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PERSPECTIVE ACTIONNELLE ET PERSPECTIVE PROFESSIONNELLE :


QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉPONSE
À QUELQUES QUESTIONS SUR LA RÉFORME EN COURS

Lettre ouverte aux membres de la liste interlangues@ac-orleans-tours.fr

par Christian PUREN


Universités de Tallinn et de Saint-Étienne
christian.puren@gmail.com

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »

En guise d’
introduction

J’
ai eu un peu de mal à trouver mon titre. J’ en voulais un, même si ça n’
est pas courant pour
commencer un courrier, fût-il une « lettre ouverte » : que voulez-vous : déformation
professionnelle… Ce titre m’ est venu à l’idée, comme la plupart du temps, en toute fin de
rédaction, preuve s’ il en était que je ne savais pas trop a priori comment répondre à la
redoutable batterie de questions qu’ une collègue m’a directement posées le 9 mars sur la liste
de diffusion interlangues@ac-orleans-tours.fr :1

Cet article en forme de « lettre ouverte » (c’ est plutôt ça que l’


inverse…) est donc ma réponse
à cette collègue et à tous les membres de cette liste. Si j’ y renvoie systématiquement à mes
propres productions (articles et conférences), c’ est parce que j’y ai trouvé des éléments de
réponse immédiats, et qui vous sont par ailleurs directement accessibles sur le site de l’ APLV.
Mais, comme j’ aurai l’
occasion de le rappeler, la plupart de ces éléments de réponse ont été
donnés par bien d’ autres, et certains depuis bien longtemps. Il s’agit principalement pour moi,
ici, de les regrouper et de les présenter comme autant de réponses crédibles et cohérentes à
cette série de questions qui m’ ont été posées.

Il faut absolument pour cela distinguer entre le domaine de l’ évaluation et celui de


l’
enseignement-apprentissage, même si l’ un des effets pervers de la mise en avant presque
exclusive du CECRL actuellement (en France : c’ est loin d’être le cas dans d’ autres pays
européens), c’ est précisément de diffuser l’ illusion que l’ on pourrait fonder une nouvelle
méthodologie d’enseignement-apprentissage des langues-cultures étrangères (la
« perspective » ou l’« approche actionnelle », pour la nommer) sur les niveaux de compétence
du CECRL et ses descripteurs.

a) En ce qui concerne l’
évaluation, voici en quelques mots ce que l’
on peut considérer comme
les trois apports positifs du CECRL dans l’ enseignement scolaire des langues vivantes
étrangères en France.

a. évaluation précise, objective et fonctionnelle au moyen d’ un découpage en


différentes « activités langagières » et en « niveaux de compétence » définis par des
critères et des descripteurs explicites de performances observables ; ce qui permet de
mettre en place une harmonisation (entre enseignants, entre établissements, à l’échelle
nationale et européenne), mais aussi –et c’ est au moins aussi important – une
formation des élèves à l’ auto-évaluation ;
b. évaluation par les compétences et non par les connaissances ;
c. évaluation positive (ce que sait faire l'élève, et non ce qu'il devrait savoir/ savoir
faire).

1
Je remercie cette collègue de m’
avoir donné l’
autorisation de reproduire ses questions sous leur forme
originelle.

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »
Ces apports correspondent à des principes que l’ on s’ efforce d’
appliquer au mieux, sans jamais
qu’
il soit possible d’
y parvenir parfaitement. En effet :

a’. Tous ceux qui ont élaboré des grilles et tous ceux qui les ont effectivement utilisées
savent d’ expérience qu’ il reste toujours une marge incompressible non négligeable
d’ambiguïté et de subjectivité.
b’ . Tous les dispositifs d’ évaluation-certification existants maintiennent une part
d’ évaluation de la qualité formelle de la langue dont on sait qu’ elle est obtenue –
surtout pour les premiers niveaux de compétence –sur la base d’ application consciente
de règles grammaticales ou de recours conscient à des stockages lexicaux, et donc de
connaissances.
c’. Tous les dispositifs d’évaluation-certification existants intègrent des descripteurs
« négatifs » dans les premiers niveaux de compétence, tout simplement parce que
l’absence de certaines formes linguistiques ou la présence de certaines erreurs
linguistiques constituent des descripteurs de niveaux très efficaces.

