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Histoire de l’Art
#2
HELHa 2022-2023 P106A

Coup d’œil

LE STREET ART
Le parcours « L’Art habite la ville » de la ville de Mons vous a peut-être
permis de découvrir la ville autrement et de casser son image. Depuis sa
désignation comme capitale européenne de la culture (en 2015), il faut
reconnaître que la cité du Doudou fait des efforts... même si la gare de
Calatrava rappelle qu’art et magouilles font encore parfois bon ménage.

Terminé, l’art réservé aux élites, abrité dans des musées que seuls les
initiés fréquentent. Le street art s’offre à tous, sous toutes les formes et
dans toutes sortes d’environnements. Ce n’est d’ailleurs pas le seul de ses
mérites.

© Banksy

© B. Devuyst 2
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QUAND L’ART A BESOIN D’AIR

Le street art est un mouvement artistique contemporain qui s’exprime


dans l’espace public. Cet art de la rue bouscule une fois de plus notre
rapport à l’art : fini les espaces fermés, les musées guindés : le street art
est non seulement accessible 24/7 mais en plus, il est gratuit. C’est la rue
qui fait office de cadre, avec ses innombrables opportunités de
s’exprimer... le plus souvent pour revendiquer, protester, voire provoquer.
Le street art, ce n’est pas du mou !

Vous connaissez Matt Willey ? Ce peintre de rue new-yorkais a acquis une


certaine notoriété depuis plus de 25 ans. Ces dernières années, il s’est fait
particulièrement remarquer avec son projet The Good of the Hive (Le Bien
de la Ruche). L’idée : peindre 50.000 abeilles sur 50 murs à travers le monde
afin de sensibiliser le public et les autorités à l’urgence de préserver la
biodiversité. Ses œuvres se voient de loin, les médias s’intéressent, le
bouche à oreille (offline et online) fait le job...

© Matt Willey

Le nombre 50.000 ne doit rien au hasard : c’est la quantité habituelle


d’abeilles vivant dans une ruche en temps normal. Sauf que l’usage
intensif des produits chimiques, la raréfaction de leurs zones de vie et le
dérèglement climatique les ont décimées.

Willey incarne magistralement les vertus de l’artiste de rue d’aujourd’hui :


• Il a du talent
• Il a des convictions

© B. Devuyst 3
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• Il fait passer un message perd-il pas son âme dès qu’il entre dans un processus marchand et
• Il stimule le débat spéculatif ?

< Vidéo >


TERMINOLOGIE
Au départ (il y a une quarantaine d’années) purement instinctive,
l’expression artistique hors des musées est restée longtemps liée à un mal- Le street art désigne à la fois les graffitis, tags, fresques, yarn bombing... Il
être et un esprit de révolte. La preuve avec les révolutions arabes : on s’exprime à travers de nombreuses variétés de matériaux : bombes
trouvait à chaque coin de rue de Tripoli ou de Tunis des slogans ou des aérosol, mosaïque, pochoirs, collages, stickers, tricot... Remettons un peu
graffitis qui mobilisaient les foules et dénonçaient les exactions. Le célèbre d’ordre dans tout ça.
« Dégage ! »... La revendication reste présente mais plus soft, comme le
montre le travail de Willey. TAG
De l’anglais To tag : mentionner, indiquer le nom de quelqu’un. En publicité
on parle de tag-on publicitaire à la fin d’une émission télé, par ex., ce qui
signifie signature.

Le tag est l’ancêtre du graffiti moderne. Il représente la signature de son


auteur et doit respecter deux règles absolues : être unique (tiens tiens !) et
être (beaucoup plutôt que peu) stylisé. Le tag représente un assemblage de
lettres. C’est donc une certaine forme de calligraphie. Très vite, la
stylisation des lettres se radicalise et se développe, jusqu’à parfois nuire à
VALEUR MARCHANDE la lecture ! Qu’importe, la qualité graphique prime sur la lisibilité. La
Mais que valent les œuvres de graffeurs et autres tagueurs ? Tout le monde signature se transforme en logo.
se souvient de la mise aux enchères de Girl with Balloon signée Banksy à
Londres en 2016. Aussitôt adjugée à plus d’1 million d’euros, l’œuvre s’est
autodétruite sous le regard médusé de l’assistance...
< Vidéo >

