LA COUNTRY, LE SI PRÉCIEUX

LE MAGAZINE À DROITE TOUTE COMPOST

L’ÉPOQUE SUPPLÉMENT

À NASHVILLE
TRUMPISME ET
À UN AN DE LA
PRÉSIDENTIELLE
AMÉRICAINE BALLADES COUNTRY

M Le magazine du Monde n o 634. Supplément au Monde

n o 24527/2000 C 81975 / 11–12–13 NOVEMBRE 2023.
Ne peut être vendu séparément. Disponible en France
métropolitaine, en Belgique et au Luxembourg.

UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,

EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

NUMÉRO DOUBLE
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023 - 79E ANNÉE - NO 24527 - 5,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

En Israël, un cabinet de guerre sous tensions

▶ Depuis le 11 octobre, les ▶ Trois généraux partici- ▶ Derrière l’image d’un ▶ Arié Déri, chef d’un parti ▶ Les ministres d’extrême
opérations militaires de pent à ce cabinet, Yoav front solidaire, ils ne ultraorthodoxe, repré- droite remettent en cause
l’Etat hébreu sont dirigées Gallant, ministre de la cessent de contredire sente, comme observa- la légitimité de ce cabinet,
par cette instance censée défense, Benny Gantz et M. Nétanyahou, conseillé teur, la coalition de fonda- notamment à décréter
symboliser l’unité de Gadi Eisenkot, tous deux par Ron Dermer, un Amé- mentalistes religieux qui des pauses humanitaires
la nation face au Hamas membres de l’opposition ricain proche de Trump soutient le gouvernement PAGE 2 E T éditorial PAGE 3 3

Crise du logement La nouvelle

priorité des employeurs
LE POISON PERSISTANT la difficulté croissante de trou-
ver un logement à un prix abor-
dable commence à affecter sé-
saisir le problème à bras-le-corps,
conscients que faciliter l’accès à
l’habitat leur permettra de con-

D’UN ANTISÉMITISME
rieusement le marché de l’emploi server leurs salariés ou d’embau-
dans les zones tendues. cher les profils recherchés.
Des employeurs ont décidé de PAGE S 1 6 - 1 7

Espagne Armées
À LA FRANÇAISE Le PSOE vers
un accord de
gouvernement
Lecointre : « Nos
sociétés ont pensé
que la guerre
▶ La politiste Nonna
Mayer et l’historien
▶ La manifestation du
12 novembre contre l’an-
▶ « La présence sidérante
du RN est le signe d’une controversé était archaïque »
Grégoire Kauffmann tisémitisme focalise l’at- profonde recomposition Pedro Sanchez a trouvé L’ancien chef d’état-
analysent les spécificités tention politique, avec la du jeu politique », un compromis avec les major analyse le rapport
et l’évolution de ce fléau participation du RN et le juge l’historien indépendantistes catalans du pays au retour
en France refus de LFI de s’y rendre PAGE S 1 0 - 1 1 E T 2 9
pour tenter de rester au des conflits armés
poste de premier ministre environnants
PAGE 6 PAGE 8

Politique Histoire
La Shoah
Le RN sur la à travers quatre
défensive après la photographies
sortie du livre sur PAGE S 3 0 - 3 1

David Rachline Planète

Le parti d’extrême droite
Restauration de la
tente de minimiser les nature : l’UE trouve
effets de la parution d’une un compromis
enquête sur le système PAGE 2 0
créé par le maire de Fréjus
PAGE 1 2 *
Déontologie
Styles L’embarras des
députés français
Odorico, vent invités au Qatar
Jacques Tardi : « Il faut que d’ouest sur PAGE 1 5

ce soit juste pour qu’on y croie » les mosaïques

Le 16 mai 2020, à Paris. ÉDOUARD CAUPEIL/PASCO & CO Les œuvres de la famille
de mosaïstes d’origine
À NOS LECTEURS
TISSOT PRX AUTOMATIQUE

En raison de la non-parution
le dessinateur raconte son A 77 ans, il continue de confec- italienne, à Rennes,
histoire personnelle, avec un tionner chaque jour des plan- du quotidien le samedi 11 no-
à Saint-Malo ou à Angers, vembre, ce numéro double
père militaire qui fut prison- ches dans son atelier parisien,
sont aujourd’hui mises est daté samedi 11, dimanche
nier en 1939-1945, et son rap- loin des honneurs, qu’il fuit, et
port aux récits de guerre et à la du milieu de la bande dessinée. en valeur 12 et lundi 13 novembre. * GARDE LE CAP

documentation. PAGE 2 3 PAGE 2 7 Merci pour votre fidélité.

Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 5,40 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 5,40 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
2|
INTERNATIONAL
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N

Des tensions au cœur du cabinet de guerre

Les dissensions gouvernementales se répercutent sur l’organe chargé de mener les opérations militaires

jérusalem - correspondant

U
n front uni, mal-
gré tout. Depuis
le 11 octobre, les
cinq membres
du cabinet de
guerre qui mè-
nent les opérations militaires à
Gaza, à la frontière libanaise et en
Cisjordanie, maintiennent une
fiction d’unité à la tête de l’Etat. Ce
cabinet est à l’image de la nation
israélienne, solidaire dans le deuil
et dans la plus vaste mobilisation
militaire de son histoire (plus de
350 000 réservistes), mais débous-
solée et profondément divisée.
Trois généraux y entourent
Benyamin Nétanyahou, tous de
noir vêtus depuis un mois, qui
précisent et contredisent sans
cesse les déclarations du premier
ministre : le ministre de la défense,
Yoav Gallant, et les ex-chefs d’état-
major Benny Gantz et Gadi Eizen-
kot. Ces deux élus de l’opposition
(Unité nationale, centre droit) ont
rejoint le gouvernement au cin-
quième jour de la guerre, à la ma-
nière de réservistes endossant
l’uniforme. Ils se veulent un garde-
fou autour du premier ministre.
M. Nétanyahou s’est adjoint
l’Américain Ron Dermer, son
« deuxième cerveau », l’un des ra-
res hommes qu’il considère Le premier ministre israélien, Benyamin
comme un alter ego et qui l’ac- Nétanyahou, le ministre de la défense,
compagne depuis 2000. Reli- Yoav Gallant, et l’ex-chef d’état-major
gieux, né en Floride, M. Dermer Benny Gantz, lors d’une conférence
n’a pas servi dans l’armée israé- de presse, à Tel-Aviv, le 28 octobre.
lienne. Il est chargé des relations ABIR SULTAN/AFP
avec l’administration de Joe Bi-
den, qui s’implique comme
aucun de ses prédécesseurs dans
l’appareil de décision israélien. pour corruption et fraude fiscale, militaire dite « de Dahiya », du l’économie. M. Nétanyahou n’a iranien et son allié le Hezbollah li-
est l’unique représentant au cabi- nom d’un quartier de Beyrouth LES GÉNÉRAUX DU plus réuni ces ministres depuis banais jugeaient Israël fragilisé
DÉCISION PAR CONSENSUS
M. Dermer connaît intimement
net de guerre de la coalition de
partis fondamentalistes religieux,
rasé sous les bombes israéliennes
durant la guerre de 2006 contre le
CABINET AVAIENT MIS une semaine. Cela lui a valu une
condamnation de la conseillère
comme jamais. Le 24 juillet, le jour
du vote du premier volet de cette
ces fonctionnaires américains : il qui a porté M. Nétanyahou au pou- Hezbollah. Cette doctrine postule EN GARDE NÉTANYAHOU légale du gouvernement, garante réforme, M. Nétanyahou avait re-
entretient avec eux de vives inimi- voir en décembre 2022. Ce vieil al- une riposte disproportionnée et de l’équilibre institutionnel. fusé de recevoir le chef d’état-ma-
tiés depuis une décennie. Lorsque lié, fin politique, occupe au cabinet dissuasive à toute attaque. Le DURANT DES MOIS M. Ben Gvir et son allié Bezalel jor, Herzi Halevi, qui souhaitait
M. Nétanyahou l’avait nommé
ambassadeur à Washington,
un siège d’observateur. M. Déri di-
rige une formation dont la majo-
nombre de morts civils à Gaza, mis
en rapport avec l’importance des
FACE AU RISQUE D’UNE Smotrich, ministre des finances et
ministre de tutelle des territoires
lui faire part d’analyses alarmistes
du renseignement militaire.
en 2013, des conseillers de l’ex-pré- rité des électeurs refusent le ser- cibles visées, indique qu’elle a ATTAQUE D’AMPLEUR occupés au sein de la défense, atti-
sident démocrate Barack Obama vice militaire et qui cherche à pré- connu une extension inédite du- sent le chaos en Cisjordanie et se RESPONSABILITÉ DE LA DÉBÂCLE
avaient envisagé de refuser sa let- server des subventions d’Etat mas- rant le conflit en cours. CONTRE ISRAËL sont prononcés pour la réoccupa- M. Gallant avait été filmé au côté
tre de créance, estimant qu’il était sives concédées au printemps. Le prédécesseur de M. Eizenkot tion et la recolonisation de Gaza du premier ministre et du minis-
moins un diplomate qu’un opéra- Les membres de ce cabinet de à la tête de l’armée, Benny Gantz, après la guerre. Ils entretiennent tre de la justice, Yariv Levin, arti-
teur politique américain, très im- guerre décident par consensus, fut un officier plus consensuel, de la sécurité nationale, Itamar l’agitation dans les rangs du san de la réforme, sur les bancs de
pliqué dans le Parti républicain. guidés par les responsables de l’ar- jugé « relax » par ses pairs. Entré Ben Gvir, a osé remettre en cause Likoud, le parti de M. Nétanyahou, la Knesset : il les implorait de trou-
Proche de l’ex-président Donald mée et des services de sécurité. triomphalement en politique la légitimité même du cabinet de dont des élus avancent un projet ver un compromis de dernière
Trump, M. Dermer a contribué à le Parmi les trois généraux qui y siè- en 2019, il a failli ne jamais se re- guerre, un organe inédit créé juste- de loi qui permettrait le retour de minute. M. Eizenkot, député soli-
convaincre de dénoncer l’accord gent, le ministre de la défense, mettre de son alliance, l’année ment pour l’écarter de la conduite colons juifs à Gaza. M. Nétanyahou taire voué aux questions de sécu-
international de 2015 sur le nu- M. Gallant, est apparu comme le suivante, avec M. Nétanyahou, de la guerre. M. Ben Gvir a estimé s’est vu contraint, jeudi, d’exclure rité, nouait pour sa part depuis
cléaire iranien, trois ans plus tard. plus enclin à assumer une exten- qui l’a attiré dans son gouverne- que ces cinq hommes n’avaient cette possibilité, dans un entretien des mois des contacts avec les élus
En 2021, ce conseiller déclarait pu- sion régionale du conflit. Plusieurs ment en lui promettant qu’il lui « pas de mandat » pour décréter, à la chaîne américaine Fox News. fondamentalistes religieux au
bliquement qu’Israël devait re- médias américains ont cité, avec succéderait sans jamais respecter sous la pression américaine, des Les généraux du cabinet de sein de la coalition au pouvoir, les
noncer au soutien des électeurs un luxe de détails, la manière dont cet engagement. pauses quotidiennes dans les guerre ont en commun d’avoir avertissant d’un désastre à venir.
juifs du Parti démocrate, qu’il ju- des officiels de l’administration Bi- Le général Gantz s’efforce désor- bombardements sur Gaza. mis en garde le premier ministre Récemment, le secrétaire du
geait trop critiques, pour se repo- den l’ont admonesté, alors qu’il mais de contrer l’influence de Ce suprémaciste juif a exigé que durant des mois face au risque gouvernement, Tzahi Braverman,
ser sur l’appui indéfectible des plaidait pour une attaque préven- ministres d’extrême droite, dont les pauses soient validées par le d’une attaque d’ampleur contre Is- proche collaborateur de M. Néta-
chrétiens évangéliques. tive contre le Hezbollah libanais, M. Nétanyahou refuse de se dé- cabinet de sécurité, qui réunit raël. Tandis que le pays se déchirait nyahou, qui assiste aux réunions
Le chef du parti ultraorthodoxe au nord, durant les premiers jours faire et qui s’imposent comme tous les ministres concernés par sur la réforme de la justice voulue du cabinet, a demandé à son ad-
israélien Shass, Arié Déri, con- de la guerre. M. Eizenkot est pour une force d’opposition au sein du l’effort de guerre, y compris ceux par M. Nétanyahou, ils signalaient ministration de collecter les mi-
damné par deux fois en justice sa part l’un des pères de la doctrine gouvernement. Jeudi, le ministre des transports, de la santé et de que le Hamas comme son parrain nutes des réunions du cabinet de
sécurité durant cette période et
durant les années qui l’ont précé-
A Gaza, vers des « pauses humanitaires » ponctuelles dée. Selon le quotidien Haaretz,
la conseillère légale du bureau du
premier ministre a interdit cette
l’exil désespéré des civils depuis le Les Etats-Unis souhaitaient que cet frappes, et c’est là qu’est déployée l’ar- central du réseau de tunnels du groupe collecte, qu’elle jugeait illégale. Le
nord de Gaza devrait être encadré désor- exode forcé soit encadré, formellement, mée israélienne, engagée désormais armé se trouve dans cette zone. geste de M. Braverman est perçu
mais par une « pause humanitaire », a an- par une trêve quotidienne de quatre dans des combats dans la ville de Gaza, Sur Fox News, le premier ministre comme faisant partie des efforts
noncé la Maison Blanche, jeudi 9 novem- heures permettant aussi l’achemine- où des éléments de la 162e division ont israélien, Benyamin Nétanyahou, a de M. Nétanyahou pour rejeter la
bre. Des files d’hommes, de femmes et ment d’aide humanitaire. Le principe en annoncé, jeudi, avoir achevé la conquête insisté sur son refus catégorique d’un responsabilité de la débâcle du
d’enfants fuient désormais vers le sud de a été accepté par Israël, mais du bout des du « quartier militaire » du Hamas, une cessez-le-feu, estimant qu’il s’agirait 7 octobre sur les militaires.
l’enclave, à pied, n’emportant que quel- lèvres. Jeudi soir, le lieutenant-colonel structure considérée comme centrale d’une « reddition » face au Hamas. « Je Par deux fois, les généraux du
ques effets personnels. Au milieu des rui- Richard Hecht, porte-parole de l’armée par l’armée israélienne. pense que l’armée israélienne opère de cabinet de guerre se sont dressés
nes de leurs quartiers détruits par les israélienne, a précisé que la mesure ne Le porte-parole de l’armée a précisé manière exceptionnelle », a-t-il ajouté. contre les accusations portées par
frappes aériennes et l’artillerie israélien- concernait pas, à ce stade, l’ensemble de qu’au cours des combats Ibrahim Abou Des négociations menées par le Qatar M. Nétanyahou contre les chefs
nes, ils suivent le corridor ouvert quel- la partie nord de Gaza : « Ce sont des pau- Maghsid, le responsable de l’unité des portant sur la libération d’otages en des services de sécurité, contre les
ques heures chaque jour depuis diman- ses tactiques locales, limitées géographi- armes antitanks du Hamas, avait été tué. échange d’une trêve humanitaire de plu- réservistes et les anciens haut gra-
che par l’armée sur l’artère centrale, quement et en termes de durée. » Selon le lieutenant-colonel Hecht, cin- sieurs jours semblent avoir échoué. Envi- dés de l’armée qui manifestaient
Salah Al-Din. Ils tentent d’échapper aux quante combattants du groupe isla- ron 240 personnes capturées le 7 octobre contre sa réforme. Ils sont rejoints
bombardements dans lesquels 10 800 Bombardements intensifs miste ont également trouvé la mort au se trouvent toujours dans Gaza. Le Jihad par d’importants alliés du pre-
personnes ont été tuées en un mois, Hors des zones concernées par ces « pau- cours de « violents combats ». La ville de islamique, allié du Hamas, a indiqué, mier ministre qui s’indignent de
dont 4 400 enfants, selon le bilan de ses », des bombardements intensifs se Gaza fait figure de forteresse du Hamas, dans une vidéo publiée jeudi, qu’il était ces saillies : plusieurs voix du quo-
jeudi du ministère de la santé de l’en- poursuivent, aussi bien dans la zone avec ses installations en surface, comme prêt à libérer deux otages israéliens, une tidien de la droite Israel Hayom,
clave gérée par le Hamas. Les premiers nord, que les forces israéliennes appel- le « quartier militaire », qui comprenait septuagénaire et un adolescent, « si les organe longtemps voué à défen-
jours, ils n’étaient que quelques milliers lent la population à quitter, qu’en diffé- des ateliers de fabrication d’armes et les conditions sécuritaires sont réunies ». p dre M. Nétanyahou, ont appelé
à tenter la traversée. Depuis mercredi, ils rents points du sud de l’enclave. C’est installations de ses services de rensei- jean-philippe rémy récemment à sa démission. p
sont environ 50 000 personnes par jour. au nord que se concentre le plus gros des gnement, mais aussi sous terre. Le nœud (jérusalem, envoyé spécial) louis imbert
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Après la première conférence
humanitaire pour Gaza, à Paris,
les ONG affichent leur déception
Emmanuel Macron s’est félicité d’avoir obtenu 1 milliard d’euros
de promesses d’aide. Mais les organisations non gouvernementales
dénoncent l’absence de consensus sur un arrêt des combats
A
défaut d’une percée,
l’initiative a au moins
constitué un premier
effort de concertation
internationale afin de tenter de
voler au secours des civils palesti-
niens piégés par la guerre dans la
bande de Gaza. Tandis que les
combats continuent de faire rage
dans l’enclave, le président de la
République, Emmanuel Macron,
a réuni, jeudi 9 novembre, à l’Ely-
sée, plusieurs dizaines d’Etats
arabes, de pays occidentaux et
émergents, ainsi que de nom-
breuses organisations internatio-
nales afin de répondre aux multi-
ples défis humanitaires posés par
la riposte d’Israël, un peu plus
d’un mois après les attaques ter-
roristes du 7 octobre sur son sol.
En ouverture des débats, le chef
de l’Etat a fait évoluer son dis-
cours, comme pour envoyer un
signal aux nombreux invités pré-
sents soucieux d’exiger un ces-
sez-le-feu immédiat afin de proté-
ger au mieux les civils, alors que
les combats ont déjà fait plus de
10 800 morts dans la bande de
Gaza, selon l’administration du
territoire sous contrôle du Ha-
mas. Après avoir réclamé « une
pause humanitaire la plus rapide
possible », Emmanuel Macron a,
pour la première fois, appelé à
« œuvrer à un cessez-le-feu ». Une
perspective qu’Israël continue de
rejeter à ce jour, pour mieux
poursuivre sa traque des combat-
tants du Hamas.
La légère inflexion du discours
présidentiel n’a pas empêché les
différents orateurs d’insister sur
la responsabilité des autorités is-
raéliennes. « Des milliers de per-
sonnes tuées, ce ne sont pas des
dommages collatéraux. Il semble-
rait que ce soit une punition col-
lective », a dénoncé Philippe Laz-
zarini, commissaire général de
l’Agence des Nations unies
pour les réfugiés palestiniens
(UNRWA), laquelle compte déjà, a
déploré le responsable suisse,
99 morts parmi ses salariés dans
le territoire. « Il s’agit de condam-
ner les atrocités commises par le
Hamas. Mais cela ne peut en
aucun cas justifier une guerre qui
ne respecte absolument pas le
droit international humani-
taire », a appuyé M. Lazzarini.
D’après le ministre des affaires
étrangères égyptien, Sameh
Choukri, « l’aide qui est déjà entrée
dans Gaza [par le seul terminal de
Rafah, côté égyptien] n’est pas suf-
Des hôpitaux
de nouveau visés
Israël a mené, dans la nuit du
jeudi 9 au vendredi 10 novem-
bre, des frappes aériennes
contre ou à proximité d’au
moins trois hôpitaux de la
bande de Gaza. D’après le mi-
nistère de la santé gazaoui, l’ar-
mée israélienne a ciblé la cour
du principal hôpital de la ville
de Gaza, Al-Shifa, faisant des
victimes. Israël avance que le
Hamas a installé des centres de
commandement et des tunnels
sous l’établissement, ce que ré-
cuse le groupe palestinien. Dix-
huit des 35 hôpitaux ainsi que
40 centres de santé sont hors
service en raison des bombar-
dements ou de la pénurie de
carburant, selon le ministère.
fisante pour les besoins de toute la une guerre contre le peuple pales-
population, et les complications tinien dans son ensemble. »
délibérées imposées par Israël sur Face à ces cris d’alarme, les ré-
ces livraisons conduisent à une dé- sultats peuvent paraître modes-
gradation supplémentaire de la si- tes. L’Elysée s’est réjoui que les
tuation ». « Combien de Palesti- promesses de financement aient
niens devront être tués avant que atteint 1 milliard d’euros – les Na-
la guerre cesse, s’est interrogé le tions unies estimaient peu ou
premier ministre de l’Autorité pa- prou les besoins à ce niveau –,
lestinienne, Mohammad Sh- même si rien ne garantit que les
tayyeh. Ce que fait Israël n’est pas sommes ainsi cumulées soient
une guerre contre le Hamas, c’est toutes des annonces nouvelles.
VOUS AVEZ SU DONNER
DU SENS À VOTRE ENTREPRISE,
ENSEMBLE, NOUS EN DONNONS
À VOTRE PATRIMOINE.
Parce que les dirigeants d’entreprise transmettent bien plus qu’un capital,
CIC Banque Privée propose une mise en relation avec Audencia qui dispense
une formation diplômante pour ACCOMPAGNER leurs enfants dans
la reprise de l’entreprise familiale.
Emmanuel Macron a, au passage,
promis que la France porterait à
100 millions d’euros son aide sup-
plémentaire cette année, dont
plus de la moitié pour l’UNRWA.
« Attaques disproportionnées »
Au-delà des chiffres, plusieurs pis-
tes ont par ailleurs été examinées
pour tenter d’acheminer au
mieux l’aide humanitaire, elle-
même otage des combats et des
international | 3
▶▶▶
tensions suscitées par la guerre,
Israël veillant au blocus du terri-
toire, terrestre comme maritime,
« METTRE EN PLACE
DES SECOURS À GAZA,
tandis que l’Egypte, qui redoute
un afflux massif de réfugiés pales- DANS CE CONTEXTE, AU
tiniens, n’entend pas ouvrir grand
les portes du terminal de Rafah CŒUR DES HOSTILITÉS,
EST IMPOSSIBLE »
Le président chypriote, Nikos
Christodoulides, notamment, a
détaillé son projet de corridor ISABELLE DEFOURNY
maritime, qui doit permettre, de- présidente de Médecins
puis l’île située à quelque 200 mil- sans frontières
les nautiques, d’acheminer de
l’aide vers une plate-forme au
large de la bande de Gaza, quitte
à ce que des barges déposent
commencer immédiatement. No-
tre plan va permettre de résoudre
ensuite les cargaisons sur les
côtes, faute de port opérationnel.
l’engorgement du terminal de Ra-
fah », ajoute-t-il.
Dans un entretien au Monde, il Il est convenu que les chefs
assure que toutes les parties, à d’état-major des pays volontaires
commencer par Benyamin Néta- doivent poursuivre les travaux
nyahou, le premier ministre is- dans le courant de la semaine du
raélien, soutiendraient l’idée. « Is- 13 novembre, tandis que nombre
raël craint que des armes ne par- de navires militaires (américains,
viennent jusqu’au Hamas. C’est un français, allemands ou néerlan-
souci majeur pour les Israéliens, dais) convergent vers Chypre, afin
nous le comprenons parfaitement de permettre des évacuations, en
et nous pouvons y remédier. Aussi particulier du Liban, si le conflit
avons-nous accepté que leurs ex- devait s’étendre. Pour Nikos
perts sécuritaires travaillent avec Christodoulides, à travers cette
les nôtres », explique le dirigeant conférence, « Emmanuel Macron
chypriote. « L’acheminement peut envoie un message : il montre que
l’Europe est là, qu’elle est intéres-
sée par ce qui se passe. »
Le message n’a pas, pour autant,
satisfait les ONG. « Ce qui se passe
à Gaza est une litanie de violations
des droits humains sans précé-
dent, inédite depuis la fin de la se-
conde guerre mondiale », a com-
menté la secrétaire générale
d’Amnesty International, Agnès
Callamard, lors d’une conférence
de presse organisée à quelques
encablures du palais présidentiel,
une fois la conférence achevée.
Et de pointer les « attaques dis-
proportionnées » menées par Is-
raël à Gaza, les déplacements
forcés de populations, l’utilisa-
tion de l’eau, de l’aide médicale
comme arme de guerre, au détri-
ment des besoins vitaux.
« Un cimetière à ciel ouvert »
« Nous sommes assez déçus par le
discours d’aujourd’hui. Il n’y a pas
eu de consensus sur un cessez-le-
feu immédiat. Il existe une discus-
sion autour d’une pause humani-
taire, pas un cessez-le-feu qui, se-
lon nous, doit arriver urgemment,
en écho à la situation humanitaire
sur le terrain, dit Jean-François
Corty, vice-président de Méde-
cins du monde. Mais au-delà de
cette aide qui est déjà bien préposi-
tionnée à Rafah, l’enjeu est qu’elle
puisse entrer dans Gaza et être dis-
tribuée dans de bonnes condi-
tions, que ce soit au nord ou au
sud. Gaza est devenu un cimetière
géant à ciel ouvert. »
De son côté, Cécile Duflot, la di-
rectrice générale d’Oxfam France,
a regretté « une forme de timidité
dans l’expression ». « Il ne peut pas
y avoir d’accès à l’aide humani-
taire si celle-ci ne peut pas entrer
dans le territoire. Il ne peut pas y
avoir d’aide humanitaire pour les
morts. Il faut que la population à
Gaza reste en vie. Il faut obtenir ce
cessez-le-feu. Nous demandons du
courage aux dirigeants politiques
des pays, et d’abord à notre prési-
dent », a lancé l’ancienne ministre
- CIC Banque Privée - RCS Paris 542 016 381.
écologiste de François Hollande.
De fait, les termes « trêve » ou
« pause humanitaire » suscitent
un rejet unanime parmi les pro-
fessionnels de l’urgence. Pour Isa-
belle Defourny, la présidente de
Médecins sans frontières, « on ne
sait pas ce que cela veut dire con-
crètement une pause humani-
taire. Ce qui est certain est que
mettre en place des secours à
Gaza, dans ce contexte, au cœur
des hostilités, est impossible. L’as-
sistance humanitaire ne peut pas
se déployer sur le champ de ba-
taille ». D’après elle, « une trêve
courte veut dire un approvisionne-
ment rapide de certains hôpitaux,
l’évacuation de quelques blessés et
certaines personnes qui descen-
dent vers le sud. Mais nous n’avons
pas cessé de le dire : aujourd’hui, à
Gaza, il n’y a aucun endroit sûr ». p
ghazal golshiri,
marie jégo
et philippe ricard
4 | international 0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N

Les pays du Golfe

veulent sortir du
face-à-face entre
Iran et Etats-Unis
L’Arabie saoudite intensifie son
dialogue avec Téhéran et poursuit
la normalisation avec Israël
beyrouth - correspondante porte de sortie, en l’incluant dans
une solution diplomatique.

L
a détente entre l’Arabie
saoudite et l’Iran, signée
en mars sous l’égide de la
Chine, manquait singuliè-
rement de substance. La guerre
entre Israël et le Hamas lui en re-
donne quelque peu. Face au risque
d’embrasement régional, les deux
rivaux renouent un dialogue, in-
terrompu par six ans de rupture
diplomatique. Quatre jours après
le déclenchement de la guerre, le
11 octobre, le prince héritier saou-
dien Mohammed Ben Salman, dit
« MBS », et le président iranien,
Ebrahim Raïssi, se sont, pour la
première fois, parlé au téléphone.
Dimanche 12 novembre, M. Raïssi
est attendu à Riyad pour une réu-
nion d’urgence de l’Organisation
de la coopération islamique.
L’Arabie saoudite, comme les
Emirats arabes unis voisins, ne
veut pas se laisser enfermer dans
un face-à-face belliqueux entre
l’Iran d’une part, Israël et les Etats-
Unis d’autre part. Clé d’une déses-
calade, le dialogue avec Téhéran
ne remet pas en cause la normali-
sation avec Israël ni leur inclusion
dans une architecture de sécurité
régionale sous parapluie améri-
cain. La République islamique ne
veut pas d’une guerre non plus,
malgré les attaques de ses affidés
au sein de l’« axe de la résistance »
à Israël. Riyad peut lui offrir une
L’attaque du Hamas contre Is-
raël, le 7 octobre, a été une pilule
difficile à avaler pour la couronne
saoudienne. Le coup de force du
mouvement palestinien, regardé
avec défiance à Riyad, a, intention-
nellement ou non, suspendu les
négociations avec l’Etat hébreu et
éloigné la perspective de garan-
ties de sécurité américaines sup-
plémentaires. Le royaume, déjà
frustré que l’Iran n’ait pas revu ses
ambitions expansionnistes, a
perdu l’illusion d’une sécurité ré-
gionale à l’ombre de laquelle bâtir
son développement économique.
Seul l’important dispositif
militaire déployé par Washington
lui garantit aujourd’hui, comme
aux Emirats arabes unis, qui ac-
cueilleront la COP28 du 30 no-
vembre au 12 décembre, de ne pas
subir de nouveau des attaques des
milices irakiennes et des rebelles
houthistes yéménites.
Abou Dhabi et Doha, qui entre-
tiennent de bonnes relations avec
Téhéran, ont été les premiers à re-
cevoir ses messages de désesca-
lade. L’empressement avec lequel
le Guide suprême iranien, l’ayatol-
lah Ali Khamenei, a nié tout rôle
de premier plan dans l’attaque du
Hamas en était un autre. Les pays
du Golfe ne se font aucune illusion
sur le rôle déstabilisateur de l’Iran
et les ambitions qu’il nourrit, mais
Le ministre saoudien
de la défense, Khaled
Ben Salman, et son
homologue américain,
Lloyd Austin, à Washington,
le 1er novembre. SUSAN WALSH/AP
le dialogue direct avec Téhéran
reste la stratégie la plus sûre de ré-
duction des tensions. « Contraire-
ment aux Israéliens, les Golfiens
ont compris que la confrontation
n’est pas une solution. D’autant que
les garanties de sécurité américai-
nes ne sont plus les mêmes et qu’ils
ont été choqués par la faiblesse
d’Israël », analyse Fatiha Dazi-
Héni, spécialiste du Golfe à l’Insti-
tut de recherche stratégique de
l’Ecole militaire (Irsem).
Des intérêts menacés
L’attaque du 7 octobre a entamé le
mythe d’invincibilité de l’Etat
hébreu ; sa supériorité militaire et
technologique a pesé bien peu
face au Hamas. Elle a donné rai-
son au chef du Hezbollah libanais,
Hassan Nasrallah, qui juge Israël
« aussi fragile qu’une toile d’arai-
gnée » et aux avertissements de
l’ayatollah Khamenei de « ne pas
parier sur le cheval perdant ». Sous-
entendu : il ne peut y avoir d’archi-
tecture de sécurité régionale sans
prendre en compte leurs intérêts.
« Les Golfiens pensaient qu’Israël
avait une autonomie stratégique,
ils ont compris que, sans les Améri-
cains et leur armada, Israël n’était
pas grand-chose », poursuit l’ex-
perte de l’Irsem.
Les puissances du Golfe doutent
du soutien américain depuis le
processus enclenché de désenga-
gement du Moyen-Orient. Les
efforts du président Joe Biden
n’ont pas suffi à faire oublier le
lâchage de l’administration
Trump, qui n’est pas intervenue
contre l’Iran après les attaques
contre l’Arabie saoudite en 2019 et
les Emirats en 2021.
Le soutien inconditionnel de
Washington à Israël dans sa
guerre à Gaza a encore creusé le
fossé. « Les Golfiens ne sont pas
prêts à se passer du parapluie sécu-
ritaire américain, mais ils vont aller
de l’avant dans leur politique de di-
versification des partenariats avec
la Chine et les BRICS [Brésil, Russie,
Inde, Chine, Afrique du Sud], qui
ont une autonomie stratégique »,
poursuit Mme Dazi-Héni. Cette dy-
namique ravit l’Iran, qui appelle
de ses vœux un « nouvel ordre
mondial » multipolaire, débar-
rassé de l’hégémonie américaine.
« Il est important pour les Gol-
fiens de maintenir l’engagement
avec les Américains et la dynami-
que de normalisation avec Israël,
mais la question palestinienne est
désormais importante », précise
Sanam Vakil, du centre de ré-
flexion Chatham House. Le mi-
nistre de l’investissement saou-
dien, Khaled Al-Faleh, a confirmé,
mercredi, que la normalisation
reste sur la table, « conditionnée à
« LES GOLFIENS
ONT ÉTÉ CHOQUÉS
PAR LA FAIBLESSE
D’ISRAËL »
FATIHA DAZI-HÉNI
spécialiste du Golfe
une voie vers une résolution pacifi-
que de la question palestinienne ».
Face à l’Iran, qui s’est érigé en
champion de la cause palesti-
nienne par son soutien au Ha-
mas, Riyad veut renouer avec son
rôle traditionnel de garant des Pa-
lestiniens. Abou Dhabi reste plus
en retrait pour préserver les ac-
quis commerciaux et sécuritaires
des accords d’Abraham qu’il a si-
gnés en 2020 avec Israël.
Leurs intérêts sont menacés par
la perspective d’une guerre lon-
gue et dévastatrice, que promet
Israël dans la bande de Gaza. L’ur-
gence pour les Golfiens est d’im-
poser un cessez-le-feu, avant une
relance du processus de paix.
L’Iran, partie du problème, doit
faire partie de la solution.
Washington le leur concède : les
canaux qui ont été ouverts à
Oman pour négocier le dossier
nucléaire iranien et la libération
des otages américains avec Téhé-
ran restent actifs, de façon infor-
melle, pour discuter d’une déses-
calade et d’une issue à la guerre. La
République islamique est ouverte
à une solution diplomatique
pour empêcher l’élimination du
Hamas et préserver son « axe de
résistance », un front de défense
avancé qui assure sa survie contre
les menaces des Américains et de
leurs alliés dans la région.
« Le Hezbollah et l’Iran sont en
train de négocier la suite. Les Ira-
niens sont très bons pour transfor-
mer des défis en opportunités », a
souligné la journaliste libanaise
Kim Ghattas dans une discussion
organisée par l’Arab Gulf States
Institute à Washington. Entre
deux menaces contre Israël et
l’Amérique, le chef de la diploma-
tie iranienne, Hossein Amir Ab-
dollahian, se pose déjà en média-
teur régional dans le dossier hu-
manitaire ou dans celui des ota-
ges aux mains du Hamas. Pour
Kim Ghattas, les ambitions de
l’Iran vont au-delà. Dans l’optique
où un processus de paix serait en-
gagé à l’issue de la guerre, Téhé-
ran veut être à la table des négo-
ciations et laver l’affront de la
conférence de Madrid, en 1991,
qui a débouché sur les accords
d’Oslo deux ans plus tard, dont il
avait été écarté. p
hélène sallon

Les houthistes yéménites entendent peser sur toute la région

au sein de l’« axe de la résistance » à
Israël, emmené par l’Iran, les houthistes se
sont illustrés, depuis le début de la guerre
dans la bande de Gaza, par des actions spec-
taculaires. Jeudi 9 novembre, les rebelles yé-
ménites ont revendiqué le tir d’une nou-
velle « salve de missiles balistiques » en direc-
tion de la ville d’Eilat, dans le sud d’Israël, à
2 000 kilomètres de leur capitale, Sanaa.
L’armée israélienne a confirmé avoir inter-
cepté des projectiles grâce au système de dé-
fense antimissile Arrow et aux batteries an-
tiaériennes Patriot. La veille, les houthistes
avaient abattu un drone MQ-9 de l’armée
américaine au large du Yémen.
Missiles balistiques, de croisière, et nuées
de drones : l’arsenal déployé ne surprend
pas les experts onusiens qui traquent les ar-
mes dont la milice s’est dotée avec l’aide de
l’Iran. La décision d’en faire usage en sou-
tien au Hamas est cohérente avec la forma-
tion idéologique du groupe, abreuvé des
slogans : « Mort à Israël ! », « Mort à l’Améri-
que ! » Mais le message des rebelles yéméni-
tes s’adresse autant à Riyad qu’à Tel-Aviv.
Vainqueurs de la guerre contre le gouverne-
ment yéménite, appuyé par la coalition
arabe emmenée par l’Arabie saoudite de-
puis 2015, les houthistes représentent une
menace sérieuse pour leurs voisins du
Golfe et ils ont des ambitions régionales.
Depuis sa prise de pouvoir à Sanaa
en 2014, le groupe armé s’est doté d’armes
avec lesquelles il a pu frapper jusqu’à Riyad
et Abou Dhabi, à plus de 1 500 kilomètres.
Avec l’appui de conseillers issus des gar-
diens de la révolution iraniens et du Hez-
bollah libanais, les houthistes ont appris à
fabriquer localement une partie de ces ar-
mes. Les composants manquants sont
acheminés en contrebande depuis l’Iran,
par la mer et via le sultanat d’Oman. Le sou-
tien de l’Iran a permis aux houthistes de
s’imposer dans le conflit au Yémen.
« Une claque pour les Saoudiens »
« Il y a une coordination avec l’Iran et les
autres groupes de la région, mais on pouvait
s’attendre à ce qu’un groupe dont la forma-
tion idéologique anti-Israël et antiaméri-
caine n’est pas qu’un slogan prenne part à ce
front », estime Farea Al-Muslimi, chercheur
au centre de réflexion Chatham House
(Londres). Leur participation à la bataille
contre Israël répond aussi à des logiques in-
ternes. Puissance militaire et politique sans
rival dans le nord du Yémen, les houthistes
ont un déficit de légitimité dans la popula-
tion. « Leur participation à la lutte contre Is-
raël est une formidable opportunité d’unifier
la population yéménite, qui est massivement
propalestinienne mais subit sous leur règne
la faim, la corruption et une gouvernance de
style mafieux », poursuit l’expert.
En cas d’embrasement régional, le front
yéménite ne devrait pas être le plus actif, en
comparaison avec le Liban et l’Irak, plus pro-
ches d’Israël. En quantité limitée, les missi-
les des houthistes devraient néanmoins
contribuer à saturer les défenses antiaérien-
nes israéliennes. Les rebelles yéménites
constituent une menace plus grande envers
la sécurité de leurs voisins saoudiens et
émiratis. Leur démonstration de force face à
Israël accentue le sentiment de vulnérabi-
lité des puissances du Golfe. Les houthistes
ont déjà désigné Abou Dhabi comme cible,
pour sa proximité avec Israël depuis la si-
gnature des accords d’Abraham, en 2020.
Ils n’ont pas encore menacé l’Arabie saou-
dite pour ne pas compromettre les négocia-
tions en cours pour mettre fin à la guerre.
L’accord en discussion, dont la conclusion
est proche, doit consacrer leur victoire et
l’autorité de facto de leur gouvernement
sur le nord du Yémen. « Ce qui se négocie
n’est pas un processus de paix, mais un re-
trait saoudien. Non seulement les houthistes
n’ont pas été vaincus, mais ils ont gagné la
guerre au Yémen et sont devenus un acteur
régional important de l’axe de la résistance
avec plus de 100 000 hommes, très bien en-
traînés et équipés », souligne Thomas Ju-
neau, spécialiste du Yémen.
Riyad espérait obtenir la fin de l’implica-
tion iranienne au Yémen en signant l’ac-
cord de détente avec Téhéran, sous égide de
la Chine, en mars 2023. « La vision de missi-
les qui passent au-dessus de leurs têtes est
une claque pour les Saoudiens, conclut le
politiste canadien. Les Saoudiens compren-
nent qu’ils sont dans une situation de vulné-
rabilité énorme : les houthistes tiennent en
otage leur développement économique. » p
hé. s. (beyrouth, correspondante)
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Palestine : Scotland Yard maintient la manifestation
La police de Londres n’a pas cédé à la demande de l’exécutif, qui souhaitait voir le rassemblement interdit
londres - correspondante
L
a manifestation londo-
nienne du samedi 11 no-
vembre en soutien à la Pa-
lestine devrait finalement
avoir lieu. Après dix jours d’in-
tense polémique, la Metropolitan
Police, la police du Grand Londres
(Scotland Yard), n’a pas cédé. Son
commissaire en chef, Mark
Rowley, un spécialiste de l’antiter-
rorisme, a refusé de l’interdire
malgré les pressions du gouverne-
ment conservateur, qui jugeait
que sa concomitance avec « Re-
membrance sunday » (« le diman-
che du souvenir »), la commémo-
ration de l’armistice de la pre-
mière guerre mondiale, était « ir-
respectueuse ». Ce bras de fer
inédit entre la police et le pouvoir
exécutif dit beaucoup de l’indé-
pendance des forces de police au
Royaume-Uni et de leur approche
libérale à l’égard des manifesta-
tions, mais aussi des tentations
d’instrumentalisation politique
du conflit israélo-palestinien.
Tout a commencé par une décla-
ration provocante de Suella Bra-
verman, la ministre de l’intérieur,
qui s’est fait une spécialité des
propos incendiaires pour attirer
l’attention des médias, son ambi-
tion de remplacer un jour Rishi
Sunak à la tête du Parti conserva-
teur ne faisant plus grand doute à
Westminster.
Lundi 30 octobre, cette femme
politique mariée à un Britanni-
que de confession juive a qualifié
de « marches de la haine » les ma-
nifestations pro-Palestine ayant
eu lieu chaque samedi à Londres
depuis le massacre perpétré le
7 octobre par le Hamas en Israël.
Mercredi 8 novembre, elle insis-
tait dans les colonnes du Times,
accusant la police d’être plus
laxiste avec les manifestations de
gauche que de droite.
Rassemblant, le 21 octobre, jus-
qu’à 100 000 personnes et des di-
zaines de milliers, le 28 octobre, les
marches londoniennes ont donné
lieu à 188 arrestations selon la po-
lice, mais se sont déroulées pour
l’essentiel dans le calme, les mani-
festants brandissant surtout des
panneaux « Free Palestine » ou ré-
clamant « un cessez-le-feu ». Parmi
ceux qui ont été arrêtés pour sus-
Au Brésil, un projet d’attentat contre la communauté juive déjoué
Deux personnes qui seraient liées au Hezbollah ont été arrêtées lors d’une opération d’ampleur menée par la police fédérale
sao paulo - correspondant
L e conflit entre Israël et le Ha-
mas pourrait-il se propager
à l’Amérique Latine ? Mer-
credi 8 novembre, deux person-
nes ont été arrêtées par la police fé-
dérale au Brésil, soupçonnées
d’avoir participé à la préparation
de plusieurs attaques terroristes
visant la communauté juive lo-
cale. Selon les autorités, elles se-
raient liées au mouvement chiite
libanais du Hezbollah. De grande
ampleur, l’opération « Trapiche »
(du nom d’un pressoir pour la
canne à sucre) a abouti à onze per-
quisitions dans les Etats de Sao
Paulo, du Minas Gerais ainsi qu’à
Brasilia. Selon la presse, la police
aurait également fait appel à
l’agence Interpol afin que celle-ci
émette au plus vite un mandat
d’arrêt international contre deux
autres suspects présents au Liban.
Le flou demeure tant sur la na-
ture des attentats que sur l’identité
des suspects. Les terroristes sup-
posés, vraisemblablement dotés
de la double nationalité libano-
brésilienne, auraient planifié l’at-
taque de plusieurs bâtiments de la
picion d’apologie de la haine, deux
femmes qui arboraient des stic-
kers à l’effigie des parapentes utili-
sés par le Hamas pour infiltrer Is-
raël, ou des porteurs de drapeaux
noirs appelant au djihad. La police
s’est faite discrète, ne déployant
des officiers à cheval qu’aux en-
droits les plus susceptibles de voir
des tensions émerger : près de
Downing Street.
Les organisateurs des manifes-
tations, dont PSC (Palestine Soli-
darity Campaign), ont joué le jeu,
évitant de passer sous les fenêtres
de l’ambassade d’Israël ou de
planter un chapiteau face au Cé-
notaphe, le monument aux morts
des deux guerres mondiales sur
Whitehall, comme lors de la mani-
festation du 14 octobre.
Changer la loi
Mme Braverman a pourtant ré-
clamé une approche plus musclée,
estimant que le slogan « From the
river to the Sea, Palestine must be
free » (« du Jourdain à la Méditer-
ranée, la Palestine doit être libre »)
scandé par des manifestants était
« un élément-clé du discours anti-
sémite » car « largement compris
comme une demande d’éradica-
tion d’Israël ». Ade Adelekan, un
assistant du commissaire en chef
Mark Rowley, a répondu que le slo-
gan « est entonné depuis des an-
nées » lors des manifestations pro-
Palestine et que « si nous sommes
conscients des émotions qu’il peut
susciter », il ne provoquerait des
arrestations que si proféré dans
un contexte spécifique – un appel
à la haine contre Israël ou un sou-
tien au Hamas.
La police a aussi été critiquée
pour n’avoir pas arrêté les mani-
festants criant « Djihad », dont
ceux rassemblés devant l’ambas-
sade d’Egypte à l’appel du parti is-
lamiste Hizb ut-Tahrir. Elle s’est là
encore expliquée : « Le mot “dji-
had” a plusieurs significations,
même si nous savons que le public
l’assimile le plus souvent au terro-
risme. Nous disposons d’officiers
spécialistes de l’antiterrorisme
[qui] ont évalué la vidéo filmée à
l’occasion de la manifestation du
Hizb ut-Tahrir et n’ont pas trouvé
matière à offense. »
Pour que la police soit plus ré-
pressive, a insisté le commissaire
communauté juive, dont des syna-
gogues. Selon la chaîne CNN Brésil,
l’un d’entre eux aurait avoué du-
rant son interrogatoire avoir été
bel et bien « recruté » par le Hezbol-
lah. Certaines sources évoquent
des préparatifs très avancés, avec
des attaques peut-être planifiées
avant les attaques terroristes du
Hamas contre Israël, le 7 octobre.
L’organisation même de l’opéra-
tion « Trapiche » prête à confusion
et a entraîné une sévère passe d’ar-
mes entre Brasilia et l’Etat hébreu.
Le renseignement extérieur israé-
lien du Mossad s’est en effet large-
ment attribué la paternité des ar-
restations, s’attirant une réplique
cinglante de Flavio Dino, le minis-
tre brésilien de la justice : « Aucune
force étrangère ne donne des ordres
à la police fédérale du Brésil. Et
aucun représentant étranger ne
peut espérer anticiper le résultat
d’une enquête. »
L’opération intervient dans un
Brésil divisé sur le conflit oppo-
sant Israël et le Hamas. Le pays ac-
cueille la deuxième plus grande
communauté juive d’Amérique la-
tine, forte de 120 000 membres.
Près de 15 millions de Brésiliens
Manifestation de solidarité avec les Palestiniens de Gaza, à Londres, le 4 novembre. TOBY MELVILLE/REUTERS
en chef de la police du grand Lon-
dres, c’est à la loi en matière d’in-
citations à la haine de changer.
« Nous ne pouvons pas faire res-
pecter le goût ou la décence, nous
ne pouvons faire respecter que la
loi », a-t-il fait valoir.
Mark Rowley a pris la tête de
Scotland Yard en 2022 pour re-
mettre d’aplomb la principale
force de police britannique, dis-
créditée après le meurtre, en 2021,
d’une jeune femme, Sarah Eve-
rard, par l’un de ses agents.
M. Rowley veut regagner la con-
fiance des Britanniques en les
persuadant de nouveau que le
rôle premier de la police est de les
protéger.
La Metropolitan Police s’est
d’ailleurs attiré les foudres des
médias quand elle a eu la main
trop lourde, par exemple en arrê-
tant, avant même qu’ils ne mani-
festent, les membres du groupe
ont par ailleurs des origines ara-
bes, dont 7 millions à 10 millions
pour les descendants du seul Li-
ban (davantage que la population
totale du pays du Cèdre).
Dans le champ politique, la gau-
che de tradition tiers-mondiste se
montre favorable au camp palesti-
nien tandis que les partis conser-
vateurs, proches des milieux évan-
géliques, soutiennent sans réserve
la réponse militaire d’Israël. Ce
8 novembre, l’ex-président d’ex-
trême droite Jair Bolsonaro a ainsi
participé aux côtés d’élus de l’op-
« JUSQU’À UN TIERS
DES REVENUS
DU HEZBOLLAH
PROVIENDRAIENT DE
TRAFICS ILLICITES EN
AMÉRIQUE LATINE »
JORGE LASMAR
professeur de géopolitique
à l’université pontificale
du Minas Gerais
antimonarchique Republic, lors
du couronnement de Charles III,
en mai. Ou en mars 2022, en pro-
cédant à l’arrestation musclée de
femmes rassemblées pour hono-
rer la mémoire de Sarah Everard.
« Valeurs durement acquises »
La pression sur Mark Rowley s’est
encore accrue quand Rishi Sunak
et Suella Braverman ont de-
mandé aux organisateurs de re-
noncer à la manifestation du
11 novembre, jugée trop proche de
Remembrance Sunday (qui est
tombé cette année le 12 novem-
bre). Cette date est certes la plus
importante du calendrier com-
mémoratif national : le monar-
que et le gouvernement se re-
cueillent au Cénotaphe et de très
nombreux Britanniques mar-
quent leur respect pour la British
Army en arborant un poppy, un
coquelicot, à la boutonnière.
position et de l’ambassadeur is-
raélien au Brésil, Daniel Zohar
Zonshine, à la projection de vidéos
censées montrer la cruauté des at-
taques terroristes du Hamas le
7 octobre. « Nous sommes engagés
dans une guerre totale », a alors
lancé le diplomate israélien.
L’inquiétude est forte dans une
région durement marquée par
deux attentats à la bombe commis
en Argentine contre l’ambassade
d’Israël en 1992 (29 morts) puis,
deux ans plus tard, contre la mu-
tuelle juive AMIA (84 morts).
Après les arrestations effectuées
par la police le 8 novembre, la Con-
fédération israélite du Brésil, prin-
cipale organisation juive du pays, a
manifesté son « énorme préoccu-
pation » et réitéré que « les conflits
tragiques du Moyen-Orient ne peu-
vent pas être importés [au Brésil] ».
« Ces projets d’attentats sont tout
sauf une surprise », note Jorge Las-
mar, professeur de géopolitique à
l’Université pontificale catholique
du Minas Gerais et spécialiste de la
lutte antiterroriste. Dans la région,
le Hezbollah est particulièrement
bien implanté : « Il est présent au
Brésil depuis les années 1980 et se
international | 5
LA MINISTRE
DE L’INTÉRIEUR
BRITANNIQUE A ACCUSÉ
LA POLICE D’ÊTRE
PLUS LAXISTE AVEC
LES MANIFESTATIONS
DE GAUCHE
QUE DE DROITE
Ce n’est cependant pas au mi-
nistère de l’intérieur mais à la
police de décider de l’interdic-
tion d’une manifestation, et ces
décisions sont rares dans un
pays où la liberté d’expression
est célébrée comme une valeur
cardinale. Le 7 octobre, Mark
Rowley a expliqué qu’il ne pou-
vait pas justifier légalement l’in-
montre très actif dans tout un tas
de trafics illicites afin de financer
ses activités au Proche-Orient :
blanchiment, drogue, armes, con-
trebande, cigarettes, faux papiers…
On le retrouve en particulier à la
“triple frontière” entre le Brésil, l’Ar-
gentine et le Paraguay, mais aussi
du côté de la Colombie et du Ve-
nezuela. Jusqu’à un tiers des reve-
nus du Hezbollah proviendraient
de ces activités en Amérique la-
tine », détaille le chercheur.
Le Brésil n’a pris que tardive-
ment conscience du danger. « La
société estimait que les attentats
étaient un phénomène extérieur,
qui concernait d’abord l’Europe ou
l’Amérique du Nord », poursuit
M. Lasmar. Il aura fallu attendre
2016 et l’approche des Jeux olym-
piques de Rio pour que le pays se
dote d’une loi antiterroriste, pré-
voyant des peines allant de
quinze à trente ans de réclusion.
L’année suivante, huit Brésiliens
ont été condamnés pour apologie
de l’organisation Etat islamique
sur les réseaux sociaux et planifié
plusieurs attentats durant les JO.
Progressivement, la police fédé-
rale a décidé de sévir face aux acti-
terdiction des marches du 11 no-
vembre, le risque présenté à l’or-
dre public n’étant, en l’état, pas
suffisant. Rishi Sunak a cédé de
mauvaise grâce, prévenant que
M. Rowley devra « rendre des
comptes » en cas de problème.
Suella Braverman, elle, n’a pas
baissé la garde, accusant la police
de deux poids deux mesures, une
attaque si brutale de la part d’une
ministre de l’intérieur que les
médias spéculaient activement
sur sa démission, jeudi. Le gou-
vernement « n’aurait pas dû faire
de la politique avec ces valeurs [la
liberté d’expression] durement
acquises et pour lesquelles nos vé-
térans ont donné leur vie », a as-
séné l’ancien ministre conserva-
teur Nicholas Soames, petit-fils de
Winston Churchill, considéré
comme une boussole morale de
la droite britannique. p
cécile ducourtieux
vités du Hezbollah. En 2018, elle a
procédé à l’arrestation très média-
tique d’Assad Ahmad Barakat, un
commerçant libanais en électroni-
que dans la ville de Foz do Iguaçu
(Sud), voisine de la « triple fron-
tière », accusé par les Etats-Unis
d’être l’un des plus importants fi-
nanciers de la faction chiite dans la
région. L’homme a depuis été con-
damné au Paraguay à deux ans et
demi de prison pour fabrications
de faux documents.
La droite conservatrice met
aujourd’hui la pression sur le gou-
vernement de gauche de Luiz Ina-
cio Lula da Silva afin qu’il recon-
naisse le Hamas et le Hezbollah
comme des organisations terro-
ristes, une classification que Brasi-
lia n’a pour l’instant accordée qu’à
l’organisation Etat Islamique, à Al-
Qaida et à Boko Haram. « Dans
tous les cas, un attentat du Hezbol-
lah contre la communauté juive en
Amérique du Sud serait une rupture
considérable et le signe inquiétant
que le conflit au Proche-Orient peut
s’étendre potentiellement dans le
monde entier », analyse le cher-
cheur Jorge Lasmar. p
bruno meyerfeld
6 | international 0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

