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L'entraîneur

de basket-ball
Connaissances techniques,
tactiques et pédagogiques
Gérard BOSC
Bernard GROSGEORGE

L'entraîneur
de basket-ball
Connaissances techniques,
tactiques et pédagogiques
2e édition

Editions VIGOT
23, rue de l'école de médecine - 75006 PARIS
1985
Des mêmes auteurs :
Bosc G. — Le basket-ball, jeu et sport simple, Vigot, 1977.
Bosc G./Grosgeorge B. — Guide pratique du basket-ball, Vigot, 1985, 2e éd.
Bosc G /Thomas R. — Le basket-ball, (Que sais-je?) P.U.F., 1976.
Cam Y./Crunelle J./Giana E./Grosgeorge B./Labiche J. — Mémento C.P.S.-F.S.G.T.-Basket-ball.

Photo couverture: Agence VANDYSTADT


Photos intérieures : Jacques Bosc et Claude Martin
La première édition de cet ouvrage date de 1978.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris la Suède et la Norvège.
Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce
soit, photographie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévies par
la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'Auteur.
© Editions Vigot, 1985
Dépôt légal — Mai 1985
I.S.B.N. 2-7114-0887-6
Imprimé en France.
Avant-propos

Si, être «bon» entraîneur c'est ne pas posséder «a priori» des réponses miracles à tous
les problèmes...
... si, le «bon» entraîneur est celui qui connaît son «sujet» et les joueurs qu'il dirige en
tant qu'individus singuliers et non comme réceptacles d'une technique...
... et si, est «bon» entraîneur celui qui se «sait» lui-même avec ses limites et ses
forces...
Cela signifie qu'il exerce une fonction de COMPÉTENCE.
Qu'il décide de monnayer ses services ou que, par choix éthique, il préfère le bénévolat
ne change rien au fond des choses: son autorité est fondée sur une QUALIFICATION.
Mais cette qualification est particulière : mouvante comme les hommes et turbulente
comme le basket elle est le fruit du travail, de l'étude et de l'expérience ; autant écrire
qu'elle est fuyante et qu'elle contraint ceux qui désirent l'acquérir ou la maintenir à des
mises au point périodiques. Cet ouvrage en est une.
Il est plus exactement la conjugaison des savoirs de deux entraîneurs de formation
différente décidés à confronter puis à regrouper leurs connaissances du moment.
Traitant des techniques les plus récentes qu'il replace dans leur contexte historique ce
livre prend parfois l'allure d'une chronique, parfois celle d'une progression d'apprentissage
ou d'un manuel de recettes, mais il se propose également d'amener le lecteur à
comprendre le fondement des choses par le biais de notes, de remarques ou de
références bibliographiques pour lui permettre d'approfondir, s'il le désire, sa réflexion sur
le basket.
Les auteurs souhaitent qu'à travers cet outil de travail les éducateurs trouvent assez de
matières et de chemins pour construire leur propre philosophie de l'entraînement.

Mars 78 et Avril 85
PREMIÈRE PARTIE

La chronique
du basket-ball
1. Le basket sport américain...

Pendant l'hiver 1891, à l'Université Y.M.C.A. (1) de Springfields dans l'Etat du Massachu-
setts (Etats-Unis) un instructeur crée un sport nouveau : le BASKET-BALL.
Celui-ci, à l'inverse de la plupart des sports modernes, ne remonte pas à des traditions
anciennes, mais il est «rationnellement inventé dans un but précis» (Bouet) : résoudre des
problèmes pédagogiques aigus. En effet, à cette époque, les étudiants renaclent pour
participer aux fastidieuses séances d'Education Physique inspirées des méthodes alle-
mandes ou suédoises alors à la mode ; ceux de Springfields (futurs animateurs de
Y.M.C.A.) désertent même le gymnase préférant attendre dans leurs chambres que les
conditions climatiques (très rudes dans cette région Nord-Est du pays) leur permettent de
pratiquer à nouveau des sports de plein air.
Face à ces deux impératifs, redonner le goût de l'activité physique vivante et trouver un
jeu qui puisse se pratiquer l'hiver dans une salle, pour prendre place entre la saison du
football américain et l'athlétisme, James Naismith va donner naissance au basket-ball.
Après quelques tentatives infructueuses, Naismith, s'appuyant sur ses connaissances
d'enseignant et son expérience des activités ludiques, va proposer à ses élèves un sport
qui tiendra compte de l'attrait universel pour le ballon, de la plus grande facilité du contrôle
de celui-ci avec les mains et du besoin «débordant de mouvement de la jeunesse ».
Excluant tout ce qui lui paraît néfaste à une activité de salle et s'appuyant sur une
philosophie personnelle de la vie, le jeune professeur édicte cinq principes qui seront (et
sont encore) les principes fondamentaux du basket.
●Principe 1: Le ballon sera sphérique, gros et léger. Il sera joué avec les mains.
●Principe 2: Tout joueur pourra se placer à n'importe quel endroit du terrain et recevoir
la balle à tout moment (ceci afin de le différencier du football américain).
●Principe 3: Il sera interdit de courir avec la balle (en raison de l'exiguïté du terrain).
●Principe 4: Les équipes joueront ensemble sur le terrain mais tout contact entre joueurs
sera interdit (recherche de la maîtrise corporelle et sens éducatif, limitation de la
violence).
●Principe 5: Le but sera élevé, horizontal et de petite dimension pour qu'il soit fait appel
plus à l'adresse qu'à la force (c'est ce qui fait la spécificité du basket).
Par la suite, d'autres règles viendront s'ajouter qui codifieront les trouvailles des joueurs
mais le code gardera toujours les mêmes bases, s'ingéniant à maintenir un équilibre égal
entre les possibilités de l'attaque et de la défense en s'efforçant de perpétuer l'esprit du
jeu voulu par son inventeur.
En effet, ce dernier, persuadé que les solutions techniques ne peuvent être efficaces sans
bases philosophiques solides, chercha immédiatement à donner une âme à sa découverte;
il écrivit un petit livre dans lequel il exprima ses conceptions sur le sport et plus
particulièrement sur le basket.
«Le basket-ball est fondé sur la notion chrétienne de l'amour du prochain. Il ne peut
donner
bien. » satisfaction réelle qu'à celui qui désire venir en aide à autrui, qui désire faire le

