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Revue de l’histoire des religions

4 | 2019
Appropriations monothéistes de figures « païennes »

Philosophes de la Grèce antique dans un centon


monothéiste de Clément d’Alexandrie
Ancient Greek Philosophers in a Monotheistic Cento of Clement of Alexandria

Constantinos Macris

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rhr/10224
DOI : 10.4000/rhr.10224
ISSN : 2105-2573

Éditeur
Armand Colin

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2019
Pagination : 767-789
ISBN : 978-2-200-93261-9
ISSN : 0035-1423

Référence électronique
Constantinos Macris, « Philosophes de la Grèce antique dans un centon monothéiste de Clément
d’Alexandrie », Revue de l’histoire des religions [En ligne], 4 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2023,
consulté le 05 janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/rhr/10224 ; DOI : https://doi.org/
10.4000/rhr.10224

Tous droits réservés


CONSTANTINOS MACRIS
Centre national de la recherche scientifique
Laboratoire d’études sur les monothéismes, PSL

Philosophes de la Grèce antique


dans un centon monothéiste
de Clément d’Alexandrie

Le recours de nombreux auteurs chrétiens des premiers siècles de


notre ère à des témoignages d’origine païenne exposant des dogmes
fondamentaux du christianisme – dont l’unicité de Dieu – est un phénomène
tout à fait remarquable. Pour mieux le comprendre, on se penche sur
un texte qui a moins retenu l’attention de la recherche en tant que tel :
le chapitre 14 du Ve Stromate de Clément d’Alexandrie, qui constitue
un recueil extrêmement riche et varié de testimonia païens à contenu
monothéiste, censés prouver le « larcin des Grecs » à l’égard des Écritures.
On passe en revue les figures de philosophes grecs mobilisés par Clément,
en s’attardant sur le contenu précis et la teneur des doctrines exposées
dans les textes cités, authentiques ou (parfois) pseudépigraphiques, et en
examinant la façon dont l’auteur chrétien les intègre dans le propos à la
fois apologétique et didascalique des Stromates.

Ancient Greek Philosophers in a Monotheistic Cento


of Clement of Alexandria

During the first centuries of our era, a quite remarkable phenomenon


took place : many Christian authors used pagan testimonies to exhibit
the fundamental dogmas of Christianity – including the uniqueness of
God. To better understand this phenomenon, we look at a text which,
though variously used as a doxographic source, has, in itself, received
little attention from modern research : Chapter 14 of the Fifth Stromateus
of Clement of Alexandria, which contains an extremely rich and varied
collection of pagan testimonia with monotheistic content, meant to prove
the “theft of the Greeks”. In this paper we review the figures of Greek
philosophers mobilized by Clement, focusing on the precise content and
tenor of the doctrines set out in the texts cited, whether authentic or
(sometimes) pseudepigraphic. We also examine how the Christian author
integrates these texts and ideas into the apologetic and didactic approach
of his work.

Revue de l’histoire des religions, 236 – 4/2019, p. 767 à 789


Pour quiconque s’intéresse au développement des idées mono-
théistes au cours de l’histoire du monde grec, depuis les pré-
socratiques jusqu’à l’époque impériale et l’Antiquité tardive, entre
paganisme et christianisme post-paulinien, en passant par le judaïsme
hellénisé, Clément d’Alexandrie semble représenter un excellent
guide, et offrir un matériel vraiment inestimable1. Il est donc quelque
peu étonnant de constater sa relative absence des publications récentes
portant sur les monothéismes antiques, juif, chrétien ou païen2.
En effet, d’une part, l’amour sincère de Clément pour la culture et
la philosophie grecques et sa vaste érudition lui ont permis d’avoir
accès, ne serait-ce que de façon indirecte, à des textes philosophiques
et littéraires qui autrement seraient perdus pour nous3, et même de
repérer, notamment dans des sources de la tradition socratico-
platonicienne dont il se sentait proche, des passages clés permettant
de mieux mettre en valeur certains aspects de textes déjà connus4.
1. Pour une excellente synthèse récente sur Clément et son œuvre, voir
Alain Le Boulluec, « Clément d’Alexandrie », Histoire de la littérature grecque
chrétienne : des origines à 451, t. III : De Clément d’Alexandrie à Eusèbe de
Césarée, dir. Bernard Pouderon, Paris, Les Belles Lettres, 2017, p. 55-170. Matyáš
Havrda, « Clement of Alexandria », Routledge Companion to Early Christian
Philosophy, éd. Mark J. Edwards, (à paraître), aborde plus particulièrement les
aspects philosophiques.
2. Voir en dernier lieu Giulia Sfameni Gasparro, Dio unico, pluralità
e monarchia divina : esperienze religiose e teologie nel mondo tardo-antico,
Brescia, Morcelliana, 2010, et les deux ouvrages collectifs édités par Stephen
Mitchell et Peter Van Nuffelen, Monotheism Between Pagans and Christians in
Late Antiquity, Leuven, Peeters, 2010 et One God : Pagan Monotheism in the
Roman Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
3. Sur les sources de Clément, voir la thèse complémentaire (non publiée)
d’André Méhat, Kephalaia. Recherches sur les matériaux des Stromates de
Clément d’Alexandrie et leur utilisation, Paris, 1966, 262 p., et déjà Wilhelm
Bousset, Jüdisch-christlicher Schulbetrieb in Alexandria und Rom : Literarische
Untersuchungen zu Philo und Clemens von Alexandria, Justin und Irenäus,
Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht (Forschungen zur Religion und Literatur
des Alten und Neuen Testaments. Neue Folge, 6), 1915, p. 207-213, 227-229,
dont les mérites sont soulignés à juste titre par A. Le Boulluec, SC 278 (cité infra,
n. 10), p. 14-18. Sur Clément citateur, voir Annewies van den Hoek, « Techniques
of Quotation in Clement of Alexandria : A View on Ancient Literary Working
Methods », Vigiliae Christianae, 50/3, 1996, p. 223-243.
4. Cela a été déjà fait en partie dans les florilèges et les épitomés utilisés
par Clément ; voir A. Méhat, Kephalaia, p. 114-116, 117-146, 179-185 et passim.
En revanche, un accès direct aux sources originelles est également possible,
notamment pour les dialogues de Platon.
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 769

D’autre part, en digne héritier de l’apologétique juive d’époque


hellénistique et de celle du christianisme des premiers siècles, et dans
le cadre d’un dialogue à visée pédagogique et exhortative avec les
païens de son temps5, notamment les philosophes6 (et les chrétiens
hétérodoxes qui pouvaient s’en inspirer7), en vue de leur conversion à
la Vérité du Logos (à savoir du Christ)8, il sait mobiliser son immense
savoir autour de deux thèmes centraux de la théologie chrétienne, et
qui vont de pair : l’unicité de Dieu et son caractère de Créateur de
l’univers9.

Du « larcin des Grecs » à la philosophie


comme don divin et alliance

C’est justement autour de ces deux doctrines fondamen-


tales que s’articule une bonne partie du « centon » qui occupe le
chapitre 14 du Stromate V10, sur lequel se concentre la présente
5. Judith L. Kovacs, « Divine Pedagogy and the Gnostic Teacher according
to Clement of Alexandria », Journal of Early Christian Studies, 9, 2001, p. 3-25 ;
Annewies van den Hoek, « Apologetic and Protreptic Discourse in Clement of
Alexandria », L’apologétique chrétienne gréco-latine à l’époque prénicéenne,
dir. Antonie Wlosok, François Paschoud, Vandœuvres/Genève, Fondation Hardt
(Entretiens sur l’Antiquité classique, 51), 2005, p. 69-93, avec la discussion,
p. 94-102 ; Marco Rizzi, « Protreptic and Rhetoric : Clement of Alexandria »,
When Wisdom Calls : Philosophical Protreptic in Antiquity, éd. Olga Alieva,
Annemaré Kotzé, Sophie Van der Meeren, Turnhout, Brepols, 2018, p. 335-348.
6. André Méhat, Étude sur les Stromates de Clément d’Alexandrie, Paris,
Seuil, 1966, p. 346-394, spécialement 346-361.
7. A. Le Boulluec, La notion d’hérésie dans la littérature grecque des IIe et
IIIe siècles, t. II, Paris, Études Augustiniennes, 1985, p. 263-438.
8. Mark J. Edwards, « Clement of Alexandria and His Doctrine of the
Logos », Vigiliae Christianae, 54, 2000, p. 159-177. Le dessein de convertir
les Grecs en parlant leur langage perce en Strom. V, 3, 18, 6 : « […] à ceux qui
réclament la sagesse telle qu’elle est chez eux, il faut présenter ce qui leur est
familier, afin qu’en toute facilité, par leurs voies propres, ils parviennent comme
il faut à la croyance de la vérité » (trad. P. Voulet dans SC 278 [cité infra, n. 10]).
9. Voir respectivement Jean-Pierre Batut, Pantocrator : « Dieu le Père tout-
puissant » dans la théologie prénicéenne, Paris, Études Augustiniennes, 2009,
p. 348-367 ; Matteo Monfrinotti, Creatore e creazione : il pensiero di Clemente
Alessandrino, Roma, Città Nuova, 2014. – Sur la conception de Dieu chez Clément,
voir Henny Fiskå Hägg, Clement of Alexandria and the Beginnings of Christian
Apophaticism, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 71-133, 153-251, 260-268.
10. Clément d’Alexandrie, Les Stromates / Stromate V, t. I : introd., texte
critique et index A. Le Boulluec, trad. Pierre Voulet, Paris, Le Cerf (« Sources
chrétiennes » [abrégé SC] 278), 1981, p. 170-249 (= Strom. V, 14, 89, 1 - 141,
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étude11, notamment, mais pas uniquement, dans ses développe-