Espagne : accord controversé La tutrice d’un orphelin

ukrainien déporté craint
pour l’investiture de Sanchez que la Russie le mobilise
Le Parti socialiste s’est concilié le soutien des indépendantistes catalans Bogdan Ermokhin, qui fêtera ses 18 ans
le 19 novembre, a déjà reçu sa convocation
au prix de concessions qui divisent le pays et ses propres électeurs du bureau de recrutement de l’armée

madrid - correspondante clus. L’amnistie pourrait donc en- dirigeants indépendantistes kiev - envoyé spécial
glober les violences commises
« Sanchez a cédé condamnés pour « sédition » cor- « Sa famille

L U
e principal obstacle à la en 2019 après les condamnations complètement
réédition d’un gouverne- pour « sédition » des dirigeants
ment de gauche en Espa- indépendantistes à de lourdes
au chantage des
gne a été levé, jeudi 9 no- peines de prison. « Aucun de ceux indépendantistes.
vembre, ouvrant la voie à une pos- qui ont été pourchassés par l’Etat
sible investiture la semaine pro- espagnol n’en sera exclu », a insisté
Il sacrifie (…) l’Etat
chaine du premier ministre M. Puigdemont, qui a salué un de droit de tous »
sortant, le socialiste Pedro San- « accord historique ».
ALBERTO NUÑEZ FEIJOO
chez. Au prix de larges conces- Le texte prévoit la tenue de né-
président du PP
sions aux indépendantistes cata- gociations au cours desquelles les
lans, le Parti socialiste ouvrier es- indépendantistes demanderont
pagnol (PSOE) a signé un accord notamment l’indépendance fi-
avec le parti Junts per Catalunya nancière de la Catalogne, et celle pour justifier la tenue du référen-
afin d’obtenir le soutien de ses sept d’un référendum d’autodétermi- dum, jugé illégal, de 2017.
députés. Un émissaire socialiste nation, auquel le PSOE précise A ces concessions s’ajoutent cel-
négociait à Bruxelles depuis des qu’il continue de s’opposer. les déjà obtenues, le 2 novembre,
semaines avec l’ancien président par la Gauche républicaine de Ca-
du gouvernement catalan Carles « L’Espagne n’est pas à vendre » talogne (ERC), à savoir l’efface-
Puigdemont, qui a fui la justice es- Il intègre aussi un « mécanisme ment de 20 % de la dette catalane,
pagnole après la tentative de sé- de vérification » des accords, qui soit 15 milliards d’euros, et le
cession de 2017 et vit en Belgique. sera confié à des médiateurs transfert des compétences en ma-
Le texte de quatre pages com- étrangers. Une exigence an- tière de contrôle des chemins de
prend une future loi d’amnistie, cienne des indépendantistes, fer régionaux. « Il est nécessaire de
particulièrement controversée, autant destinée à faire avancer former au plus tôt un gouverne-
qui concerne toutes les person- leurs demandes qu’à délégitimer ment progressiste qui donne de la
nes ayant « fait l’objet de décisions la démocratie espagnole. Par stabilité à l’Espagne, s’est justifié le
ou de procédures judiciaires » liées ailleurs, l’exposé des motifs de numéro trois du PSOE, Santos Cer-
à la tenue de la consultation indé- l’accord d’investiture reprend dan, qui a mené les négociations
pendantiste de 2014 et du référen- l’argumentaire des indépendan- avec M. Puigdemont. Nous som-
dum illégal de 2017. Si le contenu tistes, qui font remonter le con- mes prêts à ouvrir une nouvelle
exact du projet n’est pas connu, il flit catalan à 1716, date de l’aboli- étape historique vers une solution
est probable que, outre les délits tion des institutions régionales politique et négociée au conflit. »
de malversation de fonds publics, sous l’ancien régime, et dresse Si certains ont voulu saluer
ceux de désordre public soient in- une liste de griefs contre Madrid l’abandon de la voie unilatérale
par les séparatistes les plus radi-
caux, le prix payé par les socialistes
Un ancien député blessé par balles pour rester au pouvoir a du mal à
passer en Espagne, où aucun sujet
Alejo Vidal-Quadras, 78 ans, ancien président du Parti populaire n’est plus clivant que l’indépen-
(droite) en Catalogne, vice-président du Parlement européen dantisme catalan. « Junts per Cata-
entre 2009 et 2014 et cofondateur du parti d’extrême droite Vox lunya est parvenu à imposer sa
– il s’en est plus tard démarqué –, a été blessé par arme à feu, rhétorique et la perception globale
jeudi 9 novembre, dans la rue, près de son domicile, à Madrid. est que le PSOE a beaucoup cédé,
L’attaque a été menée par deux hommes à moto, révèlent les résume Pablo Simon, professeur
caméras de surveillance, probablement des tueurs à gage, selon de science politique à l’université
la police criminelle, chargée de l’enquête. L’un d’eux l’a visé au Carlos-III, à Madrid. Mais, à partir
visage et une balle a traversé sa mâchoire. Il a été hospitalisé, du moment où Pedro Sanchez a dit
mais sa vie n’est pas en danger. Selon la presse espagnole, qu’il n’y avait pas de plan B, qu’il
il aurait déclaré aux enquêteurs que l’attaque pourrait être liée n’envisageait pas la possibilité de
à son travail d’avocat et à ses relations avec des opposants retourner aux urnes, il ne lui restait
au régime iranien. Les deux agresseurs sont en fuite. pas d’autres options que de
parvenir à un accord. »
Depuis plusieurs jours, des mil-
liers de manifestants se rassem-
blent le soir, de manière sponta-
née, mais aussi à l’appel du parti
d’extrême droite Vox, devant le
UN HORS-SÉRIE siège du PSOE, à Madrid, aux cris
de « Sanchez, traître », « Ce n’est pas
un président, c’est un délinquant »
et « L’Espagne n’est pas à vendre ».
Ils étaient au rendez-vous, jeudi
HORS-SÉRIE soir, devant la délégation du Parle-
ment européen dans la capitale
espagnole, et ils ont marché dans
les rues de plusieurs villes espa-
gnoles. Mardi soir, des échauffou-
rées impliquant des groupuscules
néonazis et fascistes avaient fait
39 blessés, dont 29 policiers, à
Madrid. De son côté, le Parti popu-
laire (PP, droite) a appelé à mani-
UN LONG CHEMIN
VERS L'INFINI
fester dimanche contre l’amnistie
dans la capitale et dans toutes
les capitales de province.
« Sanchez a cédé complètement
au chantage des indépendantistes.
Il sacrifie l’égalité, les impôts, la di-
gnité et l’Etat de droit de tous », a
déclaré le président du PP, Alberto
Nuñez Feijoo, jeudi soir. Arrivé en
tête aux élections législatives du
23 juillet, mais incapable de réunir
une majorité au Congrès des dé-
putés en faveur de son investiture,
il a qualifié l’accord d’« érosion
programmée de la démocratie ».
« Nous ne nous rendrons pas », a-
t-il prévenu. « A partir du moment
LE MYSTÈRE DES NOMBRES PREMIERS où un gouvernement est exécutif,
Depuis Euclide, les nombres premiers fascinent les mathématiciens. législatif et judiciaire, c’est une dic-
Comment reconnaît-on les nombres premiers ? Combien en existe-t-il ? tature », a renchéri Isabel Diaz
Des nombres qui encore aujourd’hui conservent une partie de leur mystère, Ayuso, la présidente du PP dans la
région de Madrid et figure de
à découvrir dans ce nouveau hors-série du Monde.
proue du parti. Le président de
Vox, Santiago Abascal, a, lui, ap-
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX pelé à la « résistance civile » face à la
ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE « menace contre l’unité nationale ».
112 PAGES - 9,99 € La loi d’amnistie concentre les
critiques. Si les grâces accordées
individuellement en juin 2021 aux
respondaient à un mécanisme
constitutionnel largement utilisé
par tous les gouvernements, la
dernière loi d’amnistie remonte à
1977, soit deux ans après la mort
de Francisco Franco et un an avant
l’approbation de la Constitution.
Elle avait alors été justifiée par la
volonté d’enterrer le franquisme.
Depuis des semaines, les juristes
se divisent sur la constitutionna-
lité de ce point. La principale asso-
ciation de juges, l’Association pro-
fessionnelle de la magistrature, de
tendance conservatrice, s’est éle-
vée, le 2 novembre, contre une me-
sure susceptible, selon elle, de
« faire voler en éclats les ciments de
l’Etat de droit », y voyant « le début
de la fin de la démocratie ». Le com-
missaire européen à la justice, Di-
dier Reynders, a relayé « les sérieu-
ses préoccupations manifestées
par de nombreux citoyens » et de-
mandé plus d’informations, dans
une lettre adressée au gouverne-
ment espagnol, le 8 novembre.
« Faire de nécessité vertu »
Si les électeurs de droite s’oppo-
sent à l’amnistie, c’est aussi le cas
d’une part importante – 40 %, se-
lon plusieurs sondages parus ces
derniers jours – des sympathi-
sants socialistes. Les autres y
voient souvent un moindre mal
face au risque d’un gouvernement
associant droite et extrême droite.
Les dernières enquêtes d’opinion
montrent d’ailleurs un recul de la
gauche au profit de la droite en cas
de nouvelles élections. Le scrutin
européen des 6 au 9 juin 2024
constituera le prochain test.
L’amnistie est d’autant plus
controversée que jamais le PSOE
n’avait officiellement envisagé
une telle mesure. Il n’a même
cessé de l’écarter publiquement
comme « clairement inconstitu-
tionnelle » jusqu’à la veille des lé-
gislatives de juillet. Le résultat
électoral, qui a donné la clé du
prochain gouvernement aux sept
députés indépendantistes radi-
caux de Junts per Catalunya (sur
350), a rebattu les cartes. Et, bien
que les négociations aient com-
mencé en août en secret, ce n’est
que le 28 octobre, lors d’un comité
fédéral du PSOE, que Pedro San-
chez a assumé pour la première
fois publiquement son change-
ment de position. « Dans l’intérêt
de l’Espagne et du vivre-ensemble
entre Espagnols, je défends l’am-
nistie », a-t-il déclaré, appelant à
« faire de nécessité vertu ».
Mais l’argument du vivre-en-
semble, déjà brandi au moment
des grâces, en 2021, et de la sup-
pression du délit de sédition du
code pénal en 2022, ne convainc
guère, alors que les tensions en
Catalogne se sont largement apai-
sées depuis, que les indépendan-
tistes sont démobilisés et que le
Parti socialiste catalan, affilié au
PSOE, est le premier parti de la
région autonome. Certains poli-
tistes saluent toutefois le fait que
Junts per Catalunya abandonne,
pour la première fois, « la voie
unilatérale » pour revenir à la
négociation politique.
Avant le vote d’investiture, il
reste encore aux socialistes à scel-
ler un accord, déjà bien avancé,
avec le Parti nationaliste basque
(PNV, modéré). Au total, ce ne sont
pas moins de six partis, en plus du
PSOE, qui devront donner leur
confiance à Pedro Sanchez pour
qu’il conserve son poste. S’il y par-
vient, la stabilité de la législature
ne sera pas assurée pour autant.
Carles Puigdemont a insisté sur le
fait qu’elle sera sujette « aux avan-
cées et aux respects des accords qui
résulteront des négociations ». p
sandrine morel
ne course contre la mon-
tre est engagée pour ra-
patrier Bogdan Ermo-
khin en Ukraine. L’adolescent, un
orphelin déporté de Marioupol
(Donbass) occupée en Russie,
aura 18 ans dans quelques jours, le
19 novembre. Il a déjà reçu une
convocation du bureau de recru-
tement militaire de l’armée russe,
qui lui a donné rendez-vous le
19 décembre. Sa cousine, Valeria
Poparcha, résidente d’Odessa et
dorénavant sa tutrice légale, et
son avocate ukrainienne, Kate-
ryna Bobrovskaya, craignent de
perdre le contact avec lui durant
son service militaire et qu’il dis-
paraisse dans les méandres de
l’armée russe, voire qu’il soit mo-
bilisé contre son gré pour com-
battre sur le front ukrainien.
Bogdan Ermokhin n’est pas un
inconnu. Il appartient à un
groupe d’enfants baptisés « les 31
de Marioupol », qui furent trans-
férés d’un orphelinat de la ville
conquise par l’armée russe en
mai 2022 vers le centre Polyani,
dans la région de Moscou. Ces or-
phelins ukrainiens avaient été ex-
hibés à la télévision à des fins de
propagande par la commissaire
aux droits de l’enfant de Moscou,
Maria Lvova-Belova, qui a elle-
même adopté l’un d’entre eux, Fi-
lip Golovnya. Bogdan Ermokhin a,
pour sa part, ensuite été hébergé
dans une famille d’accueil russe.
Moscou revendique d’avoir « ac-
cueilli » 744 000 enfants ukrai-
niens, accompagnés ou non, sur le
sol russe. Kiev affirme de son côté
avoir identifié 19 546 enfants rele-
vant de cas de « déportation » et de
« transfert forcé de population »,
en violation des conventions de
Genève. Cette politique russe de
déportation et de russification
d’enfants ukrainiens, sous couvert
d’évacuations humanitaires, a
valu au président russe, Vladimir
Poutine, et à Maria Lvova-Belova,
d’être visés, le 17 mars, par un
mandat d’arrêt de la Cour pénale
internationale de La Haye, chargée
de juger des individus soupçon-
nés de « crimes de génocide », « cri-
mes contre l’humanité » et « cri-
mes de guerre ». A ce jour, seuls
386 enfants déportés en Russie
ont pu être rapatriés en Ukraine,
par leurs familles ou grâce à des as-
sociations humanitaires.
Si le cas de Filip Golovnya est de-
venu célèbre parce qu’il a été
adopté par l’architecte de cette
politique, celui de Bogdan Ermo-
khin est emblématique d’un
autre point de vue. Ce dernier a en
effet non seulement exprimé sa
volonté de revenir en Ukraine, où
il a une tutrice légale et des pa-
piers en règle, mais le principe de
son retour a été accepté, le 24 oc-
tobre, lors d’une conversation vi-
déo organisée par son avocate, à
la fois par l’ombudsman pour les
droits humains de Russie, Tatiana
Moskalkova, et par sa mère d’ac-
cueil russe, Irina Rudnitskaya. Or,
depuis ce rendez-vous, rien ne se
passe, la communication avec lui
est devenue presque impossible,
et l’âge de sa majorité arrive.
« Tatiana Moskalkova a promis
qu’il allait revenir en Ukraine, et je
suis prête à aller le chercher en Rus-
L’affaire est
sensible : le jeune
homme a tenté
au moins une fois
de s’enfuir
de Russie avant
d’être arrêté
d’accueil
m’envoie juste
des émojis
“sourire”, comme
si tout allait bien »
VALERIA POPARCHA
tutrice de Bogdan Ermokhin
sie s’il le faut, affirme Valeria Po-
parcha, lors d’un entretien télé-
phonique depuis la Turquie, où
elle séjourne actuellement. Mais,
depuis ce rendez-vous, je n’arrive
plus à joindre Bogdan. Sa famille
d’accueil m’envoie juste des émojis
“sourire” , comme si tout allait bien,
alors qu’il a reçu sa convocation
militaire. Il m’avait auparavant ra-
conté être sous une intense pres-
sion psychologique. Je crois que la
Russie veut le retenir là-bas. »
Kateryna Bobrovskaya déplore
pour sa part que, mise à part l’ex-
ception notable des ombudsmans
des deux pays dans le cas de Bog-
dan, l’unique canal de communi-
cation reste entre les familles, sans
« aucune aide des organisations in-
ternationales », de l’ONU ou de la
Croix-Rouge internationale.
L’affaire Bogdan Ermokhin est
sensible. L’adolescent a tenté au
moins une fois de s’enfuir de Rus-
sie, avant d’être arrêté à la frontière
biélorusse. Il a posté sur les ré-
seaux sociaux des messages et des
chansons à la gloire de l’Ukraine,
et affirmé sa fierté d’être ukrai-
nien. Peu de temps après, il a enre-
gistré une vidéo dans laquelle il af-
firme être heureux en Russie,
mais il a ensuite expliqué à sa cou-
sine et à son avocate qu’il avait dû
faire la vidéo sous la contrainte
des services de sécurité russes.
Témoin direct
L’affaire est délicate aussi par son
amitié avec Filip Golovnya. Les
deux adolescents, amis depuis
l’orphelinat de Marioupol, sont
restés en contact. Leurs discus-
sions font de Bogdan Ermokhin
un témoin direct non seulement
du système de déportation d’en-
fants ukrainiens dans lequel il a
été englouti, mais de la façon
dont Maria Lvova-Belova s’est im-
pliquée personnellement. Il n’y a
donc guère de doute que ni la
commissaire aux droits de l’en-
fant ni ses protecteurs du
Kremlin et des services de sécu-
rité ne souhaitent que des enfants
rapatriés en Ukraine puissent té-
moigner dans les médias, et peut-
être un jour devant la justice in-
ternationale, de son implication.
« A leur majorité, les enfants
ukrainiens sont envoyés dans des
institutions militaires, et leur ra-
patriement devient impossible »,
dénonce Kateryna Rashevska,
une juriste de l’ONG Regional
Center for Human Rights spéciali-
sée dans les droits de l’enfant. Sur
les 386 enfants déportés qui ont
pu revenir en Ukraine, aucun
n’était majeur, précise-t-elle.
Pour Mme Rashevska, la déporta-
tion d’enfants a été « planifiée » par
la Russie. Elle se désespère du si-
lence de la communauté interna-
tionale. « Il faut une résolution de
l’Assemblée générale de l’ONU, il
faut des pays médiateurs, il faut
que les organisations internationa-
les s’impliquent, sinon ce sera trop
tard ! Ces enfants seront russes, on
leur aura lavé le cerveau, et certains
seront devenus des militaires », dé-
nonce-t-elle. Pour Bogdan Ermo-
khin, il ne reste que quelques jours
pour recouvrer la liberté, avant un
anniversaire qui pourrait de nou-
veau changer le cours de sa vie. p
rémy ourdan
8 | international
François Lecointre :
« Avec naïveté, nos
sociétés ont pensé que la
guerre était archaïque »
L’ancien chef d’état-major des armées estime que
l’évolution des tensions internationales impose
aux grandes démocraties de penser les conditions
d’une montée en puissance rapide en cas de conflit
ENTRETIEN
C
hef d’état-major des
armées de 2017 à
juillet 2021, le général
François Lecointre a
aussi été chef du cabinet mili-
taire du premier ministre, sous
les gouvernements de Manuel
Valls, de Bernard Cazeneuve et
d’Edouard Philippe, entre 2016 et
2017. Il est, depuis le 1er février, le
34e grand chancelier de la Légion
d’honneur.
Depuis que vous avez quitté
vos fonctions de chef d’état-
major des armées, les forces
françaises ont dû se retirer
du Sahel, chassées du Mali,
du Burkina Faso et du Niger.
Deux conflits majeurs ont par
ailleurs éclaté : l’invasion russe
de l’Ukraine, le 24 février 2022,
et, depuis le 7 octobre, la guerre
opposant Israël et le Hamas.
Quel regard portez-vous sur
ces bouleversements ?
Ils étaient prévisibles. En tout
cas, quand j’étais militaire en
fonctions, c’est ce que j’entre-
voyais dans l’évolution des rap-
ports de force et des tensions
dans le monde. Ce qui me frappe,
c’est la naïveté avec laquelle nos
sociétés occidentales, européen-
nes en particulier, c’est moins vrai
des Etats-Unis, ont pensé que la
relation de force extrême, qui va
jusqu’à la guerre, était désormais
une chose archaïque.
Cette vision iréniste s’est ré-
pandue à la fin de la guerre
froide. Or c’est justement à partir
de cette époque que nos armées
[occidentales] ont été engagées à
répétition dans des conflits, des
guerres civiles, des opérations
de maintien ou de restauration
de la paix. J’ai toujours eu beau-
coup de mal, en tant que jeune
officier, et même plus tard, à faire
entendre cette réalité aux civils
que je côtoyais.
Des leçons ont-elles été tirées ?
La vraie question, c’est celle de la
montée en puissance. Une démo-
cratie ne dispose pas en perma-
nence d’un appareil militaire sus-
ceptible d’engager un conflit mas-
sif – sauf dans des périodes tout à
fait exceptionnelles, comme celle
de la guerre froide. On ne bascule
pas en économie de guerre du
jour au lendemain. Cela nécessite
des efforts industriels et humains
considérables.
Or c’est aux politiques qu’il in-
combe de décider du moment de
la montée en puissance, et de faire
comprendre à l’opinion publique
que la situation a atteint un ni-
veau de gravité nécessitant de bas-
culer nos efforts et les investisse-
ments de la nation dans d’autres
domaines que ceux, légitimes et
qui sont la finalité d’une démocra-
tie, du bien-être, du social, d’une
plus grande égalité entre citoyens.
Comparée à d’autres pays, la
France a cet avantage d’avoir en-
tamé cet effort de défense dès le
mandat du président François
Hollande [2012-2017], avec l’arrêt
de la dégradation des ressources
des armées, sous l’effet du choc
suscité par la vague d’attentats
sur notre territoire. Ensuite, il y a
eu un net engagement d’Emma-
nuel Macron, qui a décidé, avant
les autres, d’une remontée en
puissance, même si celle-ci ne fait
pas soudainement de la France
une nation et une armée prêtes à
s’engager, dans les trois mois,
dans une guerre de type Ukraine.
De nombreux pays,
notamment sur le flanc est
de l’Europe, tentent de revitali-
ser leurs « forces morales »,
estimant qu’un effort de dé-
fense passe non seulement
par la hausse des budgets mili-
taires, mais aussi par un enga-
gement global de la société,
comme celui dont font preuve
les Ukrainiens…
Cette question cruciale s’est tou-
jours posée aux grandes démo-
craties qui ne sont pas bellicistes.
Nos démocraties ont suivi une
sorte de courbe sinusoïdale, en-
chaînant des phases de prépara-
tion à la guerre, d’autres où elles
la faisaient, puis des périodes de
paix accompagnées d’un désar-
mement. Le service national
avait cet intérêt de maintenir les
esprits armés, de garder en tête la
perspective d’une confrontation
guerrière, dans l’ensemble de la
société. Il permettait surtout une
montée en puissance rapide,
puisqu’il était possible de rappe-
ler des classes formées à la chose
militaire.
Regrettez-vous la disparition,
en France, du service national ?
Je ne dis pas que je la regrette,
mais que telle était la fonction du
service national. Quand il a été
suspendu, en 1996, on ne s’est
pas assez posé la question
d’une éventuelle remontée en
puissance.
La loi de programmation
militaire, adoptée en juillet,
prévoit de faire passer le nom-
bre de réservistes de 50 000 à
100 000 – soit un réserviste
pour deux militaires d’active –
d’ici à 2030. Est-ce réaliste, et
indispensable ?
Le service national serait impos-
sible à rétablir aujourd’hui. La na-
tion n’est pas consciente d’un
danger à ce point existentiel qui
justifierait un tel effort, avec tout
ce que cela implique sur le plan
budgétaire. De ce point de vue,
augmenter la réserve est perti-
nent. Il s’agit de donner aux ar-
mées la possibilité d’accroître as-
sez rapidement leurs capacités
par une ressource humaine com-
pétente, venant soit de la réserve
initiale, avec des jeunes qui s’en-
gagent, soit de la réserve d’an-
ciens militaires.
Vous soulignez le rôle
du politique. Le président
Macron tente, sans grand suc-
cès, d’étendre le service natio-
nal universel (SNU) aux jeunes
de moins de 18 ans. Il a aussi
décidé, depuis le 7 novembre,
de rouvrir au public la cérémo-
nie de relève de la garde répu-
blicaine devant l’Elysée.
Ces dispositifs et ces symboles
sont-ils nécessaires pour
souder une société autour de
PORT U GAL
Elections législatives
anticipées
Le président portugais, Mar-
celo Rebelo de Sousa, a décidé
de dissoudre le Parlement,
jeudi 9 novembre, pour
surmonter la crise provoquée
par la démission du premier
ministre socialiste, Antonio
Costa, impliqué dans un
scandale de corruption. « J’ai
opté pour la dissolution de
l’Assemblée de la République
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
« L’indignation
de l’opinion
publique
coexiste mal
avec le respect
du droit
de la guerre »
son armée ou pour la préparer
à la guerre ?
Le sujet ce n’est pas tant de pré-
parer la société à la guerre que de
lui permettre de poser un regard
lucide sur le monde. Pour cela, il
faut pouvoir mesurer les dangers
et la réalité de ce que pensent
d’autres sociétés, d’autres civilisa-
tions que la nôtre. En Inde ou au
Pakistan, les gens ne sont pas iré-
nistes ; pour autant, ils ne se per-
çoivent pas comme bellicistes.
Mais ils considèrent la guerre
comme une possibilité. C’est
aussi le cas en Russie, évidem-
ment, en Afrique et aux Etats-
Unis. Dans cet exercice de luci-
dité, il est souhaitable et même
indispensable de regarder les cho-
ses qui sont désagréables et qui
nous tirent de notre confort.
Par ailleurs, il faut faire en sorte
que nos concitoyens se posent la
question de ce que l’on fait de leur
armée et des conditions dans les-
quelles elle est engagée, pour les
conduire à une réflexion sur ce qui
vaut la peine d’être défendu. On ne
parle pas assez du besoin des sol-
dats qui vont au combat, qui vont
devoir tuer sur ordre, de savoir que
leurs concitoyens se sentent con-
cernés et que les actes que l’armée
commet engagent aussi leur res-
ponsabilité. Quand on lance un
raid aérien pour bombarder des
installations chimiques du prési-
dent Bachar Al-Assad en Syrie, il y a
des risques de dégâts collatéraux.
Ces questions intéressent-
elles suffisamment les jeunes
Français ?
Paul Claudel a dit : « Ne croyez
pas ceux qui vous diront que la jeu-
nesse n’est point faite pour le plai-
sir, elle est faite pour l’héroïsme. »
Je pense qu’il faut savoir orienter
cet héroïsme, et l’orienter pour
une bonne cause. Nos ancêtres se
sont battus en 1914-1918. Quelles
qu’aient pu être la brutalité de
cette guerre et la façon très néga-
tive dont elle est perçue aujour-
d’hui, car cela a été une boucherie,
il s’agissait aussi de l’élan vital
d’une société qui a payé un prix
épouvantable pour se défendre,
défendre une culture, un pays,
une façon d’être, sa terre et qui a
été collectivement héroïque.
Qu’est-ce qui pousse à l’hé-
roïsme ? Je ne sais pas, mais ce
dont je suis persuadé, c’est que
l’idée même de se survivre à soi-
même, l’idée que les valeurs que
l’on défend sont belles, est un
puissant ferment de cohésion na-
tionale. Alors cela peut être dans
le combat, cela peut être dans la
guerre, cela peut être pour
d’autres causes, mais je pense que
c’est absolument indispensable.
L’armée française peine
aujourd’hui à recruter, alors
que c’était l’une de ses forces
jusqu’à ces dernières années.
Faut-il y voir une désaffection ?
Est-ce inquiétant ?
C’est inquiétant, même si je
pense que c’est fortement lié au
faible taux de chômage actuel et
qu’il faut relativiser ce constat. Jus-
qu’à présent, il existait une sorte
et la convocation d’élections
le 10 mars », a déclaré le chef
d’Etat conservateur à la télévi-
sion. M. Costa dirigera le gou-
vernement jusqu’à l’entrée
en fonctions d’un nouveau
premier ministre. – (AFP.)
BR ÉS I L
Le consulat du Portugal
perquisitionné
La police fédérale brésilienne
a mené des perquisitions
dans cinq endroits, mardi
0123
d’exception française en Europe,
dans le fait qu’on a toujours réussi
à recruter des jeunes gens et que
l’image de l’armée était bonne,
contrairement à la Grande-Breta-
gne, par exemple, où c’est une
vraie catastrophe. L’engagement
des armées françaises sur de nom-
breux théâtres d’opérations impli-
quait, naturellement, qu’on parve-
nait à recruter des gens de tous
horizons, y compris issus de l’im-
migration. Aujourd’hui, notre re-
crutement dans les écoles d’offi-
ciers et de sous-officiers continue
d’avoir la même sélectivité et la
même qualité. L’enjeu est plutôt
de fidéliser, en améliorant les con-
ditions de vie.
On observe aujourd’hui une
adhésion très forte de la so-
ciété israélienne aux actions
de son armée, y compris lors
de bombardements massifs
meurtriers pour les civils pa-
lestiniens. N’y a-t-il pas un mo-
ment où l’armée doit, elle-
même, prendre conscience
qu’un soutien massif ne lui
donne pas carte blanche ?
J’ignore combien de temps peut
durer le soutien d’une population
à l’engagement de son armée.
C’est la difficulté de toutes les na-
tions en guerre. Je ne sais pas
combien de temps la société is-
raélienne va adhérer à une offen-
sive dont, par ailleurs, on a du mal
à voir comment elle se déroule.
Une armée doit, selon moi, com-
muniquer le plus clairement pos-
sible sur ce qu’elle fait, même si
des éléments doivent être tus
pour la réussite de l’opération.
Vous pouvez être portés par vo-
tre opinion publique, mais l’indi-
gnation coexiste mal avec le res-
pect du droit de la guerre, du droit
international. Quand j’étais jeune
officier engagé au Rwanda, il y
avait des « gentils » et des « mé-
chants ». Idem à Sarajevo, où
j’étais déployé en 1995. Notre opi-
nion publique désignait les « mé-
chants » et nous autorisait pres-
que n’importe quoi vis-à-vis
d’eux, parce qu’ils étaient mé-
chants. Mon travail, avec mes
hommes, était de ne pas nous
laisser emporter par cette vision
très manichéenne d’une société
qui nous aurait désignés comme
le bras armé de son indignation.
En Ukraine, ce lien entre l’ar-
mée et la nation a joué un rôle
essentiel dans la résistance à
l’invasion russe. Or des ques-
tionnements et des doutes ap-
paraissent…
C’est inévitable. Il y a la durée de
la guerre, il y a la lourdeur des per-
tes… Quand ce sont vos frères, vos
pères, vos enfants qui meurent,
toutes les questions se posent dif-
féremment. Par ailleurs, quand
vous vous défendez, vous êtes en
position de légitimité. Même si
c’est dur de supporter des pertes,
vous protégez votre intérêt vital,
majeur, quasi existentiel. Quand
vous attaquez, vous êtes dans une
posture différente, tactiquement
et moralement. Il est plus difficile
d’aller reconquérir des territoires,
dont certains n’étaient de toute fa-
çon plus contrôlés depuis long-
temps. S’il y avait un point positif à
retirer aujourd’hui pour l’Ukraine,
c’est son admission à terme au
sein de l’Union européenne. Le fait
qu’elle soit définitivement, quoi-
que puisse en penser la Russie, de-
venue une nation occidentale. p
cédric pietralunga,
élise vincent,
et benoît vitkine (moscou,
correspondant)
7 novembre, dont le consulat
portugais à Rio de Janeiro,
dans le cadre d’une enquête
pour corruption et falsifica-
tion de documents en collu-
sion avec des demandeurs de
visa et de nationalité portu-
gaise, selon le communiqué.
De nombreux Brésiliens se
sont tournés vers le Portugal
au cours de la dernière
décennie de ralentissement
économique et de polarisa-
tion politique. – (AFP.)
SALARIÉS & ENGAGÉS
CHEZ UNÉO, NOS SALARIÉS SONT FIERS DE TRAVAILLER
POUR UNE MUTUELLE PROFONDÉMENT ENGAGÉE, AU SERVICE
DE LA COMMUNAUTÉ SÉCURITÉ-DÉFENSE

À l’approche du 11 novembre, c’est avec fierté que nos salariés arborent le Bleuet de France,
symbole de mémoire et de solidarité envers les combattants d’hier et d’aujourd’hui,
les victimes civiles et militaires des conflits armés, les victimes du terrorisme,
les pupilles de la Nation, les veuves de guerre et les familles en deuil.

Pour soutenir
le Bleuet de France,
scannez ce QR code.

www.groupe-uneo.fr Suivez-nous sur :

10 |
FRANCE
ANTISÉMITISME
ENTRETIEN
C
hercheuse en science
politique au Centre
d’études européen-
nes de Sciences Po et
directrice de recher-
che émérite au CNRS,
Nonna Mayer est spécialiste de
sociologie électorale et des phé-
nomènes racistes et antisémites
en France et en Europe. Elle est
l’autrice de Ces Français qui vo-
tent Le Pen (Flammarion, 2002) et
membre de la Commission natio-
nale consultative des droits de
l’homme (CNCDH) depuis 2015.
Vous dressez chaque année
un état des lieux du racisme
et de l’antisémitisme en
France au sein de la CNCDH.
Comment analysez-vous
la période actuelle ?
Depuis 1990, ce sondage nous
montre que la tolérance envers
toutes les minorités augmente,
même si une hiérarchie perdure
entre elles, allant des Roms,
groupe le plus rejeté, jusqu’aux
Noirs et aux juifs, groupes les
mieux acceptés. Dans les entre-
tiens, les juifs sont très souvent ci-
tés en modèle. Par ailleurs, le con-
flit israélo-palestinien ne struc-
ture pas du tout les opinions à
l’égard des juifs. En novembre
2022, 79 % des personnes interro-
gées refusent de répondre ou re-
jettent dos à dos les Palestiniens
et les Israéliens quant à la respon-
sabilité du conflit, qui est par
ailleurs perçu comme lointain et
interminable.
En revanche, il y a deux nuances
à apporter : de vieux stéréotypes
antisémites associant les juifs au
pouvoir et à l’argent résistent.
Chaque fois que le contexte s’y
prête, dès qu’émergent le senti-
ment d’un deux poids, deux me-
sures, l’idée que les juifs sont pri-
vilégiés, ces stéréotypes remon-
tent. Ce fut le cas en 1999 et 2000
au moment de la mise en place de
la réparation pour les spoliations
subies par les juifs pendant la se-
conde guerre mondiale, ou
en 2014 lors de l’interdiction des
spectacles de Dieudonné d’une
part et de manifestations propa-
lestiniennes d’autre part.
Et on assiste à une recrudes-
cence des actes antisémites…
En effet, à côté des opinions, il y
a les actes. Eux suivent très claire-
ment les péripéties du conflit is-
raélo-palestinien. Ceux de l’anti-
sémitisme ordinaire : des tags, des
graffitis, des insultes, des provoca-
tions… Ils pourrissent la vie des
juifs de France et font que beau-
coup ont peur, plus peur que tou-
tes les autres minorités juives en
Europe. A chaque fois qu’on mé-
diatise de tels actes survient un ef-
fet d’imitation. En 1990, on a eu
une explosion d’actes antisémites
après la profanation du cimetière
juif de Carpentras [Vaucluse].
Dans la mécanique de l’acte anti-
sémite, on a en premier l’émotion,
et en deuxième l’imitation.
Après une décrue des actes dans
les années 1990, dès 2000, il y a
une remontée spectaculaire – frô-
lant parfois la barre des 1 000 actes
par an – à chaque fois qu’il y a une
opération israélienne dans les ter-
ritoires palestiniens. Enfin, il y a le
passage à l’acte au nom de l’idéolo-
gie djihadiste, indépendamment
du conflit : les attaques terroristes
de Mohammed Merah, en 2012,
celle de l’Hyper Cacher, en 2015, de
loin les plus meurtrières.
Gérald Darmanin a fait état de
plus de 1 159 actes antisémites
en France depuis le 7 octobre.
Est-ce inédit ?
Il n’y a jamais eu autant d’actes
antisémites dans un temps aussi
court ces dernières décennies. Il y
a d’abord la résurgence du vieil
antisémitisme d’extrême droite,
qu’on observe depuis 2018 envi-
ron. S’y ajoutent des agressions
« Les préjugés antisémites
remontent légèrement
à l’extrême gauche »
La chercheuse Nonna Mayer analyse l’instrumentalisation de la lutte
contre l’antisémitisme par le RN, les positions provocatrices de
Mélenchon et l’évolution des votes des Français de confession juive
verbales ou physiques au nom de
la défense de la cause palesti-
nienne. L’antisionisme est un
bien grand mot. Dans les sonda-
ges, quand vous interrogez sur ce
terme, 43 % des sondés ne savent
le définir. Mais la critique de la po-
litique israélienne, oui, sous le
coup de l’émotion, peut donner
lieu à des dérapages antisémites.
Dans les manifestations propa-
lestiniennes aussi, certains tracts
et mots d’ordre peuvent virer de
la critique légitime d’Israël et du
sionisme à l’antisémitisme, en re-
mettant en cause l’existence
même d’un Etat pour les juifs. Et à
partir du moment où l’on s’en
prend aux juifs de France comme
s’ils étaient responsables de ce
qui se passe en Israël, on est dans
l’antisémitisme. C’est d’ailleurs le
même mécanisme après les at-
tentats terroristes commis au
nom du djihad : on observe une
montée symétrique des actes an-
timusulmans, comme si ces der-
niers étaient responsables de ces
attaques terroristes.
Comment les votes
des Français de confession
juive se répartissent-ils ?
Leurs votes sont loin d’êtres uni-
formes, mais ils ont globalement
évolué. François Mitterrand hier
avait leur soutien majoritaire,
mais progressivement les liens
avec la gauche se sont distendus.
Les juifs se sont tournés vers la
droite, vers Madelin, Chirac,
Sarkozy… Depuis, par peur des
musulmans, après les attentats
djihadistes aux Etats-Unis puis en
France, certains se sont même
tournés vers l’extrême droite.
En 2007, Jean-Marie Le Pen ne re-
cueillait que 4,4 % des suffrages
des électeurs de confession juive.
Marine Le Pen, en 2012, a triplé
son score. Car elle a adopté une
stratégie différente, dite « de dé-
diabolisation ». Elle s’est opposée
frontalement à son père sur l’an-
tisémitisme.
Son ennemi principal, c’est le
fondamentalisme islamique, et,
au-delà, les immigrés, en particu-
lier musulmans. A la dernière pré-
sidentielle, le soutien d’une partie
de l’électorat juif à Eric Zemmour,
malgré ses outrances, obéit à la
même logique, celle de la peur, de
ne plus se sentir en sécurité en
France. Dans les bureaux du quar-
tier de Sarcelles baptisé « la petite
Jérusalem », dans le Val-d’Oise,
Zemmour a fait 35 % soit cinq fois
son score national.
Dans quelle mesure le Rassem-
blement national instrumenta-
lise-t-il la lutte contre l’antisé-
mitisme, au mépris de
son passé ? Jordan Bardella,
président du RN, assurait
récemment que Jean-Marie
Le Pen n’était pas antisémite…
Les propos de Jordan Bardella
sont une forme de négation-
nisme, l’antisémitisme de Jean-
Marie Le Pen est clairement et ré-
gulièrement affiché. Quant au
Front national, il a été créé pour
rassembler toutes les composan-
tes de l’extrême droite française
« TOUTES
NOS ENQUÊTES
MONTRENT QUE
LES SYMPATHISANTS
ET LES ÉLECTEURS
DU RN RESTENT PLUS
ANTISÉMITES QUE CEUX
DES AUTRES PARTIS »
et, parmi elles, il y avait nom-
bre d’individus (François Duprat,
Victor Barthélemy) sur une ligne
ouvertement antisémite.
Marine Le Pen a certes rompu
avec son père sur ce thème de
l’antisémitisme, mais, au sein de
son parti, tous ne sont pas sur sa
ligne. Toutes nos enquêtes mon-
trent que les sympathisants et les
électeurs du RN restent plus anti-
sémites que ceux de tous les
autres partis. Ce parti a une vieille
tradition d’antisémitisme, même
si son ennemi principal est l’im-
migré, l’étranger, le musulman.
Si Marine Le Pen instrumenta-
lise la lutte contre l’antisémitisme,
c’est d’abord par rapport au reste
de l’opinion, afin d’essayer de ga-
gner des voix en prenant comme
contrepoint Jean-Luc Mélenchon.
Défendre les juifs joue en faveur
de sa stratégie de dédiabolisation.
En parallèle, La France insou-
mise (LFI) se retrouve isolée
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
sur la question d’Israël… Jean-
Luc Mélenchon est-il complai-
sant avec l’antisémitisme ?
Le positionnement de Jean-Luc
Mélenchon est ambigu, c’est le
moins qu’on puisse dire, quand il
refuse de qualifier le Hamas de
terroriste, quand il accuse la pré-
sidente de l’Assemblée nationale,
Yaël Braun-Pivet, de « camper » à
Tel-Aviv et « d’encourager le mas-
sacre à Gaza ». C’est une vision
unilatérale, biaisée des choses.
On peut être de gauche et avoir
une sympathie instinctive, tri-
pale pour les Palestiniens, mais
beaucoup d’Israéliens l’ont aussi,
qui se mobilisent avec des Pales-
tiniens pour se battre ensemble
pour la paix. Le problème n’est
pas de savoir si Jean-Luc Mélen-
chon est antisémite. Je ne pense
pas qu’il le soit, mais ses argu-
mentaires politiques sont mani-
chéens et traduisent un manque
total de compassion et d’empa-
thie pour les victimes israélien-
nes du 7 octobre.
Pourquoi, selon vous ?
La Ligue internationale contre
le racisme et l’antisémitisme
parle d’antisémitisme électoral,
je n’irais pas jusque-là mais je
pense qu’il a, au minimum, une
cécité volontaire, visant à élargir
son audience à gauche et dans un
électorat issu de l’immigration. Il
est en train d’obtenir le résultat
exactement inverse, il a été désa-
voué par les socialistes, les com-
munistes et les écologistes, et di-
vise son propre mouvement.
0123
Dans les locaux
de Sciences Po, à Paris,
le 8 novembre.
BRUNO FERT POUR « LE MONDE »
Il ne fait rien pour dissiper
ses ambiguïtés…
C’est un provocateur, on ne le
changera pas. Mais il est intéres-
sant de voir ce que pensent ses
sympathisants. L’enquête an-
nuelle de la CNCDH permet d’éva-
luer le niveau d’antisémitisme
par positionnement politique. On
voit que, globalement, la gauche
est moins antisémite que la
droite, et que c’est l’extrême
droite qui bat tous les records.
Mais ces préjugés remontent lé-
gèrement à l’extrême gauche.
Les sympathisants de LFI en
particulier ont un niveau d’anti-
sémitisme nettement inférieur à
celui des sympathisants du RN,
mais plus élevé que la moyenne.
Ce n’est pas le cas dans l’électorat
de Jean-Luc Mélenchon au pre-
mier tour de la présidentielle tou-
tefois, qui était très divers… Autre-
ment dit, ces stéréotypes antisé-
mites associant les juifs au pou-
voir et à l’influence gardent un
certain impact dans une petite
partie de la gauche. C’est à sur-
veiller. Et l’attitude ambiguë de
Jean-Luc Mélenchon ne va pas fa-
voriser les choses.
Est-il possible de créer
de l’unité nationale dans
ce contexte ?
C’est important de se mobiliser
contre l’antisémitisme, juste-
ment parce qu’il y a eu cette flam-
bée spectaculaire, sans précé-
dent, d’actes antisémites. Il faut
agir. Le gouvernement a réagi
tout de suite en protégeant les
lieux de culte, les synagogues, les
écoles. Mais un réflexe de solida-
rité me semblerait bienvenu, une
solidarité qui aille au-delà des
juifs, au nom de l’universel. Il faut
se battre contre l’antisémitisme.
Et, au-delà, contre tous les racis-
mes, arriver à se mobiliser en-
semble pour la paix. Si je suis à Pa-
ris dimanche 12 novembre, j’irai à
la marche contre l’antisémitisme,
sans hésitation.
Même s’il y a des députés
du RN dans le cortège ?
C’est la question. Mais je pense
qu’il faut passer outre. On peut
faire un cordon sanitaire isolant
les députés RN. Il ne faut pas que
leur présence devienne un pré-
texte commode pour ne pas aller
manifester. p
propos recueillis par
julie carriat
et mariama darame
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023 france | 11

