c'est-à-dire de perdre la faculté d'ap-
préhender rationnellement les événements, est minime
lorsque l'on a puisé dans le présent ouvrage les
connaissances nécessaires sur le développement de
l'être humain et sur la thérapie. Par ailleurs, l'étude
des ouvrages d'Alice Miller constitue une excellente
préparation.
Si l'on tient pour acquis qu'aucune perturbation
ou menace extérieure ne viendra affecter la thérapie,
que le patient n'aura pas à subir de surcharge
émotionnelle, le principal danger est qu'il abandonne
la thérapie, et du même coup renonce à chercher à
s'en sortir. Ce danger est particulièrement important
lorsque surviennent de grandes souffrances physiques,
parfois aussi morales : bien entendu, ces souffrances
et ces angoisses apparaîtraient également s'il ne suivait
pas la thérapie, mais elles seraient alors combattues
ou « traitées ,, comme des anomalies physiologiques
ou psychologiques. Lorsque se manifestent des dou-
leurs physiques intenses, on entend souvent affirmer
qu'il ne peut s'agir que d'une lésion organique et non
d'un « phénomène psychologique ». Si, en pareil cas,
on n'a pas la chance de rencontrer un médecin assez
compétent et honnête pour comprendre et vous
expliquer ce qui se passe, il peut arriver des '' choses
stupides , , comme par exemple des traitements médi-
camenteux ou des interventions chirurgicales inutiles.
Les obstacles 153
La plupart du temps, les douleurs et les problèmes
psychologiques ne se feront sentir - et ce, le plus
souvent, au bout d'un certain délai - qu'après l'aban-
don des comportements défensifs auxquels on avait
recours jusque-là, et après la suppression des antal-
giques et autres '' amortisseurs ''· Il serait toutefois
absurde de vouloir endurer des souffrances qui résistent
longtemps à la thérapie, refusent de s'atténuer ou de
disparaître. Le patient doit décider par lui-même ce
qu'il juge ou non supportable.
La description de la thérapie montre comment les
besoins non satisfaits se transforment, comment un
organisme sain se modifie lorsqu'il a été blessé dans
son intégrité. Un être humain aveugle à ses souf-
frances tente d'échapper à ses besoins naturels -
chacun le faisant à sa manière. Dès qu'il arrête, vont
se manifester des douleurs et des angoisses que la
démarche théorique peut effacer en permettant aux
besoins naturels de reprendre leurs droits. Les ingé-
rences de la nature dans notre organisme ('' prévues »
en réalité pour nous venir en aide), à savoir les
activités de notre grande sœur la peur et de notre
impitoyable petite sœur la douleur, cesseront d'elles-
mêmes dès que nous accorderons droit de cité à nos
besoins naturels. Cela signifie aussi qu'il faut toujours
compter avec l'apparition de douleurs et d'angoisses
<<signaux d'alerte » : nous pouvons en effet être
contraints de continuer à réprimer nos besoins naturels,
notre organisme les estimant encore trop dangereux.
La compréhension de ce mécanisme peut nous aider
à faire confiance à la thérapie. Dans certains cas, un
patient en thérapie se sentira pendant une courte
période subjectivement plus mal, alors qu'objective-
ment se dessine une amélioration. Comment cela se
fait-il? D'une part il veut maintenant laisser s'expri-
154 Pourquoi la souffrance

