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AU CŒUR D’ISRAËL

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Olivier Hanne
Charlotte Desmarest – Benjamin Fever

TSAHAL
AU CŒUR D’ISRAËL
Histoire et sociologie
d’une cohésion entre armée
et nation

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Sous la direction éditoriale de Daniel Hervouët

© Éditions Balland, 2018


978-2-94055-629-8

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L’ i n t é g r a l i t é d e s d r o i t s d ’ a u t e u r s
sera rever sée au profit des blessés
de l’armée de terre.

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Autres ouvrages d’Olivier Hanne (extraits) :

Géopolitique du golfe Persique. Menaces réelles et menaces perçues,


co-écrit avec M. Bordes, Paris, Le Grenadier, 2017.
Les Seuils du Moyen-Orient. Histoire des frontières et des territoires,
Monaco, Le Rocher, 2017.
La Grande Syrie. Des premiers empires aux révoltes arabes, co-écrit
avec P.-E. Barral, Paris, Le Grenadier, 2016.
Islam et radicalisation dans le monde du travail, co-écrit avec Th.
Pouchol, Paris, Giovanangeli Éditeur, 2016.
Jihâd au Sahel. Menaces, opération Barkhane, coopération régionale,
co-écrit avec G. Larabi, Paris, Giovanangeli Éditeur, 2015.
Géoculture. Plaidoyer pour des civilisations durables, co-écrit avec
Th. Flichy, Panazol, Éditions Lavauzelle, 2015.
Géopolitique de l’Iran, dirigé par A. de Prémonville, Paris, Presses
universitaires de France, 2015.
L’État islamique, anatomie du nouveau Califat, co-écrit avec Th.
Flichy, Paris, Giovanangeli Éditeur, 2014. Prix du livre géo-
politique décerné par la revue Conflits et EDF. Traduit en
allemand et en polonais.
Guerres à l’horizon, co-écrit avec Th. Flichy, Panazol, Éditions
Lavauzelle, 2014.
Mali, une paix à gagner. Analyses et témoignages sur l’opération
Serval, Panazol, Éditions Lavauzelle, 2014 (direction d’ou-
vrage).
Mahomet. Le lecteur divin, Paris, Éditions Belin, 2013.

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Introduction

« La bannière du Seigneur en main ! Le Seigneur est en guerre


contre Amalek de génération en génération » (Exode 17, 16).

Ce passage de la Bible illustre les luttes féroces qui


opposèrent le peuple hébreu aux Amalécites. Alors qu’ils
errent dans le désert du Sinaï, conduits par Moïse et pro-
tégés par Dieu, les Hébreux sont brutalement confrontés à
la tribu d’Amalek qui leur refuse le passage. Et Moïse de se
tourner vers Josué : « Choisis-toi des hommes et, demain,
sors combattre Amalek ; moi, je me tiendrai au sommet de
la colline, le bâton de Dieu à la main ». Par les armes et la
prière, les Hébreux remportent la victoire et continuent
leur route1.
Ce mythe biblique d’Amalek est passé dans la tradition
israélienne comme le premier combat vécu par le peuple
juif pour la défense de son existence, et aussi sa première
victoire. La bataille contre Amalek est devenue une sorte
de pierre fondatrice de Tsahal, l’armée israélienne, et de
l’esprit de défense israélien2. À cause de ses ennemis, la
nation ne peut survivre qu’à condition d’organiser un

1. Nous remercions Daniel Hervouët et Inès Le Belguet pour leur


relecture et leurs conseils.
2. BOUSSOIS, 2014, p. 6, parle même d’un syndrome d’Amalek,
syndrome d’enfermement et de bellicisme (sic).

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

système militaire fort. Ce n’est pas seulement une exigence


de protection d’une frontière ou de quelques kilomètres
carrés de territoire, mais une nécessité vitale, sociale et
identitaire. Que l’épisode d’Amalek soit historique ou pas,
il explique pourquoi Tsahal est au cœur d’Israël…
La guerre était un fait de société inévitable pour le
peuple juif tant qu’il fut détenteur du royaume de David
et de Salomon. Mais en 721 avant J.-C., le royaume du
Nord, appelé Israël, est anéanti, puis c’est au tour du
royaume méridional, celui de Juda, d’être détruit en 587
avant J.-C. Le monde juif perdit alors le contrôle de son
destin politique. Avec le siège de Jérusalem par le général
romain Titus en 70 et la dispersion du peuple juif à travers
le Moyen-Orient et la Méditerranée, il fallut réinventer le
rapport à la guerre. Le judaïsme en diaspora s’imprégna de
pacifisme et de refus de la violence.
Mais un nouveau changement de mentalité eut lieu à
la fin du XIXe siècle, avec la recrudescence des violences
antisémites en Russie, puis dans toute l’Europe. Face aux
nationalismes raciaux, des juifs pionniers et utopistes,
influencés par le socialisme, fondèrent le sionisme, l’idéa-
lisme du retour à Sion, c’est-à-dire Jérusalem. Or, ce
retour, prélude à la résurrection d’un « État juif », selon le
mot de Theodor Herzl, initiateur du mouvement, ne pou-
vait advenir sans un basculement vers la culture des armes,
celle qui avait assuré à l’antique Israël son indépendance.
Les kibboutznikim, ces colons qui créèrent les premiers
établissements agricoles dans la Palestine ottomane, furent
l’avant-garde d’un nouveau modèle, à la fois modèle social
et national, une aristocratie du travail et de l’autodéfense,
qui posa les premiers jalons de cet esprit de défense pro-
fondément ancré dans l’État hébreu.

10

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INTRODUCTION

Ce modèle a toutefois périclité depuis les années


1970 en raison des évolutions de la société israélienne
et du contexte international. Or, le déclin de l’esprit ori-
ginel des kiboutznikim a remis en cause la sociologie de
l’armée israélienne et ses liens étroits avec la nation. Les
mutations se sont encore accélérées dans les années 1980,
parallèlement à l’intervention israélienne au Liban en
1982. Confronté d’abord à des États arabes qui voulaient
la destruction d’Israël, Tsahal a dû affronter de nouvelles
menaces après 1973 et la Guerre du Kippour : la colère
palestinienne, le terrorisme, le jihadisme, l’ombre de l’Iran
et de la Syrie. L’armée s’est donc réformée en permanence
pour s’adapter aux bouleversements du contexte sécuri-
taire au Proche-Orient, sans perdre son rôle fondamental
de creuset de citoyens et de garant de l’identité israélienne.
Si l’histoire de Tsahal a déjà été écrite3, le propos de ce
livre est d’éclairer le lien particulier qui unit la nation israé-
lienne à son armée, et cela à travers deux axes de recherche
méconnus. Le premier interroge par l’histoire les origines
de Tsahal avant la création de l’État hébreu en 1948, c’est-
à-dire comment les Juifs installés dans les territoires otto-
mans puis le mandat britannique en Palestine ont organisé
leur défense sous forme de milices, comment les mentalités
de ces pionniers ont influencé les fondateurs d’Israël et son
armée, et pourquoi leur esprit s’est perdu après 1973. Le
second axe, résolument sociologique, étudie les méthodes
d’intégration sociale déployées par Tsahal depuis 1948
afin de créer une identité israélienne commune à partir
d’individus de communautés, d’opinions politiques et reli-
gieuses très différentes, voire opposées. Car Tsahal a été
défini dès ses débuts comme une institution de citoyens

3. RAZOUX, 2008.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

armés, présente durant toute la vie des individus, jouant un


rôle majeur dans l’apprentissage des valeurs de la nation.
L’armée israélienne est plus qu’une structure sécuritaire,
c’est une force intégratrice. Or, les nombreuses critiques
qu’elle essuie, notamment en raison des affrontements
avec les Palestiniens, et le communautarisme grandissant
de la société israélienne, pourraient fragiliser son rôle
fédérateur, aussi l’armée continue-t-elle d’évoluer et de se
remettre en cause4.

4. Alain DIECKHOFF, « Quelle nation en armes ? », Israël et son armée,


2010, p. 15-32.

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Première partie :

La construction de l’appareil
défensif : l’ère des milices
(1903-1947)

1. Les prémices de la défense juive

La Palestine est un territoire contrôlé par l’empire


ottoman depuis 1516. Le mutasarrifat – la province – de
Palestine est florissant durant les premiers siècles d’occu-
pation turque ; les Juifs de l’extérieur sont autorisés à s’y
installer, même si au fil des siècles les règles s’imposant
à eux se durcissent. Mais durant le XIXe siècle, l’Empire,
surnommé « l’homme malade de l’Europe », est entré
dans un lent déclin qui affecte ses territoires. La Palestine
devient un enjeu militaire : Bonaparte assiège Acre en
1799 lors de l’expédition d’Égypte ; en 1831 les armées
égyptiennes de Mehmet Ali ruinent la région, et en 1840,
c’est au tour des armées ottomanes d’affaiblir l’économie
de la région. Enfin, le sultan Abdül-Hamid II, au pouvoir
jusqu’en 1908, mène une politique panislamique pour
renforcer la cohésion de l’Empire autour de la religion
musulmane. La tolérance de l’administration ottomane est
peu à peu mise de côté au profit d’une surveillance accrue.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

L’immigration juive en Palestine (1882-1903)


La Palestine de la première Aliyah – l’émigration juive
à Sion – est pauvre, délaissée par un empire ottoman
moribond. De nombreux villages arabes sont abandonnés,
souvent du fait du paludisme, et l’agriculture est limitée.
Cette pauvreté endémique est propice au développement
de bandes de pillards qui mènent des raids sur les villages
mal défendus.
L’immigration juive croissante dans le mutasariffat est
un sujet d’inquiétude pour le sultan ottoman qui craint
un élan nationaliste juif dans son empire, d’autant plus
que les migrants ont le soutien économique de l’Europe.
En Grande-Bretagne a été créée l’Organisation sioniste
mondiale en 1897, puis le Fonds pour l’implantation
juive en 1899, qui facilite l’achat de terres en Palestine
grâce à un capital de départ de 395 000 £. Les Juifs d’Eu-
rope apportent leur contribution financière personnelle,
notamment le baron de Rothschild dès 1883. Les pre-
miers colons achètent principalement des terres dans l’ar-
rière-pays, peuplé de Bédouins, qui les vendent à bas prix,
sans acte de propriété. Car il s’agit de terrains de pacage
et de semi-nomadisme, où le droit de propriété est tribal,
et donc inaliénable. Les Bédouins croient faire des affaires
en cédant des terres peu irriguées, presque incultes, mais
déchantent en constatant que les Juifs parviennent à les
cultiver à force d’acharnement. On les voit alors revenir
pour contester la présence juive et réclamer leur propriété
ancestrale. Les tensions sont inévitables.
Lors de la première Aliyah, de 1881 à 1891, plus de
10 000 pionniers juifs, venant pour la plupart de l’em-
pire russe, arrivent en Palestine dans un contexte de
grande insécurité. Ils sont conscients du risque de pillage
et désignent des sentinelles pour protéger les premières
implantations. Mais l’importance des travaux à réaliser

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

explique que la chose militaire soit de plus en plus laissée


à des sentinelles arabes, druzes ou tcherkesses, engagées
d’abord pour assurer les gardes de nuits, puis toute la
surveillance1. Les colonies deviennent des cibles de choix
pour les pillards de la région et les sentinelles s’avèrent
inefficaces, car elles collaborent avec les Bédouins.
Le besoin d’autodéfense des communautés juives
apparaît avec la deuxième Aliyah, de 1903 à la Première
Guerre mondiale. Cette émigration résulte des vagues
successives de pogroms qui se multiplient au sein de l’em-
pire russe, comme le pogrom de Kichinev qui a causé la
mort de 49 Juifs. Des milices d’autodéfense voient le jour
en Europe de l’Est dès 1897 ; certains mouvements juifs
cessent de rejeter la violence et se déclarent prêts à faire
usage de la force. En août 1897, Theodor Herzl, père du
sionisme, préside le premier congrès sioniste à Bâle auquel
assistent deux cents personnes, dont des représentants de
communautés juives de dix-sept pays2. À cette occasion
est évoquée la nécessité pour les colons de se défendre de
manière autonome.
Les 30 000 Juifs de la deuxième Aliyah sont pour la
plupart issus de la mouvance socialiste ou marxiste : ils
s’éloignent de la piété traditionnelle et des enseignements
pacifistes du rabbinat. Ils sont donc plus déterminés à faire
face aux dangers qui les entourent. C’est dans ce contexte
que naît le mouvement kibboutzim, avec le premier kib-
boutz : Degania, au bord du lac de Tibériade, en 1910. La
fondation du kibboutz s’est faite par cette déclaration de la

1. Me’ir PA’IL, From Hashomer to the Israel Defence Forces : Armed


Jewish Defense in Palestine, Israel Information Center, Jerusalem, 1997.
2. GRESH, 2007, p. 72.

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Commune d’Hadera, à la sémantique socialisante, proche


de celle de la Commune de Paris (1870)3 :
« En ce jour du 25 de Tishrei 5671 [28 octobre 1910], nous, dix
hommes et deux camarades femmes, sommes venus à Um Juni,
avons reçus l’aide du groupe pionnier. Nous avons commencé à
établir une colonie indépendante de travailleurs hébreux. Une com-
munauté coopérative sans exploitants ni exploités : une Commune. »

Le mouvement kibboutzim
L’installation et la naissance des kibboutzim en Palestine
est le fruit de l’idéologie sioniste très présente au début
du siècle. Le mouvement est né de la volonté d’un parti
politique d’influence socialiste populiste, proche de l’anar-
chisme de Tolstoï : Hapoël Hatzaïr, le « Jeune Travailleur »,
fondé en 1905. Il défend un socialisme agricole et coopéra-
tif, ainsi qu’un processus d’autoprolétarisation volontaire
par le culte du travail manuel : le Meshev. Du fait de leur
origine, les kibboutzim (ou kvoutza lors des premières
années) sont des espaces sécularisés : le travail est maître,
la communauté est tout, et il n’y a pas de synagogue. Bien
que de mouvance socialiste, le mouvement rejette le travail
industriel du prolétariat, car son but est de regénérer le
peuple juif et cette renaissance ne peut se faire qu’au sein
d’une société rurale. La mise en place de l’industrie au sein
des kibboutzim n’aura lieu que dans les années 19404.
Le parti Hapoël Hatzaïr est le premier mais pas le seul
parti sioniste-socialiste ayant influencé la création des
kibboutzim. Poale Zion, les « Travailleurs de Sion », est

3. Special 90th Anniversary Issue of the journal Hakibbutz, Degania,


2000.
4. MEDOFF-WAXMAN, 2013.

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

L’implantation juive dans la Palestine ottomane (1880-1914).

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un parti qui a lui aussi joué un rôle fondateur. Né à New


York en 1903, avec des branches parallèles à Londres et à
Leeds, le parti s’implante en Palestine en novembre 1905,
quelques mois après son homologue anarchiste Hapoël
Hatzaïr. Poale Zion accepte la vision marxiste de l’histoire
comme lutte des classes, mais y ajoute une notion natio-
naliste : c’est seulement quand le peuple juif aura pu s’im-
planter pleinement en Palestine et qu’il aura fondé son État
qu’il pourra participer à la lutte des classes5.
La vie au sein des kibboutzim obéit à la règle principale
du Meshev6. La communauté s’occupe de briser les dogmes
de la société bourgeoise, l’antithèse du mouvement sioniste
socialiste, dans le but de créer un homme nouveau7. Le
kibboutz supprime donc la propriété privée, et chaque
kibboutznik possède seulement le strict minimum : géné-
ralement une chemise et une culotte. Le kibboutz cherche
aussi à détruire la notion de famille bourgeoise : les enfants
sont confiés à une crèche et ne voient leurs parents qu’à la
fin de la journée. Le rejet de la bourgeoisie se traduit égale-
ment par une défiance envers la culture occidentale, aussi
les productions artistiques et les musiques prennent-elles
des tonalités orientales, terre de naissance du Nouveau
Juif.
La Bible a une situation paradoxale dans le kibboutz,
car elle est le texte de référence du peuple juif, elle justifie
le retour à Sion, donne un sens à l’action des pionniers,

5. Joseph GORNY, The British Labour Movement and Zionism. 1917-


1948, Londres, Frank Cass, 1983.
6. TSUK, 2000.
7. Yithzak CONFORTI, « The New Jew in the Zionist Movement.
Ideology and Historiography », Australian Journal for Jewish Studies, 25,
2011.

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

alors que la colonie est profondément séculière, et que la


piété est délaissée car perçue comme responsable de la fai-
blesse des Juifs. Les kibboutznikim ne sont pas rémunérés,
ils sont motivés par le fait de construire et de faire grandir
le kibboutz en faisant partie de la communauté. Le mode
de vie est donc très austère, l’objectif premier étant d’at-
teindre l’autosuffisance économique8. « Les baraquements
étaient tous pareils, constate l’écrivain Jospeh Kessel lors
de sa visite en Palestine en 1925, sol de terre battue, lits de
fer sans matelas, un pot à eau, quelques livres. Un dénue-
ment plus que monacal9. »
La seconde Aliyah est l’époque de nombreuses expé-
riences visant à constituer un système communautaire et
politique viable au sein du kibboutz. Celui-ci fonctionne à
la façon d’une démocratie directe : le conseil de la colonie
réunit l’ensemble des kibboutzikim, décide de tout après
des votes à main levée, les décisions les plus importantes
étant liées au budget commun. Cette démocratie est
fondée sur une égalité totale entre hommes et femmes,
et toute forme structurée de hiérarchie est rejetée. Le
conseil est réparti en différents comités spécialisés dans
un domaine : la culture, la santé, l’éducation, etc. Il existe
certains postes d’élus officiels, élus d’un à trois ans, même
si les règles varient en fonction des kibboutzim. Ces postes
sont ceux de secrétaire, supervisant les activités, de coordi-
nateur économique, de trésorier et de coordinateur du tra-
vail. Bien qu’élus, ces membres ne jouissent pas d’un statut

8. Anita SHAPIRA, The Rise and Fall of the Labor Movement (Hahalicha
al Kav Ha’ofek), Tel Aviv, Am Oved, 1988.
9. KESSEL, 1965.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

supérieur aux autres, ils accomplissent leurs tâches en plus


de leur travail au sein du kibboutz, sur leur temps libre10.

Bar-Guiora (1907), groupe d’autodéfense


Les Juifs de la seconde Aliyah sont les premiers à mettre
en place une véritable milice d’autodéfense des colonies,
à la double dimension ouvrière et sociale : Bar-Guiora,
nom d’un des chefs de la grande révolte des Juifs contre
les Romains entre 66 et 73 après J.-C. Bar-Guiora a été
créée le 29 septembre 1907 à Jaffa chez Yitzhak Ben-Zvi,
qui sera plus tard le second président de l’État d’Israël.
Les membres fondateurs sont au nombre de sept, et pour
la plupart membres du Poale Zion, dont Yisrael Shohat,
choisi pour diriger la milice.
Shohat est un Juif de l’empire russe, arrivé en Palestine
en 1904. De mouvance sioniste-socialiste, il participe à
des patrouilles au profit de différentes colonies, et essaie
d’influencer les autorités de Jérusalem pour créer un mou-
vement de main-d’œuvre nationale, sans succès. Avant
de participer à la fondation de Bar-Guiora, il s’intéresse
à la minorité tcherkesse. Ce peuple, qui fut expulsé du
Caucase par les Russes en 1864, s’est dispersé dans tout
l’empire ottoman, et notamment en Palestine. Il s’agit de
nomades avec une forte culture communautaire et guer-
rière, de sorte que les enfants sont séparés de leur famille
pour apprendre les armes. L’intérêt des Tcherkesses pour
Shohat réside dans le modèle qu’ils peuvent représenter
pour les colons juifs : minoritaires, opprimés, étrangers, ils
parviennent pourtant à survivre en cultivant la terre et en
la défendant. Il cherche donc à calquer leur modèle dans

10. TSUK, 2000.

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

des implantations juives qui ont trop délégué aux Arabes


leur défense, et parfois même la culture de la terre.
La création de Bar-Guiora est donc l’aboutissement de
l’idéologie sioniste-socialiste, de l’autoprolétarisation du
Nouveau Juif, et de l’étude des Tcherkesses de Shohat : la
rédemption de la nation sur la terre biblique est impossible
sans travail manuel ni bras armé. La milice reprend sur
son drapeau le slogan des défenseurs juifs de Russie face
aux pogroms : « Par le feu et le sang la Judée est tombée,
par le sang et le feu la Judée renaîtra ». Elle s’établit sur la
colonie de Sejera (aujourd’hui Ilania) en Basse-Galilée.
Cette colonie devient ainsi un laboratoire de la collectivi-
sation des moyens agricoles ainsi qu’un lieu de réflexion
sur la défense. Bar-Guiora est aussi présente à Me’sha
(aujourd’hui Kfar Tavor). Néanmoins, le groupe ne par-
vient pas à réunir plus d’une centaine de membres, et de
nombreuses colonies refusent de l’engager, de peur d’ag-
graver les tensions entre Juifs et Arabes.

2. L’Hashomer, première milice

Fondation et fonctionnement
Suite à la réussite mitigée de leur milice, les fondateurs
de la Bar-Guiora se réunissent le 12 avril 1909 à Me’sha
pour dissoudre celle-ci et créer une nouvelle milice qui
ne se contentera pas de protéger quelques communautés
mais l’ensemble des terres juives. Ils fondent l’Hashomer, la
« Sentinelle ». Pour armer et équiper ses gardes – les shomrim
– et assurer l’organisation de la milice, ses dirigeants choi-
sissent d’utiliser l’argent du kibboutz de Sejera11. À la façon

11. MEDOFF-WAXMAN, 2013.

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de la Bar-Guiora qui s’inspirait du mode de vie tcherkesse,


les gardes du Hashomer copient les tenues et les modes
d’actions des peuplades nomades et guerrières du Moyen-
Orient : les Tcherkesses, les bédouins arabes ou encore les
Druzes. Les shomrim patrouillent à cheval. Leur arme-
ment est le même que celui des pillards, allant du simple
mousquet, de la dague et du gourdin arabe au fusil à
répétition cinq coups ou au pistolet Mauser semi-automa-
tique. Les munitions étant rares dans la région et l’usage
des armes à feu restreint, la milice s’est dotée de fabriques
clandestines de munitions. Cet usage restreint des armes à
feu se retrouve dans les règles d’engagement de la milice
ont même intégré et théorisé le manque de munitions :
« Ne cherchez pas le face à face avec le voleur, chassez-le et n’ouvrez
le feu qu’en ultime recours. Après tout il n’est là que pour voler des
sacs de grains, pas pour vous tuer, donc ne le tuez pas, faites-le fuir.
Ne dormez pas la nuit. Si vous entendez des bruits de pas, tirez
dans le lointain. Si vous sentez qu’il n’est qu’à quelques pas et que
vous pouvez tirer sans qu’il vous tombe dessus, tirez dans le lointain.
Seulement si votre vie est en danger, tirez-lui dessus12 ».

La structure du Hashomer est plus hiérarchisée que


celle de Bar-Guiora. Pour devenir shomrim, il faut néces-
sairement être paysan et Juif, selon le principe que pour
bien défendre une terre il faut savoir la travailler. La
hiérarchie est simple, en raison de la taille modeste de la
milice. Au sommet se trouvent les fondateurs et les vété-
rans de Bar-Guiora, comme Yisrael Shohat. Viennent les
membres actifs et les shomrim, qui forment la force prin-
cipale ; ce sont eux qui patrouillent et gardent les colonies.
Enfin, on retrouve les prémices d’une réserve, composée
surtout de paysans qui forment une « légion du travail ».

12. Mendel Portugali, inspirateur de l’Hashomer, cité par Yakov


Portugali, Sefer Kalarash, Arieli Press, 1966.

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

Ce groupe permet recrute de nouveaux shomrim parmi


les Juifs récemment arrivés et partageant le même idéal
du travail et de la défense de la terre. La formation de ce
groupe en retrait annonce le rôle d’armée du peuple qui
succédera à l’Hashomer : l’Irgoun haHaganah (« organisa-
tion de défense ») ou Haganah.
Contrairement à Bar-Guiora dont l’action principale
se limitait principalement aux deux colonies de Sejera et
de Me’sha, l’Hashomer est présente dans seize colonies
réparties sur tous les territoires juifs, en Galilée, en Judée
et en Samarie. L’organisation possède ses propres kibbout-
zim : Tel Adashim, fondé en 1913 ; Kfar Giladi, fondé en
1916, et enfin Tel Hai, fondé en 1920. Ces kibboutzim per-
mettent à l’organisation de se financer et aux membres de
la milice de cultiver la terre, dimension primordiale dans
l’ethos du Nouveau Juif.
À ses débuts, le rôle de la milice se cantonne à une
posture défensive, celui de garder et de patrouiller au sein
de la colonie. Mais le lien étroit avec les activités agricoles
donne naissance à une fonction nouvelle, où l’initiative et
l’offensive auront toute leur place, celui des bergers, les ha
roeh. En Basse-Galilée, les shomrim travaillaient comme
bergers, aussi dissimulaient-ils derrière cette couverture
des missions d’éclaireurs. En quittant la colonie pour faire
paître le troupeau, les ha roeh deviennent des agents de
renseignement observant les alentours et établissant une
défense plus en profondeur en allant chercher l’informa-
tion au loin. Cette méthode archaïque posait les bases
des organismes de renseignement qui seront créés avec la
Haganah.

23

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Membres de l’Hashomer en Haute-Galilée (novembre 1907, National


Photo Collection of Israel, domaine public).

La milice entre en guerre


L’arrivée des Jeunes-Turcs au pouvoir dans l’empire
ottoman en 1908 semble profiter aux sionistes dans un
premier temps, en raison de la politique laïque du gou-
vernement et de sa bienveillance envers un foyer juif au
sein de l’Empire. Or, cette accalmie n’est que provisoire,
car les Jeunes-Turcs souhaitent établir le foyer juif en
Mésopotamie et en aucun cas en Palestine, où Jérusalem –
al-Quds, « la Ville sainte » en arabe – est l’objet de toutes les
attentions des populations musulmanes. L’Empire subit en
outre les pressions de la Russie qui se positionne en défen-
seur des chrétiens d’Orient, et ne veut pas d’une Palestine
juive. Le dialogue entre Istanbul et les autorités sionistes
se délite rapidement, ces derniers ne voulant pas quitter
l’Eretz Yisrael, la « terre d’Israël ». Les autorités ottomanes

24

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 24 11.09.18 09:43


LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

entament donc une politique d’expulsion des colons juifs.


La situation s’aggrave pendant la guerre : le général Kemal
Pasha, commandant la Quatrième Armée ottomane,
devient le maître de la région et persécute les populations
juives. L’existence d’une milice est strictement interdite
par les autorités qui expulsent aussi bien les colons des
villes que ceux des kibboutzim. L’Hashomer apparaît alors
comme le seul défenseur des Juifs jusqu’à l’arrivée de l’ar-
mée britannique et de la « Légion juive ».
Cette expression fait référence aux unités de volontaires
juifs engagés dans l’armée britannique pendant la Première
Guerre mondiale, notamment les 38e, 39e, 40e, 41e et 42e
Battalions of Royal Fusiliers et le Zion Mule Corps. L’idée
d’un corps juif est développée par Joseph Trumpeldor et
Ze’ev Jabotinsky dans l’Égypte britannique de 1915, son
but étant de libérer la Palestine du joug ottoman. Le Zion
Mule Corps est créé le 15 mars 1915 suite à la rencontre
entre la délégation de Jabotinsky et du général Maxwell.
Parce qu’il est impossible de former des unités combat-
tantes de soldats étrangers au sein de l’armée britannique,
on se contente de créer une unité de transport et de logis-
tique. Le Zion Mule Corps participe à la désastreuse cam-
pagne des Dardanelles, et treize des 562 membres engagés
y perdent la vie. L’unité est dissoute le 10 janvier 1916,
mais l’idée de former des unités juives fait son chemin. En
août 1917, le premier bataillon juif est officiellement créé :
le 38e Battalion of Royal Fusiliers, puis un second est créé
l’année suivante. La Légion juive est née. À son apogée,
celle-ci atteint 5 000 hommes d’origines variées, comme
le rappelle Jabotinsky dans ses mémoires parues en 1945 :
«Trente-quatre pour cent viennent des États-Unis, trente pour cent
de Palestine, vingt-huit pour cent d’Angleterre, six pour cent du

25

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Canada, un pour cent de prisonniers de guerre ottomans, un pour


cent d’Argentine. »

La formation de la Légion juive est suivie en novembre


de la déclaration Balfour, du nom du Foreign Secretary de
la Couronne : Arthur Balfour. Il s’agit d’une lettre ouverte
au Lord Lionel Walter Rothschild dans laquelle Balfour
promet, au nom de son gouvernement, la formation d’un
« foyer national juif » en Palestine.
La légion est commandée par un général anglais : Sir
Edward Chaytor. Les principaux engagements militaires
sont la bataille de Jérusalem de novembre à décembre
1917, puis la bataille de Megiddo de septembre 1918,
victoire décisive sur le front ottoman. Il s’agit aussi de la
première fois où des unités juives participent à des actions
de guerre en posture offensive.
À la fin du conflit, les bataillons de la Légion juive sont
dissous, et certains légionnaires choisissent de rester en
Palestine. Le Royaume-Uni, mandaté par la Société des
Nations pour administrer la Palestine après la disloca-
tion de l’empire ottoman, choisit de laisser un régiment
de volontaires juifs dans la région : le First Judeans.
Cependant, par prudence, les Britanniques évitent d’enga-
ger ce régiment à une quelconque action militaire dans la
région, malgré les troubles importants entre Juifs et Arabes.
Un grand nombre de vétérans de la Légion participent à
la fondation d’un moshav au nord de la ville de Netanyah :
Avihayil. Cette série de démobilisations explique pourquoi
l’Hashomer demeure le seul véritable organe de défense
des implantations juives de Palestine après la guerre.

26

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 26 11.09.18 09:43


LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

L’école des héros


L’Hashomer voit le début de la mythification des défen-
seurs des terres juives avec la première légende de la sen-
tinelle du nord : Joseph Trumpeldor, l’exemple parfait du
nouveau Juif. Trumpeldor est né en 1880 à Pyatigorsk, en
Russie. Il s’engage dans l’armée du tsar en 1902, participe
au siège de Port-Arthur durant la guerre russo-japonaise
où il perd son bras gauche. Malgré son handicap, il insiste
pour retourner au combat en insistant sur le fait qu’il lui
reste « encore un bras à donner à la mère patrie. » Après la
défaite face aux Japonais, Trumpeldor est fait prisonnier.
De retour en Russie, il est le soldat juif le plus décoré, avec
quatre décorations de bravoure. Il est en outre fait officier
de réserve, ce qui était interdit aux Juifs. Il quitte pourtant
l’empire russe en 1912 pour rejoindre la Palestine, où il
devient membre du kibboutz de Degania.
D’idéologie anarcho-communiste, il joue un rôle
important au sein du mouvement kibboutzim. Expulsé par
les autorités ottomanes au début de la guerre, il participe
à la création du Zion Mule Corps avec Jabotinsky. Il est
blessé à l’épaule lors de la tentative d’invasion du détroit
des Dardanelles, puis passe le reste de la guerre à épauler
Jabotinsky dans la création de la Légion juive. Après un
bref retour en Russie en 1918, où il fonde le mouvement
He-Halutz, aidant les pionniers juifs de Russie à faire leur
aliyah, l’Hashomer l’appelle à commander les forces de
Galilée en 1920, la région étant en proie aux troubles de la
guerre franco-syrienne13.

13. SEGEV, 1999, p. 122-126 ; Eliezer TAUBER, The Formation of


Modern Syria and Iraq, Frank Cass and Co. Ltd. Portland, Oregon,
1995.

27

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 27 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Son engagement dans la bataille de Tel Khaï lui vaut de


passer à la postérité, et même dans la légende. Le 1er mars
1920, les Arabes du village de Jabal Amil et des bédouins
commandés par Kamal Affendi, attaquent la colonie de Tel
Khaï, qu’ils pensent occupée par des soldats français. La
défense de la colonie est assurée par Joseph Trumpeldor
qui tente de négocier avec Affendi, sans succès. Face au
nombre d’assaillants, les miliciens du Hashomer sont
contraints d’abandonner le village. Trumpeldor, touché
au ventre et à la main, tombe durant la retraite. Il meurt
en confessant son amour pour sa nouvelle patrie : « Ça
ne fait rien, c’est bon de mourir pour son pays ». Ces
mots seront une véritable inspiration pour les sionistes
jusqu’aux années 196014. Devenu le premier héros de l’au-
todéfense juive, un monument sera érigé en son honneur
en 1934 dans la ville de Kyriat Shmona, la « Cité des Huit »,
qui fait référence au huit défenseurs tombés à Tel Khaï.
Trumpeldor est le premier membre du panthéon des guer-
riers qui ont construit l’État d’Israël.

14. Aviel ROSHWALD, The Endurance of Nationalism. Ancient Roots


and Modern Dilemmas, Cambridge University Press, 2006, p. 148.

28

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

Les colonies de l’Hashomer.

29

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

3. La Haganah et la naissance de l’armée


clandestine

Plus qu’une milice, une armée


L’année 1920 sonne le glas de l’Hashomer qui ne
compte plus assez de membres pour faire face aux révoltes
arabes. Les émeutes sont le fruit des succès des colonies
juives, de la montée des tensions communautaristes dans
l’ancien empire ottoman et des partages territoriaux entre
Européens, issus des accords Sykes-Picot signés le 16 mai
1916 par la France et le Royaume-Uni15. Durant la guerre,
Anglais et Français se sont appuyés sur les forces arabes
du Hejaz dirigées par le chérif Hussein pour se révolter
et chasser les ottomans de la péninsule arabique16. La
défaite turque autorise donc les Arabes à réclamer leur
droit et à espérer leur Nahda, leur « réveil17 ». Aux côtés des
Britanniques du général Allenby et des Juifs de la Jewish
Legion, les nationalistes arabes chassent les Ottomans du
Levant. Les troupes arabes de Fayçal, prince du Hejaz
et fils de Hussein, prennent Damas le 3 octobre 1918.
La volonté des nationalistes arabes est de créer un grand
royaume arabe, avec le concours de leurs alliés britan-
niques. Or, à la fin du conflit, les Anglais deviennent
maîtres de la Palestine et de l’Irak, et les Français

15. HANNE, 2017, p. 308s ; James BARR, Une ligne dans le sable. Le
conflit franco-britannique qui façonna le Moyen-Orient, Paris, Perrin-
Ministère de la Défense, 2017.
16. Joshua TEITELBAUM, The Rise and Fall of the Hashimite Kingdom
of Arabia, NYU Press, 2001.
17. Noureddine SEOUDI, La formation de l’Orient Arabe contemporain
(1916-1939), au miroir de la Revue des deux Mondes, Paris, L’Harmattan,
2005.

30

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

contrôlent la Syrie et le Liban. Ils obtiennent mandat de la


Société des Nations de gérer les terres de l’ancien empire
ottoman. Mais les deux puissances négligent les revendica-
tions des Arabes, lesquels ne parviennent pas à un accord
entre eux. Arabes du Liban, de Syrie et du Hejaz n’ont pas
les mêmes définitions du royaume à créer. Les Français
du général Gouraud chassent Fayçal de Syrie en juillet
1920, puis déclarent l’indépendance du Liban. Les Arabes
du Hejaz sont trahis par leurs alliés européens et attaqués
par un émir du désert qui adhère au rigorisme wahhabite,
Ibn Séoud, qui parvient entre 1924 et 1925 à conquérir le
Hejaz. La famille de Hussein doit se contenter du royaume
de Transjordanie, artificiellement constitué pour eux par
les Britanniques, afin de contenir les raids d’Ibn Séoud
vers la Palestine18.
Deux clans arabes de Jérusalem s’opposent pour
étendre leur influence sur la Palestine mandataire : le clan
Al-Husseini, antibritannique ; et le clan Nashashibi, prêt
à négocier avec Londres. Un des Al-Husseini, Hajj Amin,
lance une politique de terreur contre les populations
juives en créant en 1919 les premiers fedayin, « ceux qui se
sacrifient ». La guerre franco-syrienne, opposant les forces
fidèles à Fayçal aux troupes du général Gouraud, sème le
trouble dans le nord de la Galilée, à Tel-Khaï et dans de
nombreux autres villages19.
Le conflit alimente les tensions à Jérusalem, les Arabes
devenant de plus en plus méfiants vis-à-vis des sionistes.
Des émeutes éclatent à Jérusalem le 7 mars 1920. Dès
1919, Ze’ev Jabotinsky, fondateur de la Légion juive, a

18. L. MCLOUGHLIN, Ibn Saud. Founder of a Kingdom, New York,


Palgrave Macmillan, 1995.
19. MORRIS, 2003a.

31

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Quelle Palestine pour le sionisme ?

constitué une milice d’autodéfense de plusieurs centaines


de combattants, qui sera l’une des bases de la Haganah.
Les émeutes se multiplient début avril, faisant six morts et
plus de 200 blessés, mais l’administration anglaise arrête
Jabotinsky et 19 de ses camarades. Il est condamné à 15
ans d’emprisonnement dans la forteresse de Saint-Jean-
d’Acre. Face aux Britanniques et aux Arabes, la défense

32

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

juive a montré ses défaillances : l’Hashomer ne protège pas


les villes, les vétérans de la Légion juive se sont retirés et
la milice de Jabotinsky a été réprimée par les Anglais. Ce
contexte montre aux leaders sionites qu’il est urgent de se
doter d’un appareil militaire cohérent sur tout le territoire.
En décembre 1920, l’Histadrout, la Fédération géné-
rale des Travailleurs d’Israël, voit le jour à Haïfa, dont
David Ben Gourion est membre fondateur. Ce qui n’est
au départ qu’un syndicat évolue peu à peu en État clan-
destin doté de nombreuses institutions scolaires, ban-
caires, et d’entreprises. L’Histadrout, suivant l’idéologie
sioniste-travailliste, s’allie au mouvement kibboutzim qui
lui sert d’avant-garde, et prend rapidement le contrôle de
la Haganah, qui lui servira d’armée. Créée dès juin 1920,
la Haganah est divisée par la diversité de ses membres :
les pionniers du Hashomer veulent maintenir l’idée d’une
milice populaire dirigée par l’élite kibboutzim, et s’op-
posent aux vétérans de la Jewish Legion qui entendent
établir une armée professionnelle. La Haganah est donc la
première organisation militaire juive acceptant l’autorité
d’un corps d’élus, et non l’égalité entre tous ses membres.
Le commandement national de la Haganah est organisé de
façon paritaire entre les principaux courants du sionisme
des années 1930. Contrairement à l’Hashomer, il ne s’agit
pas d’une milice d’élite, mais d’une organisation clandes-
tine qui se veut commune à tous les Juifs et souhaite poser
les fondations d’un futur État.
Pour rassembler ses différentes composantes, l’His-
tadrout promulgue en 1920 une doctrine fondatrice,
l’Ushiyot, faisant de la Haganah l’armée clandestine du
peuple20 :

20. www.zionism-israel.com.

33

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

« La Haganah est la force armée de la Nation juive qui construit son


indépendance politique sur la terre d’Israël. L’organisation est sous
l’autorité de l’Organisation sioniste mondiale en coopération avec la
Knesset Yisrael [l’Histadrout] en terre d’Israël, elle se tient prête à
les servir et à suivre leurs ordres.
Devoirs de l’organisation :
1. Défense du Yishouv [le peuplement juif] en terre d’Israël contre
quiconque attaque sa vie, sa propriété ou son honneur.
2. Défense de l’effort sioniste et des droits politiques du peuple juif
en terre d’Israël.
3. Défense de la terre d’Israël contre toute activité ennemie de
l’étranger, conformément aux possibilités et aux circonstances
politiques.
L’organisation sert le peuple entier, le Yishouv et le mouvement
sioniste. Le drapeau de l’organisation est le drapeau national, bleu et
blanc. L’hymne national Hatikva [« l’espoir »] est l’hymne national de
l’organisation. L’organisation est ouverte à tout Juif ou Juive qui est
disposé et capable de remplir le devoir de défense nationale.
L’organisation est libre des lois de la domination non-juive, son
existence, le maintien de ses armes et de ses actions dépendent d’un
secret absolu : quiconque viole ce principe peut le payer de sa vie.
L’organisation éduque ses membres à être fidèles au peuple et à la
terre, à aimer la liberté et la renaissance nationale hébraïque, à la
bravoure dans l’esprit, à la fermeté face à la souffrance, à la promp-
titude au sacrifice, à la valeur de la vie humaine, à l’honnêteté de
caractère, à la simplicité et à la culture humaine et juive. »

La doctrine de l’Ushiyot est doublée par un principe


légitimant l’usage de la force : la Havlagah, la « Justice de
l’arme », principe qui est théorisé par l’un des dirigeant du
Mapaï, le parti travailliste né de la fusion de Hapoël Hatzaïr
et de Akhdut HaAvoda en 1930 :
« Havlagah signifie « notre arme sera pure ». Nous apprenons l’arme,
nous portons l’arme, nous résistons à ceux qui viennent nous atta-
quer, mais nous ne voulons pas que notre arme soit tachée du sang
d’innocents (…). Havlagah est à la fois un système politique et
moral, causé par notre histoire et notre réalité, notre comportement

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

et les conditions de notre combat. Si nous n’étions pas fidèles à


nous-mêmes et adoptions une stratégie différente, nous aurions
perdu la bataille depuis longtemps. »

Ainsi, dès 1930, la doctrine d’autodéfense juive intègre


le double impératif de se battre et de respecter une certaine
éthique, questionnement qui rappelle les débats au sein du
rabbinat autour de l’usage de la légitime défense. Le sys-
tème militaire israélien plonge donc ses racines dans une
tension intellectuelle difficile à résoudre : la sécurité et la
morale.
David Ben Gourion, qui est né en Pologne en 1886 et a
immigré en Palestine en 1906, décrit la Havlagah comme
un moyen tactique permettant de se rapprocher des auto-
rités britanniques par un usage limité et réfléchi de la force
armée :
« Pour des raisons politiques, nous ne devrions pas agir comme
les Arabes (…). Les Arabes combattent l’Angleterre, et leur inté-
rêt politique est de combattre l’Angleterre parce qu’ils veulent la
bannir de la terre qu’ils croient appartenir à eux. Nous ne voulons
pas bannir l’Angleterre, au contraire, nous voulons la rapprocher
de cette terre, l’attirer, lui faire acheter cette terre et nous aider à
retourner en Terre d’Israël. »

La Haganah est un corps essentiellement composé de


volontaires, qui prêtent serment lors de leur entrée au sein
de l’organisation au cours d’une cérémonie clandestine21 :
« Nous étions menés dans une salle obscure où nous attendions
pendant un long moment, raconte un membre de la Haganah. De
temps en temps, un jeune homme apparaissait pour mener l’un
d’entre nous dans la salle suivante. Quand mon tour est venu, je suis
entré plein d’excitation. Je ne connaissais pas les trois hommes qui
étaient dans la salle. Sur la table devant moi se trouvait une lampe à
kérozène, une Bible et un pistolet. Je me tenais au garde à vous ; un
des trois hommes me donna l’ordre de mettre ma main sur la Bible,

21. Témoignage publié au Haganah museum, Tel Aviv.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

un second m’a lu le serment de la Haganah, dès qu’il eut terminé je


déclarai : Je le jure ».

