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2023 15:10
Nuit blanche
URI : https://id.erudit.org/iderudit/20062ac
Éditeur(s)
Nuit blanche, le magazine du livre
ISSN
0823-2490 (imprimé)
1923-3191 (numérique)
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Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 2006 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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La représentation du conflit
Par
Jean-Pierre Tusseau
D
ans ces conditions, comment Palestiniens. Une vraie paix, juste pour
oser aborder le conflit dans tous, où chacun a sa place et respecte
les oeuvres destinées à la l'autre. C'est la seule issue. On le sait
jeunesse ? Quelques auteurs bien. Mais pourquoi faut-il tant de temps,
courageux et talentueux l'ont fait. Des tant de sang pour que les idées les plus
éditeurs ont pris le risque de les publier. sages progressent enfin ? » C'est à ce
Mais on en propose rarement l'étude en processus de paix que son livre voudrait
milieu scolaire. modestement contribuer.
L'évacuation par l'armée israélienne C'est aussi le sens de cette sélection
des colonies implantées dans la bande d'une dizaine d'œuvres accessibles aux
de Gaza et la création d'un nouveau enfants du secondaire.
parti, Kalima, ont brisé des tabous. Les
« faucons » les plus intransigeants ont
Les auteurs
fait un pas décisif en imposant à leurs
partisans la position que la paix et la Si notre choix s'est principalement porté
sécurité allaient de pair avec la création sur des livres écrits en français, tous
d'un État palestinien viable, position qui n'expriment pas des points de vue
n'était jusqu'alors soutenue, et minori- d'auteurs francophones. Certains sont
tairement, que par les pacifistes et les traduits de l'hébreu {Riki, un enfant
travaillistes. Mais, depuis Oslo et Camp à Jérusalem, Samir et Jonathan, Les
David, les espoirs sans cesse déçus par fugueurs de Jabalya), un autre de
des accords non appliqués ont suscité l'italien (Rêver la Palestine), un autre
beaucoup d'amertume, puis l'assassinat de l'américain (La colombe de Gaza).
d'un premier ministre qui acceptait de Dans leur échange de correspondance,
négocier la paix, la mort de celui qui Mervet et Galit écrivent chacune dans sa
avait su unilatéralement imposer un langue : Si tu veux être mon amie est
premier retrait des colonies. Les paci- ainsi traduit de l'arabe et de l'hébreu.
fistes sont mal à l'aise, les extrémistes La voix des auteurs n'est pas neutre.
s'en trouvent renforcés et le scepticisme Du côté israélien, les histoires per-
a gagné l'ensemble de la population. sonnelles ne sont pas identiques. Yaël
Comme l'écrit Véronique Massenot, Hassan, d'origine polonaise, appartient
auteure de Soliman le pacifique, « [... ] « à la génération des enfants de rescapés »
je veux croire à la paix entre Israéliens et et de ce fait dit « avoir reçu la Shoah en
SAMIR ET JONATHAN
Daniella Carmi père un soir qu'il avait bu en ajoutant des plantes
Prix Unesco de la littérature pour l'enfance trop d'arak, Ludmilla qui pour l'oxygène et en
et la jeunesse au service de la tolérance lui semble une princesse faisant un écran de gaz
Trad. de l'hébreu par Sylvie Cohen
et surtout le blond pour éviter le rayonne-
Le Livre de Poche jeunesse, Paris, 2002,
220 p. ; 9,50 $
Jonathan, toujours plongé dans des livres sur ment, en creusant un grand lac pour faire
les étoiles. comme une mer... C'est évidemment un long
Le narrateur de ce roman à la première Samir est étonné de la propreté et du calme passage métaphorique, réunion d'un enfant
personne, Samir, enfant palestinien, a fait une de l'hôpital où il n'y a « pas de bruit, pas de coup palestinien et d'un enfant israélien en train
chute en dévalant les marches de l'escalier du de feu, ni de fumée » et où l'on peut prendre de bâtir « un nouveau monde », qui se
marché à bicyclette. Il doit être opéré du trois repas par jour. Enfin, un chirurgien venu termine par cette réflexion de Samir : « Rien
genou dans un hôpital en Israël. Grâce à de Chicago, qui ressemble aux docteurs des n'est impossible du moment que nous
l'avocat chez qui elle travaille, sa mère a pu feuilletons que l'on voit à la télévision sommes ensemble ».
