Vous êtes sur la page 1sur 3

ETUDE DE CAS : PROFIL DE L’ENTREPRENEUR

« Le cas de Manssour1 »

« Au départ, ma formation est technique. J’ai un diplôme dans les techniques de froid industriel et
de climatisation. J’ai travaillé trois ans chez Casafroid, une entreprise basée à Casablanca, national
dans ce secteur en m’occupant de projets importants, au début de ma vie professionnelle, j’ai exercé
un métier très technique. Puis, j’ai repris mes études pour acquérir un bagage plus managérial et
j’ai intégré le MBA de l’ISCAE. Au cours de ce programme, j’ai rencontré un professeur, lors d’un
cours de création d’entreprise, et il a semé une petite graine qui a germé qui était celle de pourquoi
pas créer une entreprise. À cette époque-là, l’idée même de créer une entreprise m’était tout à fait
étrangère, je ne m’étais jamais intéressé à ce sujet et personne dans ma famille, parents, oncles
tantes, cousins, n’a jamais créé ou possédé une entreprise. Mon père et ma mère sont tous deux
fonctionnaires, dans l’enseignement, autant dire que l’entreprise, le mode des affaires et la création
n’ont jamais alimenté nos discussions. Mais, pendant ce cours, je me suis mis à réfléchir à cette
situation, créer, développer, diriger une entreprise, et cela m’a de plus en plus intéressé, car j’y
voyais une occasion de m’épanouir et de satisfaire, mieux qu’en travaillant dans une grande
entreprise, des objectifs personnels et des motivations. En me posant et reposant la question, je me
suis dit « pourquoi pas? », je ne suis pas marié, je n’ai pas d’enfant, et je n’ai pas beaucoup d’argent.
Je n’avais donc pas grand-chose à perdre à l’époque. La création d’entreprise nous fait rentrer dans
un processus qui nous accapare, on voit moins ses amis, on voit moins, moins sa famille, on sort
moins, c’est d’autant plus facile qu’on n’a pas les moyens et on se concentre sur son projet.
J’ai démarré seul, puis un de mes amis m’a rejoint, un « Marrakechi » qui est devenu mon associé
à l’époque. En fait, il y avait, au démarrage, théoriquement plus d’associés que ça, mais beaucoup
ont montré des velléités d’accompagner l’entreprise dans sa phase de démarrage sans pour autant
y être intégrés financièrement, c’est-à-dire en mettant de l’argent et en prenant des parts dans le
capital. Même les plus convaincus, ceux qui voulaient participer financièrement, se sont désistés,
au fil du temps, et n’assistaient plus aux réunions importantes, celles où il fallait prendre des
décisions, et il nous a fallu revoir notre projet, le business plan et les besoins financiers.

J’ai fait tout cela sans être trop démotivé, j’ai repensé les choses, et je suis resté accroché au projet
de création d’entreprise, car ce n’est pas au dernier moment, après plus d’une année de travail, que
vous remettez tout en cause pour actualiser un résumé de carrière et partir dans la recherche d’un

