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PERLEMUTER Gabriel - Les Pouvoirs Cachés Du Foie
PERLEMUTER Gabriel - Les Pouvoirs Cachés Du Foie
Les pouvoirs
cachés
du foie
Gagnez des années
de vie en bonne santé
édito
Infographie: Michel Fleury
Conception graphique de la couverture: Ann-Sophie Caouette
Illustration de la couverture: RobinOlimb
ISBN: 978-2-924720-60-8
ISBN EPUB: 978-2-924959-05-3
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2018
Titre original: Les pouvoirs cachés du foie. Gagnez des années de vie en bonne santé.
Flammarion | Versilio
Avec la participation d’Anne-Marie Cassard
© Flammarion, 2018
© Versilio, 2018
L’organe Phœnix
L’usine du corps
Les protéines
Globalement, je conseille de consommer 15 à 20% de protéines
animales ou végétales, en un ou deux repas.
Cela représente 150 à 200 grammes de poissons ou de volaille par
jour, ou 50 grammes de viande rouge. Il est préférable de limiter les
viandes rouges à deux repas par semaine – sans dépasser, sur cette
période, les 300 grammes. Les œufs entrent dans la catégorie des
protéines mais si l’on a un taux de cholestérol au-dessus de la norme,
il vaut mieux éviter de dépasser les 2 œufs par semaine – le jaune est
riche en cholestérol. Si le taux de cholestérol est normal, notamment
pour les végétariens, il ne faut pas dépasser 6 œufs par semaine.
Attention, à partir de 7 œufs par semaine, le risque d’atteinte
cardiaque peut être augmenté! Pour ce qui est du tofu ou du soja, ils
sont source de protéines végétales et contiennent tous les acides
aminés (la structure élémentaire d’une protéine) essentiels, mais la
concentration de protéines est moindre que dans la viande (environ
40% à 50% de moins que dans la viande de bœuf). Quant aux
légumineuses, elles sont une excellente source de protéines, sont en
plus riches en fibres et en oligoéléments, et elles peuvent se
substituer, pour les végétariens et végétaliens, aux produits d’origine
animale. La consommation optimale est, dans ce cas, de
150 grammes par jour.
Les lipides
Je ne bannis pas les lipides, au contraire! Ils doivent idéalement
représenter 30 à 35% des apports quotidiens, en diversifiant les
acides gras. La mauvaise presse des lipides est surtout liée au fait
qu’ils sont très caloriques: 9 calories par gramme. Mais certains ont
un effet favorable sur notre santé, comme les acides gras oméga-3 ou
oméga-9 dont une consommation élevée est associée à une espérance
de vie élevée. D’autres, comme les acides gras hydrogénés ou trans,
surtout utilisés par l’industrie agro-alimentaire pour des besoins de
conservation et de consistance des aliments, sont toxiques – votre
pain tranché acheté au supermarché, qui se conserve longtemps, est
plus nuisible pour votre santé que la même quantité de pain acheté
frais chez votre boulanger.
Concrètement, 10 à 20 grammes par repas sont facilement
assimilables par l’organisme – l’équivalent d’un petit carré de beurre
ou d’une cuillère à soupe d’huile ou de crème fraîche. Les plus
gourmands, en l’absence de surpoids, peuvent augmenter la dose de
beurre du déjeuner (jusqu’à 30 grammes). Pour ce qui est des huiles,
privilégions celles de colza ou d’olive aux autres repas.
Pour assaisonner mes salades, j’ai appris à faire preuve
d’imagination, jonglant avec les vinaigres et les fines herbes, le
citron, les poivres et l’ail. Un peu d’huile au besoin que je coupe avec
de l’eau, mais au fond, avec un rien de doigté, j’arrive facilement à
m’en dispenser, réservant ma «dose» de lipides pour le plat
principal. Et c’est délicieux!
On ne se privera pas non plus de fromages… mais on ne se jettera
plus tous les jours sur le plateau. Une portion saine est de 30 à
40 grammes soit 1/8e de camembert… une fois tous les deux jours
environ. Et, au déjeuner, un peu de fromage peut remplacer la
confiture pour éviter la fringale du milieu de matinée liée au
déjeuner trop sucré. Éviter trop les lipides peut d’ailleurs conduire à
augmenter la consommation de glucides, et ce n’est pas ce que je
conseille.