obtenir un laissez-passer qu'elle n'aurait pas jordanienne le lundi soir, procède à l'opération. Le père de Samir, qui n'a pas pu lui rendre
eu même en faisant « le siège devant les Un soir, Jonathan, qui avait promis à Samir visite en raison du « bouclage des territoires »,
bureaux des autorités militaires trois jours et de l'emmener sur Mars, apporte un fauteuil après avoir fait la queue trois jours durant
trois nuits de suite ». roulant et entraîne son ami dans une salle où il devant les bureaux de l'administration des
La rotule est brisée. Samir doit demeurer y a un ordinateur avec un lecteur de CD-ROM. territoires avec une lettre de l'hôpital, peut
à l'hôpital en attendant la venue d'un Deux enfants « qui se ressemblent comme enfin obtenir le laissez-passer pour venir
spécialiste de Chicago. Il partage donc deux gouttes d'eau » apparaissent sur l'écran, chercher son fils.
quelques jours une chambre avec plusieurs un bleu et un vert. Ça n'a aucune importance, Un livre généreux, écrit par une Israé-
enfants parmi lesquels Tsahi dont le frère est explique Jonathan, « ils sont faits de la même lienne vivant à Jérusalem, qui évoque bien la
soldat. C'est la première fois que Samir voit matière », comme tous les êtres vivants. situation difficile des Palestiniens. Une
un soldat de si près et sans casque. Il se Une fois sur Mars, les deux enfants histoire exemplaire, pleine d'espoir et de bons
demande si ce n'est pas lui qui a tué son frère s'efforcent de rendre la planète habitable en sentiments mais que les jeunes lecteurs
Fadi. Il y a aussi Razia qui a été battue par son creusant des tranchées pour arroser le sable, trouveront peut-être un peu statique. _<«
REVER LA PALESTINE
droit, dans de nombreux dialogues avec son
Randan Ghazy
Trad. de l'italien par Anna Buresi
entourage.
Flammarion, Paris, 2002, 211 p. Un livre de dénonciation qui voudrait
réagir à la vision unilatérale donnée par les
Comment les Palestiniens vivent-ils ? Quelles médias. Ainsi, à propos de la lapidation de
humiliations et quelles violences subissent-ils deux soldats : « Deux des quatre soldats
quotidiennement ? Que se passe-t-il dans moururent, ils furent sauvagement lapidés,
leurs têtes quand les soldats israéliens comme le dit Rabin et comme l'écrivirent les
investissent un village, entrent avec leurs quotidiens, mais chose étrange au contraire
chaussures dans les mosquées, tuent femmes on n'écrivit pas sur le garçon tué et sur la
et enfants, barrent les routes et laissent mère tuée... »
mourir dans une ambulance une femme Un livre qui accorde une trop large place à
enceinte et son enfant ? Certains prennent des des dialogues dont les locuteurs ne sont pas
pierres pour lapider des soldats, d'autres se toujours facilement identifiables, écrit dans
font kamikazes. Dans un tel contexte, l'amour une prose qui se veut poétique, étrangement
entre Ramy et la jeune Israélienne Sarah est disposée et parfois non ponctuée, ce qui en
évidemment impossible. L'auteur met surtout rend l'accès difficile.
