Disney
se lance
N° 2619 DATÉ DU 16 OCTOBRE 2023
3€
Face à l’islamisme et l’obscurantisme, en finir avec l’Etat faible
« Ne menons pas chez nous des
aventures idéologiques par imi-
tation, par projection. N’ajoutons pas,
par illusion ou par calcul, des fractures
nationales aux fractures internatio-
nales. » Tristement prémonitoires, ces
mots ont été prononcés par Emmanuel
Macron jeudi soir, quelques heures avant
l’assassinat, vendredi à Arras, de Domi-
nique Bernard, professeur de français
Le parcours de l’assassin d’un professeur à Arras met en lumière les failles de la loi. Gérald
Darmanin promet que son texte y répondra. Un accord avec la droite semble encore se rapprocher
Immigration :
l’attentat
qui rebat
les cartes
Convergence
« Le projet de loi permettra d’expulser des étrangers délinquants ou sus-
pectés de radicalisation », a assuré Elisabeth Borne dans un entretien à
La Tribune dimanche. Ce texte débute son parcours parlementaire
le 6 novembre, au Sénat.
Matthieu Deprieck
Ce qui devait arriver, arriva. Re-
poussé, découpé, recollé, le projet de loi
« immigration » faisait peser une menace
sur la majorité depuis des mois : qu’une
attaque perpétrée par un étranger per-
cute ses hésitations à présenter au Par-
lement un texte ferme et intransigeant.
Le risque s’est concrétisé vendredi 13 oc-
tobre, à 11 heures.
Comme dans une chambre noire,
l’attentat d’Arras a plongé le projet de
loi dans le bac de révélateur. Les ma-
cronistes espèrent qu’il en ressortira la
photo d’un texte radical contre les étran-
gers dangereux pour le pays. Car, pour
Nupes : le vrai-faux départ des communistes
Retenez-moi…
« La Nupes, ce n’est pas aussi balisé
que la technocratie bruxelloise. Il n’y
a pas de procédure d’exclusion, ni de
sanctions prévues pour non-respect des
valeurs fondamentales de l’Union. Mais
là, nous tenons peut-être notre plan B. »
A l’issue du Conseil national du PCF ce
dimanche, cet élu communiste ironise
: 3,20€
sur le communiqué de son parti. Il vient
d’adopter, à près de 93%, une résolution
BELGIQUE
qui condamne « la Nupes, telle qu’elle a
été constituée pour les élections légis-
3’:HIKKLB=]UXUUV:?l@k@b@g@a";
latives sous la volonté hégémonique de
M 00118 - 1016 - F: 3,00 E
Comment Tsahal
se prépare à entrer
à Gaza
Après une semaine de frappes très
intensives, l’opération terrestre
israélienne pour détruire le Hamas
semble « imminente » Page 4
victime du terrorisme islamique. Un at-
tentat dont « l’attaque contre Israël a pu
être un élément déclencheur », a admis
dimanche Elisabeth Borne. On pouvait
s’interroger si les appels à la concorde
résisteraient à la tension ambiante. On a,
hélas, un premier élément de réponse.
Dans plusieurs villes de France – mais
aussi au Royaume-Uni, en Allemagne
ou en Italie – on a assisté à des manifes-
l’heure, le débat public s’est concentré
sur la régularisation des personnes sans-
papiers employées dans les secteurs en
manque de main-d’œuvre. Jusqu’à la
Première ministre, tous les soutiens du
chef de l’Etat constataient ces dernières
semaines que la discussion était partie
de travers.
Où est le « méchant avec les mé-
chants » promis par Gérald Darmanin en
novembre 2022 ? Là, sous vos yeux, ré-
pond la macronie, dans les articles 9, 10
et 13 du projet de loi. Le cabinet du mi-
nistre de l’Intérieur souligne deux types
de mesures : celles visant à assouplir la
LFI ». La coalition de gauche serait ainsi
devenue « une impasse » à dépasser par
la construction d’un « nouveau Front
populaire » émancipé des méthodes du
triumvirat Mélenchon-Bompard-Panot.
Gaza, attentat : les vérités de Hollande
SIPA PRESS
tations qui allaient bien au-delà d’un
simple soutien à la cause palestinienne.
De plus en plus de voix s’élèvent,
et pas uniquement dans les rangs de
la droite ou de l’extrême droite, pour
dénoncer un ennemi de l’intérieur aux
valeurs incompatibles avec celles de la
République. De part et d’autre, des cou-
rants contraires s’afrontent : des franges
de la population expriment sans com-
protection quasi absolue contre les ex-
pulsions de certains étrangers et celles
cherchant à réduire le champ des pro-
tections contre les décisions d’obligation
de quitter le territoire (OQTF). Ce qui
fait dire au président de la commission
des lois de l’Assemblée, Sacha Houlié
(Renaissance) : « Nous allons déjà le plus
loin que nous pouvons aller. »
« Ça doit fumer sous les crânes des
Républicains, qui voulaient faire tomber
Place du Colonel-Fabien, au siège
du PCF, la comparaison de Fabien Rous-
sel avec le collaborationniste Jacques
Doriot ne passe pas. Le refus des lieute-
nants de Jean-Luc Mélenchon de dési-
L’ancien président
de la République exhorte
la représentation nationale
à cesser de polariser
des Français déjà ébranlés
par le terrorisme islamiste.
L’attaque d’Arras
ne doit pas, selon lui,
être l’occasion d’une
remise en cause de l’accueil
des demandeurs d’asile
en France.
Page 3
plexes leur incapacité, pire leur révul-
sion, à vivre ensemble. L’hexagone est
pris au piège d’un amalgame l’emportant
sur la raison, pour reprendre les propos
du Président.
Samedi, à la Sorbonne, Gabriel Attal
rappelait, à raison, que « c’est par l’école
que nous parviendrons à bâtir le rempart
contre les forces du mal et du néant ».
C’est surtout à l’Etat dans son ensemble
le gouvernement sur l’immigration »,
sourit un parlementaire de l’opposition,
bienveillant à l’égard de l’exécutif. Les
LR, justement, n’ont pas grand-chose
à réclamer sur le strict plan du projet
de loi. Gérald Darmanin leur a coupé
l’herbe sous le pied le soir même de
l’attentat. « Cela fait quinze ans que la loi
empêche d’expulser les personnes arri-
vées sur le territoire avant l’âge de treize
ans », assurait-il. Le lendemain, lors
gner le Hamas comme « une organisa-
tion terroriste », c’était la goutte de trop
pour le sénateur de Paris, Ian Brossat.
« La Nupes n’a pas été à la hauteur des
événements, elle est discréditée », af-
irme-t-il une semaine après le début de
la guerre en Israël.
Pourquoi alors ne pas avoir tout
simplement quitté la Nupes ? « Il faut
savoir tourner la page et en écrire une
nouvelle », se contentera de dire l’élu
francilien, en rappelant que « l’union de
la gauche demeure indispensable, mais
sans le noyau dirigeant actuel de LFI ».
Devant le flou qui entoure cette non-
« L’extrémisme,
c’est la guerre. Il est
à l’œuvre partout »
« Cette logique politique est
une machine maximaliste »,
analyse Eric le Boucher dans sa
chronique hebdomadaire Page 5
dans le pari
sportif
qu’il incombe de rétablir son autorité et
ce, à tous les niveaux, face au radicalisme
et aux extrêmes. On ne peut continuer à
céder du terrain à ceux qui s’acharnent
à torpiller l’idéal de notre devise tout en
tirant parti de la générosité de notre mo-
dèle. Cette humanité fait notre honneur.
Cessons d’en faire une faiblesse.
Olivier Baccuzat
@obaccuzatx
KAK
d’une conférence de presse, Gérald Dar-
manin confiait son incapacité à expul-
ser « 400 étrangers délinquants » parce
qu’ils sont mariés, parents ou arrivés en
France avant treize ans.
Réserves levées. Ces obstacles se-
ront levés si le projet de loi est adopté, a-t-
il assuré. Depuis l’attaque survenue à Ar-
ras, les positions bougent. Le président
l l l Page 2
décision du PCF, les journalistes s’in-
terrogent sur l’avenir de l’intergroupe
parlementaire : « Mais la Nupes, ce n’est
pas un accord électoral qui se résume en
pratique à un travail parlementaire ? »,
interroge l’un d’eux. La réponse dit tout
de la portée purement symbolique de
la déclaration d’intention des commu-
nistes : « Les députés sont libres de faire
leurs choix. Et il n’est pas absurde qu’il
continue à se coordonner pour faire
face au gouvernement. » La Nupes est
morte, vive la Nupes.
Antoine Oberdorf
@A_Oberdorfx
Conférence sociale,
l’agenda troublé
de Macron
La bataille autour de l’Agirc-Arrco
risque de rendre la relation moins
luide entre le gouvernement
et les partenaires sociaux Page 6
 Immigration : l’attentat qui rebat les cartes
l ll Suite de la page 1
du groupe Union centriste, Hervé Marseille, sou-
tient plus que jamais le texte du gouvernement.
« La situation nationale et internationale rend
l’adoption d’un texte sur l’immigration absolu-
ment nécessaire. Les LR ne peuvent pas conti-
nuer à gesticuler autour de l’article 3 (qui crée le
titre “métiers en tension”) », prévient-il.
Le sénateur LR, François-Noël Bufet recon-
naît lui aussi que la version du projet de loi, sor-
tie de la commission qu’il préside, constitue une
bonne réponse aux problèmes d’immigration
légale et illégale. « Nous l’avons renforcé sur de
nombreux aspects, rappelle-t-il. Jusqu’ici, les ré-
serves se trouvaient plutôt du côté du gouverne-
ment et de la majorité à l’Assemblée nationale.
J’ai le sentiment que ces réserves se lèvent. »
De fait, le député Renaissance Sacha Houlié,
igure de l’aile gauche macroniste, airme qu’en
cas d’« accord global » sur le projet de loi, il ne
serait pas opposé à conserver les ajouts des sé-
nateurs tels que la restriction du regroupement
familial et les conditions de la levée de la barrière
des treize ans, qui empêche aujourd’hui les
expulsions. Ce point précis est un levier que le
président des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a
utilisé, dimanche, pour justiier son opposition
au gouvernement. Il reproche à l’exécutif d’avoir
conditionné la levée de la limite des treize ans à
la condamnation à une peine de plus de dix ans
de prison. Le député Renaissance, Sacha Houlié
n’est pas contre réduire cette peine à cinq ans.
Que restera-t-il aux Républicains pour jus-
tifier leur opposition ? « Convoquons un réfé-
rendum pour rompre avec l’impuissance et
renvoyer hors de France ceux qui veulent nous
abattre », a tweeté le président du parti, Eric
Ciotti, sortant ainsi du champ du texte défen-
du par le gouvernement. Ce projet de révision
constitutionnelle défendu par les LR sera exami-
né au Sénat le 12 décembre, airme Le Parisien.
Meilleure main. L’efroi causé par le second
assassinat d’un professeur en trois ans pousse
droite et macronie à revoir leurs positions. Les
Républicains devront expliquer à l’opinion pu-
blique pourquoi ils refusent de voter un texte
qui renforce les moyens d’expulsion. Le séna-
teur LR François-Noël Bufet lui-même invite ses
collègues à « ne pas perdre de temps » : «La prio-
Choix publics
Erwan Le Noan
La démocratie doit se défendre
contre ses ennemis
Ce 13 octobre, un enseignant est mort,
assassiné par un terroriste islamiste. Cet
attentat a atteint à son cœur l’insouciance de
la jeunesse, profané un lieu de transmission
du savoir, transpercé de sa violence brutale
une institution de la République. L’émotion
passée, la colère prendra sa place. Elle
viendra nourrir une vague qui, d’assassinats
d’innocents en provocations répétées, et
à mesure qu’elle gonle, étoufera la modéra-
tion et inira par emporter la démocratie si
ses défenseurs n’y prennent pas garde.
D’après la presse, le terroriste, issu
d’une famille surveillée par la police, aurait
dû être expulsé depuis près de dix ans. Il est
resté, protégé par des associations (en partie
inancées par des subventions), mobilisant
toutes les voies possibles, jouant des contra-
dictions des politiques publiques. Comme si
l’Etat organisait son propre empêchement.
L’épisode ne se contentera pas d’ali-
menter parmi les électeurs le sentiment
que le pouvoir exécutif a failli à remplir sa
mission fondamentale (l’exécution des lois) ;
la présence de cet homme sur le territoire
national est une claque au souverain
démocratique : les lois adoptées au nom du
peuple n’ont pu être appliquées.
La colère gronde. Elle efacera toute
place à la réaction mesurée. Déjà, les partis
politiques se livrent à une course pour
assurer les électeurs de leur plus rigoureuse
fermeté (à l’exception de La France insou-
mise qui, si prompte à qualiier Emmanuel
Macron de dictateur, est toujours hésitante
sur la qualiication à appliquer au terro-
risme islamiste).
Autoritarisme. Qu’on s’en félicite ou le
déplore, la politique migratoire va se refer-
mer. L’électorat va se durcir encore sur les
questions qu’il agglomère, à tort ou raison,
2 l’Opinion 16 octobre 2023
SIPA PRESS
« Cela fait quinze ans que la loi
empêche d’expulser les personnes
arrivées sur le territoire
avant l’âge de treize ans »,
assure Gérald Darmanin.
rité numéro 1 n’est pas de sortir des textes euro-
péens, mais de voter une loi ferme. Mon objectif
est d’avancer pas à pas. »
De leur côté, les soutiens d’Emmanuel
Macron vont maintenant mettre l’accent sur le
volet « répressif » du projet de loi. « L’exécutif
est clairement en meilleure opposition que Les
Républicains. Lui est à l’action. Il s’est déployé
très vite après l’attentat et va continuer à le
faire », observe un élu de droite. Même l’hypo-
thèse d’une adoption par 49.3, jugée jusqu’ici
brûlante, permettrait de démontrer, dans cette
actualité, le volontarisme du chef de l’Etat.
Est-ce pour conserver cet avantage que se
dessine une accélération du calendrier parle-
mentaire ? Initialement prévu en février, l’exa-
men du projet de loi « immigration » à l’Assem-
blée nationale pourrait se faire dès le mois de
décembre. « La question mérite d’être posée
car ce qu’il s’est passé à Arras renforce encore
la nécessité de faire voter ce texte », conie l’en-
tourage de Gérald Darmanin. Les cartes ont été
redistribuées. Le gouvernement possède une
meilleure main qu’il y a quelques jours.
@mdeprieckx
dans un ensemble de problématiques liées :
la laïcité, l’islam, l’immigration, la lutte
contre le terrorisme. La dénonciation de
l’insécurité croîtra certainement, comme
le soutien aux solutions répressives. Le
terreau est fertile : selon la dernière enquête
du Cevipof sur les « fractures françaises »,
tout juste parue, 51% des Français sont
favorables au rétablissement de la peine de
mort (44% en 2019). Il est loin le temps où
certains défendaient « l’identité heureuse ».
La colère nourrira ensuite l’exaspéra-
tion, contribuant à jeter les électeurs dans
les bras des extrêmes qui promettent l’au-
toritarisme. Dans la même enquête, 82%
des personnes estiment que la France « a
besoin d’un vrai chef (…) pour remettre de
l’ordre ». Face à ces tendances, l’enjeu pour
les défenseurs de la démocratie libérale est
de proposer une ofre de gouvernement
crédible. Trop souvent, pourtant, ils se font
hésitants, comme si un discours de fermeté
était une trahison de leurs valeurs.
Rien n’indique pourtant que le régime
démocratique doive par essence être faible