Banksy est probablement le plus « bankable » des artistes street art. Kaws
n’est pas mal non plus dans le genre. Il a vendu plus d’œuvres en 2019
qu’une des stars de l’art contemporain : Jean-Michel Basquiat. Ses œuvres
atteignent environ 15 millions de dollars. Comme pour tous les courants
artistiques qui se développent, la question reste la même : le street art ne

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Les premiers tags apparaissent sur des trains à New York dans les années On retrouve dans le geste de ce Kilroy les prémices du mouvement
70. C’est l’époque où la discipline est encore confondue avec vandalisme, artistique qui apparaîtra un peu plus tard : un message, un contexte et une
et ses auteurs pourchassés par la police. Zephyr (Andew Witten) et Phase viralité (tout le monde en parle).
2 (Lonny Wood) incarnent cette époque sauvage et clandestine du street
art. Phase 2 est considéré comme l’inventeur des Bubble letters. Autre particularité du street art : l’œuvre est dépendante de son
environnement. Elle fait partie d’un tout, elle s’intègre dans un contexte
(urbain, le plus souvent) qui signifie quelque chose cf. Mark Jenkins ci-
dessous. C’est une autre grande règle du tag - et des autres formes
d’expression qui suivront -. Les tagueurs ont l’œil pour dénicher les
endroits où leur travail aura le plus d’impact et le plus d’allure. On raconte
même que des équipes de JCDecaux (l’entreprise leader mondial en
matière d’espace publicitaires) surveillent les endroits tagués pour les
acquérir et les transformer ensuite en espaces publicitaires.

Qui dit tag dit bombe aérosol. C’est le premier matériau avec lequel les
artistes de rue se sont exprimés dès les années 70. La bombe aérosol était
un outil purement industriel utilisé (notamment) dans l’automobile et le
secteur de l’armement.
© Mark Jenkins

« Kilroy was here » GRAFFITI


Graff, graffeur, graffiti... Le mot « graffiti » est beaucoup plus ancien qu’on
Anonyme le croit ! Il vient de l’italien graffito et désigne une inscription ou un dessin
tracé sur les murs des villes antiques. À Rome et en Grèce, il n’était pas rare
L’origine du street art remonterait en réalité à la seconde Guerre mondiale. de trouver en rue des messages écrits sur les murs. Il pouvait s’agir de
Dans une usine d’armement de Detroit, un ouvrier prénommé Kilroy aurait messages politiques (élections), sportifs (supporter un gladiateur),
tout d’un coup inscrit à la bombe de peinture sur une... bombe la religieux, voire personnels cf. cours de médias. Ils servaient à dénoncer ou
phrase « Kilroy was here ». Il attrape rapidement une réputation auprès à exprimer une émotion (amour, humour, honte, exaspération).
des soldats qui installent les bombes dans les avions en partance pour
l’Allemagne. La phrase est devenue mythique aux USA, ainsi que Le graffiti tel qu’on le connaît surgit dans les années 80, en particulier dans
l’illustration qui l’accompagne (allez jeter un œil sur le Web et vous verrez). certaines métropoles américaines : Philadelphie, New York, Los Angeles,

