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2023 15:10

Nuit blanche

La représentation du conflit israélo-palestinien dans la


littérature pour la jeunesse
Jean-Pierre Tusseau

Numéro 103, été 2006

URI : https://id.erudit.org/iderudit/20062ac

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Éditeur(s)
Nuit blanche, le magazine du livre

ISSN
0823-2490 (imprimé)
1923-3191 (numérique)

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Citer cet article


Tusseau, J.-P. (2006). La représentation du conflit israélo-palestinien dans la
littérature pour la jeunesse. Nuit blanche, (103), 36–44.

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L I T T É R A T U R E JEUNESSE

La représentation du conflit
Par
Jean-Pierre Tusseau

II n'est pas facile d'aborder le conflit israélo-palestinien sans s'attirer


immédiatement une foule de critiques. Qu'on se souvienne des
polémiques soulevées par la diffusion à la télévision du film Route 181 ou
du documentaire Laporte du Soleil. Un homme comme Edgar Morin,
ancien déporté, a été accusé d'antisémitisme et poursuivi en justice pour
avoir publiquement critiqué la politique de colonisation menée par le
gouvernement dirigé par Ariel Sharon.

D
ans ces conditions, comment Palestiniens. Une vraie paix, juste pour
oser aborder le conflit dans tous, où chacun a sa place et respecte
les oeuvres destinées à la l'autre. C'est la seule issue. On le sait
jeunesse ? Quelques auteurs bien. Mais pourquoi faut-il tant de temps,
courageux et talentueux l'ont fait. Des tant de sang pour que les idées les plus
éditeurs ont pris le risque de les publier. sages progressent enfin ? » C'est à ce
Mais on en propose rarement l'étude en processus de paix que son livre voudrait
milieu scolaire. modestement contribuer.
L'évacuation par l'armée israélienne C'est aussi le sens de cette sélection
des colonies implantées dans la bande d'une dizaine d'œuvres accessibles aux
de Gaza et la création d'un nouveau enfants du secondaire.
parti, Kalima, ont brisé des tabous. Les
« faucons » les plus intransigeants ont
Les auteurs
fait un pas décisif en imposant à leurs
partisans la position que la paix et la Si notre choix s'est principalement porté
sécurité allaient de pair avec la création sur des livres écrits en français, tous
d'un État palestinien viable, position qui n'expriment pas des points de vue
n'était jusqu'alors soutenue, et minori- d'auteurs francophones. Certains sont
tairement, que par les pacifistes et les traduits de l'hébreu {Riki, un enfant
travaillistes. Mais, depuis Oslo et Camp à Jérusalem, Samir et Jonathan, Les
David, les espoirs sans cesse déçus par fugueurs de Jabalya), un autre de
des accords non appliqués ont suscité l'italien (Rêver la Palestine), un autre
beaucoup d'amertume, puis l'assassinat de l'américain (La colombe de Gaza).
d'un premier ministre qui acceptait de Dans leur échange de correspondance,
négocier la paix, la mort de celui qui Mervet et Galit écrivent chacune dans sa
avait su unilatéralement imposer un langue : Si tu veux être mon amie est
premier retrait des colonies. Les paci- ainsi traduit de l'arabe et de l'hébreu.
fistes sont mal à l'aise, les extrémistes La voix des auteurs n'est pas neutre.
s'en trouvent renforcés et le scepticisme Du côté israélien, les histoires per-
a gagné l'ensemble de la population. sonnelles ne sont pas identiques. Yaël
Comme l'écrit Véronique Massenot, Hassan, d'origine polonaise, appartient
auteure de Soliman le pacifique, « [... ] « à la génération des enfants de rescapés »
je veux croire à la paix entre Israéliens et et de ce fait dit « avoir reçu la Shoah en

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L I T T É R A T U R E JEUNESSE