(1) Young men Christian Association. Groupement protestant fondé à Londres en 1844 et aux U.S.A. en
1851 à Boston. D'esprit libéral, cette association accueille des gens de tous les âges sans distinction de religion
en se fixant pour but: CAMARADERIE ET SERVIR. Son action éducative, rurale et sociale s'étend dans
tous les domaines: logement, nourriture, culture, loisirs.
«Le basket est fondé sur le fait que le sport est un puissant moyen d'éducation au sens
le plus large et le plus complet du mot; mais on commet un non-sens pédagogique en
limitant l'éducation à la seule pratique du soi-disant "sport pur".»
«Le basket tient compte de ce que certains pratiquants, en perdant leur sang-froid
peuvent en faire un "instrument du diable " ; c'est pourquoi il est conçu de telle manière
que le joueur puisse toujours mettre tout son cœur et toutes ses forces mais aussi qu'il
garde toujours le contrôle de ses réactions. »
«Le règlement s'efforce d'orienter le jeu vers cet objectif, mais encore faut-il que le joueur
en pénétrant sur le terrain ne soit pas dans cet état d'esprit de la victoire à tout prix. La
victoire la meilleure, la plus sûre, celle qui en prépare d'autres, est fondée sur la notion de
l'équipe éduquée, organisée et préparée pour que chacun fasse le mieux possible. »
Après la lecture de ces quelques lignes (2), on ne s'étonnera pas d'apprendre que
Naismith fut un homme religieux; il fut ordonné ministre presbytérien après avoir passé
avec succès ses diplômes de médecin. Découvrant, assez tôt, que l'on pouvait se dévouer
aux autres par d'autres voies que l'évangélisation directe, il mêlera toute sa vie les
activités physiques à l'idéal spirituel de sa vocation première.
Ainsi le bakset-ball, né de l'esprit inventif d'un pasteur, professeur d'une université
confessionnelle, va se répandre d'abord aux Etats-Unis puis dans le monde entier, exporté
par les missionnaires de l'Y.M.C.A. (3).
L'engouement que suscita le nouveau sport à travers tout le pays (4) s'explique, à notre
sens, par le fait que c'est un sport qui correspond parfaitement au mode de vie américain.

(2) James Naismith. Basket-ball its origin and development. Associated Press. N. York, 1941.
(3) James Naismith eût même le privilège unique de voir de son vivant son jeu consacré par les Jeux
Olympiques. C'était à Berlin en 1936. Depuis le mouvement est allé en s'amplifiant : il regroupe plus de
100 millions de pratiquants. (On pourra à ce sujet se reporter à notre ouvrage Le basket-ball. P.U.F. Que
sais-je?, 1976.)
(4) Les chroniqueurs rapportent que «jamais un sport ne s'est propagé aussi rapidement sur le continent.
Il est pratiqué de New York à San Francisco et du Maine au Texas par des centaines d'équipes d'associations
sportives d'écoles ou de clubs» (Propos tenus par le Docteur Gulick, Directeur de Springfields, 10 mois après
la première rencontre).
2 . . . . d a n s l a s o c i é t é a m é r i c a i n e

