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Pr Gabriel Perlemuter

Les pouvoirs
cachés
du foie
Gagnez des années
de vie en bonne santé

édito
Infographie: Michel Fleury
Conception graphique de la couverture: Ann-Sophie Caouette
Illustration de la couverture: RobinOlimb

ISBN: 978-2-924720-60-8
ISBN EPUB: 978-2-924959-05-3
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2018

Titre original: Les pouvoirs cachés du foie. Gagnez des années de vie en bonne santé.
Flammarion | Versilio
Avec la participation d’Anne-Marie Cassard
© Flammarion, 2018
© Versilio, 2018

Tous droits réservés


À la mémoire de mon père dont j’essaie de suivre la voie,
À ma mère, une maman exceptionnelle,
À mes filles Oriane et Eva
qui me rendent chaque jour plus heureux,
À mon frère Jérôme, toujours présent à mes côtés.
I
Ce héros très discret
Chapitre 1

L’organe Phœnix

J’avais vingt et un ans, j’étais en quatrième année de médecine. Ce


matin-là, à l’hôpital, nous suivions le chef de service dans sa tournée
des malades. Nous lui portions un grand respect: il savait parler aux
patients pour les rassurer et connaissait sur le bout des doigts toutes
les subtilités des traitements chimiques et de leurs dosages.
Nous étions au chevet d’un homme hospitalisé, la veille au soir, à la
suite de la découverte d’un pic inquiétant de cholestérol dans ses
analyses de sang. Un fort traitement médicamenteux lui avait été
administré: il en avait besoin. Nous nous préparions à sortir de la
chambre, mais la consultation n’était pas terminée.
Après les molécules, le médecin s’est immiscé dans la cuisine de
son patient: que mangeait-il, à quel rythme, quels aliments
choisissait-il et lesquels lui fallait-il désormais privilégier? Ce sont
des choses que nous n’apprenions pas à l’université. Ces
considérations nous semblaient d’ailleurs peu nobles au regard du
métier que nous serions amenés à exercer. Aussitôt la porte franchie,
j’ai posé cette question qui nous brûlait à tous les lèvres: «Puisque
l’efficacité des médicaments est prouvée et qu’ils feront certainement
baisser son taux de cholestérol, pourquoi imposer à ce malade un
régime alimentaire en sus?»
Par la suite, durant mes études, j’ai souvent posé cette même
question, aucun médecin ne m’a répondu clairement. Jamais. L’une
de mes collègues, étudiante en médecine comme moi, avait fourni
une réponse qui paraissait satisfaire tout le monde: «C’est trop facile
avec les médicaments.» C’était une sorte de réminiscence du péché
originel: «Tu es malade, tu dois souffrir pour guérir, tu dois payer.»
Je suis de moins en moins de cet avis.
Toute la médecine m’intéressait alors. Je savais déjà que je
m’orienterais vers la recherche, raison pour laquelle je m’étais lancé
dans ces études, mais j’étais démuni quant au choix de la spécialité
qui me permettrait d’embrasser le champ le plus large possible de
l’organisme au lieu de me focaliser sur un seul organe.
J’avais la chance d’avoir un père médecin. Il m’a aidé à réfléchir à
ce qui se rapprocherait le plus de la médecine interne, et c’est sur
l’hépato-gastroentérologie, englobant le foie et le tube digestif, que je
me suis tourné. Je reconnais que je voyais alors dans le tube digestif
mille fois plus de perspectives que dans le foie – dont on ne savait
pas grand-chose. Mais il était inclus dans la spécialisation.
Est-ce un hasard de la vie? Mon diplôme de médecin en poche,
continuant d’ambitionner la recherche, j’ai rejoint un laboratoire de
l’Inserm pour préparer ma thèse de doctorat ès sciences. Je pensais y
passer une année, j’y suis resté trois ans. Le sujet que m’avait donné
mon directeur de thèse, le professeur Bréchot, était… le foie. Plus
précisément, les interactions entre le virus de l’hépatite C tout juste
découvert et le métabolisme des lipides, autrement dit les raisons
pour lesquelles une infection par l’hépatite C entraîne une
accumulation des graisses dans le foie. J’ai d’abord été surpris. Puis,
au fur et à mesure que j’avançais dans mes investigations, je
m’émerveillais: un univers s’ouvrait à moi. En recevant mon Ph. D.,
je savais que je développerais un jour mes propres équipes de
recherche dédiées à ce prodigieux mystère, le foie.
C’est étrange, un foie.
Voilà l’organe le plus volumineux et le plus lourd de notre
organisme: il pèse 1,5 kg. Pourtant, il est tellement discret que même
les étudiants en médecine ont du mal à le palper. Regardez un foie de
veau chez le boucher et vous aurez une idée approximative de la
forme et de la consistance de votre propre foie. Il est tout mou, donc
effectivement difficile à détecter sous la peau.
Situé dans l’abdomen, du côté droit, en majorité derrière les côtes
avec une petite partie débordant en dessous d’elles, il ne se laisse pas
facilement tâter. Vous en approchez en vous palpant le ventre à
droite, en bas des côtes. Vous ne sentez rien? C’est normal: il n’a pas
de nerfs et ne réagit donc pas à la palpation. Aussi, quand on
explique qu’on «dénerve» un foie de canard ou d’oie pour préparer
du foie gras, c’est complètement faux: on ôte en fait les canaux qui lui
permettent de produire la bile pour digérer. Et la bile est amère,
raison pour laquelle le foie gras mal «débiliarisé» a franchement très
mauvais goût.
Donc, en plus d’être discret, le foie est calme et ne fait pas mal, ou
si peu. Par conséquent, on le délaisse. Cela n’a pas toujours été le cas!
Pendant des millénaires, et sous toutes les latitudes, cet organe a
fasciné les humains qui voyaient en lui une mystérieuse source de
force. Ils étaient aussi interloqués par la capacité unique qu’il a à se
régénérer très rapidement, tel un super héros. Lorsqu’il est abîmé ou
blessé, il ne meurt pas mais repousse, nous rapprochant ainsi de
l’immortalité. De tous nos organes, il est bien le seul à avoir ce
pouvoir magique d’auto-guérison d’un autre super-héros, Wolverine,
lié à une régénération tissulaire incroyablement rapide qui lui
permet de guérir très rapidement de ses blessures!
En Chine, où la médecine traditionnelle l’appelle «le général des
armées», source du courage, la bile d’ours produite par le foie était,
et reste, un remède de longue vie. Au Japon, les samouraïs en
buvaient une rasade avant de partir au combat pour s’assurer
l’invincibilité. Les Grecs ont érigé le foie en héros du mythe de
Prométhée. Bienfaiteur de l’humanité, ce dernier leur avait donné le
feu – contre la volonté de Zeus. Furieux, Zeus punit Prométhée de
façon bien plus maligne qu’en le tuant. Connaissant les propriétés
exceptionnelles du foie qui est capable de repousser, il fit attacher le
supplicié sur le mont Caucase. Chaque jour, un aigle venait lui
dévorer le foie. Et, chaque nuit, le foie se reconstituait, rendant son
châtiment éternel.
Les Hébreux n’étaient pas en reste. En hébreu, le foie se dit
«cavède» ce qui signifie littéralement lourd, mais également
honneur. Dans l’alphabet hébraïque, une valeur numérique est
attribuée à chaque lettre. L’addition des lettres de «cavède» lui
donne pour valeur 26. C’est également la valeur du tétragramme
(YHWH) qui est le nom de Dieu dans la Bible. Or, les mots qui ont la
même valeur numérique sont supposés partager des qualités
similaires. S’agit-il d’une coïncidence ou bien cela représente-t-il la
vraie puissance du foie?
Au Moyen Âge, constatant que le foie est rouge, donc rempli de
sang, il apparaissait comme une évidence qu’il servait à produire le
sang, ce qui est d’ailleurs partiellement vrai chez le fœtus. Il était
aussi considéré comme le siège de l’amour et de la passion. Le foie
est donc la vie! Peut-être est-ce pour cette raison qu’en anglais, les
mots «live» pour «vie» et «liver» pour «foie» sont si proches?
On ignore si les anciens Égyptiens se posaient cette question. Eux
avaient découvert une autre vertu au foie, gastronomique celle-là. Et
il s’agissait du foie des oies qui, afin de mener à bien leurs grandes
migrations du Nord vers le sud, dans les terres chaudes, se gavent
d’un maximum de nourriture. Ce gavage naturel entraîne une
accumulation de graisses, donc d’énergie, dans le foie, le fameux foie
gras, un délice gustatif. Pendant leur migration, les volatiles
consomment cette graisse pour ne pas avoir à atterrir et à
s’alimenter. L’histoire n’a pas retenu le nom des premiers gaveurs
d’oie, mais le fait est que les Égyptiens, à peu près en même temps
que les Grecs, se sont mis à gaver artificiellement des oies, puis des
canards d’élevage.
C’est d’ailleurs du gavage des oies que provient le nom foie, dérivé
du latin «ficatum» qui a aussi donné le mot figue. Car, pour gaver
leurs oies et obtenir de gros foies bien gras, les Égyptiens avaient
déjà compris qu’il leur fallait du sucre et non du gras: leurs
palmipèdes étaient nourris de figues – nous utilisons aujourd’hui un
produit tout aussi sucré, le maïs…
Devinez ce qu’il advient au foie d’une oie que l’on cesse de gaver?
Quelques semaines plus tard, il retrouve ses proportions d’origine et
redevient «normal». Comme s’il ne s’était rien passé…
Chapitre 2

L’usine du corps

Le foie n’est pas creux comme le cœur, l’intestin ou l’estomac, mais


entièrement plein de cellules différentes qui interagissent les unes
avec les autres. Des interactions tellement compliquées qu’elles
rendent, pour l’heure, impossible de fabriquer un foie artificiel
comme nous le faisons, ou le ferons bientôt, pour le cœur, le rein ou
même le sang.
Sa position dans notre corps, exactement à mi-chemin entre le
tube digestif et le cœur, n’est pas un hasard. Pour comprendre le
fonctionnement du foie, il faut le considérer comme une usine:
l’usine du corps, exerçant de très nombreuses fonctions qui nous
sont fondamentales pour vivre. Or, lorsqu’on construit une usine, on
choisit tout d’abord sa localisation: un lieu stratégique où elle pourra
recevoir les matières premières et distribuer facilement ses produits
finis.
Ici, les matières premières sont celles dispensées par notre
alimentation. Elles ne parviennent pas directement au foie, mais
transitent par notre tube digestif qui les décompose en trois types de
nutriments: les glucides ou sucres, les lipides ou graisses, et les
protéines. Les ouvriers de l’usine foie, c’est-à-dire ses cellules et leurs
enzymes (des protéines qu’elles produisent et qui leur permettent de
fonctionner) ont ensuite à charge de les transformer en produits
neufs. Ceux-ci vont nourrir notre organisme et donc le maintenir en
vie.
Vous êtes-vous déjà immergé dans une usine? Il y a toujours
quelques soucis collatéraux de logistique à gérer.
Déjà, avec les matières premières qui ne sont pas toujours
conformes à la charte. Le foie reçoit ainsi les matières transformées,
peu naturelles, que comprend notre alimentation occidentale. Il n’y a
pas été habitué par les générations qui nous ont précédés, il n’est pas
programmé pour les prendre en charge, mais il va bien lui falloir s’en
occuper.
Il y a aussi la gestion des flux. Que faire lorsqu’il manque des
matières premières, c’est-à-dire lorsque l’on mange moins ou pas du
tout? Ou, au contraire, comment gérer des matières premières qui
arrivent en excès lorsque l’on mange trop, ou qui arrivent de manière
déséquilibrée? Dans ce cas, il faudra bien trouver un endroit et une
méthode pour les stocker.
Et puis, comme toute grosse usine, le foie pollue: n’importe quel
processus de fabrication implique la production de déchets. Mais, en
bon écolo, il se charge de les éliminer.
Enfin, par l’intermédiaire d’autoroutes que sont les vaisseaux
sanguins connectant directement le foie au cœur, les produits qu’il a
fabriqués, indispensables à la vie, seront distribués dans tout
l’organisme.
Mettons-nous à table pour examiner ceci de plus près.

Histoire d’une frite


J’ai, devant moi, une assiette de frites. Je ne résiste pas: j’en croque
une.
Cette frite est une pomme de terre, un féculent composé d’amidon
qui n’est rien d’autre qu’un grand sucre – une chaîne de glucose.
Pendant que je la mâche, la salive commence à digérer l’amidon. Si je
la mâchais quelques minutes, je sentirais d’ailleurs son goût sucré
qui ressemble un peu à notre sucre de table.
Je l’avale. En quelques secondes, elle descend l’œsophage et se
retrouve dans mon estomac où elle est malaxée et transformée en
bouillie. Ma frite est alors prête à passer dans l’intestin grêle, un
tuyau qui n’est pas lisse à l’intérieur, mais recouvert de plein de
petits replis pour augmenter sa surface. Entièrement déplié, il
pourrait recouvrir toute la surface d’un terrain de tennis! Ma frite est
ici «préparée» sous forme de nutriments: son amidon est décomposé
en glucides – des sucres.
Mon foie entre en action. Il ouvre ses portes pour récupérer ces
sucres qu’est devenue ma frite. En fait, il ouvre une seule porte qui a
d’ailleurs pour nom la veine porte. Son rôle est de lui amener les
aliments digérés. C’est une particularité du foie: tous les organes
possèdent une seule arrivée de sang par une artère, et un seul départ
par une veine. Lui seul bénéficie de deux arrivées, la veine porte qui
est la plus importante et l’artère classique. Il dispose également
d’une veine «classique» qui ramène le sang au cœur.
J’ai terminé l’assiette de frites, mangé aussi un bout de pain
(également composé d’amidon, donc de sucres) et bu une cannette
de boisson gazeuse (du sucre). Mon foie se retrouve ainsi face à une
invasion de sucres qu’il n’a d’autres choix que de gérer. Pour l’aider,
son ami le pancréas le seconde un peu: il surveille continuellement la
quantité de sucre qui arrive dans la veine porte et, lorsqu’il en
détecte, il fabrique de l’insuline qui toque à la porte du foie pour
qu’elle s’ouvre et que le sucre puisse entrer. Ses cellules ouvrières se
mettent au travail.
Mais ma frite n’est pas composée que de sucre. Elle est aussi très
grasse et apporte au foie un nutriment supplémentaire: les lipides.
Là, c’est une autre histoire. Pour la comprendre, imaginez votre
vinaigrette. Si vous la laissez reposer, le vinaigre se retrouvera au
fond du bol et l’huile au-dessus. C’est à peu près ce qui se passe pour
les graisses que vous mangez: elles ne sont pas solubles et ne peuvent
pas être absorbées en l’état.
Tentez cette expérience: ajoutez du liquide vaisselle à votre
vinaigrette. Certes vous ne pourrez plus la manger, mais les graisses
seront émulsionnées et solubles (l’huile et le vinaigre se mélangent).
Le foie se débrouille de la même manière: il fabrique en continu une
sorte de produit vaisselle ou de savon: la bile. Comme un savon, elle
fait des bulles, observables lors d’une endoscopie digestive!
Cette bile est stockée dans une poche qui porte bien son nom, la
vésicule biliaire. À l’arrivée de ma frite dans le système digestif, ma
vésicule se contracte et libère la bile fabriquée en continu et stockée
entre les repas dans cette perspective. Une autoroute spécifique, les
voies biliaires, la transporte vers les intestins. Ainsi émulsionnés, les
lipides franchissent la veine porte et arrivent au foie où, comme le
sucre, ils entrent dans ses cellules pour y être travaillés.
Chez certaines personnes, des sortes de cailloux, appelés des
calculs, se forment dans la vésicule biliaire. S’ils font mal, on doit la
retirer. L’organe puissant qu’est le foie compensera cette faille: la bile
qu’il fabrique sera suffisante pour la digestion d’un repas normal.
Néanmoins, lors d’un repas riche, faute de jet massif de bile
provenant de la vésicule, les graisses ou lipides pourront être moins
bien digérés, entraînant soit une lourdeur, soit une diarrhée qui
passe souvent avec le temps (provoquée par la bile produite en
continu par le foie, sans lieu de stockage puisque la vésicule aura été
enlevée). On peut aussi prescrire une résine qui absorbe l’excédent
de bile produite en dehors des repas et tout rentre dans l’ordre.
Je n’ai pas fini de manger: j’attaque un steak. Ses graisses suivent
le même chemin que les frites. Mais il apporte à mon usine-foie un
nutriment de plus: les protéines. Mon pancréas vient encore une fois
à la rescousse: il fabrique des produits qui, au niveau de l’intestin,
coupent les protéines en tout petits morceaux appelés acides aminés.
Ce sont ces acides aminés qui transitent par la veine porte pour
arriver au foie et gagner ses cellules.
La chaîne de fabrication de tout ce qui va nourrir notre organisme
et nous permettre de continuer à vaquer à nos occupations peut alors
se mettre en route.

Une fabrique universelle


Les cellules du foie, comme toutes les cellules d’un organisme vivant,
travaillent en opérant des réactions chimiques. Et elles ont
énormément de travail!
L’un des rôles principaux du foie est de maintenir le taux de sucre
constant dans notre sang et notre corps. Le sucre est notre carburant,
un peu comme celui dont on remplit le réservoir de notre voiture
pour qu’elle roule. Le taux de sucre s’appelle la glycémie. Pour que
tout aille bien, elle doit se situer entre 0,80 g/l et 1,20 g/l, quelle que
soit l’heure du jour ou de la nuit. Pas assez de sucre, c’est
l’hypoglycémie et on risque un malaise. Trop de sucre, c’est
l’hyperglycémie et la machinerie s’encrasse.
Pour maintenir ce taux stable alors que nous ne mangeons pas en
permanence, le foie stocke les sucres que nous assimilons, un peu
comme nos provisions dans nos placards. Il les libère
progressivement, selon les besoins, en dehors des repas. Les muscles
aussi stockent du sucre, mais, trop égoïstes, ils ne les redistribuent
pas et les gardent pour leurs propres besoins en cas d’effort
musculaire: les muscles de nos jambes consommeront d’abord leurs
propres sucres quand nous sommes à vélo, puis ils appelleront le foie
à la rescousse.
Très altruiste, le foie, lui, est capable de stoker 70 à 100 grammes
de sucre, soit l’équivalent de 14 à 20 morceaux. Il leur donne la
forme d’une longue chaîne dont les éléments, le glucose, se donnent
la main pour former le glycogène. Ce sucre est libéré «à la
demande»: à peu près un demi-morceau de sucre par heure dans nos
périodes de sédentarité, par exemple quand nous sommes assis à
cogiter devant notre ordinateur. Car le cerveau, même en période de
grande concentration, consomme jusqu’à dix fois moins de sucre
qu’un muscle en activité! Si nous nous mettons à courir, ce sera en
moyenne 3,5 morceaux par heure – et jusqu’à 6 morceaux par heure
quand nous allons faire des longueurs dans la piscine. D’où la
sensation de faim après notre jogging. Bouger est donc très bon pour
le foie qui peut ainsi déstocker les sucres qui l’encombrent… à
condition de ne pas (mal) remanger après.
Le foie a d’autres fonctions, tout aussi importantes et qu’il mène à
bien grâce aux autres matières premières lui parvenant.
Outre les sucres (le glucose), nous avons vu qu’il reçoit des graisses
(les lipides). Celles-ci se répartissent en deux grandes familles qui ne
sont pas gérées de la même manière.
La première famille est le cholestérol, une entité en soi. Il a très
mauvaise réputation et il est vrai qu’il participe à la genèse des
maladies cardio-vasculaires, infarctus et autres accidents cérébraux.
Mais il nous est indispensable à plus d’un titre: constituant majeur
des membranes des cellules de l’organisme, il est également à
l’origine de nombreuses hormones comme les hormones sexuelles (la
testostérone et les œstrogènes). Étonnamment, seule une petite
partie du cholestérol dont nous avons besoin provient de
l’alimentation. Le reste, jusqu’à 75 à 80%, est fabriqué par le foie lui-
même! Le tout est distribué de manière identique à notre organisme:
le foie l’emballe par petits paquets, chacun portant une sorte de
code-barres lui permettant de parvenir à sa destination, c’est-à-dire
dans les tissus et organes qui en ont besoin. Ces paquets sont
transportés par des «camions»: des protéines spécifiques produites
par les cellules du foie.
L’aventure du cholestérol ne s’arrête pas là. Quand ils ont distribué
leur «bon» contenu, les paquets ne sont pas vides: ils contiennent
encore des déchets toxiques, le mauvais cholestérol appelé LDL pour
«low density lipoprotein». Le LDL est à l’origine des maladies
cardio-vasculaires quand son taux dépasse un certain seuil.
Heureusement, notre foie est là! Il fabrique un antidote qui sera
transformé, dans le sang, en bon cholestérol, le HDL ou «high
density lipoprotein». Ce dernier joue le rôle d’un râteau: il capte le
mauvais cholestérol et le ramène au foie pour qu’il y soit dégradé.
L’organisme est ainsi épuré. Il est donc bénéfique d’avoir un taux
élevé de cholestérol de type HDL!
On l’aura compris: le taux de cholestérol élevé dans le sang n’est
pas uniquement lié au régime alimentaire. Si votre foie fabrique trop
de cholestérol ou n’en épure pas assez, protégez-vous avec un
médicament. En cas de surpoids, un régime reste néanmoins
fondamental car seule une baisse globale de l’apport calorique peut
réduire l’excès pondéral, toxique non seulement pour le foie, mais
pour l’ensemble de l’organisme.
La deuxième famille de lipides, la plus nombreuse, est celle des
triglycérides. «Tri» parce que ces acides gras, graisses saturées ou
graisses insaturées comme les oméga-3, oméga-6 ou oméga-9,
n’aiment pas rester seuls et se regroupent souvent par trois pour
circuler dans le sang. «Oméga» indique la structure de l’acide gras, et
le chiffre la position de la structure particulière de l’acide gras dans
la chaîne. Ces acides gras-là ont différentes propriétés. Par exemple,
les oméga-3, présents dans les poissons gras comme le saumon, les
sardines ou le hareng, l’huile de colza, le chia et le lin, sont
bénéfiques et protègent le cœur et le foie – attention, ils sont aussi
très fragiles et ne résistent pas à une température de plus de 180°C ni
à une longue congélation. Les oméga-6, qu’on trouve notamment
dans les huiles de tournesol ou de soja, sont également bénéfiques,
mais nous en consommons trop par rapport aux oméga-3, ce qui
favorise l’obésité et ses complications (nous consommons 20 oméga-
6 pour 1 oméga-3, alors que le ratio devrait être au maximum de 5
oméga-6 pour 1 oméga-3). Les oméga-9, eux, sont surtout présents
dans l’huile d’olive et les amandes, par conséquent dans le régime
crétois qui est associé à une longue espérance de vie.
Lorsque les triglycérides sont absorbés par le tube digestif, une
partie court-circuite le foie et passe directement dans la lymphe, ce
liquide jaunâtre circulant dans les canaux lymphatiques, plus au
moins parallèles aux vaisseaux sanguins, contenant des cellules
immunitaires et certains triglycérides alimentaires. Une toute petite
partie rejoint le foie par la veine porte et, avec les triglycérides que
celui-ci fabrique à partir du sucre de notre alimentation, passe dans
le sang. Ces deux circuits permettent de distribuer les triglycérides à
l’ensemble de l’organisme. Leur excès, non utilisé par les cellules de
nos organes, est stocké en dehors du foie: de préférence dans la
bedaine chez l’homme et dans la culotte de cheval (et les hanches)
chez la femme. Ceci dit, si vos prises de sang indiquent un taux trop
élevé de triglycérides, ce ne sont donc pas les graisses qu’il faut
réduire dans votre alimentation, mais les sucres!
Reste le troisième type de nutriments qui parvient au foie: les
protéines. Le foie leur ouvre grand ses portes: voilà une super
matière première qu’il va recomposer pour bien l’adapter à
l’organisme! À partir de ces protéines, il en fabrique d’autres, les
protéines ouvrières.
Une première famille, les protéines de structure, est destinée à
fournir des constituants de nos cellules, semblables aux matériaux
avec lesquels on construit un mur: il y a des poteaux, du béton, du
plâtre et tout se tient. Mais s’il manque un élément, c’est l’ensemble
de l’édifice qui risque de s’effondrer. De même, s’il manque une seule
protéine, c’est possiblement une catastrophe qui surviendra.
Une deuxième famille est constituée des protéines non
structurelles aux fonctions incroyablement étendues. Certaines
permettent au sang de coaguler: c’est le caillot qui se forme en
quelques minutes quand nous nous blessons et saignons. Sans notre
foie, nous nous viderions de notre sang! L’hémophilie, une maladie
où le sang ne coagule pas, est causée par une anomalie génétique qui
empêche les cellules du foie de fabriquer un des facteurs de la
coagulation. Une seule protéine manque et c’est le risque
hémorragique. D’ailleurs, quand des hémophiles bénéficient d’une
greffe de foie, les cellules du nouveau foie produisent normalement
la protéine qui manquait et l’hémophilie disparaît.
L’albumine, une autre protéine non structurelle, la même que celle
du blanc d’œuf, est fabriquée en grande quantité par le foie: on en
trouve 40 grammes environ dans 1 litre de sang! L’une de ses
fonctions est le transport, dans le sang, des acides gras, des
hormones et même des médicaments que nous absorbons, pour les
convoyer vers les autres organes auxquels ils sont destinés. Elle joue
aussi un rôle dans la rétention de l’eau dans le sang. Quand elle vient
à manquer, l’eau quitte le sang et des œdèmes apparaissent.
Et puis il y a les protéines non structurelles dont le travail consiste
à permettre aux cellules d’opérer les réactions chimiques
indispensables à la vie (et de produire d’autres protéines). Elles
appartiennent à la sous-famille des enzymes et on les identifie à leurs
noms qui se terminent par «ase». Les acronymes de deux d’entre
elles, des transaminases, nous sont familiers parce que nous les
voyons sur les résultats de certaines de nos analyses de sang: l’ALAT
(alanine aminotransférase) et l’ASAT (aspartate aminotransférase).
Nichées à l’intérieur des cellules du foie, elles nous aident à évaluer
son état de santé. En effet, tous les jours, des cellules du foie meurent
– pour être remplacées par d’autres, plus jeunes et plus vigoureuses.
En mourant, la cellule libère l’ALAT et l’ASAT qu’elle renferme, qui
se déversent dans le sang. Lorsque le foie souffre, énormément de
cellules meurent en même temps; le taux de ces enzymes augmente
dans le sang où il est détecté par les analyses. C’est l’examen le plus
courant pour connaître l’état de son foie.
Une station d’épuration high-tech
Le foie est une bonne usine répondant aux meilleurs standards de
qualité! Ainsi, malgré son flux permanent d’activités, il gère
parfaitement les déchets qu’il produit.
Un de ses déchets principaux est l’ammoniaque – le même que
celui de nos produits ménagers. Hyper-toxique, il provient
principalement du travail du foie sur les protéines de notre
alimentation. Impossible de le passer dans le sang (comme les eaux
usées d’une usine) en trop grande quantité: ce serait dangereux. Le
foie a donc trouvé un subterfuge: il transforme l’ammoniaque en
urée, également toxique, mais qui a l’avantage d’être rapidement
prise en charge par le rein et éliminée dans les urines. Lorsque le foie
est très malade au point de ne plus pouvoir assurer la transformation
de l’ammoniaque, le taux de celui-ci s’élève dans le sang et on peut
tomber dans le coma.
Par ailleurs, les cellules du foie utilisent de l’oxygène pour réaliser
toutes leurs opérations chimiques. Or, bien qu’indispensable,
l’oxygène n’est pas neutre: en le «travaillant», les cellules en
produisent une forme réactive, des oxydants appelés les radicaux
libres. Ils sont aussi toxiques que l’eau oxygénée qui nous sert à ôter
les taches résistantes du linge! S’ils ne sont pas neutralisés, ils
détruisent tout ce qu’ils rencontrent sur leur passage, notamment les
membranes, voire l’ADN des cellules. Heureusement, le foie dispose
d’une panoplie d’antioxydants naturels pour détoxifier les radicaux
libres. Attention aux dégâts si ces antioxydants viennent à manquer,
ce qui advient notamment quand le foie est trop gras! Consommer
quelques légumes avec le steak-frites est d’un grand secours pour le
foie dans la gestion de ces déchets – les légumes aident à diminuer la
quantité de féculents ingérés en augmentant la satiété; de plus, ils
favorisent la croissance de bactéries digestives qui, nous le verrons
plus loin, renforcent la barrière intestinale qui elle-même renforce le
foie. Et certains pourraient même avoir un effet direct sur le foie.
En matière d’épuration, le foie va encore plus loin. Comme
toujours très altruiste, il aide ses amis, les autres organes, à gérer
leurs propres déchets, non seulement leur propre ammoniaque mais
aussi l’hémoglobine.
L’hémoglobine est une sorte de petit sac que prennent avec eux les
globules rouges pour transporter l’oxygène de l’air vers les différents
organes. La durée de vie d’un globule rouge est de 4 mois; lorsqu’il
meurt, il jette son sac… comme nous le faisions avec nos sacs de
supermarché quand ils étaient distribués en caisse. Le problème est
la quantité de globules rouges, donc de sacs: 4 à 5 millions dans
1 microlitre de sang. Le foie est capable d’assurer la dégradation de
l’hémoglobine qu’il transforme en un dérivé, la bilirubine. C’est elle
qui donne sa couleur jaune à la bile. Transportée dans le sang par
l’albumine, transformée par les bactéries de notre tube digestif, elle
termine son aventure dans les selles qui lui doivent leur
caractéristique: une couleur brune et une odeur nauséabonde.
Enfin, travailleur acharné, notre foie est un filtre, une formidable
barrière contre les microbes et autres polluants auxquels nous
pouvons être exposés. Nous vivons en parfaite symbiose avec la
plupart des microbes tant qu’ils restent dans le tube digestif. Mais
parfois, par exemple en cas d’alimentation déséquilibrée ou de
consommation d’alcool, les parois de ce tube se fragilisent, il perd de
son étanchéité et laisse s’échapper des toxines et des microbes dans
le sang. Ces malheureux, obligés de passer par la veine porte, ne
savent pas ce qui les attend! Notre super-héros qui les reçoit a tout
prévu. Il va activer des cellules qu’on appelle macrophages: «macro»
pour gros et «phage» pour manger. Ce sont des ogres qui
anéantiront les intrus, nous protégeant ainsi contre une infection.
Et puis, c’est encore le foie qui assure, dans notre organisme, le
bon devenir des médicaments ou des compléments alimentaires
naturels que nous prenons. Ils sont censés nous soigner, mais,
paradoxalement, leurs actifs peuvent être virulents. Le foie sait
mettre en place des systèmes pour les éliminer. Et il y réussit dans la
majorité des cas.
Comprendre comment fonctionne son foie, c’est prendre
conscience de son rôle capital pour gagner des années de vie en
bonne santé. C’est aussi réaliser qu’il nous faut prendre soin de lui
pour qu’il accomplisse ses tâches multiples. Chaque substance que
nous ingérons le traversera, sous une forme ou une autre. Le
protéger, c’est non seulement identifier les situations à risque, les
consommations et les conduites dangereuses, mais également les
moyens les plus efficaces pour le rendre heureux. Le comprendre,
c’est pouvoir garder la foi en son foie!
Le foie est un bon garçon qui ne cherche qu’à nous aider. Mais
nous sommes très injustes avec lui. Comme dans une fratrie, nous
nous occupons des plus turbulents, le cœur, le cerveau ou la prostate.
Le bon élève reste sage comme une image, jusqu’au jour où…
Chapitre 3