Budget: les «cadeaux» de Borne

LFI isolée au sein aux oppositions agacent Le Maire
de la gauche pour Le ministre de l’économie regrette que la première ministre ait accepté
des mesures coûtant plus de 200 millions d’euros, afin d’éviter un 49.3
son boycott de la marche

Q
Le parti de Mélenchon ne participera pas uel est le prix d’un
au rassemblement contre l’antisémitisme 49.3 sur le budget ?
Quelque part entre
dimanche, contrairement au PS, à EELV et au PCF 200 et 300 millions
d’euros. C’est le mon-
tant des concessions consenties
trouvé que peu d’échos. Et les
oppositions sont de toute façon
incontrôlables. Dans l’esprit de
Bruno Le Maire, étendre le chè-
que carburant ou accorder une
aide de Noël pour les familles
Bercy, même si aucune des mesu-
Vu de Bercy,
res en question ne creuse le défi-
le bénéfice cit. Thomas Cazenave, dont la
sensibilité est plus à gauche que
politique de ces son ministre de tutelle, a lui aussi
chèques est nul tordu le nez face à l’extension du

A Paris, devant le gymnase

Japy (11e), une foule
épaisse entourait le mili-
tant antiraciste Albert Her-
szkowicz, jeudi 9 novembre au
soir. Dans leur écharpe tricolore,
plusieurs députés de La France in-
soumise (LFI) étaient venus écou-
ter, aux côtés de centaines de per-
sonnes, la commémoration des
victimes de la Nuit de cristal me-
née par les nazis en 1938, dont
c’était le 85e anniversaire.
Au micro, Albert Herszkowicz,
président de Memorial 98, l’asso-
ciation organisatrice de l’événe-
ment, s’est ironiquement « réjoui »
du succès de sa soirée : habituelle-
ment, il peine à réunir une cin-
quantaine de personnes. « Nous
ne sommes pas complètement
naïfs et nous savons que la concor-
dance des dates a à voir avec l’af-
fluence »,a-t-il enchaîné, principa-
lement en direction de LFI.
Quelques heures plus tôt, le pre-
mier parti de gauche, qui a multi-
plié les polémiques depuis l’atta-
que terroriste du Hamas le 7 octo-
bre et les bombardements israé-
liens dans la bande de Gaza qui
ont suivi, avait fait part de son in-
tention de se rendre à ce rassem-
blement afin de « réaffirmer le re-
jet de l’antisémitisme, du racisme
OUTRE LA PRÉSENCE
DU RN, DES FIDÈLES
DE MÉLENCHON
CRAIGNENT
QUE LA MARCHE
NE BROUILLE LEUR
MESSAGE À L’ÉGARD
DES MUSULMANS
les propos de M. Mélenchon, ju-
geant « inadmissible » de faire des
participants à cette marche des
« complices du massacre », et donc
de la guerre menée par le premier
ministre israélien, Benyamin Né-
tanyahou. « Ce sont d’abord des
juifs qui s’y rendront », a poursuivi
Robert Hirsch, tout en avertissant
la poignée d’élus LFI présents.
« Cela ne suffit pas de se montrer
ce soir », a-t-il jugé, les invitant « à
proposer autre chose ».
Devançant cette requête, deux
des « frondeurs » du mouvement,
le député de la Somme François
Ruffin, ainsi que son collègue de
Seine-Saint-Denis Alexis Cor-
bière, se rendront dimanche à
par l’exécutif aux oppositions lors
de l’examen du budget pour 2024,
mardi 7 novembre, dans un seul
but : obtenir l’abstention de cel-
les-ci sur un autre texte budgé-
taire, le projet de loi de finances de
fin de gestion pour 2023, adopté à
l’Assemblée nationale, mercredi,
sans recourir à l’article 49.3 de la
Constitution (qui permet de faire
adopter un texte sans vote).
La première ministre, Elisabeth
Borne, avait chargé Thomas Ca-
zenave, le ministre délégué
chargé des comptes publics, de
mener les négociations avec un
objectif clair : éviter à tout prix
une nouvelle série de 49.3 sur la
loi de finances de fin de gestion.
Ce texte ne revêt pas de réel enjeu
politique puisque son objet est
d’ajuster les mouvements de cré-
dits entre les différents ministè-
res en fin d’année.
Mais Elisabeth Borne s’irrite
d’être associée systématique-
ment à cet article de la Constitu-
tion très impopulaire chez les
Français, et garde un œil attentif
sur le compteur – elle y a eu re-
cours seize fois depuis son arrivée
à Matignon. « La règle, c’est de
trouver des majorités texte par
texte », s’est-elle défendue lundi
6 novembre sur France Inter, en
monoparentales, « c’est de l’ar-
gent dépensé pour rien », confie
l’entourage du ministre de l’éco-
nomie, y voyant des manœuvres
pour « acheter les députés ».
« Saine concurrence »
Le coût des compromis est en
outre plus élevé qu’il n’y paraît :
plus le gouvernement cède aux
oppositions, plus la majorité s’es-
time lésée, et réclame elle aussi
quelques trophées, générale-
ment tout aussi coûteux, éloi-
gnant l’objectif de maîtrise des
comptes dont Bercy est le garant.
« Ce n’est pas certain qu’on
aurait obtenu l’accroissement de
200 millions du fonds d’aide à
l’Ukraine dans le budget sans ce
deal avec les oppositions », fait re-
marquer le député Renaissance
Mathieu Lefèvre (Val-de-Marne),
pour qui « un texte adopté
sans 49.3, c’est toujours mieux,
a fortiori sur le budget ». Il y a
un mois, pourtant, le ministre de
l’économie avait fixé aux parle-
mentaires l’objectif de trouver
« 1 milliard d’euros d’économies
supplémentaires » par rapport au
texte du gouvernement.
et n’apporte
aucun gain pour
la majorité
et l’exécutif
dans l’opinion
« C’est sa position classique de
ministre de l’économie, c’est nor-
mal qu’il râle, tempère-t-on à Ma-
tignon. Mais éviter un 49.3, cela a
de la valeur. Le rôle de la première
ministre, c’est de bâtir des compro-
mis, et la facture n’est pas de na-
ture à grever les comptes. Elle fait
très attention à ce qu’il n’y ait pas
de dérapage. » Les relations sont
fluides avec Bercy, assure-t-on.
Elisabeth Borne n’a-t-elle pas dit
son « estime » pour le ministre
dans un entretien au Parisien le
16 septembre ? Certes, le coût po-
litique des 49.3 pèse principale-
ment sur Elisabeth Borne, mais
c’est Bruno Le Maire qui sera en
première ligne face aux agences
de notation en cas de dégradation
de la note de la dette française
en décembre, fait-on valoir à
chèque carburant à des ménages
du sixième décile de revenus,
alors que la moitié de ceux, plus
modestes, qui y sont éligibles,
ne le demande pas. « La prime de
Noël correspond plus à son ADN
politique », explique un proche du
ministre délégué au budget.
Ce n’est pas la première fois que
Bruno Le Maire (dont le nom est
cité comme premier ministrable à
chaque rumeur de remaniement)
manifeste ses réserves face à un
arbitrage de Matignon. En sep-
tembre, il avait pris ses distances
avec la première ministre lors-
qu’elle avait proposé de lutter con-
tre l’inflation en autorisant les dis-
tributeurs à vendre à perte. « Par
construction, il y a une saine con-
currence entre Bercy et Matignon,
pas plus ou pas moins qu’avant,
relativise le député Renaissance
Louis Margueritte (Saône-et-
Loire), un élu proche du ministre
de l’économie. Mais ce n’est pas né-
faste au fonctionnement du gou-
vernement. Bercy aurait probable-
ment été plus dur sur le budget.
Matignon a arbitré contre son avis,
c’est la logique institutionnelle. » p
elsa conesa

Une comédie jubilatoire.

et du fascisme ». Une façon de pal-
lier son absence remarquée à la
marche contre l’antisémitisme or-
ganisée dimanche 12 novembre
par la présidente de l’Assemblée
nationale, Yaël Braun-Pivet, et le
président du Sénat, Gérard Lar-
cher, à laquelle le Parti socialiste,
Strasbourg, à l’appel de la Ligue
internationale contre le racisme
et l’antisémitisme (Licra), qui or-
ganise un rassemblement, ex-
cluant le RN. Alexis Corbière, qui
n’avait pas hésité à qualifier les ac-
tions du Hamas de terroristes, se
démarquant du triple candidat à
faisant valoir que « l’essentiel des
textes a été adopté par des votes ».
A savoir, quarante-neuf textes
sur cinquante-deux, hors textes
budgétaires. « Il se trouve que pour
Le Monde
Un humour ravageur. Le Figaro
un budget, il faut cinq 49.3 », a-t-
elle ajouté. Les textes budgétaires,
que les oppositions refusent de

Europe Ecologie-Les Verts et le
Parti communiste se rendront.
Rassemblement à Strasbourg
« C’est important d’être là car il y a
une montée de l’antisémitisme en
France », justifie la députée de Sei-
ne-Saint-Denis Aurélie Trouvé,
entourée d’autres membres de la
direction de LFI, comme les élues
Clémence Guetté (Val-de-Marne),
Sarah Legrain (Paris) ou l’eurodé-
putée Manon Aubry.
Pour justifier sa décision de boy-
cotter la marche du 12 novembre,
LFI avait jugé « impraticable » de
défiler « aux côtés d’un parti nazi »,
après que les chefs de file du Ras-
semblement national (RN), Ma-
rine Le Pen et Jordan Bardella,
eurent rallié l’appel. Si cette déci-
sion est censée avoir été discutée
en réunion de groupe à l’Assem-
blée nationale, M. Mélenchon
avait directement donné le ton, en
qualifiant cette manifestation de
« prétexte d’antisémitisme ». « Les
amis du soutien inconditionnel au
massacre ont leur rendez-vous »,
avait-il écrit, en référence aux
bombardements à Gaza, soule-
vant de nouvelles protestations.
Jeudi soir, Robert Hirsch, du Ré-
seau d’actions contre l’antisémi-
tisme et tous les racismes (RAAR),
créé il y a deux ans en mémoire
d’Ilan Halimi, un Français juif sau-
vagement tué en 2006, a critiqué
« LA LUTTE CONTRE
L’ANTISÉMITISME
la présidentielle, craint « un effa-
cement » de l’histoire de la Shoah
dans la mémoire collective.
Clémentine Autain, députée
« insoumise » de Seine-Saint-De-
nis, manifestera dans une autre
ville. « La lutte contre l’antisémi-
tisme n’est pas un prétexte », corri-
ge-t-elle, après les propos du fon-
dateur de LFI. « A gauche, il faut
réinvestir ce combat, juge-t-elle.
C’est notre histoire et nos valeurs. »
Si LFI a fait de la présence du RN
dimanche la principale raison de
sa défection, écologistes, socialis-
tes et communistes iront, eux,
« marcher contre l’antisémitisme
et tous les fauteurs de haine », mais
derrière « un cordon républicain ».
Pour certains élus « insoumis »,
comme le député du Val-de-
Marne Louis Boyard, la participa-
tion de ces formations de gauche
à cette manifestation constitue
une « erreur politique ».
Outre la présence du RN, ces fi-
dèles de M. Mélenchon craignent
que la marche de dimanche ne
brouille leur message à l’égard des
musulmans. Louis Boyard estime
que l’appel « occulte une partie de
la haine »,alors que « la parole isla-
mophobe se libère ». « Pourquoi ça
n’appelle pas à la lutte contre l’isla-
mophobie et les autres formes de
racisme ? », s’interroge Damien
Maudet (Haute-Vienne).
En 2018, Jean-Luc Mélenchon
avait participé, comme Marine Le
Pen, à l’hommage rendu à Mireille
Knoll, une rescapée de la Shoah de
85 ans, victime d’un meurtre anti-
sémite. Pour l’eurodéputé écolo-
giste David Cormand, il n’y a donc
Une pépite.
voter par principe, font presque
toujours l’objet de plusieurs lectu-
res et cumulent donc les 49.3.
Le Parisien
En contrepartie de l’abstention
de plusieurs groupes d’opposi-
tion, Matignon et Bercy ont ac-
Une comédie irrésistible.Télérama
cepté de desserrer les cordons de
la bourse, accordant aux élus de Une réussite totale. L’Obs
Drôle, très drôle.
Libertés, indépendants, outre-
mer et territoires (LIOT) un élar-
gissement du chèque carburant Première
pour les classes moyennes
(160 millions d’euros), aux socia-
listes une aide pour les familles
monoparentales à l’approche de
Noël (70 millions d’euros), et au
parti Les Républicains (LR) quel-
ques mesures plus modestes en
faveur de la santé (une dizaine de
millions d’euros). « Un consensus,
ça coûte de l’argent », résume le
rapporteur général du budget,
Jean-René Cazeneuve, qui rap-
pelle que ces mesures sont gagées
par des économies et ne creusent
donc pas le déficit.
« De l’argent dépensé pour rien »
Le coût de ces « cadeaux » aux op-
positions est à peu près le même
qu’en 2022, bien que les marges
de manœuvre budgétaires se
soient réduites depuis un an.
Mais à Bercy, on s’agace. Le jeu en
valait-il vraiment la chandelle ?
Pour le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire, la réponse est
non. Il a d’ailleurs appelé la pre-
mière ministre pour le lui dire,
ainsi que le secrétaire général de
l’Elysée, Alexis Kohler. D’autant
que les discussions, pilotées par
Thomas Cazenave, dans un délai
très court, se sont faites sans lui.

SIMPLE COMME SYLVAIN

N’EST PAS UN
PRÉTEXTE. À GAUCHE,
IL FAUT RÉINVESTIR
CE COMBAT »
CLÉMENTINE AUTAIN
députée LFI
de Seine-Saint-Denis
pas à tergiverser : « Leur présence
[celle des élus RN] me dégoûtait et
me dégoûte toujours, mais moins
que de devoir renoncer à marcher
en solidarité avec les juifs. » Le dé-
puté socialiste de l’Essonne Jé-
rome Guedj regrette, lui, que « ce
qui était possible il y a cinq ans ne
le [soit] plus » aujourd’hui. p
sandrine cassini
« C’est gagé, point barre », a ré-
pondu la première ministre au
numéro deux du gouvernement.
Elle qui engage sa responsabilité
sur chaque 49.3.
Vu de Bercy pourtant, le béné-
fice politique de ces chèques est UN FILM DE MONIA CHOKRI
nul. Cela n’apporte aucun gain
pour la majorité et l’exécutif dans ACTUELLEMENT AU CINÉMA
l’opinion, où ces mesures n’ont
12 | france 0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

L’offensive solitaire réflexes « d’un autre temps ». L’an-

cien membre du Parti socialiste se-
rait tombé dans le piège tendu par
« Ce n’est pas
un parti comme
se défend l’édile, grand admirateur
de Jean-Marie Le Pen. Avant d’oser
affirmer, en parlant de ce dernier,

d’Olivier Véran contre le

le RN, permettant au parti de se
présenter comme une victime des
élites parisiennes et de la « bien-
pensance ». « Olivier Véran ? C’est un
qu’« il n’y a pas d’antisémitisme
les autres. C’est chez cet homme-là », mettant ses
un parti qui sème pas dans ceux de Jordan Bardella.
« Il a la trouille. Il a honte », se
la division »

Rassemblement national
cavalier seul », soupire-t-on dans
l’entourage d’Emmanuel Macron,
où l’on reproche au ministre de
« manquer de subtilité ». Le 30 mai,
le chef de l’Etat avait sèchement re-
Le porte-parole du gouvernement, issu de la gauche, cadré Elisabeth Borne lorsqu’elle
avait rappelé, sur Radio J, que le RN
tente de s’imposer comme le fer de lance de la lutte était « l’héritier de Pétain ». « Le
combat contre l’extrême droite ne
contre l’extrême droite au sein de la majorité passe plus par des arguments mo-
raux », avait-il fait savoir, lors du
conseil des ministres, fustigeant
« les mots des années 1990 qui ne
OLIVIER VÉRAN
porte-parole
du gouvernement
courtoisie des élus RN à l’Assem-
blée le parti n’a pas rompu avec ses
vieux démons. Et que le bilan de
ses maires n’est pas irréprochable.
« A quel moment est-ce qu’on
décide de s’habituer à ce que l’ex-
trême droite soit un parti comme
délecte Olivier Véran. « Je n’ai pas la
prétention de dire que j’ai identifié
la martingale. Mais l’énervement et
maintenant l’absence que mes visi-
tes provoquent chez eux [dans les
villes du RN] nous encouragent à
continuer », poursuit-il.
Cette croisade solitaire a un coût.
Olivier Véran, bête noire des anti-
vax lorsqu’il était ministre de la
santé, au moment du Covid-19, est
la cible préférée du RN. Le 8 no-
vembre, sur RTL, Marine Le Pen l’a

O
livier Véran n’a eu le parti de la flamme ! », lance-t-il à marche civique » contre l’antisé- fonctionnent plus ». les autres ? Ce n’est pas un parti rangé dans la famille des « vieux
d’autre choix que l’élu d’extrême droite, en rappe- mitisme, organisée dimanche Olivier Véran assume une comme les autres. C’est un parti qui socialistes qui utilisent les mêmes
d’improviser. Ce lant que, quarante-huit heures 12 novembre à l’initiative de Yaël forme de « ringardise ». Issu de la tire les gens vers le bas, qui sème la ficelles depuis des années ». « Mon-
mardi 7 novembre, plus tôt, le président du RN, Jor- Braun-Pivet, présidente (Renais- gauche, l’ex-député de l’Isère rap- division. C’est un parti qui propose sieur Véran est le ministre de la lutte
lors de la séance des questions au dan Bardella, a refusé de qualifier sance) de l’Assemblée nationale, pelle que « sa conscience politique une image figée de notre existence contre le Rassemblement national,
gouvernement à l’Assemblée na- Jean-Marie Le Pen d’antisémite en et de Gérard Larcher, président s’est véritablement réveillée » le et de notre pays. Aujourd’hui, j’ai payé par nos impôts pour lutter
tionale, la première ministre, Eli- dépit des multiples condamna- (Les Républicains) du Sénat. 21 avril 2002, quand Jean-Marie Le l’impression que dire ça, c’est pres- contre le principal parti d’opposi-
sabeth Borne, glisse à l’oreille du tions infligées à l’ancien leader du Pen s’était hissé au second tour de que ringard. Les affronter les yeux tion », s’est agacé Laurent Jacobelli,
porte-parole du gouvernement : parti. « Vous ne servez pas la cause « Ringardise » la présidentielle. Et quand cer- dans les yeux, sur le terrain, dans sur Europe 1, le même jour. « Qui
« C’est toi qui prends. » Il reste alors que vous prétendez défendre », « Le Rassemblement national n’a tains de ses collègues du gouver- l’Hémicycle, c’est presque désuet », est M. Véran pour donner des bre-
dix secondes au ministre avant de crie Olivier Véran tandis que, sur pas sa place à cette manifesta- nement se positionnent déjà pour soupire Olivier Véran. vets de républicanisme ? », s’est en-
répondre au député Rassemble- les bancs de l’Hémicycle, Marine tion », avait déjà affirmé le porte- la course à la succession d’Emma- core offusqué Jordan Bardella, le
ment national (RN) Jean-Philippe Le Pen se mord les lèvres. parole, lundi, lors du compte nuel Macron, lui confie qu’en se « Il a la trouille, il a honte » lendemain, sur CNews, rappelant
Tanguy, qui vient de dénoncer « Impro totale ! J’ai laissé parler rendu du conseil des ministres. rasant le matin il ne pense qu’à Vendredi 10 novembre, le ministre que le RN avait raflé près de 42 %
« l’hydre odieuse de la haine des mes tripes », confie le ministre lors Un opprobre jeté au parti qui a empêcher l’extrême droite d’arri- devait se rendre à Fréjus, la ville de des voix à la présidentielle de 2022.
juifs ». Ce dernier accuse le gouver- d’une rencontre avec Le Monde, contrarié l’union nationale tant ver au pouvoir en 2027. David Rachline, lourdement mis Au sein du camp présidentiel,
nement d’« indifférence » et de « lâ- jeudi 9 novembre. « Ils [le RN] espérée. « C’est un véritable déchi- Au sein du porte-parolat, où il en cause dans le livre Les Rapaces l’action d’Olivier Véran est regar-
cheté » face à la flambée sur le sol essaient de se racheter une virgi- rement. Mais on ne peut pas sacri- assume aussi la charge du renou- (Les Arènes, 224 pages, 20 euros), dée d’un œil bienveillant mais
français d’un antisémitisme exa- nité morale mais on ne se rachète fier les valeurs républicaines sur veau démocratique, l’ancien sorti le 2 novembre. L’autrice, dubitatif. « Il ne manque pas de
cerbé par la guerre entre Israël et le pas une conscience en marchant l’autel de cette unité », juge-t-il. ministre de la santé cherche les Camille Vigogne Le Coat, y fait le courage dans son combat person-
Hamas, dont « la source essentielle, aux côtés de ceux qu’on a haïs », Une partie de son propre camp angles d’attaque pour contrer récit d’une gestion mafieuse de la nel contre le RN. Mais l’histoire
cardinale, est, dit-il, l’islamisme ». souffle-t-il, révolté par la présence s’offusque. A Bercy, dans l’entou- l’ascension du camp de Marine Le ville varoise par ce proche de la fa- démontre que cela ne suffit pas. Ce
En guise de défense, Olivier attendue de Jordan Bardella et de rage du ministre de l’économie, Pen. Après avoir exploré le Dane- mille Le Pen. Et un train de vie dé- sont les fractures politiques de
Véran choisit l’attaque. « Vous êtes Marine Le Pen à la « grande Bruno Le Maire, on déplore des mark, puis le Brésil où l’extrême mesuré de la part de cet homme, notre pays, exacerbées par la
droite a reflué, il s’est lancé dans surnommé « l’arbre de Noël » pour guerre au Proche-Orient, qui exi-
une tournée des villes gérées par sa capacité à empiler les accessoi- gent une réponse d’une tout autre
le RN. De retour de Beaucaire res hors de prix comme autant de ampleur. Et celle-ci ne peut venir
(Gard) le 15 septembre, il dénonce guirlandes autour d’un sapin. que du président de la Républi-
l’accueil du maire, Julien Sanchez, Une aubaine pour Olivier Véran, que », estime le député (Renais-
APPEL D’OFFRES - AVIS D’ENQUETE « à la limite de l’insulte ». Puis file, le même si David Rachline a fait sance) de Paris Gilles Le Gendre.
29 septembre, à Perpignan, dans la savoir qu’il ne serait pas présent Quitte à prendre les allures d’un
01.49.04.01.82 - annonces@osp.fr ville administrée par Louis Aliot. vendredi pour accueillir le minis- Sisyphe, ou d’un Don Quichotte,
Le 13 octobre, il rejoint Hayange tre. « J’ai des obligations », explique Olivier Véran poursuit sa tournée,
(Moselle), où Laurent Jacobelli, au Monde le vice-président du RN, espérant sculpter un personnage,
député RN, dérape lors du déplace- qui n’entend pas « jouer les idiots et montrer que « le poison d’ex-
ment en traitant de « racaille » son utiles » face à celui qu’il qualifie trême droite est capable de muter,
homologue de Renaissance, Belk- d’« employé de com du gouverne- de changer mais que le fond reste
PROJET GRAVITHY DE FOS-SUR-MER hir Belhaddad. Autant de faux pas ment. Et pas le plus brillant ». « Je le même : monter les gens les uns
AVIS DE CONCERTATION PRÉALABLE
DU 27 NOVEMBRE 2023 AU 31 JANVIER 2024 INCLUS qui permettent, pense le ministre, n’ai pas peur d’Olivier Véran mais contre les autres et tuer l’espoir ». p
de démontrer qu’en dépit de la ne veux pas participer à un show », claire gatinois
OBJET DE LA CONCERTATION PRÉALABLE
Cette concertation a pour objet de présenter, de débattre de l’opportunité, des objectifs et des principales caractéristiques
du projet GravitHy, projet de production de fer réduit bas-carbone sur la commune de Fos-sur-Mer. Le projet est mené par
l’entreprise GravitHy. Asco Fields et RTE sont co-maîtres d’ouvrage : Asco Fields détient le foncier où s’installerait le projet
et serait en charge de certains aménagements préparatoires et RTE serait en charge du raccordement électrique.
ORGANISATION DE LA CONCERTATION PRÉALABLE
GravitHy, Asco Fields et RTE ont conjointement saisi la Commission nationale du débat public (CNDP) selon les disposi-
Le parti de Marine Le Pen sur
tions de l’article L.121-8-I du code de l’environnement.
Le 8 juin 2023, la Commission nationale du débat public (CNDP) a décidé d’organiser une concertation préalable sur le pro-
jet GravitHy, et a désigné deux garants (décision n°2023/64, consultable sur le site Internet www.debatpublic.fr) : Madame
Audrey Richard-Ferroudji et Monsieur Philippe Quévremont.
la défensive après le livre sur Rachline
La concertation préalable se déroulera du 27 novembre 2023 au 31 janvier 2024 inclus. Alors que « Les Rapaces » dénonce la gestion du maire de Fréjus, la cheffe
PÉRIMÈTRE DE LA CONCERTATION PRÉALABLE
La concertation préalable inclut les communes suivantes : Port-Saint-Louis-du-Rhône, Fos-sur-Mer, Istres, Port-de-Bouc,
de file du RN et Jordan Bardella ne démentent aucune accusation
Martigues, Saint-Mitre-les-Remparts, Miramas, Grans, Cornillon-Confoux, Saint-Chamas, Berre-l’Etang, Rognac, Vi-
trolles, Saint Victoret, Marignane, Gignac-la-Nerthe, Le Rove, Ensuès-la-Redonne, Châteauneuf-les-Martigues, Carry-le-
Rouet, Sausset-les-Pins.
MODALITÉS DE LA CONCERTATION PRÉALABLE
Pour s’informer, le public pourra consulter :
• Le site Internet www.concertation-gravithy.fr où seront publiés le dossier de concertation et sa synthèse, les comptes-ren-
dus des réunions et l’ensemble des avis et questions émis par le public et réponses apportées par le maître d’ouvrage.
• Le dossier de concertation, téléchargeable sur le site Internet du projet, consultable dans toutes les mairies du périmètre
C ette fois, promis, il va le
faire : le maire (Rassem-
blement national, RN) de
Fréjus (Var), David Rachline, af-
firme vouloir déposer une plainte
tant que maire sur les sujets qui me
concernent. » Celui qui est vice-
président du parti d’extrême
droite décrit le livre comme « un
recueil de propos diffamatoires, de
en 2023. Il n’était pas aux Estivales
de Beaucaire (Gard), la rentrée
politique du parti, en septembre. Il
n’était pas non plus le 5 octobre
à Toulon, où le RN inaugurait une
aux heures habituelles d’ouverture et lors des rencontres. pour diffamation publique con- ragots calomnieux et d’accusa- permanence dans le Var en pré-
• La synthèse du dossier de concertation, téléchargeable sur le site Internet, disponible dans toutes les mairies du périmètre tre l’autrice du livre Les Rapaces tions mensongères provenant sence des députés locaux et de Ma-
et lors des rencontres.
• Des panneaux d’exposition, installés dans les lieux accueillant les rencontres publiques. (Les Arènes, 224 pages, 20 euros) d’opposants locaux ou d’anciens rine Le Pen… mais sans celui qui
Pour s’informer et s’exprimer, le public pourra aussi participer aux rencontres publiques : dévoilant les dessous de sa ges- collaborateurs éconduits ». Il dé- fut l’homme fort du département.
7 réunions publiques
tion de la ville. Camille Vigogne Le ment l’ensemble des faits qui lui Le 7 novembre, à la réunion des
Coat, journaliste à L’Obs, y détaille sont imputés. La justice n’a, pour députés RN, il fut question de lui,
• Le jeudi 30 novembre 2023 à 18h00 : une réunion publique d’ouverture à la Maison de la mer de Fos-sur-Mer ;
• Le jeudi 7 décembre 2023 à 18h00 : une réunion publique thématique « Les besoins des projets en électricité » organisée notamment un système d’en- l’heure, pas été saisie de potentiels et du livre. Le fond de l’ouvrage
conjointement avec le projet H2V-FOS au héâtre de La Manare de Saint-Mitre-les-Remparts ; tente conduisant, selon elle, à la délits dans sa gestion de la ville. n’a pas été abordé. Uniquement le
• Le lundi 11 décembre 2023 à 18h00 : une réunion publique thématique « Le cycle de l’eau » organisée conjointement avec corruption, impliquant l’élu et un timing : selon le récit lepéniste, ce
le projet H2V-FOS à l’auditorium de l’Hôtel de ville d’Istres ; influent homme d’affaires local, Rachline devenu radioactif serait parce que les sondages sont
• Le jeudi 4 janvier 2024 : une visite de site à 16h (inscriptions sur www.concertation-gravithy.fr) suivie d’une réunion
publique thématique « Milieux naturels » au Port Center du Grand Port Maritime de Marseille à Fos-sur-Mer à 18h ; un train de vie démesuré et parti- Au RN, tout le monde a lu les bon- bons que la presse aurait décidé
• Le jeudi 11 janvier 2024 à 18h00 : une réunion publique thématique « L’insertion dans le territoire et les alternatives au culièrement fêtard, et un racisme nes feuilles du livre, publiées dans de faire feu sur le parti d’extrême
projet » à la salle Colomb de Miramas ; décomplexé régnant au sein de L’Obs le 2 novembre. Le contenu a droite – comme si la date de sortie
• Le mardi 16 janvier 2024 à 18h00 : une réunion publique thématique « Qualité de l’air, impacts environnementaux et l’administration municipale. particulièrement agacé Marine d’un livre s’adaptait à l’actualité.
gestion des risques industriels » à la salle polyvalente de l’hôtel-résidence les Aiguades à Port-de-Bouc ;
• Le lundi 22 janvier 2024 à 18h00 : une réunion publique de synthèse à la Maison de la mer à Fos-sur-Mer. Dans une première enquête, pu- Le Pen. Jean-Marie Le Pen, l’idole Attaqué, le RN recourt aux mé-
3 rencontres de proximité bliée en janvier dans L’Express, la politique de M. Rachline, s’est thodes traditionnelles. L’autrice
• Dates et lieux des rencontres de proximité à retrouver sur le site Internet www.concertation-gravithy.fr journaliste racontait déjà l’argent procuré l’ouvrage. Personne ne est décrite par les têtes lepénistes
liquide qui se glisse partout, les lâche publiquement le maire de comme une « militante politi-
Le projet fera par ailleurs l’objet, sous réserve de conirmation, d’un débat radio et de présentations à diférentes instances
locales. marchés publics truqués au béné- Fréjus. Le parti n’entend diligenter que », son enquête comme des
Informations à venir sur www.concertation-gravithy.fr fice d’un seul homme, les saluts aucune enquête sur les pratiques « trucs qui n’intéressent personne »
nazis du maire. A l’époque, une dénoncées, d’autant plus que par M. Bardella, ou les « petites
Pour contribuer, le public aura accès : plainte avait été annoncée : il n’en M. Rachline était présenté, jusqu’à poubelles des médias français »
• Aux rencontres publiques ouvrant la possibilité de poser des questions ou d’émettre des avis écrits ; fut rien. Le maire avait préféré 2022, comme le « meilleur ami » du par Sébastien Chenu, vice-prési-
• Au site Internet www.concertation-gravithy.fr pour le dépôt des observations, contributions et questions ; envoyer ses troupes rafler tous les président du RN, Jordan Bardella. dent de l’Assemblée. Sans jamais
• Aux cahiers d’acteurs, qui sont des contributions des corps constitués : associations, syndicats, conseils municipaux... ; numéros de L’Express en ville. Malgré les soupçons sur la ges- répondre sur le fond des accusa-
• Aux contributions par courrier : GravitHy, 10, Place de la Joliette, 13002 Marseille ;
• Des questions et observations peuvent également être adressées aux garants : philippe.quevremont@garant-cndp.fr ou L’enquête avait connu peu d’écho. tion de M. Rachline déjà publics, tions portées dans le livre, ni les
audrey.richard-ferroudji@garant-cndp.fr Dix mois plus tard, M. Rachline Marine Le Pen a embarqué avec les démentir, Marine Le Pen s’en est
SUITES DE LA CONCERTATION PREALABLE n’a plus vraiment le choix. La deux hommes sur un voilier dans remise à la justice, le 8 novembre,
À l’issue de la concertation préalable, Madame Audrey Richard-Ferroudji et Monsieur Philippe Quévremont, garants de la presse a largement couvert la le golfe de Saint-Tropez (Var), fin sur RTL : « Par principe, David Ra-
CNDP, disposeront d’un délai d’un mois pour rendre leur bilan, qui prendra en compte l’ensemble des contributions, avis sortie de cette enquête sur ce qui juin, selon le récit de Camille Vigo- chline, je lui accorde évidemment
et questions formulés au cours de la concertation. Ils transmettront ensuite ce bilan aux maîtres d’ouvrage, qui le publieront fut la vitrine municipale du RN gne Le Coat. Pour autant, politi- ma confiance, sauf démonstration
sans délai sur le site Internet du projet (articles L. 121-16-1 et R. 121-23 du Code de l’environnement). Ce bilan sera égale-
ment consultable sur le site de la CNDP. dès 2014. « Les avocats sont en quement, celui qui veillait sur la contraire. » Interrogé sur le fait de
Au plus tard dans un délai de 2 mois après la publication du bilan des garants, les maîtres d’ouvrage rédigeront un document,
train de finaliser la plainte, assure- bonne organisation du congrès du savoir s’il se sentait soutenu par le
rendu public, qui présentera les enseignements qu’ils tirent de la concertation et la manière dont ils en tiendront compte t-il au Monde. La ville de Fréjus va RN il y a un an seulement semble parti dont il est le numéro trois,
dans la suite du projet. déposer plainte pour défendre les devenu radioactif. M. Rachline M. Rachline répond : « Je ne ferai
Si le projet GravitHy est poursuivi, ces deux documents igureront dans le dossier d’enquête publique. agents mis en cause de manière n’est pas apparu aux côtés de Jor- pas de commentaire. » p
délirante, et je déposerai plainte en dan Bardella ou de Marine Le Pen clément guillou
14 | france
Soulèvements
de la Terre:
la dissolution
annulée
Le Conseil d’Etat a estimé, jeudi,
que la mesure n’était pas « adaptée,
nécessaire et proportionnée »
G
rosse déconvenue
pour Gérald Darma-
nin. Le Conseil d’Etat a
annulé, jeudi, la disso-
lution du mouvement écologiste
des Soulèvements de la Terre (SLT),
décidée en conseil des ministres le
21 juin. Le ministre de l’intérieur
reprochait au collectif d’« appeler »
et de « participer » à des violences.
Il avait personnellement engagé la
procédure de dissolution le
28 mars, trois jours après de
violents affrontements entre gen-
darmes et opposants aux retenues
d’eau de Sainte-Soline (Deux-Sè-
vres), dont l’exécutif avait imputé
la responsabilité au mouvement.
Consolation pour M. Darmanin,
la haute juridiction administrative
a validé trois autres dissolutions
visant l’organisation Groupe anti-
fasciste Lyon et environs (GALE),
dissoute en mars 2022, le groupus-
cule d’extrême droite d’Angers
L’Alvarium, dissous en novem-
bre 2021, et la Coordination contre
le racisme et l’islamophobie,
dissoute en octobre 2021.
L’ensemble de ces dissolutions
avaient été examinées en
audience de fond le 27 octobre. La
décision sur les Soulèvements de
la Terre était la plus attendue car
cette dissolution était la première
Etoiles de David taguées : la France dénonce une ingérence russe
Le Quai d’Orsay a condamné le réseau de désinformation Doppelgänger pour la diffusion et l’amplification des photos des pochoirs
P our la deuxième fois en un
an, la France dénonce offi-
ciellement une campagne
d’influence russe visant le terri-
toire national. Jeudi 9 novembre,
le Quai d’Orsay a publiquement
condamné l’implication du ré-
seau de désinformation Doppel-
gänger, ou « Recent Reliable
News », dans l’amplification et la
diffusion des photos d’étoiles de
David bleues taguées sur des murs
de Paris et de sa proche banlieue.
Dans son communiqué, la di-
plomatie française explique que
de nombreux comptes sur les ré-
seaux sociaux attribués « avec un
haut degré de confiance » au ré-
seau Doppelgänger ont amplifié
les photos de ces tags, mais sur-
tout qu’ils ont été les premiers à
les propager en ligne. L’enquête a
été menée par Viginum, l’orga-
DIMANCHE12NOVEMBRE
12H-13H
Bruno Le Maire,
ministre de l’Économie, des Finances et de
la Souveraineté industrielle et numérique
à viser une organisation écolo-
giste. C’était la première fois qu’un
mouvement aussi vaste − les SLT
revendiquent 150 000 personnes
affiliées − était visé.
Par ailleurs, une confirmation de
la dissolution aurait eu un impact
grave et immédiat sur le monde
associatif dans la mesure où les
Soulèvements de la Terre n’ont pas
été dissous pour avoir causé direc-
tement des violences ou des
dégâts, mais pour avoir « provoqué
à des violences visant les biens », en
vertu de l’article L212-1 du code de
la sécurité intérieure, réformé par
la loi « séparatisme » d’août 2021.
Une telle extension du domaine
de la dissolution aurait pu concer-
ner, à terme, bien d’autres acteurs,
tels que Droit au logement (DAL),
voire des syndicats.
« Effets réels »
Dans sa décision, le Conseil d’Etat
rappelle qu’une mesure de disso-
lution « porte une atteinte grave à
la liberté d’association, principe
fondamental reconnu par les lois
de la République ». « Elle ne peut
donc être mise en œuvre que pour
éviter des troubles graves à l’ordre
public », insiste la juridiction. Or,
les Soulèvements de la Terre se
sont bien livrés « à des provoca-
nisme français de lutte contre les
opérations d’influence.
Comme l’avait constaté Le
Monde, au moins deux photos des
tags prises de nuit rue de Rocroy
(10e arrondissement) avaient été
massivement diffusées sur Face-
book et Twitter par les comptes de
Doppelgänger. Si ces comptes
automatisés sont grossiers, les
photos diffusées n’étaient trouva-
bles nulle part ailleurs, laissant
penser qu’elles avaient été prises
ou réceptionnées par une per-
sonne en lien avec le réseau de dé-
sinformation.
Le Quai d’Orsay précise que sa
condamnation porte spécifique-
ment sur la diffusion et l’amplifi-
cation de ces tags, alors que l’ori-
gine même des 250 pochoirs
d’étoiles de David retrouvés en
banlieue parisienne ces dix der-
Devant le Conseil d’Etat, pendant l’audience de fond sur la dissolution des Soulèvements de la Terre, le 27 octobre. XOSE BOUZAS
tions et à des agissements violents
à l’encontre des biens », notam-
ment à l’occasion de manifesta-
tions contre la construction de
retenues d’eau à Sainte-Soline,
mais la dissolution demandée par
le ministère de l’intérieur « ne
constituait pas une mesure adap-
tée, nécessaire et proportionnée à
la gravité des troubles susceptibles
d’être portés à l’ordre public ».
Les juges administratifs font
référence aux « effets réels » de ces
troubles, marquant leur refus de
considérer que leur seule exis-
tence suffit à justifier une dissolu-
tion. « Une dissolution n’est justi-
fiée que lorsqu’une association ou
un groupement incite des person-
nes à se livrer à des agissements
violents à l’encontre des personnes
ou des biens (…), légitime publique-
niers jours doit, elle, être déter-
minée par une enquête judi-
ciaire. Quatre personnes de na-
tionalité moldaves (dont un cou-
ple ayant été interpellé) sont sus-
pectées d’être à l’origine d’une
partie d’entre eux.
« Soutenir » les Français juifs
Le commanditaire présumé de
l’opération de taguage, l’homme
d’affaires moldave Anatolii Pri-
zenko, a confirmé au quotidien
Libération avoir payé des person-
nes pour peindre des étoiles de
David sur les murs parisiens, as-
surant que son but était de « sou-
tenir » les Français juifs. Une affir-
mation douteuse, alors que
M. Prizenko a publié des messa-
ges à connotation antisémite sur
les réseaux sociaux ces dernières
années. L’homme, qui a fait de la
OUESTIONS
POLITIOUES.
ment des agissements d’une
gravité particulière ou s’abstient de
modérer des incitations explicites à
commettre des actes de violence »,
a expliqué le Conseil d’Etat.
Les juges de la section du
contentieux, qui a siégé dans son
entièreté pour marquer l’impor-
tance de cette décision, n’ont
donc pas suivi l’avis du rappor-
teur public, Laurent Domingo, qui
s’était prononcé en audience en
faveur de la dissolution. Il est rela-
tivement rare que les juges pren-
nent le contre-pied du rapporteur
public. Chose plus courante, le
Conseil d’Etat a confirmé dans sa
décision de fond celle prise par le
juge des référés le 11 août, qui avait
décidé la suspension de la disso-
lution des Soulèvements de la
Terre. Sollicité par Le Monde, le
prison pour escroquerie en 2012,
a lancé différents groupuscules
prorusses avant de rejoindre le
Parti socialiste moldave, lui-
même prorusse et largement
contrôlé par Moscou.
Contacté par Le Monde, M. Pri-
zenko n’a accepté de répondre
que par écrit, s’abritant derrière
deux organisations inconnues,
la « Communauté juive euro-
péenne » et le « Bouclier de Da-
vid » (lui-même explique ne pas
être juif et répète avoir voulu
« ôter leur peur aux juifs »). Il re-
fuse d’évoquer le financement de
son opération, nie tout lien avec
les structures ou les personnali-
tés liées au réseau Doppelgänger
et affirme « être au courant seule-
ment d’actions menées en
France ». « C’est possible qu’il y en
ait eu dans d’autres pays mais qui
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Il est
relativement rare
que les juges
prennent
le contre-pied
du rapporteur
public
ministère de l’intérieur n’a pas
souhaité faire de commentaire.
Concernant les trois autres
dissolutions, le Conseil d’Etat a
estimé qu’elles étaient « justi-
fiées ». « La GALE avait publié des
images de violences à l’encontre de
policiers, accompagnées de textes
haineux et injurieux, ainsi que des
n’ont pas été remarquées par les
médias », écrit-il. Des photos de
tags dans des villes allemandes
ont été diffusées entre fin octo-
bre et début novembre par des
comptes de propagande russe
sur la messagerie Telegram.
Moscou a de son côté réfuté
tout lien avec ces opérations.
« Non, il n’y a pas eu d’influence
extérieure, ce n’est pas un sabo-
tage ou une provocation », a certi-
fié jeudi la porte-parole du mi-
nistère des affaires étrangères
russe, Maria Zakharova, lors
d’une conférence de presse. La
diplomatie russe a récemment
porté des accusations similaires
à l’encontre des « services secrets
occidentaux », désignés comme
les responsables de différents in-
cidents antisémites survenus
dans le Caucase les 28 et 29 octo-
CARINE
BÉCARD avec
Guillaume Daret
et Françoise Fressoz
0123
messages approuvant et justifiant
des violences graves envers des
militants d’extrême droite, entraî-
nant des appels à la violence que le
groupe n’a pas tenté de modérer » ;
L’Alvarium « a publié des messages
justifiant la discrimination et la
haine envers les personnes étrangè-
res ou les Français issus de l’immi-
gration », a-t-il affirmé pour justi-
fier la dissolution de ce groupus-
cule. La Coordination contre le ra-
cisme et l’islamophobie a publié
des propos tendant « à imposer
l’idée que les pouvoirs publics, ou
encore de nombreux partis politi-
ques et médias, seraient systémati-
quement hostiles aux musulmans
et instrumentaliseraient l’antisémi-
tisme pour leur nuire », a déploré la
juridiction administrative. p
christophe ayad
bre, en particulier de l’attaque de
l’aéroport de Makhatchkala, au
Daghestan.
C’est la deuxième condamna-
tion officielle du Quai d’Orsay vi-
sant Doppelgänger, une longue et
vaste opération d’influence russe
en ligne qui s’appuie aussi bien
sur des faux sites d’information
que sur des copies de médias fran-
çais, allemands ou mêmes ukrai-
niens. Ce réseau diffuse notam-
ment ses contenus à l’aide d’un
réseau de faux comptes Facebook
et Twitter, généralement de très
mauvaise facture et à la portée li-
mitée, mais aussi en achetant des
publicités sur le réseau social de
Meta à l’aide de fausses pages. p
damien leloup,
florian reynaud
et benoît vitkine
(moscou, correspondant)
TV canal 27
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023 france | 15

L’embarras de députés français invités au Qatar

Plusieurs élus qui se sont rendus dans l’émirat ont attiré l’attention du déontologue de l’Assemblée nationale

B
oxeur émérite, Christo-
phe Naegelen est « un
passionné de sport et de
compétition ». Député
des Vosges (Libertés, indépen-
dants, outre-mer et territoire)
depuis 2017 et président du
groupe d’amitié France-Qatar
depuis 2022, l’élu de 39 ans a béné-
ficié d’invitations dans le cadre
d’une délégation ministérielle et
de l’Elysée pour assister aux
quarts et à la finale de la Coupe du
monde de football au Qatar, en
décembre 2022. Selon nos infor-
mations, il a par ailleurs été
convié au Qatar, début octobre, et
a assisté aux essais puis à la course
du Grand Prix de formule 1 de
l’émirat, sur le circuit de Losail.
Avant d’être contacté par Le
Monde, mercredi 8 novembre,
M. Naegelen n’avait pas déclaré
officiellement – par le biais de la
plate-forme prévue à cet effet –
ces avantages et voyages sur le
registre public de l’Assemblée na-
tionale des invitations et des dé-
placements acceptés par les dépu-
tés. Il certifie l’avoir fait, après nos
échanges. Les trois déclarations
de l’élu ont été publiées jeudi 9 no-
vembre, l’intéressé reconnaissant
en avoir fait deux « tardivement ».
Le 30 mai, M. Naegelen avait
pourtant dûment déclaré, sur le
registre public, un autre séjour, de
quatre jours, en juin, à Doha, dans
le cadre du groupe d’amitié Fran-
ce-Qatar, aux frais de l’ambassade
du Qatar en France.
Jointe, l’Assemblée nationale
nous rappelle que, selon son
règlement, les élus doivent décla-
rer, « dans un délai d’un mois à
compter de sa réception, tout don,
invitation à un événement sportif
ou culturel ou avantage » ainsi
que « toute acceptation d’une invi-
tation à un voyage quel que soit le
tiers, dont ils ont bénéficié à raison
de leur mandat. La déclaration, ef-
fectuée préalablement au voyage,
doit être accompagnée d’éléments
précisant le programme du
voyage et ses modalités ».
« Ces règles générales sont appli-
cables aux activités des députés
dans le cadre des groupes d’amitié.
Le seuil de valeur a été fixé à
150 euros », développe l’Assemblée
nationale, alors que son déontolo-
gue, Jean-Eric Gicquel, peut con-
trôler plus étroitement certains
élus en cas de signalement et rele-
ver des manquements au bureau,
lui-même susceptible de prendre
des sanctions disciplinaires.
M. Naegelen a bénéficié d’une
place au stade et d’un héberge-
ment (pour deux nuits) gratuits,
pour les quarts de finale du Mon-
dial 2022. Initialement convié par
l’émirat, l’élu a fait partie de la
Le député
Christophe
Naegelen
reconnaît
avoir commis
une « erreur »
en ne déclarant
pas ses voyages
délégation de la ministre des
sports, Amélie Oudéa-Castera
(dont l’hébergement a été pris en
charge par le Qatar). Il affirme
avoir payé son vol aller-retour sur
son avance de frais de mandat.
« Il ne m’est rien reproché »
Le député est revenu au Qatar,
quelques jours plus tard, dans un
Airbus A330, en compagnie d’Em-
manuel Macron, avec la déléga-
tion du chef de l’Etat, pour assister
gratuitement à la finale du Mon-
dial. Selon les éléments recueillis
par Le Monde, une suite a été ré-
servée pour M. Naegelen à l’hôtel
Hilton de Doha, du 17 au 19 décem-
bre. Comme pour les quarts, les
places pour ce match ont été offer-
tes par le comité d’organisation
du Mondial, selon « l’usage proto-
colaire », rappelle la présidence de
la République, qui déclare avoir
réglé l’hébergement de la déléga-
tion (contrairement à M. Naege-
len, qui déclare à l’Assemblée na-
tionale que le Qatar a payé sa nuit
d’hôtel). L’élu dit être rentré en
France par avion grâce à son
avance de frais de mandat, alors
que M. Macron s’est rendu, après
la finale, en Egypte et en Jordanie.
L’élu reconnaît avoir commis
une « erreur » en ne déclarant pas
ses voyages de décembre 2022 au
Qatar. Il assure avoir considéré
pouvoir s’abstenir dans la mesure
où ceux-ci avaient été effectués, « à
la demande du gouvernement », au
sein d’une délégation ministé-
rielle et présidentielle. L’élu avance
avoir « été tiré au sort » parmi les
députés dans le cadre « d’un con-
trôle, en fin d’année, des frais » de
mandat annuels pour 2022. Il pré-
tend avoir ainsi rencontré, fin oc-
tobre, le déontologue de l’Assem-
blée nationale, chargé dudit con-
trôle. Ce dernier lui aurait rappelé
que toute invitation devait être
dûment enregistrée, même émise
par le gouvernement et l’Elysée.
« Dont acte, il ne m’est rien repro-
ché, je me suis mis dans les clous »,
glisse l’élu, ajoutant savoir que
« son rôle de président de groupe
d’amitié est scruté à la loupe ».
En novembre 2022, M. Naegelen
a cosigné, avec un autre élu du
groupe d’amitié France-Qatar,
une tribune sur le site de L’Opi-
nion afin de dénoncer les appels
au boycott du Mondial de football
dans l’émirat.
L’élu plaide la « bonne foi »
M. Naegelen n’est pas le seul
député concerné par une telle
omission dans ses déclarations.
Elu de Paris, Sylvain Maillard (Re-
naissance) a bénéficié des mêmes
avantages au sein de la délégation
présidentielle pour la finale de la
Coupe du monde. Il n’a rien dé-
claré à ce jour. Tout comme Amé-
lia Lakrafi (Renaissance, Français
de l’étranger), vice-présidente du
groupe d’amitié. Contactés, ils
n’ont pas donné suite.
Député des Yvelines (Renais-
sance) et proche de l’état-major du
Paris-Saint-Germain, propriété
du fonds Qatar Sports Invest-
ments, Karl Olive figurait dans la
délégation présidentielle pour les
demi-finales et la finale du Mon-
dial 2022. S’il assure avoir payé de
« Je n’ai rien
déclaré, car
ces voyages
étaient faits avec
le président [de
la République] »
KARL OLIVE
député Renaissance
des Yvelines
sa poche son vol retour après la
finale, l’ex-journaliste sportif a
bénéficié de places et d’un héber-
gement gratuits. « Je n’ai rien
déclaré, car ces voyages étaient
faits avec le président. Je vais
quand même poser la question au
déontologue », se justifie M. Olive.
Et d’ajouter qu’il a davantage
participé à ces voyages dans la dé-
légation du chef de l’Etat en tant
que « président du Variétés Club de
France [club de football rassem-
blant des personnalités médiati-
ques] » que comme député.
Au Sénat, dans un autre cas de
figure, Olivier Cadic (Union cen-
triste, Français de l’étranger) et
Louis-Jean de Nicolaÿ (Les Répu-
blicains, Sarthe) ont déclaré leurs
déplacements au Qatar et invita-
tions à des matchs du Mondial
2022 par les autorités qataries.
Pour sa part, M. Naegelen n’a pas
déclaré sur le registre public de
l’Assemblée nationale, avant d’être
contacté par Le Monde le 8 novem-
bre, un autre voyage au Qatar, qu’il
prétend avoir évoqué lors de sa
rencontre récente avec le déonto-
logue. Du 7 au 9 octobre, il dit s’être
rendu dans l’émirat, sur « l’invita-
tion » de l’association Qadran,
cercle économique franco-qatari.
Selon lui, les billets d’avion et
l’hébergement ont été pris en
charge par l’émirat. Sur place, en-
tre deux réunions, M. Naegelen a
assisté gratuitement aux essais
ainsi qu’à la course du Grand Prix
de formule 1, accédant au salon
VIP du « Paddock club » et dînant
avec l’ambassadeur du Qatar en
France, « son homologue fran-
çais » et « des chefs d’entreprise ».
Au Monde, l’élu plaide la « bonne
foi » et soutient qu’il se serait
initialement engagé à rembour-
ser, sur ses fonds personnels, et
une fois facturé, le montant des
frais de vols et d’hébergement à
l’agence de voyages liée à Qadran
et à l’ambassade du Qatar. Le
député affirme qu’il aurait fait
part, fin octobre, au déontologue
de son intention de restituer cette
somme. « Vol et hôtel pris à charge
personnelle », a écrit l’élu, jeudi,
dans sa déclaration sur le registre
public. L’Assemblée nationale sou-
ligne que son déontologue « ne
commente pas les cas individuels ».
Qadran assure au Monde
n’avoir « jamais eu d’interaction
avec M. Naegelen », ni n’avoir « à
aucun moment été associée direc-
tement ou indirectement à son dé-
placement d’octobre au Qatar,
pour un événement auquel Qa-
dran n’a pas non plus participé ».
Contactée, l’ambassade du Qatar
en France n’a pas répondu. p
rémi dupré

Tarifs 01/01/23

Bonnes Adresses Reproduction interdite

Prix à la ligne : 15 € HT - 18 € TTC
Autres formats : nous consulter
marie-cecile.bernard@mpublicite.fr

ANTIQUITÉS LE PLUS GRAND ESPACE ARMOIRES LITS

À PARIS • Conditions exceptionnelles !

