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ANESTHESIE HYPNOTIQUE EXCLUSIVE DANS UN CADRE CHIRURGICAL

Bien souvent, on parle de chirurgie sous Hypnose sans préciser qu'il s'agit d'Hypno-sédation:
le patient qui subit l'intervention se trouve sous anesthésie locale, à laquelle est ajoutée un
sédation consciente par voie intraveineuse et l'hypnose ne vient qu'en complément pour
éviter une anesthésie générale. Dans ce cas, il y a un abaissement du seuil douloureux mais
surtout un travail sur l'anxiété qui va du coup permettre de changer de cadre; ce qui est
déjà remarquable

Et puis il y a les autres cas; quand seule l'utilisation de l'hypnose est possible.
Soyons clairs ; ces cas sont exceptionnels : Même au cours d'une pratique déjà longue, s'il
m'est arrivé comme à tous mes confrères de voir tous les un ou deux ans, arriver quelqu'un
se déclarant allergique ; le problème s'est en general réglé très facilement : une démarche
médicale simple et pourtant impérative est de vérifier l'effectivité de ces allergies avec un
correspondant dont c'est le travail. Ne serait-ce que pour le cadre dans lequel vit le patient
(ses croyances ; son statut) ; ne pas le rendre dépendant d'un praticien particulier qui ne
déménagera pas avec lui, ou finira par partir à la retraite, ou qui ne sera pas présent si un
accident le conduit aux urgences à qui l'information sur les produits autorisés ou non pourra
être facilement délivrée; est une obligation médicale et éthique Dans mon cas, le simple fait
de tester de l'Articaïne et de la Pressicaïne a résolu massivement le problème ; parfois de
façon particulière (une patiente qui arrivait allergique " à tout ..Même la cortisone !! " se
révèle allergique à rien et annule son RV vraisemblablement pour maintenir son statut de
victime dans son cadre familial) .
L'Anesthésie uniquement par Hypnose ne doit donc pas être la résultante d'un caprice ou
d'une croyance du patient , ni d'un désir de performance de l'opérateur. Cela ne signifie pas
pour autant que cela interdit à un patient donné d'user de ses capacités : pour exceptionnel
que ce soit, l'autohypnose peut être le choix d'un patient qui la pratique avec habileté pour
autant que cela n'entrave pas le travail du chirurgien ; que le patient puisse signaler son
besoin d'un recours aux anesthésiques habituels pendant l'intervention et que le chirurgien
puisse lui aussi en décider si cela lui parait nécessaire.

Mais revenons à notre cas:


Monsieur S…. a eu nos coordonnées par l'intermédiaire d'un anesthésiste; le Docteur B…
Monsieur S… souffre de cytopathie mitochondriale qui interdit tout recours à un
anesthésique sauf risque vital. A l'hôpital il lui a été répondu qu'il n'y aurait pas
d'intervention sous AG " pour juste des dents ". Il doit y avoir 7 à 8 extractions dont une
dent de sagesse. Plusieurs sont des foyers infectieux actifs et après qu'aucun dentiste de sa
région n'ait accepté de le prendre en charge, il prend depuis des mois des AB à dose filée.
Par ailleurs un problème de clapet le rend susceptible de faire des fausse routes n'importe
quand; il se nourrit quasi exclusivement de yaourts et nous ne pourrons donc pas rincer la
zone quand nécessaire au risque que de l'eau passe dans ses poumons ce qui va diminuer la
visibilité pendant l'intervention.
J'apprendrai également pendant notre première rencontre qu'il est parfois sujet à des crises
d'épilepsie…j'ai pensé furtivement ne pas accepter de procéder à une séance d'hypnose
mais le fait que venant de très loin il ait dû arriver la veille, et que 2 médecins soit présents là
où j'exerce ce jour-là, font que je vais accepter quand même.

la première chose à faire était choisir les outils:


a/ Safe place ( lieu sûr ). Et Hypnose la plus profonde possible. Marquer la sécurité ; la
distance ; l'indifférence, et garder le sujet actif au sein de cette safe place pour éviter qu'il ne
s'intéresse à ce que je fais.
b/Anesthésie hypnotique

Ensuite il fallait induire. Qu'y avait-il de positif dans cette situation : le besoin du patient
m'assurait et de ses attentes et de sa compliance. Le patient m'est adressé par un
anesthésiste. Je récupère donc une position d'autorité qui favorise la suggestibilité et pour
reprendre les propos d'un ami ; après le rejet par tous mes confrères je suis " le dernier
saloon avant le désert". Et il y a un besoin de sécurité. Je vais donc être assez directif. En
tous cas sur l'objectif; et peut-être sur la forme; mais pas d'artistiquement vague: le bateau a
besoin d'un skipper.