Les glucides
Les sucres/glucides cachés sont présents presque partout dans notre
alimentation. Il n’est évidemment pas question de s’en priver! Dans
l’intérêt de notre foie, ils peuvent même constituer jusqu’à 50% des
apports quotidiens, incluant les sucres sous forme de riz, de pain et
autres céréales et féculents – et en évitant, question de bon sens,
d’associer les différents féculents entre eux, par exemple le pain avec
les pommes de terre.
La question des pâtes m’est souvent posée, ma réponse est très
claire: elles constituent un sucre lent, donc bon pour la santé… à
condition de ne pas dépasser, par repas, 150 grammes de pâtes cuites
à l’italienne, c’est-à-dire al dente. Trop cuites, comme elles le sont
souvent dans les restaurants des collectivités, elles se transforment
en un sucre rapide, sans aucun intérêt nutritionnel.
Le riz, lui, est un féculent comme les pâtes, on ne dépassera donc
pas 150 grammes par repas (de riz cuit). Attention aux sushis servis
dans les restaurants japonais qui fleurissent en Occident:
essentiellement constitués de riz, avec une fine tranche de poisson,
ils ressemblent très peu aux sushis du Japon où le riz ne constitue
qu’une toute petite noisette et qui sont, eux, bons pour la santé. Le
parallèle est souvent effectué, par mes patients, avec le régime
chinois, essentiellement constitué de riz, sans entraîner de surpoids.
C’est vrai dans l’alimentation traditionnelle chinoise où le riz n’est
pas accompagné d’autres sucres; c’est moins vrai dans les villes
chinoises qui ont adopté un mode de vie occidental et où la
consommation de pâtes et de pain, d’aliments transformés s’ajoutant
au riz, entraîne une épidémie d’obésité!
À l’inverse du blé (un sucre), riz, quinoa, sarrasin et autres graines
(également des sucres) fermentent peu dans le tube digestif et sont
préférables pour les personnes sujettes aux ballonnements. En règle
générale, il serait idéalement bon de prévoir un repas par jour sans
ou avec peu d’amidon, donc de céréales, de féculents et autres riz.
Vous culpabilisez en mangeant des frites et vous vous donnez
bonne conscience en choisissant les pommes de terre en purée?
Détendez-vous! De toute manière, les pommes de terre sont des
sucres rapides. La seule manière de diminuer cette rapidité est de les
consommer cuites à l’eau ou, encore mieux, à la vapeur avec la peau.
Certes, les frites sont plus grasses que la purée. Mais vous en avez
envie? Alors, allez-y! Veillez cependant à limiter vos autres apports
en lipides de la journée et dégustez-les… sans dépasser 100 grammes
par repas. Et, cela va de soi, pas à tous les repas, ni tous les jours.
Bien entendu, on ne mélange pas pâtes, riz ou pommes de terre avec
du pain!
Pour le dessert, il n’y a rien d’étonnant à ce que je privilégie les
fruits, tous les fruits – ils sont riches en vitamines. Deux portions par
jour (400 grammes) ont des effets bénéfiques pour la santé. Et les
desserts sucrés? Avec plaisir… mais, comme les frites, pas à tous les
repas, ni tous les jours. Il est d’ailleurs dommage que les restaurants
ne proposent presque jamais de bons fruits frais dans leur carte des
desserts!
Quant aux légumes, ils sont tous les jours au menu, et à volonté.
Et puis, bien entendu, on privilégiera l’eau et on évitera les
boissons alcoolisées et sucrées – sauf exception, cela va de soi.
Enfin, je conseille toujours à mes patients de manger lentement, en
posant les couverts entre chaque bouchée. Histoire de faire durer le
plaisir… mais aussi de laisser le sentiment de satiété arriver, le temps
que l’estomac envoie un signal au cerveau et que le taux de sucre
remonte dans le sang grâce au travail du foie. Et puis, manger
lentement permet d’ingérer moins d’air, donc de limiter les risques
de reflux.