ACHAT AU DESSUS
DE VOS ESTIMATIONS
ET EXPERTISES
« ART D’ASIE » :
CHINE, JAPON
ET MOYEN-ORIENT ARLITEC, CELIO, CLEI, DUEBI ITALIA
06 07 55 42 30 Lit relevable seul, 2 en 1 avec canapé
P. MORCOS ou bureau, couchage simple ou double...
EXPERT CNE une solution pour chacun !
✶ Porcelaines et Bronzes
✶ Cristal de Roche
Nos armoires lits sont installées par des professionnels qualiiés.

✶ Corail et Ivoires Anc.

✶ Jade blanc et couleurs
©

✶ Cornes et Laques
✶ Peintures et Tissus anc. 147 rue Saint-Charles Paris 15 • 7j/7
Hors éco-participation
✶ Manuscrits et Estampes
DEPLACEMENT 01 45 75 02 81, M° Boucicaut ou Charles Michels
au lieu de 3.169€
* 07.10. _
PARIS – PROVINCE Canapés, literie, mobilier :

1.990€
morcospatrick@orange.fr nos adresses sur www.topper.fr

17.11.23

Immobilier
*MODÈLE JOKER 9361 | fauteuil relax électrique 2 moteurs | cuir 24 LONGLIFE blanc ou noir
| base K,L,N,O | photo non contractuelle | voir variantes et conditions en magasin.

Reproduction interdite
RUBRIQUE IMMOBILIER
©
ef

LE PLUS GRAND ESPACE RELAXATION À PARIS • 7J/7

0123 Vos acheteurs et locataires
Fauteuils de relaxation Paris 12 Store Himolla Paris 15e
54 cours de Vincennes, 63 rue de la Convention, Pour clientèle internationale et sociétés, nous VENDONS et LOUONS sont parmi nos lecteurs.
01 40 21 87 53, M° Nation 01 45 77 80 40, M° Boucicaut votre APPT sur Paris et petite couronne. Conseil sur travaux
Canapés, literie, mobilier : toutes nos adresses sur www.topper.fr d’amélioration de votre DPE LOCATION - VENTE - GESTION
GetaHomeinFrance.Co.Uk - Tél : 06.15.18.96.80

RUBRIQUE Professionnels ou particuliers,

BONNES ADRESSES Le Monde devient votre vitrine
marie-cecile.bernard@mpublicite.fr
POUR VENDRE, VOULEZ-VOUS LE BON PLAN OU LE MEILLEUR ?
16 |
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
IMMOBILIER
La crise du logement
renforce les tensions
sur le marché du travail
La difficulté de se loger à des prix abordables dans
les grandes agglomérations est devenue un tel frein
à l’emploi que les entreprises s’y intéressent et multiplient
les pistes pour tenter d’accompagner leurs salariés
E
st-il encore possible de se loger
décemment à Paris avec un sa-
laire de fonctionnaire ? Lasse de
chercher des solutions, Béré-
nice (le prénom a été changé),
professeure d’arts plastiques
dans les écoles de la capitale, a fini par dé-
ménager en septembre avec son fils pour
un 52 mètres carrés dans les Yvelines, à
une heure de son travail. Il y a cinq ans, lors-
que son couple se délite, elle comprend que
prendre son autonomie ne va pas de soi.
Son salaire, rapporté aux loyers parisiens,
ne lui permettra au mieux d’accéder qu’à
un 25 mètres carrés, avec une chambre,
pour son fils. « A 55 ans, après une vie dans
l’éducation et le social, dormir dans le canapé
du salon et plus un sou à la fin du mois, c’était
ça l’horizon », s’indigne-t-elle.
Elle a pourtant multiplié les démarches
pour obtenir un logement social. « Comme
tous les voyants ne sont pas au rouge, vous
n’avez aucune chance », lui lance un jour une
assistante sociale, qui détaille : elle n’a pas de
famille nombreuse, elle ne vit pas à l’hôtel
ou chez un tiers, elle n’est pas victime de vio-
lences. « Je ne vais quand même pas faire
croire que je suis battue ! », rétorque Bérénice.
« “Eh bien si !”, m’a sérieusement répondu la
dame, une main courante ferait avancer le
dossier », raconte-t-elle, encore sidérée. Elle
n’en fera rien. Aujourd’hui, dans le petit sa-
lon de son nouvel appartement, elle s’inter-
roge : « J’adore mon travail, mais est-ce que ça
vaut le coup tout ça ? Peut-être vaudrait-il
mieux partir en province ? Nous aurions une
vie moins étranglée… »
Cette question se pose à nombre de ména-
ges de la classe moyenne qui travaillent à Pa-
ris. La capitale connaît d’ailleurs ces dernières
années une érosion, faible mais continue, de
sa population. Dans toutes les métropoles et
les zones attractives, administrations et en-
treprises connaissent le même sort. « Très
souvent les jobs qui ne sont pas pourvus, c’est
pour un problème de logement », alertait cet
été Geoffroy Roux de Bézieux, encore prési-
dent du Medef. « C’est un énorme problème.
Pour les entrepreneurs qui ne trouvent pas à
embaucher, et pour nos collaborateurs qui doi-
vent vivre à deux heures de trajet pendulaire de
leur travail », renchérit Bernard Cohen-Ha-
dad, président de la CPME Ile-de-France.
Le smic francilien : un dispositif déjà testé, et complexe
cela paraît frappé au coin du bon
sens : le coût de la vie étant plus élevé
en Ile-de-France, pourquoi ne pas rele-
ver localement le montant du salaire
minimum ? C’est le pavé dans la mare
lancé fin septembre par la région Ile-
de-France. Parmi 45 compétences
nouvelles demandées à l’Etat pour un
« choc de décentralisation », obtenir
une négociation spécifique du salaire
minimum en région parisienne, pour
établir ainsi un « smic francilien », fi-
gurait en première position. « Une
question de justice ! », arguait sa prési-
dente, Valérie Pécresse (LR), dans une
tribune parue peu après dans L’Ex-
press prenant pour exemple le coût
du logement. « La location d’un studio
à Créteil, en Ile-de-France, absorbe plus
de la moitié d’un smic, alors qu’à Limo-
ges, en Nouvelle-Aquitaine, elle ne re-
présente que 25 % », avançait-elle.
Au nom de la « différenciation territo-
riale », la loi 3DS de 2022 permet aux
Il n’est pas nouveau. Dès le début des an-
nées 1950, face à la pénurie, l’Etat et les parte-
naires sociaux créent le 1 % logement. L’orga-
nisme, rebaptisé Action Logement, continue
de financer le logement des salariés à reve-
nus modestes, grâce à la collecte d’une coti-
sation, la participation des employeurs à l’ef-
fort de construction (PEEC), fixée à 0,45 % de
la masse salariale des entreprises.
Mais les tensions logement-emploi se-
raient aujourd’hui à leur paroxysme. « La
crise actuelle, multifactorielle, n’a pas de pré-
cédent : on retourne vers le plein-emploi et en
même temps, depuis 2017, ce sont plus de
10 milliards d’euros de financements de la po-
litique du logement qui ont disparu, notam-
ment en direction du logement social », s’in-
digne Bruno Arcadipane, président d’Action
Logement et vice-président du Medef.
« ALÉAS DE TRANSPORT »
Entre la hausse brutale des taux d’intérêt qui
a freiné l’accès à la propriété, la chute des mi-
ses en construction, l’allongement des listes
d’attente pour un logement social, la France,
comme de nombreux pays en Europe, est
confrontée à une pénurie de logements, et
en particulier de logements abordables. La
vague massive de transformation d’apparte-
ments en meublés touristiques, alimentée
par le succès d’Airbnb, accentue la crise.
Une étude réalisée en avril par la société de
conseil Algoé estime que, sans la PEEC, les ac-
tifs composant la classe moyenne gagnant
entre 1 900 et 2 800 euros net « ne pourraient
plus se loger en zones tendues », où les prix et
les loyers sont élevés, ni « faire tourner l’éco-
nomie, là où se situe la majorité des emplois ».
Au deuxième trimestre 2023, les loyers se
sont envolés de 5,4 % sur un an pour les une-
pièce, particulièrement prisés des jeunes ac-
tifs, selon l’institut Clameur. Parallèlement,
les salaires n’ont pas augmenté aussi vite
que l’inflation. Si bien que le coût du loge-
ment pour les classes moyennes se trouve
aujourd’hui décorrélé de leurs revenus et de
leurs capacités d’emprunt.
Le phénomène touche aussi bien les très
grandes que les très petites entreprises. Des
vingt employés de Stéphanie Causse dans
ses trois instituts de beauté Body Minute du
15e arrondissement de Paris, la quasi-totalité
vivent en dehors de Paris, et « souvent vrai-
collectivités territoriales de proposer
des adaptations du droit à leurs parti-
cularités. « L’égalité sur tout le territoire
national peut entraîner une inégalité
de fait au niveau local. En Ile-de-France,
le coût de la vie est tel qu’on ne peut
plus raisonner à smic égal. Il faudrait
pouvoir en rediscuter au niveau franci-
lien, avec les partenaires sociaux », sou-
ligne Jean-François Vigier, conseiller
régional UDI, qui a porté le rapport.
« Des différences considérables »
L’idée avait déjà été mise à l’étude
dans le rapport du groupe d’experts
sur le smic en 2017. Qui soulignait
l’existence d’une telle différenciation
au Mexique, au Portugal concernant
Madère et les Açores, au Canada, aux
Etats-Unis, au Japon. La régionalisa-
tion du smic a également existé en
France, au lendemain de la Libéra-
tion, quand les salaires étaient fixés
par décret, puis a été maintenue lors
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
ment loin ». Un personnel fatalement « sou-
« SI NOUS mis aux aléas de transport ». « En cas de grève,
N’OFFRONS PAS potentiellement, on n’ouvre pas la boutique »,
s’inquiète-t-elle. Déjà, elle a réduit les horai-
DES CONDITIONS res d’ouverture, par manque de personnel.
« Quand je recrute, elles me disent souvent :
DE TRAVAIL ET DES “Une heure trente de transport, ça ne me dé-
CONDITIONS DE VIE range pas.” Moi, je sais qu’à la longue, ça finit
par peser dans les raisons de départ. »
AMÉLIORÉES, LES
UNE PRIORITÉ
PROFESSIONNELS DE Même constat à l’hôpital, dans les villes at-
tractives. « Si nous n’offrons pas des condi-
SANTÉ PARTIRONT » tions de travail et des conditions de vie amé-
YANN BUBIEN liorées, les professionnels de santé partiront,
directeur général constate Yann Bubien, directeur général du
du CHU de Bordeaux CHU de Bordeaux. J’en vois déjà quitter Bor-
deaux pour des villes moyennes, comme Agen
ou Mont-de-Marsan, où pour une même ré-
munération, le loyer est deux fois moins cher,
ça leur change la vie. »
Le 19 octobre, au Palais des congrès de Paris,
la Fédération française du bâtiment avait con-
vié, pour un Sommet de la construction, une
brochette de dirigeants de grands groupes
français, témoignant des mêmes difficultés.
« On a un mal de chien à les loger », s’alarmait
de l’instauration du smig en 1950. Il pour que ça fonctionne, il faudrait une
s’agissait d’ajuster la valeur du salaire très forte granularité, ce qui donnerait
minimum au niveau effectif du coût des milliers de smic différents. »
de la vie dans chaque lieu de travail. Par ailleurs, souligne-t-il, le smic dé-
Mais ce principe a été abandonné à la pendrait du lieu de travail : « Or, deux
création du smic en 1970. Et, pour les salariés de la même entreprise peu-
mêmes raisons qui avaient conduit à vent vivre dans des lieux très éloi-
son abandon, le rapport des experts gnés. » II s’inquiète enfin du coût de la
de 2017 a conclu que son rétablisse- mesure pour les chefs d’entreprise.
ment n’était pas « à ce stade une piste « On ne peut pas faire résoudre tous les
de réforme pertinente ». problèmes au salaire minimum, insis-
« On avait examiné cela avec bien- te-t-il. Le coût du loyer, c’est un pro-
veillance à l’époque, car cela semble blème de politique du logement. »
logique a priori. Mais de près, c’est une C’est également l’avis d’Olivia
très mauvaise idée », précise aujour- Polski, adjointe chargée des ressour-
d’hui l’économiste Gilbert Cette, pré- ces humaines et du dialogue social à
sident du comité d’experts sur le la Mairie de Paris : « Avant de parler du
smic. « Quand on regarde de façon smic, ce serait bien que la région Ile-de-
fine les différences de prix des loge- France soutienne le logement social.
ments par exemple, on constate qu’el- Est-ce qu’il ne faudrait pas aussi réflé-
les varient non pas par région, ni chir à des outils de régulation ? Pour-
même par ville. A Paris, à 300 mètres quoi pas en travaillant avec nous à
de distance, vous pouvez avoir des dif- l’encadrement des loyers ! » p
férences de loyer considérables ! Donc aline leclerc
0123
notamment Marc-Antoine Jamet, secrétaire
général de LVMH, en évoquant les maroqui-
niers et tapissiers qui travaillent pour la ma-
nufacture Louis Vuitton à Asnières (Hauts-de-
Seine). Idem pour les saisonniers embauchés
par les palaces du groupe à Saint-Tropez (Var)
et Courchevel (Savoie), « où le logement est
non seulement onéreux, mais saturé ». En Hau-
te-Savoie, région frontalière de la Suisse où
l’immobilier est cher, une période d’essai sur
quatre serait rompue à cause d’un problème
d’accès au logement, confie-t-on au Medef.
Tous les employeurs comprennent qu’il
faut désormais trouver des solutions, pour
ne pas mettre en danger leur activité. La
SNCF, par exemple, où la fin du statut de che-
minot, décidée par la réforme ferroviaire de
2018, a fait perdre en attractivité. Face aux
réelles difficultés pour embaucher, elle pro-
pose depuis 2019 une « garantie logement »
en région parisienne : l’entreprise s’engage à
fournir un hébergement à tout cheminot
nouvellement recruté, dans un délai de qua-
tre mois et à proximité de son lieu de travail,
au prix du logement social.
A la RATP, le nouveau PDG, Jean Castex, a lui
aussi fait du logement des salariés une prio-
rité. « On est une industrie de main-d’œuvre
en centre-ville. Or, par définition, nos conduc-
teurs embauchent avant les premiers trains. Si
on veut qu’ils soient à l’heure, il faut qu’ils ha-
bitent à proximité, à Paris, en petite cou-
ronne », estime Céline Tignol, directrice de
l’immobilier à la RATP. En juillet, l’entreprise
a ainsi signé un nouvel accord avec Action
Logement : elle va surabonder sa participa-
tion à la PEEC, et en contrepartie, Action Lo-
gement s’est engagé à loger un plus grand
nombre de salariés, avec l’objectif d’atteindre
les 1 100 familles logées dès 2024.
Le départ d’un grand nombre de ses soi-
gnants après la crise sanitaire a aussi poussé
l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris
(AP-HP) à s’adapter. En plus de son offre his-
torique destinée à aider au logement du per-
sonnel, deux nouveaux dispositifs permet-
tent, depuis 2020, d’attirer sur les métiers en
tension − à 80 % des infirmiers et infirmiè-
res. A la sortie de l’école, les jeunes profes-
sionnels se voient proposer studios ou colo-
cations dans Paris, pour une période de
douze à dix-huit mois, assortis de loyers 50 %
en dessous du prix du marché. Et pour fidéli-
ser ceux qui donnent satisfaction, des appar-
tements sont mis à disposition dans le parc
libre ou intermédiaire, avec un loyer raboté.
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023 économie & entreprise | 17

Le Livret A, de l’habitat social à l’armement

très largement dévolu au financement de
l’habitat social, le Livret A – le plus populaire
des produits d’épargne réglementée avec un
encours de 405 milliards d’euros – pourra aussi
servir à accompagner les entreprises du secteur
de la défense. Dans le cadre de l’examen du pro-
jet de loi de finances 2024, dont le volet dé-
pense a été adopté avec un nouveau 49.3, un
amendement avait été glissé in extremis mardi
7 novembre par le président de la Commission
de la défense nationale et des forces armées de
l’Assemblée nationale, Thomas Gassilloud (Re-
naissance, Rhône), afin de « flécher » l’épargne
vers les PME-PMI de la base industrielle et tech-
nologique de défense (BITD) comptant
4 000 entreprises, dont la moitié est très im-
portante pour les armées.
M. Gassilloud et les deux autres signataires,
Christophe Plassard (Horizon, Charente-Mari-
time), qui a aussi proposé un livret spécifique et
défiscalisé pour financer les entreprises de dé-
fense, et Jean-Louis Thiériot (LR, Seine-et-
Marne), avaient fait une première tentative cet
été en introduisant l’amendement dans le pro-
jet de loi de programmation militaire 2024-
2030. Contre l’avis du ministère des finances,
qui voyait là un dangereux précédent. Fin
juillet, le Conseil constitutionnel avait rejeté
l’amendement au motif que ce « cavalier légis-
latif » n’avait rien à faire dans la loi de program-
mation militaire.
Risque réputationnel
L’épargne centralisée à la Caisse des dépôts et
consignations et destinée au logement social
ne sera pas concernée. Seuls les 40 % recueillis
par les banques, y compris le Livret de dévelop-
pement durable et solidaire, pourront apporter
des fonds aux entreprises de la BITD. Les parle-
mentaires ont également obtenu du gouverne-
ment qu’il fasse le bilan de cette initiative. Elle
s’inscrit dans le cadre de l’« économie de
guerre » décrétée en juin 2022 par le chef de
l’Etat : dans l’hypothèse d’un conflit de haute
intensité, Emmanuel Macron veut mobiliser
les acteurs économiques susceptibles de con-
courir à la défense.
« La reprise de cet amendement permet de tra-
duire cette volonté politique claire en acte nor-
matif et efficace », a réagi M. Gassilloud. Cela
doit aider l’industrie de défense, qui compte
près de 200 000 salariés, souvent dans des en-
treprises « duales » aux activités civiles et mili-
taires. Or les start-up, les PME et les ETI du sec-
teur essuient des refus de financement, pour se
développer, assurer leurs fonds de roulement,
exporter. Et il arrive qu’une petite société ne
puisse pas ouvrir un compte dans une agence
locale. Les banques, qui connaissent mal les
spécificités des entreprises de défense, mettent
en avant le risque réputationnel et le respect
des règles de conformité (trafic d’influence,
corruption…) renforcées par la loi Sapin 2 de
2016. Elles handicapent les exportations. Les
critères ESG (environnement, social et gouver-
nance), de plus en plus présents dans les straté-
gies d’investissement des financiers, pénali-
sent aussi le secteur.
Le groupement des industries de l’armement
terrestre se plaignait, fin 2020, que « les nouvel-
les contraintes du système bancaire mettent en
péril notre industrie de défense ». Au même mo-
ment, une « mission flash » de l’Assemblée ten-
tait de répondre à leur « cri d’alarme », pointant
le risque d’« un effritement de notre autonomie
stratégique et de notre souveraineté » en cas
d’affaiblissement de l’industrie. Trois ans plus
tard, et malgré la guerre russo-ukrainienne, la
situation ne s’est pas améliorée, selon le der-
nier rapport (2023) sur la BITD de M. Plassard : la
« frilosité bancaire » dénoncée en 2020 par le
ministère des armées et la délégation générale
pour l’armement demeure. p
jean-michel bezat

« C’est notamment grâce à ces mesures que
nous devrions recruter 400 infirmières de
plus en 2023 qu’en 2022. Nous constatons
aussi un ralentissement des départs (– 13 %
par rapport à 2022), estime Alexandra Pe-
ranzi, directrice stratégie logement de
Une zone qui compte peu de chômage, beau-
coup d’emplois industriels, et peu de terrains
constructibles. « On est dans l’arc Grand
Ouest, plutôt attractif en termes de qualité de
vie. Mais on manque de logements en nombre CONFÉRENCE
disponibles, et cela affecte vraiment notre acti-

l’AP-HP. L’idée était de créer un choc du loge-
ment, et de lier le bail au contrat de travail,
puisqu’il faudra restituer le logement en quit-
tant l’AP-HP. » Ce n’est pas le cas à la RATP.
L’ACCESSIBILITÉ
vité. Plusieurs nouveaux embauchés sont par-
tis faute de trouver où se loger, déplore-t-il. Les
politiques publiques ne sont pas à la hauteur. »
Autrice de plusieurs avis et rapports sur le

NUMÉRIQUE, UN TREMPLIN
« Ne pas expulser ses salariés retraités, d’un logement, la députée Renaissance du Finis-
point de vue citoyen, c’est logique. Mais en tère Annaïg Le Meur dit être elle-même reve-
tant qu’employeur, ça pose le problème du nue de l’idée de voir les PME acquérir de l’im-

manque de rotation du parc social », recon-
naît cependant Céline Tignol.
TAUX D’INTÉRÊT PRÉFÉRENTIEL
Pour retenir ses collaborateurs, Iroko, fintech
d’une soixantaine de salariés basée à Paris,
POUR L’EMPLOI ?
mobilier. « Ce n’est pas leur cœur de métier et
ce lien quelque peu “paternaliste” ne répond
pas forcément aux aspirations des locataires
salariés », explique-t-elle, préconisant d’orien-
ter les missions d’Action Logement vers les
petites entreprises.

propose de les aider à devenir propriétaires.
Développeur informatique, un profil très re-
cherché, Kévin Figiel a pu bénéficier d’un
taux d’intérêt préférentiel lors de l’achat de
sa maison dans le Val-d’Oise grâce au parte-
nariat avec Sofiap, spécialiste du prêt subven-
tionné. « Ce geste renforce le lien avec mon
employeur, c’est un gros plus », témoigne-t-il.
La prise en charge d’une partie du taux
pour les futurs dossiers représentera un ef-
fort financier d’au moins 2 000 euros par an
par salarié pour Iroko. « Mais je pense que ça
fidélise davantage que des Ticket Restau-
rant ! », estime Charles Duclert, cofondateur
de cette société de gestion. D’autant plus que
le salarié devra reprendre la totalité du taux à
sa charge, s’il quitte l’entreprise.
L’existence d’un lien direct entre emploi et
logement n’est pas neutre. Fin octobre en
commission des affaires économiques à l’As-
semblée, le député William Martinet (LFI,
Yvelines) s’est inquiété d’une nouvelle su-
bordination rendant les salariés « plus vulné-
rables ». « Perdre son emploi, ce sera perdre
son salaire et son logement : rupture de con-
trat de travail égale rupture de bail ! »
Face au manque de solution, de nombreu-
ses PME et entreprises de taille intermédiaire
en viennent cependant à se demander si el-
les ne seront pas contraintes de faire cons-
truire. « On a déjà tant à faire pour que l’entre-
prise tourne, que financer du logement, je ne
dis pas qu’on ne le fera pas mais ça va être
compliqué », s’inquiète David Jamin, direc-
teur général de la Manufacture française du
cycle, 750 salariés, qui fabrique des vélos de-
puis 1920 à Machecoul (Loire-Atlantique).
21 NOVEMBRE | 17H30-19H30
Les collectivités locales, enfin, prennent
aussi la mesure de la crise. Pour remédier au
manque d’attractivité de la fonction publi-
que parisienne, alors que 3 500 postes n’y
sont pas pourvus (7 % des effectifs), la Mairie
de Paris vient notamment de passer un ac-
cord avec les mairies d’arrondissement : cel- Auditorium du Monde, Paris 13e
les qui s’engagent à réserver 25 % de leur con-
tingent de logements sociaux aux agents La conférence sera suivie
municipaux se verront attribuer prioritaire-
ment les nouvelles recrues de métiers en ten- d’un cocktail
sion, puéricultrices ou policiers municipaux.
ZONES TENDUES
De son côté, mardi 7 novembre, le gouverne-
ment a donné trois mois au député Renais-
sance de Paris David Amiel pour trouver
comment développer « l’offre de logement lo-
catif à destination des agents publics » et
« améliorer » leur accès au logement dans les
zones tendues. « Nous ne pouvons pas accep-
ter qu’une soignante, un enseignant, une poli-
cière » fassent « des heures de trajet chaque
jour pour rejoindre leur travail », a souligné la
première ministre, Elisabeth Borne.
La lettre de mission n’évoque pas de re-
fonte de l’indemnité de résidence. Censé
compenser le coût du logement dans les ter-
ritoires les plus chers, son zonage n’a pour-
tant pas été mis à jour depuis vingt ans :
aucune indemnité prévue à Bordeaux mal-
gré la flambée de l’immobilier. Bérénice, la
professeure d’arts plastiques, elle, relève
bien cette indemnité sur sa fiche de paie pari- INSCRIPTION GRATUITE SUR
sienne : 87,13 euros mensuels… Quelque peu
décorrélée du niveau des loyers. p
LEMONDE.FR/ACCESSIBILITE-NUMERIQUE
véronique chocron et aline leclerc
18 | économie & entreprise 0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

PERTES & PROFITS | ÉNERGIE

Le vieillissement de la population p a r p h il ip p e e s c a nde

pèse sur la croissance allemande sur le «Coup de froid

petit » nucléaire
En raison du choc démographique, le potentiel de performance
de la première économie européenne pourrait se limiter à 0,4 % par an Emoi sur la planète nucléaire.
Alors qu’une bonne partie de
Trop long, trop cher, ils ont pré-
féré aller voir ailleurs. L’entreprise
l’avenir de cette technologie très a donc jeté l’éponge. « Quand vo-
peu carbonée repose sur le déve- tre cheval est mort, il faut en des-
berlin - correspondance tissement de la productivité et des que d’investir suffisamment dans loppement d’une nouvelle géné- cendre rapidement », a reconnu,
créations d’entreprises, le poten-
La charge la formation et l’innovation. ration de petits réacteurs modu- stoïque, le PDG de NuScale Power,

L’
Allemagne n’est pas
l’homme malade de
l’Europe, c’est l’homme
vieillissant de l’Europe. »
Le constat livré par Monika Sch-
nitzer, présidente du conseil des
experts de l’économie allemande,
ou « conseil des sages », n’est pas
nouveau. Le sujet pourrait reve-
nir au cœur du débat, tant la ques-
tion démographique devient cru-
ciale pour l’évolution de l’écono-
mie allemande.
Le rapport annuel du comité, re-
mis par les cinq économistes
mercredi 8 novembre au chance-
lier, propose une réforme en pro-
fondeur du système de retraite,
en suggérant de corréler l’âge de
départ à la retraite à l’évolution de
l’espérance de vie. La proposition
a été rejetée, jeudi 9 novembre,
par le syndicat IG Metall.
Pour les « sages », le défi démo-
graphique allemand est la cause
principale de la léthargie que de-
vrait connaître le pays, bien davan-
tage que la faiblesse conjonctu-
relle actuelle. Ce défi du vieillisse-
ment, assènent les économistes
en direction du gouvernement, a
été « insuffisamment préparé ». En
raison du départ en retraite des gé-
nérations nombreuses nées
autour des années 1960, du ralen-
Un compromis sur le prix de l’électricité
Après des mois de controverse, la coalition a trouvé un compro-
mis, jeudi 9 novembre, pour soulager les industries qui souffrent
tiel de croissance de la première
économie d’Europe pourrait se si-
tuer autour de 0,4 % par an jus-
qu’en 2028 si rien n’est fait. Soit un
tiers de la performance allemande
pendant les années 2010.
C’est une baisse massive de
création de richesse pour la pre-
mière économie d’Europe, qui
aura des conséquences considé-
rables sur le système social. Outre
les conséquences du manque de
main-d’œuvre, la charge finan-
cière du système de retraite sur
les jeunes générations pourrait
devenir insupportable : selon les
calculs du conseil, le taux de coti-
sation moyen pourrait passer de
18,6 % du salaire actuellement à
26 % d’ici à 2080, si le niveau des
pensions reste inchangé.
Les options sont limitées
Le problème des retraites était
passé au second plan des priorités
des politiques ces dernières an-
nées, en raison des chiffres élevés
de l’immigration. Mais le récent
tournant engagé par Berlin pour
réduire le nombre de demandeurs
d’asile, à la suite de la montée en
puissance de l’extrême droite,
montre les limites de cette appro-
che. Quant aux travailleurs quali-
fiés qui arrivent légalement dans
financière
du système
de retraite
pourrait devenir
insupportable
le pays, leur nombre ne devrait pas
suffire à combler le manque de
travailleurs à venir, les pays déve-
loppés étant par ailleurs en com-
pétition pour les meilleurs talents.
Les options sont donc limitées
pour le made in Germany. Certai-
nes de celles qui ont été présen-
tées par le conseil, mercredi, se-
ront potentiellement difficiles à
faire accepter à une population
où la génération née autour de
1960 est presque deux fois plus
nombreuse que celle des moins
de 20 ans.
Outre l’allongement de la durée
du travail, les « sages » ont évoqué
l’idée d’adapter à la baisse le ni-
veau des pensions, en introdui-
sant par exemple davantage de
solidarité entre les retraités, grâce
à des adaptations de la valeur du
point. Une autre voie proposée
est de créer un système complé-
mentaire de prévoyance vieil-
lesse par capitalisation, dans le-
quel les travailleurs pourraient
cotiser. Ils recommandent égale-
ment de mieux former les jeunes
générations aux investissements
sur les marchés financiers, en
leur confiant un capital de départ.
Or c’est la grande faiblesse ac-
tuelle de l’économie allemande :
le niveau d’investissement privé
des grandes entreprises est en
baisse, relève l’économiste Vero-
nika Grimm. Et le financement
par capital-risque, capable d’in-
vestir sur des idées très innovan-
tes, en particulier en phase de
croissance, est encore peu déve-
loppé outre-Rhin.
L’économiste Ulrike Malmen-
dier a rappelé que ce type de fi-
nancement est huit fois plus im-
portant aux Etats-Unis qu’en Alle-
magne. Elle recommande d’accé-
lérer sur le projet d’union des
marchés de capitaux, c’est-à-dire
l’harmonisation des règles finan-
cières dans l’Union européenne,
qui pourrait permettre de faciliter
les investissements.
Pour la population allemande,
qui préfère épargner sur son
compte courant qu’acheter des
actions, c’est tout une culture
qu’il faut faire évoluer. La réac-
tion d’IG Metall, jeudi matin, en
dit long sur les réserves d’une par-
tie de la population sur les idées
proposées sur la réforme des re-
traites : « Les propositions des soi-
disant économistes sages sont dé-
connectées des réalités », a déclaré
Hans-Jürgen Urban, membre de
la direction du puissant syndicat
de l’industrie, jeudi 9 novembre.
« Ce n’est pas en imposant davan-
tage de risques privés par le biais
d’obscurs modèles d’actions que
l’on sortira des défis du système lé-
laires, ou SMR (small modular
reactors), moins chers et plus
sûrs, le champion américain du
domaine vient de trébucher. La
société NuScale Power a annoncé,
jeudi 9 novembre, l’abandon du
projet d’installation dans l’Idaho
de sa première centrale électrique
de taille industrielle. Pourtant, la
firme est la seule à avoir obtenu
l’agrément des autorités pour le
design de ses machines, et l’Etat
fédéral a largement subven-
tionné ses recherches.
Mais les clients manquent à
l’appel. NuScale Power s’était en-
tendu avec un syndicat qui ras-
semble une cinquantaine de
fournisseurs d’électricité et de
municipalités dans l’Ouest améri-
cain. Au total, les contrats d’ap-
provisionnement en électricité
devaient couvrir 80 % des coûts
pour lancer l’opération d’ici à la
fin de l’année. Las, les collectivités
locales ne se sont pas bousculées
et le projet est très loin d’être fi-
nancé, en dépit d’une garantie de
1,4 milliard de dollars (1,3 milliard
d’euros) sur dix ans de la part du
département fédéral de l’énergie.
Les futurs clients ont été refroi-
dis par l’annonce récente d’une
augmentation des coûts, et donc
des prix de vente de l’électricité,
de plus de 50 % par rapport à ce
qui leur avait été promis en 2021.
John Hopkins. Mais il ne veut pas
dire que sa technologie est morte.
Il entend poursuivre ses autres
projets, notamment la fourniture
de son concept à des pays de l’Est
européen désireux de trouver
une alternative au charbon. Il a
notamment signé un accord avec
les autorités roumaines pour la
construction d’une installation
sur le site de la centrale à charbon
de Doicesti. Projet largement fi-
nancé par les Etats-Unis.
Ce premier revers montre que
le « petit » nucléaire n’est pas à
l’abri des déboires du « gros »,
comme l’EPR français. A son
avantage, NuScale Power promet
un réacteur doté d’une sécurité
passive. Il n’y a pas d’emballe-
ment en cas d’arrêt des machi-
nes. Mais sa technologie à eau
pressurisée reste la même que
celle des grosses installations
existantes comme l’EPR français.
Il ne prétend pas à la rupture des
réacteurs de nouvelles généra-
tions qui promettent de régler la
question des déchets en les brû-
lant. Cependant, ces dizaines de
projets dans le monde n’en sont
qu’au stade de la conception,
même pas du prototype indus-
triel, espéré autour de 2030. La
révolution des SMR, et avec elle
la renaissance du nucléaire, at-
tendra donc encore un peu. p

15 MILLIONS
d’une perte de compétitivité en raison des prix élevés de l’éner- C’est l’autre grande stratégie gal des retraites (…) Le défi démo-
gie. Berlin va baisser, pour tous les industriels y compris de taille proposée pour combler le man- graphique est une tâche qui in-
moyenne, les taxes sur l’énergie à un minimum européen et pro- que de main-d’œuvre et stimuler combe à l’ensemble de la société et
longer de cinq ans un dispositif de subvention. La mesure devrait la croissance : miser sur l’automa- qui doit être atténuée par l’impôt. »
coûter au contribuable 28 milliards d’euros d’ici à 2028, 17 mil- tisation, la numérisation et l’in- Actuellement, plus d’un cin-
liards profiteront aux industries les plus gourmandes, comme la telligence artificielle, autrement quième du budget fédéral est con- C’est, en euros, le montant que Sanofi va investir sur son site de Tours
sidérurgie et la chimie. Le ministre de l’économie Robert Habeck dit faire faire aux machines les tâ- sacré au financement des pen- pour y rapatrier une partie de la production d’un médicament
voulait subventionner un prix plafond de l’électricité à 6 centi- ches pour lesquelles les compé- sions de retraite, soit 100 milliards contre le cholestérol, fabriqué en Turquie depuis 2019. Cet investisse-
mes d’euros le kilowattheure jusqu’en 2030 pour certaines indus- tences manquent, quand cela est d’euros par an. Cette part pourrait ment, annoncé jeudi 9 novembre, est destiné à « lancer la production
tries. Le ministre des finances, Christian Lindner, ainsi que des possible. Cette stratégie, dont les s’élever à 45 % d’ici à 2040. p en France du Suvreza, aussi appelé Zenon dans d’autres pays », précise
économistes s’y opposaient, redoutant une subvention coûteuse. résultats sont incertains, impli- cécile boutelet le laboratoire. Un nouveau bâtiment devrait être opérationnel en 2025.
« La capacité de cette nouvelle unité sera d’environ 700 millions de
comprimés par an à destination d’une vingtaine de pays, notamment
en Europe et en Asie », détaille le communiqué.