ments théologiques et cosmologiques12 – sans oublier que deux
chapitres du Protreptique de Clément traitent aussi plus briève-
ment du même sujet, et qui plus est en ayant recours, dans la
plupart des cas, aux mêmes sources grecques, voire à des citations
identiques13. Cependant, et il faut le noter d’emblée, le chapitre 14
tel qu’il est conçu et présenté par Clément n’est pas censé aborder
la notion de monothéisme en tant que telle : ce grand exposé final
du Stromate V (avec son prolongement au début du Stromate
suivant14) porte explicitement sur le « larcin » (κλοπή) des Grecs
à l’égard de ce que Clément appelle la « philosophie barbare »15
et de ses Écritures saintes (en l’occurrence l’Ancien Testament)16
4) ; t. II : commentaire, bibliographie et index par A. Le Boulluec, Paris, Le
Cerf (SC 279), 20092 [19811], p. 290-375 (commentaire riche et pénétrant,
indispensable). – Sur les sources utilisées dans le chapitre 14, voir A. Méhat,
Kephalaia, p. 137-142 et 207 sq.
11. Par sa méthode et par l’image du centon, notre étude entend se situer dans
la ligne des travaux de Jaap Mansfeld, en particulier de son livre Heresiography
in Context. Hippolytus’ Elenchos as a Source for Greek Philosophy, Leiden,
Brill, 1992 (voir notamment p. 153-157 : la notion de « centon » ; p. 157-242 :
« A cento of centos » chez Hippolyte, l’auteur de l’Elenchos ; p. 306-307 : Plotin ;
p. 307-312 : trois centons chez Clément [Strom. V, 14, 102, 3 sq. ; III, 3, 12, 1-21,
1 ; V, 1, 9, 1-7] ; p. 312-315 : Philon). Cf. aussi Id., « Heraclitus, Empedocles, and
Others in a Middle Platonist Cento in Philo of Alexandria », Vigiliae Christianae,
39, 1985, p. 131-155.
12. A. Le Boulluec, SC 278, p. 11-13 montre bien comment se répartissent,
en s’entrelaçant au sein du chap. 14, les thèmes relevant de la théologie, de la
cosmologie, de l’eschatologie, de l’angélologie, de l’anthropologie et de la « fin »
de l’homme (à savoir son assimilation à Dieu par l’intermédiaire du Fils). Les
doctrines de l’unicité de Dieu et de la création du monde ex nihilo structurent une
bonne partie des sections théologiques et cosmologiques du chapitre, mais elles
apparaissent dans d’autres sections également, comme on verra plus loin.
13. Clément d’Alexandrie, Le Protreptique, introd., trad. et notes par Claude
Mondésert, Paris, Le Cerf (SC 2bis), 19763 [19411], p. 132-142 (= Protr. VI, 67,
1-VII, 76, 6). Cf. Miguel Herrero de Jáuregui, The Protrepticus of Clement of
Alexandria : A Commentary, thèse de doctorat soutenue à l’université de Bologne
en 2008 (http://amsdottorato.unibo.it/1117/1/Tesi_Herrero_de_Jauregui_Miguel.
pdf).
14. Stromate VI, introd., texte critique, trad. et notes Patrick Descourtieux,
Paris, Le Cerf (SC 446), 1999, p. 64-139, notamment Strom. VI, 2, 28, 3-3, 34, 3
(p. 115-131).
15. Strom. V, 14, 89, 1. Cf. Guy G. Stroumsa, Barbarian Philosophy : The
Religious Revolution of Early Christianity, Tübingen, Mohr Siebeck, 1999.
16. Voir par exemple Strom. V, 1, 10, 1 : « Les philosophes grecs méritent
le nom de voleurs, étant donné qu’ils ont pris à Moïse et aux prophètes leurs
principales opinions (τὰ κυριώτατα τῶν δογμάτων) sans reconnaître leur dette (οὐκ
εὐχαρίστως) » (trad. P. Voulet).
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 771

– un vrai topos de l’apologétique juive, puis chrétienne17 –, la


question des Principes dont relèverait normalement le thème de
l’unicité de Dieu étant réservée à un ouvrage spécial annoncé à
plusieurs reprises par l’auteur, mais peut-être jamais rédigé18.
Une telle approche semble régler de manière non équivoque
la question des modalités de l’accès qu’ont pu avoir à la Vérité
certains poètes et philosophes grecs (en réalité seulement les
plus inspirés ou les plus sages parmi eux)19, et dans le Stromate I,
Clément a essayé en effet d’asseoir la théorie du plagiat sur des
arguments d’ordre historique et chronologique visant à établir
l’antériorité de Moïse et des prophètes et à rendre crédible le
contact des intellectuels grecs avec eux, ou avec leurs des-
cendants, dans le cadre de voyages d’apprentissage auprès des
« sagesses barbares »20, qui étaient bien attestés chez les historiens
grecs21. Mais à d’autres endroits de son œuvre, Clément semble
prêt à désamorcer et à relativiser cette accusation frontale de vol,
en ouvrant la voie à d’autres possibilités, moins agressives, plus
généreuses et accueillantes à l’égard de l’hellénisme, qui ont pu
l’amener jusqu’à envisager la philosophie comme un testament,
17. Arthur J. Droge, Homer or Moses ? Early Christian Interpretations of
the History of Culture, Tübingen, Mohr Siebeck, 1989 (p. 124-151 sur Clément) ;
Daniel Ridings, The Attic Moses : The Dependency Theme in Some Early Christian
Writers, Göteborg, Acta Universitatis Gothoburgensis, 1995 (p. 29-139) ; George
Boys-Stones, Post-Hellenistic Philosophy : A Study in Its Development from the
Stoics to Origen, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 176-202 (188-194).
Cf. déjà S. Lilla, Clement of Alexandria (cité infra, n. 31), p. 31-41 ; Norman
Roth, « The “Theft of Philosophy” by the Greeks from the Jews », Classical Folia,
32, 1978, p. 53-67.
18. A. Méhat, Étude sur les Stromates, p. 159-163 ; A. Le Boulluec, SC 279,
p. 373.
19. Dans l’esquisse de Strom. V, 1, 10, 3, Clément précise que la prophétie
fut transmise aux poètes des Grecs et qu’une élaboration des doctrines fut
entreprise par les philosophes, « tantôt selon la vérité, quand ils visaient le but
(κατὰ στοχ<ασμὸν> ἐπιβαλλομένοις), tantôt à faux, quand ils ne comprenaient pas
le sens caché de l’allégorie prophétique » (trad. P. Voulet). Cf. A. Le Boulluec,
SC 279, p. 67-69.
20. Cf. Sydney H. Aufrère, Frédéric Möri (dir.), Alexandrie la Divine.
Sagesses barbares : échanges et réappropriations dans l’espace culturel gréco-
romain, Genève, Éditions de La Baconnière, 2016.
21. Sur le mythe historiographique du voyage d’études en Orient et de
l’apprentissage des philosophes grecs auprès des sages « barbares », voir
Constantinos Macris, « Pythagore de Samos », Dictionnaire des philosophes
antiques [abrégé DPhA], dir. Richard Goulet, t. VII, Paris, CNRS Éditions, 2018,
p. 681-850 (p. 787-792).
772 CONSTANTINOS MACRIS

une alliance propre aux Grecs, au même titre que l’Ancien et le


Nouveau Testament le sont pour les Juifs et les chrétiens22, dans le
cadre d’un plan providentiel23.
L’une des sources qui semblent avoir infléchi sa pensée dans ce
sens est la Prédication de Pierre, un écrit considéré ultérieurement
comme apocryphe, auquel Clément semble accorder une certaine
autorité : il le cite en effet à plusieurs reprises dans les Stromates,
non sans en proposer sa propre réinterprétation24. Ainsi, lorsqu’il
cite la phrase « Adorez ce Dieu, mais pas à la manière des Grecs »,
tirée de cet écrit (fr. 2b Cambe), Clément explique (en Strom. VI,
5, 39, 4) que,
à l’évidence, les sages grecs adorent le même Dieu que nous [scil.
les chrétiens], mais sans en avoir de connaissance parfaite (οὐ κατ’
ἐπίγνωσιν παντελῆ), puisqu’ils n’ont pas assimilé l’enseignement
(παράδοσιν) transmis par le Fils25.

