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Opris (Puia) Emanuela

Germana- Franceza
Anul III, Litere

Les caractéristiques d`une écriture de l`intimité ou d`une


écriture autobiographique
« Durant six années elle a vécu loin de moi. Pendant six années, j’ai tout ignoré de son
existence. Je ne savais même pas si elle était vivante. Mais une si grande passion nous
avait unis autrefois que pas un instant, je n’avais douté de notre réunion. Lorsque le
moment de la rejoindre est arrivé, je me suis jeté vers elle avec toute la passion que le
temps de la séparation avait amplifiée à un degré inimaginable. J’ai traversé le continent
tantôt dans des voitures à bestiaux, tantôt dans des wagons Pullman. J’ai couché un jour
dans un palace, le lendemain dans un grange. J’ai passé d’une rive à l’autre rive sur des
bacs improvisés. J’ai attendu, dans les caves englouties sous la neige, des trains qui
tardaient à venir, j’ai senti le froid me pétrifier dans d’hostiles salles d’attente. S’il
s’agissait de me souvenir de tout cela comme des six années vécues dans l’unique espoir
de retrouver la femme aimée, je ne le pourrais pas. Tout ce que je sais, c’est que j’ai
attendu cette femme et que j’en garde uniquement le souvenir qu’un assoiffé, sauvé du
désert, conserve de sa soif. C’est le souvenir de cette soif sans pareille, de ce désir d’une
intensité jamais encore atteinte, de rejoindre l’être adoré qui peut encore vibrer en moi :
qu’importent les lieux, les gens que j’ai rencontrés. J’étais comme un halluciné, les yeux
fixés vers la femme lointaine qu’il me fallait retrouver coûte que coûte. Possédé par cette
aspiration violente nulle douleur, nulle privation n’avait de prise sur moi. On aurait pu
enfoncer des clous dans ma chair que je l’aurais senti à
peine. Je n’avais qu’un but ; je n’avais qu’une hâte : abattre toutes les difficultés et
retrouver la bien-aimée. Sur ma route il pouvait y avoir de magnifiques couchers ou levers
de soleil ; des cités resplendissantes pouvaient jeter leurs flammes ; des hommes et des
femmes de grande beauté pouvaient me montrer les trésors de leur intelligence et de leur
âme. Rien ne me distrayait de mon chemin. »

(Ilarie VORONCA, « Journal inédit suivi de Beauté de ce monde (Poèmes 1940/46) ».


Édition présentée et établie par Petre Raileanu et Christophe Dauphin, Paris, Les
Hommes sans Épaules, 2020, p. 50.)

Le texte d'Ilarie Voronca va au-delà de raconter une histoire personnelle pour explorer
profondément l'intimité et la passion. À travers un langage poétique et émotionnel, l'auteur
nous emmène dans une quête intense de l'amour, mettant en lumière des thèmes: la
séparation, l'attente, et la réunion passionnée. L'utilisation de la métaphore du voyage à
travers le continent souligne que cette quête dépasse le physique pour devenir une exploration
émotionnelle et intérieure.
L'accent mis sur l'intensité émotionnelle, manifesté par des expressions telles que "désir d'une
intensité jamais encore atteinte," met en lumière la capacité transformatrice de l'amour dans
la vie de l'auteur. Les images symboliques du désert et de l'assoiffé ajoutent une dimension
symbolique, évoquant un besoin essentiel et une recherche fondamentale de sens dans
l'existence.
Malgré les obstacles matériels et les distractions séduisantes du voyage, l'auteur maintient son
attention constante sur la recherche de la bien-aimée. La narration se concentre sur le
processus même de la quête, mettant en avant l'aspiration passionnée plutôt que les détails du
résultat.
La plume poétique de Voronca intensifie l'émotion du récit, plongeant le lecteur dans une
expérience immersive qui le convie à partager les sentiments et les réflexions intimes de
l'auteur. Pour résumer, le texte transcende le cadre d'une simple autobiographie pour devenir
une réflexion profonde sur les aspects les plus personnels de l'amour et de la détermination.
Dans le fragment du "Journal inédit", Ilarie Voronca relate une expérience personnelle
marquante, celle de retrouver une femme aimée après six années de séparation. Nous sommes
plongés dans une profonde expérience émotionnelle qui résonne avec plusieurs aspects du
"pacte autobiographique" de Philippe Lejeune. Tout d'abord, l'auteur s'implique activement
dans la création de sa propre identité narrative, partageant avec passion son désir ardent de
retrouver un être cher après une séparation longue.
Le fragment témoigne de sa propre vie, de ses sentiments et de son parcours pour rejoindre la
personne qui lui est chère. Cette quête amoureuse devient un miroir de son monde intérieur,
mettant en lumière ses désirs, ses aspirations et son engagement passionné envers cet amour.
La passion dépeinte s'aligne avec les idéaux surréalistes auxquels l`auteur était attaché. Le
surréalisme, mouvement artistique et littéraire du début du XXe siècle, cherchait à explorer le
monde de l'inconscient, du rêve et de l'irrationnel.
Le style d'écriture de Voronca, caractérisé par des phrases courtes et percutantes, évoque une
spontanéité qui est également une caractéristique du surréalisme. Les images fortes et les
sensations intenses qu'il transmet contribuent à la création typique des œuvres surréalistes.
En analysant ce texte à la lumière du « pacte autobiographique » de Philippe Lejeune,
plusieurs caractéristiques d'une écriture de l'intimité et autobiographique émergent:
1. La première personne et l'engagement du locuteur :