en valeur l'état d'esprit d'un autre person- Pour les lecteurs persévérants uni-
nage, Ibrahim, fils de muezzin, étudiant en quement, r s
Q U A N D J'ETAIS
SOLDATE
nous manipulons avec de plus en plus
Valérie Zenatti d'aisance. Sans imaginer une seconde que
L'École des Loisirs, Paris, nous pourrions nous en servir un jour. »
2002, 262 p. ; 18,95 $ Les soldâtes ne combattent pas dans les
territoires et ne vont pas au combat. Valérie
Derrière ce titre un peu est donc affectée aux services de rensei-
ingrat, se cache un gnements et participe à une mission d'es-
témoignage autobio- pionnage aérien. Ce n'est donc qu'au cours de
graphique empreint déplacements en car ou de conversations
d'un certain humour. entre amis que sont évoqués le problème
C'est avec une certaine distanciation, due palestinien et les contradictions d'Israël. « Il y
au fait qu'elle ne soit arrivée en Israël qu'à a des gens trop riches et d'autres honteu-
l'âge de treize ans, que Valérie Zenatti évoque sement pauvres. Des ombres noires qui se
l'obligation de faire son service militaire, balancent en priant Dieu et des silhouettes en
comme les autres filles. minijupe qui dansent en croyant au plaisir de
Dès le début du livre, elle énonce avec un l'instant présent. Des militants qui veulent la
rien d'impertinence, les réponses à savoir par paix maintenant et qui savent que, pour cela,
cœur pour l'épreuve d'histoire de la Shoah, il faudra donner aux Palestiniens le droit de
obligatoire pour le baccalauréat en Israël. Si vivre comme ils l'entendent. Et d'autres qui
son statut de soldate ravit sa famille plus proclament leur attachement à la Terre de la
qu'elle-même, « Valerix légionnaire » évoque Bible, qui se bouchent les oreilles et masquent
un monde où « il semble que les mots utile' et les yeux pour ne pas savoir que trois millions
'logique' n'aient pas de réalité tangible ». Le de Palestiniens vivent - mal - à Gaza, dans
Les Palestiniens revendiquent le ton devient parfois grave, par exemple les collines de Judée et de Samarie. » C'est
droit de vivre et d'avoir un Etat lorsqu'elle évoque la fascination quefinitpar pourquoi, parfois, avec son ami Gali, elle se
sur des terres qu'ils appellent la procurer le maniement des armes. « Pourquoi mêle le vendredi soir à la manifestation des
Palestine et nous, les Israéliens, le cacher ? Mon pistolet mitrailleur me femmes en noir pour la paix, r*»
voulons exactement la même fascine. C'est un instrument de mort que
chose au même endroit, sauf
que nous appelons ce pays Israël.
Yaël Hassan, Tant que la terre LES CAILLOUX DU C H E M I N cachée, déguisée en maison de tous les jours.
pleurera..., p. 28. OU « L'INTIFADA, AU JOUR LA NUIT»
Pour y aller, tu te promèneras sans cartable,
Nicole Vennat
Syros-Alternatives, Paris, 1992, 45 p. ; 29,95 $
ni signe extérieur de scolarité. Chaque jour,
Maintenant, c o m m e t o i , je un professeur est désigné par les clandestins. »
connais la guerre et je me rends
Ce texte, accompagné d'aquarelles de L'auteure tente malgré tout de dégager
c o m p t e que ce n'est ni juste ni
l'auteure et de broderies de femmes quelques lueurs d'espoir. « Les livres d'histoire
agréable de vivre comme tu vis.
palestiniennes, s'efforce d'évoquer « le cadre de demain parleront, sans haine, des expul-
D'un côté, je comprends, mais de
et la trame de cette vie d'exil intérieur et sions et des occupations d'aujourd'hui.!...]
l'autre je me dis que c'est vous
extérieur des Palestiniens » et se présente Les enfants de Palestine et d'Israël liront-ils
qui êtes responsables. Chaque
comme « une succession d'histoires vraies ». un jour ensemble le mot fraternité ? »
fois qu'il y a le couvre-feu, ça
On y retrouve ce qui fait le quotidien des Une postface du professeur Paul Kessler
veut dire qu'il y a eu un meurtre.