face à ceux qui cherchent à le détruire.
Dans son Introduction à la philosophie
politique, Raymond Aron constatait que
« la démocratie est le seul régime qui se
croie tenu, par ses principes, de ne pas se
défendre contre ses ennemis ». Insistant,
il relevait déjà que « la déinition actuelle
d’un régime démocratique, au sens occi-
dental, est évidemment d’avoir une “Cin-
quième colonne” ». Pourtant, concluait-il,
« un régime qui veut se défendre ou qui ne
veut pas être détruit doit ixer certaines
limites à l’exercice des libertés démocra-
tiques, aux dépens de ceux qui sont contre
ces libertés ». Il faut armer la démocratie
contre ces ennemis.
@erwanlenoanx
SANDRINE ROUDEIX
Les ravages de la peur
dans les écoles françaises
La ressemblance est frappante : le regard
concentré, l’assurance tranquille de celui qui
sait et a soif de transmettre, l’allure hors mode
du « prof ». Entre Samuel Paty et Dominique
Bernard, le trait d’union est aujourd’hui tra-
gique. « T’es prof d’histoire ? T’es prof d’his-
toire ? », a interrogé, selon plusieurs témoins,
Mohammed Mogouchkov, en faisant irruption
vendredi dans la cité scolaire Gambetta à Ar-
ras. Comme mû par la volonté de répéter trois
ans plus tard, à la fonction de sa victime près,
l’horreur terroriste du collège du Bois-d’Aulne
dans les Yvelines.
« L’école à nouveau prise pour cible » :
les hommages, les recueillements passés, ce
constat reste dans toutes les têtes. Avec son
cortège d’impuissance, de lassitude et de fata-
lité mêlées qui se manifestaient dès vendredi,
quelques heures après l’attaque d’Arras. « On
va encore aller chercher des ours en peluche et
des bougies… Mais va-t-on un jour regarder la
réalité en face ? », interroge Iannis Roder, l’un
des piliers du Conseil des sages de la laïcité, lui-
même enseignant en histoire en Seine-Saint-
Denis. La réalité, c’est la peur quotidienne qui
s’est iniltrée dans tous les rouages de l’Educa-
tion nationale depuis l’assassinat de Samuel
Paty. Peur, on le sait, d’aborder la Shoah, la
théorie de l’évolution ou le génocide armé-
nien, a fortiori depuis la crise du Haut-Kara-
bakh. « La liste des sujets diiciles ne cesse de
s’allonger », soupire le principal d’un collège
du centre de Paris.
Comme chaque fois, les minutes de si-
lence seront des exercices risqués. « Depuis
les dérapages lors des attentats commis par
Mohammed Merah, je prends les devants et
j’explique que ce n’est pas moi ou le collège qui
en sommes à l’initiative, mais qu’il s’agit d’une
consigne nationale et que si des élèves ne
veulent pas la respecter, leurs parents seront
convoqués. Les choses rentrent en principe
vite dans l’ordre », raconte ce même principal.
Cela en dit long sur l’organisation d’un simple
moment de recueillement.
« Risques symétriques ». « L’attaque
d’Arras produit deux risques symétriques : un
traumatisme, évident, et une forme de banali-
sation dont il faut se prémunir. C’est le but des
terroristes de nous démoraliser et de nous
désunir », résume à l’Opinion l’ancien ministre
de l’Education Jean-Michel Blanquer. Une bana-
lisation que constataient déjà plusieurs ensei-
gnants vendredi. Dans un lycée de Nancy, des
terminales ont annoncé les événements d’Arras
à leur prof d’histoire, Pascal Zachary. « Ils ne
semblaient pas vraiment choqués. C’est comme
si une forme d’habitude s’installait », décrit-il.
A l’inverse, pour les enseignants, le choc
est immense. « En 2020, ils ont pu se dire que
Samuel Paty avait été tué pour avoir parlé
en cours des caricatures de Mahomet. Au-
jourd’hui, cela peut être n’importe quel prof.
On peut faire le parallèle avec 2015 : en janvier,
ce sont les journalistes de Charlie, des juifs à
l’Hyper Cacher qui sont visés. En novembre,
les terrasses et le Bataclan, c’est tout le monde.
Pour les profs, cela change tout et sonne vrai-
ment la in des illusions », estime Iannis Roder.
« L’école des kouffars », « l’école des mé-
créants » est devenue une cible pour les isla-
mistes et la peur se diffuse partout. Dans les
relations entre les enseignants et leurs classes
avec un phénomène d’autocensure qui ne
cesse d’augmenter : 80 % d’entre eux disent
qu’ils ont déjà eu un incident lié à la religion
Le lycée Gambetta d’Arras après l’attaque mortelle au couteau
contre un professeur.
avec leurs élèves et plus de la moitié déclarent
s’être autocensurés au moins une fois dans leur
carrière (sondage Ifop de décembre 2022). « Il
n’y a pas un enseignant qui ne réléchisse pas
à deux fois avant d’aborder ces sujets, assure
Pascal Zachary. Mais personne n’en parle
ouvertement. Il y a tellement peu de ciment
social entre nous et tellement peu de gestion
collective dans l’Education nationale. »
Malgré les eforts de Jean-Michel Blanquer,
ses équipes « Valeurs de la République », ses
formations à la laïcité, le climat général n’a
guère changé depuis l’assassinat de Samuel Pa-
ty en octobre 2020. Le « choc des consciences
n’a pas eu lieu, constate un ancien du cabinet
Blanquer rue de Grenelle. Mais comment le
pourrait-il quand une large part des ensei-
gnants considèrent que l’Etat “laïcard” les
oblige à être “islamophobes” ? ». Les discours
LFI sont clairement montrés du doigt. En 2022,
plus d’un enseignant sur quatre a voté pour
Jean-Luc Mélenchon.
Au-delà des postures idéologiques, un
grand renoncement menace la majorité du
corps professoral. Personne n’est vraiment à
blâmer. Risquer sa vie en faisant ce métier n’a
longtemps jamais effleuré les consciences.
« Mais aujourd’hui, quand on vous dit, même
sous forme imagée : “Monsieur, on va vous
égorger”, personne n’a envie d’être héroïque »,
poursuit cet ancien de l’équipe Blanquer.
Honte. Auteur de Les profs ont peur, paru
en septembre 2023 aux éditions de l’Observa-
toire, Jean-Pierre Obin, ex-inspecteur général
de l’Education, décèle trois causes au phéno-
mène. Une multiplication des incidents liés à
« une idéologie politico-religieuse », la peur
incessante du dérapage « pour trois fois rien »
et, enin, « le sentiment d’abandon et de soli-
tude des profs qui sont souvent en insécurité
professionnelle, mais aussi personnelle ». A
commencer par les jeunes générations d’ensei-
gnants qui ont de plus en plus de mal à com-
prendre « la promesse républicaine » et à la
transmettre. Ce qui nourrit un sentiment de
honte et de repli sur soi. De la même manière,
des élèves n’osent plus aborder les sujets qui
fâchent et briser l’omerta qui s’est installée.
Parfois encouragés par leur famille qui leur
demande d’« éviter les problèmes ». D’autres,
au contraire, importent à l’école la propagande
et la contre-culture serinées à la maison.
Le piège se referme sur l’Education na-
tionale. Rien n’a vraiment changé depuis la
mort de Samuel Paty. « En a-t-on encore les
moyens ? », s’interrogeait-on ce week-end
au sein du gouvernement où l’on formule cet
aveu : « On espère déjà que le niveau “Urgence
Attentat” de Vigipirate va rassurer les Français.
Pour le reste… ». Le « pragmatisme » de Gabriel
Attal, son « acte d’autorité » avec l’interdiction
des abayas sont vus comme des atouts.
Dès 1989 et l’afaire des foulards de Creil,
les ambiguïtés et les renoncements étaient ce-
pendant en germe. « Il était pourtant clair, dès
cette époque, que l’école, pour ce qu’elle re-
présente – la laïcité, les savoirs –, était une cible
favorite des islamistes. Le voile, c’est encore
le symbole que défendent les assassins d’au-
jourd’hui. On a perdu beaucoup de temps », re-
grette Alain Seksig, ancien inspecteur général
de l’Education et membre du Conseil des sages
de la laïcité. En trois ans, moins d’une dizaine
d’établissements scolaires ont pris le nom de
Samuel Paty.
@malombardx
SIPA PRESS
Après l’attentat d’Arras, l’ancien président de la République
exhorte la représentation nationale à cesser de polariser des Français
déjà ébranlés par le terrorisme islamiste
François Hollande : « Le droit de manifester
existe, le droit de crier “Mort à Israël”, jamais »
Exclusif
Au lendemain de l’attaque au couteau
qui a coûté la vie à un professeur à Arras,
François Hollande met en garde sur une
extension de la menace terroriste en
France. Il s’inquiète d’« une surenchère dans
les réactions politiques » qui pourrait dresser
des communautés les unes contre les autres.
Interview Antoine Oberdorff
Dominique Bernard, un professeur
de lettres, a été poignardé vendredi dans
le lycée où il enseignait à Arras. Trois ans
après la décapitation de Samuel Paty, c’est
un nouveau traumatisme. Quelle a été votre
première réaction ?
J’ai pensé à cet homme dont la seule voca-
tion était, comme pour Samuel Paty, de trans-
mettre à ses élèves un savoir et de leur ofrir les
moyens de s’accomplir. Son destin ne pouvait
être de mourir pour cette cause. Son décès sou-
lève l’indignation. Je pense aujourd’hui à trop
de personnels de l’Education nationale qui vont
au travail avec la boule au ventre. Beaucoup se
demandent ce qu’ils peuvent bien faire face à des
comportements qu’ils ne sont plus en mesure,
seuls, de maîtriser. La République, plus que ja-
mais, doit être à leurs côtés. Elle doit être intrai-
table à l’égard des propos qui pourraient inspirer
d’autres drames. Aucune loi religieuse ne peut
supplanter les lois de la République, c’est le sens
même de la laïcité et le respect de cette règle sup-
pose de procéder à des rappels à l’ordre, dès le
plus jeune âge.
Vendredi, un autre attentat était déjoué dans
les Yvelines. Samedi, le Louvre et le château
de Versailles étaient évacués après une alerte à
la bombe. Comment vivre avec cette menace ?
La menace est réelle. Nous avons déjà subi
trop d’attentats terroristes en France pour pen-
ser qu’ils ne reviendraient pas tôt ou tard en fonc-
« Le Hamas veut créer
des générations
de martyrs en Palestine »
tion de la situation internationale ou de la perma-
nence de la propagande salaiste. Ce terrorisme
se manifeste sous la forme que nous avons le plus
de mal à annihiler, c’est-à-dire des actes indivi-
duels, de personnes radicalisées qui, fichées S
ou pas, passent à l’acte en cherchant à cibler des
symboles de la République ou des lieux de culte.
Cette situation, si nous ne voulons pas être op-
pressés par elle, commande la plus grande vigi-
lance. Lors de ma présidence, notre réponse a
été de mettre le maximum de militaires dans les
rues, non pour qu’ils se substituent aux forces de
l’ordre, mais parce que leur présence était un élé-
ment de sécurisation pour les Français et un fac-
teur de dissuasion pour nos ennemis potentiels.
Au niveau international, quelle doit être la
position diplomatique de la France vis-à-vis
d’Israël ?
Une position intelligible par tous car fondée
sur des principes intangibles. Le premier étant
qu’Israël a le droit de se défendre et de recevoir le
soutien de la France pour assurer sa sécurité. Le
deuxième principe, c’est que la réponse du gou-
vernement israélien doit certes venir à bout du
Hamas, mais aussi épargner le plus possible de
vies humaines. Les civils ne peuvent pas être des
victimes collatérales de la riposte légitime contre
le Hamas. Je mesure aussi l’angoisse des familles
des otages. Devant la perspective imminente de
l’offensive terrestre, l’Europe et les Etats-Unis
ont leur rôle à jouer avec l’ONU pour veiller à ce
que des civils innocents à Gaza aient accès à l’eau
et des soins médicaux par des couloirs humani-
taires. Et j’appelle à ce que des solutions soient
ouvertes rapidement pour les centaines de mil-
liers de déplacés. Enin, il faudra rouvrir un pro-
cessus de négociation pour l’avenir de la Pales-
tine. Mais nous n’en sommes pas là.
De François Bayrou à Eric Ciotti, nombreux
sont ceux qui demandent « la suspension
totale de l’aide humanitaire aux Gazaouis tant
que les otages ne seront pas libérés ».
Qu’en pensez-vous ?
Ajouter de la privation et de la misère à une
situation déjà désastreuse sur le plan huma-
nitaire, ne peut pas être la parole de la France.
L’ouverture d’un corridor pour que la popula-
tion palestinienne sommée de se déplacer puisse
SIPA PRESS
« Aucune loi religieuse ne peut
supplanter les lois de la République,
c’est le sens même de la laïcité »,
selon François Hollande.
être à l’abri des bombardements m’apparaît in-
dispensable. Ce sont à la fois les Israéliens et les
Egyptiens qui détiennent la clé de ce déblocage.
La guerre des images a commencé à la
seconde même où les terroristes du Hamas
ont attaqué Israël. Chacun est sommé
de choisir son camp, ses morts : plus de
700 enfants ont perdu la vie à Gaza, 600 du
côté israélien. Comment sortir de cette
surenchère ?
Les images font partie de la propagande,
mais, hélas, elles révèlent aussi des réalités. La
comptabilité des morts est insupportable. Le
Hamas porte à cet égard une double respon-
sabilité. Il a provoqué par son action terroriste
des massacres en Israël et il savait parfaitement
que la réponse israélienne générerait des dégâts
humains à Gaza. Le Hamas le fait parce qu’il veut
créer des générations de martyrs en Palestine.
Revenons en France. Le proil du tueur
présumé de Dominique Bernard a ravivé
le débat sur l’expulsion des déboutés
de l’asile. En 2014, votre ministre de
l’Intérieur, Manuel Valls, avait décidé de
renoncer à la procédure d’expulsion de sa
famille vers la Tchétchénie. Etait-ce une
décision laxiste ?
Soyons précis. Les interrogations légitimes
des Français ne doivent pas créer de confusion
sur l’état de notre droit. Fin 2012, Manuel Valls
alors ministre de l’intérieur a adressé une circu-
laire aux préfets. Elle visait à admettre une pos-
sible régularisation pour des familles présentes
sur notre sol depuis plus de cinq ans et dont
« Etre fiché
n’est pas une preuve
de culpabilité »
les enfants étaient scolarisés. C’était le cas de la
famille de Mohammed Mogouchkov. Celui-ci
avait neuf ans. Il était en CM2 ! Dix ans plus tard,
lorsqu’il a été repéré pour être réceptif à la propa-
gande salaiste et iché S, il pouvait faire, contrai-
rement à ce que j’ai entendu, l’objet d’un arrêté
d’expulsion, même s’il était entré sur le territoire
avant l’âge de 13 ans.
Doit-il y avoir une expulsion de tous
les ichés S de France ?
Déjà en 2015, la droite française demandait
que l’on expulse tous les fichés S. C’était mal
comprendre ce qu’est un fiché S. C’est un indi-
vidu surveillé, mais qui n’a pas commis d’acte
délictueux ou criminel. Etre iché n’est pas une
preuve de culpabilité. Seules les informations
recueillies grâce à cette surveillance, si elles font
présumer l’existence d’une infraction, peuvent
conduire à une judiciarisation et potentiellement
à une expulsion si le iché S est étranger.
