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En guise d’
introduction
J’
ai eu un peu de mal à trouver mon titre. J’ en voulais un, même si ça n’
est pas courant pour
commencer un courrier, fût-il une « lettre ouverte » : que voulez-vous : déformation
professionnelle… Ce titre m’ est venu à l’idée, comme la plupart du temps, en toute fin de
rédaction, preuve s’ il en était que je ne savais pas trop a priori comment répondre à la
redoutable batterie de questions qu’ une collègue m’a directement posées le 9 mars sur la liste
de diffusion interlangues@ac-orleans-tours.fr :1
a) En ce qui concerne l’
évaluation, voici en quelques mots ce que l’
on peut considérer comme
les trois apports positifs du CECRL dans l’ enseignement scolaire des langues vivantes
étrangères en France.
1
Je remercie cette collègue de m’
avoir donné l’
autorisation de reproduire ses questions sous leur forme
originelle.
a’. Tous ceux qui ont élaboré des grilles et tous ceux qui les ont effectivement utilisées
savent d’ expérience qu’ il reste toujours une marge incompressible non négligeable
d’ambiguïté et de subjectivité.
b’ . Tous les dispositifs d’ évaluation-certification existants maintiennent une part
d’ évaluation de la qualité formelle de la langue dont on sait qu’ elle est obtenue –
surtout pour les premiers niveaux de compétence –sur la base d’ application consciente
de règles grammaticales ou de recours conscient à des stockages lexicaux, et donc de
connaissances.
c’. Tous les dispositifs d’évaluation-certification existants intègrent des descripteurs
« négatifs » dans les premiers niveaux de compétence, tout simplement parce que
l’absence de certaines formes linguistiques ou la présence de certaines erreurs
linguistiques constituent des descripteurs de niveaux très efficaces.
Comme j’en ai averti plus haut, je vais extraire de mes productions les quelques éléments qui
me semblent apporter des réponses concrètes à ces questions.
1. Je commence par l’ élément le plus important, et en même temps le plus évident : la prise
en compte, dans l’ évaluation continue et donc dans l’enseignement, des trois grands principes
généraux signalés ci-dessus comme les « apports positifs » du CECRL, peut certes produire des
effets intéressants de « correction didactique » par rapport à des tendances traditionnelles
opposées, mais elle ne permet en rien de fonder une nouvelle « méthodologie », « approche »
ou « perspective », quelle que soit la manière dont on désigne un ensemble cohérent de
procédés concrets d’enseignement-apprentissage3 :
1.1. Dans « Quelques questions impertinentes à propos d’un "Cadre Européen Commun de
Révérence" » (http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article990), je rappelle, sur la
diapo n° 8, qu’ il faut « quatre grandes références indispensables pour concevoir un
enseignement-apprentissage de langue étrangère » :
2
Adrien GODART, « La lecture directe », Conférence pédagogique du 27 novembre 1902 à Nancy, Revue
de l'Enseignement des Langues Vivantes, n° 11, janvier 1903, pp. 471-486. A. Godart présentait ce jour-
là la toute nouvelle Lesebuchmethode (l’ ancêtre –très ressemblante !... –de notre actuelle « explication
de textes »), née de l’ application des principes de la méthodologie directe à la lecture des textes
littéraires. Il voulait cette méthode « aussi souple que possible », et c’ est justement pour cette raison
qu’ il estimait qu’« il importe tout d'abord d'en déterminer exactement les principes ».
3
Ensemble qui devient mécaniquement, dans tout système autoritariste de formation professionnelle
comme l’ a été traditionnellement celui de la France, ce que A. Godart appelait « un recueil de
prescriptions fixes ».