Palestiniens en territoires occupés : écoles tente de désamorcer les risques de
C'est donc normal que vous
fermées, pierres lancées contre les voitures, protestations contre ce livre beau et généreux
soyez sous contrôle, pour éviter
enfants arrêtés, blessés, les tracts laissés la en précisant : « Si l'auteur manifeste une
les troubles et les rassemblements.
nuit « là où chacun passera demain », les évidente et chaleureuse sympathie vis-à-vis
[...] Tu es peut-être sympathique
mais t u es quand même arabe.
détentions administratives sans jugement, les des Palestiniens, il faut constater que son
À cause de ça, je ne pense pas
morts en prison... et les tentatives de œuvre ne reflète aucune animosité envers le
q u ' o n sera amies un jour.
résistance comme les cours de secourisme peuple israélien » et il rappelle l'existence,
Galit Fink et Mervet Akram
pour pouvoir donner les premiers soins aux en Israël, de mouvements pacifistes
Sha'ban, Si tu veux être mon amie, blessés ou l'école clandestine magnifiquement « minoritaires mais actifs, déterminés et
p. 1 1 1 . évoquée. « Il y a pour toi une école bien courageux ». _*•*
SOLIMAN LE PACIFIQUE
histoire, épisode qu'on transforme aussitôt en
(JOURNAL D'UN ENFANT DANS L'INTIFADA)
« prise d'otage ». Véronique Massenot
Une autre voix vient résonner, non pas en Le Livre de Poche jeunesse, Paris, 2003,
contrepoint comme dans les autres livres, 157 p. ; 8,95$
mais comme une ponctuation forte des
propos de Myasa, celle du « médecin aux yeux Véronique Massenot a imaginé le journal de
verts », le psychiatre qui s'occupe d'elle. Ni Soliman, enfant de Cisjordanie au moment
Israélien, ni Juif, il a « choisi de travailler un de la seconde Intifada.
temps dans cet État par sympathie, par Que faire du cahier à spirale « poussiéreux
conviction » mais il doit avouer que le rêve et tout gondolé » retrouvé dans les affaires de
s'est changé en cauchemar. Il emploie à son frère, tué par l'armée israélienne ? S'en
l'égard de ce qu'il voit des mots très forts servir pour poursuivre leur dialogue.
comme « racisme institutionnalisé » et « C'est ce qu'il fait en lui confiant pendant
apartheid ». Désenchanté, il profite de son un peu plus d'un an sa vie quotidienne.
congé pour quitter définitivement le pays en Le personnage est crédible. Il a une famille
emportant le journal de Myasa qu'il compare attachante, des amis avec lesquels il joue ou
à une bombe, « pas une bombe terroriste. Une discute, des préoccupations de son âge, il est
bombe pour ouvrir les yeux et ajouter de la amoureux de Nabila, fréquente l'école où il a
vie ». des problèmes avec certains professeurs et se
Un livre fort, révolté, sans concession, sans pose des questions essentielles sur la vie.
doute dérangeant, qui a cependant obtenu en Le livre s'ouvre par l'évocation du souve-
1994 le prix du Roman Jeunesse du Ministère nir qui lui fait le plus mal : l'enterrement de ce
de la Jeunesse et des Sports sur manuscrit frère qu'on dit « mort en martyr » alors qu'il a
anonyme. r « simplement été fauché par une rafale de
mitraillette qu'un soldat affolé tirait au hasard.