J’ai faim? Le rythme du foie

Je vois autour de moi, j’entends parmi mes patients beaucoup qui


se plaignent d’une fatigue ou d’un petit malaise vers 10 ou 11 heures,
environ deux heures après leur déjeuner. Ils sont persuadés d’être en
hypoglycémie, sur le point de défaillir et, pour retrouver un état
normal, se sentent obligés de manger un peu de sucre. C’est le
moment où, dans les bureaux, on sort des tiroirs une barre de
chocolat ou un paquet de biscuits à grignoter. Sinon, on est persuadé
qu’on ne «tiendra pas» jusqu’à l’heure du dîner.
Est-ce une affaire de foie? Évidemment! Est-ce normal? C’est une
question qui m’est souvent posée. Normal, cela l’est en tenant
compte d’un paramètre: les dérives de nos modes d’alimentation.
Pendant des dizaines de milliers de générations, notre régime
alimentaire a été relativement stable. Depuis une à deux générations,
il s’est considérablement modifié, enrichi en graisses et en sucres et
de plus en plus tôt au cours de la vie.
Or, le foie, qui est en contact avec tous les aliments que nous
mangeons après leur passage dans l’intestin, n’est pas habitué à ces
changements. Imaginez-vous une usine dans laquelle on modifierait
brutalement la nature et l’approvisionnement en matières premières:
elle ne saurait plus où les stocker et ne serait même pas capable de
les utiliser. Pour le foie, l’usine du corps, le phénomène est similaire.
L’irrésistible envie de grignotage en milieu de matinée a une
explication: nos déjeuners sont trop sucrés – y compris ceux que l’on
considère être sains parce que riches en vitamines. Devant nous, sur
la table: un jus d’oranges fraîchement pressées, soit en moyenne
3 oranges, donc à peu près 30 grammes de sucre, déjà un bel apport,
le foie stockant en moyenne 70 à 100 grammes de sucre. S’y ajoutent
du pain frais et du miel ou de la confiture qui ne sont, eux aussi, que
du sucre. Parfois, un bol de céréales et un yogourt aux fruits – du
sucre aussi, sous toutes ses formes.
Le pancréas, voyant arriver ce déferlement de sucre qui gagne le
foie par la veine porte, fabrique d’énormes quantités d’insuline afin
de permettre au foie de le métaboliser. L’insuline sert en effet à faire
entrer le sucre dans les cellules. Le foie, bon garçon comme on l’a vu,
se met au travail, distille du sucre dans le sang en veillant à ne pas
dépasser le taux de 1,20 g/l mais, voulant trop bien faire, il est bien
contraint d’en stocker la majeure partie. Le déjeuner terminé, le foie
ferme ses portes et le pancréas arrête de fabriquer l’insuline. Ils
lèvent le pied.
Le contrecoup intervient environ deux heures après ce riche
déjeuner. Le foie a complètement cessé d’alimenter le sang où le taux
de sucre baisse progressivement jusqu’à tomber en dessous de la
normale inférieure (0,70 g/l). C’est vrai, il s’agit d’une petite
hypoglycémie, mais notre foie est très vite alerté et il commence
aussitôt à déstocker le sucre qu’il aura un peu trop stocké. De fait, en
moins de 30 minutes, sans avoir besoin de grignoter la barre de
chocolat, le taux de glucose dans le sang est revenu à la normale, tout
est rentré dans l’ordre et aussi bien le malaise que la petite faim vont
passer tout seuls. L’erreur est de se précipiter sur l’en-cas qui va
encore plus alourdir le foie et sans doute se fixer sur les hanches, les
cuisses ou le ventre.
Les déjeuners de Jean-Pierre, l’un de mes patients qui souffrait
d’une hépatite (une inflammation du foie), ont occupé plusieurs
consultations. Il devait obligatoirement perdre du poids et,
succombant aux publicités, avait remplacé le pain par des biscottes.
Cinq à six biscottes qui, avec leurs à-côtés, même s’il ne s’agissait que
d’un «tout petit peu» de confiture, lui garantissaient l’hypoglycémie
de la mi-matinée. Il entendait «manger moins» là où je lui parlais de
«manger mieux».
C’est, je crois, pour me prouver que j’avais tort qu’il a appliqué mes
consignes du déjeuner: une tranche de pain de blé entier plutôt que
le sucre rapide du pain blanc et ses dérivés, un fruit plutôt qu’un jus,
une cuillère de confiture et, pourquoi pas, un yogourt nature non
sucré. L’affaire était réglée. En introduisant d’autres menues
modifications dans son alimentation, dans sa qualité et surtout dans
son rythme, Jean-Pierre a perdu du poids, son foie s’est «dégraissé»
et il a guéri.
Nous nous acharnons contre notre foie! Non seulement nous
mangeons mal et beaucoup mais, de surcroît, nous mangeons tout le
temps. Même s’il s’agit de petites quantités (l’irrésistible
grignotage…), nous y semons la cacophonie. Car, comme l’ensemble
de notre organisme, le foie est soumis à des rythmes qu’il est
important de respecter. C’est un point essentiel qui a longtemps été
négligé par la médecine. Les recherches démarrent tout juste dans ce
domaine qui semble très complexe, faisant intervenir une
multiplicité de paramètres dont certains nous sont encore inconnus,
notamment en ce qui concerne le rôle des gènes.
On connaît, à l’échelle d’une année, les rythmes saisonniers.
Résister au froid l’hiver et lutter contre la chaleur en plein été ne
sollicitent pas notre organisme de la même façon. Et nous ne nous
nourrissons pas de la même manière, car notre corps n’a pas tout le
temps les mêmes besoins.
On néglige un peu plus le rythme hebdomadaire: nous n’avons pas
le même type d’activité selon que l’on est au travail ou en congé, et
donc pas les mêmes besoins. C’est une évidence, du bon sens, mais
que nous avons tendance à oublier!
Enfin, il est tout aussi important de respecter notre rythme
quotidien, celui qui se déroule sur 24 heures et que l’on appelle le
rythme circadien. L’alternance du jour et de la nuit est notre
régulateur majeur. Le cerveau joue un rôle essentiel dans le maintien
de ce rythme. Il est une sorte de chef d’orchestre: sans les
informations qu’il délivre, les horloges périphériques de chaque
organe, mais aussi le rythme cardiaque, la production des hormones,
la température corporelle, la pression artérielle et même nos
capacités neuronales peuvent se dérégler. Le bon fonctionnement du
foie en dépend aussi: la dérégulation de ce rythme (le biorythme)
altère, chez lui, un certain nombre de fonctions, comme la libération
de sucre ou la fabrication de graisses.
Nous disposons heureusement d’une sorte d’horloge interne qui
permet de maintenir ces rythmes biologiques indispensables à notre
survie: ils sont impliqués dans la régénération cellulaire, le
métabolisme, les cycles veille/sommeil, et même les troubles de
l’humeur. Elle n’est pas d’une précision totale (selon les individus,
elle oscille entre 23 heures 30 et 24 heures 30), mais il y a des
régulateurs extérieurs, à commencer par les montres et horloges, qui
permettent de la régler sur 24 heures. Certains gènes y tiennent un
rôle immense, plus important que ce que l’on anticipait jusque-là,
expliquant les variations entre les individus. Leurs travaux dans ce
domaine encore balbutiant ont valu aux trois Américains, Jeffrey C.
Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young, le prix Nobel de
médecine en 2017.
Le matin, les signaux qui arrivent au foie via le cerveau l’informent
que le jour se lève. Il est donc prêt à fonctionner pour traiter les
aliments de notre déjeuner. Sauter ce repas n’est pas une solution:
les gènes du biorythme, qui oscillent avec la lumière, sont conçus
pour se remettre en marche à ce moment. Perturber leur oscillation
peut favoriser, chez certains, une atteinte hépatique liée au surpoids.
En revanche, en fin de journée, les signaux du cerveau informent le
foie qu’il est temps de se mettre en veille. C’est comme une usine qui
ouvrirait ses portes au petit matin, aurait une activité maximale
durant la journée et, le soir, verrait l’effervescence diminuer avec une
équipe de nuit réduite aux seules urgences. De la même manière, un
décalage des repas vers la période nocturne, des soupers plantureux
ou des grignotages devant la télévision sont mauvais pour le foie
puisqu’ils altèrent la gestion des sucres et des graisses. Ils favorisent
le développement de la stéatose, le fameux foie gras, et de
l’inflammation, la maladie du foie la plus fréquente dans nos
contrées, que j’aborderai plus loin.
Donc, après votre souper, si possible léger et à déguster au moins
deux heures avant d’aller au lit, pas de grignotages! Pas de repas la
nuit! Permettez à votre foie de se reposer et de vivre selon son
rythme. Bien sûr, quelques exceptions sont autorisées, un soir de fête
ou de souper entre amis. Mais quand l’exception devient régulière, la
voie est ouverte aux problèmes.
Je me souviens d’un patient qui m’avait été adressé par son
médecin traitant. Il était en surpoids, avec des analyses révélant une
atteinte sévère du foie. J’avais découvert, en l’interrogeant, que son
rythme nycthéméral, celui qui gère nos périodes d’éveil et de
sommeil, était complètement inversé: il dormait très peu la nuit, avec
des apnées du sommeil qui influaient sur l’oxygénation de son
organisme, et il somnolait tout au long de la journée pour
compenser.
Des somnifères lui avaient été prescrits. Mais, du fait de la
dégradation de l’état de son foie, ils ne pouvaient plus être
correctement éliminés et donc s’entassaient dans son organisme. Ils
se surajoutaient à des quantités impressionnantes d’ammoniaque
que son foie, épuisé, ne réussissait plus à gérer. L’addition des deux
le faisait sommeiller encore plus durant la journée.
En amont, l’origine du mal n’était pas mystérieuse: des années de
malbouffe et une consommation excessive d’alcool qui avaient
déréglé son foie. L’inversion de son biorythme avait empiré la
situation. On frôlait la catastrophe: des examens plus poussés ont
révélé une encéphalopathie hépatique, c’est-à-dire une atteinte du
cerveau directement liée à ces dérèglements du foie. Le patient était
en train de mourir.
Une part essentielle de son traitement a été le rééquilibrage de son
alimentation, avec l’arrêt de l’alcool et des somnifères. Il existe très
peu de médicaments pour «soigner» le foie; je lui ai prescrit un
prébiotique qui favorise la croissance, dans le tube digestif, de
bactéries bénéfiques pour la santé et qui peut ainsi contribuer à
empêcher l’accumulation de l’ammoniaque. L’autre point a été le
rétablissement progressif de son rythme nycthéméral: c’était, même
si je n’en avais pas la preuve, indispensable à la guérison de son foie.
Il a fallu des années pour y parvenir parce qu’il revenait de loin. Mais
en réapprenant à manger et à dormir, ce patient a sauvé sa vie: son
foie s’est régénéré.
Les dangers de la dérégulation du biorythme guettent les
personnes âgées et celles qui travaillent en horaires décalés. Je
conseille à ces dernières, mais aussi à celles qui voyagent beaucoup
ou dont le mode de vie favorise l’activité nocturne, d’adapter leur
régime alimentaire. Pour elles, le repas le plus copieux se fera dès
que démarre une petite phase d’activité durant la journée, afin de se
caler au mieux sur le cycle jour/nuit auquel le foie est soumis. En
revanche, elles limiteront le plus possible les apports en sucre et en
calories durant la nuit, à défaut de pouvoir les supprimer.
Pour les voyages ponctuels, le jet-lag occasionnel, il n’y a pas de
précaution particulière à prendre. Le corps et le foie se remettent
rapidement à la nouvelle heure avec une vitesse d’adaptation
d’environ une heure par jour. Par exemple, pour un décalage horaire
de 5 heures, il faut environ 5 jours pour que l’horloge interne de
l’organisme se mette complètement à la nouvelle heure.
La prise des médicaments doit probablement se caler aussi sur le
rythme circadien, et donc sur le rythme du foie. C’est un champ
d’application énorme qui s’ouvre à la recherche médicale! Un
médicament est un xénobiotique, c’est-à-dire une substance qui n’est
pas produite par l’organisme et n’est pas, non plus, amenée par une
alimentation naturelle. Les molécules polluantes ou les pesticides
sont également des xénobiotiques, mais sans aucun bénéfice ceux-là.
En règle générale, les xénobiotiques sont mieux captés le matin par
le foie pour être éliminés pendant la journée. Un toxique auquel on
sera exposé la nuit sera ainsi potentiellement plus dangereux pour
l’organisme, car le foie saura moins le transformer.
Qu’en est-il du rythme du foie (et de l’ensemble de l’organisme!)
dans les pays comme la Suède où les journées d’hiver et les nuits
d’été se réduisent à trois ou quatre heures? Notre horloge interne
peut-elle pallier l’absence de stimuli externes? Nous ne le savons pas
encore. Quelle est, par ailleurs, l’influence de nos lampes Led, des
écrans de nos téléphones, de nos tablettes ou de nos ordinateurs
dont la lumière bleue est équivalente à celle du jour et que nous
consultons pourtant jusqu’à l’heure de nous coucher? Ils ne sont pas
adaptés au biorythme. Je dois reconnaître que si leur effet néfaste
sur les yeux commence à être connu, on ne sait encore rien quant à
leurs conséquences sur le foie, mais on n’anticipe pas qu’ils auront
un effet bénéfique!
Chapitre 4

Le foie ne fait pas grève, mais…

J’entends souvent des patients, lors de leur première consultation,


m’expliquer ainsi ce qui les amène chez moi: «J’ai des crises de foie.»
Mais le foie ne crise pas! Même après un repas plantureux, trop
copieux et riche en graisses, ou une bonne brosse, il se remet au
travail, transformant les sucres et les graisses et gérant leur
distribution à notre corps.
Il plaide non coupable des nausées et des vomissements qui
peuvent survenir et qui sont une défense de notre organisme contre
un trop-plein ou contre un produit avarié. Le grand responsable dans
cette histoire est notre tube digestif: trop rempli, il envoie un
message de souffrance au cerveau. En retour, le cerveau lui demande
d’augmenter ses contractions pour accélérer le malaxage alimentaire.
Parfois, lorsqu’il est vraiment trop plein, le cerveau lui ordonne de
fonctionner à l’envers et de nous faire vomir pour nous soulager.
Comme le foie et la vésicule biliaire effectuent normalement leur
travail, la bile qu’ils ont déjà déposée dans le tube digestif est vomie
avec ce qu’on a mangé. Raison pour laquelle nos vomissements ont
un goût de bile…
Évidemment, il arrive au foie de suffoquer sous le poids des sucres
que nous lui infligeons du fait de la surabondance alimentaire, quand
nous dépassons les 70 à 100 grammes quotidiens qu’il est capable de
stocker. Et nous les dépassons très souvent, le sucre étant
omniprésent dans notre alimentation occidentale faite de féculents,
pain, boissons gazeuses, jus de fruits, viennoiseries, etc.
J’en ai fait l’expérience jusqu’à mes trente-cinq ans. J’étais un
grand buveur de boisson gazeuse, j’en consommais des litres,
accompagnés d’arachides, de frites et de tout ce qui va avec. Ce
n’était pas il y a si longtemps. Souvenons-nous, jusqu’à il y a
quelques années, l’alimentation était loin d’être l’objet premier de la
recherche et les données dont nous disposons actuellement quant à
ses effets sur le foie (et sur l’organisme en général) n’existaient pas.
On n’imaginait tout simplement pas que manger puisse être toxique.
Je ne sais pas dans quel état était mon foie, ni s’il avait pâti de ma
malbouffe: un foie doit être très malade pour qu’on le «sente»! Je me
suis ressaisi à la naissance de ma fille aînée, Oriane, quand j’ai pris
conscience de mes excès – et du rôle de l’alimentation dans notre
santé. J’ai perdu dix kilos en adoptant ce que j’appelle des règles de
bon sens.
Je sais, par contre, quel est l’état de mon foie aujourd’hui: il est en
bonne santé. Il faut dire que c’est un organe particulièrement
résistant et, pour peu qu’on lui prête un minimum d’attention, il est
toujours prêt à travailler. Il accepte mes écarts sans jamais rechigner:
de temps en temps la fréquentation d’un fast-food, parfois un petit
verre de vin. En fait, tout est dans la raison. Ce qui est toxique, c’est
l’excès.
Qu’avait fait mon foie des surplus que je lui infligeais? Il les gérait.
Le foie est comme un sac que l’on remplit. Quand il est plein, le sac
se gonfle, il déborde ensuite. Le foie se gonfle aussi tant que nous
continuons à boire et à manger. Comme chez les oies et les canards à
foie gras, il stocke le sucre en excès sous forme de graisses
(contrairement aux sucres, elles se stockent facilement, presque de
façon illimitée). C’est une solution toute naturelle, la seule dont il
dispose pour réguler l’évacuation des nutriments dans le sang – et ne
pas trop mettre en circulation à la fois.
Cette accumulation (ce foie gras) s’appelle stéatose. Et c’est un
processus dangereux parce que le foie humain, contrairement à celui
des palmipèdes, n’est pas adapté pour le gras, ou du moins a cessé de
l’être. Car il fut un temps, à l’époque des famines, où notre foie gras
pouvait avoir son utilité: quand nous avions moins à manger durant
l’hiver, l’organisme puisait dans les réserves, comme chez les
palmipèdes où, hors gavage, le foie gras est transitoire, le temps des
migrations. Mais les hommes ne sont pas soumis à des migrations
saisonnières. Ils n’ont plus à subir, dans leur très grande majorité,
des périodes de famine qui leur permettraient de brûler ce gras
accumulé. Alors, nous stockons encore et encore, et notre foie
grossit. D’ailleurs, tout l’organisme grossit, d’où l’attention que je
prête au surpoids, indice majeur de l’état de notre foie.
Au début, nous ne sentons rien puisque, faute de nerfs, le foie ne
fait jamais mal. Et puis, un jour, les conséquences apparaissent:
l’inflammation, la fibrose, la cirrhose, le cancer, la perte des
propriétés de régénération. Et quand on a mal, c’est qu’il est déjà
presque trop tard: le foie devenu gros comprime la capsule qui
l’entoure qui, elle, est traversée de nerfs et peut, effectivement, être
douloureuse, d’une douleur sourde que je qualifierais plutôt de gêne
ou de lourdeur. Cette discrétion du foie explique qu’une grande
partie de mes patients sont surpris lorsque je leur annonce qu’ils ont
un problème!
À l’inverse, en cas de pénurie, le foie s’adapte: il ne nous laissera
pas tomber. Si nous jeûnons ou suivons un régime qui ne comporte
pas du tout de sucre, il se débrouille pour maintenir constant le taux
de sucre dans le sang, la glycémie. Il ne peut pas en effet se permettre
de faire grève et de provoquer une hypoglycémie! Quand ses propres
réserves s’épuisent, en moyenne au bout de 24 heures (selon notre
type d’activités), notre super héros se charge de fabriquer du sucre et
de l’énergie sans apport de sucre. Comment? En puisant dans les
graisses, d’abord les siennes puis celles de l’organisme à partir
desquelles il sait créer un ersatz de sucre appelé corps cétoniques
qu’il utilise comme source énergétique. Conséquence? On n’a plus
faim puisque le taux de glycémie est préservé et que les corps
cétoniques coupent l’appétit. C’est donc grâce à leur foie que les
grévistes de la faim… n’ont pas faim. Beau travail!
Évidemment, il y a des limites à la résistance du foie. Quand il est
malmené sur la durée, ce qui peut prendre des années, il finit par
baisser les bras. Quand il ne trouve plus de graisses dans le corps, on
meurt de faim. À l’inverse, quand il est suralimenté, il grossit,
s’alourdit, devient incapable de se régénérer correctement, ses
cellules meurent sans être remplacées. Il développe une cirrhose
puis, à la longue, ce foie qui était trop gros se ratatine. C’est la
cirrhose avancée.
D’une autre manière, quand il est brutalement agressé, par
exemple par un binge drinking, la «défonce à l’alcool» en un temps
très court qui sévit parmi les jeunes, jusqu’à 50 grammes d’alcool –
soit cinq verres – absorbés en moins d’une heure, le foie peut aussi
être provisoirement mis hors service: notre usine de détoxification
est dépassée par ce nouveau mode de consommation, certes festif
mais très brutal. Il se met en grève, c’est-à-dire qu’il cesse de
produire du sucre pour le déverser dans le sang et, à travers lui, au
reste de l’organisme. Une hypoglycémie gravissime survient; dans
certains cas, elle est mortelle. A fortiori chez les adolescentes qui
développent une nouvelle mode, l’alcoolorexie: afin d’éviter de
prendre du poids du fait de leur consommation d’alcool, elles se
privent de repas. Cette attitude les met encore plus en danger car elle
peut entraîner des carences au niveau du foie, encore moins capable
de détoxifier correctement l’alcool consommé.
Pierre m’avait consulté pour la première fois il y a plusieurs années
de cela. Je venais de prendre en charge le service d’hépato-gastro-
entérologie à l’hôpital Antoine-Béclère, je poursuivais, en parallèle,
mes recherches sur le foie dans le cadre de l’Inserm et mes cours à
l’université.
Pierre était trop gros et ses analyses de sang révélaient un taux
d’enzymes du foie extrêmement élevé. Je me revois lui dire d’emblée
qu’il devait sérieusement surveiller son alimentation et tirer un trait
sur ses deux à trois verres de vin quotidiens: son surpoids
potentialisait la dangerosité de l’alcool. Il avait plaidé l’activité
physique dont il était convaincu qu’elle lui autorisait des écarts: de la
marche avec une moyenne de 8 000 pas par jour, un peu de natation.
Il m’avait demandé un traitement médicamenteux, je n’en avais
pas. Il n’existe d’ailleurs toujours pas de comprimés permettant de
rééquilibrer les enzymes du foie, et je ne pense pas qu’il y en aura
dans les prochaines années malgré les recherches en cours: le
meilleur médicament du foie, c’est ce que nous mangeons et buvons.
Il avait réagi comme tous les patients qui sortent de ma consultation
sans une ordonnance entre les mains – et ils sont la majorité:
déconfit. Ce n’est pourtant pas faute d’expliquer que la nature est
bien faite, l’organisme est bien fait et, en particulier en ce qui
concerne le foie, un médicament ne sera jamais aussi efficace qu’un
changement de mode de vie: il faut faire attention à soi. Mais même
quand on le sait, il y a des choses plus fortes que nous, plus fortes
que notre intelligence, comme ces compulsions qui nous poussent à
allumer une cigarette tout en connaissant théoriquement les méfaits
du tabac.
C’est la raison pour laquelle je me suis donné pour règle de ne
jamais interdire, pas même les frites et les boissons gazeuses, mais
de toujours conseiller. Peut-être ai-je tort et devrais-je me montrer
plus strict, mais j’estime que les personnes en face de moi sont des
adultes et doivent procéder à leurs propres choix, en connaissance de
cause.
Avec Pierre, avec tous les patients que je recevais à l’époque, j’avais
commis une erreur: je lui avais donné des conseils oralement,
convaincu que mes explications rationnelles suffiraient à le remettre
sur le droit chemin. Je le surveillais régulièrement, tous les six mois,
mais, bien qu’ayant abandonné l’alcool, il continuait de malmener
son foie. Je l’avais prévenu du risque d’un cancer qui pourrait se
déclarer, il faisait l’autruche. Nous sommes tous des autruches,
persuadés que «ça n’arrive qu’aux autres».
Et Pierre a développé son cancer. Dépisté à temps, il était opérable,
mais je restais inquiet pour lui. Après l’opération, il est revenu me
voir, avec sa femme cette fois. L’affaire était trop sérieuse: je n’ai pas
délégué sa diète alimentaire, je m’en suis chargé moi-même,
directement, en lui remettant une liste détaillée d’aliments conseillés
et déconseillés, avec des données quantitatives.
Moi aussi, j’ai grandi. Les trames écrites des conseils nutritionnels
font désormais partie de mes consultations. Pierre a suivi les
indications. C’est alors, m’a-t-il dit, qu’il s’est rendu compte de la
manière dont il maltraitait son foie en lui infligeant un rythme
alimentaire insoutenable. Dix tartines au lieu de deux au déjeuner, et
la confiture qui allait avec: il n’avait pas conscience que c’était trop
puisqu’il allait ensuite marcher, se dépenser. Des sandwichs à
l’avenant et des boissons gazeuses pour les accompagner. Des plats
industriels jusqu’à plus faim. Des grignotages jusqu’à l’heure d’aller
au lit.
Il a suivi les consignes. À la visite suivante, six mois plus tard, son
taux d’enzymes, qui avait pendant des années très largement dépassé
les limites supérieures admises, s’était enfin normalisé. Il a été très
honnête avec moi: «Je ne vous croyais pas. J’attendais un traitement,
je n’imaginais pas qu’une remise en ordre de mon alimentation
suffirait à me guérir.»
Aujourd’hui, Pierre est guéri. Son foie a non seulement retrouvé
des dimensions normales, mais il s’est régénéré. Je continue à le voir
régulièrement. Et il continue à manger normalement, donc sans
excès et avec régularité. Il n’en souffre pas, au contraire: il se sent en
pleine forme, enfin débarrassé de la sensation de fatigue qui le
handicapait.
Heureusement, bien que malmené, son foie ne s’était pas mis en
grève. Il s’était simplement manifesté…
II
Comment garder son foie
en bonne santé
Chapitre 5

Le menu gourmand du foie

Il y a une vingtaine d’années, le mode d’alimentation des patients


n’était pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la préoccupation
majeure des médecins: un malade était forcément soigné par des
médicaments.
Or, en matière de foie, mis à part les maladies auto-immunes ou
certaines atteintes virales sur lesquelles je reviendrai, il n’existe pas
de traitement réellement efficace hormis l’alimentation. C’est
d’autant plus vrai que la malbouffe est désormais la cause de
l’écrasante majorité des maladies hépatiques. Je n’insisterai jamais
assez sur les ravages qu’elle inflige à notre foie – et à tout notre
organisme!
Aujourd’hui, les trois quarts des patients que je reçois en
consultation repartent sans ordonnance, mais avec une longue
«prescription» de conseils diététiques. Je n’interdis rien: d’une part,
je pense sincèrement que les interdits sont contre-productifs. D’autre
part, il faut reconnaître qu’un burger-frites de temps en temps fera
ponctuellement grimper le taux d’enzymes dans le sang, il est donc
toxique, mais il ne pourra pas avoir raison du foie: notre super-héros
est bien trop résistant. Quelques heures plus tard, si l’on y veille, le
taux d’enzymes sera à nouveau normalisé.
Je succombe moi-même parfois à un hamburger, et sans aucun
regret. J’évite tout de même de l’accompagner d’une boisson gazeuse
– attention aux dégâts! Cela me valut un jour, aux États-Unis, de
devoir partir en quête d’une bouteille d’eau, introuvable dans le fast-
food où je me régalais. Mon insistance avait semblé incongrue au
serveur qui m’avait regardé d’un drôle d’air quand j’avais également
refusé la boisson diète qu’il me proposait, haussant les épaules
quand j’avais commencé à lui expliquer, avec force détails, les
méfaits des édulcorants sur le métabolisme, nos bactéries digestives
et le foie…
Par contre, ce sont les excès que je proscris. Un fast-food tous les
jours ou même chaque semaine a toutes les chances de gripper la
machine: c’est la régularité qui entraîne la maladie. Or, dans nos
contrées, bien manger est un défi: notre alimentation occidentale
favorise facilement les excès en glucides et en lipides, en additifs
alimentaires, en émulsifiants. Pour protéger son foie, il faut leur faire
la chasse! Cette protection ne se limite pas à un seul repas ni à un
seul jour. C’est une endurance qui se réalise sur plusieurs semaines
ou mois, voire sur toute la vie. La bonne nouvelle est qu’il n’est
jamais trop tard pour s’y mettre: même fatigué, même gras, un foie
commence à se régénérer au bout de quelques jours d’attention et de
suppression de petits excès routiniers.
La diète du foie n’est pas un pensum: c’est un équilibre gourmand
dans lequel même des aliments délétères (mon hamburger) peuvent
trouver leur place. Elle vaut pour nos pays où nous sommes
suralimentés. Elle ne s’applique évidemment pas en cas de carences
alimentaires graves, ni dans les nombreuses régions du monde où
sévit encore la sous-nutrition.
Au fond, j’hésite à utiliser les mots «diète» ou «régime», je préfère
parler d’hygiène. Une hygiène de l’intérieur du corps, aussi
importante, voire plus importante que l’hygiène apparente que nous
respectons en nous lavant. C’est à la fois très facile et, je le reconnais,
très compliqué. Sans quoi, l’épidémie d’obésité ne se propagerait pas
à son allure folle actuelle.
Que faut-il manger? De tout, sans hésiter. Des protéines, des
lipides et des glucides, mais en sachant raison garder… et dans des
proportions admissibles.

Les protéines
Globalement, je conseille de consommer 15 à 20% de protéines
animales ou végétales, en un ou deux repas.
Cela représente 150 à 200 grammes de poissons ou de volaille par
jour, ou 50 grammes de viande rouge. Il est préférable de limiter les
viandes rouges à deux repas par semaine – sans dépasser, sur cette
période, les 300 grammes. Les œufs entrent dans la catégorie des
protéines mais si l’on a un taux de cholestérol au-dessus de la norme,
il vaut mieux éviter de dépasser les 2 œufs par semaine – le jaune est
riche en cholestérol. Si le taux de cholestérol est normal, notamment
pour les végétariens, il ne faut pas dépasser 6 œufs par semaine.
Attention, à partir de 7 œufs par semaine, le risque d’atteinte
cardiaque peut être augmenté! Pour ce qui est du tofu ou du soja, ils
sont source de protéines végétales et contiennent tous les acides
aminés (la structure élémentaire d’une protéine) essentiels, mais la
concentration de protéines est moindre que dans la viande (environ
40% à 50% de moins que dans la viande de bœuf). Quant aux
légumineuses, elles sont une excellente source de protéines, sont en
plus riches en fibres et en oligoéléments, et elles peuvent se
substituer, pour les végétariens et végétaliens, aux produits d’origine
animale. La consommation optimale est, dans ce cas, de
150 grammes par jour.

Les lipides
Je ne bannis pas les lipides, au contraire! Ils doivent idéalement
représenter 30 à 35% des apports quotidiens, en diversifiant les
acides gras. La mauvaise presse des lipides est surtout liée au fait
qu’ils sont très caloriques: 9 calories par gramme. Mais certains ont
un effet favorable sur notre santé, comme les acides gras oméga-3 ou
oméga-9 dont une consommation élevée est associée à une espérance
de vie élevée. D’autres, comme les acides gras hydrogénés ou trans,
surtout utilisés par l’industrie agro-alimentaire pour des besoins de
conservation et de consistance des aliments, sont toxiques – votre
pain tranché acheté au supermarché, qui se conserve longtemps, est
plus nuisible pour votre santé que la même quantité de pain acheté
frais chez votre boulanger.
Concrètement, 10 à 20 grammes par repas sont facilement
assimilables par l’organisme – l’équivalent d’un petit carré de beurre
ou d’une cuillère à soupe d’huile ou de crème fraîche. Les plus
gourmands, en l’absence de surpoids, peuvent augmenter la dose de
beurre du déjeuner (jusqu’à 30 grammes). Pour ce qui est des huiles,
privilégions celles de colza ou d’olive aux autres repas.
Pour assaisonner mes salades, j’ai appris à faire preuve
d’imagination, jonglant avec les vinaigres et les fines herbes, le
citron, les poivres et l’ail. Un peu d’huile au besoin que je coupe avec
de l’eau, mais au fond, avec un rien de doigté, j’arrive facilement à
m’en dispenser, réservant ma «dose» de lipides pour le plat
principal. Et c’est délicieux!
On ne se privera pas non plus de fromages… mais on ne se jettera
plus tous les jours sur le plateau. Une portion saine est de 30 à
40 grammes soit 1/8e de camembert… une fois tous les deux jours
environ. Et, au déjeuner, un peu de fromage peut remplacer la
confiture pour éviter la fringale du milieu de matinée liée au
déjeuner trop sucré. Éviter trop les lipides peut d’ailleurs conduire à
augmenter la consommation de glucides, et ce n’est pas ce que je
conseille.

Les glucides
Les sucres/glucides cachés sont présents presque partout dans notre
alimentation. Il n’est évidemment pas question de s’en priver! Dans
l’intérêt de notre foie, ils peuvent même constituer jusqu’à 50% des
apports quotidiens, incluant les sucres sous forme de riz, de pain et
autres céréales et féculents – et en évitant, question de bon sens,
d’associer les différents féculents entre eux, par exemple le pain avec
les pommes de terre.
La question des pâtes m’est souvent posée, ma réponse est très
claire: elles constituent un sucre lent, donc bon pour la santé… à
condition de ne pas dépasser, par repas, 150 grammes de pâtes cuites
à l’italienne, c’est-à-dire al dente. Trop cuites, comme elles le sont
souvent dans les restaurants des collectivités, elles se transforment
en un sucre rapide, sans aucun intérêt nutritionnel.
Le riz, lui, est un féculent comme les pâtes, on ne dépassera donc
pas 150 grammes par repas (de riz cuit). Attention aux sushis servis
dans les restaurants japonais qui fleurissent en Occident:
essentiellement constitués de riz, avec une fine tranche de poisson,
ils ressemblent très peu aux sushis du Japon où le riz ne constitue
qu’une toute petite noisette et qui sont, eux, bons pour la santé. Le
parallèle est souvent effectué, par mes patients, avec le régime
chinois, essentiellement constitué de riz, sans entraîner de surpoids.
C’est vrai dans l’alimentation traditionnelle chinoise où le riz n’est
pas accompagné d’autres sucres; c’est moins vrai dans les villes
chinoises qui ont adopté un mode de vie occidental et où la
consommation de pâtes et de pain, d’aliments transformés s’ajoutant
au riz, entraîne une épidémie d’obésité!
À l’inverse du blé (un sucre), riz, quinoa, sarrasin et autres graines
(également des sucres) fermentent peu dans le tube digestif et sont
préférables pour les personnes sujettes aux ballonnements. En règle
générale, il serait idéalement bon de prévoir un repas par jour sans
ou avec peu d’amidon, donc de céréales, de féculents et autres riz.
Vous culpabilisez en mangeant des frites et vous vous donnez
bonne conscience en choisissant les pommes de terre en purée?
Détendez-vous! De toute manière, les pommes de terre sont des
sucres rapides. La seule manière de diminuer cette rapidité est de les
consommer cuites à l’eau ou, encore mieux, à la vapeur avec la peau.
Certes, les frites sont plus grasses que la purée. Mais vous en avez
envie? Alors, allez-y! Veillez cependant à limiter vos autres apports
en lipides de la journée et dégustez-les… sans dépasser 100 grammes
par repas. Et, cela va de soi, pas à tous les repas, ni tous les jours.
Bien entendu, on ne mélange pas pâtes, riz ou pommes de terre avec
du pain!
Pour le dessert, il n’y a rien d’étonnant à ce que je privilégie les
fruits, tous les fruits – ils sont riches en vitamines. Deux portions par
jour (400 grammes) ont des effets bénéfiques pour la santé. Et les
desserts sucrés? Avec plaisir… mais, comme les frites, pas à tous les
repas, ni tous les jours. Il est d’ailleurs dommage que les restaurants
ne proposent presque jamais de bons fruits frais dans leur carte des
desserts!
Quant aux légumes, ils sont tous les jours au menu, et à volonté.
Et puis, bien entendu, on privilégiera l’eau et on évitera les
boissons alcoolisées et sucrées – sauf exception, cela va de soi.
Enfin, je conseille toujours à mes patients de manger lentement, en
posant les couverts entre chaque bouchée. Histoire de faire durer le
plaisir… mais aussi de laisser le sentiment de satiété arriver, le temps
que l’estomac envoie un signal au cerveau et que le taux de sucre
remonte dans le sang grâce au travail du foie. Et puis, manger
lentement permet d’ingérer moins d’air, donc de limiter les risques
de reflux.
Les premiers temps, tout peser sera sans doute compliqué mais
très vite les quantités seront mémorisées et on pourra ranger la
balance dans le placard. Sera-t-on au régime? Certainement pas! Je
l’ai dit et le répète, il ne s’agit que d’une hygiène de vie!

Attention au yoyo!
Lorsqu’on prend soin de son foie, on perd automatiquement du
poids. Mais quand on relâche les efforts, il est souvent difficile de ne
pas reprendre les kilos perdus.
Ce phénomène est lié à nos bactéries digestives. Elles n’ont pas
compris les modifications alimentaires survenues avec les menus
équilibrés. Et elles sont affamées! Si nous relâchons les efforts avant
qu’elles aient eu le temps de comprendre la nouvelle situation, elles
se jetteront sur la malbouffe qui leur arrive à nouveau. Un peu
comme si elles gardaient la mémoire du surpoids. Résultat: on va
grossir encore plus vite et on dépassera même le poids initial… à
cause de nos bactéries. C’est le fameux effet yoyo.
Quelles solutions proposer alors? Est-on véritablement condamné?
En fait, lorsqu’on modifie son alimentation et que l’objectif pondéral
qu’on s’est fixé est atteint, il faut quand même tenir compte d’une
probable fenêtre temporelle à l’issue de laquelle on peut élargir son
alimentation très doucement, toujours en privilégiant les légumes.
Mais on ne connaît pas encore la durée de cette fenêtre durant
laquelle nos bactéries digestives continueraient d’évoluer et de se
transformer.
Il est possible que le fait de privilégier certains aliments riches en
flavones (café, thé, soja, pommes, pamplemousse, fruits rouges,
épinards, brocolis, artichauts…) limite l’effet yoyo, c’est-à-dire la
reprise de poids rapide après l’arrêt des efforts alimentaires.
C’est ce que démontre une étude menée sur des souris par l’équipe
de Eran Elinav, au Weizmann Institute of Science, en Israël. Dans un
premier temps, les souris ont toutes été suralimentées pour grossir.
Puis une moitié du groupe a été «mise au régime» pour maigrir.
Celles-là ont effectivement perdu du poids. Elles ont alors été
remises en mode «suralimentation» – l’équivalent de notre
malbouffe. Il n’a pas fallu beaucoup de temps à la plupart d’entre
elles pour rattraper le poids des souris qui n’avaient pas été mises au
régime, mais avaient continué d’être suralimentées sur la durée.
L’examen des selles des souris qui ont regrossi a montré la
présence de bactéries spécifiques détruisant les flavones apportées
par l’alimentation. Les flavones sont des molécules qui, en plus de
leur effet antioxydant, accroîtraient la dépense énergétique. Seront-
elles le remède miracle contre le surpoids? Des études sont en cours
pour vérifier si une supplémentation en flavones permettrait de
perdre plus facilement du poids.
Chapitre 6

Végan, céto et autres «sans»:


quand le foie est au régime

Nous le vivons tous dès que nous organisons chez nous un repas en
famille ou entre amis: combler tous ses hôtes devient un vrai casse-
tête! Le menu unique? Il appartiendra bientôt au passé. Autour de
notre table, l’amateur de viande côtoie le végétarien, lui-même
infiniment plus permissif que le vegan, et le «sans gluten» compose
avec celui ou celle qui a décidé de s’abstenir de produits laitiers. Sans
compter avec les «paléo» et les «céto», les tenants du régime
méditerranéen… et les goûts individuels qui sont de plus en plus
singuliers à l’heure de la «world food».
De plus en plus de patients me consultent avec des questions très
pointues relatives à un régime alimentaire particulier. Cela aurait été
inimaginable il y a seulement dix ou quinze ans, quand nous
mangions à peu près tous de la même manière, exception faite des
vrais intolérants (au gluten, au lactose, à l’arachide, etc.) et de ceux
que nous avions coutume de qualifier d’excentriques un peu bizarres,
sans intolérances mais avec régime particulier.
Mes patients sont informés… mais à moitié. Leurs sources de
référence sont aujourd’hui les médias et, plus volontiers, Internet.
On y trouve des articles copieux faisant état de données souvent
piochées dans la littérature scientifique, ce qui serait une bonne
chose si l’information récoltée était complète. Or, ce n’est souvent
pas le cas. Prêchant pour leur propre chapelle, quelle qu’elle soit, ces
articles et sites omettent les contre-arguments figurant dans la
plupart de ces études. Ils retiennent les effets positifs ou négatifs
(selon le point de vue qu’ils veulent défendre) et «oublient» la longue
liste de «mais». C’est ce que l’on appelle un mensonge par
omission… et il peut faire beaucoup de dégâts!
Et notre foie dans tout ça? Il ne reste évidemment pas insensible à
nos modes alimentaires puisque ce sont elles qui le nourrissent et, à
travers lui, apportent du carburant à l’ensemble de notre organisme.
Une mise au point s’impose, concernant les questions qui me sont
le plus souvent posées.

La viande attaque-t-elle le foie?