L’Etat cible 183 territoires pour l’industrie CON J ON CT U R E

Etats-Unis : la Fed
pourrait encore relever
AÉR I EN
La reprise du trafic
aérien international
ses taux, avertit Powell s’accélère
Ce programme, qui associe industriels et pouvoirs publics locaux et nationaux pour lutter « Nous n’hésiterons pas » à Les compagnies aériennes
relever encore les taux direc- mondiales ont retrouvé
contre la désindustrialisation, est doté de 100 millions d’euros par an pendant cinq ans teurs « si nécessaire » face à la en septembre 97,3 % de leur
forte inflation aux Etats-Unis, trafic de passagers du même
a averti, jeudi 9 novembre, mois de 2019, avant la crise
chalon-sur-saône nement, avec l’aide et les finance- liée au Covid-19, pour venir en bottom up ! », abonde la ministre le président de la banque cen- due au Covid-19, grâce à l’ac-
(saône-et-loire) - envoyé spécial ments du plan France 2030. aide aux lieux touchés par des fer- Dominique Faure en évoquant trale américaine (Fed), Jerome célération de la reprise des
Copiloté par Christophe Béchu, metures d’usines, notamment cette démarche ascendante. Pour Powell, lors d’une conférence liaisons internationales, a an-

U n projet de renforce-
ment de la filière bois
dans les Vosges, un autre
d’innovation dans l’horlogerie
dans le Haut-Doubs ou la gestion
des déchets d’activité économi-
que en Champagne, un pro-
gramme de sensibilisation aux
métiers industriels dans les éco-
les du Perche… la liste est variée
des dossiers qui figurent dans les
183 Territoires d’industrie présen-
tés par le gouvernement jeudi
9 novembre à Chalon-sur-Saône
(Saône-et-Loire). Cinq ans après le
lancement de la première édition,
qui avait retenu 149 bassins d’acti-
vités, l’Etat reconduit ce dispositif
qui associe pouvoirs publics lo-
caux et nationaux, et industriels.
Dans le détail, sur 183 sites,
70 sont identiques à la première
phase, 84 ont été reconfigurés et
29 sont nouveaux.
Dotée de 100 millions d’euros
par an jusqu’en 2027, cette étape,
annoncée par Emmanuel Macron
dans son discours sur la politique
industrielle française le 11 mai,
met cette fois la priorité sur des
projets liés à la transition écologi-
que, chantier majeur du gouver-
ministre de la transition écologi-
que, Roland Lescure, ministre dé-
légué à l’industrie, et Dominique
Faure, ministre déléguée aux col-
lectivités territoriales, ce disposi-
tif vise à relancer l’industrie dans
les départements ruraux et les vil-
les moyennes, qui souffrent prin-
cipalement de la désindustrialisa-
tion en France depuis quarante
ans. « C’est le volet territorial de
notre politique industrielle », ex-
plique Roland Lescure pour qui
« l’industrie est le meilleur moyen
de réconcilier l’économie et l’écolo-
gie dans le pays, la fin du mois
et la fin du monde, les territoires
et les métropoles ».
« Potentiel caché »
Lancé à l’automne 2018, alors que
la France affrontait la crise des
« gilets jaunes », par l’ancien pre-
mier ministre Edouard Philippe,
le plan Territoires d’industrie a
créé, selon le gouvernement,
quelque 50 000 emplois en cinq
ans pour près de 2 400 projets lo-
caux mis en œuvre. Dans sa nou-
velle phase, l’exécutif met en
avant son volet « Rebond indus-
triel », créé après la crise sanitaire
dans la filière automobile,
comme à Béthune en 2020, avec
le départ de la marque de pneu-
matiques Bridgestone. Enfin, le
dispositif participe à l’identifica-
tion des 50 prochains sites indus-
triels « clés en main » proposés
par la loi sur l’industrie verte vo-
tée en octobre pour attirer de fu-
turs investisseurs.
Les défenseurs ont dû batailler
pour que le plan soit reconduit
après la fin de sa première tran-
che en 2022, une partie des argen-
tiers de Bercy au ministère de
l’économie et des finances le ju-
geant trop dépensier et doutant
de sa raison d’être. Au niveau lo-
cal, pourtant, le programme est
plébiscité par les collectivités,
avec près d’une intercommuna-
lité sur deux qui participe à la
nouvelle phase du programme.
« C’est un véritable acte de décen-
tralisation, avec un Etat stratège
qui fait confiance aux acteurs lo-
caux qui connaissent mieux leurs
besoins et leurs capacités », expli-
que Marie-Guite Dufay, prési-
dente de la région Bourgogne-
Franche-Comté. « On part des ter-
ritoires vers l’Etat, c’est le véritable
Sébastien Martin, président d’In-
tercommunalités de France et de
celle du Grand-Chalon, « la réin-
dustrialisation du pays ne se fera
que par les territoires », quand
Alexandre Saubot, qui dirige
France Industrie, rappelle : « 70 %
des emplois industriels en France
se situent dans des villes de moins
de 20 000 habitants ».
« L’envie d’industrie en France
est grande localement et explique
le succès avec les élus qui veulent
recréer de la richesse directement
sur place », souligne Olivier
Lluansi, ancien délégué du dispo-
sitif entre 2020 et 2022, désor-
mais conseiller au cabinet PwC et
enseignant à l’Ecole des mines de
Paris. Avec Guillaume Basset, son
prédécesseur de 2019 à 2020, il a
transmis en février au gouverne-
ment une note sur « le potentiel
caché de nos territoires » rédigée
pour La Fabrique de l’industrie.
« La France ne semble pas avoir
pris toute la mesure », écrivent les
deux experts, qui ont calculé que
près de 450 000 emplois sur dix
ans pourraient émerger de ces po-
litiques territoriales. p
bastien bonnefous
au Fonds monétaire interna-
tional. Les taux d’intérêt
se trouvent pourtant au plus
haut depuis plus de vingt ans,
mais cela pourrait ne pas être
suffisant dans la lutte contre
l’inflation, selon lui. – (AFP.)
F I S C ALI T É
La victoire d’Apple
en justice contre l’UE
remise en cause
Apple a subi, jeudi 9 novem-
bre, un revers avec l’avis d’un
magistrat de la Cour de jus-
tice de l’Union européenne
(CJUE), qui pourrait le con-
traindre à payer 13 milliards
d’euros d’arriérés fiscaux
à l’Irlande, conformément
à une décision de Bruxelles.
Dans un avis non contrai-
gnant mais généralement
suivi par les juges, l’avocat
général de la CJUE a recom-
mandé que soit rejugé ce li-
tige, qui oppose depuis sept
ans le fabricant de l’iPhone
à la Commission européenne,
remettant en cause la victoire
obtenue par l’américain
en première instance. – (AFP.)
noncé, jeudi 9 novembre l’As-
sociation internationale du
transport aérien. La reprise
reste inégale selon les ré-
gions, atteignant 105,3 % des
niveaux de septembre 2019
en Amérique du Nord
et au Moyen-Orient, mais
94 % en Europe et 79,7 %
en Asie-Pacifique. – (AFP.)
S PAT I AL
L’ESA compte envoyer
des astronautes dans
la station privée Starlab
L’Agence spatiale européenne
(ESA) a annoncé, jeudi 9 no-
vembre, un accord avec Air-
bus et Voyager Space, qui
construisent et exploiteront
la station spatiale privée Star-
lab, ouvrant la voie à la pré-
sence d’astronautes euro-
péens dans l’espace une fois la
Station spatiale internationale
hors service, au-delà de 2030.
Starlab, qui doit être mise en
orbite à l’horizon 2028, aura
un diamètre de huit mètres,
près de deux fois supérieur
à celui de l’ISS, et la moitié
de son volume. – (AFP.)
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023 économie & entreprise | 19

Frédéric Merlin s’empare de l’enseigne BHV

A 32 ans, le dirigeant du groupe SGM s’est fait une spécialité de redresser des centres commerciaux en difficulté

L
e BHV, « c’est encore le
plus gros revendeur de li-
terie de Paris. Surprenant,
non ? » Tel un enfant dé-
ballant son cadeau d’anniver-
saire, Frédéric Merlin, le nouveau
propriétaire du grand magasin
parisien s’émerveille du jouet
que son entreprise, spécialisée
dans le commerce de centre-ville,
façonnée depuis une dizaine
d’années avec sa sœur, est parve-
nue à acquérir.
Le BHV Marais, installé face à
l’Hôtel de ville de Paris (murs,
fonds de commerce et marque),
ainsi que le magasin situé dans le
centre commercial Westfield
Parly 2, dans les Yvelines, près de
Versailles, ont changé de mains,
ont annoncé les deux parties,
vendredi 10 novembre, « après
avoir obtenu l’aval des autorités
réglementaires compétentes », no-
tamment celui de l’Autorité de la
concurrence. D’un côté, la famille
Moulin, propriétaire des Galeries
Lafayette et du BHV, un grand
magasin parisien faisant partie
du groupe Nouvelles Galeries, ac-
quis en 1992. De l’autre, la jeune
entreprise familiale SGM, ancien-
nement Société des Grands Ma-
gasins, et son président de 32 ans.
Montant « confidentiel »
« C’est sans doute l’opportunité
d’une vie », s’enthousiasme celui
qui s’est fait un nom dans le « re-
tournement d’actifs commer-
ciaux ». Tout autant d’ailleurs
qu’« une étape cruciale dans la vie
de l’entreprise », propriétaire de
dix-huit sites de commerce en
France : 275 000 mètres carrés
d’actifs, qui attirent 46 millions
de visiteurs par an. Le montant
de la transaction restera « confi-
dentiel », même si des estima-
tions évaluent l’ensemble immo-
bilier aux alentours de 500 mil-
« Un petit prêt étudiant de
15 000 euros », après avoir ob-
tenu son brevet de technicien
supérieur en professions immo-
bilières, lui permet de monter
sa première entreprise à 20 ans,
Iméa Conseil, avec sa sœur Ma-
ryline, elle aussi étudiante en
droit. Pendant trois ans, la fratrie
ne fait qu’apporter « des opéra-
tions à des promoteurs, des mar-
chands de biens ou des investis-
seurs », avant d’entrer au tour de
table de l’une d’elles. Elle multi-
plie ce type d’investissement jus-
qu’à pouvoir commencer à réali-
ser des opérations seule et créer,
en 2015, L’Avenue Développe-
ment Immobilier, qui deviendra
le groupe SGM.
Après des débuts consacrés à la
réhabilitation d’immeubles de
centre-ville destinés au bureau et
au logement, les Merlin opèrent
un virage, en 2018, et se tournent
vers l’immobilier dévolu au com-
merce. En se faisant une spécia-
lité : redresser des centres com-
merciaux à la dérive dans des vil-
les moyennes. Comme à Roubaix
(Nord) avec Espace Grand’Rue,
qu’ils reprennent en 2018. Selon
M. Merlin, « l’insécurité s’est ins-
tallée », la moitié des commerces
a baissé le rideau et « des scooters
circulent dans le centre ».
Ils embauchent des agents de
sécurité locaux, installent un
tiers-lieu de 600 mètres carrés
(café social, aide à la rédaction de
curriculum vitae, garde d’enfant,
incubateur) et créent 400 em-
plois. Des initiatives qui permet-
tent « à la population d’être res-
pectueuse du centre commercial ».
Résultat, 97 % des boutiques
occupées en 2022 contre 53 %
en 2018 et un peu plus de 5 mil-
lions de visiteurs par an arpen-
tant le centre contre 3,2 mil-
lions quatre ans auparavant.
rayons enfant, etc.), afin que
l’« on entre dans le grand maga-
sin, que l’on ait quelque chose à
acheter ou non ».
Président du directoire du
groupe Galeries Lafayette, Phi-
lippe Houzé raconte avoir été
« tout de suite séduit par le person-
nage, son énergie, son audace ».
Dans le groupe, « son profil a
questionné pas mal de monde,
mais moi, j’ai tout de suite com-
pris que c’était un passionné. Ses
magasins étaient rentables et lui
s’est dit qu’il pourrait révéler en-
core davantage leur potentiel ».
Même si Merlin ne connaît pas
encore ce métier-là, dans lequel
« il faut sans cesse remettre des
moyens pour les garder au goût
du jour, faute de quoi les maga-
sins disparaissent progressive-
ment », selon M. Houzé.
Le BHV en est la preuve vivante.
Concurrencé par l’installation en
centre-ville des Ikea et autres Le-
roy Merlin sur un marché de
l’ameublement et du bricolage
Ce matin, Jean dirigeant
d’une PME a trouvé la
mutuelle idéale pour bien
protéger ses salariés.
« On reprend
la marque, on
crée un siège… »,
précise M. Merlin,
dont l’objectif
est d’en faire « le
grand magasin
des Parisiens »
qui constituait sa spécificité, le
grand magasin s’enfonce dans le
rouge, malgré d’importants in-
vestissements et une montée en
gamme. Avant d’être déstabilisé
par « le Covid-19, qui a fait fuir les
touristes, les difficultés d’accès
avec la fermeture des quais de
Seine, la priorité au vélo et mainte-
nant la zone à trafic limité », énu-
mère M. Houzé.
Fin août 2022, en « faisant un
tour de piste des magasins que
nous lui avions cédés, j’évoque
avec lui la possibilité que nous
mettions en vente le BHV pour re-
trouver une santé financière après
deux années Covid très denses,
qui ont occasionné deux fois cent
jours de fermeture de nos maga-
sins », poursuit le gendre de Gi-
nette Moulin, la principale ac-
tionnaire du groupe Galeries La-
fayette et petite-fille de son
fondateur. Et, à partir de ce mo-
ment-là, « Frédéric Merlin n’a plus
lâché l’idée ».
Accompagnement
Le 15 décembre 2022, M. Merlin
remet son offre avant d’entrer en
négociations exclusives en fé-
vrier, après accord de principe
avec sa banque. Et pour cause, la
Caisse d’épargne Rhône Alpes,
qui lui « a fait confiance » en lui
accordant son tout premier prêt
immobilier « pour une opération
sur un immeuble de centre-ville
à Lyon », appartient au groupe
BPCE, qui le finance aujourd’hui.
Les Galeries Lafayette l’accompa-
gneront pendant deux ans, le
temps de tout débrancher, de l’in-
formatique jusqu’aux approvi-
sionnements, lui donnant le
temps de devenir autonome. « On
reprend la marque, on crée un
siège… », précise M. Merlin, dont
l’objectif est d’en faire « le grand
magasin des Parisiens », en con-
servant son sous-sol réservé au
bricolage et sa spécificité dans
l’équipement de la maison et la
décoration.
Aux rumeurs qui lui prêtent un
intérêt pour les 22 magasins Gale-
ries Lafayette de l’empire déchu
de M. Ohayon, M. Merlin, qui ex-
ploite déjà sept grandes surfaces
de l’enseigne, assure ne « pas re-
garder à ce jour les opportunités
liées à ce groupe », et se concen-
trer sur le BHV. Une analyse par-
tagée par M. Houzé, qui souligne :
« Depuis toujours, nous sommes
clairs sur le fait que nous ne re-
prendrons pas » les magasins ven-
dus à M. Ohayon. p
cécile prudhomme

Maintenant, il a l’esprit
lions d’euros.
Dans les comptes du groupe « Un passionné »
SGM, les 300 millions d’euros de A Montigny-le-Bretonneux, dans

chiffre d’affaires annuel du BHV
s’additionneront aux 700 mil-
lions d’euros de volume d’affaires
des onze centres commerciaux
(Okabé, au Kremlin-Bicêtre, dans
le Val-de-Marne, Porte Jeune, à
Mulhouse, dans le Haut-Rhin,
Oceanis, à Saint-Nazaire, dans la
Loire-Atlantique…) et aux 150 mil-
lions d’euros de recettes des
sept magasins Galeries Lafayette
de province, rachetés aux mêmes
Moulin, le 3 mai 2022. « Toutes
nos entités sont rentables », pré-
cise l’intéressé.
Rien ne prédestinait pourtant
Frédéric Merlin à un tel parcours.
Né le 31 juillet 1991, à Vénissieux,
dans la banlieue lyonnaise,
d’une mère au foyer et d’un père
chef d’une petite entreprise dans
la tuyauterie industrielle, il en-
treprend des études de droit,
après avoir décroché son bacca-
lauréat à 17 ans. Il prend goût à
l’immobilier au cours d’un stage
tranquille.
les Yvelines, dans le centre com-
mercial SQY Ouest, ouvert
en 2005, et « acheté à moitié vide
en 2020 » à la foncière Hammer-
son, il applique une autre re-
cette. Plus osée, cette fois-ci : sor-
tir tous les commerces de ce site
de 31 000 mètres carrés, aux por-
tes d’une grande zone commer-
ciale voisine, qui vampirise tous
les achats. A la place, le groupe
installe des espaces de loisirs,
dont une piste de karting dans
les allées du centre, afin d’attirer Découvrez notre
« une population de grandes en-
treprises, pour des “afterworks”
ou des séminaires ». Ses emplet-
nouvelle ofre
tes sont « à chaque fois des histoi-
res différentes. A chaque fois du Entreprises Santé +
sur-mesure. Tous achetés avec
près de 50 % de taux de vacance,
ce qui est énorme et synonyme
d’insécurité », estime M. Merlin.
en appelant le 0800 555 515
Aujourd’hui, le taux moyen de
boutiques vides est de 5 % dans
ou sur malakofhumanis.com
toute la foncière, qui n’a revendu

Des garanties adaptées

mené en parallèle de ses études. aucun de ses achats.
Après avoir cédé un lot de 22 ma-
gasins dans des petites villes de
France (Niort, Tarbes…) en 2018 à à chaque secteur d’activité,
LES CHIFFRES Michel Ohayon (l’homme d’affai-
et un accompagnement
res était en pleine ascension à
cette époque, alors qu’il est
pour prendre soin de la santé
300
aujourd’hui en difficulté), les Ga-

C’est, en millions d’euros,

le chiffre d’affaires du BHV
en 2022.
18
C’est le nombre de sites
commerciaux en France appar-
tenant à la SGM. Ce qui équivaut
à 275 000 m² d’actifs, qui attirent
46 millions de visiteurs par an.
7 sins, à travers un contrat d’affilia-
C’est le nombre de magasins
Galeries Lafayette dans les villes
moyennes (Angers, Dijon,
Grenoble, Le Mans, Limoges,
Orléans et Reims) que la SGM
a rachetés en mai 2022.
leries Lafayette croisent sa route
en 2020, bien décidées alors à se
des salariés et les épauler
séparer de leurs sept magasins en cas de diiculté.
dans les villes moyennes (Angers,
Dijon, Grenoble, Le Mans, Limo-
ges, Orléans et Reims). Frère et
sœur ajoutent une corde à leur arc
avec l’acquisition de ces grandes
surfaces situées « dans des villes
moyennes hyperconnectées, reliées
par un TGV ».
Société foncière, le groupe SGM
devient ainsi exploitant de maga-
tion passé avec les Galeries La-
fayette. Les Merlin investissent
plus de 30 millions d’euros pour
appliquer les recettes qui ont fait
leur succès (espaces de restaura-
tion, de loisirs, installation de
magasins de jouets en face des
20 | planète
L’UE trouve un accord
sur la restauration de la nature
Le texte approuvé par les Vingt-Sept et le Parlement à l’ambition de
restaurer, d’ici à 2030, 30 % des surfaces terrestres et marines dégradées
bruxelles - bureau européen
C’
est, en théorie, la fin
d’un psychodrame
qui a beaucoup oc-
cupé la sphère euro-
péenne depuis cet été. Jeudi 9 no-
vembre, les Etats membres et le
Parlement européen se sont en-
tendus sur un compromis qui va
permettre à l’Union européenne
(UE) de se doter d’une loi sur la res-
tauration de la nature, censée
transcrire dans le droit commu-
nautaire l’accord de Montréal sur
la biodiversité et la nécessité de
restaurer 30 % des surfaces terres-
tres et marines dégradées d’ici à
2030, puis 60 % d’ici à 2040 et
90 % d’ici à 2050.
La ministre pour la transition
écologique espagnole, Teresa Ri-
bera Rodriguez, dont le pays as-
sure la présidence tournante du
Conseil de l’UE, s’est dite « fière » de
la loi, « la première en son genre ».
« Elle nous aidera à reconstruire des
niveaux sains de biodiversité et à
préserver la nature pour les généra-
tions futures, tout en combattant le
changement climatique », a-t-elle
affirmé. Selon des données com-
munautaires, plus de 80 % des ha-
bitats naturels sont dans un état
Proposition peu ambitieuse
sur la pollution automobile
Le Parlement européen a adopté, jeudi 9 novembre, une proposi-
tion de nouvelles normes (Euro 7) visant à réduire la pollution
automobile en retrait par rapport à l’ambition initiale du texte,
proposé par la Commission européenne, qui visait le « zéro pollu-
tion » d’ici à 2050 dans le cadre de son Pacte vert. Le texte adopté
par les députés européens diffère peu par rapport aux normes
précédentes (Euro 6) en vigueur depuis 2014. Les niveaux de rejet
de NOx des véhicules diesel, les plus émissifs, devraient être
alignés sur ceux des moteurs essence, mais pour ces derniers,
ce sont les seuils d’Euro 6 qui continueraient à s’appliquer.
La réforme de la gouvernance de la sûreté
nucléaire entre dans une nouvelle phase
Le texte prévoyant l’absorption contestée de l’Institut de radioprotection et de sûreté
nucléaire par l’Autorité de sûreté devrait être débattu au Parlement à partir de février 2024
F aire face à « un contexte
hors norme, sans précédent
depuis le début de l’épopée
nucléaire, pour lequel le système
actuel n’a pas été conçu ». Le
président de l’Autorité de sûreté
nucléaire (ASN), Bernard Doroszc-
zuk, a défendu, mercredi 8 no-
vembre, le projet contesté de
réforme de la gouvernance de la
sûreté porté par le gouverne-
ment, dans la foulée de la diffu-
sion de la première version du
projet de loi sur le sujet.
Ce texte prévoit le démantèle-
ment de l’Institut de radioprotec-
tion et de sûreté nucléaire (IRSN)
et son absorption par l’ASN, trans-
formée en une nouvelle Autorité
de sûreté nucléaire et de radio-
protection (ASNR). L’avant-projet
de loi, comportant dix-huit arti-
cles, devrait être présenté en con-
seil des ministres à la mi-décem-
bre et débattu au Parlement à
partir de février 2024.
Devant la commission des af-
faires économiques de l’Assem-
blée nationale, Bernard Doroszc-
zuk a justifié cette volonté de ré-
forme en rappelant les multiples
défis auxquels sera confrontée la
filière nucléaire au cours des pro-
chaines décennies, découlant du
choix du gouvernement de faire
de la relance de l’atome l’un des
piliers de sa politique énergéti-
que : prolongation de la durée de
de conservation « mauvais ou mé-
diocre » (tourbières, dunes, prai-
ries particulièrement), et jusqu’à
70 % des sols sont en mauvaise
santé. « Aujourd’hui, il n’y a aucune
gouvernance de la biodiversité à
l’échelle du continent. Le concept
juridique de restauration de la na-
ture n’existe pas. C’est donc une
étape significative qui vient d’être
franchie », commente pour sa part
Pascal Canfin, président de la com-
mission environnement du Parle-
ment européen.
Obligations de moyens
Si le compromis arrêté jeudi ne
permet pas d’assurer que les
Vingt-Sept atteindront cet objectif
– seules des obligations de
moyens, pas de résultat, y sont ins-
crites –, il donne néanmoins aux
Etats membres une direction dont
la droite européenne du Parti po-
pulaire européen (PPE) ainsi que
l’extrême droite ne voulaient pas
entendre parler au début de l’été.
Manfred Weber, le président du
PPE, et ses alliés populistes et na-
tionalistes exigeaient en effet le re-
trait de ce texte, dont ils affir-
maient qu’il mettrait en danger la
sécurité alimentaire de l’Union
européenne (UE) et compromet-
vie des réacteurs en fonctionne-
ment, construction de nouveaux
EPR, développement de petits
réacteurs innovants impliquant
l’apparition d’une multitude
d’acteurs « non rompus à la régle-
mentation et aux mécanismes ac-
tuels d’instruction », mise en
place de nouvelles capacités
d’entreposage et de stockage de
déchets, nouvelles usines de fa-
brication et de retraitement des
combustibles, adaptation des
installations au réchauffement
climatique…
« Mieux aligner les priorités »
« Face à ce nouvel environnement,
l’autorité actuelle du contrôle ne
pourra pas assurer sa mission
avec efficacité sans un renforce-
ment substantiel de ses moyens, de
ses compétences et sans une évolu-
tion de son organisation et de ses
modes de fonctionnement », a af-
firmé le président de l’ASN.
Le gouvernement met aussi en
avant, dans l’exposé des motifs du
projet de loi, le « changement
d’échelle » de la filière nucléaire. Il
estime que la fusion de l’ASN et de
l’IRSN au sein d’une même auto-
rité administrative indépendante
permettra notamment de « répon-
dre aux attentes en termes de délais
et d’efficacité ».
Vivement critiquée par les sala-
riés de l’IRSN, mais aussi par des
Plus de 80 % des
habitats naturels
sont dans un état
de conservation
« mauvais
ou médiocre »
trait le développement des éner-
gies renouvelables. A l’approche
des élections européennes, pré-
vues en juin 2024, ils voulaient
faire de la loi sur la restauration de
la nature l’emblème de leur ba-
taille pour mettre un point d’arrêt
au Green Deal européen.
Leur tentative a partiellement
échoué. Au terme d’une bataille
homérique au Parlement euro-
péen, les eurodéputés ont finale-
ment adopté, le 12 juillet, un texte
largement vidé de sa substance
mais qui avait le mérite d’exister,
et dont l’adoption représentait de
ce seul fait une victoire politique.
Même si les Etats membres
avaient également réduit l’ambi-
tion du projet de loi proposé par la
Commission, les négociations qui
ont suivi entre les deux colégisla-
teurs n’ont pas été simples. « Nous
avons eu avec le PPE une discussion
plus rationnelle que celle de juillet »,
affirme néanmoins Pascal Canfin.
L’accord auquel ils sont parve-
nus jeudi soir, après plus de dix
heures de négociations, a permis
de réintroduire l’agriculture dans
le texte, aux côtés des écosystè-
mes marins ou des forêts, alors
que le Parlement européen l’avait
exclue. Comme le souhaitait l’as-
semblée législative, l’accord de
jeudi prévoit néanmoins un frein
d’urgence qui permettrait de sus-
pendre, pour une durée tempo-
élus et des scientifiques, la ré-
forme, telle que prévue par le pro-
jet de loi, continue de susciter des
inquiétudes. « Les points d’atten-
tion sont toujours les mêmes », ob-
serve François Jeffroy, porte-pa-
role de l’intersyndicale de l’IRSN,
qui a lancé un processus de con-
sultation des salariés et devrait
prendre position formellement
sur ce texte fin novembre.
Parmi les sujets d’appréhension
figure notamment la question de
la séparation entre l’expertise et la
décision. « Nous sommes très in-
quiets de la fin de cette sépa-
ration », a souligné mercredi le dé-
puté de Seine-et-Marne Maxime
Laisney (La France insoumise). Se-
lon l’article 4 du projet de loi, le rè-
glement intérieur de la nouvelle
autorité devra prévoir cette dis-
tinction et le processus de déci-
sion sera assuré par le collège de
l’ASNR. Cinq commissaires nom-
més pour six ans prendront les
décisions et rendront les avis sur
les sujets « les plus sensibles ou à
plus forts enjeux ».
« Aujourd’hui, il n’y a pas de sépa-
ration étanche entre les activités
d’expertise réalisées par l’IRSN et
les activités d’instruction et de
décision réalisées par l’ASN, a
expliqué Bernard Doroszczuk. Les
deux entités sont en relation en
continu, il n’y a pas d’étanchéité,
c’est une fable de le dire. »
raire et dans des conditions qui
restent à préciser, l’application de
la loi si la sécurité alimentaire ve-
nait à être menacée. « La Commis-
sion aura la mainmise sur ce méca-
nisme, dont l’activation reste en-
core assez floue », regrette le PPE.
De plus, alors que les eurodépu-
tés avaient souhaité que le projet
de loi ne concerne que les sites
Natura 2000, le compromis élar-
git son spectre : il spécifie certes
que les Vingt-Sept doivent s’en
préoccuper en priorité, mais son
champ d’application ne se limite
pas à ces zones. Ce dont s’est félici-
tée l’ONG WWF dans un commu-
niqué publié dans la nuit de jeudi
à vendredi, tout en regrettant
qu’en conséquence « d’importan-
tes dérogations ont été ajoutées,
qui peuvent réduire la superficie
totale à restaurer ».
« Le compromis est plus ambi-
tieux que ce que souhaitait le Par-
lement européen, mais il reste lar-
gement insuffisant au regard de ce
que la science nous dit être néces-
saire pour faire face aux urgences
en matière de climat et de biodi-
versité », juge Sabien Leemans, du
WWF, qui se dit néanmoins « sou-
lagé qu’un accord ait été trouvé ».
Pascal Canfin, lui, « regrette » que
le texte ne fasse état que d’obliga-
tions de moyens pour les Etats
membres, mais juge qu’il repré-
sente néanmoins « un progrès ».
Le 29 novembre, la commission
environnement du Parlement
européen devra voter sur le com-
promis arrêté jeudi, avant que ce-
lui-ci ne soit soumis à l’ensemble
des eurodéputés. « Des points de
vigilance persistent et devront être
analysés et discutés au cours des
prochains jours », prévient le PPE.
Une affaire à suivre, donc. p
virginie malingre
« M. Doroszczuk a raison, il faut
que les gens travaillent ensemble,
réagit François Jeffroy. Mais c’est
justement parce qu’il y a ce conti-
nuum qu’il faut que le processus
soit clair. Je ne comprends pas que
l’on puisse dire que l’on n’a pas be-
soin d’une parole et d’une expertise
scientifique distincte, qui ne soit
pas mélangée à la décision. »
Le projet de loi prévoit que l’en-
semble des missions actuelle-
ment menées par l’IRSN soit pris
en charge par l’ASNR, à l’exception
notamment des activités relevant
du nucléaire militaire, qui sera
transféré au ministère de la dé-
fense. Concernant les inquiétudes
portant sur la transparence et la
publication des avis, M. Doroszc-
zuk a affirmé qu’elle serait assurée
« au moins au même niveau ».
Le projet de loi n’a pas mis fin
aux interrogations de nombreux
élus. Le président de l’ASN s’est vu
interpeller à ce sujet de manière
répétée lors de son audition, par
des députés écologistes ou « in-
soumis », mais aussi par des dé-
putés favorables à la relance du
nucléaire. « Qu’est-ce qui ne mar-
chait pas dans le dispositif actuel ?
Est-ce que l’on ne va pas donner
des arguments à ceux qui pour-
raient contester la filière nu-
cléaire ? », a ainsi demandé le
communiste Sébastien Jumel. p
perrine mouterde
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Un œil complet greffé
pour la première fois
La transplantation partielle du visage
et d’un œil, à New York, en mai, est un succès,
même si la vision du patient n’est pas rétablie
C’ est un nouveau pas
dans l’histoire de la
greffe faciale. La pre-
mière double transplantation
partielle du visage et d’un œil
entier a eu lieu le 27 mai à l’hôpi-
tal universitaire de New York
Langone (NYU), aux Etats-Unis, a
annoncé l’équipe médicale jeudi
9 novembre.
Le patient, Aaron James, 46 ans,
habitant de l’Arkansas et ancien
militaire américain, a été élec-
trocuté en juin 2021 à plus de
7 000 volts alors qu’il travaillait
sur une ligne à haute tension.
L’accident a entraîné, entre
autres, la perte de son œil gauche,
de son nez, de sa bouche, et une
partie de son menton, de ses
dents et de son bras gauche. Su-
pervisé par le docteur Eduardo
Rodriguez, chirurgien plasticien
responsable du programme de
transplantation faciale au NYU, le
projet a été imaginé dès le mois
d’août 2022. Un plan ambitieux
qui a mobilisé 140 personnes,
tous métiers confondus.
Depuis la première greffe faciale
réalisée en France en 2005, seules
48 greffes du visage ont été recen-
sées à travers le monde, selon une
publication de 2021, et les yeux
n’étaient concernés que par des
transplantations partielles, prin-
cipalement de la cornée. Les quel-
ques tentatives de greffe d’œil
complet – certaines remontent
au XIXe siècle – se sont soldées par
des échecs, l’un des principaux
défis étant de reconnecter le nerf
optique pour restaurer la vision.
Alors, pourquoi tenter cette in-
tervention chez Aaron James ?
Ces dernières années, la recher-
che a progressé de façon notable
concernant les traitements par
immunosuppresseurs, prescrits
à vie pour lutter contre un rejet
de greffe. Mais ces molécules ne
sont pas anodines : au-delà des
risques d’infection qu’elles peu-
vent induire, elles demeurent
susceptibles d’attaquer les reins
ou d’accélérer le vieillissement.
« Etant donné qu’Aaron avait de
toute façon besoin d’une greffe du
visage nécessitant la prise d’im-
munosuppresseurs, le rapport ris-
que-bénéfice de la greffe d’un œil
était très faible », explique le doc-
teur Rodriguez dans un commu-
niqué de presse.
Après seulement trois mois
d’attente, un donneur compati-
ble est identifié – taille, couleur de
la peau, biomarqueurs. Pour opti-
miser le résultat, l’équipe du doc-
teur Rodriguez a eu recours à des
technologies de pointe. L’entre-
prise belge Materialise, spéciali-
sée dans la planification 3D et la
fabrication de dispositifs médi-
caux sur mesure, est intervenue
pour fournir des modélisations
3D de l’opération à venir. Elle a
aussi conçu des guides de coupe
sur mesure imprimés en 3D
« nous permettant de prélever des
segments d’os sur le donneur et de
les placer précisément sur le rece-
veur, comme un puzzle », détaille
le docteur Rodriguez.
Car une fois le donneur mort,
l’opération doit intervenir rapi-
dement pour préserver les tissus
prélevés. Et même si, là encore,
les progrès des dernières années
ont permis de trouver des so-
« Nous ne
sommes pas en
train de dire que
nous pouvons
redonner la vue,
mais nous nous
en rapprochons »
VAIdEHI S. DEDANIA
spécialiste de la rétine
au NYU Langone
0123
L’un des
principaux
défis était
de reconnecter
le nerf optique
avec le cerveau
pour restaurer
la vision
lutions pharmacologiques et
d’apport en oxygène, « un œil pré-
levé post mortem connaît une
phase d’ischémie – absence d’oxy-
génation – qui peut entraîner
d’importantes lésions sur les cellu-
les », explique José-Alain Sahel,
professeur émérite d’ophtalmo-
logie à Sorbonne Université (Pa-
ris), fondateur de l’Institut de la
vision à Paris, qui n’a pas parti-
cipé au projet.
La double opération simultanée
a duré vingt et une heures, une
équipe s’occupant du donneur en
prélevant les tissus et les os né-
cessaires pendant qu’une autre
préparait le visage du rece-
veur. Alors que les données sont
inexistantes sur leur efficacité
dans un tel scénario, des cellules
souches de moelle osseuse du
donneur ont été injectées pen-
dant l’intervention dans le nerf
optique du receveur pour favori-
ser sa régénération et espérer re-
trouver la vue. Car le plus impor-
tant reste la reconnexion de l’œil,
via le nerf optique, avec le cer-
veau, qui transforme en images
les signaux reçus.
Encore plusieurs années
Sur le plan chirurgical et esthéti-
que, la double greffe est en effet
un succès : le patient a retrouvé
un visage. Autres bonnes nouvel-
les, la cornée et la rétine ont été
correctement vascularisées.
Mais pour l’heure, Aaron James
ne voit pas de l’œil gauche. « Nos
tests montrent que la rétine est ca-
pable de générer un signal, ce qui
est déjà remarquable », s’enthou-
siasme la docteure Vaidehi S. De-
dania, spécialiste de la rétine au
département d’ophtalmologie du
NYU Langone. Autrement dit, elle
détecte la lumière et renvoie l’in-
formation au cerveau.
Le docteur Rodriguez se veut
« prudent » : « Nous ne sommes
pas en train de dire que nous pou-
vons redonner la vue, mais nous
nous en rapprochons », assure-t-il.
Du reste, le professeur Sahel (qui
est également directeur du dépar-
tement d’ophtalmologie de
l’université de Pittsburgh, aux
Etats-Unis) estime qu’il fallait
« avoir le culot d’oser une telle
opération ».
L’ophtalmologiste juge qu’il
faudra encore plusieurs années
avant de parvenir à recouvrer la
vue à la suite d’une telle greffe.
Contrairement aux nerfs pé-
riphériques des mains et du
visage, le nerf optique, une fois
sectionné, ne se régénère que
partiellement et lentement chez
l’humain. « Il faut en reconnecter
au moins une partie pour avoir
une perception digne de ce nom,
détaille-t-il. Pour l’heure, nous
n’arrivons à en faire repousser
que 5 %. »
Au-delà de l’aspect quantitatif
reste la qualité des informations
transmises, dont nous savons
peu de choses et qui font l’objet de
recherches. Chaque zone de la ré-
tine correspond à un point précis
dans le cerveau et rien ne dit
qu’une fois revascularisée elle
projette les signaux qu’elle per-
çoit aux bons endroits. « C’est un
peu comme s’il y avait des milliers
de câbles à brancher. C’est une
équation multiparamétrique »,
conclut le professeur Sahel. p
lilas pepy
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023 argent | 21

Immobilier : le coup de pouce SOS CONSO

CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS

du gouvernement au « Pinel » Viager annulé :

L’aide fiscale à l’investissement locatif est éligible dans de nouvelles villes qui rend quoi ?

L I
a chute se poursuit pour
l’immobilier neuf. Seuls
18 000 logements envi-
ron ont été réservés au
deuxième trimestre 2023, selon
les dernières données du minis-
tère de la transition écologique,
un niveau de 18 % inférieur à celui
connu au deuxième trimestre
2020, « au plus fort des effets de
l’épidémie de Covid »…
Ces chiffres pourraient toutefois
remonter en 2024. Début octobre,
le gouvernement a en effet revu le
zonage ABC, qui classe les com-
munes selon le rapport entre l’of-
fre et la demande de logements.
Ce zonage rend éligible ou non
une ville au Pinel, dispositif
d’aide fiscale à l’investissement lo-
catif dans le neuf : seules les com-
munes les plus « tendues » peu-
vent en bénéficier, celles classées
A, A bis ou B1. Le Pinel est ainsi de-
venu accessible dans 153 nouvel-
les communes. Par ailleurs, une
cinquantaine d’autres villes qui
étaient déjà éligibles au Pinel en
B1 ont accédé à la classe A, plus in-
téressante pour les propriétaires,
dans la mesure où le plafond de
loyer fixé est supérieur – c’est
aussi le cas des revenus maxi-
mum des locataires. Une mesure
saluée par la Fédération des pro-
moteurs immobiliers (FPI), qui
rappelle toutefois, par l’intermé-
diaire de son président, Pascal
Boulanger, « qu’elle ne permettra
pas à elle seule de relancer le sec-
teur de la construction ».
Des stations de ski
Le nouveau zonage devrait sur-
tout profiter aux investisseurs
tentés par les logements neufs
dans des villes comme Toulouse
ou Bordeaux, classées B1 il y a en-
core quelques semaines. En accé-
dant à la zone A, le plafond de
loyer autorisé pour la mise en lo-
cation de ces logements passe de
10,93 euros par mètre carré à
13,56 euros. « Sur la rentabilité lo-
cative, cette différence peut pous-
ser un investisseur à passer à l’acte.
Un T2 à Bordeaux de 47 mètres car-
rés situé près de la gare se vend
dans le neuf aux alentours de
249 000 euros. Grâce au passage
de zone B1 à la zone A, la rentabilité
brute de l’investisseur va croître de
2,84 % à 3,56 % », calcule Franck Vi-
gnaud, directeur du Laboratoire
de l’immobilier.
Dans les communes accédant à
la zone B1 ou A, les opportunités
pour investir ne seront toutefois
pas légion, estime David Regin,
directeur commercial chez Con-
sultim Partners : « Le marché est
tellement bloqué que peu de pro-
moteurs lanceront des opérations
sur ces territoires. On sera surtout
sur de petits programmes d’une
vingtaine de lots où le promoteur
a déjà du foncier en stock et d’ex-
cellentes relations avec le maire. »
Pour les trois communes pas-
sant de la zone C à la zone A, la vi-
gilance est de mise. Ces dernières
sont des stations de ski où les prix
de l’immobilier neuf sont déjà
très élevés. A Samoëns (Haute-Sa-
voie) par exemple, selon les don-
nées de Yanport, spécialiste de la
data immobilière, les prix du neuf
sont estimés en moyenne à
6 609 euros le mètre carré. Des
prix bien trop élevés pour rendre
ce type d’investissement rentable,
étant donné les plafonds de loyer
du Pinel, même en zone A.
La FPI s’attend à un effet
d’aubaine. Car, en plus de la modi-
fication du zonage, le dispositif
Pinel doit s’éteindre le 31 décem-
bre 2024, sans être pour l’heure
remplacé – une première dans
l’histoire de la défiscalisation im-
mobilière dans le neuf, débutée
en 1986.
« Ce sera peut-être une bonne an-
née pour les investisseurs dans le
neuf, même si le niveau des
abattements fiscaux va reculer en
janvier 2024 », indique M. Boulan-
ger. Aujourd’hui, en investissant
300 000 euros (c’est le maximum)
en Pinel, on peut obtenir une
baisse d’impôt de 10,5 % du mon-
tant de l’opération pour une mise
en location du bien de six ans, de
DÉBUT OCTOBRE,
L’ÉTAT A REVU LE ZONAGE
ABC QUI CLASSE
LES COMMUNES SELON
LE RAPPORT ENTRE
L’OFFRE ET LA DEMANDE
DE LOGEMENTS
15 % pour neuf ans et de 17,5 %
pour douze ans. Les taux de défis-
calisation seront respectivement
de 9 %, 12 % et 14 % en 2024.
Des appartements plus chers
Pour profiter de taux beaucoup
plus avantageux (12 %, 18 % et
21 %), les investisseurs peuvent,
en 2023 comme en 2024, se tour-
ner vers les quelques logements
proposés par les promoteurs en
Pinel +, une nouvelle version du
Pinel réservée aux logements res-
pectant un certain cahier des
charges. Ces appartements sont
plus spacieux, plus performants
sur le plan énergétique… mais
aussi plus chers.
Il faut compter 10 000 euros à
15 000 euros en plus sur le prix fi-
nal du bien, selon le Laboratoire
de l’immobilier. « Mais les stocks
des promoteurs étant très impor-
tants en ce moment, certains con-
sentent à des baisses de prix, et ça
ne va pas s’arrêter en 2024. Il ne me
paraît pas impossible d’obtenir une
LA RÉSOLUTION
DU CONTRAT
SIGNIFIE SON
ANNULATION
CoLCAnopA
AVEC EFFET
RÉTROACTIF
décote de 10 % à 15 % sur le prix
d’un logement neuf si le promoteur
ne trouve pas d’acheteurs », anti-
cipe M. Regin.
En règle générale, les prix de
l’immobilier neuf sont 15 % à 30 %
plus élevés que ceux de l’ancien.
Avec une déduction fiscale rabo-
tée et des crédits plus chers, il est
capital de négocier une baisse du
prix de vente. Mais, surtout, de
veiller à la localisation du bien.
Car le zonage peut être un piège,
une fois les avantages fiscaux dis-
parus. « Je doute qu’un investisseur
parvienne à faire une plus-value,
voire à vendre son logement au
prix où il l’a acheté s’il se situe en
périphérie d’une ville moyenne,
même si elle est passée en zone B1
ou A », alerte Thais Castang, asso-
ciée chez L & A Finance.
Fin 2019, un rapport com-
mandé par le gouvernement et
rédigé par l’inspection générale
des finances (IGF) et le Conseil
général de l’environnement et
du développement durable con-
CLIGNOTANT
cluait que, « dans la moitié des
cas », un investissement locatif
en Pinel débouchait sur « un ren-
dement net global négatif au bout
de neuf ans, hors effet de la hausse
des prix de l’immobilier », même
si l’avantage fiscal était alors su-
périeur. Si 2024 offrira davantage
d’opportunités aux investisseurs
tentés par le Pinel, ils devront
faire preuve d’encore plus de vigi-
lance face à un placement immo-
bilier pas toujours efficace. p
ludovic clerima
l peut être intéressant d’acheter une maison en viager :
on ne règle immédiatement qu’une fraction du prix
(le bouquet), et l’on verse ensuite des arrérages, calcu-
lés, en principe, sur l’espérance de vie du vendeur. Mais
la bonne affaire n’en est plus une lorsque celui-ci, telle
Jeanne Calment, doyenne de l’humanité, reste en vie très
longtemps. Et que, lorsque le vendeur obtient la résolution
du contrat, c’est-à-dire l’annulation de celui-ci avec effet ré-
troactif, il considère qu’il peut conserver la maison, le bou-
quet et les arrérages, comme dans l’histoire suivante.
Le 6 janvier 1992, M. X achète aux Y une maison (dans la-
quelle il habitera au bout de six ans), dont le prix initialement
fixé à 1 million de francs (152 449 euros) est converti en viager.
Il paie comptant un bouquet de 440 000 francs et s’engage à
verser le solde mensuellement, sous forme de rente
(4 300 francs par mois). En principe, le million est atteint en
onze ans. Mais les vendeurs sont solides, et c’est M. X qui
meurt le premier. En août 2015 – 102 258 euros de plus que
le prix initial ont été alors dépensés – son
fils, M. Z, cesse de payer.
Le 16 décembre 2016, les Y le mettent
en demeure de leur verser 14 940 euros
avant le 16 janvier 2017, faute de quoi
ils demanderont que la justice annule
le contrat et leur laisse le bénéfice des
« arrérages versés », comme prévu par la
clause pénale de celui-ci. En février 2017,
ils mettent leur menace à exécution. M. Z
se retrouve donc dans la situation d’un
locataire expulsé mais avec une dette de
14 940 euros. Il se pourvoit en cassation, et son avocate, Me
Elodie Le Prado, rappelle que toute résolution d’un contrat
remet les parties dans la situation où elles étaient avant si-
gnature, et qu’elle entraîne l’obligation légale de restituer,
pour le vendeur, le prix perçu (bouquet et arrérages), et,
pour l’acquéreur, la chose vendue, que cette restitution ait
été ou non demandée.
La clause pénale ne s’opposant ici qu’à la restitution des ar-
rérages « versés », le bouquet devait être restitué à son client
et les arrérages impayés entre août 2015 et janvier 2017 ne
pouvaient lui être réclamés. Même si celui-ci, sans doute
mal conseillé, n’a rien demandé.
La Cour de cassation lui donne raison, le 14 septembre. Elle
casse l’arrêt d’appel, dont elle précise qu’il n’aurait pu refu-
ser la restitution du bouquet et des impayés qu’à titre de
dommages et intérêts, pour compléter la sanction déjà pré-
vue, et non en méconnaissance de la convention des par-
ties. Il renvoie ces dernières devant la cour d’appel de Bor-
deaux, qui devra rejuger l’affaire. M. Z devrait récupérer les
440 000 francs versés par son père sans avoir à en déduire
les 14 940 euros. p
Ass U rAn C e-vI e
Trois mois de décollecte
En septembre, avec un recul de 345 millions d’euros,
l’assurance-vie enregistre un troisième mois d’affilée
de décollecte, selon les données communiquées par
la fédération France Assureurs. Pour le troisième tri-
mestre, elle atteint 2,8 milliards. Sur les neuf premiers
mois, la collecte reste toutefois positive, à 1,3 milliard.
« La décollecte est la conséquence du recul persistant
des fonds euros. Leur décollecte a été de 2,3 milliards
d’euros en septembre et de 22,8 milliards d’euros sur
les neuf premiers mois de l’année », analyse Philippe
Crevel, directeur du Cercle de l’épargne.

Aides à la propriété, les impacts du nouveau zonage QUESTION À UN EXPERT

la révision par le gouvernement de
la classification des communes françaises
– le « zonage ABC » –, pour plus de deux
cents d’entre elles, début octobre, a affecté
plusieurs aides spécifiques au logement.
C’est le cas du dispositif fiscal d’investisse-
ment locatif Pinel, mais pas uniquement.
Le prêt à taux zéro (PTZ) est aussi concerné.
Cette aide à l’accession à la propriété, dont
les modalités doivent être réformées
en 2024, est accordée, sous conditions de
ressources, dans toutes les communes
pour un achat dans le neuf. Pour les terri-
toires où la situation est la moins tendue
en matière de déséquilibre entre offre et
demande de logements (zones B2 et C), le
PTZ fonctionne aussi pour les biens an-
ciens avec travaux.
Une mesure qui, couplée à la refonte glo-
bale du dispositif de 2024, doit permettre
à 29 millions de foyers fiscaux d’être éligi-
bles au PTZ dans le neuf, contre 23 mil-
lions aujourd’hui, selon Bercy. Le nou-
veau zonage fait gagner une lettre ou
deux aux communes concernées, per-
mettant à davantage de leurs habitants de
ne pas dépasser le plafond de revenus du
PTZ. Mais gare aux effets d’annonce, pré-
vient Franck Vignaud, directeur du Labo-
ratoire immobilier : « Dans les zones ten-
dues, les prix de l’immobilier neuf sont tel-
lement élevés que même avec un PTZ, on
peut ne pas avoir les moyens d’acheter. »
Plafond de revenus en fonction de la zone
Dans des villes comme Montpellier ou
La Rochelle, où le mètre carré hors parking
dépasse déjà les 5 000 euros, pas sûr que le
PTZ suffise pour solvabiliser les familles
modestes. Le dispositif permet pour
l’heure, dans ces villes tendues, de ne finan-
cer au maximum que 40 % de l’opération.
Ce sera 50 % en 2024 dans certains cas.
Sans compter que, dans l’ancien, les ha-
bitants des 153 communes passées des zo-
nes détendues C et B2 aux zones tendues
A et B1 ne peuvent désormais plus recou-
rir au PTZ pour ces logements. Autre dis-
positif affecté par le nouveau zonage : le
bail réel solidaire (BRS). Réservé à l’immo-
bilier neuf, il permet d’acheter un loge-
ment en dissociant le foncier du bâti,
pour un prix fortement décoté. L’acqué-
reur est propriétaire de sa résidence prin-
cipale sans acheter le terrain.
Là encore, les candidats éligibles au BRS
sont soumis à un plafond de revenus en
fonction de la zone. « Pour un ménage de
quatre personnes en zone B1, le plafond
pour acheter un logement en BRS était de
46 000 euros. S’il gagnait plus, il ne pou-
vait pas en profiter. Maintenant qu’ils sont
en zone A, le plafond est de 64 000 euros »,
illustre M. Vignaud.
Enfin, le prêt d’accession sociale, prêt
dont le taux est plafonné (il dépend des
revenus du demandeur), va lui aussi profi-
ter à plus de candidats à l’achat. Ici aussi,
le plafond de revenus pour être éligible
dépend de la zone.
A travers ce nouveau zonage, le gouverne-
ment espère faciliter l’accès à la propriété,
alors que l’accès au crédit immobilier s’est
complexifié. « S’il faut saluer cette décision,
elle reste limitée. Je rappelle que les quotités
de financement maximales pour le prêt à
taux zéro [40 % aujourd’hui, 50 % en 2024]
ne concernent que les zones tendues, donc
7 % du territoire », tempère Isabelle Le Cal-
lennec, maire (Les Républicains) de Vitré (Il-
le-et-Vilaine) et coprésidente de la commis-
sion logement de l’Association des maires
de France. « Dans ma commune, poursuit-
elle, il y a beaucoup de primo-accédants
contraints de rester dans le parc locatif car
ils n’ont pas d’apport et pas de PTZ. » p
l.ca
Qui gère les livrets d’épargne
des enfants après le divorce ?
alain devers, avocat au barreau de Lyon
Le divorce ne remet pas en cause les règles de gestion des biens de
l’enfant mineur. Les parents divorcés ou séparés continuent donc à
exercer en commun l’administration légale dans l’intérêt de leur en-
fant. Chacun d’eux est même réputé, à l’égard de la banque, avoir
reçu de l’autre le pouvoir de faire seul les actes d’administration. Un
acte d’administration est un acte d’exploitation ou de mise en valeur
du patrimoine du mineur dénué de risque anormal. Un parent peut
ainsi, seul, demander l’ouverture d’un premier livret au nom de l’en-
fant et la délivrance d’une carte bancaire de retrait. Il peut aussi dé-
poser des fonds sur ce livret et même retirer de l’argent.
La banque n’est pas responsable de l’utilisation faite par ce parent des
capitaux qui reviennent au mineur. A titre préventif, l’autre parent
peut toutefois avertir la banque qu’il s’oppose à l’accomplissement
seul de ces actes d’administration. La règle, pour les livrets des en-
fants, sera alors celle de la codécision. Les parents doivent aussi col-
laborer pour les actes dits « de disposition », c’est-à-dire les actes en-
gageant le patrimoine du mineur. Ils doivent ainsi conjointement
demander la modification d’un livret (un transfert de Livret A, par
exemple), l’ouverture d’un second livret, la clôture d’un compte ban-
caire, la délivrance d’une carte de crédit, etc. p
22 | horizons 0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

A
u-dessus de la rizière où coas-
sent les grenouilles, une poi-
gnée de lucioles illuminent la
nuit d’un trait rouge vif. Les
faisceaux de quatre lampes
torches éclairent l’eau du
ruisseau, gonflée par la pluie des derniers
jours. Une voix éclate : « J’en ai une ! » Les ma-
raudeurs se regroupent en pataugeant à gran-
des enjambées. Quelques instants plus tard,
Sumio Okada tire de son éprouvette non pas
une, mais trois salamandres géantes à la tête
plate, à la peau marron couverte d’un mucus
visqueux et aux pattes très petites par rapport
au reste du corps. « Je vais vous montrer quel-
que chose que je n’ai jamais montré à personne
d’autre que ma famille et quelques scientifi-
ques », annonce M. Okada. Après avoir identi-
fié les salamandres grâce à la puce insérée
sous leur peau, il utilise une pompe à eau afin
de les faire régurgiter et de collecter le con-
tenu de leur estomac. Un moyen, pour lui, de
mieux connaître leur alimentation.
Ce chercheur âgé d’une quarantaine d’an-
nées est l’un des meilleurs spécialistes de
l’animal. Les habitants de la préfecture de
Tottori, dans l’ouest du Japon, l’appellent vo-
lontiers « Okada sensei » (« professeur
Okada »). Il faut le voir en action, éclairé par
sa lampe frontale, consignant avec minutie
ses observations dans un carnet corné par
l’humidité. Savoir ce qu’ont mangé les sala-
mandres lui permet d’évaluer la qualité de
leur milieu de vie. Et comme lors de chaque
expédition, son constat est amer : la nourri-
ture se fait rare dans les parages, et c’est une Une salamandre géante, sur l’île japonaise de Honshu. CYRIL RUOSO/MINDEN PICTURES/BIOSPHOTO
menace de plus sur cet amphibien que

Au Japon, le blues
l’Union internationale pour la conservation
de la nature a placé en 2022 sur la liste des es-
pèces « vulnérables ». « Chaque fois que je
viens ici, j’ai une boule au ventre, confie à voix
basse M. Okada. A cause des travaux de cons-
truction d’une route à côté de la rivière, les sa-

de la salamandre géante
lamandres n’arrivent plus à se reproduire. Ce
lieu était l’une de leurs dernières réserves, et il
est en péril à son tour… » Au fond, c’est la dis-
parition d’un monde qu’il documente jour
après jour dans son carnet : celui du Japon
rural et de ses rivières, de ses maisons aux
charpentes lourdes et de leurs rizières.

