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Collège Hospitalo-Universitaire de Chirurgie Pédiatrique

MANUEL DE CHIRURGIE PÉDIATRIQUE


(chirurgie viscérale)
Année 1998

MALTRAITANCE A ENFANTS.
P.VERGNES

I – EPIDEMIOLOGIE
II - RECONNAITRE LA MALTRAITRANCE
III - L'EVALUATION
IV - LE SIGNALEMENT = CONDUITE A TENIR
V - LE TRAITEMENT DES
SIGNALEMENTS
VI - INFORMATION SUR LES SUITES DONNEES
Le concept de mauvais traitement à enfant a évolué durant ces 20 dernières années de la seule
prise en compte des sévices physiques à celle de la maltraitance psychologique puis plus récemment
des abus sexuels.
Ces trois formes majeures de maltraitance, physique, psychologique, sexuelle, peuvent être
isolées ou diversement associées entre elles.
Elles sont exercées sur des enfants ou des adolescents soit par leurs parents ou par des
personnes détentrices d'une autorité à leur égard, soit de la part de personnes étrangères voire au sein
d'institution qui en ont la garde.

I - EPIDEMIOLOGIE
Il existe une ignorance de l'ampleur réelle du phénomène et donc une sous estimation probable
de la maltraitance.
Les études épidémiologiques sont peu nombreuses; leurs résultats chiffrés sont divergents voire
contradictoires car les protocoles et les définitions retenus ne sont pas comparables.
Le Ministère de la Santé a cependant avancé le chiffre de 50.000 enfants maltraités avec 700
décès dans sa campagne d'information en 1985.
La sous estimation de la maltraitance semble être prouvée par l'actuelle augmentation du nombre
des signalements.
Ceci ne signifie probablement pas une augmentation du phénomène de maltraitance mais peut
s'expliquer par une meilleure information du public et des professionnels.
Mais la maltraitance reste encore sous évaluée pour deux raisons:

1 - La difficulté d'en faire le diagnostic


- La souffrance de l'enfant et/ou de sa famille entraînent des réflexes de défense psychologique
chez les soignants tels que: le doute, la banalisation ou la dramatisation, le refus de voir la maltraitance.
- L'émotion suscitée par les situations de maltraitance génère des attitudes paralysantes. Il
devient difficile d'agir dès que le professionnel appréhende les conséquences sociales du signalement ou
selon qu'il s'identifie à l'enfant ou à ses parents.
- Enfin les scrupules déontologiques sont fréquents par une utilisation mal comprise du secret
professionnel si bien qu'ils contribuent à renforcer le doute ou l'ignorance voire le secret.
2 - La maltraitance à enfant est un secret bien gardé.
- Par l'entourage, le voisinage immédiat voire les professionnels qui hésitent à se porter
dénonciateurs.
- Par les parents bien sûr, qui, cependant, malgré le désir qu'ils ont de la cacher, "disent" leur
maltraitance par les comportements ou attitudes qu'il faudra savoir identifier.
- Par l'enfant lui-même qui met parfois tout en œuvre pour protéger ses parents. La crainte qu'il
en a peut expliquer son silence ainsi que celle d'une séparation, mais plus encore la tentative de
préserver à tout prix un lien d'attachement, si pathologique soit-il.

II - RECONNAITRE LA MALTRAITRANCE
Les signes cliniques sont parfois très "parlants" mais nombreuses sont les situations où la
maltraitance peut être méconnue.
C'est habituellement un ensemble de signes identifiés chez l'enfant et ses parents qui seront
évocateurs de maltraitance.

1 - LES SIGNES CLINIQUES OBJECTIFS CHEZ L'ENFANT:


On ne peut tous les décrire, ils sont schématiquement de 2 ordres, traumatiques ou non.

a- des lésions traumatiques: marques de coups, brûlures, ecchymoses multiples et d'âge différents,
fractures, hématome sous-dural, griffures, plaques d'alopécie, lésions génito-urinaires, le Syndrome de
Silverman, quant à lui, est une entité clinique bien particulière: signes radiologiques d'une périostite
hémorragique, etc...

b- des troubles somatiques et/ou psychiques


* Signes évocateurs de carence de soins et de délaissement:
- aspect négligé, manque d'hygiène, érythème fessier, dermatose non soignée, rachitisme, platybasie...
- hypotrophie staturo-pondérale rapidement régressive en milieu hospitalier,
- troubles du développement psychomoteur,
- quête affective indifférenciée, tristesse, désintérêt vis à vis du jeu... rythmies de balancement. repli sur
soi, fuite du contact.
* Signes évocateurs d'abus sexuels:
- pollakiurie, douleurs abdominales et mictionnelles, érythème vulvaire, fissures anales ou génitales,
infections génito-urinaires
- crainte ou complaisance excessive à l'examen génital
- paroles d'enfant révélatrice de connaissances dans le domaine sexuel inappropriées à son âge,
insomnies, peur d'aller se coucher, retard scolaire ou désinvestissement scolaire récent, "sidération" des
facultés intellectuelles, etc...
* De nombreux troubles psychiques peuvent être décrits chez les enfants maltraités il peuvent être
associés à des lésions somatiques.
Les troubles relationnels et comportementaux sont dominants et devraient attirer l'attention.