mer ses besoins, et d'autre part il s'attend encore à


en être puni. Ces attentes déclenchent en lui des
sentiments d'angoisse et de douleur, en particulier
lorsqu'il est appelé à se défendre dans son propre
intérêt.
La plus grande résistance contre la thérapie - ou
plus exactement contre la vérité sur sa propre vie et
ses souffrances - vient des sentiments de culpabilité,
sans fondement mais tenaces et toujours à l'œuvre,
que nous nourrissons. Ces sentiments de culpabilité
sont issus de situations passées où nous n'avons pas
su faire preuve d'une capacité d'adaptation suffisante,
ni trouver une meilleure solution. De situations
difficiles que nous avons connues à une époque où
nous n'étions pas encore responsables de nous-mêmes,
et par conséquent n'aurions pas été capables de faire
autre chose que ce que nous avons fait.
Il est une question que posent beaucoup de parents :
en tant que père ou que mère, que pourrai-je faire
de la découverte que non seulement j'ai été victime
de mes parents, victime de l'éducation qu'ils m'ont
donnée, mais encore que j'ai moi aussi mal agi envers
mes enfants?
La réponse n'est pas simple. Ou peut-être que si?
Aussi longtemps que nous ignorions ce qui est juste
ou non, nous ne pouvions pas nous comporter comme
nous l'aurions fait si notre intégrité primaire avait
été respectée, était restée intacte. Et, par une tragique
voie de conséquence, cela s'applique aussi à notre
comportement envers nos propres enfants. D'un côté,
comme ce sont eux qui nous font le moins peur, ils
sont les principales cibles de nos abréactions. Et, d'un
autre côté, puisqu'il s'agit de nos enfants, nous voulons
particulièrement «bien faire''· Nos enfants sont très
souvent les plus exposés à nos réactions et idées
Les obstacles 155
latentes, et leurs victimes directes. Dans notre aveu-
glement, nous avons transmis la souffrance à la géné-
ration suivante.
La thérapie devrait nous amener à mieux prendre
conscience non seulement de nos droits d'enfant,
mais aussi de nos devoirs de parents. Si nous empié-
tons sur les droits de l'enfant, nous devons toujours
lui présenter nos excuses sans délai, et essayer de lui
faire comprendre que notre erreur de comportement
est due à nos difficultés et n'a rien à voir avec lui
en tant que personne.
Au fil de la thérapie, il nous deviendra plus facile
de discerner les fautes commises envers notre enfant
dans le passé. Les reconnaître ne sera pas pour autant
moins douloureux. Nous pouvons, pour commencer,
nous en excuser auprès de l'enfant dans le cadre de
la thérapie- il nous faut pour cela effectuer à nouveau
les quatre étapes, c'est-à-dire, entre autres, admettre
nos torts, l'emprise exercée sur nous par l'histoire de
notre vie et les transferts, et proclamer notre volonté
d'agir de façon pleinement responsable.
Il n'est pas toujours facile d'être obligé de s'avouer
que jusqu'à présent l'on a été, au fond, méchant et
malfaisant, que notre âme n'hébergeait pas grand-
chose de bon et de positif, et qu'il nous faut main-
tenant déblayer les << immondices ,, accumulées pour
pouvoir enfin vivre en accord avec notre MOI primaire.
Ce MOI qui ne veut recevoir et donner que du bien
et de l'amour.
PEUT-ON «PARDONNER» AUX PARENTS,
ET QU'EST-CE QUE CELA SIGNIFIE?

Que va faire l'adulte qui fut un enfant battu,


négligé, humilié, lorsque ses parents seront devenus
vieux, malades et seuls?

Il appartient à chaque « enfant » d'en décider par


lui-même. Et, à mon avis, seul le travail thérapeutique
permet de prendre cette décision dans l'intérêt
commun.

Pardonner signifie renoncer à punir. Cesser de


nourrir le désir de rendre le mal pour le mal. Ne
pas tenir rancune à quelqu'un de l'acte qu'il a commis,
ne pas vouloir se venger.