Mais même si les Grecs se sont limités à une connaissance


« par mode d’approximation » (κατά περίφρασιν, VI, 5, 39, 1),
22. Einar Molland, « Clement of Alexandria on the Origin of Greek Philo-
sophy », Symbolae Osloenses, 15-16, 1936, p. 57-85 ; Joseph Thomas Muckle,
« Clement of Alexandria on Philosophy as a Divine Testament for the Greeks »,
Phoenix, 5, 1951, p. 79-86 ; A. Le Boulluec, SC 278, p. 14 sq.
23. Même la version originellement polémique et négative selon laquelle
certains anges déchus et en proie au désir auraient révélé aux femmes les secrets
(ἀπόρρητα) concernant la Providence et les « réalités élevées » (μετέωρα) – et ce
contrairement à d’autres anges, qui gardaient ces secrets cachés (κρυπτόντων), ou
plutôt en réserve (τηρούντων) pour la venue du Seigneur (παρουσία) – (Strom. V, 1,
10, 2), sera « rectifiée » et infléchie en Strom. VII, 2, 6, 4 par la précision que c’est le
Seigneur et Sauveur lui-même, le Fils de Dieu, qui donna aux Grecs la philosophie
par l’intermédiaire des anges inférieurs, faisant ainsi rentrer ces anges, que d’autres
apologistes chrétiens assimilaient volontiers à des démons ou au diable, dans une
hiérarchie providentielle. Voir A. Le Boulluec, SC 279, p. 66-67 ; Richard Bauckham,
« The Fall of the Angels as the Source of Philosophy in Hermias and Clement of
Alexandria », Vigiliae Christianae, 39, 1985, p. 313-330 ; Annette Yoshiko Reed,
What the Fallen Angels Taught : The Reception-History of the Book of the Watchers
in Judaism and Christianity, PhD Diss., Princeton University, 2002, p. 250-255
(« Angelic Descent and the Heavenly Origins of Pagan Philosophy »). Le contraste
avec l’approche de Justin est flagrant ; cf. Ead., « The Trickery of the Fallen Angels
and the Demonic Mimesis of the Divine : Aetiology and Polemics in the Writings of
Justin Martyr », Journal of Early Christian Studies, 12/2, 2004, p. 141-171.
24. Pierre Nautin, « Les citations de la Prédication de Pierre dans Clément
d’Alexandrie, Strom. VI. v. 39-41 », Journal of Theological Studies, 25/1, 1974,
p. 98-105 ; Michel Cambe, « La Prédication de Pierre (ou : le Kérygme de Pierre) »,
Apocrypha, 4, 1993, p. 177-195 ; Id., Kerygma Petri. Textus et commentarius,
Turnhout, Brepols (Corpus christianorum. Series apocryphorum, 15), 2003.
25. Trad. P. Descourtieux (SC 446) ; de même pour les citations suivantes.
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 773

leur Dieu n’est pas différent de celui des chrétiens : pour Clément,
l’apôtre Pierre aurait juste cherché « à modifier la façon d’ado-
rer Dieu et non pas à prêcher un autre Dieu » (VI, 5, 39, 5).
Malgré l’imperfection qui caractérise forcément la connaissance
du Dieu un chez les philosophes païens, Clément accepte un
fonds doctrinal-théologique partagé entre eux et les chrétiens ;
c’est seulement en matière de culte véritable que les premiers
se séparent des seconds en faisant fausse route, en raison de
l’anthropomorphisme et de l’idolâtrie26. Et lorsque l’Alexandrin
enchaîne avec un autre passage de la Prédication (fr. 5 Cambe),
selon lequel
[le Seigneur] a conclu avec nous une alliance nouvelle : celles qu’il
avait passées avec les Grecs et avec les Juifs sont anciennes, mais
nous, les chrétiens, nous l’adorons d’une manière nouvelle, comme
une troisième race (VI, 5, 41, 6),

il s’empresse de préciser aussitôt :


[Pierre] a clairement montré, je crois, que le seul et unique Dieu
(τὸν ἕνα καὶ μόνον θεόν) a été connu par les Grecs de manière païenne
(ἐθνικῶς), par les Juifs de manière juive et par nous de manière
nouvelle et spirituelle. Il a montré en outre que Dieu a été l’unique
pourvoyeur (χορηγός) des deux Alliances et qu’il a lui-même donné
(δοτήρ) aux Grecs la philosophie grecque, grâce à laquelle le Tout-
Puissant (παντοκράτωρ) est glorifié parmi les Grecs.

Ici on ne peut pas s’empêcher de penser que Clément a


subi l’influence d’un passage bien connu du Timée de Platon
(47 a 7-b 2), et plusieurs fois commenté dans l’Antiquité27, où la
philosophie est présentée comme « le bienfait (ἀγαθόν) le plus
important qui ait jamais été offert et qui sera jamais accordé à la
race mortelle, un bienfait qui vient des dieux (δωρηθὲν ἐκ θεῶν) »
(trad. L. Brisson). La conviction que la philosophie est un don
dispensé par Dieu (au singulier, après une inflexion monothéiste
obligée) devient même chez Clément une vérité inébranlable,
26. Cf. Daniel Barbu, Naissance de l’idolâtrie : image, identité, religion, Liège,
Presses universitaires, 2016. On retrouve une attitude similaire chez Lactance ;
voir Blandine Colot dans ce fascicule (la section intitulée « Monothéisme vs culte
monothéiste »).
27. Voir par exemple Cicéron, Tusculanes, I, 64-65 ; Sénèque, Lettres, 90,
(1-3) ; Lucien, Fugitifs, 5 ; Philon, De opificio mundi, 54 ; Justin Martyr, Dialogue
avec le juif Tryphon, 2, 1. Cf. Niels Hyldahl, Philosophie und Christentum : eine
Interpretation der Einleitung zum Dialog Justins, Kopenhagen, Prostant apud
Munksgaard (Acta theologica Danica, 9), 1966, p. 130-136.
774 CONSTANTINOS MACRIS

répétée inlassablement, pour devenir l’un des leitmotive des livres I


et VI des Stromates28. Puis l’auteur enchaîne comme suit :
Les trois peuples [scil. Juifs, Grecs et chrétiens] n’appartiennent
pas à des époques distinctes […], mais ils ont été formés par les
différentes alliances de l’unique Seigneur (διαφόροις… διαθήκαις
τοῦ ἑνὸς κυρίου) […]. En effet, Dieu, qui voulait sauver les Juifs, leur
donnait (διδούς) les prophètes ; de même, il a fait surgir (ἀναστήσας)
chez les Grecs les plus dignes de foi [ou : les plus estimés] (τοὺς
δοκιμωτάτους) d’entre eux, pour en faire des prophètes qui parleraient
leur langue, dans la mesure où ils seraient capables de recevoir les
bienfaits de Dieu (τὴν παρὰ τοῦ θεοῦ εὐεργεσίαν), et il les a distingués
du commun des mortels29.

Quels sont donc pour Clément ces Grecs extraordinaires qui furent
comme des prophètes-sauveurs pour leur peuple, en lui transmettant
la « saine doctrine » concernant le Dieu unique ? Et en quoi, plus
précisément, ont consisté leurs enseignements en la matière ? C’est
ce que nous allons examiner, de manière nécessairement synthétique,
dans la suite de notre exposé30. Clément mobilise deux types de
références : poétiques et philosophiques (cf. plus haut, n. 19), selon
une pratique courante chez les apologistes juifs et chrétiens. Ici nous
aimerions concentrer notre propos sur les seuls philosophes – même
si certains d’entre eux sont aussi de grands poètes… – étant donné
l’importance que leur accorde Clément, et l’originalité du dossier
qu’il a pu constituer sur eux.

La « familiarité » de Platon avec la Vérité

Si l’on remonte un peu plus haut dans le Stromate V, on


s’aperçoit que, pour Clément, les « meilleurs » parmi les Grecs
sont avant tout Pythagore, les pythagoriciens et Platon. Ce sont
eux en effet
28. Voir, à titre d’exemple, Strom. I, 20, 1-2 ; 28, 1-3 ; 37, 1 ; VI, 42, 1 ; 44, 1 ;
62, 4 ; 67, 1-2 ; 110, 3 ; 153, 1 ; 156, 3-4 ; 159, 8-9. Cf. S. Lilla, Clement of Alexandria
(cité ci-après, n. 31), p. 3 ; p. 10, avec la n. 2 ; p. 11, avec la n. 1 ; p. 12-31.
29. Strom. VI, 5, 41, 7 - 42, 3, trad. P. Descourtieux (modifiée).
30. Pour un commentaire détaillé le lecteur se reportera au travail magistral
d’A. Le Boulluec (SC 278), que nous avons simplement essayé de mettre à jour
dans les notes. Les compléments proposés dans l’article substantiel de Matyáš
Havrda, « Some Observations on Clement of Alexandria, Stromata, Book Five »,
Vigiliae Christianae, 64/1, 2010, p. 1-30, concernent assez peu le chap. 14.
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 775

qui ont fréquenté (ὡμίλησαν) le plus assidûment (σφόδρα) le législateur


[scil. Moïse], comme on peut le conclure de leurs doctrines. Et « par un
avertissement divinatoire infaillible » [Platon, Lois VII, 792 d 3], non
sans l’aide divine (οὐκ ἀθεεί), ils ont concouru (συνδραμόντες) pour
saisir dans certaines paroles des prophètes la vérité, partiellement et
sous certains aspects, et l’ont honorée d’appellations qui ne manquent
pas de clarté et qui ne s’écartent pas de l’indication du sens réel ; car
ils avaient reçu (εἰληφότες) un reflet (ἔμφασιν) de la familiarité avec la
Vérité (τῆς περὶ τὴν ἀλήθειαν οἰκειότητος)31.