Le texte qu’ils lisent est validé par l’Histadrout et men-


tionne l’Ushiyot :
« Par la présente je déclare que, sur la base du volontariat person-
nel et de mon propre engagement, j’entre dans l’Organisation de
défense hébraïque en terre d’Israël. Je jure d’être fidèle à l’organi-
sation de la Haganah chaque jour de ma vie, à sa constitution et
à ses devoirs tels que définis dans sa doctrine de fondation par le
haut commandement. Je jure de me tenir prêt à servir l’organisation
de la Haganah, de suivre sa discipline inconditionnellement et sans
réserve et, à son appel, d’entrer en service actif en tout temps et en
tout lieu, d’obéir à tous ses commandements et de remplir toutes
ses instructions. Je jure de consacrer tous mes pouvoirs et même de
sacrifier ma vie à la défense et à la guerre pour mon peuple et ma
patrie, pour la liberté d’Israël et pour la rédemption de Sion. »

Les révoltes de 1929 et le baptême du feu


Dès 1928, les tensions intercommunautaires en
Palestine reprennent. L’immigration juive exaspère de plus
en plus les Arabes, autant qu’elle inquiète les Britanniques.
En 1929 est créée l’Agence juive dans le but d’être le réfé-
rent des Juifs en Palestine, de leur fournir des papiers et
des facilités. L’Agence engage même des négociations avec
les Britanniques en vue de créer à terme un État indépen-
dant. Les tensions ont encore pour origine l’administration
des lieux saints de Jérusalem, avec la question du Mur des
Lamentations. Ce mur est le dernier vestige de l’enceinte
occidental entourant le second Temple de Jérusalem, épar-
gné par les Romains après la révolte juive de Bar Kokhba
vers l’an 135. L’esplanade au-dessus de ce mur était admi-
nistrée par les musulmans, en raison de l’emplacement du
Dôme du Rocher, là où le Prophète Muhammad aurait

36

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 36 11.09.18 09:43


LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

attaché son destrier divin Bouraq pour aller prier à la fin


de son voyage nocturne entre La Mecque et Jérusalem. S’y
trouve aussi la mosquée Al-Aqsa, troisième plus haut lieu
saint de l’Islam.
D’après les autorités britanniques représentées par
Edward Keith-Roach, lors du Yom Kippour de 1928, des
Juifs auraient violé le statu quo établi depuis l’Empire
ottoman en installant un écran de bois devant le Mur22.
Les troupes d’occupation détruisent aussitôt l’installation,
déclenchant une vague de manifestations chez les Juifs,
qui défendaient leur droit d’accès. Certains occupent
des minarets dans la ville, tandis que le grand Mufti de
Jérusalem distribue des tracts assurant que les Juifs sou-
haitent occuper Al-Aqsa. L’escalade est inévitable. Le 15
août 1929, jour du jeûne de Tish’a bè’av, des jeunes du
Betar23 manifestent avec violence face au Mur, attaquant
quelques musulmans. Le lendemain, jour de grande prière,
le Waqf, l’autorité administrant les lieux saints au nom de
l’Islam, organise une démonstration en réponse à celle du
Betar. Des pamphlets sont rédigés des deux côtés augmen-
tant les tensions.
Le 23 août des émeutes éclatent dans la vieille cité
de Jérusalem où les Arabes attaquent les Juifs. Les jours
suivants, les affrontements s’étendent aux quartiers exté-
rieurs, où les Arabes font face à la Haganah. Les villes de
Haïfa, Safed, Beer Tuva et Jaffa sont elles aussi touchées,
ainsi que de nombreuses colonies et villages. À Hébron, où
les Juifs sont présents depuis le XIIIe siècle, les violences

22. SEGEV, 1999.


23. « Alliance » en hébreu. Le Betar est un mouvement de jeunesse
sioniste radical fondé en 1923 par le Russe Vladimir Jabotinsky,
considéré comme l’un des pères du sionisme.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

commencent le 24 août, mais la communauté juive, pro-


fondément religieuse et antisioniste, y refuse l’aide de la
Haganah. La foule ravage maisons, écoles et synagogues ;
67 Juifs perdent la vie. Les survivants sont sauvés par leurs
voisins arabes qui les cachent pendant les émeutes.
Les troubles durent jusqu’au 29 août. Le bilan humain
est très lourd pour les deux partis : 133 morts et 339 bles-
sés pour les Juifs contre 110 morts et 232 blessés pour les
Arabes d’après la Commission Shaw24. C’est lors de ces
émeutes que la réputation d’invincibilité des forces de la
Haganah naît. L’année 1929 constitue donc un tournant
dans l’histoire de cette « armée ». D’un armement rudimen-
taire, limité à de simples matraques, le mouvement passe
à l’importation clandestine de fusils, à la fabrication de
munitions et d’équipement. Un véritable système d’entraî-
nement se met en place pour faire face aux Arabes mais
aussi aux forces britanniques.
Parmi les hauts faits des affrontement de 1929 figure
la bataille d’Hulda, souvent présentée comme exemple de
la dévotion et de l’esprit de sacrifice des membres de la
Haganah. Hulda est une colonie agricole et un symbole
du sionisme : une forêt y avait été plantée en 1904 en
l’honneur de Theodor Herzl. Le commandant des forces
de la Haganah présent en 1929 est Efraïm Chisik, frère de
Sara Chisik tombée aux côtés de Joseph Trumpeldor à la
bataille de Tel Khaï neuf ans plus tôt. En 1929, la ferme
n’est défendue que par une vingtaine de personnes, avec
femmes et enfants. Chisik arrive pour leur prêter main

24. La Commission Shaw est le résultat de la commission d’enquête


des autorités britanniques sur les émeutes d’août 1929, dirigée par
Sir Walter Shaw. Le rapport publié en mars 1930 conclut que la
cause première des émeutes était la crainte des Arabes palestiniens de
l’immigration des populations juives européennes.

38

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

forte avec vingt combattants de la Haganah qui fortifient


la ferme dès leur arrivée. La nuit du 26 août, Hulda est
prise d’assaut par les Arabes des villages voisins. Les
défenseurs, submergés par le nombre, se replient dans
la maison de Herzl. C’est pendant la retraite que le com-
mandant Chisik est tué, le seul du groupe, tandis que les
assaillants comptent 40 morts. Les défenseurs, assiégés,
résistent jusqu’à l’arrivée des soldats anglais pendant la
nuit. La ferme d’Hulda ainsi que la forêt sont ravagées
par l’incendie, l’endroit reste désert jusqu’à l’arrivée de
colons polonais en 1931. En 1937 un monument est érigé
en l’honneur des défenseurs, plus particulièrement en
l’honneur de Sara et d’Efraïm Chisik, qui intègrent dans la
mémoire sioniste le panthéon des héros d’Israël.

Les révoltes de 1936-1939 et le passage à l’offensive


Les années 1930 voient la montée du nationalisme
arabe en Palestine. L’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933
provoque une nouvelle aliyah d’environ 135 000 Juifs
avant 1935. Cette arrivée massive augmente les tensions
avec les Arabes, d’autant plus que les sionistes-travaillistes
sont décidés à se doter d’un État. Une nouvelle révolte
arabe éclate en 1935. Un imam syrien de Haïfa, Izz al-Din
al-Qassam, prend la tête d’un groupe de partisans pour
combattre les colons juifs et les Britanniques. Il sollicite
en vain le soutien du grand Mufti de Jérusalem en affir-
mant que « le moment de lancer la révolution est arrivé.
Je déclenche la lutte armée dans le nord, faites de même
dans le Sud25 ». Le 20 novembre 1935, il devient le premier

25. BARON, 2003.

39

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

martyr de la cause arabe en étant tué par l’armée britan-


nique.
Les violences reprennent l’année suivante : le 15 avril
1936, deux Juifs sont assassinés à Naplouse. La situation
dégénère le 18 avec la mort de neuf Juifs à Jaffa, ce qui
pousse les autorités britanniques à décréter l’état d’ur-
gence. Une grève générale s’organise, les émeutes sont quo-
tidiennes dans la vieille ville de Jérusalem et la répression
britannique est sévère. Le 25 avril, les nationalistes arabes
du mandat s’unissent autour du grand Mufti de Jérusalem,
Amin al-Husseini. La révolte s’intensifie, touche aussi les
campagnes, et la Haganah doit se réorganiser pour faire
face aux nombreuses bandes armées. L’armée britannique
mobilise de nouveaux contingents suite à l’assassinat du
gouverneur britannique, Lewis Andrew, le 26 septembre
1937.
Outre l’envoi de 20 000 hommes supplémentaires et
l’élimination des chefs insurgés, les Britanniques mettent
en place un réseau de 62 forteresses élaboré par Charles
Tegart afin de stopper toute incursion arabe26. Tegart est
un homme expérimenté, qui a acquis son expérience en
Inde lors des révoltes du Bengale dans les années 1920.
Ses forts sont conçus pour résister à des sièges d’un mois
ainsi qu’à des bombardements. Tegart met aussi en place
un rempart séparant la Palestine mandataire britannique
du Liban contrôlé par les Français27.
Pour les assister dans leur lutte, les Anglais font appel
à des troupes juives. Les responsables sionistes lèvent
ainsi 3 000 combattants. Avec les Britanniques, ils créent

26. HUGHES, 2009.


27. Kevin CONNOLLY, « Charles Tegart and the forts that tower over
Israel », BBCMagazine, 10 septembre 2012.

40

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

en 1936 le Notrim, une police auxiliaire pour maintenir


l’ordre dans les villes avec la Jewish supernumerary police,
ainsi que dans les campagnes avec la Jewish settlement
police28. La plupart des policiers du Notrim sont aussi
membres de la Haganah. La Jewish settlement police est
également dotée de Mobile Squads ou MG’s, composés
de vétérans expérimentés de la Haganah. Chaque Mobile
Squad est assigné à une colonie, doit lancer l’alerte en cas
d’attaque d’une colonie ou d’un convoi juif et intervenir en
renfort29. Ce Notrim sert de base à une autre unité qui sera
elle aussi créée par l’armée britannique pendant la grande
révolte arabe : les Special Night Squads ou SNS.
Les SNS sont la création d’Orde Wingate, un capitaine
d’artillerie écossais arrivé en Palestine pour défendre les
pipelines de l’Iraq Petroleum Company, cibles des insurgés
arabes. C’est en étudiant les méthodes de guérilla enne-
mies qu’il obtient la confiance de la Haganah, avant de
devenir lui-même un défenseur de l’idéal sioniste. Il fonde
en juin 1938 les premiers SNS. Ils forment une force
de 200 hommes répartis en quatre sections. Des cadres
britanniques dirigent 150 Juifs faisant parti du Notrim,
membres de la Haganah et pour la plupart kibboutznikim.
La mission officielle des SNS reste de protéger les pipe-
lines ainsi que la muraille de Tegart en Galilée, mais leur
action reste celle d’une force de contre-insurrection. Les
SNS ont pour but de conduire des raids nocturnes contre
des villages arabes pour stopper et endiguer la menace.

28. Raphael ISRAELI, Monty Noam PENKOWER, Decision on


Palestine Deferred. America, Britain and Wartime Diplomacy, 1939-1945,
Londres, Routledge, 2002.
29. Paula M. RAYMAN, Kibbutz community and Nation Building,
Princeton Legacy Library, 1982.

41

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 41 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Orde Wingate choisit de mettre en place le camp d’en-


traînement de son unité dans le kibboutz de Har, colonie
très militarisée30. En quelques mois les SNS éliminent une
soixantaine d’insurgés, mais leur action est principalement
psychologique, car les Arabes sont plus réticents à lancer
des raids par crainte de tomber dans une embuscade31.
Toutefois, l’unité se rend coupable d’actes de brutalité :
exécutions, tortures, massacre de civils…, aussi est-elle
dissoute un an après sa création.
Orde Wingate reste pourtant considéré comme un
héros par le courant sioniste, et de grandes figures de
l’armée israélienne ont fait leurs premières armes au sein
des SNS, tels que Moshe Dayan et Yigal Allon. Les SNS
ont joué un rôle important dans l’usage de la force au sein
du mouvement sioniste-socialiste, jusqu’à faire évoluer le
Havlagah. Les milices juives jusque-là cantonnées à un
usage purement défensif de la force commencent à réflé-
chir à de nouvelles doctrines, plus agressives.
La révolte arabe de 1936 pousse l’armée clandestine à
se réformer et à se moderniser. L’instigateur de ce passage
à l’offensive est Yitzhak Sadeh, un ancien soldat de l’armée
russe proche de Joseph Trumpeldor. Sioniste-travailliste
convaincu, Sadeh – de son surnom HaZaken, le « vieil
homme » –, crée le Bataillon du travail (Gdud HaAvoda)
à son arrivée en 1920 en Palestine. Il s’agit d’une unité
de kibboutznikim chargés de réaliser de grands travaux.
Il devient le commandant de la Haganah de Jérusalem
en 1921 et fait face aux évènements de 1929. Le choix
d’utiliser des unités offensives commence dès 1936, et, sur
ordre de la Haganah, Sadeh fonde une unité de nomades,

30. Op. cit.


31. MORRIS, 2003b.

42

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 42 11.09.18 09:43


LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

Ha Nodedot. Ces sections mobiles sont principalement


des unités de renseignement chargées de localiser et de
détruire les cellules d’insurgés avant qu’elles ne soient
opérationnelles32. Les Nodedots sont les premiers groupes
à avoir quitté les barrières des colonies pour mener le
combat à l’extérieur, même si leur action se limite à la seule
région de Jérusalem33.
Les Nodedots sont vite remplacés par un autre groupe
crée par Sadeh, le Fosh ou Plugot Sadeh (Fields Companies).
Le Fosh a été fondé avec l’approbation de l’occupant bri-
tannique, et tous ses combattants sont choisis par Sadeh.
Leur mission est, comme les unités nomades, de traquer
et trouver les cellules d’insurgés. La Haganah rencon-
trant des difficultés à obtenir des armes, leur armement
est encore rudimentaire, le plus souvent des fusils Enfield
volés à l’armée britannique. En 1938, le Fosh devient une
force capable d’opérer sur l’ensemble du territoire avec
1 500 hommes répartis en 13 régions. Il existe une certaine
collusion entre les membres du Fosh et ceux des SNS de
Wingate, et des opérations conjointes sont montées ponc-
tuellement34.
La révolte prend fin en 1939 : les Arabes sont épuisés,
leur leaders ont été abattus ou sont en fuite, comme le
grand Mufti de Jérusalem, et les Britanniques publient
un Livre blanc qui impose une limitation à l’immigration
juive en Palestine. Le bilan humain est très lourd pour les
insurgés arabes avec environ 5 000 morts et 15 000 blessés

32. KATZ, 1988.


33. Yoram KANIUK, Exodus Commander’s Odyssey, Tel Aviv,
Hakibbutz Hameuchad Publishing House, 1999.
34. KATZ, 1988.

43

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 43 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

La révolte arabe (avril-juin 1939)

sur les quatre années de révolte35. Après la dissolution des


SNS, et forte de son expérience de la grande révolte arabe
en 1939, la Haganah réforme totalement sa structure, en
profitant de son expérience issue de la révolte. Elle met
en avant le nouvel idéal du guerrier Juif né des unités de
Sadeh et des commandos de Wingate. Le Fosh est dissous

35. HUGHES, 2009.

44

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 44 11.09.18 09:43


LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

en février 1939. La Haganah centralise tout le territoire


juif sous son commandement, permettant une rationalisa-
tion des moyens de défense. La Haganah se divise en deux
corps principaux : le HIM et le Hish, formant ainsi une
armée à deux vitesses.
Le Hish (Heil HaSadeh : « corps de campagne ») est une
force combattante mobile créée en 1939 pour remplacer le
Fosh. Il s’agit d’une unité de volontaires âgés de 18 à 26
ans, de toutes les classes sociales, qui prend la forme d’une
armée régulière, composée d’unités d’infanterie, sans
moyens lourds. Il constitue le principal bras armé de la
défense juive jusqu’à la création de l’État d’Israël en 1948.
Plus des conscrits que de véritables professionnels, les
combattants du Hish ne sont mobilisés que quelques jours
par mois pour s’entraîner et garder les colonies. En 1939,
cette force régulière compte 7 800 hommes répartis en
huit brigades régionales. Le Hish organise des patrouilles
dans les campagnes, protège les activités d’immigration
illégale – l’arrivée massive d’immigrés juifs étant interdite
par l’armée britannique –, contrôle des positions en dehors
des colonies juives en cas d’urgence, sécurise les voies
d’accès aux colonies les plus éloignées3637.
Le Hish concentrant son action au-delà des zones de
peuplement juives, la formation d’une force de défense
stationnaire est nécessaire : le Him (Heil HaMishmar :
« corps de garde »). Composé de combattants plus âgés que
ceux du Hish –­­ de 35 à 50 ans –, le Him est comparable
aux forces territoriales françaises de la Première Guerre
mondiale ; leur entraînement est peu exigeant et leur tâche

36. Jacob MARKOVITZKY, The Etzel Lexicon, Tel Aviv, The Ministry
of Defense Publishing, 2005.
37. DINUR, 1972.

45

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 45 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

se limite à garder des positions, généralement les terres des


colonies3839. Cette institution constitue la majeure partie
des effectifs de la Haganah, avec plus de 30 000 membres
répartis sur toute la zone de peuplement juif en 19454041.
Enfin, certains courants sionistes n’acceptent pas l’idée
d’obéir à une structure unique et veulent en découdre
directement avec les Britanniques. Dès 1937, un courant
milicien fait sécession et quitte la Haganah sous le nom
d’Irgoun (« organisation »). Ouvertement terroriste, il rejette
le principe de Havlagah en mettant en avant le fait que les
Arabes ne comprennent que la force. L’Irgoun prône
l’affrontement sans ménagement avec les musulmans du
mandat, lequel n’est possible que si les Juifs se retrouvent
seuls face aux Arabes, sans la présence britannique. Pour
vaincre, il convient d’abord de renvoyer les Anglais chez
eux. La stratégie de l’Irgoun sera donc de planifier des
campagnes d’attentats anti-britanniques au sortir de la
Seconde Guerre mondiale…

4. Le kibboutz comme outil de défense

Héritiers des premières installations juives du Yishouv,


comme Tel Khaï, les kibboutzim jouent un rôle primordial
dans la défense du territoire juif, dès les révoltes arabes de
1936-1939. Les émeutes de 1929 poussent la Haganah
à coopérer de façon plus intense avec les kibboutzim. Il

38. NAOR, 1992.


39. DINUR, 1972.
40. Yehuda SCHIFF, Ilan KFIR, Yaakov EREZ, Encyclopaedia of the
Army and Security, Tel Aviv, Revivim Publishing, Ma’ariv Edition, 1982.
41. NAOR, 1992.

46

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 46 11.09.18 09:43


LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

Le monde du kibboutz avant 1914.

47

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 47 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

est très vite question de changer ces colonies d’habita-


tion en forteresses. Plus de 50 kibboutzim et moshavim
sont construits selon le modèle Homa u’migdal, « tour et
muraille ». Ce type est établi par l’architecte et membre
de la Haganah Yochanan Ratner (1891-1965), défenseur
d’une organisation territoriale de l’armée clandestine et
commandant de la région Centre du Yishouv. Toutes ces
colonies sont en contact visuel entre elles, établies sur des
sites élevés, de façon à établir une ligne de défense effi-
cace autour des villes ou des vallées stratégiques, sorte de
« Ligne Maginot » du futur État juif. Le premier kibboutz
Homa u’migdal est construit en décembre 1936 à Tel Amal
(aujourd’hui Nir David), situé à l’ouest de Beit She’an.
Les colonies Homa u’migdal sont rudimentaires et
conçues pour être installées en une seule nuit, afin de
permettre un contrôle de zone rapide et garantir l’effet de
surprise. L’ensemble des composants sont préfabriqués en
amont. Généralement de petites tailles – Tel Amal est un
carré de 35 m de côté –, ils s’organisent à la façon d’une
motte castrale, avec sa tour centrale entourée de quelques
habitations. Ces colonies standardisées communiquent
entre elles par le biais d’héliographes situés sur les tours et
fonctionnant avec le code morse. Le mode de vie y est col-
lectiviste, les habitations partagées et le dortoir commun.
Le moshav Beit Yosef (ceinture de Beit She’an) est un
kibboutz Homa u’migdal. Les champs sont protégés par
une barrière. La colonie est organisée autour de la tour
de guet centrale, véritable donjon. La colonie elle-même
est protégée par une muraille de bois renforcée de gravier
séparée des infrastructures par un mince corridor, les pro-
tégeant ainsi d’éventuels shrapnels. Les coins de la colonie
sont bastionnés (The National Geographic Magazine,
décembre 1938, domaine public).

48

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

Le systeme Homa u’migdal a Beit Yosef.

Outre le modèle Homa u’migdal, certains moshavim


sont eux aussi conçus comme des forts. Les habita-
tions forment un noyau très dense organisé en anneaux
concentriques de maisons, ce qui permet une défense
dans la profondeur, obligeant les attaquants à prendre les
maisons les unes après les autres comme à Stalingrad. Les
maisons et les fermes extérieures au noyau sont construites
de façon à couvrir toutes les directions pour permettre des
tirs croisés, à la façon des bastions de Vauban.
L’atout militaire majeur des kibboutzim réside dans sa
population, les kibboutznikim. Leur idéologie agrarienne
les incite naturellement à prendre les armes pour défendre
la colonie, lieu de naissance de l’esprit de défense israélien.

49

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Chaque colonie assure sa propre défense avec ses senti-


nelles armées, issues du Him.
Mais le lien entre kibboutz et défense va plus loin avec
la fondation du Palmach en mai 1941, l’unité d’élite de la
Haganah, héritière du Fosh. Le kibboutz devient alors le
lieu de recrutement, d’entraînement privilégié et la plate-
forme logistique des commandos. Le Palmach, qui compte
jusqu’à 2 000 hommes, recrute uniquement dans les kib-
boutz42. La structure est composée de trois brigades d’in-
fanterie commandées par Yigal Allon, chacune affectée à
une région : Galilée, Jérusalem et Néguev43. Les soldats du
Palmach sont donc tous kibboutznikim, ils ont grandi dans
un kibboutz et y vivent. Contrairement à la Haganah, qui
se voit comme une armée du peuple, ces unités d’élite sont
elles-mêmes composées uniquement de l’élite du Yishouv,
d’idéologie sioniste-travailliste et le plus souvent d’origine
ashkénaze. Là encore, contrairement à la Haganah qui
garde une structure plus défensive, le Palmach est tour-
née vers l’offensive. Son cri de ralliement est « Aharaï ! »
(« Suivez-moi ! »). L’unité possède son propre hymne, Shir
Hapalmah :
« Bien que la tempête monte toujours,
Pourtant nos têtes restent invaincues.
Nous sommes prêts à obéir à tous les ordres,
Le Palmach va gagner, nous avons juré.

De Metulla au Néguev,
Du désert à la plaine,
Tous nos jeunes défendent la patrie,
Jusqu’à ce que nous ramenions la paix.

42. Oz ALMOG, The Sabra :The Creation of the New Jew, University of
California Press, 2000.
43. ALLON, 1970.

50

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LA CONSTRUCTION DE L’APPAREIL DÉFENSIF

Dans le chemin de l’aigle, nous suivons,


Sur les pistes de montagne, nous allons,
Parmi les hauteurs de pierre et les cavernes,
Nous cherchons l’ennemi.

Lorsque vous nous invitez à la bataille,


Nous serons là d’abord le jour ou la nuit,
Nous sommes prêts quand vous donnez l’ordre,
Le Palmach marchera dans la force. »

Les membres de l’unité protègent la colonie en échange


d’un support logistique, même si à l’origine les combat-
tants participaient aussi au travail agricole pour se finan-
cer44. La vie alterne huit jours d’entraînement militaire
pour quatorze jours de travaux au kibboutz. Meir Kedem,
ancien soldat du Palmach témoigne : « Nous avions besoin
de ressources, nous n’avions rien. Il a alors été décidé que
nous travaillerions deux semaines dans un kibboutz puis
que nous nous entraînerions deux semaines. Nous dor-
mions dans des tentes tout ce temps. » L’idéologie antihié-
rarchique des kibboutzim est forte : il n’y a ni chefs directs
ni ordres, tout fonctionne sur la base du volontariat :
« On ne nous ordonnait jamais de faire quoi que ce soit, raconte
Sarka Kedem, ancienne membre de l’unité, ils demandaient tou-
jours qui était volontaire. Un jour, ils ont demandé qui était volon-
taire pour défendre le kibboutz dans lequel nous vivions, Ramat
Yohanan. J’avais 17 ans et j’étais sûre que rien ne pouvait m’arriver,
alors je me suis portée volontaire. »

Le Palmach a joué un important rôle culturel au sein


du kibboutz, puis plus tard dans la société israélienne45. Ses
membres sont à l’origine de l’identité Sabra, qui désigne les

44. « IDF History : Love in the times of the Palmach », idfbog.com,


12 septembre 2014.
45. Elliott ORING, Israeli Humor : The Content and Structure of the
Chizbat of the Palmah, New York, SUNY Press, 1981 (rééd. 2012).

51

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

natifs du Yishouv, par opposition aux immigrés d’Europe.


Les activités du Palmach incluaient le Kumzitz, c’est-à-
dire les réunions autour du feu où l’on mange et se raconte
des histoires, des chants et des longues marches, activités
caractéristiques de la vie militaire qui ont été par la suite
mythifiées au sein de la société israélienne. Le Palmach
a été à l’origine de nombreuses Chizbat, des histoires
drôles qui sont à la base de l’humour israélien, et l’élite
du Palmach deviendra aussi l’élite culturelle du pays : le
poète israélien Yehuda Amichaï, l’écrivain Moshe Shamir
ou encore la poète Hannah Szenes46.

Le moshav circulaire de Nahalal.


Fondé en 1921 dans la vallée de Jezréel, ce moshav suit à la lettre le
modèle de défense circulaire. Le cœur de la colonie est organisé en un
cercle d’habitations ; ce noyau est entouré d’exploitations agricoles et
de fermes couvrant l’ensemble des directions.

46. «Yehuda Amichai was for generations the most prominent poet in
Israel, and one of the leading figures in world poetry since the mid-
1960s », The Times, Londres, octobre 2000.

52

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Seconde partie :

Les débuts de Tsahal


(1947-1967)

1. Le déclenchement de la guerre civile

Les tensions entre Juifs et Britanniques


La grande révolte arabe de 1936 a fait évoluer la poli-
tique britannique vis-à-vis des partis sionistes. Le Lehi,
un groupe d’autodéfense juif de droite, indépendant de la
Haganah, est ouvertement hostile à l’occupation britan-
nique. Parallèlement, la Haganah se renforce, ce qui n’est
pas sans inquiéter Londres. En effet, l’utilité de la Haganah
est prouvée, après que plusieurs villages qui refusaient
son aide aient été dévastés par les bandes arabes1. Les
Anglais mettent en place un nouveau Livre blanc le 17
mai 1939 dans le but d’apaiser les tensions dans le mandat.
Le texte interdit aux sionistes l’achat de terres dans les
régions du nord du Néguev, de Samarie et de Gaza. On
promet la formation d’un État arabe palestinien dans les
dix ans, promesse inacceptable pour les autorités sionistes,
qui envisagent de faire leur priorité de la lutte contre les

1. David ZABECKI, « Hebron Massacre (1929) », Alexander


Mikaberidze, Atrocities, Massacres, and War Crimes. An Encyclopedia,
ABC-CLIO, 2013, p. 237.

53

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Britanniques. David Ben Gourion, dirigeant le parti tra-


vailliste, le Mapaï, déclare en 1939 : « Nous aiderons les
Britanniques dans la guerre comme s’il n’y avait pas de
Livre blanc et nous lutterons contre le Livre blanc comme
s’il n’y avait pas la guerre ».
Les groupes sionistes de droite, le Lehi et l’Irgoun,
assassinent de nombreux soldats britanniques2, avec des
actions de plus en plus nombreuses en 1944. Dans la
nuit du 16 au 17 juin 1946, les commandos du Palmach
détruisent dix ponts essentiels pour l’armée anglaise. Les
Britanniques sont la cible des groupes paramilitaires du
Yishouv, car l’occupant empêche l’arrivée des migrants
juifs, stoppe les navires et internent les passagers à Chypre.
Des 100 000 migrants ayant cherché à entrer en Palestine
de 1939 à 1948, plus de 50 000 seront internés et 1 600
mourront noyés. Or, l’aliyah des années 1940, qui porte
le nom de Ma’apilim3, est prise en charge par la Haganah
qui se charge d’acheminer les Juifs. Les Britanniques sont
donc en conflit ouvert avec la puissante organisation. La
Haganah met en place des cellules de défense au sein des
camps anglais : les Shurot Hamaginim (« rangs des défen-
seurs »), en imposant l’idée chez les internés que « Chypre
aussi est Eretz Israël (« terre d’Israël »)4. Le 22 juillet 1946,
l’Irgoun organise un énorme attentat au King David, un
hôtel de Jérusalem où se trouvait le QG britannique en
Palestine ; 91 personnes trouvent la mort, dont 28 Anglais.
L’état-major britannique en Palestine est décapité.

2. BARNAVI, 1988.
3. Aviva HALAMISH, The Exodus affair. Holocaust survivors and the
struggle for Palestine, New York, Syracuse University Press, 1998, p. 68.
4. Haganah Museum, Tel Aviv.

54

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

La proposition de partage du Plan Peel (1937).

La situation devenant trop complexe, Londres s’oriente


vers un abandon de son mandat sur la Palestine. L’annonce
du retrait britannique est faite le 18 février 1947, laissant
les mains libres à l’ONU pour décider d’un plan de par-
tage de la région.

55

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Le plan de partage de l’ONU


Dès l’annonce du retrait britannique, l’ONU nomme
en avril 1947 une commission spéciale de onze membres
chargée de mettre place un plan de partage de la Palestine.
La première session de la Commission Spéciale pour la
Palestine a lieu en avril 1947. Le 29 novembre 1947, le
plan est accepté par le vote de la résolution 181 de l’ONU.
Ce plan prévoit la division de la Palestine en huit régions
réparties entre deux États, l’État juif et l’État arabe, avec
l’exception de Jérusalem qui restera sous mandat interna-
tional. Outre la répartition des terres, le plan prévoit un
retrait progressif des forces anglaises. La formation des
deux États doit être achevée avant le 1er octobre 1948.
Le plan est accepté par les autorités juives, malgré
quelques réserves concernant certaines frontières et l’im-
migration juive, que les accords limitent. Les autorités
arabes, représentant les deux tiers de la population de
Palestine, refusent catégoriquement le plan qu’elles quali-
fient de « violation du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes ».
Des violences éclatent aussitôt dans les zones mixtes
de Palestine. Le Haut Comité Arabe de Palestine déclare
la grève générale le 1er décembre 19475. Des combats ont
lieu dans les grandes villes, tandis que l’Irgoun lance des
attaques à la bombe. Les forces britanniques, prises entre
deux feux, sont rapidement débordées6.

5. GELBER, 2006.
6. KARSH, 2002.

56

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 56 11.09.18 09:43


LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

Le plan de partage de l’ONU (1947).

La Haganah sur la défensive


Entre décembre 1947 et mars 1948, la violence fait
plus de 2 000 morts dans les villes, puis se répand dans les

57

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 57 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

campagnes7. Les forces de la Haganah font fuir les popula-


tions arabes des grandes villes, telles que Haïfa et Jaffa. Les
autorités juives incarnées par David Ben Gourion refusent
d’abandonner les colonies éloignées et difficilement
défendables, notamment celles du Néguev et de Galilée.
En réponse aux assauts arabes, la Haganah proclame la
conscription obligatoire le 19 novembre 1947, formant
21 000 hommes et femmes âgés de 17 à 25 ans8.
Malgré l’efficacité des hommes de la Haganah et du
Palmach, les forces du Yishouv souffrent d’un manque
important de matériel lourd et d’armes, qui impose de
rester sur la défensive. À partir d’avril 1948, le comman-
dement cherche à se réorganiser pour passer du niveau
compagnie comme unité tactique au niveau brigade
permettant de mettre en place des offensives de grande
ampleur9. Le 10 mars 1948, le général Yigal Yadin lance le
Plan Daleth :
« L’objectif de ce plan est de prendre le contrôle des zones de l’État
hébreu [selon le plan de partage], et de défendre ses frontières. Il
vise également à gagner le contrôle des zones d’implantation et de
concentration juives qui sont situées en dehors des frontières contre
les forces régulières, semi-régulières, et les petits groupes opérant à
partir des bases extérieures ou intérieures à l’État10. »

Le plan ordonne aux trois forces coordonnées de la


Haganah – Him, Palmach et Hish – de consolider l’ap-
pareil défensif, de prendre le contrôle des axes routiers

7. GELBER, 2006.
8. PAPPE, 2000, p. 80.
9. MORRIS, 2003a, p. 16.
10. Yehuda SLUTSKY, L’introduction générale du plan Daleth, Sefer
Toldot Hahaganah (Histoire de la Haganah), 3-48, Tel Aviv, Zionist
Library, 1972.

58

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

majeurs et d’encercler les villes ennemies. La mise en


œuvre du plan Daleth ouvre le début de la deuxième partie
de la guerre, lorsque la Haganah reprend l’initiative.

Le siège de Jérusalem
Les forces arabes prennent rapidement pour cible la
ville de Jérusalem, isolée en plein territoire arabe. Le neveu
du grand Mufti de Jérusalem, Abd al-Qadir al-Husseini,
revenu d’Égypte en décembre 1947, prend la tête de l’
« Armée du saint Jihâd » (Jaysh al-Jihad al-Muqaddis11),
pour encercler Jérusalem. L’homme est rapidement rejoint
par d’autres groupes armés, montant ses effectifs à plus
d’un millier d’hommes. Il s’agit de la première opération
d’envergure des forces arabes du mandat, qui cherchent
à détruire les convois blindés de la Haganah ravitaillant
la cité sainte. Aucun des transports ne parvient plus en
ville. En janvier 1948, les Arabes passent à l’offensive en
attaquant le kibboutz de Kfar Etzion12. Les kibboutznikim
parviennent à résister au prix de lourdes pertes, mais la
Haganah doit abandonner Kfar Etzion, les renforts étant
tombés dans une embuscade.
Pour briser le siège de Jérusalem, la Haganah lance
l’opération Nahshon le 2 avril 1948, en engageant deux
brigades, soit 1 500 hommes13. L’objectif est de prendre le
contrôle des villages arabes situés sur la route de Jérusalem
pour couper al-Husseini de ses avant-postes. Les troupes
du Palmach prennent le village de Qastel dans la nuit du

11. Ted SWEDENBURG, «The role of the Palestinian peasantry in the


Great Revolt », The Israel/Palestine Question, Londres, Routledge, 1999,
p. 129-167.
12. KARSH, 2002.
13. LAPIERRE-COLLINS, 1971, p. 372.

59

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

2 avril. L’offensive principale a lieu le 5 avril et permet au


premier convoi de la Haganah d’entrer à Jérusalem. Une
contre-offensive palestinienne le 8 avril assure la reprise
de Qastel, au prix de la vie d’Abd al-Qadir al-Husseini.
La mort de ce leader charismatique prive les Arabes d’un
commandement unifié et cohérent, et aussitôt la discorde
apparaît entre les chefs14. L’Armée du saint Jihâd perd
de son influence au profit d’un autre groupe armé : l’Ar-
mée du Salut arabe (Jaysh al-Inqadh al-Arabi) de Faouzi
al-Qawuqji. Parce qu’il recrute ses volontaires dans les
pays arabes voisins, al-Qawuqji inaugure l’internationali-
sation du conflit et l’ingérence des pays musulmans dans
la question palestinienne.
L’opération Nahshon se poursuit jusqu’au 20 avril avec
un bilan mitigé, seuls quelques convois ont pu atteindre
Jérusalem, toujours assiégée, échec qui est aussi celui de
Ben Gourion.

Le rôle des kibboutzim


Comme à Kfar Etzion, les kibboutzim jouent un rôle
primordial dans la défense juive, car ils constituent une
ligne discontinue protégeant des points clés du terrain.
Les kibboutznikim, soudés par leur idéologie, sont de
bons combattants, peu enclins à se rendre face aux assauts
ennemis. À l’inverse, ils sont des cibles privilégiées pour les
combattants arabes.
Le 4 avril 1948, la quasi totalité de l’Armée du Salut
arabe se lance à l’assaut du kibboutz de Mishmar HaEmek,
situé dans la vallée de Jezréel15. Pour la première fois dans

14. Op. cit., p. 457.


15. HERZOG, 1982, p. 27.

60

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

le conflit, l’artillerie est utilisée : pendant cinq jours, les


forces d’al-Qawuqji pilonnent le kibboutz avec des canons
de 75 français et des canons de 88 allemands provenant
de l’armée syrienne16. Ce n’est qu’après la préparation
d’artillerie que les Palestiniens lancent l’assaut, en vain,
malgré leur supériorité numérique et le manque d’arme-
ment des défenseurs. Le 7 avril, les tirs d’artillerie cessent
avec l’arrivée de la colonne britannique du général Mac
Millan ; al-Qawuji accepte un cessez-le-feu de 24 heures,
mais exige la reddition du kibboutz, offre rejetée par les
kibboutznikim qui ont profité de l’accalmie pour évacuer
les enfants et faire venir des renforts de la Haganah. La
trêve est fatale pour les forces arabes. La Haganah active
la tactique du plan Daleth : elle lance une contre-offensive
sur les villages arabes avoisinants, menée par les soldats du
Palmach et les combattants des kibboutzim de Jezréel. Le
succès est complet, mais occasionne de nombreuses vic-
times civiles chez les Palestinens.
Contrainte de se replier le 15 avril, l’Armée du Salut
arabe est démoralisée, aussi fait-elle appel aux troupes
druzes de Shakib Wahab pour lancer une offensive de
diversion et faciliter leur repli. Les assauts des Druzes ont
pour objectif un kibboutz situé à l’est de Haïfa : Ramat
Yohanan17. Après plusieurs assauts infructueux, les Druzes
se replient ou font défection, certains mêmes se rendant
à Moshe Dayan pour combattre au côté des Juifs, sans
l’accord de Wahab. Le 9 mai, celui-ci rejoint les rangs de
la Haganah en négociant une enclave druze neutre en
Galilée. Ce retournement soudain des Druzes aura plus
tard une influence majeure sur la politique israélienne à

16. KIMCHE, 1950.


17. MORRIS, 2003a.

61

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

leur égard, en leur offrant un statut particulier parmi les


non-Juifs.
Le rempart que représente le kibboutz dans la guerre
permet à la Haganah de poursuivre sa contre-offensive en
Galilée et dans la région de Tel Aviv, repoussant à chaque
fois les forces arabes. Les zones de peuplement juif sont
progressivement sécurisées et vidées de leurs habitants
arabes, occasionnant l’exode de 250 000 Palestiniens18.

Le massacre de Kfar Etzion et la reprise de Jérusalem


En mai 1948, les troupes transjordaniennes se joignent
aux combattants arabes de Palestine. Contrairement à
celles-ci, inefficaces du fait de leur manque d’entraînement
et d’une logistique inadéquate, la Légion arabe est forte
de 6 000 hommes aguerris et équipés par l’armée britan-
nique. Cette force arabe, la plus puissante de la région,
lance l’assaut le 13 mai 1948 sur Kfar Etzion, point clé
pour le contrôle de la route de Jérusalem19. Grâce à leurs
véhicules blindés et leurs mortiers, les Transjordaniens
prennent le kibboutz après une journée de combats. Les
prisonniers sont aussitôt exécutés, laissant seulement
quatre survivants sur les 131 défenseurs, qui deviennent
des martyrs d’Israël20.
Le massacre de Kfar Etzion a un fort retentissement
au sein de la Haganah. Pour la première fois, un kibboutz
tombe aux mains de l’ennemi. David Ben Gourion, qui

18. LAURENS, 2005, p. 85.


19. Benny MORRIS, The road to Jerusalem. Glubb Pacha, Palestine and
the Jews, Tel Aviv, I. B. Tauris, 2003, p. 138.
20. I. LEVI, Jerusalem in the War of Independence, Tel Aviv, Maarachot-
IDF, Ministry of Defence, 1986.

62

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

Les territoires israéliens en mai 1948.

exige une victoire et une vengeance, ordonne l’opération


de reprise de Jérusalem : Kilshon21. Tandis que la Légion
arabe est occupée en Samarie, un millier d’hommes de la
Haganah sont envoyés reprendre le quartier Bevingrad de
Jérusalem, où se trouvent les installations des Britanniques
sur le départ. Là, les Juifs font face à 600 hommes de

21. GELBER, 2006.

63

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

l’Armée du saint Jihâd commandées par Emil Ghuri.


Grâce aux informations obtenues des Britanniques, la
Haganah prend pied à Bevingrad immédiatement après
le départ du contingent le 15 mai, prenant ainsi l’initiative
sur les forces palestiniennes. Ce qui deviendra plus tard
Jérusalem-Ouest tombe entre les mains de la Haganah.
Ghuri fait appel en vain aux Transjordaniens, qui ne
peuvent rallier Jérusalem dans les temps.

2. La formation de l’État d’Israël (1947-1948)


« Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place (...). Si nous
devons utiliser la force – non pas pour déposséder les Arabes du
Neguev et de la Transjordanie, mais pour garantir notre propre droit à
nous installer dans ces lieux – nous avons la force à notre disposition
(…). Il est très possible que les Arabes des pays voisins viendront les
aider contre nous. Mais notre force sera supérieure à la leur. Non seu-
lement parce que nous serons mieux organisés et mieux équipés, mais
parce que derrière nous, il y a une plus grande force encore, supérieure
en quantité et en qualité. »
David Ben Gourion, 5 octobre 193722.

La déclaration d’indépendance
Le 14 mai 1948, le mandat britannique sur la Palestine
prend fin 23. Le jour même, à 16 heures, David Ben
Gourion déclare l’indépendance de l’État d’Israël dans le

22. Cité dans ses Mémoires, 4, Tel Aviv, 1971, p. 2 97-299 et 330-331.
23. C’est à partir de cette date que le territoire juif est appelé « Israël »,
alors que les organisations juives avaient pour habitude d’utiliser le terme
« Palestine ». Les Arabes de la région s’appelaient « Arabes » et nullement
« Palestiniens ». Les Britanniques préféraient l’expression « Mandat
britannique de Palestine ». Après 1948, le mot « Palestine » devient
l’apanage des organisations arabes, puis de l’OLP, créée en 1964. La
terminologie a donc changé de camp. En désignant l’ancien mandat

64

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

musée de Tel Aviv. Il devient alors le premier chef de gou-


vernement d’Israël. C’est Ben Gourion lui-même qui fait
le choix du nom d’Israël plutôt que de celui de Sion ou de
Judée, afin de trouver une dénomination acceptée par tous
les mouvements sionistes, notamment les religieux. Cette
déclaration ne définit pas clairement le régime politique du
jeune État, et Israël n’aura jamais de constitution, toutefois
les principes essentiels d’un État de droit y figurent bien.
Son discours s’adresse à la fois à la population israélienne
et aux Nations Unies qu’il remercie pour avoir donné un
droit international à l’existence pour l’État hébreu : « Nous
faisons appel aux Nations Unies afin qu’elles aident le
peuple juif à édifier son État et qu’elles admettent Israël
dans la famille des nations ». Mais il ne veut pas fermer la
porte aux pays arabes voisins qu’il sait menaçants :
« Nous tendons la main de l’amitié, de la paix et du bon voisinage
à tous les États qui nous entourent et à leurs peuples. Nous les
invitons à coopérer avec la nation juive indépendante pour le bien
commun de tous. L’État d’Israël est prêt à contribuer au progrès de
l’ensemble du Moyen-Orient24. »

Ce discours masque la certitude des dirigeants juifs que


la paix n’aura pas lieu même après le partage par l’ONU.
Ben Gourion est convaincu qu’Israël devra se débrouiller
seul et qu’il n’obtiendra pas d’aide de la communauté
internationale, si ce n’est en envoyant des observateurs
pour établir des trêves. Pourtant, une dizaine de minutes
après cette déclaration, le Kremlin et la Maison blanche
s’empressent de reconnaître le nouvel État.

par le terme « Palestine », les organisations arabes évacuent l’existence


légale d’Israël.
24. Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, 14 mai 1948
(traduction : La documentation française) ; « The Declaration of the
Establishment of the State of Israel », Official Gazett, 14 mai 1948.

65

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

L’état des forces


Le conflit entre alors dans une nouvelle phase, liée à
l’ingérence croissante des pays arabes, car la déclaration de
Ben Gourion oblige les voisins à sortir de leur immobilisme.
La Ligue arabe est une organisation créée le 22 mars 1945
regroupant alors sept États arabes (l’Égypte, la Jordanie,
le Liban, la Syrie, l’Irak, l’Arabie Saoudite et le Yémen du
Nord). Cette association travaille contre le plan de parti-
tion de l’ONU depuis février 1948, en soutenant politi-
quement l’Armée du Salut arabe. Cependant, les défaites
palestiniennes et la mort d’al-Husseini contraignent le 10
avril la Ligue arabe à envisager la possibilité d’intervenir
directement. Une invasion coordonnée est prévue pour le
15 mai 1948. Le roi Abdallah de Jordanie possède le titre
honorifique de commandant en chef et annonce le 26 avril
sa volonté d’occuper la Palestine. Le but de la guerre n’est
pas de détruire le peuple juif, mais d’empêcher la création
d’une institution politique et territoriale juive qui viendrait
donner une légitimité et une stabilité au sionisme.
Les forces arabes se mobilisent début mai, mais cha-
cune restera indépendante des autres et limitée à son
théâtre d’opération, ce qui ne peut manquer de fragiliser
la coalition. Le 4 mai, 1 500 Irakiens arrivent dans la ville
transjordanienne de Mafraq ; 7 000 Égyptiens sont massés
dans le Sinaï, sûrs d’eux. À l’instar des troupes françaises
de 1870, les Égyptiens pensent que l’invasion sera « une
parade sans le moindre risque et que leur armée sera à Tel
Aviv en deux semaines25 ». Mais la même chose essentielle
fait défaut à ces deux armées : les cartes topographiques.
L’idée entretenue selon laquelle l’affrontement était
celui d’un « petit David juif confrontant un Goliath

25. LAPIERRE-COLLINS, 1971, p. 453.

66

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

arabe géant26 » est à relativiser. Les forces en présence le


15 mai 1948 témoignent certes d’une supériorité arabe,
mais celle-ci n’est pas écrasante : les 19 000 combattants
israéliens font face à 23 000 soldats arabes qui manquent
d’unité 27. Ces derniers sont en outre rejoints par des
volontaires du Pakistan et du Soudan. Ils disposent d’un
matériel lourd (artillerie, blindés et aviation), alors que
l’acheminement d’un tel matériel au profit de la Haganah
est en cours de route vers Israël. La situation des forces
juives est bien meilleure qu’au début de la guerre civile : les
Arabes de Palestine sont pour la plupart vaincus, les zones
de peuplement juif sont sécurisées et seules les troupes
transjordaniennes représentent encore une menace.
Les plans d’invasions arabes ne font pas l’unanimité
au sein des différents commandements. Chaque armée
possède un objectif différent : les Syriens ciblent le Golan,
les Irakiens attaquent au centre pour faire un coup de fau-
cille vers le nord et rejoindre les forces syriennes au sud
de la Galilée. Les Égyptiens lancent l’offensive le long du
littoral, tandis qu’une partie de leur force doit faire jonc-
tion avec les Transjordaniens à Hébron. Enfin, la Légion
arabe concentre son action sur Jérusalem et le corridor
reliant Tel Aviv à la ville sainte. Le front principal se situe
dans la région de Jérusalem, opposant les Israéliens aux
Transjordaniens.

26. Avi SHLAIM, «The Debate about 1948 », International Journal of


Middle East Studies, 27-3, 1995, p. 294s.
27. KIMCHE (Jon et David), A clash of destinies, The Arab-Jewish War
and the founding of the state of Israel, Literary Licensing, New York, 1960.