Que dire à ceux qui lient immigration
et terrorisme ?
Je ne sous-estime pas les efets sur l’opinion
publique de ce type de drame et la facilité avec
laquelle les amalgames sur l’immigration se dif-
fusent. Le droit d’asile doit être préservé mais
le problème vient du faible nombre de recon-
duites aux frontières (OQTF) pour les personnes
déboutées. Il ouvre le procès de l’impuissance
de l’Etat. Je connais la diiculté de l’exercice car
faut-il trouver des pays d’accueil pour l’exécution
de l’opération. La droite est bien placée pour le
savoir pour avoir exercé elle-même le pouvoir
et ses gouvernements comme l’actuel se sont
heurtés aux mêmes écueils. Mais toute personne
étrangère qui porte atteinte aux intérêts fon-
damentaux de l’Etat ou dont le comportement
constitue des actes de provocation à la haine doit
être expulsée.
Gérard Darmanin a-t-il eu raison selon vous
d’ordonner l’interdiction systématique des
manifestations pro-palestiniennes ?
Une manifestation qui peut donner lieu à
des débordements violents ou à des propos de
nature à provoquer à la haine ne peut être auto-
risée. Le droit de manifester existe, le droit de
crier “Mort à Israël”, jamais. Mais l’erreur serait
de donner un caractère général à l’interdiction.
Le séparatisme existe-t-il en France ?
Qu’il y ait des comportements communau-
taristes et séparatistes, une propagande salaiste
qui se difuse à jet continu sur les réseaux sociaux
et des atteintes régulières à la laïcité, la gauche
de gouvernement les a toujours identiiés, nom-
més, dénoncés et combattus. Mais, au-delà du
constat, si nous voulons éviter l’éclatement de
notre pays, il importe que les citoyens puissent
partager une même communauté de destin.
« Jean-Luc Mélenchon
veut être le plus gros
des petits à gauche »
Quand des populations issues des mêmes ori-
gines vivent dans les mêmes quartiers, éloignées
du reste de la société, avec un sentiment de relé-
gation, il y a de fait le menace d’un repli identi-
taire — repli sur ce qu’était le passé ou ce qu’était
l’espérance d’une vie meilleure.
Comment expliquez-vous que le grand
renversement du front républicain entre
le RN et LFI ?
Il y a une montée de l’extrême droite dans
toute l’Europe. En France, le phénomène est
plus ancien. Sur bien des sujets, la droite se
confond de plus en plus avec l’extrême droite.
En utilisant les mêmes mots, en faisant les
mêmes propositions, son électorat est peu à
peu absorbé par elle, même si ses dirigeants
tentent les retenir en refusant toute alliance.
Quant au parti présidentiel, son inconsistance
doctrinale et son manque d’ancrage territorial
créent un vide dans le paysage politique.
Que peut proposer la gauche
face à une telle situation ?
Elle n’est pas seulement éclatée, elle est
harcelée et désarticulée par son aile la plus radi-
cale. L’objectif de Jean-Luc Mélenchon n’est pas
d’être majoritaire dans le pays, c’est d’être seul
contre tous pour mieux fidéliser ce qu’il croit
être sa base électorale et qu’il confond avec le
« peuple ». Jean-Luc Mélenchon veut être le plus
gros des petits à gauche. Mais ce n’est pas en se re-
fusant à qualiier le Hamas d’organisation terro-
riste que LFI récoltera mécaniquement les voix
des électeurs de confession musulmane. Ils sont
eux aussi efrayés par les agissements terroristes,
la violence et l’insécurité. Jean-
Luc Mélenchon et son groupe Retrouvez
confondent l’attachement à l’interview
la cause palestinienne d’une en intégralité
partie de la population avec la sur lopinion.fr
justification des actions terro-
ristes du Hamas. Il permet au
Rassemblement National, dont
le passé antisémite est avéré, de
défendre Israël. L’antisionisme qui a longtemps
été l’apanage de l’extrême gauche s’est aventuré
progressivement sur des slogans et des formules
comportant des relents d’antisémitisme.
Est-ce une faute pour le Parti socialiste que
de rester dans la Nupes ?
Le Parti socialiste doit non seulement
reprendre son autonomie, mais retrouver
sa boussole du point de vue des idées et des
positions, comme vient de le décider le Parti
communiste. C’est le PS qui a toujours donné
la ligne de la gauche française, et en a assumé
la direction dans l’union. S’il s’obstine à s’ins-
taller au second plan de peur de ne plus être
dans la Nupes, c’est toute la gauche française
qui sombre et renonce au pouvoir. Elle laisse-
rait ainsi la voie libre à la droite dans le meil-
leur des cas et à Marine Le Pen dans le pire. Les
élections européennes sont l’occasion pour les
socialistes d’opérer cette refondation.
Antoine Oberdorffx
Tribune
Alain Bauer
La haine
Alors qu’Israël hésite encore entre
puissante incursion ou invasion de la
bande de Gaza, réduit encore ce minus-
cule territoire de 360 km² de moitié et
crée une frontière intérieure marquée
par le Wadi Gaza, une « rivière »
composée de sources naturelles et
immense déversoir des eaux usées des
2 millions d’habitants du territoire, il
faut déjà se projeter sur un « après ».
Dans un processus plein de fureur, de
revanche et de vengeance mêlée, que
l’indiférence mondiale doublée du
doute devant la barbarie des exactions
terroristes du Hamas, qui le 7 octobre
visaient des civils dans des habitations
clairement identiiées et préalablement
repérées, incluant des assassinats, des
enlèvements, des actes de torture.
A la diférence du droit de la guerre,
il n’y a pas de « droit du terrorisme ».
Pas de crimes de guerre, juste des
crimes. Qui peuvent s’ajouter, mais pas
se cacher derrière des crimes de guerre
menés par des unités militaires et fai-
sant des victimes civiles collatérales ou
usant de moyens barbares contre des
militaires adverses. Les enfants enlevés
ou tués le 7 octobre vivaient dans les vil-
lages israéliens implantés dans les fron-
tières de 1967 reconnues par la dernière
«A la différence
du droit de la guerre,
il n’y a pas de ‘‘droit
du terrorisme’’»
version de la charte du Hamas, étaient
des cibles principales, délibérées,
préméditées. Le Hamas le proclame
et en difuse les preuves. A défaut de
croire Israël, croyons le Hamas quand il
l’avoue spontanément…
Il ne s’agit pas de marquer politi-
quement une organisation politique qui
défendrait les droits des Palestiniens de
Gaza, qu’il a pris en otages bien avant
les malheureux ralés la semaine der-
nière, mais bien d’en identiier la nature
morale. Terroriser volontairement,
directement, sciemment, des civils, est
du terrorisme. Point.
Chute. S’il est diicile, voire inau-
dible d’appeler Israël à la retenue, à la
maîtrise, au ciblage précis de son action
de représailles, il faut encore et toujours
essayer. Même si le camp de la paix a été
noyé dans le sang des exécutions som-
maires perpétrées par le Hamas, il faut
encore essayer de sauver les accords
d’Abraham et une stabilisation des
relations entre Arabes et Israéliens. Si
le Qatar peut encore sauver des otages,
l’Arabie saoudite détient la clé diplo-
matique majeure qui ne pourra pas
faire l’économie d’une solution pour les
populations palestiniennes devenues
pendant ces dernières années une
simple variable d’ajustement, permet-
tant à l’Iran de saboter toute initiative
de paix dans la région.
Il y aura un après Hamas. Comme
il y eut un après GIA, un après
al-Qaida. Ce fut toujours pire. Après
la vengeance, après les enquêtes qui
prouveront les intentions du Hamas et
les responsabilités déjà admises du gou-
vernement d’Israël qui devra rendre
des comptes à son peuple, il faudra bien
construire quelque chose qui dépasse
la haine intensiiée qui s’est répandue
et consolidée ces derniers jours. Et qui
restera pour longtemps.
Dans sa version cinématographique
qui marqua l’opinion il y a près de trente
ans, le public a souvent retenu une
phrase devenue « culte » : « l’important
ce n’est pas la chute, c’est l’atterris-
sage. » Ici, tout est dans la chute.
Alain Bauer est professeur au
Conservatoire national des arts et métiers.
Il vient de publier « Au commencement était
la guerre » (Fayard).
SIPA PRESS
16 octobre 2023 l’Opinion 3
Après une semaine de frappes très intensives, l’opération terrestre de Tsahal
dans le nord de la bande de Gaza pour neutraliser le Hamas semble « imminente »
Comment l’armée israélienne se prépare
à entrer à Gaza
Guerre
L’armée israélienne a annoncé dimanche
avoir ouvert un corridor humanitaire de
quelques heures ain que les habitants de
Gaza puissent évacuer vers le sud, alors
que ses troupes se préparent à une at-
taque terrestre contre l’enclave contrôlée
par le Hamas. Depuis les attaques menées le
week-end dernier, qui ont fait 1 400 victimes,
les forces israéliennes ont établi un siège total
de l’enclave, où 2,3 millions de Palestiniens
subissent des vagues de frappes aériennes
sans précédent ayant fait 2 329 morts.
Jean-Dominique Merchet
« Une offensive terrestre de grande ampleur
est imminente », annonçait, vendredi matin,
l’ambassadeur israélien en France Raphaël
Morav, sur Europe1/CNews, alors que l’armée
israélienne (Tsahal) venait de demander à la
population palestinienne d’évacuer le nord de la
bande de Gaza. Deux jours plus tard, l’ofensive
terrestre n’a pas encore été déclenchée, même
si des incursions ont eu lieu alors que les frappes
se poursuivent. Dès vendredi, un porte-parole de
Tsahal avait reconnu que cette évacuation pour-
rait prendre « quelques jours ». Pour l’ONU, « il
est impossible qu’un tel mouvement s’opère sans
des conséquences humanitaires dévastatrices ».
Israël a rejeté la demande des Nations unies
d’une suspension de son ultimatum.
L’objectif affiché par Israël est de détruire
déinitivement le Hamas. L’ultimatum d’évacua-
tion vise à permettre aux Israéliens de se couvrir,
moralement et juridiquement, par rapport aux
inévitables victimes civiles. Ils pourront expli-
quer, sans forcément convaincre, avoir fait le
nécessaire pour avertir la population du danger.
Et faire porter la responsabilité au Hamas. L’or-
ganisation terroriste a d’ailleurs demandé aux
habitants de ne pas tenir compte de cet appel
et de rester sur place. Des sources israéliennes
indiquent que le Hamas tente même de bloquer
ces déplacements.
Plus d’un million de personnes, résidant
dans la ville de Gaza et les communes alentour
sont concernées, soit environ la moitié de la po-
pulation du territoire. Alors que 400 000 habi-
tants avaient déjà quitté leurs foyers à cause des
frappes avant l’ultimatum, on comptait environ
un million de déplacés, dimanche. Les bombar-
dements ont déjà fait plus de 2 300 morts, selon
les autorités locales. Les Palestiniens ne peuvent
trouver refuge qu’au sein de la bande de Gaza, les
Egyptiens ne leur permettant pas de franchir la
frontière commune.
« Encager ». Selon toute vraisemblance, c’est
donc dans la partie nord de la bande de Gaza que
la première phase de l’opération terrestre devrait
avoir lieu. Il s’agit d’un secteur d’un peu plus de
100 km², l’équivalent de la superficie de Paris.
Logiquement, Tsahal devrait « encager » cette
zone, c’est-à-dire la couper du reste de la bande
L’objectif affiché par
Israël est de détruire
définitivement le Hamas
de Gaza, en occupant la partie moins densé-
ment peuplée entre la frontière et la mer, sur une
distance de moins de sept kilomètres. Ensuite,
l’armée israélienne devra pénétrer dans la zone
urbaine proprement dite de l’agglomération. Les
« règles d’engagement » des soldats israéliens ont
été assouplies, ce qui fait craindre de nouvelles
violations du droit humanitaire international.
Dans son communiqué, Tsahal indique que
« les terroristes du Hamas se cachent dans des
tunnels situés sous des maisons et dans des bâti-
ments habités par des civils innocents ». L’armée
israélienne a une forte expérience du combat
urbain et souterrain, mais ces opérations sont
parmi les plus diiciles.
SIPA PRESS
Des chars israéliens près de
la frontière de Gaza, le 13 octobre.
Cette nouvelle phase de l’opération « Glaives
de fer » intervient après neuf jours de frappes
intensives. Au cours de six premiers, l’armée de
l’air assure avoir lancé 6 000 bombes, soit 1 000
par jour. L’intensité de cette campagne est extrê-
mement élevée. A titre de comparaison, lors de
la bataille de Raqqa (Syrie) en 2017, contre Daesh,
les Américains avaient largué 4 000 munitions…
par mois. On ignore l’état des stocks de munitions
israéliens, mais Washington aura sans doute
beaucoup de mal à les recompléter, alors qu’il en
a déjà beaucoup fourni à l’Ukraine. Les combats
au sol en utilisent d’autres types, plus légers, et
certainement beaucoup plus disponibles. Mais
cela se paye par des pertes humaines.
L’armée israélienne a procédé à l’une des
plus importantes mobilisations de ses réser-
vistes : 360 000 ont été rappelés — soit 5 % de
la population juive du pays, puisque les Arabes
israéliens ne sont pas soumis à l’obligation du
service militaire. Cette situation ne pourra pas
perdurer des mois, sauf à paralyser la société et
l’économie israéliennes.
Fronts. Plusieurs dizaines de milliers
d’hommes et de femmes participent aux opé-
rations à Gaza, mais on ignore encore combien
pénétreront dans la bande, alors qu’il faudra
verrouiller la frontière, afin de maintenir le
siège total. Selon les derniers chifres fournis
par l’armée israélienne, 2 500 hommes étaient
parvenus à pénétrer samedi dernier en Israël,
dont 70 % de combattants du Hamas, les autres
étant des civils qui se sont engouffrés à leur
suite dans les dizaines de brèches du mur. Au
moins 1 500 ont été tués.
On estime que le Hamas aligne de l’ordre de
35 000 combattants. Depuis Gaza, l’organisation
islamiste poursuit ses frappes sur le sud d’Israël.
L’armée de l’air signale l’apparition de nouvelles
munitions, sans doute de fabrication iranienne
ou nord-coréenne.
Au-delà de Gaza, l’armée israélienne doit
surveiller deux autres fronts. Au nord, la ten-
sion reste vive face au Hezbollah libanais et à des
groupes palestiniens. L’arrivée de deux porte-
avions américains en Méditerranée est un signal
dissuasif envoyé à l’Iran et à ses alliés : en cas
d’attaque massive du Hezbollah contre Israël,
ce serait vraisemblablement l’US Navy qui se
chargerait de répliquer au Liban, voire en Syrie.
L’US Air Force a aussi déployé des avions de com-
bat F-15 en Jordanie.
Reste la Cisjordanie, où les colons peuvent se
livrer à des provocations, et Jérusalem-Est. Les
tensions y étaient très vives depuis des mois et
53 Palestiniens ont été tués la semaine dernière.
Le Hamas, et d’autres organisations comme le
FPLP, y disposent de cellules actives. Tsahal ne
peut donc se permettre de concentrer toutes ses
forces à Gaza.
@jdomerchetx