Parmi mes patients, je constate que très peu sont végétariens et ceux-
là, quand ils consultent, souffrent plus souvent d’un virus ou d’une
maladie auto-immune que d’une atteinte hépatique liée à la
malbouffe et au surpoids.
Faut-il en déduire que la viande est l’ennemie du foie? Cette
affirmation est trop hâtive. Elle ne tient pas compte d’un certain
nombre de facteurs confondants, à commencer par le mode de vie
des végétariens qui, en Occident, appartiennent généralement à une
population urbaine d’un niveau socio-intellectuel élevé, qui prend
soin d’elle et qui, en moyenne, est moins en surpoids que les
catégories inférieures.
Cependant, on sait que la viande s’attaque volontiers aux artères
quand, chez certaines personnes, sans doute sous l’influence de leur
microbiote, les bactéries qui se trouvent dans le tube digestif
transforment l’excès de choline (un composant de la viande rouge et
des œufs) en triméthylamine (TMA). Ce n’est pas le cas chez tout le
monde! Quand il reçoit le TMA, le foie le métabolise en TMAO,
l’oxyde de triméthylamine. Le TMAO est toxique pour les artères,
favorisant l’artériosclérose, les infarctus ou les accidents vasculaires,
indépendamment du niveau de cholestérol. Certains suppléments
alimentaires qui comportent des composés comme la carnitine et ou
la lécithine suivent les mêmes voies métaboliques que la viande et
peuvent aussi être potentiellement toxiques. Donc oui, la viande
rouge ne convient pas à cette population. Son excès ne convient
d’ailleurs à personne: il est corrélé, dans les pays occidentaux, à
l’apparition de certains cancers et de maladies cardio-vasculaires.
Les toutes dernières découvertes ont apporté quelques surprises
concernant la viande: la preuve qu’en biologie, rien n’est jamais tout
noir ni tout blanc! Nous avons déjà vu que, lorsqu’il «travaille» les
protéines des viandes, le foie produit un déchet, l’ammoniaque,
ensuite transformé en urée et éliminé par les reins. Quand le foie est
très fatigué, en cirrhose grave, tout l’ammoniaque ne sera pas
transformé, entraînant un état de somnolence. Jusqu’à une date
récente, la médecine limitait donc logiquement la viande dans le
menu des personnes souffrant d’une atteinte hépatique grave. Or, on
s’aperçoit que la viande peut, en même temps, et dans le même cas,
lorsque le foie souffre au point de laisser l’organisme dénutri, être
une amie: les acides aminés branchés ou ramifiés qu’elle contient
sont d’un grand secours pour renforcer la masse musculaire et l’état
nutritionnel! Ceci dit, ces mêmes acides aminés, utilisés par les
sportifs comme produits dopants, sont associés à une résistance à
l’insuline et peuvent donc, en grande quantité, favoriser un diabète.
C’est une contradiction que j’ai choisi d’assumer: dans certains cas
graves, corriger la dénutrition prime sur les autres considérations.
Consommer de la viande (si elle n’est pas grasse) n’est donc, sauf
exceptions individuelles, pas directement toxique pour le foie. En
revanche, en consommer tous les jours et en grandes quantités, l’est
pour l’organisme et, par ricochet, pour le foie.

Le régime végétarien protège-t-il le foie?


Les végétariens excluent la consommation de chair animale (viandes,
parfois poissons et crustacés…), mais consomment les produits issus
de l’élevage animal, tels les œufs ou le lait.
Les végétaliens, que l’on appelle aussi végan, excluent à la fois la
chair animale et tous les produits issus des animaux.
Ces deux modes d’alimentation ne posent aucun problème pour le
foie – qui les préfère d’ailleurs à un apport trop important en
viandes. À condition, bien sûr, que l’abstinence de viandes ne soit
pas compensée par des orgies de desserts sucrés!
Il importe par ailleurs de surveiller une fois par an et de dépister
des carences éventuelles, notamment en vitamine B12 et en fer.
La vitamine B12 sert à fabriquer les globules rouges pour
transporter l’oxygène que nous respirons, mais aussi les globules
blancs qui participent aux défenses immunitaires, ainsi que les
plaquettes qui permettent au sang de bien coaguler. Elle sert
également à faire fonctionner correctement le système nerveux. On
la trouve principalement dans le lait, les poissons et les œufs.
Le fer, lui, protège de l’anémie qui est la diminution des globules
rouges du sang. Sa carence entraîne une certaine fatigue. Il peut
heureusement être trouvé ailleurs que dans la viande. Les légumes à
feuilles (oseille, choux, épinards), les salades, les légumineuses, les
graines de sésame, les graines de citrouille ou le persil en sont riches.

Le régime cétogène fait-il maigrir?


C’est le régime à la mode au sujet duquel je suis souvent interpellé,
aussi bien lors de mes interventions publiques que par mes patients.
C’est aussi un régime que j’évite de conseiller. D’une part parce qu’il
est très rigoureux et trop compliqué, la moindre entorse remettant
les compteurs à zéro. D’autre part parce que très peu d’études
sérieuses ont été menées à son sujet: le niveau de preuves,
indispensable à un scientifique, est donc très faible.
Le régime cétogène consiste à créer une carence en sucre (limité à
1% des apports journaliers, y compris les fruits) et à la compenser
par un apport très riche en graisses (81%), assorti d’un peu de
protéines (18%).
Le foie, on l’a vu, ne nous laissera pas tomber. Pendant les vingt-
quatre premières heures, il utilise ses propres stocks pour maintenir
le taux de glycémie dans le sang entre 0,80 et 1,20 g/l. Ensuite, il va
utiliser sa propre graisse pour fabriquer du sucre. Puis il continue de
s’adapter: il va puiser dans les autres sources de graisse du corps
(notamment dans les bourrelets) pour produire des corps
cétoniques, dont l’acétone, qui sont un ersatz d’énergie. Notre
organisme et notre cerveau les utiliseront pour continuer de
fonctionner normalement. Le sentiment de faim disparaît (les corps
cétoniques coupent l’appétit), la fréquence du cœur diminue, des
maux de ventre peuvent apparaître et l’haleine se charge d’une odeur
particulière d’acétone, ces corps-là étant en partie éliminés par les
poumons.
En temps normal, la concentration en corps cétoniques dans le
sang est de l’ordre de 0,1 à 0,25 mg/l. Avec ce régime, comme avec le
jeûne complet, cette concentration peut atteindre des taux dix fois
plus importants, de l’ordre de 1 à 2,5 mg/l. Cependant, en fonction
des individus, du respect du régime, de sa durée et d’autres
paramètres que nous ne connaissons pas tous, la production et
l’élimination des corps cétoniques peuvent varier.
Le régime cétogène, on le comprend facilement, ne tolère aucun
écart: sans carence absolue, le foie ne fabrique pas de produits
cétoniques. Une pomme suffit à le rétablir dans son fonctionnement
normal – presque normal puisqu’il se découvrira noyé sous les
lipides du régime induit. Réalisé de préférence sous surveillance
médicale, il implique de mesurer chaque matin le taux d’acétone
dans les urines. Extrêmement contraignant, il limite la vie sociale…
sans que l’on sache au fond, vraiment, s’il est utile ou pas. Il est en
tout cas difficile de le concevoir sur le long terme.
Des études menées sur les souris démontrent, à court terme, une
diminution du diabète, du stress oxydant et une atténuation des
radicaux libres – des propriétés favorables qui vont dans le sens de
l’augmentation de l’espérance de vie. Ce régime peut aussi avoir des
effets anti-inflammatoires et il est également possible, mais les
études ne sont pas assez nombreuses, qu’il limite le risque de cancer,
voire améliore certaines tumeurs et diminue, chez les enfants, le
risque d’épilepsie.
Cependant, d’une part nous ne sommes pas des souris. D’autre
part, nous ne savons pas grand-chose des effets de ce régime à
moyen terme. Il est fortement déséquilibré et l’interdiction quasi
totale des fruits est, à mon avis, un non-sens: ils sont en effet l’un des
seuls aliments dont il a été prouvé que la consommation augmente
l’espérance de vie – grâce à leur richesse en antioxydants.
Certains travaux démontrent par ailleurs qu’il pourrait être toxique
et augmenter la quantité de graisses dans le foie. Des effets
indésirables sont aussi possibles: maux de ventre, constipation,
diminution du magnésium, crise de goutte et paradoxalement, chez
certains, aggravation d’un diabète.
Une question m’est souvent posée: fait-il maigrir? Sur le court et le
moyen terme, indubitablement puisque notre graisse devient notre
seul carburant. Mais que se passera-t-il sur le long terme dans notre
foie, voire dans l’ensemble de notre organisme, quand nous
reviendrons six mois ou un an plus tard à une alimentation normale,
donc avec apport de sucre? On l’ignore.
Reste une piste qui n’est pas encore explorée: des traitements à
base de corps cétoniques dont on n’attendrait pas la fabrication par
l’organisme mais qu’on lui apporterait, sous forme d’injections ou de
comprimés. Mais il faut d’abord savoir si ces produits sont
réellement bénéfiques…

Le jeûne détoxifie-t-il le foie?


Et si l’on arrêtait de manger? L’un de mes patients, qui souffrait
d’une hépatite avec importante élévation des enzymes du foie,
m’avait consulté dans l’espoir d’un médicament, je lui avais
évidemment répondu hygiène de vie. Sa femme qui l’accompagnait
avait compris l’urgence d’une reprise en main sous peine d’une
évolution rapide vers une cirrhose. Quand il est revenu six mois plus
tard, il avait perdu 15 kg, son foie s’était déjà nettement amélioré.
Pour lui, le changement de vie avait impliqué une coupure radicale:
quinze jours de jeûne dans une clinique. Il avait ensuite retrouvé la
saveur des bonnes choses, ces gourmandises qui plaisent au foie et
au palais et que l’on déguste au lieu d’avaler.
Son jeûne a eu le même effet qu’un régime cétogène à court terme.
Pour fonctionner, son organisme a puisé dans ses graisses. La
surveillance médicale et la durée limitée du jeûne ont permis qu’il se
déroule sans entraîner de carences graves. Celles-ci apparaissent
quand le jeûne se prolonge sans réalimentation: les protéines seront
mal fabriquées faute d’apports protéiques alimentaires, les vitamines
ne seront pas renouvelées, la gestion du stress oxydant sera moins
efficace. De plus, les bactéries que nous hébergeons dans notre tube
digestif jeûneront aussi alors qu’elles n’aiment pas trop cela. Elles
sont en effet très friandes des fibres qui se trouvent dans
l’alimentation. Leur absence pourrait, à terme, altérer l’étanchéité de
l’intestin au passage de toxines. Le foie, notre premier filtre et usine
de détoxification, serait donc obligé de travailler beaucoup plus.
Dans le même ordre d’idées, il est aujourd’hui à la mode d’opter
pour le jeûne intermittent, 12 à 16 heures par jour, en pensant
«épurer» son organisme. Pour connaître les conséquences d’un tel
jeûne sur le foie, des études ont été menées dans les pays où le
ramadan, le jeûne religieux des musulmans, est respecté. Les
résultats montrent qu’il ne se passe généralement pas grand-chose…
ni en bien, ni en mal: les résultats des analyses dépendent d’abord de
l’état de santé de la personne avant le ramadan et de sa façon de se
réalimenter après la période de jeûne.
Je ne sais pas ce que veut dire «la détox du foie» dont nous
sommes régulièrement abreuvés, en particulier après la période des
fêtes de fin d’année. En cas de jeûne, nos bactéries ne sont pas
purgées mais elles crient famine autant que nous. Elles restent
évidemment en nous, mais, actuellement, nul ne sait si certaines
espèces ne pourraient pas souffrir plus que d’autres de ces jeûnes
récurrents, en mourir et donc altérer notre diversité bactérienne.
Le foie détoxifie naturellement tout ce que l’on avale, métabolise
les apports, purifie, élimine. En Occident où nous mangeons trop
gras, trop sucré, trop de plats industriels, où nous ingérons trop de
pesticides, je connais une seule méthode pour soulager son foie:
privilégier les fruits, les légumes frais, le bio, le sain. Le foie sera
soulagé, non pas parce qu’il sera «détoxifié», mais parce qu’il aura
moins de travail à assurer.

Le lait est-il l’ennemi du foie?


Il n’est ni bon ni mauvais. Comme il est riche en graisse, afin de
limiter l’apport calorique, je conseille le lait demi-écrémé plutôt que
le lait entier. En revanche, il existe des personnes qui ont une
intolérance digestive au lactose et n’arrivent pas à digérer le lait,
mais ceci est une autre histoire.

Les antioxydants en boîtes,


vrai pouvoir ou leurre médiatique?
La publicité loue souvent un produit, un aliment ou des plantes pour
leur pouvoir antioxydant – un pouvoir quasi magique. Mais au fond,
qu’est-ce qu’un antioxydant et faut-il en prendre?
Grâce à des enzymes, certaines produites par le foie, notre
organisme réalise en permanence des milliers de réactions
chimiques, ou plus précisément biochimiques, afin de fabriquer les
produits nécessaires à son bon fonctionnement. Forcément, notre
«usine» génère des déchets. Parmi eux, il y en a de vraiment
mauvais: les oxydants qui sont, en quelque sorte, des polluants.
Nous disposons d’un système de traitement interne de
détoxification prévu pour gérer des quantités «normales»
d’oxydants: nous fabriquons nos propres antioxydants, dits
endogènes, qui nous protègent. Mais si les réactions chimiques
s’accélèrent sous l’effet d’une alimentation trop toxique, riche en
sucres (on parle de «stress oxydant»), ce système ne suffit plus: les
oxydants réactifs s’accumulent et causent des dégâts. Ils altèrent des
protéines, modifient nos cellules et, en abîmant leur ADN, peuvent
les détruire puis, à terme, favoriser un cancer.
Fournir à notre organisme des suppléments antioxydants, comme
ceux qui regorgent sur les rayons des pharmacies, magasins bio et
grandes surfaces, n’est pas anodin. Cependant, entre tapage
médiatique et réalité, il y a encore un pas à franchir. Il faut, en effet,
que l’antioxydant que nous avons pris passe la barrière digestive,
donc qu’il aille de l’intestin au foie via la veine porte, que le foie lui
ouvre lui-même ses portes et ne le détruise pas trop vite. Or, si les
produits qui sont sur le marché ont un véritable effet antioxydant
dans des conditions artificielles, dans des cultures de cellules ou chez
des animaux de laboratoire, ils n’ont pas tous démontré leur
efficacité chez l’homme.
Je sais que beaucoup, parmi mes patients, prennent des
antioxydants. Je ne pense pas que ça leur fasse du mal, mais mieux
vaut privilégier les antioxydants naturels, présents dans le monde
végétal, sur lesquels je reviendrai plus loin en détail (voir chapitre
18).
Pourquoi ai-je du mal à digérer?
Ici, le foie plaide non coupable. La digestion lente et pénible peut
advenir lors de la consommation d’aliments qui limitent la vitesse de
vidange de l’estomac: graisses, alcool, aliments pas suffisamment
mâchés et avalés trop vite. Le foie va bien. En revanche c’est le tube
digestif qui fait parler de lui. La seule solution? Le mettre au repos et
accélérer la digestion en mangeant léger pendant vingt-quatre
heures: riz, pâtes, viande légère éventuellement, thé ou tisanes. Boire
une eau pétillante riche en bicarbonate à pH élevé, type Vichy-
Célestin ou Saint-Yorre, peut également aider. Il faut, par contre,
éviter le café, les fruits, les crudités, les laitages et les aliments acides.
Attention, le célèbre digestif alcoolisé ne vous aidera pas! Cet
alcool fort qu’on avale en fin de repas, soi-disant pour digérer, calme
l’anxiété et a un effet euphorisant. On en distribuait autrefois aux
militaires: on pensait désinfecter ainsi l’alimentation et limiter le
risque de choléra tout en donnant de l’entrain à l’armée. Or, le
«digestif» a l’effet inverse: il fait traîner la digestion en ralentissant
la vidange de l’estomac dans l’intestin. De plus, il favorise la
remontée du contenu de l’estomac dans l’œsophage, augmentant
l’envie de vomir. En cas d’indigestion, mieux vaut opter pour la
tisane de l’arrière-grand-mère que pour le digestif de l’arrière-grand-
père!

Vit-on plus vieux en mangeant moins?


Les expérimentations menées sur les souris sont incontestables:
placées sous restriction calorique (avec un apport quotidien réduit de
20%), elles voient leur espérance de vie augmenter. Cette donne
s’applique-t-elle aux humains? Aucune étude ne l’infirme ni ne le
confirme. En revanche, on sait que le jour où elle décide de manger
moins et mieux, une personne en surpoids, souffrant d’une atteinte
hépatique, augmente en même temps son espérance et sa qualité de
vie. Si elle ne change pas ses habitudes, le risque principal qu’elle
encourt, sur le moyen terme, est de mourir d’un accident cardiaque
ou vasculaire ou, bien sûr, d’une défaillance du foie…

Et le sel?
Nous mangeons trop salé, souvent deux ou trois fois plus que les 6 à
8 grammes journaliers recommandés, voire pour certains seulement
5 grammes. Le sel fait monter la pression artérielle (et abîme ainsi
les artères), il fatigue les reins, mais il n’est pas directement toxique
pour un foie en bonne santé: il l’est pour l’organisme. N’oublions pas
qu’un apport alimentaire protégeant le foie aura également des effets
bénéfiques sur le reste de l’organisme: le cœur, les vaisseaux, le
cerveau, le tube digestif… À l’inverse, le sel peut devenir très toxique
en cas de cirrhose, car le foie empêche alors l’élimination du sel par
le rein dans les urines.

Faut-il opter pour un régime sans gluten?


Dans la vraie intolérance au gluten, du type maladie cœliaque qui est
accompagnée d’une augmentation de la perméabilité intestinale, des
toxines passent du tube digestif, par la veine porte, vers le foie. Il
peut donc y avoir, chez les personnes qui souffrent de cette maladie,
des anomalies du foie révélées par une élévation des enzymes du foie.
Pour elles, le zéro gluten est impératif, et il va protéger le foie: la
perméabilité intestinale va diminuer, le passage des toxines vers le
foie va donc régresser, et le foie se normaliser.
Il existe aussi des cas d’intolérance au gluten non cœliaque; le
problème est alors digestif, non hépatique. Il se manifeste par des
douleurs au ventre, mais il n’y a pas de passage anormal de toxines
vers le foie. Pour ces personnes, ce n’est pas seulement le «zéro
gluten» qui est à conseiller, mais le «zéro Fodmap», c’est-à-dire un
régime plus large, sans aliments à fermentation peu absorbés par
l’intestin: monosaccharides (ou glucides simples comme le glucose
ou le fructose), disaccharides (les sucres comme le lactose ou le
saccharose), édulcorants dont le nom se termine en «ol», comme le
sorbitol ou le maltitol qui se trouve notamment dans les chocolats à
teneur réduite en sucre, alcool… et gluten.
Chapitre 7

La chasse aux aliments délétères

L’ennemi numéro 1 du foie, c’est le «trop»! Cela, nous le savons en


théorie. Mais si nous avons des difficultés à le mettre en pratique,
c’est aussi parce que ce «trop» sait bien se cacher… y compris dans
des aliments qui nous sont partout présentés comme des amis.
Attention aux chausse-trappes: il n’est pas difficile de les éviter dès
que nous savons les repérer.

Le fructose
Il a une excellente réputation puisqu’il provient des fruits qui sont
effectivement gorgés de vitamines et bons pour la santé, et il est donc
associé, dans notre imaginaire, à des effets bénéfiques.
Pourtant, le fructose, c’est du sucre. Et comme tous les sucres, le
foie sait bien le gérer en quantités modérées, mais il est dépassé en
cas d’apports trop importants – il est présent dans bien d’autres
aliments que les fruits. Il le transforme alors en graisses qui, en
s’accumulant dans le foie, génèrent un stress oxydant toxique.
Incomplètement contrôlé, il induira la destruction progressive de ses
cellules.
Trop de fructose est redoutable. Comme tout ce que nous
mangeons, il est d’abord métabolisé par les bactéries du tube
digestif. Mais quand il arrive en excès, nos bactéries, saturées, sont
incapables de réaliser cette opération. Le fructose passe alors en
l’état dans le foie, par la veine porte. Et il ne la franchit pas tout seul:
l’intestin devient anormalement perméable au passage de certaines
toxines qui l’accompagnent par la même voie.
Le fructose est encore plus nocif que le sucre alimentaire habituel,
le saccharose, extrait de la betterave ou de la canne à sucre et
contenant certes du fructose, mais aussi du glucose, à parts égales.
Car, quand il arrive dans le foie, le fructose est pris en charge
prioritairement et perturbe le métabolisme. Le saccharose est mis de
côté, c’est-à-dire qu’il est transformé d’office en graisses, des
triglycérides, qui s’accumuleront et feront un véritable foie gras,
comme celui des canards et des oies. C’est d’ailleurs, on l’a vu, avec
du maïs, riche en fructose, qu’on crée le bon foie gras chez les
palmipèdes.
Mangez donc des fruits mais:

Évitez les jus, aussi bien frais qu’industriels, même sans sucre
ajouté: ils contiennent autant de sucre qu’une boisson gazeuse,
environ 120 g/l, soit 4 à 5 morceaux de sucre par verre. Un jus
d’orange pressé maison, ce sont 3 oranges. Un jus de pommes
ou de poires maison, ce sont des kilos de fruits que vous mettez
dans un extracteur, très tendance, ou dans une centrifugeuse.
Or, une seule orange-fruit ou pomme-fruit vous cale bien plus
que votre verre de jus, avec moins de sucre, grâce aux fibres
dont vous prive le jus. Avec celui-ci, le sucre sera absorbé plus
rapidement par l’organisme et vous aurez rapidement faim à
nouveau. En revanche, profitez de votre extracteur pour
préparer des jus de légumes, délicieux et peu riches en sucres.
Choisissez bien vos fruits! En été, vous pensez vous désaltérer et
faire une bonne action en savourant un gros melon gorgé d’eau
sucrée. Or, le melon est l’un des fruits les plus riches en fructose.
Dégustez-en, mais avec modération. Préférez une bonne banane
qui est plutôt un sucre lent, surtout lorsqu’elle n’est pas trop
mûre. En règle générale, un fruit mûr apporte des sucres plus
rapides qu’un fruit peu mûr.
Consommez tout de même les fruits avec modération: jusqu’à 4
fruits crus de taille moyenne par jour, 2 fruits si vous êtes en
surpoids. En manger plus n’a pas d’intérêt pour la santé. Par
contre, les légumes peuvent et doivent être consommés à
volonté, sans être badigeonnés de beurre ou d’huile. Cela fera
facilement les 5 fruits ET légumes par jour. Ce ne sont pas 5
fruits OU légumes!
Ne vous désaltérez pas avec des boissons gazeuses… et pas
n’importe où. Le sucre utilisé varie en effet en fonction des pays.
Aux États-Unis, pour des raisons économiques, l’industrie
alimentaire utilise le sucre de maïs, le «corn syrup»,
exclusivement composé de fructose. En France, on utilise le
sucre de canne ou de betterave, qui est le sucre de table. Boire
un verre de boisson gazeuse aux États-Unis est donc plus
mauvais pour le foie qu’en France. Gavé de fructose, il va être
dépassé et souffrira.
Gare aux confitures allégées en sucre! Si elles sont effectivement
allégées en saccharose, le sucre de table, elles sont en revanche
souvent artificiellement enrichies en fructose, vanté comme
étant le sucre naturel du fruit, mais détesté par le foie quand il
est présent en trop grande quantité. Prenons donc une vraie
confiture, faisons-nous plaisir, mais en petite quantité. Le miel
et le sirop d’érable sont également très sucrés et il ne faut pas en
abuser. Le sirop d’agave, très à la mode, est bien trop riche en
fructose.
Évitez aussi les laitages aux fruits, même ceux sans sucres
ajoutés, et les crèmes dessert du commerce. Préférez les
yogourts grecs nature, et le lait 2% au lait entier.

Les sucres «cachés»


On l’a vu: l’amidon, c’est du sucre. Ce n’est pas catastrophique: le
foie a l’habitude du sucre en quantité modérée. Donc… modérez.

Optez pour les sucres lents: les pâtes pas trop cuites, le pain au
blé entier plutôt qu’une biscotte ou une baguette.
Abstenez-vous systématiquement des féculents cuisinés du
commerce qui, en quelques jours, peuvent faire monter les
enzymes du foie: lasagnes, pizzas, hamburgers, tartes aux
légumes…
Évidemment, évitez les viennoiseries. Rendez-vous compte: un
croissant au beurre représente 400 à 500 calories dont 45 g de
sucre soit 9 morceaux! À titre de comparaison: 30 g de céréales
au déjeuner = 4 à 6 morceaux de sucre; 100 g de pâtes cuites = 5
morceaux de sucre; 1 yogourt aux fruits sans sucre ajouté =
3 morceaux de sucre. Donc, une fois de temps en temps
seulement.
Quant au morceau de sucre, bien visible celui-là, ajouté dans
votre café, pourquoi pas, mais sachez que pour le foie,
consommer du sucre roux ou blanc, raffiné ou non raffiné ne fait
aucune différence: ce sont des glucides à absorption rapide et à
index glycémique élevé. Ce morceau ne pèse pas lourd en
comparaison des morceaux dont regorgent les sorbets, gâteaux,
glaces et autres biscuits industriels!

Les édulcorants
Les industriels pensaient avoir trouvé la parade: puisqu’il faut lutter
contre l’excès de sucre en général et de fructose en particulier,
bannissons-les et introduisons des édulcorants. Zéro sucre, zéro
calorie ou presque, cela ressemble à l’eau et ne peut donc être
mauvais pour notre santé et notre foie.
C’est vite oublier nos bactéries digestives, notre microbiote qui,
dans l’histoire de l’humanité, n’a jamais rencontré d’édulcorants et
n’y est pas préparé. Ces derniers détruiront certaines bactéries, et
celles restantes favoriseront la survenue d’un diabète et seront
potentiellement toxiques pour le foie en favorisant une accumulation
de graisses. Prendre un édulcorant, même s’il n’apporte ni sucre ni
calorie, n’est en aucun cas équivalent à prendre de l’eau!
Le stévia, le dernier édulcorant mis sur le marché comme
alternative à l’aspartame, n’a pas encore fait l’objet d’études quant à
son effet sur nos bactéries digestives. Le fait qu’il soit naturel ne
signifie pas qu’il soit plus sain que les autres édulcorants lorsque sa
consommation est trop importante. Si vous avez envie de temps en
temps d’un verre de boisson gazeuse diète ou normale, buvez-le.
Votre foie le gérera sans aucun problème. En revanche, protégez
votre foie et n’en consommez pas régulièrement.

Le gras
Longtemps décrié car très calorique (9 cal/gramme), il y a, on le sait
maintenant, le bon et le mauvais gras. Et puis le trop de gras.
Comment vous y retrouver?
Préférons les viandes rouges maigres aux viandes grasses pour
l’apport en protéines et n’en consommons pas tous les jours: le
bœuf extra-maigre, le filet ou le faux-filet, le filet de veau,
l’escalope ou le rôti, le porc maigre type filet et les volailles sont
à privilégier. Côté charcuteries, seul le jambon est maigre;
saucissons et pâtés sont trop gras.
Côté cuisson, on limite les fritures et les panés, y compris pour
les poissons qu’on privilégie frais ou surgelés non cuisinés.
Certains aliments sont particulièrement riches en acides gras de
type oméga-3, protecteurs et antioxydants: certains poissons
comme le thon, le maquereau, la sardine, le hareng ou le
saumon. Attention à ne pas les prendre en conserves à l’huile
afin de limiter les apports en graisses. Les congeler trop
longtemps leur fait perdre leurs oméga-3. Les amandes sont
riches en oméga-9, comme l’huile d’olive; vous pouvez donc en
prendre une petite poignée de temps en temps.
N’oublions pas que les croissants, pâtisseries et autres douceurs
qui regorgent de sucre sont aussi confectionnés avec beaucoup
trop de matières grasses! C’est, là aussi, de temps en temps, et
plutôt rarement.

Le pamplemousse
Le pamplemousse contient des furanocoumarines, un composé
chimique qui inhibe la capacité du foie à éliminer un certain nombre
de médicaments. Du coup, à cause de votre pamplemousse du
déjeuner, le comprimé que vous deviez prendre ce matin n’a peut-
être pas été éliminé aussi rapidement qu’il le devrait, vous en prenez
un second à midi, un troisième le soir, vous continuez le lendemain
et le surlendemain… et c’est comme si vous aviez pris 9 comprimés
d’un coup au lieu d’un seul! D’où les risques de surdosage et d’effets
indésirables plus importants.
En toute rigueur, on ne connaît pas précisément les doses de
médicaments qui s’accumulent: tout dépend de la quantité de
pamplemousse bu ou mangé, de la vitesse de son absorption, de la
quantité de médicaments, etc. Cela dépend aussi de la susceptibilité
individuelle. On suspecte néanmoins que le taux dans le sang de
certains médicaments associés à du jus de pamplemousse peut être
multiplié par 5! Une cinquantaine de médicaments au moins sont
concernés. Les plus utilisés et les plus fréquemment en cause sont
ceux contre le cholestérol comme les statines, ceux qui visent à
protéger le cœur ou à traiter l’hypertension et… plusieurs pilules
contraceptives.
Une histoire célèbre et réelle est celle d’une femme qui avait
débuté un régime amaigrissant pour lequel elle consommait
beaucoup de pamplemousses. Elle prenait la pilule. Elle avait
également une anomalie génétique qui favorisait les thromboses,
c’est-à-dire l’obstruction d’un vaisseau sanguin par un caillot.
L’accident s’est produit au bout de trois jours: plusieurs veines ont
été gravement bouchées, les œstrogènes de la pilule s’étant
accumulés dans son organisme. C’est un cas certes rarissime.
Néanmoins, il paraît logique de déconseiller une consommation
élevée de pamplemousse chez les femmes sous contraceptif oral.

Le millepertuis
En vente libre dans les pharmacies, les parapharmacies et même les
supermarchés, régulièrement utilisé en automédication pour le
traitement des petites dépressions ou de l’anxiété, le millepertuis
perturbe le foie, mais avec un effet exactement inverse de celui du
pamplemousse: il l’active et augmente donc l’élimination de certains
médicaments. Prendre du millepertuis avec une pilule contraceptive
entraîne ainsi un véritable risque de grossesse puisque l’effet de la
contraception disparaît très rapidement. Dans tous les cas, si vous
prenez du millepertuis en automédication, prévenez votre médecin
ou votre pharmacien du fait du risque d’interactions avec d’autres
médicaments.

L’alcool, ennemi juré du foie


Quand je leur annonce qu’ils souffrent d’une cirrhose ou d’une
hépatite alcoolique liée à une consommation excessive d’alcool, la
plupart de mes patients sont pour le moins surpris. Leur première
réaction est de me dire, et c’est sans doute vrai, qu’ils ne sont pas
alcooliques, ce qui dans l’entendement commun signifie ne pas être
systématiquement ivre. Beaucoup ne le sont d’ailleurs jamais: ce sont
des consommateurs d’alcool modérés mais réguliers. Y compris de
l’alcool caché dans certaines boissons dites «sans alcool»,
notamment certaines bières, qui en contiennent néanmoins 0,5°. Un
taux certes faible sans être nul, qui n’entraînera pas d’ivresse, mais
qui peut suffire à aggraver significativement un foie déjà malade.
L’ivresse est une situation aiguë, exceptionnelle, dont le foie peut
se remettre rapidement grâce à ses capacités de régénération. À
condition, bien sûr, qu’elle ne se répète pas fréquemment. Ce que le
foie n’aime pas, c’est l’absence de temps lui permettant de se reposer
et de se régénérer.
C’est souvent ce qui arrive à mes patients. Leur activité
professionnelle, les repas d’affaires leur font oublier leur foie –
d’autant plus que leur consommation quotidienne n’est pas
excessive, pensent-ils. De plus, dans notre culture, l’alcool est
souvent festif et on est mal vu lorsqu’on ne trinque pas avec les
autres. N’osant pas dire qu’on ne supporte plus l’alcool, ou qu’on a
des problèmes de foie, on continue de trinquer comme si de rien
n’était.
Un à deux verres de vin pour accompagner le dîner, un apéritif
puis un ou deux autres verres au souper représentent 30 à
50 grammes d’alcool – un verre de vin contient 10 grammes d’alcool,
un verre de digestif aussi, puisque la contenance du verre est moins
importante. Or, 50 grammes est la dose à partir de laquelle le risque
de développer une maladie du foie est clairement augmenté. Si l’on y
ajoute d’autres facteurs, comme un surpoids ou une hépatite virale,
l’alcool est toxique, pour un homme de taille moyenne, dès trois
verres (30 grammes) par jour.
Pour les obsessionnels de la précision, afin de calculer la quantité
d’alcool en unités, on multiplie le volume consommé en litre par le
degré d’alcool de la boisson et par la densité de l’alcool qui est de 0,8.
En multipliant ensuite par 10, on obtient la quantité consommée
en grammes.
Ainsi, pour une bouteille de vin de 750 ml à 12°, ce calcul donne:
0,75 x 12 x 0,8 = 7,2 unités. La bouteille contient donc 72 grammes
d’alcool pur. Une bouteille de vin remplit environ 7 verres, soit
10 grammes d’alcool par verre. Une demi-pinte de bière (250 ml, à
5°) contient également ces 10 grammes (0,25 x 0,8 x 5 = 1 unité), de
même qu’un verre de whisky, 30 ml à 40° (0,03 x 0,8 x 40 = 0,96,
donc presque 1 unité).
Le temps que le foie entreprenne son travail d’épuration, l’alcool
s’accumule dans le sang et l’alcoolémie est positive. Elle sera
maximale au bout d’environ 45 minutes à jeun, cas typique de
l’apéritif, et après un peu plus d’une heure si on prend un repas, car il
ralentit l’absorption de l’alcool. L’alcoolémie varie certes en fonction
du poids et de la masse musculaire. Mais en moyenne, 10 grammes
d’alcool ingérés se transforment en 0,2 g/l d’alcool dans le sang;
environ 0,1 g à 0,15 g/l d’alcool sont éliminés par heure.
Ce n’est qu’un chiffre indicatif: certaines personnes éliminent
l’alcool plus rapidement, d’autres moins rapidement, selon les
capacités d’absorption par leur tube digestif et l’efficacité de leur foie.
Les femmes, elles, ont une élimination systématiquement plus lente
que les hommes et, à quantité d’alcool équivalente, voient donc leur
alcoolémie augmenter de manière plus importante. Je recommande
à mes patientes de ne pas dépasser deux verres de vin par jour, et dix
verres par semaine: un jour d’abstinence est indispensable!
Et puis, en plus des apéritifs, il existe l’alcool caché, celui que notre
corps fabrique quand nos bactéries fermentent les quantités
excessives de sucre que nous leur apportons. C’est un phénomène qui
apparaît essentiellement chez les personnes en surpoids et qui est
loin d’être anodin!
Pour comprendre comment l’alcool détruit le foie, mettez-vous à la
place d’un verre de vin et imaginez. Vous êtes ingéré et rapidement
absorbé, puis vous accédez au foie par le sang, via la veine porte. Les
cellules du foie vont vous détoxifier, comme elles le font pour tout
corps étranger qui leur parvient. Mais si vous débarquez en trop
grande quantité, vous les affolerez! Faute de pouvoir vous prendre en
charge dans l’immédiat, elles vous déverseront dans le sang, le temps
pour elles de s’occuper des autres quantités d’alcool sur lesquelles
elles travaillent déjà. L’alcoolémie (qui est le taux d’alcool dans le
sang) sera positive, et une partie sera exhalée par l’haleine.
Quand les cellules du foie et leurs enzymes s’emparent de l’alcool,
elles lui font subir deux opérations successives pour pouvoir
l’éliminer sous une forme non toxique pour l’organisme. Une
première enzyme le transforme en un produit qui est encore plus
toxique: l’aldéhyde. Celui-ci est heureusement tout de suite pris en
charge par une deuxième enzyme qui le modifie en un dérivé non
toxique: de l’acide acétique. Cet acide n’est rien d’autre que du
vinaigre apte à être épuré par le foie. À une condition: que la quantité
d’alcool ingérée soit modérée.
Si ce n’est pas le cas, le système est saturé, l’aldéhyde s’accumule et
abîme les cellules du foie qui fonctionneront moins bien. L’alcool
étant par ailleurs riche en calories (un gramme apporte 7 calories,
donc une bouteille de vin représente environ 500 calories), de la
graisse s’accumule dans le foie. Si la consommation d’alcool se
poursuit, une inflammation, c’est-à-dire une hépatite alcoolique,
apparaît. À un stade précoce, si on arrête l’alcool, tout est réversible
en quelques semaines ou moins. Sinon, le foie cicatrise et, comme
pour toute cicatrice, les lésions sont irréversibles. Le processus peut
prendre dix à vingt ans mais, à terme, on risque une fibrose, voire
une cirrhose. Quand on commence à consommer de l’alcool jeune, la
cirrhose peut survenir entre quarante et cinquante ans.
Encore une fois, rien n’étant, en biologie, jamais tout à fait noir ni
tout à fait blanc, il semblerait qu’une petite consommation
quotidienne d’un verre de vin pourrait, chez certains, avoir un effet
bénéfique sur le foie et le cœur. Mais il faudrait alors que cette dose
ne soit jamais dépassée! La médecine n’a pas encore prouvé si cet
effet est limité au vin rouge ou s’il concerne également les autres
boissons alcoolisées.
Si vous consommez avec plaisir une petite quantité d’alcool de
temps en temps et si votre bilan annuel est bon, ne changez rien!
Mais si vous ne consommez pas d’alcool, n’essayez pas de vous y
mettre pour profiter de ces quelques bienfaits: l’alcool n’est pas un
médicament.
Chapitre 8