On ne s’étonnera donc pas de découvrir, d’une part, que dans


tout le premier quart du chapitre sur le larcin (Strom. V, 14,
89, 2-99, 3), l’autorité philosophique grecque qui en constitue
le fondement et la référence constante n’est autre que Platon
– celui que même le païen Numénius avait qualifié de « Moïse
atticisant »32 – (sans qu’il soit absent par ailleurs dans la suite
du texte), d’autre part, que l’ensemble du chapitre est émaillé de
citations pythagoriciennes.
C’est chez Platon – interprété selon les principes du moyen
platonisme, comme le montrent les parallèles avec le Didascalicos
(ou Épitomé) d’Alcinoos – que, dès les premiers paragraphes,
31. Strom. V, 5, 29, 3-5, trad. P. Voulet (modifiée). Voir le commentaire
ad loc. d’A. Le Boulluec, SC 279, p. 127-129. Cela éclaire d’une autre lumière
aussi bien le platonisme que le pythagorisme de Clément. Voir, à titre indicatif,
Salvatore R. C. Lilla, Clement of Alexandria : A Study in Christian Platonism
and Gnosticism, Oxford, Oxford University Press, 1971 ; Dietmar Wyrwa, Die
christliche Platonaneignung in den Stromateis des Clemens von Alexandrien,
Berlin/New York, de Gruyter (Arbeiten zur Kirchengeschichte, 53), 1983 ; Piotr
Ashwin-Siejkowski, Clement of Alexandria : A Project of Christian Perfection,
London/New York, Continuum, 2008, p. 84-93 (« Pythagoras and Plato : Their
Influence on Clement’s Ideal ») ; Eugene Afonasin, « Clement’s Gnoseology
and the Pythagorean First Principles », Η έννοια του θείου στη διαχρονική της
διάσταση, éd. L. Bargeliotes, Athènes, Ολυμπιακό Κέντρο Φιλοσοφίας και
Παιδείας, 2011, p. 217-234 ; Id., « The Pythagorean Way of Life in Clement of
Alexandria and Iamblichus », Iamblichus and the Foundations of Late Platonism,
éd. E. Afonasin, J. Dillon, J. F. Finamore, Leyde/Boston, Brill, 2012, p. 13-35.
Voir aussi les pistes suggérées par Michel Tardieu, « La Lettre à Hipparque et les
réminiscences pythagoriciennes de Clément d’Alexandrie », Vigiliae Christianae,
28, 1974, p. 241-247.
32. La formule numénienne (fr. 8 Des Places ; éd. signalée infra, n. 51) est
citée pour la première fois par Clément en Strom. I, 22, 150, 4. Cf. John Whittaker,
« Moses Atticizing », Phoenix, 21, 1967, p. 196-201 ; Paul Ciholas, « Plato : the
Attic Moses ? Some Patristic Reactions to Platonic Philosophy », Classical World,
72/4, 1978, p. 217-225 ; Mark J. Edwards, « Atticizing Moses ? Numenius, the
Fathers, and the Jews », Vigiliae Christianae, 44/1, 1990, p. 64-75 ; Leslaw Lesyk,
« Plato as Greeks’ Moses in Clement’s of Alexandria Conceptualization », Littera
Antiqua, 7, 2013, p. 66-80.
776 CONSTANTINOS MACRIS

Clément retrouve notamment les deux piliers de la doctrine


monothéiste du christianisme, à savoir (1) l’unicité du principe (et
son corollaire, le refus du statut de principe à la matière) et (2) la
production du monde par un Dieu créateur et père33. Concernant le
premier point, Clément commence par constater (en 89, 5) que les
stoïciens, Platon, Pythagore et Aristote « rangent la matière parmi
les principes et n’admettent pas un principe unique ». Mais tout
de suite après (89, 6), prenant appui sur République V, 477 a 2-4
– passage duquel il déduit34 que Platon a eu l’audace d’appeler la
matière « non-être » –, il suggère (89, 7) que le philosophe
savait peut-être, de façon fort secrète (μυστικώτατα), que le principe
qui existe réellement est unique (μίαν τὴν ὄντως οὖσαν ἀρχήν), quand
il dit verbatim [Timée, 48 c 2-6] : « du principe de toutes choses, ou
des principes (τὴν… περὶ πάντων εἴτε ἀρχὴν εἴτε ἀρχάς) […] nous
n’avons pas à parler maintenant » (trad. P. Voulet modifiée).

Clément n’a donc pas eu besoin de manipuler le texte plato-


nicien ; il lui a suffi simplement de mettre en valeur la première
branche de l’alternative qui envisageait l’action d’une ou de
plusieurs ἀρχαί dans le monde et de supposer, avec une générosité
qui montre sa grande admiration et sa sympathie pour le philosophe
athénien, que ce dernier a pu avoir accès à la vérité mon(othé)iste.
Concernant le second point, l’opération exégétique de Clément
(en 92, 1-4) est plus intéressante. L’auteur semble partir d’un point
doxographique attesté chez Aétius, à savoir que, selon Pythagore,
Platon et les stoïciens le monde est engendré par Dieu (γενητὸς ὑπὸ
θεοῦ)35 : cela expliquerait la référence générique aux philosophes
au début du passage clémentin et la brève évocation des stoïciens à
la fin. Puis il focalise son attention sur Platon, en tissant ensemble
et en commentant deux passages voisins du Timée : (a) 28 b 6-8
33. C’est Platon qu’apostrophe également Clément, directement, au début du
chapitre VI de son Protreptique (68, 1-3), lorsqu’il passe des (fausses) « Opinions
des philosophes sur Dieu » (chap. V) à l’examen des philosophes qui, « inspirés
par la Vérité elle-même, ont quelquefois dit vrai ».
34. En suivant une tendance du platonisme de son temps : voir A. Méhat,
Kephalaia, p. 207 sq. ; S. Lilla, Clement of Alexandria, p. 195-196 ; A. Le
Boulluec, SC 279, p. 294.
35. Aétius, Placita, II, 4, 1 (= Ps.-Plutarque), dans Hermann Diels,
Doxographi Graeci, Berlin, G. Reimer, 1879, p. 330, et la nouvelle éd. du chap. II,
4 dans Jaap Mansfeld, David T. Runia, Aëtiana. The Method and Intellectual
Context of a Doxographer, vol. II : The Compendium, Part 2 : Aëtius, Book II.
Specimen reconstructionis, Leiden/Boston, Brill, 2009, p. 347-366.
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 777

d’abord, où, à la question de savoir si le monde a toujours existé,


Platon répond qu’il a été engendré (γέγονεν), tirant son origine
d’un principe (ἀπ’ ἀρχῆς τινος ἀρξάμενος) ; (b) 28 c 3-4 ensuite,
où l’affirmation célèbre de Timée, « quant au créateur et père
de cet univers (ποιητὴν καὶ πατέρα τοῦδε τοῦ παντός), c’est une
tâche ardue que de le découvrir »36, est interprétée dans un sens
christianisant37 : Platon aurait signifié ainsi « que [le monde] est
né de Dieu comme un fils et que Dieu a été appelé son père, pour
exprimer qu’il est né de Dieu seul et qu’il est venu à l’existence à
partir du non-être (ἐκ μὴ ὄντος ὑποστάντος) »38.
Par ailleurs, parmi une longue série d’extraits choisis des
dialogues ou des lettres de Platon que Clément offre à ses lecteurs
au sein du chapitre 1439, on retiendra surtout, par rapport à la
thématique monothéiste :
36. Passage cité un peu plus longuement en Protr. VI, 68, 1, où la phrase
suivante du Timée, « et quand on l’a trouvé, il est impossible de l’expliquer à
tous », est glosée au moyen d’une autre, tirée de la Lettre VII de Platon (341 c) :
« [car] il est absolument indicible » (cf. aussi Lois VII, 821 a).
37. Voir Lautaro Roig Lanzillotta, « La recepción de Platón, Timeo 28C en
Clemente de Alejandría », Filiación, vol. 6 : Cultura pagana, religión de Israel,
orígenes del cristianismo, la filiación en Clemente de Alejandría, éd. A. Sáez
Gutiérrez, G. Cano Gómez, Cl. Sanvito, Madrid, Trotta, 2015, p. 259-280 ;
Sébastien Morlet, « “Il est difficile de trouver celui qui est l’auteur et le père
de cet univers…” : la réception de Tim. 28 c chez les Pères de l’Église »,
Études Platoniciennes, 5, 2008 [Le divin dans la tradition platonicienne],
p. 91-100 ; Izabela Jurasz, « Dieu comme dēmiourgos et poiētēs des auteurs
chrétiens du iie siècle », Χώρα. Revue des études anciennes et médiévales, 13,
2015, p. 217-249 ; et plus généralement Arthur Darby Nock, « The exegesis
of Timaeus 28c », Vigiliae Christianae, 16, 1962, p. 79-86 ; Franco Ferrari,
« Gott als Vater und Schöpfer : zur Rezeption von Timaios 28C3-5 bei einigen
Platonikern », The Divine Father. Religious and Philosophical Concepts of
Divine Parenthood in Antiquity, éd. F. Albrecht, R. Feldmeier, Leiden/Boston,
Brill, 2014, p. 57-69.
38. Trad. P. Voulet. Le thème du Dieu père reviendra en Strom. V, 14, 102, 5,
où Clément commente la citation tronquée de Timée 41 a 5-6, « Dieux qui êtes issus
de dieux, les œuvres dont je suis, moi, le démiurge et le père [sont indissolubles] »
(trad. Luc Brisson, Paris, Flammarion [GF], 20176 [19921], p. 133), comme suit :
« le discours (δημηγορία) du Timée appelle Père le démiurge ». En 102, 2 c’est
une expression de « Pindare le pythagoricien » qui sera citée : « maître-ouvrier et
père (ἀριστοτέχναν πατέρα) », pour montrer que le poète aussi, « de façon secrète
(μυστικώτερον) » (comme Clément l’a dit pour Platon plus haut), a voulu indiquer
qu’« il y a un seul créateur (ἕνα δημιουργόν) » des êtres.
39. Ils portent, dans l’ordre, sur les châtiments post mortem et la punition
par le feu ; les démons-guides (comme celui de Socrate), assimilés à des anges
gardiens ; le diable-chef des démons et la lutte entre le bien et le mal ; le monde
intelligible, archétype du monde sensible ; la ressemblance de l’homme avec
778 CONSTANTINOS MACRIS