Les grilles et protocoles des évaluations-certifications commerciales ne doivent faire illusion ni


à leurs créateurs, ni à leurs utilisateurs. Ces outils et leur mise en œuvre relèvent d’ une
méthode, et, comme le disait déjà l’ un des grands méthodologues de l’ enseignement des
langues du début du XXe siècle, Adrien GODART, « une méthode se définit plus efficacement
par le but qu'elle se propose d'atteindre que par les moyens qu'elle emploie. C'est plutôt une
tendance qu'un recueil de prescriptions fixes. »2

b) Je vais m’ intéresser dans la suite de ce texte non pas à l’


évaluation, mais au processus
d’enseignement-apprentissage, à la « façon d’ enseigner », pour reprendre une expression
utilisée une des questions qui m’ont été posées.

Comme j’en ai averti plus haut, je vais extraire de mes productions les quelques éléments qui
me semblent apporter des réponses concrètes à ces questions.

1. Je commence par l’ élément le plus important, et en même temps le plus évident : la prise
en compte, dans l’ évaluation continue et donc dans l’enseignement, des trois grands principes
généraux signalés ci-dessus comme les « apports positifs » du CECRL, peut certes produire des
effets intéressants de « correction didactique » par rapport à des tendances traditionnelles
opposées, mais elle ne permet en rien de fonder une nouvelle « méthodologie », « approche »
ou « perspective », quelle que soit la manière dont on désigne un ensemble cohérent de
procédés concrets d’enseignement-apprentissage3 :

1.1. Dans « Quelques questions impertinentes à propos d’un "Cadre Européen Commun de
Révérence" » (http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article990), je rappelle, sur la
diapo n° 8, qu’ il faut « quatre grandes références indispensables pour concevoir un
enseignement-apprentissage de langue étrangère » :

1. un modèle de description de la langue : une grammaire ;


2. un modèle de description de la compétence langagière ;
3. un modèle de description du processus d’ apprentissage de la langue ou d’
acquisition
d’une compétence langagière : une théorie cognitive ;
4. un modèle de description des modes de mise en relation du processus
d’apprentissage et du processus d’ enseignement : une méthodologie.

2
Adrien GODART, « La lecture directe », Conférence pédagogique du 27 novembre 1902 à Nancy, Revue
de l'Enseignement des Langues Vivantes, n° 11, janvier 1903, pp. 471-486. A. Godart présentait ce jour-
là la toute nouvelle Lesebuchmethode (l’ ancêtre –très ressemblante !... –de notre actuelle « explication
de textes »), née de l’ application des principes de la méthodologie directe à la lecture des textes
littéraires. Il voulait cette méthode « aussi souple que possible », et c’ est justement pour cette raison
qu’ il estimait qu’« il importe tout d'abord d'en déterminer exactement les principes ».
3
Ensemble qui devient mécaniquement, dans tout système autoritariste de formation professionnelle
comme l’ a été traditionnellement celui de la France, ce que A. Godart appelait « un recueil de
prescriptions fixes ».

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »
Je les passe en revue dans les diapos suivantes de cette conférence, avec à chaque fois une
citation extraite du CECRL où les auteurs déclarent eux-mêmes ne pas vouloir ou ne pas
pouvoir proposer quelque modèle que ce soit.

1.2. Dans le CECRL, il y a en tout et pour tout cinq occurrences de l'adjectif « actionnel » :4

–Quatre occurrences sont de simples mentions :


–« visée actionnelle », p. 16 ;
–« modèle d'ensemble [...] de type résolument actionnel », p. 19 ;
–« l'approche actionnelle retenue » (p. 40) ;
–« une approche actionnelle », p. 137).
On voit que l’appellation de la nouvelle orientation didactique n’
est même pas stabilisée, qui
hésite entre « perspective », « approche » « visée » et « modèle ».