67

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

L’invasion arabe (15 mai – 1er juin 1948)

Les Israéliens sur la défensive (15 mai-11 juin)


Dès le 19 mai débute la bataille pour Jérusalem à trois
endroits distincts : au kibboutz Ramat Rachel sur le front
Sud, à Latroun sur le front Ouest et à Jérusalem même.
Le 14 mai, les Transjordaniens prennent place sur le fort
de Latroun, qui est un verrou stratégique contrôlant la
seule voie d’accès à la cité sainte. La Légion arabe met en

68

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

place un blocus efficace entre Latroun et Bab al-Oued. Les


Israéliens sont encerclés dans la ville à partir du 22 mai
avec l’arrivée des Égyptiens à Ramat Rachel. Le lende-
main, c’est au tour des Irakiens d’approcher de Jérusalem-
Est. Le blocus se renforce.
Dans la ville, les soldats de la Haganah combattent aux
côtés de ceux de l’Irgoun et du Lehi. La défense du kib-
boutz de Ramat Rachel est primordiale pour conserver les
faubourgs Sud de la ville. Les 80 kibboutznikim font face
à la 2ème brigade égyptienne. Le kibboutz est pris et repris
cinq fois jusqu’au 26 mai où il tombe définitivement. Dans
l’espoir de sauver Jérusalem, les Israéliens lancent l’opéra-
tion Ben Nun le 24 mai pour briser le blocus. L’opération
est un échec, car les Juifs attaquent sans reconnaissance
ni effet de surprise, et tombent sous le feu de l’artillerie
transjordanienne28. La Haganah déplore 72 morts et 140
blessés, dont le jeune lieutenant Ariel Sharon, contre seu-
lement 5 morts et 6 blessés côté transjordanien. La vieille
ville de Jérusalem tombe le 28 mai. Ce n’est qu’au terme
de trois tentatives infructueuses que la Haganah parvient à
franchir le blocus de Latroun par la « Route de Birmanie »,
véritable Voie sacrée ravitaillant les quartiers juifs de
Jérusalem.
L’assaut syrien dans le Golan le 15 mai est un succès,
mais il est stoppé le 20 mai devant Degania, le premier kib-
boutz duYishouv. Les Syriens se replient à l’est du Jourdain
avant d’attaquer le moshav de Mishmar HaYarden le 6
juin. La colonie résiste maison après maison avant de
tomber le 10 juin. Enfin, l’armée irakienne chargée de faire
jonction avec les Syriens est elle aussi arrêtée au sud du lac
de Tibériade, au kibboutz Gesher. Les Irakiens choisissent

28. MORRIS, 2008, p. 221-224.

69

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

de repartir vers le sud. Les kibboutzim de Tibériade ont


donc permis de stopper l’offensive arabe et d’empêcher la
jonction des différents bataillons en Galilée.
Suite à leur retrait, les Libanais ne participent que très
peu à la bataille de Galilée, laissant seule l’Armée du Salut
arabe, désorganisée et privée de ses combattants druzes.
L’armée libanaise participera seulement à la bataille de
Malkiya, qui aboutit à la prise du village chiite palestinien
le 6 juin. Il s’agit de la seule action de guerre libanaise du
conflit29. Saint-Jean d’Acre tombe le 21 mai aux mains
des kibboutznikim ; ceux d’Aïn Mamifraz ont même
repris la colline Napoléon surplombant l’est de la ville où
Bonaparte avait échoué 150 ans auparavant30. Pourtant, le
front de Galilée n’est pas prioritaire et la Haganah renonce
à une offensive.
La campagne menée par les divisions égyptiennes
est l’une des plus efficaces. Elle suit trois axes : la plaine
côtière, le Néguev et la Judée. Le long du front de mer
les Égyptiens avancent rapidement jusqu’à Ashdod, où ils
sont stoppés par la Haganah31. Dans le nord du Néguev,
l’objectif est d’attaquer Tel Aviv, mais les Égyptiens sont
freinés par les colonies juives de la région. Le premier
kibboutz attaqué est Yad Mordechaï, situé au sud d’Ashke-
lon. Après avoir planifié l’assaut pendant deux jours, deux
bataillons d’infanterie appuyés par un bataillon blindé
et par de l’artillerie attaquent le 19 mai. Le kibboutz est
défendu par 110 kibboutznikim renforcés par vingt sol-
dats du Palmach. L’assaut parvient à franchir la première
ligne de défense, mais les Égyptiens se replient après trois

29. Boutros DIB, Histoire du Liban, Paris, Éditions Philippe Rey, 2006.
30. KESSEL, 1965.
31. MORRIS, 2008, p. 242.

70

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

heures de combat. Les 20 et 21 mai le village est systéma-


tiquement bombardé, et le 23 mai les Égyptiens tiennent le
kibboutz32. L’assaut de Yad Mordechaï a toutefois montré
qu’il était impossible de réduire chaque colonie juive ; l’ar-
mée égyptienne continuera donc sa progression en laissant
délibérément des poches de résistance dans son dos. En
Judée, l’offensive est plus rapide et le kibboutz de Ramat
Rachel tombe facilement.
La veille de la première trêve du 11 juin 1948, les
Israéliens ont réussi à maintenir l’ensemble de leurs ter-
ritoires à l’exception de la vieille ville de Jérusalem. Mais
ils sont restés essentiellement sur la défensive. Il faut un
nouveau souffle pour remporter la guerre, souder les liens
entre toutes les forces vives du peuple juif. C’est dans un
esprit offensif que, le 28 mai 1948, David Ben Gourion
annonce la création des forces armées israéliennes :
l’ « Armée de défense d’Israël », ou Tsva Haganah LeIsrael,
dont le diminutif est Tsahal33. Tsahal absorbe immédiate-
ment les forces de la Haganah, soit 35 000 hommes, puis
les 5 000 de l’Irgoun et du Lehi34.

32. Kenneth POLLACK, Arabs at War. Military Effectiveness, 1948-


1991, University of Nebraska Press, 2002.
33. RAZOUX, 2006, p. 76.
34. Op. cit., p. 79.

71

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

3. La victoire d’Israël
La trêve du 11 juin 1948 et l’unification de Tsahal

Les frontières issues de la guerre (1948-1949)

L’ONU, dépassée par l’ampleur du conflit, propose


une trêve entre les belligérants le 22 mai 194835. Les deux

35. PAPPE, 2000, p. 191.

72

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 72 11.09.18 09:43


LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

camps, épuisés, l’acceptent, et Israël compte en profiter


pour se réorganiser. Le Conseil de sécurité des Nations
Unies, représenté par le prince suédois Folke Bernadotte,
supervise la trêve qui durera 28 jours. Les matériels lourds
(avions, blindés, canons) achetés avant la création de l’État
sont alors acheminés dans les ports israéliens, ainsi que des
pistolets-mitrailleurs britanniques Sten. Tsahal renforce
la mobilisation, et ses effectifs passent à 60 000 hommes,
alors que les forces de la Ligue arabe n’évoluent pas.
Politiquement, David Ben Gourion, qui est à la fois
Premier ministre et Ministre de la Défense, cherche à
effacer les différends idéologiques trop grands au sein des
sionistes afin d’avoir une armée unifiée. Il commence par
limiter l’influence travailliste des kibboutznikim de son
appareil militaire en suspendant les trois brigades d’élite du
Palmach. Elles sont réorganisées en groupes territoriaux :
la Brigade Harel qui mènera le combat sur Jérusalem et
les Brigades Néguev et Yiftah chargées de repousser les
Égyptiens dans le Sinaï. Ben Gourion peut ainsi purger de
son état-major tous les généraux travaillistes du Mapam, la
tendance marxiste des travaillistes, face au Mapaï, la ten-
dance socialiste36. Il veut notamment limoger Yisrael Galili,
membre de la Knesset, représentant du Mapam et chef
d’état-major de la Haganah depuis 1946.
Le 24 juin 1948, Yigal Yadin, chef d’état-major par
intérim, présente une liste de généraux travaillistes pour
prendre la tête des opérations. Ben Gourion propose une
autre liste comprenant trois anciens généraux britanniques
et les jeunes Mordechaï Makleff – 28 ans – et Moshe Dayan
– 33 ans. Cette ingérence politique déclenche aussitôt une

36. Yoram PERI, Between battles and ballots. Israeli military in politics,
Cambridge University Press, 1983.

73

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

fronde chez les généraux et Yadin démissionne37. Le 31


juin 1948, Ben Gourion menace de démissionner. Face au
risque de crise politique, le cabinet des généraux accepte
les conditions du ministre : Galili perd son poste et Ben
Gourion reste aux commandes, renforcé38.
L’unification politique des forces armées touche aussi la
droite, représentée par l’Irgoun, organisation difficilement
gérable au sein de Tsahal. Le 22 juin 1948, l’Altalena, un
navire cargo transportant clandestinement des armes des-
tinées à l’Irgoun est détruit par Tsahal sur l’ordre de Ben
Gourion39. L’incident lui sert de prétexte pour dissoudre
les unités combattantes de l’Irgoun ayant rejoint Tsahal en
arrêtant les chefs de l’organisation40.
Ben Gourion a donc efficacement profité de la trêve
pour effacer toute forme d’opposition politique : « Unifiée,
disciplinée, convenablement armée et entraînée, Tsahal
devient une force de frappe redoutable41 ».

La campagne des dix jours et la nouvelle trêve


La trêve prend fin le 8 juillet 1948, occasion pour Tsahal
de monter ses effectifs à 75 000 hommes et de lancer trois
grandes offensives. La première est l’opération Dani char-
gée d’élargir le couloir côtier israélien en prenant les villes
de Lydah et de Ramle, avant d’attaquer les positions de
Ramallah et de Latroun. L’arrivée de l’aviation donne

37. Op. cit., p. 55.


38. KIMCHE, 1950.
39. Altalena est le nom de plume de Ze’ev Jabotinsky, créateur de
l’Irgoun.
40. SCHATTNER, 1991, p. 249.
41. BARNAVI, 1988, p. 197.

74

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

l’avantage à Tsahal et les deux premières villes sont prises


en quatre jours. La deuxième partie de l’opération est un
échec pour les forces israéliennes qui ne parviennent pas
à s’emparer de Latroun défendue par la Légion arabe42.
La seconde offensive, l’opération Dekel, se porte sur la
Galilée et Nazareth où s’est réfugié le reste de l’Armée du
Salut arabe. La ville tombe le 16 juillet43. Enfin, la troisième
offensive est l’opération Kedem, avec pour objectif la vieille
ville de Jérusalem, laquelle ne sera pas atteinte, en raison de
la pugnacité de la Légion arabe. Malgré ces demi-succès,
la campagne des dix jours est perçue comme une réussite,
car les forces arabes ont perdu l’initiative.
Le 15 juillet 1948, l’ONU ordonne un nouveau cessez-
le-feu, effectif trois jours plus tard. Un nouveau plan de
partition est envisagé : l’hypothèse d’un État palestinien
est enterrée ; les régions de Judée et de Samarie seraient
annexées par la Transjordanie ; l’État d’Israël annexerait la
Galilée ; Jérusalem ainsi que la route Tel Aviv / Jérusalem
seraient administrées par l’ONU. Le plan est aussitôt rejeté
par la Ligue arabe, qui s’obstine à nier l’existence de l’État
d’Israël. Les Israéliens sont aussi hostiles à la proposition.
Les restes du Lehi, encore actifs à Jérusalem, assassinent
Folke Bernadotte le 17 septembre 1948. Cet acte terro-
riste, qui décrédibilise la cause juive, convainc le gouverne-
ment israélien de supprimer le Lehi et l’Irgoun, principale-
ment pour soulager l’opinion mondiale44. Dans les faits, les
membres du Lehi seront amnistiés à la fin du conflit. Après
la trêve, Tsahal compte plus de 88 000 hommes et gagne

42. MORRIS, 2008, p. 193.


43. MORRIS, 2003c, p. 416-423.
44. SCHATTNER, 1991, p. 253-254.

75

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 75 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

ainsi l’avantage du nombre face à un ennemi encore plus


divisé et peu motivé45.

La dernière phase du conflit


(15 octobre 1948-10 mars 1949)
Les forces israéliennes profitent de la discorde entre
les pays arabes pour pouvoir abattre leurs ennemis sépa-
rément. Tsahal cherche tout d’abord à dégager les kib-
boutzim du nord du Néguev, encerclés par les Égyptiens.
Pour éviter de passer pour les agresseurs, les Israéliens
organisent un convoi humanitaire chargé de ravitailler les
colonies, convoi évidemment attaqué par les Égyptiens.
Cet acte brutal justifie la réponse militaire d’Israël46. Le
15 octobre débute l’opération Yoav, dirigée par Yigal Allon,
ancien chef du Palmach. Malgré le contrôle du ciel par
Tsahal et la destruction d’une partie de l’aviation égyp-
tienne, l’avancée est lente et les pertes lourdes47. Tsahal
parvient à reprendre la région de Beer-Sheva, mais la résis-
tance égyptienne continue. Contrairement aux attentes du
Caire, la Légion arabe transjordanienne n’attaque pas48.
L’opération Yoav prend fin par un troisième cessez-le-feu
de l’ONU, mais l’accord s’étend seulement aux États sou-
verains, aussi Israël a-t-il les mains libres pour s’attaquer à
l’Armée du Salut arabe, groupe non reconnu, et reprendre
le reste de la Galilée, région qui appartient officiellement à
Israël. Le 28 octobre Tsahal lance l’opération Hiram pour

45. Ahron BREGMAN, Israel’s Wars. A History Since 1947, New York,
Routledge, 2002, p. 24.
46. GRESH-VIDAL, 1994, p. 194.
47. Op. cit., p. 191.
48. BARNAVI, 1988, p. 199.

76

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 76 11.09.18 09:43


LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

réduire ce mouvement arabe. Trois jours plus tard, l’opé-


ration prend fin avec l’occupation de toute la Galilée et la
fuite vers le Liban des reliquats de l’Armée du Salut arabe.
Israël profite ensuite des violations du cessez-le-feu
par les troupes égyptiennes pour attaquer dans le nord du
Néguev avec l’opération Horev. En dehors de Falouja où
une brigade résiste, l’avancée israélienne dépasse Gaza et
atteint le Sinaï égyptien. Face à la pression de Londres, qui
ne veut pas d’une guerre près du canal de Suez, Tsahal
quitte le Sinaï pour se concentrer sur la poche de Falouja.
Mais Le Caire demande un armistice fin février, ce qui
sauve ses troupes49.
La dernière opération militaire de la guerre a lieu dans
l’extrême sud du désert du Néguev, car Ben Gourion
cherche à conquérir un accès à la mer Rouge, quitte à
sortir du cadre territorial imposé par l’ONU. L’opération
Ouvda (« travail accompli ») débute en mars et ne ren-
contre que peu de résistance, les Transjordaniens laissant
Israël prendre Eilat50. L’évènement marquant la fin du
conflit est la montée du drapeau israélien à Umm Rashrash
le 10 mars 1949, évènement qui n’est pas sans rappeler la
conquête d’Iwo Jima par les marines américains.

Le processus de paix et les conséquences du conflit


Des armistices sont signés le 24 février 1949 avec
l’Égypte, le 23 mars avec le Liban, le 4 avril avec la
Jordanie et enfin le 20 juillet avec la Syrie. Les autres
belligérants retirent leurs troupes du territoire juif sans
accepter la paix.

49. GELBER, 2006, p. 216.


50. PAPPE, 2000, p. 251.

77

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 77 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

La Palestine disparaît, annexée par les belligérants.


Jérusalem-Ouest, ville au statut international administrée
par l’ONU, est conquise par Israël, tandis que l’est va à
la Transjordanie. Le partage des territoires palestiniens
permet à Israël d’homogénéiser son espace, notamment
grâce au gain de la partie centrale ; la Transjordanie annexe
la Cisjordanie et devient la Jordanie. Le bilan humain de
la guerre est lourd : Israël déplore 5 700 tués et 12 000
blessés, tandis que ses ennemis ont environ 15 000 morts
et 25 000 blessés51. Plus de 700 000 Arabes quittent les
territoires juifs et 100 000 Juifs rejoignent Israël.
Deux armées sortent vainqueurs du conflit : l’armée
transjordanienne et Tsahal. La première bénéficiait de
l’expérience britannique et trouvait son origine dans la
révolte arabe de 1916 contre l’empire ottoman. Depuis
1929, elle était commandée par John Bagot, dit Glubb
Pacha, un officier anglais qui devint chef de la Légion
arabe, qu’il dota d’un armement moderne et transforma en
corps d’élite, discipliné et efficace.
Les batailles de 1948 prouvent aux Israéliens qu’il
vaut mieux éviter de s’attaquer directement aux forces de
la Légion arabe. Les accords proposés par l’ONU sont
à l’avantage du roi Abdallah de Jordanie qui peut ainsi
étendre son territoire sur la Cisjordanie, aussi des négocia-
tions entre les deux pays ont-elles eu lieu dès janvier 1949.
Les pourparlers portent sur la région dite du «Triangle »
occupée par la Légion arabe et située à l’est de Haïfa.
Les Israéliens souhaitent récupérer cette région dans le
but d’élargir le couloir littoral pour protéger le port de
Haïfa, le plus grand du pays. Abdallah refuse de se plier

51. RAZOUX, 2008, p. 97.

78

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

aux demandes israéliennes jusqu’au départ des forces ira-


kiennes de Samarie le laissant seul pour négocier52.
Le monde arabe refuse la défaite, qu’ils nomment al-na-
qba, « la catastrophe », considéré chez les Arabes comme
l’équivalent de la Shoah (la « catastrophe » en hébreu). La
Naqba est d’ailleurs la cause de nombreux renversements
de régimes dans la région, notamment celui du roi Farouk
d’Égypte, accusé de trahison et de mollesse. Les consé-
quences sont lourdes aussi pour l’empire britannique qui
doit retirer ses forces du Proche-Orient. L’État d’Israël
devient la plus grande puissance militaire de la région.
Dans l’opinion juive, qui qualifie le conflit de « guerre
d’indépendance » ou « de libération », la victoire est due
au parti travailliste israélien : le Mapaï, le parti de Ben
Gourion qui a donné naissance à l’Histadrout et à la
Haganah53. Toutefois, le Premier ministre s’est ingénié à
limiter l’influence du Mapam, l’aile gauche travailliste.
La victoire de 1949 a en outre été permise par la résis-
tance des kibboutzim dans la première partie de la guerre,
ralentissant l’avancée de la Ligue arabe. Bien que le rôle
des kibboutzim soit moins important à compter du 11
juin 1948, les officiers kibboutznikim comme Yigal Allon
et Moshe Dayan ont été essentiels dans la contre-offen-
sive. Cette victoire est principalement due à l’infanterie
d’élite de Tsahal, composée des unités du Palmach, et
donc de soldats kibboutznikim. L’indépendance d’Israël
conforte ainsi l’idéologie travailliste dont le fer de lance
reste le mouvement kibboutzim. Si Ben Gourion ne fut
pas militaire lui-même, les fonctions gouvernementales
sont désormais indissociables de Tsahal. L’esprit de la

52. PAPPE, 2000, p. 252-256.


53. ALLON, 1970, p. 41.

79

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

défense participe des gènes du jeune État. Par la suite, sept


Premiers ministres occupèrent aussi le poste de Ministre
de la Défense54.

4. De la révolte palestinienne à la Crise de Suez


(1956)

L’évolution des frontières d’Israël (1949-1980)

54. RAZOUX, 2008, p. 45.

80

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

La lutte contre les Palestiniens


« L’Égypte a décidé d’envoyer ses héros, les disciples des pharaons
et les fils de l’Islam qui purifieront la terre de Palestine (…). Il n’y
aura pas de paix à la frontière d’Israël parce que nous exigeons la
vengeance, et la vengeance signifie la mort d’Israël ».
Discours de Nasser, 31 août 1955.

Dès la fin de la guerre, en 1949, se pose la question


des réfugiés palestiniens, en fuite pour la plupart à Gaza
ou en Jordanie55. Plus de 30 000 d’entre eux parviennent
à retourner dans leurs villages, mais les services israéliens
voient dans cette immigration illégale une menace56. Le
chef des services secrets, Yeshoshfat Harkabi, craint qu’ils
ne rallient les combattants fedayin. Le premier raid fedayin
part de Syrie en 1951, inaugurant une série d’attaques
jusqu’en 195357. Pour limiter ces infiltrations, le gouverne-
ment israélien installe des colonies le long des zones fron-
tières, sans succès notable. Le mouvement fedayin s’ac-
croît même, avec la chute du roi Farouk d’Égypte en juillet
1952 au profit des colonels nationalistes, puis de Nasser58.
Dès 1953, Le Caire soutient directement les fedayin de
Gaza, et l’aide fournie s’intensifie l’année suivante, d’autant
que les renseignements égyptiens entraînent des fedayin.
Les troupes régulières d’Israël sont chargées de lutter
contre les infiltrations palestiniennes, mais les méthodes
sont inadéquates, car Tsahal n’a pas l’entraînement

55. MORRIS, 2003b.


56. Meron BENVENISTI, Sacred Landscape. Buried History of the Holy
Land Since 1948, University of California Press, 2000.
57. Orna ALMOG, Britain, Israel, and the United States, 1955-1958,
Beyond Suez, Londres, Frank Cass, 2003, p. 20.
58. BARON, 2003, p. 86.

81

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

contre-insurrectionnel qu’avait le Palmach. Le 25 janvier


1953 un bataillon d’infanterie chargé d’attaquer le village
de Falameh abritant des fedayin, se trompe de cible en
attaquant un village israélien puis la garde nationale jor-
danienne.
Face à la menace constante de ses voisins arabes, le
gouvernement israélien veut faire de Tsahal une armée
conventionnelle comparable aux standards mondiaux.
Il faut développer et moderniser l’équipement. Tel Aviv
achète en 1954 ses premiers chars de combat, deux cents
AMX-13 français qui serviront jusqu’à la guerre de 1967,
et 250 Super Sherman américains. L’armée israélienne
se procure aussi auprès des États-Unis ses premiers héli-
coptères de transport. Le service militaire est allongé de
six mois pour les hommes et permet ainsi de réduire le
nombre de soldats de carrière.
La formation militaire est modifiée et améliorée, afin
d’aider les soldats à mieux empêcher les infiltrations
de combattants syriens et fedayin. Face à cette menace
hybride, faire de Tsahal une armée classique ne suffit
pas. Ben Gourion demande donc au chef d’état-major,
Mordechai Maklef, ancien membre de la Haganah, de
mettre en place une unité de forces spéciales adaptée à la
contre-insurrection59. Le commandant Ariel Sharon mène
cette Unité 101 dès sa création le 28 aout 1953. Elle n’est
composée que de jeunes Tzabra (ou Sabra), c’est-à-dire de
jeunes nés en Israël, issus des kibboutzim ou des moshav,
et ne dépasse pas plus de 25 membres. L’Unité 101 renoue
donc avec les traditions du Palmach par son recrutement

59. RAZOUX, 2008, p. 133-135.

82

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

élitiste60. Mais ce corps est vivement critiqué par les unités


parachutistes, les Tzanhanim, qui les voient comme des
concurrents.
Cette unité est novatrice car elle ne dépend d’aucun
commandement régional de Tsahal et ne répond qu’aux
ordres directs du chef d’état-major, qui décide de la marche
à suivre sans se soucier du Premier ministre de l’époque,
Moshé Sharett. L’uniforme de l’unité ne porte d’ailleurs
aucun signe distinctif. Ses membres sont les premiers sol-
dats à utiliser le célèbre pistolet-mitrailleur Uzi, arme de
petit calibre entièrement conçue en Israël. La majorité des
actions de contre-insurrection de l’Unité 101 consiste en
raids de représailles nocturnes sur des villages palestiniens
de la région de Gaza hébergeant des fedayin 61. Le groupe
opère également contre les forces égyptiennes, notamment
par le biais d’assassinats ciblés.
L’opération la plus célèbre de l’Unité 101 est l’opéra-
tion Shoshana, dans la nuit du 14 au 15 octobre 1953. Le
village cisjordanien de Qibya était identifié comme un lieu
d’infiltration de fedayin. L’Unité 101 est donc chargée de
détruire le village à l’aide de 700 kg d’explosif. Mais l’opé-
ration tourne mal et cause la mort d’une soixantaine de
civils. L’opinion internationale est si émue que l’unité est
dissoute en janvier 1954. Pourtant, son héritage tactique
est resté fort au sein de Tsahal, dans les forces conven-
tionnelles ou spéciales, et le chef d’état-major Amnon
Lipkin-Shahak déclara en 1998 : « L’Unité 101 constitue
un chapitre important de l’histoire de la sécurité du pays

60. Yossi Klein HALEVI, Like Dreamers. The Story of the Israeli
Paratroopers who reunited Jerusalem and divided a Nation, New-York,
Harper, 2013, p. 43.
61. « The roots of Ariel Sharon’s legacy », Al-Ahram, 26 Janvier 2006.

83

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 83 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

parce que l’esprit de cette unité est ce qui fait la force de


l’armée israélienne, même aujourd’hui ».
Le choix de mêler le savoir-faire de l’Unité 101 à celui
d’un groupe parachutiste pour en faire une unité d’élite
vient du général Moshe Dayan, l’étoile montante de l’ar-
mée israélienne. Le 890e Bataillon parachutiste, répon-
dant au nom d’Echis, est de nature mixte (parachutistes
et ex-forces spéciales). Toujours commandée par Ariel
Sharon, cette unité conduit de nombreux raids contre les
fedayin. Mais le départ des forces britanniques de la région
suite à l’accord de Suez d’octobre 1954 change la donne.
La fin du bouclier anglais rend la possibilité d’une attaque
égyptienne plus tangible. Dès lors, le 890e Bataillon est
chargé de s’en prendre à l’armée égyptienne de façon clan-
destine, toujours sans l’accord de Moshé Sharett. Sharon
mène ainsi l’opération Black Arrow le 28 février 1955, qui
se solde par la mort de 38 soldats égyptiens dans la région
de Gaza62. Les incursions israéliennes en 1955 sont de plus
en plus violentes : l’opération Elkayam du 31 août fait 72
victimes égyptiennes ; et le 2 novembre l’opération Volcano
occasionne 81 tués et 55 prisonniers63. Les Tzanhanim
parviennent même le 13 juillet 1956 à assassiner le colonel
Mustapha Hafez, initiateur de nombreux raids fedayin.
Les forces spéciales de cette période sont incarnées
par Meir Har-Zion. Né en 1934, Meir Har-Zion passe
son enfance dans un moshav, à Rishpon, avant de passer
son adolescence dans des kibboutzim, à Ein-Harod puis à
Beit Afa. En 1949 il est fait prisonnier avec sa sœur par un

62. Spencer TUCKER, The encyclopedia of the Arab-Israeli conflict,


Santa Barbara, ABC-Clio, 2008, p. 1162.
63. Dror ZE’EVI, Israel’s reprisal policy, 1953-1956, the dynamics of
military retaliation, New York, Frank Cass, 2005, p. 152.

84

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 84 11.09.18 09:43


LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

berger palestinien. Il parvient à s’échapper en traversant le


désert jordanien pour se rendre à Petra, comme de nom-
breux jeunes juifs intrépides64. Il passe rapidement pour un
héros auprès de la jeunesse kibboutznik. Il s’engage dans
l’Unité 101 et participe, en qualité de chef de section, à
l’opération de Qibya. Il rejoint ensuite le 890e Bataillon où
il s’illustre65. En février 1955, sa sœur Shoshana est assas-
sinée par des bédouins de Wadi Al-Ghar, dans le désert de
Judée, territoire contrôlé par la Jordanie. Bien décidé à se
venger, Har-Zion réunit trois membres du 890e Bataillon ;
il capture le 4 mars 1954 six bédouins qu’il interroge avant
d’en exécuter cinq, laissant le dernier fuir. Cet action n’est
pas formellement condamnée par Sharon, alors comman-
dant de Har-Zion, qui l’excuse en disant que c’est « le
genre de vengeance rituelle que les bédouins comprenaient
parfaitement66 ». Après vingt jours d’arrêts, Har-Zion est
libéré, peut-être couvert par Moshé Dayan, selon Moshé
Sharett, Premier ministre de l’époque : « L’âme sombre
de la Bible est devenue vivante parmi les fils de Nahalal
(Dayan) et d’Ein Harod (Har-Zion) ». La carrière d’Har-
Zion prend fin le 11 septembre 1956 où il est blessé à la
gorge lors de l’assaut d’un fort jordanien. Il est récompensé
par la médaille du courage, une des trois plus grandes
distinctions israéliennes. Moshé Dayan le décrit comme
« le meilleur de nos commandos » et par Sharon comme

64. Yadin ROMAN, «The Lure of The Trail », Eretz, 96, novembre-
décembre 2004.
65. Benny MORRIS, Israel’s Border Wars, 1949-1956. Arab Infiltration,
Israeli Retaliation, and the Countdown to the Suez War, Oxford University
Press, 1993, p. 310.
66. Ariel SHARON, David CHANOFF, Warrior. The Autobiography of
Ariel Sharon, Toronto, Simon & Schuster, 2001, p. 112.

85

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

« l’élite de l’élite ». Meir Har-Zion témoigne de l’influence


kibboutznik dans le milieu de la Défense de cette première
moitié des années 1950, influence que le gouvernement ne
parvient pas à contrôler au sein de Tsahal, commandée par
Dayan et l’aristocratie des kibboutz.
Enfin, le corps des gardes-frontières voit le jour pour
répondre au besoin de surveillance, corps qui ressemble
à une police des frontières. Il attire des minorités qui sont
habituellement exclues du recrutement des fantassins. Les
Druzes, les Juifs séfarades et les femmes sont nombreux
à s’y engager67. La sélection des armes au moment du
service militaire est en effet effectuée par les autorités en
fonction du niveau physique et intellectuel mais aussi selon
des critères éthnico-sociaux.

La Crise de Suez (octobre 1956)


Lorsque, le 26 juillet 1956, Nasser nationalise le
canal de Suez, alors contrôlé par la France et la Grande-
Bretagne, son geste est interprété comme une agression
par le Premier ministre britannique, Anthony Eden, et le
Président du Conseil français, le socialiste Guy Mollet,
qui qualifient Nasser de « Mussolini du Nil68 ». La France,
alors en conflit avec le FLN algérien, soutenu par Nasser,
souhaite mettre un terme au régime du colonel. Les
Égyptiens font le blocus du golfe d’Aqaba, privant Israël
de tout accès vers l’océan Indien. Tel Aviv s’inquiète en
outre du réarmement massif de l’Égypte avec le soutien de
l’URSS. La Tchécoslovaquie communiste livre à l’Égypte,

67. Op. cit., p. 137-138.


68. Chloé MAUREL, « 26 juillet 1956, nationalisation du canal de
Suez », L’Humanité, 2 août 2016.

86

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

théoriquement non alignée, plus de 400 chars, 500 pièces


d’artillerie, et l’embryon d’une aviation moderne, avec 50
bombardiers et 15 chasseurs en 1955.
L’opinion israélienne est chauffée à blanc par la mort
d’un jeune kibboutznik de la région de Gaza, Roï Rotberg,
le 29 avril 1956. Le général Dayan fait alors un discours
dans le kibboutz de Nahal Oz, où est mort le colon, dis-
cours qui rappelle à quel point l’élite kibboutzim juge
sévèrement la société israélienne, tentée par l’abandon de
l’esprit de défense qui était le sien avant la guerre :
«Tôt hier matin, Roï a été assassiné. Le calme du matin de prin-
temps l’éblouit et il ne vit pas ceux qui l’attendaient en embuscade,
au bord du sillon. Ne rejetons pas la responsabilité sur ses meur-
triers aujourd’hui (…). Depuis huit ans, ils sont assis dans les camps
de réfugiés à Gaza et, sous leurs yeux, nous avons transformé les
terres et les villages de leurs pères. Ce n’est pas chez les Arabes de
Gaza, mais chez nous, qu’il faut chercher le sang de Roï. Comment
avons-nous pu fermer les yeux et refuser de regarder notre destin
pour découvrir, dans toute sa brutalité, le destin de notre généra-
tion ? Avons-nous oublié que ce groupe de jeunes gens qui habitent
à Nahal Oz portent les portes de Gaza sur leurs épaules ? Au-delà
du sillon de la frontière, un océan de haine et de vengeance grandit,
attendant le jour où la sérénité nous ennuiera, pour le jour où nous
écouterons les ambassadeurs de l’hypocrisie malveillante qui nous
appellent à déposer les armes. Le sang de Roï crie que nous sommes
les seuls responsables de sa mort.
Bien que nous ayons juré mille fois que notre sang ne coule pas en
vain, hier encore nous avons été tentés, nous avons écouté, nous
avons cru. Nous ferons notre introspection aujourd’hui ; nous
sommes une génération qui colonise la terre et, sans le casque
d’acier ni le souffle du canon, nous ne serons pas en mesure de
planter un arbre ou de construire une maison. Ne nous laissons pas
décourager en voyant le dégoût qui enflamme et emplit la vie des
centaines de milliers d’Arabes qui vivent autour de nous. Ne détour-
nons pas nos yeux de peur que nos bras ne s’affaiblissent. C’est le
sort de notre génération. C’est le choix de notre vie, être préparé et
armé, fort et déterminé, de peur que l’épée ne soit arrachée de notre
poing et que nos vies soient coupées. Le jeune Roï, qui a quitté Tel

87

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 87 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Aviv pour construire sa maison aux portes de Gaza comme un mur


pour nous, a été aveuglé par la lumière dans son cœur et n’a pas
vula pointe de l’épée. Le désir de paix assourdissait ses oreilles et il
n’entendait pas la voix du meurtre qui attendait en embuscade. Les
portes de Gaza pesaient trop lourd sur ses épaules et l’ont vaincu69. »

La France, principal fournisseur d’armes d’Israël,


pré­pare une intervention militaire conjointe, malgré les
réticences initiales de la Grande-Bretagne70. Les trois pays
signent un accord secret à Sèvres le 22 juillet 1956, la délé-
gation israélienne étant représentée par Moshe Dayan et
Shimon Pérès, alors directeur général du Ministère de la
Défense chargé de l’achat d’armement. Les accords asso-
cient les Franco-Britanniques (opération Mousquetaire) et
les Israéliens (opération Kadesh), et stipulent :
« L’État hébreu attaquera l’Égypte le 29 octobre 1956 dans la soirée
et foncera vers le canal de Suez. Profitant de cette agression sur-
prise, Londres et Paris lanceront le lendemain un ultimatum aux
deux belligérants pour qu’ils se retirent de la zone du canal. Si
l’Égypte ne se plie pas aux injonctions, les troupes franco-britan-
niques entreront en action le 31 octobre. »

Il est en outre prévu qu’Israël recevra du matériel fran-


çais après l’opération, notamment les chasseurs Mirage
III alors en conception. L’offensive est aussi une manière
de tester ces nouveaux matériels. Au moment du déclen-
chement, Israël dispose d’une armée de 125 000 soldats, à
80 % des réservistes71.

69. Anita SHAPIRA, Israel. A History, Waltham, Brandeis University


Press, 2012, p. 271.
70. L’État d’Israël, par l’intermédiaire de Shimon Pérès, achète des
chars français AMX-13 qui joueront un rôle majeur dans l’opération.
Donald NEFF, Warriors at Suez, New York, Simon & Schuster, 1981.
71. RAZOUX, 2008, p. 152 et 170.

88

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

Le 25 octobre, Moshé Dayan prépare un autre plan,


au cas où les Français et les Britanniques renoncent à
intervenir. Son dispositif met l’accent sur l’infanterie, qui
a permis de gagner la guerre de 1948. L’attaque du Sinaï
sera menée par trois brigades d’infanterie qui, après avoir
détruit les forces palestiniennes de Gaza, rejoindront le col
de Mitla. Le rôle des blindés se limitera à une diversion
dans la vallée du Jourdain. Le 29 octobre à 17h00, l’opéra-
tion Kadesh commence par le parachutage de Tzanhanim
sur le col de Mitla au cœur du Sinaï72. Toutefois, le plan
de Dayan est rapidement mis en échec, car l’infanterie
ne parvient pas à percer les défenses égyptiennes. La
campagne du Sinaï prend alors la forme d’un puissant
raid blindé où la mobilité des chars AMX-13 surpasse
celle des chars T 34 / 85 égyptiens. L’opération Kadesh
se transforme donc en véritable blitzkrieg où la mobilité
des chars appuyés par l’aviation donne l’initiative aux
Israéliens, alors que Dayan faisait initialement confiance à
son infanterie. Un tel retournement de situation surprend
même l’état-major israélien, qui sera par la suite contraint
de repenser son art de la guerre. Dès le 5 novembre, la
pression de l’URSS et des États-Unis, le risque d’affai-
blissement de la livre sterling provoquée par les marchés
américains et la menace de rétorsions nucléaires imposent
aux trois alliés de suspendre leur avancée foudroyante et
d’évacuer les zones tenues. C’est une débâcle diploma-
tique pour les trois alliés. Israël doit retourner aux fron-
tières établies en 1949, et l’ONU envoie des casques bleus

72. VAISSE, 1981, p. 38.

89

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 89 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

à partir du 15 novembre 1956 afin d’éviter toute nouvelle


escalade73.
Le bilan humain de la Crise de Suez est lourd pour
les Égyptiens qui comptent plus de 1 500 morts et 6 000
prisonniers en seulement cinq jours de combat. Malgré sa
défaite militaire indiscutable, l’Égypte sort politiquement
renforcée car le nationalisme arabe n’a pas cédé au « colo-
nialisme européo-israélien ». En dépit de la perte de 18
avions et 50 chars côté israélien, cette courte campagne
donne ses lettres de noblesse à l’arme blindée de Tsahal
dont l’utilisation se limitait auparavant à l’appui de l’in-
fanterie. Ce succès augmente encore le prestige du général
Dayan qui a su modifier ses plans pour mener une guerre
de chars, il le conforte aussi dans l’idée de l’invincibilité de
l’armée israélienne dans la région. Enfin, la campagne met
un terme définitif aux incursions de fedayin dans le sud du
pays et ouvre de nouveau l’accès à l’océan Indien avec la
fin du blocus du golfe d’Aqaba.

5. L’âge d’or de Tsahal (1956-1967)


Restructuration militaire et tensions pour l’eau
Depuis la dissolution de l’Unité 101 en 1954, Tsahal
ne possède plus de groupe spécialisé dans les missions
secrètes. On recrée donc en 1957 une unité d’élite clandes-
tine, le Sayeret Maktal, héritière des savoir-faire de l’Unité
101 et inspirée des SAS britanniques comme en témoigne
sa devise Who dares wins (« Qui ose gagne »). Son recru-
tement se fait au sein des jeunes kibboutznikim, mais les
instructeurs sont des Arabes bédouins, qui aident le soldat

73. Résolutions 996 à 1003 des Nations Unies au sujet du cessez-le-feu


et de l’envoi de forces d’interposition.

90

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

juif à penser comme ses adversaires. Le Sayeret Maktal,


aidé par des hélicoptères, est destiné à des missions de
renseignement au cœur des territoires ennemis ; il dépend
directement de l’état-major des armées et a vu passer dans
ses rangs d’importantes figures politiques israéliennes,
dont les Premiers ministres Ehud Barak, le soldat le plus
décoré de l’armée israélienne, et Benyamin Netanyahu.
Bien que ses actions restent clandestines, l’unité influence
la doctrine de Tsahal dans son utilisation des unités de
renseignement et des hélicoptères pour l’aérocombat.
Le Sayeret Maktal est régulièrement critiqué en interne,
notamment par les Tzanhanim. La concurrence est forte
entre les deux groupes. La brigade parachutiste se dote
en octobre 1958 elle aussi d’une unité spéciale, le Sayeret
Tzanhanim. Tsahal imite le mouvement dans le début des
années 1960 avec la création d’unités Sayeret dépendantes
de commandements régionaux, mais elles seront rapide-
ment vouées à être dissoutes en raison de leur caractère
peu discipliné74.
La restructuration militaire touche aussi la doctrine tac-
tique : Tsahal opte pour la manœuvre, celle qui lui a permis
d’occuper le Sinaï en quelques jours. Reprenant les ensei-
gnements du général de Gaulle et de la guerre-éclair, il faut
combiner l’emploi de l’aviation et des chars lourds dans
une manœuvre pénétrante qui paralyse l’ennemi. C’est cet
esprit de manœuvre qui donnera à Tsahal l’ascendant dans
toutes les guerres conventionnelles75…
La victoire de 1956 face à l’Égypte calme les tensions
pour une courte durée, car Nasser doit reconstruire son

74. Richard M. BENNET, Elite Forces, the world’s most formidable secret
armies, Londres, Virgin, 2003.
75. ENCEL, 2005.

91

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

armée, contrairement à la Syrie, la Jordanie et le Liban.


Les quatre alliés ne parviennent pas à s’entendre sur la
question des eaux du lac de Tibériade. Malgré la signa-
ture en 1955 d’un plan de partage des eaux de la vallée
du Jourdain – le plan Johnston –, les pays arabes refusent
de traiter avec Israël. Le principal affluent du Jourdain est
le Yarmouk jordanien, qui rejoint l’autre en aval du lac de
Tibériade. Dans les limites du plan Johnston, Israël fait
dévier les eaux du Jourdain vers la plaine côtière jusqu’au
nord du Néguev. Cette modification du cours du Jourdain
inquiète les Arabes qui cherchent à répondre à cet acte lors
du premier sommet de la Ligue Arabe en septembre 1964 :
« L’établissement d’Israël est la menace fondamentale que la nation
arabe dans son ensemble a accepté de prévenir. Et puisque l’exis-
tence d’Israël est un danger qui menace la nation arabe, le détour-
nement des eaux jordaniennes multiplie les dangers pour l’existence
arabe. En conséquence, les États arabes doivent préparer les plans
nécessaires pour faire face aux aspects politiques, économiques
et sociaux, de sorte que, si les résultats [de ces plans] ne sont pas
atteints, les préparatifs militaires arabes constitueront les moyens
pratiques ultimes de la liquidation finale d’Israël76. »

Suite à ce sommet, plusieurs plans sont mis en place


par les Arabes pour dévier le cours des rivières et priver
Israël de 35 % des ressources hydriques77. La construction
de canaux déviant les eaux du Yarmouk donne naissance à
de nombreux affrontements dans la région, les chars israé-
liens détruisant des engins de chantiers jordaniens. Cette
lutte pour l’eau est l’un des facteurs ayant causé la guerre
de 1967.

76. UNISPAL, The Question of Palestine, document S/6003, Letter dated


6 October 1964 adressed to the President of the Security Council.
77. Avi SHLAIM, The Iron Wall. Israel and the Arab World, Londres, W.
W. Norton, 2000, p. 229.

92

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

Les préludes à la guerre


En avril 1967 l’armée de l’air israélienne détruit six
Migs syriens, laissant croire aux Soviétiques qu’Israël
allait déclencher un conflit contre Damas. Mais c’est avec
Le Caire que la tension monte brutalement. Le 16 mai
1967, Nasser demande le départ aux forces de l’ONU
dans la région du Sinaï et de Gaza. Le militarisme égyp-
tien inquiète l’opinion israélienne, qui constate l’esprit de
revanche ennemi à travers les chaînes de télévision égyp-
tiennes, disponibles en Israël. En réponse à l’occupation du
Sinaï par l’armée de Nasser, Tsahal lance la mobilisation le
18 mai. La situation s’aggrave encore le 22 avec la ferme-
ture du golfe d’Aqaba par l’Égypte, interdisant comme en
1956 l’accès aux mers du sud. L’Irak se joint moralement
aux voisins d’Israël au nom des anciennes solidarités ; le
président irakien, Abderrahman Aref annonce le 31 mai
1967 : « L’existence d’Israël est une erreur qui doit être
rectifiée. C’est l’opportunité de rayer l’ignominie qui nous
a été faite depuis 1948. Notre but est clair, rayer Israël de
la carte78 ».
L’agitation égyptienne crée des divisions au sein de
l’État hébreu : le Ministre de la Défense, Levy Eshkol,
doit faire face aux bellicistes soutenus par l’armée. Eshkol
apparaît comme un personnage attentiste, il souhaite lais-
ser ouverte la voie diplomatique en sollicitant Washington
et les Européens. Mais le président Johnson, embourbé
dans la guerre du Vietnam, est paralysé ; le général de
Gaulle refuse d’aider Israël s’il attaque de façon préven-
tive79. Eshkol se retrouve seul face à l’opposition qui sou-
haite le remplacer par le général Moshé Dayan. Or, Dayan,

78. « Myths and facts 1976 », Near East Report, 1976.


79. LAURENS, 1991.

93

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

le héros de 1956, idole du peuple, s’est retiré de l’armée


en 1959 pour se lancer dans une carrière politique au sein
du Mapaï, puis du Rafi en 196580. Le Premier ministre ne
peut plus faire face. Le 1er juin 1967, Moshé Dayan est
nommé Ministre de la Défense. Mais le même jour, le roi
de Jordanie décide de se joindre à Nasser.
La ligne politique de Dayan change radicalement de
celle d’Eshkol, et il n’est plus question de tergiverser, car
l’ennemi est désormais sur tous les fronts. Les militaires
sont confiants dans leurs capacités, dans leur matériel et
l’expérience des soldats. Sachant que, contrairement à
1956, les États-Unis et l’URSS n’interviendront pas en
cas de guerre, l’armée israélienne a les mains libres pour
opérer.
État des forces au 14 mai 1967 (Source : Atlas historique d’Israël, 1998)
Hommes Avions Chars
Israël 264 000 300 800
Pays arabes, dont : 472 000 2 380 898
Égypte 240 000 1 200 500
Liban 12 000 80 18
Syrie 50 000 400 120
Irak 70 000 400 200
Jordanie 50 000 200 40
Arabie Saoudite 50 000 100 20

Le triomphe de la Guerre des Six jours


La principale menace est l’aviation égyptienne équi-
pée d’aéronefs soviétiques, dont 50 bombardiers et 120

80. Le Rafi est un parti de gauche israélien fondé par Ben Gourion
après avoir quitté le Mapaï, suite à des divisions internes au sein du
parti.