Les premiers temps, tout peser sera sans doute compliqué mais
très vite les quantités seront mémorisées et on pourra ranger la
balance dans le placard. Sera-t-on au régime? Certainement pas! Je
l’ai dit et le répète, il ne s’agit que d’une hygiène de vie!
Attention au yoyo!
Lorsqu’on prend soin de son foie, on perd automatiquement du
poids. Mais quand on relâche les efforts, il est souvent difficile de ne
pas reprendre les kilos perdus.
Ce phénomène est lié à nos bactéries digestives. Elles n’ont pas
compris les modifications alimentaires survenues avec les menus
équilibrés. Et elles sont affamées! Si nous relâchons les efforts avant
qu’elles aient eu le temps de comprendre la nouvelle situation, elles
se jetteront sur la malbouffe qui leur arrive à nouveau. Un peu
comme si elles gardaient la mémoire du surpoids. Résultat: on va
grossir encore plus vite et on dépassera même le poids initial… à
cause de nos bactéries. C’est le fameux effet yoyo.
Quelles solutions proposer alors? Est-on véritablement condamné?
En fait, lorsqu’on modifie son alimentation et que l’objectif pondéral
qu’on s’est fixé est atteint, il faut quand même tenir compte d’une
probable fenêtre temporelle à l’issue de laquelle on peut élargir son
alimentation très doucement, toujours en privilégiant les légumes.
Mais on ne connaît pas encore la durée de cette fenêtre durant
laquelle nos bactéries digestives continueraient d’évoluer et de se
transformer.
Il est possible que le fait de privilégier certains aliments riches en
flavones (café, thé, soja, pommes, pamplemousse, fruits rouges,
épinards, brocolis, artichauts…) limite l’effet yoyo, c’est-à-dire la
reprise de poids rapide après l’arrêt des efforts alimentaires.
C’est ce que démontre une étude menée sur des souris par l’équipe
de Eran Elinav, au Weizmann Institute of Science, en Israël. Dans un
premier temps, les souris ont toutes été suralimentées pour grossir.
Puis une moitié du groupe a été «mise au régime» pour maigrir.
Celles-là ont effectivement perdu du poids. Elles ont alors été
remises en mode «suralimentation» – l’équivalent de notre
malbouffe. Il n’a pas fallu beaucoup de temps à la plupart d’entre
elles pour rattraper le poids des souris qui n’avaient pas été mises au
régime, mais avaient continué d’être suralimentées sur la durée.
L’examen des selles des souris qui ont regrossi a montré la
présence de bactéries spécifiques détruisant les flavones apportées
par l’alimentation. Les flavones sont des molécules qui, en plus de
leur effet antioxydant, accroîtraient la dépense énergétique. Seront-
elles le remède miracle contre le surpoids? Des études sont en cours
pour vérifier si une supplémentation en flavones permettrait de
perdre plus facilement du poids.
Chapitre 6
Nous le vivons tous dès que nous organisons chez nous un repas en
famille ou entre amis: combler tous ses hôtes devient un vrai casse-
tête! Le menu unique? Il appartiendra bientôt au passé. Autour de
notre table, l’amateur de viande côtoie le végétarien, lui-même
infiniment plus permissif que le vegan, et le «sans gluten» compose
avec celui ou celle qui a décidé de s’abstenir de produits laitiers. Sans
compter avec les «paléo» et les «céto», les tenants du régime
méditerranéen… et les goûts individuels qui sont de plus en plus
singuliers à l’heure de la «world food».
De plus en plus de patients me consultent avec des questions très
pointues relatives à un régime alimentaire particulier. Cela aurait été
inimaginable il y a seulement dix ou quinze ans, quand nous
mangions à peu près tous de la même manière, exception faite des
vrais intolérants (au gluten, au lactose, à l’arachide, etc.) et de ceux
que nous avions coutume de qualifier d’excentriques un peu bizarres,
sans intolérances mais avec régime particulier.