Le sexe du foie

Le foie est un bon garçon… mais aussi une bonne fille. Il n’est en effet
pas tout à fait le même chez l’homme et chez la femme.
Certes, par leur aspect, les foies masculin et féminin ne sont pas
différents. Mais, dans les faits, il n’en va pas de même: le foie de la
femme est contraint, tout comme elle, de vivre au rythme des cycles
hormonaux. Ceux-ci le protègent dans la majorité des cas, le rendent
souvent plus résistant, mais peuvent parfois l’agresser – encore une
fois, la règle du ni blanc ni noir en biologie… Préserver son foie
implique donc parfois une vigilance particulière chez les femmes: les
embûches ne sont pas exactement les mêmes que chez les hommes…
et quelques précautions particulières s’imposent.
L’hormone féminine par excellence est l’œstrogène. Jusqu’à la
ménopause (quand elle cesse d’être produite), elle défend
ardemment le foie de son hôtesse. Après quoi, en matière de foie,
l’égalité entre les sexes tend à s’instaurer.
Principal atout de l’œstrogène: ses effets antioxydants. L’usine foie,
on l’a vu, produit des déchets, notamment les radicaux libres. Ces
sortes de missiles très réactifs, de grands tueurs, détruisent tout ce
qui par malchance se trouve sur leur passage, comme l’ADN et les
membranes des cellules. Les œstrogènes, eux, jouent les boucliers
anti-missiles, favorisent le processus de détoxification des radicaux
libres par le foie, limitant ainsi le vieillissement des cellules. Autre
atout: ils stimulent les défenses immunitaires, protégeant les femmes
des infections virales ou, lorsqu’elles sont présentes, de leur gravité.
Par ailleurs, face à la malbouffe, les œstrogènes offrent au foie une
issue de déstockage, les fesses ou les hanches. La stéatose (le foie
gras) est peu toxique car la nature des graisses est différente: elles
sont généralement neutres, sous forme de triglycérides qui
n’entraînent pas d’inflammation. Ce n’est pas toujours esthétique
mais bien mieux – après la ménopause, cette inégalité disparaît et,
chez la femme comme chez l’homme, la stéatose s’associera à une
inflammation, donc une hépatite, qui peut dégénérer en cirrhose.
Enfin, les œstrogènes facilitent la régénération du foie lorsqu’il est
agressé – et limitent ainsi le risque de cirrhose. Résultat: les femmes
ont trois fois moins de probabilité que les hommes de développer un
cancer du foie. De plus, lorsque la femme est atteinte de ce cancer,
son espérance de vie reste meilleure que celle des hommes… mais
seulement jusqu’à soixante-cinq ans. À partir de cet âge, cette
différence s’efface.
Les œstrogènes ont aussi leur côté obscur. En trop grandes
quantités, ils favorisent la croissance de certaines tumeurs du foie,
augmentent le risque des caillots de sang qui bouchent les vaisseaux
sanguins (les thromboses veineuses) et peuvent perturber le système
immunitaire – les victimes de maladies auto-immunes sont, à 90%,
des femmes.
Autre point noir: le foie de la femme est plus sensible à l’alcool que
celui de l’homme (alors qu’il est plus protégé de la malbouffe).
Certes, nous ne sommes pas des souris, néanmoins, dans les
laboratoires de recherches, lorsque nous étudions l’effet de l’alcool
sur le foie, nous n’utilisons que des souris femelles (à l’inverse, les
souris mâles sont privilégiées pour étudier les atteintes hépatiques
liées au surpoids): à consommation égale d’alcool, elles développent
des anomalies plus vite et de façon plus grave que les mâles. On sait
par ailleurs que chez les humains, sous l’effet spécifique de l’alcool,
non seulement le foie de la femme est plus vite détruit, mais, en
outre, il se régénère alors moins bien et évolue plus rapidement vers
une cicatrisation fibreuse anormale et vers la cirrhose.
Au Québec, la consommation maximale recommandée est de
2 verres de vin par jour pour un maximum de 10 verres par semaine
pour une femme et de 3 verres de vin par jour pour un maximum de
15 verres par semaine pour un homme. En France, les
recommandations de l’Agence de santé publique de France et de
l’Institut national du cancer concernant la consommation d’alcool
ont été récemment revues à la baisse. Il était jusque-là établi que la
femme ne devait pas dépasser 2 verres de vin par jour alors que
l’homme pouvait aller jusqu’à 3 verres. Dorénavant, hommes et
femmes ne doivent pas dépasser 10 verres de vin par semaine et
2 verres par jour – en prévoyant des jours sans aucune
consommation d’alcool. Malheureusement, dans ces nouvelles
recommandations, les différences, pourtant cruciales, entre la femme
et l’homme, ont disparu.
Le foie de la femme a, par ailleurs, une susceptibilité particulière
aux modifications de son organisme et de son mode de vie: les cycles
menstruels, l’âge (avec la ménopause), la prise de contraceptifs, les
grossesses…
L’une de mes patientes, Béatrice, vingt-trois ans, un peu
grassouillette, avait révélé, à l’occasion d’un bilan sanguin, une
élévation du taux d’une des enzymes du foie, la gamma-GT. Une
échographie de cet organe, destinée à explorer cette petite anomalie,
avait montré un tout petit nodule de 1 centimètre, un adénome, donc
une tumeur bénigne. Son médecin traitant lui avait demandé
d’arrêter la contraception par pilule, les œstrogènes favorisant la
croissance des adénomes. Elle m’avait consultée pour avoir mon avis.
On se pose en effet beaucoup de questions sur la contraception
orale que certains veulent remettre en cause. La pilule contraceptive
existe depuis les années 1960. À cette époque, la teneur en hormones
des pilules était dix fois plus élevée que maintenant: chacune
contenait 150 microgrammes d’œstrogènes (l’éthinyl-œstradiol); les
pilules actuelles, vérifiez sur votre boîte, n’en contiennent que 15 à
20 microgrammes.
Les premières générations de pilules, qui étaient donc fortement
dosées, multipliaient par 10 le risque de survenue de tumeurs
bénignes pouvant évoluer en cancer dans le foie: 3 cas pour 100 000
femmes, au lieu de 3 cas pour 1 million. Ce risque augmentait avec la
durée d’exposition aux œstrogènes, la quantité d’œstrogènes dans la
pilule et l’âge de la femme. Par ailleurs, ces premières pilules
pouvaient perturber la fabrication de la bile par le foie jusqu’à
entraîner une jaunisse.
Les dosages des pilules ayant diminué, le bon sens permet de
comprendre que les conséquences de la contraception des années
1960 ou 1970 sur le foie ne sont pas les mêmes que celles des pilules
actuelles. Pourtant, des amalgames restent régulièrement effectués
entre les anciens risques, qui étaient rares mais réels, et ceux
d’aujourd’hui, qui le sont beaucoup moins. En d’autres termes, le
risque est faible mais reste néanmoins très difficile à évaluer
précisément.
Aurais-je dû, au nom du risque zéro, interdire la pilule à Béatrice
qui ne voulait pas d’un autre mode de contraception? En somme, lui
tenir le même discours qu’il y a quarante ou cinquante ans? Cela me
semblait absurde! Son adénome était de petite taille. Je l’ai
raisonnablement autorisée à maintenir sa contraception, bien utile et
fort pratique pour elle. Pour ne prendre aucun risque, je lui ai
conseillé une pilule sans œstrogènes (certes contraignante car devant
être prise quasiment à heure fixe, et qui entraîne une augmentation
relative de nos propres œstrogènes) ainsi qu’une échographie
régulière du foie, une fois tous les six mois. Plusieurs années ont
passé. Son adénome n’a pas grossi – dans le cas contraire, je lui
aurais évidemment demandé d’arrêter la pilule.
Une conséquence moins connue des pilules, en particulier celles
des 3e et 4e générations (c’est moins vrai pour les pilules de 2e
génération auxquelles on revient) est de boucher les vaisseaux
sanguins. On pense habituellement aux vaisseaux des jambes, mais
ceux du foie sont également concernés. Heureusement, le risque est
rare (1 cas pour 100 000 femmes) et intervient chez des personnes
prédisposées. En cas de prise d’un contraceptif oral, si des douleurs
au ventre se manifestent, accompagnées d’une poussée de fièvre, il
est urgent de réagir: quand les veines du foie se bouchent, en
particulier la veine porte, les cellules meurent d’asphyxie et
entraînent une défaillance du foie.
Un autre moment délicat pour le foie est la grossesse, quand la
future mère accueille dans son corps un fœtus qui est à 50% le sien,
mais aussi à 50% celui du père, donc en quelque sorte un étranger
pour son organisme. Elle se met automatiquement en situation de
tolérance d’un étranger: pour ne pas rejeter son futur bébé, elle
diminue ses défenses immunitaires et devient de ce fait plus fragile.
Ces changements considérables peuvent parfois avoir de grandes
répercussions, bénéfiques (le foie n’est pas attaqué pendant la
grossesse) ou néfastes (après l’accouchement il y a un rebond d’auto-
immunité car l’organisme n’a plus à se mettre en situation de
tolérance pour «l’étranger» qu’est le fœtus et le foie sera encore plus
attaqué).
Par ailleurs, l’apparition de nausées et vomissements en début de
grossesse est bien connue. En revanche, on sait moins que lorsqu’ils
sont trop importants, le foie les tolère mal. L’actualité «people» en a
fait sa «une» quand Kate Middleton, l’épouse du futur roi du
Royaume-Uni, le prince William, a été hospitalisée durant sa
grossesse pour des vomissements incoercibles. Charlotte Brontë en
était morte à l’âge de trente-huit ans. Appelés hyperemesis
gravidarum (en grec hyper signifie excès, emesis signifie
vomissement et gravidas, grossesse), ils touchent 1% des femmes
enceintes et sont source de déséquilibres graves pour l’organisme,
avec des pertes de sodium, de potassium, de vitamines, une
déshydratation et des dommages causés au foie.
Une patiente, Lena, au premier trimestre de sa grossesse, avait été
hospitalisée pour ces troubles, imputés dans un premier temps à un
problème digestif. Une perfusion sucrée lui avait été posée en guise
de «remontant», mais sans ajout de vitamine B1. Erreur! Quand je
l’ai récupérée dans mon service, le taux des enzymes de son foie
s’était encore plus élevé, signalant une hépatite aiguë, et elle tenait
des propos incohérents: elle ne savait plus quel jour on était, ni où
elle était. Un classique quand l’hyperemesis gravidarum s’aggrave,
mais qui a longtemps valu aux femmes d’être qualifiées
d’hystériques, souffrant de troubles psychologiques! On pense
aujourd’hui, sans en avoir la preuve totale, que cette maladie est liée
à des modifications hormonales, à une inflammation du placenta, à
des anomalies de la contraction de l’estomac et à des problèmes dans
la production de bile par le foie. Il faut y penser systématiquement
quand on observe des vomissements et des anomalies du foie lors de
la prise de sang au premier trimestre de grossesse.
J’ai suspecté chez Lena une carence en vitamine B1. Elle est
classique chez une personne alcoolique (ce qui n’était pas son cas),
mais elle apparaît aussi lorsque l’on réhydrate une personne restée
longtemps à jeun… ou qui a beaucoup vomi. Cette carence entraîne
des lésions du cerveau – d’où les propos incohérents. La corriger est
une urgence, sinon les lésions peuvent devenir irréversibles. Lena a
été prise en charge à temps. Il est dommage que sa famille ne m’ait
jamais cru lorsque j’ai expliqué que son délire était «simplement» lié
à cette carence en vitamine B1. Cela semblait trop simple…
Pendant le deuxième trimestre de la grossesse, le foie reste
relativement calme. Des calculs dans la vésicule biliaire peuvent
cependant apparaître, liés à des modifications hormonales qui
changent la composition de la bile et à une moins bonne contraction
de la vésicule. Ils disparaissent souvent après la grossesse. S’ils ne
font pas mal, il ne faut surtout pas les opérer.
C’est au troisième trimestre, principalement en fin de grossesse,
que le foie peut à nouveau faire parler de lui. C’est assez rare et de ce
fait mal connu, et pourtant relativement grave. Les raisons n’en sont
pas très claires: sans doute les profondes modifications hormonales
qui démasquent des anomalies génétiques.
Le premier symptôme est le besoin de se gratter. D’abord la paume
des mains et la plante des pieds, puis tout le corps. Ces
démangeaisons ne résultent pas d’une simple irritation ou d’une
allergie, mais elles sont liées à de petits dépôts de bile sous la peau –
une bile qui a stagné faute de pouvoir être évacuée normalement
dans le tube digestif. Sans une intervention rapide, une jaunisse peut
se déclarer mais, pour la future mère, tout rentrera dans l’ordre
après l’accouchement. En revanche, le risque est réel pour l’enfant.
Risque d’une naissance prématurée. Risque que sa souffrance soit
telle qu’il émette ses premières selles, le méconium, dans le liquide
utérin. Il peut alors décéder in utero, ou bien à la naissance s’il avale
le liquide.
Le diagnostic est simple à établir: il suffit de doser, dans le sang, le
taux des acides biliaires qui sera anormalement élevé. Le traitement
préconisé dans ce cas est un dérivé de la bile d’ours que les Chinois
utilisaient dès le VIIe siècle, l’acide ursodésoxycholique, produit en
toute petite quantité par le corps humain. Il est heureusement
aujourd’hui fabriqué par l’industrie pharmaceutique et ne nécessite
donc plus d’infliger d’atroces souffrances aux ours… En attendant
que le médicament agisse, il y a les vieilles recettes pour soulager:
des bains chauds ou un peu de glace sur la peau qui démange.
Par ailleurs, un phénomène très étrange se déroule au cours de
certaines grossesses (1 pour 10 000): la stéatose gravidique. Le foie
est en quelque sorte étranglé, l’oxygène que nous respirons ne lui
parvient plus et les cellules s’étouffent. Les aliments cessent d’être
métabolisés, ses cellules se gorgent de milliers de gouttelettes de
graisse qui ne peuvent être épurées. La future mère doit être
surveillée de près car l’aggravation est inéluctable. Si l’accouchement
n’est pas déclenché à temps, le foie défaillira, mettant en péril la vie
de la mère et de l’enfant. Le risque de récidive lors d’autres
grossesses est élevé.
Et puis, il y a la ménopause du foie. À ce tournant de la vie, le flux
sanguin qui le traverse peut diminuer un peu, ainsi que sa taille. Ses
merveilleuses capacités de régénération s’amenuisent. Certains
avantages qu’avait la femme sur l’homme disparaissent. Le foie de la
femme devient l’égal de celui de l’homme. Il lui pardonnera moins
ses erreurs alimentaires!
Chapitre 9

Comment va-t-il?

Un patient, Marc, m’a récemment consulté pour de petites anomalies


apparues sur les résultats de ses analyses de sang, liées à un
dysfonctionnement du foie. Il était inquiet et surpris car il ne s’y
attendait pas. Il ne ressentait aucune douleur ni aucune gêne, n’avait
pas d’ennuis de santé et se sentait globalement en bonne forme
physique. Le foie, on l’a vu, aime rester discret et vivre caché, même
dans ses périodes difficiles.
Nous avons longuement discuté et je me suis vite rendu compte
qu’il ne prenait pas soin de son foie. Il lui imposait une alimentation
bien trop sucrée. Il ne l’admettait pas, se réfugiant derrière une
réponse que j’entends trop souvent: «Je ne mets pas de sucre dans
mon café.» Et ajoutant, comme pour me convaincre de sa bonne
hygiène alimentaire, qu’il ne consommait que très peu de chocolat.
Or, le sucre, on l’a vu, se cache dans presque toute notre
alimentation: le pain, les pâtes, le riz, les pommes de terre, les
yogourts aux fruits (même sans sucres ajoutés), les compotes, les jus
de fruits, sans parler des viennoiseries et autres desserts où il ne se
dissimule pas et qui sont donc les moins traîtres. Et il en consommait
des quantités.
Marc est sorti de la consultation muni de ma désormais
traditionnelle liste d’aliments adaptée à son mode de vie et destinée à
rendre le foie heureux. Il était peu convaincu et surtout déçu de ne
pas avoir une ordonnance de médicaments. Par précaution, il s’est
néanmoins plié à cette nouvelle hygiène de vie. Quand il est revenu
me consulter quatre mois plus tard, il avait perdu 6 kg. Il se sentait
beaucoup moins fatigué – alors qu’à la première consultation, il
n’avait pas l’impression de ne pas être en forme. Et surtout, les
anomalies du foie détectées lors de la prise de sang avaient disparu:
des années de vie en bonne santé supplémentaires lui étaient
promises.
Comme lui, la plupart des patients qui me sont adressés par des
collègues ont découvert les anomalies dans leur foie à l’occasion d’un
contrôle médical de routine – avant lequel ils ne se doutaient pas que
leur foie n’allait pas bien. De plus, ils n’ont pas de virus ni de
pathologie particulière qui puissent être incriminés dans la
dégradation de l’état de santé de cet organe. Le seul fautif dans leur
cas, et ils sont de plus en plus nombreux, est notre mode de vie
occidental, une véritable bombe à retardement.
Comment savoir si notre foie va bien? D’abord, méfions-nous des
préjugés: en matière de foie, nous sommes fondamentalement
inégaux. Certains, en mangeant peu, vont grossir et auront un foie
malade. D’autres, en mangeant beaucoup, resteront sans surpoids et
en parfaite santé.
Par ailleurs, tout surpoids ne se lit pas dans le foie. Et toute graisse
sur le ventre ou même dans le foie n’est pas mauvaise: ce n’est pas
seulement la quantité, mais aussi la qualité de la graisse stockée qui
entre en considération. Nous ne savons pas encore vraiment
pourquoi, chez certains, les graisses stockées sont inertes, sous la
forme de triglycérides inactifs, ni pourquoi, même avec un gros foie
gras, les enzymes du foie se maintiendront chez elles à des taux
normaux. Voire pourquoi ces graisses pourtant en excès réussiront à
les protéger. Une échographie ne me dira pas tout, seules des
ponctions décrypteront ce foie gras-là.
Les mêmes inégalités existent face à l’alcool et elles me fascinent.
Votre voisin pourra boire tous les jours et mourir nonagénaire en
bonne santé; chez un autre, les dégâts surgiront dès la quarantaine.
Votre foie résistera par ailleurs à une boisson gazeuse «zéro sucre
zéro calorie» bu de temps en temps. Faut-il vous inquiéter si vous en
consommez régulièrement et sur la durée? Pour l’heure, nous
l’ignorons. Que de recherches j’aurais envie de mener si je ne me
heurtais au problème du temps à trouver et de leur financement! Ce
n’est pas un problème nouveau. Au début du xxe siècle, Marie Curie,
pourtant prix Nobel, s’en plaignait déjà…
En dehors des analyses médicales, il n’est pas toujours évident de
connaître l’état de son foie, mais quelques signes peuvent tout de
même nous alerter. Ils valent la peine d’être pris en considération.
Le premier est l’épuisement: quand le foie fatigue, nous fatiguons
avec lui tant il est influent. Ce n’est pas une simple fatigue comme
celle qui est induite par le manque de sommeil. C’est plutôt une
apathie, une sensation de léthargie, une incapacité à effectuer un
effort dont on avait l’habitude, ou une fatigue anormalement
importante suite à un effort pas forcément très intense.
Certains d’entre nous luttent contre cette fatigue, souvent plus
gênante qu’importante, sans même s’en rendre compte. Telle cette
patiente qui m’a été adressée il y a quelques mois. Autrefois très
active, elle était désormais obligée de s’astreindre à une sieste
quotidienne pour tenter de récupérer. Son entourage moquait sa
paresse, elle-même se disait que son organisme avait bien changé à
l’approche de la cinquantaine. Les examens ont révélé une hépatite C
qui risquait fort d’induire une cirrhose. Elle a été très facilement
soignée et, deux mois plus tard, une fois guérie de son hépatite, toute
sa fatigue avait disparu. A posteriori, elle m’a confié prendre
conscience qu’elle avait été fatiguée durant des années, mais qu’elle
refusait de s’écouter. Elle m’a dit aussi qu’elle ne s’était jamais sentie
autant en forme qu’après sa guérison. L’évolution lente de la maladie
avait fait que la fatigue s’installait doucement et s’accentuait
lentement avec le temps. Elle s’était habituée à cette fatigue
chronique… sans s’en rendre compte.
Même s’il ne nous alerte pas directement, comme le feraient le
cœur ou l’estomac, le foie est tellement central qu’un défaut de son
fonctionnement peut retentir sur l’ensemble de l’organisme.
Nausées, manque d’appétit, perte de poids accompagnent dans
certains cas la fatigue. Ces manifestations ne sont pas
particulièrement spécifiques à une maladie du foie, mais elles
doivent nous amener à nous interroger.
D’autre part, même si le foie est discret et fait rarement très mal,
pensons aussi à lui lorsque l’on ressent une douleur un peu sourde,
une lourdeur au niveau de la partie supérieure du ventre, en dessous
des côtes ou derrière elles. Cela peut être le foie, un peu trop gros,
qui appuie un peu trop fort sur sa capsule.
Un dysfonctionnement important peut même retentir sur notre
peau, avec un sentiment de démangeaison qui semble venir de
l’intérieur et qui dure anormalement. Cela peut être le foie qui épure
moins bien la bile ou une sorte d’allergie associée à une atteinte du
foie.
Il faut aussi penser à lui en cas de saignements du nez ou des
gencives! Ces muqueuses sont continuellement agressées par la
mastication des aliments ou par la respiration, quand les fines
particules de pollution pénètrent par le nez. Certes, elles sont solides
et le foie les aide bien en fabriquant les protéines qui les empêchent
de saigner. Or, lorsque le foie fonctionne mal, ces protéines sont
fabriquées en quantité insuffisante. Le sang peut devenir trop fluide
et se brosser les dents ou se moucher fort suffit à entraîner un
saignement. Bien sûr, le foie n’est pas toujours en cause, mais il faut
savoir y penser…
Un médecin un peu aguerri, connaissant bien le foie, peut presque
passer pour une diseuse de bonne aventure! J’examine mes patients
en scrutant leurs mains alors qu’ils se plaignent du foie. C’est
pourtant là que se lisent les cirrhoses quand elles sont à un stade
d’évolution avancé. Les paumes sont alors rouges et les ongles blancs
– la petite lunule voit sa taille augmenter jusqu’à parfois recouvrir
tout l’ongle. Les ongles peuvent se bomber, comme les verres des
vieilles montres.
La peau se transforme, elle aussi. De petits boutons apparaissent
sur le haut du torse et du dos avec un point rouge foncé au milieu,
assez disgracieux. Quand on appuie dessus, le bouton se décolore
puis se recolore progressivement depuis son centre vers la
périphérie. Par ailleurs, en raison des saignements, de petits
traumatismes habituellement inoffensifs peuvent entraîner de
véritables hématomes, de volumineux «bleus».
Comme le foie n’aime pas faire parler de lui, tous les signes que je
viens d’énumérer sont peu spécifiques ou trop tardifs. Pour savoir
comment se porte son foie, la solution la plus parlante consiste à
effectuer une analyse de sang avec un dosage de ses enzymes, les
transaminases ALAT et ASAT que nous avons croisées
précédemment. Mais gare au piège dans lequel on peut s’engouffrer!
Présentes dans les cellules du foie, ces enzymes le sont également
dans celles des muscles. L’un de mes patients parcourait chaque
week-end 50 kilomètres à vélo et effectuait ses prises de sang le lundi
matin, avant d’aller au travail. En consultation, il n’avait jamais
mentionné ses activités sportives pourtant intenses: il n’en voyait pas
l’utilité. Et j’étais fort dérouté par son taux d’ASAT singulièrement
élevé qui contredisait les autres analyses indiquant un foie en bonne
santé. Or, ce «taux du lundi» ne résultait, en fin de compte, que d’un
travail musculaire important et de la libération des enzymes des
muscles. Nous avons été tous les deux fort soulagés quand le lièvre a
été levé!
Une autre enzyme du foie, la gamma-glutamyl-transpeptidase
(gamma-GT), est connue des services de la gendarmerie: son taux
s’élève sous l’effet de la consommation d’alcool et, quand elle dépasse
un certain seuil, le conducteur alcoolisé voit son permis de conduire
lui être retiré. Or, le taux de gamma-GT peut aussi bondir en cas de
surpoids ou après un repas un peu trop riche en sucres ou en
graisses, voire sous l’effet de certains médicaments ou encore quand
le cœur est un peu fatigué. En matière d’atteinte hépatique, il ne faut
donc pas raisonner isolément sur la gamma-GT sans étudier d’autres
paramètres, notamment l’élévation des triglycérides.
On dose enfin les phosphatases alcalines, des enzymes également
présentes dans les os et sensibles aux atteintes osseuses quelle qu’en
soit la cause. Y compris quand l’os grandit, d’où leur taux plus élevé
chez les enfants. Associées à une élévation de la gamma-GT, ces
enzymes indiquent une difficulté d’écoulement de la bile vers les
intestins – en raison, par exemple, d’un calcul ou d’une
inflammation des canaux biliaires.
Je ne cesse d’être frappé par le contraste entre, d’une part les
capacités exceptionnelles du foie et les progrès médicaux, et d’autre
part l’augmentation des maladies du foie, y compris les cancers.
Dans leur immense majorité, elles sont la conséquence des
agressions que nous lui faisons subir. Et elles sont donc évitables,
hormis les virus et les maladies auto-immunes. N’oublions pas que si
l’on sait greffer un foie, on ne sait en revanche pas encore fabriquer
de foie artificiel car il est trop compliqué à copier: on anticipe donc
avec crainte les conséquences de son dysfonctionnement.
Or, un foie qui ne va pas bien est généralement un foie qui n’a pas
été entretenu. Pourtant, s’il est facile à soigner, comme nous allons le
voir dans les chapitres qui suivent, un foie est encore plus facile à
garder en bonne santé!
III
Quand ça va mal au foie
Chapitre 10

L’hépatite
ou le vrai problème du foie

Le vrai problème du foie, c’est l’hépatite. L’hépatite n’est pas une


maladie, c’est un état. Un sale état… L’étymologie du mot me
permettra de mieux l’expliquer: «hépa» est le terme médical utilisé
pour désigner tout ce qui touche au foie; «ite» est une terminaison
qui, en médecine, désigne une inflammation. L’hépatite est donc une
inflammation du foie.
Mais en fait, qu’est-ce une inflammation? Quand nous nous
blessons, la zone de blessure rougit, devient un peu chaude et plus ou
moins douloureuse. Il se forme ce que l’on appelle un œdème, un
gonflement. Sur un doigt, un œdème important peut empêcher de
mettre ou d’enlever une bague; sur un pied, de le glisser dans une
paire de chaussures: la douleur est forte, l’enflure importante. Une
inflammation ou gonflement de la gorge se ressent quand on a mal et
qu’on a des difficultés à avaler.
L’inflammation du foie, elle, n’est pas douloureuse. Faute de nerfs
dans cet organe, elle n’est assortie d’aucun signal, ce qui ne
l’empêche pas d’être enflé, comme notre doigt ou notre pied. À moins
que l’œdème soit suffisamment important pour que le foie appuie sur
la capsule innervée qui l’entoure: nous ressentirons alors une petite
gêne ou un point de côté, à droite. Parfois, une fièvre surgit.
Restons sur notre doigt blessé. Les globules blancs affluent à
l’endroit de la blessure. Leur rôle est de gérer une éventuelle entrée
de microbes en fabriquant des anticorps qui sont les défenses
immunitaires, d’éliminer les tissus lésés puis de réparer les tissus
sains restants. Pour faciliter cet afflux, on voit même de petits
vaisseaux sanguins se former. Les tissus prendront quelques jours à
se reconstituer. On conservera une cicatrice même si, quand la
blessure est trop petite, elle est invisible à l’œil nu.
Dans le foie, la «blessure», ce sont les cellules abîmées ou mortes;
notre organisme gère la situation exactement de la même façon que
sur le doigt, avec afflux de globules blancs et gonflement. Passe pour
un gonflement exceptionnel après un repas plantureux, il sera sans
conséquence aucune, mais, quand la situation est récurrente, il
s’installe sur la durée et c’est l’hépatite.
Notre doigt se blesse avec une lame ou un couteau. Les cellules de
notre foie, elles, sont blessées par nos excès. Par exemple, la
consommation excessive d’alcool: l’hépatite sera alors dite
alcoolique. Ou alors par un virus comme ceux des hépatites B ou C,
et c’est l’hépatite virale. Ou par des médicaments, y compris les plus
courants, auxquels des personnes peuvent mal réagir. Ces cas
d’hépatites médicamenteuses sont souvent impossibles à anticiper.
L’une de mes patientes avait développé son hépatite à la suite d’une
banale anesthésie; retrouver cette origine avait été une véritable
enquête! Et c’est le hasard qui a permis à Bastien, un patient que je
suivais depuis quelques années, de comprendre enfin pourquoi son
foie n’allait pas bien au point d’entraîner une élévation de la gamma-
GT à plus de 10 fois la normale, et des transaminases à 4 fois la
normale: quand son médecin traitant a changé l’anticoagulant qu’il
lui prescrivait, son hépatite a tout de suite régressé. Je reconnais que
mes soupçons n’avaient pas porté sur ce médicament, tant son usage
est courant et ses effets secondaires limités.
Cependant, la première cause d’hépatite dans les pays occidentaux
n’est ni virale, ni alcoolique, ni médicamenteuse, mais métabolique:
il s’agit d’une inflammation du foie liée à la malbouffe, au surpoids, à
un régime trop riche en sucres et en graisses. Les globules blancs
affluent alors pour permettre au foie de se défendre contre ces excès,
exactement comme ils l’aident à se défendre contre un virus ou
contre tout autre agresseur.
Après s’être défendu contre l’inflammation – l’hépatite, qui n’est
pas forcément virale mais peut être alcoolique, malbouffique,
médicamenteuse ou autre –, le foie cicatrisera. C’est encore comme
lorsqu’on se blesse la peau: elle cicatrise, mais la nouvelle sera un
peu moins belle, un peu moins souple et plus fibreuse. Le foie restera
plus fibreux.
En cas d’hépatite aiguë, comme le sont la plupart des hépatites
virales, les traces de la maladie restent sans conséquences. En
revanche, quand l’hépatite est chronique, c’est-à-dire quand le foie
est agressé de façon quotidienne, sans que le processus ne s’arrête
jamais, exemple par une consommation d’alcool ou une mauvaise
alimentation à répétition, ou par une hépatite virale chronique, il
réagira autrement. Les cicatrices l’envahissent sans laisser au
processus de régénération le temps de se mettre en place. À terme, il
devient tout entier fibreux et l’hépatite se transforme ainsi en
cirrhose.
Car la cirrhose n’est rien d’autre que le long processus de
cicatrisation d’un foie qu’on aura trop agressé et abîmé, qu’on aura
tout simplement oublié de chouchouter. Un processus qui s’étend sur
plusieurs années, dix, vingt, trente ans. Peu à peu, le foie cesse d’être
mou et devient plus dur, car cicatriciel. On s’en rend compte quand
on appuie sur le ventre, du côté droit: il est plus facilement palpable.
La maladie est alors très avancée. Et la cirrhose est d’autant plus
grave que, quelle que soit sa cause, elle peut déclencher un cancer sur
le processus de cicatrisation. Une simple échographie du foie,
indolore, permet de le dépister à un stade précoce et de le traiter.
C’est la raison pour laquelle une hépatite ne doit jamais être négligée
ni prise à la légère. Même si on ne le ressent pas d’emblée, tout le
travail que notre foie assurait dans l’ombre ne peut plus être réalisé
correctement. Il ne sera plus aussi performant. Défaillant, ses
résultats baisseront. Or, le foie malade fait d’autant plus peur qu’il
assure énormément de fonctions majeures. Son mauvais
fonctionnement met en péril tout notre organisme.
De manière plus générale, mon expérience clinique m’a amené, en
matière de pathologies du foie, à la conclusion statistique qu’avait
établie mon père, Léon Perlemuter, lui-même professeur de
médecine. C’est une conclusion qui peut surprendre de la part d’un
médecin, mais qui est valable pour toutes les maladies. Dans 80%
des cas, le médecin est inutile: la nature est bien faite et on guérit
tout seul. Dans 10% des cas, le médecin est également inutile: il est
malheureusement trop tard. Restent les 10% où nous avons quand
même raison d’intervenir. Ces chiffres, provoquants mais réalistes,
illustrent tout l’intérêt de la prévention. Car la nature est bien faite,
l’organisme humain est, malgré tout, solide et capable de guérir seul.
Quand j’étais enfant et que je tombais malade, je me souviens de
mon père me disant: «Ça va passer.» Il fallait que j’aille vraiment
mal pour qu’il me prescrive un médicament… Maintenant, je le dis
moi-même à mes filles!
Le foie est, à mon avis, amené à devenir un des organes phares de
ce xxie siècle – tant nous le malmenons. Mais peut-être que nous
n’en sommes qu’au début des surprises que nous apportera
l’évolution.
En effet, des théories assez récentes démontrent que la
composition des matières premières arrivant au foie influe sur sa
morphologie et, de ce fait, sur l’anatomie du corps. Ainsi, l’homme de
Néandertal avait un thorax en forme de grosse cloche, avec la partie
basse très développée, beaucoup plus que nous, homo sapiens. Les
dernières études suggèrent que cette forme était liée à un foie
beaucoup plus imposant que le nôtre.
En effet, ses apports caloriques reposaient essentiellement sur les
protéines provenant de la chasse, donc de la viande. Les graisses et
surtout les sucres étaient extrêmement minoritaires dans son régime
alimentaire. Or, l’extraction calorique des protéines est très difficile.
Son foie avait dû s’adapter, d’autant qu’il devait ensuite gérer les
déchets que ce mode d’alimentation produisait. Sans être gras, ce
foie était gros. Très gros. Jusqu’à repousser la base de son thorax.
Chez l’homo sapiens, cette hypertrophie avait régressé. Mais avec
notre alimentation occidentale trop riche, avec nos foies de plus en
plus victimes d’hépatites, donc d’inflammations qui dégénèrent,
peut-être que nos foies gras se liront sur l’anatomie des générations
qui viennent. Pour le moment, nul ne saurait l’affirmer avec
certitude, mais c’est une hypothèse tout à fait envisageable.
Chapitre 11