Il n'est certainement pas dans l'intention <<de


l'enfant'' de vouloir exercer des représailles envers
ses parents, de leur faire payer les dommages et les
souffrances qu'ils lui ont infligés. Mais l'enfant blessé
porte inconsciemment en lui des pulsions de ven-
geance, et il court en permanence le danger d'exercer
aveuglément sa vengeance sur lui-même et sur autrui.
Il n'est certes pas agréable de mettre ses parents en
accusation dans la thérapie, mais c'est une démarche
indispensable quand leur faute a été établie, décrite
et prouvée. Il y a toujours faute lorsque des besoins
Peut-on '' pardonner » aux parents 157

réels n'ont pas été satisfaits. La thérapie a pour rôle


de détecter les tendances latentes destructrices et les
autres sentiments inconscients tout aussi dangereux,
et de les relier aux situations qui les ont engendrés
afin de faire cesser les conduites inconscientes nocives
- et ce, définitivement.
Le MOI, tant le MOI primaire que celui devenu
conscient, ne veut donner et recevoir que du bien et
de l'amour. C'est également de cette manière que je
veux me comporter envers mes parents, mais uni-
quement s'ils me le permettent : c'est-à-dire s'ils ne
continuent pas à m'en empêcher par leur compor-
tement. Plus jamais je ne les laisserai me culpabiliser,
ni me rendre responsable de ce qui les concerne.
Sinon je devrai prendre mes distances à leur égard,
les laisser seuls, afin qu'ils réfléchissent. Mais peut-
être se sont-ils montrés si inhumains que je ne puis
que les mépriser et les fuir (haïr)? Alors je reste seul
dans ma grande peine (Papa, Maman, pourquoi ne
vous êtes-vous jamais mis en question?). Il me faudra
trouver la vérité par moi-même. Comme toujours.
OBSERVATIONS D'UNE COLLABORATRICE

En parcourant les lettres des lecteurs des deux


premières éditions, j'ai remarqué que beaucoup
semblent croire qu'il pourrait être dangereux de
s'aider soi-même.
Tous nos symptômes, peurs et douleurs nous crient :
<< Halte! arrête-toi, prends conscience de ce que tu fais
et pourquoi tu le fais.» S'examiner, examiner sa
conduite actuelle, l'éclairer à travers les quatre étapes
de la thérapie, est salvateur et n'est jamais dangereux.
Il est difficile, lorsqu'on a été un enfant insécurisé,
tourmenté, traumatisé, mal aimé, de distinguer ce
qui est bon et ce qui est néfaste, ce qui constitue
une aide et ce qui constitue un danger. Je ne m'étonne
pas de vous voir mettre en doute une méthode de
thérapie et d'auto-assistance, fût-elle aussi simple et
logique que celle des quatre étapes de J. Konrad
Stettbacher. Comment pourriez-vous oser vous y
<< lancer », en confiance et sans réserve? Quand vous
étiez enfant, on a semé la confusion dans votre esprit,
et il est bien difficile après cela de reconnaître ce
qui est bon et peut vous aider. Je ne m'étonne pas
davantage que, par ailleurs, vous aspiriez à vous
remettre enfin entre de bonnes mains, à vous confier
à des mains secourables - chance que vous n'avez
jamais eue jusqu'à présent. C'est là une expérience
Observations d'une collaboratrice 159

vitale, sans laquelle un enfant ne peut se forger de


points de repère, et sans laquelle l'adulte se sent
quasiment perdu. Non seulement il doute qu'une
chose pareille puisse exister, mais il est aussi privé
du modèle d'une expérience positive : nous sommes
désemparés, désorientés dans nos sensations, nos sen-
timents et notre entendement. Dans la thérapie, grâce
à un bon accompagnement, il nous sera donné, au
moins << un peu ,,, le sentiment que quelqu'un nous
aide, que nous en valons la peine, et que toute notre
vie nous pouvons faire quelque chose pour nous en
sortir. Lorsqu'on doit <<s'accompagner,, tout seul,
c'est assurément beaucoup plus difficile, mais pas
impossible. Néanmoins, il faut le savoir, l'obligation
de se prendre en charge tout seul peut fatiguer, et
quand les conditions de vie sont mauvaises et les
forces réduites, c'est presque infaisable, ou alors l'on
recourt au principe du <<tout ou rien''· L'enfant, lui,
aurait aisément accepté qu'on lui vienne en aide.
Aidez donc l'enfant en vous comme s'il était votre
fils ou votre fille, laissez-lui le temps de s'épanouir,
et complimentez-le pour chaque pas franchi, pour
chacune de ses réussites. Prodiguez-vous des encou-
ragements, car ce que vous réalisez là, c'est une
grande performance - pas seulement pour vous
personnellement, mais aussi pour les autres. Si vous
commencez maintenant à vous pencher sur votre
propre histoire, soyez attentifs à vos sentiments et
essayez de les comprendre, même s'ils vous font peur :
ces sentiments ont des causes. Ces sentiments qui
nous font peur sont étrangers à notre MOI. Mm aspire
uniquement au bien, uniquement à aimer. Si MOI est
forcé de haïr, ce n'est pas de sa propre volonté, et il
peut y avoir erreur sur la personne qui sera l'objet
de cette haine. Les sentiments de haine et de colère
160 Pourquoi la souffrance