Mes patients sont informés… mais à moitié. Leurs sources de
référence sont aujourd’hui les médias et, plus volontiers, Internet.
On y trouve des articles copieux faisant état de données souvent
piochées dans la littérature scientifique, ce qui serait une bonne
chose si l’information récoltée était complète. Or, ce n’est souvent
pas le cas. Prêchant pour leur propre chapelle, quelle qu’elle soit, ces
articles et sites omettent les contre-arguments figurant dans la
plupart de ces études. Ils retiennent les effets positifs ou négatifs
(selon le point de vue qu’ils veulent défendre) et «oublient» la longue
liste de «mais». C’est ce que l’on appelle un mensonge par
omission… et il peut faire beaucoup de dégâts!
Et notre foie dans tout ça? Il ne reste évidemment pas insensible à
nos modes alimentaires puisque ce sont elles qui le nourrissent et, à
travers lui, apportent du carburant à l’ensemble de notre organisme.
Une mise au point s’impose, concernant les questions qui me sont
le plus souvent posées.
Et le sel?
Nous mangeons trop salé, souvent deux ou trois fois plus que les 6 à
8 grammes journaliers recommandés, voire pour certains seulement
5 grammes. Le sel fait monter la pression artérielle (et abîme ainsi
les artères), il fatigue les reins, mais il n’est pas directement toxique
pour un foie en bonne santé: il l’est pour l’organisme. N’oublions pas
qu’un apport alimentaire protégeant le foie aura également des effets
bénéfiques sur le reste de l’organisme: le cœur, les vaisseaux, le
cerveau, le tube digestif… À l’inverse, le sel peut devenir très toxique
en cas de cirrhose, car le foie empêche alors l’élimination du sel par
le rein dans les urines.
Le fructose
Il a une excellente réputation puisqu’il provient des fruits qui sont
effectivement gorgés de vitamines et bons pour la santé, et il est donc
associé, dans notre imaginaire, à des effets bénéfiques.
Pourtant, le fructose, c’est du sucre. Et comme tous les sucres, le
foie sait bien le gérer en quantités modérées, mais il est dépassé en
cas d’apports trop importants – il est présent dans bien d’autres
aliments que les fruits. Il le transforme alors en graisses qui, en
s’accumulant dans le foie, génèrent un stress oxydant toxique.
Incomplètement contrôlé, il induira la destruction progressive de ses
cellules.
Trop de fructose est redoutable. Comme tout ce que nous
mangeons, il est d’abord métabolisé par les bactéries du tube
digestif. Mais quand il arrive en excès, nos bactéries, saturées, sont
incapables de réaliser cette opération. Le fructose passe alors en
l’état dans le foie, par la veine porte. Et il ne la franchit pas tout seul:
l’intestin devient anormalement perméable au passage de certaines
toxines qui l’accompagnent par la même voie.
Le fructose est encore plus nocif que le sucre alimentaire habituel,
le saccharose, extrait de la betterave ou de la canne à sucre et
contenant certes du fructose, mais aussi du glucose, à parts égales.
Car, quand il arrive dans le foie, le fructose est pris en charge
prioritairement et perturbe le métabolisme. Le saccharose est mis de
côté, c’est-à-dire qu’il est transformé d’office en graisses, des
triglycérides, qui s’accumuleront et feront un véritable foie gras,
comme celui des canards et des oies. C’est d’ailleurs, on l’a vu, avec
du maïs, riche en fructose, qu’on crée le bon foie gras chez les
palmipèdes.
Mangez donc des fruits mais:
Évitez les jus, aussi bien frais qu’industriels, même sans sucre
ajouté: ils contiennent autant de sucre qu’une boisson gazeuse,
environ 120 g/l, soit 4 à 5 morceaux de sucre par verre. Un jus
d’orange pressé maison, ce sont 3 oranges. Un jus de pommes
ou de poires maison, ce sont des kilos de fruits que vous mettez
dans un extracteur, très tendance, ou dans une centrifugeuse.