1) l’assimilation à Dieu (ὁμοίωσις θεῷ) comme fin de la philo-


sophie40 ;
2) l’assertion que « pour nous, Dieu doit être la mesure (μέτρον)
de toutes choses »41 ;
3) la lecture tendancieuse, dans un sens chrétien, de République
III, 415 a 2-7, où la déclaration « vous êtes tous frères » (πάντες
ἀδελφοί), suivie de l’expression « le dieu, en vous formant »
(ὁ θεὸς πλάττων), est interprétée (98, 2) comme signifiant que
« nous sommes frères, parce que nous appartenons au Dieu unique
(τοῦ ἑνὸς θεοῦ) » ;
4) le rappel que « Dieu est hors de cause (ἀναίτιος) » pour les
actions de l’homme, puisque la responsabilité appartient à l’auteur
du choix, et que dans tous les cas « Dieu n’est jamais responsable
des maux » (κακῶν γὰρ ὁ θεὸς οὔποτε αἴτιος)42 ;
5) la distinction énigmatique faite dans la Lettre VI entre « le
Dieu auteur / cause de tous les êtres [ou de toutes les choses] (τὸν
πάντων θεὸν αἴτιον) » et « le Père souverain du chef et auteur (τοῦ
ἡγεμόνος καὶ αἰτίου πατέρα κύριον) », qui pour Clément renvoie à
celle, chrétienne, entre le Père et le Fils43 ;
Dieu et son assimilation à Lui ; la vertu comme beauté intérieure et le bien moral
comme seul bien ; la fraternité entre les hommes et la préfiguration de la vie
chrétienne dans la description de la vie parfaite que mènent les philosophes ; le
choix de la vérité et l’interdiction du serment ; le mythe de la régénération comme
allusion à la résurrection ; la signification du sommeil ; le voyage vers le repos ; la
souffrance du juste ; la conversion à Dieu (assimilé au Bien) des natures d’élite ;
le libre arbitre de l’homme et la non-responsabilité de Dieu pour les maux que
subissent les mortels ; la promesse de la vision béatifique faite à ceux qui aspirent
à la vérité.
40. Strom. V, 14, 95, 1 (cf. II, 19, 100, 3) = Platon, Théétète, 176 b 1-2.
Cf. Hubert Merki, ΟΜΟΙΩΣΙΣ ΘΕΩΙ : Von der platonischen Angleichung an Gott
zur Gottähnlichkeit bei Gregor von Nyssa, Freiburg in der Schweiz, Paulusverlag
(Paradosis, 7), 1952, p. 44-60 ; Henry Fiska Hägg, « Deification in Clement of
Alexandria, with a Special Reference to His Use of Theaetetus 176B », Studia
Patristica, 46, 2010, p. 169-173.
41. Strom. V, 14, 95, 4 = Platon, Lois IV, 716 c 1-5. La phrase employée par
Platon semble répondre à la devise provocante de Protagoras πάντων χρημάτων
μέτρον ἐστὶν ἄνθρωπος.
42. Strom. V, 14, 136, 4 = Platon, République X, 617 e 3-5 + II, 379 b-c ;
380 b. Cf. A. Le Boulluec, SC 279, p. 367.
43. Strom. V, 14, 102, 3-4 d’après Platon, Lettre VI [non authentique], 323 d 1-5.
Cf. A. Le Boulluec, SC 279, p. 315-316, et le commentaire de Margherita Isnardi
Parente, Platone. Lettere, [Roma/ Milano], Fondazione Lorenzo Valla/Mondadori,
2002, p. xxviii-xxix et 213-214. Plus loin (en Strom. V, 14, 116, 3), Clément
retrouvera aussi le Père et le Fils du christianisme dans la distinction qu’opérait
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 779

6) les trois rois de la Lettre II attribuée à Platon, en qui Clément


voit l’indication de la sainte Trinité44 ; au premier roi, qui est
appelé « roi de l’univers », « tout se rattache, tout existe à cause de
lui, et là est la raison de tous les biens »45.
Ce n’est sans doute pas un hasard si les deux derniers passages
proviennent en fait d’écrits pseudépigraphes rédigés en milieu
néopythagoricien : même si Clément, comme la plupart de ses
contemporains, ne soupçonnait pas leur fabrication tardive et les
considérait comme authentiques, les affinités de sa pensée avec la
tradition pythagoricienne ont certainement orienté, « inconsciem-
ment », son choix.

« Entendre la voix de Dieu »

La mention, dans un seul souffle (en 99, 3), des noms de


Pythagore, de Socrate et de Platon pour avoir dit « qu’ils
entendaient une voix de Dieu (ἀκούειν φωνῆς θεοῦ) quand ils
contemplaient l’agencement de l’univers, produit avec exactitude
et maintenu perpétuellement par Dieu », nous donne l’occasion de
faire trois remarques.
En premier lieu, elle nous invite à une explication de texte et
à un commentaire historico-littéraire. Car si l’allusion à la voix
du « démon de Socrate » peut sembler assez évidente46, en fait
Xénocrate (fr. 18 Heinze = F 137 Isnardi Parente), au sein de l’Ancienne Académie,
entre Zeus suprême (ὕπατος) et dernier / ultime / infime (νέατος).
44. Strom. V, 14, 103, 1 = Platon, Lettre II [non authentique], 312 e 1-4, avec
A. Le Boulluec, SC 279, p. 316-317, et le commentaire de M. Isnardi Parente,
Platone. Lettere, p. xxvii-xxviii et 195-197.
45. Sur la riche réception néopythagoricienne, puis néoplatonicienne, de
ce passage, voir Henri Dominique Saffrey et Leendert G. Westerink, « Histoire
des exégèses de la Lettre II de Platon dans la tradition platonicienne », dans
Proclus, Théologie platonicienne. Livre II, Paris, Les Belles Lettres (CUF), 1974,
Introduction, p. xx-lix ; bibliographie plus récente dans C. Macris, « Pythagore
de Samos », Annexe II, p. 1025-1174, à la p. 1134.
46. Voir les textes classiques de Platon, Apologie de Socrate, 31 d 3 et
Xénophon, Mémorables, I, 4 et IV, 3, ainsi que le Théagès pseudo-platonicien,
avec la notice de Joseph Souilhé, dans Platon, Œuvres complètes, t. III/2 :
Dialogues suspects, Paris, Les Belles Lettres (CUF), 1930, p. 130-137, et pour la
réception chrétienne du thème, Juraj Franek, « Omnibus omnia : The Reception of
Socrates in Ante-Nicene Christian Literature », Graeco-Latina Brunensia, 21/1,
2016, p. 31-58 (avec bibliographie ; sur Clément, voir p. 46-48).
780 CONSTANTINOS MACRIS

au temps de Clément sa valorisation positive en tant que « voix


de Dieu » n’allait pas du tout de soi en milieu chrétien, où on
l’identifiait volontiers à une voix démoniaque, celle d’un esprit
mauvais47. Qui plus est, le lien établi avec la contemplation
de l’agencement de l’univers n’est pas obvie de prime abord
et pourrait témoigner d’une connaissance, même indirecte,
d’un passage des Mémorables de Xénophon (cités en 108, 5),
où, au sein d’un développement sur le démon de Socrate, il
est question du dieu « qui ordonne et maintient l’univers »48.
D’autre part, on ne voit pas forcément quel serait, concrètement,
le rapport de Pythagore et de Platon avec la voix divine, malgré
le statut d’« hommes divins » dont ils jouissaient à l’époque
impériale : pour Pythagore on pourrait penser à tout le moins à
une interprétation théologisante de son écoute de la « musique
des sphères », que, peu avant Clément, Nicomaque de Gérasa
expliquait par la « conformation extraordinaire » du sage49, que lui
avait peut-être suggérée le fr. 129 d’Empédocle50.
Deuxièmement, cette triple évocation nous rappelle l’association
étroite, dans l’esprit de Clément, entre Platon et ses deux principaux
« maîtres à penser », Pythagore et Socrate51. On verra bientôt
comment, en l’absence d’écrits de ces deux maîtres de l’oralité,
47. Cf. Lucia Saudelli, « Le Socrate de Tertullien », Revue d’Études Augusti-
niennes et Patristiques, 59/1, 2013, p. 23-53, ici p. 39-48 (« Le démon de
Socrate »). Au contraire, en Strom. V, 14, 91, 5, Clément identifiera le δαιμόνιον à
une sorte d’ange gardien (comme il le fait aussi en 91, 4 pour le δαίμονα… φύλακα
τοῦ βίου de Platon, République X, 620 d 5-e 2). Cf. A. Le Boulluec, SC 279,
p. 298, qui souligne l’influence du pythagorisme sur ce point.
48. A. Le Boulluec, SC 279, p. 310-311. Le texte original de Xénophon est
cité plus loin, n. 58.
49. [Nicomaque, ap.] Porphyre, Vie de Pythagore, 30-31, avec Dominic
J. O’Meara, « Hearing the Harmony of the Spheres in Late Antiquity », A Platonic
Pythagoras : Platonism and Pythagoreanism in the Imperial Age, éd. Mauro
Bonazzi, Carlos Lévy, Carlos Steel, Turnhout, Brepols, 2007, p. 147-161.
50. Cf. C. Macris, Pénélope Skarsouli, « La sagesse et les pouvoirs du
mystérieux τις du fragment 129 d’Empédocle », Revue de métaphysique et de
morale, 2012/3, p. 357-377, ici p. 362 et 364, n. 30.
51. L’association de Socrate à Pythagore paraissait peut-être beaucoup plus
naturelle à Clément s’il considérait que Socrate était proche du pythagorisme
(cf. C. Macris, « Pythagore de Samos », Annexe II, p. 1102-1103) : Numénius,
que Clément cite (voir supra, n. 32) et dont il connaissait fort probablement
l’œuvre (A. Le Boulluec, SC 278, p. 15 sq.), était persuadé que Socrate tenait
certains de ses propos de sources pythagoriciennes, tout comme son élève, Platon,
qui « pythagorisait » (fr. 24, dans Numénius, Fragments, éd. et trad. É. Des Places,
Paris, Les Belles Lettres, 1973, p. 64 ; cf. Dominic J. O’Meara, Pythagoras
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 781

Clément aura recours à ceux de leurs disciples (pythagoriciens


variés pour le premier ; Antisthène et Xénophon pour le second) afin
d’illustrer la contribution de leur héritage à la réflexion sur l’unicité
de Dieu.
Enfin, la comparaison avec la Préparation évangélique d’Eusèbe
de Césarée (XII, 12, 3-4) montre que la mention de la triandrie
Pythagore-Socrate-Platon qui aurait le privilège d’entendre la
voix de Dieu remonte en réalité à la source de Clément, Aristo-
bule52 (mentionné en 97, 7), ce qui nous permet de mesurer
déjà, sur un point capital, la dette énorme du penseur chrétien à
l’égard du judaïsme alexandrin, qui lui a fourni également des
fragments poétiques divers (parfois pseudépigraphiques), dont le
fameux Testament d’Orphée (cité non moins de sept fois dans le
Stromate V), qui est censé contenir une « palinodie » du chantre et
théologien païen par excellence en faveur du monothéisme53.