–Le seul passage où est décrite (très vaguement ébauchée, plutôt, comme on peut le
constater) cette nouvelle orientation en didactique des langues-cultures, ce sont les lignes
suivantes :

Un cadre de référence doit se situer par rapport à une représentation d’ ensemble très
générale de l’usage et de l’ apprentissage des langues. La perspective privilégiée ici est,
très généralement aussi, de type actionnel en ce qu’ elle considère avant tout l’
usager et
l’
apprenant d’ une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui
ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné,
à l’
intérieur d’un domaine d’ action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans
des activités langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’ intérieur d’actions en
contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification. (p. 15)

Sur ce passage, je renvoie à la diapo n° 22 de ma conférence de septembre 2006 «Comment


harmoniser le système d’évaluation français avec le Cadre Européen Commun de Référence ? »
(http://www.aplv-languesmodernes.org//spip.php?article30) :

L’
analyse du passage suivant du CECR consacré à la présentation de la nouvelle
« perspective actionnelle ») me semble bien montrer qu’
il y a dans ce document
passage d’une configuration didactique à une autre.
On peut en effet observer dans ces quelques lignes trois « décrochages » plus ou moins
implicites (et en partie sans doute inconscients) par rapport à l’
approche communicative
(AC) :
1) Y apparaît la distinction entre apprentissage et usage (reprise par celle entre
apprenant et usager. Or l’ exercice de référence de l’ AC est la simulation, où cette
distinction est neutralisée puisqu’ on y demande à l’ apprenant de faire précisément
comme s’ il était un usager.
2) L’ AC privilégie les tâches langagières, et, parmi les tâches langagières, les tâches
communicatives (d’ où le nom donné à cette approche). Or il est affirmé ici que les
tâches ne sont pas seulement langagières.
3) L’ agir de référence de l’ AC est l’ acte de parole, qui est un agir sur l’ autre par la
langue. Or l’ agir de référence est élargi ici à l’
action sociale.

Deux conclusions partielles, à ce moment de ma réponse :

a) Pour moi, un prof « cecrlisé » (quelle vilaine expression !, mais je sais bien que la collègue
l’
utilisait de manière ironique...), ça voudrait donc dire simplement un prof qui n’ enseignerait
pas / ne ferait pas apprendre, mais ne ferait qu’évaluer…

4
» Du moins si j’ai bien su manipuler la combinaison de touches CTRL + F : j’
ai l’
excuse, à mon âge, de
n’
avoir pas eu à valider le B2i…

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »
b) La réponse à la question « Qu'est-ce qu'un prof qui met en oeuvre l'approche actionnelle ? »
n’est pas dans le CECRL. Mais la question non plus ne date pas du CECRL. La question
« Qu’ est-ce qu’un prof qui donne à ses élèves la capacité d’ agir en langue étrangère ? »
traverse toutes les méthodologies depuis un siècle. La première fois qu’ on se pose la question
et qu’ on en recherche la réponse dans l’ enseignement des langues étrangères en France, c’ est
dans un contexte idéologique qui rappelle fort le contexte actuel, celui de la compétition
internationale exacerbée des années 1890-1902 (à l’ époque il s’agissait principalement de
rivalité franco-allemande). C’ est l’époque ou Charles Schweitzer, professeur d’ allemand de son
état (et futur grand-père paternel de Jean-Paul Sartre), pouvait déclarer, dans un discours de
distribution des prix le 31 juillet 1893 : « Les langues vivantes font désormais partie de notre
défense nationale ! ». Dix ans plus tard, Louis Liard, Vice-Recteur de l'Académie de Paris, dans
un autre discours encore plus solennel5, justifiait ainsi les réformes en cours dans toute la
pédagogie scolaire :

Partout ce sont d'intenses courants d'idées, courants de science, courants de richesse;


mise en valeur du sol, des forces de la nature et des forces de l'homme. (...) Il faut
agir, sous peine de dépérir, il faut affronter les courants, sous peine d'être laissé au
rivage, comme une épave. Aussi un enseignement national qui ne serait pas résolument
moderne par la substance et par l'esprit ne serait-il pas simplement un anachronisme; il
deviendrait un péril national.

La réforme impulsée par cette volonté politique et alimentée par les idées des « méthodes
actives » en vogue a donné à l’époque la méthodologie directe, si radicale et imposée si
brutalement que certains enseignants ont dénoncé publiquement un « coup d’ État
pédagogique »…

Depuis cette époque, les enseignants de langue ont construit de nombreuses réponses à la
question du « Comment former à agir en langue étrangère ? », et elles sont disponibles dans
notre tradition professionnelle. Même l’« explication de textes traditionnelle », qui peut nous
sembler si loin des orientations actuelles de la perspective actionnelle, a été conçue au début
du XXe siècle, par Adrien GODART et d’ autres, comme un entraînement à une « action » des
élèves eux-mêmes sur le texte (« l’ explication », précisément…), comme je l’ ai montré je crois
dans un article publié sur le site de l’ APLV en octobre 2006 : « Explication de textes et
perspective actionnelle : la littérature entre le dire scolaire et le faire social »
(http://www.aplv-languesmodernes.org//spip.php?article389).