2 - LES SIGNES SUBJECTIFS OU LES "CLIGNOTANTS" EVOCATEURS DE RISQUE DE LA


MALTRAITANCE

a- Le discours et le comportement des parents et de l'enfant à l'hôpital sont souvent très révélateurs:
- les explications données ne suffisent pas à éclairer la nature des lésions.
- les relations parents/enfants doivent être observées, par exemple chez le nourrisson : évitement du
regard, portage insécurisant et inconfortable pour l'enfant, inadéquation de la mère aux demandes
exprimées par son bébé, brusquerie lors de soins...
- l'irrégularité des visites, voire leur absence sont très significatives. Elles peuvent traduire un
désinvestissement affectif à l'égard de l'enfant; elles sont souvent renforcées par le mal être des parents
s'ils se sentent jugés.
- a fortiori l'agressivité, les retraits contre avis médical doivent alarmer d'autant plus le personnel...
- il en est de même pour la surconsommation médicale : elle motive des consultations à répétition, un
recours excessif à l'hospitalisation et des changements fréquents de médecin traitant.
- enfin il ne faut pas négliger, dans le contexte d'une sollicitude extrême la possibilité d'un syndrome de
"Munchausen".
b- Par ailleurs, dans un état de maltraitance, on peut retrouver un certain nombre de facteurs dont
l'accumulation est susceptible de favoriser le risque de mauvais traitements:
Aucun de ces facteurs n'est, en soi, preuve de maltraitance mais c'est un indicateur qui renforce la
vigilance et prendra sens dans l'ensemble des données cliniques et des données observées pendant le
séjour de l'enfant à l'hôpital.
On note ainsi :
- des facteurs de risque liés aux parents et au milieu familial tout en sachant que tous les milieux
socioprofessionnels peuvent être le théâtre de maltraitances. Ainsi, problèmes psychologiques,
alcoolisme, drogue mais aussi vulnérabilité familiale sont des facteurs favorisants.
- des facteurs de risque liés à l'enfant, et en particulier les problèmes, quels qu'ils soient, qui sont
survenus pendant la période néonatale ou la petite enfance, comme prématurité, handicap, grossesse
difficile, non désirée, etc...
D'une façon générale, sont facteurs de risque toutes les situations qui interfèrent sur la qualité du
lien parents enfant et l'empêchent de s'établir précocement d'une manière satisfaisante.

III - L'EVALUATION
C'est une étape indispensable dans la prise en charge d'un enfant maltraité. Elle est difficile, pour
toutes les raisons précitées. C'est pourquoi il semble important de s'entourer d'un certain nombre de
garanties :
1 - D'abord en parler, ne pas rester seul avec un doute.
2 - Avec qui en parler ?
Avec tout professionnel habitué à prendre en charge ce genre de problème:
Certaines équipes hospitalières et en particulier les psychologues, les pédopsychiatres, le service social,
la P.M.I. ( en effet cette situation peut être déjà connue ), l'école.
3 - Pourquoi en parler ?
Parce que l'on ne peut seul garantir à la fois la sécurité de l'enfant et garder une attitude de neutralité,
voire aidante, envers les parents dont on peut surestimer ou sous estimer les possibilités de mobilisation,
aux dépens de l'enfant.
"La quasi impossibilité pour une seule personne de prendre en compte l'intérêt de tous,
prescrit la règle de la pluridisciplinarité " (M.ROUYER).
Le temps d'évaluation est indispensable. Il évite la décision précipitée et inappropriée des
professionnels et permet de concevoir un projet cohérent de prise en charge. Ceci ne signifie pas, éviter
le signalement, mais au contraire de le faire, si nécessaire, et de préciser: comment on le fait, qui le fait,
dans quel projet il se fait, en collaboration avec les services extra-hospitaliers (justice - service social -
P.M.I.)