1.2. Dans le CECRL, il y a en tout et pour tout cinq occurrences de l'adjectif « actionnel » :4
–Le seul passage où est décrite (très vaguement ébauchée, plutôt, comme on peut le
constater) cette nouvelle orientation en didactique des langues-cultures, ce sont les lignes
suivantes :
Un cadre de référence doit se situer par rapport à une représentation d’ ensemble très
générale de l’usage et de l’ apprentissage des langues. La perspective privilégiée ici est,
très généralement aussi, de type actionnel en ce qu’ elle considère avant tout l’
usager et
l’
apprenant d’ une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui
ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné,
à l’
intérieur d’un domaine d’ action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans
des activités langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’ intérieur d’actions en
contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. (p. 15)
L’
analyse du passage suivant du CECR consacré à la présentation de la nouvelle
« perspective actionnelle ») me semble bien montrer qu’
il y a dans ce document
passage d’une configuration didactique à une autre.
On peut en effet observer dans ces quelques lignes trois « décrochages » plus ou moins
implicites (et en partie sans doute inconscients) par rapport à l’
approche communicative
(AC) :
1) Y apparaît la distinction entre apprentissage et usage (reprise par celle entre
apprenant et usager. Or l’ exercice de référence de l’ AC est la simulation, où cette
distinction est neutralisée puisqu’ on y demande à l’ apprenant de faire précisément
comme s’ il était un usager.
2) L’ AC privilégie les tâches langagières, et, parmi les tâches langagières, les tâches
communicatives (d’ où le nom donné à cette approche). Or il est affirmé ici que les
tâches ne sont pas seulement langagières.
3) L’ agir de référence de l’ AC est l’ acte de parole, qui est un agir sur l’ autre par la
langue. Or l’ agir de référence est élargi ici à l’
action sociale.
a) Pour moi, un prof « cecrlisé » (quelle vilaine expression !, mais je sais bien que la collègue
l’
utilisait de manière ironique...), ça voudrait donc dire simplement un prof qui n’ enseignerait
pas / ne ferait pas apprendre, mais ne ferait qu’évaluer…
4
» Du moins si j’ai bien su manipuler la combinaison de touches CTRL + F : j’
ai l’
excuse, à mon âge, de
n’
avoir pas eu à valider le B2i…
La réforme impulsée par cette volonté politique et alimentée par les idées des « méthodes
actives » en vogue a donné à l’époque la méthodologie directe, si radicale et imposée si
brutalement que certains enseignants ont dénoncé publiquement un « coup d’ État
pédagogique »…
Depuis cette époque, les enseignants de langue ont construit de nombreuses réponses à la
question du « Comment former à agir en langue étrangère ? », et elles sont disponibles dans
notre tradition professionnelle. Même l’« explication de textes traditionnelle », qui peut nous
sembler si loin des orientations actuelles de la perspective actionnelle, a été conçue au début
du XXe siècle, par Adrien GODART et d’ autres, comme un entraînement à une « action » des
élèves eux-mêmes sur le texte (« l’ explication », précisément…), comme je l’ ai montré je crois
dans un article publié sur le site de l’ APLV en octobre 2006 : « Explication de textes et
perspective actionnelle : la littérature entre le dire scolaire et le faire social »
(http://www.aplv-languesmodernes.org//spip.php?article389).
Alors, qu’ est-ce que nous attendons ? De nous voir imposer un autre « coup d’ État
pédagogique » ? Que d’ autres donnent leurs propres réponses à nos propres questions et nous
imposent un nouveau « prêt-à-enseigner » ? Pour une fois –c’ est historique, je peux vous
l’
assurer !... –, qu’une nouvelle orientation didactique n’ est pas imposée « clés en mains »
(bien sûr parce qu’ il se trouve que personne ne les a, ces clés, pas plus les formateurs que les
inspecteurs, vous l’ aurez remarqué...), il faut en profiter pour la construire nous-mêmes sur le
terrain, dans nos classes, dans nos réunions pédagogiques, dans nos associations. C’ est à nous
enseignants, en tant que professionnels responsables, à répondre collectivement nous-mêmes
à toutes ces questions que m’ a posées cette collègue. Ce n’ est pas une quelconque
revendication libertaire. J’ ai déjà signalé sur cette même liste de diffusion qu’ en Finlande, les
épreuves de langues au baccalauréat sont élaborées par les associations de professeurs…
2. J’ai participé pour ma part dans la mesure de mes connaissances à cette construction
collective en proposant des éléments –quelques briques et quelques seaux de mortier, mais,
pour filer la métaphore, ce n’
est pas à moi seul à construire l’
édifice… –. Ce sont en particulier
les suivants :
2.1. À un niveau « micro » (celui des toutes petites briques), dans « Comment harmoniser le
système d’ évaluation français avec le Cadre Européen Commun de Référence ? »
(http://www.aplv-languesmodernes.org//spip.php?article30), j’ai proposé une typologie de
« l’
agir » en classe de langue dans la diapo suivante n° 26 :
5
Discours prononcé à l'ouverture du Conseil académique de Paris le 26 novembre 1902.