1
Manssour a créé une entreprise qui est âgée de plus de 10 ans au moment de l’interview réalisée en février 2008.
Nous reprenons ici une partie de l’histoire de la création de son entreprise racontée par Manssour lors de l’entretien. Il
se focalise principalement sur les conditions initiales, l’émergence de son intention d’entreprendre, la prise de décision
et le tout début de la vie du projet.
emploi salarié. Surtout que la recherche d’emploi, je l’avais déjà engagée à mon retour de l’étranger
et je m’étais rendu compte qu’il y a quelque chose d’incompatible entre créer une entreprise et
chercher un emploi. Ça paraît impossible de faire les deux en même temps.
Moi, je l’ai vécu sans vraiment le savoir. Je partageais, à l’époque, un appartement avec un ami,
qui suivait, un an après moi, le même programme MBA à l’ISCAE Business School. Il y avait la
vie de tous les jours, il avait sa problématique d’école et moi, j’avais ma problématique de création
d’entreprise mais en même temps j’étais indécis, je ne savais pas trop. J’avais un résumé de carrière
qui était plutôt pas mal, mais il fallait certainement retourner à casablanca, ce qui ne me plaisait
qu’à moitié. J’ai quand même envoyé deux ou trois lettres et j’ai eu des entretiens et c’est vrai que
lorsque vous rentrez dans un cabinet de recrutement casablancais, très cossu, très bien où on vous
présente l’entreprise vous vous rendez compte, assez vite, que ce que l’on peut vous proposer est
très intéressant. L’entreprise est importante et connue internationalement, le poste est
particulièrement intéressant et le salaire n’a absolument rien à voir avec ce que vous allez gagner
en créant votre entreprise (dans mon cas, je n’ai rien gagné pendant plusieurs mois). Après
l’entretien qui s’est bien passé, vous rentrez chez vous et c’est quasiment impossible d’allumer
l’ordinateur pour se remettre sur une théorie fumeuse de création d’entreprise où on ne sait
absolument pas où ça va aller… donc l’ordinateur, vous le laissez éteint… et au bout d’une
semaine, vous le rallumez mais vous n’avez pas avancé… Vous faites ça trois ou quatre fois et
votre projet de création d’entreprise, vous l’enterrez!
Parce que ce premier entretien, sera suivi d’un autre où on rentrera plus dans les détails, jusqu’à ce
qu’il devienne quasiment impossible de revenir en arrière. Donc, il a fallu faire un choix qui a vite
été fait. Je me suis posé la question: alors, je fais quoi? Il y a des choses que je pouvais faire plus
tard et d’autres qui ne peuvent pas attendre. Certes, on peut toujours créer une entreprise dans sa
vie mais il y a des moments et des conditions plus favorables. Il m’a semblé, que dans mon cas, les
conditions favorables étaient réunies. J’ai donc pris la décision d’arrêter la recherche d’emploi et
de ne plus répondre aux sollicitations de gens que j’avais rencontrés, au cours de mes entretiens. À
partir de là, je me suis consacré totalement à la création de mon entreprise.
Ce projet de création d’entreprise, il n’avait aucune raison d’être a priori, c’est un projet qui était
dans l’agroalimentaire et c’était plus un côté passion, un côté plaisir. Au moins, si ça ne marche
pas, j’aurai appris à connaître l’huile d’olive ce qui pour quelqu’un comme moi qui aime faire la
cuisine, était une chose qui peut être utile dans la vie de tous les jours. J’ai bien conscience
aujourd’hui que ce n’est pas comme ça qu’on construit un business plan, mais il y avait, en moi,
cette pensée qui faisait que même si ça ne marchait pas tout de suite, c’était tellement passionnant
que j’aurai la patience pour mettre des choses en place qui feraient que ça marcherait un jour.
C’est vrai que le secteur de l’huile d’olive est un milieu très difficile, où on gagne peu d’argent,
qui crée très peu de valeur, c’est un milieu traditionnel, qui a vingt siècles d’existence Au Maroc,
c’est un milieu très traditionnel dans la mentalité des gens qui fonctionnent là-dedans qui sont aussi
bien dans la production, l’oléiculture, que dans le négoce. C’est un milieu qui en plus, a une
particularité régionale, au Maroc, on n’a pas du tout les mêmes ressorts, les mêmes leviers à activer
si vous vous trouvez par exemple, à la région de Fès-Meknès ou dans la région du Marrakech.
Donc c’est une appréhension d’un environnement qui m’est apparu, vite, très complexe. Pour
mieux connaître ce secteur et comprendre cette complexité, j’ai donc pris une année pour me
promener au Maroc, pour aller dans les fermes, pour goûter les huiles, pour rencontrer des gens et
pour faire mûrir un peu ce projet. L’idée de départ, que je n’ai jamais mise en pratique, était
d’appliquer à la vente de l’huile d’olive, le système Tupperware: on organise des réunions chez des
particuliers, on fait goûter des huiles, on fait des cadeaux, etc. Bref, il s’agissait de travailler avec
des passionnés, de créer un réseau de consommateurs éclairés qui veuillent bien faire des réunions
chez eux, pour vendre des huiles de qualité, rigoureusement sélectionnés. Mais ce qui marche bien
avec des boîtes en plastique, parce qu’il y a une très forte marge sur ce type de produits, ne
fonctionne pas dans le monde de l’huile d’olive, car les marges sont trop faibles et j’en suis arrivé
très vite à la conclusion que cette première idée n’était pas viable. J’ai donc changé un petit peu
d’optique et je suis vite arrivé vers quelque chose, le négoce de l’huile, qui, somme toute, est assez
classique, notamment dans le choix et la mise en œuvre des modes de distribution. Simplement, je
me suis rendu compte que sur le marché de l’huile d’olive, il y a des marchés qui pouvaient
m’intéresser, comme les chaînes d’hôtels et les restaurants.
J’avais identifié ces cibles parce que n’ayant pas de force de vente sur le terrain, il n’était pas
question que j’aille voir des particuliers pour leur vendre quelques cartons de l’huile. Il semblait
beaucoup plus logique et efficient d’aller voir des chaînes d’hôtels et de restaurants pour négocier
avec les services centraux et ensuite vendre à tous les hôtels et restaurants. Je me suis rendu compte
que ces clients s’adressaient à des grossistes qui vendaient toutes sortes de boissons: eau, sodas,
café, thé, huiles etc. Mais l’huile d’olive c’est un produit particulier, ce n’est pas de, ce n’est pas
du café, c’est tout autre chose qui nécessite une expertise bien particulière! Alors, je suis allé
convaincre des décideurs nationaux des chaînes d’hôtels qui m’ont au moins prêté leur nom pour
que j’aille voir ensuite les directeurs d’établissements dans les différents sites d’implantation. Et,
ça a commencé comme ça ! Mes premiers clients ont été des hôtels appartenant à des chaînes, mon
tout premier client était la chaîne d’hôtels Ibis.
Au début, j’ai démarré tout seul, dans un très vieil appartement de la ville de Fès.
C’était très amusant car l’escalier était très étroit, en voûte, il fallait monter les cartons. Dans les
premiers mois, il n’y en avait pas beaucoup et puis, au bout d’un moment, il y avait plus de cartons
que d’affaires à moi dans l’appartement et c’était plus moi qui logeais l’entreprise mais l’entreprise
qui me logeait parce que des cartons, il y en avait même dans ma baignoire, il y en avait de
partout!».

TAF :

1- Comment expliquez-vous le déclenchement du processus de création d’entreprise dans le


cas de Manssour? Quels sont les événements qui l’amènent à envisager (à désirer) une
création d’entreprise?
2- Comment définissez-vous le profil entrepreneurial de Manssour? Quelles caractéristiques
clés avez-vous identifiées chez lui?
3- Quelles sont les forces et les faiblesses de Manssour, telles qu’elles vous apparaissent?
4- Comment expliquez-vous l’engagement quasiment irréversible de Manssour dans le
processus ? Quelles décisions et ou actions l’ont conduit à cet engagement?
5- D’après vous, est-ce le bon moment de devenir entrepreneur pour Manssour? Est-ce la
bonne situation entrepreneuriale? Comment jugez-vous le niveau d’adéquation entre Rémi
et son projet?
6- D’une manière générale, comment aborderiez-vous cette série de questions relatives au
comportement entrepreneurial : Quand, Où et Comment devenir entrepreneur?

Vous aimerez peut-être aussi