israélo-palestinien dans la littérature


pour la jeunesse
héritage ». Bien que née à Paris, elle tiniens au cours d'un séjour de plusieurs
avait fait le choix d'aller fonder une années au Maroc.
famille en Israël où elle a vécu quatorze Robert Gaillot a simplement réagi à
ans avant de revenir à Paris, se sentant l'injustice. « Je ne supporte pas, dit-il, la
« profondément juive culturellement loi du plus musclé, de celui qui a le plus
mais aussi profondément française ». de chars, l'assujettissement, le mensonge
Les parents de Valérie Zénatti ont émi- quotidien concernant ce conflit, l'abat-
gré en Israël alors qu'elle était déjà tage des oliveraies, la destruction des
adolescente. Elle y a même été soldate, maisons, les camps de réfugiés. »
expérience qu'elle relate dans un livre.
Ouzi Dekel, après avoir participé aux
Briser le mur
opérations militaires dans la bande de
d'incompréhension
Gaza, est devenu l'un des fondateurs du
mouvement « Yesh Gvoul », regroupant À l'exception de l'album de Robert
les soldats qui refusent de servir dans les Gaillot qui rappelle en quelques images,
« territoires ». accompagnées d'un très bref texte bilin-
D'un autre côté, Nicole Vennat, qui a gue (français-arabe), que la création de
travaillé avec les enfants dans les camps l'État d'Israël a entraîné l'exode forcé de
palestiniens, exprime une certaine Palestiniens, de Jacques Vénuleth dont
sympathie pour leur cause. C'est sans le personnage emploie des termes forts
doute pourquoi l'éditeur a pris soin de comme « racisme institutionnalisé » et
faire ajouter à son album « une postface « apartheid », et de Randa Ghazy qui a
exprimant une sensibilité juive ». fait un livre de dénonciation, chacun
Véronique Massenot, qui n'a jamais prend soin d'être extrêmement nuancé
été en Israël ni en Palestine, a sim- tout en exprimant une grande gêne à
plement réagi à un fait d'actualité qui l'égard du sort réservé aux Palestiniens,
la touchait, réalisant l'un des plus beaux principalement dans la bande de Gaza,
livres sur le sujet. Elle s'explique : lieu mentionné dans presque tous les
« N'est-ce pas le propre de l'écrivain que ouvrages.
de se projeter dans le vécu de l'Autre, de La construction d'un mur éventrant
l'explorer en profondeur et, par l'écri- les paysages, emprisonnant les uns,
ture, de faire partager cette exploration enfermant les autres n'est pas qu'une
au lecteur ? Je revendique, ajoute-t-elle, réalité matérielle, c'est aussi une réalité
le droit de parler de tout et envisage psychologique, comme le montre bien
mon travail comme celui d'un 'reporter le témoignage filmique de Simone
en chambre' envoyé sur le terrain de sa Bitton1. L'étude ou la lecture attentive
propre humanité confrontée à celle des de quelques-uns de ces livres pourrait
autres, tous les autres ». sans doute contribuer à briser l'incom-
Alors qu'il était « à peine sorti d'une préhension mutuelle.
phase admirative très dans l'air du temps
pour la geste israélienne », Jacques 1. Le Mur, film documentaire, France/Israël,
Vénuleth rencontre des exilés pales- lh40.

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RIKI, UN ENFANT A JERUSALEM


Riki, un enfant victoire », dit la grand-mère de Riki. Les
à Jérusalem David Shahar
Trad. de l'hébreu par Madeleine Neige
jeunes comme Benni, frère de Riki, appar-
Folio junior, Paris, 2003, 186 p. ; 10,95 $ tiennent au mouvement de jeunesse Irgoun
où « l'on apprend à se servir d'un fusil, d'un
Cet ouvrage écrit à la première personne revolver, à jeter des grenades, en fait à être
se présente comme la transcription d'un soldat ».
témoignage authentique recueilli par l'auteur Au cours d'une fugue, l'aventureux Riki
une quinzaine d'années auparavant. Il nous découvre la vie d'un kibboutz où tout le
ramène aux débuts du conflit israélo- monde s'appelle « camarade » et porte,
palestinien en 1947. comme son oncle, des vêtements de travail
Au climat d'inquiétude de la population kaki. Avec lui, on assiste aussi à la réception
juive de Jérusalem qui appréhende le départ de réfugiés clandestins, à l'acheminement
des soldats anglais, succède bientôt la vie d'un convoi pour défendre Jérusalem
difficile dans la ville assiégée par les Arabes, assiégée.
le manque d'eau, les obus, Un point de vue unila-
les bombardements. Mais téralement israélien avec
c'est une population forte- un regard amusé sur la foi
ment mobilisée, sûre de sans faille de la grand-
ses droits sur cette terre et mère et l'intransigeance
du caractère sacré de sa idéologique de l'oncle
cause. « Si nous faisons ce qui ne cesse de tout voir
qui est bien et droit aux comme « un malheur
yeux de Dieu et si nous national ».
sommes dignes de lui, À partir de dix ans. •>__»
nous obtiendrons la

SAMIR ET JONATHAN
Daniella Carmi père un soir qu'il avait bu en ajoutant des plantes
Prix Unesco de la littérature pour l'enfance trop d'arak, Ludmilla qui pour l'oxygène et en
et la jeunesse au service de la tolérance lui semble une princesse faisant un écran de gaz
Trad. de l'hébreu par Sylvie Cohen
et surtout le blond pour éviter le rayonne-
Le Livre de Poche jeunesse, Paris, 2002,
220 p. ; 9,50 $
Jonathan, toujours plongé dans des livres sur ment, en creusant un grand lac pour faire
les étoiles. comme une mer... C'est évidemment un long
Le narrateur de ce roman à la première Samir est étonné de la propreté et du calme passage métaphorique, réunion d'un enfant
personne, Samir, enfant palestinien, a fait une de l'hôpital où il n'y a « pas de bruit, pas de coup palestinien et d'un enfant israélien en train
chute en dévalant les marches de l'escalier du de feu, ni de fumée » et où l'on peut prendre de bâtir « un nouveau monde », qui se
marché à bicyclette. Il doit être opéré du trois repas par jour. Enfin, un chirurgien venu termine par cette réflexion de Samir : « Rien
genou dans un hôpital en Israël. Grâce à de Chicago, qui ressemble aux docteurs des n'est impossible du moment que nous
l'avocat chez qui elle travaille, sa mère a pu feuilletons que l'on voit à la télévision sommes ensemble ».
obtenir un laissez-passer qu'elle n'aurait pas jordanienne le lundi soir, procède à l'opération. Le père de Samir, qui n'a pas pu lui rendre
eu même en faisant « le siège devant les Un soir, Jonathan, qui avait promis à Samir visite en raison du « bouclage des territoires »,
bureaux des autorités militaires trois jours et de l'emmener sur Mars, apporte un fauteuil après avoir fait la queue trois jours durant
trois nuits de suite ». roulant et entraîne son ami dans une salle où il devant les bureaux de l'administration des
La rotule est brisée. Samir doit demeurer y a un ordinateur avec un lecteur de CD-ROM. territoires avec une lettre de l'hôpital, peut
à l'hôpital en attendant la venue d'un Deux enfants « qui se ressemblent comme enfin obtenir le laissez-passer pour venir
spécialiste de Chicago. Il partage donc deux gouttes d'eau » apparaissent sur l'écran, chercher son fils.
quelques jours une chambre avec plusieurs un bleu et un vert. Ça n'a aucune importance, Un livre généreux, écrit par une Israé-
enfants parmi lesquels Tsahi dont le frère est explique Jonathan, « ils sont faits de la même lienne vivant à Jérusalem, qui évoque bien la
soldat. C'est la première fois que Samir voit matière », comme tous les êtres vivants. situation difficile des Palestiniens. Une
un soldat de si près et sans casque. Il se Une fois sur Mars, les deux enfants histoire exemplaire, pleine d'espoir et de bons
demande si ce n'est pas lui qui a tué son frère s'efforcent de rendre la planète habitable en sentiments mais que les jeunes lecteurs
Fadi. Il y a aussi Razia qui a été battue par son creusant des tranchées pour arroser le sable, trouveront peut-être un peu statique. _<«