La malbouffe, maladie du siècle

Elle est aujourd’hui popularisée dans les médias sous le nom de


«maladie du soda», en référence aux boissons gazeuses trop sucrées
dont nous ingérons des litres. Mais c’est juste la maladie du sucre –
et de la malbouffe. Liée au surpoids et à l’obésité qui représentent
actuellement l’épidémie la plus importante dans les pays occidentaux
et dans ceux qui adoptent un mode alimentaire «à l’occidentale»,
cette maladie se propage comme une traînée de poudre. Je peux le
confirmer: année après année, je reçois de plus en plus de patients
qui en souffrent.
Ce n’est pas difficile à comprendre: dans les pays occidentaux, la
consommation de sucre par an et par habitant est en augmentation
exponentielle. Par exemple, en 1822, un Américain consommait
l’équivalent en sucre d’une cannette de boisson gazeuse tous les
5 jours; en 2012, c’était l’équivalent d’une cannette toutes les 7
heures. En France, sur la même période, la consommation de sucre a
été multipliée par 10 ou 15 (elle est, selon les régions, de 25 à 35 kg
par an et par habitant). Ingérable pour le foie qui n’est pas habitué à
cette surabondance, d’autant plus qu’elle s’ajoute aux flots d’autres
sucres qui lui sont infligés et qui ne sont pas comptabilisés dans ces
chiffres (pain, pâtes, etc.).
En France, on estime que 46% de la population est en surpoids. Le
surpoids se mesure par l’index de masse corporelle. Le calcul est
simple: on divise le poids (en kilos) par la taille (en mètre) élevée au
carré. En pratique, sur sa calculatrice, on tape poids/taille/taille, ou
poids/ (taille x taille). Le résultat se lit facilement: la norme se situe
entre 18 et 25. Entre 25 et 30, c’est le surpoids. Et au-dessus de 30,
l’obésité. Plus grave encore, la graisse abdominale qui est en
croissance exponentielle et dont l’origine est la qualité de ce que
nous mangeons et buvons.
Les complications habituelles du surpoids sont bien connues:
diabète, tension artérielle et cholestérol élevés, problèmes
cardiaques, accident vasculaire cérébral. S’y ajoute désormais cette
nouvelle maladie, devenue la première cause de défaillance du foie et
dont la manifestation n’est autre qu’un foie gras. Elle est dangereuse:
le risque réel est qu’elle se développe en une cirrhose ou en un
cancer, même sans une seule goutte d’alcool consommée. Si on
ajoute de l’alcool, le risque devient encore plus important.
Quand j’annonce ce diagnostic à mes patients, ils ont souvent une
réaction de surprise: «Foie gras? Mais je ne mange pas gras, je fais
attention!» Je leur demande alors s’ils connaissent le foie gras ou en
ont déjà mangé, la réponse est toujours affirmative. Je passe ensuite
à un cours d’élevage. Pour obtenir un bon foie gras, les volatiles sont
gavés au maïs qui n’est absolument pas gras, mais sucré. Je connais à
l’avance les objections – «je ne sucre pas mon café», «je ne prends
pas de dessert». J’explique alors que ce ne sont pas les 2 grammes
d’un demi-morceau de sucre dans le café qui engraissent le foie, mais
tout le reste: les excès de pain, de pâtes, de riz, de pommes de terre,
ou même de jus de fruits. Et là, les yeux s’écarquillent et les
consciences se réveillent (parfois).
Les lésions du foie qui apparaissent à cause d’une mauvaise
alimentation ressemblent tant à celles que l’on observe en cas d’abus
chronique d’alcool qu’on les a appelées la «maladie du foie gras non
alcoolique» ou NASH en référence à son acronyme anglais (non-
alcoholic steatohepatitis). Le nom plus médical est stéatopathie
métabolique. On pourrait aussi l’appeler «l’hépatite malbouffique»,
mais la médecine est trop sérieuse pour attribuer ce nom. Alors, on
parle d’hépatite métabolique ou de stéatopathie métabolique. Bref,
de la «maladie du soda».
Inondé de matière première de type sucre, le foie, on l’a vu, est
obligé de se débrouiller pour la stocker. Ses capacités de stockage en
sucres étant limitées, il la transforme en graisse. Peu à peu, il devient
jaune et mou, augmente aussi de taille même sans inflammation.
Environ 30% des cellules du foie doivent se remplir de graisse avant
que le foie gras soit détectable par une échographie. Mais le mal est
déjà en train de se faire…
Les cellules et leurs enzymes sont confrontées à une surcharge de
travail et doivent procéder à une quantité plus importante de
réactions chimiques pour la gérer. Le taux d’oxydants généré par ce
travail augmente, et les systèmes antioxydants naturellement
présents se voient saturés. Le stress oxydant qui n’est plus géré
entraînera des dégâts: des lésions de l’ADN d’un nombre
considérable de cellules du foie, puis leur mort. Le foie est affaibli, les
globules blancs, normalement absents, vont arriver pour
comprendre ce qu’il se passe. C’est l’hépatite liée au surpoids, la
deuxième phase de la maladie (quasi concomitante avec la première
qui est l’engraissement du foie).
Si l’alimentation ne change pas, la maladie pourra évoluer de la
même manière que dans les cas d’excès d’alcool. Au début, c’est-à-
dire pendant plusieurs années, le foie régénère, compensant la mort
de ses cellules. Mais, au bout de dix ou vingt ans, l’accumulation de
gras limite le processus de régénération. Les cellules mortes sont
remplacées par du tissu fibreux, inactif et délétère. Une cicatrice
fibreuse, une fibrose et une cirrhose, voire un cancer du foie peuvent
apparaître. Les signes associés sont ceux liés à un déséquilibre
alimentaire: diabète, cholestérol, triglycérides, hypertension.
Corinne, cinquante-cinq ans, était à un stade avancé de la
«maladie du soda» quand elle est venue me consulter pour des
anomalies du foie révélées à sa prise de sang. Elle avait déjà une
cirrhose. À l’annonce du diagnostic, elle m’a rétorqué que ce n’était
pas possible car elle ne consommait jamais d’alcool. Elle n’avait pas
beaucoup voyagé et n’avait aucune hépatite virale, active ou passée.
On trouvait dans ses antécédents un diabète traité par comprimés et
des problèmes de cholestérol et de triglycérides. Elle était en léger
surpoids: 77 kg pour 1,65 mètre, soit un index de masse corporelle à
28 (la limite supérieure avant d’évoquer un surpoids est, on l’a vu, de
25).
Corinne avait commencé à prendre du poids après sa deuxième
grossesse. Son surpoids s’était accentué à la ménopause. Et elle avait
une fâcheuse manie: elle grignotait pour calmer ses angoisses,
surtout vers 18 heures, lorsqu’elle rentrait du travail. Elle n’avait pas
assez pris en compte les précurseurs d’alerte qu’étaient son «petit»
diabète et ses problèmes de cholestérol et de triglycérides. Au fond,
vu qu’elle ne touchait pas à l’alcool, elle ne se sentait absolument pas
concernée par les problèmes de foie. Or, son foie souffrait, certes de
façon modérée mais quotidienne depuis de nombreuses années. Il
était très tard quand elle s’en est aperçue.
Pourtant, dépister une atteinte du foie liée à la malbouffe n’est pas
chose compliquée. Les prises de sang permettent facilement de se
faire une première idée. Si le taux des enzymes du foie et celui des
triglycérides sont élevés, si un diabète n’est pas loin, voire déjà
présent, il faut impérativement dépister une fibrose. On mesure alors
l’élasticité du foie, un examen indolore qui se pratique en quelques
minutes chez un médecin spécialiste. Plus le foie est élastique, plus il
est souple, mieux il va…
Chez Corinne, il n’allait plus du tout. Je ne lui ai donc pas laissé
d’autre choix que de surveiller de manière très stricte son
alimentation. Il en allait de sa survie. Sa rémission a pris du temps.
Je continue de la surveiller régulièrement. Elle n’est pas encore
guérie mais son foie s’est nettement assoupli. Il est, je le lui dis à
chaque consultation, en voie de renaissance… À quelques années
près, voire quelques mois, sa seule issue aurait été la greffe – à
condition de trouver un donneur. Corinne, je le lui dis comme
d’ailleurs à tous mes patients, a gagné, en protégeant son foie, des
années de vie en bonne santé.
La malbouffe n’est pas une fatalité, même si on vit en Occident et
qu’on a moins d’une demi-heure pour dîner sur le pouce. Mener la
chasse aux sucres n’est pas une affaire si compliquée.
Ne nous laissons pas leurrer par les mentions «sans sucres
ajoutés» sur les jus de fruits, les yogourts aux fruits, les compotes et
tous ces autres produits de consommation qui sont déjà
naturellement sucrés.
Adoptons une balance pour réguler nos portions: les 150 grammes
de pâtes cuites autorisées ne correspondent pas à 150 grammes de
pâtes crues, mais à 50 grammes environ. Si c’est insuffisant par
rapport à vos habitudes, «coupez» le plat de pâtes avec des haricots
verts, des courgettes ou tout autre légume vert. Un truc: commencez
par les légumes, mangez-les lentement et, finalement, vous vous
apercevrez que les 150 grammes de pâtes suffiront amplement à vous
rassasier.
Essayons quand même de ne pas manger de féculents à chaque
repas.
Modérons les graisses, y compris les huiles de colza ou d’olive,
certes antioxydantes mais aussi caloriques que les autres huiles
(9 calories pour 1 gramme).
Et en cas de surpoids, on évite l’alcool: sa toxicité sur le foie est
alors décuplée et l’état du foie s’aggravera dès 2 verres par jour.
Je conseille également, en cas de «maladie du soda» avérée, de
limiter la consommation de viande rouge qui peut être toxique en
raison de la choline qu’elle contient. La choline est un élément
nutritif utilisé chez les ruminants pour leur éviter d’accumuler de la
graisse dans le foie. En revanche chez les humains, lorsqu’elle est
consommée en excès (trop de viande rouge), elle peut être captée par
les bactéries intestinales et transformée en TMA que le foie
transforme en TMAO toxique. Nous ne sommes pas des vaches et ne
partageons pas avec elles les mêmes bactéries intestinales.
En revanche, la prise d’antioxydants naturels pourrait être
favorable en cas d’atteinte hépatique liée au surpoids. Dans tous les
cas, si vous en prenez, vous devez surveiller leurs effets par des prises
de sang. Quoi qu’il en soit, aucun supplément, aucun antioxydant ne
peut remplacer l’effet bénéfique d’une bonne hygiène alimentaire.
Enfin, l’activité physique est hautement conseillée pour aider le
foie à ne pas se surcharger, et le cœur à mieux résister. Les atteintes
hépatiques entraînent une fatigue, mais celle-ci n’empêche pas de
marcher. De façon ludique, prenez votre téléphone intelligent et son
appli santé qui compte automatiquement vos pas. Jour après jour,
essayez de faire mieux, et ce sera de plus en plus facile. Efforcez-vous
de faire plaisir à votre téléphone en arrivant à 10 000 pas par jour
pour qu’il puisse vous féliciter! Effectuez aussi un bilan cardiaque
pour être sûr que tout va bien.
Je dois reconnaître que nous ne sommes pas tous égaux face à la
malbouffe et à sa conséquence naturelle, la «maladie du soda». La
vie est injuste, nous le savons. Certains, en mangeant peu, vont
grossir et auront un foie malade. D’autres, en mangeant beaucoup,
resteront sans surpoids et en parfaite santé. En cause: nos trois
cerveaux.
Le premier cerveau est dans la tête, c’est bien connu. Quand il est
stressé, il a faim et nous pousse à manger. Nous avons la possibilité
de lui dire non, ou de le satisfaire en mangeant des aliments non
nuisibles à notre santé. Se précipiter sur le paquet de biscuits n’est
qu’une option parmi beaucoup d’autres.
Le deuxième cerveau est le tube digestif, avec toutes ses bactéries
qui nous contrôlent – nous ne possédons pas tous les mêmes
bactéries, c’est-à-dire la même composition du microbiote.
Certaines, grâce aux composés qu’elles fabriquent, savent mieux
protéger le foie. D’autres, au contraire, sont délétères: elles y
favorisent l’accumulation de gras et l’inflammation.
Le troisième cerveau est l’usine-foie. Lorsque notre foie se rend
compte qu’on a mangé sucré et qu’il détecte une augmentation de
sucre dans notre sang, il produit une protéine particulière que le
sang amène au cerveau. Là, cette protéine appuie sur un bouton pour
nous dire: «Tu as mangé beaucoup de sucre, maintenant ça suffit,
arrête!» Il est possible que le foie de certaines personnes ne fabrique
pas suffisamment cette protéine, ou bien que la protéine qu’il
fabrique ne soit pas assez efficace. Dans ce cas, l’arrêt de la
consommation de sucre serait plus difficile. Ceci a été bien démontré
chez des souris, moins chez l’homme. Des recherches sur cette
protéine sont actuellement menées. Si elles aboutissent, on pourrait
imaginer un traitement fondé sur son apport aux personnes qui en
manquent.
Chapitre 12

Quand le foie se met à rouiller

Éric, l’un de mes premiers patients alors que je venais d’être nommé
chef de clinique, était venu en consultation avec sa femme. Il était
très fatigué, mais ce qui m’avait marqué par-dessus tout était sa
couleur: il était jaune, vraiment jaune. En palpant son foie, je me suis
immédiatement aperçu qu’il était gros et surtout très dur, comme un
caillou, au lieu d’être souple et mou. Quelque chose n’allait pas. Un
foie si dur fait immédiatement penser à un cancer. Les examens ont
malheureusement confirmé le diagnostic: sa jaunisse était liée à un
cancer en phase terminale. Il était trop tard.
Pendant des années, cet homme avait souffert d’une surcharge en
ferritine, donc en fer, au niveau du foie. Elle n’avait jamais été
dépistée. L’analyse de la ferritine dans le sang fait pourtant partie
d’un banal bilan de santé. Comme l’immense majorité des maladies
du foie, celle-ci est évitable, parce que dépistable.
Nous savons bien que sous l’action de l’oxygène de l’air, le fer
rouille. Il s’agit d’une réaction lente et progressive. Au fil du temps, la
rouille le rend cassant et inutilisable. Pour le foie, c’est quasiment le
même phénomène.
Notre organisme contient du fer, en moyenne 5 grammes, utilisé
pour fabriquer principalement les constituants des globules rouges.
En même temps, nous respirons de l’oxygène. Combiné au fer,
l’oxygène produit la rouille qui s’appelle alors le stress oxydant. C’est
un déchet et, à moins qu’il soit en quantités excessives, notre
organisme, y compris notre foie, dispose de moyens pour l’éliminer.
Ce fer-là provient de notre alimentation. Normalement, nous
n’absorbons que 5 à 10% de notre apport quotidien (20 mg en
moyenne). Le reste est rejeté dans les selles.
Mais si notre organisme ne fonctionne pas correctement, s’il
n’élimine pas le fer ou si nous absorbons trop de fer, ses stocks vont
s’accumuler lentement dans différents organes: le pancréas, le cœur,
les articulations et bien sûr le foie. Ils peuvent augmenter de façon
monstrueuse jusqu’à atteindre 10, 20, voire 40 grammes au lieu de
5 grammes. Cela peut prendre une trentaine d’années: c’est long et
court à la fois!
Pendant ce temps, au niveau du foie, les radicaux libres, qui sont
autant de petites bombes, augmentent et commencent leur travail de
sape sur les cellules, les détruisant peu à peu. La suite, nous la
connaissons désormais: le foie peut augmenter de taille et la capsule
qui l’entoure devenir sensible. Les tissus deviennent fibreux avant
d’évoluer vers une cirrhose. Spécificité de cette maladie, la peau
prend une couleur brune du fait de l’accumulation de fer, et les
articulations sont douloureuses puisque le fer s’y dépose.
Tardivement, quand il s’accumule dans le pancréas, un diabète
survient. Au niveau du cœur, une insuffisance cardiaque apparaît.
Chez Éric, la maladie s’était encore plus gravement développée: à
un moment donné, une cellule épuisée et stressée avait fait un burn-
out et était devenue un peu folle. Son ADN trop abîmé l’avait
empêchée de se reproduire normalement. À partir de cette cellule
trop malade, un cancer s’était développé… tout cela à cause d’une
accumulation anormale (et détectable) de fer dans le foie.
On reconnaît les prémices de cette maladie par la fatigue. Elle est
facilement confirmée par un examen de sang – il se dit, quand on
cherche le taux de fer dans l’organisme, bilan «martial», en référence
à Mars, le dieu romain de la guerre qui a aussi donné son nom aux
arts «martiaux» ou à la loi «martiale». La planète Mars s’est vue
attribuer ce nom en raison de sa couleur rougeâtre, analogue à celle
des oxydes de fer utilisés pour fabriquer les armes. Mais dans notre
organisme, le fer ne représente la force que lorsque son stock est
normal. S’il est trop élevé ou trop bas, la force cède la place à une
grande fatigue… On mesure aussi, dans certains cas, directement la
quantité de fer dans le foie de façon très simple et indolore par une
IRM.
L’accumulation de fer peut être favorisée par des agressions
extérieures. L’alcool en trop grande quantité en est une cause
classique. Une alimentation trop riche en sucre ou en graisses, le
surpoids, l’obésité sont d’autres facteurs courants.
Et puis il y a une maladie qui déclenche la rouille du foie:
l’hémochromatose. C’est une mutation génétique, la première
connue de la préhistoire. Elle est relativement répandue: en France,
elle touche une personne sur 300, soit environ 200 000 personnes
atteintes – le taux est équivalent aux États-Unis où 2 000 000 de
personnes seraient touchées.
L’hémochromatose est une anomalie… qui avait autrefois favorisé
la survie. Souvenez-vous! Il y a dix mille ans, vous étiez au temps de
la préhistoire. Chasseur-cueilleur, vous vous nourrissiez
principalement de viande rouge. Puis vous avez découvert
l’agriculture, devenant un Sapiens du néolithique. Vous avez
commencé à manger plus de céréales mais moins de viande. Vos
stocks en fer diminuaient, vous risquiez de développer une carence,
donc une anémie qui fatigue. Or, dans un environnement nettement
moins confortable et beaucoup plus physique que le nôtre, la fatigue
rend les chances de survie beaucoup moins importantes.
Pour survivre, la nature étant bien faite, votre ADN s’est adapté. Il
a développé une mutation, c’est-à-dire une modification spontanée
qui vous permettait d’absorber dix fois plus de fer sans pour autant
en manger plus. Vous aviez ainsi plus de chance de survivre et de
vous reproduire: c’est la naissance de l’hémochromatose.
Cette mutation s’est vraisemblablement produite en Europe
centrale et s’est étendue avec les migrations de populations vers
l’ouest et le nord de l’Europe. Les populations d’origine celte sont les
plus atteintes, mais le peuple viking l’était probablement aussi. Au
Moyen Âge, les grandes migrations ont étendu cette mutation en
Bretagne, en Normandie, dans les pays traversés par le Danube et
dans des régions autour de la Méditerranée. Elle a dû leur rendre
bien des services durant de longs périples en bateau à bord desquels
les Vikings ne mangeaient pas de viande, et donc pas de fer!
Aujourd’hui, les zones où elle est la plus fréquente sont l’Irlande, le
nord du Royaume-Uni, la Scandinavie, la Bretagne et la Normandie.
Mon patient atteint d’un cancer en phase terminale était d’origine
bretonne. Ce n’est pas une raison pour développer une paranoïa, à
l’image de cette patiente, porteuse de la mutation, qui m’a décrété
qu’elle interdirait à ses enfants d’épouser des natifs de Bretagne ou
de Normandie! D’autant plus que, comme pour les autres anomalies
génétiques, pour être malade, il faut que les deux parents soient
porteurs de l’ADN muté. On peut donc transmettre la susceptibilité à
ses enfants sans être soi-même malade.
Et ici, pas de sexisme: les femmes portent autant la mutation que
les hommes. Cependant, elles sont relativement protégées avant la
ménopause, les cycles menstruels permettant d’éliminer un peu de
l’excédent de fer. La maladie n’apparaît donc souvent chez elles que
quelques années après la disparition des règles. À l’inverse, chez les
femmes qui ont des règles abondantes, le fer peut manquer,
entraînant anémie et fatigue. La femme enceinte, elle, a des besoins
augmentés: 6 mg de fer par jour, contre 2 mg pour un homme et 2 à
4 mg pour une femme avant la ménopause – après quoi, ses besoins
sont identiques à ceux des hommes.
Chez les hommes (et les femmes après la ménopause), le foie qui
rouille peut être soigné et guéri grâce à une méthode d’autrefois, qui
fut d’ailleurs moquée par Molière. Il s’agit des saignées que les
médecins de son époque pratiquaient à tour de bras, les considérant
comme le traitement de toutes les maladies. Ils pensaient enlever le
sang surabondant ou malsain, ce qui nous semble maintenant
farfelu. Mais, pour le fer, l’idée était excellente! Les femmes ont leurs
saignées naturelles, les règles. Les hommes, eux, auront les vraies
saignées!
Mais pas de panique: les saignées n’ont rien de spectaculaire, elles
se déroulent un peu comme un don du sang. Chacune permet de
soustraire environ 200 à 250 mg de fer. En moyenne, lorsqu’on
découvre une hémochromatose, on propose aux hommes (et aux
femmes après la ménopause) une saignée de 400 ml environ par
semaine pendant un à deux ans. La surcharge anormale en fer
disparaît. Pour éviter qu’elle se reconstitue, on pratique des saignées
d’entretien trois à quatre fois par an. Grâce à ce traitement,
l’espérance de vie est normale. Pour les femmes avant la ménopause,
le traitement est moins intense.
La situation est moins claire en cas de surcharge en fer dans le foie
non lié à une hémochromatose. L’un de mes patients, un jeune
homme de vingt-cinq ans, avait été alerté par des douleurs aux
articulations. La cause de la surcharge était à l’évidence liée à la
malbouffe. Nous avons opté ensemble pour des saignées. Cette
décision peut être discutée pendant de très longues soirées d’hiver,
car tous les médecins et les experts ne sont pas d’accord. Son stock
en fer s’est néanmoins normalisé, ses douleurs articulaires ont
disparu… et il était ravi.
Par contre, avec un autre de mes patients, âgé de soixante-douze
ans, en surpoids du fait d’une alimentation déséquilibrée et un peu
arrosée, j’ai écarté l’option des saignées à cause de ses problèmes
cardiaques liés au surpoids. Leur bénéfice potentiel était inférieur au
risque qu’elles faisaient prendre pour le cœur. Il a eu droit, lui, à un
régime alimentaire strict.
Dans tous les cas, face à une surcharge en fer, il est illogique de se
gaver d’aliments… riches en fer. Le foie animal évidemment, mais
aussi le boudin, la viande rouge, les huîtres, les lentilles, le soja, le
tofu, les haricots blancs, le cacao – donc le chocolat. Par ailleurs,
l’alcool modifie le métabolisme du fer et augmente sa quantité dans
le foie, aggravant ainsi l’hémochromatose. Il faut également limiter
l’apport en graisses et en sucres qui favorisent la «maladie du soda»:
en cas de surcharge en fer, elle risque en effet d’être plus grave et
d’évoluer plus vite vers une cirrhose. Enfin, la prise de vitamine C,
qui favorise l’absorption digestive du fer, est déconseillée. En
revanche, on peut favoriser la consommation régulière de thé et de
café qui la ralentissent.
Toutefois, par rapport à l’efficacité des saignées, l’influence des
restrictions alimentaires sur le niveau de fer reste marginale, de
l’ordre de 15 à 20 mg ingérés par semaine par rapport au 200 à
250 mg enlevés par une saignée. Donc ne vous privez pas trop.
Quid alors de Popeye? A-t-il eu raison de prendre du fer pour être
fort et en forme? Oui s’il souffrait d’un manque de fer se traduisant
par une fatigue, une absence d’entrain, un essoufflement et une
anémie. Mais… il est probable que son histoire soit complètement
fausse. D’une part, les anémies concernent très rarement les
hommes, puisqu’ils n’ont pas de règles et donc aucune raison de
manquer de fer. D’autre part, son menu n’était pas étudié: la forme
du fer issu des végétaux, y compris les épinards, le soja ou les
lentilles, est mal assimilable par l’organisme. Popeye aurait été
mieux avisé de manger de la viande rouge où le fer provient des
globules rouges qui y sont encore présents et que notre organisme
sait très bien absorber.
La carence en fer ne fait évidemment pas rouiller le foie. Il est tout
de même important d’en rechercher la cause: des règles trop
abondantes chez les femmes, un régime faible en fer comme chez les
végétariens et les végan, ou une perte de sang microscopique dans le
tube digestif qui peut à terme se traduire en anémie. On sait que les
personnes intolérantes au gluten, souffrant de la maladie cœliaque,
n’absorbent pas correctement le fer. Dans certains cas, proposer une
supplémentation peut être utile. Elle doit être limitée et surveillée
par des prises de sang régulières.
Chapitre 13

Les virus amoureux du foie

Imaginez que vous êtes un virus. Vous êtes minuscule, environ


100 fois plus petit qu’une bactérie, vous mesurez 10 à
400 millionièmes de millimètres. Vous êtes constitué de matériel
génétique, l’ADN ou l’ARN selon le virus mais, à la différence d’une
bactérie, vous n’avez pas de machinerie cellulaire et n’êtes donc pas
autonome.
Vous ne respirez pas, vous ne vous nourrissez pas – les
scientifiques se battent encore pour savoir si vous êtes vivant ou pas.
Vous ne pouvez pas vous reproduire seul et faire des bébés virus, des
virions. Pour cela, vous avez besoin d’une cellule, étrangère à vous
mais qui, elle, respire et est pleine de vie.
La cellule est la plus petite unité vivante capable de se reproduire
de façon autonome. Des êtres comme les bactéries sont composés
d’une seule cellule. Nous, nous sommes créés à partir d’une seule
cellule qui s’est multipliée et, grâce à son matériel génétique, son
ADN, elle a fabriqué tous les organes qui nous composent, dont le
foie.
Vous, virus, disposez d’un matériel génétique réduit mais optimisé
pour infecter une cellule. Quand vous la pénétrez, vous modifiez ses
fonctions à votre profit. Vous la reprogrammez pour pouvoir vous
reproduire. À partir d’une seule cellule infectée, vous allez former des
milliers de virions parfaitement identiques à vous, qui pourront à
leur tour infecter des millions d’autres cellules.
En matière de cellule à infecter, chaque virus a ses préférences.
Pour certains, ce sont les voies respiratoires – les virus du rhume ou
de la grippe. Pour d’autres, les globules blancs qui contrôlent nos
défenses immunitaires – le virus du sida. Les virus des hépatites,
eux, ciblent le foie.
C’est bien loin, le foie, quand vous vivez à l’extérieur! Pour y
accéder, vous devez d’abord pénétrer dans l’organisme. Vous n’avez
pas quantité de possibilités. Vous pouvez passer par la bouche et
vous faire manger. Ou agir en vampire et entrer directement par le
sang à l’occasion d’une effraction de la peau, par exemple un
tatouage ou une injection. Ou encore, une autre possibilité que vous
adorez, entrer dans votre hôte par voie sexuelle. Vous pouvez aussi
être vraiment méchant et pénétrer dans l’organisme d’un enfant dès
sa naissance en le contaminant via le sang de sa maman, elle-même
infectée.
Une fois dans l’organisme, votre voyage n’est pas terminé. Pour
trouver le foie, vous vous introduisez dans la circulation sanguine et
vous vous promenez partout. Votre moment préféré? La rencontre
d’une cellule du foie à laquelle vous faites un gros bisou. En pratique,
vous vous accrochez très fortement à elle. Vous l’agressez et elle ne
sait pas se défendre seule. Vous entrez à l’intérieur de cette cellule et
vous êtes enfin heureux: vous vous multipliez. La cellule infectée
«accouchera» de vos virions, très en forme. À terme, elle en mourra.
Les virions, eux, peuvent soit infecter directement les autres cellules
du foie sans avoir à reprendre tout votre parcours, soit se promener:
dans le sang, le sperme ou les selles pour infecter d’autres personnes
et continuer ainsi à se propager.
Mettez-vous maintenant à la place des cellules du foie qui voient
arriver un horrible virus. Elles doivent se défendre et appellent à
l’aide. Elles relâchent des signaux dans le sang qui sont un véritable
SOS à l’organisme. Les uns alertent l’ensemble de l’organisme qui
active ses défenses immunitaires. Les autres s’adressent aux
lymphocytes, les globules blancs, plus précisément à ceux d’entre eux
qui sont spécialistes du foie. Les cellules infectées mettent en place,
sur leur propre surface, une colle qui permet aux globules blancs de
les repérer parmi toutes les autres cellules du foie. Les globules
blancs fabriquent des pièges appelés anticorps qui vont directement
se coller aux cellules infectées par le virus pour l’anéantir.
La bataille n’est pas sans risques ni pertes. En s’attaquant au virus,
les anticorps n’ont d’autre choix que de détruire aussi la cellule
infectée – qui est devenue, en quelque sorte, une cellule kamikaze.
Les cellules restantes, non infectées, se multiplieront pour reformer
ad integrum un foie sain – c’est ainsi que le foie guérit et se
régénère. Les abeilles fonctionnent aussi de cette façon: une abeille
pique pour se défendre et meurt pour sauver toute une ruche qui
continue cependant de prospérer.
Le problème se pose lorsque trop de cellules du foie sont infectées,
ou lorsque la réponse immunitaire est trop forte: elles sont alors trop
nombreuses à mourir en même temps. Le temps que le foie
«repousse», il n’assure plus ses fonctions d’épuration. Parmi les
composés toxiques qui s’accumulent, on trouve la bilirubine qui aide
à digérer et qui est de couleur jaune. Son taux grimpe dans le sang,
elle peut aussi se déposer dans le blanc des yeux et sous la peau – qui
gratte parfois très fort. Et on devient tout jaune: c’est la jaunisse.
Si plus de 50% des cellules du foie sont détruites, la jaunisse
devient inquiétante car le foie peut avoir une défaillance brutale avec
un risque vital. Et quand la majorité des cellules du foie sont
détruites par la virulence de la contre-attaque (qui est alors très,
voire trop bonne), celles qui restent en vie sont insuffisantes pour
assurer rapidement sa régénération. C’est alors
«l’hépatite fulminante» qui présente un risque vital majeur. La seule
solution est, dans ce cas, une greffe de foie en urgence.
Les virus des hépatites se ressemblent sur un point seulement: ils
sont tous amoureux du foie. En pratique, il existe cinq virus
différents ainsi nommés: A, B, C, D (ou delta) et E. Ils n’utilisent pas
tous les mêmes méthodes pour entrer dans l’organisme, ils ne
mettent pas le même temps pour s’introduire dans le foie et certains
sont plus difficiles à éliminer que d’autres.
Les conséquences sur le foie sont, elles, potentiellement très
graves. Un seul comportement à risque peut entraîner une
contamination par un virus qu’on risque de «payer» toute sa vie. Or,
avec quelques précautions simples, ces mésaventures sont évitables
sans efforts majeurs…

L’exotique virus A
Il adore vivre dans l’eau que nous buvons et les aliments que nous
mangeons, y compris les moules ou les huîtres qui filtrent le virus et
le concentrent – heureusement, en France, le contrôle sanitaire des
coquillages et des eaux réduit ce risque, même s’il ne l’élimine pas
complètement. Au Québec, c’est le rôle du Programme canadien de
contrôle de la salubrité des mollusques.
Après avoir infecté les cellules de notre foie, il poursuit sa
promenade et il est éliminé dans les selles. L’individu porteur va aux
toilettes, touche une poignée de porte avant de s’être lavé les mains, y
dépose le virus. Celui ou celle qui le suit touche à son tour cette
poignée, s’imprègne la main du virus et la porte à sa bouche: il ou
elle est à son tour contaminé. Avec peu de chances d’y échapper:
dans 1 gramme de selles infectées, on trouve 100 millions à
10 milliards de virus A. Son foie est atteint et, par le même circuit,
son entourage risque une atteinte identique. Attention aussi aux
contaminations par les rapports ano-oraux: le virus passe
directement du tube digestif vers la bouche.
L’hépatite A est rare dans les pays occidentaux. En France, on
estime que 700 et 800 personnes sont contaminées chaque année,
souvent après un voyage dans un pays où l’eau potable est difficile
d’accès, où l’épuration des eaux usées pose problème, et où les fruits
et légumes sont arrosés avec ces eaux souillées. Consommés crus, ils
signent la maladie. Mais il n’est pas toujours nécessaire de voyager!
En 2010, toujours en France, une cinquantaine de personnes avaient
été contaminées par la consommation de tomates semi-séchées en
provenance de Turquie. Est-ce l’eau avec laquelle les tomates avaient
été arrosées sur place? Ou les mains des personnes qui les ont
manipulées à un stade du transport? On n’a jamais su quel a été, ici,
le facteur de la mondialisation du virus.
Au Québec, on a recensé 50 cas en moyenne dans la dernière
décennie. Par ailleurs, dans les populations vivant en collectivité, en
particulier dans les crèches où les couches sont manipulées, des
épidémies d’hépatite A sont possibles. De plus, comme il s’agit
d’enfants en bas âge, leurs défenses immunitaires (qui détruisent les
cellules porteuses du virus) ne sont pas très fortes et l’enfant peut
rester bien portant malgré la présence du virus – la discordance
entre des défenses immunitaires encore immatures et le fait que les
enfants vont guérir reste un point mystérieux pour la médecine. Les
puéricultrices ne savent donc pas que l’enfant est porteur. C’est le
début de l’épidémie mais, fort heureusement, tout le monde ou
presque va guérir.
Il existe un vaccin contre l’hépatite A mais aucun traitement
spécifique. Dans 95% des cas, après un pic, la maladie se résorbe
seule, sans séquelles, mais elle peut, beaucoup plus rarement,
entraîner une hépatite fulminante qui, elle, est très grave. Le virus A
ne persistant pas dans notre corps, il n’y a pas d’atteinte chronique
du foie qui lui soit liée.
Autrefois, pour des raisons d’hygiène, les épidémies étaient
autrement plus fulgurantes. Ainsi, en novembre 1942, lors de la
campagne d’El Alamein, 3 602 soldats avaient été hospitalisés pour
blessure… et 1861 pour hépatite A. Celle-ci avait également causé des
ravages aux États-Unis pendant les deux guerres, d’Indépendance
(1775-1783) et de Sécession (1861-1865).

Le virus B, le plus méchant


Il est très dangereux, car très malin – 50 à 100 fois plus contagieux
que le virus du sida. Et très fréquent: 2 milliards d’individus dans le
monde ont un jour fait sa connaissance, soit près d’une personne sur
quatre.
Essentiellement présent en Afrique et en Asie du Sud-Est où il se
transmet surtout par le sang (une petite goutte contient des milliards
de virus), il l’est beaucoup moins dans les pays occidentaux. En
France, un millier de personnes sont infectées chaque année, soit
trois par jour en moyenne. Son délai d’incubation (c’est-à-dire le
temps qui s’écoule entre la pénétration du virus dans l’organisme et
l’apparition de la maladie) est assez long: il s’étend de six semaines à
six mois. Il faut donc remonter loin pour retrouver le moment de
l’exposition au virus!
La rencontre avec le virus de l’hépatite B peut se produire à la
naissance si la mère en est porteuse, et ce n’est pas une bonne chose:
les conséquences suivront l’enfant toute sa vie. Le bébé n’a pas
encore de défenses immunitaires pour se défendre et le virus B peut
s’amuser bien tranquillement.
Pour ne pas être chassé du foie et continuer de s’y prélasser, il
utilise deux méthodes bien vicieuses. La première consiste à
sectionner la ronde que forme l’ADN dans la cellule, à se nicher à
l’intérieur et à refermer le cercle. La seconde est de former une autre
ronde, à côté de celle de l’ADN, et de fonctionner en parallèle. Dans
les deux cas, cette ingéniosité entraîne un risque élevé de développer
une maladie grave du foie comme une cirrhose ou un cancer dans un
délai de vingt à vingt-cinq ans. Donc parfois dès l’âge de vingt ou
vingt-cinq ans si on est contaminé à la naissance. Dans la majorité
des pays occidentaux, les femmes enceintes sont dépistées et, si
nécessaire, les enfants vaccinés dès leur naissance. C’est moins vrai
en Afrique où, à cause de ce virus B, le risque de développer un
cancer du foie est plus important qu’ailleurs.
Rencontrer le virus B à l’âge adulte n’est pas sans conséquences
non plus. Nous avons certes nos réponses immunitaires pour nous
débarrasser de lui, mais il reste très malin. Le traitement dépend du
stade de la maladie. Une hépatite aiguë avec une réponse
immunitaire adéquate (donc moins de 50% de cellules du foie
détruites) se soigne en quelques jours ou quelques semaines, par le
repos. L’hépatite chronique, elle, doit être surveillée de près – une
prise de sang tous les 6 mois si le virus est inactif, des comprimés
antiviraux très efficaces et très bien tolérés s’il se réveille. Cependant,
ces comprimés empêchent le virus de se reproduire mais ils ne
l’éliminent pas.
Le mieux est de se protéger, surtout avant et pendant les voyages.
Les bonnes vieilles méthodes sont les plus efficaces: éviter le contact
avec le sang, donc de partager brosse à dents, ciseaux, coupe-ongles
et rasoirs. Évidemment, pour les piercings, tatouages et injections,
seringues et aiguilles doivent être à usage unique. Les rapports
sexuels protégés évitent l’infection et prémunissent en même temps
des autres infections sexuellement transmissibles. Le vaccin est très
efficace et reste la solution la plus adéquate.