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Chicago. L’artiste ne se contente plus d’écrire et de signer mais représente C’est Magda Sayeg qui, la première, décide d’envelopper la poignée de
un message beaucoup plus élaboré, une « scène ». Pourquoi parler de porte de sa boutique de Houston (USA) avec du tricot. Son idée se répand
graffiti plutôt que de fresque ? Parce que le graffiti est clandestin et illégal, à grande vitesse et envahit l’espace public des villes d’Amérique du Nord ,
au contraire de la fresque. Assez rapidement, le graffiti s’affine et devient puis du Royaume-Uni, puis d’Europe. Bancs, bicyclettes, statues, ponts,
de plus en plus « designé ». Les graffeurs célèbres ne sont plus escaliers et bien sûr arbres renaissent grâce au crochet. Il faut dire que le
nécessairement ceux qui prennent le plus de risques ou qui produisent le tricot urbain plaît : il est généreux, il apporte de la couleur dans des villes
plus mais ceux qui développent un travail très esthétique. C’est à partir de parfois tristes, il suscite la discussion et provoque les rencontres (cf.
ce moment que le milieu des galeries d’art s’intéresse au street art. On expérience perso). Certaines réalisations sont épatantes. Le MoMA
connaît la suite. (Museum of Modern Art) de NY a récemment acquis ses premières pièces...
< Vidéo Arte Creative >
Sans compter que le tricot fait son come-back au sein des jeunes
YARN BOMBING générations cf. le snood (longue écharpe en forme de tube) dont il existe
Yarn = fil. Bombing = bombardement. À vos aiguilles ! Le tricot urbain est des versions canines assez esthétiques (ben oui, c’est aussi une forme d’art
une forme d’expression du street art issue du Land Art*. C’est doux, de la rue)... Le yarn bombing représente une source de relaxation et de
moelleux, gentil, poétique, jamais agressif, humoristique. Définition créativité bien dans l’air du temps. D’après certaines études, le tricot
officielle : « Action de couvrir ou de décorer des objets appartenant à rendrait ses pratiquants plus heureux que les autres. Un supplément de
l’espace public avec des morceaux de laine tricotés. Forme d’art urbain ». bonheur, quoi !
< Vidéo Track >

*LAND ART

CONTEXTE
Le Land Art est un courant artistique contemporain qui utilise
l’environnement et les matériaux naturels pour s’exprimer : bois, pierre,
glace, terre, sable, feuilles, eau, etc. Il s’agit très souvent d’œuvres
extérieures soumises aux caprices du temps, et éphémères. Même si cette
forme d’art trouve ses racines dans la nature, elle n’en reste pas moins
associée au street art, résolument urbain. Certains artistes du land art
exposent d’ailleurs leurs œuvres uniquement dans des métropoles.

© B. Devuyst 6
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À la manière de Christo, il aime emballer les espaces. Ses maisons-échasses


(Stilthouses) sont moins « envahissantes » mais prolongent son
questionnement sur notre rapport à la ville et à la sculpture.

Arne Quinze a frappé les esprits avec son œuvre monumentale éphémère
Uchronia réalisée à l’occasion du festival Burning Man dans le désert du
Nevada. Sacré événement ce Burning Man. Pour rappel, ce rassemblement
entre communauté libertaire, fêtards absolus et people en manque
d’expériences inédites se clôture par un immense brasier. Uchronia,
appelée aussi La gaufre belge, a été réduite en cendres lors de l’édition
2006.
© D. Oppenheim, P. Dougherty, M. Heizer
< Vidéo Burning Man >
Certains pionniers du land art étaient aussi des artistes reconnus d’un autre
courant artistique, le Body Art. Dennis Oppenheim, Patrick Dougherty, CHRISTO (1935-2020)
Michael Heizer sont des références du land art surtout actives dans les On l’appelait l’Emballeur. Né en Bulgarie, Christo Vladimiroff Javacheff fuit
années 70-80. à 20 ans le régime communiste pour s’installer aux États-Unis après un
passage à Paris où il rencontre sa partenaire prénommée Jeanne-Claude.
ARNE QUINZE (1971) Quel couple ! Lui au dessin, elle à l’organisation, eux deux aux idées. Ils
n’ont peur de rien et bousculent les idées reçues. Leur idée ? Dévoiler tout
Vous le connaissez très bien. Son œuvre The Passenger se trouvait au
centre-ville de Mons. Cocorico : il est belge. Il doit sa renommée en cachant. Ou cacher tout en dévoilant.
internationale à ses gigantesques sculptures en bois, souvent colorées. Issu
du street art, il réalise aussi des peintures, de petites sculptures et des
installations lumineuses.

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« Nous devons emprunter l’espace


et y introduire des métamorphoses
douces pendant quelques jours.»
Christo

À première vue, les œuvres du duo « camouflent » quelque chose. Mais


quand on y regarde de plus près et qu’on pousse la réflexion on se rend
compte qu’au contraire, l’emballage révèle une autre voie, une autre façon
de percevoir les choses, un autre chemin. Un peu comme l’outrenoir de
Soulages. C’est intriguant, bouleversant, intéressant... et très impactant.
Christo et JC emballent les médias et les grand public en recouvrant le Pont-
Neuf de Paris de toile en 1985. Quelques années plus tard ce sera au tour
du Reichstag à Berlin. À chaque fois, il s’agit d’une prouesse technique
inouïe qui concrétise des années de négociations avec les autorités.