Socrate et les socratiques


« proclamant l’unique Dieu »

La lignée socratique est représentée par deux seuls frag-


ments, mais Clément semble leur avoir accordé une très grande
Revived : Mathematics and Philosophy in Late Antiquity, Oxford, Clarendon
Press, 1989, p. 10-14).
52. Nikolaus Walter, Der Thoraausleger Aristobulos. Untersuchungen zu
seinen Fragmenten und zu pseudepigraphischen Resten der jüdisch-hellenistischen
Literatur, Berlin, Akademie Verlag (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der
altchristlichen Literatur, 86), 1964 ; Carl R. Holladay, Fragments from Hellenistic
Jewish authors, vol. III : Aristobulus, Atlanta, Scholars Press, 1995 ; Markus
Mülke, Aristobulos in Alexandria. Jüdische Bibelexegese zwischen Griechen und
Ägyptern unter Ptolemaios VI. Philometor, Berlin/Boston, de Gruyter, 2018. Voir
aussi infra, n. 67.
53. Sur ce texte composé en milieu juif alexandrin, voir en dernier lieu Christoph
Riedweg, Jüdisch-hellenistische Imitation eines orphischen Hieros Logos :
Beobachtungen zu OF 245 und 247 (sog. Testament des Orpheus), Tübingen, Gunter
Narr Verlag, 1993 ; René Bloch, « Orpheus als Lehrer des Musaios, Moses als Lehrer
des Orpheus », Antike Mythen : Medien, Transformationen und Konstruktionen, éd.
U. Dill, Chr. Walde, Berlin/New York, de Gruyter, 2009, p. 469-486 ; M. Herrero de
Jáuregui, « Orphic God(s) : Theogonies and Hymns as Vehicles of Monotheism »,
Monotheism Between Pagans and Christians, éd. S. Mitchell et P. Van Nuffelen,
p. 77-99 ; Fabienne Jourdan, Poème judéo-hellénistique attribué à Orphée :
production juive et réception chrétienne, Paris, Les Belles Lettres (Fragments, 7),
2010 (avec bibliographie antérieure ; sur les citations chez Clément, voir p. 81-90) ;
G. Sfameni Gasparro, Dio unico (cité supra, n. 2), p. 79-107 ;
782 CONSTANTINOS MACRIS

importance, puisqu’il les reproduit également dans le Protrep-


tique, en les introduisant d’une manière fort valorisante, comme
« proclam[a]nt à haute voix (ἀναφθεγγομένους) en tant que
Dieu, et sous Son inspiration (κατ’ ἐπίπνοιαν αὐτοῦ), celui
qui est l’unique et vraiment seul Dieu (τὸν ἕνα ὄντως μόνον
θεόν) »54. Il est significatif que le premier fragment provienne
de l’œuvre perdue d’un penseur du cercle socratique dont les
idées monothéistes sont claires, et assez impressionnantes pour
son époque, raison pour laquelle elles ont été à l’épicentre de la
discussion actuelle sur ledit « monothéisme païen » : Antisthène,
qui dans son traité Sur la nature avait déclaré que « selon la
convention il y a plusieurs dieux, d’après nature (κατὰ φύσιν) il
n’y en a qu’un seul »55. Clément ne pouvait donc pas viser plus
juste. Il cite alors ce Σωκρατικός56 (en prenant bien soin de
souligner son rapport à Socrate et de le dissocier du cynisme57 dont
il passait pour l’un des fondateurs) pour la « saine doctrine » anti-
anthropomorphique selon laquelle « Dieu ne ressemble à rien et à
personne (οὐδενί) ; c’est pourquoi nul ne peut le connaître d’après
une image ». Le lien avec Socrate devient encore plus palpable
avec l’extrait suivant, qui se présente (faussement) comme une
citation verbatim (κατὰ λέξιν) de Xénophon58 – et là, c’est Socrate
lui-même qui est censé parler :
54. Protr. VI, 71, 1, trad. Cl. Mondésert.
55. Antisthène, V A 179-180, dans Socratis et Socraticorum Reliquiae,
éd. Gabriele Giannantoni, t. II, Napoli, Bibliopolis, 1990, p. 206-207. Études :
Aldo Brancacci, « La théologie d’Antisthène », Philosophia, 15-16, 1985-1986,
p. 218-230 ; Michael Frede, « The Case for Pagan Monotheism in Greek and
Graeco-Roman Antiquity », One God, éd. S. Mitchell et P. Van Nuffelen, p. 53-81,
ici p. 62-70 et 81 ; Susan Prince, Antisthenes of Athens : Texts, Translations, and
Commentary, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2015, p. 571-577 ; Peter
Ane Meijer, A New Perspective on Antisthenes : Logos, Predicate and Ethics in
His Philosophy, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2017, p. 74-84.
56. Strom. V, 14, 108, 4 = Antisthène, V A 181, dans Socratis et Socraticorum
Reliquiae, éd. G. Giannantoni, t. II, p. 207, avec la n. 25, t. IV, p. 251-253
et S. Prince, Antisthenes of Athens, p. 577-580. Cf. A. Le Boulluec, SC 279,
p. 330-331.
57. Protr. VI, 71, 2 : « ce n’est pas une idée de l’école cynique qu’il exprime ».
Cf. pourtant Philip R. Bosman, « Traces of Cynic Monotheism in the Early Roman
Empire », Acta Classica, 51, 2008, p. 1-20.
58. En réalité, il s’agit d’une sorte de « sentence » xénophontienne inspirée
des Mémorables IV, 3, 13-14, dont voici la traduction : « Celui qui ordonne et
maintient tout l’univers (ὁ τὸν ὅλον κόσμον συντάττων τε καὶ συνέχων), où tout
est beau et bon, […] et qui le fait obéir (ὑπηρετοῦντα) infailliblement et plus
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 783

Que celui qui ébranle et apaise toutes choses (πάντα σείων καὶ
ἀτρεμίζων) soit grand et puissant (μέγας τις καὶ δυνατός), c’est
manifeste ; mais pour ce qui est de sa forme, il est invisible (ἀφανής) ;
ainsi le soleil, qui paraît être visible à tous, ne semble pas, lui non
plus, permettre qu’on le voie ; mais si quelqu’un a l’impudence de le
regarder, il lui retire la vue (Strom. V, 14, 108, 5 = Protr. VI, 71, 3,
trad. P. Voulet).

Ici, la grandeur et la puissance de Dieu, et son pouvoir sur toutes


choses, vont de pair avec son invisibilité59.

La toute-puissance et l’omniscience divines :


pythagoriciens et présocratiques

La recherche moderne a pu percevoir l’inspiration xénopha-


nienne des idées d’Antisthène et du Socrate des Mémorables sur
la divinité et a reconnu « la diffusion des idées théologiques de
Xénophane dans le milieu socratique »60. Ces affinités de pen-
sée étaient perceptibles aussi, apparemment, chez Clément, qui,
après un appel à la Sibylle (108, 6) sur l’invisibilité du « Dieu
supracéleste et véritable, le Dieu immortel, qui habite le pôle »61,
enchaîne justement (en 109, 1) avec un fragment de Xénophane
rapidement que la réflexion, [ce dieu] se voit lorsqu’il accomplit les plus grandes
choses (τὰ μέγιστα), mais il demeure pour nous invisible (ἀόρατος) lorsqu’il les
administre » (Xénophon, Mémorables. Livre IV, texte établi par Michele Bandini,
traduit et annoté par Louis-André Dorion, Paris, Les Belles Lettres [CUF], 2011,
p. 24-25 + 127-131 [notes]). Il est clair que Clément dépend ici de quelque
florilège.
59. Sur les idées théologiques et cosmologiques de Socrate telles qu’on peut les
reconstituer surtout à l’aide de Xénophon, voir Mark L. McPherran, The Religion
of Socrates, University Park, Pennsylvania State University Press, 1996, spéc.
p. 272-291 ; Id., « Socratic Theology and Piety », The Bloomsbury Companion
to Socrates, éd. John Bussanich, Nicholas D. Smith, London, Bloomsbury, 2013,
p. 257-275 et 361-366 (notes) ; Cristina Viano, « La cosmologie de Socrate
dans les Mémorables de Xénophon », Socrate et les socratiques, dir. Gilbert
Romeyer-Dherbey, Jean-Baptiste Gourinat, Paris, Vrin, 2001, p. 97-119 ; David
Sedley, Creationism and Its Critics in Antiquity, Berkeley/Los Angeles/London,
University of California Press (Sather Classical Lectures, 66), 2007, p. 78-86 ;
Vincent Azoulay, « Xénophon et le modèle divin de l’autorité », Cahiers des
études anciennes, 45, 2009, p. 151-183.
60. Ainsi par exemple A. Brancacci, « La théologie d’Antisthène », p. 224 sq.
61. Sur les oracles à contenu monothéiste attribués à la Sibylle aussi bien par
les Juifs que par les chrétiens de l’Antiquité tardive, voir les références données
dans l’article de Blandine Colot dans ce fascicule, aux notes 3 et 46.
784 CONSTANTINOS MACRIS