En employant régulièrement la première personne (« j'ai traversé », « je me suis jeté


», « j'ai attendu »), Ilarie Voronca adopte une perspective directe qui plonge le lecteur
dans son vécu personnel. Cette utilisation récurrente du « je » crée une proximité
immédiate, établissant ainsi une connexion étroite entre l'auteur et le lecteur.
2. L'absence de certitude pendant la séparation :
L'absence de certitude durant les six années de séparation instaure une tension
émotionnelle palpable et renforce l'authenticité du récit autobiographique. L'auteur
avoue qu'il était complètement dans l'ignorance de l'existence de la femme aimée
pendant cette période, allant jusqu'à remettre en question sa survie. Cette incertitude
transparaît à travers des formulations telles que « Durant six années elle a vécu loin de
moi. Pendant six années, j’ai tout ignoré de son existence. Je ne savais même pas si
elle était vivante. ». Le manque de certitude crée un vide émotionnel et intellectuel
significatif dans la vie de l'auteur pendant cette période. L'utilisation du verbe «
ignoré » souligne non seulement le déficit d'informations concrètes, mais aussi la
dimension émotionnelle de cette absence de connaissances. L'auteur n'était pas
simplement privé de faits tangibles sur la vie de la femme aimée, mais également de
la certitude émotionnelle de sa présence dans le monde.
3. La focalisation exclusive sur la bien-aimée :

L'auteur met un fort accent sur son unique objectif et son impatience manifeste :
retrouver la bien-aimée. Cette focalisation exclusive sur la personne aimée, met en
lumière l'importance primordiale de cette relation dans la vie de l'auteur. Cette
concentration renforce le caractère intime de l'écriture en plaçant l'émotion
personnelle au centre même de l'histoire. L'auteur déclare avec conviction : « Je
n’avais qu’un but ; je n’avais qu’une hâte : abattre toutes les difficultés et retrouver la
bien-aimée. » Cette affirmation souligne la clarté de l'objectif de l'auteur, focalisé
exclusivement sur la réunion avec la personne aimée. Le choix des termes « qu'un but
» et « qu'une hâte » accentue la singularité de sa quête, laissant entrevoir l'intensité
émotionnelle qui sous-tend cette recherche.
4. La métaphore de l'assoiffé sauvé du désert :

La métaphore de l'« assoiffé, sauvé du désert » s'impose comme une image d'une
puissance évocatrice remarquable. Elle transcende le simple langage pour évoquer
une soif ardente, une quête désespérée, et un sauvetage indispensable. Cette
métaphore poétique, habilement employée par l'auteur, amplifie l'expression de ses
émotions personnelles et tisse une connexion profonde avec le lecteur. Dans cette
métaphore, l'auteur se compare à un individu assoiffé, perdu dans un désert aride de
solitude et de séparation. L'utilisation du terme « assoiffé » évoque une nécessité
vitale, soulignant l'ampleur de son besoin émotionnel de retrouver la bien-aimée.
Cette soif intense devient métaphoriquement le moteur de sa quête, créant une tension
émotionnelle palpable dans le récit.
5. L`intériorité du personnage:

L'auteur dévoile les pensées les plus intimes et les motivations les plus profondes à
travers des expressions telles que « abattre toutes les difficultés » et « retrouver la
bien-aimée ». Cette mise à nu des pensées intérieures offre un accès direct à
l'intériorité du personnage, renforçant ainsi la nature autobiographique du texte en
permettant au lecteur de partager les réflexions intimes de l'auteur. L'intériorité du
personnage transparaît à travers ces expressions clés, révélant les pensées profondes et
les motivations qui guident le protagoniste. Cette exposition des pensées intimes
enrichit l'expérience du lecteur en lui permettant de s'immerger dans la psyché du
personnage, renforçant ainsi la dimension autobiographique du texte.
6. Éloignement délibéré du monde extérieur:

Le texte illustre cette exclusion délibérée du monde extérieur en se concentrant sur le


ressenti émotionnel de l'auteur pendant ses six années d'attente passionnée. Par
exemple, l'auteur ne décrit pas en détail les magnifiques paysages qu'il a pu rencontrer
lors de son voyage pour rejoindre l'être aimé. Au lieu de cela, l'attention est
strictement dirigée vers l'expérience intérieure de l'auteur, mettant en évidence son
obsession et son engagement émotionnel. Le choix de Voronca de s'éloigner
délibérément du monde extérieur contribue à créer une atmosphère d'intimité intense,
mettant en relief la force de son désir et son obsession pour retrouver l'être aimé, une
caractéristique essentielle du "pacte autobiographique".
7. Flexibilité temporelle délibérée:

On observe clairement une flexibilité temporelle délibérée, une approche narrative qui
privilégie l'impact émotionnel sur une stricte séquence chronologique. L'auteur,
immergé dans une quête passionnée de retrouvailles avec un être cher après une
longue séparation de six ans, ne suit pas un ordre linéaire rigide dans la narration de
son parcours. Par exemple, le passage mentionne les divers moyens de transport
utilisés, les conditions de logement variées, et les rencontres avec des personnes aux
endroits les plus disparates. Dans le cadre du "pacte autobiographique", cette
flexibilité temporelle délibérée s'inscrit dans une volonté de l'auteur de prioriser
l'expression de ses émotions et de son engagement passionné.
La flexibilité temporelle délibérée dans le récit de Voronca contribue à intensifier
l'émotion et à souligner l'importance de la quête amoureuse, correspondant à la nature
subjective et passionnée de l'écriture autobiographique.
8. Fusion du narrateur et du moi:

Le mariage entre le narrateur et le moi de l'auteur est illustré de manière poignante à


travers une narration qui transcende la simple énumération des événements pour
plonger profondément dans l'univers émotionnel de l'auteur. Prenons par exemple le
passage où l'auteur décrit son voyage passionné pour retrouver l'être aimé après six
années d'éloignement. L'utilisation de la première personne, comme dans "je me suis
jeté vers elle", transcende la simple narration pour intégrer le lecteur dans l'expérience
émotionnelle de l'auteur. L'auteur ne se contente pas de raconter les faits, mais partage
intensément son désir ardent, créant une fusion entre le narrateur qui relate l'histoire et
le moi profondément impliqué émotionnellement. L'utilisation de la première
personne, combinée à des expressions émotionnelles intenses, démontre la fusion du
narrateur et du moi dans le texte de Voronca. Cette approche crée une immersion
émotionnelle captivante, conformément aux attentes du "pacte autobiographique".
Le "Journal inédit" d'Ilarie Voronca offre une plongée émotionnelle profonde. L'utilisation de
la première personne et la flexibilité temporelle créent une expérience intime. L'éloignement
du monde extérieur et la quête passionnée d'un amour perdu ajoutent une intensité captivante.
Voronca réussit ainsi à tisser une narration autobiographique qui va au-delà du conventionnel,
capturant l'essence de son vécu avec authenticité.

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