Rien ne les arrête et tous les endroits de la terre les inspirent : muraille de
Chine, îles du Pacifique, lacs italiens, parcs (cf. The Gates, Central Park NYC
2005)... Leurs installations ne durent en moyenne qu’une quinzaine de
jours et ne s’achètent évidemment pas ! Cette dimension de liberté
absolue ajoute à la démarche unique de ce couple d’artistes majeurs de
notre époque.

Christo déchaîne à nouveau les passions à la rentrée 2021, un an après sa


disparition ! Sa dernière œuvre (posthume, donc), l’emballage de l’Arc de
Triomphe, a nécessité l’utilisation de 25.000 m2 de tissu recyclé (et
recyclable) + 3.000 m de corde + l’intervention d’une centaine de cordistes.
Son coût : 14 millions d’euros 100% autofinancés par la vente d’œuvres de
l’artiste de son vivant. La virulence des avis des passants a de quoi étonner
quand on sait quand le Pont-Neuf (1985) et le Reichstag (1995) ont été

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emballés il y a quand même quelques années. Une démonstration de plus « clan » est un autre fondement de la culture artistique du graffiti. Les
que l’art contemporain ne laisse personne indifférent. On n’apprécie pas bandes (souvent organisées selon des origines ethniques) rivalisent entre
trop quand nos habitudes visuelles, nos repères, notre confort quotidien elles.
sont subitement transformés. Pourtant, à y regarder de plus près, le
monument emballé sort en effet de sa léthargie historique : la lumière se Des wagons de chemins de fer au métro, il n’y a qu’un pas que Keith Haring,
reflète dans la structure, le vent s’engouffre dans le drapé, l’œuvre Basquiat et leurs potes vont franchir ensuite allègrement.
retrouve de la vie... < Vidéo >
< Vidéo >

HOTSPOTS

Valparaiso, Lagos, Bristol, Paris, Bruxelles, Liège... Les musées à ciel ouvert
qui offrent des œuvres street art ne manquent pas. De nouvelles
destinations apparaissent, d’autres disparaissent. La faute à plein de
raisons ! Une tendance se dessine : celle d’organiser des parcours d’artistes
à travers la ville. une bonne façon d’attirer des touristes qui profitent de
leur balade arty pour consommer. Une « récupération » un peu triste mais
qui n’enlève rien au talent des artistes ni au plaisir de découvrir l’art et la
ville autrement. Petit tour non exhaustif (et tout à fait subjectif) de
MELBOURNE
quelques bonnes adresses :
La deuxième plus grande ville d’Australie est considérée comme une des
PHILADELPHIE capitales du street art depuis les années 80. Les autorités municipales ont
compris que cette empreinte artistique au caractère bien trempé pouvait
C’est d’abord à Philadelphie que le graffiti fait parler de lui. Un amoureux
faire venir du monde de loin, et pas uniquement des artistes. Des touristes,
fou nommé Cornbread déclare sa passion pour une jeune femme sur de
aussi. Melbourne est une des premières villes à avoir mis sur pied des
nombreux murs de la ville dans la plus grande illégalité. Il s’amuse et
circuits touristiques spécifiques qui parcourent les quartiers de la ville.
multiplie les messages dans des lieux de plus en plus touchy. Le gars devient
Moyennant le respect de certaines règles, les graffeurs amateurs sont
une célébrité locale et suscite les vocations. C’est le début du graffiti, dans
même encouragés à s’exprimer. Et la ville accueille régulièrement un des
les années 60.
festivals les plus célèbres dédiés au street art.
Fin de la décennie : de nombreuses liaisons ferroviaires relient Philadelphie
à New York, distante d’environ 150 km. Qui dit liaisons ferroviaires dit
wagons ! Un formidable support pour les artistes à la recherche de
notoriété et de succès. Les graffeurs de Philadelphie montrent à ceux de
NYC de quoi ils sont capables, et inversement. À noter que la notion de

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BERLIN
Si la capitale allemande fait partie des destinations incontournables en
matière de street art, elle le doit d’abord à son passé tumultueux. Quand
les grandes puissances ont géré la ville à la fin de la WW2, elles ont un jour
de 1961 élevé un mur resté longtemps vierge de toute trace artistique ou
revendicative. Jusqu’en 1989. Dès que le mur est tombé cette année-là, il
a été envahi de graffitis. Normal, les habitants avaient pas mal de choses à
dire... Keith Haring aussi se rendra sur place.