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REVER LA PALESTINE
droit, dans de nombreux dialogues avec son
Randan Ghazy
Trad. de l'italien par Anna Buresi
entourage.
Flammarion, Paris, 2002, 211 p. Un livre de dénonciation qui voudrait
réagir à la vision unilatérale donnée par les
Comment les Palestiniens vivent-ils ? Quelles médias. Ainsi, à propos de la lapidation de
humiliations et quelles violences subissent-ils deux soldats : « Deux des quatre soldats
quotidiennement ? Que se passe-t-il dans moururent, ils furent sauvagement lapidés,
leurs têtes quand les soldats israéliens comme le dit Rabin et comme l'écrivirent les
investissent un village, entrent avec leurs quotidiens, mais chose étrange au contraire
chaussures dans les mosquées, tuent femmes on n'écrivit pas sur le garçon tué et sur la
et enfants, barrent les routes et laissent mère tuée... »
mourir dans une ambulance une femme Un livre qui accorde une trop large place à
enceinte et son enfant ? Certains prennent des des dialogues dont les locuteurs ne sont pas
pierres pour lapider des soldats, d'autres se toujours facilement identifiables, écrit dans
font kamikazes. Dans un tel contexte, l'amour une prose qui se veut poétique, étrangement
entre Ramy et la jeune Israélienne Sarah est disposée et parfois non ponctuée, ce qui en
évidemment impossible. L'auteur met surtout rend l'accès difficile.
en valeur l'état d'esprit d'un autre person- Pour les lecteurs persévérants uni-
nage, Ibrahim, fils de muezzin, étudiant en quement, r s

LES TACUEURS DE JABALYA tants pour les Arabes ou l'Organisation de


CHRONIQUES D'UN CAMP DE RÉFUGIÉS
Libération de la Palestine (OLP). Le jour, on
PALESTINIENS
Ouzi Dekel
investissait l'école, où l'on travaille sans livre
Syros jeunesse, Paris, 2001, ni cahier, à la recherche de traces de peinture
92 p . ; 12,95$ sur les mains des enfants. Si l'on croyait tenir
un coupable, on procédait à l'arrestation
Cette courte fiction s'inspire de l'expérience nocturne : maison cernée, porte défoncée,
de l'auteur qui, en tant que soldat israélien, hommes alignés, frappés à coups de crosse
s'est lui-même trouvé à l'intérieur du camp dans les côtes, le ventre ou la tête, destruction
de réfugiés palestiniens de Jabalya, lieu de la maison du coupable et expulsion de la
hautement symbolique où s'était déclenchée famille vers un autre camp.
la première Intifada en décembre 1987. On comprend, dans ces conditions, qu'il
Dans un café de Tel-Aviv, en fin de jour- soit difficile à Youval de gagner la confiance
née, des amis lisent un article de journal des enfants ou d'entrer en contact avec
évoquant une stèle élevée à la mémoire des la représentante de l'Office des
enfants tués lors du massacre par l'artillerie Nations unies pour les réfugiés
israélienne de deux cents habitants du village palestiniens (UNRWA) qui
de Qana au Sud Liban. dispense la nourriture de
Le poème d'Ibn Al-Muqaffa, lu pour la base et l'aide médicale
circonstance, réveille en Youval les circons- d'urgence. « J'avais
tances dans lesquelles il a connu l'œuvre de l'impression, dit-il,
ce poète alors qu'il était soldat de première qu'elle me rendait
classe du bataillon d'artillerie 443 à Gaza. responsable de la
Les murs de l'école, devant laquelle il situation, comme si
devait monter la garde, étaient parfois tagués j'étais le chef de l'armée,
pendant la nuit. C'est ainsi que les habitants Au moins complice.
diffusaient les consignes ou les slogans C'est ce qu'a dû se
politiques en divers lieux stratégiques. Alors dire l'auteur. Après
la traque et les représailles s'organisaient. En avoir été incarcéré dans une prison militaire fondateurs du mouvement Yesh Gvoul,
pleine nuit, on obligeait les enfants à sortir pour avoir refusé de servir dans les territoires regroupant les soldats dans son cas, puis il a
des maisons et à taguer des slogans insul- palestiniens occupés, il est devenu l'un des choisi de venir vivre à Paris. •>__»