Le virus C, une fabuleuse histoire


J’ai commencé mes études de médecine en 1986 et effectué mes
premiers stages hospitaliers en 1988. L’hépatite C n’existait pas. On
faisait alors référence à une maladie un peu mystérieuse appelée
«l’hépatite non-A non-B». La plupart des maladies sont inquiétantes.
Une maladie sans nom l’est encore plus!
Le virus C a été découvert en 1989, et on a enfin pu mettre un nom
sur cette maladie lente mais mortelle. Les premiers tests de dépistage
sont apparus, mais ce n’est pas pour autant qu’elle est devenue plus
rassurante: on s’est rendu compte que 1% des Français en étaient
atteints. La maladie pouvait rester stable pendant des années mais,
dans environ 20% des cas, elle conduisait à une destruction lente et
progressive du foie.
Dans le corps médical, tout le monde avait peur et je me souviens
de ma crainte de me piquer en soignant un patient. Je me souviens
aussi de mon accablement quand, en 1993, après avoir traité un père
et son fils qui étaient tous deux atteints d’une hépatite A, j’avais
découvert une hépatite C chez le fils, un adolescent de dix-huit ans.
C’était la catastrophe et j’avais eu du mal à le lui annoncer. Je ne sais
pas ce qu’il est devenu. Je revois aussi les visages des patients qui en
mouraient après avoir développé une cirrhose, voire un cancer. Nous
étions démunis.
En 1992, est arrivé le premier traitement, l’interféron, avec des
effets indésirables monstrueux et 5% de guérisons. Au fil des années,
d’autres traitements ont été proposés, n’aboutissant à une guérison
que dans 20%, puis 30% des cas, mais toujours au prix d’effets
indésirables de plus en plus importants.
Le miracle a eu lieu en 2013 avec l’arrivée des nouvelles molécules
antivirales: 70% des patients guérissaient. Ces molécules se sont
encore développées, notamment grâce à des start-up, et aujourd’hui,
près de 100% des patients ayant une hépatite C sont soignés et guéris
en 8 à 12 semaines et avec très peu, voire aucun effet secondaire.
Désormais, il est même plus facile de traiter une hépatite C qu’un
rhume! On espère l’éradiquer en France d’ici 2025. J’ai pourtant
l’impression que l’information n’est pas parvenue dans tous les
services hospitaliers: fin 2017, l’un de mes patients, porteur du virus
et devant être traité, a été confronté à la terreur de l’équipe qui devait
l’opérer pour une petite lésion cutanée et qui craignait d’être à son
tour infectée.
Le problème du traitement n’est donc ni son efficacité ni sa
tolérance, mais son coût, même s’il diminue régulièrement. Les
premiers traitements avec ces nouvelles molécules revenaient à
90 000 dollars par personne, soit près de 1050 dollars par
comprimé. On en est maintenant à moins de 45 000 dollars. Dans un
premier temps réservés aux patients les plus gravement atteints, ces
traitements sont désormais disponibles pour les 75 000 personnes
qu’il reste à traiter en France. Leur prix est toutefois prohibitif pour
les pays moins riches qui ne prennent pas en charge leurs malades.
Une remarque qui vaut pour tous les nouveaux traitements,
notamment ceux contre le cancer, et pour toutes les nouvelles
molécules hyperpuissantes mais dont le prix est souvent exagéré.
J’ai ainsi eu la chance de vivre, en moins de trente ans, une épopée
formidable, une illustration de la révolution de la médecine qui se
fera dans les toutes prochaines années: la découverte d’une maladie,
l’évolution des traitements et la guérison de la quasi-totalité des
malades.
Je l’ai expérimentée avec l’un de mes patients qui traînait son
hépatite C depuis sa naissance. Sa vie était rythmée par les prises de
sang, les consultations, son foie s’abîmait et je m’inquiétais pour son
pronostic vital à moyen terme. Puis le miracle est arrivé. Il avait
trente-sept ans quand je l’ai guéri. Je l’ai revu six mois plus tard pour
une consultation de routine. Je m’attendais à le trouver jovial, il était
maussade. Sa remarque m’a fait éclater de rire: «Maintenant qu’il n’y
a plus d’hépatite C, je m’ennuie. Il faut que je change de femme ou de
boulot.» C’était merveilleux!
Je ne cesse, pour autant, d’alerter sur la nécessité d’un dépistage,
fondamental dans le cas de cette maladie depuis qu’elle est
soignable, et qui s’effectue par une simple prise de sang: en effet,
lorsque l’hépatite C n’est pas à un stade avancé, on ne peut pas savoir
qu’on est infecté par le virus. Puis on se fatiguera un peu, sans que
cette fatigue soit nécessairement un signal d’alerte. Et on ne se
rendra compte de ses ravages que lorsque le foie sera abîmé.
Le dépistage est indispensable si on a été transfusé, si on a été
usager de drogues ou si on a eu des tatouages ou des piercings. Car il
y a risque à chaque fois qu’on est potentiellement exposé à du sang.
Les rapports sexuels, en particulier homosexuels, sont aussi un
facteur de contamination car la muqueuse anale est fragile et expose
au sang et aux virus. Par contre, le risque de transmission est très
faible, voire nul, dans les rapports hétérosexuels (sauf pendant les
règles), les rapports vaginaux étant moins traumatiques que les
rapports anaux. Les amoureux peuvent s’embrasser autant qu’ils le
veulent. En revanche, mieux vaut éviter le partage des rasoirs et des
brosses à dents.

Le virus D (ou delta), petit copain du virus B


Imaginez un poisson pilote qui ne peut vivre qu’avec son ami le
cachalot. Lorsque le cachalot n’est pas là, il n’y a pas de poisson
pilote. Il en va de même pour le virus D: il ne peut vivre qu’en
présence du virus B. Ils s’attrapent de la même façon, chez les mêmes
personnes et dans les mêmes pays, soit simultanément, soit le B
d’abord, suivi du D.
Comme son copain le B, le virus D peut être extrêmement
méchant. Il détruit les cellules du foie avec agressivité, favorise
cirrhose et cancer. Malheureusement, nous ne disposons que de peu
d’armes pour nous défendre face à lui: il se cache comme le B, et on a
beaucoup de mal à s’en débarrasser.
Mais si ce virus D est malin et dangereux, nous savons utiliser ses
propriétés pour nous protéger: lorsque vous vous faites vacciner
contre l’hépatite B, vous êtes automatiquement protégé du virus D.
Les virus B, C et D partagent, au moins en partie, les mêmes modes
de contamination: l’exposition aux fluides biologiques d’autrui – le
sang et, pour les virus B et D, moins pour le C, le sperme et les
sécrétions vaginales. Pour autant, il ne faut pas craindre d’être
contaminé en partageant la même nourriture, en utilisant des
toilettes communes, en se serrant la main ou en s’embrassant ni, non
plus, en étant piqué par des insectes. Par contre, si vous avez un
rapport sexuel à risque, même un seul, ou si vous utilisez une aiguille
contaminée, même une seule fois, vous avez des chances de réussir à
rendre les virus heureux.

Le virus E
Trois ou quatre semaines après avoir passé d’excellentes vacances en
Corse, l’un de mes amis s’est retrouvé avec un foie bien mal en point
et une forte jaunisse qui s’installait. Il s’est étonné quand je lui ai
demandé s’il avait apprécié les figatelles de ses apéros, c’était
effectivement le cas.
Les figatelles sont une spécialité corse, des saucisses crues ou peu
cuites à base de foie de cochon – de préférence les cochons sauvages
ou les sangliers qu’on trouve sur l’île. Or, le virus de l’hépatite E
adore se loger dans le foie des cochons et du gibier tel le cerf, mais
aussi des bovins, des chèvres et même des poulets. Le seul moyen de
s’en débarrasser est de bien cuire la viande. Faute de quoi, il est très
heureux de pénétrer dans notre corps pour finir dans notre foie. Les
produits cuits comme le jambon, les pâtés de foie (émulsion chaude),
les produits pasteurisés ou ayant été chauffés pendant plus de
deux heures ne posent pas de problème.
Le virus E est zoonose, c’est-à-dire qu’il se transmet de l’animal à
l’homme. Une transmission qui n’est pas forcément directe: au
Royaume-Uni, il avait été retrouvé dans plus d’un tiers des moules
recueillies près d’un élevage de porcs. Mais on peut aussi être
contaminé en consommant des baies comme les framboises sur
lesquelles des animaux sauvages porteurs du virus ont laissé leurs
déjections. Ce n’est pas, non plus, un virus particulièrement
exotique: il est assez répandu en Corse et dans le Sud de la France où
il est la première cause d’hépatite aiguë. Près de 2 000 cas y sont
diagnostiqués chaque année.
Mon ami avait été alerté par sa jaunisse; le plus souvent, une
infection au virus E ne suscite qu’une fatigue, voire aucun symptôme:
on guérit alors sans même savoir qu’on a été contaminé. À une
exception près: certaines formes d’hépatite E, qu’on trouve
notamment en Inde, peuvent être rapidement mortelles pour les
femmes enceintes.
D’autant qu’il n’existe aucun traitement médicamenteux contre ce
virus. Ce que l’on recommande? Du repos, une abstinence d’alcool…
et un peu de patience. C’est une maladie dont on ne conserve
habituellement pas de séquelles: nos défenses se mettent en marche
et nous débarrassent des virus en les éliminant dans les selles.
Dans les pays où le niveau d’hygiène est moins strict, ne buvez pas
d’eau non traitée comme l’eau des puits ou des rivières et ne mangez
que des aliments cuits à cœur. Les gestes de base doivent être
rappelés: bien se laver les mains après être allé aux toilettes, après
avoir changé la couche du bébé, avant de préparer les repas et de
manger. En cas d’hépatite déclarée, nettoyez les sanitaires, les
lavabos, les robinets et les poignées de porte avec de l’eau de Javel
diluée. Faites la vaisselle à l’eau chaude et lavez votre linge à 60°.

La maladie du premier baiser


En plus des virus précédents, certains autres, peu offensifs, peuvent
aussi toucher le foie. C’est le cas de la maladie du premier baiser, la
mononucléose infectieuse qui concerne souvent les adolescents. Le
virus responsable s’appelle Epstein-Barr ou EBV. Il peut atteindre le
foie, mais il préfère se loger dans nos ganglions. L’hépatite qu’il
provoque n’est pas très grave. Elle peut fatiguer pendant quelques
jours à quelques semaines, mais elle guérit toujours sans séquelles.
Un autre virus appelé le cytomégalovirus ou CMV peut aussi
s’attaquer au foie. L’hépatite qu’il entraîne n’est jamais grave et
guérit sans séquelles, elle aussi.

Gare à l’après-accouchement!
Notre organisme n’aime pas les étrangers: il les considère comme des
ennemis desquels il doit se protéger. Pour abriter l’enfant qu’elle
porte, la femme enceinte se met en situation de tolérance d’un
étranger: elle diminue ses défenses, et son système immunitaire est
donc moins actif dans son ensemble. Autrement dit, les globules
blancs ne détruisent pas systématiquement les cellules, dont celles
du foie, si elles sont infectées par un virus.
Paradoxalement, en cas d’hépatite, puisque les cellules du foie
meurent moins, le foie lui-même peut transitoirement s’améliorer.
Mais attention, seulement le temps de la grossesse. Car le virus, ravi
de ne plus être détruit, en profite pour se reproduire à toute allure.
Un cataclysme peut advenir après l’accouchement, aussi bien pour la
mère que pour l’enfant. Les défenses immunitaires se remettent en
route, à 100% voire plus, pour compenser le déficit de la grossesse.
Ils détruisent alors en masse les virus et, avec eux, les cellules qui les
abritent.
Si trop de cellules du foie sont détruites simultanément, la femme
risque une hépatite grave, le foie n’ayant pas le temps de régénérer.
C’est pourquoi une femme atteinte d’hépatite doit être étroitement
surveillée pendant sa grossesse et après l’accouchement.
Pour ce qui est de l’enfant né d’une femme infectée, il est exposé
dès ses premiers instants de vie à une grande quantité de virus, avec
un risque majeur d’être à son tour infecté, surtout par l’hépatite B. Il
doit alors impérativement être séro-vacciné dans les 12
premières heures de sa vie. Pour ce qui est du virus C, il y a aussi un
risque de transmission mais… pas de vaccin. Dépistons et traitons
cette hépatite avant la grossesse
Chapitre 14

L’emballement des maladies auto-immunes

Comme beaucoup de mes confrères, je constate une recrudescence


alarmante des maladies auto-immunes, en tout cas dans les pays
occidentaux, avec notamment une incidence du diabète 1 chez les
enfants (Eva se reconnaîtra), ou de la sclérose en plaques dont les cas
sont de plus en plus nombreux. D’autres régions du monde, je pense
en particulier à l’Afrique, sont protégées de ce phénomène.
La maladie auto-immune est une attaque de soi contre soi. Les
défenses immunitaires, qui nous aident normalement à nous
protéger des agressions extérieures, deviennent folles ou stupides, se
trompent d’adversaire et attaquent notre propre organisme. Donc
leur allié.
On ne sait pas trop pourquoi, mais c’est ce qui arrive parfois,
heureusement pas souvent, pour le foie: une sorte de bavure qui
intervient incidemment. Un scénario banal. Un agresseur extérieur
particulièrement malin, par exemple un virus, se déguise pour mieux
nous attaquer. Il prend la forme d’une cellule. Nos globules blancs
vont comprendre qu’il s’est «déguisé», le repérer et le détruire.
Jusque-là tout va bien. Sauf que par la suite, pour une raison tout
aussi inconnue, nos globules blancs vont confondre les cellules de
notre propre foie avec l’agresseur déguisé qui leur ressemblait et
dont ils s’étaient débarrassés. Ils vont alors considérer les cellules
normales du foie comme des agresseurs, les attaquer et les détruire.
Pourquoi le scénario se déroule-t-il ainsi, et de plus en plus
fréquemment? Plusieurs hypothèses sont actuellement avancées.
L’une, dite la théorie hygiéniste, part du constat que notre
organisme subit de moins en moins d’agressions extérieures, du fait
des progrès médicaux et de ceux de l’hygiène: nous nous lavons les
mains, nous désinfectons nos moindres bobos, nous conservons
notre nourriture aux températures adéquates, nous stérilisons ce que
nous mangeons, jetons ce qui est avarié et nous nous soignons quand
nous sommes malades. Nous sommes donc de moins en moins aux
prises avec les microbes – nous n’avons même plus à affronter de
grandes épidémies. Il y a, de ce fait, une perte de la diversité
bactérienne en nous, ce qui entraîne des modifications de notre
système immunitaire. Faute d’agressions extérieures (par
désœuvrement?), il en vient à nous attaquer. Cette théorie en donne
pour preuve que les maladies auto-immunes sont presque
inexistantes dans les pays pauvres ou en développement.
D’autres hypothèses s’orientent vers une déformation de notre
système immunitaire par des facteurs environnementaux, comme les
pesticides et les autres éléments toxiques que notre mode de vie nous
amène à ingérer ou à respirer, malgré nous.
Quelle qu’en soit la raison, la destruction de nos cellules, en
particulier pour le foie, s’effectue à bas bruit, souvent lentement: elle
peut prendre des années. Elle est plus rarement brutale et rapide
avec une véritable jaunisse et une destruction massive du foie.
Ce type d’erreur du système immunitaire touche les femmes dans
70 à 90% des cas. Elle peut causer différentes sortes de dégâts. Si les
cellules du foie sont directement attaquées, on parle d’hépatite auto-
immune. Si ce sont les cellules qui permettent l’écoulement de la bile
fabriquée par le foie, on parle de cholangite biliaire.
Il y a plusieurs années, j’avais été consulté par Céline, une femme
qui portait une grande attention à sa santé. Elle mangeait très peu de
viande, ne buvait presque pas d’alcool, n’était pas en surpoids, mais
souffrait d’une très grande fatigue inexpliquée. Ses examens de sang
ont montré quelques anomalies au niveau du foie, notamment un
excès d’anticorps, pas grand-chose, mais suffisamment pour
m’alerter: il était aisé d’en déduire que son foie était, à terme,
menacé. Une biopsie a révélé un foie qui n’était pas malade, ou très
peu. Ou plutôt, pas encore… Après avoir exclu les autres possibilités
(les atteintes par le poids, par l’alimentation, par l’alcool…), j’ai posé
le seul diagnostic pouvant expliquer son état: une maladie auto-
immune à un stade précoce.
Le traitement est simple et compliqué à la fois. Simple car il suffit
de prescrire soit un médicament qui diminue l’immunité, soit un
médicament qui protège directement le foie, comme l’acide
ursodésoxycholique dérivé de la bile d’ours. Compliqué car il faut le
prendre longtemps, ce qui peut être contraignant: si on arrête le
traitement, l’immunité peut s’emballer à nouveau et la maladie
s’aggraver. Prendre un traitement au long cours est souvent vécu
comme une contrainte, avec des risques d’effets indésirables. Mais
parfois, on n’a pas le choix. Sa maladie avait été prise à temps,
aujourd’hui Céline va bien. Elle poursuit son traitement et nous
vieillissons ensemble puisque nous continuons de nous voir
régulièrement tous les six mois.
Un autre cas, celui d’un homme cette fois, avait été un vrai casse-
tête pour moi. À soixante-deux ans, il présentait les symptômes
d’une atteinte hépatique: fatigue inhabituelle, perte d’appétit,
nausées, inconfort dans le ventre, douleurs dans les articulations et
démangeaisons. Son taux d’enzymes du foie était par ailleurs très
élevé. Il prenait quotidiennement plusieurs compléments
alimentaires sur lesquels j’ai aussitôt porté mes soupçons. Je lui ai
demandé de les arrêter; son bilan s’est aggravé. M’inquiétant, je lui
avais prescrit de la cortisone à forte dose. Ses examens s’étaient
améliorés jusqu’à ce que je commence à baisser ces doses, les
assortissant d’un nouveau traitement diminuant son immunité. Je
l’avais revu quinze jours plus tard, jaune comme un citron: le
nouveau traitement avait déclenché chez lui une
hépatite médicamenteuse se surajoutant à son hépatite visiblement
auto-immune, malgré l’absence d’anticorps dans ses analyses.
Je ne voudrais en aucun cas jouer les psychologues de comptoir,
mais de longues discussions avec lui m’ont révélé son état de stress
élevé… depuis son départ à la retraite. Il vivait dans une angoisse
permanente. En ajustant les traitements, l’état de son foie s’est
amélioré. Mais ce patient a illustré une autre piste d’hypothèse dans
le déclenchement des maladies auto-immunes. Une hypothèse
psychique, en lien direct avec le stress qui caractérise notre mode de
vie trop rapide.
Il est évident que le stress modifie notre immunité en agissant sur
les neurotransmetteurs cérébraux, sous l’effet de la libération de
glucocorticoïdes et de catécholamines comme l’adrénaline. Les
facteurs sont multiples, et scientifiquement difficiles à prouver par
des études en laboratoire! Le stress modifie aussi les fonctions de nos
globules blancs. On connaît ses effets sur les eczémas.
L’argument le plus important dont nous disposons est la
chronologie des événements. Je pense fortement que le stress peut
déclencher une maladie auto-immune. C’est en tout cas un élément
que je prends en compte dans la prise en charge globale de la
personne, au-delà du traitement de ces maladies au développement
exponentiel.
Encore une histoire vraie, celle de l’une de mes patientes qui
souffrait d’anomalies du foie et, par ailleurs, ne parvenait pas à
tomber enceinte. Pour ce qui est du foie, je soupçonnais une maladie
auto-immune. Je pensais, presque par instinct, qu’il lui fallait
d’abord «digérer» cette maladie qu’elle vivait comme une cruelle
injustice, avant de réussir à avoir un enfant. Un arrêt maladie
s’imposait: elle n’allait vraiment pas bien. Elle a pris du recul quand
elle a compris que sa maladie n’était, après tout, pas si grave. Est-ce
sa nouvelle sérénité qui a alors permis de déclencher une grossesse?
C’est mon interprétation, même si je reconnais qu’elle n’est pas très
scientifique…
Chapitre 15

La cirrhose, lit du cancer

La cirrhose est un état de cicatrisation anormal du foie, en quelque


sorte la suite logique de la fibrose non traitée. Une vieille culpabilité
judéo-chrétienne nous la fait regarder avec circonspection, nos
esprits la reliant immédiatement à une consommation excessive
d’alcool. Lors des consultations, je constate que cette consommation
reste honteuse, bien plus que celle du tabac, et nécessite d’être
toujours justifiée: fêtes de famille, repas mondains, etc. Le lieu
commun veut qu’elle témoigne d’une perte du contrôle de soi qui
conduirait à une destruction lente dont la personne qui boit est
coupable. La cirrhose apparaît donc encore, dans notre culture,
comme la sanction d’un péché.
Ce sentiment est également ancré chez de nombreux médecins.
Pendant très longtemps, on exigeait des patients atteints de cirrhose
grave nécessitant une greffe de foie, une abstinence complète de
l’alcool pendant au moins 6 mois avant d’être inscrits sur la liste
d’attente des greffes. Or, imposer ce délai était pour certains une
condamnation à mort: leur espérance de vie, tout le monde le savait,
était inférieure à 6 mois. En 2009, en Angleterre, un scandale avait
éclaté quand une greffe de foie avait été refusée à une personne
alcoolique âgée de vingt-deux ans. Elle était décédée.
Or, nous l’avons compris, une cirrhose peut avoir différentes
origines outre l’alcool: la malbouffe, le surpoids, le foie qui rouille,
une hépatite non traitée. Par ailleurs, l’épidémie de surpoids et la
généralisation de la malbouffe vont fatalement amener le nombre de
cirrhoses à augmenter dans le monde – et avec lui le nombre de
cancers du foie.
Cette maladie est grave. Dans certains cas, quand elle n’est pas
trop avancée, elle peut ne pas être accompagnée de symptômes: les
cellules du foie sont encore en nombre juste suffisant pour qu’il
accomplisse son travail de fabrication et d’épuration. Mais avec les
années, surtout si un événement supplémentaire, un virus toxique,
une trop forte consommation d’alcool ou parfois un médicament
détruisent les quelques cellules restantes, la cirrhose s’aggrave (en
médecine, on dit «se décompense») et on tombe vraiment malade.
Surchargé de graisse, envahi par les cicatrices fibreuses, le foie ne
peut plus accomplir les tâches qui sont les siennes. À commencer par
le filtrage et l’épuration. C’est alors qu’une jaunisse apparaît, signe
classique de son incapacité à sécréter puis éliminer correctement la
bile. Les urines foncent, les selles s’éclaircissent de façon anormale.
À ce stade, ses fonctions sont déjà compromises et peuvent mettre la
vie en danger. Il vaut mieux se rendre compte que son foie fatigue
bien avant d’en être là!
Le processus se poursuit. L’ammoniaque, très toxique pour nos
neurones, s’accumule: il nous rend somnolent le jour et,
paradoxalement, nous empêche de dormir la nuit. Cette inversion du
rythme nycthéméral porte, en elle-même, des conséquences néfastes
pour notre organisme. Parfois, c’est le sel qui est mal éliminé et des
œdèmes importants apparaissent – pour les éviter, il faut limiter les
apports en sel. Le foie a aussi du mal à maintenir un taux normal de
sucre dans le sang: il est incapable d’en stocker suffisamment, les
réserves s’amenuisent vite et une hypoglycémie très sévère, voire
mortelle peut survenir.
À l’université, nous avions appris ce qui était donné comme une
vérité: la cirrhose est un état irréversible. Depuis quelques années,
cette vérité est ébranlée. J’ai suivi des patients qui avaient développé
cette maladie consécutivement à une hépatite C, aujourd’hui
guérissable. Et j’ai assisté, avec eux, à ce phénomène presque
miraculeux: la mise en place spontanée d’un processus de
fibrinolyse, le tissu fibreux de la cicatrice qui donc régresse, des
cellules normales qui apparaissent et le foie qui guérit de la cirrhose.
Cependant, un réel problème se pose lorsqu’une femme enceinte
souffre d’une cirrhose. Heureusement, cette situation n’est pas
commune: la cirrhose met du temps à apparaître et la femme
enceinte, étant encore jeune, n’en souffre que très rarement. Quand
c’est le cas, les complications qui apparaissent sont liées à la
compression des vaisseaux du foie par le tissu fibreux. C’est comme
si on pliait un tuyau d’arrosage sous pression d’eau: en amont du
blocage, la pression augmente, le tuyau gonfle et, au pire, éclate.
S’agissant du foie, il va bloquer le sang et la pression dans les veines
en amont augmentera.
Dans le ventre de la mère, l’enfant induit déjà une pression sur les
veines. Pendant l’accouchement, cette pression est considérablement
augmentée par les efforts de poussée. Les veines sont alors en
surpression majeure et risquent d’exploser. Si l’une éclate,
l’hémorragie interne est assurée. C’est pourquoi, dans les cas de
cirrhose, une grossesse doit être mûrement réfléchie. La femme met
en jeu le pronostic vital de son futur bébé et le sien propre. De telles
grossesses exigent une surveillance rapprochée et un accouchement
par césarienne, provoqué souvent avant terme.
J’avais parmi mes patientes, une femme de trente-huit ans. Elle
avait développé une cirrhose et, dans son foie durci, les veines
étaient comprimées jusqu’à se boucher et lui provoquer des varices
dans l’œsophage, entraînant un risque d’hémorragie interne. Elle se
battait pour avoir un enfant, était tombée enceinte. Malgré mes
recommandations, elle avait accouché à terme par les voies
naturelles. L’enfant était mort in utero, sans doute par manque
d’oxygénation. L’année suivante, elle s’est retrouvée à nouveau
enceinte. Cette fois, l’accouchement s’est fait par césarienne, un peu
avant terme. Elle et l’enfant ont été sauvés.
Le dépistage de la cirrhose n’est pas proposé de façon systématique
comme celui du diabète ou du cancer du sein, parce qu’on ne sait pas
s’il est économiquement rentable. Il s’effectue pourtant de façon
assez précise, simple et non agressive, par une prise de sang
accompagnée de la mesure de la dureté ou de l’élasticité du foie,
l’élastométrie impulsionnelle. Une sonde posée sur la peau envoie
une petite impulsion, une sorte de petite pichenette parfaitement
indolore qui se propage dans le foie. L’appareil mesure sa vitesse de
propagation: plus le foie est dur, plus l’onde se propage rapidement.
Il permet également d’évaluer la quantité de graisse dans le foie.
Comme tous les examens, son efficacité n’est pas de 100% mais il
peut apporter des renseignements précieux. Il peut être complété, au
besoin, par une échographie, elle aussi indolore, qui permet de bien
visualiser le foie, de mesurer sa taille, de vérifier sa forme et
d’évaluer approximativement la quantité de graisse qu’il contient.
À titre personnel, je conseille cet examen aux personnes à risque:
les plus de cinquante ans qui consomment plus de deux ou trois
verres d’alcool par jour, qui sont en surpoids, ou ont une gamma-GT
et des triglycérides élevés, un diabète, ou encore un antécédent de
risque d’exposition à un virus toxique pour le foie comme le B ou le
C. Cela fait beaucoup de monde! Bien entendu, cette liste n’est pas
restrictive…
Pour l’heure, tout l’optimisme qu’on peut conserver face à une
cirrhose repose sur une pierre angulaire: l’impératif d’identifier et de
traiter ses causes. L’accroissement du nombre de cirrhoses pousse
l’industrie pharmaceutique à s’y intéresser de près et des recherches
sont en cours pour tester de nouvelles molécules à même d’induire le
processus de fibrinolyse et de dégrader ainsi la cirrhose. Au moment
où j’écris, ces tests sont menés sur des souris. S’ils sont concluants,
l’étape suivante sera le test à l’échelle humaine. Mais cela peut
prendre encore de très nombreuses années.
Mais si l’agression du foie continue, si les patients ferment les yeux
et ne veulent pas savoir, la cirrhose fera le lit du cancer primitif du
foie, le carcinome hépato-cellulaire. Toutes les cirrhoses ne
dégénèrent heureusement pas en cancers, surtout si le patient est
régulièrement suivi: ce risque est de l’ordre de 3% sur un an (il y a
donc heureusement 97% de chance qu’il ne se passe rien).
Néanmoins, les cancers du foie ont été multipliés par cinq au cours
de ces quelques dernières années…
Analysons les causes de ce cancer et les moyens de l’éviter. Alcool:
ne dépassons pas les doses maximales conseillées. Mauvaise
alimentation: évitons de manger trop sucré, trop de fructose et trop
gras, mangeons sain. Hépatite B: protégeons-nous, faisons-nous
vacciner et vaccinons nos enfants. Hépatite C: le dépistage est aisé et,
si le test est positif, le traitement est devenu tout aussi aisé.
Dépistons une surcharge éventuelle en fer. Et en cas de cirrhose, une
échographie tous les six mois s’impose pour détecter un éventuel
cancer dès ses prémices. En protégeant votre foie, vous pourrez
prévenir 90% de ses cancers.
Mais il reste 10% des cancers du foie pour lesquels on ne peut rien.
Ils sont liés à des facteurs environnementaux, à des expositions à des
solvants toxiques, à «pas de chance». Ou à l’aflatoxine, une toxine
produite par des moisissures dans des conditions chaudes et
humides, par exemple dans des pays d’Afrique ou d’Asie du Sud-Est.
Pour apparaître, cette toxine a besoin de graisses et on la trouve dans
des produits alimentaires comme les arachides, le tournesol, les
fruits à coque comme les noix, les pistaches ou les amandes. Pour ces
denrées, la Commission européenne a heureusement fixé des seuils
autorisés très bas. Le problème se pose dans les pays producteurs,
pour les personnes travaillant dans ces industries. Elles sont
également exposées à l’hépatite B et leur foie risque vraiment de
souffrir.
Toujours parmi ces 10%, on trouve les populations de pays d’Asie
du Sud-Est, comme la Thaïlande, qui sont friandes d’un plat
traditionnel à base de poisson cru, le Koi Pla. Évitez-le: le poisson
utilisé peut être infecté par un parasite à l’origine d’un cancer du foie.
Il s’agit dans ces pays d’un tel problème de santé publique que des
dépistages systématiques par échographie sont proposés à la
population.
Ceci dit, même au stade d’un cancer, il faut garder espoir puisque
le foie est un organe qui a la prodigieuse capacité de se régénérer.
Quand la tumeur est opérée, donc quand la partie cancéreuse du foie
est ôtée, la partie saine reprend le dessus et le foie se reconstitue.
Dans les cas extrêmes, cancers importants, hépatites aiguës graves
ou cirrhoses très avancées, lorsque le foie finit par s’atrophier par
manque de cellules, on opte pour une greffe, y compris en recourant
au don intrafamilial. En effet, grâce aux capacités de régénération de
cet organe, le donneur qui cédera un morceau de son foie verra la
partie restante reconstituer à terme un foie entier. Et le receveur
aura droit à un nouveau foie en parfaite santé. Les phénomènes de
rejet sont beaucoup plus rares que dans les cas de greffes d’autres
organes. Très tolérant, le foie a l’habitude des étrangers: nos
aliments qui lui parviennent quotidiennement, qu’il transforme et
redistribue.
Des recherches s’orientent par ailleurs vers la fabrication d’un foie
artificiel transitoire qui pourrait servir… le temps que le foie malade
régénère. Ou dans l’attente de la disponibilité d’un greffon.
Un autre type de recherche concerne la possibilité de greffer un
foie d’origine animale aux humains. C’est à l’heure actuelle
impossible car le foie animal est immédiatement rejeté par notre
organisme. Néanmoins, on peut imaginer, en modifiant les gènes
d’un animal, de rendre son foie compatible.
En matière de foie, tous les espoirs sont permis.
Chapitre 16

Nous sommes tous inégaux

Parmi mes patients, nombreux sont ceux qui consomment très


régulièrement de l’alcool, certains ont même des problèmes
d’alcoolisme, mais tous ne développent pas une atteinte du foie. Et ce
ne sont pas forcément les personnes qui consomment le plus d’alcool
qui sont les plus malades. J’en ai même connu plusieurs qui, atteints
d’une cirrhose alcoolique, me disent qu’ils n’ont pas consommé plus
d’alcool que leur voisin qui va bien. Et je les crois volontiers.
Il en va de même avec l’alimentation: à nourriture égale, nous ne
grossissons pas tous de la même façon, nous ne maigrissons pas
tous, avec un régime alimentaire restrictif, de la même façon,
autrement dit nous ne métabolisons pas la nourriture, donc nous
n’extrayons pas son énergie, de la même façon. Et nous ne sommes
pas tous victimes de la «maladie du soda», même si nous nous
nourrissons aussi mal que le voisin.
Pourquoi n’est-on pas pareil?

L’empilement d’interactions
La première raison en est les différentes interactions que nous
subissons. Ainsi, le surpoids est un facteur d’inégalité face à l’alcool:
à consommation égale, deux verres par jour et ils sont vite
consommés, une personne enveloppée risque de voir beaucoup plus
vite l’état de son foie s’aggraver. Avec un bémol: il existe
heureusement des consommateurs réguliers d’alcool en surpoids qui
vont très bien.
Le stress, on l’a vu, n’est pas négligeable. Or c’est un facteur en très
nette croissance dans nos sociétés qui vont de plus en plus vite et
cultivent le culte de la performance. Stress + malbouffe + alcool
risquent fort, par leurs effets conjugués, de venir à bout du
malheureux foie, aussi héroïque soit-il.
L’interaction avec les médicaments est également à prendre en
compte. Même les plus anodins! Un patient m’avait ainsi consulté
pour une hépatite d’origine inconnue – les examens avaient montré
qu’elle n’était pas virale. Le niveau de ses enzymes du foie était très
élevé, proche de 1000 pour une normale à 40. Il avait été hospitalisé
quelques jours avant que tout ne rentre dans l’ordre… aussi
brutalement que sa maladie s’était déclarée. Intrigué, je l’avais
longuement interrogé. Il n’était pas un buveur d’alcool régulier, mais
il avait récemment fait la fête et en avait consommé une grande
quantité: un véritable binge drinking, deux jours de suite. Il en était
ressorti avec un mal de tête et, pour le soulager, avait pris pendant
quelques jours du Doliprane® (paracétamol) à une dose normale.
Le paracétamol est en vente libre et largement utilisé pour faire
baisser la fièvre ou diminuer les petites douleurs, y compris chez les
enfants. Or, comme tout ce qu’on avale, il passe par le foie. À doses
habituelles, il ne pose généralement aucun problème. Cependant, le
foie utilise un même peptide détoxifiant, le glutathion, pour traiter
l’alcool et le paracétamol. Leur excès simultané dans le foie de mon
patient lui a été impossible à gérer: ses stocks de glutathion se sont
épuisés… et il a été victime d’une hépatite médicamenteuse. C’est ce
qu’on appelle encore, à l’hôpital, la mésaventure au paracétamol…
Certains pensent également, comme moi, que le paracétamol
pourrait devenir un poison et être plus toxique en tuant les cellules
quand on a une atteinte hépatique liée au surpoids, entraînant une
carence en glutathion.

Le terrain génétique
On attribue communément nos inégalités en matière de santé au
terrain génétique. Mais en matière de sensibilité à l’alcool et à la
malbouffe, on sait aujourd’hui qu’il y a très peu de gènes qui
interviennent.
Il y a évidemment des exceptions, notamment celle qui touche
certains Japonais porteurs d’une anomalie génétique transmissible
de génération en génération: le syndrome «flush». On ne trouve pas,
chez eux, l’enzyme qui permet de fabriquer du vinaigre à partir du
dérivé toxique de l’alcool, l’aldéhyde. L’aldéhyde toxique s’accumule
donc dans leur organisme, rapidement et en grande quantité. Dès
qu’ils consomment de l’alcool, ils deviennent tout rouges et se
mettent à transpirer, leur cœur s’accélère et ils ont mal à la tête. Les
personnes atteintes de cette anomalie doivent y voir une chance:
elles sont tellement malades après un ou deux verres d’alcool qu’elles
n’ont aucun risque d’en consommer régulièrement, et encore moins
en grande quantité!
Par ailleurs, une étude étonnante a été menée par l’équipe du
professeur Karen Karajan Ryan, à Cincinnati, aux États-Unis, sur des
souris auxquelles on a fait subir une gastrectomie – une opération de
réduction de l’estomac telle qu’elle est pratiquée chez les personnes
obèses pour induire une perte de poids. Un premier groupe de souris
avait été génétiquement modifié: on les avait privées du gène FXR
qui joue un rôle dans le métabolisme (la réabsorption) des acides
biliaires produits par le foie. Contrairement aux souris d’un
deuxième groupe, qui disposaient de ce gène et ont maigri après
l’opération, celles du premier groupe ont continué, malgré
l’opération, à prendre du poids.