94

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

intercepteurs. Tsahal doit donc s’assurer la domination


aérienne en détruisant la chasse égyptienne avant qu’elle
ne décolle. L’opération Focus commence le 5 juin 1967
à 7h45, qui voit la destruction de plus de 300 avions sur
les 340 qu’a engagés l’Égypte dans la bataille81. La victoire
de 1948 a été celle de l’infanterie, celle de 1956 a été celle
des blindés, celle de 1967 verra le triomphe de l’aviation.
Après l’armée de l’air égyptienne, les aéronefs syriens et
jordaniens sont eux aussi anéantis, donnant une domina-
tion aérienne complète à Tsahal.
L’armée de terre lance à son tour l’offensive dans le
Sinaï avec 75 000 hommes. En trois jours, les positions
égyptiennes sont enfoncées, les combattants se replient
dans le désordre le plus total, et Tsahal arrive sur la rive
orientale du canal de Suez le 8 juin. La propagande du
Caire joue en défaveur des forces arabes, en diffusant des
annonces de victoire, aussi la Jordanie attaque-t-elle en
Cisjordanie. pensant voir l’aviation israélienne affaiblie.
Moshé Dayan rappelle une partie des forces du Sinaï pour
stopper l’avancée jordanienne. Le 6 juin, une compagnie
de parachutistes ennemie est faite prisonnière à Jérusalem.
L’arrivée des soldats de Tsahal au Mur des Lamentations
est un moment symbolique de l’histoire israélienne. Le
général Mordechaï Gur, ancien combattant du Palmach,
fait alors un discours célèbre en l’honneur des parachu-
tistes :
« Pendant deux mille ans, le Mont du Temple a été interdit aux Juifs.
Jusqu’à ce que vous veniez – vous, les parachutistes – et le rendiez
au sein de la nation. Le Mur des Lamentations, pour lequel chaque
cœur bat, est à nouveau nôtre. Beaucoup de Juifs ont pris leur vie
entre leurs mains tout au long de notre longue histoire, afin d’at-
teindre Jérusalem et de vivre ici. Pendant une éternité des mots de

81. LAURENS, 2011, p. 12.

95

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

nostalgie ont exprimé le profond désir de retourner à Jérusalem qui


battait dans le cœur juif. Vous avez reçu le grand privilège d’achever
le cercle, de rendre à la nation sa capitale et son centre sacré (…).
Jérusalem est à vous pour toujours82. »

Une fois la Cisjordanie reprise, les forces de Tsahal


se tournent vers le plateau du Golan à partir du 9 juin.
Au bout d’une journée, l’armée syrienne perd le plateau.
En quelques jours, les blindés israéliens sont à 50 km de
Damas.
Le 10 juin 1967 la guerre est déjà finie. L’attaque
israélienne a été foudroyante et a vaincu le demi-million
de soldats égyptiens, syriens et jordaniens. Les Arabes ont
aussi perdu plus des trois quarts du potentiel du matériel
militaire qu’ils ont engagé (soit 450 avions et 1 000 chars).
Seuls 54 aéronefs israéliens ont été détruits et moins de
400 chars, ce qui représente quand même la moitié des
blindés du pays83. Le bilan humain est très lourd pour les
pays arabes qui comptent plus de 20 000 morts et 40 000
blessés en seulement six jours. Le monde arabe ressort
affaibli de cette guerre et voit la fin du rêve panarabiste.
Nasser ne parvient pas à retourner la défaite militaire en
victoire politique : il démissionne le 9 juin, mais la popu-
lation le rappelle massivement au pouvoir. Les nations
arabes se rassemblent lors du sommet de Khartoum en
septembre et prennent la résolution des « trois non » : pas
de reconnaissance d’Israël, pas de négociations et pas de
paix avec Israël, rejetant l’offre israélienne faite le 19 juin

82. Nadine PICAUDOU, Les Palestiniens, un siècle d’histoire, Bruxelles,


Éditions Complexe, 2003.
83. RAZOUX, 2008, p. 244-245.

96

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

de redonner les territoires conquis en l’échange d’une paix


durable84.

La Guerre des Six Jours dans le Golan (juin 1967).

84. HERZOG, 1982, p. 253.

97

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Les conséquences de la victoire


La victoire militaire se double d’une victoire diploma-
tique, puisque les États-Unis renforcent leurs liens avec
Tel Aviv, par crainte de l’alliance arabo-soviétique. Le
Président Johnson conclut du conflit : « Si un acte de folie
était plus responsable que n’importe quel autre pour cette
explosion, c’était la décision arbitraire et dangereuse de la
fermeture du détroit de Tiran [le golfe d’Aqaba]. Le droit
de passage innocent, maritime doit être préservé pour
toutes les nations85 ». Le premier acte tangible de cette
solidarité nouvelle entre l’État hébreu et Washington est
la vente en 1968 d’avions de chasse Skyhawk avec l’appui
unanime du Congrès américain.
Israël ressort encore plus fort de ce court conflit,
Tsahal apparaissant plus que jamais comme invincible,
renforçant une fois encore la place de l’armée au sein de la
population israélienne. La guerre a même bénéficié à l’éco-
nomie du pays86. Les gains territoriaux sont immenses :
Israël double sa taille avec l’acquisition du Golan, de la
Cisjordanie et du Sinaï. On repousse les frontières de 300
kilomètres vers le sud, de 60 kilomètres vers l’est et de 20
kilomètres vers le nord, offrant pour la première fois une
profondeur stratégique à l’État hébreu. L’armée devient
l’institution la plus prestigieuse du pays en plus d’être le
garant de la survie de l’État. La victoire donne un nouvel
élan de volontaires pour effectuer le service militaire ou
s’engager. Une vague d’immigration vers Israël débute
aussi à la fin de la guerre. Une partie de la diaspora juive
en Méditerranée rejoint l’État hébreu, le plus souvent sous

85. Déclaration de Lindson Johnson, président des États-Unis


d’Amérique, 19 juin 1967.
86. BOUSSOIS, 2014, p. 17.

98

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LES DÉBUTS DE TSAHAL (1947-1967)

pression des populations arabes. Ainsi, 200 000 nouveaux


migrants viennent grossir les rangs de Tsahal, tandis que
les importantes communautés d’Alexandrie, d’Algérie, du
Liban et de Tunisie disparaissent presque totalement. Le
budget militaire s’accroît, soutenu par l’aide américaine
qui contribue en 1972 pour la moitié du budget total de la
Défense israélienne87.
Le triomphe de 1967 signe l’apogée de l’élite kib-
boutznik qui dirige l’armée. Mais cette victoire éclatante
contient en elle les germes de l’affaiblissement de cette
élite par l’excès de confiance et l’orgueil de la victoire.
L’esprit pionnier des origines de Tsahal est menacé par
une mentalité stratégique inspirée par la Guerre froide et
par des tactiques d’armée conventionnelle. Une nouvelle
doctrine offensive prône la guerre-éclair avec l’utilisa-
tion coordonnée des chars et de l’aviation, couplée à des
attaques préventives pour garder l’initiative. La résilience
israélienne, incarnée par les anciennes élites miliciennes
et les kibboutznikim, passe dans l’arme mécanique et
aérienne. Pour sauvegarder les conquêtes, des colonies
sont implantées en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et
le Golan, assurant une présence juive et la conservation de
l’identité israélienne développée par les premiers migrants.
Mais l’esprit kibboutzim est désormais relégué en marge
de la société israélienne, loin des villes économiquement
développées, dans des zones jugées dangereuses, perçues
comme lointaines par la population, alors qu’elles ne sont
qu’à une centaine de kilomètres de Tel Aviv…

87. RAZOUX, 2008, p. 251.

99

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Troisième partie :

La chute du modèle kibboutzim


(1967-1977)

1. Redéfinir Israël et Tsahal après la victoire

Le gouvernement travailliste au pouvoir en Israël


depuis 1948 fait face à un nouveau défi après 1967, celui
des territoires récemment conquis, majoritairement arabes.
Malgré l’exode d’environ 325 000 Palestiniens à la fin de
la guerre, près d’un million de Palestiniens restent sous
tutelle israélienne1. L’État hébreu ne s’était pas préparé
à un tel héritage, aussi cherche-t-il à déplacer ou à faire
partir cette population des zones sensibles : villages rasés,
fuite organisée, bus mis à disposition pour la Jordanie 2.
L’État met en place un gouvernorat militaire des régions
conquises, à l’exception de Jérusalem-Est, qui est annexée
par la municipalité juive de Jérusalem3. Les Arabes de la
ville sainte, tout comme les Druzes du Golan, se voient
proposer la citoyenneté israélienne, proposition qui sera
largement refusée. Le gouvernorat est soumis aux règles

1. Robert BOWKER, Palestinian Refugees. Mythology, Identity, and the


Search for Peace, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2003, p. 81.
2. MORRIS, 2003b, p. 320.
3. Avi SHLAIM, The 1967 Arab-Israeli War. Origins and Consequences,
Cambridge University Press, 2012, p. 106.

101

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

de la Quatrième Convention de Genève (1949) portant


sur la protection des personnels civils en temps de guerre.
Mais l’existence du gouvernorat – et donc d’un
régime d’exception – ne suffit pas à l’élite israélienne qui
se retrouve divisée. Le gouvernement et les travaillistes
peinent à se mettre d’accord sur une stratégie cohérente,
hésitations qui renforcent l’opposition politique au sio-
nisme laïc de gouvernement, particulièrement au sein des
milieux religieux et chez les nationalistes qui souhaitent
une annexion totale de ces territoires et l’expulsion de
leurs habitants arabes.

Quels territoires et quelle défense pour Israël ?


Les fractures au sein des travaillistes se manifestent par
l’opposition entre deux figures kibboutznikim : Yigal Allon
et Moshé Dayan. Le premier est né dans le kibboutz de
Kfar Tabor en 1918. Pétri par l’idéologie du kibboutz, il
rejoint la Haganah en 1931. En véritable pionnier, il décide
de construire son propre kibboutz en 1937 : Ginosar. Yigal
sert au sein des Special Night Squads d’Orde Wingate, où
il apprend les techniques de commando. Il fait partie des
fondateurs du Palmach en 1941. Mais Ben Gourion s’en
méfie, car il perçoit le Palmach comme une organisation
trop élitiste et indisciplinée. Pendant la Seconde Guerre
mondiale, Yigal s’engage au sein de l’armée britannique
où il combat en Syrie et au Liban face à la France de
Vichy. Il devient le commandant en chef du Palmach en
1945, intègre le Mapam à orientation marxiste et acquiert
un prestige militaire unique lors de la guerre de 1948 en
défendant la Galilée. Mais Allon, qui veut envoyer ses
forces contre la Légion arabe en Cisjordanie, s’oppose à
Ben Gourion, qui lui ordonne de quitter le Mapam, avant

102

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

de le limoger suite à son refus. Il perd aussi le commande-


ment de la région militaire Sud, donné par Ben Gourion
à Dayan. Il quitte l’armée en 1950 pour s’engager en poli-
tique et devient un des leaders du parti Ahdut HaAvoda,
issu d’une division du Mapam en 1954. Ministre du travail
de 1961 à 1968, son opposition à Moshé Dayan concerne
l’intégration palestinienne après 19674. Car Yigal Allon est
le champion de l’aristocratie kibboutzim, alors que Ben
Gourion veut incarner l’intérêt de l’État et de la nation
israélienne.
Moshé Dayan est le deuxième enfant d’un leader du
mouvement moshavim, où les familles sont autorisées et
l’idéologie collectiviste moins forte que dans les kibbout-
zim. Il grandit dans le moshav de Nahalal, puis s’engage
dans la Haganah à l’âge de 14 ans avant de rejoindre les
SNS en 1938. Lui aussi entre dans l’armée britannique
en 1941, et c’est lors d’une mission de surveillance d’un
poste vichyste qu’il perd son œil droit le 7 juin 1941. Cet
handicap l’affecte grandement, car il pense qu’il l’em-
pêchera de réussir. Il participe pourtant à la guerre de
1948 en commandant le 89e Bataillon commando de la
brigade d’Yitzhak Sadeh basé au moshav de Tel Litvinsky,
dans la banlieue de Tel Aviv. Ce bataillon est composé de
volontaires d’autres unités ayant choisi de combattre sous
les ordres de Dayan, ce qui lui vaut l’hostilité des autres
commandants, qui y voient une phalange de camarades5.
Pendant la première trêve de la guerre, le 23 juillet 1948,
Ben Gourion le désigne comme commandant de la région

4. Anita SHAPIRA, Yigal Allon, Native Son. A Biography, Philadelphia,


University of Pennsylvania Press, 2007.
5. Shabtai TEVETH, Moshe Dayan. The soldier, the man, the legend,
Londres, Quartet Books, 1972, p. 170.

103

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 103 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

de Jérusalem après avoir limogé tous les partisans du


Mapam. Fermement opposé au Lehi et à l’Irgoun, c’est lui
qui lance l’arrestation de leurs membres après l’assassinat
du comte Bernadotte. C’est Dayan lui-même qui rencontre
le roi Abdallah de Jordanie pour lancer un processus de
paix en 1949. Il devient chef d’état-major des armées en
1952, poste où il confirme son prestige national, son rôle
d’acteur clé de la vie politique et militaire israélienne. Il
dirige seul la campagne du Sinaï de 1956, victoire qui en
fait l’homme fort du régime et le protégé de Ben Gourion.
Sa carrière politique commence véritablement en 1959
lorsqu’il rejoint le Mapaï, occupant le poste de Ministre
de l’Agriculture (1959-1964). Il quitte le gouvernement
après la démission de Ben Gourion, le « Fils du Lion », son
mentor. Il rejoint d’ailleurs le Rafi, le nouveau parti de Ben
Gourion en 1965, dont il partage la vision politique : l’État
hébreu ne peut exister que grâce à l’esprit combattant des
pionniers ; sa survie exige une immigration juive continue
et une défense forte ; enfin, l’invincibilité de l’armée est la
seule garantie de la cohabitation avec les Arabes6. Les évè-
nements de mai 1967 le propulsent comme Ministre de la
Défense après le départ de Levy Eshkol7.
Malgré des parcours comparables, l’idéologie de Moshé
Dayan et de Yigal Allon diffère : ce dernier est héritier de
l’élitisme du Hashomer et du kibboutz, sa vision socialiste
du travaillisme est affirmée ; Dayan, lui, est un serviteur de
l’État, loyal à Ben Gourion et à un travaillisme réformiste.
Yigal Allon garde une vision sécuritaire des territoires

6. Israel security and her international position before and after the Sinaï
Campaign, State of Israel, Government Yearbook, n°5720, Jérusalem,
1960, p. 22.
7. Moshe DAYAN, Story of my Life, Tel Aviv, William Morrow, 1976.

104

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

Le Plan Allon (1967).

palestiniens, aussi propose-t-il en 1967 un plan de par-


tage original. Israël conserverait la vallée du Jourdain et
le Golan, mais quitterait le Sinaï, sauf la ville de Sharm
al-Sheikh, verrou du golfe d’Aqaba. L’ensemble des zones
arabes de la Cisjordanie seraient rendues, à condition de
les démilitariser. Le projet est généreux et prévoit que
les zones arabes et juives soient mêlées afin de créer une
coopération quotidienne, prélude à la paix, mais le plan est
totalement irréaliste.

105

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

La vision du général Dayan est différente. Les terri-


toires conquis offrent une profondeur stratégique à Israël
et ne peuvent être rétrocédés, sauf comme future monnaie
d’échange. Il faut au contraire les inclure dans l’économie
nationale, afin de la développer. Les deux militaires s’en-
tendent sur un point : la nécessité de coloniser la terre.
L’installation de kibboutzim légitimera la souveraineté
israélienne sur ces espaces et renforcera la défense natio-
nale, comme le théorise Allon dans son ouvrage Rideau de
Sable (1959) :
« Le fait d’intégrer l’implantation civile au sein de la défense militaire
régionale, et en particulier au sein des zones frontalières, fournira à
l’État des postes d’observation avancés, libérant des militaires. Ces
colonies sont à même non seulement d’informer l’armée des pré-
mices d’une attaque surprise par l’ennemi, mais également d’essayer
de l’arrêter ou du moins de ralentir sa progression jusqu’à ce que les
forces militaires prennent le contrôle de la situation. »

Suite aux élections de 1969, Dayan parvient à faire


adopter sa vision grâce au soutien de deux grandes figures
politiques du Mapaï : Shimon Pérès et Golda Meïr. Ce
choix se heurte à des oppositions au sein du Mapaï et chez
les travaillistes du Mapam, hostiles à l’occupation de la
Palestine et à la colonisation. L’échiquier politique évolue
rapidement, car le Mapam, jusqu’alors aile gauche du tra-
vaillisme, opère un glissement vers la droite du fait d’un
nationalisme croissant qui tend à remplacer le marxisme
dans son idéologie, en raison de l’affaiblissement de
l’URSS dans le contexte du Dégel. La perte de confiance
en la gauche sioniste est due à l’absence de positionne-
ment clair sur la question des territoires occupés entre
1967 et 1969, mais aussi à un État de guerre permanent,

106

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

sans victoire pour l’armée israélienne et anxiogène pour la


population8.
Au-delà des questions de personnes, le poids perma-
nent des structures militaires, des officiers et des enjeux
sécuritaires dans l’Israël des années 1950-1960 ont imposé
dans le pays une approche militaire des frontières poli-
tiques9. Le territoire a toujours été perçu d’abord sous
l’angle militaire, avant d’être une réalité politique. De là
résultent l’insécurité permanente des territoires israéliens
et l’usage de la force pour les stabiliser. La militarisation de
l’espace toucha rapidement le sous-sol et l’eau. En 1967,
Israël déclare l’eau de Cisjordanie « ressource stratégique
sous contrôle militaire », et décide de la répartir en priorité
aux colonies et aux villes juives. Israël a pu être qualifé
de « fait colonial10 », mais il l’est d’abord au sens agricole
du terme. La création de fronts pionniers sur les marges
désertiques du pays a accompagné la mainmise sur le
territoire pris aux Arabes en 1948. La mise en culture de
la steppe, indissociable d’une mystique biblique, était une
manière d’affirmer la présence politique et militaire israé-
lienne dans le Néguev, puis le Sinaï. Israël peut même être
considéré comme un front pionnier en tant que tel. En
effet, il a maintenu un « esprit de la frontière », mêlant la
transformation de l’environnement, la résistance à l’indi-
gène et une certaine violence11.
Mais cette colonisation de l’espace butta toujours sur
une réalité : la faible démographie israélienne (550 000

8. DIECKHOFF, 1985.
9. HANNE, 2017, p. 386s.
10. Maxime RODINSON dans Les temps modernes, 235 bis, juin 1967.
11. Paul GUICHONNET, Claude RAFFESTIN, Géographie des
frontières, Paris, Presses universitaires de France, 1974, p. 76-77.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Juifs en 1945) face au dynamisme palestinien (1, 2 million).


Ne pouvant vaincre par le peuplement, il fallait l’emporter
par la guerre. La difficulté à peupler les territoires conquis
explique leur évacuation par la force de la présence arabe12.
Dans le Golan, 90 % des habitants syriens furent expulsés.
Après 1967, les colonies juives peuplent les frontières, afin
de les arrimer au pays et parce que ce peuplement artificiel
a un but défensif. Mais l’ennemi est aussi bien extérieur
(les pays arabes voisins) qu’intérieur (les Palestiniens),
créant ainsi une mentalité obsidionale. C’est pourquoi la
Cisjordanie ne fut pas annexée : trop palestinienne avec ses
850 000 habitants. Selon l’accord israélo-jordanien du 3
avril 1949, la frontière d’Israël – dite « ligne verte » – n’était
pas une frontière internationale reconnue (boundary line),
mais une simple ligne d’armistice (armistice demarcation
lines), légalement contestable un jour par les anciens belli-
gérants : « les lignes de démarcation d’armistice (…) pour-
ront être l’objet de rectifications en accord avec les parties
signataires ». Les violations furent d’ailleurs quotidiennes
entre 1949 et 1967.

Tensions avec l’Égypte et les Palestiniens


Après la victoire, Tsahal établit sa nouvelle ligne de
défense sur la rive Est du canal de Suez, loin des frontières
d’Israël. Nasser, qui ne peut laisser l’ennemi s’installer si
près du Caire, lance une guerre d’usure, tout en évitant
de déclencher un nouveau conflit qui l’isolerait sur le plan
international. Les premiers actes de guerre commencent

12. On relève près de 750 000 réfugiés palestiniens après 1948, puis
500 000 après 1967. Ils représentent en 2012 plus de 5, 2 millions
de personnes (cf. United Nations Relief and Works Agency for Palestine
Refugees in the Near East).

108

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

le 1er juillet 1967, et prennent de l’ampleur le 21 octobre


lorsqu’une batterie de missile égyptien coule un destroyer
israélien, INS Eilat.
La guerre est officiellement déclarée en juin 1968.
Deux lignes de défense se font face le long du canal : les
Égyptiens disposent d’une artillerie supérieure en nombre
à celle des Israéliens, mais ces derniers utilisent l’aviation
pour mener des raids en profondeur dans le territoire
ennemi, avec des contingents héliportés de forces spé-
ciales. Israël établit une ligne de fortins défensifs le long du
canal de Suez : la Ligne Bar-Lev, dont le but est d’empê-
cher les infiltrations de soldats égyptiens. Mais la ligne ren-
force la lourdeur de l’armée qui campe sur ses positions et
n’est plus capable de contre-attaquer face aux incursions,
mais seulement de les amortir13.
Les accrochages sont continus pendant quatre ans, de
juillet 1967 à août 1970, sans véritable vainqueur, Israël
évitant de lancer une offensive de grande envergure. Des
combats ont également lieu en Cisjordanie et sur le pla-
teau du Golan. Le 22 janvier 1970, Nasser obtient des
renforts de Moscou : des batteries antimissiles SAM III
ainsi que 15 000 soldats soviétiques. Pourtant, le 7 août, la
proposition de cessez-le-feu du secrétaire d’État américain
William Rogers est acceptée, renvoyant les belligérants à
un statu quo ante bellum. La volonté de Nasser de « casser
le moral par l’usure14 » a partiellement réussi : les Israéliens
déplorent 1 400 tués, 3 000 blessés et quinze avions abat-
tus.
Cette stratégie d’usure sans conflit massif – type
même de la guerre hybride – remet en cause la réputation

13. RABINOVICH, 2005.


14. Déclaration de Gamal Abdel Nasser, 23 juin 1969.

109

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

d’invincibilité de Tsahal, qui est plus efficace dans l’organi-


sation de blitzkrieg. L’armée connaît une relative baisse de
l’aguerrissement de ses hommes. Les soldats et la popula-
tion, sûrs de l’invincibilité de Tsahal, sont moins efficaces
et attentifs. Une certaine routine s’installe, seulement
troublée par la guerre d’usure15. Plus encore, l’armée israé-
lienne doit affronter un phénomène nouveau auquel elle
est peu préparée : le pacifisme international relayé par les
média. Les manifestations se multiplient parmi les artistes
et la jeunesse étudiante occidentale, et même israélienne16.
Un groupe de 70 étudiants rédigent une lettre au Premier
ministre pour faire part de leur refus de s’engager tant que
le gouvernement ne lancerait pas un processus de paix.
Un journal satirique israélien antimilitariste voit le jour en
avril 1970, The Queen of the Bath. Les soldats sur le front
du Sinaï expriment ouvertement leur démoralisation et ne
voient pas l’intérêt des opérations qu’ils mènent, sur un
territoire qu’ils ne reconnaissent pas comme le leur17.
La victoire de 1967 a pour conséquence de relancer
la lutte palestinienne. Convaincus qu’ils ne peuvent trou-
ver leur salut que par eux-mêmes, sans le soutien des
pays arabes, certains groupes palestiniens décident de
reprendre les armes. Le Fatah (« conquête » en arabe), le
mouvement de libération de la Palestine créé en 1959 par
Yasser Arafat, devient de plus en plus actif en Cisjordanie
après 1967. En réaction, Moshe Dayan fait attaquer le

15. RAZOUX, 2008, p. 248 et 251.


16. Oz ALMOG, Farewell to Srulik. Changing values among the Israeli
Elite, Haifa, University of Haifa Press, 2004, p. 684.
17. Avi KLOBER, « From Blitzkrieg to Attrition : Israel attrition
strategy and staying power », Small wars and insurgencies, 16, Bar-Ilan
University, 2005.

110

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

camp de réfugiés de Karameh le 21 mars 1968 pour


détruire le repère du Fatah. Mais la bataille est une victoire
médiatique pour le Fatah : 300 fedayin ont tenu tête à
6 500 soldats israéliens pendant 15 heures. Arafat s’im-
pose le 4 février 1969 comme président du comité exécutif
de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).
Alors que l’OLP défendait une vision panarabe, Arafat
impose un nationalisme palestinien et un nouveau mode
d’action : le terrorisme. Au sein de l’OLP, un autre groupe
prend de l’importance : le Front populaire de Libération
de la Palestine (FPLP), fondé par Georges Habache, d’in-
fluence marxiste et radicalement antisioniste. Les activistes
du FPLP détournent trois avions vers l’aéroport de Zarka
en Jordanie le 6 et le 9 septembre 1970. À eux deux réunis,
Fatah et FPLP imposent la question palestinienne dans
l’opinion internationale. Le 5 septembre 1972 commence
la prise d’otage de Munich par l’organisation Septembre
Noir qui entraîne la mort de onze athlètes israéliens. Le
Premier ministre Golda Meir ordonne l’opération Colère
de Dieu (Mivtzah Zaam Ha’el) pour traquer et abattre les
auteurs de l’attaque18.
Le gouvernement travailliste et son élite militaire font
donc face à des crises nouvelles dans un contexte de
médiatisation difficilement gérable : terrorisme, guerre de
position et pacifisme croissant. La fermeté systématique
employée depuis les années 1950 avec l’Unité 101 n’est
plus de mise dans un tel climat.

18. Simon REEVE, One Day in September, New York, Arcade


Publishing, 2000.

111

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

2. La Guerre du Kippour et ses conséquences


politiques

L’aveuglement travailliste
Sadate, le nouveau président égyptien, est méprisé
des Occidentaux, Henri Kissinger le qualifiant même
d’« imbécile, un clown, un bouffon19. » Sadate se veut en
rupture avec Nasser : il refuse les « trois non », se dit prêt à
négocier avec Israël et expulse l’ensemble des conseillers
militaires soviétiques en 1972. Son objectif est d’effacer
l’image d’une Égypte vaincue, pro-soviétique, et de récu-
pérer le Sinaï coûte que coûte, soit par la guerre, soit par
la diplomatie. Il apprend des erreurs de son prédécesseur
et modernise l’armée avec l’achat de batteries SAM pour
contrer l’aviation israélienne, ainsi que des missiles anti-
chars filoguidés Sagger. Sadate prépare son armée pour
attaquer le canal de Suez, s’allie avec la président syrien
Hafez al-Assad pour mener une guerre sur deux fronts,
mais se garde bien de dévoiler son jeu à Israël, contraire-
ment à Nasser qui avait provoqué la guerre par sa politique
agressive.
La préparation militaire égyptienne est facilitée par
l’aveuglement des élites israéliennes. L’état-major semble
incapable de tirer des leçons de l’échec de la guerre
d’usure menée par Nasser, le seul conflit perdu par Israël.
Tsahal reste retranchée sur les 200 km de la Ligne Bar-
Lev, et réduit même la présence de ses troupes dans les
fortins, qu’Israël juge imprenables. Responsables poli-
tiques et militaires sont engourdis par l’immobilisme et
le mythe d’invincibilité de Tsahal. Le gouvernement de
Golda Meir et les milieux kibboutznikim, comme Moshé

19. « Les Pharaons de l’Égypte moderne », Arte, 9 août 2016.

112

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

Dayan, pensent que les Arabes négocieront pour récupérer


les territoires gagnés, et qu’ils sont incapables d’assumer
un conflit direct avec des moyens modernes. Cet excès de
confiance conduit à sous-estimer l’ennemi et à ignorer les
renseignements de terrain indiquant qu’une offensive se
prépare. Golda Meir refuse de prendre au sérieux le roi
Hussein de Jordanie lorsqu’il l’informe de l’imminence
d’une attaque égyptienne le 25 septembre 197320.

L’offensive syro-égyptienne (6 octobre 1973)


Sadate lance l’opération Badr le 6 octobre 1973, en
plein Yom Kippour, le Grand Pardon, jour le plus saint de
l’année juive, au cours duquel les activités sont ralenties
et l’électricité restreinte. Alerté, le gouvernement se réunit
le jour même sous l’autorité du Premier ministre Golda
Meir. Sa forte personnalité lui permet de ne pas se laisser
entraîner par les généraux21. Mais elle refuse une inter-
vention aérienne pour ne pas passer comme l’agresseur
aux yeux de la communauté internationale et surtout de
son allié américain. On se contente donc d’une alerte aux
frontières, sans mobilisation générale22. L’armée égyp-
tienne entreprend la traversée du canal à 14 h et s’attaque
à la Ligne Bar-Lev sous couvert de l’artillerie et de l’avia-
tion. Commandée par Hosni Moubarak, celle-ci frappe
les forces israéliennes en profondeur. Les généraux de
Tsahal sont stupéfaits, d’autant que l’armée égyptienne se
révèle plus puissante que prévu. Les 500 chars égyptiens

20. Claude CARTIGNY, « Il y a quarante ans, la guerre du Kippour


une guerre pour rien ? », Les cahiers de l’Histoire, 121, 2013.
21. RAZOUX, 2008, p. 275.
22. Op cit., p. 285-286.

113

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

du général Chazli passent sur la rive orientale du canal et


pénètrent dans le Sinaï.
Les contre-attaques israéliennes sont un échec : tout
d’abord celle de l’aviation, qui est affaiblie par les missiles
SAM, puis celle des chars, eux mêmes détruits par les
missiles Sagger. Les soldats israéliens ne comprennent
pas d’où ils sont attaqués et 60 % des chars de la bri-
gade de surveillance du Sinaï sont détruits le 6 octobre23.
L’opération Badr est un succès : la Ligne Bar-Lev est
enfoncée, 3 500 Israéliens sont morts et 400 chars détruits.
Puis, brutalement, et en dépit des craintes israéliennes,
l’armée égyptienne s’arrête et renonce à une offensive dans
le Sinaï. L’état-major égyptien, qui cherchait une victoire
tactique sur le canal, a obtenu ce qu’il voulait et ne s’at-
tendait pas à une telle avancée. Aller plus loin obligerait à
élaborer une stratégie globale. On préfère donc en rester là.
Mais Sadate a aussi retenu les leçons de 1967 : une armée
mobile est vulnérable face à l’aviation israélienne ; il décide
donc de laisser ses forces à l’abri sous la défense de ses
missiles sol-air.
L’armée israélienne doit également faire face à la
menace syrienne sur le plateau du Golan. En raison du
jeûne du Kippour, les défenses ont été réduites. Les
3 000 soldats et les 180 chars israéliens font face à 28 000
Syriens et 800 blindés. L’ensemble de leurs chars sont
équipés de systèmes de vision nocturne, ce qui n’est pas le
cas des véhicules israéliens. Tsahal perd 40 avions à cause
des missiles sol-air syriens.
Les Israéliens doivent mobiliser en catastrophe l’en-
semble de leurs contingents en pleine période de fête,
alors qu’ils sont attaqués sur deux fronts. La population,

23. SENOR-SINGER, 2011, p. 65.

114

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

choquée, se sent trahie par ses élites qui n’ont pas su pré-
voir l’offensive. L’état-major, dirigé par le général Elazar,
se rend compte qu’il est impossible de mener cette guerre
sur deux fronts simultanément. Golda Meir fait appel à
l’aide américaine pour remplacer les véhicules et matériels
perdus pendant les premiers jours de la guerre. Mais l’in-
terruption de l’offensive égyptienne renverse la situation et
Israël peut redéployer ses forces sur la défense du Golan.
La brigade blindée Barak parvient à contenir l’attaque
syrienne dans la Vallée des Larmes, le temps de l’arrivée
des renforts24.

La contre-offensive israélienne
Du 6 au 13 octobre, l’armée israélienne se concentre
essentiellement sur le Golan. Tsahal dispose d’un système
de réserve bien rodé et, dès le 7 octobre, les premières
brigades de renforts arrivent sur les théâtres d’opération.
Le 10, l’offensive syrienne est contenue ; décision est prise
de contre-attaquer sans attendre. En trois jours, Tsahal
repousse les Syriens et installe ses positions à 40 km de
Damas le 14 octobre. Sadate décide de secourir son allié en
lançant une grande offensive le long du canal de Suez avec
toutes ses réserves. Les Égyptiens se heurtent aux divisions
blindées israéliennes qui se sont rapidement déployées et
anéantissent les chars ennemis. Les combats continuent
sous un déluge d’artillerie. Israël bascule ses efforts sur
le Sinaï. La division d’Ariel Sharon profite d’une brèche
d’un kilomètre de large dans la défense égyptienne et
atteint le canal avant de le traverser pour encercler l’armée

24. Lieutenant-colonel FRANC, « Une surprise stratégique. La guerre


du Kippour », Le Casoar, Paris, 2016.

115

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

égyptienne. Le 17 octobre, plusieurs ponts sont lancés sur


le canal.
Mais la réussite de Sharon est ternie par deux défaites
tactiques : l’attaque de la position égyptienne de Chinese
Farm, au centre du canal, où les troupes israéliennes ren-
contrent une résistance hors du commun, avant de l’em-
porter avec de lourdes pertes. « Je ne suis pas novice en
matière de guerre et de bataille, juge Dayan, mais je n’ai
jamais vu un tel spectacle, ni dans la réalité, ni en peinture,
ni dans les pires films de guerre. Ce qu’il y avait là c’était
une vaste boucherie qui s’étendait à perte de vue25. » En
outre, l’échec de la bataille de Ismaïlia où Sharon s’engage
en désobéissant à ses supérieurs, bataille durant laquelle sa
division blindée est stoppée par les parachutistes égyptiens.
Tsahal parvient pourtant à traverser le canal et à
encercler la Troisième Armée égyptienne, mais l’URSS
demande opportunément un cessez-le-feu qui sauve cette
armée et évite une percée israélienne vers Le Caire. Les
Nations Unies votent alors la Résolution 338 sur le cessez-
le-feu et le retour aux frontières de 1967. La bataille d’Is-
maïlia battant toujours son plein, l’ONU vote une nouvelle
résolution, la Résolution 339, exigeant un cessez-le-feu
réel. Les derniers combats prennent fin le 26 octobre 1973.
Sous pression des États-Unis, de l’URSS et de l’ONU, des
négociations s’engagent deux jours après pour permettre
le ravitaillement de la Troisième Armée, toujours encer-
clée. Il est entendu que Tsahal devra se retirer de la rive
Ouest du canal le 5 mars.

25. Gamal HAMMAD, « Military Battles on the Egyptian Front », Dār


al-Shurūq, Le Caire, 2002, p. 282.

116

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

Une victoire finale pour rien


Ainsi la victoire militaire, obtenue à l’arrachée, ne
débouche sur aucun bénéfice territorial, ni tactique, ni
diplomatique. Alors qu’il se considère comme la victime
agressée, Israël n’obtient rien du conflit, tandis que Sadate
et al-Assad se maintiennent au pouvoir et font figure de
vainqueurs…
La Guerre du Kippour est donc loin de la victoire
indiscutable de 1967 ; les pertes sont lourdes, avec plus
de 3 000 morts pour Israël, au moins une dizaine de mil-
liers pour l’Égypte et la Syrie, sans compter un millier de
chars et une centaine d’aéronefs détruits26. Le mythe de
l’invincibilité de Tsahal s’effondre et l’élite travailliste avec
elle, politiciens et militaires. L’opinion publique réclame
la destitution de Golda Meir et de Moshé Dayan, désigné
unanimement comme à l’origine du désastre. Une com-
mission est même mise en place pour juger les respon-
sables. Le juge Shimon Agranat enquête sur les failles des
services de renseignement, de l’état-major et de la sphère
politique avant les évènements du 6 octobre 1973. Le
rapport intermédiaire d’avril 1974 indique que le rensei-
gnement militaire estimait qu’une attaque était impossible
dès lors que l’Égypte n’avait pas renforcé significativement
son aviation, seule arme capable de l’emporter sur Tsahal.
Ce premier rapport, qui prouve que personne n’a pris au
sérieux la qualité de l’armée de l’air égyptienne, provoque
la démission du chef d’état-major, le général Elazar. Le
rapport final paru en 1975 compte 1 500 pages, dont
40 seulement furent rendues publiques. La Commission
Agranat fut critiquée pour avoir épargné les têtes du gou-
vernement travailliste afin qu’elles ne tombent pas. Mais

26. RAZOUX, 2008, p. 285-328.

117

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

la crise de confiance entre la population et son élite milita-


ro-politique était inévitable, et Golda Meir dut démission-
ner le 11 avril 1974, laissant sa place à Yitzhak Rabin. De
ce qui aurait pu être un désastre émerge donc une nouvelle
génération d’hommes politiques, marqués par le risque
de la défaite et convaincus par la nécessité d’une défense
renouvelée, ainsi Ariel Sharon.
Le 6 octobre 1973 est, pour beaucoup d’Israéliens, le
jour où l’État hébreu a failli s’effondrer. Le traumatisme
est encore vif dans les esprits et justifie l’esprit obsidional
d’Israël, expliquant pourquoi, après 1973, il était devenu
urgent de faire la paix avec les voisins et de lancer une
nouvelle dynamique internationale qui ne fût pas mili-
taire. Ce changement d’attitude devait aussi influer sur la
place de Tsahal dans l’organisation de l’État et l’opinion
publique…

3. Un nouvel esprit
Un travaillisme recomposé
En avril 1974, le travaillisme israélien est parcouru
par le départ de deux figures historiques et le déclin du
Mapaï : Yitzhak Rabin et Shimon Pérès remplacent Golda
Meir et Moshé Dayan ; Yigal Allon devient Ministre des
Affaires étrangères. Le gouvernement hérite des difficul-
tés liées à l’échec de 1973, et constate l’éloignement des
États-Unis. À l’inverse, les ennemis d’Israël soudent leurs
rangs lors du sommet arabe de Rabat en octobre 1974 :
l’OLP est reconnue comme le seul représentant légitime
des Palestiniens, et devient même membre observateur
des Nations Unies. Israël fait figure désormais de cible
privilégiée des mouvements tiers-mondistes, des leaders
marxistes comme le dictateur ougandais Amin Dada.

118

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

Des campagnes antisionistes se multiplient contestant la


légitimité de l’État hébreu, considéré comme l’exemple
même du régime néo-colonial, comparé à l’Apartheid
sud-africain. En quelques mois, et bien qu’il ait été atta-
qué en 1973, Israël perd l’opinion internationale qui lui
était globalement favorable auparavant. Ce changement
de climat aboutit à l’adoption de la Résolution 3379 des
Nations Unies, qui assimile le sionisme « à une forme de
racisme et de discrimination raciale ». L’ambassadeur
d’Israël à l’ONU, Chaïm Herzog, rejette fermement cette
qualification :
« Pour nous, le peuple juif, cette résolution basée sur la haine, le
mensonge et l’arrogance, est dépourvue de toute valeur morale ou
juridique. Pour nous, le peuple juif, ce n’est rien de plus qu’un mor-
ceau de papier et nous le traiterons comme tel27. »

Pourtant, malgré cette fière posture, la résolution affai-


blit l’élite travailliste et la légitimité d’Israël.
Le gouvernement doit faire face à l’opposition de plus
en plus forte des religieux. En février 1974 voit le jour le
mouvement Gush Emonim, le « Bloc des Fidèles », mouve-
ment ultra-orthodoxe fondé par les étudiants du rabbin
Zvi Yehuda Kook28. Le but de ses militants est de fonder
des colonies en Cisjordanie afin de rendre la terre aux Juifs.
On fonde des implantations à proximité des villes arabes,
notamment dans la région de Naplouse. Le gouvernement
voudrait les voir rallier les zones contrôlées par l’État, près
des camps militaires, sans résultat. Car Gush Emonim
est soutenu par une partie de l’opinion, sensible à la

27. The campaign leading to the U.N Anti-zionist resolution, Institute of


Jewish Affairs, Research Report, novembre 1975.
28. Ian LUSTICK, For the Land and the Lord : Jewish fundamentalism in
Israel, New York, Council on Foreign Relations, 1988, p. 63.

119

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

dimension religieuse du discours, et par d’anciens du Lehi,


de l’Irgoun, et même de l’armée. On y voit un renouveau
du sionisme, loin du sécularisme des pères fondateurs d’Is-
raël. Le Parti national religieux, qui participe à l’alliance au
pouvoir, se déclare solidaire du Bloc des Fidèles, divisant
un peu plus le gouvernement.
La situation politique interne à Israël et le climat diplo-
matique global de Détente poussent à la négociation. Le
17 septembre 1978 le Président égyptien Sadate et le
Premier ministre israélien Menahem Begin signent les
accords de Camp David, sous les auspices du Président
américain Jimmy Carter. Ces accords-cadres sont le pré-
lude à une tentative de paix entre Israël et les États arabes.
Ils doivent déboucher sur la restitution des territoires
occupés au profit des Arabes palestiniens et sur l’ouverture
de relations diplomatiques avec les autres États. L’Égypte
autorise les navires israéliens à traverser le canal de Suez
et reconnaît que le golfe d’Aqaba et le détroit du Tiran
sont des voies fluviales internationales libres. Sadate signe
alors le premier traité de paix entre un pays arabe et Israël,
le 26 mars 1979. Ces accords assurent à l’État hébreu la
sécurisation de sa frontière occidentale. De plus, l’Égypte
reconnaît à Israël le droit à l’existence. Quinze ans plus
tard, la Jordanie signera à son tour un traité de paix iden-
tique, le 26 octobre 1994. Le complexe obsidional israélien
s’apaise sur ses frontières, mais pas à l’intérieur, en raison
de l’exaspération palestinienne.

Une nouvelle doctrine opposée aux mentalités


kibboutznikim
La question des territoires palestiniens divise les
membres du gouvernement entre les « faucons » et les

120

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

« colombes ». Les « faucons », comme Allon et Pérès, sont


d’anciens militaires et kibboutznikim favorables à l’établis-
sement de colonies. Les « colombes », pour la plupart des
politiciens de carrière, sont prêts au retrait de Tsahal de
Cisjordanie29. L’élite travailliste se retrouve donc divisée
par ses origines, son immobilisme et ses luttes intestines.
En 1977, le Likoud, principal parti de droite, remporte
les élections législatives, infligeant à la gauche travailliste
sa première défaite depuis la création de l’État hébreu. Ce
basculement va jouer en défaveur du modèle social qu’était
le kibboutz.
Véritable aristocratie guerrière fournissant officiers et
soldats d’élite mais aussi hommes politiques, le kibboutz
est indissociable du travaillisme israélien. L’avant-garde
kibboutznik jouissait de subventions d’État pour moder-
niser les colonies. La crise de confiance de 1973 et les
élections de 1977 entachent ce modèle30. Le gouvernement
de Menachem Begin (1977-1983) ne s’estime pas lié par
un quelconque engagement envers les kibboutznikim, dont
il ne partage nullement les valeurs collectivistes. Les kib-
boutznikim sont perçus comme des marginaux politiques,
une manifestation du passé, un patrimoine gênant qui
barre la route à la paix et aux négociations avec les Arabes.
L’image du pionnier kibboutznik, ashkénaze et laïc, ne
correspond plus à la population israélienne qui compte de
plus en plus de Sépharades et de religieux.
La situation économique fait évoluer les mœurs.
L’Israël de 1977 n’est plus celui de 1948, son économie est

29. DIECKHOFF, 1985.


30. Menachem ROSNER, Hakibbutz Vehachevra Hayisraelit, Haïfa,
Institute for the Study of the Kibbutz and the Cooperative Idea,
Position Paper, 92, 1989, p. 13.

121

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

plus forte, industrielle et tertiaire, et la population attirée


par le modèle des loisirs et de la consommation améri-
caine. L’égalitarisme pionnier né de la pénurie fait face à
la liberté individuelle d’une société jeune et urbanisée. Les
grandes métropoles urbaines comme Haïfa ou Tel Aviv
ne cessent de croître. Un rapport de la CIA publié en mai
1972 conclut :
« La plupart des immigrants occidentaux résistent à la pression qui
veut les loger dans les zones rurales moins peuplées. Ils veulent
s’installer dans la zone urbaine côtière plus densément peuplée ou
à Jérusalem. Le Juif oriental moins prospère est souvent celui qui se
retrouve à l’intérieur du pays ou dans les nouvelles villes en déve-
loppement31. »

Mais là où la société israélienne a évolué, le système


kibboutzim est resté le même, impérieux, exigeant, agraire.
On continue de construire des kibboutzim sur des sites
stratégiques ou menacés, mais la colonie n’est plus au
cœur d’Israël32.
Les combats de 1973 ont été âpres et ont révélé les
limites de la doctrine militaire issue de la Crise de Suez
consistant à attaquer avec les chars de manière concen-
trée sans soutien de l’artillerie ni de l’infanterie. Ceux-ci
reviennent en grâce, entraînant une révision de la doc-
trine. Dans l’espoir d’éviter une nouvelle attaque surprise,
Tsahal procède à des achats massifs des premiers appareils
technologiques de surveillance et commence à développer
des drones, dont il est devenu l’un des leaders mondiaux.
Le service militaire touche de plus en plus de jeunes, car la
menace de guerre s’éloignant, les critères de sélection sont

31. « CIA : tensions ashkénazes-séfarades Israël », La tribune juive, 15


février 2017.
32. TSUK, 2000, p. 22.

122

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LA CHUTE DU MODÈLE KIBBOUTZIM

moins drastiques. Le nombre de femmes s’engageant aug-


mente. La formation des recrues est révisée. C’est le retour
en grâce de l’infanterie face au char de 197333. On achète
aux États-Unis des hélicoptères d’attaque – cent hélicop-
tères Cobra en 1974 –, afin de protéger le débarquement
de troupes au sol et leurs manœuvres.
L’armée apparaît dans les années 1980 un bloc sur-
puissant mais de plus en plus difficilement manœuvrable,
ralenti par une lourde administration34. Avec l’essor de
l’infanterie, c’est la société civile tout entière qui pénètre
Tsahal, avec ses doutes, ses appels à la liberté individuelle,
son pacifisme. Face à ce changement radical de mentalité,
les kibboutznikim affrontent une crise morale, qui sera
suivie dans les années 1980 par une crise économique, due
à la fin des subventions d’État. L’idéologie kibboutznik se
tourne alors vers l’individu et un certain bien-être, délais-
sant l’égalitarisme absolu, la rudesse et le travail. L’habitat
lui-même évolue : les petites maisons identiques sont rem-
placées par des pavillons avec garage et jardins individuels,
clôturés35.

33. RAZOUX, 2008, p. 333.


34. VAN CREVELD, 1998, p. 390.
35. Yuval ACHOUCH, Yoann MORVAN, « Kibboutz et villes de
développement en Israël : Les utopies sionistes, des idéaux piégés par
une histoire tourmentée », Justice spatiale, 5, décembre 2012-décembre
2013.