Or, une seule orange-fruit ou pomme-fruit vous cale bien plus
que votre verre de jus, avec moins de sucre, grâce aux fibres
dont vous prive le jus. Avec celui-ci, le sucre sera absorbé plus
rapidement par l’organisme et vous aurez rapidement faim à
nouveau. En revanche, profitez de votre extracteur pour
préparer des jus de légumes, délicieux et peu riches en sucres.
Choisissez bien vos fruits! En été, vous pensez vous désaltérer et
faire une bonne action en savourant un gros melon gorgé d’eau
sucrée. Or, le melon est l’un des fruits les plus riches en fructose.
Dégustez-en, mais avec modération. Préférez une bonne banane
qui est plutôt un sucre lent, surtout lorsqu’elle n’est pas trop
mûre. En règle générale, un fruit mûr apporte des sucres plus
rapides qu’un fruit peu mûr.
Consommez tout de même les fruits avec modération: jusqu’à 4
fruits crus de taille moyenne par jour, 2 fruits si vous êtes en
surpoids. En manger plus n’a pas d’intérêt pour la santé. Par
contre, les légumes peuvent et doivent être consommés à
volonté, sans être badigeonnés de beurre ou d’huile. Cela fera
facilement les 5 fruits ET légumes par jour. Ce ne sont pas 5
fruits OU légumes!
Ne vous désaltérez pas avec des boissons gazeuses… et pas
n’importe où. Le sucre utilisé varie en effet en fonction des pays.
Aux États-Unis, pour des raisons économiques, l’industrie
alimentaire utilise le sucre de maïs, le «corn syrup»,
exclusivement composé de fructose. En France, on utilise le
sucre de canne ou de betterave, qui est le sucre de table. Boire
un verre de boisson gazeuse aux États-Unis est donc plus
mauvais pour le foie qu’en France. Gavé de fructose, il va être
dépassé et souffrira.
Gare aux confitures allégées en sucre! Si elles sont effectivement
allégées en saccharose, le sucre de table, elles sont en revanche
souvent artificiellement enrichies en fructose, vanté comme
étant le sucre naturel du fruit, mais détesté par le foie quand il
est présent en trop grande quantité. Prenons donc une vraie
confiture, faisons-nous plaisir, mais en petite quantité. Le miel
et le sirop d’érable sont également très sucrés et il ne faut pas en
abuser. Le sirop d’agave, très à la mode, est bien trop riche en
fructose.
Évitez aussi les laitages aux fruits, même ceux sans sucres
ajoutés, et les crèmes dessert du commerce. Préférez les
yogourts grecs nature, et le lait 2% au lait entier.
Optez pour les sucres lents: les pâtes pas trop cuites, le pain au
blé entier plutôt qu’une biscotte ou une baguette.
Abstenez-vous systématiquement des féculents cuisinés du
commerce qui, en quelques jours, peuvent faire monter les
enzymes du foie: lasagnes, pizzas, hamburgers, tartes aux
légumes…
Évidemment, évitez les viennoiseries. Rendez-vous compte: un
croissant au beurre représente 400 à 500 calories dont 45 g de
sucre soit 9 morceaux! À titre de comparaison: 30 g de céréales
au déjeuner = 4 à 6 morceaux de sucre; 100 g de pâtes cuites = 5
morceaux de sucre; 1 yogourt aux fruits sans sucre ajouté =
3 morceaux de sucre. Donc, une fois de temps en temps
seulement.
Quant au morceau de sucre, bien visible celui-là, ajouté dans
votre café, pourquoi pas, mais sachez que pour le foie,
consommer du sucre roux ou blanc, raffiné ou non raffiné ne fait
aucune différence: ce sont des glucides à absorption rapide et à
index glycémique élevé. Ce morceau ne pèse pas lourd en
comparaison des morceaux dont regorgent les sorbets, gâteaux,
glaces et autres biscuits industriels!
Les édulcorants
Les industriels pensaient avoir trouvé la parade: puisqu’il faut lutter
contre l’excès de sucre en général et de fructose en particulier,
bannissons-les et introduisons des édulcorants. Zéro sucre, zéro
calorie ou presque, cela ressemble à l’eau et ne peut donc être
mauvais pour notre santé et notre foie.