Nous démarrons sur un variante d'Elman ( hors fauteuil : il s'agit de quelque chose que je
décris comme un apprentissage; une découverte et donc côte à côte; à mon bureau) proche
du " comme si .." cher à Yves Halfon. Je mets en place une catalepsie du bras. Le patient
répond bien semble-t-il ( mouvements oculaires sous les paupières ; flaccidité du visage;
modification de la respiration et de la déglutition; relaxation de la posture en plus de la
catalepsie qu'il semble tenir sans efforts)
Je procède alors à divers approfondissements; lui fais explorer une safe place; et lui
demande de la marquer d'un mot qui l'exprimerait.
je vais alors me servir à plusieurs reprise de ce mot pour le faire sortir et rentrer en transe
(fractionnement de Vogt ) et l'approfondir.
Ceci fait je lui annonce qu'il va pouvoir ouvrir les yeux; qu'il va alors se déplacer jusqu’au
fauteuil dentaire et que quand le fauteuil descendra la trance s'approfondira encore; de la
même façon que chaque fois qu'il s'y réinstallera l'état d'hypnose s'installera
automatiquement et de plus en plus facilement et profondément ( C'est à la fois une
suggestion plus ou moins immédiate – implemented intention – et la préparation d'une
suggestion post hypnotique que depuis une conférence avec le Dr. Megglé j'essaye de
systématiser

Ceci obtenu; et le patient sur mon fauteuil dentaire; je passe à la phase d'anesthésie
hypnotique : pour cela je vais me servir de quelque chose vu en formation avec Olivier
Perrot: la lévitation est couplé à l'engourdissement de la main ( plus la main s'engourdit; plus
elle monte et plus elle monte plus elle s'engourdit ce qui donne 2 voies d'entrée à la
lévitation à laquelle le patient a très facilement répondu .
Le temps de la lévitation est utilisé aussi pour évoquer et une amnésie et
l'approfondissement/éloignement/indifférence et l'engourdissement qui apparait dans la
mâchoire avant même que la main ne la touche et transfert l'anesthésie.
l'anesthésie transférée à la mâchoire/dent/os/gencive /ligament on laisse redescendre la
main en décrivant cela comme un levier d'approfondissement supplémentaire.
Cette main gauche est la seule partie du corps qui pourra encore s'intéresser à l'intervention
en ayant la capacité de se lever pour me demander de m'arrêter ; tout le reste étant loin ;
absent, engourdi et occupé autre chose.

le temps consacré à tout cela a été de 45 minutes depuis l'entrée du patient dans mon
cabinet.
l'intervention a duré 15 minutes et a été consacrée a un seul secteur. J'ai été interrompu une
fois en tout début d'intervention : le patient m'a expliqué après qu'il avait été "surpris".
les suites ont été très faciles autant pour le saignement que la cicatrisation et la douleur

Au cours des autres séances ( 2 jusqu’à maintenant ) les choses ont été chaque fois plus
facile: la seule interruption a été due à un saignement important et la crainte du patient de
faire une fausse route. Elles ont été également plus faciles pur moi : moins de tension,
moins d'exigences personnelles et un meilleure compréhension de l'acte dont la posture à
adopter ; à la fois ferme et assurée ; ce qui relève de la communication non verbale, et
transmet non seulement une certaine autorité par conviction (" they do because they know
that i really mean it" . M. Erickson ) mais aussi beaucoup de sécurité au patient.
Sur ce point particulier je tiens à remercier le Dr. Dominique Méglé dont j'ai pu m'inspirer;
et Antoine Garnier que j'ai pu modéliser. C'est un élément clef que seule une certaine
expérience permet d'adresser.

Pour aussi exceptionnelle que soit la nécessité d'une telle pratique; elle reste enrichissante,
et nous rappelle à la large palette que notre enseignement doit suivre pour savoir répondre
aux besoins les plus divers de nos patients. Ils sont la carte de notre exercice.

Dr. Philippe MIRAS


Chirurgien-dentiste à Marseille
Formateur à l'AFNH

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