Il évoque l'entreprise complexe que repré-
sente le voyage jusqu'à Jérusalem avec son
ami Samy. Là-bas, il reconnaît la maison rose
Les premiers échanges sont empreints de de Yaya, sa grand-mère, celle où est né son
méfiance. « Qui se trouve en face réellement ? père avec « la fenêtre ovale au-dessus de la
C'est si facile, si trompeur, le mail. [...] On porte » et « le balcon aux barreaux torsadés Me voilà, moi, Samir, un enfant
peut s'inventer des identités, mentir, discuter imitant le volubilis » et dans laquelle sa des territoires, en train de pisser,
avec des gens qui mentent peut-être eux- famille a vécu jusqu'à la Nakbar, la catastro- en hurlant de rire et en me
mêmes ? » Mais la confiance s'instaure et phe, l'exode forcé d'un million de Palestiniens moquant royalement du monde,
chacun évoque sa lassitude, ses difficultés vers les pays voisins en 1948. Une autre dans un bac à sable en
quotidiennes, ses espoirs de paix, ses troubles famille y vit, dont une fillette qui lui sourit. compagnie d'un garçon juif dont
le frère est soldat. Oui. Chaque
psychologiques causés par l'insécurité Beaucoup de ses amis sont dans la même
jour, il me faudra un signe pour
réciproque et l'insupportable réalité quoti- situation. Les familles ont été chassées de leur
me rappeler que c'est vraiment
dienne. Ilsfinissentpar s'inquiéter l'un pour maison, de leur ferme, de leurs orangeraies
arrivé et que je n'ai pas rêvé...
l'autre, si l'armée israélienne entreprend une ou de leurs champs d'oliviers rasés par les Daniella Carmi, Samir et /onathan,
opération dans la bande de Gaza ou si un bulldozers. p. 207.
attentat se produit à Jérusalem. Ils posent des Pourtant, à la différence de la famille de
questions fondamentales : « Nos deux peu- son ami Samy qui ne cesse de parler du Tous, nous haïssons les colons
ples n'ont jamais été d'accord sur les mots. passé, de vivre dans le passé, chez Soliman, parce qu'ils nous volent nos
Vous dites 'Israël', on dit la 'Palestine' on a appris à vivre au présent. terres, nos eaux, notre liberté
[...].Vous dites un 'terroriste', on dit un La vie quotidienne en Cisjordanie est à d'aller et venir. Mais moi, ce qui
'martyr' [...). On devrait créer un dictionnaire l'image de ce que l'actualité parvient parfois à me trouble, c'est l'idée qu'on
binational ». nous faire entrevoir : bombardements, puisse être volontaire pour
Un beau livre écrit par une auteure qui a maisons détruites, jardins ravagés, secours vivre ainsi, dans cette sorte
vécu de l'intérieur les situations évoquées, un improvisés, déblaiement des ruines à la de prison... même dorée !
témoignage parfois déchirant, plein de brouette, récupération de quelques objets Véronique Massenot,
tendresse et d'optimisme. i « parmi les morts et les gravats, bouclage qui Soliman le pacifique, p. 32.
empêche les gens d'aller travailler, écoles du vieux professeur Rouslan : « Pour faire la
fermées, enfants qui restent prostrés à cause paix, il faut essayer de comprendre l'autre. Il
d'une crise d'angoisse, infirmière qui ne peut faut donc l'écouter et cesser de crier », Soli-
plus aller travailler à l'hôpital de Tel-Aviv man va chercher le contact avec les pacifistes
parce qu'elle est palestinienne, l'humiliation israéliens et, pour mieux comprendre et fra-
permanente. « Quel record doit-on battre ? se terniser, il va commencer à étudier l'hébreu.
demande l'enfant au cours du troisième mois Le journal de Soliman fait l'inévitable
de blocus. Pour quel concours absurde ? Le allusion au Journal d'Anne Frank, témoin
grand prix mondial du blocus' ? Et pour quelle comme lui d'un peuple martyr, que le vieux
récompense ? » De son côté, Soliman s'interroge professeur lui a donné à lire.