qui, en réalité, ne sont pas justifiés par les circons-


tances actuelles de votre vie vous rendent malade.
L'enfant enfoui en vous vous récompensera de la
patience et de la sollicitude que vous lui témoignez,
en particulier si vous cessez de vous maltraiter vous-
même et par conséquent de lui faire du mal. Un jour
vous serez capable d'assurer, dans la mesure du
possible, votre propre protection, afin d'empêcher des
désastres pour vous-même et les autres.
D'après mon expérience, il est effectivement pos-
sible de recouvrer complètement son intégrité psy-
chique (l'accord avec soi-même). Quant aux dom-
mages corporels, ils peuvent eux aussi guérir, du
moins en partie. Mais les cicatrices laisseront des
traces indélébiles.
POSTFACE A LA TROISIEME EDITION

Avant la parution de ce livre, je n'ai pu qu'espérer


et supposer, mais sans le savoir encore avec certitude,
qu'il permettrait effectivement à un certain nombre
d'hommes et de femmes de mener leur propre
thérapie, sans danger et avec succès. Maintenant,
grâce aux témoignages qui m'ont été fournis, je le
sais. Quand j'ai écrit la préface de la première édition,
je croyais encore l'accompagnement par un thérapeute
indispensable dans tous les cas. Depuis, cependant,
j'ai pu constater que toutes mes questions, surgies au
fil des années, sur les fondements théoriques et la
démarche de la méthode de J. Konrad Stettbacher
trouvent une réponse dans cet ouvrage. Le lecteur
attentif, s'il n'est pas définitivement bloqué par des
défenses intellectuelles marquées au sceau de la
psychanalyse, pourra apprendre à l'aide de ce livre
comment, en décrivant dans le dialogue thérapeutique
ce qu'il ressent (cf. «Avocat de l'enfant,,, p. 77), il
peut, sans danger, percevoir, formuler et vivre ses
sentiments, pour ensuite s'interroger sur leurs origines
et trouver ses véritables besoins.
Les lois découvertes par J. Konrad Stettbacher - et
dont le fonctionnement est démontrable - sont décrites
ici pour la première fois, de manière claire, complète,
et sans équivoque possible. Le processus reposant sur
162 Pourquoi la souffrance