IV - LE SIGNALEMENT = CONDUITE A TENIR


Les lois du 10 juillet et 18 décembre 1989 ont rappelé la responsabilité et les missions du
Président du Conseil Général dans l'organisation et la coordination du dispositif départemental de recueil
de l'information et du traitement des situations d'enfants en danger.

1 - POURQUOI SIGNALER ?
Tout constat de mauvais traitement ou présomption de mauvais traitement doit faire l'objet d'une
information auprès de l'autorité administrative et/ou judiciaire.
La loi prévoit une obligation générale de signalement dans l'article 434-3 du Nouveau Code Pénal (entré
en application le 1° Mars 1994) :
"Le fait pour quiconque ayant eu connaissance de mauvais traitements ou privations infligés à un mineur
de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une
maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en
informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000
francs d'amende. Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent
les
personnes astreintes au secret dans le conditions prévues par l'article 226-13."
L'article 226-13 est ainsi rédigé:
"La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état
ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an
d'emprisonnement et de 10 000 francs d'amende".
La loi précise cependant, que la personne tenue au secret ne pourra se voir appliquer l'article 226-13, et
donc être punie, si elle informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de sévices ou
privations dont elle a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de quinze ans ou à une
personne qui n'est pas en état de se protéger. (art 226-14)
CEPENDANT QU'ADVIENT-IL DE L'ENFANT?
On sait par expérience que l'inertie, l'absence de mesures d'aide et de soutien aux enfants victimes de
sévices ou privations, vont le plus souvent le conduire à endurer de nouvelles privations, de nouveaux
sévices. C'est pourquoi la loi qui a donné des missions particulières à certains travailleurs sociaux de
l'ASE ou de la PMI par exemple pour venir en aide aux famille et prévenir la maltraitance, fait une
obligation générale de signalement aux autorités judiciaires ou administratives des faits de sévices ou
privations dont sont victimes les mineurs de 15 ans. L'article 226-13 précise que les personnes tenues au
secret ne peuvent pas être sanctionnées si elles choisissent de révéler de tels faits qu'elles viennent à
connaître.

2 - LE SIGNALEMENT
Il s'agit de la saisine de l'autorité administrative (Président du Conseil Général) ou judiciaire (le
Procureur de la République).
a - Que signaler ?
Tous les éléments qui peuvent constituer une présomption ou une constatation de sévices, de privations
ou de délaissement.
L'auteur du signalement n'est pas chargé d'enquêter pour prouver une culpabilité. Il doit
uniquement communiquer des faits.
b - A qui signaler ?
On peut signaler soit à l'autorité administrative, soit à l'autorité judiciaire. Cependant, si des mesures de
protection immédiates sont à prendre, il faut alors signaler directement à l'autorité judiciaire.
- A l'autorité administrative, aux heures ouvrables
CONSEIL GENERAL - DIRECTION SOLIDARITE du département
- A l'autorité judiciaire
En règle générale, l'autorité judiciaire à saisir est le Procureur de la République, au Parquet, ouvert
24h/24
c - Comment signaler ?
La décision de signaler doit être prise soit en urgence, soit après évaluation en fonction du danger
immédiat encouru par l'enfant.

1 - Par écrit:
Le dossier de signalement comprendra:
- Un certificat médical descriptif. Exemple:
Bordeaux, le 28 avril 1993

Je soussigné, Docteur DUPONT, certifie avoir examiné le 27 avril 1993 l'enfant DURAND Léo né le 21
mai 1992, domicilié 70 cours Pasteur à Bordeaux, et qui présentait:
. descriptif détaillé des signes cliniques . psychologiques . radiologiques, etc.
I.T.T. = X jours
Fait à Bordeaux signé Dr DUPONT
cachet
le cas échéant des photographies peuvent être jointes à ce certificat.
- Un courrier d'accompagnement sera joint à ce certificat médical. Dans ce courrier le médecin fait part de
ses doutes, de ses hypothèses et/ou communique les éléments qui étayent sa conviction.
En aucun cas, il n'est chargé d'enquêter pour prouver une culpabilité, c'est le rôle de la justice.
- Le service social apportera son évaluation complémentaire sous la forme d'un rapport de signalement
social.
- Cas particulier de l'examen génital en cas d'abus sexuels:
-> l'examen doit être fait par un docteur en médecine
-> qui jugera, en fonction des faits, s'il doit appeler un médecin expert auprès des tribunaux (de l'institut
médico-légal) après signalement auprès du Procureur de la République. Ceci permet d'éviter à l'enfant
des examens répétitifs.
-> cet examen doit être fait devant témoins, pour que le médecin ne puisse être soupçonné d'être l'auteur
des abus.
-> Il ne doit pas être fait sous anesthésie générale à moins qu'il y ait nécessité d'une intervention
chirurgicale en urgence.
-> Cependant la question de l'anesthésie demeure posée dans certains cas où l'on peut craindre qu'un
examen exploratoire ajoute un traumatisme à celui déjà subi par l'enfant.
"En conscience", le médecin hospitalier assume sa responsabilité.
- Dans tous les cas, le signalement doit faire apparaître:
. les renseignements indispensables concernant l'identification précise (nom, prénom, âge, adresse) de
l'enfant maltraité ou susceptible de l'être et si possible les personnes détentrices de l'autorité parentale.