Le microbiote
Le microbiote intestinal, encore appelé la flore intestinale,
représente l’ensemble des micro-organismes, des bactéries, appelés
plus généralement des microbes, que nous hébergeons dans notre
système digestif. Ces êtres vivants minuscules, faits d’une seule
cellule, sont si nombreux, cent mille milliards, qu’ils représentent
1,5 kg de notre poids (ils pèsent aussi lourd que le foie). Ils vivent en
parfaite symbiose avec nous, interagissent avec notre foie, notre
cerveau, avec l’ensemble de notre organisme et ont même une
influence sur notre comportement. Ils nous maintiennent en bonne
santé, nous aident à digérer et favorisent une bonne immunité.
Ils sont aussi capables de transformer certains produits toxiques
que nous absorbons pour les rendre inoffensifs. Ils fabriquent
également de nombreux composants qui leur permettent de
communiquer avec notre cerveau. Si on dit souvent que notre ventre
est notre deuxième cerveau, c’est grâce à sa flore intestinale!
J’ai la chance de diriger une équipe de recherches à l’Inserm au
sein de laquelle des études au long cours sont lancées. Certaines
concernent très précisément les interactions entre notre foie et notre
microbiote.
Au milieu des années 2000, nous avions ainsi mené la première
étude française sur le microbiote dans sa relation avec l’alcool. Mon
travail parallèle en milieu hospitalier m’avait autorisé quelques
originalités. Je me souviens ainsi des kilomètres que j’avais
parcourus, rue des Carnets, à Clamart, entre mon service et mon
équipe de recherches, avec des sachets où je récupérais les selles de
patients hospitalisés dont on savait qu’ils étaient consommateurs
d’alcool. Mes déambulations intriguaient tout le monde: dans le
secteur concurrentiel de la recherche, où le secret est de mise, je ne
pouvais évidemment pas expliquer ce qui semblait, vu de l’extérieur,
être une étrange lubie. Mais je savais que j’étais sur une bonne piste
et je tenais à aller jusqu’au bout de l’étude qui a été longue, souvent
frustrante parce qu’il faut attendre les résultats, les confirmer, les
étudier encore avant de parvenir à une preuve scientifique.
Nous avions réparti les selles en trois groupes: celles appartenant à
des patients alcooliques dont le foie était en bon état de marche,
celles dont les «propriétaires» avaient une légère atteinte du foie, et
enfin celles provenant de patients ayant le foie très abîmé par
l’alcool.
Dans cette première phase de l’étude, la corrélation entre l’atteinte
hépatique et la présence de certaines bactéries dans le tube digestif
est apparue flagrante. Mais était-ce l’atteinte du foie qui avait
modifié les bactéries, ou bien certaines bactéries avaient-elles
agressé le foie, ou bien les deux à la fois?
Pour la deuxième phase de l’étude, nous avons pris les bactéries
incriminées et les avons transférées à des souris élevées en milieu
stérile, qui n’avaient donc jamais été en contact avec des bactéries.
On appelle ce procédé «l’humanisation des souris». Un groupe de
souris a reçu les bactéries des patients qui avaient un foie très atteint
et l’autre groupe, les bactéries de ceux dont le foie allait parfaitement
bien. Nous leur avons fait à toutes boire de l’alcool, et les résultats
étaient incroyables: les souris auxquelles avaient été inoculées les
bactéries des buveurs d’alcool malades du foie sont tombées malades
du foie. Celles qui avaient reçu les bactéries des buveurs d’alcool au
foie sain sont restées saines. Autrement dit, la sensibilité du foie à
l’alcool a été transmise non par des gènes, mais par la présence d’un
certain type de bactéries dans le système digestif.
Il est par ailleurs presque certain que les bactéries digestives
produisent des composés, protecteurs ou délétères, qui passent
directement dans le foie. Avec une même quantité consommée, un
nombre de verres équivalent, un type d’alcool identique, une
personne restera en parfaite santé alors qu’une autre développera
une maladie grave, voire mortelle, du foie. Ce n’est pas seulement la
quantité qui compte. Il y a aussi la façon dont le foie et les bactéries
gèrent cette quantité, et c’est un facteur d’inégalité.
Les effets du microbiote ne concernent pas uniquement l’alcool. En
2014, une étude merveilleuse d’une équipe israélienne du Weizmann
Institute a été consacrée à l’effet des édulcorants sur le diabète… par
l’intermédiaire de ce microbiote. Pendant cinq semaines, des souris
ont reçu de fortes doses d’édulcorants qui ont effectivement modifié
leurs bactéries digestives. Elles sont devenues diabétiques. Les selles
de ces souris, renfermant donc le microbiote modifié, ont été
récupérées et transférées à d’autres souris qui n’avaient pas pris
d’édulcorants: elles sont devenues diabétiques à leur tour. Une étude
parallèle a été menée chez les êtres humains: cinq hommes et deux
femmes ont reçu, pendant une semaine, de la saccharine à forte dose.
Ces sept jours ont suffi pour que quatre d’entre eux développent une
résistance, heureusement provisoire, à l’insuline.
On peut également supposer que le surpoids est affaire de la
présence, dans notre système digestif, d’une population moins
diversifiée de bactéries. Globalement, plus on est nombreux, plus on
s’amuse, plus ça marche!
Le microbiote jouerait aussi un rôle dans notre comportement: il
nous pousse à boire! L’addiction est une envie irrépressible et
répétée de consommer un produit et, malgré tous les efforts, on
n’arrive pas à s’y soustraire. Celle qui nous intéresse ici est liée à
l’alcool mais il peut aussi s’agir de tabac, d’héroïne, d’une addiction
aux jeux, etc. On sait que tout sevrage à une addiction est compliqué.
Volonté défaillante? En réalité, des études récentes ont montré que
nos bactéries intestinales sont impliquées dans les comportements
addictifs. Certaines pourraient aider au sevrage en fabriquant des
produits qui modifient les circuits neurologiques: là encore, notre
tube digestif devient notre second cerveau…
Je me dois de citer l’étude de l’équipe belge d’Isabelle A. Leclercq
et Patrice D. Cani. Des personnes ayant une addiction à l’alcool ont
été séparées en deux groupes, en fonction de leur score d’addiction
(l’envie de se diriger vers une bouteille d’alcool, l’anxiété liée à
l’alcool…). Ces scores dits de gravité de l’alcoolisme ont été corrélés à
la perméabilité intestinale: plus l’intestin est anormalement
perméable à certaines toxines et bactéries, moins il sélectionne ce qui
va passer à travers la veine porte jusqu’au foie. Pris de court, ce
dernier ne réussit pas à filtrer toutes les toxines qui lui parviennent.
Les scores de gravité ont également été corrélés à la présence de
certaines bactéries dans le tube digestif.
Peut-être qu’en ciblant cette barrière et nos bactéries intestinales,
on arriverait à limiter le risque de récidive d’alcoolisme chez les
personnes qui ont arrêté l’alcool. On peut anticiper que les
addictions à l’alcool, au sucre, au sexe, au tabac, ont toutes, plus ou
moins, les mêmes mécanismes physiologiques.
Le foie, un peu comme un troisième cerveau, participe à ce
phénomène addictif. De même qu’il envoie des protéines au cerveau
pour lui dire qu’il a assez de sucre ou, au contraire, qu’il en veut
encore, il est probable qu’il tienne un rôle dans les autres addictions.
Nous sommes là à la limite des connaissances scientifiques actuelles,
mais il me semble quasi certain que ce rôle sera un jour étudié plus
en profondeur et que nous aurons les moyens de le démontrer. On
sait déjà que les acides aminés de certaines protéines du foie jouent
un rôle sur les neurotransmetteurs qui interviennent sur nos
humeurs. Et donc sur nos addictions. Ce sont des sujets sur lesquels
mon équipe travaille actuellement.
Des perspectives thérapeutiques gigantesques s’ouvrent ainsi
devant nous. Elles aboutiront sans doute dans quelques années, mais
les recherches restent pour l’heure balbutiantes. Celles qui existent
se font actuellement sur des souris, mais il restera évidemment à
transposer ces résultats sur des humains. Car, comme j’ai souvent
coutume de le répéter, nous ne sommes pas que des grosses souris et
nous ne savons pas encore comment notre organisme, bien plus
complexe, réagirait.
IV
Quelle médecine
pour sauver son foie?
Chapitre 17

La médecine et ses alternatives

Pour protéger son foie, doit-on privilégier la médecine académique


conventionnelle ou une médecine alternative?
Je l’ai dit, la plupart des patients que je reçois pour des atteintes
hépatiques ressortent de ma consultation sans médicaments, mais
avec des conseils diététiques qui démontrent effectivement leurs
résultats sur l’état de leur foie. Est-ce qu’en privilégiant, dans leur
cas, l’hygiène de vie aux molécules, je pratique une médecine
alternative?
J’appartiens à la médecine dite académique, celle qui est enseignée
à l’université. Plus jeune, je ne dérogeais pas aux méthodes
scientifiques auxquelles j’avais été formé. Je n’avais pas de raisons de
m’écarter de cette médecine qui, depuis un siècle environ, a réalisé
d’immenses progrès dans tous les domaines, y compris celui de
l’hépatologie. La découverte de l’insuline a permis de traiter les
enfants diabétiques qui n’avaient auparavant aucun espoir de survie.
Les antibiotiques, les antiviraux, les médicaments pour le cœur et
ceux qui diminuent l’excès de cholestérol ont sauvé des millions de
vies. Nous avons tous, dans nos familles ou dans nos connaissances,
des personnes bien vivantes grâce à cette médecine-là. Je recours
d’ailleurs volontiers à tout ce que nous offrent ses prouesses et ses
innovations. Sans ses molécules, je ne l’oublie pas, je verrais encore
mes malades mourir d’une hépatite C. Je reste un tenant de cette
médecine.
Dans ma spécialité, je me heurte cependant à quelques écueils.
L’un d’eux, je l’ai également dit, est l’absence de médicaments pour
traiter un certain nombre de pathologies du foie.
En théorie, tout médicament, tout produit commercialisé comme
traitement en médecine a formellement démontré son efficacité au
terme d’une procédure très longue (elle peut durer des années) et
très coûteuse, appuyée sur des études réitérées de très haut niveau
scientifique et publiées dans des revues où elles doivent, au
préalable, passer le test de la validation par des pairs – par d’autres
équipes de chercheurs. On parle de médecine fondée sur les preuves.
L’absence de toxicité majeure a également dû être prouvée.
Pour ce qui est du foie, cette médecine-là impliquerait, à un certain
moment, de former deux groupes de personnes risquant une maladie
grave comme une cirrhose – laquelle peut mettre une vingtaine
d’années pour se déclarer. Le premier groupe serait soigné par ce
nouveau médicament pouvant protéger le foie de la cirrhose, le
second par un placebo, c’est-à-dire un comprimé inactif. Ensuite, il
faudrait les suivre pendant des années avec les problèmes
susceptibles d’intervenir: arrêt des médicaments par ras-le-bol,
déménagements, décès dus à d’autres causes, etc. En perdant de vue
plusieurs participants, on rendrait l’étude ininterprétable. De plus,
sur des périodes si longues, des paramètres risquent de se modifier,
comme le régime alimentaire. Tous ces à-côtés peuvent interférer sur
l’évaluation de l’efficacité d’un traitement quel qu’il soit. Ce sont les
limites de la médecine fondées sur les preuves pour le foie: il est
difficile, vu le temps que prend une maladie à évoluer, d’établir la
preuve absolue qu’un nouveau médicament est efficace.
Parfois, il est possible d’étudier des voies plus facilement
contrôlables. C’est le cas quand un virus est en cause – on étudie sa
destruction, comme lors de la découverte d’une nouvelle molécule
efficace contre l’hépatite C. On suppose, à juste titre, que
l’élimination du virus empêchera l’évolution vers une cirrhose. Mais
en toute rigueur scientifique, ce n’est pas démontré!
J’ai été d’abord démuni face aux questions de mes patients quand
ils me demandaient si, en plus de la diète recommandée, il ne leur
serait pas utile de prendre de l’artichaut, du radis noir ou une autre
substance naturelle réputée à vertus thérapeutiques. Je ne savais pas
si j’étais pour ou contre: cela, on ne nous l’apprend pas à l’université.
Et c’est là où je me rends compte de l’intérêt de l’expérience…
J’étais perplexe et je le reste. En tout cas moins catégorique que
lorsqu’il s’agit d’administrer une molécule reconnue. Car,
contrairement à la médecine académique, les médecines dites
«alternatives» ou «naturelles» ne sont pas fondées sur les preuves.
Attention, cela ne signifie pas qu’elles sont inefficaces ou inutiles,
mais uniquement que leur efficacité n’est pas scientifiquement
démontrée.
Ces médecines alternatives n’utilisent pas de médicaments mais
proposent, en revanche, des «compléments alimentaires» d’origine
naturelle, vitamines, minéraux, plantes, substances chimiques ou
ingrédients traditionnels dont l’usage doit être autorisé en
alimentation humaine. Ils peuvent effectivement avoir, pour
certains, des propriétés intéressantes, antioxydantes ou anti-
inflammatoires. Ces propriétés ont parfois été démontrées dans des
cellules en culture ou chez des souris de laboratoire. On extrapole
alors que leur efficacité pourrait logiquement exister chez les
humains – auprès desquels les tests sont plus rares, d’abord en
raison de leur coût, des difficultés de financement et, on l’a vu, des
difficultés pour évaluer leur réelle efficacité.
Les études qui existent sont essentiellement chinoises ou
indiennes, elles ne suivent pas forcément le protocole occidental,
elles ne sont pas publiées dans les revues médicales où chaque texte
est soumis à des analyses pointues. J’admets que, d’une certaine
manière, les chercheurs asiatiques sont plus à l’aise que nous pour
consacrer des études à des plantes qui font partie de leurs propres
médecines traditionnelles, chinoise ou ayurvédique. Ils ont par
ailleurs moins de barrières législatives qu’en Occident, en particulier
en Europe. Et ils disposent désormais de technologies de pointe. Il
est donc tout à fait possible que de nouveaux savoirs émergent au
sein de leurs laboratoires dans les prochaines années.
D’ailleurs, depuis 1978, l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
reconnaît le rôle et l’importance des plantes médicinales dont elle
souhaite promouvoir «une utilisation appropriée» – pour laquelle
elle a lancé un inventaire répertoriant non seulement les plantes les
plus efficaces, mais aussi leur mode d’action et leur posologie. L’OMS
souhaite également assurer la qualité des produits à base de plantes
en utilisant les standards d’hygiène reconnus.
L’amalgame est souvent fait entre une origine naturelle et un effet
forcément bénéfique sur l’organisme, ce qui est parfaitement faux.
Beaucoup, parmi ces produits, contiennent des actifs, parfois
introduits dans les médicaments de la médecine classique. Par
définition, un actif est à manipuler avec prudence. Certains ont, à
l’évidence, des effets bénéfiques, mais d’autres sont très toxiques, en
particulier pour le foie. De plus, parmi les produits bénéfiques,
certains deviennent toxiques s’ils sont pris en trop grande quantité:
en abuser peut s’avérer très dangereux.
Les exemples abondent. La metformine, dérivée du Galéga
officinal, est très utilisée dans le diabète en cas de surpoids;
cependant, trop toxique et pas assez efficace, la molécule d’origine a
été modifiée artificiellement pour aboutir au succès du médicament
que l’on connaît. La digitaline, extraite des fleurs de digitale que l’on
trouve dans les montagnes françaises, a permis de résoudre bien des
problèmes cardiaques, mais son usage est complexe: les doses de
traitement sont proches des doses toxiques et mortelles. Le taxol,
célèbre anti-cancéreux, est dérivé de l’écorce d’if du Pacifique, mais,
lorsque l’on dépasse la dose recommandée, d’importants effets
indésirables peuvent se déclarer au niveau des cellules sanguines ou
du tube digestif.
Il en va de même pour ce qui est des plantes à l’état naturel: elles
ont des effets, certains positifs et d’autres négatifs – même si les
quantités qu’il faut consommer dépassent largement leur utilisation
courante. On sait par exemple qu’il vaut mieux éviter l’association
entre la prise de pilule et des décoctions de certaines plantes utilisées
en tisane (rhododendron) ou encore avec les racines
d’harpagophytum encore appelées griffe du diable, prescrites pour
les problèmes d’articulation. Ou que les fonctions d’épuration du foie
peuvent, toujours en association avec la pilule, être inhibées par la
Fallopia multiflora ou renouée à fleurs multiples utilisée en
médecine traditionnelle chinoise pour lutter contre le vieillissement;
par la «grande camomille» qu’on utilise pour les migraines, les
douleurs du tube digestif ou l’anxiété; par les racines de kava-kava
anti-anxiété; par les huiles essentielles de menthe poivrée et
d’eucalyptus globulus. Le trèfle rouge pourrait aussi avoir ce type
d’effets mais, comme il est utilisé pour traiter les troubles de la
ménopause car contenant des œstrogènes, il n’est jamais associé à
une contraception.
Les compléments alimentaires en vente libre, sont, eux, soumis à
une législation particulière: ils ne doivent pas avoir démontré d’effet
sur la santé comme un médicament. Ils sont néanmoins présentés
sous forme de gélules, de pastilles, de comprimés ou sous forme
liquide comme les médicaments. Ils n’ont en théorie pas d’action
thérapeutique et n’ont pas vocation à guérir une maladie ou même,
en toute rigueur, à la prévenir. Leur rôle est de compléter une
alimentation «normale» dans laquelle ils constituent une source
concentrée de nutriments ou de substances ayant un effet
nutritionnel ou physiologique.
Cependant, certains d’entre eux comportent des allégations santé
parfois fondées sur des études scientifiques et évaluées par l’Autorité
européenne de sécurité des aliments. Mais elles posent problème: les
effets décrits dans des cellules ou des animaux de laboratoire sont-ils
extrapolables au foie humain? Si oui, dans quelles circonstances est-
il intéressant de les utiliser? Et pendant combien de temps?
De plus, vu la complexité du corps humain, un complément
alimentaire, s’il est vraiment efficace, peut être à l’origine d’effets
indésirables qu’il importe également de connaître.
Alors, depuis des années, je fréquente, sur Internet, la National
Library of Medicine où se trouvent toutes les études scientifiques et
médicales publiées sur toutes sortes de sujets. J’ai rassemblé ma
propre bibliographie et j’ai compris qu’il me fallait sortir de
l’intransigeance et des lieux communs pour m’ouvrir aussi à autre
chose.
Le raisonnement binaire mis en avant par les tenants de l’une ou
de l’autre forme de médecine, à savoir le «ça marche» ou «ça ne
marche pas», a montré ses limites.
J’en donne un exemple: le curcuma. Il existe un réel rationnel
scientifique sur des cellules en culture pour prouver que «ça
marche»: saupoudrées de curcuma, les cellules malades vont,
effectivement, moins mourir. Cependant, nous ne sommes pas une
boîte de culture. Quand nous mangeons du curcuma, la complexité
de notre organisme suscite bien des questions: à quelle dose sera-t-il
absorbé dans le tube digestif? Quelles quantités le seront? Comment
réagira le foie? C’est toute une aventure qui se déroule mais, si on me
demande de la raconter, j’ai l’honnêteté de répondre: «Je ne sais pas
mais je pense que…» ou «je ne suis pas sûr mais je pense que…»
C’est aussi ce que je dis à mes patients, en leur confirmant que les
résultats sont prouvés sur des cellules en culture, sur des souris, mais
pas encore sur des humains, et je n’ai pas honte d’ajouter que je n’ai
rien d’autre à leur proposer, donc «pourquoi pas». Récemment, l’une
de mes patientes qui prenaient des extraits de radis et d’artichaut et
avait par ailleurs perdu trois kilos, m’a présenté ses analyses de sang.
Son taux d’enzymes s’était amélioré. Était-ce la conséquence des
compléments alimentaires, des kilos perdus, de son hygiène de vie
qui s’est forcément améliorée, des trois facteurs cumulés? Je ne
saurais le dire. J’ai le souvenir d’une autre patiente qui prenait des
gélules de curcuma. Là aussi, l’état de son foie s’était amélioré. Est-ce
le seul curcuma qui a agi? A-t-il été le «petit moyen»
supplémentaire? Ou n’a-t-il eu qu’un rôle «placebo» pour la pousser
à prendre soin d’elle-même?
J’admets que j’ai encore du mal à prescrire ces traitements
alternatifs: je suis un scientifique, et leur niveau de preuves chez
l’humain reste faible sinon nul. Par ailleurs, nous ne savons pas
encore expliquer précisément sur le plan scientifique comment ils
agissent, ni à quelle dose ou avec quelles synergies. J’ai quand même
conseillé à mes deux patientes de poursuivre leurs prises de
compléments qui, au moins, n’avaient pas montré d’effets négatifs.
Chapitre 18

Les antioxydants naturels,


un recours pour le foie

Mes patients d’aujourd’hui ne sont pas ceux que j’ai connus à mes
débuts. Grâce à Internet, ils sont, si ce n’est mieux informés, en tout
cas informés de leur maladie, de son pronostic, de ses traitements et
surtout des traitements alternatifs proposés.
Les plus courageux me demandent s’ils peuvent recourir à un
complément alimentaire pour protéger leur foie – j’imagine que
certains en prennent sans me le demander. S’attendent-ils à une
levée de boucliers de ma part? Je suis pourtant d’autant moins
opposé à ces compléments, pris dans les limites du raisonnable, que
les ressources thérapeutiques classiques sont minimes dans ma
spécialité.
Les antioxydants pourraient être intéressants dans de nombreux
cas d’inflammations hépatiques, en particulier quand elles sont liées
au surpoids avec un risque de stress oxydant ou en cas de
consommation d’alcool un peu excessive. Ils ont peut-être un effet
protecteur à condition de les prendre assez tôt, lorsque l’atteinte du
foie n’est pas trop avancée, et en cure de plusieurs semaines ou mois.
Ceci dit, en aucun cas ils ne doivent être pris en remplacement d’un
médicament qui a fait la preuve de son efficacité: ils sont, comme
leur nom l’indique, des compléments.
Par contre, dans certains cas, je les déconseille formellement, en
particulier quand l’atteinte du foie est trop sévère et dans le cas de
cancers: ils risquent alors d’être délétères et pourraient
paradoxalement aggraver l’atteinte, voire inhiber les traitements
anti-cancéreux s’ils sont mis en place.
En effet, un antioxydant peut ralentir le vieillissement d’une
cellule. Mais la cellule est programmée pour mourir. Mettez-vous à la
place d’une cellule du foie. Vous êtes en pleine forme, vous travaillez
bien. À un moment donné de votre vie, vous vieillissez, vous fatiguez,
vous êtes donc moins efficace. Or, vous vivez en société, avec toutes
les autres cellules du foie. Votre baisse d’efficacité ralentit les autres
puisqu’en plus de leur propre travail, elles doivent assurer l’excédent
de votre travail que vous n’avez pas pu mener à bien. Ce qui se
produit naturellement dans notre foie n’est pas très moral: les
cellules qui vieillissent se suicident et disparaissent pour protéger le
fonctionnement de l’organe dans son ensemble. Les antioxydants
risquent, eux, de prolonger artificiellement la vie de ces cellules
fatiguées. Or, quand le foie est très atteint, trop de cellules sont
fatiguées et handicapent le travail des plus jeunes. Il vaut mieux les
laisser mourir. D’autre part, en restant artificiellement en vie, la
cellule vieillissante risque de se transformer en cellule immortelle…
mais cancéreuse.
Pour tous les autres cas, je ne saurais proposer un antioxydant
plutôt qu’un autre: il n’existe aucune étude permettant de les
comparer. On sait que leur consommation diminue légèrement
l’inflammation du foie (on le constate par les résultats des taux
d’enzymes dans les analyses de sang), mais leur mécanisme d’action
n’a pas encore été identifié.
Les antioxydants les plus connus sont les polyphénols, très
présents dans le monde végétal: ce sont des molécules dites
aromatiques qui donnent leur goût, leur arôme et leur couleur aux
aliments. Leur famille inclut les tanins du thé et du vin, en particulier
rouge, ainsi que les flavones présentes dans le café, le thé, le soja, les
pommes, le pamplemousse ou les fruits rouges qui lui doivent leur
couleur. On en trouve également dans les épinards, les brocolis,
l’artichaut, le radis, l’ail et l’oignon. Ils ont des pouvoirs antioxydants
et anti-inflammatoires.
Une autre catégorie d’antioxydants est constituée des phytostérols,
présents dans toutes les plantes. Ils sont, en quelque sorte, le
cholestérol du monde végétal et sont particulièrement concentrés
dans les huiles végétales, les noix, les noisettes, les amandes et le
curcumin, l’actif du curcuma. Leur particularité, lorsqu’on les
consomme? Entrer en compétition avec le cholestérol, diminuer les
taux du mauvais cholestérol et freiner ses effets délétères.
Les aliments qui ont la réputation de protéger le foie tirent leur
efficacité des antioxydants qu’ils contiennent. J’en ai retenu certains
qui me semblent particulièrement intéressants. Pour autant, ne vous
amusez pas à aller les cueillir dans les champs! Comme on ne peut
pas manger tous les jours plusieurs kilos de radis ou d’artichauts, on
optera pour les préparations vendues dans les magasins spécialisés
en diététique, les grandes surfaces et les magasins bio. Elles peuvent
associer plusieurs composants et les actifs sont proposés à plus forte
dose.
Je vous invite tout de même à la prudence quant à la provenance et
à la pureté des compléments alimentaires vendus sur Internet.
Le curcuma
Le curcuma est une plante qu’on trouve beaucoup en Inde. Le
curcumin, nom du pigment extrait de cette plante, est utilisé de très
longue date par les médecines indienne et chinoise et il l’a été, en
Europe, dès le xve siècle. Lorsqu’il est pur, de bonne qualité, le
curcumin a des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes. Il
pourrait prévenir le processus de cicatrisation fibreuse du foie et
empêcher ses cellules de se gorger de graisse, mais aussi diminuer le
taux des triglycérides et du cholestérol dans le sang – ce qui protège
le foie. Il serait ainsi utile en cas d’atteinte hépatique liée au surpoids
ou à l’alcool.
C’est du moins ce qui est advenu chez des souris de laboratoire,
dans le cadre d’une étude qui remonte à plus de dix ans. Elles avaient
été réparties en deux groupes soumis à un même régime alimentaire
déséquilibré, dans le but de créer un foie gras. Du curcumin avait été
rajouté aux rations des souris du premier groupe: elles ont moins
souffert d’atteintes hépatiques que celles du second groupe. La piste
est intéressante, mais les bémols sont nombreux. D’une part, cette
étude n’a jamais été renouvelée comme c’est habituellement le cas
pour les recherches scientifiques. Par ailleurs, elle manquait de
rigueur: par exemple, elle n’avait pas inclus un dosage du curcumin
dans le sang des souris. Il est dommage que les études
internationales ne se penchent pas sur ce sujet, considéré mineur
pour une raison très matérielle: je ne connais pas de laboratoires qui
réaliseraient des investissements pour des études sur le curcumin,
sans perspective de retour sur les frais!
L’autre problème du curcumin est sa très mauvaise absorption: 1%
seulement de la dose prise est retrouvée dans l’organisme. Un
pourcentage toutefois amplifié quand il est associé à la pipérine, un
dérivé du poivre noir: sa destruction par le foie est alors réduite, ce
qui permet d’augmenter son effet.
Mais, comme toujours, il y a un côté obscur: le curcumin doit être
pris à fortes doses pour être détectable dans le sang. Or, à ces doses,
il est possible que le produit, qui n’est jamais pur à 100%, contienne
des dérivés toxiques pour le foie.

Le radis
Cette racine est depuis longtemps utilisée pour ses propriétés
digestives: elle est considérée comme laxative, stimulante et pouvant
soulager les douleurs de l’estomac. Riche en flavones et en
antioxydants, le radis, en particulier noir, aurait selon certaines
études, des propriétés anti-inflammatoires, antimicrobiennes et anti-
tumorales. Il protégerait la membrane des cellules en cas de régime
trop gras.
Une étude menée en 2015 par une équipe chinoise de Pékin a
consisté à donner un extrait spécifique de radis blanc asiatique à des
rats mis en régime alimentaire de type occidental – la malbouffe
dans une version enrichie en graisse. Ces extraits ont permis, dit
l’étude, de diminuer la graisse dans le foie, d’améliorer (un peu) le
taux d’enzymes du foie et de réduire (un peu aussi) les effets du
stress oxydant.
Consommé nature ou sous forme de compléments alimentaires, le
radis serait un bon rempart contre les toxiques qui nous agressent.

L’artichaut et le Chardon-Marie
L’artichaut est un chardon bien domestiqué et cultivé – auquel les
Grecs et les Romains attribuaient une grande valeur. Le Chardon-
Marie, lui, pousse dans les sols secs et ensoleillés, principalement
autour de la mer Méditerranée. Comme l’artichaut, les Grecs
l’utilisaient pour traiter les problèmes de foie. Pline l’Ancien
recommandait de boire le jus de la plante mélangé à du miel pour
«éliminer les excès de bile».
Le Chardon-Marie, et dans une moindre mesure l’artichaut,
contiennent des substances intéressantes pour protéger le foie,
comme les flavones, dont la silymarine (constituée de trois flavones
particulièrement antioxydantes). En théorie, la silymarine pourrait
avoir une action positive dans les atteintes du foie liées à l’alcool et
au surpoids, et peut-être en cas d’infection liée à un virus, mais son
efficacité est néanmoins limitée: après avoir été ingérée, elle reste en
majorité prisonnière du tube digestif, sans parvenir à franchir la
barrière intestinale pour être correctement absorbée.
Des travaux sur des cellules en culture, et moins sur des modèles
animaux, ont montré les propriétés anti-cancéreuses et anti-
fibrosantes de ces deux chardons et leur capacité à limiter le stress
oxydant, protégeant ainsi les cellules du foie. Je pense en particulier
à une étude menée par des chercheurs de Xiamen, en Chine, qui ont
donné pendant dix jours à des souris de l’alcool associé à des extraits
de feuilles d’artichaut. Par rapport à un groupe témoin, l’étude a
effectivement montré une réduction de certains marqueurs du stress
oxydant de 20 à 75% (selon les marqueurs), ainsi qu’une réduction
de 25% du taux des enzymes du foie. Là encore, ce sont des données
préliminaires qui sont intéressantes, mais l’étude reste critiquable
sur plusieurs points. D’abord elle n’a pas été reproduite alors que,
par définition, la science est reproductible. Elle n’a pas été testée
avec d’autres doses d’alcool, et c’est d’autant plus dommage que la
piste est prometteuse et laisse imaginer des possibilités dans le cadre
de la recherche de nouveaux médicaments.

Le ginseng
La variété la plus interpellante pour le foie semble être le Panax
ginseng d’origine asiatique, car il contient plus de substances actives.
Il a des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes qui
pourraient protéger le foie. Il serait également bénéfique dans
l’atteinte hépatique liée à l’alcool ou au surpoids.

La berbérine
C’est une substance extraite du vinettier ou épine-vinette, parfois
considéré comme une mauvaise herbe car elle favorise la croissance
de champignons toxiques pour le blé. La berbérine est largement
utilisée par les médecines chinoise et ayurvédique pour traiter la
diarrhée et les affections digestives.
Une étude menée en 2017 par des chercheurs de l’université de
Louvain, en Belgique, a montré qu’en injection, elle améliorait, chez
des souris, l’atteinte hépatique liée au surpoids en augmentant
l’expression par le foie d’une protéine jouant un rôle dans les
addictions au sucre.
La berbérine a des propriétés anti-inflammatoires et
antioxydantes, améliore l’action de l’insuline et peut faire diminuer
la quantité de graisse dans le foie. De plus, elle renforcerait la
barrière intestinale, la rendant plus imperméable au passage de
toxines délétères pour le foie. On pourrait la privilégier chez les
personnes qui sont en surpoids.

La spiruline
Très à la mode, on a longtemps hésité à la classer dans la famille des
algues (du fait de ses pigments), avant de la ranger dans celle des
bactéries. Riche en antioxydants, elle a, selon une étude menée à
Bruxelles en 2017, un effet bénéfique sur le foie des souris en
diminuant l’inflammation qui se produit naturellement au cours du
vieillissement, par une action sur le microbiote intestinal. L’étude
conclut que la spiruline pourrait, peut-être, améliorer l’immunité des
personnes vieillissantes.

Le romarin
Le romarin est un arbrisseau très présent sur le pourtour
méditerranéen. Utilisé en cuisine et en parfumerie, il est aussi
proposé en phytothérapie. Les flavones et les tanins qu’il contient le
dotent potentiellement de propriétés antioxydantes et d’effets
protecteurs sur le foie en cas d’agression. On le trouve dans plusieurs
compléments alimentaires.

Le Desmodium adscendens
C’est une plante des zones tropicales également riche en flavones.
Selon les pays, les médecines traditionnelles l’utilisent en décoction
pour soigner la douleur, la fièvre ou l’asthme. Couramment
consommée dans les régions où elle pousse, elle est moins connue en
Occident, et donc peu proposée en complément alimentaire.
Le café
Plus on boit du café, plus on protège son foie! En effet, plusieurs
études assez concluantes montrent que l’une des boissons les plus
consommées dans le monde est aussi un véritable ami et grand
protecteur de notre foie. De plus, ces études n’ont pas été réalisées
seulement sur des cellules en culture ou des animaux de laboratoire,
mais chez l’homme, dans la vraie vie.
Le café est associé à une diminution du stress oxydant, mais aussi
du niveau des enzymes du foie dans le sang, ce qui suggère qu’il
pourrait ralentir la mort de ses cellules. Sa consommation réduirait
les risques de cirrhose et de cancer du foie… et le bénéfice
apparaîtrait dès la première tasse consommée, notamment pour
protéger de la toxicité de l’alcool. Deux ou trois tasses par jour
permettraient de réduire le risque de cancer du foie de 38%. On
pense que cet effet est lié à la caféine mais également à d’autres
composantes du café qui peuvent activer des enzymes spécifiques
dans le foie, sans doute de détoxification. L’effet bénéfique du café ne
concerne donc pas forcément les autres boissons contenant de la
caféine.
Le café protège de tout… mais, justement parce qu’il est riche en
actifs efficaces, sa surconsommation entraîne des effets indésirables,
notamment sur le cœur et le tube digestif. C’est d’ailleurs le cas de
tous les produits efficaces qui, par définition, sont efficaces sur un
plan, et montrent une face obscure sur d’autres plans.

Le thé
Tous les thés sont riches en tanins antioxydants et en vitamine C, le
thé vert contient de surcroît des flavones particulières qui le rendent
encore plus antioxydant.
De manière générale, il préserverait des maladies cardiaques, de
certains cancers, en particulier du cancer du poumon et réduirait le
stress. Il est possible qu’il protège, à partir de 2 tasses par jour, du
cancer du foie et, plus généralement, des maladies hépatiques liées à
l’alcool, au tabac, au surpoids et au fer, pour les personnes à risque,
selon une étude récente de l’Institut national américain de la santé.
Néanmoins, son effet bénéfique est moins clair que celui du café.
Malgré ces propriétés, les médecins ont été surpris d’observer
plusieurs dizaines de cas d’hépatites associées à sa consommation.
Elles seraient peut-être causées par la présence d’impuretés
intervenues lors de manipulations au stade de la préparation. Des
impuretés dangereuses, dont des pro-oxydants particuliers toxiques
pour le foie, qui y génèrent la formation de radicaux libres entraînant
des destructions de l’ADN et des membranes des cellules. Des pro-
oxydants d’ailleurs retrouvés dans d’autres plantes, mais, là aussi, ils
pourraient y avoir été induits lors de la préparation. Ces cas restent
néanmoins exceptionnels au regard du nombre incroyablement élevé
de personnes qui consomment du thé.

La vitamine E
C’est un puissant antioxydant, présent dans les végétaux, mais aussi
dans les huiles d’olive, de tournesol ou de soja, le beurre, la
margarine et les poissons gras, les noisettes et les amandes. Elle évite
la destruction des acides gras oméga-3 protecteurs (qu’on trouve
dans les poissons gras et l’huile de colza ou de lin) et, grâce à ses
propriétés, elle peut être utilisée comme conservateur alimentaire
qui évite le rancissement des aliments (on la retrouve sous
l’appellation E306 à E309).
La carence en vitamine E est exceptionnelle. Une supplémentation
a été proposée chez les personnes qui ont une accumulation de
graisses dans le foie du fait de leur surpoids, mais, comme nos stocks
sont habituellement suffisants, je ne recommande pas cette
supplémentation chez une personne en bonne santé, sans problème
de foie. Elle pourrait même avoir des effets néfastes comme une
augmentation du risque de cancer de la prostate ou d’accident
vasculaire.