ces lois ainsi que la méthode thérapeutique des


" quatre étapes,, qu'il a mise au point, seront une
aide constante, permettant de se guider. L'on pourra
avec cet appui oser entreprendre l'auto-assistance,
afin d'encourager l'enfant muré dans sa détresse qui
est enfoui en nous à trouver accès à ses sentiments,
à prendre la parole et à se plaindre. Enfin autorisé à
voir et à dire, pas à pas, étape par étape, toute la
vérité sur sa propre histoire, chacun de nous peut,
pourvu qu'il le veuille, sortir de la confusion et
parvenir à la clarté, jusqu'à ce que tous les points
d'ombre soient éclaircis.
Chacun devra, et pourra, trouver par lui-même,
avec l'aide de ses sentiments, sa vérité singulière,
spécifique de sa propre histoire. Dès que son théra-
peute intérieur, au fur et à mesure de l'expérience
acquise, prendra confiance en la thérapie et confiance
en lui-même, il osera se venir en aide avec de plus
en plus de hardiesse. Pour s'aider efficacement, il
faut veiller à se ménager assez de temps et à se
trouver une pièce appropriée, afin de pouvoir s'ac-
corder l'attention et la disponibilité intérieure indis-
pensables, et s'occuper de soi avec sollicitude. Ensuite,
chacun sera en mesure, en s'appuyant sur ses senti-
ments, de se confronter à ses problèmes actuels, ceux
qui surgissent ici et maintenant : de les formuler, de
les prendre au sérieux, de les vivre, et de travailler
sur eux. C'est seulement ainsi qu'il lui sera possible
de comprendre que l'angoisse accompagnant sa révolte
est une conséquence de son histoire personnelle, et
donc de la supporter plus facilement. Ainsi, il pourra
enfin s'en libérer. Il n'est plus obligé d'éviter la
douleur, il peut se soulager en versant des larmes, et
se délivrer enfin des sentiments de culpabilité sans
cesse renaissants.
Postface à la troisième édition 163

Il devra, lui, cet individu différent de tous les


autres, répéter inlassablement à l'enfant qu'il fut :
'' S'il t'est arrivé des choses terribles, ce n'est pas de
ta faute. Tu n'avais aucun moyen d'empêcher les
mauvais traitements et les carences, les mensonges et
les abus dont tu as été victime. Tu n'avais d'autre
solution que le refoulement, la renonciation à ta
conscience. Mais si tu persistes maintenant dans cette
voie, tu te détruiras toi-même, et d'autres avec toi -
tu détruiras ta santé et ton avenir, dont tu es
aujourd'hui seul responsable. Il n'y a pas d'alternative
salutaire à la vision et la reconnaissance de la vérité. ,,
Chacun doit s'aider lui-même, mettre en question
son propre comportement et celui des autres, encore
et encore, sans relâche, pour répandre de plus en
plus de lumière sur la situation embrouillée. Il doit
encourager l'enfant enfoui en lui à formuler ses
plaintes de manière aussi nette et aussi complète que
possible - ses plaintes sur les crimes autrefois commis
à son encontre, et pour lesquels n'existe, hormis lui-
même en son for intérieur, aucun tribunal.
Dans la thérapie, celui qui fut autrefois la victime
devra, après un examen minutieux des faits, se forger
son propre jugement, et prononcer lui-même les
paroles de condamnation correspondantes. En sa
qualité d'adulte, il est maintenant devenu seul juge
de sa vie, et aussi seul responsable de son avenir. Il
s'aidera à ressentir ses besoins d'enfant, ensevelis au
fond de lui, et ses besoins actuels, à en examiner le
bien-fondé, à les prendre au sérieux et à trouver,
pour les satisfaire, des voies constructrices et non
destructrices.
Bien entendu, la délivrance par la thérapie libère
une grande quantité d'énergie. Une énergie employée
jusque-là à la recherche de satisfactions de substitu-
164 Pourquoi la souffrance

tion, aliénantes et souvent destructrices et/ou auto-


destructrices, puisque la joie et le plaisir véritables
étaient interdits à l'enfant.
Grâce à la thérapie, l'être humain jadis maltraité
et trahi puisera, dans la mise au jour de sa propre
histoire, découverte pas à pas, étape par étape, et
dans des sentiments qu'il peut désormais vivre libre-
ment, la force et la clairvoyance nécessaires pour
changer. Pour ne plus se livrer aveuglément à des
individus aveugles, notamment les prétendus « secou-
reurs ''· Pour refuser de se laisser exploiter. Et enfin
pour s'occuper, avec le sens de sa responsabilité mais
aussi avec joie, de lui-même - de cette créature qui
a dû apprendre, de si bonne heure, qu'elle était
indigne de sollicitude et d'amour.
Aucun thérapeute ne peut mieux remplir cette
fonction que celui que, avec l'aide de la méthode de
Stettbacher, nous avons construit en nous, qui porte
notre nom, et ne nous abandonnera jamais.