Le mode de vie américain trouve sa source dans son devenir historique. Les pionniers,
plongés dans une vie active et dangereuse, devaient par la force des choses s'entraider
pour faire face aux aléas de leur vie aventureuse ; n'ayant guère le temps de s'introspecter
ils s'attachèrent très vite à un mode de vie pragmatique où les faits tiraient leur valeur de
leur utilité actuelle et non de leur ancienneté. Les vastes possibilités du territoire, les
richesses sans cesse découvertes forgeaient leur foi dans le progrès social ; constamment
«ballotée dans un flux perpétuel» la société exigeait de chacun (tant pour sa propre
sécurité que celle de la communauté) qu'il tienne parfaitement son rôle, pour en atteindre
un autre plus élevé, si du moins il en avait la force.
Ces hommes rudes, burinés par le labeur et les dangers, immigrants de différentes
nationalités qui avaient quitté le vieux continent où le poids de traditions vénérables
bloquait toute évolution, développèrent une culture prônant «le culte du succès, le goût de
la compétition (5), l'admiration des individus qui réussissent à sortir de la masse par leurs
propres moyens» (Alter) et ils s'ingénièrent à construire une démocratie dynamique dans
laquelle les notions de hiérarchie et d'autorité pourraient toujours être remises en cause
par référence «aux preuves objectives de la réussite »(6).
Pour tempérer la violence engendrée par une société qui se soucie peu des faibles, les
Américains s'appuyèrent sur des normes rigides, issues du protestantisme, et développè-
rent des aptitudes à tolérer les aléas du succès et de l'échec pour arriver à une
«identification entre conscience et société» (Kahn) (7).
Ainsi «l'esprit pionnier du Nouveau Monde » était parfaitement prêt à accueillir et faire
prospérer le sport; l'apport des Américains dans ce domaine fut à l'image de leurs soucis
quotidiens ; préoccupés par le succès, l'efficacité et la rationalisation, ils adaptèrent les
principes du taylorisme aux techniques spécifiques du sport pour une recherche du
rendement maximum. En contrepoint, ils insistèrent sur le respect de la règle et de
l'adversaire qui exprime à sa façon une certaine morale aristocratique —le «fair-play » —
inspirée des Anglais. Etre le plus fort dans une société hautement concurrentielle en
respectant un règlement précis et un code d'honneur ne pouvait qu'attirer ce peuple qui
se veut «le meilleur du monde» en toutes choses (8).
(5) «Les Américains considèrent que la compétition est une chose naturelle mais contrairement aux
Anglais, ils pensent qu'elle doit être continuellement stimulée, notammant par un système artificiel de règles
sociales destinées à diriger vers elle, toutes les énergies» (R. Denney et D. Reisman dans leurs études sur le
football: A study of cultural diffusion, American Quaterly Winter, 1951.)
(6) Le sport correspond bien à l'attitude du jeune Américain tel que l'évoque Weber dans Le Savant et
la politique: «Le jeune Américain ne respecte ni personne, ni tradition, ni situation professionnelle, mais il
s'incline devant la prouesse individuelle d'un quelconque individu. Cela, il l'appelle démocratie».
(7) Alors que le fond culturel européen s'appuie sur l'idée que la «raison qui s'incarne dans le social, nie
le sentiment, l'instinct et la vie même», la sociologie américaine insiste sur la nécessité «d'évaluer l'aptitude
d'un sujet de se conformer aux normes d'une civilisation» (Girod R., in Attitudes collectives et relations
humaines. P.U.F.).
(8) En outre la compétition sportive est, comme le fait remarquer le psychologue Camille Javeau, «une
forme ritualisée du combat pour permettre au trop-plein d'agressivité de s'écouler sans danger».
Ce rôle de «réducteur de tension» est particulièrement important aux Etats-Unis où l'individu est harcelé
par une société toujours plus exigeante. Cette ardeur compétitive comporte d'ailleurs des dangers: «Tant que
les motivations qui soutiennent le système compétitif ne se limitent pas au seul résultat final (la réussite) le
choix des moyens ne déborde généralement pas le cadre institutionnel. Mais, lorsque l'accent se déplace des
satisfactions découlant de la compétition elle-même vers le souci presque exclusif du résultat de cette
compétition, la tension provoquée tend à provoquer l'effondrement de la structure régulatrice. Cette réduction
des contrôles institutionnels conduit à une situation où les calculs d'intérêt personnel et la crainte des sanctions
sont les seuls principes régulateurs. On aboutit à l'anomie». Levy et coll., Psychologie Sociale, Textes
fondamentaux anglais et américains, Dunod, 1965.
Or, le basket-ball nous paraît circonscrire toutes ces attentes de par ses conceptions.
Sport exaltant par son caractère à la fois spontané et intellectuel, les situations toujours
renouvelées du jeu, les renversements de position incessants, l'incertitude constante du
résultat, le nécessaire labeur pour parvenir à s'y exprimer convenablement, la coopération
obligatoire qu'elle demande à tous les équipiers, l'esprit quasi religieux qui a présidé à son
élaboration et ses intentions éducatives expliquent qu'il participe pleinement de la mentalité
américaine.
3. Le basket en France
et l'apparition de l'entraîneur

Le départ: 1920. Le basket-jeu


La France découvre le basket-ball très rapidement par l'intermédiaire d'un élève de
Springfields, Rideout; la première rencontre se déroule au siège de l'Y.M.C.A. de Paris en
1893 (9) et passe totalement inaperçue. Il faudra attendre que la F.G.S.P.F. (Fédération
Gymnique et Sportive des Patronages de France) inscrive cette activité dans ses
programmes, pour que le basket commence à s'implanter chez nous.
C'est en 1917 que les troupes américaines venues prêter main-forte aux combattants
de la Grande Guerre, lanceront véritablement ce sport sur notre sol ; à leur départ de
nouveaux adeptes continueront à fréquenter les «Foyers Américains» où ils avaient
découvert la «balle au panier».
Dès 1921, un premier championnat est organisé sous l'égide de la Fédération
Française d'Athlétisme qui a pris sous son aile cette nouvelle activité «pour assurer une
bonne préparation hivernale aux athlètes»; cependant, face à la poussée autonomiste de
ses pratiquants qui n'acceptent pas d'être considérés comme partie négligeable, alors que
leurs effectifs grossissent de jour en jour, une ligue spécifique voit le jour en 1933, créée
sous l'impulsion «d'hommes qui n'avaient d'autre souci que de servir la jeunesse
française, par une équipe d'hommes convaincus, venus d'horizons sociaux et culturels
différents et pour qui le basket était le ciment de l'amitié» (Teddy Krieg), la jeune
Fédération, riche d'enthousiasme, va rapidement couvrir le pays de terrains de basket.
Aux quatre coins du territoire, à la ville comme à la campagne, des associations
surgissent, suscitées par ces défricheurs du sport français que furent les prêtres et les
instituteurs. La présence de ces «militants de l'éducation», en contact permanent, de part
leur fonction, avec les enfants et les adolescents, explique, tout autant que la modicité des
moyens matériels nécessaires à sa mise sur pied, la forte implantation actuelle du
basket (10) et elle éclaire d'un jour singulier le comportement que l'on attendra du
responsable.
«Chargé d'âmes» ou «s'attachant à l'épanouissement de la jeunesse», le dirigeant
s'efforcera d'abord d'aider ses protégés à trouver à travers ce sport «sa personnalité
profonde, son individualité et son unicité» pour reprendre la phrase de Janet à propos des
buts de l'éducation.
La victoire ne sera certes pas négligée, mais son importance restera seconde et s'il
est, bien entendu, nécessaire de coopérer pour réussir, on le fera d'une manière bien
française, c'est-à-dire lorsque l'on ne peut agir autrement (11).