Le cavalier seul de Von der

Leyen agace les Européens
On croirait une Commedia dell’arte, c’est
tout simplement la scène européenne. Ce mar-
di, les Vingt-Sept se retrouveront en conseil eu-
ropéen exceptionnel en visioconférence pour
affiner leur position commune dans le conflit
entre Israël et le Hamas, après plusieurs épi-
sodes rocambolesques.
Dans le rôle-titre, Ursula von der Leyen.
Lors de la minute de silence des dirigeants des
trois institutions européennes mercredi dernier
à Bruxelles, la présidente de la Commission a
publié une photo de l’instant au cadrage serré,
faisant disparaître de l’image le président du
Conseil européen, Charles Michel. Puis vendredi
en Israël, elle a soutenu le pays sans l’inviter à res-
pecter le droit international à Gaza, alors que les
ministres des afaires étrangères de l’UE et l’ONU
se sont inquiétés de l’impact sur les civils palesti-
niens de l’ofensive israélienne contre le Hamas.
Pour la dirigeante allemande, il était dépla-
cé, alors qu’on découvre encore l’ampleur des
atrocités commises par le Hamas, de donner
des injonctions publiques à l’Etat hébreu. Son
soutien sans faille a d’ailleurs été apprécié par
la mission israélienne à Bruxelles, qui, a contra-
rio, ne commente pas les avertissements du
chef de la diplomatie euroépenne Josep Borrell.
Ce dernier a déclaré qu’Israël enfreignait déjà
le droit international en coupant l’eau, l’énergie
et la nourriture à Gaza.
Sous-entendus. Ursula von der Leyen
assume ne parler qu’en son nom et au nom du
Collège des Commissaires européens, a rappe-
lé son porte-parole vendredi. Mais elle risque
d’amplifier la cacophonie européenne sur le
sujet. Pour la présidente des Socialistes et Dé-
mocrates au Parlement européen, Iratxe Gar-
cía, Ursula von der Leyen « a le devoir de repré-
senter la position de l’Union comme un tout, y
compris ses Etats membres », dit-elle à Politico.
Sur X, l’eurodéputée Renew Nathalie Loiseau
rappelle que la présidente de la Commission
« n’a pas la charge de la politique étrangère
de l’UE ». A l’Elysée, on souligne qu’Ursula
von der Leyen ne reflète pas la position des
Etats membres, qui « a été exprimée par Josep
Borrell. Ce qui importe dans la phase actuelle
est d’avoir une voix européenne extrêmement
cohérente et claire dans ses principes », ajoute-
t-on à Paris. Depuis la Chine où il est en dépla-
cement, Josep Borrell a rappelé que la politique
étrangère commune est « intergouvernemen-
tale et non du ressort de la Commission ».
« Le pouvoir lui est monté à la tête, elle est
totalement à côté de la plaque par rapport aux
Etats membres. Peut-être qu’ils devraient recon-
sidérer son second mandat », écrit sur X Mujtaba
Rahman, directeur en Europe du cabinet de
« Le pouvoir lui est monté
à la tête, elle est totalement
à côté de la plaque
par rapport aux Etats
membres. Ils devraient
peut-être reconsidérer son
second mandat »
conseil en risques politiques Eurasia Group.
Finalement, après s’être entretenue avec le se-
crétaire général des Nations Unies António Gu-
terres, Ursula von der Leyen a annoncé samedi
tripler l’aide humanitaire à Gaza et encourager le
respect du droit international.
Dans la soirée, Charles Michel a convoqué
un conseil européen dans une lettre semblant
remplie de sous-entendus critiques à l’encontre
de la Commission, notamment que la « pre-
mière priorité » européenne est le respect du
droit international. Dimanche, il a publié une
courte déclaration commune au nom des Vingt-
Sept. « L’UE vient de vivre sa pire semaine en
manière de politique étrangère depuis le début
de la guerre en Ukraine, écrit Ricardo Borges de
Castro, directeur associé du Centre de politique
européenne, dans une tribune sur Euractiv. La
Commission européenne, censée être géopoli-
tique, est devenue géo-endommagée et le pire
est probablement à venir ».
Jade Grandin de l’Eprevier
@JadeGrandinx