La bétaïne, la choline et la carnitine:


des antioxydants bons pour le foie…
mais mauvais pour le cœur
La bétaïne est un composé qui joue un rôle dans de nombreuses
fonctions de l’organisme. Le foie en fabrique, mais parfois
insuffisamment. On la trouve dans le son de blé, les betteraves, le
quinoa et dans certaines viandes comme la dinde ou le veau. Dans
des conditions expérimentales, elle favorise la bonne respiration des
cellules, notamment celles du foie, c’est-à-dire qu’elle leur permet de
bien utiliser l’oxygène. De plus, elle empêche l’accumulation de
graisse dans les cellules du foie. Malheureusement, ses effets
protecteurs chez l’homme sont plutôt décevants. Ceci est
probablement lié au fait qu’une administration orale ne permet pas
d’obtenir des concentrations suffisantes au niveau du foie.
La choline, elle, est utilisée par notre organisme pour fabriquer… la
bétaïne. Elle a obtenu des allégations santé illustrant son effet
protecteur sur le foie des ruminants: elle permettrait d’éliminer ses
excès en graisses et elle est effectivement administrée aux élevages.
On en a déduit qu’elle serait bénéfique aussi chez les humains. On la
trouve dans les œufs, le foie des animaux, la viande, les poissons, les
légumineuses, les noix; elle est par ailleurs commercialisée sous
forme de suppléments alimentaires. Mais le foie humain la
synthétise mal.
La carnitine, qui ressemble beaucoup à la choline et qui est
présente en grande quantité dans la viande rouge est, elle aussi,
antioxydante.
Malheureusement, certaines bactéries digestives des intestins de
quelques-uns d’entre nous fabriquent, à partir de la choline, de la
bétaïne et de la carnitine, de la triméthylamine, le TMA que le foie
transforme en un produit très toxique pour le cœur et les vaisseaux,
le TMAO (oxyde de triméthylamine). Or, on n’est pas capable de
prévoir si l’organisme d’un individu produira ou non ce fameux
TMAO. Par conséquent, en voulant protéger le foie, on pourrait
augmenter le risque d’infarctus ou d’accident vasculaire. Je
déconseille donc, en règle générale, la prise de suppléments riches en
choline, en bétaïne ou en carnitine. Le TMAO peut se doser dans le
sang, mais on n’en connaît pas encore réellement les valeurs – les
taux à partir desquels il est toxique. Je suggère aussi de limiter la
viande rouge (2 fois par semaine) dans son alimentation car elle
contient de la choline à l’origine du TMAO.
Chapitre 19

La face obscure des plantes

Nous nous méfions, à juste titre, des produits industriels que nous
mangeons, buvons ou respirons. Une nourriture saine que l’on
prépare soi-même, avec de bons ingrédients, sera toujours bien
meilleure qu’un plat industriel contenant des émulsifiants, des
conservateurs, des additifs et des excès de sel et de sucre, cruels pour
notre foie.
Mais attention à ne pas verser dans l’excès inverse: tout ce qui est
naturel n’est pas forcément bon pour la santé, en particulier pour le
foie. Si beaucoup de plantes ont des effets bénéfiques sur notre
organisme, d’autres ont aussi une face obscure.
Non seulement il ne faut pas consommer n’importe quoi, mais de
surcroît, rien n’est jamais complètement bon ou complètement
mauvais pour notre organisme. Or, lorsque nous cherchons des
informations précises pour protéger notre foie, nous mélangeons
tout. Et quand nous les glanons sur Internet, nous lisons tout et son
contraire et au final, nous ne savons plus quoi faire. Ce flou est lié
dans certains cas à la méconnaissance, dans d’autres à la volonté
plus ou moins délibérée de ne mettre en valeur que l’aspect
bénéfique d’un produit – celui qui est à vendre. Le reste est omis.
Pour les médicaments, le médecin est obligé d’informer son patient
des effets indésirables, même les plus rares. Pour les compléments
alimentaires, la loi n’est pas la même.
J’ai le souvenir d’une patiente qui m’avait consulté pour une
hépatite révélée par l’élévation du taux des enzymes du foie. Elle
m’avait été envoyée par son médecin traitant qui y perdait son latin:
il ne trouvait aucune cause à sa maladie. Je me suis intéressé à ses
éventuels traitements alternatifs, elle m’a indiqué prendre (par voie
orale) un produit à base d’huile de bourrache pour fortifier ses
cheveux. Cette huile, extraite de la fleur de bourrache, est riche en
acides gras oméga-3, 6 et 9, en antioxydants et est présentée comme
bénéfique car anti-inflammatoire, antioxydant et ralentissant le
vieillissement. Ses propriétés annoncées sont ainsi exactes. Ce qu’on
ne dit pas, c’est qu’elle contient aussi des substances au nom
compliqué d’alcaloïdes pyrrolizidiniques, très toxiques pour le foie.
Personne ne peut affirmer que la bourrache, prise trop longtemps, ne
peut pas provoquer d’hépatite ou même favoriser un cancer du foie:
des décès ont été rapportés dans des pays où elle est fréquemment
utilisée et, en Belgique, un arrêté en interdit la vente. Bien sûr, ce
type de toxicité est très rare, mais mieux vaut ne pas être le premier
cas, car il n’est pas prévisible. J’ai signalé à cette patiente la
corrélation avec son hépatite, sans pouvoir pour autant affirmer que
l’huile de bourrache en était l’unique cause. Cependant, quand elle a
cessé d’en prendre, son état s’est très nettement amélioré. C’est un
produit que je déconseille.
Un cas similaire s’est présenté avec une autre patiente qui, elle,
prenait régulièrement, par voie orale, de l’Aloe vera, un antioxydant
qui a la réputation d’être bon pour la santé, mais qui peut, chez
certains, causer des hépatites. Effectivement, quand elle a arrêté
l’Aloe vera, son foie s’est normalisé. Là non plus, je n’en avais pas la
preuve, je pouvais juste constater la corrélation. J’aurais eu la preuve
si elle avait recommencé à en reprendre et si les ennuis de son foie
s’étaient à nouveau manifestés.
Nous savons aussi que tous les champignons ne sont pas bons à
manger. Mais nous savons moins pourquoi. L’amanite phalloïde est
probablement le champignon le plus vénéneux. Cela est difficile à
vérifier, mais elle pourrait être à l’origine de la mort du pape Clément
VII en 1534 et de l’empereur du Saint-Empire Charles VI en 1740.
Comme elle ressemble à des espèces comestibles, elle reste, de nos
jours, toujours responsable de décès dans les pays occidentaux.
L’amanite phalloïde contient des substances particulières, les
amatoxines. Même à très faible dose, celles-ci bloquent les cellules
du foie qui meurent quelques heures après l’ingestion. On commence
par vomir, puis on tombe dans le coma. Avec de la chance, le peu de
foie qui reste régénérera. Avec moins de chance, on sera obligé
d’avoir une greffe d’un nouveau foie en extrême urgence. Et s’il n’y a
pas de donneur, on ne se réveillera pas…
La Germandrée petit-chêne est un autre exemple de plante
potentiellement dangereuse. Elle aurait pu être bonne pour la santé:
elle contient des flavones et des tanins antioxydants. Les Grecs
l’utilisaient contre la toux et l’asthme et, en 1986, elle est revenue à la
mode, en particulier en France, pour favoriser la perte de poids.
Dans les années qui ont suivi son utilisation, des cas très graves
d’hépatite sont apparus. Certains ont nécessité une greffe de foie en
extrême urgence et d’autres ont entraîné la mort. La Germandrée
petit-chêne a, depuis, été interdite à la vente.
Le tabac est, lui aussi, une plante. On le sait toxique pour les
poumons, les vaisseaux, le cœur, la gorge. Le foie n’est pas sa
première cible, mais il ne l’apprécie pas. Des expérimentations chez
l’animal ont montré que la nicotine peut entraîner une inflammation
ou favoriser la fibrose, surtout lorsqu’elle est associée à d’autres
toxiques. Même si ce n’est pas très clair, on suppose que la
consommation de tabac favorise le cancer du foie, surtout quand il y
a un deuxième facteur de risque comme une infection virale. Mieux
vaut éviter!
L’autre plante dont on parle beaucoup, y compris pour vanter ses
vertus thérapeutiques, est le cannabis. Il est en tout cas une belle
illustration de la dualité des plantes! Quand il est consommé, le
cannabis se retrouve dans le sang et se rapproche du foie. Il cherche
même à pénétrer à l’intérieur de ses cellules. Il a alors le choix entre
deux «portes» différentes, c’est-à-dire des récepteurs différents.
Le premier récepteur est toxique: lorsqu’il est utilisé par le
cannabis, il favorise l’aggravation des maladies du foie, en particulier
le processus de cicatrisation, c’est-à-dire la fibrose qui aboutira à la
cirrhose. En revanche, si le même cannabis choisit le deuxième
récepteur, il peut inhiber le processus de fibrose et protéger le foie.
C’est ce qui arrive souvent quand il accompagne la consommation
d’alcool: il réduit de moitié le risque de stéatose et de cirrhose
alcooliques.
Cependant, la consommation de cannabis aggrave l’hépatite C: les
consommateurs développent plus rapidement une cirrhose. Par
ailleurs, en cas de régime déséquilibré, le cannabis favorise
l’accumulation de graisses dans le foie et aggrave les lésions. Le
cannabis a donc lui aussi une face claire et une face obscure! Mieux
vaut donc s’abstenir pour protéger son foie! En revanche, si l’on
parvient à créer des dérivés du cannabis qui ne choisiraient que le
deuxième récepteur, celui qui protège le foie, on aurait grand espoir
de découvrir de nouveaux traitements protecteurs.
Des questions me sont parfois posées par des patients au sujet de
la cocaïne, issue des feuilles de la coca, une plante médicinale
d’Amérique du Sud. Le foie, je suis catégorique, n’aime pas ce type de
consommation, pas plus d’ailleurs que celle des amphétamines et
autres ecstasy: il a du mal à les épurer, et ces substances suscitent un
stress oxydant aigu qui fait souffrir ses cellules jusqu’à les tuer. Or,
comme on l’a vu, si trop de cellules meurent en même temps, une
défaillance importante du foie peut survenir, et la greffe en urgence
est alors la seule solution.
Faites attention à vous! Et, dans tous les cas, prévenez votre
médecin de ce que vous faites pour que votre foie, cet ami si discret,
puisse être surveillé par une prise de sang de temps en temps.
Chapitre 20

Prébiotiques et probiotiques,
des aliments qui soignent?

Bien des mystères subsistent en médecine et en science. Ainsi, ceux


qui entourent le microbiote, notre flore intestinale.
Le microbiote est constitué d’à peu près 100 000 milliards de
bactéries. Elles appartiennent à différentes espèces et différentes
familles exerçant chacune, on le suppose, des fonctions particulières.
Dans l’état actuel des connaissances médicales et scientifiques, on ne
connaît pas encore exactement la répartition des rôles entre elles,
mais on pense qu’elles travaillent de concert. Ces bactéries, c’est un
fait, nous aident à digérer, à fabriquer des vitamines et des acides
gras bénéfiques, à développer notre immunité, à nous protéger de
maladies comme l’obésité, les atteintes cardio-vasculaires, les
allergies, le stress et même des troubles psychiatriques. On constate
par ailleurs qu’une dysbiose, c’est-à-dire un déséquilibre du
microbiote, favorise chez certains individus une obésité, chez
d’autres un autisme, un stress, une allergie ou même une dépression.
Mais on ne sait pas encore exactement pourquoi: le champ à
prospecter reste immense.
Avec mon équipe de l’Inserm, nous avions, il y a quelques années,
découvert l’une des actions d’une famille de bactéries sur le foie.
Nous étions alors en train de mener une étude autour des effets de
l’alcool sur cet organe et, comme pour la plupart des études, nous
avions travaillé sur des populations de souris – des femelles qui,
comme chez les humains, sont plus sensibles que les mâles à la
toxicité de ce produit.
Dans notre laboratoire de Clamart, nous avions appris à nos souris
à picoler, ce qui n’est pas chose aisée: les souris n’aiment pas l’alcool.
Par ailleurs, elles ne le métabolisent pas comme les humains: elles y
sont moins sensibles. Ce sont donc des quantités considérables qu’il
nous fallait dissoudre dans leur nourriture, l’équivalent de citernes
pour des humains.
Mais, malgré tous nos efforts, le foie de nos souris allait
formidablement bien. J’avoue avoir commencé par douter de mes
étudiants: menaient-ils l’expérience dans les règles? J’ai dédoublé
l’étude (avec les mêmes étudiants), la dupliquant quelques
kilomètres plus loin, dans une antenne de notre laboratoire abritée
par la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry. Et là, le foie des
rongeurs (ou plutôt des rongeuses) s’est, comme prévu, rapidement
détérioré sous l’effet de l’alcool.
Je me souviens des mois que nous avions tous passés, plongés
dans les selles des souris de Clamart et celles de Châtenay-Malabry,
les étudiant, les analysant, les comparant. Jusqu’à aboutir à cette
découverte imprévue: il manquait aux souris de Châtenay-Malabry
une bactérie de type Bacteroides qui existait sans doute dans notre
laboratoire de Clamart et «faussait» l’expérience en protégeant les
souris qui y étaient hébergées.
La suite de l’étude est évidente. Nous avons transposé les bactéries
des selles des souris de Clamart dans les souris de Châtenay-
Malabry. Résultat? Ces dernières ont commencé à développer, à leur
tour, une résistance à la toxicité de l’alcool et, très vite, leur foie a
commencé à se régénérer jusqu’à guérir complètement… grâce à leur
microbiote enrichi.
Je voudrais commencer par rappeler ici une évidence que nous
avons tendance à balayer. On sait désormais que beaucoup de
maladies peuvent être favorisées par une dysbiose. Néanmoins, on
sait aussi que les maladies sont multifactorielles. Leurs origines sont
diverses – génétique, virale, environnementale… Les facteurs
menant à leur développement et à leur aggravation le sont aussi. La
dysbiose est l’un de ces facteurs, il est certes important, il favorise le
risque de développer certaines maladies, mais il n’est pas exclusif.
À titre personnel, j’estime que les actions sur le microbiote ont
toute leur place dans la prise en charge des pathologies du foie et de
l’obésité. Cependant, ces actions, que je vais développer ci-dessous,
ne peuvent en aucun cas être considérées comme des substituts aux
médicaments: elles ne les remplacent en aucune manière. Il est
également possible que ces actions ne soient pas efficaces chez
certaines personnes. Et surtout, nous ne sommes qu’au début des
connaissances quant à la nature des bactéries à favoriser pour
reconstituer une flore altérée et sur la meilleure façon de le faire: la
recherche dans ce domaine ne fait que commencer. Restons donc
très prudents.
Néanmoins, malgré le flou dans lequel se trouve encore la science,
il reste évident que nous avons tout intérêt à ce que les populations
de bactéries intestinales avec lesquelles nous coexistons soient les
plus riches et les plus diversifiées possible. Certains d’entre nous
sont privés de cette richesse: ceux qui sont nés par césarienne, ceux
qui n’ont pas été allaités ou qui ont pris trop d’antibiotiques, entre
autres. Leur microbiote est plus pauvre que la moyenne.
Heureusement, ce n’est pas irrémédiable. En effet, l’une des
particularités de notre «organe microbiote» (qui se distingue en cela
des autres organes du corps) est d’être modifiable. Chacun d’entre
nous a la possibilité de se prendre en main et d’agir sur ses
populations de bactéries intestinales de la manière la plus facile qui
soit: par l’alimentation.
Il existe deux moyens d’agir qui interviennent en parallèle – on
parle alors de symbiose et certains compléments alimentaires sont
dits, de ce fait, symbiotiques.
Le premier moyen d’action consiste à manger ou boire des
microbes vivants, des bactéries, des champignons qui nous sont
bénéfiques et qui sont appelés probiotiques. Ce mot est manipulé
avec des pincettes par la Commission européenne qui interdit les
allégations «probiotiques» sur les aliments industriels, estimant que
leur effet sur la santé n’a pas été démontré. En dehors de l’Europe,
«probiotique» continue de figurer sur certains produits alimentaires
industriels, notamment des yogourts, également commercialisés en
France mais sans cette mention. Le mot «probiotique» fâche, mais je
continue à l’utiliser pour désigner ces êtres vivants qui existent dans
certains de nos aliments.
Le second moyen consiste à nourrir nos propres bactéries
intestinales avec des aliments qu’elles apprécient et qu’on appelle les
prébiotiques.
L’association des prébiotiques et des probiotiques augmente la
diversité du microbiote et permet également de renforcer l’étanchéité
de la barrière intestinale et des muqueuses qui tapissent sa face
intérieure. Elle devient ainsi plus imperméable au passage de
toxines, ce qui pourrait limiter l’excès de travail réclamé au foie et
préserver, de ce fait, notre capital santé. Ceci a en tout cas été
démontré chez les souris. Ces données restent néanmoins
expérimentales et l’extrapolation de ces résultats à l’homme n’est pas
encore faite.
Malgré tous ces points d’interrogation qui subsistent, j’ai opté,
dans ma pratique clinique, pour une approche pragmatique: en
conseillant d’intégrer probiotiques et prébiotiques dans
l’alimentation, ce sont des conseils de prévention que je donne aussi
bien aux malades qu’aux bien portants. Des conseils d’ailleurs
souvent superposables pour la plupart des maladies.
Pour autant, il reste difficile, en l’état des connaissances actuelles,
de «prescrire» des artichauts ou des asperges pour intervenir sur
telle carence ou favoriser telle guérison. Certes, consommer des
artichauts ou des asperges (riches en prébiotiques) est une excellente
idée. Mais si vous les accompagnez d’une platée de frites, d’une
boisson gazeuse puis d’un dessert, le bénéfice des prébiotiques sera
faible, voire nul.
D’autre part, décider de s’alimenter correctement (c’est-à-dire
normalement) pendant les deux ou trois semaines ou mois durant
lesquels on se prend en main, pour revenir ensuite à ses vieux
travers, n’est pas non plus une bonne idée. Car les modifications
bénéfiques que l’on apporte à notre microbiote lors de nos efforts
sont réversibles, à moins d’être maintenues sur le long terme – une
période que l’on ne sait pas encore définir, mais qui se compte en
années plutôt qu’en mois.
Les conseils que je donne ici sont donc volontairement aisés pour
pouvoir être respectés sur le long terme et améliorer ainsi le capital
bactérien – et donc le capital santé du foie et du reste de l’organisme.
Les probiotiques
Ce sont des micro-organismes vivants, bactéries, levures ou
moisissures dont la consommation a, de toute évidence, et bien que
cela n’ait pas été strictement prouvé, des effets bénéfiques sur la
santé. Ces effets ont été démontrés chez l’animal, mais ils ne sont pas
forcément applicables sur les humains; on parle donc «d’effets
bénéfiques supposés».
Ces micro-organismes «importés», et c’est important de le
souligner, n’ont pas vocation à s’installer dans notre système digestif:
ils ne font que passer et sont éliminés par les selles, d’où l’intérêt
d’en consommer régulièrement. On n’est jamais quitte avec les
probiotiques que nous ingérons!
Les probiotiques les plus connus sont des bactéries lactiques des
espèces Lactobacillus et Bifidobacterium présentes dans les fromages
et les produits laitiers fermentés (yogourts, kéfir…). D’autres espèces
existent dans la levure de bière, la sauce soja, la soupe miso et la
choucroute crue, mais aussi le saucisson, toutefois très gras et donc à
consommer avec énormément de modération. Attention: la cuisson
détruit ces «microbes» bienveillants. On les trouve par ailleurs sous
forme de compléments alimentaires, gélules, sachets ou comprimés
constitués de «cocktails» de bactéries vendus en pharmacies,
parapharmacies, dans les magasins bio ou sur Internet.
L’un des aliments les plus riches en probiotiques est certainement
le yogourt qui en renferme une teneur phénoménale: 100 millions de
bactéries par gramme, soit 10 milliards de bactéries pour un yogourt
de 100 grammes. C’est beaucoup… mais tous n’arrivent pas à
destination. Car le parcours des probiotiques dans notre système
digestif n’est pas sans danger pour eux: ils doivent réussir à traverser
l’estomac acide, rencontrer la bile sans être tués puis, une fois dans
l’intestin, être costauds et en nombre suffisant pour remplir leur rôle
parmi la multitude de bactéries présentes.
Les probiotiques auraient notamment des effets métaboliques en
favorisant la production d’acides gras à chaîne courte bénéfiques qui
agissent à plusieurs niveaux: outre le fait de renforcer la barrière
intestinale, ils limiteraient le risque d’accumulation de graisses dans
le foie par un effet direct sur leur métabolisme, donc le risque
inflammatoire au niveau du foie, et ils faciliteraient ainsi l’action de
l’insuline.
Restons tout de même modestes. Une étude portant sur des
patients souffrant d’une hypercholestérolémie a consisté à leur
administrer, pendant huit semaines, des yogourts enrichis d’un
probiotique spécifique, le Lactobacillus reuteri. Effectivement, le
taux de mauvais cholestérol dans le sang a diminué de 8,9% au terme
de cette période, par rapport à un groupe prenant un placebo. Le
taux de cholestérol total a, lui, baissé de 4%. L’effet existe donc,
même s’il n’est pas spectaculaire. Mais on peut aussi anticiper, vu la
complexité de la biologie, que plusieurs bactéries aient agi en
synergie pour produire cet effet bénéfique.

Les prébiotiques
Ce sont des sucres non digestibles, la nourriture dont raffolent nos
propres bactéries digestives: comme nous, elles ont besoin de se
nourrir pour vivre et se multiplier.
Le lait maternel en est riche sous forme de galacto-
oligosaccharides ou GOS. On sait aussi en fabriquer artificiellement:
c’est le lactulose, un produit prescrit, souvent sans savoir que c’est un
prébiotique, aux personnes très malades du foie ou constipées (la
constipation entraîne une stagnation de toxines nocives pour le foie).
Mais les prébiotiques sont essentiellement présents dans certaines
fibres alimentaires, sous forme d’inuline et de fructo-
oligosaccharides (ou FOS). Nous connaissons les aliments qui en
sont riches: l’ail, les artichauts, la chicorée et, dans une moindre
mesure, les asperges, les oignons, les panais, les poireaux, le blé
entier, l’orge, le seigle et les topinambours. On en trouve aussi dans
les choux et brocolis, les lentilles, les ananas, les bananes ou encore
les amandes et les haricots rouges.
Les autres fruits et légumes sont cependant riches en fibres comme
la pectine, la cellulose et la lignine qui régulent le transit intestinal.
D’autre part, une étude que nous avons réalisée à Clamart a
démontré que la pectine favorise la croissance de bactéries
bénéfiques qui protègent le foie de l’alcool chez les souris.
Quand on a déjà une alimentation diversifiée, on consomme
forcément des prébiotiques, sinon une fois par jour, au moins tous
les deux ou trois jours: quelques asperges, de l’ail, des oignons, une
poignée d’amandes font largement l’affaire.
Par contre, si, en revoyant votre menu de la semaine, vous
constatez que ce n’est pas le cas, ne bouleversez pas votre
alimentation du jour au lendemain, mais réintroduisez-y de manière
très progressive les aliments prébiotiques – sous peine de maux de
ventre qui pourraient durer quelques jours, le temps que l’organisme
s’adapte.
Attention tout de même en cas de troubles fonctionnels
intestinaux: ces fibres «intelligentes» sont aussi celles qui
contiennent le plus de FODMAP (mono-, di-, oligo-saccharides
fermentables et polyols) qui fermentent et produisent des gaz
susceptibles d’entraîner ballonnements et douleurs. Les pets
pourront être importants et gênants! Il ne faut pas brusquer nos
bactéries, mais être à leur écoute…

Les postbiotiques
C’est une piste à la fois très ancienne… et complètement neuve qui
s’ouvre désormais à la recherche. Les postbiotiques sont les
substances fabriquées par nos bactéries intestinales pour mener leur
travail à bien. Elles permettraient donc de parvenir à un résultat
optimal, sans passer par l’une des deux étapes que nous venons de
voir: «manger» des suppléments de bactéries ou «faire manger» nos
bactéries existantes.
L’exemple de postbiotique le plus connu est celui de la bile d’ours.
Aujourd’hui, cette bile est artificiellement synthétisée en laboratoire
et son efficacité est démontrée. Reste que, pour l’heure… elle est le
seul postbiotique que nous utilisons vraiment comme traitement.
Plusieurs laboratoires se penchent actuellement sur ce sujet. Les
résultats ne sont pas escomptés avant plusieurs années – la durée
des protocoles avant la validation de la mise sur le marché d’un
médicament. Les perspectives sont cependant immenses…
Avec, entre autres, l’étude sur les souris que j’ai décrite au début de
ce chapitre, notre équipe de l’Inserm a montré qu’en fonction des
bactéries intestinales que nous portons, notre foie est plus ou moins
sensible à l’alcool. Malheureusement, nous ne pouvons pas encore
identifier précisément les bactéries qui interviennent dans cette
sensibilité ou qui seraient aptes à la prévenir.
Nous savons aussi que nos bactéries jouent un rôle dans notre
comportement: elles peuvent nous pousser à boire! L’addiction est
une envie irrépressible et répétée de consommer: de l’alcool, du
tabac, des drogues ou même des jeux. Le sevrage de toute addiction
est compliqué et souvent voué à l’échec. Volonté défaillante? Pas
seulement! Des études ont montré récemment que nos bactéries
intestinales sont impliquées dans les comportements addictifs.
Certaines d’entre elles pourraient aider au sevrage en fabriquant des
produits qui modifient les circuits neurologiques – nous ne savons
pas encore lesquelles. Mais peut-être que demain, votre yogourt
enrichi suffira à vous débarrasser de toutes vos addictions!
Conclusion

Quand il ne reste que la foi

Au cours de leur carrière, certains médecins (et certains patients) ont


la chance de rencontrer quelques «miracles».
J’ai vécu mon «miracle» en 1999, au début de mon clinicat. J’étais
alors jeune médecin et j’avais accueilli un patient âgé de soixante-dix
ans pour un saignement d’origine digestif: il vomissait du sang. À
l’origine de son trouble: des médicaments anti-inflammatoires qui
avaient provoqué un ulcère de l’estomac.
Je l’avais traité et tout aurait pu s’arrêter là. Mais ce n’est pas ce
qui s’est passé. À l’examen, j’avais palpé son foie: il était dur. Ses
examens sanguins n’étaient pas bons. Nous avions longuement
discuté et, quand une relation de confiance s’était instaurée, il
m’avait révélé consommer depuis très longtemps plusieurs verres
d’alcool par jour. Comme presque tous les patients, il m’expliquait
qu’il n’avait jamais été ivre et ne comprenait pas que l’alcool ait pu
abîmer son foie.
Les premiers examens ont révélé une cirrhose. Au scanner, un
énorme nodule de 7 centimètres est apparu. Une grosse boule au sein
du foie, un peu comme une balle de tennis profondément enfouie,
qui ne bombait pas la capsule du foie et ne causait donc pas de
douleurs. Après prélèvement, le diagnostic a été sans appel: un
volumineux cancer qui compliquait une cirrhose liée à une
consommation excessive d’alcool. Aucun traitement ne pouvait le
guérir: la tumeur était mal placée, trop grosse pour être opérée et
une chimiothérapie ne fonctionnerait pas.
Je m’étais souvenu de publications scientifiques qui avaient
suggéré, pour ces cas, qu’un traitement antihormonal, similaire à
celui donné contre les cancers du sein, pourrait être efficace.
D’autres études plus poussées avaient cependant clairement infirmé
cette possibilité. Le patient n’avait plus rien à perdre, moi non plus.
Ma patronne m’avait donné le champ libre – curieusement, dans un
milieu que l’on disait pourtant très masculin, mes deux principaux
patrons ont été des patronnes, les professeures Buffet et Naveau. Vu
qu’il n’y avait vraiment pas d’espoir de guérison, j’avais décidé de ne
le soumettre ni à des échographies ni à des scanners de surveillance,
pour ne pas assister à l’aggravation inéluctable de la tumeur.
Pourtant, tous les trois à six mois, lorsque je revoyais le patient, il
était de plus en plus en forme. Au bout de trois ans de suivi, ne
comprenant pas trop ce qui se passait, je lui avais fait pratiquer une
échographie. Surprise: la tumeur avait diminué et ne mesurait plus
que 5 centimètres. Deux ans plus tard, il était toujours très en forme
et la tumeur s’était encore réduite, passant à 2,7 centimètres,
l’équivalent d’une balle de ping-pong.
J’ai donc poursuivi ce traitement et le patient a vécu une dizaine
d’années supplémentaires. À la fin de sa vie, le cancer de son foie
était devenu quasiment invisible… grâce à un traitement pourtant
déclaré inefficace. Si vous voulez tout savoir, il est décédé d’un
cancer de l’œsophage, lui aussi lié à une consommation excessive
d’alcool.
Je ne saurai jamais si c’est mon traitement qui a sauvé le patient
ou s’il s’agit d’une régression spontanée du cancer. Mais quelle
importance? Cette histoire témoigne que même dans les cas les plus
graves, en matière de foie, il faut garder espoir.
Car la vie est un miracle. Plus les recherches avancent, plus la
médecine effectue des progrès, plus on prend conscience de la
complexité des mécanismes en œuvre dans cette chose
extraordinaire. Le foie en est l’illustration parfaite: puissant et
sophistiqué mais discret, actif et irriguant tout l’organisme. C’est
grâce à cet organe prodigieux que l’on va bien. Il ne nous réclame pas
grand-chose: juste d’en prendre un petit peu soin pour que ce
miracle qu’est la vie persiste. Nous méritons de rester en bonne
santé.
Ma liste de courses

Ma liste de courses n’est pas conçue comme une série de diktats pour
un régime occasionnel, mais comme des conseils à apprivoiser et
appliquer sur le long terme.
Elle permet de composer les trois repas quotidiens qui nous sont
indispensables, y compris un vrai déjeuner. Je n’ai pas inclus les
incartades que l’on peut se permettre de temps en temps, à condition
de veiller à l’équilibre et à la diversification des repas sur l’ensemble
de la journée et de la semaine: une boisson gazeuse, un verre de vin
ou un dessert ne détruiront pas un foie en bonne santé… s’ils ne sont
pas tous les jours à table.
D’ailleurs, exception faite des légumes, aucun aliment, pas même
les fruits, ne doit être consommé de façon excessive.
Nos repas, il est important de le dire, seront dégustés plutôt
qu’avalés: en mangeant lentement, en mâchant bien les aliments, le
travail du tube digestif est facilité et le sentiment de satiété peut
arriver pendant que l’on mange. Dans ce cas, ne pas se forcer à
terminer son assiette!
Et enfin, pour le bien-être de notre foie, évitons les grignotages et
veillons à avoir une activité physique régulière.

Laitages

Lait à 2%.
Yogourt grec à 2%.
Yogourt nature.
Fromages à moins de 45% de matière grasse (3 portions par
semaine pour les personnes en surpoids, sinon 1 portion par
jour).

Viandes

Bœuf maigre (bifteck de haut de surlonge, filet, hampe, etc.).


Veau.
Porc maigre (filet, filet mignon).
Cheval.
Lapin.
Volailles (poulet, dinde, pintade, autruche, etc.).
Abats: foie, cœur, tripes, rognons.

(Éviter de consommer de la viande tous les jours.)

Charcuteries

Jambon cru ou cuit, maigre.

Poissons et crustacés

Tous: frais, surgelés au naturel, fumés ou en conserve au


naturel.

Œufs

2 à 3 œufs par semaine.

Pain
Pain de seigle.
Pain de blé entier.
Pain au son.

(Pas plus de 50 grammes par repas, soit 150 grammes par jour si
on ne consomme pas en même temps de féculents. À noter qu’une
baguette pèse 250 grammes.)

Féculents

Flocons d’avoine.
Pommes de terre (moins de 100 grammes par jour).
Riz, pâtes, tapioca, blé (moins de 150 grammes par jour, cuits.
Privilégiez-les complets).
Petit pois, maïs, polenta (moins de 150 grammes).

(Évitez de mélanger les différents féculents de cette liste au cours


d’un même repas.)

Légumes secs et légumineuses

Lentilles.
Haricots blancs ou rouges.
Pois chiches.
Pois cassés.

(150 grammes cuits par jour.)

Légumes

Tous, à volonté, frais, surgelés ou en conserve au naturel.


Carottes crues à volonté aussi (elles sont un sucre lent qui se
transforme en sucre très rapide à la cuisson).

Fruits frais

2 à 4 par jour, crus ou cuits sans sucre.


1 poignée d’amandes de temps en temps.

Les fruits secs, qui ont donc perdu l’eau des fruits frais, sont 5 à 6
fois plus concentrés en sucres à poids égal. Ils doivent être évités
quand on a des problèmes de foie, à cause de cette concentration.

Matières grasses

Beurre.
Margarine au maïs, tournesol ou olive.
Huile d’olive ou de colza.
Crème sure.

(Privilégiez ces produits, mais limitez quand même autant que


possible l’apport de matières grasses et consommez-les de préférence
crues.)

Sucres et édulcorants

Sucre blanc (le moins possible).


Édulcorants à base de sucralose (Splenda) ou d’extrait de stévia
avec parcimonie: ils sont délétères pour le microbiote et
favorisent le diabète.
Chocolat

Chocolat noir (de temps en temps).


Cacao sans sucre.

Boissons

Eau plate ou gazeuse.


Café.
Thé.
Tisanes.
Bibliographie

La bibliographie de cet ouvrage est essentiellement liée aux études


internationales, publiées dans les revues spécialisées, que je lis dans
le cadre de mon activité clinique, de mon activité de recherche à
l’Inserm où je dirige une équipe qui contribue elle-même aux
avancées de la science, et dans le cadre spécifique de l’écriture de ce
livre.
Compte tenu de la quantité d’études réalisées sur lesquelles je me
suis appuyé, une liste bibliographique exhaustive serait longue et
fastidieuse. Mais toutes ces études sont disponibles en ligne sur le
site de la National Library of Medicine. Elles sont, pour la plupart, en
anglais.
Remerciements

Être médecin et chercheur dans un centre hospitalier universitaire


implique l’appartenance à une équipe soudée sans laquelle aucun
progrès n’est possible. Les résultats ne sont jamais ceux d’un travail
solitaire, mais toujours ceux d’une équipe. Je remercie les équipes
médicales et paramédicales qui m’entourent dans le service
d’hépato-gastro-entérologie et nutrition que je dirige à l’hôpital
Antoine-Béclère à Clamart. Merci aussi à tous les membres de mon
équipe Inserm Microbiote intestinal, macrophages et inflammation
hépatique. J’ai une pensée particulière pour Anne-Marie Casard,
directrice adjointe de cette équipe, qui partage avec moi les joies et
les peines de la recherche.
Je souhaite remercier mes éditeurs, Susanna Lea, Léonard
Anthony et Guillaume Robert qui m’ont d’emblée encouragé et
orienté pour la rédaction de cet ouvrage. Je remercie très
chaleureusement Djénane Kareh Tager que j’ai rencontrée à
l’occasion de l’écriture de ce livre et qui m’a continuellement aidé
pour présenter la médecine et la science, de la meilleure façon, aux
lecteurs. Je remercie Emmanuelle Ribes, qui ne cesse de me pousser
à me mettre en valeur depuis que je la connais. Susanna, Léonard,
Guillaume, Djénane et Emmanuelle sont devenus à l’occasion de
cette aventure de véritables amis, ce qui est inestimable.
Tout au long de l’écriture de ce livre, j’ai toujours eu une pensée
particulière pour les patients que je suis et que je remercie pour la
confiance qu’ils me témoignent car je pense qu’il n’y a rien de plus
injuste dans la vie, toujours miraculeuse mais ô combien fragile,
qu’avoir des problèmes de santé.
Du même auteur

Ouvrages
Guide de thérapeutique Perlemuter, Plus de 1000 maladies, plus de 3000 médicaments,
avec Léon Perlemuter, 9e édition, Elsevier Masson (livre + application), 2018.

Guide pratique infirmier, avec Léon Perlemuter, Elsevier Masson, 2017.

Nouveaux Cahiers de l’Infirmière, co-direction d’une collection en 27 volumes destinée aux


étudiants en soins infirmiers, avec Léon Perlemuter, Jacques Quevauvilliers, Béatrice Amar,
Lucien Aubert, Laurence Pitard, Masson.

Cahiers des ECN, co-direction d’une collection en 18 volumes destinée aux étudiants en
médecine, avec David Montani et Léon Perlemuter, Masson.

Les bactéries, des amies qui vous veulent du bien, avec Anne-Marie Cassard, Solar, 2016.

Études scientifiques
Les travaux de recherche que je dirige à l’Inserm nous ont permis de publier, dans des
revues internationales, dans leur majorité en langue anglaise, de nombreuses études
scientifiques validées par nos pairs. Elles sont toutes disponibles sur le site de la National
Library of Medicine. Je cite ici, parmi les plus récentes, celles qui me semblent les plus
marquantes:

«Transplantation of human microbiota into conventional mice durably reshapes the gut
microbiota», Sci Rep., mai 2018.

«Circulating bugs in blood in alcoholic liver disease», Hepatology, avril 2018.

«Fecal microbiota manipulation prevents dysbiosis and alcohol-induced liver injury in


mice», J Hepatol, avril 2017.

«Recovery of ethanol-induced Akkermansia muciniphila depletion ameliorates alcoholic


liver disease», Gut, mai 2017.

«Transient elastography alone and in combination with FibroTest® for the diagnosis of
hepatic fibrosis in alcoholic liver disease», Liver Int, 2017.
«Liver function test abnormalities in depressed patients treated with ANtidepressants: A
Real-World Systematic Observational Study in Psychiatric Settings», PLoS One, mai 2016.

«Intestinal microbiota contributes to individual susceptibility to alcoholic liver disease»,


Gut, 2016.

«Activation of Kupffer Cells is associated with a specific dysbiosis induced by fructose or


high fat diet in mice», PLoS One, janvier 2016.

«Decreased expression of the glucocorticoid receptor-GILZ pathway in Kupffer cells


promotes liver inflammation in obese mice», J Hepatol, avril 2016.

«CXCR4 dysfunction in non-alcoholic steatohepatitis in mice and patients», Clin Sci, 2015.

«Alcohol withdrawal alleviates adipose tissue inflammation in patients with alcoholic liver
disease», Liver Int, 2015.

«Antidepressant-induced liver injury: a review for clinicians», Am J Psychiatry, 2014.

«Body Fat Distribution and Risk Factors for Fibrosis in Patients with Alcoholic Liver
Disease», Alcohol Clin Exp Res, 2013.

«Gut microbiota transplantation demonstrates its causal role in the development of type 2
diabetes and fatty liver», Gut, 2013.

«Toxic lipids stored by Kupffer cells correlates with their pro-inflammatory phenotype at an
early stage of steatohepatitis», J Hepatol, 2012.

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