Juillet 1990
Alice MILLER
ANNEXES
Ces quatre textes ne figuraient pas dans la dernière édition
allemande, mais ont été publiés dans les traductions anglaise et
italienne.
MALADIE ET THERAPIE

La maladie est un état psychique ou physique


consécutif à des surcharges subies par l'âme et le
corps à une période de relative faiblesse.

Souvent aussi, lorsque des surcharges émotionnelles


n'ont pas été vécues consciemment, il peut s'écouler
un certain délai (plus ou moins long) avant qu'elles
ne se manifestent sous forme de maladies, parfois
répétitives. Ce phénomène est dû au fait qu'à l'époque
où il a subi cette surcharge, l'organisme n'était pas
en état de la supporter et, par conséquent, a dû
réprimer ses réactions. Plus tard, à un moment où il
sera relativement solide, l'organisme, en réponse à
une situation donnée faisant office de signal d'alarme,
développera les symptômes pathologiques correspon-
dants. La maladie peut alors accéder au vécu conscient
et, le cas échéant, une guérison définitive pourra être
obtenue.
POURQUOI, AVEC LE TEMPS,
LES HOMMES SONT DEVENUS SI MAUVAIS

Voilà une question à laquelle nous ne cessons d'être


confrontés « mauvais » signifiant également
<<méchants >>. J'entends, par ces notions, le compor-
tement asocial, destructeur, mortifère et égocen-
trique : un comportement toujours révélateur d'un
rétrécissement de la conscience et d'irresponsabilité.
Si chacun d'entre nous était pleinement conscient
que tout se tient dans la vie, et de sa responsabilité
individuelle, personne ne serait << mauvais>> ou
<< méchant''· Mais nous n'en sommes pas là. Ces
facultés de compréhension et ce sens des responsa-
bilités ne sont pas encore universellement développés.
J'ai décrit dans cet ouvrage pourquoi ces potentialités
n'ont pu se développer. La cause de cet échec réside
dans la blessure de l'intégrité primaire infligée à
l'individu. Ces blessures sont le fruit de la négligence,
d'états affectifs primitifs et irraisonnés, et sont souvent
commises dans des circonstances où de tels agisse-
ments demeurent impunis, voire tolérés. Le plus fort
peut se permettre, sans risques immédiats pour lui-
même, d'agresser une créature plus faible de par sa
nature, ou en état d'infériorité. Et l'homme peut
perpétrer de plus en plus d'agressions sur les autres
êtres vivants car, de par son cerveau plus développé,
il s'est créé nombre d',, outils >>et de pouvoirs qui lui
Les hommes sont devenus si mauvais 169

permettent de persécuter et d'abuser impunément


d'autres créatures, y compris de sa propre espèce.
Les agressions impunies - ou non suivies d'une
sanction immédiate - se sont multipliées au fur et à
mesure que les hommes étaient moins dépendants,
pour leur survie, de leurs possibilités physiques et de
la cohésion du groupe. Plus le rayon d'action et la
prétendue indépendance de l'individu augmentaient,
plus il a pu duper les autres et se duper lui-même,
et se soustraire à ses véritables responsabilités. Et
ainsi, les agissements destructeurs sont devenus une
pratique de plus en plus quotidienne, tandis que les
blessures infligées à la planète habitée et la souffrance
des créatures vivantes devenaient toujours plus grandes
- et plus dangereuses.
LETTRE A J.K. STETTBACHER