(9) Une plaque commémorant cet événement est apposée 14, rue Trèvise, Paris (9 dans un gymnase
ressemblant à s'y méprendre à celui du collège de Springfields.
(10) Au cours du dernier recensement (1984) effectué par la Fédération Française de Basket-ball, on a
dénombré 336 924 licenciés masculins (174 977) et féminins (161 947).
(11) Pendant la première période de son développement, de 1920 à 1934, le jeu français fut fait des
éléments de notre tempérament. Le Français est avant tout individualiste, c'est-à-dire personnel. Il aime les
applaudissements et les louanges ; il pratique le jeu d'équipe pour autant que celui-ci favorise son prestige
personnel» (R. Busnel, Almanach du Basket-ball, 1948).
Ces conceptions donneront naissance à un style de jeu que l'on peut qualifier
«d'indépendant» dans la mesure où le terme collectif, normalement accolé au sport
basket, prenait davantage le sens de rassemblement en un même lieu que celui d'action
communautaire (12) ; en outre, notre esprit latin, se satisfaisant paraît-il fort bien de
règlements approximatifs et de terrains fantaisistes, l'on comptait sur la débrouillardise
proverbiale de notre peuple pour que se déroulent malgré tout des rencontres officielles.
Pendant ce temps, les Etats-Unis avaient développé leur sport avec rigueur.
S'appuyant sur des élèves détectés et formés au sein de l'école par des entraîneurs
qualifiés (13), ils s'ingéniaient à extraire les trésors cachés du basket en soumettant les
joueurs à un travail acharné; le jeu, bousculé par ces «fanatiques du perfectionnement»
craquait, se recomposait, évoluait à un rythme effréné... alors que, nous fortifiant dans la
croyance que «l'essentiel était de participer», nous continuions à considérer le basket
comme un aimable divertissement.
Pourtant, après l'instauration des premiers championnats continentaux et les contacts
divers qui s'ensuivirent avec les équipes étangères, les dirigeants durent tenir compte de
la réalité : si l'on voulait tenir un rang honorable sur la scène internationale, un changement
s'imposait. Celui-ci eut lieu, non sans réticences.