proclamant « un seul Dieu (εἷς θεός), le plus grand (μέγιστος)


parmi les dieux et les hommes, en rien semblable aux mortels
ni quant à son aspect, ni quant à sa pensée »62. Clément y recon-
naît un enseignement sur le Dieu unique et incorporel (εἷς καὶ
ἀσώματος) et poursuit en citant d’autres vers du poète-philosophe
présocratique, illustrant sa critique de l’anthropomorphisme de la
religion traditionnelle63.
Avec Xénophane commence une très longue série de testimonia
poétiques, sur lesquels on ne va pas s’attarder ici64. Mais même
cette partie du texte est parsemée de témoignages philosophiques
sur les grandes « vérités » théologiques du christianisme, selon
une méthode chère à Clément, qui voyait ses Stromates comme
62. Xénophane, fr. 23 Diels-Kranz = 8.D16 Laks-Most (dont on reprend la
traduction : voir André Laks, Glenn W. Most, Les débuts de la philosophie : des
premiers penseurs grecs à Socrate, Paris, Fayard, 2016), avec James H. Lesher,
« Xenophanes », The History of Western Philosophy of Religion, vol. 1 : Ancient
Philosophy of Religion, éd. Graham Oppy, Nick Trakakis, Durham, Acumen, 2009,
p. 41-52 (avec bibliographie). Mark J. Edwards, « Xenophanes Christianus ? »,
Greek, Roman and Byzantine Studies, 32, 1991, p. 219-228 a supposé que ces
vers sont peut-être inauthentiques, fabriqués en milieu monothéiste, mais ses
arguments n’ont pas convaincu (ils sont discutés dans l’article cité dans la note
suivante). Entre autres, la mention d’un seul Dieu qui est le plus grand parmi
d’autres dieux nous situe clairement dans un milieu polythéiste, où l’exaltation
d’une divinité suprême était une pratique assez courante ; cf. Angelos Chaniotis,
« Megatheism : The Search for the Almighty God and the Competition of Cults »,
One God, éd. S. Mitchell et P. Van Nuffelen, p. 112-140 ; Nicole Belayche,
« Hypsistos : A Way of Exalting the Gods in Graeco-Roman Polytheism »,
The Religious History of the Roman Empire : Pagans, Jews, and Christians,
éd. J.A. North, S.R.F. Price, Oxford/New York, Oxford University Press, 2011,
p. 139-174.
63. Xénophane, fr. 14-15 Diels-Kranz = 8.D12 + D14 Laks-Most. Voir Miguel
Herrero de Jáuregui, « Xenophanes redivivus ? L’anthropomorphisme des dieux
d’Homère dans la littérature apologétique chrétienne », Les dieux d’Homère, II :
Anthropomorphismes, dir. Renaud Gagné, M. Herrero de Jáuregui, Liège, Presses
universitaires (Suppléments Kernos, 33), 2019, p. 235-259.
64. Cf. Nicole Zeegers-vander Vorst, Les citations des poètes grecs chez
les apologistes chrétiens du IIe siècle, Louvain, Bibliothèque de l’Université,
1972, passim. La plupart de ces témoignages se retrouvent chez d’autres auteurs
chrétiens (ou juifs) ; voir notamment Pseudo-Justin, Ouvrages apologétiques :
Exhortation aux Grecs ; Discours aux Grecs ; Sur la monarchie, introd., texte
grec, trad. et notes Bernard Pouderon, avec la collab. de Cécile Bost-Pouderon,
Marie-Joseph Pierre et Pierre Pilard, Paris, Le Cerf (SC 528), 2009 ; Christoph
Riedweg, Ps.-Justin (Markell von Ancyra ?) Ad Graecos de vera religione
(bisher Cohortatio ad Graecos) : Einleitung und Kommentar, Basel, Friedrich
Reinhardt Verlag (Schweizerische Beiträge zur Altertumswissenschaft, 25, 2),
1994.
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 785

une prairie où fleurissent des fleurs multicolores, à découvrir65. Ce


sont les pythagoriciens qui lui permettront notamment d’aborder
la question du Principe. Pour leurs textes, Clément semble avoir
eu recours à un florilège dont il serait extrêmement intéressant
d’imaginer les contours et l’orientation générale – la question de leur
constitution en milieu néo-pythagoricien est notamment intrigante,
pendant une période où le pythagorisme a des tendances de plus en
plus monistes, en reléguant au second plan son dualisme originel66,
même si un milieu juif alexandrin reste toujours un candidat
valable67. Quoi qu’il en soit, il s’avère que les fragments cités font
en réalité partie desdits Pseudopythagorica68. Selon le premier (115,
4), qui proviendrait du « traité de physique » de Timée de Locres69 :
« Il y a un seul principe (μία ἀρχά) de toutes choses, exempt de
naissance (ἀγένητος) ; car s’il était né, il ne serait plus principe, mais
ce dont le principe est né » (trad. P. Voulet).
D’après Clément, cette « opinion vraie » (δόξα ἡ ἀληθής) aurait
découlé du Deutéronome, où il est dit (6, 4.13) : « Écoute, Israël,
le Seigneur ton Dieu est unique (κύριος ὁ θεός σου εἷς ἐστιν),
et tu n’adoreras que lui » (cf. aussi Exode 20, 2-3). La même
identification du Principe ontologique et métaphysique à Dieu
semble opérer quand Clément cite (en 133, 1) un fragment tiré de
l’ouvrage Sur la nature d’un certain Théaridas70 :
65. Pour cette image, voir Strom. VI, 1, 2, 1-2, avec A. Méhat, Étude sur les
Stromates, p. 96-106.
66. Sur cette évolution du pythagorisme antique, voir André-Jean Festugière,
« L’Un transcendant aux nombres » et « L’Un transcendant à la Dyade matière », dans
Id., La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. IV : Le Dieu inconnu et la gnose, Paris,
Gabalda, 1954, p. 18-53 et 307-315 (nouv. éd. revue et augmentée, en 1 vol., avec la
collab. de C. Luna, H. D. Saffrey et N. Roudet, Paris, Les Belles Lettres, 2014).
67. Voir à cet égard Strom. I, 22, 150, 1-3 (cf. Eusèbe de Césarée,
Praep. Ev. XIII, 12, 1), où le nom de Pythagore apparaît dans une citation tirée du
Juif alexandrin Aristobule, source relativement récurrente chez Clément, et dont la
sympathie pour le pythagorisme est bien connue. Cf. supra, n. 52.
68. Sur lesquels voir en dernier lieu Leonid Zhmud, « What is Pythagorean in
the Pseudo-Pythagorean Literature ? », Philologus, 163/1, 2019, p. 72-94.
69. Les lignes citées par Clément ne figurent pas dans le traité Sur la nature
du monde et de l’âme attribué à Timée, qui est conservé dans son intégralité. Voir
A. Le Boulluec, SC 279, p. 340, et sur les ouvrages ayant pu circuler sous le nom
de Timée, C. Macris, « Pseudo-Timée de Locres », DPhA VII, 2018, p. 1009-1017,
ici p. 1009-1010.
70. Clément ne fournit pas d’indications sur l’affiliation philosophique de
ce (pseudo-)auteur, mais son identité pythagoricienne ne fait pas de doute ; voir
C. Macris, « Théaridas », DPhA VI, 2016, p. 840-843.
786 CONSTANTINOS MACRIS

Le principe (ἀρχά) des êtres, du moins leur principe réel et


véritable (ὄντως ἀληθινά), est unique (μία) ; car c’est lui qui est au
commencement, unique et seul (ἓν καὶ μόνον)71.