30 mars 1991

Cher Monsieur Stettbacher, cher(es) collègues,

Aujourd'hui, en ce lundi de Pâques, j'ai la joie de


pouvoir enfin vous annoncer que je suis désormais
pratiquement sûre de réussir, grâce à votre thérapie
décrite dans Pourquoi la souffrance, à me délivrer des
angoisses et des douleurs (ainsi que d'autres symp-
tômes irritants) qui reviennent sans cesse me tenailler.
Le moment décisif s'est produit avant-hier : après
une '' thérapie par écrit ,, détaillée, j'ai eu le sentiment
d'être venue à bout de la « naissance>>... Je me suis
sentie bien, très calme.
Je fais la thérapie toute seule, depuis cinq bons
mois, en essayant de suivre aussi scrupuleusement
que possible vos directives. Au début, j'étais pleine
d'enthousiasme, et je pensais : « Renoncer? M'aban-
donner à mon sort? Jamais. ,, Mais ensuite il y a tout
de même eu des moments où j'ai douté d'y arriver
toute seule, de retrouver à chaque fois le fil. Entre-
temps, cependant, je suis devenue assez forte pour
recommencer à essayer, sans relâche. Au fond, je
n'avais pas d'autre choix.
Ce qui m'a plus particulièrement aidée : la préface
Lettre à J.K. Stettbacher 171
et la postface d'Alice Miller (j'ai déjà lu quatre de
ses livres) ainsi que les '' Informations pour ceux qui
cherchent de l'aide,, (p. 149). Ces textes m'ont donné
le courage de ne pas laisser tomber (« je finirai bien
par y arriver>>).
Je vous remercie vivement d'avoir si clairement
exposé vos idées, qui me permettent de m'y retrouver
dans ma vie. En fait, pour la première fois de mon
existence (j'ai vingt-neuf ans), j'ai l'impression de
pouvoir trouver mes repères - après en avoir été
privée si longtemps.
Une question me préoccupe depuis le début: ma
propre naissance (par césarienne) m'a-t-elle trauma-
tisée? Et comment? Vous parlez d'accouchement
compliqué, mais sans traiter spécifiquement de la
césarienne. J'aimerais savoir si, d'après votre expé-
rience, elle a des conséquences pour l'enfant et
lesquelles. Peut-être d'autres lecteurs (lectrices) vous
adressent-ils également des questions? Je me permets
de vous suggérer d'y répondre dans une nouvelle
édition, en ajoutant un chapitre à votre ouvrage.
Veuillez recevoir ...

Kathrin SCHULTHEIS
LA NAISSANCE PAR CESARIENNE

Les naissances par césarienne font assurément


partie des accouchements << compliqués » . Seulement
les enfants venus au monde par <<sectio caesarea »
(autrement dit << césarienne>>) subissent un trauma-
tisme spécifique : ils sont par exemple privés de la
sensation physique de participer à la naissance, et de
la vivre comme un succès de leur activité personnelle.
Ils sont mis au monde cruellement : on les tire, les
<<appelle à la vie ,,, les << réanime >> aussi rapidement
que possible, on les pince, on les frappe - toutes
sortes de traumatismes, qui leur sont infligés à des
degrés divers. Comme, après un accouchement par
césarienne, le cordon ombilical est immédiatement
coupé, l'enfant gardera, inévitablement, une tendance
à se sentir inconsciemment menacé d'étouffement,
d'asphyxie. L'être humain reste, pour la plupart des
individus nés par césarienne, << un monstre terrifiant >>.
Ils ne connaissent pas, à leur venue au monde, la
joie et le réconfort de sentir, posés sur leur mère,
celle-ci les caresser et leur souhaiter la bienvenue,
avec tout ce que cela implique, ce renouvellement
des liens. L'enfant, immédiatement ou très vite séparé
de sa mère, portera en lui l'empreinte de la séquence
suivante de sentiments, qui marquera toute son exis-
tence :
La naissance par césarienne 173