Le street art est présent partout à Berlin. Toutes les formes d’expression
coexistent. Les quartiers de Kreuzberg et Friedrichshain valent le détour.
Mais le lieu de rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte, c’est
SAO PAULO
évidemment l’East Side Gallery, un pan du mur de Berlin d’environ 1,5 km.
Sale temps pour la métropole brésilienne. Après avoir soutenu pendant
Plus de 100 œuvres réalisées par des artistes nationaux et internationaux
des décennies la pratique du street art, les autorités de la ville ont décidé
décorent l’endroit. Best of des œuvres de l’endroit : Bruderkuss, Test the
en 2017 de changer leur fusil d’épaule et de rendre la ville « plus belle et
Rest, The Wall...
plus attractive ». Ah bon ? L’avenue du 23 mai qui traverse la ville sur 5,5
km et dont les murs étaient recouverts de magnifiques fresques & graffitis
L’un des artistes les plus souvent associés au street art berlinois n’est pas
a été complètement nettoyée. Résultat : du gris à perte de vue. Exit
allemand mais Italien. Son nom d’artiste : Blu. Ses œuvres sont en général
l’espace de street art le plus long d’Amérique latine. Dans ce pays dirigé
immenses. Elles dénoncent les travers de notre temps : guerre, violence,
par l’extrême droite et gangréné par la corruption, graffer ou taguer est
pollution, manipulation. Elles représentent souvent des personnages
condamné par la loi et peut entraîner une peine de prison allant jusqu’à 1
plantés dans un décor inquiétant ou absurde, parfois amusant. Autres stars
an. Les œuvres de cette avenue n’avaient pourtant rien d’illégal ; c’est le
actives : Roa, Eduardo Kobra, Xoooox.
maire précédent qui les avait commandées !
< Vidéo >

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ET CHEZ NOUS ?
Charleroi, Liège, Mons ou Bruxelles multiplient les initiatives et tentent de
se forger une réputation de villes ouvertes au street art. On n’a vraiment
pas à rougir.
Au nord du pays, un petit village hors normes fait lui aussi figure de hotspot
BARCELONE planétaire... Son nom : Doel, à une trentaine de km d’Anvers.
Ici encore, grandeur et décadence. Depuis le milieu des années 2000, c’est Soyez prévenu(e)s : l’accueil est spécial. Tout occupée à développer ses
la chasse au graffiti. Celui ou celle qui se fait pincer reçoit une amende activités portuaires, la métropole flamande a peu à peu exproprié les
immédiate de 800 à 1.000 €. Beaucoup d’œuvres ont disparu. Il faut se habitants de ce paisible village du Pays de Waes. Sans compter qu’à l’image
rendre dans la vieille ville, là où les ruelles sont minuscules et tordues, pour du village wallon de Tihange, Doel avait été choisi comme lieu
encore apercevoir quelques réalisations. Le quartier du Raval, où se trouve d’implantation d’une nouvelle centrale nucléaire. Résultat : quasi tout le
le célèbre marché de la Boqueria, fait de la résistance. Là-bas, bon nombre monde a fui et le village a été progressivement abandonné.
de camionnettes de livraison ont offert leurs flancs aux artistes. Bien vu, et
en plus, ça bouge ! Il n’en fallait pas plus pour que les street artistes prennent possession des
lieux. D’abord considéré comme un endroit glauque qu’il fallait raser dès
que possible, Doel est au fil du temps devenu une destination
incontournable des fans du genre. Il faut dire que le silence et l’inactivité
qui y règnent rendent l’endroit particulièrement surréaliste. Franchement
si vous faites une virée à Anvers, poussez une pointe jusque-là mais
dépêchez-vous : les autorités régionales ont enfin proposé un plan de
rénovation du site. Les maisons délabrées, ce sera bientôt de l’histoire
ancienne.