C’est vite oublier nos bactéries digestives, notre microbiote qui,
dans l’histoire de l’humanité, n’a jamais rencontré d’édulcorants et
n’y est pas préparé. Ces derniers détruiront certaines bactéries, et
celles restantes favoriseront la survenue d’un diabète et seront
potentiellement toxiques pour le foie en favorisant une accumulation
de graisses. Prendre un édulcorant, même s’il n’apporte ni sucre ni
calorie, n’est en aucun cas équivalent à prendre de l’eau!
Le stévia, le dernier édulcorant mis sur le marché comme
alternative à l’aspartame, n’a pas encore fait l’objet d’études quant à
son effet sur nos bactéries digestives. Le fait qu’il soit naturel ne
signifie pas qu’il soit plus sain que les autres édulcorants lorsque sa
consommation est trop importante. Si vous avez envie de temps en
temps d’un verre de boisson gazeuse diète ou normale, buvez-le.
Votre foie le gérera sans aucun problème. En revanche, protégez
votre foie et n’en consommez pas régulièrement.
Le gras
Longtemps décrié car très calorique (9 cal/gramme), il y a, on le sait
maintenant, le bon et le mauvais gras. Et puis le trop de gras.
Comment vous y retrouver?
Préférons les viandes rouges maigres aux viandes grasses pour
l’apport en protéines et n’en consommons pas tous les jours: le
bœuf extra-maigre, le filet ou le faux-filet, le filet de veau,
l’escalope ou le rôti, le porc maigre type filet et les volailles sont
à privilégier. Côté charcuteries, seul le jambon est maigre;
saucissons et pâtés sont trop gras.
Côté cuisson, on limite les fritures et les panés, y compris pour
les poissons qu’on privilégie frais ou surgelés non cuisinés.
Certains aliments sont particulièrement riches en acides gras de
type oméga-3, protecteurs et antioxydants: certains poissons
comme le thon, le maquereau, la sardine, le hareng ou le
saumon. Attention à ne pas les prendre en conserves à l’huile
afin de limiter les apports en graisses. Les congeler trop
longtemps leur fait perdre leurs oméga-3. Les amandes sont
riches en oméga-9, comme l’huile d’olive; vous pouvez donc en
prendre une petite poignée de temps en temps.
N’oublions pas que les croissants, pâtisseries et autres douceurs
qui regorgent de sucre sont aussi confectionnés avec beaucoup
trop de matières grasses! C’est, là aussi, de temps en temps, et
plutôt rarement.
Le pamplemousse
Le pamplemousse contient des furanocoumarines, un composé
chimique qui inhibe la capacité du foie à éliminer un certain nombre
de médicaments. Du coup, à cause de votre pamplemousse du
déjeuner, le comprimé que vous deviez prendre ce matin n’a peut-
être pas été éliminé aussi rapidement qu’il le devrait, vous en prenez
un second à midi, un troisième le soir, vous continuez le lendemain
et le surlendemain… et c’est comme si vous aviez pris 9 comprimés
d’un coup au lieu d’un seul! D’où les risques de surdosage et d’effets
indésirables plus importants.
En toute rigueur, on ne connaît pas précisément les doses de
médicaments qui s’accumulent: tout dépend de la quantité de
pamplemousse bu ou mangé, de la vitesse de son absorption, de la
quantité de médicaments, etc. Cela dépend aussi de la susceptibilité
individuelle. On suspecte néanmoins que le taux dans le sang de
certains médicaments associés à du jus de pamplemousse peut être
multiplié par 5! Une cinquantaine de médicaments au moins sont
concernés. Les plus utilisés et les plus fréquemment en cause sont
ceux contre le cholestérol comme les statines, ceux qui visent à
protéger le cœur ou à traiter l’hypertension et… plusieurs pilules
contraceptives.
Une histoire célèbre et réelle est celle d’une femme qui avait
débuté un régime amaigrissant pour lequel elle consommait
beaucoup de pamplemousses. Elle prenait la pilule. Elle avait
également une anomalie génétique qui favorisait les thromboses,
c’est-à-dire l’obstruction d’un vaisseau sanguin par un caillot.