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Q U A N D J'ETAIS
SOLDATE
nous manipulons avec de plus en plus
Valérie Zenatti d'aisance. Sans imaginer une seconde que
L'École des Loisirs, Paris, nous pourrions nous en servir un jour. »
2002, 262 p. ; 18,95 $ Les soldâtes ne combattent pas dans les
territoires et ne vont pas au combat. Valérie
Derrière ce titre un peu est donc affectée aux services de rensei-
ingrat, se cache un gnements et participe à une mission d'es-
témoignage autobio- pionnage aérien. Ce n'est donc qu'au cours de
graphique empreint déplacements en car ou de conversations
d'un certain humour. entre amis que sont évoqués le problème
C'est avec une certaine distanciation, due palestinien et les contradictions d'Israël. « Il y
au fait qu'elle ne soit arrivée en Israël qu'à a des gens trop riches et d'autres honteu-
l'âge de treize ans, que Valérie Zenatti évoque sement pauvres. Des ombres noires qui se
l'obligation de faire son service militaire, balancent en priant Dieu et des silhouettes en
comme les autres filles. minijupe qui dansent en croyant au plaisir de
Dès le début du livre, elle énonce avec un l'instant présent. Des militants qui veulent la
rien d'impertinence, les réponses à savoir par paix maintenant et qui savent que, pour cela,
cœur pour l'épreuve d'histoire de la Shoah, il faudra donner aux Palestiniens le droit de
obligatoire pour le baccalauréat en Israël. Si vivre comme ils l'entendent. Et d'autres qui
son statut de soldate ravit sa famille plus proclament leur attachement à la Terre de la
qu'elle-même, « Valerix légionnaire » évoque Bible, qui se bouchent les oreilles et masquent
un monde où « il semble que les mots utile' et les yeux pour ne pas savoir que trois millions
'logique' n'aient pas de réalité tangible ». Le de Palestiniens vivent - mal - à Gaza, dans
Les Palestiniens revendiquent le ton devient parfois grave, par exemple les collines de Judée et de Samarie. » C'est
droit de vivre et d'avoir un Etat lorsqu'elle évoque la fascination quefinitpar pourquoi, parfois, avec son ami Gali, elle se
sur des terres qu'ils appellent la procurer le maniement des armes. « Pourquoi mêle le vendredi soir à la manifestation des
Palestine et nous, les Israéliens, le cacher ? Mon pistolet mitrailleur me femmes en noir pour la paix, r*»
voulons exactement la même fascine. C'est un instrument de mort que
chose au même endroit, sauf
que nous appelons ce pays Israël.
Yaël Hassan, Tant que la terre LES CAILLOUX DU C H E M I N cachée, déguisée en maison de tous les jours.
pleurera..., p. 28. OU « L'INTIFADA, AU JOUR LA NUIT»
Pour y aller, tu te promèneras sans cartable,
Nicole Vennat
Syros-Alternatives, Paris, 1992, 45 p. ; 29,95 $
ni signe extérieur de scolarité. Chaque jour,
Maintenant, c o m m e t o i , je un professeur est désigné par les clandestins. »
connais la guerre et je me rends
Ce texte, accompagné d'aquarelles de L'auteure tente malgré tout de dégager
c o m p t e que ce n'est ni juste ni
l'auteure et de broderies de femmes quelques lueurs d'espoir. « Les livres d'histoire
agréable de vivre comme tu vis.
palestiniennes, s'efforce d'évoquer « le cadre de demain parleront, sans haine, des expul-
D'un côté, je comprends, mais de
et la trame de cette vie d'exil intérieur et sions et des occupations d'aujourd'hui.!...]
l'autre je me dis que c'est vous
extérieur des Palestiniens » et se présente Les enfants de Palestine et d'Israël liront-ils
qui êtes responsables. Chaque
comme « une succession d'histoires vraies ». un jour ensemble le mot fraternité ? »
fois qu'il y a le couvre-feu, ça
On y retrouve ce qui fait le quotidien des Une postface du professeur Paul Kessler
veut dire qu'il y a eu un meurtre.
Palestiniens en territoires occupés : écoles tente de désamorcer les risques de
C'est donc normal que vous
fermées, pierres lancées contre les voitures, protestations contre ce livre beau et généreux
soyez sous contrôle, pour éviter
enfants arrêtés, blessés, les tracts laissés la en précisant : « Si l'auteur manifeste une
les troubles et les rassemblements.
nuit « là où chacun passera demain », les évidente et chaleureuse sympathie vis-à-vis
[...] Tu es peut-être sympathique
mais t u es quand même arabe.
détentions administratives sans jugement, les des Palestiniens, il faut constater que son
À cause de ça, je ne pense pas
morts en prison... et les tentatives de œuvre ne reflète aucune animosité envers le
q u ' o n sera amies un jour.
résistance comme les cours de secourisme peuple israélien » et il rappelle l'existence,
Galit Fink et Mervet Akram
pour pouvoir donner les premiers soins aux en Israël, de mouvements pacifistes
Sha'ban, Si tu veux être mon amie, blessés ou l'école clandestine magnifiquement « minoritaires mais actifs, déterminés et
p. 1 1 1 . évoquée. « Il y a pour toi une école bien courageux ». _*•*