sur l'utilité de l'Intifada ou sur l'attentat-suicide Une brève présentation rappelle le
dans une discothèque en Israël. contexte historique et les conditions de la
La figure emblématique de ce peuple sans création de l'État d'Israël en 1948 puis la
avenir, c'est sans doute son copain Samy que difficile recherche d'un processus de paix
Soliman retrouve à l'hôpital « des bandages viable depuis 1993, que, d'une part, les extré-
autour des genoux - et plus rien dessous. mistes des deux camps se sont ingéniés à
Plus de pieds pour tenir debout. Plus de faire échouer et que compromet, d'autre part,
jambes pour se sauver ». « Nous sommes tous l'occupation, jugée illégale par l'ONU, d'une
amputés ! s'écrie Soliman. De nos droits, de partie de la Cisjordanie, de Gaza et de
nos rêves ! » Comme Yaya, sa grand-mère, il Jérusalem-Est.
pense que ce qui sépare les Juifs et les Pales- « Pourquoi notre histoire n'émeut-elle
tiniens aujourd'hui, ce ne sont ni les religions, personne ? » se demandait Soliman. Véronique
ni les coutumes, ni même la question de la Massenot nous aide à entendre sa parole.
terre « mais tous ces morts, tous ces chagrins Comme le titre l'indique, c'est un livre pour la
inconsolables ». Aussi, écoutant les conseils paix qu'il faudrait diffuser largement. _>. *
LA COLOMBE DE GAZA
Cathryn Clinton
Il est difficile de l'en dissuader alors qu'on »a_h_ _f»«i i __T__»
Trad. de l'américain garde précieusement dans la maison la photo
par Jacqueline Odin de famille montrant les grands-parents
Milan, Toulouse, 2005, « dans un jardin où poussent des jasmins et
240 p. ; 12,95$
un olivier » avec l'inscription « Jérusalem
Ce roman à la première 1946 ».
personne se présente Si l'on supporte tant bien que mal le
comme le témoignage couvre-feu, les bouclages avec fermeture des
de Malaak, une jeune écoles, les coupures d'eau, les maisons rasées
fille de onze ans qui vit pour l'exemple en représailles de l'assassinat
dans la bande de Gaza. d'un colon, le sentiment de vivre « en rési-
Illustration : Marcelino Truong
Un jour, son père, parti travailler en Israël, dence surveillée », tout peut à tout moment
n'est pas revenu. Une bombe du djihad a fait basculer dans la violence.
sauter le bus qu'empruntaient de nombreux Un enfant tué par les soldats israéliens, un Le livre, qui s'appuie sur un travail de
Israéliens. Du toit de sa maison, elle attend autre abattu parce qu'il arborait un drapeau recherche et des témoignages, résonne
son retour, se remémorant son dernier geste : palestinien en tête du cortège et qu'on va comme le diagnostic tragique d'une situation
le poing levé, le pouce en l'air pour signifier : enterrer « dans ses vêtements de martyr » complètement bloquée entre 1988 et 1989.
« Je vais gagner ». Depuis, elle n'en parle et Hamid lance à son tour des pierres sur les L'un de ses intérêts majeurs est de faire com-
presque plus et se confie surtout à son oiseau soldats, prenant part à la première Intifada, prendre comment Hamid, l'enfant poète,
Abdo. ce qui va faire de lui un autre enfant « tombé bascule dans la violence malgré la promesse
Malgré la mère qui ne cesse de répéter : à Gaza ». faite à sa mère et à sa sœur. Abdo, la colombe
« J'ai perdu mon mari. Je ne veux pas perdre Hamid écrivait des poèmes et l'un d'eux de Gaza, ne se serait-elle pas définitivement
mon fils », son frère Hamid est fortement rythme le livre : « Petit oiseau, pourquoi ne envolée ?
tenté de se comporter en shabib, jeune voles-tu pas là-haut ? / Y a-t-il trop de Le livre, accompagné de cartes et de repères
militant et combattant des pierres, comme barrières dressées ? / Trop de frontières à chronologiques, bénéficie d'une couverture
son copain Tariq. traverser ? » saisissante de Marcelino Truong. r e