123

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7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 124 11.09.18 09:43
Quatrième partie :

Tsahal comme force intégratrice

La défense du peuple juif a toujours inclus la partici-


pation des citoyens, comme l’illustre les groupes d’auto-
défense avant même la création de l’État. À l’époque de
l’Hashomer puis de la Haganah, aucun participant n’avait
fait de la Défense un emploi à temps plein. Pourtant, tous
se sentaient investis d’une mission nationale, ainsi que le
rappelle le septième article de l’acte de fondation de la
Haganah (15 mai 1941) :
« Les membres de la Haganah sont ouverts à tous les Juifs préparés
et capables de remplir leurs devoirs envers la défense nationale.
Appartenir à la Haganah, qui est autant une obligation et un privi-
lège pour tout Juif et toute Juive, est en pratique basé sur un choix
libre et volontaire de chacun1. »

Au début de la guerre de 1948, aucune institution éta-


tique militaire n’a encore été fondée et c’est une nouvelle
fois les citoyens et les kibboutznikim qui assument leur
défense. Il n’est pas encore possible au gouvernement de
s’appuyer sur une armée professionnelle car il n’a pas le
temps de former de manière efficace des soldats de métier.
Il faut donc s’appuyer sur la masse des nouveaux citoyens
juifs et surtout sur les anciens combattants des groupes
d’autodéfense 2. La nature même de la future armée

1. ALLON, 1970, p. 120.


2. RAZOUX, 2008, p. 64.

125

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

israélienne est profondément marquée par cette présence


populaire et citoyenne, laquelle inspire réciproquement
l’esprit de la Défense nationale. Au fil de l’histoire d’Israël,
les conflits larvés ou directs avec ses voisins vont instaurer
une culture militaire au sein de la population, culture qui
ne va jamais être totalement confisquée par l’État et son
appareil militaire. L’esprit de la Défense traverse ainsi tout
le pays en profondeur.

1. Le rôle central du service militaire

« Grâce au système de la réserve (obligatoire un mois par an), l’ef-


fectif total de Tsahal peut atteindre, en cas de mobilisation, 750 000
hommes et femmes (185 000 personnels d’active et 565 000 réser-
vistes), soit 12 % de la population soumise au service militaire (juive
et druze), taux record que n’approche que la Corée du Nord. »
Pierre RAZOUX, « Une armée israélienne en pleine mutation »,
Politique étrangère, 2013/1 (Printemps), p. 23-35.

À la fin de la guerre d’indépendance, professionnaliser


l’armée serait trop coûteux pour le jeune État qui a souf-
fert économiquement du conflit et n’a pas eu le temps
de développer son industrie3. Il survit grâce à l’argent
de la diaspora notamment au travers de l’Organisation
sioniste mondiale, fondée en 1897 par Theodor Herzl.
Ben Gourion comprend que le service militaire universel
serait une manière d’amortir l’arrivée massive des popu-
lations juives qui immigrent vers Israël. En dehors de
leur conscience juive, les dénominateurs commmuns sont
rares, même sur le plan religieux, puisque de nombreux
Juifs d’Europe sont laïcs. Ben Gourion souhaite créer une
identité commune avec les nouveaux venus et enseigner

3. Op.cit., p. 105.

126

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

aux Israéliens un même amour pour leur jeune patrie, si


durement acquise. Il inscrit comme mission pour l’armée :
« La chose la plus importante qu’il devrait y avoir dans l’armée
de défense israélienne l’amour de l’homme, l’amour de la nation,
l’amour des camarades (…), et chaque mère juive saura qu’elle
laisse le sort de son fils au commandement qui le mérite4. »

Le service militaire universel en Israël est mis en place


en 1949 sous l’égide du gouvernement de David Ben
Gourion, lors du vote du Security Service Act, remplacé
en 1959 par la loi sur la Défense nationale. Le but est de
préparer la société aux menaces, mais aussi de souder
la population et de développer une cohésion nationale.
L’armée a donc toujours évolué en respectant deux impé-
ratifs : développer l’esprit collectif et le patriotisme, mais
aussi le goût individuel de l’audace, du défi, au service de
l’État. « Notre armée, écrit le Premier ministre dans son
journal, a une mission non seulement en temps de guerre,
mais aussi, et peut-être surtout, en temps de paix ; elle doit
façonner le caractère de la jeunesse, et à travers cela, le
caractère du peuple5. » Les soldats soumis à la conscrip-
tion obligatoire sont uniquement les Juifs ; Tsahal est une
armée juive, même si les membres des autres communau-
tés (druze notamment) peuvent être volontaires et prêter
serment sur la Bible ou le Coran.

Principes et méthodes d’organisation du service


militaire
Tsahal est une armée de conscrits. Tous les citoyens
doivent effectuer un service militaire de deux ans pour les

4. Extrait de ses carnets, Maison de Ben Gourion, Tel Aviv.


5. Id.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

femmes et de trois ans pour les hommes, une fois leurs


dix-huit ans révolus. Les officiers effectuent un an de
formation supplémentaire. Il n’y a pas de sous-officiers
dans l’armée, ce qui a souvent entraîné des carences d’en-
cadrement, en raison de l’absence d’échelon intermédiaire
entre l’officier qui dirige sa section et ses hommes. Dans
cette armée de conscrits, les hommes ont tous à peu près le
même âge, bénéfice pour la cohésion, mais qui génère des
carences d’expérience, de leadership et de compétences.
À l’âge de seize ans, les Israéliens passent une journée
de tests en vue de leur service. On évalue leurs compé-
tences sportives, leur niveau d’hébreu, leurs capacités au
commandement au travers de mises en situation de stress.
Les jeunes effectuent alors des vœux selon trois finalités
militaires : les unités combattantes, les plus prestigieuses
mais aussi les plus difficiles physiquement et mentalement.
Dans de telles unités, la recrue sera envoyée surveiller une
frontière, au nord du pays avec le Liban, ou un check-
point entre la Cisjordanie et Israël. Le deuxième groupe,
moins exposé au danger et à la violence, réunit les tâches
logistiques et technologiques au profit des combattants
(ravitaillement, mise au point de nouveaux matériels, etc.).
Ces recrues peuvent parfois rejoindre les casernes des
unités combattantes pour favoriser l’efficacité opération-
nelle. La dernière branche est administrative (ressources
humaines, états-majors, etc.).
La formation initiale de trois à six semaines s’ap-
pelle l’O2 Training et assume deux objectifs : « inculquer les
principes et les valeurs de l’armée israélienne, et dévelop-
per l’esprit de groupe et l’entraide chez des jeunes venus
d’horizons très différents6 ». Les recrues, réparties dans

6. « Le Processus de Recrutement et d’Incorporation », tsahal.fr.

128

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

leur centre de formation en une dizaine de sections de 240


individus, intègrent une première base de connaissances et
de savoir-faire militaires. Les sections sont subdivisées en
classes de quinze conscrits formant l’unité la plus réduite
au sein de laquelle ils passent toute leur formation initiale.
Le chef de classe est un soldat à peine plus âgé qu’eux.
Il n’y a que deux officiers qui commandent ensemble
une division, composée de quatre classes. Tout le monde
apprend à tirer, quelle que soit son affectation finale. À
l’issue de cette formation, chacun rejoint l’unité où il sera
affecté et formé pendant un mois par celui qu’il rempla-
cera, selon un système de « tuilage » extrêmement efficace.
Dans les unités combattantes, la formation des hommes
et des femmes est commune, même si les femmes sont
sous-représentées. Tous les mois, les recrues sont de garde
dans leur base pendant une nuit et ont des séances de tir
régulières. Les soldats, quelle que soit la branche de leur
affectation, tirent en moyenne 1500 cartouches par mois,
ce qui est énorme en comparaison de l’Europe. La rému-
nération des conscrits est minime. Les jobniks, c’est-à-dire
ceux qui occupent un emploi de bureau, ne touchent que
800 shekels par mois (200 €).
Les recrues reconnaissent que c’est dans leurs unités
que se forment les liens les plus forts, système qui permet
le mélange entre les Sabras ­– Israéliens nés en Israël – et
les immigrés, entre Ashkénazes et Séfarades, et dans une
moindre mesure entre religions. La fusion qu’opère Tsahal
est devenue bien plus efficace dans les années 2000 qu’une
ou deux générations auparavant7. Toutefois, les minorités
religieuses et ethniques, même au sein du judaïsme, font

7. Jean-Pierre PERRIN, « Israël : la fracture ouverte entre ashkénazes et


séfarades », Libération, 11 août 1998.

129

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

souvent des demandes pour être affectées dans des unités


particulières qui empêchent une réelle homogénéisation.
Pour assurer la cohésion et stimuler l’intégration dans
la société, l’armée dispense des cours d’hébreu. Les
jeunes peu motivés, ou trop religieux pour s’intégrer avec
des laïcs, sont automatiquement dirigés vers des unités
non-combattantes, où, après leur formation initiale, ils ne
pourront pas gêner la cohésion de la troupe. Cependant, le
but du service militaire est de faire adhérer les Israéliens au
principe de défense de la nation, aussi tout le monde doit
apprendre à tirer, même si seuls les soldats combattants
disposent d’un fusil à temps plein, veillant sur lui, le por-
tant constamment, le ramenant même chez eux lors des
permissions du week-end, afin de développer le sens de la
responsabilité.
Certaines unités spécialisées perpétuent l’esprit pion-
nier d’Israël. C’est le cas du Nahal, acronyme de Hativat
HaNahal (« jeunesse pionnière combattante »). Ce pro-
gramme créé par Ben Gourion était destiné à intégrer de
jeunes migrants animés par un esprit idéaliste, prêts à en
découdre aux frontières. Les jeunes rejoignent dès l’âge
de seize ans un groupe mixte d’une quarantaine de per-
sonnes où ils découvrent découvrent l’armée par des acti-
vités paramilitaires encadrées. À l’issue de leur formation
initiale lors du service militaire, ils rejoignent une colonie
créée près de la frontière libanaise ou cisjordanienne8.
Généralement, à la fin de leur service, on les voit s’installer
avec leurs camarades dans la colonie où ils ont servi. En
1982, à la suite de l’opération Paix en Galilée menée par
Tsahal au Liban, est créée la brigade d’infanterie du Nahal
reconnaissable à son béret vert et déployée sur les fronts

8. RAZOUX, 2008, p. 121-122.

130

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

instables et en protection des kibboutzim. Elle attire des


soldats extrêmement motivés, imprégnés de convictions
idéologiques et issus de l’immigration récente9.
Un des principes de Tsahal pour faire adhérer les
citoyens à l’identité nationale est de lutter contre le fléau
des soldats seuls. L’institution a mis au point des pro-
grammes pour empêcher l’exclusion et la solitude des
jeunes de dix-huit ans qui n’ont pas de famille, ceux qui
sont brouillés avec elle à cause de leur engagement dans
l’armée, et les soldats immigrés mais sans famille sur place.
Des primes spéciales sont accordées à ces militaires, et des
bâtiments sont aménagés et entretenus pour les accueil-
lir pendant leurs permissions et ils disposent d’un droit
d’y résider pendant six mois après la fin de leur service
militaire de manière à s’insérer progressivement dans la
société10.

Les conséquences sociétales du service militaire


Même si l’éducation militaire se veut uniforme parce
que citoyenne, les unités sont organisées en fonction de
critères sociaux et nationaux. Jusqu’aux années 1980, ce
sont des Ashkénazes et des laïcs, précurseurs du sionisme,
qui servent dans les unités combattantes1112. Ils sont les
descendants des Juifs d’origine germanique, victimes prin-
cipales de la Shoah et survivants d’Europe de l’Est ayant

9. « Brigade Nahal », tsahal.fr.


10. « L’immigrant et le service militaire », Ministère de l’Aliya, Tel Aviv,
2005, p. 36.
11. Gudrun KRAMER, A History of Palestine : From the Ottoman
Conquest to the Founding of the State of Israel, Princeton, Princeton
University Press, 2008, p. 104.
12. WYLEN, 2000, p. 392.

131

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

migré en masse vers la Palestine à la fin de la guerre. Ils


ont été à l’origine des groupes d’autodéfense avant 1945
et membres du Palmach, l’unité d’élite de la Haganah. Ils
représentent donc, d’une certaine manière, l’élite armée
de la nation israélienne, et se sentent investis par leur rôle
de défenseurs de la patrie au sein de l’armée. Dans les
années 1950, ils combattent dans l’infanterie, qui était
alors l’arme de prédilection, la plus rustique à une époque
où le matériel était rare et cher. En 1948, au début de la
guerre, l’armée israélienne ne possédait que 16 chars et 40
pièces d’artillerie, contre 150 véhicules blindés, 160 pièces
d’artillerie et 50 avions de combat pour ses voisins arabes.
Après leur service militaire, les jeunes israéliens com-
mencent leurs études à l’université. Ils ont acquis en trois
ans d’armée une maturité que n’ont pas leurs camarades
du même âge en Occident13. L’armée reste présente dans
leur vie civile, car ils continuent d’appartenir à la réserve et
sont tenus de passer un mois par an dans l’armée jusqu’à
40 ans, ou 45 ans pour les officiers. Les femmes, à partir
du moment où elles deviennent mères, sont exemptées
de réserve militaire. Mais, dans les faits, peu de soldats
effectuent réellement cette période annuelle, sauf en cas
de conflit armé. Les réservistes d’unités combattantes et
ceux qui travaillent dans les secteurs de la recherche et du
développement sont les plus sollicités dans la réserve, mais
la période peut se limiter à quelques jours par an.
Servir dans les unités d’élite de l’armée de terre offrait
aux soldats, à l’époque de la création d’Israël, un rang et un
prestige dans la société israélienne, pouvant déboucher sur
une carrière politique. C’est moins le cas depuis les années
1990 et la généralisation dans la jeunesse d’un esprit plus

13. SENOR-SINGER, 2011, p. 104.

132

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

individualiste, plus civil et moins impliqué dans l’urgence


de la défense d’Israël. La hiérarchie socio-économique
s’est calquée sur la hiérarchie militaire et inversement. Les
unités d’élites de l’infanterie ont longtemps été considérées
comme l’arme par excellence de la défense de l’État. Avec
le développement de l’armée de l’air, l’aviation a remplacé
symboliquement l’armée de terre, mais elle exige des
conditions médicales particulières qui limitent son accès
à une poignée de citoyens14. Les armes prestigieuses ont
donc changé en fonction de la doctrine militaire, laquelle a
valorisé la cavalerie blindée après la Guerre des Six Jours,
puis à nouveau l’infanterie après la Guerre du Kippour.
Les minorités religieuses et ethniques ont peu à peu com-
mencé à prétendre à ces unités, même si elles leur étaient
relativement fermées au départ.
De nombreux employeurs demandent à leurs employés,
revenus à la vie civile, s’ils ont effectué leur service mili-
taire avant de les embaucher, parce qu’il y a là une garantie
sur le sens des responsabilités du candidat. Cependant,
cette précaution a été rendue illégale, tandis que les valeurs
individuelles (réussite, loisirs, consommation) ont remis
en cause l’importance sociale du service militaire, dont le
prestige a décru depuis les années 1980. Ne pas le remplir
reste toutefois un handicap social certain15.

14. RAZOUX, 2008, p. 180.


15. Sébastien LEBAN, « Ces Israéliens qui refusent de porter les
armes », Paris Match, 25 mars 2015.

133

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

2. Les activités militaro-économiques

Depuis sa création en 1948, l’État d’Israël a été engagé


dans six guerres avec ses voisins arabes qui ont nié son
existence sur un territoire qu’ils considéraient comme
uniquement arabe. Cette menace a provoqué le dévelop-
pement de l’armée, avec la production et la mise en service
de plus de 1 800 chars Merkava depuis 1979, associés aux
1 400 chars américains M-60 Patton, pour un pays comp-
tant en 2017 à peine plus de huit millions d’habitants. À
titre de comparaison, la France aurait un peu plus d’un
milliers de chars, tous types confondus, pour 68 millions
d’habitants…

L’industrie d’armement, fleuron économique


israélien
L’État hébreu a été initialement soutenu par les États
occidentaux comme la France jusqu’aux années soixante,
l’Allemagne, et surtout son partenaire privilégié que sont
les États-Unis 16. En 1948, les soldats israéliens dispo-
saient de quelques chars assez hétéroclites achetés aux
Occidentaux, puis aux Soviétiques via la Tchécoslovaquie
dans les années 1960 et 1970. Israël a ainsi pu se procurer
des armes lourdes à bas prix, mais qui sont rapidement
devenus obsolètes. Tsahal a donc été forcée de développer
ses propres industries pour créer de l’armement auto-
nome, mais aussi pour réhabiliter le matériel vieillissant
qu’elle recevait. La nécessité d’une industrie nationale
était d’autant plus urgente que ces apports de l’extérieur

16. Cyrille LOUIS, « L’Amérique débloque 38 milliards de dollars


pour préserver la supériorité militaire d’Israël », Le Figaro, 15 septembre
2016.

134

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

entraînaient une forte disparité du matériel en usage17. Le


budget consacré à la production a été multiplié par trois
juste avant le début de la Guerre des Six Jours permettant
l’achat de chars de combat à l’Allemagne – au titre de
dédommagement de la Shoah – et aux États-Unis, aug-
mentant l’arsenal israélien de près de deux mille chars que
le pays ne pouvait pas fabriquer lui-même18.
L’industrie d’armement israélienne est aujourd’hui
l’une des plus développée à travers le monde, la quatrième
exportatrice d’armes mondiales ; elle produit et vend tant
aux pays développés qu’aux États plus pauvres. Israël a
par exemple été accusé de financer la guerre au Soudan
en armant les belligérants du sud19. Il est spécialisé dans
la mise au point et la fabrication d’appareils high-tech ou
encore de drones de surveillance, comme le Super Héron
vendu à la France, au Canada, au Brésil et au Mexique.
« Les technologies militaires innovantes, plus qu’une armée
de masse, ont été considérées comme stratégiquement cru-
ciales pour Israël, étant donné sa superficie relativement
petite20 ». L’armement a été l’un des premiers secteurs de
développement et d’exportations industrielles. De nom-
breuses entreprises ont été financées par Tsahal à leurs
débuts. Israel Aerospace Industries est, par exemple, une
entreprise de construction aéronautique israélienne créée
en 1948, qui a établi une étroite collaboration avec l’armée
suite à l’embargo imposé par la France sur les avions à des-
tination d’Israël en 1967. L’Italie a signé un contrat avec

17. RAZOUX, 2008, p. 123.


18. Op. cit., p. 185-186.
19. « Israël : manifestation contre les ventes d’armes aux pays en
guerre », RFI, 3 juin 2015.
20. Dan PELED, « Israel’s war business », Spiegel, 27 août 2014.

135

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Tsahal et l’industrie aérospatiale en juin 2012 pour des


avions de surveillance équipés des derniers radars.
Les plus importantes entreprises d’armement israé-
liennes sont les Israeli Military Industries (IMI), gérées par
l’État et spécialisées dans la fabrication d’armes ou d’appa-
reils à vocation militaire. En 2016, elles employaient 7 500
personnes, main-d’œuvre à très haute valeur ajoutée, pour
un chiffre d’affaires de 6,6 milliards de dollars, essentiel-
lement d’exportations, chiffre stable entre 2008 et 201721.
Les IMI sont les héritières des usines de fabrication
d’armes illégales de la Haganah dans les années trente22.
Elles produisaient alors des armes de poing et de petits
calibres, car les groupes d’autodéfense étaient contraints
de se procurer des armes clandestinement en Europe. Au
moment de la création d’Israël, ces industries sont deve-
nues des entreprises publiques pour produire des armes
légères, telles le Uzi en 1953, le Galil en 1974, le Jéricho en
1985, ou encore le Néguev en 1996. Le Uzi est devenu le
pistolet-mitrailleur le plus célèbre de la fin du XXe siècle,
entièrement produit en Israël, vendu à plus de dix millions
d’exemplaires à travers le monde, réputé fiable, robuste et
relativement bon marché. Il est plus compact que la plu-
part des armes équivalentes et donc très recherché pas les
unités de police ou les parachutistes.
Le char Merkava est le premier char de fabrication
israélienne et le seul employé par Tsahal. Il a été conçu
pour répondre aux besoins de l’armée en fonction de sa
doctrine, de l’emploi de ses forces (des réservistes occa-
sionnels peuvent le manier) et surtout pour s’adapter

21. Daniel DEISS, Edwin WATSON, « Israel’s military expenditures


and military industrial complex », South Front, 20 novembre 2017.
22. www.imisystems.com.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

au terrain. Utilisé pour la première fois en 1982 lors de


la guerre du Liban, il avait été conçu pour patrouiller
dans le désert et, si nécessaire, repousser des invasions
adverses. Ce char symbolise la force de la nation puisqu’il
n’est pas exporté et est passé entre les mains de plusieurs
générations de citoyens, alors que les soldats s’étaient
toujours adaptés au gré des livraisons étrangères. Avant
la construction des premiers Merkava à partir de 1979,
Israël n’avait jamais eu les moyens ni les compétences pour
construire ses propres chars23. Après le choc de la Guerre
du Kippour, qui a fait de la cavalerie blindée l’arme par
excellence, l’état-major a tenté de rééquilibrer les forces,
avec le retour en puissance de l’infanterie et de l’artillerie.
Lors des opérations au Liban en 1982 et 2006, le Merkava
s’est avéré trop imposant et peu pratique pour le combat
urbain, aussi a-t-il fallu réviser la doctrine de son emploi24.
Les entreprises israéliennes ont aussi fabriqué dans
les années 1970 un avion de combat, le Kfir, inspiré d’un
modèle suisse, mais il n’a pas eu le succès escompté. La
pression des États-Unis a beaucoup joué sur cet échec, car
il ne fallait pas que l’État hébreu devienne totalement indé-
pendant militairement. Israël a donc continué d’acheter
des avions aux États-Unis, qui ont d’ailleurs subventionné
une partie de ses achats. Les entreprises israéliennes se
sont alors spécialisées dans le développement de matériels
high-tech équipant ces avions. Le savoir-faire israélien a
convaincu d’autres pays de nouer des coopérations inter-
nationales : les 36 Rafale français vendus par Paris en
2016 à l’Inde ont un intérieur israélien, comme le tableau
de bord et les missiles. Suite à de longues négociations

23. RAZOUX, 2008, p. 184.


24. DIECKHOFF, 2008, p. 71.

137

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 137 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

avec Dassault côté français, l’entreprise israélienne Rafael


équipe depuis 2017 les Rafale de missiles air-air25. Cette
collaboration a été facilitée du fait que l’Inde est aussi un
acheteur d’armes israéliennes26.
En 2017, Israël produit et exporte plusieurs types d’ar-
mement qui favorisent son développement économique :
missiles anti-missiles Arrow, missiles air-air Derby ou
Python, vendu à 600 exemplaires au Brésil entre 2001 et
2011, mais surtout les drones dont il est le premier expor-
tateur mondial. L’industrie aérospatiale a présenté le 2
octobre 2017 le nouveau drone Hopper qui permet d’éva-
cuer des soldats blessés d’un champ de bataille27.

Formation militaire et croissance économique


En 1948, Israël ne disposait d’aucune industrie et son
économie était au point mort, car les premiers migrants
juifs étaient des colons agricoles vivant en autarcie dans
leurs kibboutzim. Pourtant, les centres urbains originels
comme comme Tel Aviv et Haïfa se sont développés, de
nouveaux migrants fuyant l’Europe sont arrivés, apportant
leurs compétences et leur niveau d’études élevé. En 2010,
selon l’Organisation de Coopération et de Développement
économique (OCDE) Israël est le pays où l’on trouve
le plus d’ingénieurs par habitants (140 pour 10 000
habitants), et où les créations de start-up sont les plus

25. « Coup de pouce israélien pour le Rafale », 24 heures, 8 avril 2014.


26. « Israël : l’Inde achète pour 1,5 Md € de missiles », Le Figaro, 7 avril
2017.
27. Shoshanna SOLOMON, « Un nouveau drone des IAI permet
d’évacuer à distance les soldats blessés », The times of Israel, 2 octobre
2017.

138

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

nombreuses28. Mais Israël serait menacé d’une fuite des


cerveaux vers les États-Unis29.
Plusieurs facteurs expliquent ce développement rapide
et la spécialisation dans les technologies de pointe. Une
raison géographique tout d’abord. Le pays ne possède
pas de ressources naturelles et 60 % de son territoire est
recouvert par le désert du Néguev. Israël a pourtant réussi
à implanter l’agriculture dans le désert grâce au système
d’irrigation développé par la compagnie Netafim dans les
années 1960. Les agriculteurs des kibboutzim ont déployé
des trésors d’ingéniosité pour pouvoir cultiver la terre et
l’irrigation. Des ingénieurs ont ensuite amélioré les sys-
tèmes et des entreprises les ont commercialisés à travers le
monde, permettant à l’agronomie israélienne d’être parmi
les meilleures du monde30.
Le facteur sécuritaire est une autre raison de l’excel-
lence de l’ingénierie israélienne. Lors de la Guerre du
Kippour, les soldats ont été surpris par l’efficacité des
Sagger égyptiens, les missiles téléguidés d’origine russe.
Il a donc fallu réfléchir à un système défensif adapté,
réflexion qui ne s’est pas limitée à des cercles militaires
étroits, mais qui a été enrichie par les apports de soldats
réservistes, qui avaient des compétences rares. Ces sol-
dats israéliens avaient été des témoins directs des attaques
arabes, contrairement aux ingénieurs de l’armement, loin
du front. L’innovation et l’initiative personnelle ont donc
été favorisées par Tsahal, qui en a bénéficié en retour.
Les civils réservistes gardent un lien régulier avec l’armée

28. SENOR-SINGER, 2011 p. 34-35 et 17.


29. « Fuite des cerveaux en Israël : une réalité à prendre en compte »,
The times of Israel, 16 septembre 2015.
30. Op. cit., p. 150-151.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

et travaillent pour elle en lui faisant bénéficier de leurs


expériences professionnelles. Une innovation du domaine
civil bascule ainsi rapidement dans la sphère militaire, par
exemple dans la cyber-sécurité31.
En raison de leur service militaire, les citoyens entrent
tardivement à l’université, vers vingt-deux ans. Les étu-
diants disposent de plus de maturité et d’expérience pour
entamer leur parcours académique et leur vie profession-
nelle. Ils ont souvent été amenés à prendre des décisions
lourdes de conséquences, fait rare pour leur âge. Éric
Schmidt, ancien président directeur général de Google,
reconnaissait que les diplômés israéliens avaient une
culture propice au travail en équipe, un sang-froid dans
les situations de stress et une agressivité individuelle utiles
pour une entreprise32. La contrepartie est qu’ils sont aussi
confrontés dès leur jeunesse à la violence et à la guerre, ce
qui n’est pas sans provoquer des fragilités et, pour certains,
des syndromes post-traumatiques.
Les liens sociaux et amicaux noués sous les drapeaux
se maintiennent par la suite et renforcent la cohésion col-
lective. Pour favoriser le goût de l’effort en groupe, l’ar-
mée organise des challenges sportifs, notamment de krav
maga, sport de combat à mains nues qui fut inventé par
Imi Lichtenfeld et largement enseigné au sein de l’armée
israélienne. De retour dans le civil, l’esprit de persévérance
est mis au profit de leur emploi33.

31. « L’eau potable pour tous grâce à une invention militaire isra­
élienne ? », La tribune juive, 25 janvier 2014.
32. « Israël juste derrière la Silicon Valley pour l’innovation », Le
Parisien, 14 juin 2016.
33. SENOR-SINGER, 2011, p. 47.

140

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

La limite de cette éducation au défi et à la réussite vient


de la grande disparité culturelle en Israël. Les Arabes –
surtout les musulmans, mais aussi les chrétiens dans une
moindre mesure – ne sont pas intégrés dans le service
militaire universel, tout comme les Juifs ultra-orthodoxes,
qui ne le souhaitent pas, aussi participent-ils peu au déve-
loppement économique. Cette main-d’œuvre non active
n’a pas accès à la culture de l’entreprise de la société
israélienne, d’autant qu’elle n’est pas passée par le creuset
qu’est le service militaire.
Enfin, même si de plus en plus d’Arabes israéliens
accèdent à un diplôme, la défiance à leur égard reste forte
à cause du climat de tensions dans le pays. En 2015, une
série d’attaques surprises au couteau dans la rue, appelée
« Intifada des couteaux », a fait craindre que les Arabes de
citoyenneté israélienne puissent basculer dans l’ultra-vio-
lence à l’appel de l’organisation terroriste Daech34.

La formation technologique
Tsahal travaille aussi avec les lycées publics pour
repérer et orienter les meilleurs éléments. Ceux-ci sont
sélectionnés pour intégrer les unités de combat les plus
prestigieuses et, à leur sortie de l’armée, rejoindre des
écoles comme le Technion, la meilleure école d’Israël. Ces
recrues doivent présenter une aptitude au commandement
– qui serait innée d’après l’armée israélienne –, des capaci-
tés physiques hors normes, de très bons résultats scolaires,
surtout en sciences35. Tsahal participe ainsi directement

34. « 10 arabes Israéliens parmi d’autres qui font la fierté d’Israël », Cool
Israël, 7 août 2015.
35. SENOR-SINGER, 2011, p. 251-252.

141

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

à l’identification et à la formation des futures élites de la


nation.
Le Talpiot est un programme développé en 1979 par
des scientifiques liés à l’armée, suite au choc de la Guerre
du Kippour. Ils voulaient éviter à Israël de se faire une
nouvelle fois surprendre en investissant dans le déve-
loppement technologique, afin de compenser le déficit
démographique de Tsahal face à des armées arabes plé-
thoriques36. Le Talpiot est voué à renforcer chez les jeunes
prédisposés aux sciences leur aptitude au commandement
couplé avec une formation scientifique pour en faire des
ingénieurs et des cadres. Chaque année, deux cents jeunes
sont sélectionnés et suivent une formation comparable à
celle des parachutistes, une des plus dures. Le programme
les oblige à commander sous tension permanente et face à
des problèmes complexes, tout en les laissant le plus libres
possible dans leur imagination. En s’endurcissant sur le
terrain, ils prennent conscience des besoins des soldats
pour élaborer du matériel adapté. Ils signent ensuite un
contrat de six ans avec l’armée, après quoi ils basculent
dans la réserve. S’ils ne travaillent pas forcément pour
Tsahal, l’armée estime que les retombées indirectes jus-
tifient cet investissement. Par exemple, la société NICE
Systems a été créée par d’anciens ingénieurs du Talpiot,
et propose des systèmes de surveillance pour les grandes
entreprises. Marius Nacht, fondateur de l’entreprise de
cyber sécurité Check Point Software Technologies, est
passé par le Talpiot. Le Talpiot a participé à l’élabora-
tion de l’Iron Dome, le système de défense anti-aérienne
israélien déployé en 2010 pour se prémunir des attaques

36. Yaakov LAPPIN, « Each Talpiot graduate can make a 1% difference


in battle », The Jerusalem post, 27 mars 2016.

142

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

en provenance de Gaza ou du Liban37. Sur le modèle du


Talpiot a été fondé le programme Havatzalot pour former
sur trois ans des experts du renseignement38.
Enfin, le Technion est un institut de recherche fondé
en 1925, équivalent de Polytechnique39. L’État lui passe
régulièrement des commandes d’études à destination de
l’armée. Dès 1948, le projet de création d’un département
d’aéronautique lui a été soumis. En 2016, le Technion a
mis au point un planeur de transport de matériel médical
militaire40. Bien qu’il soit une école civile, le Technion a
développé des partenariats avec Tsahal qui permettent
de repousser le service militaire d’élèves particulièrement
brillants.
Le haut niveau de formation israélien assure à l’armée
un vivier de compétences pour faire face aux menaces
cybernétiques de plus en plus nombreuses41. Dès 2010,
Tsahal et le Technion, probablement en lien avec les
États-Unis, a lancé le programme Stuxnet pour freiner le
développement de la recherche nucléaire iranienne. Des
dizaines de milliers de systèmes informatiques iraniens,
notamment ceux des centrales nucléaires, ont été infectés

37. Jonathan MARK, «Talpiot : The IDF’s Best And Brightest », The
times of Israel, 9 février 2016.
38. Yaakov LAPPIN, « Elite Military Intelligence cadets complete
training », The Jerusalem post, 11 novembre 2013.
39. Marine MILLER, « A Haïfa, le Technion attire toujours plus
d’étudiants français », Le Monde, 12 septembre 2016.
40. «Technion et Tsahal : un planeur médical pour intervenir sur les
théâtres d’opérations », Israël science info, 8 décembre 2016.
41. Seth FRANTZMAN, « Les cyber combattants de Tsahal », The
Jerusalem Post, 25 juin 2017.

143

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

par un puissant virus42. Une semblable opération a eu lieu


au printemps 2012, baptisée Flame. À l’inverse, Israël est
l’un des pays les plus attaqués du Moyen-Orient, avec le
Qatar, et subit une dizaine de milliers d’agressions par
jour. Plusieurs offensives sont venues d’Arabie Saoudite,
où des hackers voulaient s’en prendre à l’État hébreu, au
nom de la défense du wahhabisme43. Ce fut encore le cas
en 2012 contre la compagnie israélienne El Al, attaque qui
a déclenché des cyber-représailles conduisant à la ferme-
ture de sites ministériels et institutionnels à Riyad44. Tsahal
a conçu un « Dôme de fer digital » pour parer les tentatives
de hackers45. La cyberdéfense est devenue une priorité
militaire en 2013, avec l’augmentation des budgets et le
renforcement des effectifs de l’Unité 8200, chargée de ce
domaine, ainsi que du piratage des moyens de communi-
cation ennemis, notamment iraniens46.

42. Ce programme fut initié par l’administration Bush et poursuivi par


celle d’Obama, cf. Ralph LANGNER, « Stuxnet’s Secret Twin, The real
program to sabotage Iran’s nuclear facilities was far more sophisticated
that anyone realized », Foreign Policy, 19 novembre 2013.
43. « Un pirate saoudien publie les coordonnées de cartes bancaires
israéliennes », Le Monde, 4 janvier 2012.
44. Adrien JAULMES, « Le Hacker saoudien frappe encore en Israël »,
Le Figaro, 17 janvier 2012.
45. RAZOUX, 2013.
46. DENECE, 2015.

144

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

3. La place des femmes


Des femmes militaires
Avant 1948, 15 % des combattants des unités de la
Haganah étaient des femmes47. Mais, après cette date,
le gouvernement de David Ben Gourion intègre dans la
défense israélienne les anciennes milices juives, les femmes
sont retirées des postes opérationnels et sont cantonnées
aux emplois administratifs et logistiques. Les hommes
refusaient en effet le risque que des femmes soient tuées
ou, pire, kidnappées et violées. L’opposition des religieux
à l’emploi des femmes comme soldats était très forte. Pour
le grand Rabbin Yitzhak Yossef, il y avait là une entorse
majeure à la Torah, car dans le passé les femmes avaient
aidé à la défense de leur communauté, mais d’abord en fai-
sant la cuisine ou la lessive pour les soldats. « Elles ne por-
taient pas d’uniformes ni de pantalons (…). Elles venaient
dans la modestie et la pureté48 ».
En 1949, la loi sur la Défense nationale est votée à la
Knesset, et instaure le service militaire obligatoire. Le
manque de main-d’œuvre dans ce pays de 800 000 habi-
tants contraint le gouvernement à rendre la conscription
obligatoire pour les femmes aussi, tout en confirmant
leur exclusion des unités combattantes. Le Chen (Chel
Nashim : « corps féminin ») est créé pour gérer l’emploi des
personnels féminins. Dès 1949, 10 632 femmes exécutent
leur service militaire. Plusieurs facteurs d’exemptions
sont mis en place et subsistent jusqu’en 2017. Une femme
mariée, mère ou enceinte est dispensée d’effectuer son

47. VAN CREVELD, 2002.


48. Kobi NACHSHONI, « Sephardic Chief Rabbi : Women in the
army ? Only to cook and do laundry », Ynetnew, 11 décembre 2016.

145

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

service, tout comme celles qui suivent un enseignement


religieux. Cependant, elles peuvent se porter volontaires
pour effectuer un service civil à la place, généralement
dans les domaines médical ou éducatif. Leur service mili-
taire ne dure « que » 24 mois49. Pourtant, à partir de la fin
des années 1980, on voit une évolution en faveur d’un
emploi opérationnel des femmes, sur la base du volonta-
riat. Elles effectuent alors un service militaire de trois ans
comme les hommes.
Les femmes restent souvent limitées à des emplois
considérés comme peu virils. Néanmoins, le pourcentage
de femmes occupant des postes administratifs a diminué
dans les dix dernières années (de 21,4 % à 13,4 % entre
2001 et 2012). Les femmes ont pu rejoindre des unités
quasi-combattantes, sans être au front mais en travaillant
directement pour servir les combattants. En 2017, les
unités de renseignement étaient composées à 55 % de
femmes50.
Les femmes ashkénazes issues de la classe moyenne
revendiquent ces évolutions. Rebutées par les emplois
typiquement féminins, elles sont engagées dans la lutte
pour l’égalité homme-femme et sont, elles aussi, en quête
de reconnaissance sociale. Elles sont ainsi particulièrement
critiques envers un service militaire qui réduirait l’engage-
ment des femmes à la logistique. En revanche, celles qui
sont issues de milieux plus défavorisés voient souvent dans
l’armée un moyen de gagner en autonomie par rapport à
leurs familles, quitte à effectuer des tâches subalternes51.

49. RAZOUX, 2008, p. 119-120.


50. « Les femmes de Tsahal », tsahal.fr.
51. SASSON-LEVY, 2013, p. 79.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

Enfin, les femmes pilotes restent l’exception. Durant


la guerre de 1948-1949, certaines pilotaient des avions
de transport, mais après le conflit on ne forma plus de
femmes. Yael Rom est un cas rarissime en ayant été la
première femme pilote de l’armée de l’air israélienne,
copilote d’un avion de transport de parachutistes durant
la crise de Suez52. Il faudra attendre près de 50 ans pour
que les femmes puissent de nouveau piloter un avion. En
1993, Alice Miller ne put accéder à la formation de pilote
militaire, malgré sa licence civile. Ezer Weizman, ancien
pilote et président de l’État d’Israël de 1993 à 2000, lui
lança : « Avez-vous jamais vu un homme coudre une paire
de chaussettes ? (…) Les femmes sont incapables de résis-
ter aux pressions exercées sur un pilote de chasse53 ». Mais
Alice Miller adressa sa requête à la Cour Suprême qui lui
donna raison, en se fondant sur le principe d’égalité en
Israël. Le cas de Miller est le point de départ d’un réel
changement des mentalités : depuis 1994, 38 femmes sont
devenues pilotes au sein de Tsahal54.

La femme combattante
En 2017, 54 % des femmes (contre 70 % des hommes)
effectuent leur service militaire ; elles représentent 34 %
des effectifs de Tsahal. L’égalité entre hommes et femmes
n’est donc pas totalement acquise dans l’armée israé-
lienne, même si 90 % des postes sont ouverts aux femmes.

52. «The Influence of IAF’s First Female Pilot », Israeli Air Force, 19
mai 2013.
53. Mitch GINSBURG, « Quand 38 soldates brisent le plafond de
verre », The times of Israel, 29 décembre 2014.
54. « Aviatrices de combat. 38 femmes sont pilotes dans Tsahal », Israel
valley, 5 août 2017.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Les 10 points restants concernent les forces spéciales et


les sous-marins. En 2000, le Corps féminin est dissous,
preuve que les femmes sont maintenant recrutées et affec-
tées dans des unités de la même manière que les hommes55.
Les femmes peuvent accéder à des grades de plus
en plus élevé et, en 2011, Orna Barbivai est devenue la
première générale de Tsahal, après une carrière dans les
ressources humaines et les états-majors. Rachel Tevet-
Wiesel, la femme la plus haut gradée de Tsahal en 2016,
est conseillère du chef d’état-major. Son but, en tant que
militaire est, à terme, de « permettre à chaque fille qui le
désire de faire le service militaire dans les meilleures condi-
tions possibles 56 ». Ainsi, des études médicales menées
pour comparer les capacités physiques des hommes et des
femmes ont conclu que celles-ci sont en mesure de porter
20 % de leur poids contre 40 % pour les hommes, tout en
restant aptes au combat et éviter les blessures au dos ou
de fatigue57. Les vestes de combat et les sacs ont alors été
adaptés pour correspondre aux morphologies des femmes,
notamment avec des armatures sur les hanches58.
Dès l’instauration du service militaire obligatoire en
Israël, une exemption a été proposée aux jeunes femmes
issues des courants rigoristes. De fait, de nombreuses
familles mariaient leur fille avant ses 18 ans pour éviter
qu’elles n’exécutent le service. Toutefois, depuis les
années 2000, les Juives orthodoxes sont de plus en plus

55. « Les femmes de Tsahal, des soldats comme les autres », tsahal.fr.
56. TEVET-WIESEL, 2016.
57. Amos HAREL, « Rate of female israeli soldiers serving in combat
role doubled in four years », Haaretz, 23 octobre 2016.
58. Judith SUDILOVSKY, « Une bataille difficile », The Jerusalem post,
1er novembre 2015.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

nombreuses à rejoindre l’armée. Elles étaient 900 à faire


leur service en 2010 et ce chiffre a doublé en cinq ans.
Issues de familles sionistes religieuses, leur patriotisme fer-
vent incite 30 % des élèves féminines d’écoles religieuses
à faire leur service militaire en 201659, croissance qui est
aussi liée aux aménagements réalisés pour les intégrer par
l’état-major et le rabbinat militaire. Elles sont par exemple
autorisées à porter une jupe au genou de manière à être en
adéquation avec les exigences religieuses.
Le désir de défendre leur pays les pousse à s’engager
et, en 2017, la Heyl Ha’avir accueillait la première femme
« religieuse » pilote. Leur motivation à servir l’armée est
faite de patriotisme et d’émancipation du carcan familial.
En 2014, 1 600 Juives orthodoxes se sont engagées dans
les rangs de Tsahal malgré l’opposition des rabbins et de
membres de la Knesset60. Une réelle rupture est en train
de s’opérer entre le clergé juif et l’armée, et à travers elle
l’État. En 2012, 46 jeunes femmes religieuses ont aussi
effectué une formation d’officier, portant leur service
militaire à trois ans, signe d’une véritable volonté de servir
l’État, aux dépens des contraintes rituelles.
L’intégration des femmes dans les unités combattantes
a commencé dans les années 1990 dans le corps de l’ar-
tillerie, car elles n’étaient pas impliquées sur la ligne de
front et jamais au contact direct de l’ennemi. La plupart
étaient des Ashkénazes laïques issues de la classe moyenne,
avec un haut niveau d’éducation. Une nouvelle étape est
franchie en 2004 avec la création du premier bataillon
de combat Caracal, en réponse à la volonté croissante

59. TEVET-WIESEL, 2016.


60. « L’enrôlement des filles religieuses à l’armée, objet d’un vif débat à
la Knesset », I24news, 6 août 2017.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

des femmes de rejoindre des unités d’infanterie. Caracal


mène des patrouilles à la frontière israélo-égyptienne61. Il
libère les unités d’élites de la surveillance de zone, mission
chronophage et qu’elles menaient au détriment de leur
entraînement. Les réservistes masculins, quant à eux, sont
de plus en plus réticents à se rendre disponibles pour cette
fonction, car les hommes rechignent à quitter leur travail
dans le contexte de compétition initié par la mondialisa-
tion. La surveillance des frontières est considérée comme
nécessaire, sans être une priorité militaire, aussi l’état-ma-
jor a-t-il accepté d’y affecter des femmes. Le risque de
rencontre avec l’ennemi est limité, même si la présence
de l’État islamique dans le Sinaï ne peut être négligée62. Il
faudrait alors redéployer le bataillon, composé en 2017 à
70 % de femmes.
Dans ces bataillons mixtes d’infanterie les femmes
accomplissent un service militaire de 32 mois comme
leurs camarades masculins. Elles sont soumises à la réserve
jusqu’à l’âge de 38 ans, même après une grossesse. En
2018, quatre bataillons mixtes seront chargés de la surveil-
lance des frontières avec l’Égypte et la Jordanie : les batail-
lons Caracal, Bardelas (« guépard »), Lions du Jourdain
(créé en 2016) et Lavi’ey Ha’bika, déployé en 2018 au
sud de la vallée du Jourdain63. Avec la part croissante des
femmes dans l’armée, la reconnaissance sociale passe de la
figure maternelle à celle de la femme moderne, émancipée,

61. « Des femmes en uniforme : les nouvelles recrues du Bataillon


Caracal », tsahal.fr.
62 Amos HAREL, « Rate of female israeli soldiers serving in
combat roles doubled in four years », Haaretz, 23 octobre 2016.
63. Joshua MITNICK, « Mixed-Gender Units : Quiet Revolution In
IDF », The times of Israel, 2 juin 2017.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

voire virile64. Désormais, 10 % des combattantes se portent


aussi volontaires pour devenir officiers.
Les réticences à l’engagement des femmes viennent
surtout des religieux, et parfois de certains officiers
d’état-major, sous prétexte qu’elles dévalueraient l’armée
et rendraient le recrutement moins élitiste65. Toutefois, il
n’y a pas eu plus de fautes commises par des femmes que
par des hommes depuis 2000, année à partir de laquelle
elles ont été acceptées comme combattantes dans l’in-
fanterie par la Cour Suprême. En 2017, pour la première
fois, des femmes ont été formées pour devenir pilotes de
chars malgré les pressions du rabbinat estimant que la
promiscuité avec les hommes est une atteinte à la pudeur.
Il fut alors décidé que les équipages de chars seraient non
mixtes et les 15 premières recrues féminines sont formées
sur Merkava Mark 3 de manière à être opérationnelles en
201866. L’égalité concrète n’est donc pas encore complète,
même si une partie de l’état-major est convaincue que
leur présence dans les unités de combats peut limiter le
déchaînement de la violence dans les conflits asymétriques
auxquels Israël fait face depuis 198267.

64. Ilaria SIMONETTI, « Le service militaire et la condition des


femmes en Israël », Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem,
17, 2006, p. 78-95.
65. VAN CREVELD, 2002.
66. Danièle KRIEGEL, « Israël : bientôt des femmes pour conduire les
chars de Tsahal ? », Le Point, 25 décembre 2016.
67. SASSON-LEVY, 2013, p. 85.