4 l’Opinion 16 octobre 2023


Think again
Eric Le Boucher
L’extrémisme, c’est la guerre
Jean-Luc Mélenchon, luttant pour
ne pas qualiier le Hamas de terroriste, a
perdu de son aura auprès des médias et
peut-être un peu auprès des électeurs de
gauche. Il a ini, ce coup-ci, de détruire la
Nupes et il va libérer la gauche de sa coupe
et de sa logique extrémiste. Mais ce n’est
pas si certain. Pourquoi ? Parce que la
logique absolutiste domine actuellement
les pays et le monde.
La multiplication des crises clima-
tiques, sociales, géostratégiques et
technologiques provoque une peur, une
angoisse et un désarroi qui poussent,
« tous ensemble », au messianisme. Les
opinions sont séduites par les extrêmes de
gauche et de droite tandis que le milieu,
l’esprit de compromis, le progressisme, la
démocratie et l’optimisme sont délaissés
comme trop lents, trop mous, impuissants
et pire : dépassés.
Cette logique politique fait la passion
terrasser la raison et la vertu supplanter
l’intérêt. Elle est à l’œuvre partout. Depuis
la Chine où Xi Jinping a rompu avec la
ligne « économique » de Deng Xiaoping
parce qu’il considère que la survie du
Parti communiste est plus importante
que le bien-être du peuple. En Russie
bien entendu, où Vladimir Poutine s’est
perdu dans la recherche utopique de la
Grande Russie. En Turquie, où Recep
Erdogan séduit encore malgré ses échecs.
En Israël, où Benjamin Netanyahu ruine
le fondement humaniste des valeurs de
son pays, casse la justice pour se sauver
de poursuites personnelles et laisse les
« suprémacistes » multiplier les colonies.
A Gaza, où le Hamas utilise les Palestiniens
comme des pions pour mener sa lutte de
destruction des Juifs.
Cette logique, nous la connaissons
bien en France pour l’avoir, sinon
inventée, du moins appliquée en grand,
sous la Terreur en 1793. En mai de cette
année-là, les menaces se multiplient
comme aujourd’hui les crises : Lyon est
passée aux mains de la contre-Révolution,
la Vendée s’arme, les armées étrangères
envahissent le pays. La Révolution est
assiégée. La Convention cède à la force
des « sections » parisiennes, c’est-à-dire
à la rue manipulée. Robespierre exige
un absolu des citoyens : « L’amour de
la patrie et de la vérité. » Cette « vertu »
trace la ligne de départage entre le bien
et le mal et elle autorise la suspension
« provisoire » du droit. En particulier des
droits de l’homme, « jusqu’à la victoire »
dira Saint-Just.
Engrenage. Le fondement du « gou-
vernement révolutionnaire » est devenu
« moral », écrit François Furet, dans une
analyse rendue d’une criante actualité
par le « populisme » de nos extrémistes :
« Le peuple est institué en roi, il n’a qu’un
« L’extrémisme est une
machine maximaliste.
Si la Révolution
est en difficulté,
c’est qu’elle ne tranche
pas assez de têtes,
il faut arrêter “même
des hésitants”,
dira Saint-Just.
Si l’idéologie est
en échec, c’est parce
qu’elle n’est pas assez
“pure” et sa main
pas assez forte »
seul corps, sa souveraineté est indivisible.
Cette culture politique ne laisse pas la
moindre place à l’expression légale du
désaccord, encore moins du conlit. »
C’est l’engrenage, le « gouvernement
révolutionnaire » arrête les Girondins, le
comité de salut public tranche leur tête
puis celle des « indulgents » et des « sus-
pects ». Sur le plan économique, il crée la
commission des subsistances (nationalisa-
tion avant l’heure) et mène la chasse aux
« accapareurs ». On retrouve, clairement
ici, l’inspiration du programme écono-
mique de LFI.
L’extrémisme est une machine maxi-
maliste. Si la Révolution est en diiculté,
c’est qu’elle ne tranche pas assez de têtes,
il faut arrêter « même des hésitants », dira
Saint-Just. Si l’idéologie est en échec, c’est
parce qu’elle n’est pas assez « pure » et sa
main pas assez forte. La logique est celle
de la guerre, la guerre civile et la guerre
extérieure. Il faudra en France attendre
1795 et Thermidor pour que la même
Convention coupe la tête de Robespierre
et mette in à la Terreur. « La Révolution
quitte alors les rivages de l’utopie pour
redécouvrir le poids des intérêts », pour-
suit François Furet. L’économie sort de
l’opprobre. Le désaccord et le compromis,
le droit et la démocratie, retrouvent la
première place dans la République.
Combien de temps va durer la Terreur
au Moyen-Orient, en Russie, ailleurs ?
Combien de temps mettra la vague popu-
liste dans les pays développés pour se
« Les peuples
sous le joug doivent
supporter qu’on
les affame au nom
de la pureté russe
ou islamiste. Ils n’ont,
jusqu’au jour
de leur Thermidor,
pas le choix »
briser sur les murs de la réalité ? Combien
de temps la démocratie va-t-elle encore
reculer sur la planète ?
La réponse ne se résume pas à l’éco-
nomie, certainement pas. Mais quand
même. La rue qu’elle soit parisienne ou
arabe veut d’abord manger. Et, c’est là
qu’est la contradiction fondamentale de
l’extrémisme qui se dit pour le peuple :
cette culture est par nature inapte en éco-
nomie. On peut refuser le débat politique
et museler son adversaire, mais on ne peut
pas longtemps se passer du débat entre
le vendeur et l’acheteur. La mécanique
extrémiste est contraire à la mécanique
marchande qui est celle du compromis.
La mise au-dessus de tout de la « vertu »
amène inévitablement à la fraude dans
toute communauté humaine qui veut
nourrir ses enfants quand sont imposées
les pénuries et l’assiette vide.
Pauvreté. Le combat du Hamas
contre Israël et, au-delà, contre l’Occi-
dent, en apporte une implacable démons-
tration. Le niveau de vie dans la bande de
Gaza sous sa coupe depuis 2007 est tombé
à un quart de ce qu’il est en Cisjordanie.
La pauvreté absolue y touche 55 % de la
population contre 14 % à Ramallah. Le chô-
mage y est de 43 % (70 % chez les jeunes)
contre 13 % ; il monte à Gaza et baisse à Ra-
mallah. La divergence des résultats entre
l’organisation radicale terroriste Hamas et
ceux du Fatah, qualiié par les islamistes
et leurs alliés de « mou », d’« indulgent » et
de « suspect », est béante.
On peut arguer que les conditions sont
très diférentes et que les privations impo-
sées par les Israéliens le sont aussi. C’est
vrai, comme il est vrai que le Fatah est très
critiquable. Mais Gaza a été prospère et les
aides versées de toutes parts (7,7 milliards
de dollars entre 2008 et 2010) auraient
pu, auraient dû, améliorer le sort des
Palestiniens. Mais pour enrichir ses diri-
geants, le Hamas a fait des investissements
lamentables (dans des centres aquatiques
de loisir, par exemple !), il se moque du sort
réel des habitants au motif supérieur qu’ils
doivent être « vertueux » pour l’amour de la
patrie et de dieu. Seule la guerre compte.
Les peuples sous le joug doivent
supporter qu’on les afame au nom de
la pureté russe ou islamiste. Ils n’ont,
jusqu’au jour de leur Thermidor, pas le
choix. Mais les pays développés l’ont et
l’heure est venue de voir la ruine violente
de l’extrémisme de gauche et de droite.
@EricLeBoucherx
JEAN-FRANÇOIS PAGA
En dépit des mesures d’embargo
qui frappent le pays, les recettes pétrolières
ont atteint un sommet le mois dernier
Pétrole, gaz : l’énergie reste
le trésor de guerre de la Russie
Tirelire
Dans son dernier rapport mensuel,
l’Agence internationale de l’énergie
constate que la cherté du pétrole a dé-
truit une partie de la demande. Notam-
ment aux Etats-Unis où la consommation
d’essence est tombée à son plus bas niveau
depuis deux décennies. L’agence souligne
aussi la hausse des recettes pétrolières de
la Russie, qui peut toujours compter sur sa
tirelire énergétique.
Muriel Motte
La puissance énergétique russe n’est pas
terrassée. Le mois dernier, Moscou a enregis-
tré un montant de recettes inconnu depuis
juillet 2022 grâce à son or noir. Le pays a
encaissé 18,8 milliards de dollars au titre de
ses exportations pétrolières, soit un bond
de 1,8 milliard sur un mois. Le dernier rapport
de l’Agence internationale de l’énergie (AIE)
précise que les ventes de produits pétroliers
ont progressé de 460 000 barils par jour
pour atteindre 7,6 millions de barils, dont un
gain de 250 000 barils supplémentaires pour
le seul brut.
Ni l’arsenal des sanctions occidentales,
ni les engagements pris par le pays dans le
cadre de l’Opep+ n’ont tué la poule aux œufs
d’or. Dans le cadre du cartel des producteurs,
la Russie avait annoncé qu’en plus d’avoir
accepté de réduire sa production pétro-
lière de 500 000 barils par jour (b/j) jusqu’à
fin 2024, elle réduirait volontairement ses
exportations de 500 000 b/j en août, soit envi-
ron 5 % de sa production, et de 300 000 b/j en
septembre, un engagement inalement prolon-
gé jusqu’à la in de l’année. Dans les faits, des
estimations préliminaires montrent que ces
ventes à l’étranger ont seulement baissé d’envi-
ron 100 000 barils/ jour comparé à la moyenne
de mai-juin, estime l’AIE. Des données que
contestera probablement la Russie – le pays,
tout comme l’Opep, étant régulièrement en
bisbilles avec les données de l’Agence.
Raté. Quant aux clients occidentaux de
Moscou, le G7, l’Australie et l’Union euro-
péenne, ils imposent depuis décembre 2022 un
plafonnement du prix du pétrole russe : seul le
brut vendu à un prix égal ou inférieur à 60 dol-
lars le baril peut continuer à leur être livré. De-
puis février dernier, l’Europe applique en plus
SIPA PRESS
Un champ de pétrole
au Tatarstan, en Russie.
Sobriété forcée. Comment réduire la puissance
électrique pour limiter le risque de coupure
Mieux vaut prévenir que guérir. Après
le stress autour d’un éventuel « black-out »
l’hiver dernier, le ministère de la Transition
énergétique travaille sur un projet de décret
ain d’expérimenter cet hiver une « limitation
temporaire » de la consommation d’électricité
concernant jusqu’à 200 000 clients résiden-
tiels équipés de compteurs Linky. Le texte doit
être présenté au Conseil supérieur de l’Ener-
gie le 26 octobre. Un test devrait avoir lieu d’ici
à la in mars 2024, à un moment où le réseau
sera particulièrement sollicité. L’objectif est de
réduire la puissance disponible à 3 kilovoltam-
pères (kVA) – elle est généralement de 6 kVA
dans les foyers – pendant quatre heures
un embargo sur les produits rainés (essence,
diesel, fioul, kérosène…). Mais tous ces méca-
nismes sont manifestement très poreux. Non
seulement les ventes sont dynamiques, mais,
selon l’AIE, le prix moyen pondéré à l’expor-
tation du brut russe a augmenté de 8 dollars le
mois dernier. Il a atteint 81,80 dollars par baril,
et sa décote par rapport au pétrole de mer du
Nord n’est plus que de 12,20 dollars. C’est le plus
bas niveau jamais constaté depuis mars 2022,
c’est-à-dire le début de la guerre en Ukraine.
L’an dernier, l’Agence internationale de
l’énergie avait prédit que de sévères sanctions
occidentales entraîneraient un efondrement
des exportations énergétiques russes, rap-
pellent les observateurs de marché. C’est raté.
Les deux grands clients de Vladimir Poutine,
la Chine et l’Inde, font i de toutes les mesures
Dans le cadre du plan
RepowerEU, Bruxelles
espère toujours
affranchir le Vieux
continent du gaz russe
à partir de 2027
de restriction, et réexpédient ensuite sur les
marchés mondiaux une partie de la cargaison
raffinée. L’Inde notamment est devenue une
véritable plaque tournante des hydrocarbures
russes. « L’importation en Europe de diesel et
d’essence fabriqués en Inde à partir de pétrole
russe consiste assurément en un contourne-
ment des sanctions, et les Etats membres
doivent prendre des mesures », a averti Josep
Borrell, le haut représentant de l’Union euro-
péenne pour les Affaires étrangères en mai
dernier, sans grand efet pour le moment.
Méga-contrat. Selon les données d’Euros-
tat, la Russie qui était le principal fournisseur
pétrolier de l’Europe (15,9 % du total des impor-
tations) au deuxième trimestre 2022 a vu son
poids – oiciel – fondre au douzième rang un an
plus tard (2,7 %). La réalité est certainement dif-
férente. Dans le gaz, le pays n’a pas disparu du
paysage européen, mais sa présence s’est sensi-
blement allégée. Entre la douceur de l’hiver, la
mise hors d’usage des gazoducs Nordstream 1
et 2 et la volonté de diversifier ses sources
d’approvisionnement, le Vieux continent a
importé en moyenne 2,5 millions de tonnes de
gaz russe par mois au deuxième trimestre 2023
contre 5,1 millions de tonnes en moyenne un an
plus tôt. Mais, avec une part de marché proche
de 14 %, la Russie est encore le quatrième four-
nisseur européen. Elle est même numéro deux
en matière de gaz naturel liquéié (GNL, 12,4 %
des importations européennes), très loin, il est
vrai, derrière les Etats-Unis (46,4% au deuxième
trimestre, toujours selon Eurostat).
D a n s l e c ad re d u p l a n Re p owe r E U,
Bruxelles espère toujours afranchir le Vieux
continent du gaz russe à partir de 2027. En
matière de GNL, le Qatar devrait assez rapide-
ment supplanter Moscou. TotalEnergies vient
de conclure un méga-contrat à 27 ans avec ce
grand producteur du Moyen-Orient. A comp-
ter de 2026, la compagnie nationale QatarE-
nergy livrera jusqu’à 3,5 millions de tonnes
de GNL par an à la France. La diversification
des sources implique aussi de ne pas trop dé-
pendre du puissant partenaire américain…
@murielmottex
maximum chez les Français concernés, qui
seront prévenus assez tôt par courrier. Cette
puissance est suisante pour faire fonctionner
les équipements courants peu énergivores,
prévient Enedis, chargé de veiller à l’équilibre
permanent du réseau électrique.
A côté des eforts de sobriété demandés
aux ménages et aux entreprises, ce test fait
partie des pistes étudiées pour alléger le
système en période de pointe et préserver son
bon fonctionnement. Dans la même veine,
l’Etat encourage les Français à recourir à des
abonnements dont les tarifs sont variables
selon les pics de consommation et selon les
jours de l’année.
16 octobre 2023 l’Opinion 5
Le besoin d’unité nationale plaide pour le dialogue. Mais la bataille autour de l’Agirc-Arrco
risque de rendre la relation moins fluide entre le gouvernement et les partenaires sociaux
Conférence sociale, l’agenda troublé
d’Emmanuel Macron
Tensions
Dans la nuit du 30 au 31 août, Emmanuel
Macron promet une conférence sociale.
Le 5 octobre les partenaires sociaux signent
un accord sur l’Agirc-Arrco. Le 16 octobre,
Elisabeth Borne ouvre la conférence
sociale au Conseil économque social
et environnemental.
Corinne Lhaïk
Un temps, après l’assassinat de Dominique
Bernard à Arras, la tenue de la conférence so-
ciale est remise en question. Elle est inalement
maintenue. « Nous ne pouvons pas céder, ni
mettre notre pays à l’arrêt face au terrorisme »,
dit Elisabeth Borne dans La Tribune dimanche.
Le choc terroriste incite à la concorde plus qu’à
la discorde, mais les irritants n’en disparaissent
pas pour autant. La bataille autour de l’Agirc-Ar-
rco sera dans les têtes, même si le sujet ne igure
pas sur la table.
La Première ministre veut placer l’événe-
ment sous le signe de l’unité, comme le furent
les Rencontres de Saint-Denis. Dans la soirée
du 30 août, le Président réunit onze chefs de par-
tis politiques pour trouver des sujets de consen-
sus. Aux petites heures du 31 août, les convives
n’ont qu’une envie : dormir. Déjà, François Bay-
rou se lève, prêt à partir : « Ce serait bien d’aller
se coucher », dit le président du MoDem. Deux
combattants gardent l’œil vif et la langue bien
pendue. Fabien Roussel et Emmanuel Macron :
le secrétaire national du PCF ouvre le feu sur le
blocage des prix. Le Président, tutoyant Roussel,
riposte dans une tirade longue et implacable : ce
serait une erreur fatale.
Le communiste ne lâche pas : et l’indexation
des salaires ? L’inspecteur des inances Macron
dégaine à nouveau sa démonstration, toujours
longue et implacable. Puis, vertu de la nuit, de
la fatigue, ou de l’improvisation, il lance : « On va
faire une conférence sociale ! » Certains partici-
pants ont à peine entendu la proposition.
« Slip léopard ». A 7 heures du matin, Fa-
bien Roussel appelle Marylise Léon. « Je t’ai réglé
un problème. » Il informe la secrétaire géné-
rale de la CFDT de l’existence de la conférence
sociale. Elle est surprise, mais elle prend : qui
Les exonérations de charges
au centre des débats
Les syndicats n’auront finalement pas fait
monter la sauce pour rien. La conférence so-
ciale, annoncée de longue date, aura bien lieu
ce lundi comme prévu, malgré les doutes suite
à l’attentat survenu à Arras vendredi, juste
avant une marche européenne « contre l’aus-
térité » peu mobilisatrice. Le sujet principal de
ce grand raout très attendu est celui des allège-
ments de charges accordés aux entreprises. Il
cristallise les espoirs de l’intersyndicale et les
craintes du patronat.
Cette conférence sociale est destinée à
comprendre et démonter le mécanisme de
« trappe à bas salaires », pour que la rémunéra-
tion joue son rôle de rempart contre l’érosion
du pouvoir d’achat des Français face à l’inla-
tion. L’un des facteurs qui semblent le nourrir
sont les allègements de cotisations accordées
aux entreprises pour leurs salariés rémunérés
autour du smic. La mesure, conçue dans la pé-
riode de chômage de masse des années 1980,
n’incite pas les entreprises à augmenter les
salaires, arguent les syndicats.
Autre élément mis à l’agenda par l’exé-
cutif, l’usage de la prime d’activité. Son effet
désincite à augmenter les salaires, par le jeu
de « vases communicants » : plus le salaire est
faible, plus la prime est élevée, moins le salarié
voit l’intérêt à aller chercher une augmenta-
tion de salaire… Le dispositif est, par ailleurs,
inancé par des comptes publics actuellement
sous tension.
Le projet de la conférence sociale a aussi
en ligne de mire la mollesse des négociations
dans certaines des 171 branches profession-
nelles qui régissent les entreprises en France.
Elles doivent tenir à jour leur grille de classi-
fication, qui détaille les différents postes, et
celle des salaires, qui leur afecte à chacun une
rémunération minimum. Les représentants
syndicaux et patronaux ne négocient pas tous
à la même vitesse, si bien que certaines grilles
6 l’Opinion 16 octobre 2023
Emmanuel Macron lance l’idée de la conférence sociale lors des Rencontres
de Saint-Denis, dans la nuit du 30 au 31 août.
aurait dit que le Président hostile à ces grands-
messes en deviendrait l’adepte ? En juillet 2017,
le nouvel élu organise une réunion à l’Elysée.
« Comment faire passer les ordonnances sur
La conception que le
Président se fait du social
est percutée. Pour lui,
l’essentiel est le travail
qui permet d’augmenter
la croissance et de
dégager des richesses
pour financer le reste
le droit du travail ? » demande-t-il à ses conseil-
lers. « Une conférence sociale », propose l’un
d’entre eux. Riposte du successeur de François
se font vieilles, très vieilles. Dans la branche
caoutchouc, la classiication date de 1984 : on y
retrouve donc le poste de dactylo…
Efets de bord. De manière générale, les
salaires les plus bas se font rattraper, au fur et
à mesure que le smic augmente mécanique-
ment sous le coup de l’inflation. Les syndi-
cats voient un outil central à cette tendance à
l’écrasement : les exonérations de cotisations
accordées aux entreprises. Comprendre leur
interaction avec la prime d’activité et mieux les
répartir, réduire ou suspendre ces allègements
aux entreprises placées dans les branches
dont les grilles ne sont pas à jour, mais aussi
les conditionner à d’autres facteurs comme la
localisation de l’emploi ou l’efort de transition
écologique… la liste des doléances syndicales
est longue comme le bras.
Le programme n’enchante pas le patronat,
dont le chef de ile Patrick Martin s’est réair-
mé « évidemment frontalement opposé à toute
conditionnalité et toute remise en cause des
exonérations de charges », mercredi dernier
devant des journalistes réunis par l’Ajis.
Les effets de bord des exonérations de
cotisations restent difficiles à déterminer de
manière précise. La demande de la CFDT de
créer une « commission bas salaires », sorte
d’observatoire des basses rémunérations qui
permettrait d’y voir plus clair, semble avoir fait
son chemin. Elisabeth Borne a annoncé, dans
un entretien accordé à La Tribune Dimanche,
la création d’un « Haut conseil des rémunéra-
tions ». Pour le reste, l’ensemble des partenaires
sociaux, patronat comme syndicats, restent
prudents quant à la volonté réelle de l’exécutif
d’entendre leur voix. Le sujet de la conférence
sociale est celui des bas salaires, mais son rôle
est, d’abord, celui d’un test politique.
Sarah Spitz
@sarah_spritzx
SIPA PRESS
Hollande : « Je ne veux pas me retrouver en slip
léopard dans la cour de l’Elysée comme le gars
qui était là avant. »
Autres temps, autres vêtements. Pour soi-
gner les plaies de l’après retraites, Emmanuel
Macron accepte ce rituel. S’il avait suivi ses
intuitions et ses analyses, ce rendez-vous ne
serait pas troublé par la question des retraites
complémentaires. Le Président a toujours
pensé que le paritarisme donnait trop de pou-
voir aux partenaires sociaux sur les retraites (ils
gèrent l’Agirc-Arrco). Il voulait fusionner tous
les régimes en un système universel : dans un
tel cadre, la bataille d’aujourd’hui n’aurait pas
lieu. Il voulait aussi une nouvelle gouvernance
de l’assurance-chômage, pour la clariier et évi-
ter la situation qui se proile : une ponction sur
les comptes de l’Unedic comme celle envisagée
sur l’Agirc-Arrco. La conception même que le
Président se fait du social est percutée. Pour lui,
l’essentiel est le travail qui permet d’augmenter
Hausses d’impôts : les sueurs
froides du patronat
Le patronat commence à sérieusement s’in-
quiéter, tant les nouvelles iscales s’accumulent
pour les entreprises. En Ile-de-France, le pla-
fond du versement mobilité devrait augmenter
pour inancer l’augmentation d’ofre de trans-
port dans la région. « Ce n’est pas une paille,
car son assiette repose sur la masse salariale »,
souligne-t-on du côté des grandes entreprises.
Leur crainte est de voir la hausse être étendue
ailleurs. « Il y a un risque majeur, vu comment
cela se passe au Parlement, de déplafonnement
partout en France. »
Il y a aussi cet arrêté de la Cour de cassation
du 13 septembre qui établit que les salariés en ar-
rêt maladie continuent à accumuler des droits à
congé pendant cette période, conformément au
droit européen. Une décision qui va à l’encontre
« Ça se passe
incroyablement mal
à l’Assemblée nationale »
de ce que prévoit le Code du travail hexagonal.
« On chifre cela à deux milliards d’euros » pour
les entreprises, conie une source patronale.
L’ambiance dans laquelle a débuté l’examen
du projet de loi de finances 2024 en commis-
sion des inances au Palais Bourbon la semaine
dernière ne fait rien pour rassurer les repré-
sentants des entreprises. Beaucoup d’amende-
ments augmentant les prélèvements qui pèsent
sur ces dernières ont été adoptés. « Ça se passe
incroyablement mal à l’Assemblée », insiste
notre source patronale.
Ligne rouge. Sur proposition du député
Renaissance Daniel Labaronne, les élus ont voté
la suppression, d’ici à deux ans, en 2026, du
« pacte Dutreil ». Ce dispositif prévoit des exo-
nérations iscales de 75 % de la valeur des titres
cédés lors d’une donation ou d’une succession
la croissance et de dégager des richesses pour
financer le reste. Il a mené deux réformes de
l’assurance-chômage (tordant le bras des syn-
dicats) et réformé la partie Sécurité sociale des
retraites ain d’inciter au travail et de remplir les
caisses publiques.
La situation est contradictoire. Les par-
tenaires sociaux sont maîtres chez eux, mais
l’Agirc-Arrco fait partie des comptes publics,
soumis aux règles européennes. « Que des
acteurs privés ixent un niveau de dépenses et
donc de déicit potentiel inclus dans le périmètre
des critères de Maastricht, c’est un truc de fou »,
s’exclame un ministre de poids. L’argument est
aussi politique : qui l’opinion publique rend-elle
responsable du paiement des retraites, de la pré-
carité des chômeurs ou de leur nombre ? Plai-
dable sur le fond, l’afaire s’est mal emmanchée.
Un temps, le gouvernement pense qu’une en-
tente est possible avec le Medef et la CFDT. Mais
l’arrivée de nouvelles têtes change la donne.
Fébrile. Côté patronal, Patrick Martin suc-
cède à Geofroy Roux de Bézieux. L’étalement
de la baisse de la CVAE (impôt de production),
la ponction prévue de l’Unedic, le lancement
d’une conférence sur les salaires, le mettent
hors de lui. Il trouve une alliée : Sophie Binet,
nouvelle secrétaire générale de la CGT. Au sein
du duo CFDT-CGT, le rapport de force s’inverse.
Laurent Berger exerçait le leadership face à un
Philippe Martinez au demeurant consentant.
Sophie Binet, elle, s’impose face une Marylise
Léon plus discrète et raisonnable.
Pour puiser dans les excédents de l’Agirc-Ar-
rco, le gouvernement avait besoin d’un accord.
Il ne l’a pas : le 5 octobre, les partenaires sociaux
décident de redistribuer les excédents convoi-
tés aux retraités. Précision : la CGT n’a pas signé
le texte à ce stade. Elle se prononce le 25 oc-
tobre. Le gouvernement envisage alors l’autre
option possible : le passage par la loi (le PLFSS).
Olivier Dussopt, ministre du Travail, Thomas
Cazenave, ministre délégué aux Comptes pu-
blics, Olivier Véran, porte-parole du gouver-
nement, Marc Ferracci, député Renaissance,
montent au front. De son côté, le lobbying du
Medef s’exerce avec succès sur les oppositions,
LR en particulier. L’Elysée est fébrile. A quand
une conférence sociale sur… le paritarisme ?
@clhaikx
afin de préserver les entreprises familiales. Il
s’agit d’appliquer la loi de programmation des
inances publiques qui prévoit de borner dans
le temps les niches iscales.
Autre mauvaise nouvelle : la majoration
du prélèvement forfaitaire unique, augmenté
de 30 % à 35 % sur « les revenus distribués par
les grandes entreprises supérieurs à 20 % à la
moyenne des revenus distribués entre 2017
et 2021 ». Cette fois avec le soutien du MoDem.
Le scenario s’est répété avec la taxe sur les ra-
chats d’actions de 1 % sur la valeur de l’opération
proposée par le MoDem pour les entreprises fai-
sant plus d’un milliard de chifre d’afaires.
Quant au prélèvement exceptionnel sur les
pétroliers, il a été prolongé d’un an. La disposi-
tion était portée par les députés Renaissance,
malgré la réticence de Bercy, qui préfère pré-
server le plafonnement des prix à 1,99 euro à la
pompe par TotalEnergies. Le pétrolier a menacé
d’y mettre un terme en cas de renouvellement
de la taxation exceptionnelle… Le texte entier
a fini par être rejeté en commission. Et même
si les amendements en question devaient être
adoptés en séance, le gouvernement pourrait
les écarter dans la version qu’il devrait impo-
ser par 49.3. La pression s’accentue pour faire
contribuer davantage les grandes entreprises.
D’autant que l’exécutif est à la recherche
d’économies ou de recettes supplémentaires
pour compenser le manque à gagner lié à
l’accord entre le Medef et les syndicats sur les
retraites complémentaires. Une piste évoquée
dans les allées du pouvoir serait de supprimer les
allègements de charges sur les salaires compris
entre 2,5 et 3,5 smic. Ce serait une ligne rouge
absolue pour le patronat. Ce n’est pas le scena-
rio privilégié. « Qu’ils ne viennent pas pleurer si
on va chercher des économies sur leur champ »,
prévient une source gouvernementale.
Marc Vignaud
@mvignaudx
 La fabrique de Europa
Manfred Weber
L’invité du 8 Bellini
L’UE doit
se montrer
« Une époque Gutenberg s’achève, intraitable
avec le Hamas
une autre époque s’est amorcée »
Bruno Patino : « En développant Arte.tv, nous voulions aller
chercher les gens dans les usages qui sont les leurs. Le site comptait
2 milliards de vues en 2022, et 1 milliard au premier semestre 2023 » Il y a une semaine, le monde décou-
vrait horriié les images de l’attaque
barbare du Hamas en Israël. Des scènes
insoutenables, venues d’un autre âge.
Je veux ici avoir un mot pour toutes les
familles des victimes et toutes celles qui