VICTIMES DE LA BÉTONNISATION vingtaine d’années. Un vendredi soir, nous

Malgré tout, il poursuit ses investigations,
glissant les trois amphibiens dans un tuyau
aux allures de gouttière afin de les mesurer.
Toutes trois sont de taille moyenne – 80 cen-
timètres pour la plus grande. Bien loin, donc,
du spécimen sauvage le plus volumineux ja-
mais observé : 1,36 mètre, 26 kilos. Autre par-
ticularité de cette salamandre géante : sa lon-
gévité. Elle pourrait vivre jusqu’à une cen-
taine d’années du fait de sa faible activité et
de sa capacité métabolique à se régénérer.
C’est d’ailleurs une des explications de son
nom local, hanzake (« han » pour « moitié »,
« zake » pour « déchiré ») : « Cela se réfère soit
à son immense bouche, qui s’ouvre d’un côté à
l’autre de sa tête arrondie, soit au fait que, se-
lon certaines légendes, une salamandre même
coupée en deux est capable de se reconsti-
tuer », détaille Juliette Ako Sato, une Franco-
Japonaise qui a fondé une association de pro-
tection de cet amphibien et accompagne le
professeur dans ses recherches.
La salamandre occupe une place de choix
dans la culture japonaise. Tantôt dépeinte
dans les estampes du maître Utagawa Ku-
niyoshi (1797-1861), tantôt considérée comme
l’animal qui aurait inspiré les kappas, créatu-
res aquatiques centrales dans le folklore nip-
pon. Depuis une vingtaine d’années, elle est
de retour dans la culture populaire, passant
du statut d’animal comestible – les anciens se
souviennent de son goût un rien boueux – à
celui de mascotte. Dans la région, un musée
lui est consacré, un matsuri (« festival local »)
la met à l’honneur, et il existe une déclinaison
infinie de peluches à son effigie.
Revenons au bord du ruisseau. Une fois les
manipulations terminées, Sumio Okada
dépose les trois salamandres dans le cours
d’eau. D’un coup de patte, elles se laissent
emporter et disparaissent dans la nuit. Pour
nous, pas question de les toucher : depuis
1952, le Japon a désigné la salamandre comme
« monument naturel spécial ». Quiconque se
risque à en manipuler une sans détenir la
licence adéquate encourt une amende de
500 000 yens (plus de 3 000 euros). Mais ce
statut particulier entrave le travail des asso-
ciations : « Sans le professeur Okada, ou un
employé de la mairie accrédité, je ne peux pas
faire d’étude sur les salamandres, soupire
Juliette Ako Sato. Donc, pas moyen de docu-
menter l’état des lieux dans la rivière située à
côté de chez moi. » Sans compter le fait que,
puisqu’elles sont considérées comme des
« monuments », les fonctionnaires chargés de
leur protection ne sont ni biologistes ni urba-
nistes, mais… spécialistes du patrimoine !
Cet amphibien très présent dans la culture nippone
est menacé de disparition. Des passionnés, fascinés
par cet animal à la longévité exceptionnelle, luttent
pour le préserver et défendent à travers lui le Japon rural
« Quand j’ai commencé à m’occuper des sa-
lamandres, je n’y connaissais rien », admet
Naoki Ida, employé à la mairie de Nichinan et
diplômé d’histoire. Depuis, il s’est pris de pas-
sion pour elles, en qui il voit un baromètre de
l’état de la nature. Il prend donc sur son
temps libre pour mener des études dans les
rivières du territoire communal. En 2022, il
en avait trouvé plusieurs dans une portion
bétonnée trente ans plus tôt. Sa première
réaction avait été le soulagement, avant de
comprendre qu’elles mesuraient toutes plus
de 50 centimètres. « Cela signifie que les adul-
tes peuvent survivre, mais qu’elles ne parvien-
nent pas à se reproduire, ou alors que les lar-
ves sont mangées par les prédateurs. Autre-
ment dit, on a l’impression que tout va bien,
« IMPOSSIBLE
mais il va bientôt y avoir un effondrement dra- DE CONTINUER
matique de la population. »
Pour Naoki Ida, pas de doute : s’il y a un res- L’AGRICULTURE
ponsable à la disparition des salamandres, ce
sera bien le béton. Un voyage à travers l’Archi-
TELLE QU’ELLE
pel le confirme : il n’existe presque plus EST PRATIQUÉE
aucune rivière dont le lit n’ait pas été bé-
tonné. Les adultes peinent à nidifier, les jeu- DE NOS JOURS
nes (d’environ 3 à 15 centimètres pendant
leur première dizaine d’années) sont donc à ET DE PROTÉGER
la merci des hérons, et lorsque les rivières EN MÊME TEMPS
sont trop chargées, toutes se font emporter
en aval. Ainsi, on en trouve de plus en plus LA SALAMANDRE.
souvent échouées au bord des plages, incapa-
bles de remonter les rivières. C’EST SOIT L’UN,
« Quand j’ai emménagé ici, la rivière était
sauvage et grouillait de salamandres ;
SOIT L’AUTRE »
aujourd’hui, il n’y en a presque plus », se sou- KIYOSHI MATSUDA
vient Minato Ida. Il faut dire que cette vieille agriculteur et urbaniste
dame évoque le paysage tel qu’il était au mi-
lieu du siècle dernier : Minato Ida a 94 ans
(« et six mois », précise-t-elle fièrement). Elle
est affairée à son potager, un lourd pendentif
autour du cou brûle de l’encens pour repous-
ser les taons. Quand elle voit des salaman-
dres dans la rivière au bout de son jardin, elle
prend des photos avec un appareil argenti-
que, les fait développer par un voisin et les
envoie au très respecté « professeur Okada ».
Les clichés lui ont permis de tirer de belles
observations sur leur comportement, vali-
dées par le scientifique : « A la saison de la re-
production, les mâles se battent en duel pour
s’approprier le meilleur nid. La femelle vient y
pondre, puis repart, et le mâle couve les œufs.
Une fois, j’ai vu cinq mâles faire la course pour
se précipiter vers le meilleur nid, puis se battre
en duel – c’était un sacré moment ! »
Kiyoshi Matsuda, lui aussi, insiste sur l’évo-
lution du paysage. Et pour cause : c’est à cet
agriculteur aujourd’hui septuagénaire que
l’Etat a confié, il y a quarante ans, le soin de
dessiner le nouvel aménagement urbain.
« Avant, les rivières étaient sauvages, leurs
méandres épousaient la forme des talus et des
collines ; il y avait des bambouseraies, des bos-
quets, des petites cascades », décrit-il. Sa fa-
mille habite la ville de Daisen depuis plus de
dix générations. Ses ancêtres occupaient déjà
du temps de l’ère Edo (1603-1868) la maison
dans laquelle il reçoit Le Monde. « Les rizières
aussi avaient des formes biscornues, suivant
la forme de l’eau, donc on y travaillait à la
main, poursuit M. Matsuda, le chef officieux
de Daisen. Et puis l’Etat a décidé qu’il fallait
moderniser l’agriculture pour produire plus de
riz. On a modifié le cours des rivières pour
qu’elles soient rectilignes, délimité les rizières
pour qu’elles soient rectangulaires, on a intro-
duit les véhicules et les produits chimiques.
Avec tout ça, le prix du riz a chuté : on produit
plus, mais on gagne moins qu’avant. »
« GÉNOME TRÈS LARGE »
Compte tenu de la situation économique ac-
tuelle des agriculteurs, M. Matsuda en est cer-
tain : « Impossible de continuer l’agriculture
telle qu’elle est pratiquée de nos jours et de pro-
téger en même temps la salamandre. C’est soit
l’un, soit l’autre ; et l’Etat a choisi l’agriculture. »
Les protecteurs de l’amphibien s’activent
donc comme ils peuvent : en érigeant des
pentes artificielles le long des cours d’eau bé-
tonnés pour aider les salamandres à revenir
vers l’amont, en construisant des nids artifi-
ciels afin de favoriser la reproduction…
Une autre menace pèse sur l’avenir de l’es-
pèce : l’arrivée des salamandres géantes de
Chine, des « cousines » introduites il y a une
suivons sous la pluie une équipe emmenée
dans une autre rivière par le responsable
d’une association locale, Minoru Harada,
avec casque, gants, salopette imperméable,
gilet de sauvetage, lampe frontale et épui-
sette. Deux salamandres sont capturées.
M. Harada et son équipe les transportent en
sécurité dans un hangar caché au fond d’une
cour d’école : le lieu ne doit pas être révélé, car
les salamandres attirent les convoitises de
ceux qui les revendent au marché noir à des
restaurateurs peu scrupuleux – le kilo se né-
gocie autour de 160 euros. La police locale
traque ces braconniers, qui vendent leurs pri-
ses dans des pays voisins ou à Tokyo.
Minoru Harada aurait presque des allures
de trappeur avec son gilet et ses bottes. Il fait
de grands gestes pour compenser sa voix
éteinte, mais montre une tendresse infinie
au moment d’évoquer ses captives, dépo-
sées avec soin dans des bacs reliés entre eux
par un système de tuyauterie qui glougloute
en permanence. D’après lui, les salaman-
dres chinoises ou hybrides sont plus volu-
mineuses et plus agressives que les endé-
miques, et parviennent donc mieux à se
reproduire. Dans certains endroits, comme
à Kyoto, elles ont totalement remplacé les
salamandres endémiques. Est-ce pour
autant un problème ? Lui-même n’a pas un
avis tranché. « La salamandre du Japon
n’existe que sur l’Archipel. Elle a un génome
très large et perd très peu d’ADN au fil des
générations : elle porte donc un patrimoine
génétique vieux de 23 millions d’années !
Alors oui, ce serait dommage qu’elle dispa-
raisse. Mais d’un autre côté, j’ai de la peine
pour les hybrides : elles devraient aussi avoir
le droit de vivre dans la nature. »
Alors, l’amoureux des salamandres conti-
nue à inspecter sa rivière toutes les semaines,
capturant les hybrides, libérant les endémi-
ques. Un jour, peut-être, l’Etat lui dira quel
sort réserver aux premières. En attendant, il
les exhibe dans des écoles, histoire de sensi-
biliser les plus jeunes et de leur faire aimer ce
mystérieux animal. Il nous montre sa plus
belle création : un livre pour enfants. « Certai-
nes salamandres sont gentilles et nous regar-
dent quand on soulève le couvercle, écrit-il.
D’autres ont peur et se cachent, ou tentent de
nous mordre. Parfois, elles essaient de s’enfuir
en poussant très fort sur leur queue pour s’éle-
ver. Elles respirent en mettant leur nez à la sur-
face ; mais elles gardent souvent le reste de la
tête dans l’eau. Je crois que c’est parce que ça
leur pique les yeux. » p
nicolas celnik
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Jacques Tardi « Etre militaire était,
à mes yeux, le comble de la médiocrité »
ENTRETIEN
A 77 ans, Jacques Tardi continue de con-
fectionner des bandes dessinées dans
son atelier parisien qu’il quitte rare-
ment. Créateur d’Adèle Blanc-Sec et auteur de
nombreux albums sur les deux guerres mon-
diales, cet anarchiste reste attaché à sa liberté
d’expression. Il est rétif à toute récupération et
refuse plus que jamais les médailles et les hon-
neurs pour n’être redevable de personne.
Je ne serais pas arrivé là si…
… S’il n’y avait pas eu un portrait de Ma-
rianne au fusain, estompé à la peau de cha-
mois, accroché dans la chambre de mes
grands-parents, dans un quartier de Valence.
Je vivais chez eux parce que ma mère était ma-
lade et que mon père, militaire de carrière,
avait rejoint les troupes de stationnement en
Allemagne après la seconde guerre mondiale.
Ce dessin hyperréaliste me fascinait. J’imagine
que ma grand-mère l’a exécuté quand elle était
à l’école, dans les années 1890, à partir d’un
buste de Marianne emprunté par son institu-
trice à la mairie. Tout commence là, avec cette
grand-mère qui dessine un peu, m’achète des
crayons de couleur et ne s’oppose pas à ce que
je lise les fascicules de bande dessinée de la
maison d’édition Artima. Les héros s’appe-
laient Ardan, Toni Cyclone, Vigor, Ouragan,
Tarou fils de la jungle…
Votre grand-père, un ancien poilu,
a également joué un rôle déterminant…
Je l’ai peu connu, car il est mort quand j’étais
très jeune. Je me souviens qu’il devait pren-
dre des comprimés, car il avait été intoxiqué à
l’ypérite pendant la première guerre mon-
diale. Après sa mort, ma grand-mère m’a
raconté qu’une nuit, alors qu’il était de corvée
de soupe et qu’il regagnait sa tranchée, des
fusées éclairantes avaient embrasé le ciel, au
point d’y voir comme en plein jour. Il s’était
alors jeté à terre et était tombé les deux mains
en avant dans le ventre d’un mort. Cela
m’avait énormément impressionné. C’est le
point de départ de mon intérêt pour la
guerre de 14-18.
Votre grand-mère n’était pas la seule à des-
siner. Son fils aussi, votre père, dessinait…
Oui, mais seulement dans le but de mieux
expliquer ce qu’il n’arrivait pas à exprimer à
l’oral. Le dessin était technique pour lui et de-
vait apporter de la précision – une caractéristi-
que dont j’ai hérité par la suite. Il dessinait des
tas de bagnoles, c’était tellement abrutissant
qu’il m’a découragé de l’automobile. Il m’em-
menait faire des tours avec sa Peugeot 203 et
piquait des colères dès que je faisais craquer
les vitesses. Résultat, je n’ai jamais passé mon
permis de conduire !
Comment vos parents ont-ils vécu votre
choix de suivre des études artistiques ?
Je n’ai pas souvenir que mon père ait for-
mulé le moindre avis à ce sujet. Ma mère, elle,
espérait que je fasse du dessin publicitaire,
car cela payait bien. Je suis entré aux Beaux-
Arts de Lyon à 16 ans, ce qui m’a permis de tra-
vailler, un été, chez l’éditeur Impéria, où je re-
touchais des BD en petits formats venant
d’Italie et d’Espagne sur lesquelles étaient col-
lés des textes traduits – quel ennui ! J’avais
montré mes travaux personnels au directeur
de la publication qui m’avait fermement con-
seillé d’arrêter la bande dessinée.
Cela ne vous a pas empêché d’en vivre
assez rapidement…
En poursuivant mes études aux Arts déco, à
Paris, j’ai rencontré deux types, Patrice Ricord
et Jean Mulatier, qui dessinaient dans le maga-
zine Pilote. Ce sont eux qui m’ont poussé à
montrer mes dessins à René Goscinny, bien
que Pilote, qu’il dirigeait, n’était vraiment pas
ma tasse de thé. Je préférais ce que publiait
l’éditeur Eric Losfeld (Barbarella, Les Aventures
de Jodelle…). Reste que j’allais me laisser pren-
dre au jeu de la publication dans Pilote et y des-
siner mes premières histoires.
En 1976, vous créez Adèle Blanc-Sec,
chez Casterman. Pourquoi un personnage
féminin ?
Il y avait beaucoup de mecs dans la bande
dessinée : des cow-boys, des pilotes de voiture
de course, des détectives privés… Les person-
nages féminins étaient rares, sauf dans le re-
gistre érotique. Les idées sur la place des fem-
mes évoluaient rapidement, il y avait eu l’An-
née internationale de la femme en 1975. Avec
Adèle Blanc-Sec, j’ai eu envie de créer une nana
JE NE SERAI PAS ARRIVE LA SI…
« Le Monde » interroge une
personnalité sur un moment
décisif de son existence. Cette
semaine, le dessinateur évoque
son histoire familiale
qui se comporterait normalement, sans avoir
besoin de la déshabiller toutes les cinq minu-
tes, même si on la voit de temps en temps dans
sa baignoire en train de fumer un clope.
Adèle est-elle votre double fictionnel ?
Sans doute. Elle exerce le même métier que
moi puisqu’elle écrit des feuilletons. Elle a aussi
mauvais caractère. Je vous confirme que le
dixième tome de ses aventures, sorti en 2022,
sera le dernier de la série, comme je m’y étais
engagé. Personne ne pourra reprendre le per-
sonnage après moi. Je ne trouve pas très glo-
rieuses les reprises de héros de bande dessinée.
Vous avez pourtant accepté que Luc Besson
adapte Adèle Blanc-Sec au cinéma…
Oui, parce qu’on changeait de genre. Mais je
ne me suis mêlé de rien dans cette adaptation.
Je suis allé plusieurs fois sur le tournage et j’ai
dit à Louise Bourgoin, qui jouait le rôle-titre :
« Vous savez, Adèle, elle a mauvais caractère. »
Après cela, elle a joué de façon agitée, par mo-
ments un peu comique… Le film vaut ce qu’il
vaut, mais les décors étaient parfaits.
Parallèlement à Adèle Blanc-Sec,
vous allez faire de la première guerre
mondiale le grand thème de votre œuvre.
Le souvenir de ce grand-père poilu
qui pose les mains dans les entrailles
d’un cadavre continuait-il de vous hanter ?
Oui, mais je vais aussi lire beaucoup sur le
sujet : Le Feu [Flammarion, 1916, rééd. 2018],
d’Henri Barbusse, Les Croix de bois [Albin-Mi-
chel, 1919, rééd. 2014], de Roland Dorgelès, les
récits d’Ernst Jünger… Ces lectures ont fortifié
mon indignation face à l’utilisation de ces
pauvres types de 20 ans qu’on envoyait au
casse-pipe. Les soldats français étaient mal
équipés, ils ont été les derniers à pouvoir se
protéger efficacement des gaz. Le maréchal
Joffre disait que ce n’était pas la peine d’enta-
mer des recherches sur un masque à gaz, car
la guerre serait finie avant qu’on ait le temps
d’en concevoir un.
rencontre | 23
Dans son atelier,
à Paris, en mai.
ÉDITIONS MARTIN DE HALLEUX
Une rencontre décisive va vous convaincre
de poursuivre ce projet de raconter
la guerre de 14-18 au plus près des poilus…
Après ma première histoire sur le sujet, je re-
çois en effet la lettre de quelqu’un qui me dit
que j’ai commis des erreurs de documenta-
tion. « De quoi je me mêle », me dis-je dans un
premier temps. Il s’agissait de l’historien Jean-
Pierre Verney. Nous allons faire équipe par la
suite. Nous sommes allés ensemble sur les
champs de bataille, mais aussi dans les souter-
rains, comme à Vauquois [Meuse], équipés
d’une lampe Wonder d’époque. Il fallait hu-
mer, s’imprégner de l’ambiance de ces en-
droits impressionnants.
En quoi la précision historique était-elle
si importante alors que vos histoires
sont fictionnelles ?
Il faut que ce soit juste pour qu’on y croie.
Verney a installé dans mon atelier un manne-
quin de poilu entièrement équipé, avec sa ca-
pote, son casque, sa musette, le fusil, la baïon-
nette… Ces objets donnent des renseigne-
ments sur le quotidien. Il ne faut pas mépri-
ser la documentation. J’ai vu beaucoup de
jeunes auteurs de BD s’emparer de 14-18 : la
plupart ne savent pas dessiner correctement
¶ un casque. Et ne parlons pas de ce film britan-
20 ans en mai 1871 nique tourné en un seul plan-séquence [1917,
Editions Martin de de Sam Mendes] : on y voit deux soldats sau-
Halleux, 32 pages, ter dans la Marne ; on s’attend à ce que des
19,90 euros crocodiles viennent les bouffer, comme dans
un film d’aventures.
Vous avez peu participé au programme
de commémoration du centenaire de
la première guerre mondiale. Pourquoi ?
J’y ai contribué avec ma femme, Dominique
Grange, qui est chanteuse engagée et militante
d’extrême gauche, « établie » en usine après
Mai 68. Elle avait arrêté la chanson. Je l’ai con-
vaincue de reprendre du service. Nous avons
ensuite monté un spectacle, Putain de guerre !,
mêlant chansons, textes lus et projections de
dessins, que nous avons joué pendant les com-
mémorations. La Mission du centenaire [du
gouvernement] m’avait aussi demandé de
créer une grande fresque circulaire, avant
qu’ils ne fassent tout capoter d’eux-mêmes.
« Ils » ? Le ministère de la culture qui vou-
lait vous attribuer la Légion d’honneur ?
Oui. J’y ai vu un piège. Je ne veux pas être re-
connu par ces gens-là. Je ne leur ai rien de-
mandé. Si j’avais accepté, j’aurais été redeva-
ble, j’aurais dû fermer ma gueule, être poli,
me mettre au garde à vous – hors de question !
Je veux garder ma liberté d’expression.
Est-ce l’anarchiste qui parle, là ?
Si vous voulez. Je dois à Dominique ma cons-
cience politique. Je me méfie des institutions.
J’ai immédiatement abandonné ce projet de
panorama dessiné.
Dominique Grange et vous êtes mariés.
Le mariage n’est pas un concept très
« anar »…
Nous n’avons pas pu faire autrement pour
adopter nos enfants, la loi n’autorisant pas, à
l’époque, l’adoption par des concubins. Les pa-
rents de Dominique parrainaient une petite
fille du Chili à travers l’association SOS Villages
d’enfants. Nous avons adopté quatre enfants
chiliens, dont une petite fille handicapée.
L’indignation, qui a guidé votre intérêt
pour la guerre de 14-18, opère-t-elle égale-
ment dans la trilogie consacrée à votre
père, qui vécut la quasi-entièreté de la se-
conde guerre mondiale dans un stalag ?
Non, c’est différent. Parce qu’il voulait
échapper à l’autorité de son propre père, mon
père n’avait rien trouvé de mieux que de
s’engager dans l’armée en 1937, à Valence, où
était installé un régiment de chars de combat.
Deux ans plus tard éclate la guerre. Il est
envoyé dans le nord de la France et fait pri-
sonnier après seulement douze jours. Le re-
tour en France, à la fin de la guerre, a été terri-
ble pour ceux qui revenaient de captivité. On
les tenait pour responsables de la débâcle de
l’armée française. Il n’y avait pas de boulot
pour eux. Qu’a fait mon père ? Il a rempilé
dans l’armée !
En rentrant de captivité, il était très amer
et vitupérait contre tout, en particulier
contre l’administration. N’avez-vous pas
hérité de lui ce fameux « mauvais
caractère » ?
Certainement. Nos relations ont toujours été
compliquées. A 17-18 ans, j’étais en conflit avec
lui. Etre militaire était, à mes yeux, le comble de
la médiocrité. Je me moquais du bidasse vaincu
et minable qu’il avait été, au point de le blesser
parfois. « Je ne suis pas celui que tu crois », m’a-
t-il lancé un jour. J’ai alors laissé tomber ces at-
taques qui n’avaient pas lieu d’être. Plus tard,
aux parents de Dominique, il a confié que je lui
faisais peur, que je l’impressionnais…
Seriez-vous devenu antimilitariste
s’il n’avait pas été militaire ?
Il m’a aidé à le devenir. Pour tout dire, je n’ai
jamais vraiment causé avec lui. Je lui ai de-
mandé de me raconter sa captivité, ce qu’il a
fait en remplissant cinq ou six cahiers de tex-
tes et de dessins. Mais nous n’avons jamais eu
de vraie discussion. Nos rapports sont restés
inaboutis. Je l’ai regretté au moment de son
décès. Y repenser aujourd’hui me chagrine.
Quelques heures avant de mourir, il se re-
voyait dans son char, juste avant sa capture. Sa
vie a été salopée. Six ans de captivité, c’est
quand même dur à vivre, non ?
A quoi ressemble votre vie à vous ?
On ne vous voit quasiment jamais
dans un festival, vous boudez les expos,
les dédicaces…
Aller faire le pitre à Angoulême [où se tient
chaque année le Festival international de la
bande dessinée depuis 1974], signer des albums,
très peu pour moi ! Je m’y suis remis exception-
nellement pour la sortie d’Elise et les nouveaux
partisans [Delcourt, 2021], mais c’est fini. La
seule chose qui m’intéresse est d’être ici, dans
mon atelier, devant une feuille de papier, et de
dessiner jusqu’au soir. Le matin, je trempe
deux biscuits dans mon café pour m’atteler au
travail le plus rapidement possible.
En attendant sa sortie, il y a ce court récit
muet publié en septembre, « 20 ans en
mai 1871 » (Editions Martin de Halleux,
32 pages, 19,90 euros), qui revient sur la
Commune de Paris, un épisode historique
que vous avez déjà traité, à travers
« Le Cri du peuple » (Casterman, 2021),
d’après le roman de Jean Vautrin…
Adolphe Thiers, l’instigateur de la répression
contre la Commune, est enterré à deux pas de
chez moi, au cimetière du Père-Lachaise, sur
le mur duquel 147 fédérés furent fusillés. J’ai
imaginé un communard qui, à la fin de sa vie,
viendrait se venger sur sa tombe. Thiers a été
un assassin. La hargne contre lui est toujours
très vive. A l’entrée de son mausolée, il y a un
graffiti : « Vive la Commune ». Il commence à
s’effacer avec le temps. J’irai peut-être repasser
dessus, un de ces jours… Après avoir pissé
contre le mausolée ! p
propos recueillis par frédéric potet
24 |
CULTURE
Tristes noces du rock et du béton à Manchester
La nouvelle salle de spectacle, réalisée par l’agence OMA, s’est ouverte dans l’ancien quartier ouvrier de St John
REPORTAGE
manchester (royaume-uni)
L
e 18 octobre, une nouvelle
salle de spectacle ouvrait à
Manchester (Royaume-
Uni). Réalisé par OMA, la
célébrissime agence de Rem
Koolhaas qui s’est fait une spécia-
lité d’intervenir dans des contex-
tes urbains chaotiques, le
bâtiment appelé Aviva Studios se
greffe dans le tissu du quartier
St John, fascinant enchevêtrement
de canaux, d’infrastructures ferro-
viaires, d’ouvrages industriels en
brique, au milieu duquel s’érigent
depuis peu de nouvelles tours de
promotion immobilière. C’est là
en outre, juste à côté des anciens
studios de télévision Granada re-
convertis dans la production de
contenu numérique, que le géant
de l’e-commerce Booking a ins-
tallé son nouveau siège.
La géométrie heurtée de la salle
de spectacle, assemblage de blocs
de béton partiellement recouvert
de tôle métallique, fait écho à
cette collusion de l’ancien et du
moderne qu’on retrouve un peu
partout dans l’ancienne cité
ouvrière. Cette ville dont
Friedrich Engels a tiré son étude
sur les conditions de vie du prolé-
tariat pendant la révolution in-
dustrielle (La Situation de la classe
laborieuse en Angleterre, 1845,
réédition Les Editions sociales,
2021), que la désindustrialisation
devait mettre à terre un peu plus
d’un siècle plus tard, connaît une
mutation phénoménale et
ultrarapide depuis qu’elle a
ouvert les vannes, au début du
XXIe siècle, à un afflux massif de
capitaux étrangers. En deux
décennies à peine, elle s’est trans-
formée en une métropole attrac-
tive portée par les industries nu-
mérique et culturelle, au prix
d’une relégation hors de son
centre de la frange la plus pauvre
de sa population.
Dérive budgétaire
Administré par l’équipe du Man-
chester Festival, prestigieux festi-
val de rock, le nouvel équipement
est présenté comme un outil à
même d’accueillir tous les specta-
cles (du rock bien sûr, mais aussi
de l’opéra en passant par les expo-
sitions d’art, les installations im-
mersives…) et d’en inspirer de
nouvelles formes. A l’origine, il de-
vait s’appeler Factory Internatio-
nal, référence au label de Joy Divi-
sion qui l’aurait ancré dans l’his-
toire de cette ville dont étaient ori-
ginaires les fondateurs du groupe
pionnier de la cold wave et dans le
grand bain de la pop culture mon-
dialisée dont ils ont fini par deve-
nir un emblème. Aviva Studios, le
DE CAUSE
À EFFETS.
© Radio France/Ch. Abramowitz
Le magazine de
l’environnement
En partenariat
avec
Le nouvel
équipement est
présenté comme
un outil à même
d’accueillir tous
les spectacles et
d’en inspirer de
nouvelles formes
nom dont il a finalement hérité,
lui vient de la compagnie d’assu-
rances qui a déboursé 35 millions
d’euros pour imposer le sien.
Si répandue soit-elle désormais,
cette pratique qui consiste à la-
belliser une salle de spectacle du
nom d’un sponsor dont l’activité
est aux antipodes de ce qui s’y
joue reste embarrassante pour ce
projet, qui se fait fort de représen-
ter l’investissement public dans
la culture le plus important au
Royaume-Uni depuis la Tate Mo-
dern. La ville en a voté le principe
pour répondre à une dérive bud-
gétaire devenue hors de contrôle.
Entre 2017 et 2023, le budget de la
Le mardi
21h – 22h
Aurélie
Luneau
L’esprit
d’ouver-
ture
salle est en effet passé de 110 à
242 millions de livres (126 à
277 millions d’euros).
Les retards liés au Covid-19, à
l’inflation du coût des matériaux
due à la guerre en Ukraine y
auraient contribué, mais l’expli-
cation tient surtout à la nature de
ce projet qu’il a fallu sans cesse
adapter à un environnement en
pleine mutation. Pour commen-
cer, déplore l’architecte, la par-
celle était mal dessinée. Le pro-
moteur qui avait racheté l’essen-
tiel du quartier a « tracé un petit
triangle vite fait, qui s’est retrouvé
coupé en deux, qui plus est, par
une rue ». La ville tenait à cette
rue qui devait permettre la dé-
pose en voiture devant l’en-
trée. Mais l’attentat meurtrier
qui a eu lieu en 2017, à la sortie de
la Manchester Arena, a changé la
donne, et elle est devenue une
voie piétonne.
Pour répondre au programme
(deux salles de spectacle de 5 000
et 1 600 places respectivement), il
a fallu surélever le bâtiment. L’im-
plantation de deux tours réser-
vées au coliving juste à côté, pro-
jet dont les architectes n’étaient
pas informés au moment du con-
cours, a nécessité par ailleurs des
investissements considérables en
matière d’isolation acoustique.
Volume spectaculaire
Au cœur du projet, la Warehouse,
grande salle au volume spectacu-
laire (2 500 mètres carrés pour
21 mètres de hauteur, c’est-à-dire,
pour reprendre la phraséologie
du dossier de presse, « aussi long
qu’un Boeing 747 » et haute
comme « quatre bus à double ni-
veau empilés les uns sur les
autres »), que des panneaux
acoustiques amovibles permet-
tent de diviser en espaces de taille
différente. Une deuxième salle, le
Hall, plus classique, est modula-
ble elle aussi, et les espaces de cir-
culation sont offerts à l’appro-
priation des artistes.
Variation tapageuse sur le film
Matrix, la superproduction Free
Your Mind ! produite pour l’inau-
guration (dirigée par le cinéaste
britannique Danny Boyle en col-
laboration avec Es Devlin,
Kenrick ‘H2O’ Sandy, Michael
’Mikey J’Asante et Sabrina Mah-
fouz) avait tout d’une publicité
A l’intérieur d’Aviva Studios, en octobre. MARCO CAPPALLETTI/COLLECTION FACTORY INTERNATIONAL/OMA
pour le lieu, mais elle s’est par-
tiellement retournée contre lui.
Le spectacle démarrait dans le
Hall pour se terminer dans la Wa-
rehouse, où les spectateurs se re-
trouvaient debout, massés
autour d’un gigantesque podium
où cinquante danseurs évo-
luaient sous une barre monu-
mentale d’écrans LED, non sans
avoir transité par le foyer où ils
furent contraints, encadrés par
une équipe de lapins géants, de
faire le pied de grue une bonne
vingtaine de minutes. Une durée
suffisante pour se dire que le
compte n’y était pas tout à fait.
Les spectacles conçus pour se te-
nir dans les deux salles à la fois se-
ront rares, gageons-le. Pour les
autres, le bâtiment se révèle très
fonctionnel, y compris sur le plan
urbain, où il opère, avec ses multi-
ples entrées, comme un petit hub
à l’échelle du quartier. C’est ainsi
qu’Ellen van Loon défend son
projet, et qu’elle justifie son archi-
tecture « sans chichis » (matériaux
pauvres, à nu, gaines techniques
apparentes…) dont le glamour se
résume à la grande marquise pi-
quée de bulbes lumineux qui
donne à l’entrée du théâtre une
petite touche « Broadway ». La dé-
bauche d’argent, autrement dit,
ne saute pas aux yeux.
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
L’architecte Ellen
van Loon voulait
faire écho
« à l’identité
de Manchester,
à son passé
industriel… »
L’architecte voulait faire écho,
justifie-t-elle, « à l’identité de
Manchester, à son passé indus-
triel… ». Alors que l’identité de la
ville se dissout chaque jour un
peu plus dans le grand bain de la
mondialisation, que ses anciens
bâtiments industriels se remplis-
sent de plateaux de coworking,
cette redondance de principe ne
va pourtant pas de soi.
On aurait pu rêver plus dialecti-
que que cette idée usée jusqu’à la
corde d’usine de création artisti-
que qui contribue à tout aplanir,
jusqu’aux arches en brique de
l’ancienne voie ferrée qu’Ellen
van Loon a intégrées à son archi-
tecture, mais seulement pour y
nicher les toilettes, privant ainsi
le grand hall du rez-de-chaussée
d’un élément puissant qui aurait
pu lui donner le caractère qui lui
0123
La façade de l’Aviva
Studios, en
octobre. MARCO
CAPPALLETTI/COLLECTION
FACTORY INTERNATIONAL/OMA
manque. Difficile de ne pas pen-
ser à d’autres projets d’OMA, au
Taipei Performing Arts Center
(2022), notamment, qui présente
de nombreux points communs
avec celui-ci (surélévation du bâ-
timent, inscription dans un con-
texte urbain complexe, jeu avec
les infrastructures ferroviaires,
architecture conçue pour inspi-
rer de nouvelles formes artisti-
ques…). Tout en jouant la carte de
l’esthétique industrielle, les ar-
chitectes l’ont systématique-
ment subvertie par des giclées de
couleur, aplats de matériaux
luxueux, éclairages expression-
nistes, volumétries incongrues…
Autant de contrepoints qui élec-
trisent l’atmosphère de manière
fort stimulante.
La sobriété sans fondement de
l’Aviva Studios interroge en retour
sur la voracité en carbone de ce
projet qui vient intensifier le bi-
lan désastreux de la promotion
immobilière en roue libre dans la
ville. Sans doute ce monstre de
béton, d’acier et de verre était-il la
réponse adaptée à un tel pro-
gramme, sur une parcelle si mal
fichue, en plein cœur d’un quar-
tier d’habitation. Mais le temps
n’est-il pas venu de penser les
choses autrement ? p
isabelle regnier
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Valère Novarina met le feu à la langue
Le metteur en scène livre, au Théâtre de la Colline, à Paris, un plaidoyer pour la souveraineté du verbe
THÉÂTRE
C
e n’est pas un spectacle
qui fera polémique.
Pourtant il est, sur le
plan politique, l’un des
plus offensifs de cet automne
théâtral parisien. De retour à La
Colline où, en plus de vingt ans, il
a créé six de ses textes, l’auteur-
metteur en scène Valère Novarina
dépose sur le grand plateau un
plaidoyer irrésistible pour la sou-
veraineté de la langue. Agé de
81 ans, l’artiste est d’une inso-
lence juvénile et d’une lucidité
mordante. Au soir de la première,
Les Personnages de la pensée (pu-
blié par ailleurs chez P.O.L, 288 pa-
ges, 18 euros) a allumé le feu dans
les rangs du public.
Giclées de mots, précipités d’ad-
jectifs, flux de néologismes, intru-
sions d’anglicismes, torrents de
phrases, irruption de récits et de
dialogues bien ordonnés dans des
volées hagardes de patronymes
inventés, de phonèmes trafiqués
et de syntaxes démantibulées : de-
puis toujours, il n’y a qu’un dieu
qui vaille sous la plume de Nova-
rina, c’est le verbe. Il est ici pris en
charge par une bande de comé-
diens exceptionnels qui le font en-
tendre avec un éclat remarquable.
Certains sont des vétérans de la
tribu novarinienne, d’autres vien-
nent d’être adoubés. C’est une pa-
noplie de talents qui investit les
planches, sans leader qui tienne la
dragée haute à des seconds rôles
ou des faire-valoir. Même le régis-
seur (Richard Pierre, rebaptisé
« l’Ouvrier du drame ») a voix au
chapitre. L’auteur voulait imagi-
ner un parcours dynamique pour
chacun. Des deux musiciens qui
jouent en live aux dix comédiens,
il a réussi son coup. Respect admi-
ratif pour ces interprètes dont les
corps véhiculent sportivement les
pages d’un texte luxuriant. Trans-
bahutée par les va-et-vient de la
troupe, la parole se balade : elle se
hisse au sommet d’estrades, de ta-
bourets, d’escabeaux ; elle profère
depuis des pupitres improvisés ;
elle se superpose aux toiles colo-
rées signées par l’artiste.
Mourad Merzouki investit le Musée d’Orsay
Le chorégraphe se réapproprie les salles d’exposition avec des extraits de ses spectacles
DANSE
L e Musée d’Orsay se met à
l’heure de l’Olympiade
culturelle et des Jeux olym-
piques. A neuf mois de
l’échéance, l’institution pari-
sienne se lance dans la course
aux événements « art et sport »
en passe de devenir le thème de
saison pour nombre de salles et
de manifestations. « Nous allons
être au cœur du dispositif avec la
construction d’un stade place de
la Concorde qui accueillera le bas-
ket, le skate et le breaking, rap-
pelle Antonine Fulla, directrice de
la programmation culturelle et
des auditoriums du Musée d’Or-
say. La cérémonie d’ouverture sur
la Seine passera devant chez nous.
Il nous a semblé évident de partici-
per à notre façon. »
Avec le breaking, style hip-hop
acrobatique pour la première fois
aux Jeux olympiques, c’est toute
la scène des danses urbaines qui
profite d’un coup de chaud mé-
diatique. Jusqu’au 22 juin, une sé-
rie de spectacles et de déambula-
tions vont rythmer les exposi-
tions. Samedi 11 et dimanche
12 novembre, le chorégraphe ve-
dette Mourad Merzouki, dont le
festival Kalypso se produit jus-
qu’au 23 décembre dans vingt-
trois villes en Ile-de-France, inves-
tit différents espaces. « C’est la
L’artiste vit
dans son siècle. Il
en déplore le peu
de spiritualité.
Il en regrette
le matérialisme
forcené
Le décor est un atelier de peintre
sans cesse reconfiguré dont le
metteur en scène taquine les limi-
tes, histoire de montrer qu’aucune
frontière tangible ne saurait
contraindre sa verve poétique en-
tre quatre murs. Les comédiens
balancent des objets en coulisses.
Une pièce de Jean Racine (Britanni-
cus) tombe des cintres. Une fon-
taine de faux sang jaillit du par-
quet. Disposés l’un côté cour et
l’autre côté jardin, un chien en
stuc et une mobylette rouillée, qui
figeaient, en préambule, la scéno-
graphie entre leurs masses iner-
tes, sont dégagés des lieux. L’es-
pace est un couloir latéral, vertical
et profond où l’immobilité n’est
pas de mise. L’air circule. Les pro-
pos également.
Débord des minutes
Le verbe est roi dans une repré-
sentation dont la durée (trois heu-
res trente entrecoupées d’un en-
tracte) est en elle-même un défi
aux fatigues de fin de journée.
Mais cette longueur (plus vive-
ment ressentie en première par-
tie, ce qui dissuade à tort quelques
spectateurs de rester jusqu’au
bout) travaille pour l’auteur. Il a
besoin du débord des minutes
pour nettoyer les cerveaux de ce
qui les parasite et contre quoi il
s’insurge : une langue efficace au
service d’une communication ré-
ductrice. Le formatage des esprits
est dans sa ligne de mire.
On n’est ainsi pas près d’oublier
la solution préconisée pour régler
la question du genre. Plutôt que
de trancher entre neutre, mascu-
lin et féminin, Valère Novarina
propose de remplacer les voyelles
première fois pour Mourad que
nous faisons comme on dit “mu-
sée ouvert”, en lui proposant tous
les lieux possibles pour une traver-
sée de son parcours, précise Anto-
nine Fulla. Entre 14 heures et
18 heures, nos 13 000 visiteurs at-
tendus en moyenne par jour pour-
ront ainsi profiter selon leur hu-
meur de pastilles chorégraphiques
essaimées dans le musée. »
Entre scène et ring
De la grande nef, imposante et
majestueuse, où ont été installés
un câble et des élastiques pour
des séquences aériennes de la
pièce Vertikal, à la Salle des fêtes,
rutilante avec ses lustres en cristal
(dans laquelle on pourra excep-
tionnellement pénétrer pour voir
la baroque Folia, en passant par le
Fumoir avec son carré de tables
propice à des improvisations li-
bres, dix lieux serviront de cadre
à une dizaine d’extraits de cinq
spectacles signés Merzouki. « Ce
sont en quelque sorte des scéno-
graphies singulières à la hauteur
desquelles il faut être, et dont la
danse peut en apporter une nou-
velle lecture », commente-t-il.
Devant la peinture monumen-
tale et toujours sidérante de Gus-
tave Courbet Le Rut du printemps.
Combat de cerfs, Merzouki in-
cruste un bloc compact de Boxe
Boxe, créé en 2010, ainsi que sur
Claire Sermonne, Aurélien Fayet, Nicolas Struve, Valérie Vinci et René Turquois, au Théâtre de la Colline, le 31 octobre. TUONG-VI NGUYEN
par le son « u ». « Et tu veru que nu
purviendru purfutement u nu cu-
prendre », prophétise, lors d’une
séquence hilarante, l’excellent
Manuel Le Lièvre. Des scènes de
cette nature, subtiles, parodiques
et caustiques, le texte n’en man-
que pas. Elles surgissent au dé-
botté et font souffler sur les pon-
cifs et leurs faciles raccourcis le
vent ironique de la critique.
L’artiste vit dans son siècle. Il en
déplore le peu de spiritualité. Il en
regrette le matérialisme forcené.
Il le fait savoir lors d’épisodes cise-
lés qui ne nomment jamais fron-
talement les sujets mais les déca-
lent vers la métaphore, la carica-
ture ou la parabole. Qu’ils abor-
dent la question du genre, de la
foi, de la lutte des classes, de la
novlangue, des progrès de la
science et de la technologie, ces
Le dialogue
effervescent
entre le
mouvement
dansé et sportif a
cimenté sa vision
spectaculaire
l’immense maquette du quartier
de l’Opéra de Paris, installée en
fond de nef. Le sol de verre trans-
parent se métamorphose en socle
naturel étonnant et vertigineux
pour une envolée de corps entre
scène et ring. Enfant, à l’âge de
7 ans, le danseur et chorégraphe
né à Saint-Priest (Rhône) s’est
d’abord initié aux arts martiaux,
puis aux techniques du cirque,
avant de découvrir le hip-hop
trois ans plus tard.
Le dialogue effervescent entre le
mouvement dansé et sportif a ci-
menté sa vision spectaculaire.
Rien d’étonnant au fait que
Merzouki collabore actuellement
avec l’équipe de France féminine
de natation artistique (nom offi-
ciel de la natation synchronisée
depuis 2017), dont il conçoit les
quatre minutes de l’épreuve libre
sur la chanson Mesdames, de
Grand Corps Malade. « Pourtant,
culture | 25
règlements de comptes sont pour cier », empile les uns derrière les pauvrie et domestiquée, est un
les acteurs des plages de jeu rê- autres des propos elliptiques outil d’émancipation et une arme
vées. Mais le plus souvent, dans ce dont l’articulation facétieuse (au de résistance. C’est en ce sens que
spectacle, la langue n’est au ser- passé simple qui plus est) est un ce spectacle est l’un des plus poli-
vice que d’elle-même. Elle ne ra- exercice de grande virtuosité. tiquement offensifs de cet
conte aucune histoire, ne milite Le spectacle n’est pas toujours automne parisien. « La parole ne
pour aucune autre cause que son aussi gratifiant. Il arrive que l’en- nomme pas, elle appelle », conclut
infinie capacité à transformer les nui et l’agacement guettent de- un des personnages. p
voyelles et consonnes en une par- vant une représentation un brin joëlle gayot
tition que déchiffrent les acteurs. narcissique : au fond, pourrait-on
chipoter, une langue s’autocélè- Les Personnages de la pensée,
Articulation facétieuse bre devant les toiles mêmes du publié aux éditions P.O.L.
Lorsque le son l’emporte sur le maître de cérémonie. C’est vrai. Texte, peinture et mise en scène :
sens, il n’y a plus rien à compren- Mais le miracle a lieu. Cette lan- Valère Novarina. Avec Valentine
dre : « Que l’univers poursuive hors gue, qui ne sert en apparence à Catzéflis, Aurélien Fayet, Manuel
de nous sa propre logique ! », s’ex- rien parce qu’elle n’a pas l’utilité Le Lièvre, Sylvain Levitte, Liza
clame un personnage baptisé marchande d’un bien matériel, Alegria Ndikita, Claire Sermonne,
« l’Enfant mordant le sol seul qui oppose à la maigreur d’élé- Agnès Sourdillon, Nicolas Struve,
contre tous ». Exit la raison et le ments de langage la profusion de René Turquois, Valérie Vinci.
normatif. La jubilation atteint des son vocabulaire, qui liquide les Musique : Mathias Lévy
sommets lors d’un monologue formules toutes faites pour leur et Christian Paccoud. Jusqu’au
du comédien Sylvain Levitte qui, substituer l’abondance de son 26 novembre, au Théâtre
dans le rôle de « l’Infini Roman- imaginaire, qui refuse d’être ap- de la Colline, Paris 20e.
je n’ai jamais fait de natation,
s’amuse-t-il. Mais imaginer une
chorégraphie à 3 mètres de profon-
deur, dans l’eau, en tenant compte
des figures imposées est passion-
nant. Je vais tenter d’apporter quel-
que chose de plus engagé dans les
gestes des nageuses qui me sem-
blent parfois académiques. »
Très en vue grâce aux Jeux
olympiques, Mourad Merzouki a
également créé La Danse des Jeux,
une envolée gestuelle facile à ap-
prendre – des tutos sont visibles
sur Internet – qui sera le fil rouge
de la manifestation, en particulier
dans les fan-zones. « Depuis la
rentrée, les écoles, collèges et lycées
de France l’ont au programme »,
dit le chorégraphe, qui sait ce que
danser ensemble veut dire.
Un bal participatif clôturera les
deux jours d’Impromptus choré-
graphiques, au Musée d’Orsay.
Rendez-vous autour de la sculp-
ture La Danse, de Jean-Baptiste
Carpeaux, qui dit mieux ? p
rosita boisseau
Impromptus chorégraphiques,
de Mourad Merzouki, au Musée
d’Orsay, Paris 7e. Samedi 11 et
dimanche 12 novembre, entre
14 et 18 heures. Entrée libre
à condition d’avoir un billet
d’entrée pour le musée.
Festival Kalypso, jusqu’au
23 décembre, en Ile-de-France.
26 | télévision
Un portrait sans profondeur de Mark Rothko
Pascale Bouhénic retrace le parcours du peintre américain, à l’occasion de l’exposition à la Fondation Louis Vuitton
ARTE
DIMANCHE 12 - 17 H 45
DOCUMENTAIRE
Q
u’il nous soit par-
donné d’évoquer ici
un souvenir person-
nel : il y a une tren-
taine d’années, nous
avons découvert la chapelle
Rothko, à Houston (Texas). L’inté-
rieur était sombre et s’y déroulait
une messe dont nous avons pa-
tiemment attendu la fin. Des
tableaux, on ne voyait rien : à
l’époque, le dôme central qui dif-
fuse une lumière zénithale était
occulté. Quand les fidèles se sont
dispersés, nous avons demandé à
la gardienne s’il était possible
d’avoir plus d’éclairage. Elle a eu
un grand sourire et a répondu :
« Bien sûr, mais vous verrez encore
moins ! » Et c’était vrai.
Lorsqu’elle a ensuite coupé les
lumignons faiblards, nous nous
sommes accoutumés à la pé-
nombre d’où, peu à peu, les
tableaux ont surgi, par pulsa-
tions d’abord lentes, puis pro-
gressivement plus intenses. Des
apparitions… Mais elles ne se
livrent qu’à ceux qui veulent bien
donner de leur temps.
Depuis la Renaissance, les
tableaux sont des fenêtres ouver-
tes sur le monde. Avec Mark
Rothko (1903-1970), ils devien-
nent des portes : pour qui veut
La Greenhouse, une maison qui nourrit ses habitants et recycle leurs déchets
La structure conçue à Melbourne, en Australie, par Joost Bakker, filmée pendant une année, est une mine d’idées pour vivre en autonomie
USHUAÏA TV
SAMEDI 11 - 20 H 45
DOCUMENTAIRE
C omme je m’intéresse aux
déchets, j’ai ouvert un
restaurant. » Né au nord
d’Amsterdam d’une lignée de cinq
générations de producteurs de
tulipes, Joost Bakker a choisi
l’Australie pour mettre en pratique
ses projets. Le plus abouti est la
Greenhouse by Joost, maison qui
loge, nourrit et chauffe ses rési-
dents tout en recyclant tous leurs
déchets. Les caméras ont suivi
GRILLE N° 23 - 262
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X pour siéger. 5. Arrache le bois à
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 261
HORIZONTALEMENT I. Structurable. II. Crânien. Bout. III. Run. Eliminée.
IV. Uccello. Mi. V. Pues. Unie. Bg. VI. Ulster. Serin. VII. Le. Apéro. Ino.
VIII. Enéma. Arasai. IX. Utopistes. GR. X. Xs. Escalades.
VERTICALEMENT 1. Scrupuleux. 2. Truculents. 3. Rances. EO. 4. Un. Es-
tampe. 5. Ciel. Epais. 6. Tellure. Sc. 7. Union. Rata. 8. Isorel. 9. Abîmée.
Asa. 10. Boni. Ris. 11. Lue. Binage. 12. Eteignoirs.
Mark Rothko, dans son atelier, à New York, au début des années 1960. HENRY ELKAN/ARTE
bien en franchir le seuil, elles
donnent accès à d’autres univers.
Cuisinier diabolique
Dans le livre qu’il a consacré à son
père, son fils, Christopher, pense,
pour sa part, à des miroirs : « Un
matin de 1996, j’ai passé deux
heures seul dans la chapelle, avant
l’heure d’ouverture au public. Au
lieu de la profonde expérience mé-
ditative à laquelle je m’attendais,
pendant un an sa construction à
Melbourne et son ouverture au
public, au printemps 2021.
Afin de convaincre le plus grand
nombre, Joost Bakker s’est associé
à deux chefs cuisiniers, Matt Stone
et Jo Barrett, qui ont participé à
l’élaboration du concept avant de
revenir à leur métier premier et de
préparer des repas, uniquement
avec les produits de la Green-
house, pour quatorze convives
chaque soir : cannellonis farcis à la
truite fumée, criquets frits sur sa-
lade, crêpe au sorgho, jaune d’œuf
salé et râpé… La carte et la présen-
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
j’ai dû combattre une très forte
envie de fuir. (…) Comme je
longeais les murs de cet espace oc-
togonal, environné d’immenses
peintures murales de tous côtés, j’ai
commencé à réaliser que mon ma-
laise ne venait pas des peintures ni
de l’espace, mais de moi-même. Je
me trouvais dans une pièce remplie
de miroirs – des miroirs sombres et
implacables – et je me tenais au
point de convergence de leurs
tation n’ont rien à envier à celles
des meilleures tables.
Avant d’en arriver là, il a fallu ré-
soudre des problèmes inédits. En
commençant par les fondations,
inconcevables en béton quand on
sait que la production d’un kilo-
gramme de béton génère un kilo-
gramme de CO2. La structure est
donc posée sur quelques dalles et
la maison lestée par la terre déver-
sée sur les toits (plats) où poussent
herbes, légumes et fruits. Le jardin
se plante en même temps que les
murs en panneaux de paille com-
pressée et accueille la zone à
HORIZONTALEMENT
I. Certainement et indiscutablement.
II. A été mise au parfum. En retard et
contre tout. III. Roche où alternent
des plages de quartz et de mica. Prit
les bonnes mesures. IV. Jeune propos.
En ballade chez Villon. En train.
V. Boisson anglaise en VO. Note. Dans
le ilet. VI. Instrument à cordes. Le feu
en orbite. VII. Grande partie du
monde. Contraire aux règles et au
droit. VIII. Européenne de la première
heure. Dégagé au sommet. IX. Suit les
usages et les règlements. Sur la por-
tée. X. Grands découpages de l’his-
toire. Gros paquets d’oseille.
VERTICALEMENT
1. En bas de l’accord et des contrats.
2. Pavlova ou Karina. Vendangeuse
en automne. 3. Fait l’innocent.
Sa gare évite l’encombrement ferro-
viaire. 4.Tronc de palmier. Choisis
chaque coup de lame. Personnel.
6. Grande assemblée de cardinaux.
Pour un homme âgé. 7. Négation.
Rencontre pleine de dangers. Dans
la neige. 8. Fera perdre un membre.
9. Découpages historiques. Boîtes
de direction. 10. Partie dans la partie.
Comme un bâtiment sans charge-
ment. 11. Coup de main mais bonne
pâte. Au cœur du foyer. 12. Tiraillées
dans leurs choix.
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
œuvre. Le contexte historique est
plutôt bien restitué, mais manque
de profondeur comme d’analyse.
Ce qui est le plus intéressant,
outre une série de tableaux qui ne
sont pas dans l’exposition de la
Fondation Louis Vuitton, parte-
naire du film, ce sont, d’une part,
le séquençage en chapitres anti-
nomiques (« Figure/pas figure »,
« Américain/pas Américain »,
« Abstrait/pas abstrait »…), qui
posent les nombreuses contra-
dictions de l’homme et de
l’œuvre, et, d’autre part, les témoi-
gnages des restaurateurs, scienti-
fiques, et jusqu’aux marchands
de couleurs qui analysent la tech-
nique très particulière de Rothko,
cuisinier diabolique capable de
recréer à Manhattan des techni-
ques en usage dans l’Italie du
XVe siècle pour les mettre au
service d’une idée encore plus
vieille, puisqu’elle remonte aux
néoplatoniciens grecs, puis aux
peintres d’icônes russes.
reflets, de sorte que tous ren- Avec leur perspective inversée (le
voyaient mon image. (…) Ce fut une point de fuite, c’est vous) et, chez
expérience très enrichissante, mais lui, avec la frontalité et la pulsation
aussi très perturbante. » que cette matière si particulière
Ce sont ces impressions fortes donne à ses abstractions, ce n’est
que tente, maladroitement il faut pas vous qui contemplez l’image,
l’avouer, de restituer le film de Pas- c’est elle qui vous regarde. p
cale Bouhénic. Maladroitement, harry bellet
car, si la biographie de l’artiste est
succinctement mais correcte- Mark Rothko. La peinture vous
ment racontée, on a connu mieux regarde, de Pascale Bouhénic
en matière de commentaire d’une (Fr., 2023, 53 min).
criquets et les ruches. Pour chaque plusieurs petits bassins. Et le mur
phase, Joost Bakker explique de champignons à l’entrée se
comment une autre solution a été « nourrit » de carton mouillé, de
trouvée, avec l’aide de biologistes vieux jeans bouillis et de terre.
et de Jeremy McLeod, architecte.
« Cercles fermés »
De petits schémas crayonnés et
animés explicitent les différents
Sur la forme, le discours du type
« planter des légumes vous con-
necte au monde » peut agacer, de
même que l’enthousiasme exces-
sif – « quels merveilleux panais ! »
« cercles fermés ». Par exemple, les Sur le fond, Joost Bakker démontre
déjections des poissons sont don- que c’est possible. Utilisation du
nées à manger aux vers de terre, biochar, puissant puits de carbone
eux-mêmes donnés en nourriture (préconisé à la COP26) ; aquaponie
aux poissons. La maison produit (un million de petits bassins peu-
ainsi des truites arc-en-ciel et des vent nourrir la population de
écrevisses en aquaponie dans Melbourne). Ses expérimenta-
SUDOKU
N°23-262
Cahier numéro un de l’édition n° 3084 du 9 au 15 novembre 2023
LFI ZIZANIE
LES INSOUMIS INFLATION TÉMOIGNENT
CHEZ DES FRANÇAIS
EXCLUSIF LESJACQUES
MÉMOIRES DE
DUTRONC
EN VENTE
CHEZ VOTRE
MARCHAND
LE PERIL DE JOURNAUX
ANTISEMITE
JOHNJOHNSON / ALAMY
0123
NOTRE
SÉLECTION
S AM ED I 11 N OV EM BR E
Ciné+ Club
Faut que ça danse !
20.50 Comme dans Les Sentiments
(2003), son précédent film, Noémie
Lvovsky s’amuse à tortiller les ficelles
trouvées sur le boulevard. Entre
Lubitsch et Minnelli, elle tisse ici
une jolie comédie familiale, avec
Jean-Pierre Marielle, Sabine Azéma
et Valeria Bruni Tedeschi.
D IM AN CHE 12 N OV EM BR E
OCS Géants
Dorothy Arzner,
une pionnière à Hollywood
22.40 Ce documentaire inédit
réalisé par Clara et Julia Kuperberg
revient sur la carrière méconnue
de la seule réalisatrice de l’âge d’or
hollywoodien, qui commença
comme monteuse, réalisa seize films,
finit par enseigner le cinéma et eut
pour étudiant Francis Ford Coppola.
LU N D I 13 N OV EM BR E
France 5
La Vie secrète des animaux
du village
21.05 A regarder avec les plus
jeunes, ce documentaire sans
originalité mais sympathique,
produit au Royaume-Uni, mais
tourné dans le Tarn, s’intéresse
aux bestioles qui nous entourent
(écureuils, sangliers, hérissons…)
tions devraient inspirer particu-
liers, industriels et politiques. En
attendant, la Greenhouse n’avait
le droit de séjourner dans le quar-
tier de Federation Square à Mel-
bourne que jusqu’à fin avril 2022.
L’expérience se poursuit désor-
mais, 50 kilomètres plus à l’ouest,
à Monbulk, où Joost Bakker com-
mence un nouveau chantier. p
catherine pacary
Greenhouse, la maison
autonome selon Joost,
de Bruce Permezel et Rhian
Skirving (Austr., 2022, 52 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
(prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
abojournalpapier@lemonde.fr.
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
Par courrier électronique :
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
PRINTED IN FRANCE
67-69, avenue
Pierre-Mendès-France
Directrice générale 75013 PARIS
Elisabeth Cialdella Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Ci-dessus : à Rennes,
le bassin de la piscine
Saint-Georges,
avec sa frise signée
Odorico qui longe
le bassin.
Ci-contre : restaurant
La Duchesse Anne,
à Saint-Malo. A droite :
hall d’immeuble dans
le centre-ville rennais.
JEAN-MATTHIEU GAUTIER POUR « LE MONDE »
VOYAGE
rennes
C’
est pour le sol que
vous venez ? » A Ren-
nes, rue Dupont-
des-Loges, les pro-
priétaires de la brocante Alaska
interrogent l’historienne de l’art
Capucine Lemaître. En effet, ce ne
sont pas les pépites vintage de la
boutique qui intéressent la spé-
cialiste, mais bien le majestueux
sol en mosaïque. Un terrazzo aux
teintes grises et ocre, cerné par de
subtiles frises noires et or. Une
surprise découverte à l’ouverture
en 2017 par les propriétaires
d’Alaska, ce magnifique sol origi-
nal ayant jusque-là été caché sous
un vieux carrelage blanc.
Bien avant de devenir une bro-
cante branchée, le lieu abritait au
début du XXe siècle un garage
Peugeot. La Californie, petite île
bordée par les bras de la Vilaine à
l’est du centre-ville, à quelques
enjambées de la gare, est alors un
quartier industriel et d’artisans.
C’est là que la famille Odorico,
mosaïstes d’origine italienne, éta-
blit ses ateliers en 1882. En témoi-
gne cette passerelle hommage au
pied des Grands Moulins de Ren-
nes, sur laquelle une frise de car-
reaux multicolores issus des
fonds restants des ateliers origi-
nels Odorico a été réalisée.
Odorico, un nom qui fleure bien
plus la Méditerranée que les côtes
bretonnes. C’est pourtant dans les
villes du nord-ouest de la France
que cette famille venue de la pro-
vince du Frioul, près de Venise, a
imprimé son empreinte décora-
tive. Les Odorico arrivent dans
l’Hexagone pour travailler sur les
mosaïques du chantier de l’Opéra
Garnier, qui s’étale de 1862 à 1875,
sous la direction de leur compa-
triote Gian Domenico Facchina
(1826-1903).
Fuyant des difficultés économi-
ques en Italie, Isidore Odorico
père (1845-1912) et son frère Vin-
cent (1848-1909) comprennent
qu’un marché se dessine en
France pour la mosaïque, techni-
que qui n’a quasiment plus cours
alors. Aux prémices des mouve-
ments artistiques Art nouveau et
styles | 27
Sur les traces crabe et une étoile de mer dans les
algues et les rochers. Une pieuvre
des mosaïques Odorico
bleue s’élève, elle, dans les hau-
teurs. « Nous en ferons une pièce à
part que nos clients pourront visi-
ter, mais qui ne sera plus utilisée »,
explique Sophie Bannier.
Au début du XXe siècle, à Rennes, Saint-Malo ou Angers, Notre périple sur les traces des
mosaïstes continue à Angers, où
cette famille de mosaïstes italiens a donné à cet art un nouvel essor, les Odorico ouvrent aussi une an-
tenne. Des ouvriers s’activent
décorant villas, boutiques ou édifices publics. Leurs créations, autour de la Maison bleue. La ma-
gnifique façade de l’immeuble de
longtemps ignorées, sont aujourd’hui classées et restaurées sept étages est en restauration.
Construit en 1927, cet édifice qui
détonne sur le boulevard Maré-
chal-Foch tire son nom de ses ma-
Art déco, c’est à Rennes que naît la longe le bassin. Au ras de l’eau, af- inspirés des broderies bretonnes. gnifiques écailles bleues extérieu-
seconde génération, dont Isidore fleurent des vagues vertes, bleues, A proximité de la cité malouine, res où se mêlent faisceaux et vo-
Odorico fils (1893-1945), qui brunes, blanches et dorées, les Odorico ouvrent aussi un ate- lutes dorées cernés de noir. « A
donne à cet art un rayonnement comme une mer colorée. lier à Dinard. On s’y rend par la l’intérieur, certains appartements
local. Etudiant aux Beaux-Arts de Gage de modernité, la mosaï- mer en dix minutes en prenant le comportent quelques raretés,
Rennes, il développe une vision Saint-Malo que devient aussi un outil publi- bateau navette depuis Saint-Malo. comme des salles de bains majes-
-Brieuc Dinard
artistique de la mosaïque plus raf- ILLE- citaire pour attirer l’œil des pas- Dans cette ancienne station bal- tueuses ou des perroquets exoti-
finée que ses aïeuls. A travers le ET-VILAINE sants vers les boutiques. A Ren- néaire, au cœur du très bel hôtel ques en mosaïque vus nulle part
choix de couleurs audacieuses, de MAYENNE nes, on trouve encore des sols Castelbrac, des traces de l’ancien ailleurs ensuite », raconte Jérôme
compositions aux motifs singu- Rennes Odorico dans plusieurs commer- aquarium de Dinard (1935) décoré Bodin, un architecte habitant
liers, ce créateur à la forte person-
MORBIHAN ces. Ceux-ci sont souvent consti- par Odorico se retrouvent au bar l’immeuble et très impliqué dans
nalité doublé d’un sens des affai- tués de cercles entrecroisés, un de l’établissement, à travers de sa restauration. Presque en face,
res devient très populaire dans la des motifs de prédilection de l’ar- sculpturales colonnes ornées l’Hôtel d’Anjou a ouvert, lui, le res-
LOIRE-
capitale bretonne. ATLANTIQUE tiste rennais, très fréquent aussi d’un damier de mosaïques vertes, taurant nommé Odorico, début
Angers
A deux pas d’Alaska, il faut pous- dans l’Art déco. noires et dorées. 2023. L’établissement utilise une
ser la porte de la crêperie Bretone, MAINE- Il faut aller jusqu’à Saint-Malo Dans une autre demeure dinar- ancienne très belle salle des fêtes
40 km ET-LOIRE
ouverte en 2021. Cette bâtisse à (Ille-et-Vilaine) pour fouler un daise, elle aussi propriété de l’en- entièrement modelée de mosaï-
l’architecture surprenante était autre sol rare signé Odorico, dans trepreneur Yann Bucaille, les ques qui vaut le coup d’œil.
l’habitation personnelle d’Isidore la crémerie Bordier, institution ouvriers s’activent sur un chan- A la mi-septembre, le Musée des
Odorico. Les murs extérieurs sont intra-muros. Alors que les pa- tier plus délicat, celui de la villa beaux-arts d’Angers est en effer-
recouverts de trencadis jaunes, comme des trônes. Il les surélève pilles sont réveillées par les célè- Haute-Guais. Alors que les cham- vescence. L’historienne de l’art
des éclats de céramique que l’ar- de quelques marches et les place bres beurres de l’enseigne, le re- bres et la table d’hôtes doivent Capucine Lemaître y donne une
chitecte catalan Gaudi utilisa lui dans une alcôve décorée de smal- gard est happé par les écailles ouvrir au printemps, il s’agit d’ici conférence à l’occasion de la toute
aussi. Au cœur du restaurant tes d’or ou d’argent, pour en faire bleutées qui dominent le pave- là de préserver ces « merveilles », nouvelle édition de son livre
trône une petite pièce-musée, de séduisants lieux d’intimité et de ment. « Isidore Odorico les moder- comme les qualifie la directrice, (Odorico, l’art de la mosaïque,
l’ancienne salle de bains de la plaisir », poursuit-elle. nise en leur donnant un aspect né- Sophie Bannier. Parmi elles, une Ouest-France, 360 pages,
maison aux allures d’œuvre d’art. buleux grâce à de subtils dégradés salle de bains réalisée par Isidore 39 euros) et une foule trop nom-
Le sol en carreaux cassés bleus est Un outil publicitaire allant du bleu au blanc, garnissant Odorico. Surplombant la bai- breuse pour la salle se presse pour
agrémenté de rectangles dorés et La mosaïque ayant comme inté- le centre par des émaux de Briare gnoire tout en mosaïque, une l’écouter. Tout près, au pôle cultu-
noirs, ainsi que de vaguelettes rêt de faciliter l’hygiène des pièces d’un bleu intense cerné par un col- fresque marine dévoile ainsi un rel Le Repaire urbain, l’exposition
vertes. La baignoire, pièce maî- d’eau, on trouve aussi dans les lier de pastilles blanches », détaille « Odorico, mosaïstes à Angers »,
tresse, est habillée d’un entou- commandes passées aux ateliers Capucine Lemaître. en cours depuis la fin juin, a déjà
rage noir surmonté d’un mur des lieux collectifs comme des A quelques enjambées de là, se A Angers, attiré plus de 10 000 visiteurs.
couvert d’or, au milieu duquel on- bains-douches ou des piscines. trouve une autre pépite, endor- Ce regain d’intérêt pour le travail
dulent deux grands poissons – un Une des réussites des Odorico, de- mie faute de repreneur. Dans les
la Maison bleue des mosaïstes rennais n’a pas tou-
bleu et un rouge – entre corail venue un emblème du patri- locaux de l’ancienne Poste intra- tire son nom de jours été. Pendant de nombreuses
rouge et algues vertes. moine rennais, est la piscine muros, place des frères Lamen- années, la mosaïque étant passée
« D’un graphisme extrêmement Saint-Georges, sur laquelle ils tra- nais, construite par l’architecte
ses magnifiques de mode, beaucoup de leurs créa-
soigné, cette scène marine révèle la vaillent en 1925. A l’angle de la rue Yves Hémar, de magnifiques mo- écailles bleues tions ont été cachées et détruites.
virtuosité de l’artiste, mais aussi la Victor-Hugo et de la rue Gam- saïques ornent les murs du rez- A Rennes, un magnifique escalier
maîtrise des plus beaux effets de la betta, le bâtiment est classé de- de-chaussée. Un camaïeu de
extérieures, où se Odorico, juste derrière l’Opéra,
tradition byzantine, un art sacré puis 2016 au titre des Monuments bleus ponctué de petits disques mêlent faisceaux s’abîme encore aujourd’hui dans
développé entre le Ve et le XVe siè- historiques. La subtilité apportée dorés, surmontés d’une frise l’indifférence générale, entre
cle, analyse Capucine Lemaître. par les mosaïques à l’édifice spor- noire. Des peintures mêlent en
et volutes dorées odeurs d’urine et graffitis. p
Odorico voyait les baignoires tif se retrouve dans la frise qui plus influences Art déco et motifs cernés de noir anne-lise carlo
28 | carnet 0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023