Le premier virage: 1944. Le basket-sport


Le mouvement s'ébranla à partir des plus jeunes, c'est-à-dire des joueurs. Ces
derniers avaient remarqué, au cours des tournois européens, que certains de leurs
adversaires, en particulier les Lithuaniens (qui possédaient de nombreux joueurs d'origine
américaine), avaient une manière de procéder différente de la leur: au lieu de laisser libre
cours à la spontanéité fantaisiste de chaque individu, ils jouaient méthodiquement en
suivant un plan minutieusement établi qu'ils exécutaient avec maîtrise et rapidité. Ils
commencèrent donc à exiger un peu plus de sérieux dans la préparation mais se
heurtèrent violemment aux dirigeants «immobilistes et conservateurs par excellence»
(Henri Lesmayoux, capitaine entraîneur de Championnet Sport) qui se refusaient à adopter
des méthodes «peut-être parfaitement adaptées au tempérament américain fait d'enfantil-
lage et de persévérance » mais qui de toute évidence ne pouvaient convenir au caractère
français «plus ouvert à l'inspiration».
La querelle, à la longue, tourna à l'avantage des joueurs qui démontrèrent, d'abord
dans leurs clubs (dont ils étaient les techniciens écoutés) puis en Equipe Nationale (en
s'érigeant comme conseillers du sélectionneur) que la balle au panier des belles années
était passée de saison et qu'il fallait suivre à la lettre les préceptes des «maîtres
yankees»; le virage était négocié. Les Français partaient à la recherche du modèle
américain. Le retour des Alliés en 1944 fut décisif; trente ans après avoir admiré d'un air
goguenard le basket nord-américain, nous étions prêts à transformer notre gentil jeu de
patronage en sport authentique. Du même coup naissait l'entraîneur.
(12) «Notre jeu était fait d'improvisations souvent brillantes, d'adresse remarquable, de vitesse et aussi
d'enthousiasme. Cela donnait un jeu décousu certes, mais quelques-unes de ces envolées étaient si belles, si
parfaites dans leur exécution, qu'elles prenaient l'allure de tactiques patiemment étudiées. » (R. Busnel,
op. cit.).
Cette manière de procéder si elle donnait parfois lieu à des mouvements «géniaux» traînait le plus
souvent sa misère dans le désordre si bien qu'un journaliste français (Gilbert Bideaux) ne sachant plus
comment
laisser-fairequalifier
total. ce qu'il voyait baptisa ce style de «Ripopo», expression charmante qui désigne encore le
(13) Bien avant 1920, les Universités américaines étaient dotées de techniciens ; le premier en date fut le
célèbre Forrest «Phog» Allen (décédé en 1974) que Naismith appela lui-même «père de l'entraînement».
Afin de résumer cette période importante nous citons de larges extraits d'un article de
Robert Merand paru dans le bulletin de l'Amicale des entraîneurs en mars 1952; ce texte,
auquel nous apporterons des précisions par des notes en bas de page, possède le mérite
de situer la genèse de l'entraîneur dans le contexte de l'époque.
«Depuis la Libération, le basket-ball en France s'est engagé dans une nouvelle phase
de développement, qui se traduit par une progression de la qualité du jeu que fournissent
les grandes équipes françaises. Mais ce qui caractérise aussi cette période, c'est qu'elle
voit se former une conception d'ensemble propre au monde du basket et dont le point
central est l'idée de l'évolution du jeu (14).
Avant la guerre, quelle que soit la façon dont ce jeu pouvait se présenter, tout se
passait comme s'il devait rester semblable à lui-même tant qu'il durerait. Fixe et immobile,
telle était la notion qui prévalait. Aussi, tout changement dans la technique et la tactique,
toute modification des règles étaient considérés comme une fantaisie regrettable, comme
des sources de perturbations redoutables, intervenant dans un ordre de choses ossifié au
sein duquel on serait volontiers resté confortablement installé jusqu'à ce que mort
s'ensuive.
Maintenant se fait jour la notion que ce sport est sorti du chaos, de l'imperfection du
début, qu'il s'est développé. Cette conception se vérifie dans les faits. C'est ainsi qu'au
cours de sa croissance, le basket a engendré dans son sein, un personnage nouveau :
l'entraîneur.
«L'entraîneur français, digne de ce nom, ne date que de 1945 environ.» Telle est
l'opinion de Robert Busnel. C'est aussi la nôtre. C'est celle de quiconque se penche avec
réflexion, sur l'histoire des progrès du basket français. Certes, partager ce point de vue, ce
n'est pas mésestimer ceux qui assumaient les responsabilités de l'entraînement avant
1945, c'est considérer qu'avec l'apparition du basket moderne... se transformait la question
de l'entraînement (15).
Les exigences nouvelles du basket ont donné à l'entraînement un caractère de
nécessité qui lui était souvent contesté (16). Elles ont consacré l'importance de
l'entraîneur, élément désormais indispensable à la vie du basket. De «meneur de jeu »
qu'il était avant cette période (17) il devient «homme possédant de son sport une