B
runo Patino préside Arte GEIE
(Arte France + Arte Allemagne)
depuis janvier 2021. La chaîne
franco-allemande compte
aujourd’hui 2,9 % de parts
d’audience, mais Arte.t v,
service de streaming gratuit
d’avant-garde, atteint des sommets de popula-
rité, y compris auprès des jeunes. Ce spécialiste
des médias et des questions numériques publie
Submersion (Grasset).
Près de trois ans après votre arrivée à la tête
d’Arte, quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?
Il y a des éléments de continuité depuis sa
création il y a trente-deux ans : c’est une chaîne
binationale, européenne. Et aussi une chaîne
culturelle, au sens allemand du terme, la kul-
tur, la vie des idées, un regard sur le monde. J’y
travaille depuis huit ans et demi. J’ai d’abord été
directeur éditorial sous la présidence de Véro-
nique Cayla. Quand je suis arrivé, j’avais deux
chantiers prioritaires : rendre les programmes
plus éclectiques, et développer la plateforme
d’Arte, ainsi que les chaînes sociales [sur les ré-
seaux sociaux]. Cela passait par trois axes com-
plémentaires : développer la chaîne linéaire (dif-
fusion en direct), la plateforme Arte.tv, ainsi que
les chaînes sociales, en particulier sur YouTube.
Nous avons développé ces priorités depuis 2020.
Le chantier le plus abouti est celui d’Arte.tv,
une plateforme de streaming gratuit lancée
par Arte en 2017…
En développant cette plateforme, nous
voulions aller chercher les gens dans les usages
qui sont les leurs. Arte.tv comptait 2 milliards
de vues en 2022, et 1 milliard sur le premier
semestre 2023. Et l’image d’Arte est plus forte
que jamais ! Selon le baromètre Image 2023 des
marques audiovisuelles publié par l’Ifop, nous
sommes à égalité avec TF1 comme marque audio-
visuelle préférée des Français. Concernant notre
plateforme de streaming Arte.tv, nous sommes
troisième, presque à jeu égal avec Disney (à 7,4),
qui talonne Netflix (à 7,9). Les téléspectateurs
reconnaissent ainsi notre singularité sur les meil-
leures plateformes de streaming. Cela montre
aussi qu’Arte a une vraie place dans la vie des
gens : nous cherchons à accentuer notre côté
« atelier sur mesure », alors que le secteur est de
plus en plus dominé par des géants technolo-
giques (Netlix, Amazon Prime Video) – même si
Arte travaille avec ces acteurs.
C’était une plateforme de streaming
de cinéma avant l’heure. Ce que commencent
à faire d’autres chaînes hertziennes…
Arte a toujours eu un lien fort avec le cinéma,
entre autres avec sa politique de coproduction
du cinéma d’auteur. La plateforme de streaming
est un moyen d’augmenter l’écho des œuvres.
On le fait par des négociations de gré à gré. L’idée
de proposer des films uniquement sur Arte.tv,
nous avons fait cela avant tout le monde : nous
avions déjà des films proposés en replay après
leur difusion en direct, puis nous avons adopté
une démarche plus éditorialisée. A ce jour, en-
viron 60 % de notre ofre est composée de pro-
grammes uniquement numériques. Nous fai-
sons parfois des acquisitions uniquement pour
la plateforme. Par exemple, nous pouvons dif-
fuser deux ilms d’Eric Rohmer en direct, et pro-
poser un cycle Rohmer sur Arte.tv avec d’autres
ilms en plus.
Pour Arte.tv, quand la bascule s’est-elle faite ?
En 2020. Lors des coninements liés à
la Covid-19, nous avons commencé
à proposer sur Arte.tv des saisons
intégrales de séries, comme sur les plateformes
[type Netlix], puis un à deux mois avant leur dif-
fusion à l’antenne. Ensuite, nous avons imaginé
des cycles, comme au cinéma – comme le cycle
British Décalé autour de séries britanniques.
Coïncidence, cela survenait en plein Brexit. Il est
certain que la Covid et les coninements ont joué
un rôle dans le décollage de l’audience d’Arte.
tv. Mais c’est surtout la diffusion de la série En
thérapie, d’Olivier Nakache et d’Eric Toledano,
qui a fait décoller nos audiences de façon stra-
tosphérique : cette série, qui met en scène des
séances de thérapie, était fondée sur l’écoute au
moment où tout le monde vivait le traumatisme
collectif du confinement. C’est à ce moment-là
qu’Arte s’est réellement « plateformisée ».
Ensuite, vous avez commencé à acheter
des droits de séries uniquement pour
les difuser sur Arte.tv. Pourquoi ?
Vous me demandez la recette, là ! Oui, cela
nous arrive de faire des acquisitions pour le seul
univers numérique, mais Arte reste avant tout
un producteur avec des documentaristes et des
auteurs de fictions – même si on coproduit de
plus en plus au niveau européen.
Comment conservez-vous votre spéciicité
éditoriale sur Arte.tv ?
Notre spécificité éditoriale est d’être une
chaîne du temps long, du récit. La plateforme
vise à rendre pertinente sur le moment où on se
connecte notre ofre de temps long. Ce qui fonc-
tionne, ce sont les cycles cinéphiliques, mais aus-
si les séries documentaires liées à l’actualité. Lors
de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous
avions des documentaires tournés dans le Dom-
bass, et nous avons acquis les droits de la série
télévisée Serviteur du peuple, qui avait révélé le
président ukrainien (et ex-acteur) Volodymyr
Zelensky.
L’autre enjeu, pour vous, c’est de capter
l’attention des jeunes : vous avez d’ailleurs
gagné 20% d’audience sur les 15-34 ans sur
le premier semestre 2023 par rapport
au premier semestre 2022…
« La spéciicité éditoriale
d’Arte est d’être une
chaîne du temps long,
du récit. La plateforme
vise à rendre pertinente
sur le moment où on
se connecte notre ofre
de temps long »
Lors des confinements liés à la Covid, sont dans l’attente des nouvelles d’un
une étude (Agence VMLY&R/Brand Asset enfant, d’une mère ou d’un mari.
Valuator 2020) sur les marques préférées chez Face à l’innommable, l’Europe
les moins de 25 ans a révélé que nous igurions doit se montrer digne, et à la hauteur
en tête parmi les marques médias, à côté de Tik- du péril que cette attaque fait courir au
Tok. Nous comptons aujourd’hui 25 millions monde. Ce qui se déroule n’est pas le
d’abonnés à nos chaînes sociales, et 70 millions simple résultat d’un conlit larvé entre
de vidéos vues par mois. Sur YouTube, nous Israéliens et Palestiniens. Il se joue sur
comptons 20 chaînes, et des narrations pensées place une guerre sainte avec l’objectif
pour TikTok, Instagram, Facebook, Snapchat ou originel pour le Hamas de détruire l’Etat
Twitch. Ce qui marche sur ces chaînes sociales, d’Israël et notre mode de vie.
ce sont des grandes séries documentaires, des ré- En retour, les dirigeants européens
cits géopolitiques, sociaux et scientiiques – nous ne peuvent répondre par des demi-
sommes là au cœur de la mission d’Arte. Plus que mesures. Cette organisation terroriste
toucher les jeunes, nous cher- doit être frappée, et durement. Vaincre
chons à élargir notre public : le Hamas est un acte d’auto-défense
mais nous restons très fidèles pour l’Occident. A cet égard, je salue
éditorialement à ce que nous la décision déjà annoncée de revoir en
sommes. Il est vrai que sur nos urgence les inancements alloués à la
chaînes sociales, la moyenne Palestine. Un état des lieux doit être
d’âge est de 30 ans plus jeune efectué sur les montants, les intermé-
que sur notre chaîne linéaire. diaires et les bénéiciaires inaux pour
Et Arte.tv a une audience de dix que les millions envoyés servent bien
ans de moins en moyenne que la leur mission, à savoir l’aide humanitaire
chaîne de télévision. aux populations et en aucun cas le
inancement d’activités terroristes.
Côté budget, vous n’avez Prenons garde à ne pas nous tromper
quasiment aucune publicité, de cible et à ne pas ajouter à l’horreur
vous êtes dépendant des massacres, la famine et le dénue-
des subsides publics. Homme de médias ment pour des milliers d’enfants et de
Est-ce qu’il pourrait familles de Gaza. La cible est le Hamas.
augmenter l’année prochaine ? Bruno Patino 58 ans,
Dans les faits, nous avons fut notamment cor- Rôle trouble. Cette guerre se
reçu 284,6 millions d’euros pour respondant du Monde déporte aussi en ligne où l’admiration
au Chili, président du
l’année 2023. Pour l’année 2024, pour les actes terroristes et le Hamas se
Monde interactif (MIA) de
nous devrions progresser d’un 2000 à 2008, président répand et en toute impunité. C’est inac-
peu moins de 3 %. Nous étions de Télérama, et vice- ceptable, alors que nous avons adopté,
dans une tendance baissière président du groupe depuis les attentats de 2015 et 2016, tout
de 2018 à 2022, elle a été inver- Le Monde, et a eu des un arsenal de mesures relatives à la dif-
sée en 2023, et le sera encore fonctions de direction fusion de contenus terroristes en ligne.
chez France Télévisions.
en 2024 : malgré l’inflation, je Qu’attend l’UE pour les appliquer ?
prends cela comme un signal de reconnaissance Il est urgent d’éclaircir le rôle joué
pour le travail accompli par les équipes d’Arte, et par plusieurs puissances dans ces
de la pertinence de notre stratégie européenne. attaques, celui de l’Iran en particulier.
Téhéran a certainement contribué à
Dans votre livre, Submersion, vous décrivez fournir la logistique et la formation des
comment les écrans, avec l’arrivée criminels et le pays doit être sanctionné
de l’iPhone en 2007, ont introduit pour cela, en plaçant le Corps des
la connexion permanente chez les humains… Gardiens de la Révolution Islamique sur
Je me refuse à verser dans la dystopie. Une la liste européenne des organisations
époque Gutenberg s’achève, une autre époque terroristes. Ne perdons pas non plus
s’est amorcée. Dans ce livre, j’aborde comment de vue le lien plus global entre l’Iran,
l’arrivée du réseau, de la connexion, du numé- la Russie et la Chine. Ce qui les unit ?
rique, change nos vies culturelles, et notre rap- Ce sont des ennemis de la liberté, de la
port à tous ces contenus qui nous submergent. démocratie et des droits de l’homme.
Mais je crois au discernement, à la confiance, C’est pourquoi nous attendons de
et à la capacité de mise à distance. Je cite des Josep Borrell, Haut représentant pour
chifres vertigineux – on touche son téléphone les Afaires étrangères et social-démo-
mobile 600 fois par jour, selon des études, la crate, qu’il exprime son soutien à Israël
moitié des habitants du Royaume-Uni passent avec force. Alors que les présidentes de
plus de onze heures par jour sur leur télé- la Commission et du Parlement euro-
phone… Il faut aussi lutter contre la fatigue in- péens ont fait ensemble le déplacement
formationnelle, la tentation de ne plus vouloir sur place, lui était en Chine…
s’informer, ou de vouloir laisser l’algorithme Cette semaine au Parlement euro-
choisir à notre place. péen, je dirai à mes collègues que nous
devons être dignes des centaines de vic-
Vous scrutez aussi l’émergence de times. Alors que Jean-Luc Mélenchon
l’intelligence artiicielle dans cette société et son camp ne cessent depuis une
du réseau, popularisée cette année par les semaine de briller par leur ignominie et
agents conversationnels comme ChatGPT… leurs amalgames abjects, j’espère que
J’évoque dans le livre les tenants de l’apoca- ses eurodéputés et leurs collègues du
lypse – qui pensent que la machine va se retour- groupe d’extrême Gauche (GUE) n’ajou-
ner contre l’humain. Pour d’autres, l’IA généra- teront pas une couche de déshonneur à
tive est un outil – comme le train à vapeur, l’élec- leur formation qui en accumule tant.
tricité, qui ont modiié énormément de choses.
Mais en modiiant considérablement les condi- Manfred Weber est député allemand au
tions de production, l’IA générative va accen- Parlement européen, président du groupe
Parti populaire européen (PPE).
tuer la submersion de messages auxquels nous
sommes déjà confrontés.
Interview Capucine Cousin (L’Agei)
@Capucine_Cousinx SIPA PRESS

CYRIL ENTZMANN / DIVERGENCE

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BEY MEDIAS PRESSE & INTERNET SASU - 8, rue Bellini, 75116 Paris - www.lopinion.fr - Actionnaire :
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16 octobre 2023 l’Opinion 7

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 DOW JONES 16 octobre 2023 & ne peut être vendu séparément

Disney se lance dans le pari sportif

Début 2019, un analyste
avait demandé à Bob Iger si les
paris sportifs pouvaient coexis-
ter avec le monde merveilleux
de Disney. A l’époque, le PDG du
géant du divertissement lui avait
répondu que la question n’était
pas à l’ordre du jour.
Quatre petites années plus
tard, pourtant, la marque ché-
rie des enfants se lance dans
la bataille.
En août, le groupe a conclu
un accord d’une durée de dix
ans avec Penn Entertainment,
un spécialiste des paris spor-
tifs. Les fans de sport pourront
donc bientôt parier sur les évé-
nements difusés sur les chaînes
ESPN, filiale de Disney, depuis
une application qui s’appuiera
sur l’infrastructure de Penn.
La perspective de voir les
paris s’immiscer dans le monde
merveilleux de Disney a fait grin-
cer des dents en interne, un cer-
tain nombre de cadres estimant
qu’ils vont ternir l’image d’une
marque synonyme de princesses
et de canards qui parlent. L’an
passé, l’un des principaux in-
vestisseurs de Disney a menacé
de revendre une partie de ses
actions si le groupe se lançait
dans l’aventure.
Mais, Bob Iger, dont les deux
fils vivent vissés aux applis de
paris sur smartphone, et Jimmy
Pitaro, le président d’ESPN, ont
refusé de se priver d’une chance
de séduire une audience jeune
et masculine. Aux termes du
contrat, Penn versera 1,5 milliard
de dollars à Disney, en numé-
SIPA PRESS
raire, et ESPN recevra pour envi-
ron 500 millions de dollars de Après des années de débats en interne, le géant du divertissement dirigé par Bob Iger lancera, le mois prochain, une application de paris en ligne.
bons de souscription d’actions Les fans de sports pourront miser sur les événements difusés sur les chaînes ESPN, iliales du groupe Disney.
Penn. Penn gérera l’application et
Disney se chargera du marketing. Qui attrapera la dernière balle passé, les paris sportifs en ligne teurs et de l’envolée des droits de d’autres valeurs que le simple fait de la pertinence d’un accord avec
En Amérique, les fans de du match de baseball ? L’engoue- ont généré 7,6 milliards de dol- difusion. Les ligues sportives (et de gagner de l’argent. un opérateur de paris sportifs.
sport (et les hommes de 18 à 34 ment est particulièrement fort lars de chiffre d’affaires (après des colonies de start-up) se sont Courant 2022, Jenny Cohen, Elle avait expliqué, entre
ans plus encore que les autres) dans les campus. paiement des gains aux joueurs). tournées vers les paris, que les qui avait été nommée directrice autres à Bob Chapek, alors patron
regardent les matchs et placent La folie des paris s’est ampli- L’année prochaine, selon le cabi- géants du divertissement et des de la responsabilité sociale de du groupe, que l’activité serait
des paris aussi nombreux qu’im- iée depuis 2018, date à laquelle net Eilers & Krejcik Gaming, il médias voient aussi comme la l’entreprise (RSE) un an plus tôt, mauvaise pour la marque Disney,
probables pendant qu’ils sont la Cour suprême a autorisé les devrait atteindre 11,8 milliards. meilleure source de croissance. avait fait part de ses inquiétudes à ont confié des sources proches
derrière leur écran : combien de Etats à légiférer sur la question ; Comme les autres chaînes de Mais chez Disney plus qu’ail- la direction de Disney, mais aussi du dossier. Pour elle, il y avait un
paniers à trois points tel joueur ils sont désormais légaux dans télévision, ESPN souffre d’une leurs, les salariés ont la convic- aux responsables d’ESPN, les risque que les consommateurs
de basket réussira-t-il à mettre ? 38 Etats et à Washington. L’an baisse du nombre de téléspecta- tion que l’entreprise est porteuse exhortant à se reposer la question Lire DISNEY en page III