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< Vidéo >

GRANDS MAÎTRES

Bozar organisait en 2020 une grande expo consacrée à Keith Haring, une
des stars de l’art de rue et de l’art tout court. Tout le monde connaît aussi
l’énigmatique Banksy, les mosaïques d’Invader, les animaux de Roa, les
personnages de Blu... Focus sur l’un ou l’autre géant du street art.

OBEY
Son vrai nom est Shepard Fairay. Ce quinqua américain est avant tout
illustrateur, graphiste et activiste. Il manifeste ses critiques à l’égard du
monde politique en réalisant des fresques dans des espaces publics. Son
œuvre la plus connue ? Hope, portrait de Barak Obama (2008)
< explications >

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Comme beaucoup de ses collègues, il avance masqué. Bizarre, puisqu’on


connaît son identité... L’anonymat reste cependant essentiel à la pratique
de son travail. Ne pas montrer son visage, c’est aussi permettre à chacun
Ses premières œuvres en extérieur sont des centaines de stickers et de s’approprier l’œuvre, de s’y projeter. Environ 4.000 mosaïques
d’affiches qu’il placarde partout en ville, jusqu’à être menacé de poursuites d’Invader décorent les façades de bâtiments disséminés partout dans le
pénales. En bon Américain qui se respecte, il lance son propre business, la monde. Au départ souvent de petite taille, elles ont grandi en proportions
marque Obey Giant. Puis ouvre une agence de com’. Obey navigue au fil du temps. Surtout à partir du moment où il a été actif aux USA ; il
constamment entre univers artistique et monde des affaires. Son style est voulait que ses œuvres soient à la démesure du pays.
unique et son graphisme très séduisant. Vous remarquerez qu’il subit une
influence assez marquée du constructivisme russe, en particulier Souvent disposées à 3-4 m de hauteur, les mosaïques d’Invader ont
Rodtchenko. également pris de la hauteur. Jusqu’à s’installer à des endroits périlleux
< Vidéo Entrée libre > < Obey The Giant > d’accès. Mais cette part du travail fait partie du jeu, estime l’artiste. Tout
comme le choix de l’endroit. Invader le répète invariablement : « L’endroit,
INVADER c’est un coup de foudre. Il faut que le spot s’impose instantanément à moi. »
Son vrai nom est Franck Slama. Français né en 1969. Une personnalité
singulière dans l’univers du street art. Il faut dire que sa technique Plusieurs mots clés se dégagent quand on analyse son travail :
(mosaïque) et les sujets de ses œuvres (personnages et figures issues du • Pixel
monde des jeux vidéo, de la SF et de l’art populaire) tranchent avec ce Si Invader a choisi la mosaïque pour s’exprimer, c’est parce qu’elle
qu’on a l’habitude de voir. évoque le pixel des premiers jeux vidéo. Surtout Space Invader, le jeu
dont il était accro plus jeune.
• Invasion
Ce mot fait référence au jeu vidéo, bien sûr. Il lui a donné aussi un
nouveau sens. « L’invasion », c’est l’œuvre. On parle « des invasions
d’Invader. »
• Couleur

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Ses mosaïques sont très colorées. Tonalités franches et unies. De