2 - Par téléphone ou par télécopie (après accord téléphonique du récipiendaire)


Ces moyens peuvent être utilisés notamment dans les cas d'urgence.
Un signalement téléphoné par un professionnel doit toujours être confirmé par un écrit signé et
mentionnant ses coordonnées.

V - LE TRAITEMENT DES SIGNALEMENTS


1 - L'intervention administrative si la situation actuelle permet de penser que l'enfant ne court pas
de danger immédiat
Dans le département, trois services placés sous l'autorité du Président du Conseil Général interviennent
auprès des enfants et de leurs familles en difficulté.
-> l'Aide Sociale à l'Enfance (A.S.E.) chargée de mettre en œuvre des actions de prévention (aides à
domicile) et de protection des enfants placés hors du domicile parental.
-> la Protection Maternelle et Infantile (P.M.I.) qui est un service de santé publique ouvert à tous dont
l'objectif est la protection et la promotion de la santé de la famille et de l'enfant.
-> le service social territorial, chargé d'aider les familles dans les diverses difficultés qu'elles peuvent
rencontrer (éducatives, matérielles, administratives, juridiques, etc...).
Tout signalement d'enfants en risque de maltraitance morale ou physique ou maltraités fait l'objet d'une
évaluation. Celle-ci est effectuée par l'équipe pluridisciplinaire de la circonscription d'action médico-
sociale qui est un lieu de concertation, de coordination et de mise en œuvre des interventions en faveur
de l'enfance et de la famille.

Après l'évaluation, deux cas peuvent se présenter:


1 - affaire classée sans suite si la maltraitance n'est pas confirmée
2 - la maltraitance est confirmée ou très suspectée, il y a alors 2 possibilités :
=> suivi social et/ou P.M.I. proposé et accepté par la famille ou intervention au titre de l'A.S.E. décidée
par l'Inspecteur, avec accord de la famille: aide matérielle et/ou action éducative à domicile, accueil
provisoire de l'enfant
=> signalement au Procureur de la République s'il se confirme que l'enfant maltraité est en danger ou
qu'il est impossible d'évaluer la situation ou enfin si la famille n'adhère pas à l'intervention du service.

2 - L'intervention judiciaire en cas de danger et de nécessité de protection immédiate.

a - Le Procureur
-> SITUATION URGENTE: Le signalement au Parquet doit être immédiat dans les affaires dans
lesquelles les faits sont actuels ou viennent de se commettre (viols, attentats aux mœurs, mauvais
traitements, violences).Le Parquet doit être saisi par tous les moyens ( télécopie, téléphone, courrier,
porteur spécial )ou par toute personne ayant connaissance de l'information afin de protéger le mineur,
et d'éviter le renouvellement des faits .
Le Procureur peut prendre des mesures immédiates de protection afin d'assurer la sécurité des enfants;
faire procéder à des enquêtes de police ou de gendarmerie sur les faits de maltraitance, sévices, abus
sexuels qui leur sont dénoncés; faire examiner par des médecins experts les enfants victimes de telles
violences ; décider de l'opportunité de poursuivre ou non les auteurs de mauvais traitements.
-> AUTRES SITUATIONS: le Parquet vérifie que le bien fondé des conditions de la saisine du juge des
enfants sont réunies: en situation de danger, il y aura saisine du juge des enfants et éventuellement
poursuite pénale; s'il n'y a pas de danger, il y aura classement sans suites, s'il y a un doute, des
investigations complémentaires sont faites.
b - Le Juge des Enfants peut: - ordonner des investigations, enquêtes sociales, examens médicaux,
psychiatriques, psychologiques; maintenir l'enfant dans son milieu actuel tout en ordonnant une aide
éducative en milieu ouvert; ordonner le placement de l'enfant dans un établissement, un service, ou le
confier à une personne physique.

VI - INFORMATION SUR LES SUITES DONNEES


Les services à l'origine du signalement seront informés des suites données tant par l'autorité
administrative que par l'autorité judiciaire

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