Et je vous copie-colle ci-dessous le commentaire que j’ en faisais dans les deux diapos
suivantes n° 27 et n° 28, parce qu’
il me paraît important de le rappeler ici in extenso :
2.2. Je passe à un niveau « macro » (de conception globale) : de la même manière que la
perspective actionnelle implique de diversifier les formes d’ agir, elle implique aussi de
diversifier les modes de mise en relation de la classe –qui constitue l’ environnement des
« tâches », c’ est-à-dire de l’
agir d’apprentissage, ou « scolaire » – et de la société –qui
constitue l’environnement des « actions », c’
est-à-dire de l’
agir d’
usage, ou « social » –:
2.3 En ce que concerne enfin le niveau intermédiaire6, qui est le niveau de la conception des
unités didactiques :
a) l’intégration didactique à partir et à propos d’ une tâche centrale; voir par ex.
http://webquest.sdsu.edu/taskonomy.html
b) le scénario: voir par ex. http://www.d-c-l.net et BOURGUIGNON Claire 20077
c) le projet en simulation: voir par ex. http://www.edufle.net/La-simulation-globale
d) le projet réel; voir par ex. http://freinet.org/icem/langues
J’
ajouterai seulement ici que les pédagogues Freinet sont bien absents des échanges actuels
sur la mise en œuvre de la perspective actionnelle en France (ou alors il mettent leur drapeau
dans leur poche, mais ce n’ est vraiment pas le genre de la maison Freinet...), à l’inverse du
Groupe Français d’ Éducation Nouvelle. Le GFEN-langues (http://gfen.langues.free.fr/) se
montre au contraire très actif, et fait des propositions tout à fait intéressantes dans la même
grande tradition historique des « méthodes actives », dont on comprend immédiatement
qu’elles puissent être, une fois adaptées aux élèves et aux enjeux de notre temps, une source
précieuse d’ inspiration et d’ expérimentation pour la mise en œuvre d’ une perspective
actionnelle.
6
Notez que je m’autocensure, je ne dis pas « au niveau méso », pour ne pas aggraver mon « jargon »…
7
La référence « BOURGUIGNON Claire 2007 » est celle d’ un article disponible lui aussi sur le site de
l’
APLV : « Apprendre et enseigner les langues dans la perspective actionnelle : le scénario
d'apprentissage-action » : http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article865.
En guise de conclusion
Je pense que vous aurez compris maintenant la signification de la première partie de mon
titre, dont je me suis montré si satisfait au début de mon texte… : « Perspective actionnelle et
perspective professionnelle ». La première passera, comme les précédentes, en venant
s’ajouter à elles dans –pour parler moderne… – le « portefeuille de compétences
professionnelles » des enseignants de langue ». C’ est la seconde –la compétence
professionnelle – que nous devons maintenir ou imposer. Les questions que nous devons
d’ abord nous poser ne sont pas celles qui concernent la perspective actionnelle, mais celles qui
portent sur la manière dont nous pouvons, sur cette toute dernière orientation didactique,
maintenir une perspective véritablement professionnelle –c’ est-à-dire tout à la fois informée,
libre et responsable, ce qui implique nécessairement qu’ elle soit collective.
8
Montréal : Éditions logiques, 1994, 418 p.