Alors, qu’ est-ce que nous attendons ? De nous voir imposer un autre « coup d’ État
pédagogique » ? Que d’ autres donnent leurs propres réponses à nos propres questions et nous
imposent un nouveau « prêt-à-enseigner » ? Pour une fois –c’ est historique, je peux vous
l’
assurer !... –, qu’une nouvelle orientation didactique n’ est pas imposée « clés en mains »
(bien sûr parce qu’ il se trouve que personne ne les a, ces clés, pas plus les formateurs que les
inspecteurs, vous l’ aurez remarqué...), il faut en profiter pour la construire nous-mêmes sur le
terrain, dans nos classes, dans nos réunions pédagogiques, dans nos associations. C’ est à nous
enseignants, en tant que professionnels responsables, à répondre collectivement nous-mêmes
à toutes ces questions que m’ a posées cette collègue. Ce n’ est pas une quelconque
revendication libertaire. J’ ai déjà signalé sur cette même liste de diffusion qu’ en Finlande, les
épreuves de langues au baccalauréat sont élaborées par les associations de professeurs…

2. J’ai participé pour ma part dans la mesure de mes connaissances à cette construction
collective en proposant des éléments –quelques briques et quelques seaux de mortier, mais,
pour filer la métaphore, ce n’
est pas à moi seul à construire l’
édifice… –. Ce sont en particulier
les suivants :

2.1. À un niveau « micro » (celui des toutes petites briques), dans « Comment harmoniser le
système d’ évaluation français avec le Cadre Européen Commun de Référence ? »
(http://www.aplv-languesmodernes.org//spip.php?article30), j’ai proposé une typologie de
« l’
agir » en classe de langue dans la diapo suivante n° 26 :

5
Discours prononcé à l'ouverture du Conseil académique de Paris le 26 novembre 1902.

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »

Et je vous copie-colle ci-dessous le commentaire que j’ en faisais dans les deux diapos
suivantes n° 27 et n° 28, parce qu’
il me paraît important de le rappeler ici in extenso :

1. La communication étant à la fois le moyen et l’ objectif dans l’ approche


communicative, on y confond forcément l’ orientation communication et l’ orientation
résultat. Mais il faut les distinguer si l’on sort de l’
approche communicative :
- « Vous venez de voir un film. Racontez-le à votre voisin, qui le racontera à son
tour » est la consigne d’ une tâche orientée « communication ».
- « Vous venez de voir un film, et vous cherchez à persuader votre voisin qu’ il
doit absolument aller le voir » est la consigne d’ une tâche orientée « résultat ».
On peut parfaitement avoir compris et retenu tout le scénario d’ un film sans avoir
aucunement envie d’ aller le voir. Les deux tâches sont bien différentes puisque le
critère principal d’ évaluation est différent. On demandera au voisin : « Peux-tu
maintenant raconter ce film à ton tour ? », ou : « As-tu maintenant envie d’ aller voir ce
film ? ». Et, sans doute : « Pourquoi ? ». Et si le voisin a été convaincu, c’ est
certainement parce que son camarade ne lui a pas raconté le scénario, mais qu’ il en a
choisi et mis en valeur quelques éléments : ce qu’ il lui a communiqué était « orienté
résultat », et non « communication ». Pour un certain nombre de types de film,
d’ ailleurs (comme les films policiers ou plus généralement les « films à suspense), il ne
faut surtout pas raconter tout le scénario pour que son interlocuteur ait encore envie
d’ aller le voir !
2. L’ approche communicative privilégiait indûment 1 seul type d’ agir sur 7 possibles en
classe de langue. Heureusement qu’ enseignants et concepteurs de manuels ne se sont
jamais privés des autres, hérités des constructions didactiques antérieures, pour
assurer la diversité nécessaire des méthodes !...
3. Ce serait répéter la même erreur historique de penser que désormais seule l’« action
» devrait être le mode d’ agir à privilégier en classe de langue. D’ abord parce que cela
se révèlerait concrètement impossible, ensuite parce que tous les élèves ont besoin