A l’ère de la sobriété, les ventes Ce smartphone à

de bières sans alcool explosent
Grâce à une amélioration
de leur qualité et de leur goût,
ainsi qu’à une évolution des
habitudes de consommation
des nouvelles générations, les
ventes de bières sans alcool
s’envolent aux Etats-Unis. Pour
les brasseurs, il s’agit d’une
source de croissance bienvenue
et d’un segment important sur
lequel investir.
Au rayon des bières, les
consommateurs n’ont jamais
eu autant de choix en matière
de produits sans alcool. Cer-
taines proviennent de brasse-
ries artisanales et d’autres de
nombreuses marques parmi les
plus connues du secteur : Hei-
neken, Budweiser, Corona et
même Guinness. Les vins et les
spiritueux sans alcool gagnent
également en popularité, mais
sont loin derrière la bière sans
alcool en termes de chifre d’af-
faires global.
SIPA PRESS
Aux Etats-Unis, les ventes
Au rayon bières, les consommateurs n’ont jamais totales de bière, d’eaux pétil-
eu autant de choix en matière de produits sans alcool. lantes et de cidres alcoolisés ont
connu un pic au cours de la pre-
mière année de la pandémie,
mais elles ont largement stagné
depuis. A l’inverse, le chiffre
d’afaires des bières non alcooli-
sées a augmenté de 32 % en glis-
sement annuel en date du 9 sep-
tembre et de 31 % en moyenne
sur les quatre dernières années,
d’après les données de Nielse-
nIQ. Etonnamment, ce sont
surtout les jeunes buveurs qui
apprécient ces boissons, ce qui
est une bonne nouvelle pour les
brasseurs, car la consommation
globale d’alcool chez les nou-
velles générations est en baisse.
Outre que les consomma-
teurs accordent de plus en
plus d’importance à la santé
et au bien-être, la croissance
de ce segment est également
le fruit d’un marketing et d’un
positionnement rusé de la part
des brasseurs.
« Certains fournisseurs ont
fait preuve de perspicacité et se
sont dit que les gens voulaient
Lire BIÈRES en page II
douze dollars peut-il
conquérir l’Inde?
Même si les réseaux mobiles
5G commencent à se dévelop-
per en Inde, près de la moitié
des 1,4 milliard d’habitants du
pays n’ont toujours pas d’accès
à Internet.
Le milliardaire Mukesh Am-
bani parie que son nouveau télé-
phone portable connectable à
Internet, qui coûte environ 12 dol-
lars, peut changer cette situation
et lui permettre de conquérir
encore davantage de clients pour
son fournisseur d’accès à Inter-
net, qui domine déjà le marché.
L’appareil, lancé en juillet
par Reliance Jio Infocomm, la
société d’Ambani, ressemble
aux Nokia simples et robustes
des décennies précédentes.
Doté d’un clavier physique,
d’un petit écran et d’un appa-
reil photo, il se décline dans des
couleurs de base comme bleu,
noir, gris et rouge.
Si ce téléphone n’est pas
compatible avec la 5G, il propose
en revanche une connexion 4G,
ce qui lui permet de difuser de
la musique et des vidéos via des
applications Reliance Jio pré-
installées, qui proposent des
contenus comme des films de
Bollywood, des matchs de cric-
ket et de la musique pop. Le télé-
phone peut également être utili-
sé pour efectuer des paiements
numériques, une pratique qui a
connu une forte croissance en
Inde ces dernières années.
De nombreux Indiens se
connectent à Internet par l’in-
termédiaire d’un smartphone.
Mais, dans le pays, ces appareils
coûtent généralement plus de
250 dollars, ce qui est beaucoup
trop cher pour des millions de
personnes qui ne gagnent que
quelques dollars par jour.
« Il y a encore 250 millions
d’utilisateurs de téléphones
Lire SMARTPHONE en page II
Edited from the original

16 octobre 2023 l’Opinion I


BIÈRES
Suite de la page I
avoir l’impression de pouvoir
célébrer une occasion, mais
avec une bière sans alcool, un
vin sans alcool ou même un
cocktail sans alcool. Ces bois-
sons le permettent vraiment »,
explique Kaleigh Theriault,
directrice générale du départe-
ment de recherche sur les bois-
sons alcoolisées chez NielsenIQ.
De la même manière, le fait de
glisser un citron vert dans une
Corona sans alcool à la plage
Grâce à des
avancées
technologiques
en matière
de brassage, la
dernière génération
de bières sans alcool
a un goût beaucoup
plus proche de
celui de la bière
traditionnelle
reproduit le rituel relaxant de
la consommation de bière, mais
sans l’ivresse.
Cela étant, ces nouveaux
produits ne s’adressent pas uni-
quement aux abstinents. Les
données de NielsenIQ montrent
en effet que la grande majorité
des acheteurs de bières sans
alcool achètent également des
boissons alcoolisées. Certains
souhaitent simplement modé-
rer leur consommation ; pour
d’autres, il s’agit de profiter
de nouvelles occasions en ma-
tière de bière, en pouvant en
boire, par exemple, à l’heure du
déjeuner ou avant de prendre
le volant.
« Ces produits sont destinés
aux amateurs de bière, aux bu-
veurs de bière », assure Bruno
Cosentino, vice-président mon-
dial du marketing chez Anheu-
ser-Busch InBev.
He i n e ke n N V, u n gé a n t
mondial de la brasserie avec des
centaines de marques dans son
portefeuille, a décidé de faire
une poussée majeure vers la
bière sans alcool sous sa marque
p h a r e H e i n e ke n . L o r s q u e
Heineken 0.0 a été lancée en
Europe en 2017 et aux Etats-
SMARTPHONE
Suite de la page I
portables en Inde qui restent
bloqués au temps de la 2G, et
sont incapables d’accéder aux
Doté d’un clavier physique, d’un petit écran
et d’un appareil photo, le JioBharat se décline dans
des couleurs de base comme bleu, noir, gris et rouge.
II l’Opinion 16 octobre 2023
Unis en 2019, l’un des princi-
paux objectifs de l’entreprise
était de « faire en sorte que la
bière sans alcool ait l’air cool »,
souligne Federico Castillo Mar-
tinez, directeur des relations
avec les investisseurs du groupe
néerlandais. Aux Etats-Unis, la
campagne publicitaire « now
you can » de l’entreprise mon-
trait notamment des personnes
buvant de la Heineken 0.0 en
voiture ou lors de présentations
professionnelles.
Créer de nouvelles occa-
sions de boire de la bière est une
perspective séduisante pour
les brasseurs, car cela pourrait
permettre d’élargir considéra-
blement leur marché. « Plus de
la moitié de la demande pour
les bières sans alcool provient
d’autres secteurs que celui de
la bière, comme les sodas »,
précise M. Martinez. De même,
les dirigeants d’AB InBev esti-
ment que 60 % des ventes de
bière sans alcool sont incrémen-
tales, ce qui signiie ce que cette
nouvelle source de croissance
s’additionne aux chiffres d’af-
faires existants.
Heineken 0.0 est au-
jourd’hui la bière sans alcool
la plus vendue aux Etats-Unis,
avec une part de marché d’en-
viron 20 %, selon la société. Le
groupe affirme qu’il consacre
25 % du budget publicitaire
mondial de la marque Heine-
ken à cette boisson — un inves-
tissement important pour un
p ro d u i t qu i re p ré s e n te u n
pourcentage comparativement
beaucoup plus faible du chifre
d’affaires de la marque. Heine-
ken 0.0 est aujourd’hui présent
sur environ 110 marchés, la
Chine et le Japon étant les der-
niers en date.
AB InBev, le plus grand bras-
seur du monde, affirme être le
premier vendeur de bière sans
alcool au niveau mondial en
termes de volume, commercia-
lisant des versions sans alcool
de ses différentes marques
locales partout, du Brésil à la
Corée du Sud. Aux Etats-Unis,
il propose notamment des ver-
sions sans alcool de Budweiser
et de Stella Artois. En Europe, il
a même sorti une version sans
alcool de la Leffe, une bière
belge emblématique et tradi-
tionnellement connue pour sa
forte teneur en alcool.
Si les Etats-Unis sont en re-
tard sur l’Europe en matière de
consommation de bières sans
alcool, cela ne fait que démon-
trer le potentiel de croissance
du marché américain. Selon
Euromonitor, les ventes de
fonctions de base d’Internet »,
a expliqué Akash Ambani, le ils
de Mukesh Ambani et président
de Reliance Jio, lors du lance-
ment du téléphone, en faisant
référence aux personnes qui
utilisent des portables de base
SIPA PRESS
Le géant néerlandais Heinken consacre une partie importante de son budget publicitaire mondial à la promotion
de sa bière sans alcool. Heineken 0.0 est aujourd’hui présent sur environ 110 marchés.
bière sans alcool aux Etats-Unis
en 2022 représentaient 0,9 %
du volume total des ventes de
bière, contre 5,8 % en Europe
occidentale.
Grâce à des avancées tech-
nologiques en matière de bras-
sage, la dernière génération
de bières sans alcool a un goût
beaucoup plus proche de celui
de la bière traditionnelle. La
bière sans alcool peut être pro-
duite en interrompant le pro-
cessus de fermentation avant
que celle-ci ne produise de
l’alcool, ou en retirant l’alcool
une fois le brassage terminé. Ce
dernier procédé d’extraction
s’est considérablement perfec-
tionné ces dernières années, ce
qui permet d’obtenir un produit
plus fidèle à la bière tradition-
nelle. Les méthodes varient
d’un brasseur à l’autre — et pour
certains, il s’agit d’un secret
industriel bien gardé —, mais
dans de nombreux cas, des in-
grédients sont également ajou-
tés à la bière pour lui redonner
une partie du goût perdu lors de
l’extraction de l’alcool. Les nou-
veaux contrôles informatisés
permettent également un para-
métrage beaucoup plus précis
de l’ensemble du processus.
« Lorsque vous ôtez à une
bière entièrement fermentée
et ne disposent souvent pas de
connexions web.
Des datas pour
1,50 dollar par mois
Après avoir payé 12 dollars pour
le nouveau Reliance Jio, les
clients déboursent environ 1,50
dollar par mois pour bénéicier
d’appels vocaux illimités et de
quatorze gigaoctets de données,
un tarif inférieur à celui des opé-
rateurs concurrents.
L’appareil a été baptisé JioB-
harat, une association des mots
Jio, le nom de l’entreprise — qui
signifie « vivre » en hindi —, et
de « Bharat », qui désigne l’Inde
dans plusieurs langues locales.
Selon Tarun Pathak, direc-
teur de la société Counterpoint
Research, basée en Inde, le mil-
lion d’unités que l’entreprise a
mis sur le marché s’écoule bien
pour le moment.
Reliance Jio n’a pas publié
d e c h i f f re s d e ve n te , m a i s
M. Pathak estime, qu’en juillet
et en août, près d’un appareil
sur cinq vendus sur le marché
national dans la catégorie des
téléphones bon marché — coû-
tant aux alentours de 15 dol-
&
l’alcool qu’elle contenait, cela
reste toujours une bière. Le seul
problème qui se pose alors est
la perte de certains composants
aromatiques », détaille Peter
Kraemer, maître-brasseur et
directeur de la chaîne d’appro-
visionnement d’AB InBev. La
technologie de l’entreprise lui
permet de séparer l’éthanol des
Seulement 38 %
des Américains
disent avoir bu
un verre au cours
des sept derniers
jours, contre 49 %
vingt ans plus tôt
composants aromatiques dans
l’alcool extrait, ces derniers
pouvant ensuite être rajoutés.
« Il y a beaucoup de
marques qui ont vraiment réus-
si à obtenir le bon goût », ob-
serve M. Theriault de NielsenIQ.
« Nous le constatons dans les
taux de idélité, c’est-à-dire que
non seulement les gens essaient
lars — était un JioBharat. Les
clients sont probablement atti-
rés par le prix bas, les applica-
tions préinstallées et le faible
coût des données, explique
M. Pathak. « Cependant, nous
pensons que la route est encore
longue pour voir Jio conquérir
les 200 millions d’utilisateurs
de la 2G », dit-il, en pointant des
contraintes comme l’autonomie
limitée de la batterie et la petite
taille de l’écran.
Le bas de la pyramide
Reliance Jio « disrupte le bas de
la pyramide » avec son appareil,
déclarait J.P. Morgan dans un
rapport de recherche publié en
juillet. « Nous pensons qu’avec
ce téléphone, Jio peut prendre
des parts de marché au bas de
l’échelle. »
Il y a sept ans, l’aîné des Am-
bani a révolutionné le marché
des données mobiles bon mar-
ché en construisant un réseau 4G
à partir de rien et en proposant
des appels gratuits et des don-
nées pour quelques centimes.
Reliance Jio a alors pris des
parts de marché à des concur-
rents comme Bharti Airtel et Vo-
le produit, mais le rachètent
ensuite. »
Ces progrès technologiques
arrivent à point nommé pour
les brasseurs, qui doivent rele-
ver le défi posé par la nouvelle
génération de consommateurs.
Plusieurs études universitaires
ont mis en évidence un déclin
prononcé de la consommation
d’alcool chez les jeunes au cours
des deux dernières décennies,
non seulement aux Etats-Unis,
mais aussi en Europe et dans
d’autres pays riches.
Selon Gallup, entre 2021
et 2023, 62 % des Américains
âgés de 18 à 34 ans se sont
décrits comme des consom-
mateurs d’alcool plutôt que
comme des abstinents. Deux
décennies plus tôt, ils étaient
72 % à le faire. Par ailleurs, 38 %
seulement ont déclaré avoir bu
un verre au cours des sept der-
niers jours, contre 49 % vingt
ans plus tôt.
Diverses raisons expliquent
ce phénomène. Cela pourrait,
en partie, être dû au fait que les
jeunes d’aujourd’hui socialisent
davantage en ligne et moins en
chair et en os. M. Theriault note
que parmi la génération Z — à
s avo i r l e s p e r s o n n e s n é e s
après 1998 —, beaucoup ont
atteint l’âge de consommer de
dafone, qui ne pouvaient pas ri-
valiser sur le prix des datas. Il est
devenu le premier fournisseur
d’accès mobile en Inde, avec
plus de 440 millions d’abonnés
aujourd’hui. Selon la Banque
mondiale, environ 46 % de la
population indienne avait accès
à Internet en 2021 — dernière
année où les données étaient dis-
Reliance Jio est
devenu le premier
fournisseur d’accès
mobile en Inde, avec
plus de 440 millions
d’abonnés
aujourd’hui
ponibles. Ce chifre était en forte
hausse par rapport à 2016, date
du lancement de Reliance Jio, où
il n’était que de 17%.
Meta, Google et des socié-
tés de capital-investissement
SIPA PRESS
l’alcool pendant la pandémie, si
bien que les occasions de sortir
et de boire ses premiers verres
ont été considérablement
réduites. L’augmentation de
la consommation de cannabis
pourrait également être un fac-
teur, en particulier dans les pays
où il est légal. Il se peut aussi que
les jeunes d’aujourd’hui soient
tout simplement mieux infor-
més des risques, le consensus
scientifique s’étant éloigné de
l’idée, défendue au cours des
décennies précédentes, qu’un
ou deux verres par jour pou-
vaient être bons pour la santé.
Quoi qu’il en soit, le déclin
de la consommation d’alcool
chez les jeunes est une tendance
à long terme avec laquelle les
producteurs d’alcool doivent
composer, surtout si elle se pé-
rennise au fur et à mesure que
la génération Z vieillit. Il n’est
donc pas étonnant que les entre-
prises investissent autant dans la
recherche et la commercialisa-
tion de produits de substitution
à l’alcool. Avec de nouvelles et
meilleures bières sans alcool, les
grands brasseurs semblent un
peu mieux armés pour l’avenir.
Aaron Back
(Traduit à partir de la
version originale en anglais
par Grégoire Arnould)
comme General Atlantic et Silver
Lake ont investi des milliards
dans Jio Platforms, propriétaire
de Reliance Jio et filiale de Re-
liance Industries, l’un des plus
grands conglomérats indiens.
Reliance Jio progresse égale-
ment dans le domaine de la 5G.
L’Inde a pris du retard par rap-
port à de nombreux pays déve-
loppés dans le déploiement
de la connexion à haut débit,
mais l’entreprise est en train de
dépenser 25 milliards de dollars
pour accroître ses capacités 5G,
avec l’objectif de proposer des
services de nouvelle génération
dans tout le pays d’ici à la fin
de l’année.
En investissant dans la 5G,
elle cherche à y connec ter
les ét ages supérieurs de la
pyramide. Public visé : plus
de 100 millions de foyers et des
dizaines de millions de petits
commerçants et d’entreprises,
précise la société.
Newley Purnell
(Traduit à partir de la
version originale en anglais
par Paul Julhiet)
Edited from the original