151

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

4. Les nouveaux migrants

Israël s’est façonné à partir des flux d’immigration


venus de la diaspora du monde entier. Il a su adapter son
identité et sa culture pour permettre d’intégrer les popu-
lations juives hétéroclites, notamment en utilisant l’armée
comme facteur de transmission des « valeurs israéliennes ».
Cependant, deux communautés, dont l’immigration mas-
sive est récente, perturbe ce système d’intégration. Ce
sont d’abord les Falashas, population juive d’Éthiopie qui
ne partage plus d’histoire commune avec les autres Juifs
depuis le VIIIe siècle avant notre ère. Il y a aussi les russo-
phones issus de l’URSS, pour lesquels les 70 ans de com-
munisme ont effacé le caractère religieux de leur judaïté.
Toutefois, cette communauté très patriotique a développé
une double culture israélienne et russe et s’est impliquée
dans la politique de l’État hébreu.

Les Juifs d’Éthiopie


Les Falashas (« exilés » en amharique, langue d’Afrique
du Nord-Est) ou Beta Israël (la « famille d’Israël ») vivraient
en Afrique depuis le Xe ou le VIIIe siècle avant Jésus-Christ
et constitueraient la première diaspora juive.
Dès 1984, Israël a décidé de lancer une opération
militaire en vue de ramener cette communauté particu-
lière, qui a vécu deux millénaires et demi coupée de tout
lien avec les autres groupes de la diaspora. Débutée le
21 novembre 1984, l’opération Moïse cherche à assurer
le retour des Juifs africains qui ont fui vers les camps
de réfugiés du Soudan du Sud à cause de la famine qui
s’est abattue sur l’Éthiopie. Près de 8 000 personnes sont
rapatriées par air entre novembre 1984 et janvier 1985.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

Cette opération, menée dans le plus grand secret, est un


succès pour Tsahal, appuyé par la CIA, les forces armées
du Soudan du Sud et l’ambassade des États-Unis. Mais le
dispositif est interrompu prématurément par l’interven-
tion diplomatique des États arabes qui veulent éviter un
accroissement de la population juive en Israël68.
Deux autres opérations de rapatriement sont montées
par la suite : l’opération Josué en 1985, menée conjointe-
ment par Israël et les États-Unis, puis l’opération Salomon,
du 24 mai au 4 juin 1991, la plus importante, puisque
14 400 Juifs éthiopiens sont évacués en raison de la dés-
tabilisation du pouvoir à Addis-Abeba et des menaces de
groupes rebelles. Un pont aérien est mis en place sous
les ordres du vice-chef d’état-major de Tsahal ; 35 avions
civils israéliens sont réquisitionnés et affrétés, ainsi que des
avions militaires69. Enfin, en 1999, un nouveau dispositif
est lancé pour rapatrier les 3 000 derniers Falashas du
nord de l’Éthiopie70. En 2014, le Bureau des statistiques
israélien a évalué la population de citoyens juifs éthiopiens
à 138 200 individus.
Toutefois, ce rapatriement exceptionnel n’assure pas
l’intégration de cette population africaine dans la société
israélienne. La barrière de la langue est un obstacle majeur.
Plus de 90 % des nouveaux immigrés sont analphabètes
et n’ont reçu aucune éducation dans leur pays d’origine
marqué par la guerre et le sous-développement. Or,
l’économie israélienne est profondément modernisée et

68. « Black Over White-Modern History of Ethiopian Jews », Center for


Jewish Education.
69. « L’exode du 20ème siècle : Tsahal a sauvé des milliers de Juifs
éthiopiens », tsahal.fr.
70. « Ethiopian Jews struggle in Israel », BBC news, 17 novembre 1999.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

technologique. Les Falashas sont donc coupés du reste


de la population, et 45 % d’entre eux étaient au chômage
en 2015, vivotant en marge des grandes villes71. Ils sont
forcément mal accueillis, considérés comme de faux Juifs,
victimes de racisme et cantonnés à des tâches agricoles,
d’où de vastes manifestions en leur faveur en mai 2015.
Le rejet des Falashas prend sa source dans leur judaïsme
très particulier, peu comparable aux formes israéliennes
du judaïsme. Les Juifs éthiopiens ont été contraints, en
arrivant en Israël, de se convertir formellement, bien que
le terme n’ait pas été utilisé pour éviter les tensions, afin
que leur judaïté soit reconnue. En effet, leur pratique du
judaïsme s’appuyait en Éthiopie uniquement sur la Torah,
soit les cinq premiers ouvrages de la Bible ; ils n’ont pas
connu la riche exégèse rabbinique postérieure compilée
dans le Talmud. Or, celui-ci est devenu la pierre angulaire
du judaïsme de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il semblait
inimaginable d’être Juif sans reconnaître le Talmud comme
la base interprétative de la religion72.
L’armée a été un facteur d’intégration des Falashas en
Israël. Tsahal a pris en charge leur retour en terre juive,
leur a appris à parler l’hébreu moderne, les a sensibilisés à
la culture israélienne, à l’esprit de la Défense. Grâce à l’ar-
mée, les jeunes Falashas ont gagné en légitimité auprès de
la population en portant l’uniforme. Mais, une fois passé
leur service militaire, les jeunes Falashas ont peu réussi leur
intégration économique. Ce groupe reste le plus sous-dé-
veloppé d’Israël, si l’on excepte les Arabes musulmans, en

71. Yossi MEKELBERG, «The plight of Ethiopian Jews in Israel », BBC


news, 25 mai 2015.
72. Conférence de Denis CHARBIT, « Histoire des diasporas », Institut
français de Tel Aviv, 10 novembre 2017.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

situation encore plus délicate. Leur retard éducatif était


trop grand pour être rattrapé. Ce n’est qu’en 2008 que le
premier plan d’aide pour les Juifs éthiopiens a été réalisé73.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a reconnu lors
des manifestations de 2015 que cette population avait été
délaissée et que des efforts devaient être réalisés pour faci-
liter leur intégration74.

La communauté juive russophone


Après 1991, 800 000 Juifs d’URSS ont émigré en
Israël ; un citoyen sur sept est désormais d’ascendance
russe. Or, durant les années de communisme, cette com-
munauté s’est détachée du judaïsme sous la pression des
autorités. Arrivés en Israël, les Juifs russophones étaient
donc profondément laïcs, à l’instar de leurs aînés sionistes
arrivés un siècle plus tôt. Même si leur niveau d’études
élevé leur a permis de trouver facilement du travail pour
s’intégrer, ils ont développé une forme particulière de
culture, ne reniant ni leurs attaches russes, ni l’identité
de leur pays d’adoption. Ainsi, bien qu’apprenant rapide-
ment l’hébreu moderne dans des ulpan (« instruction », des
centres d’apprentissage), ils continuent de parler le russe,
qui est devenu une langue très présente en Israël, jusqu’à
constituer une « singularité ethnoculturelle75 ». Comme ils
représentent 13 % de la population (1,1 million de per-
sonnes), ils sont la minorité la plus importante, possédant

73. Hana ROSENFELD, Being Israli. The IDF as a Mechanism for the
Assimilation of Ethiopian Immigrants, Thèse, San Diego, University of
California, 28 mars 2016, p. 6.
74. Or KASHTI, « Netanyahu Promises New Approach to Help
Ethiopian Community », Haaretz, 5 mai 2015.
75. DIECKHOFF, 2008, p. 169.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

leur propre système éducatif avec des écoles où se côtoient


l’apprentissage des deux cultures ainsi que des centres
culturels dédiés à la culture et à l’actualité russes76.
Cette communauté s’est engagée massivement dans
l’armée à son arrivée en Israël, comprenant qu’il y avait
là un facteur de reconnaissance par le reste de la popula-
tion et une manière de gagner en légitimité. Ils ont aussi
retrouvé dans Tsahal et Israël le nationalisme qu’ils avaient
connu en URSS, si bien que beaucoup sont allés peupler
les colonies installées dans les territoires occupés. On les
retrouve comme soldats dans les unités combattantes
de l’infanterie et de la cavalerie, où ils ont remplacé les
anciennes élites sionistes ashkénazes, plus intéressées
par le renseignement ou les unités plus technologiques.
Pendant la guerre du Liban, la communauté russophone
a donc eu le plus de soldats médaillés mais aussi le plus de
pertes. Ces hommes ont aussi suivi des cursus spécifiques
pour devenir officiers, rejoindre l’armée de carrière, et
ensuite se reconvertir dans la politique, d’où leur présence
accrue dans le paysage gouvernemental israélien77.
Grâce à eux, les relations entre Tel Aviv et Moscou sont
devenues plus amicales, alors qu’elles étaient gelées en
raison du soutien soviétique à la cause arabe. La situation
géopolitique au Moyen-Orient et l’effacement des États-
Unis sous la présidence Obama (2009-2017) a favorisé le
rapprochement entre les deux États. Vladimir Poutine joue
efficacement les intermédiaires pour apaiser les tensions

76. Op.cit., p. 168-170.


77. Nathan CAHN, « La communauté russe d’Israël ? : un État dans
l’État ? », The Jerusalem post, 6 février 2014.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

entre Israël et l’Iran78. Car l’Iran est depuis 1979 l’ennemi


le plus menaçant pour Israël, en raison de son soutien à
la milice chiite libanaise, le Hezbollah, et parce qu’il est le
dernier État à appeler à la destruction d’Israël, appelée la
« prétendue entité sioniste79 ». Les Juifs russophones engagés
en politique ont favorisé ce rapprochement avec Moscou,
particulièrement à la faveur des Printemps arabes (2011),
de la guerre en Syrie (2012-2018), et de l’avènement de
l’organisation terroriste Daech. Après avoir créé des petits
partis russophones et russophiles, ces Juifs ont rejoint les
grands partis de droite existants, surtout le Likoud, parce
qu’il défend la sécurité de l’État. L’intégration croissante
de conscrits issus du monde russe renforce le phénomène
nationaliste au sein de Tsahal. C’est l’influence indirecte
de la communauté russophone qui a permis à Benjamin
Netanyahou, le Premier ministre israélien, de rencontrer le
Ministre de la Défense russe en octobre 2017 pour échan-
ger sur la situation en Syrie et la menace iranienne80.

5. La question des minorités ethniques


L’intégration délicate des Arabes sunnites
En 1948, une fracture sociale en Israël oppose les Juifs
aux Arabes qui représentent alors 27 % de la population,
sont globalement considérés comme une menace et dis-
criminés. Mais à la ségrégation a succédé progressivement

78. Steve NADJAR, « La nouvelle équation israélienne face à la


Russie », Actualité juive, 7 novembre 2016.
79. « Le Guide suprême iranien appelle tous les musulmans à combattre
Israël », The Times of Israel, 1er novembre 2017.
80. Judah ARI GROSS, « Le ministre russe de la Défense en Israël pour
parler de la Syrie et de l’Iran », The Times of Israel, 17 octobre 2017.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

une lente intégration des minorités, plus particulièrement


des Arabes israéliens chrétiens et des Druzes. En effet, en
privilégiant l’intégration de ces minorités, Israël tente de
désolidariser le front du nationalisme arabe81. En 2017,
les Arabes sunnites représentent 17 % de la population
(1 446 000 individus)82. À partir de 2014, la dangerosité
de l’État islamique (Daech) et le regain de tensions avec
les Palestiniens ont ranimé les difficultés entre Juifs et
Arabes israéliens, mais aussi entre les Arabes israéliens et
ceux du reste du Moyen-Orient83. La population juive reste
méfiante envers les Arabes, à cause des attentats qu’elle a
subis depuis les années 1990. L’Intifada des couteaux sur-
venue en 2015 a renforcé les craintes de la population juive
face au terrorisme, même à Tel Aviv, ville longtemps épar-
gnée par les questions d’insécurité liées aux Palestiniens.
En 1949, lorsque la loi sur la Défense nationale est
promulguée, les Arabes sont exemptés de service militaire
mais peuvent s’enrôler sur volontariat84. Les sunnites y
sont farouchement opposés, tout comme ils refusent l’in-
tégration dans la société israélienne dont ils ont combattu
les fondateurs dès les années 1920. Or, le service est une
condition nécessaire pour s’intégrer et recevoir les aides
sociales. Ainsi, jusqu’en 1992, les Arabes ne pouvaient pas
obtenir d’allocations familiales sans avoir fait leur service

81. « En Israël, les Arabes chrétiens seront désormais appelés à rejoindre


l’armée », Le Monde, 22 avril 2014.
82. « On the Eve of Israel’s 69th Independence Day. 8.7 Million
Residents in the State of Israel », Central Bureau of Statistics, 27 avril
2017.
83. « Israël : les attaques se multiplient et touchent arabes et juifs »,
L’Express, 19 octobre 2015.
84. Mitchell BARD, « Israeli Arabs : Status of Arabs in Israel »,
jewishvirtuallibrary.org.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

militaire85. Or, puisqu’ils ne le font que sur volontariat, ils


sont alors automatiquement désavoués par leur famille,
qui y voit une forme de compromission avec l’occupant,
d’autant que la majorité des missions des soldats israéliens
visent à surveiller les frontières avec les pays arabes voisins
ou effectuer des missions dans les territoires occupés. Sans
être passé par l’armée, l’Arabe israélien est nécessairement
mis en marge de la société, surtout professionnellement :
il est cantonné dans des postes à faible valeur ajoutée, de
manœuvre dans le BTP ou l’agriculture, le petit commerce.
Une alternative existe toutefois sous la forme d’un ser-
vice national de type civique. En 2016, ce système concer-
nait 4 500 non-Juifs. Il permet à ceux qui le rejoignent
– souvent sans l’avouer à leur famille – d’obtenir un meil-
leur emploi puisqu’il y a là une preuve de patriotisme ou
de loyauté à l’État86. Par le service national, les Arabes
peuvent obtenir une bourse d’étude pour rejoindre l’uni-
versité, ainsi environ 20 % des effectifs de l’université de
Tel Aviv sont constitués d’Arabes, preuve qu’une accepta-
tion réciproque est possible, notamment à travers Tsahal.
Il existe enfin des Arabes sunnites volontairement enga-
gés au sein de Tsahal, et pas seulement pour un service
civique. On les regroupe dans une unité d’infanterie créée
en 1987 et appelée la Patrouille du Désert, laquelle opère
le long de la frontière égyptienne, et même autour de Gaza.
Le point commun de ces soldats est d’être en rupture avec
leur milieu et leur communauté en adhérant explicitement
à l’identité israélienne. Ils estiment que l’État hébreu est

85. DIECKHOFF, 2008, p. 191.


86. Dov LIEBER, « Plus d’Arabes israéliens rejoignent le service
national, et découvrent les aides de l’État et le patriotisme », The Times
of Israel, 19 août 2016.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

bien le leur et que les roquettes lancées par le Hamas en


direction d’Israël sont aussi dangereuses pour les musul-
mans que pour les Juifs87.
Après le désengagement de Gaza en 2008-2009, un
tournant s’est produit dans la politique israélienne à
l’égard des Arabes. L’État a cherché à homogénéiser la
société en accélérant l’intégration des Arabes autrement
qu’à travers Tsahal. Les individus motivés sont soutenus
dans leur recherche d’emploi par des ONG ou des asso-
ciations, comme Tsofen qui les aide à trouver du travail
dans les secteurs des technologies de pointe. On facilite la
création de partis politiques arabes revendiquant la loyauté
à Israël, ainsi le Parti démocratique arabe fondé en 1988.
En 2007, a été nommé pour la première fois un ministre
arabe, Ghalib Majadla, comme ministre des Sciences, du
Sport et de la Culture, lequel se présente comme Arabe,
sunnite et sioniste. Mais le phénomène d’intégration poli-
tique est encore timide88.

Le cas particulier des Arabes chrétiens


Les chrétiens du Moyen-Orient ont adopté la culture et
la langue arabes au fil des siècles et le même nationalisme
panarabe que leurs compatriotes musulmans. Durant le
mandat britannique, les chrétiens ont soutenu les musul-
mans dans leur lutte contre le sionisme. Depuis la création
d’Israël, la minorité chrétienne s’est divisée sur la question
palestinienne et l’intégration dans la société israélienne.

87. « Défense. Rencontre avec des soldats musulmans au sein de


l’armée israélienne », I24news, 20 juin 2016.
88. REITER, 2009, p. 273.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

Les chrétiens représentent une modeste communauté


de 170 000 personnes ; ils sont à 80 % Arabes. Les non-
Arabes sont d’origine russe, grecque ou arménienne, et se
soumettent à la conscription au même titre que les Juifs.
La rupture au sein de la société est plus ethnique (Arabes
contre Juifs) que religieuse (chrétiens contre Juifs). Les
chrétiens arabes, bien que minoritaires, se sont retrouvés
pris à partie au milieu du conflit entre les Juifs et les musul-
mans, qu’ils ont soutenus pendant la guerre de 1948.
Depuis les années 2010, les chrétiens arabes ont ten-
dance à quitter Israël : en 40 ans, la population chrétienne
est passée de 5 % de la population totale à seulement 2 %
en 2015, malgré l’immigration russophone ou africaine.
Ils fuient les discriminations au sein d’Israël et les tensions
dont ils sont victimes dans l’ensemble du Moyen-Orient.
Comme les musulmans, les chrétiens arabes n’étaient
pas soumis au service militaire obligatoire. Ils pouvaient
rejoindre l’armée sur volontariat ou effectuer un service
civique. Mais seule une centaine d’individus servent
chaque année dans Tsahal, par peur du désaccord de la
famille ; il n’y a pas de brigade spécifique. Pour motiver les
chrétiens à s’enrôler, des efforts ont été réalisés par l’armée
pour faciliter la pratique du christianisme. Les gouverne-
ments ont lancé plusieurs campagnes de recrutement en
2014 envers les chrétiens, et certains voudraient choisir
l’intégration dans la société, face à l’écrasante majorité qui
veulent soutenir les Palestiniens envers et contre tout. Sans
ordre clair, le clergé se trouve lui aussi divisé : des pré-
lats appellent à poursuivre le boycott de l’État hébreu, et
d’autres à s’enrôler dans le service national et à apprendre

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

l’hébreu, afin d’obtenir de meilleures conditions de vie89.


En octobre 2017, le pape François a demandé le libre accès
pour tous les croyants à Jérusalem, sans donner de ligne de
conduite définitive pour les chrétiens israéliens90.
C’est finalement face à la montée de l’islamisme au
Moyen-Orient suite aux Printemps arabes (2011) que les
chrétiens ont commencé à se désolidariser des musulmans.
En 2017, l’armée a proposé un service militaire aménagé
de deux ans, promettant en outre le passage du permis de
conduire, autre moyen de favoriser l’intégration91.

Les Arabes bédouins


En Israël vivent 200 000 bédouins (3,5 % de la popu-
lation), une minorité arabe musulmane vivant majori-
tairement dans le désert du Néguev depuis l’Antiquité.
Originellement nomades, ils se sont en partie sédentarisés
au XIXe siècle sur ordre du sultan ottoman Abdülmecit
Ier qui estimait que le mode de vie nomade menaçait le
contrôle de l’empire. Les Britanniques aussi renforcèrent
la pression sur les bédouins durant leur mandat en impo-
sant en 1942 une administration spéciale et en poussant
les clans à se sédentariser dans des campements officiels92.
En 1948, une partie d’entre eux fuit vers les États
arabes voisins, en raison des représailles menées par le

89. « En Israël, les Arabes chrétiens seront désormais appelés à rejoindre


l’armée », Le Monde, 22 avril 2014.
90. « Le pape défend le « statu quo » de Jérusalem », The Times of Israel,
23 octobre 2017.
91. Gili COHEN, « Bedouin and Christian Arabs, the Israeli Army
Wants You », Haaretz, 2 janvier 2017.
92. Kurt GOERING, « Israel and the Bedouin of the Negev », Journal
of Palestine, 9, 1979, p. 3-20.

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

Palmach. Ceux qui restent sur le territoire israélien sont


alors regroupés dans des camps avant d’être expulsés à la
fin de la guerre. Seuls 11 000 d’entre eux purent demeu-
rer dans le désert du Néguev, tout en étant régulièrement
déplacés de force. La politique israélienne fut longtemps
très répressive à leur égard. En 2013, la Knesset vota la
mise en place du Plan Prawer, prévoyant le démentèlement
des habitats bédouins non reconnus par l’État et la relo-
calisation obligatoire de 70 000 bédouins dans les villages
mis en place par les autorités93.
Les bédouins israéliens sont semi-sédentaires, et se
contentent de déménager régulièrement d’un village à
l’autre. Ils sont pauvres et vivent de l’élevage des chèvres et
des moutons. Leurs villages ressemblent plus à des bidon-
villes ruraux, sans eau ni électricité, qu’à des campements
traditionnels.
L’armée est l’un des rares facteurs d’intégration pour
ces populations. Des bédouins ont été très tôt intégrés
dans Tsahal pour leurs compétences d’éclaireurs et leur
connaissance poussée du désert et des frontières. Ils
servent dans le Bataillon de reconnaissance du désert,
brigade d’infanterie créée en 1987. Ce bataillon accueille
exclusivement des arabophones, surtout des bédouins
mais aussi quelques musulmans volontaires. Ils effectuent
des missions le long de la Bande de Gaza. La campagne
de recrutement de 2017 visait à enrôler les bédouins
dans des unités combattantes afin de remplacer les Juifs
attirés par d’autres armes comme le renseignement ou la
cyberdéfense94. Après leur service militaire, les bédouins

93. Alistair DAWBER, «This is our land : protests at plan to remove


Bedouins from ancestral villages. », Independent, 7 août 2013.
94. «Tsahal : le cyber, une filière attractive », TTU, 11 novembre 2017.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

obtiennent des bourses pour l’université, des aides pour


s’engager dans la police ou les entreprises publiques, ainsi
que des avantages fiscaux pour acheter des terres95. Leur
implantation dans le désert intéresse l’État qui y voit une
manière de promouvoir une présence loyaliste dans des
zones étendues et mal surveillées.

Les Druzes
Les Druzes sont une communauté musulmane issue
du chiisme, fondée au XIe siècle. Après avoir fui l’Égypte
en raison des persécutions califales, ils se sont installés
dans les territoires montagneux du sud du Liban, du sud
de la Syrie et de la Galilée. Ils sont actuellement environ
1,5 million d’individus répartis sur quatre pays (Syrie,
Liban, Israël, Jordanie), vivant en vase clos, très attachés à
leurs traditions. Sur le territoire national – en Galilée – se
trouvent seize villages habités uniquement par des Druzes,
lesquels se mélangent peu au reste de la population. Quatre
autres villages sur le plateau du Golan ont prêté allégeance
à la Syrie, sont fidèles au régime de Bachar al-Assad et se
revendiquent Syriens. Les 25 000 Druzes du Golan ont
majoritairement refusé la citoyenneté israélienne lors de
l’annexion du Golan par l’État hébreu en 1981 et sont
donc en marge de la société96.
Après 1918, pendant le mandat britannique, les Druzes
n’ont pris parti ni pour le nationalisme arabe, ni pour le
mouvement sioniste. En effet, des dissensions entre les
grandes familles druzes paralysaient tout engagement

95. «Tsahal veut séduire les Bédouins », TTU, 2 novembre 2017.


96. Jacques BENILLOUCHE, « Les Druzes d’Israël plus nationalistes
que les juifs », Slate, 10 juillet 2010.

164

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

dans un camp, même si la population affichait un soutien


passif au nationalisme arabe. Quand, en 1942, les sunnites
s’emparèrent du tombeau de Jethro, lieu saint des Druzes,
ce geste fut considéré comme une provocation, prélude
au rapprochement avec les Juifs et même l’engagement
d’une poignée de Druzes dans la Haganah. L’État d’Is-
raël promit dès sa création de les protéger et, en 1957, les
reconnut comme communauté religieuse indépendante,
renforçant ainsi l’allégeance des Druzes israéliens.
En 1948, 160 000 Druzes vivaient sur le territoire de
l’État hébreu et représentaient 16 % de sa population. Leur
lien spirituel très fort à la terre des ancêtres explique pour-
quoi ils ont toujours soutenu le gouvernement israélien,
vrai maître de la terre, et lui ont prêté allégeance afin de ne
pas être expulsés. Persécutés par les sunnites, les chiites ou
les chrétiens, ils n’ont aucune revendication indépendan-
tiste ni antisioniste, ce qui fait d’eux la seule minorité avec
laquelle les Juifs israéliens sont en bons termes97. Le leader
spirituel de la communauté fut jusqu’en 1993 le cheikh
Amin Tarif, dont la loyauté envers le gouvernement israé-
lien le mit au ban des autres cheikhs druzes de la région.
Chargé de la protection du tombeau du prophète Jethro,
son influence a joué en faveur de l’insertion des Druzes
au sein de Tsahal, choix stratégique pour la survie de son
peuple.
Suite à la reconnaissance de l’indépendance religieuse
des Druzes, la Knesset autorisa en 1962 la création de
tribunaux communautaires et même l’apposition sur la

97. Camille LORETTE, « La minorité druze dans l’armée israélienne »,


Israël et son armée : société et stratégie à l’heure des ruptures, Études de
l’IRSEM, 3, mai 2010, p. 41-60.

165

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

carte d’identité de la mention de la nationalité druze98.


Ils disposent encore de leur propre système éducatif, de
leurs candidats aux élections, de leurs partis politiques et
de trois députés à la Knesset (sur 120 parlementaires).
Toutefois, les Druzes souffrent toujours d’une certaine
discrimination en tant que non-juifs.
En 1956, avec l’accord des chefs de clan, le gouverne-
ment a imposé le service militaire pour les jeunes druzes99.
Les autorités israéliennes voient dans cette conscription
une manière de les intégrer et surtout de diviser les mino-
rités non-juives. D’après les chiffres de 2010, 83 % des
Druzes israéliens effectuent leur service militaire, et 82 %
d’entre eux sont engagés dans des unités combattantes.
Plus de 30 % au total continuent à travailler dans les sec-
teurs de la défense et de la sécurité (douanes, police, admi-
nistration pénitentiaire). Les Druzes profitent comme les
autres Israéliens du service militaire, même si une poignée
s’oppose à la conscription obligatoire, mais leurs protes-
tations sont étouffées par les chefs druzes qui siègent à
la Knesset. D’ailleurs, si plus de 30 % des Juifs n’effec-
tuent pas leur service militaire, seuls 10 % des Druzes y
échappent (2010)100. En apprenant l’hébreu durant leur
service, les Druzes augmentent leur chance d’étudier et
d’obtenir un travail en dehors de l’agriculture villageoise,
alors que leur langue maternelle est l’arabe101.

98. Op. cit., p. 47.


99. Op. cit., p. 46.
100. Jacques BENILLOUCHE, « Les Druzes d’Israël plus nationalistes
que les juifs », Slate, 10 juillet 2010.
101. Claire DANA-PICARD, « La communauté druze d’Israël célèbre
la fête du Nevi Shoueib », LPHInfo, 25 avril 2017.

166

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TSAHAL COMME FORCE INTÉGRATRICE

Les conscrits druzes sont généralement employés dans


le bataillon d’infanterie Herev (« l’épée »), créé pour eux en
1974. Il a participé à l’opération Litani en 1978 lorsque
Tsahal a envahi le sud du Liban, puis aux interventions
de 1982 et 2006 au Liban. Ils peuvent même rejoindre les
forces spéciales en s’enrôlant dans l’Unité 300, corps où
l’on parle arabe et dont les soldats sont spécialisés dans
l’infiltration en territoire ennemi, notamment en Syrie.
Cette unité a continué d’intégrer les minorités druze,
bédouine, circassienne, chrétienne ou musulmane jusqu’à
sa dissolution en 2015. Enfin, depuis les années 1970, les
Druzes peuvent accéder aux grades d’officier.
Bien que fidèles au régime syrien, les Druzes du
Golan ont connu des tensions internes depuis le début
de la guerre civile syrienne en mars 2011. Ils sont de plus
en plus nombreux à demander la nationalité israélienne
(2 200 nouvelles demandes depuis 2011), car les nouvelles
générations ne connaissent pas la Syrie et voient al-Assad
comme un tyran. Les jeunes druzes parlent hébreu et
seraient prêts à effectuer leur service militaire, afin d’en-
trer à l’université et de profiter d’une certaine ascension
sociale. L’armée leur apparaît ainsi comme un tremplin
pour entrer dans la société israélienne102.
La guerre civile en Syrie a renforcé l’influence d’Israël
sur les Druzes de la région, car Tsahal a défendu des vil-
lages attaqués par des rebelles sunnites opposés au régime
à la frontière du Golan. Pour nombre de Druzes, la pro-
tection de l’État hébreu semble plus efficace que celle du
régime syrien. Le gouvernement israélien en profite pour
renforcer sa position dans la région, mettant en avant

102. « Crise d’identité chez les Druzes du Golan », L’Orient-le Jour,


5 novembre 2017.

167

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

l’histoire commune entre Juifs et Druzes, notamment


les persécutions. En 2013, le Premier ministre israélien
Benjamin Netanyahou a participé symboliquement à la
fête druze du Nevi Souheib, en l’honneur du prophète
Souheib103. La Knesset a débloqué des fonds pour déve-
lopper les infrastructures et promouvoir le tourisme dans
leurs zones104. Enfin, la dissolution du bataillon Herev en
2015 avait pour but d’amalgamer les Druzes avec des
unités juives, et donc d’améliorer l’intégration de la com-
munauté.

103. Souhail FTOUH, « Bibi Netanyahu : Bonne fête à nos frères


Druzes », identitéjuive.com, 27 avril 2013.
104. « Israël : 150 millions pour développer les villages druzes et
circassiens », JSSnews, 14 février 2011.

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Cinquième partie :

Le système défensif d’Israël


dans le nouveau Moyen-Orient

Suite à la victoire en demie-teinte de 1973, puis aux


accords de paix avec l’Égypte, Tsahal a repensé sa doc-
trine et son lien à la société pour démocratiser ses rangs.
Mais cette capacitié d’adaptation fut, à partir de 1979,
particulièrement éprouvée en raison des évolutions du
contexte régional au Moyen-Orient. En Iran, la Révolution
islamique porta au pouvoir un régime qui vit en Israël une
simple « prétendue entité sioniste », appelée à être rayée de
la carte. En Afghanistan, l’invasion soviétique fut le pré-
lude à la naissance d’un jihadisme international de grande
ampleur mêlant les États-Unis et Israël dans le même
camp des ennemis de l’islam.
Les répercutions de ces deux événements furent incal-
culables et pesèrent jusqu’à aujourd’hui sur le système de
sécurité israélien : danger des milices chiites au Liban, ins-
trumentalisées par l’Iran ; radicalisation des revendications
palestiniennes ; terrorisme multiforme dans les territoires
occupés. Ce nouveau contexte remit en cause les habitu-
des tactiques de Tsahal et ses objectifs stratégiques jusqu’à
faire naître une crise de confiance dans la société, elle aussi
en pleine évolution avec la dépression économique des
années 1980.
Le mythe de Tsahal avait vécu…

169

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

1. Tsahal et le Hezbollah

Israël et la Guerre du Liban.

170

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

L’intervention israélienne au Liban (mars-août 1982)1

Même si les traités de paix successifs signés par Israël


marquent la fin des conflits asymétriques, l’État hébreu
s’est retrouvé plongé après 1973 dans plusieurs conflits qui
mirent à mal son armée et sa doctrine militaire. L’activisme
des fedayins palestiniens engendra dans les années 1970
de nombreuses opérations des troupes israéliennes en ter-
ritoire libanais, où la frontière n’était nullement sécurisée.
En mars 1978, une attaque près de Tel Aviv, qui avait
causé la mort de 32 personnes, provoqua une première
invasion israélienne du Sud-Liban, jusqu’à la rivière
Litani. L’armée israélienne pénétra dans une bande de
territoire de 10 à 25 km. Cette opération éclair, combinant
les forces de l’infanterie soutenue par la cavalerie, le génie
et l’artillerie, fut un succès, bien que les forces israéliennes
aient été stoppées dans leur progression par l’intervention
de l’ONU. En effet, une résolution du Conseil de Sécurité
intima à Israël l’ordre de se retirer. Pour assurer l’exécu-
tion de cette décision, l’ONU créa la Force intérimaire des
Nations Unies au Liban (FINUL). Israël obtempéra mais
laissa un territoire de 10 km de profondeur entre les mains
de ses alliés libanais de l’Armée du Liban Sud (ALS), qui
déclara même en 1979 l’indépendance de ce territoire de
40 000 habitants.
En Israël, le Likoud remporta les élections de 1977
et son chef Menahem Begin devint Premier ministre.
Ses objectifs étaient multiples : en finir avec le sanctuaire
palestinien du Liban, détruire les missiles en Syrie et y
installer un gouvernement qui signerait peut-être une paix

1. BARRAL-HANNE, 2016, p. 334s ; EL ZEIN-NOTTEAU-


DRAVET, 2013, p. 188-193.

171

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

avec Israël. En mai 1982, Raphaël Eytan, chef d’état-ma-


jor de Tsahal, affirma : « Le seul moyen de venir à bout
des Palestiniens est de leur faire payer un prix qu’ils ne
peuvent supporter ».
Prétextant un attentat contre leur ambassadeur à
Londres, les Israéliens déclenchèrent le 6 mars 1982 l’opé-
ration Paix en Galilée. Cette invasion était sans commune
mesure avec la précédente, puisqu’elle mobilisait 60 000
hommes et 600 blindés avec un appui aérien et naval
important. Les soldats de Tsahal occupèrent le château de
Beaufort dont les Palestiniens avaient fait un de leurs QG,
et bousculèrent les milices druzes dans le Chouf. À Tyr et
Saïda, ils rencontrèrent une résistance aussi forte qu’im-
prévue. Contre les troupes syriennes, les combats furent
limités. En quelques jours, les Syriens perdirent 300 chars
et 85 Mig, soit le quart de leur aviation. Les missiles SAM
en place dans la plaine de la Bekaa furent intégralement
détruits par l’aviation israélienne. Puis Tsahal encercla
Beyrouth en opérant sa jonction avec les Phalanges liba-
naises, c’est-à-dire les chrétiens maronites ralliés à Israël.
Mais ces milices, chauffées à blanc par l’assassinat de leur
chef, Béchir Gémayel, pénétrèrent à l’intérieur des camps
palestiniens de Sabra et Chatila, encerclés par l’armée
israélienne, et commirent près d’un millier de morts parmi
les réfugiés et les combattants palestiniens. L’émotion
fut très vive dans la communauté internationale et les
chrétiens libanais accusés en bloc. En Israël même, une
commission d’enquête fut constituée et accula le ministre
de la Défense Ariel Sharon, accusé d’avoir laissé faire, à
présenter sa démission.
L’opération Paix en Galilée se termina officiellement
le 31 août 1982 par la défaite des fedayins palestiniens.
Le chef de l’OLP, Yasser Arafat, qui avait imprudemment

172

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

déclaré que « Beyrouth serait un Stalingrad », fut contraint


d’accepter le plan de l’envoyé spécial américain Philippe
Habib. 15 000 fedayins furent évacués sous protection
onusienne jusqu’en Tunisie. C’était l’échec total de la résis-
tance palestinienne contre Israël et le début d’une période
d’accalmie relative, grâce à laquelle la population juive
communia à nouveau avec son armée.
Opportunément, Israël signa un accord avec le pré-
sident libanais, Amine Gémayel, afin de se retirer du pays
avec toutes les garanties de sécurité pour sa frontière. Les
troupes israéliennes quittèrent Beyrouth le 16 septembre
1982 au profit des forces de l’ONU mais occupèrent le
Sud-Liban jusqu’en juin 1985, et une bande de sécurité
jusqu’en juin 2000.

Le Hezbollah2
Le Hezbollah (« parti de Dieu ») fut créé en juin 1982
dans la foulée de l’intervention israélienne au Liban
comme le fer de lance de la résistance à l’occupation
israélienne du Sud-Liban3. D’inspiration chiite, nourri
par la Révolution islamique iranienne, cette milice devint
rapidement un acteur incontournable de la scène politique
libanaise, recrutant parmi les populations pauvres du Sud-
Liban. Le Hezbollah, qui refusa toute négociation, engagea
le combat contre les forces de Tsahal et leurs supplétifs
libanais de l’ALS.
De 1982 à 1985, la milice s’associa au mouvement
chiite Amal et à d’autres forces émanant de partis de

2. BARRAL-HANNE, 2016, p. 345-346.


3. Alain GRESH, « Un nouveau programme pour le Hezbollah », Le
monde diplomatique, 3 décembre 2009.

173

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 173 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

gauche libanais. Puis il les supplanta progressivement dans


la résistance à Israël. Après 1991, le Hezbollah ne cessa
de gagner en puissance et de multiplier les opérations et
les attaques-suicides audacieuses contre les troupes israé-
liennes basées dans le sud. Le 12 novembre 1982, le QG
de Tsahal à Tyr fut victime d’une attaque qui occasionna
75 morts, dont 30 Israéliens.
Une guerre d’usure prit place entre Tsahal et le
Hezbollah dans la bande de sécurité. Mais l’armée israé-
lienne n’arrivait pas à lutter contre les actions de harcè-
lement menée par le Hezbollah, soutenu par la Syrie et
l’Iran4. L’armée israélienne était confrontée à une guerre
de guérilla, des embuscades, des tirs de roquette Katioucha
et des attentats-suicides contre lesquels sa puissance tech-
nologique était inefficace. Tsahal tenta de briser l’appareil
militaire ennemi par des opérations « coup de poing » :
Justice rendue (juillet 1993) et Raisins de la colère (avril
1996), mais la milice résista et les opérations firent surtout
des morts parmi la population. L’armée israélienne s’attira
les foudres de la communauté internationale en tuant 102
civils retranchés à Kfar Qana, dans un camp de l’ONU,
en ripostant contre le Hezbollah le 18 avril 1996. Le « syn-
drome de Kfar Qana » est même devenu un frein éthique
pour les planificateurs des opérations militaires de Tsahal.
Abandonnant l’ALS, les troupes israéliennes se reti-
rèrent du Sud-Liban en juin 2000 sur l’ordre d’Ehud
Barack, alors Premier ministre et ministre de la Défense,
sans avoir réussi à neutraliser les forces de la milice chiite
qui continuèrent d’envoyer régulièrement des roquettes
en direction d’Israël. Ce départ fut perçu comme une

4. RAZOUX, 2008, p. 432.

174

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

débandade honteuse pour Tsahal et un triomphe pour le


Hezbollah5.
Habilement, le Hezbollah ne présente pas son combat
sous l’angle religieux, mais comme une entreprise de
libération nationale en même temps qu’une lutte contre
le « colonialisme » d’Israël. Ainsi, le Hezbollah développe
une action caritative auprès des populations musulmanes
délaissées par l’État libanais. Financé par l’Iran et par ses
taxes sur la population chiite, il entretient des hôpitaux et
des dispensaires, des écoles et des centres religieux, ainsi
que des mosquées. Le Hezbollah a aidé à la reconstruction
après la guerre civile et approvisionne en eau potable de
nombreux villages ainsi que la banlieue-Sud de Beyrouth.
La milice joue encore un rôle important dans la géopo-
litique régionale. Elle sert de courroie d’influence pour
l’Iran chiite et le régime syrien, notamment face à Israël
et à l’Occident honni. Le Hezbollah a été au cœur des
prises d’otages au Liban dans les années 1980, se faisant
l’instrument à cette occasion de la politique de Téhéran.
Depuis l’éclatement de la guerre civile en Syrie en 2011,
le Hezbollah est devenu le bras armé de Bachar al-Assad,
s’impliquant toujours plus militairement dans le conflit
entre 2014 et 2018.

La seconde guerre du Liban (juillet-août 2006)


Le 7 juin 2000, suite au retrait des troupes israéliennes
du Sud-Liban, l’ONU trace une frontière appelée « ligne
bleue » entre les deux États. Israël commence aussitôt la
construction d’une barrière de sécurité pour éviter que la

5. EL ZEIN-NOTTEAU-DRAVET, 2013, p. 204-206.

175

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

frontière ne soit franchie par les milices chiites, qui tirent


régulièrement des roquettes Katioucha sur son territoire.
En 2006, le successeur d’Ariel Sharon, Ehud Olmert,
est l’un des très rares Premiers ministres à n’avoir aucune
expérience militaire. Or, la légitimité politique en Israël se
gagne par les armes. Comme les sujets sécuritaires et de
Défense sont primordiaux, les citoyens estiment que les
anciens militaires sont les plus à même de les résoudre. Le
nouveau ministre de la Défense, Amir Peretz, est lui aussi
un novice en matière militaire. Pour la première fois, un
général de l’armée de l’air est nommé chef d’état-major,
Dan Haloutz. Olmert et Peretz pensent devoir gagner
leur légitimité politique par une action militaire brillante,
en répondant fermement aux tensions suscitées par le
Hezbollah.
Or, le 12 juillet 2006, le Hezbollah tend un piège aux
patrouilles israéliennes, tue huit soldats et en fait prison-
niers deux autres. Israël déclare la guerre au Liban6. Pour
éviter de s’engluer dans le même bourbier qu’en 1982, le
gouvernement d’Ehud Olmert décide de ne pas envoyer
de troupes au sol mais de viser les positions du Hezbollah
par des attaques aériennes et de l’artillerie. Le gouverne-
ment laisse donc son chef d’état-major mettre en place une
action aérienne, mais aucune doctrine militaire n’est pro-
posée et la guerre est déclenchée malgré l’opposition d’une
partie de l’armée, sans réelle préparation7.
L’objectif est de briser la résistance ennemie. Mais les
dommages collatéraux sont inévitables puisque les quar-
tiers généraux du Hezbollah, prenant en otages les popula-
tions civiles, se trouvent dans les centres-villes. L’aéroport

6. RAZOUX, 2008, p. 521-524.


7. BARACK, 2008, p. 3.

176

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

de Beyrouth est touché, ainsi que des ports, des centrales


électriques et des habitations. Un mois de bombardements
intensifs (5 000 obus d’artillerie par jour) ne suffit pas
à arrêter les tirs de roquettes (plus de 250 par jour sont
encore envoyées) et une opération terrestre est déclenchée
en catastrophe.
Celle-ci se déroule mal, car les troupes israéliennes
rencontrent une résistance farouche de la part des combat-
tants du Hezbollah. La progression est difficile car il faut
combattre à l’intérieur des villes libanaises ; les troupes et
les énormes chars Merkava, lourds, peu manœuvrables,
inadaptés, sont pris en embuscade au milieu des rues, et le
Hezbollah valorise ses positions avec des mines et des IED
(engins explosifs improvisés). Les habitudes tactiques de
Tsahal se retrouvent inopérantes ici. Ainsi, le 24 juillet, la
brigade Golani encercle la ville de Bint Jbeil, frontalière
d’Israël, mais deux Merkava sont immobilisés dès leur
approche par des roquettes et des mines, empêchant les
autres chars de pénétrer dans la localité pour appuyer l’in-
fanterie. Le lendemain, celle-ci progresse dans les rues. Par
peur d’une embuscade, aucun hélicoptère n’a été envoyé.
Soixante fantassins sont alors pris sous le feu de mili-
ciens, dissimulés dans des souterrains et ainsi indemnes
des bombardements. C’est un déluge de feu qui mêle les
fusils d’assaut, les mortiers et les missiles anti-chars. Les
hommes sont finalement évacués en catastrophe avec 22
blessés et 8 morts.
Tsahal est contraint de mettre au point dans l’urgence
une doctrine de combat en zone urbaine pour éviter de
se retrouver paralysé8. « La guerre de l’été 2006 contre
le Hezbollah libanais est à peu près unanimement

8. DE CROUSAZ, 2008, p 76.

177

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

considérée comme un conflit coûteux et raté, voire, au


pire, comme une défaite 9 ». Tsahal n’a pas atteint son
objectif majeur qu’était la neutralisation de l’appareil mili-
taire du Hezbollah, et s’est heurté à une force qu’elle n’a
pas surmontée. Côté israélien, les pertes sont sévères : 120
morts et 60 chars détruits. Mais les Libanais ont payé le
prix fort avec près de 1 200 civils tués, les miliciens se fon-
dant dans la population. Le 14 août 2006, l’intervention
diplomatique de l’ONU permet de mettre un terme à la
guerre.
«Tsahal est entré dans le conflit de 2006 à la hâte et pas
complètement préparé. En conséquence, les militaires ont
manœuvré dans une guerre mal planifiée, qui a provoqué
une vague d’insatisfaction en Israël10 ». Les failles de Tsahal
ont surtout pour origines le manque de discernement poli-
tique du gouvernement et les lacunes de préparation de
l’armée11. C’est pourquoi le rapport de la Commission
Winograd, publié en 2007, chargé de mettre en lumière
les causes de l’échec de la guerre, pointe du doigt les
erreurs des hommes politiques et de leur chef d’état-ma-
jor, et ne tient pas Tsahal pour unique responsable. Le
rapport critique le manque de coordination interarmes, les
décisions prises sans cohérence par les militaires et enfin
une stratégie globale mal définie et inadaptée. En face, le
Hezbollah s’était soigneusement préparé à l’affrontement,
en équipant ses 15 à 30 000 combattants d’armes et même
de roquettes à longue portée venues d’Iran et de Syrie.
La milice profita en outre du soutien d’une grande partie

9. ENCEL, 2007, p. 14-23.


10. « Our Military Forces’ Struggle Against Lawless, Media Savvy
Terrorist Adversaries », High Level Military Group, février 2016.
11. COHEN, 2014a, p. 107-108.

178

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

de la population, soudée dans l’hostilité à l’invasion. À


la suite de cette guerre –­dite des « 33 jours » – fut créé le
Centre d’entraînement au combat urbain dans le désert du
Néguev qui vise à former les unités spéciales israéliennes
aux techniques du combat en localité et à mettre au point
une doctrine efficace12.
Enfin, la Commission Winograd identifia les failles
d’Aman, la direction du renseignement militaire. En effet,
Tsahal avait préféré le contrôle des frontières au rensei-
gnement de terrain, si bien que l’armée disposait d’infor-
mations incomplètes sur les capacités du Hezbollah, ou
alors obtenues uniquement par surveillance aérienne 13.
En quelques mois, Israël assuma une réforme profonde de
son système de renseignement sur le Liban, améliorant la
coopération entre Tsahal et le Mossad, son agence d’action
clandestine. L’État hébreu s’efforça de créer des réseaux
d’informateurs au Liban afin de se rapprocher des organes
dirigeants du Hezbollah. Entre 2007 et 2009, Israël profita
dans le pays de la collaboration d’ingénieurs en télécom-
munication et de plusieurs officiers, dont un ancien géné-
ral de la Sûreté libanaise14.