connaissance approfondie basée sur un plan de travail méthodique» (R. Busnel).
(14) Suite à l'apport de l'école américaine, avec ses termes spéciaux en langue anglaise, les techniciens
français avaient bien du mal à se comprendre lorsqu'ils s'entretenaient de questions d'entraînement ; c'est pour
cette raison qu'ils décidèrent en mars 1948 de se réunir pour tenter de parler le même langage ; en quatre jours
ils mirent au point la terminologie qui fut employée jusqu'en 1978!
(15) Quoiqu'ils n'aient jamais revendiqué ce titre les premiers dirigeants furent aussi les premiers
entraîneurs : leurs notions techniques se résumaient à la connaissance du règlement et à quelques mouvements
d'éducation physique.
Le basket s'étant développé à partir des «Foyers Américains» que ces derniers avaient aménagés dans les
régions de l'Est (elles-mêmes fortes en garnisons) il semble que les tout premiers entraîneurs «dignes de ce
nom» furent «des cadres plus ou moins militaires habitués à mener des hommes» (H. Lesmayoux). La
suprématie du basket alsacien entre les années 25 à 30 (animé par Tondeur, soldat de carrière) et l'œuvre du
capitaine Beaupuis qui rédigea le premier règlement français avant d'être le responsable du «Bataillon de
Joinville» (cœur du sport national en ce début de siècle) viennent appuyer les dires de ceux qui ont vécu cette
période. D'autre part, cette thèse s'appuie sur les travaux de chercheurs qui ont mis en évidence le rôle de
l'armée dans la diffusion des activités sportives en France. On pourra à cet égard lire l'article de MM. Pociello
et Vigarello dans la Revue Esprit, mai 1975: «Itinéraire d'un concept», p. 704.
(16) «Les joueurs savent ce qu'ils ont à faire puisque ce sont les meilleurs; «leurs connaissances
spontanées sont bien suffisantes, alors laissons-les faire selon leur «habitude» et n'intervenons pas dans la
technique». (Propos tenus par un sélectionneur français et rapporté das la revue Servir le basket).
(17) L'expression est d'autant plus juste que pendant des années le véritable entraîneur fut le capitaine,
lequel capitaine état le plus souvent le meilleur de son équipe, le plus apte au commandement et le plus
enthousiaste : comme d'autre part, le règlement n'autorisait pas encore que des conseils soient prodigués aux
joueurs depuis la touche on ne voyait pas la nécessité de posséder un «meneur de jeu» ailleurs que sur le
terrain. Les modifications du code signeront l'apparition du «manager» qui perdra ainsi son rôle de
«soigneur», pour être à la longue remplacé par le «coach» à la fois directeur de l'entraînement et responsable
de l'équipe pendant le match.
Pour assimiler la variété des combinaisons, pour enrichir la gamme de leurs gestes
les joueurs doivent travailler assidûment: il faut s'entraîner; cela ne peut se réaliser sans
travailler correctement: il faut un entraîneur.
L'entraîneur est donc celui qui est capable de faire acquérir la maîtrise de tous les
matériaux du basket moderne. Il apparaît comme un moyen de diffusion permanent et
vivant... se formant à l'aide de stages de différents degrés (18)... afin qu'il possède une
connaissance du basket entretenue par un échange incessant entre les deux formes
(directe — savoir personnel — et indirecte — enrichissement au travers des idées des
autres) de l'expérience. »
Ainsi, en France, en raison de la lente maturation du basket, l'apparition du
«phénomène entraîneur» est-elle assez tardive; par ailleurs, les conceptions sur son rôle
et sa formation prirent un tour polémique qui se solda, après une rude bataille, par la
désaffection d'une partie de ceux qui avaient placé leur sport favori sur le chemin du
renouveau, arguant que les pouvoirs en place étaient plus sensibles au «faire-valoir» et à
la démagogie qu'à la fonction éducative de l'entraîneur; les responsables, de leur côté,
accusèrent les «professeurs» (car un certain nombre d'entre eux l'étaient effectivement)
d'être des «tacticiens du Café du Commerce».
En fait, et tous les ouvrages que nous avons consultés le confirment (19) les buts que
se proposaient les deux factions étaient identiques : imposer l'entraîneur comme un
personnage central et indispensable ; seule la manière d'y parvenir les opposait. Les uns
désiraient un entraîneur raisonné, débarrassé des épithètes dithyrambiques qu'une certaine
presse se plaisait à répandre, alors que les autres, sans rejeter la nécessaire «science»
se refusaient à «tout mettre en équation», acceptant en corollaire qu'un voile de mystère
plane sur la fonction, laissant ainsi libre cours aux interprétations les plus diverses (20).
Pourtant, nous pensons qu'avec le recul, il semble possible d'affirmer que ces
disputes d'écoles, où chacun caricaturait l'autre à loisir, cachaient le véritable objet de la
bataille: la conquête du pouvoir.
Deux hommes dissemblables, pour qui le partage ne semblait pas possible
s'opposèrent farouchement pour l'obtenir alors qu'ils apparaissent, aujourd'hui, complé-
mentaires.