DISNEY
Suite de la page I
associent Disney à l’addiction aux
paris. Disney était, à l’époque,
aux prises avec une autre crise
interne : un certain nombre de
salariés lui reprochait de ne pas
en avoir assez fait contre une loi
votée en Floride. Baptisée « Don’t
Say Gay » par ses détracteurs, elle
interdisait les cours sur l’orienta-
tion sexuelle et le genre à l’école.
En parallèle, BlackRock, qui
fonde ses décisions d’investis-
sement sur les critères sociaux,
environnementaux et de gou-
vernance (ESG), s’était rappro-
ché des relations investisseurs
de Disney. Le géant de la gestion
d’actifs avait prévenu le groupe
Peu après son retour
à la tête de Disney,
Bob Iger a annoncé
un tour de vis
général: 5,5 milliards
de dollars
d’économies et
7000 suppressions
de postes
qu’en vertu des critères ESG, un
accord dans les paris sportifs
pourrait contraindre certains de
ses fonds européens à réduire
leur exposition à Disney, ont rela-
té des sources.
T h e Wa l l St ree t Jo u r n a l
rapportait également il y a
quelques jours que Di sney
devait gérer la fronde de Trian
Fund Management, qui exige
des sièges au conseil d’admi-
nistration. Pour le hedge fund
de Nelson Peltz, l’action Disney
est sous-évaluée ; le groupe doit
donc se doter d’administrateurs
plus concentrés et plus respon-
sables. Ses autres desiderata
sont inconnus. Ni Nelson Peltz
ni Trian n’ont pris publique-
ment position sur la question
d’ESPN et des paris.
Il y a de fortes chances pour
que les fans de Disney, les abon-
nés Disney+ et les visiteurs des
parcs d’attractions ne sachent
même pas qu’ESPN fait partie
du groupe. Mais en interne, on
considère que les différentes
activités sont liées et doivent
servir un but commun : faire
de Disney l’endroit où les rêves
deviennent réalité. ESPN+ fait
partie de l’ofre de streaming de
Disney ; ESPN fait de la publicité
pour les autres entités du groupe
sur ses chaînes, et vice versa. La
Certains employés de Disney et au moins un investisseur se sont inquiétés du fait que
l’image familiale du groupe puisse pâtir de l’entrée d’ESPN dans le secteur des paris.
semaine dernière, par exemple,
Jimmy Kimmel (qui anime le « la-
te night show » d’ABC) était l’invi-
té de Manningcast, une émission
d’ESPN2 consacrée au football
américain.
« Mon boulot, c’est de pro-
téger la marque, quoi qu’il en
coûte, a résumé Jimmy Pitaro lors
d’un entretien. Je suis le gardien
de la marque ESPN, donc je dois
veiller à ce qu’on avance sur ce
chemin avec des partenaires en
qui on a coniance. »
To u t a c o m m e n c é e n
mars 2019, quand le groupe a ra-
cheté, pour 71,3 milliards de dol-
lars, une partie des actifs de Fox,
dont une participation de 6 %
dans DraftKings, un spécialiste
des paris sportifs.
A l’époque, une partie des
lieutenants de Bob Iger lui avait
conseillé de monter au capital,
mais le patron n’avait pas voulu,
affirmant que les paris ne col-
laient pas avec l’image de Disney.
Les négociations n’avaient
donc pas abouti. En février 2020,
l’homme avait démissionné et
été remplacé par Bob Chapek,
qui dirigeait jusque-là les parcs
d’attractions.
Et avait une vision radicale-
ment diférente des paris. Il avait
expliqué à ses collègues qu’il
était « moins bégueule » que
son prédécesseur à propos de la
marque Disney.
Il s’était donc penché sur
la possibilité d’un partenariat
avec un opérateur de paris spor-
tifs ; les négociations avec Draft-
Kings (qui détient aujourd’hui
plus de 30% du marché) avaient
repris. A l’époque, DraftKings et
ESPN avaient un contrat marke-
ting permettant aux lecteurs du
site ESPN.com de faire des paris
en lignes sur DraftKings.
Malgré les objections de Jen-
ny Cohen, Disney avait indiqué
qu’il voulait conclure un nouveau
contrat, pour un montant d’envi-
ron 3 milliards de dollars et une
durée de dix ans. Bob Chapek et
Jimmy Pitaro avaient donné des
interviews à la presse, expliquant
que les clients d’ESPN voulaient
pouvoir parier « en toute simpli-
cité » quand ils regardaient des
compétitions sportives. ESPN
avait déjà intégré les paris sportifs
à ses programmes, notamment
avec l’émission « Daily Wager »,
qui analyse chaque jour les cotes
et les probabilités des événe-
ments sportifs.
Jimmy Pitaro a tout fait pour
se rapprocher de DraftKings
mais, dès le départ, les choses
ont été compliquées. Selon une
source proche du dossier, Disney
exigeait des dizaines de millions
de dollars de plus que ce que
DraftKings envisageait de payer
chaque année.
DraftKings a inalement pro-
posé une centaine de millions de
Outre-Atlantique, la folie des paris sportifs s’est ampliiée depuis 2018, date à laquelle la Cour suprême a autorisé
les Etats à légiférer sur la question. Ils sont désormais légaux dans 38 d’entre eux et à Washington.
dollars par an, mais en exigeant
que son logo apparaisse sur les
supports marketing et une éven-
tuelle application. Hors de ques-
tion pour Jimmy Pitaro : seule la
marque ESPN devait apparaître.
Son équipe est donc allée
négocier avec Rush Street Inte-
ractive, un opérateur de paris
de Chicago. RSI a proposé plus
de 100 millions de dollars par
an, mais aucun accord n’a vu le
jour non plus.
De son côté, Jimmy Pitaro
voulait absolument assurer
l’avenir d’ESPN, et notamment
séduire les jeunes hommes pour
qui, de plus en plus, le pari doit
faire partie intégrante de l’expé-
rience sportive. Bob Iger était
alors revenu aux manettes de
Disney (le conseil d’adminis-
tration a remercié Bob Chapek
en novembre 2022) et le groupe
suait sang et eau sur la refonte
d’ESPN, qui devait devenir une
plateforme de streaming. A la
presse, Bob Iger avait déclaré
qu’il avait conscience de l’ur-
gence de la situation et que la télé-
vision au sens classique semblait
vivre ses derniers instants.
De façon plus générale d’ail-
leurs, Disney n’allait pas bien.
L’efondrement du cours de l’ac-
tion avait suscité la colère des in-
vestisseurs activistes, à commen-
cer par Nelson Peltz et Dan Loeb,
de Third Point, l’activité de strea-
ming consommait des tombe-
reaux de trésorerie et l’activité de
télévision, au sens plus large que
SIPA PRESS
&
les seules chaînes ESPN, voyait
ses abonnés résilier leurs abon-
nements au proit du streaming.
Disney étudie actuellement des
partenariats stratégiques pour
ESPN et s’est rapproché des prin-
cipales ligues sportives.
Peu après son retour, Bob
Iger a annoncé un tour de vis
général : 5,5 milliards de dollars
d’économies et 7 000 suppres-
sions de postes, soit environ
3 % des effectifs de Disney au
niveau mondial.
Il s’est aussi repenché sur
la question des paris. Voir son
fils utiliser les applications de
paris sportifs lui a fait prendre
conscience de la popularité de
la pratique chez les jeunes, a-t-
il expliqué à ses collègues. Pour
lui, il était « inévitable » que
regarder du sport et parier sur
le sport inisse par devenir une
seule et même activité ; il a d’ail-
leurs salué les eforts de Jimmy
Pitaro pour trouver un parte-
naire. Etre présent dans les pa-
ris était, pour lui, le seul moyen
d’attirer les jeunes.
C’est là qu’est arrivé Penn,
opérateur de casinos devenu spé-
cialiste des paris sportifs en mal
de renouveau. Le groupe basé à
Wyomissing, en Pennsylvanie,
traversait en efet une période de
turbulences réglementaires et ju-
diciaires liées à sa iliale Barstool
Sports, fondée par Dave Portnoy,
accusé d’agression sexuelle par
plusieurs femmes (accusations
qu’il dément).
Penn gère des casinos et des
circuits automobiles dans des
villes de taille plutôt modeste,
comme Lake Charles en Loui-
siane, Biloxi dans le Mississippi
ou York en Pennsylvanie, mais
son PDG Jay Snowden rêve d’en
faire un géant du pari en ligne.
En début d’année, il a invité
Jimmy Pitaro pour une réunion
qui a duré 90 minutes. En par-
tant, le patron d’ESPN a trouvé
que l’homme « ne manquait
pas de franc-parler » et savait ce
qu’il faisait.
Jimmy Pitaro a rapidement
déployé des équipes pour étudier
les questions technologiques,
stratégiques et commerciales,
tout en négociant un partenariat
avec Penn. Selon lui, Penn dispo-
sait d’une technologie (fonction-
nalités et design de l’application
incluses) tout à fait remarquable.
En outre, pour Disney, le fait que
Penn n’ait qu’une petite part de
marché était un atout : ESPN
aurait davantage de pouvoir sur
la marque et n’aurait pas à par-
tager la lumière avec un nom lui
aussi bien connu du grand public,
ont précisé des sources proches
de Disney.
Mais pour que les négocia-
tions aboutissent, Disney avait
une exigence : Penn devait renon-
cer à Barstool.
Quand Penn a commencé de
monter au capital de Barstool,
début 2020, son idée était de se
faire connaître auprès des jeunes.
Barstool gère des contenus spor-
tifs qui sont régulièrement criti-
qués pour leur sexisme ; la vulga-
rité de certains de ses salariés est
elle aussi souvent dénoncée. Les
autorités de régulation du sec-
teur des paris ont fini par sanc-
tionner Penn pour non-respect
des règles publicitaires à destina-
tion des moins de 21 ans et ont an-
noncé qu’elles surveilleraient les
publicités promettant des gains
inanciers. Barstool a toujours dit
faire de l’humour.
Jimmy Pitaro a informé Bob
Iger du projet début juin, et le
chef a approuvé. Jimmy Pitaro
aurait préféré un accord avec
Pour le patron
du groupe, il était
« inévitable »
que regarder
du sport et
parier sur le
sport finisse par
devenir une seule
et même activité
DraftKings, leader du secteur
des paris en ligne que beaucoup
considéraient comme un parte-
naire idéal pour Disney, mais les
négociations n’allaient nulle part,
donc il a proposé d’y mettre fin.
Bob Iger, pour qui elles avaient
en efet trop duré, lui a donné sa
bénédiction. Cerise sur le gâteau :
Penn se montrait plus généreux.
Il était donc temps d’agir.
En juin, lors d’une réunion à
Anaheim, en Californie, Jimmy
Pitaro a présenté le projet avec
Penn aux dirigeants de Disney.
Puis, début août, la veille de la
publication de ses résultats tri-
mestriels, Disney a officialisé
l’accord, qui prévoit que Penn
transforme l’application Barstool
Sportsbook en ESPN Bet.
Pour accélérer les choses,
Barstool a été revendue à Dave
SIPA PRESS
Portnoy pour un dollar symbo-
lique, six mois après la fin de la
montée au capital de Penn, qui
a cependant conservé la base de
données (1,5 million de parieurs).
ESPN et Penn peuvent rési-
lier l’accord d’ici trois ans si une
part de marché minimum n’est
pas atteinte. Jay Snowden n’a pas
révélé le chiffre exact, mais pré-
cisé qu’il était autour de 10%.
« ESPN, c’est le must, a-t-il af-
irmé. On voulait changer de cap
et, pour le faire, il n’y avait qu’une
seule option : s’associer au seul
nom véritablement synonyme de
sport aux Etats-Unis. »
Les contenus sportifs d’ESPN
ne figureront pas sur l’applica-
tion de paris qui sera lancée en
novembre pour ne pas ralentir
l’expérience, a précisé Jay Snow-
den. L’idée est plutôt d’inciter les
spectateurs et les lecteurs d’ESPN
à jongler entre sports et paris.
Jimmy Pitaro affirme que
beaucoup de ses animateurs
vedettes ont envie de s’asso-
cier à ESPN Bet ; l’entreprise
devrait aussi recruter de nou-
veaux talents pour présenter
les émissions liées aux paris et
promouvoir les produits. Elle a
d’ores et déjà conclu un parte-
nariat avec Pat McAfee, un you-
tubeur célèbre pour ses paris
sur la NFL, son langage fleuri,
ses t-shirts sans manche et ses
blagues parfois limites. Il fera la
publicité d’ESPN Bet auprès de
ses abonnés.
ESPN envisage aussi de lan-
cer des émissions axées sur les
paris, s’inspirant du « Monday
Night Football » animé par un
ancien joueur de la NFL et les
frères Eli et Peyton Manning et
difusé sur ESPN2 et ESPN+. Le
groupe veut aussi promouvoir
les paris auprès des fans de
ligues fantasy. Pour Jimmy Pita-
ro, ces sports virtuels devraient
représenter plus de 12 millions
d’utili sateurs cette année,
soit 10 % de plus que l’an passé.
« Passer aux paris sportifs est
considéré comme une nécessité
pour ESPN, résume Josh Kosner,
ancien responsable d’ESPN
qui dirige désormais Kosner
Media. Pour moi, la décision a
plus à voir avec le destin d’ESPN
qu’avec la position de Disney en
matière de branding. »
Robbie Whelan,
Katherine Sayre
et Jessica Toonkel
(Traduit à partir de la
version originale en anglais
par Marion Issard)
Edited from the original
16 octobre 2023 l’Opinion III
LA SANTÉ PEUT-ELLE SOIGNER
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