Vers un nouveau conflit ?


Depuis la fin de la guerre de 2006, Tsahal a renforcé sa
ligne de sécurité avec le Liban. Seul un point de passage
est encore établi entre les deux États pour permettre aux
forces de l’ONU de circuler, à Rosh Hanikra. La FINUL

12. « Centre d’Entraînement au Combat Urbain », tsahal.fr.


13. « La stratégie militaire israélienne au Liban », entrevue avec Jean-
François Daguzan, Le Monde, 7 août 2006.
14. Paul KHALIFEH, « Liban / Israël : la guerre du renseignement bat
son plein », RFI, 8 novembre 2010.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

(Force intérimaire des Nations unies au Liban) est chargée


de maintenir le statu quo entre les deux États et de former
les troupes libanaises au niveau de la zone-tampon entre
Israël et le Liban. Ces soldats doivent notamment éviter les
incursions du Hezbollah près de la frontière et un nouvel
incident comme en 2006. La médiation onusienne a donc
empêché une guerre ouverte entre les deux États.
Pourtant, depuis 2016, la zone connaît un regain de
tensions qui laisse entrevoir un nouveau conflit entre le
Hezbollah et Israël. En effet, le Hezbollah est financé
par l’Iran qui appelle toujours à la destruction de l’État
hébreu15. Au cours de la guerre civile en Syrie depuis
2011, le régime de Bachar al-Assad, proche de l’Iran, a fait
appel à la milice chiite pour l’aider dans sa lutte contre les
groupes rebelles et les jihadistes de Daech. Près de 8 000
combattants ont traversé la frontière. La défaite de l’orga-
nisation terroriste sunnite en 2017 a autorisé le Hezbollah
à revenir en force au Liban, paré du prestige du vainqueur
et de ses martyrs. Son armement s’est considérablement
sophistiqué par rapport à 2006, ses approvisionnements
viennent désormais directement d’Iran par voie terrestre, à
travers l’Irak chiite et la Syrie loyaliste. Lors des élections
législatives de mai 2018, les candidats liés aux milices
chiites ont remporté plus du tiers des sièges, s’imposant
comme la première force politique du pays. Quelques
semaines plus tôt, le Hezbollah avait envoyé des drones
survoler le nord d’Israël, déclenchant une riposte aérienne

15. « Le Guide suprême iranien appelle tous les musulmans à combattre


Israël », The times of Israel, 1er novembre 2017.

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

violente. Les tensions entre Tsahal et le groupe libanais


sont devenues maximales à l’été 201816.

2. L’évolution de la question israélo-palestinienne


La première Intifada (1987-1993)
Après le retrait de Tsahal de la majorité du terri-
toire libanais en 1982, l’État hébreu a été confronté à
un soulèvement des populations palestiniennes dans les
territoires occupés : la Bande de Gaza et la Cisjordanie.
Instrumentalisée par Yasser Arafat et l’OLP, qui venait
d’être déboutée du Moyen-Orient, l’Intifada (le « soulè-
vement »), aussi appelée « guerre des pierres », débuta le
9 décembre 1987 par l’attaque d’un poste militaire avec
des pierres et des cocktails Molotov. Pris au dépourvu et
peu exercé dans le contrôle d’émeutes populaires, Tsahal
ouvrit le feu. De violentes manifestations se succédèrent
les jours suivants, au cours desquels des civils et des ado-
lescents furent tués.
Issu d’un mouvement spontané, cette révolte n’avait
pas été prévue par les services de renseignements israé-
liens. La répression mêla couvre-feu, arrestations, destruc-
tion de maisons au bulldozer et tirs lorsque la foule devint
incontrôlable17. Tsahal fut envoyé faire du maintien de
l’ordre avec la police dans les territoires occupés, ce qui
déclencha des attaques de plus en plus violentes. L’armée
tenta d’éliminer les leaders politiques tout en épargnant

16. « Israël intercepte un drone syrien au-dessus du plateau du Golan »,


Le Figaro, 11 novembre 2017.
17. Audrey KURTH CRONIN, « How fighting ends : asymmetric
wars, terrorism and suicide bombing », How Fighting Ends : A History of
Surrender, Hew Strachan, Oxford University Press, 2012, p. 417-433.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Yasser Arafat, de manière à avoir un interlocuteur pour


engager des négociations de paix18.
L’intifada provoqua un changement d’attitude à l’égard
de Tsahal et d’Israël : la répression isola le pays sur le
plan international, et le pays fut condamné par l’ONU
en décembre 1987. L’année suivante, Arafat accepta le
principe de cohabitation, renonçant au terrorisme. De
force armée luttant pour la survie de son peuple, Tsahal
fit figure de machine répressive contre une population
innocente. Israël perdit son statut de victime pour devenir
oppresseur. Cette évolution marqua profondément les
citoyens, blessés, éprouvant un sentiment d’injustice et
préférant souvent ignorer les dérapages de leur armée dans
les territoires occupés. Or, la sociologie de Tsahal était
justement en train d’évoluer, intégrant massivement des
jeunes qui n’avaient pas vécu les combats de 1967 et 1973,
et dont l’individualisme était plus prononcé que chez leurs
parents. Éduqués dans l’esprit de Défense traditionnel, ils
n’étaient nullement préparés à contrôler des émeutes…
Alors que l’OLP acceptait de négocier, le Hamas nais-
sait pour promouvoir une résistance plus dure à Israël,
mais aussi nettement islamiste. La cause palestinienne
se retrouvait donc divisée face à Israël, seul maître des
territoires convoités. Pourtant, le processus de paix était
devenu indispensable aux deux parties, sur lesquelles les
États-Unis faisaient pression. En septembre 1993, une
déclaration de principes (ou Oslo I) accepta la formation
d’une « Autorité palestinienne », mais non d’un État, sur
l’ensemble de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, « unité
territoriale unique ». On évita prudemment la question
de Jérusalem et de la réalité de la souveraineté promise

18. RAZOUX, 2008, p. 445.

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

aux Palestiniens. Deux courants voulaient contrecarrer


les accords : le Hamas et la droite israélienne. Pourtant,
en septembre 1995, furent signés les accords d’Oslo (ou
Oslo II), prévoyant un partage progressif des terres en
Cisjordanie et dans la Bande de Gaza19. Mais le plan de
paix ne fonctionna pas. Le Premier ministre israélien,
Yitzhak Rabin, fut assassiné par un extrémiste juif, et la
reprise des attentats en Israël coupa court à la tentative de
résolution du conflit. La mauvaise volonté d’Israël à éva-
cuer les territoires promis à l’OLP répondait à la poursuite
des actes terroristes, notamment sous l’action du Hamas.
Le slogan « la paix contre la terre » apparaissait aux deux
protagonistes comme un marché de dupes. L’échec de la
paix contribua à enfermer la société israélienne dans un
complexe obsidional et sécuritaire, nourrissant l’indiffé-
rence ou l’hostilité à l’égard des Palestiniens.

La seconde Intifada (2000-2005)


Le 28 septembre 2000, le général Ariel Sharon, héros
de la guerre du Kippour et leader de l’opposition israé-
lienne, fit une visite controversée sur l’esplanade des
mosquées à Jérusalem, lieu saint de l’islam. Les soldats
israéliens tirèrent dans une foule déchaînée et tuèrent sept
personnes20. Jugé comme une provocation, l’événement
déclencha une seconde Intifada, où l’influence des mou-
vements islamistes était plus prononcée qu’à l’époque
du premier soulèvement. Le Hamas n’hésita pas à user

19. CORM, 2007, p. 700-750.


20. Anne-Lucie CHAIGNE-OUDIN, « Intifada al-Aqsa, de son
déclenchement en 2000 à l’année 2002 », lesclésdumoyenorient.com,
5/11/2010.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

du terrorisme contre les populations civiles israéliennes21.


L’armée intervint en Cisjordanie et dans la Bande de
Gaza, pratiquant l’assassinat ciblé contre des membres
du Hamas22. Deux soldats israéliens furent lynchés par la
foule le 12 octobre 2000, et Tsahal exerça des représailles
brutales, affrontant la foule avec des armes létales23.
Les gouvernements d’Ehud Barak (1999-2001) puis
d’Ariel Sharon (2001-2006) ne surent trouver un terrain
d’entente et Tsahal s’embourba dans un conflit qu’il ne
savait gérer. L’armée était en effet trop lourde, trop puis-
sante et manquait de mobilité pour combattre une popula-
tion hostile. Les brigades palestiniennes se coordonnaient
efficacement entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza,
dirigée par le Hamas. L’État hébreu fut frappé par une
vague d’attentats-suicides jusqu’en 2005, tandis que le
Hamas tirait régulièrement des roquettes vers le sud d’Is-
raël. Tsahal dut intervenir directement à Gaza à plusieurs
reprises pour tenter d’éliminer la menace. Pour protéger
le territoire israélien des incursions terroristes et des tirs
de snipers, Ariel Sharon, alors Premier ministre, décida en
2002 la construction d’un mur continu de 350 km (à long
terme de 700 km). Deux ans plus tard, il proposa l’éva-
cuation des colonies juives de la Bande de Gaza, retrait qui
permettait de laisser ce territoire aux seuls Palestiniens,
et ainsi d’éviter les risques d’affrontement avec les Juifs

21. Selon le Magen David Adom –­ la Croix-Rouge israélienne – et le


Ministère des Affaires étrangères, les attentats-suicides ont fait presque
un millier de morts et 8000 blessés en Israël entre 2001 et 2007.
22. Samy COHEN, « Les assassinats ciblés pendant la seconde
Intifada : une arme à double tranchant », Critique internationale, 41,
2008, p. 61-80.
23. Samy COHEN, «Tsahal face au défi de la seconde Intifada », Israël
et son armée, 2010, p. 137-166.

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

des colonies. Son plan de désengagement fut adopté le


26 octobre par la Knesset malgré l’opposition de la droite
israélienne. Ce retrait des colonies fut le prélude à une
détente des relations avec l’Autorité palestinienne, et à la
signature le 8 février 2005 d’un cessez-le-feu24.
Les deux décisions de Sharon – l’évacuation de Gaza
et l’isolement de 3 millions d’habitants derrière un mur
– contribuèrent à une homogénéisation de l’espace : à
chaque communauté nationale ses territoires. Sachant que
les Juifs pouvaient un jour devenir minoritaires si Israël
conservait les territoires palestiniens, Sharon sépara les
deux populations, limitant les contacts à quelques check-
point. L’espoir de revenir sur la ligne verte de 1949 s’éva-
nouissait totalement, sans garantir une paix réelle entre
Juifs et Arabes25.
Une nouvelle fois, Tsahal ne fut pas en mesure de venir
à bout de l’opposition palestinienne par la force, et seul un
compromis politique mit un terme à la révolte. L’armée
fut contrainte pendant l’Intifada de faire du contrôle de
maintien de foule avec des moyens militaires réduits, en
ayant notamment l’interdiction d’envoyer ses chars ou ses
véhicules blindés. L’armée fut donc privée de toute mobi-
lité, paralysée dans un face à face peu dangereux pour elle,
mais forcément meurtrier pour les émeutiers, le tout sous
les caméras des média internationaux26. Concernant le
terrorisme, Tsahal ne parvint pas non plus à empêcher les

24. RAZOUX, 2008, p. 513-515.


25. HANNE, 2017, p. 431-432.
26. Entre 2000 et 2002, 2073 Palestiniens auraient été tués, pour 685
Israéliens, cf. Anne-Lucie CHAIGNE-OUDIN, « Intifada al-Aqsa, de
son déclenchement en 2000 à l’année 2002 », Les clés du Moyen-Orient,
5 novembre 2010.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

attentats, et seul le mur donna enfin un relatif sentiment de


sécurité aux Israéliens.
Entre ses déconvenues au Liban et dans les territoires
palestiniens, Tsahal apparaissait comme une armée sur-
puissante, capable d’écraser son ennemi, mais inapte
à lutter contre la guérilla, le terrorisme ou une simple
foule en colère. Cette perception hostile néglige toutefois
que, pour des opérations de contre-insurrection, le bilan
humain reste moins élevé que dans d’autres conflits27.
Quoi qu’il en soit, Tsahal, qui avait été le fer de lance des
solutions diplomatiques en faveur d’Israël – la paix avec
l’Égypte n’avait été gagnée que par la victoire militaire –,
faisait désormais figure de frein à toute solution politique.
Ce phénomène nouveau devait contribuer à séparer les
élites militaires des élites politiques, les stratégies sécuri-
taires des objectifs diplomatiques…

Le mur et les roquettes (2005-2011)


La mort de Yasser Arafat en octobre 2004 contribua à
diviser les Palestiniens, désormais seuls face à eux-mêmes
dans des territoires exigus et économiquement sous-dé-
veloppés, vivant sous perfusion de l’aide internationale.
Tandis que Mahmoud Abbas, héritier d’Arafat, rempor-
tait l’élection présidentielle palestinienne en janvier 2005,
le Hamas sortait grand vainqueur des municipales puis
des législatives en janvier 2006. Pour Israël, c’était la vic-
toire du terrorisme28. La Bande de Gaza fut placée sous
embargo complet par l’armée, tandis que le Fatah – le

27. Approximativement 1 Israélien (soldat ou civil) tué pour 3 Palesti­


niens. Le rapport est de 1 à 10 pour la guerre d’Algérie (25 000 soldats
et 3 000 civils français, pour au moins 300 000 Algériens musulmans).
28. HANNE, 2017, p. 434.

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

parti d’Abbas – affrontait les hommes du Hamas. En juin


2007, les Palestiniens se retrouvèrent face à une séparation
territoriale de facto, entre la Bande de Gaza, gérée par le
Hamas, anti-israélien, et la Cisjordanie, contrôlée par le
gouvernement légal d’Abbas, mais décrédibilisé pour avoir
accepté de négocier avec Israël. Depuis Gaza, le Hamas
organisa des tirs de roquettes sur les civils israéliens, appe-
lant ainsi à une réaction directe de Tsahal.
Entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, l’État
hébreu mena l’opération Plomb durci contre le Hamas,
au cours de laquelle plus de 1 300 Gazaouis trouvèrent la
mort. Le Hamas lança près de 15 000 roquettes vers Israël,
dont les plus performantes, les M-302, pouvaient atteindre
Haïfa grâce à leur portée de 160 kilomètres. Une nouvelle
fois, les civils palestiniens ont été pris à parti dans cette
lutte, servant de boucliers humains aux soldats du Hamas.
Le rapport Goldstone, issu de la commission d’enquête
de l’ONU, accuse Tsahal d’avoir détruit à dessein des
infrastructures civiles et commis de nombreux dommages
collatéraux en effectuant des bombardements en pleine
ville, notamment pour détruire le PC que le Hamas avait
installé dans un hôpital29.
Malgré l’achèvement du mur entre Gaza et Israël, les
troupes du Hamas continuèrent de recevoir de l’arme-
ment grâce à des tunnels creusés vers le Sinaï égyptien.
Tsahal effectua donc des raids aériens en vue de détruire
les caches d’armes du Hamas, et le mouvement islamiste
poursuivit ses tirs de roquettes (plus de 800 roquettes en

29. Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des


Nations Unies sur le conflit de Gaza, New York, ONU, 2015, p. 9 et 12.

187

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

201230). L’armée israélienne ne parvint pas à venir à bout


d’une milice qu’elle mettait sous pression et sous embargo
depuis plus de vingt ans. Cette impasse est la même
rencontrée par les autres pays confrontés à des guerres
subversives : l’affrontement en Colombie entre l’État et
les guérillas marxistes dura plus de cinquante ans (1964-
2016), et aboutit à un règlement négocié, sans mettre tota-
lement à genoux les factions armées.
L’offensive ne menant à rien, Tsahal fut obligé de
renforcer son système défensif. En 2010 fut mis en place
le dispositif anti-roquette « Dôme de fer ». Ce système
permet de repérer et de détruire en vol les missiles du
Hamas, lequel doit, pour réussir ses tirs, saturer le système
en envoyant plusieurs engins à la fois. L’efficacité des
roquettes étant contestée, le Hamas reprit des méthodes
plus classiques en lançant des attaques directes. En repré-
sailles, les Israéliens menèrent deux nouvelles opérations
militaires à Gaza. En novembre 2012, l’opération Pilier de
Défense, afin de neutraliser les responsables des attaques
menées à la frontière. 75 000 soldats israéliens furent
mobilisés durant ce conflit qui a duré huit jours et causé
180 morts civils. Mais la pression internationale empêcha
l’invasion terrestre de Gaza et seuls des raids aériens visant
à détruire des entrepôts d’armes et les quartiers généraux
du Hamas eurent lieu31.

30. Crispian BALMER, «War will not resolve Gaza problem : Israeli
official », Reuters, 17 octobre 2012.
31. « Gaza : William Hague warns that ground invasion would damage
Israel », The Telegraph, 18 novembre 2012.

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

Une situation bloquée depuis 2011


À la suite de l’enlèvement et de l’assassinat de trois
jeunes colons, Tsahal lança une nouvelle opération contre
Gaza entre le 8 juillet et le 26 août 2014 : Bordure protec-
trice. Le Premier ministre Netanyahou pouvait compter
sur la coopération du président égyptien, le maréchal
al-Sissi, en lutte dans son pays contre les Frères musul-
mans, proches du Hamas. Israël poursuivait des objectifs
proches des précédentes opérations, avec des résultats
aussi peu concluant : sécuriser le sud du pays, neutraliser
le Hamas, détruire ses tunnels de ravitaillement, empêcher
les tirs de roquettes, éliminer les chefs des brigades pales-
tiniennes32.
Après des raids aériens, l’opération terrestre débuta le
17 juillet avec des moyens inédits pour un conflit hybride :
avions, hélicoptères, drones, navires, forces spéciales33.
Tsahal prit soin de procéder à des « frappes d’avertisse-
ment », utilisant des engins explosifs de petite taille avant
de lancer de puissantes bombes, le délai d’une minute
servant aux civils à courir pour se protéger. L’armée pro-
cède aussi à des campagnes préventives par tracts et SMS
et met en place des itinéraires sécurisés pour que les civils
fuient les zones ciblées. Pourtant, malgré ces précautions,
les pertes civiles furent énormes, en raison de l’imbrication
des cibles militaires et des habitations34 : 72 Israéliens trou-
vèrent la mort, pour 2 251 Palestiniens, dont 70 % de civils

32. « Les tirs de roquettes qui ont déclenché l’Opération Bordure


Protectrice », tsahal.fr, 14 juin 2014.
33. Elior LEVY, « Gaza terror tunnel attack thwarted », Ynetnews, 17
juillet 2014.
34. Marc CHER-LEPARRAIN, OrientXXI, 22 juillet 2014.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

et 551 mineurs ; sans compter les 11 000 blessés et les cinq


milliards de dollars de destructions35.
Le bilan tactique s’avéra lui aussi négatif : l’armée
constata que l’aviation n’était pas parvenue à détruire tous
les lanceurs de roquettes ; le déploiement terrestre avait été
géré dans l’urgence et l’impréparation ; quant au rensei-
gnement militaire, il ne sut déceler l’ampleur des réseaux
souterrains construits par le Hamas qui rendaient vaine
toute surveillance aérienne36. À l’international, Bordure
protectrice, comme les autres opérations de Tsahal,
déclencha une série de communiqués indignés, même de
la part des États-Unis, sans modifier la donne géopoli-
tique37. Un autre coup pour rien…
Tsahal et le gouvernement sont là encore « tombés dans
le piège du conflit asymétrique38 », lançant une guerre
sans buts politiques, sans prévoir de sortie de crise, ni
faire intervenir de pays médiateur pour négocier. La plus
puissante armée du Moyen-Orient, quatre fois victorieuse
dans des guerres conventionnelles, n’a pu l’emporter dans
un conflit asymétrique, tout comme les Soviétiques et les
États-Unis en Afghanistan. Ce faisant, le Hamas est sorti
renforcé en interne, justifié à l’extérieur, de la même façon
que le Hezbollah en 2006.
Face au mouvement islamiste, Tsahal a été amené à
adopter certaines procédures opérationnelles qui ont été
vivement critiquées, comme la « procédure Hannibal »,
mise en place en 1986 et utilisée en 2014. En cas de risque
de prise d’otage d’un de ses soldats, l’armée est autorisée à

35. VIDAL, 2015.


36. COHEN, 2014b.
37. Communiqué du Porte-parole de la Maison blanche, 3 août 2014.
38. Expression de COHEN, 2014b.

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

ouvrir le feu sans sommation contre ses ravisseurs, incluant


éventuellement la mort du soldat. En quelque sorte, il
vaut mieux un soldat mort qu’otage du Hamas ou du
Hezbollah. Une telle procédure n’a pas d’intérêt militaire,
mais uniquement politique et médiatique, car les gouver-
nements ne veulent pas risquer l’impopularité d’un soldat
publiquement capturé par l’ennemi39.
Un autre dispositif, appelé « doctrine Dahya », a lui été
dénoncé par les instances internationales. Mise au point
par l’ancien chef d’état-major Gadi Eizenkot, cette procé-
dure est une réponse directe à la guerre asymétrique que
mène le Hezbollah contre Israël : parce que le groupe ter-
roriste utilise les infrastructures locales avec la complicité
tacite des civils, il est légitime de frapper ces équipements,
comme le fit Tsahal en 2006 sur le fief du Hezbollah à
Beyrouth, Dahya. À travers cette procédure, l’État hébreu
adresse une menace aux États et aux milices qui vou-
draient sa destruction.
Depuis 2014, la situation entre Israël et les Palestiniens
est totalement bloquée40. Militairement, Tsahal ne peut
abattre les forces du Hamas, mais celui-ci ne peut affaiblir
Israël. Les tirs de roquettes n’ont pas cessé, au contraire,
puisque 35 projectiles ont été tirés depuis Gaza en 2017,
contre 15 en 2016 et 21 en 2015 (chiffres officiels). En
réponse, Tsahal a frappé 59 cibles en 2017. Le groupe isla-
miste s’est alors rapproché des Palestiniens de Cisjordanie,
du Fatah et du président de l’Autorité palestinienne,
Mahmoud Abbas, qui a multiplié les attaques antisionistes
et antisémites. Le front palestinien s’est donc reformé,
mais sans possibilité de faire reculer Tsahal. La seule

39. Ibid.
40. BOUSSOIS, 2014.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

méthode à conserver un peu d’efficacité médiatique est


celle de l’Intifada, aussi entre avril et juin 2018 le Hamas
a-t-il déclenché un mouvement de colère populaire : les
« journées de rage ». Tous les vendredis, des foules de civils
se sont approchées des barbelés de Gaza pour provoquer
les gardes-frontière. L’armée a donc ouvert le feu sur
30 000 Palestiniens affluant sur les barrières, déclenchant
un scandale international, mais sans lendemain…

3. Jihadisme et danger iranien en Syrie depuis 2011


L’influence de Daech
L’avènement de l’organisation de l’État islamique
(Daech) en 2013 a ébranlé le Moyen-Orient. Initialement,
Tsahal ne craignait pas particulièrement le groupe terro-
riste, lequel s’implanta d’abord en Syrie, Irak, en Libye.
Toutefois, à partir de 2015, la situation évolua rapidement,
exigeant un contrôle plus sérieux de la nocivité de l’orga-
nisation. À Gaza, des manifestations pro-Daech eurent
lieu à plusieurs reprises, malgré l’hostilité du Hamas.
Plusieurs centaines de Gazaouis, autrefois partisans du
Hamas, ont basculé dans le jihadisme41. Une importante
vague d’attentats toucha Israël à partir de septembre 2015.
Des Israéliens furent victimes d’attaques au couteau au
cœur des métropoles comme Tel Aviv ou Haïfa42. Cette
« Intifada des couteaux », inspirée par Daech, commença
en Cisjordanie contre des colons, puis gagna les six

41. Marc BRZUSTOWSKI, Esther FEINGOLD, « Les trois dilemmes


d’Israël », Outre-Terre, 44, 3, 2015, p. 289-298.
42. Judah ARI GROSS, « Attaque terroriste à Tel Aviv : 4 blessés
légers », The Times of Israel,‎ 23 avril 2017.

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

check-point entre la Cisjordanie et Israël contre des mili-


taires, et enfin le territoire israélien contre des civils43.
Il est impossible pour Tsahal de prévenir des attaques
menées par des individus agissant seuls, en pleine rue, et
qui profitent de la nationalité israélienne. Toutefois, preuve
de l’efficacité du service militaire, les citoyens confrontés à
ces agressions retrouvent des réflexes de combat au corps
à corps pour riposter aux terroristes isolés, rapidement mis
hors d’état de nuire. Mais cette capacité d’interposition
contre un assaillant n’empêche pas la peur de s’installer
dans la population, et ce malgré une baisse des attaques
dès 2016 44. Les ventes d’armes ont ainsi augmenté la
même année, impliquant un retour à l’autodéfense indi-
viduelle, et donc un risque de privatisation de la sécurité.
Au cours de l’année 2014, plusieurs groupes jihadistes
pro-Daech se sont réunis dans le désert du Sinaï, côté
égyptien. Israël craint que la dispersion de l’État islamique
ne fragilise ses frontières avec l’Égypte45. Tsahal a donc
déployé des bataillons supplémentaires chargés de la
surveillance des frontières et a annoncé la création d’un
nouveau bataillon mixte dans le désert de Judée-Samarie
(Cisjordanie) en 2018. Il rejoindra les deux autres batail-
lons pour surveiller la frontière israélo-jordanienne. Ainsi,
avec le regain des tensions aux frontières, des femmes
pourraient être amenées à être directement engagées au
cœur des opérations militaires.

43. « Colonies israéliennes en Cisjordanie : la nouvelle loi est une


« rupture historique », Le Monde, 8 février 2017.
44. «Ventes d’armes à Jérusalem », RFI, 15 octobre 2015.
45. Hélène SALLON, « Après l’attaque près de Karak, la Jordanie
craint de revivre une vague d’attentats », Le Monde, 19 décembre 2016.

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Le conflit syrien et la menace iranienne


Si Tsahal n’est pas intervenu directement dans la
guerre civile syrienne entre 2011 et 2015, l’armée israé-
lienne est restée sur ses gardes46. L’affaiblissement du
régime de Bachar al-Assad n’était pas une mauvaise chose
pour Israël, mais il ne fallait pas que son arsenal chimique
et ses missiles tombent entre les mains de groupes jiha-
distes. En janvier 2016, on craignait une infiltration de
Daech par le Golan47. L’armée israélienne est intervenue
à l’automne 2017 pour s’interposer entre les Druzes de
Syrie et les groupes terroristes qui les avaient attaqués48.
En protégeant les Druzes syriens, Israël renforçait sa posi-
tion auprès de la population druze du Golan qui lui était
hostile depuis l’annexion du Golan en 1981. L’aviation
israélienne a aussi multiplié les raids côté syrien, à la fois
pour frapper les groupes jihadistes et affaiblir les forces
syriennes, lorsqu’elles se rapprochaient trop des frontières
du Golan pour chasser les terroristes, particulièrement au
printemps 2018.
Pour faire face à ses ennemis, Bachar al-Assad a fait
appel massivement à la fin 2015 à l’aide russe et à la Force
Qods, l’élite militaire et révolutionnaire de la République
islamique d’Iran. Or, ce soutien, qui fut très efficace contre
les jihadistes dans les sièges d’Alep, Homs, Hama et de
la Ghouta de Damas, a permis aux milices iraniennes de

46. Notons toutefois qu’un raid contre un réacteur nucléaire syrien


près d’Al-Kibar en septembre 2007 a été révélé en mars 2018.
47. HANNE-FLICHY, 2015, p. 157, 169-170 ; Judah ARI GROSS,
«Tsahal estime que l’État islamique va attaquer Israël », The Times of
Israel, 27 janvier 2016.
48. « Israël prête à aider un village du Golan syrien », Le Figaro, 3
novembre 2017.

194

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

s’implanter non loin du Golan et ainsi de menacer directe-


ment le territoire israélien. Avec l’effondrement territorial
de Daech en Syrie et Irak au cours de l’année 2017, les
forces iraniennes ont eu plus de latitude pour s’instal-
ler dans le sud-ouest de la Syrie, non loin d’Israël. Une
nouvelle phase de la reconfiguration du Proche-Orient
s’est donc ouverte à partir de l’hiver 2018 : Israël a lancé
des partenariats avec les pays du Golfe, dont l’Arabie
Saoudite, normalisant ses relations avec les puissances
sunnites49 ; mais au même moment, l’escalade entre l’Iran
et Israël s’est aggravée, Tsahal voulant éviter que la Syrie
devienne une base arrière de la République islamique.
L’aviation israélienne est donc intervenue à plusieurs
reprises côté syrien, mais en février 2018 Tsahal a perdu
un chasseur F-16, touché par un missile sol-air russe armé
par des soldats syriens. Cette première perte d’un avion de
guerre, unique depuis 1973, est un signal négatif face aux
tentatives de déstabilisation organisées par l’Iran.

Tsahal en dehors des murs


Les évolutions du contexte sécuritaire au Proche-
Orient depuis les années 1990 a conduit Tsahal à mul-
tiplier les interventions en dehors de sa zone stratégique
traditionnelle, et cela sous forme d’actions militaires et
diplomatiques.

49. Le prince-héritier Mohammed ben Salman a reconnu le droit à


l’existence d’Israël dans une entrevue du 3 avril 2018 (The Atlantic).
Le mois précédent, un avion d’Air India en partance pour Israël
avait été autorisé à survoler l’Arabie Saoudite. Entre 2003 et 2011,
l’ensemble du Golfe représente le 3ème marché moyen-oriental pour les
exportations israéliennes, après les territoires palestiniens et la Turquie ;
Yoel GUZANSKY, Dominique DAVID, « Israël et les pays du Golfe :
entre Iran et printemps arabe », Politique étrangère, 4, 2012, p. 879-889.

195

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Les risques induits par des gouvernements ouver-


tement hostiles à l’État hébreu ont poussé l’armée à se
lancer dans des opérations extérieures sous forme de raids
aériens. Depuis la Révolution islamique de 1979, l’Iran
est resté le point sensible de la stratégie militaire d’Israël
dans la région. Le régime précédent du Shah avait noué
une étroite coopération militaire avec Israël, dans le but
de contourner les États voisins par un allié non-arabe. Les
deux pays avaient même élaboré un programme commun
de fabrication de missiles, avec l’autorisation américaine.
Mais ces liens furent coupés brutalement par l’ayatollah
Khomeini qui contestait l’existence de « l’État sioniste ».
En accord avec les services israéliens de renseignement,
le Mossad, l’aviation frappa en 1994 des installations
nucléaires en Iran, afin de ralentir le programme atomique
de la République islamique50. Une telle opération amenait
donc Tsahal à intervenir loin de ses bases, risque qui fut
assumé, malgré une nouvelle condamnation internationale,
afin de parer au danger d’un Iran détenteur de la puissance
nucléaire.
C’est dans le but de punir la dangerosité du Soudan,
dont le régime islamiste apportait un soutien logistique à
Al-Qaeda, à la cause palestinienne et au terroriste Carlos,
que l’aviation israélienne appuya dans les années 1990 la
rebellion de la partie Sud du pays, à majorité animiste et
chrétienne. Avec l’accord des États-Unis, l’État hébreu
organisa des frappes aériennes contre l’armée soudanaise
et ses convois d’armes, apportant une aide précieuse,

50. Patrick ANIDJAR, La bombe iranienne. Israël face à la menace


nucléaire, Paris, Éditions du Seuil, 2008.

196

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LE SYSTÈME DÉFENSIF D’ISRAËL

militaire et diplomatique, au Soudan du Sud, lequel put


obtenir son indépendance en 201151.
Malgré l’éloignement avec le contexte du Proche-
Orient, Israël chercha à s’implanter dans les années 1990
en Afrique en nouant des partenariats militaires et stra-
tégiques, afin de trouver des alliances de revers contre
les pays musulmans qui défendaient le Hamas. Tsahal
fut donc amené à fournir des armes, du matériel et des
formations tactiques au Kenya, à l’Ouganda, à l’Éthio-
pie. La coopération fut particulièrement fructueuse avec
le Cameroun, pourtant peu impliqué dans la question
palestinienne. À partir de 2008, la sécurité du président
camerounais, Paul Biya, fut prise en charge par d’anciens
officiers de Tsahal, et la nouvelle Brigade d’intervention
rapide (BIR), fondée pour lutter contre les combattants
jihadistes au nord du pays, fut équipée et entraînée par
Israël52. Des armes légères de fabrication israélienne et des
fusils d’assaut Galil se retrouvèrent bientôt sur les théâtres
de conflits en Afrique équatoriale, et jusqu’au Liberia.
Israël, qui est le quatrième marchand d’armes du monde,
a fait de ce marché un atout de sa diplomatie. Le pays a
aussi exporté son modèle tactique : en Inde, premier client
pour la production israélienne de Défense, en Europe, aux
États-Unis, et même en Amérique latine, où le Guatemala
fait figure d’allié depuis l’époque de la guerre civile contre
la guérilla marxiste (1960-1966). L’exportation du modèle
de Tsahal change les modalités de sa vocation qui est la
Défense nationale. En nouant des partenariats lointains,

51. Jacqueline BENILLOUCHE, « Pourquoi le Soudan du Sud est un


allié stratégique d’Israël », Slate, 25 octobre 2012.
52. Georges DOUGUELI, « Cameroun, Paul Biya sous protection
israélienne », Jeune Afrique, 19 novembre 2015.

197

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Israël considère que sa frontière stratégique s’éloigne de sa


frontière militaire, et que ses priorités sécuritaires peuvent
dépasser le champ clos du Proche-Orient.

198

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 198 11.09.18 09:43


Sixième partie :

Une population
qui doute de son armée ?

Depuis la guerre du Kippour, Israël n’a plus été menacé


directement par un autre État ni par une armée conven-
tionnelle ; sa survie immédiate n’est donc plus en jeu. Or,
durant l’opération au Liban en 1982, l’opinion publique a
ouvertement critiqué l’armée car l’intervention n’apparais-
sait pas essentielle à l’existence d’Israël. En outre, le conflit
s’est enlisé et Tsahal a été contraint d’occuper le sud du
Liban. Durant le siège de Beyrouth, certains soldats ont
refusé d’appliquer les ordres qui leur étaient donnés1. Au
sein de la population civile, des groupes se sont même
mobilisés pour obtenir le retrait des troupes israéliennes
du Liban.
Dans une armée où la technologie a pris beaucoup de
place et contrainte par l’influence des média, les pertes
humaines sont de moins en moins acceptées par la popu-
lation, d’autant que les conflits qu’affronte l’État hébreu
depuis 1982 ne renvoient plus aussi clairement qu’avant
à l’idéal initial de l’armée de défense du peuple. Enfin,
les décisions des hommes politiques illustrent l’absence
d’une stratégie claire dans ces conflits2. Le mouvement

1. RAZOUX, 2008, p. 413.


2. Yagil LEVY, « Le décès du citoyen-soldat », La sexagénaire jeunesse
d’Israël, Les Temps Modernes, 651, 2008, p. 65-80.

199

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 199 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

civil le plus emblématique est celui des « Quatre Mères »


(Arba imahot). Créé en 1997 initialement par des mères
de soldats et des femmes vivant à la frontière libanaise, il
milite pour la fin du conflit et proteste contre un engage-
ment incompris par la population, qui a entraîné la mort
de plus de 600 soldats. Elles ont été rejointes par d’an-
ciens soldats. Ce mouvement a eu un impact fort dans la
société israélienne et a participé au retrait de Tsahal. Un
phénomène semblable s’observe autour de la question
palestinienne depuis les années 2000, et un embryon de
mouvement citoyen militant pour la paix conteste les
méthodes de Tsahal dans la Bande de Gaza et l’existence
du mur qui sépare les deux communautés. À terme, c’est
toute la cohésion entre l’armée et la nation qui pourrait se
lézarder…

1. Une armée face aux critiques depuis 1982

Depuis le bourbier libanais de 1982 et les conclusions


de la Commission Winograd, les modes d’engagement de
Tsahal ont été ouvertement critiqués, qu’ils concernent les
opérations militaires elles-mêmes, leur déroulement, les
principes tactiques utilisés et les circonstances de la perte
de soldats. Les critiques les plus virulentes ont surtout
attaqué le monde politique, accusé de manquer de hauteur
de vue et de mettre en danger les enfants d’Israël.

Les critiques opérationnelles


La combinaison tactique dans laquelle Tsahal excellait
associait l’aviation et les blindés dans un conflit conven-
tionnel comme en 1973. L’avantage de cette méthode est
de donner une victoire écrasante et rapide, prélude à des

200

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

négociations avantageuses, sous l’égide de l’ONU et des


puissances internationales. Tsahal a donc investi massi-
vement et régulièrement pour améliorer son aviation par
rapport à ses voisins. Or, depuis 1982, Israël n’a plus été
confronté à ce type de guerre et a dû, au contraire, assumer
des « conflits asymétriques de basse intensité » et réadapter
ses dispositifs tactiques. Le contrôle de l’espace aérien
israélien, véritable obsession de Tsahal, a même été remis
en cause par l’usage des roquettes de la part du Hezbollah
et du Hamas3.
Il faut désormais lutter contre des groupes politiques
sans État, fortement idéologisés, implantés dans la société
civile arabe, pratiquant le terrorisme et peu pressés d’en
venir à des négociations internationales. Tsahal a pour-
tant conservé sa combinaison aéroblindée, car le danger
d’une guerre conventionnelle n’a pas totalement disparu.
L’armée israélienne est ainsi amenée à penser son sys-
tème sécuritaire sous deux modes différents : la guerre
conventionnelle et la contre-insurrection, problématiques
auxquelles peu d’armées dans le monde doivent répondre
à la fois.
La Commission Winograd a établi un bilan sévère de
l’opération contre le Hezbollah en 2006. En un mois, Israël
a en effet utilisé deux fois plus de munitions que pendant
la Guerre du Kippour, a dépensé 1 % de son PIB dans
une campagne dont les objectifs n’ont pas été atteints, et
qui a isolé le pays sur la scène internationale, alors même
que le Hezbollah était unanimement perçu comme une
milice extrémiste4. En outre, les fragilités opérationnelles
ont été légion. Les soldats auraient manqué de combattivité ;

3. ENCEL, 2005.
4. EL ZEIN-NOTTEAU-DRAVET, 2013, p. 209-210.

201

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

la coordination de l’aviation et de l’armée de terre, garan-


tie des succès passés de Tsahal, a été défaillante5. Les
états-majors eux-mêmes auraient perdu le contact de la
réalité, déplaçant des unités sans prendre en compte leur
fatigue et leurs défauts tactiques. L’armée, trop centralisée,
bridée par le risque d’une condamnation médiatique, a eu
du mal à s’adapter à la situation6.
Depuis les années 1990, Tsahal a renoncé aux opé-
rations terrestres éclair, celles qui ont fait sa force et ses
victoires contre les pays arabes. La nouvelle donne sécu-
ritaire consiste à défendre les territoires israéliens contre
les incursions des terroristes palestiniens et celles du
Hezbollah au nord. Pour ce faire, l’armée a choisi d’établir
le long de la frontière avec le Liban une barrière sécurisée
et ultra-technologique : la moindre tentative de pénétration
se solde immédiatement par une réaction aérienne fulgu-
rante qui anéantit la menace. Mais cette méthode a éloigné
progressivement les hommes des risques du feu, en les
cantonnant à un rôle de gardes-barrière et à des patrouilles
sur un rayon limité. Les soldats israéliens auraient perdu
une partie de leurs capacités tactiques et l’habitude du
combat interarmes, essentiel dans les interventions d’en-
vergure.
Dans le contexte des territoires palestiniens, à Gaza
et en Cisjordanie, Tsahal a été confronté à des évolutions
similaires : la disproportion des forces entre l’armée israé-
lienne et les émeutiers civils – souvent des adolescents – a
conduit l’État hébreu à limiter l’usage du feu et à spécialiser

5. RAZOUX, 2013.
6. Michel GOYA, « Fureur et stupeur. Les enseignements psycho­
logiques de la guerre entre Israël et le Hezbollah », Politique étrangère, 4,
2008, p. 843-855.

202

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 202 11.09.18 09:43


UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

ses soldats de Cisjordanie dans le contrôle des manifesta-


tions. Mais on ne pouvait pas transformer Tsahal en une
force policière en raison de la menace des combattants du
Hamas, dissimulés parmi les civils palestiniens. Il a donc
fallu une fois de plus se réformer, tout en acceptant des
contraintes budgétaires serrées liées à la crise financière
de 2008. En 2013, Tsahal s’est résolu à réaliser 1, 5 mil-
liard d’euros d’économies. En réduisant ses effectifs et en
vendant les matériels vieillissants utilisés dans les unités de
réservistes (dont le Merkava MK 1), l’armée a commencé
de réduire ses dépenses, tout en voulant gagner en réacti-
vité sur des équipements plus performants7. Parallèlement,
on a spécialisé certaines unités dans l’action antiterro-
riste : arrestations rapides dans les territoires palestiniens,
infiltration, exécutions ciblées, sabotage, renseignement.
C’est le cas de l’Unité Duvdevan en Cisjordanie et du
Commando Rimon dans le sud-ouest. Enfin, pour com-
penser la diminution des effectifs, l’état-major mise sur un
afflux inédit de technologies de pointe qui devraient chan-
ger la manière de se battre. « Nous pensons que, pendant
la prochaine guerre, la manœuvre au sol sera plus rapide,
plus large et plus profonde », a justifié le commandant des
forces terrestre, le général Kobi Barak8.
Tsahal s’adapte donc pour relever les nouveaux défis
sécuritaires, envisager des conflictualités simultanées et
sous toutes les formes : guérilla urbaine, actions subver-
sives, missiles, snipers, kamikazes, raids en profondeur de
commandos pro-iraniens, etc. Face à ces enjeux, Tsahal

7. Laurent LAGNEAU, « L’armée israélienne réforme ses matériels les


plus anciens », Zone Militaire-Opex 360, 25 juillet 2013.
8. Judah Ari GROSS, « Tsahal réorganise ses forces terrestres », The
Times of Israel, 2 mars 2018.

203

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

mise sur sa force de réaction et sa rapidité. Pour cela,


l’armée a considérablement amélioré depuis 2006 la syn-
chronisation de ses dispositifs et le combat interarmes, via
le département C4I (Command, Control, Communications,
Computers and Intelligence).

Les critiques stratégiques


Les failles tactiques de Tsahal sont étroitement liées
aux impasses stratégiques de l’État hébreu. Durant les
deux guerres du Liban, la défaite n’est pas uniquement
imputable à Tsahal et à la mauvaise gestion du nouveau
type de guerre mené par le Hezbollah. Les gouvernements
successifs, sous la pression de leur opinion publique et
des acteurs internationaux, n’ont pas trouvé de solutions
politiques et ont enfermé Tsahal dans un rôle répressif.
La collaboration entre l’Égypte et Israël contre le Hamas
en 2014 a privé l’État hébreu d’un intermédiaire de paix
pour négocier une trêve ou une paix, rôle que jouait tra-
ditionnellement l’Égypte mais que refusait d’endosser le
président al-Sissi. Tsahal s’est donc retrouvé enfermé dans
la guerre sans pouvoir en sortir politiquement. En outre,
à Gaza, pendant l’opération Bordure protectrice, l’armée
n’a pu éviter la stratégie médiatique du Hamas, puisque,
en se dissimulant au milieu des habitants, le mouvement
islamiste savait que les raids aériens israéliens feraient des
victimes civiles, prélude à une condamnation internatio-
nale d’Israël9. Même le président des États-Unis, Barack
Obama, critiqua à mots feutrés l’opération sur Gaza10. Le
piège fut identique durant les événements tragiques du

9. COHEN, 2014b.
10. Communiqué du Porte-parole de la Maison blanche, 3 août 2014.

204

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

printemps 2018, lorsque le Hamas poussa la population


gazaouie dans des manifestations contre les barrières de
sécurité israélienne, déclenchant une riposte qui fit plu-
sieurs centaines de morts entre avril et mai.
Les équilibres au Proche-Orient sont tels qu’Israël a
accepté d’assumer un affrontement majeur avec le Liban
tous les dix ans, et avec les Palestiniens tous les 18 mois,
état de fait ingérable sur le long terme. Il faut donc sanc-
tuariser le territoire, aux dépens de toute autre considéra-
tion stratégique. Par exemple, le Golan, annexé en 1981,
est indispensable à la sécurité du pays. Il est la pomme
de discorde qui, à la fois, interdit la paix avec la Syrie et
empêche le régime de Damas de s’attaquer à Israël.
La sanctuarisation engendre la militarisation et l’enfer-
mement. « L’État juif opte pour la stratégie de l’enferme-
ment géographique et mental pour mieux se protéger et se
retrouve entre quatre murs11 ». Mais ces barrières de sécu-
rité ponctionnent le budget de la Défense en réduisant la
formation des fantassins, celle-là même qui manqua cruel-
lement en 200612. Cette politique n’est pas sans risque face
aux enjeux géopolitiques de la région, alors que la stabilité
du Proche-Orient est, depuis 2011, totalement incertaine :
jihadistes implantés dans le Sinaï et non loin du Golan,
présence militaire iranienne en Syrie, force du Hezbollah
au Liban, confirmée par les élections législatives de mai
2018. Les conséquences des Printemps arabes ont obligé
Tsahal à élaborer une défense sur tous les fronts (face au
Liban, à la Syrie, au Sinaï), mais aussi à l’intérieur de son
propre territoire et dans le domaine cybernétique.