La querelle Busnel-Frezot et ses implications


Pendant la seconde guerre mondiale alors que le basket continue malgré tout à vivre,
Robert Busnel circule de clubs en clubs entraînant avec lui une phalange de joueurs de
qualité auxquels il octroie des avantages ; ce faisant, il installe un processus professionnel

(18) Face aux besoins de plus en plus fortement manifestés par de nombreuses équipes, l'entraîneur
devint une nécessité : dans un premier temps une Commission Technique, comprenant des internationaux
devenus entraîneurs édita un opuscule — Eléments de méthode de jeu — qui fut le premier manuel
d'entraînement méthodique ; par la suite, des stages furent mis sur pied. Le premier en date fut organisé à
Joinville du 29-11-43 au 18-12-43 sous la direction de MM. Tondeur et Hell à l'instigation du gouvernement de
Vichy; parallèlement à cette action officielle l'U.G.S.P.F., qui allait devenir à la fin de la guerre la Fédération
Sportive de France, organisait des séances pour que ses adhérents soient informés de l'évolution de la
technique. Dès la fin de la guerre Michaël Ruzgis (américain d'origine lithuanienne) explicita, au cours de
stages demeurés célèbres les premiers grands principes technico-tactiques du basket moderne.
Plus tard, des organisations fédérales virent le jour, donnant naissance à la Commission Fédérale
Technique et de Formation et enfin à la Direction Technique Nationale du Basket Français qui est à ce jour
responsable de la formation et du perfectionnement des entraîneurs.
(19) Archives de la Fédération Française de basket-ball. Revues de l'amicale des entraîneurs de
basket-ball.
(20) Les membres des Patronnages qui avaient été à la base du «mouvement réformateur» constituaient
une troisième tendance ; ils insistaient sur la fonction animatrice de l'entraîneur qui devait «tendre par des
actions multiples et convergentes, au développement de toutes les facultés humaines». Les partisans de cette
formule, après avoir soutenu un moment le groupe des «rationalistes», abandonnèrent dès que les événements
prirent un tour plus polémique.
à l'intérieur d'un sport tout entier voué à l'amateurisme le plus authentique et suscite de
solides jalousies en remportant titres sur titres.
Ala fin du conflit, ces petits scandales vont prendre une certaine ampleur au moment
de la sélection des joueurs pour les Jeux Olympiques de Londres; une enquête est en
effet ouverte officiellement sur les agissements de R. Busnel et de ses équipiers. Menée
par le Colonel Desroy du Roure, inspecteur général de la Jeunesse et des Sports, elle
aboutit à l'éviction de quelques joueurs et à la nomination de Busnel comme entraîneur de
l'Equipe de France, alors que Emile Frezot postulait cette fonction.
En fait, Busnel activement soutenu par le président de la F.F.B.B. (21) a beaucoup
mieux su attirer les sympathies.
Les deux hommes également ambitieux sont foncièrement opposés : Busnel vit du
basket et ne s'en cache pas (22), possède un sens de l'improvisation élevé, a de la
faconde et de l'audace : c'est un sensitif et un bon vivant. Engagé politiquement, Frezot
est un professeur d'E.P.S. ; méticuleux et obstiné, il est, à l'époque, techniquement
supérieur à son concurrent, mais il a l'abord froid.
Le premier est spontané et fait confiance aux circonstances qu'il sait merveilleusement
tourner à son avantage: il séduit; le second est partisan d'un basket méthodique
s'appuyant sur l'observation rigoureuse du jeu : il agace. L'opinion préférera l'intuitif
meneur d'hommes au scientifique pointilleux.
Quant au petit monde des techniciens, il se range derrière les deux protagonistes
selon qu'il se reconnaît d'une manière ou d'une autre dans l'un des hommes qui
soutiennent des conceptions si différentes. Cela durera dix ans.
En effet, à la suite des Jeux Olympiques de Londres, Frezot et ses amis créent une
«Amicale des Entraîneurs de basket» qui se propose «dans le plus pur esprit de
coopération et pour la seule gloire du sport» de «Servir le basket» (titre de leur revue);
Busnel participe un court moment à ces travaux mais quitte rapidement «l'Amicale» qu'il
va combattre en suscitant au sein de la F.F.B.B. un «Groupement des Entraîneurs»
concurrent (23).
Après de multiples péripéties et des tentatives de rapprochement qui furent des
échecs en raison des positions de chacune des parties (24), la F.F.B.B. devint totalement
(21) ... Monsieur Charles Boizard fut président pendant onze ans (1945-1955). Il marqua profondément
la F.F.B.B. de son empreinte et conserva après son départ une influence sur les décisions de la Fédération.
«... la médaille d'argent remportée par l'équipe Nationale à l'issue des Jeux Olympiques de 1948 à
Londres fut le couronnement de votre œuvre magnifique. Elle fut aussi celle de Robert Busnel dont, grand
découvreur d'hommes, vous aviez su détecter sous les éminentes qualités de joueur de classe internationale les
dons d'éducateur et de meneur d'hommes, et fait de lui un prestigieux entraîneur qui est devenu par la suite le
combien dynamique Président de cette grande Fédération. » (Allocution prononcée le 17 octobre 1975 par le
Colonel Desroy du Roure à l'occasion de la remise des insignes de Commandeur de l'Ordre National du
Mérite à Monsieur C. Boizard.)
(22) Accueillant à Lyon le Colonel Desroy du Roure, chargé de mener l'enquête, Busnel lui dit sans
ambages: «Je sais pourquoi vous venez ici, mon Colonel. Aussi, vais-je vous faciliter la tâche. Je suis
effectivement un professionnel. Maintenant vous me ferez plaisir en acceptant de dîner avec moi. » (Rapporté
par Marcel Hansenne in Le basket-ball, Domaine du sport. 1963.)
Et plus tard, Robert Busnel lui-même :
«... à quinze ans et demi, sortant champion de France des Arènes de Lutèce à Paris, un dirigeant
enthousiaste me glissait un billet de vingt francs dans la main... Je n'ai donc jamais connu ce qu'était un
véritable amateur. J'étais prédestiné». (Discours prononcé au cours du quarantième anniversaire de la
F.F.B.B., 1972.) Basket-ball, n° 431, juillet-août 1972.
(23) Création de l'Amicale : septembre 1949; création du Groupement : janvier 1953. (Les deux
organismes disparaissent pratiquement en même temps.)
(24) Positions d'autant plus tranchées qu'il semble bien que l'apolitisme déclaré de la Fédération se soit
heurté aux idées gauchisantes de quelques dirigeants de l'Amicale. Nous n'avons trouvé aucun texte affirmant
nommément cette opposition mais les conversations que nous avons eu et les extraits ci-dessous donnent des
indications précieuses :
11 février 1952: René Rivals et A. Caillet écrivent au président de la F.F.B.B. et lui demandent:
1. «de nous faire l'honneur d'accepter de présider le comité patronage de notre revue»;
2. «d'honorer le prochain numéro d'un article de son choix»;
maîtresse de la situation ; peu à peu tous ceux qui se réclamaient d'une vision
«amicaliste » du basket disparurent. Cette querelle —qui peut paraître anodine trente ans
après — et plus sûrement son dénouement, freina l'essor du basket en le privant d'un
courant de pensée dont on reconnaît aujourd'hui le bien-fondé.

Le second virage: 1967. Le basket-spectacle


Jusqu'alors, quoique riche de la masse de ses pratiquants, le basket restait un sport
quasi confidentiel au niveau de l'élite ; après qu'il eût drainé les foules autour des années
50 en raison du rang très honorable qu'il tenait sur la scène internationale, on avait assité
à une diminution d'intérêt grandissante au plan national : l'essoufflement des équipes
dirigeantes, la qualité du jeu, l'étroitesse des salles ou leur absence et la relative discrétion
de la presse en étaient la cause chacuns à leur manière.
Les clubs gardaient, pour leur très grande majorité, les structures familiales, amicales
et bénévoles qui avaient présidé à leur création : l'organisation se résumait à prévoir le
déroulement des rencontres et les déplacements, le financement assuré par des donateurs
sympathisants voire des mécènes, était le plus souvent le fait des municipalités et si
quelques joueurs recevaient des «manques à gagner» les débours ne perturbaient en rien
l'équilibre financier des associations.
En somme, et bien que les trésoriers se plaignissent de leurs maigres ressources, les
assemblées de fin d'année se déroulaient dans une sérénité de bon aloi, les éventuelles
impasses obligatoires étant comblées par l'organisation de bals ou de tombolas, des
appels à la générosité d'un industriel et les renflouements des édiles toujours menacés,
pour le plus grand péril de leurs ambitions électorales, de voir les dirigeants «mettre la clé
sous la porte».
La décision fédérale d'autoriser la participation de deux étrangers par équipe dans le
championnat national allait bouleverser l'ordre des choses et précipiter un mouvement dont
les conséquences s'avéreraient irréversibles (25).
La majorité des associations adoptèrent la nouvelle mesure. Les Etats-Unis représen-
taient un réservoir inépuisable ; elles y puisèrent en proposant à un, puis deux joueurs
américains de venir (contre rémunération) renforcer leurs équipes.
Un vaste marché s'institua. Propositions, transactions, surenchères, marchandages et
tout le cortège des habitudes professionnelles s'engouffrèrent dans un monde jusque-là
paisible.