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »
d’une progressivité et d’ une diversité d’ agir (tous n’ apprennent pas de la même
manière, tous n’ ont pas les mêmes besoins au même moment et n’ auront sans doute
pas les mêmes besoins plus tard).
4. Il faut passer en didactique des langues-cultures d’ une pensée unique à une pensée
complexe, ce qui implique de changer le changement dans nos représentations, nos
comportements et nos conceptions professionnels :
- L’ innovation a été conçue jusqu’ à présent en fonction du paradigme
d’optimisation et donc d’ une conception du progrès par substitution : si on considère
qu’une nouvelle méthode est meilleure que la précédente dans l’ absolu, on la substitue
logiquement à l’ ancienne.
- L’approche actionnelle du CECR ne sera efficace en termes d’ amélioration de
l’
enseignement-apprentissage des langues en Europe qui si elle est pensée et mise en
œuvre en fonction du paradigme d’ adéquation (est meilleur ce qui est le plus pertinent
et efficace à un certain moment), ce qui implique une conception du progrès par
addition (un enseignant qui progresse est un enseignant qui ajoute une méthode à
celles qu’ il maîtrisait déjà). Ce qui m’ intéresse personnellement dans la nouvelle
configuration qui s’ ébauche, ce n’est pas qu’ elle serait la meilleure, mais que c’est une
supplémentaire, qui permettra de mieux s’ adapter à certains moments à certains
élèves, à certains besoins, à certains objectifs.

2.2. Je passe à un niveau « macro » (de conception globale) : de la même manière que la
perspective actionnelle implique de diversifier les formes d’ agir, elle implique aussi de
diversifier les modes de mise en relation de la classe –qui constitue l’ environnement des
« tâches », c’ est-à-dire de l’
agir d’apprentissage, ou « scolaire » – et de la société –qui
constitue l’environnement des « actions », c’
est-à-dire de l’
agir d’
usage, ou « social » –:

On peut noter que l’ approche communicative privilégiait (indûment) l’ intersection C. La


perspective actionnelle implique au contraire de diversifier les intersections à l’
intérieur des
unités didactiques.

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »
Dans les 3 diapos suivantes de cette même conférence, je présente concrètement, à partir
d’une page de manuel, la différence désormais essentielle entre la « préparation » (à laquelle
se limitait l’
approche communicative) et la « conception » dont la prise en charge collective en
semi-autonomie par les élèves apparaît comme l’ une des implications fondamentales de la
perspective actionnelle.

2.3 En ce que concerne enfin le niveau intermédiaire6, qui est le niveau de la conception des
unités didactiques :

2.3.1. Dans ma conférence « Quelques questions impertinentes à propos d’ un "Cadre


Européen Commun de Révérence" » (http://www.aplv-
languesmodernes.org/spip.php?article990), j’ ai proposé, « Quelques implications didactiques
de la perspective actionnelle » (diapo n° 31) :

1. Généraliser en classe les différentes formes possibles d’


action
2. Construire des unités didactiques sur la base de l'unité d'action, et non plus
seulement de communication
3. Mettre les documents au service de l'action, et non plus seulement les tâches au
service des documents.
4. Mettre les différentes « compétences langagières » (CO/CE/EO/EE) au service de
l’
action, et non plus seulement de la communication.
5. Mettre en œuvre en classe de langue des activités de médiation entre diverses
langues, et non plus seulement de communication en langue étrangère.