nouveau une référence aux jeux vidéo des débuts, mais aussi
intéressant pour accrocher l’œil des passants.
• Carré
Ses œuvres ne sont qu’un assemblement de pièces de mosaïque de
forme carrée. Il lui arrive parfois de donner du relief à la forme cf. sa
série « rubikscubiste ». Il assemble des Rubik’s cubes pour former une
nouvelle interprétation de grands tableaux classiques : Le déjeuner sur
l’Herbe (Manet), L’Origine du Monde (Courbet), et surtout Mona Lisa !
Le 23/02/2020, cette œuvre imposante réalisée en 2005 a pulvérisé les
estimations lors de sa mise en vente dans une galerie parisienne.
Estimée aux alentours de 150.000 €, elle est partie à 480.200 €
Avec un pseudonyme pareil, pas étonnant que les œuvres de Space Invader
quittent le plancher des vaches et se retrouvent à des km au-dessus de nos
Le problème avec les artistes urbains dont le travail attrape de la valeur,
têtes. En 2012, omnubilé par l’envie d’installer une de ses mosaïques dans
c’est qu’ils suscitent la convoitise. Pas mal de voleurs s’en sont pris aux
la stratosphère (Space1), Invader achète un ballon météo sur Internet et
mosaïques d’Invader. Certains se déguisant même en employés de la
filme son ascension jusqu’à 40 km d’altitude. Rebelote en mars 2015. Cette
commune ou de société de transport en commun pour passer à l’action. En
fois, la mosaïque Space2 est accrochée par une astronaute au module
2016, une bande s’est attaquée à l’œuvre répertoriée PAï696 installée en
Columbus de la Station Spatiale Internationale (ISS). Après le Street Art, le
plein Paris... Ils ont été photographiés par des passants et arrêtés. Invader
Space Art... et en toute légalité, pour une fois. L’opération a demandé 2 ans
a réclamé des dommages & intérêts (18.000 € quand même). Le juge a
de préparation compte tenu des démarches administratives et des
relaxé les prévenus et donné tort à Invader, estimant que « la tentative
contraintes (zéro gravité etc.).
d'appropriation dont ils se sont rendus coupables ne saurait répondre à la
< Vidéo Art4Space >
définition du délit de contrefaçon, d'autant que ces derniers ont opéré de
manière non dissimulée et ont toujours indiqué qu'ils pensaient que ces
KEITH HARING
mosaïques étaient apposées illégalement".
Keith Haring est un artiste américain né en 1958 et décédé en 1990 à New
York. Il a succombé du sida à 31 ans à peine.
< Vidéo portrait >

Dessinateur, peintre, sculpteur, graffeur... Comme bon nombre d’artistes


de son époque, il mélange les genres, dans la foulée du Pop art. Il dessine
depuis tout petit. Et prend rapidement conscience que le véritable art n’a
pas sa place dans les galeries ni les musées, mais dans la rue, dans un
espace ouvert à tous. C’est le premier de ses combats, qu’il poursuivra
toute sa (courte) vie.

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Il commence à faire parler de lui début des années 80. L’homme déambule
beaucoup en ville, craie ou feutres en poches. Comme au cours de rough,
pas de crayon ni de gomme : c’est du direct ! Dès qu’il aperçoit un espace
vierge sur lequel il peut dessiner (quel qu’il soit), en avant, il trace. Il faut
voir avec quelle maîtrise du geste et quelle rapidité...

Autre caractéristique de Keith Haring : sa fidélité. Sa carrière n’a duré que


Keith Haring est avant tout un militant. Racisme, menace nucléaire,
10 ans mais sa patte n’a jamais varié. Il n’est pas passé d’un courant à
violence, injustices sociales, destruction de l’environnement, drogue : tout
l’autre, même si beaucoup de choses l’intéressaient. Il adorait le hip-hop,
ça le révolte et il exprime franco ses convictions à travers toutes ses œuvres
les voyages dans l’espace, les jeux vidéo, par ex. Mais intégrait tous ces
cf. fresque The crack is wack. Le dernier de ses combats sera celui qui le fait
éléments typiques des années 80 dans un traitement similaire.
mourir : les ravages du sida. Nombreuses de ses derniers travaux y font
référence. < Ex. >
En amitié aussi, c’est un fidèle. Les tentations étaient pourtant grandes car
le succès lui est tombé dessus très vite et il est passé d’un univers
Son militantisme ne l’empêche pas de rester un grand humaniste. Il ne fait
underground aux flashs des photographes lors de vernissages inoubliables
pas que dénoncer, il s’engage et il aide. Il enseigne le dessin à des jeunes
dans les plus belles galeries d’art de NY. Pas people, Keith Haring ; il garde
défavorisés, répond à de nombreuses sollicitations publiques (hôpitaux,
sa bande de copains/copines de toujours.
par ex.) lui demandant de réaliser une fresque thématique, etc. Haring, ce
n’est pas un violent ! Tout le contraire de Piotr Pavlenski cf. actu à Paris.
< Vidéo > __

Tout ça pourrait donner l’impression que Keith Haring est un peu déprimé
et fataliste. Que nenni ! Radiant Baby illustre bien son état d’esprit :
survitaminé, boulimique, joyeux, « rayonnant ». il faut dire qu’à l’époque,
il profite à fond de l’ambiance alternative qui règne dans East Village, à NY...
Elle est loin sa ville natale, Pittsburgh (où il s’ennuyait ferme).

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