3. «d'avoir l'obligeance de présenter aux lecteurs de "Basket-ball", notre nouvelle revue».


16 février 1952: Le président Boizard répond: «J'ai le regret de vous faire connaître que le bureau
fédéal n'a pas cru donner une suite favorable à votre demande, ne pouvant patroner un bulletin dont il n'aurait
pas le contrôle».
16 juin 1952: Ayant sollicité une réponse aux points deux et trois, l'Amicale recevait du Président: «J'ai
le regret de vous faire connaître que le bureau fédéral n'a pas cru m'autoriser à vous donner satisfaction, votre
association paraissant poursuivre des buts "extra-sportifs" » ... (Extraits de la revue Servir le basket. Pas de
référence de dates).
D'autre part, nous trouvons dans le n° 259 de la revue officielle de la Fédération Basket-ball, un article
de M. Boizard écrivant entre autres choses: «il y a parmi les rédacteurs du bulletin de l'Amicale des
camarades qui ont tendance à faire l'apologie de théories qui n'ont rien à voir avec le sport».
(25) «... Heureusement qu'un vent de folie commençait à souffler sur la France endormie depuis trop
longtemps et que tout était permis ... Je mis donc le basket au goût du jour. L'introduction de la
main-d'œuvre étrangère, si j'ose m'exprimer ainsi, déchaîna les passions. On fut pour, on fut contre et ce n'est
pas fini...» (R. Busnel. Discours prononcé pour le 40 anniversaire de la F.F.B.B.-Basket-Ball n° 431.)
Cette brusque intrusion de l'argent, et de l'argent distribué, dans un domaine où la
plupart des responsables restaient attachés à une certaine forme d'amateurisme créa de
nombreux conflits. Emportés par cette «révolution » que la Fédération ne pouvait ou ne
savait freiner, placés devant le cruel dilemme de suivre le mouvement sous peine de
disparaître, les clubs, parfois à leur corps défendant mais sans rien proposer qui puisse
stopper l'inflation, entreprirent une escalade vertigineuse à laquelle ils n'étaient pas
préparés.
Alors qu'ils se croyaient toujours à la tête d'une association de détente, de loisir et
d'éducation, les dirigeants se trouvaient confrontés aux aléas d'une entreprise de spectacle
et des mots absents de leur vocabulaire sportif prenait tout à coup une importance de
premier ordre: rentabilité, gestion, contrats, investissements, «sponsor» et même charges
sociales devinrent peu à peu leur lot quotidien puisque la Fédération, après avoir autorisé
les équipes à s'assurer le concours de supports publicitaires, exigeait de ses clubs un
assainissement financier en demandant que les émoluments des joueurs soient régulière-
ment déclarés (26). Saisi par «l'américanisation » (27) à l'image de tous les pays
européens, soutenu par la presse spécialisée et la télévision, le basket devenu sport
majeur avait, en quelques années, changé de visage.
Les puristes, au nom de l'éthique sportive, s'épuisèrent en vaines réprobations; leurs
voix furent rapidement noyées dans le fracas des applaudissements d'un public
envahissant des gymnases devenus trop exigus. Nous pensons que le basket, malgré les
abus qui l'ébranlent parfois, poursuivra son ascension, du moins tant que notre société
sera économiquement et peut-être bientôt culturellement à la remorque des Etats-Unis.

(26) Les joueurs de basket, quoique affiliés à une Fédération Olympique déclarent leurs revenus (régime
de l'évaluation administrative) au même titre que les artistes et les professions libérales. Cette situation a le
mérite de la clarté ; d'autres sportifs de «haut niveau » perçoivent autant d'argent que les basketteurs sans
«l'avouer» fiscalement.
(27) Des dispositions prises par les Pouvoirs Publics pour simplifier les formalités de naturalisation
jouèrent à leur insu un rôle d'accélérateur du processus. De nombreux joueurs étrangers se firent naturaliser
avec une rapidité parfois suspecte à la suite d'une décision fédérale de limiter le nombre d'étrangers par
équipes. Devant cette nouvelle manière de tourner la loi sportive les instances nationales furent obligées de
prendre des mesures d'urgence (limitation du nombre de joueurs d'origine étrangère puis limitation du nombre
des étrangers). Décisions du Comité Directeur au 25 octobre 1975 et du 23 avril 1977.
,Et la valse des règlements continue ; au gré des péripéties diverses («affaire Bisseni » sur la participation
des joueurs d'origine étrangère, «affaire Dancy» sur les mariages blancs...) la F.F.B.B. décide:
— les joueurs étrangers évoluant en nat. III et IV doivent posséder une carte de séjour valable 3 ans (saison
82-83) ;
—les joueurs étrangers évoluant en nationale 1 (masculine) seront au nombre de 2 ; les autres (réintégrés,
naturalisés...) devront posséder une licence française depuis 5 ans. Cette décision applicable pour la saison
83-84 a été cassée par le Conseil d'Etat... mais la F.F.B.B. a fait appel (novembre 1983);
— pour les filles le règlement n'autorise qu'une étrangère en nationale 1 et aucune ailleurs (sauf carte de
séjour...) jusqu'en 1984 où les étrangères sont totalement prohibées... pour être à nouveau autorisées en
1985.
DEUXIÈME PARTIE

L'évolution
du basket-ball

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