Je renvoie aux diapos suivantes de cette conférence, et en particulier à la première, la n° 32,


où je présente les différentes formes possibles de conception d’ unités didactiques « orientées
action » disponibles pour l’
instant en didactique des langues-cultures :

a) l’intégration didactique à partir et à propos d’ une tâche centrale; voir par ex.
http://webquest.sdsu.edu/taskonomy.html
b) le scénario: voir par ex. http://www.d-c-l.net et BOURGUIGNON Claire 20077
c) le projet en simulation: voir par ex. http://www.edufle.net/La-simulation-globale
d) le projet réel; voir par ex. http://freinet.org/icem/langues

J’
ajouterai seulement ici que les pédagogues Freinet sont bien absents des échanges actuels
sur la mise en œuvre de la perspective actionnelle en France (ou alors il mettent leur drapeau
dans leur poche, mais ce n’ est vraiment pas le genre de la maison Freinet...), à l’inverse du
Groupe Français d’ Éducation Nouvelle. Le GFEN-langues (http://gfen.langues.free.fr/) se
montre au contraire très actif, et fait des propositions tout à fait intéressantes dans la même
grande tradition historique des « méthodes actives », dont on comprend immédiatement
qu’elles puissent être, une fois adaptées aux élèves et aux enjeux de notre temps, une source
précieuse d’ inspiration et d’ expérimentation pour la mise en œuvre d’ une perspective
actionnelle.

2.3.2. J’ ai décrit et analysé concrètement les « Formes pratiques de combinaison entre


perspective actionnelle et approche communicative : analyse comparative de trois manuels »
(http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article1409) dans un article ainsi intitulé, à
la fin duquel j’ ai proposé le tableau synoptique ci-dessous regroupant les principales
différences que l’ on peut constater entre approche communicative et perspective actionnelle
dans les unités didactiques de trois manuels différents :

6
Notez que je m’autocensure, je ne dis pas « au niveau méso », pour ne pas aggraver mon « jargon »…
7
La référence « BOURGUIGNON Claire 2007 » est celle d’ un article disponible lui aussi sur le site de
l’
APLV : « Apprendre et enseigner les langues dans la perspective actionnelle : le scénario
d'apprentissage-action » : http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article865.

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »

Je vous renvoie aux analyses de cet article, qui m’


ont fait aboutir à la synthèse ci-dessus.

En guise de conclusion

Je pense que vous aurez compris maintenant la signification de la première partie de mon
titre, dont je me suis montré si satisfait au début de mon texte… : « Perspective actionnelle et
perspective professionnelle ». La première passera, comme les précédentes, en venant
s’ajouter à elles dans –pour parler moderne… – le « portefeuille de compétences
professionnelles » des enseignants de langue ». C’ est la seconde –la compétence
professionnelle – que nous devons maintenir ou imposer. Les questions que nous devons
d’ abord nous poser ne sont pas celles qui concernent la perspective actionnelle, mais celles qui
portent sur la manière dont nous pouvons, sur cette toute dernière orientation didactique,
maintenir une perspective véritablement professionnelle –c’ est-à-dire tout à la fois informée,
libre et responsable, ce qui implique nécessairement qu’ elle soit collective.

Cela ne veut pas dire qu’ il ne faille pas s’


investir dans la réflexion et l’
expérimentation sur la
perspective actionnelle, au contraire, puisqu’ elle représente pour notre profession une nouvelle
occasion historique de nous remettre ensemble en mouvement et de nous reposer ensemble
des questions. Or, comme je l’ ai déjà écrit à plusieurs occasions, l’une des lois fondamentales
de notre discipline (et sans doute de toute la pédagogie) est que le niveau de compétence
professionnelle d’un enseignant est inversement proportionnel au nombre de ses certitudes, et
directement proportionnel au nombre des questions qu’ il se pose. Cette activité auto-
interrogative est au cœur du métier de l’ enseignant : on peut dire dans son cas que la
perspective professionnelle est une perspective actionnelle appliquée à l’ activité professionnelle
elle-même. C'est la thèse qui a fait le succès, voilà déjà près de 15 ans, d'un ouvrage de
Donald A. SCHÖN qui s'intitulait Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l'agir
professionnel.8 Pour l’essentiel, les réponses aux questions que nous nous posons sont à
chercher par nous-mêmes dans nos pratiques elles-mêmes.

8
Montréal : Éditions logiques, 1994, 418 p.

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Christian PUREN : « Perspective actionnelle et perspective professionnelle :
quelques éléments de réponse à quelques questions sur la réforme en cours »
Je terminerai cette lettre ouverte comme le font désormais certains de mes étudiants qui
m’envoient leurs devoirs à corriger ou leurs textes à relire :

« En vous souhaitant une bonne lecture. »

Je suppose que la formule leur semble plus professionnelle…

Tallinn, le 11 mars 2008


Christian Puren

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