Basile Bigorie, « Le sommeil a pris ton empreinte Biarritz.

son époux, Et la colore de tes yeux. » Anniversaires de décès
Florence, Véronique et Marie, Hubert et Juliane Tortes Saint-
ses illes, Benoît et Baptiste Joxe, Jammes, Il y a trois ans, disparaissait
en vente Le Carnet Paul et Robin, ses ils, ses enfants,
ses petits-ils, Anatole Joxe-Calmet, Ses petits-enfants, Simone PAOLOZZI,
actuellement son petit-ils,
Servane Cayeux, Christian Paquin, née KLÉBANER,
ont la douleur de faire part du décès
Vous pouvez nous faire parvenir de sa sœur, son frère,
K En kiosque vos textes soit par e-mail : Les familles Cayeux, Cooney,
ont la tristesse de faire part du décès
ma maman qui me manque tant.
carnet@mpublicite.fr Annick BIGORIE, Cemin, Cros, Folgoas, Joxe, Labrande,
née CHAZAL, Lacassagne, Lancou, Legoupil, Louet, de
(en précisant impérativement Nabokov, Troubat, Elle a rejoint mon père,
médecin inspecteur général
votre numéro de téléphone et de santé publique honoraire, Ses amies et amis, de Paris et Mme Régine PAQUIN,
votre éventuel numéro d’abonné d’ailleurs, Luc PAOLOZZI
HORS-SÉRIE

chevalier veuve TORTES SAINT-JAMMES,

ou de membre de la SDL) de l’ordre national du Mérite.
ont la douleur d’annoncer le décès survenu le dimanche 5 novembre 2023,
de et mon frère,
soit sur le site : La cérémonie religieuse sera à l’âge de soixante-dix-sept ans.
https://carnet.lemonde.fr célébrée le 14 novembre 2023, à
Valérie JOXE,
40 14 heures, en l’église Saint-Louis-en- Marc PAOLOZZI.
née CAYEUX, La cérémonie religieuse sera
L’équipe du Carnet reviendra vers l’Île, Paris 4e. célébrée le jeudi 16 novembre, à
CARTES «.Ceux qui sont morts
POUR COMPRENDRE
vous dans les meilleurs délais survenu dans sa soixante-neuvième 14 heures, en l’église Saint-Joseph
UN MONDE FRACTURÉ
pour vous confirmer la parution. Paris. Blesle. Marseille. Saint-Tropez. année. de Biarritz, suivie de l’inhumation ne sont jamais partis :
au cimetière de Ranquine. Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Julien Bisson, Une cérémonie aura lieu au Et dans l’ombre qui s’épaissit.»
Hors-série son ils, crématorium du cimetière du
carnet@mpublicite.fr La famille remercie par avance Diop Birago, Soule.
Loup, Père-Lachaise, Paris 20 e, le jeudi toutes les personnes qui prendront
https://carnet.lemonde.fr son petit-ils, 16 novembre 2023, à 10 h 30. part à sa peine.
laurence.paolozzi@wanadoo.fr
ont l’immense peine d’annoncer le Vous pouvez envoyer messages et
HORS-SÉRIE

décès, survenu le 8 novembre 2023, de PFG,

AU CARNET DU «MONDE» témoignages à
benoit.joxe@gmail.com 11, rue de la Pelouse de Douet, Ceux qui l’ont aimé se souviennent.
Christine DESCATEAUX, servane.cayeux@gmail.com 33000 Bordeaux.
UN LONG CHEMIN Naissance née SHROPFF, Tél. : 05 56 51 40 72. Pierre BORDREUIL,
VERS L'INFINI
journaliste à Télé 7 jours.
Christine Lopes, 28 août 1937 - 13 novembre 2013.
Annick et Jean BESSON, née Diané, Bernadette,
Christine MENGIN Un hommage civil lui sera rendu
son épouse, sa femme,
à 15 h 30, à Blesle (Haute-Loire), le Livre
et Pierre DUQUESNE, Emmanuel, Dominic, Claire, Anne
mardi 14 novembre.
partagent avec Myriam Lopes et Joanès Bouton, et Jacques, Vincent et Anne-Joëlle,
Auriane BESSON Camille, Régis et Jean-Marc, ses enfants, Que savez-vous sur la Guerre
et Fabien DUQUESNE, Saint-Memmie. Reims. Anouk Lopes, Chrystel, François, Éric, Clément, en France de 1939 à 1945 ?
Hors-série la joie d’annoncer la naissance, le Ashdod (Israël). Laure et Marc-Antoine Zang- Miléna, Lucile,
Atangana, ses petits-enfants
30 octobre 2023, de Patrick David et Corinne, Alexandre, Aurélien et Anaïs, Découvrez mon livre sur ce sujet
Et toute la famille, (4 tomes - au total, 2128 pages)
Bertrand et Laurence David, Thomas et Cécile Lopes,
Lola, ses ils et leurs conjointes, Salomé, Mahalia et Sarah-Lise, écrit après vingt années de
HORS-SÉRIE

Ses petits-enfants ses enfants et petits-enfants, ont le chagrin d’annoncer la mort de

recherches, en allant sur le site :
la petite sœur de Et ses arrière-petits-enfants,
SergeAngericLivres.com
L’ATLAS
DES
6 000 ANS 150 CARTES
Léon.
ont la douleur de faire part du décès
Charles et Shauntrella Kollo,
Charles John, Carlton Thomas,
Carter Nelson,
Pierre TARRIÈRE,

le 3 novembre 2023, à Athis-Mons, dans

D’HISTOIRE & INFOGRAPHIES de Communication diverse
Décès Inès Solange Kollo, sa quatre-vingt-dix-huitième année.
Mme Jacqueline DAVID, Marc Edouard Kollo et Anna
Pierre Alechinsky, née SCHICK, Sindelarova, Il repose dans la sépulture
Ses enfants, Aveline Christine, familiale, au cimetière du Père-
Ses petits-enfants survenu le dimanche 5 novembre 2023, ses beaux-enfants et petits-enfants, Lachaise, Paris 20e.
Et ses arrière-petits-enfants, à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Les familles Briand, Elie, Leroux,
Lopes Pesi, Diané, Fernandez, Kaba, C. Tarrière,
Hors-série Selon sa volonté, ses obsèques ont
ont la douleur de faire part du décès eu lieu dans l’intimité. Touré, Obami, Elo, Oba, Bizet, Atipo, 8, rue Caraman,
de Badza, Ossebi, Pasbeau, Feuillerat, 31000 Toulouse. Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Une pensée pour son époux, Boulogne, Bade, Voultoury, famille.pierre.tarriere@orange.fr
Micky ALECHINSKY, ses sœurs, belles-sœurs, beaux-
frères, nièces, neveux, cousines, Les bénévoles de SOS Amitié
UNE VIE, UNE ŒUVRE Jacques Saint-Privat-de-Champclos (Gard).
cousins, écoutent
ÉDITION dans sa quatre-vingt-quinzième année,
2023
et son ils, par téléphone et/ou par internet
survenu à Bougival, ont la profonde tristesse de faire part Ses enfants
le 9 novembre 2023. Et ses petits-enfants, ceux qui soufrent de solitude,
Denis. du décès de
Ses neveux et nièces, de mal-être et peuvent avoir
Catherine Ballé, Cet avis tient lieu de faire-part. Henri LOPES, des pensées suicidaires.
Léo
Ferré son épouse, ancien ambassadeur ont la tristesse de faire part du décès
L’indigné
de la République du Congo de Nous recherchons des écoutants
Michael et Florence, Johanna et Fresnes. Figari. en France,
Avec Aragon, Bernard Lavilliers, Catherine Ribeiro, Marie-Christine Ferré…
Gérard, Sandra, ancien Premier ministre du Congo, bénévoles
M. le docteur
Hors-série ses enfants, Ses illes, ancien directeur général adjoint sur toute la France.
Ses petits-enfants,
Jean Louis VERLOMME,
Roman, Alexandre, Plamédi et pour la culture et pour les relations L’écoute peut sauver des vies
Sa famille, psychiatre,
Gémira, extérieures à l’Unesco, et enrichir la vôtre !
ses petits-enfants, Ses proches, grand-croix
Ses amis, dans l’ordre du Mérite congolais, survenu le mardi 7 novembre 2023, Choix des heures d’écoute,
oicier de la Légion d’honneur, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. formation assurée.
HORS-SÉRIE
font part du décès de ont la tristesse d’annoncer le décès membre associé de l’Académie
de des sciences d’outre-mer, Les obsèques auront lieu En IdF RDV sur
Freddy BALLÉ, grand prix de la Francophonie dans l’intimité familiale, le lundi
Claude FERRACCI, de l’Académie française, 13 novembre, à 14 heures, en l’église www.sosamitieidf.asso.fr
survenu le 31 octobre 2023. née GRANET, grand prix littéraire d’Afrique noire, de Saint-Privat-de-Champclos. En région RDV sur
dite Claudie, prix littéraire de la Porte Dorée, www.sos-amitie.com
Les obsèques ont eu lieu le mardi docteur honoris causa Pompes funèbres Denis, funérarium,
oicier dans l’ordre de l’université Paris-XII
7 novembre, au cimetière nouveau 30500 Saint-Ambroix.
des Palmes académiques, et de l’université Laval au Québec,
LA MORT EN FACE de Neuilly-sur-Seine, dans l’intimité. Tél. : 04 66 24 05 90.
Comment légiférer sur la in de vie Société éditrice du « Monde » SA
veuve de survenu à Paris, le 2 novembre 2023, Président du directoire, directeur de la publication
Paulo FERRACCI, à l’âge de quatre-vingt-six ans. Louis Dreyfus
Hors-série Jean-Loïc Baudet, Remerciements Directeur du « Monde », directeur délégué de la
son époux, publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
survenu le 6 novembre 2023, La messe de funérailles sera Nadine, Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Jean-Christophe et Catherine
à San Gavino de Figari, célébrée le mardi 14 novembre, à Direction adjointe de la rédaction
Baudet, son épouse,
à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. 14 h 30, en l’église Saint-François- Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian,
HORS-SÉRIE Fabienne et François Feugier, Xavier, Paris 7e. Léna et Maëlle, Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
ses illes, Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre
Jérôme Baudet, La crémation a eu lieu ce jeudi Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
ses enfants 9 novembre, à 15 heures, au La famille Imbert, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Chêne, Manon, Mélinée, Thierry et Directrice déléguée au développement des services
Ainsi que toute la famille, crématorium d’Ajaccio. Olivier, abonnés Françoise Tovo
ont été très touchées par toutes vos
ses enfants, marques de sympathie reçues à la
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
LES ont la douleur de faire part du décès Un rassemblement d’adieu, Audrey, Aurelle, Alizée, Elvire, Gilles van Kote
SECRETS de convivial et chaleureux a lieu, Joséphine, Saule, Liv, Tess, Pia et Roch, suite du décès de Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
DE LA comme elle le souhaitait, chez
MYTHOLOGIE elle à San Gavino, ce vendredi
ses petits-enfants,
M. Jean-Noël IMBERT,
Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
LES DIEUX DE BABYLONE
Mme Béatrice BAUDET, Maël, Lyam, Maïko, Naïké, (cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
10 novembre, à partir de 14 heures. ses arrière-petits-enfants, Directrice du design Mélina Zerbib
née MOGET, Direction artistique du quotidien Natalie Lebreton
En partenariat avec

survenu le 26 septembre 2023, Infographie Delphine Papin

Institutrice, professeur puis font part du décès de à l’âge de soixante-trois ans Directrice des ressources humaines du groupe
Hors-série survenu le 6 novembre 2023, dans sa principale adjointe au collège Saint- Emilie Conte
quatre-vingt-huitième année. Exupéry de Fresnes (Val-de-Marne), Alain MOREAU, Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
elle portait sur la vie, le présent et vous en remercient très Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
et l’avenir du monde un regard sincèrement. présidente, Gilles Paris, vice-président
La cérémonie religieuse sera survenu le 7 novembre 2023, chez lui,
concerné, acéré et pertinent. à Paris.
HORS-SÉRIE
célébrée le mercredi 15 novembre,
à 11 heures, en l’église Saint-Paul- Fleurs (éthiques et responsables)
Saint-Louis, Paris 4e. Éditeur, producteur, scénariste, il
bienvenues. était ier d’avoir publié des livres,
récolté du miel, et vu grandir ses
Marseille. ferracci.catherine@wanadoo.fr arbres et ses enfants.
INCLUS :
DES ILLUSTRATIONS
INÉDITES,

Il reposera à Lancôme, auprès de

UN ENTRETIEN EXCLUSIf

Thérèse Bourrel, Claire Greilsamer,

AVEC L’AUTEUR

ZEPraconte 30 ans de
Sa famille son épouse,
David Greilsamer,
sa
Et ses amis,
titeuf François et Mathilde Greilsamer, Caty.
En partenariat avec

ont la grande tristesse de faire part Tristan et Charlotte Greilsamer,

ses enfants et leurs épouses, Rendez-vous le lundi 13 novembre,
Hors-série du décès du Jade, Samuel, Jeanne, Adèle et Pierre, à 9 heures, au funérarium des
ses petits-enfants, Batignolles, 25, boulevard du Bois-le-
docteur Prêtre, Paris 17e, pour une cérémonie
Pierre BOURREL, ont l’immense tristesse de faire part laïque, puis au cimetière de Lancôme,

Nos services médecin général inspecteur

du service de santé des armées,
du décès de à 14 h 30.

Pas de fleurs mais plantez un

professeur agrégé de chirurgie,
Lecteurs survenu dans sa quatre-vingt-dix-
K Abonnements huitième année, le 3 novembre 2023.
Sur abo.lemonde.fr
Par tél. au 03 28 25 71 71 Une messe au défunt sera célébrée
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) à l’abbaye Saint-Victor de Marseille,
le samedi 11 novembre, à 14 heures.
K Le Carnet du Monde
carnet@mpublicite.fr Le souhait du professeur Pierre
Bourrel, ni leurs ni couronnes.
La famille remercie toutes les
personnes qui prendront part à sa
peine.
Laurent GREILSAMER,
arbre où vous pouvez…
survenu le mercredi 8 novembre 2023,
à Paris, à l’âge de soixante-dix ans. Ses frères et sœurs,
Ses amis,
Les obsèques auront lieu le
vendredi 17 novembre, à 10 h 30, ont la douleur de faire part du départ
en la salle de la Coupole au pour l’Orient éternel de leur frère,
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e. Alain MOREAU,
homme de lettres, éditeur, auteur,
Cet avis tient lieu de faire-part. producteur.
12, rue du Champ-de-l’Alouette, Gémissons, Gémissons, Gémissons.
75013 Paris. Espérons.
(Le Monde du 10 novembre.) R∴ L∴ Spartacus, O∴ de Paris, GODF.
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Grégoire Kauffmann
« La présence du RN à la
marche contre l’antisémitisme
montre qu’un plafond
de verre a explosé »
L’historien analyse
l’évolution de
l’antisémitisme
français et explique
comment le
Rassemblement
national a tout fait
pour « se débarrasser
de son lourd passé »
en la matière
ENTRETIEN
L’
historien Grégoire Kauffmann,
spécialiste des XIXe et XXe siècles
et des droites radicales, enseigne
à Sciences Po Paris. Il a notam-
ment publié Edouard Drumont
(Perrin, 2008) et Le Nouveau FN.
Les vieux habits du populisme (Seuil,
2016). Il vient de consacrer un ouvrage
aux années 1980 et à l’affaire des otages
au Liban – l’un des otages étant son père,
le journaliste Jean-Paul Kauffmann – qui
mêle au portrait de l’époque ses souve-
nirs d’adolescent (L’Enlèvement, Flamma-
rion, 400 pages, 22,90 €).
Comment l’historien que vous êtes
analyse-t-il le regain d’antisémitisme
observé, en France, depuis l’attaque
du Hamas ?
Cette brusque flambée n’est pas une
surprise dans la mesure où les crises pro-
che-orientales ont toujours des répercus-
sions en France. On l’a vu pendant la
guerre des Six-Jours, en 1967, ou pendant
la seconde Intifada, au début des années
2000 : le conflit israélo-palestinien hysté-
rise le débat politique – et nourrit les con-
troverses intellectuelles. Après la guerre
des Six-Jours et la déclaration de Charles
de Gaulle sur le peuple juif « sûr de lui-
même et dominateur », le philosophe
Raymond Aron avait écrit un livre, De
Gaulle, Israël et les Juifs [Plon, 1968 ; Les
Belles Lettres, 2020], dans lequel il esti-
mait que ces propos autorisaient « solen-
nellement un nouvel antisémitisme ».
En 2002, après la seconde Intifada, l’histo-
rien des idées Pierre-André Taguieff avait
forgé un néologisme, la « nouvelle judéo-
phobie », pour caractériser l’antisémi-
tisme du monde arabo-musulman.
Le conflit entre Israël et le Hamas
a-t-il bouleversé les lignes de force
du paysage politique ?
La nouveauté incroyable, c’est bien sûr
le fait que le Rassemblement national
[RN] ait été convié à rejoindre, dimanche
12 novembre, la grande famille républi-
caine pour défiler contre l’antisémitisme
à l’appel des présidents de l’Assemblée
nationale et du Sénat [Le 7 novembre, Yaël
Braun-Pivet et Gérard Larcher ont appelé à
une marche civique contre l’antisémi-
tisme, « unissant tous ceux qui se recon-
naissent dans les valeurs de la Républi-
que ». Marine Le Pen a invité le lendemain,
sur RTL, tous les adhérents et électeurs du
RN à se joindre à cette marche]. Le par-
cours accompli depuis la profanation du
cimetière juif de Carpentras, en 1990, est
tout simplement vertigineux : l’immense
manifestation qui avait suivi la profana-
tion était un défilé contre le Front natio-
nal [FN] et se revendiquait comme tel –
c’était d’ailleurs la première fois, depuis
1945, qu’un président de la République en
exercice, François Mitterrand, se joignait
à un cortège.
La présence sidérante du Rassemble-
ment national à la manifestation de di-
manche contre l’antisémitisme est le si-
gne d’une profonde recomposition du
jeu politique. Dès que Marine Le Pen s’est
installée dans l’appareil frontiste, dans les
années 2000, elle a compris qu’il fallait
mettre le vieil antisémitisme du Front na-
tional au rebut : son compagnon de l’épo-
que, Louis Aliot, estimait d’ailleurs
en 2013 que l’antisémitisme était la seule
chose qui « empêchait les gens de voter »
pour le FN, avant d’ajouter : « A partir du
moment où vous faites sauter ce verrou
idéologique, vous libérez le reste. »
Nous y sommes : le travail de normalisa-
tion de Marine Le Pen a permis au Ras-
semblement national de se débarrasser de
ce lourd passé. La manifestation de di-
manche restera un moment essentiel
dans l’histoire du parti d’extrême droite :
un plafond de verre a explosé. Emmanuel
Macron et les forces politiques du pays
ont participé, à leur manière, à ce mouve-
ment en pratiquant le mimétisme rhéto-
rique, en reprenant les éléments de lan-
gage du Front national, en l’intégrant dans
la famille républicaine et en soulignant,
pendant les débats parlementaires, le
comportement responsable des députés
RN face à la dissipation et à la violence ver-
bale de ceux de La France insoumise [LFI].
Diriez-vous pour autant que
le Rassemblement national
n’est plus un parti antisémite ?
Marine Le Pen n’a jamais été prise en dé-
faut sur cette question, mais je constate
qu’il y a, dans sa rhétorique et celle de ses
lieutenants, un imaginaire plus ou moins
inconscient qui a à voir avec la tradition
antisémite française – la dénonciation de
la finance anonyme, de la mondialisation
liberticide, des élites cosmopolites. Dans
son livre-manifeste Pour quevive la
France, publié en 2012, elle prend ainsi
pour cible Jacques Attali en l’associant au
« gouvernement mondial » et au « noma-
disme ». Dans ce même ouvrage, fidèle au
conspirationnisme de sa famille politi-
que, elle fustige le « culte du veau d’or »,
l’« hypercapitalisme transnational » et « le
pouvoir absolu des financiers et des ban-
quiers qui dirigent le monde ». Ce dis-
cours qui valorise l’identité nationale
contre les puissances d’argent, le déraci-
nement ou la mondialisation fait imman-
quablement écho aux écrits antisémites,
au XIXe et au XXe siècle, d’Edouard Dru-
mont ou de Charles Maurras.
Comment analysez-vous le discours
de Jean-Luc Mélenchon, qui a été
accusé d’antisémitisme en raison de
ses positions sur le conflit entre Israël
et le Hamas et de son refus de partici-
per à la manifestation de dimanche ?
Il y a, bien sûr, une tradition antisémite
de gauche. Pierre Joseph Proudhon, l’un
des pères fondateurs de la tradition anar-
chiste, écrivait que le juif est un prévarica-
teur qui vampirise l’économie, et le révo-
lutionnaire Auguste Blanqui, qui a passé
la plus grande partie de sa vie en prison,
avait adopté des positions antisémites très
affirmées au nom de l’anticapitalisme. A
la fin du XIXe siècle, de nombreux grapho-
manes socialisants faisaient en outre cir-
culer dans la presse des poncifs qui essai-
maient dans le discours social et contami-
naient une partie de l’extrême gauche.
Je ne crois cependant pas que Jean-Luc
Mélenchon ait quelque chose à voir avec
cette tradition antisémite de gauche –
même si certains des militants de LFI
pourraient la revendiquer. Le calcul poli-
tique du leader de LFI est limpide : il est
opportuniste et électoral. Ses déclara-
tions ambiguës sur le conflit entre Israël
et le Hamas ont pour but, cyniquement,
de capter le vote des jeunes d’origine ara-
bo-musulmane.
Diriez-vous qu’il y a une spécificité
de l’antisémitisme français ?
Oui, je le crois. Lorsque l’antisémitisme,
dans sa forme moderne, surgit sur la
scène publique, à la fin du XIXe siècle,
avec la publication du best-seller
d’Edouard Drumont La France juive
(1886), il prend pour cible la République –
et c’est une singularité française. Edouard
Drumont impute le mouvement de laïci-
sation mis en œuvre par les républicains
modérés aux seuls juifs : pour lui, la Révo-
lution française est juive, la IIIe Républi-
que est juive, le personnel républicain est
« enjuivé ». Cet antisémitisme de combat
LE DISCOURS est un héritage des philosophes contre-
[DE MARINE LE PEN] révolutionnaires comme Joseph de Mais-
tre ou Louis de Bonald : il rejette violem-
QUI VALORISE ment la modernité.
Edouard Drumont est le premier à faire
L’IDENTITÉ la synthèse entre trois grandes traditions
antijuives : le vieil antijudaïsme religieux
NATIONALE CONTRE dénonçant le peuple déicide ; le discours
LES PUISSANCES anticapitaliste tenu par des penseurs
comme Auguste Blanqui, Pierre Joseph
D’ARGENT ET Proudhon ou même Karl Marx, qui dé-
noncent les juifs d’argent régnant sur un
LE DÉRACINEMENT monde acquis au libéralisme économi-
FAIT ÉCHO AUX que ; et l’antisémitisme biologisant et ra-
cialisant des « anthropologues » français
ÉCRITS ANTISÉMITES et allemands de la fin du XIXe siècle.
Cet antisémitisme qui opère la jonction
DE DRUMONT entre ces trois traditions se nourrit bien
ET DE MAURRAS sûr des fantasmes qui habitent la société
française : à l’époque, le mythe du juif
transnational, l’obsession du complot juif
et même la dénonciation du « bellicisme »
juif structurent l’imaginaire antisémite.
Après la première guerre mondiale, on ac-
cusera les juifs d’avoir déclenché le conflit
au nom de leurs seuls intérêts économi-
ques et, dans les années 1930, tous les anti-
sémites, quels que soient leur tradition et
leur pays d’appartenance, dénonceront la
« guerre juive » qui risque d’advenir parce
que les juifs veulent combattre Hitler.
Comment l’affaire Dreyfus, au
tournant du siècle, reconfigure-t-elle
cet imaginaire antisémite français ?
Quand l’affaire devient une affaire avec
un grand A, en 1897-1898, il y a un mo-
ment de confusion : des personnalités
politiques comme Jean Jaurès ou Georges
Clemenceau utilisent parfois des poncifs
antisémites dans leurs discours. L’antisé-
mitisme circule, il infuse – et Edouard
Drumont, très habilement, tente de cap-
ter tous ces courants. Mais après quelques
tâtonnements, la gauche républicaine fi-
nit par apporter son soutien à la cause
dreyfusarde : les républicains modérés et
les socialistes s’opposent frontalement
aux antidreyfusards, qui déclenchent des
idées | 29
YANN LEGENDRE
émeutes antijuives, rêvent de renverser la
République parlementaire et brûlent des
effigies du capitaine Dreyfus et d’Emile
Zola. Avec l’affaire Dreyfus, l’antisémi-
tisme se déporte à droite de l’échiquier
politique : il est désormais associé au clé-
ricalisme, au césarisme et à la dénoncia-
tion des institutions républicaines.
Est-ce pour cette raison que l’antisé-
mitisme s’enracine durablement à
l’extrême droite, dans les années
1930 ?
Dans l’entre-deux-guerres, cet enraci-
nement se cristallise autour de la figure
du seul vrai théoricien du nationalisme
français : Charles Maurras. Dès les an-
nées 1900, il élabore un discours natio-
naliste et antisémite doté d’une forte
rigidité théorique qui se répand dans
son mouvement, l’Action française, mais
aussi au sein de la droite conservatrice
traditionnelle. Charles Maurras rompt
avec le discours d’Edouard Drumont, qui
se définissait, malgré tout, comme répu-
blicain : son « nationalisme intégral »
postule la monarchie, qui elle-même
postule l’inégalité naturelle entre les
hommes. Avec Maurras, les juifs perdent
leur statut de citoyens à part entière :
l’émancipation des juifs acquise pen-
dant la révolution française est remise
en question.
Cette tradition maurrassienne a eu une
influence considérable sur les chapelles
de la droite militante, mais aussi de la
droite parlementaire. Xavier Vallat, qui
sera commissaire général aux questions
juives sous le régime de Vichy, mais aussi
les groupes de la Fédération républicaine
empruntent des idées dans ces écrits
théoriques dont le soubassement est
l’antisémitisme – les premières lois anti-
juives prises à l’initiative du régime de Vi-
chy s’inspirent d’ailleurs en partie de
cette tradition maurrassienne.
Après la Shoah, les institutions
internationales condamnent l’antisé-
mitisme et, en France, la loi Pleven
de 1972 crée un délit d’injure et de
diffamation à caractère raciste ainsi
que de provocation à la discrimina-
tion, à la haine ou à la violence ra-
ciale. Complété, en 1990, par la loi
Gayssot contre le négationnisme,
cet arsenal juridique est-il parvenu,
selon vous, à endiguer les formes
les plus visibles de l’antisémitisme ?
Le mouvement de dénonciation et de
déconstruction de la pensée raciale
amorcé au lendemain de la seconde
guerre mondiale est inédit dans l’his-
toire : avant 1945, l’antisémitisme était
une opinion comme une autre que l’on
pouvait professer sans problème dans
l’espace public – elle était même souvent
dans la norme. Après 1945, l’antisémi-
tisme devient l’ennemi à combattre : il est
interdit par la loi et montré du doigt à
l’échelle internationale. Il cesse alors de
verser dans les discours raciaux des an-
nées 1930 pour s’exprimer, de manière
implicite, codée ou inconsciente, à travers
une grammaire culturelle ponctuée d’une
constellation de poncifs sur les juifs. p
propos recueillis par
anne chemin
30 |
IDÉES
Images de la Shoah :
quatre historiens ont choisi et
présentent quatre photographies
de la Shoah, dans le cadre de
l’édition « Shoah : mises au point »
réalisée pour l’Encyclopédie d’his-
toire numérique de l’Europe (EH-
NE-Sorbonne Université). La photo-
graphie constitue la matière princi-
pale d’étude, bénéficiant d’une
mise au point progressive par la
lecture savante apportée par Tal
Bruttmann, Christoph Kreutzmüller,
Laurent Joly et Nefeli Liontou.
Déportation des juifs d’Eisenach, dans le Land de Thuringe, en Allemagne, le 9 mai 1942. THEODOR HARDER
9 mai 1942 Les déportations de juifs en
Allemagne ont souvent eu lieu en plein jour
La marche forcée des juifs d’Eisenach (Thuringe) vers la déportation
se déroule sans violence apparente, sous les yeux des badauds
le photographe est arrivé à
l’heure. Les juifs venaient de rece-
voir l’ordre de se préparer pour
marcher jusqu’à la gare d’Eise-
nach (dans le Land de Thuringe).
Ils ont ramassé leurs lourds baga-
ges – sacs à dos et valises, les der-
nières possessions que les fonc-
tionnaires du service des taxes
leur avaient permis d’avoir – et
ont commencé à s’aligner devant
la Maison des juifs dans la
Goethestrasse. Organisés en trois
colonnes, ils ont ensuite remonté
la Schillerstrasse, traversant ainsi
le centre-ville en direction de la
gare centrale.
L’homme derrière l’appareil
photo, vraisemblablement Theo-
dor Harder, photographe local
connu et proche du conseil muni-
cipal, commence à prendre des
images de cette scène de départ.
Harder a été chargé de documen-
ter l’événement pour la rubrique
visuelle du journal de la ville.
Travaillant de manière routi-
nière, il a présenté la déportation,
cette marche forcée des juifs vers
la gare principale et leur embar-
quement dans un train pour Wei-
mar, comme un départ calme et
ordonné.
Tournant le dos à la gare, Harder
a pris cette photographie d’un
point de vue légèrement suré-
levé. Les juifs traversent la place
et passent à faible distance de lui.
Au centre de l’image, vêtue d’un
manteau sombre sur lequel
l’étoile jaune est bien visible,
Magda Katz regarde directement
l’appareil photo. Née à Eisenach le
25 avril 1892, elle y est également
allée à l’école, est devenue infir-
mière et a épousé Siegfried Katz
en 1912. Un an plus tard, le couple
Ces photographies commentées
retracent « l’Histoire avec sa grande
hache » (Perec) qui frappe indis-
tinctement enfants, vieillards,
femmes et hommes juifs pris dans
la souricière nazie, avec la compli-
cité des autorités et populations
locales. Où les voisins d’hier que
chaque juif côtoyait deviennent
spectateurs de persécutions qu’ils
prennent en photo (Vél’d’Hiv), ou
regardent comme une attraction
publique (Eisenach).
a eu un fils, Helmut. Alors que
Siegfried peut être vu marchant
devant sa femme, portant un sac
à son nom, leur fils, Helmut, éga-
lement déporté ce jour-là, ne peut
être identifié sur aucune des pho-
tographies.
Les citoyens non juifs se tien-
nent en plusieurs rangées et re-
gardent leurs voisins lors de leur
dernière promenade dans la ville.
Ils forment une sorte de haie
d’honneur. Selon un rapport de
police, l’expulsion des juifs n’a
provoqué « aucune inquiétude »
parmi les habitants d’Eisenach.
Les badauds ne sont pas claire-
ment identifiables, à l’exception
du dentiste Horst Prinz, l’homme
habillé en blanc qui se tient les
bras croisés à la fenêtre. Il a son
cabinet dans la maison d’angle
qui existe encore aujourd’hui.
Aucun survivant
Entre Magda Katz et la femme qui
la suit, on aperçoit sur le trottoir
un garçon portant un ornement
de plumes d’Indien ou une cou-
ronne. Pourquoi s’est-il déguisé ?
Est-ce son anniversaire ? En tout
cas, il est là et observe la marche.
Un homme fumant une cigarette
se tient derrière l’enfant. Sous son
bras, un journal roulé, probable-
ment le Thüringer Gauzeitung lo-
cal, annoncé sur le kiosque de la
place. Ce samedi, il contient sur-
tout des nouvelles de la guerre. Ce
n’est que trois semaines plus tard
que le Thüringer Gauzeitung par-
lera de la déportation. « Désor-
mais, les gens ne connaîtront les
juifs que “dans les livres d’his-
toire” », conclut alors le journal.
Les déportations de juifs, de
Sinti et de Roms qui se sont dé-
Ces images nous livrent ainsi une
histoire de ce génocide par le bas,
d’où les individus devant l’objectif
posent (Thessalonique), marchent
(Eisenach) et disparaissent (Ponar).
sébastien ledoux
Sébastien Ledoux est historien,
maître de conférences à l’université
de Picardie. Il est responsable pour
Sorbonne Université de l’édition
« La Chambre noire de l’histoire »,
une série de vidéos historiques.
roulées en Allemagne étaient, se-
lon l’historien allemand de la
photographie Klaus Hesse, « une
attraction de petites villes ». Par-
tout où les nazis et leurs auxiliai-
res les organisaient, les voisins
venaient pour y assister. Les pho-
tographies prises à Eisenach ce
jour-là le montrent, comme les
500 autres photos de déporta-
tions allemandes que nous avons
rassemblées dans le cadre du
projet « Last Seen ». Contraire-
ment aux récits allemands
d’après-guerre racontés jusqu’à
aujourd’hui, les déportations en
Allemagne ont souvent eu lieu en
plein jour à la vue de tous, et non
pas en pleine nuit sans que per-
sonne le sache.
Dans une comparaison euro-
péenne, l’absence de violence
physique sur les photographies
provenant d’Allemagne est frap-
pante. En s’abstenant de toute
brutalité manifeste, les nazis ont
permis aux citoyens allemands
« ordinaires » de détourner le re-
gard sur les déportations tout en
y assistant, en pensant qu’elles
n’étaient que des « évacuations
vers l’Est ». Ce n’était pas le cas !
Aucun des juifs photographiés le
9 mai 1942 à Eisenach n’a sur-
vécu. Ils ont tous été assassinés.
christoph kreutzmüller
Christoph Kreutzmüller, historien
rattaché à l’université libre de Berlin,
est codirecteur du projet numérique
« Last Seen » qui rassemble toutes les
photographies des déportations des
juifs en Allemagne. Il a coécrit, avec
Stefan Hördler et Tal Bruttmann,
« Un album d’Auschwitz. Comment
les nazis ont photographié leurs cri-
mes » (Seuil, 304 p., 49 €).
Devant le Vélodrome d’Hiver à Paris, 16 juillet 1942. BIBLIOTHÈQUE HIS TORIQUE DE LA VILLE DE PARIS
16 juillet 1942 Aucune photo n’est parue de
la rafle du Vél’ d’Hiv. Une seule a été conservée
L’image a été censurée par les Allemands pour éviter la réaction
de l’opinion publique sur le sort des enfants juifs français
cette photographie est absolument unique :
c’est la seule image de la rafle du Vél’ d’Hiv. En
moins de deux jours, les 16 et 17 juillet 1942, près
de 13 000 hommes, femmes et enfants juifs ont
été raflés à Paris et emmenés pour 8 000 d’entre
eux dans cette grande salle des sports du 15e ar-
rondissement, le Vélodrome d’Hiver. La rafle dite
du Vél’ d’Hiv est la plus grosse opération ayant eu
lieu contre les juifs en Europe de l’Ouest. Cette
photographie est donc exceptionnelle. Elle a été
retrouvée en 1990 par une documentaliste de la
Bibliothèque historique de la Ville de Paris dans
le fonds d’un journal collaborationniste. C’est
une photo de propagande. Quelle était l’inten-
tion de celui qui l’a prise, qu’est-ce qu’elle nous
dit sur l’organisation de la rafle et qu’est-ce
qu’elle nous montre des victimes ?
En 1941, il y avait déjà eu des rafles contre les
hommes juifs à Paris, et l’occupant avait produit
des reportages photographiques à des fins de
propagande antisémite. En juillet 1942, à nou-
veau, des journalistes, des reporters suivent
l’opération. L’un d’eux, du quotidien Paris-Midi,
est monté au troisième étage d’un immeuble du
14, rue Nélaton, qui donne vue sur le Vélodrome.
Sa photo est très bien cadrée et il y a une légende.
Il est indiqué que les juifs étrangers ont été priés
par les forces de police de monter en autobus et
qu’ils vont partir « vers un nouveau destin : le tra-
vail sans doute »…
Une telle formulation fait planer une incerti-
tude, une inquiétude, sur le sort des victimes. Et
l’opinion publique ne s’y est pas trompée. Elle a
bien compris qu’un drame se déroulait. Les auto-
rités allemandes ont renoncé à faire de la propa-
gande autour de la grande rafle et ont donné l’or-
dre à la presse de ne pas en dire un seul mot.
Aucune photo n’est parue. Une seule, donc, par
chance, a été conservée.
La rafle du 16 juillet 1942 est une immense opé-
ration de police, ce qu’on peut imaginer à travers
cette photographie : outre 4 500 policiers mobili-
sés, 50 autobus de l’ancêtre de la RATP, des
dizaines de véhicules de police, soit un immense
ballet policier qui a eu lieu toute la journée du
16 juillet 1942 en direction du Vélodrome d’Hiver.
Grâce aux données météorologiques, on sait que
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
cette photo a été prise en début d’après-midi :
vers 14 heures, il y a eu une courte averse, on voit
que la chaussée est mouillée.
A ce moment-là, il y a déjà près de 7 000 victi-
mes dans le Vél’ d’Hiv. La moitié sont des enfants.
Si leurs parents sont des juifs apatrides, la plu-
part de ces enfants sont français, de vrais petits
Parisiens. On voit des gardiens de la paix en
faction, mais le barrage n’est pas complètement
hermétique puisqu’on aperçoit un cycliste qui
passe, et plus loin une dame tirant une sorte de
cabas. Devant l’entrée du Vél’ d’Hiv, un petit
attroupement avec probablement des policiers
en civil – les hommes en chapeau mou – qui en-
cadrent les victimes. Plus loin, un gardien de la
paix et probablement un chauffeur de bus
observent la scène.
On devine une étoile jaune
On voit aussi les victimes. Environ une ving-
taine, avant tout des femmes, certainement en
train de débarquer les dernières affaires. On dis-
tingue aussi une fillette adossée au mur du Vél’
d’Hiv : c’est sans doute l’un des éléments les plus
émouvants de cette photographie parce que l’on
devine une étoile jaune sur son vêtement. C’est
pratiquement le seul moyen de comprendre qui
sont les victimes. On voit aussi, en regardant
dans le détail, les affaires qui n’ont pas encore été
déchargées.
Dans les voitures de police, on discerne un
édredon et un ballot ; dans un bus, on aperçoit
un grand sac. Les témoignages le disent : les victi-
mes avaient souvent emporté leurs affaires dans
des grands draps, des édredons, des coussins.
Elles vont rester là parquées pendant plusieurs
jours dans des conditions effroyables, et seront
ensuite envoyées dans les camps du Loiret pour
être, après des séparations ignobles entre les en-
fants et les parents, déportées vers Auschwitz. p
laurent joly
Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS,
est spécialiste de l’antisémitisme durant le régime
de Vichy. Il a notamment publié « La Rafle du Vél
d’Hiv. Paris, juillet 1942 » (nouvelle édition, Paris,
Flammarion, « Champs histoire », 400 p., 12 €).