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L I T T É R A T U R E JEUNESSE

SI TU VEUX ETRE M O N AMIE M O M O PALESTINE


Calit Fink et Robert Caillot
Mervet Akram Sha'ban Trad. en arabe par Kheïra
Trad. de l'arabe et de l'hébreu et Chérif Boudelal
par Ariane Elbaz Grandir, Nîmes, 2002, 20 p.
et Béatrice Khadige
Folio junior, Paris, 2002,
Cet album illustré bilingue arabe-français
209 p. ; 11,50$
raconte en quelques phrases soulignant des
Il s'agit d'un témoignage. Une images aux couleurs vives, presque agressives,
réalisatrice de films docu- l'histoire d'un enfant. Chassé de sa terre par
mentaires, Litsa Boudalika, des tanks qui ont tout écrabouillé et des bull-
a mis en relations Mervet, Palestinienne de dozers qui ont tout aplati, puis par les colons
13 ans vivant dans un camp, et Galit, Israé- qui se sont installés à l'emplacement de son
lienne de 12 ans qui vit à Jérusalem. Leur village qu'il avait voulu revoir, Momo ramasse
correspondance est entrecoupée de brefs des pierres qu'il lance sur les soldats. Ceux-ci
rappels de l'actualité : attentats, orangeraies ripostent avec leurs fusils et Momo meurt sur
et maisons rasées par des bulldozers, bou- la barricade. Froideur du ton complètement
clages, emprisonnements, expulsions, « badge dépouillé, qui coïncide avec la banalité de la
blanc » imposé aux « travailleurs étrangers » situation. Pas de commentaires mais le livre, loin
dans certaines colonies... d'être neutre, exprime une grande colère. r «
Les deux jeunesfillesexpriment d'abord
leur surprise : « Tu te rends compte, nous
sommes à un quart d'heure de distance et c'est TANT QUE LA TERRE PLEURERA...
comme si nous étions sur deux planètes Yaël Hassan
Casterman, Paris, 2004,
éloignées ». Mais, malgré une rencontre
134 p. ; 13,95 $
organisée à Jérusalem par deux oncles
pacifistes, avec le temps, la guerre du Golfe, Un enfant se fait agresser sur un terrain de
les échecs successifs des négociations de paix, jeu par un groupe en cagoules. Un simple fait TANT
les accords non appliqués, les relations se divers. Mais l'enfant, Samy, est juif. Il ne peut QUE LA TERRE
distendent. Si Galit, devenue adulte, est bien plus supporter de vivre dans un pays où « on PLEURERA...
consciente que la paix ne s'obtiendra qu'au ne parle jamais en bien d'Israël ». C'est là-bas
prix de la restitution des territoires occupés, qu'il désire aller vivre malgré l'opposition de d'abandonner
c'est à la condition, précise-t-elle, « qu'ils ses parents. Son point de vue un peu « parano son emploi. Pour
n'arrivent pas à nos belles frontières ». » est nuancé par celui de son ami Kamal, qui « laver l'honneur de la famille », Intissar, la
L'espoir demeure plus solide chez les est d'origine arabe, et par Enave, jeune studieuse, la sage, choisit de devenir shahida,
oncles. Ainsi, l'Israélien Shlomo confie : femme israélienne rencontrée dans l'avion. c'est-à-dire kamikaze. Le récit de ce bascu-
« Personnellement je me sens beaucoup plus Samy découvre en Israël l'omniprésence lement est certainement la partie la plus
proche d'un Palestinien qui veut la paix que de l'armée, les camps de réfugiés, les check- intéressante du livre parce qu'elle touche au
d'un Israélien qui ne veut pas la paix ». points où sont parfois bloquées les ambulances, destin du personnage sans faire intervenir
L'intérêt majeur, outre l'authenticité du le bouclage, les maisons palestiniennes des considérations morales.
témoignage, réside dans la variété des points détruites en représailles contre les familles Un livre accessible, composé de chapitres
de vue. des terroristes. Finalement, il réalise que ce courts, extrêmement mesuré, qui, par souci
Un riche dossier historique tente de qu'il appréciait en France, c'était l'impression d'équilibre, fait alterner plusieurs points de
retracer les origines bibliques des deux de sécurité. vue : Samy, l'enfant juif, son ami Kamal, un
peuples revendiquant la même terre, l'histoire En parallèle, l'auteur nous raconte l'his- jeune beur, Enave, la jeune Israélienne,
du mouvement sioniste, la responsabilité de toire d'une jeune Palestinienne, Intissar. Son Intissar, la Palestinienne.
l'Angleterre dans l'administration de la père travaille en Israël et défend des idées Un dossier d'une dizaine de pages expose
Palestine après le départ des Turcs, le rôle de pacifistes. Mais, à cause de la répression, il est ce qu'est le sionisme, évoque les conditions de
la Société des Nations (SDN) puis de l'Office accusé de collaboration et reçoit des menaces la création de l'État d'Israël et ses consé-
des Nations unies (ONU) et les différentes des membres de la Brigade des martyrs d'Al- quences, recense les différents accords qui
tentatives pour aboutir à un accord viable. Aqsa. Des graffitis couvrent le mur de sa ont tenté d'imposer un statut viable pour les
À partir de 11 ans. • « maison. Sa porte est bloquée. Il est contraint deux peuples. •«>