Que ce type d’identification allait de soi pour lui, nous


sommes autorisés à le penser en comparant comment il réfère
directement au divin (περὶ τοῦ θείου, en 112, 2) les attributs de
l’Être parménidien72 : inengendré (ἀγένητον), impérissable / indes-
tructible (ἀνώλεθρον), intègre (οὗλον), seul de sa race / unique
(μουνογενές), sans tremblement (ἀτρεμές) – attributs que d’autres
sources tardives appliquaient au « Tout », à l’univers ou au monde
intelligible73 – tout en renforçant l’autorité de l’Éléate avec le
« sceau » platonicien du Sophiste (237 a 4), où l’Étranger l’appelle
« Parménide le Grand » (ὁ μέγας).
Ce sont des « pythagoriciens » qui vont encore réapparaître pour
professer la toute-puissance et l’omniscience divines, même s’ils
sont quelque peu… inhabituels pour nous74. Clément désigne en
fait comme des Πυθαγόρειοι, en les pourvoyant ainsi d’une sorte
de « label de qualité », deux parmi les plus anciens poètes grecs,
qui se complètent harmonieusement : le comique Épicharme et le
71. Trad. P. Voulet modifiée.
72. En citant Parménide, fr. 8, 3-4 Diels-Kranz = 19.D8, 8-9 Laks-Most (dont
s’inspirent les traductions proposées ici).
73. A. Le Boulluec, SC 279, p. 335-336.
74. Clément connaissait aussi un autre texte à contenu monothéiste, qu’il
attribue prudemment aux « disciples de Pythagore » (ἀμφὶ τὸν Πυθαγόραν).
Issu probablement du judaïsme alexandrin, ce texte est attesté également dans la
Cohortatio du Pseudo-Justin (19, 1), qui le plaçait sous l’autorité de Pythagore lui-
même. Clément en cite un passage dans le Protreptique (VI, 72, 4), mais pas ici :
« Il ne faut pas non plus passer sous silence les Pythagoriciens : “Dieu, disent-ils,
est unique ; et il n’est pas, comme certains le supposent, en dehors de l’ordonnance
de l’univers (ἐκτὸς τᾶς διακοσμήσιος), mais en elle, tout entier dans le cycle entier,
veillant sur l’ensemble de la génération / du devenir (ἐπίσκοπος πάσας γενέσιος),
accordant les périodes cosmiques intégrales (κρᾶσις τῶν ὅλων αἰώνων), créant
ses propres puissances et ses œuvres (ἐργάτας τῶν αὑτοῦ δυνάμιων καὶ ἔργων),
illuminant (φωστήρ) tous les corps célestes, père de tout, esprit / intelligence (νοῦς)
et animation (ψύχωσις) du cycle entier, mouvement de toutes choses” » (trad.
Cl. Mondésert, par endroits radicalement modifiée). Cf. Luca Arcari, « Memorie
monoteistiche “pagane” nella Cohortatio ad Graecos ps. giustinea. L’unicità
divina come strumento di auto-definizione e/o di attaco », Auctores Nostri, 9,
2011, p. 283-315 ; Id., « Reinventing the Pythagorean tradition in Pseudo-Justin’s
Cohortatio ad Graecos », Pythagorean Knowledge from the Ancient to the Modern
World : Askesis, Religion, Science, ed. Almut-Barbara Renger, Alessandro Stavru,
Wiesbaden, Harrassowitz, 2016, p. 185-197 ; C. Macris, « Pythagore de Samos »,
p. 848-849.
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 787

lyrique Pindare75. Selon le premier (100, 6), « rien n’échappe à


la divinité », puisque « c’est Dieu lui-même qui nous observe et
nous surveille (ἐπόπτης) », et « rien ne lui est impossible (ἀδυνατεῖ
οὐδέν) ». Cette « toute-puissance (τὸ δυνατὸν ἐν πᾶσι) » attribuée
à Dieu est bien illustrée par les vers de Pindare (101, 1) :
Il est possible à Dieu de faire lever de la nuit noire
la lumière immaculée
Et de cacher sous les ténèbres des sombres nuées
la pure clarté du jour,

dans lesquels Clément voit l’omnipotence divine se manifester


lors de l’éclipse de soleil76. Le caractère pythagoricien de cette
conception du divin semble confirmé par Jamblique, qui, dans
son traité Sur le mode de vie pythagoricien (§ 139) cite des vers
« que les pythagoriciens attribuent à Linos, mais qui sont peut-être
composés par eux », selon lesquels « il est facile au dieu d’accomplir
(τελέσαι) toutes choses, il n’est rien qu’il ne puisse achever
(ἀνήνυτον οὐδέν) »77. Il en est de même de la notion de surveillance
(ἐπιστασία) divine dont a besoin l’homme, thème qui revient comme
un leitmotiv dans le chapitre de Jamblique consacré à la justice78.
Clément mobilisera Thalès à cet effet (96, 4), en citant une sentence
de lui (ou attribuée à lui) affirmant qu’aucune action de l’homme ne
peut échapper au divin (τὸ θεῖον), même pas ses pensées – sentence
rapprochée de la notion néotestamentaire de Dieu « connaissant les
cœurs (καρδιογνώστης) »79, et associée à la définition thalésienne du
divin comme étant « ce qui n’a ni commencement ni fin »80.
75. Pour la désignation de Pindare, voir Strom. V, 14, 102, 2 (cité supra,
n. 38). Ce faisant, Clément n’innove pas, mais il suit une tendance de son temps.
Sur l’association de ces deux poètes du ve siècle av. J.-C. au pythagorisme,
voir A. Le Boulluec, SC 279, p. 312 et 314-315 ; C. Macris, « Pythagore de
Samos », Annexe II, p. 1093-1095. Sur l’utilisation du label Πυθαγόρειος par
Clément, cf. David T. Runia, « Why Does Clement of Alexandria Call Philo “the
Pythagorean” ? », Vigiliae Christianae, 49, 1995, p. 1-22.
76. A. Le Boulluec, SC 279, p. 313.
77. Jamblique, Vie de Pythagore, introd., trad. et notes de Luc Brisson et
Alain-Philippe Segonds, Paris, Les Belles Lettres, 20112 [19961], p. 79 (trad.
modifiée).
78. Voir notamment les paragraphes 174-176, 183 et 203, qui semblent
reprendre Aristoxène de Tarente.
79. A. Le Boulluec, SC 279, p. 305.
80. Pour les deux sentences attribuées à Thalès et les textes parallèles à celui
de Clément, voir The Milesians : Thales, ed. Georg Wöhrle, transl. and additional
material Richard McKirahan ; collab. Ahmed Alwishah ; introd. G. Wöhrle et
788 CONSTANTINOS MACRIS

L’obéissance à Dieu ainsi conçue sera déduite d’un aphorisme


d’Héraclite (un autre penseur cher à Clément81, qui, comme
Parménide, est introduit par un appel à l’autorité de Platon en
sa faveur [115, 1-2]), νόμος καὶ βουλῇ πείθεσθαι ἑνός82, au
moyen d’une opération exégétique grâce à laquelle le sens ori-
ginel, vraisemblablement politique-monarchique, de l’affirmation
« c’est aussi une loi que d’obéir au projet / à la volonté d’un
seul », sera infléchi vers un sens théologique : « C’est une loi
et un décret (βουλή83) que d’obéir à l’Un » – cet Un qui, « pour
Clément, est encore Dieu (comme pour Platon d’après la tradition
doxographique) »84, le Dieu un et sage, non identifiable au Zeus
du polythéisme grec (ou plutôt, éventuellement identifiable à
lui sous certaines conditions, et uniquement dans le cadre d’une
compréhension correcte et adéquate de sa vraie nature), comme
le montre l’autre aphorisme de l’Éphésien cité ici par Clément :
« L’Un, le sage, seul (ἓν τὸ σοφὸν μοῦνον), ne veut pas et veut être
appelé du nom de Zeus »85.

Au terme de cette petite enquête focalisée sur un seul chapitre


des Stromates, qui offre une sorte de condensé anthologique des
idées monothéistes qu’a pu repérer Clément chez des philosophes
grecs les plus anciens, de Thalès à Platon, on ne manque pas
d’être impressionné par sa maîtrise de la tradition philosophique,
par l’acuité avec laquelle il a su repérer les auteurs et les passages
pertinents et par la subtilité de son exégèse, qui lui a permis de
s’approprier la pensée des « meilleurs » parmi les Grecs en
l’intégrant à son projet pédagogique et théologique proprement
Gotthard Strohmaier, Berlin/Boston, de Gruyter, 2014, no Th 207 (cf. Th 96,
210, 237 [I, 36] et 564 [321 d + 316]) ; Andreas Schwab, Thales von Milet in der
frühen christlichen Literatur. Darstellungen seiner Figur und seiner Ideen in den
griechischen und lateinischen Textzeugnissen christlicher Autoren der Kaiserzeit
und Spätantike, Berlin/Boston, de Gruyter, 2012, p. 69-71. Voir aussi l’article de
Daniel De Smet dans le présent fascicule.
81. Cf. Pierre Valentin, « Héraclite et Clément d’Alexandrie », Recherches de
Science Religieuse, 46/1, 1958, p. 27-59 ; Hermann Wiese, Heraklit bei Klemens
von Alexandrien, Diss. Christian-Albrechts-Universität zu Kiel, 1963.
82. Héraclite, fr. 33 Diels-Kranz = 9.D108 Laks-Most.
83. Les deux manuscrits des Stromates (Laur. Pluteus V 3 [xe-xie s.], duquel
dépend le Parisinus Suppl. Graec. 250 [xvie s.]) indiquent en effet que Clément
lisait βουλή au nominatif, et non pas au datif (βουλῇ).
84. A. Le Boulluec, SC 279, p. 339.
85. Héraclite, fr. 32 DK = 9.D45 Laks-Most (trad. P. Voulet).
PHILOSOPHES DE LA GRÈCE ANTIQUE 789

chrétien. En même temps, le dossier des textes ici examiné ouvre,


nous semble-t-il, un champ d’investigation aussi fascinant que
prometteur : celui de la mise en valeur et de l’étude approfondie
des généalogies intellectuelles et des contextes historiques d’élabo-
ration d’une pensée potentiellement « monothéiste » chez certains
philosophes et poètes de l’Antiquité sur lesquels Clément a le
mérite d’attirer notre attention86.

macris@vjf.cnrs.fr

86. Je voudrais remercier de tout cœur Polymnia Athanassiadi, Fabienne


Jourdan, Spyros Rangos, Georges Skaltsas, Joëlle Soler, Anna van den Kerchove,
ainsi que les deux experts anonymes de la Revue de l’histoire des religions, pour
leurs précieuses remarques, corrections et autres suggestions, dont certaines
ouvrent aussi des pistes prometteuses pour des recherches à venir.

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