11. BOUSSOIS, 2014, p. 6.


12. RAZOUX, 2013.

205

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Les critiques ne manquent pas en interne contre les


choix stratégiques de l’État hébreu, même au sein du Shin
Beth, le contre-espionnage israélien. En septembre 2014,
une quarantaine d’anciens de l’Unité 8200 ont refusé d’ef-
fectuer leur période de réserve sous prétexte que leur tra-
vail d’analystes prolongeait la guerre ; la même année, une
centaine d’ex-soldats publiaient une lettre ouverte au gou-
vernement exigeant des discussions de paix avec les voisins
arabes13. Enfin, les inquiétudes sont aussi d’ordre écono-
mique, puisque la répression et l’isolement d’Israël ont
déclenché un boycott de ses productions agricoles dans le
monde et d’importantes pertes financières14. Celles-ci ne
touchent toutefois pas le domaine technologique, bien plus
stratégique que l’agroalimentaire…
Mais l’enfermement stratégique dénoncé est moins
marqué qu’il n’y paraît, puisque Israël a toujours noué
des échanges diplomatiques à l’extérieur, même auprès de
pays musulmans. Les relations avec la Turquie sont restées
exemplaires entre 1949 et 2007, année où l’AKP, le parti
islamiste turc, a remporté les élections législatives, portant
au pouvoir Recept Tayyip Erdogan dont la rhétorique
antisioniste est forte. Depuis les accords de paix de Camp
David (1978), la collaboration avec l’Égypte ne s’est pas
démentie, sauf durant le court mandat présidentiel du
Frère musulman Mohammed Morsi (2012-2013). Le
rapprochement récent avec l’Arabie Saoudite, les pays du
Golfe ou encore l’Inde, participe de cette nécessité de voir
plus loin que le cadre du Proche-Orient.

13. DENECE, 2015.


14. VIDAL, 2015.

206

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

Les risques pour la société israélienne


Les observateurs internationaux et les universitaires
israéliens n’ont pas manqué de mesurer les conséquences
de ces stratégies manquées sur le mental de la population
et sa sociologie. Les sentiments d’amertume, d’incom-
préhension et de peur ne sont plus l’apanage des seuls
Palestiniens, mais gagnent aussi les Israéliens. L’amertume
naît de cette guerre subversive qui oppose Tsahal à des
Palestiniens sous-équipés mais instrumentalisés par le
Hamas. Plus grave encore, les Israéliens savent qu’ils ont
perdu la bataille de la communication et que le monde
ne les comprend pas15. Si le président américain Donald
Trump soutient fermement Israël, ce n’était pas le cas de
son prédécesseur, Barack Obama, plus distant. Depuis
1982, l’État hébreu a clairement perdu son statut de vic-
time au profit des Palestiniens, et Tsahal apparaît comme
une machine agressive et inique, et non plus comme la
ligne de défense avancée et audacieuse de l’Occident.
À chaque Intifada, les média internationaux relaient les
images de jeunes Palestiniens blessés.
Les attentats-suicides, qui étaient quotidiens entre 1996
et 2002, ont généré chez les Israéliens une peur de l’espace
public, peur de sortir de chez soi, de prendre le bus, quand
bien même le nombre d’attentats réussis est très réduit. La
création du mur à partir de 2002 a atténué ce sentiment,
tout comme le Dôme de fer anti-missile en 2012, mais les
roquettes du Hezbollah en 2014 puis l’Intifada des cou-
teaux en 2015 ont à nouveau nourri la peur quotidienne,

15. Marc HECKER, Thomas RID, « Montrer la guerre asymétrique ?


L’exemple de la communication israélienne (2000-2009) », Israël et son
armée, 2010, p. 117-136.

207

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

d’autant que l’antisionisme et l’antisémitisme se nour-


rissent l’un l’autre dans la jeunesse palestinienne.
La bitakhon (« sécurité ») est devenue un syndrome
sociétal 16. La société israélienne nourrit des rapports
anxiogènes à la violence environnante : elle alterne entre
la guerre et la paix, la routine et la brutalité physique et
psychologique. Elle n’est ni complètement militarisée, ni
réellement en paix ; même lorsque les combats cessent,
« l’habitus du temps de guerre » se maintient, « il en reste
des traces qui imprègnent subtilement le quotidien et sont
promptes à être réactivées dans la pratique17 » : sécuriser
une pièce de la maison, fouiller les coffres de voiture dans
les parkings, imaginer l’itinéraire le moins touché par les
roquettes, etc.

2. L’éthique de Tsahal face à la disproportion


du feu

Les civils pris pour cibles ?


La principale critique contre Tsahal depuis trente ans
concerne son usage disproportionné du feu contre les
populations civiles au Liban, en Cisjordanie et à Gaza.
Lors de la première occupation du Liban en 1982, Tsahal
organisa le blocus de Beyrouth, renforcé par des bombar-
dements qui cherchaient à réduire les combattants pales-
tiniens et à les couper du reste de la population libanaise,
pour qu’elle les oblige à quitter la ville. Le pilonnage causa

16. BOUSSOIS, 2014, p. 11-18.


17. Dafna SHIR-VERTESH, Fran MARKOWITZ, « Entre guerre et
paix : Israël au jour le jour », Ethnologie française, 45, 2, 2015, p. 209-221.

208

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

la mort de 29 000 personnes, dont 3 000 brûlées au phos-


phore18.
Le bilan des différents conflits autour de Gaza ne fut
pas aussi lourd, mais la charge morale contre Israël et son
armée reste sévère. En 2004, l’ONG Breaking the Silence
(Shovrim Shtika) fut créée par d’anciens soldats, recueil-
lant des témoignages et pointant du doigt l’usage de la
force par Tsahal contre les civils palestiniens19. Furent ainsi
publiées une multitude de preuves concernant la seconde
Intifada, en septembre 2000, dévoilant une brutalisation
des soldats israéliens, qui, inexpérimentés, avaient commis
de nombreuses fautes morales à l’encontre des civils20. Or,
cette brutalisation, sans doute inévitable chez des jeunes
vivant dans une société assiégée, n’a pas été suffisament
canalisée par Tsahal. Les hommes du Hezbollah et du
Hamas se servent de la population civile comme bouclier
humain, ce qui a un impact psychologique sur les soldats,
lesquels sont longtemps restés seuls face à cette question21.
La chaîne de commandement a, par la suite, pris
conscience qu’un problème se posait et a amélioré la
formation au contrôle du feu et à la progression en zone
hostile. Si des débordements ont eu lieu dans les conflits
qui ont suivi, ils ont été plus circonscrits et ont systéma-
tiquement fait l’objet de procédures judiciaires. Ainsi, en
mars 2016, un jeune sergent de 19 ans, infirmier dans une
unité d’élite, a achevé un Palestinien à Hébron, alors qu’il
était menotté et prisonnier ; l’affaire passionna l’opinion

18. EL ZEIN-NOTTEAU-DRAVET, 2013, p. 188-193.


19. Steven ERLANGER, « Israeli Soldiers Stand Firm, but Duty Wears
on the Soul », The New York Times, 23 mars 2007.
20. COHEN, 2009b.
21. COHEN, 2009a, p. 79-80.

209

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

publique, partagée entre les gardiens de l’éthique et les


défenseurs d’un soldat d’Israël. Le jeune homme a été
condamné à 18 mois de prison par un tribunal militaire.
Les mêmes questions ont resurgi en avril et mai 2018,
lors des « journées de rage », durant lesquelles Tsahal ouvrit
le feu contre des foules de Palestiniens courant sur les
barrières de sécurité, enfants et jeunes en tête à l’appel du
Hamas. Même si ces civils étaient instrumentalisés, cela ne
pouvait expliquer les 70 morts du 11 mai 2018. La Cour
suprême israélienne a donc été saisie par des pacifistes
israéliens jugeant que Tsahal avait « inventé de nouvelles
règles du droit international pour justifier le nombre massif
de victimes22 ». Or, la Cour, réputée pour son impartialité,
a confirmé que les soldats avaient agi dans le cadre légal.
Les trois juges israéliens ont toutefois assorti à cet arrêt
une mise en garde contre le nombre excessif de tués et de
blessés « au-dessus de la poitrine ». En effet, les consignes
de tir adoptées par l’armée en cas d’affrontement avec des
civils imposent de viser prioritairement les membres infé-
rieurs. Et la Cour d’appeler les responsables militaires à
faire évoluer les règles d’engagement, signe d’une capacité
d’autocritique et d’adaptation de l’État hébreu aux crises
qu’il rencontre.

La doctrine éthique
En tant qu’armée de défense nationale, Tsahal cherche
d’abord à protéger les siens, c’est pour cela que l’armée
est économe en hommes et multiplie les capteurs et outils
technologiques en appui de ses troupes et sur les frontières.

22. Cité dans l’article de Richard DARMON, « La Cour suprême


israélienne juge légale la conduite de Tsahal sur la frontière de Gaza »,
Haguesher, 30 mai 2018.

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

Face à l’écrasante démographie arabe, Israël a trop peu de


soldats pour se permettre de les sacrifier dans des offen-
sives de masse23. Tsahal entend donc garder sa supériorité
technique, aérienne et navale pour assurer la défense de
la nation. La priorité va à la sécurité du pays, mais l’État
hébreu ne peut renier l’éthique universaliste du judaïsme.
Face à ses détracteurs et au danger que représenterait
une fissure entre elle et la nation, l’armée israélienne a éla-
boré une doctrine éthique exigeante, qui, si elle est souvent
raillée, ne peut être niée. Le règlement militaire israélien
affirme :
« Les soldats de Tsahal n’useront pas de leurs armes et de leur force
pour causer du tort à des êtres humains qui ne sont pas des com-
battants ou qui sont des prisonniers de guerre, et feront tout ce qui
est en leur pouvoir pour éviter de causer du tort à leurs vies, à leurs
corps, à leur dignité, à leur propriété24. »

La doctrine éthique obéit au principe de la « pureté des


armes » (tohar haneshk), un ensemble de normes éthiques
qui visent à préserver l’humanité même en pleine guerre,
car s’il faut combattre et vaincre, il faut aussi épargner à
l’ennemi des pertes inutiles et des actes de cruauté bar-
bares. Comme dans l’armée française, le soldat israélien
doit refuser d’appliquer un ordre contraire à la morale
humaine 25. Bien sûr, ces principes éthiques sont plus
difficiles à assumer dans des situations de grand stress ou
lorsque les combats font rage, aussi la « pureté des armes »
n’est-elle qu’un vœu général.
Au-delà des aspects théoriques, Tsahal veille après
chaque conflit à établir un bilan opérationnel de son action,

23. ENCEL, 2005.


24. www.law.idf.il.
25. ENCEL, 2005.

211

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

lequel inclut aussi une dimension éthique et juridique. La


démocratie israélienne cherche donc à identifier ses fai-
blesses dans tous les domaines (renseignement, formation,
équipement, etc.) afin de les corriger pour l’avenir. Le chef
d’état-major israélien, Dan Haloutz, a ainsi été contesté
pour avoir sous-estimé les capacités du Hezbollah en 2006
et poussé à la démission l’année suivante26.
Dans le cas de l’opération Bordure protectrice à Gaza
en 2014, le général Martin Dempsey, chef de l’état-major
américain interarmées, a reconnu le 6 novembre 2014
qu’Israël avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour
limiter les pertes civiles et les dommages collatéraux27. Le
Bureau des Nations unies pour la Coordination des affaires
humanitaires (OCHA) a établi que les frappes de Tsahal
étaient précises et concentrées, car le renseignement mili-
taire veille en amont à identifier les cibles et à vérifier la
présence de civils28. Au sein de Tsahal, des officiers spé-
cialisés dans le droit international des conflits armés sont
chargés de donner leur avis – qui ne vaut pas ordre – à
propos de la légalité des frappes en cours. Enfin, l’aviation
israélienne pratique les fameuses « frappes d’avertisse-
ment » dans le but de minimiser les pertes civiles, ainsi que
la distribution de tracts en amont des combats29.
Ces précautions n’empêchent pas les décès de civils,
qui font alors l’objet d’une enquête approfondie. Pour le

26. Sylvain CYPEL, « Dan Haloutz, un général israélien contesté », Le


Monde, 16 août 2006.
27. David ALEXANDER, « Israël a tenté de limiter les pertes civiles à
Gaza », Reuters, 6 novembre 2014.
28. BENJAMIN, 2015.
29. « Our Military Forces’ Struggle Against Lawless, Media Savvy
Terrorist Adversaries », High Level Military Group, février 2016.

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

cas de l’opération Bordure protectrice, il fallut examiner


par exemple la mort de quatre enfants sur la plage de Gaza
(16 juillet 2014) ; la mort de quinze civils en grève à Bet
Hanoun, et que l’armée prit pour un rassemblement hos-
tile (24 juillet) ; la mort de deux ambulanciers (25 juillet),
et même quelques cas de pillage30. Si l’on retient souvent
les images des Palestiniens tués par les balles en caout-
chouc des soldats israéliens, on néglige le sang-froid de ces
derniers lors des émeutes ou des affrontements avec les
foules en Cisjordanie ou à Gaza, sang-froid qui est aussi le
résultat d’une évolution dans la formation et une éducation
au contrôle de soi.
La fragilité de la doctrine éthique de Tsahal réside
sans doute dans la culture de la tazdkanout, la « bonne
conscience », la certitude d’être du côté du bien, qui pousse
à expliquer, si ce n’est à justifier, les éventuelles violences
contre les Palestininens31. Mais l’état de guerre psycholo-
gique créé par les milices et les organisations arabes, avec
son cortège de peurs quotidiennes et de violences sur les
civils, rend inévitable une telle réaction intellectuelle.

3. La question religieuse

En 1949, la loi mettant en place le service militaire


universel est votée. Toutefois, le chef du gouvernement,
David Ben Gourion, accepte une exemption pour les Juifs
religieux souhaitant dédier leur vie à l’étude de la Torah,
à condition qu’ils rejoignent une université théologique32.
Cette exemption a été modifiée au fil des années pour

30. BENJAMIN, 2015.


31. BOUSSOIS, 2014.
32. RAZOUX, 2008, p. 105.

213

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

s’adapter au nombre croissant de Juifs ultra-orthodoxes.


Cependant, à partir du XXIe siècle, des critiques de plus en
plus vives se font entendre dans l’opinion publique israé-
lienne qui veut revenir sur ce privilège.
Alors que les Juifs ultra-orthodoxes restent réfrac-
taires à l’enrôlement, une autre frange de Juifs religieux
rejoignent les armes, par patriotisme, mais aussi pour être
en mesure de se mobiliser pour contrebalancer les déci-
sions politiques33.

Le cas des Juifs ultra-orthodoxes


Les haredim (« craignant Dieu »), ou Juifs ultra-ortho-
doxes, constituent une minorité représentant 9 % des Juifs
en Israël, soit 584 000 individus (2017). Leur importance
numérique n’a cessé de croître, puisqu’ils ne représentaient
que 3 % de la population en 1990. En 2016, les taux de
fécondité des Arabes et des Juifs se sont équilibrés autour
de trois enfants par femme, mais celui des Juifs laïcs et des
chrétiens est en train de baisser. Les Juifs ultra-orthodoxes
sont les plus religieux, les plus respectueux des règles de
la nourriture casher, du respect du chabbat, et veillent
à être reconnaissables par leur vêtement34. L’homme est
tenu d’étudier la Torah et c’est la femme qui travaille. Ils
vivent essentiellement des aides de l’État ou de celles de la
diaspora nord-américaine, et sont souvent pointés du doigt
par les Juifs laïcs car ils participent peu à la production de
richesse.35 Certains n’hésitent pas à s’opposer au sionisme

33. « De plus en plus de religieux rejoignent les rangs de Tsahal »,


France 24, 6 novembre 2006.
34. « La tenue des Juifs Orthodoxes », wordpress.com, 4 mai 2016.
35. « Flug : le chômage des Arabes et des orthodoxes nuit à l’économie »,
The Times of Israel, 3 juin 2015.

214

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

et à la création de l’État hébreu, qui est une offense à la


volonté divine qui a détruit Israël aux temps bibliques36.
C’est donc au nom de leurs principes scrupuleux de sépa-
ration rituelle et par respect pour le Talmud qui interdit
aux religieux de porter des armes qu’ils sont formellement
opposés au service militaire.
Si l’armée israélienne est née sur des bases laïques,
elle a voulu dès 1948 accueillir tous les citoyens dans
le service militaire. L’exemption offerte par David Ben
Gourion aux Juifs religieux visait à s’assurer leur soutien
aux élections, si bien qu’elle ne fut pas inscrite dans la
loi de la Défense nationale, promulguée en 194937. Les
étudiants des yeshivota (centres d’étude de la Torah et du
Talmud) pouvaient donc entièrement se consacrer à leurs
travaux intellectuels. Les haredim exemptés n’étaient que
400 en 1949, Ben Gourion ayant donné un seuil de 800
exemptions chaque année. Trente ans plus tard, le Premier
ministre Menahem Begin leva ce quorum face au nombre
croissant d’étudiants orthodoxes38.
Mais le refus persistant des haredim de participer à la
Défense de la nation engendra des tensions avec le reste de
la population, d’autant que les Juifs orthodoxes adoptaient
le chômage volontaire afin d’avoir tout le loisir d’étudier
la Torah ; ils profitaient ainsi sans compensation des aides
financières de l’État. En 2011, seuls 15 % des haredim
de 18 ans ont réalisé leur service militaire. En 2013, face

36. Nurit STADLER, Yeshiva Fundamentalism : Piety, Gender, and


Resistance in the Ultra-OrthodoxWorld, New York University Press, 2009 ;
Joshua YATES, Haredim vs. Secular : Israel’s Internal Culture War and the
Fight for Israeli Identity, Thèse, dir. Shoshana Keller, 2012, p. 61.
37. BARAK-EREZ, 2010, p. 2497.
38. EFRON, 2003, p. 54.

215

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

aux critiques des laïcs, le gouvernement de Benjamin


Netanyahou a annoncé la possibilité de lever l’exemption,
mais il renonça en raison des manifestations que sa pro-
position suscita. Pourtant, en septembre 2017, la Cour
suprême vota un amendement supprimant la fameuse
exemption. Dès 2018, les Juifs ultra-orthodoxes sont donc
tenus d’effectuer leur service militaire ou un service natio-
nal. Bien que traditionnellement non engagés dans la cité,
les haredim ont commencé de s’organiser politiquement
afin de faire entendre leur mécontentement39.

Les religieux engagés volontaires


Il existe en Israël un sionisme religieux fondé à la fin
du XIXe siècle favorable à l’émergence d’un État juif avant
le retour du messie et la fin des temps. Après 1948, ses
membres ont accepté de s’engager dans l’armée pour par-
ticiper à la défense de leur nouveau pays. Le programme
Hesder (« arrangement ») a été mis en place en 1964 pour
permettre à ces sionistes religieux de faire leur service mili-
taire tout en respectant leurs obligations rituelles.
Les individus s’engagent dans des unités spécialisées
dans lesquelles ils servent cinq années de manière à conti-
nuer leurs études théologiques tout en effectuant leur
service militaire. Les sections ne sont pas mixtes, afin de
respecter les règles de pudeur. On les voit porter la kippa
tressée, tandis que des femmes du même groupe, engagées
surtout dans l’administration, sont reconnaissables à leur
jupe longue. Le programme Hesder accueillait entre 150
et 300 étudiants chaque année avant de connaître un essor

39. Bahar MAKOOI, « Israël : les ultra-orthodoxes priés de faire leur


service militaire », France 24, 13 septembre 2017.

216

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

dans les années 1970, c’est dire que le dispositif n’a long-
temps pas eu beaucoup de succès40.
Après la Guerre des Six Jours, une nouvelle forme de
sionisme religieux a émergé. Fondamentalement nationa-
liste, il est opposé à toute concession territoriale vis-à-vis
des Arabes et défend le Grand Israël décrit dans la Bible,
c’est-à-dire le royaume de Salomon. Ses membres ont
commencé à s’engager massivement après les accords
d’Oslo de 1993. En effet, ces derniers marquaient le pre-
mier pas vers la paix et la création de deux États indépen-
dants. À terme, les colonies israéliennes implantées sur les
territoires palestiniens auraient été fermées, ou auraient
dû accepter la domination politique arabe, évolution qui
radicalisa politiquement une partie des religieux sionistes41.
En 2008-2009, le général Ariel Sharon, alors Premier
ministre, pourtant farouche défenseur des colonies,
annonça le retrait des troupes de Gaza et la fermeture des
implantations juives. Cette décision fut accueillie positive-
ment par la majorité de l’opinion publique, mais déclen-
cha le courroux des rabbins qui refusèrent de céder42.
Finalement, malgré les craintes des autorités, la fermeture
des colonies de Gaza se passa sans violences excessives43.
Les autorités religieuses étaient elles-mêmes divisées sur la
position à adopter et sur la méthode à suivre44.

40. COHEN, 1997, p. 105.


41. COHEN, 2014, p. 109.
42. Cécile GUERET, « Russophones et ultra-religieux, nouveaux
soldats de Tsahal », Paris Match, entrevue de Pierre RAZOUX, 5 février
2010.
43. ENCEL, 2005, p. 148-149.
44. COHEN, 2008, p. 89.

217

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Après cette déconvenue, les Juifs religieux ont repris


leur mouvement d’intégration au sein de l’armée et notam-
ment des états-majors. Actuellement, plus de 3 000 juifs
religieux effectuent leur service militaire. Ils suivent aussi
les formations pour devenir officier et en 2011, 40 % des
officiers d’infanterie étaient des religieux (pour seulement
2,5 % en 1990)45. En 1997, le général Amidror était le
premier officier portant kippa à devenir chef du renseigne-
ment militaire46. En 2009, 16 généraux de Tsahal étaient
religieux, situation qui influence considérablement les
décisions de l’armée47. On les voit postuler à la brigade Kfir
(« lionceau »), unité d’infanterie créée en 2005, spécialisée
dans la lutte antiterroriste palestinienne. Stationnée dans
le désert de Judée, près de la Cisjordanie, c’est la plus per-
formante des unités à intervenir lors des tensions près des
colonies israéliennes. Rejoindre cette unité leur permet de
faire entendre leur opposition vis-à-vis des décisions poli-
tiques, notamment lors de l’arrêt de la colonisation de la
Cisjordanie en 201048.
L’intégration croissante de conscrits issus du monde
russe renforce le phénomène nationaliste au sein de
Tsahal, diminue d’autant la capacité de l’armée à proposer
des solutions politiques, et l’empêche de quitter le cercle
vicieux attentats-représailles dans lequel elle est enfermée
depuis trente ans. Sans être à l’origine du malaise social,
l’influence des Juifs orthodoxes est l’un des nombreux
symptômes des tensions qui traversent le pays et aussi

45. HALEVI, 2017.


46. ENCEL, 2005.
47. COHEN, 2009a, p. 109.
48. Adrien JAULMES, « Quand des soldats religieux se dressent contre
Tsahal », Le Figaro, 19 janvier 2010.

218

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

l’armée. Le contexte incertain au Moyen-Orient, les


ambitions géopolitiques de l’Iran et l’interminable conflit
asymétrique avec les Palestiniens poussent les électeurs à
réclamer plus de répression, alors même que la situation
sécuritaire est à peu près sous contrôle à l’intérieur du
pays.
Certains députés de la Knesset se sont émus en 2017 de
cette influence grandissante des Juifs pieux, appelant à une
meilleure régulation de la religiosité au sein d’une armée
qui se veut laïque, tout comme la démocratie israélienne49.
Alors que les rabbins orthodoxes dénoncent le service
militaire comme un outil de sécularisme – la moitié des
étudiants de yeshivota renoncent à la piété au cours du ser-
vice –, les laïcs craignent un processus de « théocratisation »
de Tsahal, et donc à terme d’Israël50.

4. Les jeunes et Tsahal

À partir des années 1980, la mondialisation a permis à


Israël de se hisser au niveau de développement des États
européens, grâce à sa main-d’œuvre à forte valeur ajoutée,
à sa diaspora et à son investissement dans les industries
de pointe. Pour ce faire, le pays a parfaitement intégré les
règles du capitalisme mondial, les exigences morales de
la réussite et du challenge individuel, et ce aux dépens du
vieux sionisme socialiste. Les soldats israéliens issus de
l’armée de l’Indépendance n’étaient donc plus en phase
avec les nouvelles générations et les nouvelles valeurs

49. « Quand un député s’en prend à l’essor de la religiosité dans


Tsahal », Jforum.fr, 1er novembre 2017.
50. HALEVI, 2017.

219

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

promues au sein de Tsahal51. Le travail et les études sont


devenus le facteur principal d’ascension sociale, plutôt que
l’engagement dans l’armée. La hiérarchie militaire, qui
définissait autrefois la hiérarchie sociale, a été remplacée
par la hiérarchie économique. Cette évolution a entraîné
une crise de la motivation des conscrits, qui, selon le rap-
port de la Commission Winograd52, fut préjudiciable à la
résolution de certains conflits.
Il est désormais plus difficile de convaincre les jeunes
recrues d’effectuer un service militaire long53. Les réser-
vistes sont la frange de la population qui rejette le plus le
service dans l’armée après leur conscription. En effet, ils
estiment avoir suffisamment donné pour la défense de la
nation et rechignent à quitter leur travail un mois par an
pour servir. Dans un contexte de compétition constante,
il est impensable de renoncer à un mois complet de tra-
vail, ou de loisirs. Certes, ils perçoivent une compensation
financière depuis 1982, mais celle-ci est jugée insuffisante.
En outre, seuls 30 % des réservistes – surtout des com-
battants – effectuent réellement un temps chaque année,
chiffre utilisé pour montrer un défaut d’équité au sein de
Tsahal et revendiquer la fin des périodes de réserve obli-
gatoire54.
Depuis les années 2000, les recrues de Tsahal sont
essentiellement confrontées à des missions qui s’apparen-
tent à des opérations de police et au maintien de l’ordre

51. LEVY, 2011.


52. David KHALFA, « Entre le Glaive et le Livre, la place et le rôle
des soldats nationaux-religieux au sein des Forces de défense d’Israël »,
Israël et son armée, 2010, p. 61-117.
53. RAZOUX, 2013, p. 29.
54. LEVY, 2011, p. 69.

220

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UNE POPULATION QUI DOUTE DE SON ARMÉE ?

dans les territoires occupés. De nombreux soldats retirent


une mauvaise expérience de leur passage dans l’armée ; la
routine de leur mission de surveillance, couplée à la ten-
sion présente dans la vie civile avant leur engagement, peut
les pousser à la faute, surtout lorsqu’ils sont confrontés à
des populations civiles qui les détestent, et parmi lesquelles
se cachent de véritables combattants. Sorti en septembre
2017, le film israélien Foxtrot du réalisateur Samuel Maoz
met en lumière ce malaise des jeunes conscrits, un désen-
chantement déjà filmé par Yaky Yosha, dans Shalom, la
prière de la route (1974), ou Assi Dayan dans la Colline
Halfon ne répond plus (1976).
Des soldats, appelés les refuzniks, s’opposent à l’enrô-
lement dans l’armée s’ils doivent intervenir dans ces ter-
ritoires. Forts de leur connaissance du droit, des réseaux
sociaux et de l’importance de l’opinion médiatique, ils
n’hésitent pas à s’opposer au gouvernement et à la hié-
rarchie militaire pour faire entendre leur refus de servir
dans les forces. L’organisation la plus importante, Breaking
the Silence, continue de collecter les témoignages quoti-
diens de soldats ayant mal vécu leur service dans les terri-
toires occupés, ou refusant d’y aller. Ils ne craignent plus
d’être considérés comme des traîtres55. Le site internet du
groupe veut « interroger le prix moral payé pour le contrôle
d’une population civile ». S’y ajoutent même des photos
prises sur le vif et des vidéos. À l’inverse, les débordements
commis par les jeunes conscrits ne sont plus couverts par

55. Sébastien LEBAN, « Ces Israéliens qui refusent de porter les


armes », Paris Match, 25 mars 2015.

221

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

l’État, qui se refuse à protéger ses soldats à n’importe quel


prix56.
C’est dans ce contexte que l’unité mixte Caracal a été
sollicitée pour effectuer le désengagement des colonies
israéliennes à Gaza à partir de 2004. Si, à l’origine, les
femmes y avaient été intégrées pour pallier le manque
d’effectifs masculins, progressivement leur présence sur le
terrain, dans les territoires palestiniens, a été jugée néces-
saire, en raison de leur sang-froid lors des fouilles ou dans
les relations avec la population civile57. Cela a permis aux
femmes combattantes de gagner en influence dans les
armées, mais révèle aussi le mal-être chez les hommes.
Parmi les efforts nouveaux que Tsahal déploie envers
les jeunes figure la question des homosexuels, mais il s’agit
pour le moment surtout d’un effet de communication,
l’armée cherchant à capitaliser sur une image novatrice et
ouverte, en phase avec la société occidentale. On repère
le même phénomène à l’égard des handicapés. Des pro-
grammes spéciaux ont été mis en place pour permettre
aux handicapés d’effectuer leur service militaire 58. Une
unité spécialisée du renseignement, l’Unité 9900, a vu le
jour en 2014, formée en partie par des personnes handica-
pées, lesquelles sortent ainsi du cocon familial et préparent
leur passage dans la vie active59.

56. « Le président israélien refuse de gracier Elor Azaria », The Times of


Israel, 19 novembre 2017.
57. SASSON-LEVY, 2013, p. 85.
58. « Israël, Tsahal : L’intégration d’autistes, un atout pour l’armée »,
EuropeIsraëlnews, 2 juillet 2016.
59. « Les autistes au sein de Tsahal : rencontrez les génies de l’Unité
spéciale des Renseignements 9900 », tsahal.fr.

222

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Conclusion :

Un acteur national,
militaire et politique

Un rôle incontestable dans la cohésion


nationale

L’histoire de l’État hébreu est profondément liée à celle


de son armée qui est l’institution la plus solide du pays, la
plus prestigieuse au sein de la société, qu’elle a d’ailleurs
contribué à façonner1. L’État a vu le jour dans un contexte
de tensions extrêmes qui n’ont pas décru depuis près de
70 ans. Les questions sécuritaires sont donc toujours res-
tées au centre des préoccupations des citoyens. Pendant
longtemps, le cursus classique de l’homme politique était
d’avoir effectué toute sa carrière dans les forces armées
avant de se reconvertir dans le débat public. Les citoyens
israéliens accordaient à ces hommes une plus grande légi-
timité qu’à n’importe qui d’autre pour gouverner Israël
et le protéger des menaces environnantes. Seuls certains
intellectuels soulignaient leur manque de compétences
dans d’autres domaines comme l’économie ou les relations
internationales.

1. « Quel est le niveau de confiance en Tsahal en Israël ? Impression­


nant ! », Israelivalley, 5 octobre 2017.

223

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

La société s’est précocement militarisée à travers


Tsahal. Pour ce faire, le principal outil d’homogénéisation
et d’aguerrissement fut le service militaire, qui facilitait
aussi l’intégration des populations juives issues de la dias-
pora (Éthiopiens, Russes, etc.), voire des non-Juifs d’Is-
raël (par exemple les Druzes). Il fallait en outre brasser
les laïcs et les orthodoxes, les Juifs nés en Israël et ceux
issus des différentes Aliya. L’armée a donc participé au
développement d’une identité israélienne et d’une culture
commune. Depuis ses origines, pour les filles comme pour
les garçons, le service militaire fait figure de rite de pas-
sage nécessaire pour s’insérer efficacement dans la société,
même sur le plan économique. La conscription n’a donc
jamais été contestée, mais régulièrement réformée et adap-
tée. Même les jeunes Israéliens, souvent critiques envers
l’institution, estiment qu’un nouveau conflit conventionnel
est toujours possible avec les pays voisins et qu’on ne peut
trop baisser la garde.
Tsahal occupe donc un rôle prépondérant en formant
les citoyens, en les intégrant et en favorisant la cohésion
nationale. L’armée est la seule institution qui permet aux
Israéliens qui ne sont pas pratiquants ou qui ne sont pas
Juifs d’être considérés comme des citoyens à part entière.

Une institution militaire en mutation permanente

Pourtant, à partir des années 1980, Tsahal a vécu une


remise en cause radicale, car l’armée la plus puissante du
Moyen-Orient a été confrontée à une série de conflits asy-
métriques exclusivement en zones urbaines, habitées par
des civils, conflits dont elle n’est sortie ni victorieuse ni
réellement perdante. Le prestige de l’armée a commencé

224

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CONCLUSION

à décroître car elle s’était engagée dans le bourbier liba-


nais, au-delà des frontières du pays, et alors que l’État
hébreu n’était plus menacé par ses voisins. Parallèlement,
alors que les risques d’invasion s’éloignaient, la société
israélienne a été tentée de remettre en question les valeurs
militaires pour préférer celles de la réussite individuelle,
de la consommation et des loisirs, en adéquation avec la
mondialisation.
Les gouvernements et l’état-major ont tergiversé pour
trouver une nouvelle doctrine militaire et stratégique, et
ont eu du mal à répondre aux difficultés rencontrées par
les soldats dans ce contexte inédit. L’armée s’est donc
adaptée et modernisée pour faire face aux mutations de
la société et de la guerre au Proche-Orient. La doctrine
éthique de l’État hébreu a été rappelée, parallèlement aux
règles du droit international sur les conflits armés.
La population avait placé beaucoup d’espoir dans les
accords d’Oslo de 1993. Or, l’échec de la paix a créé une
fracture idéologique autour des questions de défense, entre
les partisans de la paix à tout prix de plus en plus isolés,
et les héritiers d’une ligne sécuritaire plus dure, celle qui
avait permis les victoires contre les armées arabes. Entre
ces deux tendances opposées, la majorité constate dépitée
que l’Iran étend son influence aux portes du Golan, que
l’Autorité palestinienne est de moins en moins légitime et
que l’incompréhension avec les Palestiniens n’a jamais été
aussi grande.
Tsahal est donc dans un processus permanent d’évo-
lution et d’adaptation, car le contexte l’exige. La dernière
réforme date de septembre 2017 et a été lancée par le chef
d’état-major Gadi Eizenkrot. Afin d’améliorer l’efficacité
des forces spéciales, dont la formation est plus longue que
les autres unités, leur temps de service passera à huit ans au

225

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 225 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

lieu de trois. En compensation, ils recevront une augmen-


tation de solde et pourront suivre un cursus universitaire2.
Ce type de décision peut conduire Tsahal vers la voie de la
professionnalisation. De fait, face au rejet croissant d’une
conscription inégalitaire, de plus en plus communautari-
sée, Israël peut être tenté de professionnaliser sa défense, à
l’image de ses homologues européens3. Ce processus ferait
sans doute de l’armée un outil plus adapté aux conflits
asymétriques, avec des soldats plus motivés, plus exigeants
et mieux formés à la doctrine éthique de Tsahal.
Mais une telle évolution reviendrait à se priver du prin-
cipal outil de cohésion nationale et d’identité israélienne.
En effet, l’école ne peut jouer ce rôle, car une multitude
de systèmes éducatifs cohabitent en Israël, selon l’ap-
partenance communautaire des individus (Druzes, Juifs
laïcs, Juifs orthodoxes, Juifs russophones, etc.). Supprimer
le service militaire reviendrait à accélérer le fraction-
nement social et le communautarisme en Israël, et cela
dans un contexte international instable. En revanche, une
adaptation de la conscription paraît inévitable. Certains
proposent un service militaire plus long, allant jusqu’à
quatre ans pour les officiers, ou un retour à une égalité de
traitement entre tous les conscrits, afin d’éviter une armée
et une réserve à plusieurs vitesses, opposant d’excellentes
unités spéciales à des conscrits peu motivés, pressés de
retourner à la vie civile, soutenus par les « lobbys des mères
de soldats », promptes à agir dans les média4.

2. « Ere nouvelle. Les Forces spéciales de Tsahal en pleine réforme »,


Israel Valley (Chambre de commerce France-Israël), 14 septembre
2017.
3. LEVY, 2011, p. 78.
4. RAZOUX, 2013.

226

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 226 11.09.18 09:43


CONCLUSION

L’état-major tente de doser l’enrôlement des popula-


tions dans les différentes unités pour éviter que le commu-
nautarisme ne gangrène les unités ou certains domaines
d’activité. La fuite des Ashkénazes nés en Israël de l’infan-
terie et de la cavalerie a été compensée par l’arrivée des
Juifs russophones et des religieux, motivés pour combattre
en première ligne au nom d’un patriotisme austère. Mais
leur dureté à l’égard des Palestiniens dans le domaine poli-
tique ou lors des opérations de contrôle d’émeutes peut
brouiller l’image d’armée responsable que Tsahal veut
incarner à l’international.

Un acteur politique grandissant

L’armée israélienne a toujours été loyale à l’État et à


la nation. Cela ne fait aucun doute. Le pays a été long-
temps gouverné par d’anciens combattants, et pourtant le
système démocratique n’a jamais été remis en cause. Ici,
nul putsch échoué, nul pronunciamento militaire ; même
l’assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin (1995) fut
le fait d’un colon juif qui était un civil. Les officiers qui
basculent dans la vie politique se retrouvent sur l’ensemble
de l’échiquier idéologique, depuis les travaillistes jusqu’à la
droite religieuse. L’omniprésence du fait militaire dans la
vie individuelle et collective des Israéliens ne dégénère pas
pour autant dans un militarisme obsessionnel5.
Pourtant, les inquiétudes dans le pays, le poids gran-
dissant des russophones et des religieux, l’état d’instabilité
chronique au Proche-Orient sont autant de facteurs qui
justifient la place des militaires dans la vie politique du

5. ENCEL, 2005.

227

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 227 11.09.18 09:43


TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

pays. Le contexte depuis 2001 est favorable à un retour


au pouvoir des généraux, notamment issus des nouvelles
classes, marquées par un sionisme moins socialisant,
moins laïc. Les milieux sociaux proches des colons et des
religieux pénètrent dans les états-majors et voudront peser
auprès des responsables politiques afin d’obtenir des déro-
gations au service militaire au profit des Juifs orthodoxes.
Pour tous ces groupes, la carrière militaire pourrait repré-
senter un outil politique au profit d’une communauté par-
ticulière, aux dépens de la nation israélienne tout entière,
favorisant ainsi son émiettement.
Sur sa gauche, Tsahal est attaqué par les média interna-
tionaux à propos de ses opérations sur la Bande de Gaza,
mais aussi par des activistes opposés à la construction
des colonies. Ces derniers craignent pour la démocratie
israélienne, qui serait malade de ses hommes politiques,
de leur manque de hauteur de vue, malade de la question
palestinienne. Contre ceux qui doutent, le risque est grand
d’appeler à l’autocensure et au refus de l’autocritique6.
Ainsi, si Tsahal est toujours au cœur d’Israël, il n’en est
plus la matrice unique comme autrefois.

6. HALEVI, 2017.

228

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Annexes

Chiffres sur Israël et Tsahal.


Population
Population totale 8 680 000
Juifs 6 484 000
Arabes 1 808 000
Autres (chrétiens non Arabes, 388 000
Circassiens…)
Orientations religieuses des Juifs
Laïcs 2 853 000
Religieux 713 200
Traditionnalistes 2 334 200
Ultra-orthodoxes 583 600
Orientations religieuses des Arabes
Sunnites 1 506 000
Chrétiens 151 900
Druzes 148 200
Les femmes dans l’armée
Proportion de soldates servant comme combattantes
2001 0,5 %
2013 4%
Proportion de femmes officiers
En 2006 49 %
En 2012 57 %
Sources : Bureau des statistiques israélien (2017), tsahal.fr.

229

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 229 11.09.18 09:43


Les carrières militaires des Premiers ministres d’Israël.

Période de Ministre de la Défense


Prénom Nom Carrière militaire du Premier ministre
fonction de son gouvernement
David Ben 1948-1954 David Ben Gourion Néant
Gourion
Moshé Sharett 1954-1955 Pinhas Lavon Néant
David Ben 1955-1963 David Ben Gourion Néant
Gourion

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 230


Levi Eshkol 1963-1969 Levi Eshkol Néant
Moshe Dayan
Yigal Allon 1969 (Intérim) Moshe Dayan Membre de la Jewish Settlement Police, de la Haganah, des SNS
puis du Palmach ; major général de Tsahal
Golda Meir 1969-1974 Moshe Dayan Néant
Yitzhak Rabin 1974-1977 Shimon Pérès Membre du Palmach, chef d’état-major des armées (1964-1968)
Menahem Begin 1977-1983 Ezer Weizman Commandant de l’Irgoun
Menahem Begin
Ariel Sharon

230
Yitzhak Shamir 1983-1984 Moshe Arens Membre du Lehi, chef des opérations du Stern
Yitzhak Rabin
Shimon Pérès 1984-1986 Yitzhak Rabin Néant
Yitzhak Shamir 1986-1992 Yitzhak Rabin Supra
Moshe Arens
TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Yitzhak Rabin 1992-1995 Yitzhak Rabin Supra


Shimon Pérès 1995-1996 Shimon Pérès Néant
Benyamin 1996-1999 Yitzhak Mordechai Service militaire dans les commandos sayeret
Netanyahou Moshe Arens
Ehud Barak 1999-2001 Ehud Barak Commandant de sayeret, général, chef d’état-major des armés
(1991-1995)
Ariel Sharon 2001-2006 Shaul Mofaz Supra
Ehud Olmert 2006-2009 Amir Peretz Néant
Ehud Barak
Benyamin 2009… Ehud Barak Supra
Netanyahou Moshe Ya’alon
Avigdor Liberman

11.09.18 09:43
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236

7211 Tsahal au coeur d'Israël.indd 236 11.09.18 09:43


Table des matières

Introduction............................................................... 9

Première partie :
La construction de l’appareil défensif :
l’ère des milices (1903-1947)

1. Les prémices de la défense juive............................ 13


2. L’Hashomer, première milice.................................. 21
3. La Haganah et la naissance de l’armée clandestine. 30
4. Le kibboutz comme outil de défense..................... 46

Seconde partie :
Les débuts de Tsahal (1947-1967)

1. Le déclenchement de la guerre civile..................... 53


2. La formation de l’État d’Israël (1947-1948).......... 64
3. La victoire d’Israël................................................. 72
4. De la révolte palestinienne à la Crise de Suez
(1956)..................................................................... 80
5. L’âge d’or de Tsahal (1956-1967)......................... 90

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

Troisième partie :
La chute du modèle kibboutzim (1967-1977)

1. Redéfinir Israël et Tsahal après la victoire.............. 101


2. La Guerre du Kippour et ses conséquences
politiques............................................................... 112
3. Un nouvel esprit.................................................... 118

Quatrième partie :
Tsahal comme force intégratrice

1. Le rôle central du service militaire......................... 126


2. Les activités militaro-économiques........................ 134
3. La place des femmes.............................................. 145
4. Les nouveaux migrants.......................................... 152
5. La question des minorités ethniques...................... 157

Cinquième partie :
Le système défensif d’Israël
dans le nouveau Moyen-Orient

1. Tsahal et le Hezbollah............................................ 170


2. L’évolution de la question israélo-palestinienne..... 181
3. Jihadisme et danger iranien en Syrie depuis 2011.. 192

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TABLE DES MATIÈRES

Sixième partie :
Une population qui doute de son armée ?

1. Une armée face aux critiques depuis 1982............ 200


2. L’éthique de Tsahal face à la disproportion du feu. 208
3. La question religieuse............................................ 213
4. Les jeunes et Tsahal............................................... 219

Conclusion :
Un acteur national, militaire et politique

Un rôle incontestable dans la cohésion nationale....... 223


Une institution militaire en mutation permanente..... 224
Un acteur politique grandissant................................. 227

Annexes

Chiffres sur Israël et Tsahal....................................... 229


Les carrières militaires des Premiers ministres
d’Israël................................................................... 230

Bibliographie............................................................. 231

Index......................................................................... 241

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Index

A CIA, 122, 153

Abdülmecit Ier, 162


D
Abdur Rahman Aref, 93
Abraham, 235 Daech, 192, 225
accords de camp David, 120 David, 53, 127, 145, 213, 215
accords d’Oslo, 217 Degania, 27
Affendi, Kamal, 28
Al-Assad, Bachar, 164 E

B Egypte, 25
Eretz Israël, 24
Balfour, Déclaration, 26
Bardelas, 150 G
Bar-Guiora, 21, 22, 23
Begin, Menahem, 120, 215 Galilée, 23, 27
Ben Gourion, Daviv, 126,
127, 130, 145, 213, 215 H
Breaking the Silence, 209, 221 Haganah, 23, 82, 136, 165
Ha Roeh, 23
C Hashomer, 21, 22, 23, 25, 26,
Caracal, 149, 150, 222 27, 125
Chaytor, Edward (Sir), 26 He-Halutz, 27
Check Point Software Herev, 167
Technologies, 142 Herzl, Theodor, 15
Chen, 145

241

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TSAHAL AU CŒUR D’ISRAËL

I Nevi Shoueib, 166, 168


Nice Systems, 142
Iron Dome, 142, 188
Israël, 28
O

J ONU, 78, 171, 175, 179, 187


opération Moïse, 152
Jabotinsky, Ze’ev, 25, 27
opération Mousquetaire, 236
Jérusalem, 26
opération Pilier de Défense,
Jésus Christ, 152
188
Johnson, 98
opération Salomon, 153
Judée, 23
Ottoman, 26

K
P
Kfar Giladi, 23
Paix en Galilée, 130, 172
Kyriat Shmona, 28
Palestine, 24, 25, 27
Palmach, 163
L Pasha, Cemal, 25
Légion Juive, 27 plan Prawer, 163
Portugali, Mendel, 22
M Poutine, Vladimir, 156

Maklef, Mordechai, 82 S
Maoz, Samuel, 221
Meir, Golda, 113 Sadate, 115, 120
Samarie, 23
N Schmidt, Eric, 140
Sejera, 21, 23
Nacht, Marius, 142 Sharon, Ariel, 118, 176, 183,
Nahal, 130, 131 217
Nations Unies, 65, 187 Shohat, Yisrael, 22
Netafim, 139 Shomrim, 22, 23
Netanyahou, Benjamin, 155, Shoueib, 168
168, 216

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INDEX

T Y

Talpiot, 142, 143 Yishouv, 25, 26


Tarif, Amin, 165 Yossef, Yitzhak, 145
Tcherkesse, 22
Technion, 141, 143 Z
Tel Khaï, 28
Tevet-Wiesel, Rachel, 148 Zeid, Alexander, 22
Trumpeldor, Joseph, 25, 27 Zion Mule Corps, 25, 27

Weizman, Ezer, 147


Winograd, 178, 220

243

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