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L I T T É R A T U R E JEUNESSE

Tout ce qui nous reste pour LES PIERRES DU SILENCE


enfin, devant sa glace, elle pousse les mots-
garder notre dignité, c'est de Jacques Vénuleth
Le Livre de Poche jeunesse, Paris, 1995, 188 p. ; clés de son histoire : « Myasa ! Maison !
lancer des pierres. L'âge
8,95$ Soldats ! »
des pierres. L'âge de pierre.
Au fil des pages, elle raconte des
Ils sont arrivés à nous ramener
Publié en 1995, l'ouvrage est un des premiers fragments de son histoire, comment, à cause
à l'âge de pierre.
à aborder le problème palestinien, sur un ton de son grand-père qui n'avait pas obéi à
Jacques Vénuleth,
qui ne présente ni les nuances ni la l'ordre d'évacuer son village annexé, sa
Les pierres du silence, p. 75.
modération prudente des autres. famille est devenue israélienne. Suivant les
L'auteur a mis en exergue une courte déplacements de son père, elle a pu faire
citation de l'Ecclésiaste, reprise de manière ensuite une partie de ses études à Lausanne
plus développée par Yaël Hassan, disant qu'il où, n'osant dire qui elle était, « appartenant à
y a « un temps pour lancer des pierres, et un un pays qui n'existe pas », elle a tenté de se
temps pour ramasser des pierres ». forger une identité en se faisant passer pour
Il s'agit du journal, sans indication de une Grecque. Elle parle des villages
jour, ce qui assure la continuité du récit, d'une palestiniens comme Cheikh Munis, où vivait
jeune Arabe israélienne de quinze ans son grand-père, qui non seulement a été
nommée Myasa, internée dans ce qu'elle évacué, mais dont les maisons ont été rasées,
appelle « un hôpital de fous » après s'être à l'emplacement duquel les Israéliens ont créé
murée dans le silence à la suite d'un un site archéologique, avec des ruines romaines
traumatisme qu'elle tente progressivement de importées, pour bien montrer qu'il n'a jamais
dévoiler. La démarche est difficile. « Écrire n'a existé. Peuple sans terre, dont on nie non
rien réglé, constate-t-elle dans un premier seulement l'existence mais le passé.
temps. Au contraire. J'ai cru pouvoir tricher. Certaines scènes expriment une extrême
Me libérer à peu de frais, en douce, des mots tension, comme le passage où Myasa, sous la
encombrants. Les mots les plus encombrants menace d'une fourchette, oblige Sarah,
ne sont jamais venus. » Jusqu'au jour où l'infirmière israélienne, à écouter son

UNE BOUTEILLE DANS LA MER DE GAZA


- Tu n'en as pas marre d'y croire, Papa ?
Valérie Zenatti
L'École des Loisirs, Paris, 2005, 167 p. ; 17,95 $ - À quoi ?
- À la paix entre les Palestiniens et nous ?
Le livre s'ouvre par l'évocation de l'attentat au Ça doit faire trente ans maintenant que tu te
café Hillel à Jérusalem. « On a ramassé six bats pour ça, et que ça va de mal en pis.
corps. Ça s'appelle un attentat moyen », - Trente ans, ce n'est pas grand-chose
commente la jeune narratrice Tai Levine, dans l'Histoire. Tu verras quand tu seras
surtout marquée par la mort d'une jeune fille vraiment vieille.
de vingt ans, à la veille de son mariage. Valérie Zenatti,
Tai, dont les parents croient encore qu'il Une bouteille dans la mer de Caza, p. 153.
peut y avoir entre Israéliens et Palestiniens
« autre chose que des corps déchiquetés, du
sang et de la haine », est née précisément le Celui-ci se contente de l'enterrer dans le sable.
4 novembre 1995, jour de l'assassinat du Ce n'est pas une jeunefillede son âge qui
Premier Ministre Rabin, artisan de la paix. trouve la bouteille mais un jeune homme.
Pour ne pas effrayer les autres avec ce Alors commence entre « Barbouk » (Tai) et
qu'elle a en tête, elle décide de l'écrire, comme « Gazaman » (l'inconnu) une série d'échanges
Anne Frank, puis de le partager avec quel- de messages par Internet. Leur dialogue
qu'un « de l'autre côté ». Elle enferme son exemplaire pourrait-il être prémonitoire ? « Je
message dans une bouteille de champagne, veux continuer à croire que, si lui et moi
celle que ses parents avaient débouchée le parvenons à nous 'parler' vraiment, se dit Tai,
13 septembre 1993, au moment des accords ce sera la preuve que nous ne sommes pas
de Camp David, et la confie à son frère, mili- deux peuples condamnés à perpétuité à la
taire, pour qu'il la jette dans la mer de Gaza. haine sans remise de peine possible. »