PLAISIR- JOIE - EXCITATION - ELAN (COLERE) -


TORTURE- TOURMENT- DESASTRE.
Il portera donc en lui ce principe: le plaisir, la
joie et l'excitation sont source de torture, tourment
et désastre, comme tout enfant << né normalement ,,
(c'est-à-dire un nouveau-né dont le cordon ombilical
a été coupé immédiatement et qui a été traité
brutalement), mais d'une manière particulière. Sa
peur latente de la solitude sera plus ou moins
importante, selon le traitement subi à cette phase de
la vie, selon qu'il se sera senti plus ou moins
abandonné et sans protection.
Il pourrait vous être utile, pour une meilleure prise
de conscience, de regarder des films sur la naissance
par césarienne. L'université en possède certainement,
et vous pourriez éventuellement assister à une pro-
jection commentée.
Chez un être sain, nous aurions la séquence sui-
vante:
PLAISIR- JOIE- EXCITATION- ELAN- SENTIR SON
CORPS - SUCCES PAR L'ACTIVITE PERSONNELLE ET
COMMUNE - EPUISEMENT - RETROUVER SON CORPS
POSE SUR LA MERE- RESPIRATION AUTONOME- SE
SENTIR ACCUEILLI PAR SA MERE ET A L'ABRI AUPRES
D'ELLE- SE SENTIR BIEN. (Voir schéma des circuits,
p. 46.)
TABLE DES MATIÈRES

Préface d'Alice Miller .... ... .... ..... ............ ........ ...... 9

l. LA BASE THÉORIQUE DE LA THÉRAPIE ....... 13


Introduction.................................................... 15
Qu'est-ce qu'être« malade dans son âme , ?. 19
Souvenirs......................................................... 33
Malades de nos transferts............................. 35
Sain-blessé-souffrant dans son intégrité pri-
maire................................................................ 42
Faiblesse primaire.. ..................................... 43
Schémas des circuits................................... 44
Abolition de types spécifiques de souf-
frances.......................................................... 45
L'(auto)damnation ...................................... 49
Ce qui sommeille dans la crainte.............. 51

II. LA THÉRAPIE.................. ................................ 53


De quoi s'agit-il?........................................... 55
Le thérapeute................................................. 57
Conditions nécessaires à la thérapie........... 59
Le premier rendez-vous.............................. 60
Le travail thérapeutique............................... 61
Directives pour la thérapie de base........... 62
Le cabinet thérapeutique................... ......... 64
176 Pourquoi la souffrance

Plans de vie " ......... .... .. .... ... ......... ...........


« 65
Avocat de l'enfant......................................... 77
Les quatre étapes........................................... 82
Table des quatre étapes................................ 85
Remarques sur la troisième étape de la
thérapie........................................................ 86
L e début d'un changement......................... 87
1mportant..................................................... 94
La thérapie par écrit..................................... 95
La thérapie de groupe.................................. 104
Dans le groupe .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 106
Un patient nous écrit.................................... 111
Lettre du thérapeute..................................... 114

III. POURQUOI LA THÉRAPIE EST-ELLE INDIS-


PENSABLE?.................. .. ............ ...................... 117
Comme tu es né........ .................................... 119
Besoins et perversions................................... 132
Criminalité...................................................... 140
Les ennemis de la vie................................... 143
Les gardiens de la vie................................... 146

IV. INFORMATIONS POUR CEUX QUI CHER-


CHENT DE L'AIDE.......... ................................. 149
Les obstacles................................................... 151
Peut-on <<pardonner , aux parents, et qu'est-
ce que cela signifie? .. .... .. ............ .............. ... 156
Observations d'une collaboratrice................ 158

Postface d'Alice Miller à la troisième édi-


tion...................................................................... 161

ANNEXES............................ .................................... 165


Table des matières 177

Maladie et thérapie ....................................... 167


Pourquoi, avec le temps, les hommes sont
devenus si mauvais........................................ 168
Lettre à J.K. Stettbacher .............................. 170
La naissance par césarienne .. ...... ........ ........ 172

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