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La fin d’un père

Elle ne pouvait plus lui dire «non ».....Elle disait toujours « oui!.... Tout de suite » quoiqu’il ordonnât .....
Aussi uniques que fussent les ordres qu’il donnait. Toujours elle répondait : « oui...tout de suite ! ». Elle se
souvenait des premiers temps de son mariage. Elle avait seize ans. Durant une ou deux semaines, il l’avait
gâtée....exauçant tous ses désires. Parfois elle disait «non !». Puis, elle ne sait pas ce qui s’est passé ensuite. Il
s’était faufilé dans sa personnalité et l’avait effacée. Elle n’avait plus de personnalité dans sa maison….. Elle
n’avait plus droit à ses yeux....Les droits, s’était lui qui, désormais, les avait tous…..et tous les devoirs lui
incombaient à elle. Petit à petit, elle avait cessé de résister .....Elle ne revendiquait plus un seul droit et ne se
plaignait plus d’aucune obligation ...... Elle était devenue, pour lui, un être humain sans aucune vie, sans aucune
existence. Elle ne vivait et n’existait que par lui, grâce a son existence a lui ... Elle devient un objet dans la
maison.....Un corps flasque et sans beauté ...un esprit terne et inintelligent d’une certaine manière ..... Elle eut
deux filles et un garçon ...II en était le maitre et décidait de tout ce qui les concernait. Elle apprit a ses enfants à
le craindre comme elle-même le craignait .....À lui obéir comme elle-même lui obéissait et à renoncer à son
profit, à leur vie et à leur existence. La fille grandit et alla en classe....Elle obtint le certificat d’études
primaires ... Elle entra au lycée....

Un jour elle rentra à la maison. Son père l’accueillit en hurlant.

- Enlève le serre-tête rouge que tu portes sur les cheveux. La fille s’arrêta, éberluée, devant lui. Elle lui dit
innocemment :

- Pourquoi ?

Le père se tut un instant comme s’il avait reçu un coup de poignard…. La mère était terrorisée comme si une
catastrophe venait de se produire. C’était la première fois qu’elle entendait quelqu’un discuter un ordre de son
mari. Le père se réveilla soudain et cria :

Tu fais de la contestation, fille sans éducation ....Je te dis d’enlever le serre-tête. Elle l’enleva et haussa les
épaules dédaigneusement. Le père se replongea dans le silence.....Il sentait remuer dans sa poitrine le poignard
que sa fille y avait planté. Jamais, il n’avait entendu chez lui, le mot : « pourquoi ». Bien plus lui-même ne
s’était jamais interrogé une seule fois sur les ordres qu’il donnait ...... Il se demanda pourquoi il avait demande à
sa fille d’ôter le serre-téte. Cette interrogation avait l’allure d’une expérience nouvelle qu’il effectuait sur lui-
même. Il ne trouva pas de réponse à cette question ....Pour la première fois, il eut le sentiment qu’il n’avait pas
raison….. .Il était sur le point de sentir qu’il était un oppresseur et un tyran .... Il éprouva en son fond intérieur
la peur.., la peur de ‘sa fille ... Elle lui demandera constamment « pourquoi » ...Elle exigera de lui des
justifications …. I1 entrera en discussion avec elle et il se pourrait alors qu’elle prenne le dessus. Il voulut
retrouver sa confiance en lui-même, se prouver que ses ordres s’appliqueraient à toute la maison, qu’ils étaient
exécutés et sans discussion. Il se dirigea vers sa fille et lui cria :

- Pose la revue que tu as dans la main! Elle leva sur lui des yeux moqueurs et lui dit comme si elle le prenait
en pitié :

- Pourquoi ?

Le père fit deux pas en arrière. Puis il se rua sur sa fille et lui arracha la revue des mains ....Elle le laissa faire,
en souriant.....en riant presque.
Cette fois la mère ne fut pas effrayée ....Au contraire, elle regarda sa fille avec une profonde admiration. Elle
sentit qu’elle venait de retrouvait sa personnalité ravie ..... Elle sentit que les humiliations d’une longue vie
passée toujours à dire « oui » serait lavée l’existence digne de sa fille. Celle-ci avait pu dire « pourquoi ? ».
Demain elle dira « non » ...et elle l’entendra, elle.... Elle entendra ce « non » jeté a la face de son mari-
oppresseur et tyrannique. Elle le verra, jour après jour battre en retraite et perdre sa domination peu à peu.

Elle se pencha sur sa fille pour l’embrasser .....Comme si elle l’appelait à l’aide pour la venger.

Ishan Abdel Qoddous, SNED 1970,


Le voleur d’autobus et autres nouvelles.

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