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L I T T É R A T U R E JEUNESSE

SOLIMAN LE PACIFIQUE
histoire, épisode qu'on transforme aussitôt en
(JOURNAL D'UN ENFANT DANS L'INTIFADA)
« prise d'otage ». Véronique Massenot
Une autre voix vient résonner, non pas en Le Livre de Poche jeunesse, Paris, 2003,
contrepoint comme dans les autres livres, 157 p. ; 8,95$
mais comme une ponctuation forte des
propos de Myasa, celle du « médecin aux yeux Véronique Massenot a imaginé le journal de
verts », le psychiatre qui s'occupe d'elle. Ni Soliman, enfant de Cisjordanie au moment
Israélien, ni Juif, il a « choisi de travailler un de la seconde Intifada.
temps dans cet État par sympathie, par Que faire du cahier à spirale « poussiéreux
conviction » mais il doit avouer que le rêve et tout gondolé » retrouvé dans les affaires de
s'est changé en cauchemar. Il emploie à son frère, tué par l'armée israélienne ? S'en
l'égard de ce qu'il voit des mots très forts servir pour poursuivre leur dialogue.
comme « racisme institutionnalisé » et « C'est ce qu'il fait en lui confiant pendant
apartheid ». Désenchanté, il profite de son un peu plus d'un an sa vie quotidienne.
congé pour quitter définitivement le pays en Le personnage est crédible. Il a une famille
emportant le journal de Myasa qu'il compare attachante, des amis avec lesquels il joue ou
à une bombe, « pas une bombe terroriste. Une discute, des préoccupations de son âge, il est
bombe pour ouvrir les yeux et ajouter de la amoureux de Nabila, fréquente l'école où il a
vie ». des problèmes avec certains professeurs et se
Un livre fort, révolté, sans concession, sans pose des questions essentielles sur la vie.
doute dérangeant, qui a cependant obtenu en Le livre s'ouvre par l'évocation du souve-
1994 le prix du Roman Jeunesse du Ministère nir qui lui fait le plus mal : l'enterrement de ce
de la Jeunesse et des Sports sur manuscrit frère qu'on dit « mort en martyr » alors qu'il a
anonyme. r « simplement été fauché par une rafale de
mitraillette qu'un soldat affolé tirait au hasard.
Il évoque l'entreprise complexe que repré-
sente le voyage jusqu'à Jérusalem avec son
ami Samy. Là-bas, il reconnaît la maison rose
Les premiers échanges sont empreints de de Yaya, sa grand-mère, celle où est né son
méfiance. « Qui se trouve en face réellement ? père avec « la fenêtre ovale au-dessus de la
C'est si facile, si trompeur, le mail. [...] On porte » et « le balcon aux barreaux torsadés Me voilà, moi, Samir, un enfant
peut s'inventer des identités, mentir, discuter imitant le volubilis » et dans laquelle sa des territoires, en train de pisser,
avec des gens qui mentent peut-être eux- famille a vécu jusqu'à la Nakbar, la catastro- en hurlant de rire et en me
mêmes ? » Mais la confiance s'instaure et phe, l'exode forcé d'un million de Palestiniens moquant royalement du monde,
chacun évoque sa lassitude, ses difficultés vers les pays voisins en 1948. Une autre dans un bac à sable en
quotidiennes, ses espoirs de paix, ses troubles famille y vit, dont une fillette qui lui sourit. compagnie d'un garçon juif dont
le frère est soldat. Oui. Chaque
psychologiques causés par l'insécurité Beaucoup de ses amis sont dans la même
jour, il me faudra un signe pour
réciproque et l'insupportable réalité quoti- situation. Les familles ont été chassées de leur
me rappeler que c'est vraiment
dienne. Ilsfinissentpar s'inquiéter l'un pour maison, de leur ferme, de leurs orangeraies
arrivé et que je n'ai pas rêvé...
l'autre, si l'armée israélienne entreprend une ou de leurs champs d'oliviers rasés par les Daniella Carmi, Samir et /onathan,
opération dans la bande de Gaza ou si un bulldozers. p. 207.
attentat se produit à Jérusalem. Ils posent des Pourtant, à la différence de la famille de
questions fondamentales : « Nos deux peu- son ami Samy qui ne cesse de parler du Tous, nous haïssons les colons
ples n'ont jamais été d'accord sur les mots. passé, de vivre dans le passé, chez Soliman, parce qu'ils nous volent nos
Vous dites 'Israël', on dit la 'Palestine' on a appris à vivre au présent. terres, nos eaux, notre liberté
[...].Vous dites un 'terroriste', on dit un La vie quotidienne en Cisjordanie est à d'aller et venir. Mais moi, ce qui
'martyr' [...). On devrait créer un dictionnaire l'image de ce que l'actualité parvient parfois à me trouble, c'est l'idée qu'on
binational ». nous faire entrevoir : bombardements, puisse être volontaire pour
Un beau livre écrit par une auteure qui a maisons détruites, jardins ravagés, secours vivre ainsi, dans cette sorte
vécu de l'intérieur les situations évoquées, un improvisés, déblaiement des ruines à la de prison... même dorée !
témoignage parfois déchirant, plein de brouette, récupération de quelques objets Véronique Massenot,
tendresse et d'optimisme. i « parmi les morts et les gravats, bouclage qui Soliman le pacifique, p. 32.