0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
regards d’historiens
Devant un magasin juif dans la zone ghetto de Thessalonique (Grèce), fin février-début mars 1943.
©ECPAD, FONDS ALLEMAND, DAT 2079, CLICHÉ L08
Février-mars 1943 Une mise en scène
humiliante dans le ghetto de Thessalonique
Face à l’absence d’archives visuelles de la Shoah en Grèce, ce cliché est l’un des
rares points d’observation sur le marquage identitaire de la population juive
cheminant de photo en photo dans le fonds alle-
mand de l’Etablissement de communication et de
production audiovisuelle de la défense, à Ivry-sur-
Seine (Val-de-Marne), je recherchais des traces sur
les juifs de Thessalonique quand je suis tombée sur
une image surprenante : le cliché L08, qui a une
composition singulière. Devant un magasin, on voit
plusieurs personnes qui apparaissent déguisées.
Trois hommes et un garçon sont debout, portant
sur la tête un fez turc, une toque russe, une cas-
quette de marin et un quatrième chapeau difficile à
identifier. Ils semblent discuter entre eux paisible-
ment alors que l’un d’eux fixe l’objectif. Sommes-
nous en présence d’une scène festive ? Sur la poi-
trine du garçon, on aperçoit l’étoile jaune, qui attire
le regard. Fait-elle aussi partie du déguisement ?
Avec la scène éclairée par la lumière du matin, on
peut repérer la pancarte « magasin juif » écrite en
grec et en allemand sur les portes de deux commer-
ces. L’adresse nous indique qu’on se trouve au cen-
tre-ville de Thessalonique, rue Ioustinianou, au nu-
méro 2 ou 20. Mais que voit-on finalement sur cette
photographie ? Rapport paradoxal avec la vie quoti-
dienne qu’elle suggère : un moment « léger » d’une
normalité étrange dans des circonstances extrê-
mes, à l’ombre des déportations à venir des juifs de
Thessalonique.
Le regard des bourreaux
L’image se situe en effet à un tournant dans la vie
des juifs de Thessalonique. Selon les prescriptions
de l’ordonnance du 12 février 1943, la « concarda »,
comme les sépharades saloniciens appelaient
l’étoile jaune, devait être visible « à tout moment »
pour tout juif de plus de 5 ans. La photographie indi-
que que, ce jour-là, la ville est en pleine période de
carnaval. On le comprend notamment grâce aux
chapeaux vendus dans les rues, tenus à la main ou
portés par des enfants et vendus aussi dans le maga-
sin juif du cliché L08. Puissant contraste avec l’étoile
que le garçon ici porte sur la poitrine.
L’atmosphère festive qui imprègne la photogra-
phie permet de supposer que le photographe a pris
ce cliché entre le 25 février et le 6 mars au plus tard,
date de la délimitation définitive et de la fermeture
des ghettos. Le photographe saisit un quartier qui
est devenu l’une des zones ghettoïsées du centre-
ville. A ce moment-là, environ 6 000 familles juives
avaient dû quitter leur domicile pour s’installer
dans ces zones sans avoir aucune idée de ce qui al-
lait se passer pour elles. Début mars 1943, les ghet-
tos de la ville de Thessalonique sont clôturés. Les
juifs ne sont plus autorisés à les quitter.
Des personnages déguisés ? Une étoile jaune
comme ornement ? La connaissance des mesures
antisémites à Thessalonique dans le même temps
nous éloigne irrémédiablement de cette lecture.
Qui photographie, alors ? C’est effectivement le re-
gard des bourreaux qui nous parvient ici. Cette
image n’est pas un objet isolé. Elle fait partie d’une
série de 34 prises de vue réalisées fin février ou dé-
but mars 1943 par un reporter des Compagnies de
propagande constituées au sein des armées alle-
mandes, les PK (les Propaganda Kompanien). Le cli-
ché L08 est probablement une mise en scène hu-
miliante créée par le photographe allemand : il
semble que celui-ci ait demandé aux hommes, aux
propriétaires et aux clients, de porter les chapeaux
qui sont vendus pendant les fêtes chrétiennes de
carnaval. A-t-il été destiné à documenter une
« bonne » mise en œuvre de la mesure concernant
le port de l’étoile jaune ?
Face à l’absence d’archives visuelles de la Shoah en
Grèce, cette photographie constitue en tout cas l’un
de rares points d’observation sur le marquage iden-
titaire et les mesures contre la population juive lors
de la mise en œuvre de la « solution finale » à Thessa-
lonique. Elle apporte, par conséquent, un précieux
témoignage qui documente l’extermination des
juifs de Thessalonique, cette ancienne commu-
nauté sépharade du nord de la Grèce qui comptait
plus de 50 000 âmes au début de la guerre.
Aucune des personnes qui figurent sur le cliché
n’est identifiée. Prises en photo malgré elles, elles se-
ront probablement déportées entre le 15 mars et le
10 août 1943 avec l’ensemble des juifs de Thessaloni-
que pour être exterminées à Auschwitz-Birkenau. p
nefeli liontou
Nefeli Liontou, doctorante en histoire à Paris-I Panthéon-
Sorbonne, a consacré sa thèse aux « Photographies des
juifs en Grèce sous l’occupation nazie ». Elle conduit
actuellement le projet d’histoire visuelle « Visual
Salonica » soutenu par l’Ecole française d’Athènes.
Site d’extermination de Ponar, près de Vilnius (Lituanie), 1944. YAD VASHEM
1944 L’ampleur du massacre et la méthode
utilisée ne laissent aucune trace « visible »
Cette photographie illustre un problème central dans la compréhension de
la Shoah depuis 1945, celui de la représentation des lieux de la « solution finale »
site de ponar, à quelques kilo-
mètres de Vilnius, 1944. Près de
80 000 juifs de la capitale litua-
nienne et de ses environs ont été
assassinés là durant plus de
deux années par les Allemands,
épaulés par des nationalistes li-
tuaniens. Cette photographie il-
lustre un problème central de-
puis 1945 dans la compréhension
de la Shoah.
Les camps de concentration
sont pensés comme ayant servi à
la « solution finale » et sont iden-
tifiés comme un des outils ayant
servi à la destruction des popu-
lations juives. Cette incompré-
hension se fonde sur un en-
semble de représentations qui
demeurent profondément an-
crées et dont l’origine réside
dans la découverte des camps
par les armées alliées au prin-
temps 1945.
L’horreur du système concen-
trationnaire, ses rescapés dans
un état famélique et les mon-
ceaux de cadavres jonchant les
camps frappèrent l’entendement
et furent abondamment filmés et
photographiés. Par leur diffusion,
ces images, devenues emblémati-
ques de la violence nazie, furent
rapidement associées au sort des
juifs, en raison de la présence de
juifs parmi les victimes des
camps de concentration.
Il s’agit pourtant là d’un malen-
tendu : ceux qui y furent trouvés,
morts ou vivants, au printemps
1945, étaient évidemment des
victimes de la Shoah. Mais il
s’agissait de ceux qui, à Aus-
chwitz, avaient été temporaire-
ment épargnés par la « sélection »,
échappant ainsi à la « solution fi-
nale » : l’assassinat immédiat, mis
en œuvre tant par l’entremise des
groupes mobiles de tuerie que
dans les centres de mise à mort.
Et c’est justement face à cette
réalité-là que vient se heurter
l’image : elle doit donner à voir.
Une image en soi ne dit rien, sans
contexte ni explications. Les
ruines des chambres à gaz et des
crématoires à Birkenau ne sont
guère évocatrices : elles furent
peu filmées ou photographiées
par les opérateurs soviétiques,
au contraire des baraques et
autres bâtiments du site, tout
comme le furent les autres
camps, avec leurs survivants dé-
charnés et leurs montagnes de
cadavres, donnant des ima-
ges immédiatement intelligibles
pour tout un chacun.
Ni bâtiments ni charniers
Pour ceux découvrant les lieux
où la « solution finale » fut mise
en œuvre, l’incompréhension
domine alors, l’ampleur du mas-
sacre et la méthode utilisée ne
laissant aucune trace « visible ».
Ni bâtiments ni structures, char-
niers, monceaux de cadavres.
Soit l’exact opposé de l’horreur
concentrationnaire découverte
par la suite.
Les découvertes successives des
sites de Treblinka, Sobibor, Belzec
ou encore Chelmno n’ont donné
lieu à aucun filmage, ni campa-
gne massive de photographie. A
peine quelques clichés sont-ils
pris à Treblinka, là où Vassili
Grossman (1905-1964), à la suite
de la découverte du lieu, à l’été
1944, écrit un vertigineux texte
sur la Shoah, L’Enfer de Treblinka
(Arthaud, 1945), dans lequel on
peut notamment lire : « Ce terrain
idées | 31
vague entouré de barbelés a en-
glouti plus de vies humaines que
tous les océans et les mers du
globe depuis que le genre humain
existe. La terre régurgite des os
broyés, des dents, des objets, des
papiers, elle ne veut pas garder ses
secrets. Les objets, en effet, s’extir-
pent de la terre éventrée, de ses
plaies vives. Les voilà, à moitié
pourris, les chemises des tués,
leurs pantalons, chaussures, por-
te-cigares vert-de-grisés, rouages
d’horlogerie, canifs, blaireaux,
bougeoirs, souliers d’enfant aux
pompons rouges, serviettes bro-
dées à l’ukrainienne, dentelles, ci-
seaux, dés à coudre, corsets, ban-
dages. La terre crache par ses fissu-
res des montagnes de vaisselle :
poêles, timbales d’aluminium, tas-
ses, casseroles grandes et petites,
pots, bidons, huiliers, gobelets en
plastique pour enfant… »
Les lieux de la Shoah ne sont
évidemment ni vides ni exempts
de traces – deux lieux communs
pourtant régulièrement ânon-
nés. Les débris, fragments et
autres ruines les constellent.
Encore faut-il être en mesure de
saisir et comprendre ce qui est
donné à voir, à l’opposé de photo-
graphies montrant une horreur
incarnée. p
tal bruttmann
Tal Bruttmann est historien,
spécialiste de la Shoah et de
l’antisémitisme. Son dernier livre,
coécrit avec Stefan Hördler et
Christoph Kreutzmüller, analyse
les photographies réalisées par
les SS à Auschwitz : « Un album
d’Auschwitz. Comment les nazis ont
photographié leurs crimes » (Seuil,
304 p., 49 €).
32 | idées
Guerre Israël-Hamas : BIENVENUE DANS LA GUERRE TIÈDE
Berlin renvoyé LIVRE
à sa « responsabilité »
historique
ANALYSE
L
e 13 mars 2008, Angela
Merkel déclarait devant
la Knesset que la sécurité
d’Israël était, pour l’Alle-
magne, une « raison d’Etat ».
Quinze ans plus tard, son succes-
seur, Olaf Scholz, a repris la for-
mule à la tribune du Bundestag,
le 12 octobre, cinq jours après l’at-
taque terroriste du Hamas. « Il n’y
a pour l’Allemagne qu’une seule
place : être aux côtés d’Israël. C’est
ce que nous voulons dire quand
nous affirmons que la sécurité
d’Israël est “raison d’Etat” pour
l’Allemagne. Notre propre histoire,
notre responsabilité née de l’Holo-
causte, nous impose de nous por-
ter garants de l’existence et de la
sécurité d’Israël. Cette responsabi-
lité est notre boussole. »
Après les mots, les actes. Le 17 oc-
tobre, le chancelier allemand fut le
premier chef de gouvernement
étranger à se rendre en Israël après
l’assaut du Hamas. Au soutien po-
litique s’est ajoutée l’aide mili-
taire. Celle-ci a bondi depuis le
7 octobre : en un mois, Berlin a
donné son accord à 185 contrats
d’exportations d’armements vers
Israël, soit près de six fois plus
qu’entre janvier et septembre,
sans que cela suscite la moindre
discussion. Le contraste est saisis-
sant avec le débat qui a enflammé
l’Allemagne au sujet des livraisons
d’armes à l’Ukraine au lendemain
de l’invasion russe du 24 fé-
vrier 2022. A l’époque, c’est avec
une grande prudence et au prix de
vives tensions avec sa majorité
parlementaire que M. Scholz
s’était décidé à rompre avec le
principe selon lequel l’Allemagne
n’expédie pas de matériel mili-
taire dans des régions en guerre.
Depuis le 7 octobre, le gouver-
nement allemand ne convoque
pas seulement l’histoire pour jus-
tifier son soutien à Israël. Il s’y ré-
fère également pour légitimer
son intransigeance en matière de
lutte contre l’antisémitisme. Vu
de Berlin, ce sont les deux faces
d’une même médaille, comme l’a
affirmé le vice-chancelier écolo-
giste, Robert Habeck, le 1er no-
vembre, dans une allocution très
remarquée : « Notre relation parti-
culière à Israël découle de notre
responsabilité historique : c’est la
génération de mes grands-parents
qui a voulu détruire la vie juive en
Allemagne et en Europe. La créa-
tion d’Israël a ensuite été, après
l’Holocauste, une promesse de
protection faite aux juifs – et l’Alle-
magne a le devoir de faire en sorte
que cette promesse soit tenue.
C’est un fondement historique de
notre République. Notre responsa-
bilité vis-à-vis de l’histoire signifie
également que les juifs d’Allema-
gne peuvent vivre librement et en
sécurité. Qu’ils ne doivent plus ja-
mais avoir peur d’afficher ouverte-
ment leur religion et leur culture.
Or c’est précisément cette peur qui
est de retour aujourd’hui. »
Applaudie y compris par nom-
bre de ses adversaires politiques,
l’allocution de M. Habeck fera
date. Autant que la formulation
d’une exigence, elle est l’expres-
sion d’une inquiétude pour ne
pas dire le constat d’un échec :
trois quarts de siècle après la
chute du IIIe Reich, les actes anti-
sémites se multiplient en Allema-
DEPUIS
LE 7 OCTOBRE,
L’ALLEMAGNE
CONVOQUE LE PASSÉ
POUR JUSTIFIER SON
SOUTIEN À ISRAËL
TROIS QUARTS
DE SIÈCLE
APRÈS LA CHUTE
DU IIIE REICH, LES
ACTES ANTISÉMITES
SE MULTIPLIENT
EN ALLEMAGNE
gne (540 délits enregistrés par la
police au troisième trimestre,
contre 306 sur la même période
en 2022).
« Les images de rues allemandes
où l’on voit surtout des personnes
d’origine arabe réclamer la des-
truction d’Israël et l’extermina-
tion de tous les juifs réveillent des
peurs profondément ancrées qui
font écho [à la Nuit de cristal du]
9 novembre 1938 », a déclaré le
président du Conseil central des
juifs d’Allemagne, Josef Schuster,
à la veille du 85e anniversaire de
ce pogrom orchestré par les na-
zis, lors duquel 1 300 juifs ont été
tués et 1 400 synagogues ont été
saccagées outre-Rhin.
Volontiers salués pour leur ca-
pacité à surmonter l’histoire tra-
gique de leur pays en assumant
les crimes incommensurables
commis en son nom, les Alle-
mands prennent aujourd’hui
conscience des acquis et des limi-
tes de ce qu’ils appellent la Ver-
gangenheitsbewältigung (« maî-
trise du passé »). D’un côté, cel-
le-ci leur apporte une clair-
voyance que certains de leurs
voisins – à commencer par les
Français – devraient leur envier :
malgré ses vives critiques à
l’égard de la politique d’Israël et
sa solidarité traditionnelle avec
les Palestiniens au nom de l’anti-
colonialisme, le parti de gauche
Die Linke, dont les élus siègent
avec ceux de La France insoumise
au Parlement européen, n’a ainsi
pas contesté le caractère « terro-
riste » de l’attaque du Hamas.
« Du bon côté de l’histoire »
D’un autre côté, la seule référence
au passé ne peut se suffire à elle-
même. C’est en effet au nom de
l’histoire que certains, en particu-
lier à la gauche de la gauche, défi-
lent depuis un mois dans les rues
de Berlin et d’autres villes en ré-
clamant de « libérer la Palestine de
la culpabilité allemande ». Un slo-
gan que le philosophe slovène
Slavoj Zizek a récemment expli-
cité dans l’hebdomadaire Der
Freitag : « Les Allemands tentent
de se décharger de leur culpabilité
[envers les juifs] en approuvant
les injustices commises par Israël
contre un autre groupe [le peuple
palestinien] ! L’obsession alle-
mande d’être du bon côté de l’his-
toire a un côté sombre. »
Dans son allocution du 1er no-
vembre, M. Habeck s’est opposé à
cet argument, affirmant qu’il est
« naturellement permis de criti-
quer Israël », qu’il n’est « pas inter-
dit de défendre les droits des Pales-
tiniens et leur droit d’avoir leur
propre Etat », mais que cela
n’autorise pas à « appeler à com-
mettre des violences contre les
juifs ». Une façon de dire que si la
morale peut inspirer la politique,
celle-ci ne peut se confondre avec
celle-là. De ce point de vue, la
guerre entre le Hamas et Israël
met l’Allemagne face à un défi qui
la renvoie à sa responsabilité his-
torique : être fidèle aux leçons ti-
rées de son passé, sans se laisser
enfermer, envers Israël, dans une
politique unilatéralement fondée
sur sa volonté d’expier sa culpabi-
lité à l’égard du peuple juif. p
thomas wieder
(berlin, correspondant)
D
e l’Ukraine au Proche-Orient en
passant par le Caucase, les con-
flits s’intensifient à la lisière de
l’Union européenne. Les affron-
tements potentiels sont tout
aussi évidents en Asie, notamment en mer de
Chine, alors que Pékin fait monter la pression
sur Taïwan. Les signaux annonciateurs de ce
retour de la guerre étaient bien réels depuis
quelques années même si, trop longtemps,
l’Europe – à commencer par Paris et Berlin –
avait préféré ne pas les voir. Ce monde en
plein chaos est marqué par l’affirmation de
néoempires autoritaires et revanchistes qui,
tels la Russie, la Chine, la Turquie ou l’Iran,
sont décidés à remettre en question la domi-
nation occidentale sur le système internatio-
nal. Sortis d’un long sommeil, ces régimes
veulent retrouver, au nom de leur grandeur
passée, ce qu’ils estiment être leur place sur la
scène mondiale.
Comment qualifier cette nouvelle donne ?
« Nous sommes à la fois dans les années 1910 –
celles de la compétition des empires –, dans les
années 1930 – celles de la menace des Etats fas-
cistes –, mais plus encore dans les années 1950 –
celles de la guerre froide naissante », écrit Bruno
Tertrais, qui précise : « Bienvenue dans la guerre
tiède, troisième choc en cent ans entre le monde
des autocraties et celui des démocraties, dans la-
quelle des Etats révisionnistes, insatisfaits du
statu quo, seront responsables de conflits indi-
rects et de crises majeures. » Le directeur adjoint
de la Fondation pour la recherche stratégique
(FRS), juriste et politiste passionné d’histoire,
reprend, non sans une volonté provocatrice, le
titre du célèbre roman de science-fiction de
H.G. Wells La Guerre des mondes pour nous
obliger à nous confronter à cette réalité.
Si de nouveaux blocs se structurent, ceux-ci
ne sont pas aussi figés que pendant la guerre
froide. Bruno Tertrais préfère parler de « fa-
Urgences | par serguei
L’INVENTAIRE DU VIVANT ET SES LIMITES
LA REVUE DES REVUES
R evue semestrielle d’anthropologie
et d’histoire des arts du Musée du
quai Branly-Jacques-Chirac, Grad-
hiva se penche dans son 36e numéro, « Col-
lectionner le vivant », sur les « collections
vivantes » des musées, jardins, zoos, labora-
toires et autres. Derrière l’expression se ca-
che une volonté d’inventorier le vivant
dans un esprit scientifique de connais-
sance mais aussi de conservation, point
d’autant plus crucial que la biodiversité est
aujourd’hui de plus en plus menacée.
Que sont ces choses « en vie » collection-
nées ? « Des animaux, des plantes ou des
micro-organismes ; des individus entiers,
des fragments, des organes ou des sécré-
tions – voire des artefacts comportant des
éléments biologiques ou des objets hybrides
(taxidermie, crânes surmodelés, ivoires). »
Dans une série d’articles pointus, la publi-
cation montre comment ces collections
ont été, dès la modernité, un enjeu central
LA GUERRE
DES MONDES
de Bruno Tertrais,
L’Observatoire,
280 pages,
22 euros
milles » où les différents acteurs jouent leur
propre carte en fonction de leurs intérêts du
moment. Un entre-deux qui n’est ni le monde
bipolaire de la guerre froide, ni le monde mul-
tipolaire d’avant 1945. Dans ce nouveau grand
jeu mondial, Moscou comme Pékin cherchent
à attirer vers eux les pays du Sud global.
Pas que pessimiste
« Le renforcement du couple sino-russe et la
consolidation de l’Occident redonnent vigueur
à la vieille distinction entre tellurocraties [la do-
mination par les terres] et thalassocraties [par
la mer], les premières incarnées par le projet
eurasien de la Russie et les “routes de la soie”
chinoises, et les secondes par l’ensemble
euroatlantique désormais accompagné des
Etats de l’Indo-Pacifique qui souhaitent que ce
dernier reste libre et ouvert », note-t-il. En
même temps, le politologue dresse le tableau
d’un affrontement qui se joue sur tous les ter-
rains y compris sous les océans, dans l’espace
extra-atmosphérique ou dans le cyber.
Les illusions de l’après-guerre froide sont bel
et bien mortes, tout comme l’espoir de toucher
les « dividendes de la paix », qui fut longtemps
celui des Européens. Le modèle allemand est
en crise. Il se fondait sur une énergie à bas prix,
sur d’importantes exportations de produits
industriels à haute valeur ajoutée vers la Chine
et sur une défense assurée par l’OTAN, dont les
pour la science, mais également pour la
politique et le commerce. La colonisation
a ainsi été un moment important de col-
lecte de plantes, d’ivoires et d’animaux
exotiques que l’on continue de venir ad-
mirer dans les zoos.
Problèmes éthiques
Ces institutions ont vu leur rôle évoluer
sous l’influence des questions liées au
bien-être animal et à la raréfaction de cer-
taines espèces. De fait, la conservation se
pense différemment à l’heure de la « ges-
tion numérique » du patrimoine généti-
que des espèces, soulevant de nombreux
problèmes méthodologiques, scientifi-
ques et éthiques, abordés dans la revue.
Et ce d’autant plus que la collecte de don-
nées génétiques, de « gamètes et tissus
cryogénisés » constituant des « bioban-
ques », « bibliothèques d’ADN potentielle-
ment (ré)activables », ne concerne pas uni-
quement les animaux sauvages comme le
putois à pieds noirs. Elle touche également
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Etats-Unis sont les plus gros contributeurs. Ce-
lui d’une certaine diplomatie française aussi.
La France voulait conforter ce qui reste de son
rang dans l’arène internationale en posant une
puissance d’équilibre dialoguant avec Moscou
comme avec Pékin et le Sud. Tout cela a volé en
éclats avec l’agression russe contre l’Ukraine.
Un choc pourtant prévisible même s’il n’était
pas inéluctable, à condition de mener une poli-
tique de fermeté, sans aucune complaisance,
vis-à-vis de Poutine comme vis-à-vis des
autres leaders autoritaires.
En ouverture de son livre, le directeur ad-
joint de la FRS évoque la guerre du Kosovo, les
bombardements sur Belgrade, dont celui de
l’ambassade de Chine par l’OTAN, et l’échec de
la Russie, dans le cadre du plan de paix, à pren-
dre le contrôle d’une partie de la province.
Une humiliation que ni Moscou ni Pékin
n’ont jamais oubliée. Le Kosovo et son indé-
pendance parrainée par les Occidentaux ser-
viront, dans le narratif de la propagande du
Kremlin, à justifier les occupations de territoi-
res aux dépens de la Géorgie en 2008 puis de
l’Ukraine dès 2014.
La confrontation de la Russie dirigée depuis
bientôt un quart de siècle par Poutine avec ce
qu’il appelle l’« Occident collectif » n’a fait que
s’intensifier sur tous les théâtres de crise,
comme le montre avec lucidité Bruno Tertrais
tout au long de cet ouvrage. Mais son diagnos-
tic, pour implacable qu’il soit, n’est pas que
pessimiste quant aux chances d’un Occident
« qui a de beaux restes ». Dans ses conclusions,
il évoque huit leçons à tirer de ces années de
confrontations pour renforcer les démocra-
ties. Parmi elles, celle de savoir accepter
l’épreuve de force quand c’est nécessaire :
« L’accepter, c’est renoncer à l’illusion consis-
tant à prétendre connaître les intérêts de nos
adversaires mieux qu’ils ne les connaissent eux-
mêmes et espérer les “ramener à la raison” par
la seule vertu de notre diplomatie. » p
marc semo
des collections humaines, et notamment
coloniales. Le chercheur Ricardo Roque re-
vient ainsi sur la collecte de sang séché, ar-
chivée sur des fiches cartonnées, effectuée
dans les années 1940-1950 par des anthro-
pologues portugais en Afrique et au Timor
oriental sans le consentement des popula-
tions concernées. Cette collecte a ensuite
été utilisée par des scientifiques dans les
années 2000 afin d’établir, sans succès,
un ADN africain et un ADN asiatique.
Cette collection pose alors de nombreux
problèmes éthiques, tout comme les dizai-
nes de milliers de restes humains d’origine
coloniale détenus par les musées euro-
péens. Un sujet très sensible tout juste évo-
qué dans un petit paragraphe de cet im-
portant numéro, alors que la question
aurait amplement mérité davantage. p
séverine kodjo-grandvaux
Gradhiva, « Collectionner le vivant », no 36,
Musée du quai Branly-Jacques-Chirac,
230 pages, 20 euros
0123
SAMEDI 11 - DIMANCHE 12 - LUNDI 13 NOVEMBRE 2023 0123 | 33

CULTURE | CHRONIQUE GAZA : L’ARRÊT

p a r p hil ip p e da ge n
PONCTUEL
Des arts DES COMBATS liter la libération, impérative, des dizaines
d’otages retenus à Gaza.
primé par les organisations internationales
et non gouvernementales aux prises avec
NE SUFFIT PAS Ces arrêts sont envisagés uniquement les conséquences de cette guerre.
à l’action politique pour permettre aux civils palestiniens de
quitter leurs foyers situés dans des parties
de l’étroite bande de terre livrées aux com-
Emmanuel Macron en a pris acte en liant
« une pause humanitaire la plus rapide pos-
sible » et la nécessité d’« œuvrer à un cessez-
bats. De nouveaux déplacements de popu- le-feu ». Au bout de quatre semaines de
lations, donc, préalables à de nouvelles bombardements, puis d’opérations au sol,

E LE CHAMP CULTUREL
n 2024, la 60e Biennale
de Venise se nommera
« Stranieri Ovunque »
(« étrangers partout »),
titre aux échos politiques inter-
nationaux immédiats. En 2022, la
Biennale de Berlin se nommait
« Still Present ! » (« toujours pré-
sent ») et se consacrait à la mé-
moire et aux traumas du XXe siè-
cle. Le commissaire en était l’ar-
tiste Kader Attia, fondateur
en 2016 de La Colonie (le mot
était barré), bar qui fut jus-
qu’en 2021 l’un des principaux
lieux de débats à Paris.
Il y a un mois était présenté au
Centre Pompidou le projet du Na-
vire-Avenir : la construction d’un
bateau destiné au sauvetage des
migrants en Méditerranée qui se-
rait placé sous pavillon européen.
L’idée a été lancée par le Pôle d’ex-
ploration des ressources urbaines
(Perou), fondé en 2012 par le pay-
sagiste Gilles Clément et l’artiste
et politologue Sébastien Thiéry.
Elle est soutenue par des institu-
tions culturelles, MuCEM à Mar-
seille, Festival d’Avignon, Théâtre
de la Ville à Paris, et centres dra-
matiques nationaux.
Ces événements ont un point
commun : la présence détermi-
nante des préoccupations politi-
ques dans le champ des arts plas-
tiques. Il n’en était pas ainsi à la
fin du XXe siècle. Quand, en 1996,
le Centre Pompidou montait l’ex-
position « Face à l’histoire »,
le sous-titre précisait « L’artiste
moderne face à l’événement his-
torique (1933-1996) ». Moderne,
DEVIENT CELUI DE
L’ACTION POLITIQUE
ELLE-MÊME,
OÙ S’ENGAGENT
DES INITIATIVES
COLLECTIVES
Aillaud, fait actuellement l’objet
d’une rétrospective au Centre
Pompidou. La réécriture des
quatre dernières décennies de
création plastique du XXe siècle
semble enfin engagée.
L’un des acquis de cette remise
en cause du récit moderniste jus-
qu’alors en vigueur est que les
artistes afro-américains sont en-
fin considérés. En 2017, l’exposi-
tion « Soul of a Nation : Art in the
Age of Black Power » qui se tenait
à la Tate Modern de Londres
n’était pas venue à Paris. En 2023,
on a pu voir Faith Ringgold au
Musée Picasso et Betye Saar au
FRAC Lorraine à Metz. Le dévelop-
pement mondial du mouvement
Black Lives Matter a compté dans
cette révision de l’histoire – et,
plus généralement, l’affirmation
des questions de genre et des étu-
des postcoloniales.
Puissance de remplacement
On dira que ce n’est pas nouveau
et que la politisation actuelle de
la création s’inscrit dans l’his-
E st-ce l’esquisse encore très ténue
d’une désescalade ou bien un faux
espoir ? Un mois après les massacres
perpétrés contre des civils israéliens par le
Hamas et alors que la bande de Gaza est
soumise à un assaut sans précédent de la
part de l’armée israélienne, le président des
Etats-Unis, Joe Biden, a annoncé jeudi 9 no-
vembre que l’Etat hébreu allait quotidien-
nement suspendre ses opérations pendant
quelques heures.
Cette annonce est à accueillir froidement.
Il ne s’agit pas en effet des « pauses humani-
taires » que réclament, jusqu’à présent sans
succès, les Etats-Unis. Il s’agit encore moins
de trêves comme celles qui font actuelle-
ment l’objet de tractations difficiles avec la
médiation du Qatar, et qui pourraient faci-
opérations militaires. Un responsable is-
raélien a jugé bon le jour même de l’an-
nonce de nier la réalité d’une crise humani-
taire à Gaza. L’urgence est pourtant déjà là,
et les interruptions des combats envisa-
gées n’y répondent en rien. Les alliés occi-
dentaux d’Israël, qui mesurent auprès de
leurs opinions publiques, chaque jour qui
passe, les retombées délétères de cet em-
brasement, se retrouvent piégés par le sou-
tien sans guère de réserves apporté à Israël
aussitôt après les massacres du 7 octobre.
La conférence humanitaire organisée à
Paris, également le 9 novembre, a souligné
cette impuissance. On ne peut, certes, que
se féliciter de sa tenue, ne serait-ce que
parce qu’elle a placé au centre de l’attention
les dramatiques conditions de survie des
civils de Gaza. Mais les promesses d’aides
d’un montant de 1 milliard d’euros annon-
cées à cette occasion se heurtent à l’ab-
sence de cessez-le-feu, préalable indispen-
sable à l’acheminement et à la distribution
d’une assistance désormais cruciale. C’est
ce qui explique le lourd scepticisme ex-
présentent
une évidence s’impose : la configuration de
Gaza rend incompatible la poursuite d’une
opération militaire d’une telle envergure et
la prise en compte du sort des civils. Per-
mettre la première tout en disant vouloir
garantir la seconde, ce qui reste la position
de Washington, relève de plus en plus de
l’acrobatie rhétorique, ou de l’hypocrisie.
Le coût de la destruction méthodique de
parties entières de Gaza, qu’Israël justifie par
la nécessité d’anéantir les infrastructures
militaires du Hamas, apparaît déjà exorbi-
tant. Le Programme des Nations unies pour
le développement a rendu publiques jeudi
ses premières estimations de l’impact de
cette nouvelle guerre qui a déjà fait des mil-
liers de morts palestiniens selon les autori-
tés américaines. Elles sont glaçantes : des-
truction partielle ou totale de 45 % de l’en-
semble des habitations à Gaza, contraction,
en un mois, de 4 %, dans l’ensemble des ter-
ritoires palestiniens, d’une économie étran-
glée par les contraintes israéliennes avant
même l’attaque du Hamas. Il faut mettre un
terme au plus vite à cet effondrement. p

pas contemporain. En effet, à
cette date, les sujets politiques
étaient loin d’être dominants
dans les ateliers. Or continuer
« Face à l’histoire » jusqu’en 2023
25
toire longue de plus de deux siè-
cles de l’engagement des artistes,
de Géricault à Niki de Saint
Phalle en France, de Grosz à
Polke en Allemagne. Elle passe

supposerait désormais le double
ou le triple de salles et d’artistes
tant cette inflexion est l’une des
caractéristiques majeures, la
principale sans doute, de la créa-
NOV.
par dada et le surréalisme, de
scandales en censures. Mais
cette explication simple ferait
manquer une différence : l’enga-
gement, aujourd’hui, ce n’est

tion récente. Entre-temps, la fable
néolibérale de la fin de l’histoire
s’est effondrée et chacun sait
dans quel état est le monde.
2023
plus seulement une activité criti-
que et dénonciatrice symboli-
que, mais la volonté de prendre
matériellement en charge des
sujets essentiels et de proposer
des actions efficaces en dehors

Phénomène visible
En France, le phénomène est de
plus en plus visible. Trois exem-
ples seulement. En 2021, dans le
cadre du cycle « Expression(s)
décoloniale(s) », le château des
ducs de Bretagne, à Nantes, rece-
vait les installations allégoriques
ironiques dans lesquelles Ro-
muald Hazoumè inscrit le quoti-
dien au Bénin, où il est né, vit et
travaille. Cette année, la Maison
européenne de la photographie,
PARIS
du champ culturel en s’adressant
au plus grand nombre. A La Colo-
nie entrait qui voulait écouter. Le
projet du Navire-Avenir réunit ar-
tistes, juristes, architectes, spé-
cialistes du sauvetage et ONG.
Le champ culturel, qui inclut
évidemment autant la création
théâtrale que la littérature, de-
vient ainsi celui de l’action politi-
que elle-même, celui où s’enga-
gent des initiatives collectives.

à Paris, a accueilli les portraits et
autoportraits de Zanele Muholi,
qui milite en Afrique du Sud
pour les droits LGBTQIA+.
Quant au panoramique de
16 mètres de long de la falaise de
Bâmiyân, sanctuaire bouddhique
ravagé par les talibans afghans
LES JOURNÉES
Comment ne pas mettre en rap-
port ce phénomène avec le discré-
dit qui affecte la vie politique au
sens habituel du mot, partis,
manœuvres, rhétoriques et jeux DE L’ORIENTATION
de rôle ? Plus que d’un contre-pou-
voir, il en va d’une puissance de
remplacement. Celle-ci prend la

PARCOURSUP
en 2001, qu’a photographié Pascal parole puisque celles et ceux qui
Convert, il ne cesse d’être exposé seraient supposés le faire parais-

ET LES ÉCOLES
depuis 2016, du Musée Guimet au sent prisonniers d’intérêts parti-
Louvre-Lens (Pas-de-Calais), où il sans, surtout soucieux d’effets
doit demeurer quatre ans. Ces d’image et incapables d’utopie. Si

œuvres n’ont rien en commun
entre elles, si ce n’est la volonté
d’alarmer et de résister.
Un effet de cette évolution est la
réapparition d’artistes et de mou-
vements jusqu’alors peu mon-
trés. Ainsi en est-il de la figuration
narrative des années 1960, pro-
testataire et marxiste. Longtemps
négligée par les institutions, elle
est largement montrée au Mé-
morial de Caen cet automne, et
l’un de ses protagonistes, Gilles
IL N’EN ÉTAIT
PAS AINSI
À LA FIN
DU XXE SIÈCLE
DE COMMERCE
les arts sont devenus si politiques,
c’est parce que la classe politique
ne sait plus se faire entendre.
Et donc, logiquement, les lieux
de la culture deviennent des en-
jeux politiques. Une preuve
toute récente : le 30 octobre,
deux historiens de la colonisa-
tion, Nicolas Bancel et Pascal
Blanchard, demandent publique-
ment la création d’un musée des
colonisations, meilleur moyen
selon eux d’échapper aux con-
flits mémoriaux et aux stéréoty-
pes identitaires. Il rétablirait
l’équilibre face à la Cité interna-
tionale de la langue française lo-
gée dans le château de Villers-
Cotterêts (Aisne), dont le propos
s’annonce quelque peu patrioti- INSCRIPTION GRATUITE SAGE.GROUPELEMONDE.FR
que. Un musée contre un autre,
autrement dit. p