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L I T T É R A T U R E JEUNESSE

empêche les gens d'aller travailler, écoles du vieux professeur Rouslan : « Pour faire la
fermées, enfants qui restent prostrés à cause paix, il faut essayer de comprendre l'autre. Il
d'une crise d'angoisse, infirmière qui ne peut faut donc l'écouter et cesser de crier », Soli-
plus aller travailler à l'hôpital de Tel-Aviv man va chercher le contact avec les pacifistes
parce qu'elle est palestinienne, l'humiliation israéliens et, pour mieux comprendre et fra-
permanente. « Quel record doit-on battre ? se terniser, il va commencer à étudier l'hébreu.
demande l'enfant au cours du troisième mois Le journal de Soliman fait l'inévitable
de blocus. Pour quel concours absurde ? Le allusion au Journal d'Anne Frank, témoin
grand prix mondial du blocus' ? Et pour quelle comme lui d'un peuple martyr, que le vieux
récompense ? » De son côté, Soliman s'interroge professeur lui a donné à lire.
sur l'utilité de l'Intifada ou sur l'attentat-suicide Une brève présentation rappelle le
dans une discothèque en Israël. contexte historique et les conditions de la
La figure emblématique de ce peuple sans création de l'État d'Israël en 1948 puis la
avenir, c'est sans doute son copain Samy que difficile recherche d'un processus de paix
Soliman retrouve à l'hôpital « des bandages viable depuis 1993, que, d'une part, les extré-
autour des genoux - et plus rien dessous. mistes des deux camps se sont ingéniés à
Plus de pieds pour tenir debout. Plus de faire échouer et que compromet, d'autre part,
jambes pour se sauver ». « Nous sommes tous l'occupation, jugée illégale par l'ONU, d'une
amputés ! s'écrie Soliman. De nos droits, de partie de la Cisjordanie, de Gaza et de
nos rêves ! » Comme Yaya, sa grand-mère, il Jérusalem-Est.
pense que ce qui sépare les Juifs et les Pales- « Pourquoi notre histoire n'émeut-elle
tiniens aujourd'hui, ce ne sont ni les religions, personne ? » se demandait Soliman. Véronique
ni les coutumes, ni même la question de la Massenot nous aide à entendre sa parole.
terre « mais tous ces morts, tous ces chagrins Comme le titre l'indique, c'est un livre pour la
inconsolables ». Aussi, écoutant les conseils paix qu'il faudrait diffuser largement. _>. *

LA COLOMBE DE GAZA
Cathryn Clinton
Il est difficile de l'en dissuader alors qu'on »a_h_ _f»«i i __T__»
Trad. de l'américain garde précieusement dans la maison la photo
par Jacqueline Odin de famille montrant les grands-parents
Milan, Toulouse, 2005, « dans un jardin où poussent des jasmins et
240 p. ; 12,95$
un olivier » avec l'inscription « Jérusalem
Ce roman à la première 1946 ».
personne se présente Si l'on supporte tant bien que mal le
comme le témoignage couvre-feu, les bouclages avec fermeture des
de Malaak, une jeune écoles, les coupures d'eau, les maisons rasées
fille de onze ans qui vit pour l'exemple en représailles de l'assassinat
dans la bande de Gaza. d'un colon, le sentiment de vivre « en rési-
Illustration : Marcelino Truong
Un jour, son père, parti travailler en Israël, dence surveillée », tout peut à tout moment
n'est pas revenu. Une bombe du djihad a fait basculer dans la violence.
sauter le bus qu'empruntaient de nombreux Un enfant tué par les soldats israéliens, un Le livre, qui s'appuie sur un travail de
Israéliens. Du toit de sa maison, elle attend autre abattu parce qu'il arborait un drapeau recherche et des témoignages, résonne
son retour, se remémorant son dernier geste : palestinien en tête du cortège et qu'on va comme le diagnostic tragique d'une situation
le poing levé, le pouce en l'air pour signifier : enterrer « dans ses vêtements de martyr » complètement bloquée entre 1988 et 1989.
« Je vais gagner ». Depuis, elle n'en parle et Hamid lance à son tour des pierres sur les L'un de ses intérêts majeurs est de faire com-
presque plus et se confie surtout à son oiseau soldats, prenant part à la première Intifada, prendre comment Hamid, l'enfant poète,
Abdo. ce qui va faire de lui un autre enfant « tombé bascule dans la violence malgré la promesse
Malgré la mère qui ne cesse de répéter : à Gaza ». faite à sa mère et à sa sœur. Abdo, la colombe
« J'ai perdu mon mari. Je ne veux pas perdre Hamid écrivait des poèmes et l'un d'eux de Gaza, ne se serait-elle pas définitivement
mon fils », son frère Hamid est fortement rythme le livre : « Petit oiseau, pourquoi ne envolée ?
tenté de se comporter en shabib, jeune voles-tu pas là-haut ? / Y a-t-il trop de Le livre, accompagné de cartes et de repères
militant et combattant des pierres, comme barrières dressées ? / Trop de frontières à chronologiques, bénéficie d'une couverture
son copain Tariq. traverser ? » saisissante de Marcelino Truong. r e

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