L’accident s’est produit au bout de trois jours: plusieurs veines ont
été gravement bouchées, les œstrogènes de la pilule s’étant
accumulés dans son organisme. C’est un cas certes rarissime.
Néanmoins, il paraît logique de déconseiller une consommation
élevée de pamplemousse chez les femmes sous contraceptif oral.
Le millepertuis
En vente libre dans les pharmacies, les parapharmacies et même les
supermarchés, régulièrement utilisé en automédication pour le
traitement des petites dépressions ou de l’anxiété, le millepertuis
perturbe le foie, mais avec un effet exactement inverse de celui du
pamplemousse: il l’active et augmente donc l’élimination de certains
médicaments. Prendre du millepertuis avec une pilule contraceptive
entraîne ainsi un véritable risque de grossesse puisque l’effet de la
contraception disparaît très rapidement. Dans tous les cas, si vous
prenez du millepertuis en automédication, prévenez votre médecin
ou votre pharmacien du fait du risque d’interactions avec d’autres
médicaments.
Le sexe du foie
Le foie est un bon garçon… mais aussi une bonne fille. Il n’est en effet
pas tout à fait le même chez l’homme et chez la femme.
Certes, par leur aspect, les foies masculin et féminin ne sont pas
différents. Mais, dans les faits, il n’en va pas de même: le foie de la
femme est contraint, tout comme elle, de vivre au rythme des cycles
hormonaux. Ceux-ci le protègent dans la majorité des cas, le rendent
souvent plus résistant, mais peuvent parfois l’agresser – encore une
fois, la règle du ni blanc ni noir en biologie… Préserver son foie
implique donc parfois une vigilance particulière chez les femmes: les
embûches ne sont pas exactement les mêmes que chez les hommes…
et quelques précautions particulières s’imposent.
L’hormone féminine par excellence est l’œstrogène. Jusqu’à la
ménopause (quand elle cesse d’être produite), elle défend
ardemment le foie de son hôtesse. Après quoi, en matière de foie,
l’égalité entre les sexes tend à s’instaurer.
Principal atout de l’œstrogène: ses effets antioxydants. L’usine foie,
on l’a vu, produit des déchets, notamment les radicaux libres. Ces
sortes de missiles très réactifs, de grands tueurs, détruisent tout ce
qui par malchance se trouve sur leur passage, comme l’ADN et les
membranes des cellules. Les œstrogènes, eux, jouent les boucliers
anti-missiles, favorisent le processus de détoxification des radicaux
libres par le foie, limitant ainsi le vieillissement des cellules. Autre
atout: ils stimulent les défenses immunitaires, protégeant les femmes
des infections virales ou, lorsqu’elles sont présentes, de leur gravité.
Par ailleurs, face à la malbouffe, les œstrogènes offrent au foie une
issue de déstockage, les fesses ou les hanches. La stéatose (le foie
gras) est peu toxique car la nature des graisses est différente: elles
sont généralement neutres, sous forme de triglycérides qui
n’entraînent pas d’inflammation. Ce n’est pas toujours esthétique
mais bien mieux – après la ménopause, cette inégalité disparaît et,
chez la femme comme chez l’homme, la stéatose s’associera à une
inflammation, donc une hépatite, qui peut dégénérer en cirrhose.
Enfin, les œstrogènes facilitent la régénération du foie lorsqu’il est
agressé – et limitent ainsi le risque de cirrhose. Résultat: les femmes
ont trois fois moins de probabilité que les hommes de développer un
cancer du foie. De plus, lorsque la femme est atteinte de ce cancer,
son espérance de vie reste meilleure que celle des hommes… mais
seulement jusqu’à soixante-cinq ans. À partir de cet âge, cette
différence s’efface.
Les œstrogènes ont aussi leur côté obscur. En trop grandes
quantités, ils favorisent la croissance de certaines tumeurs du foie,
augmentent le risque des caillots de sang qui bouchent les vaisseaux
sanguins (les thromboses veineuses) et peuvent perturber le système
immunitaire – les victimes de maladies auto-immunes sont, à 90%,
des femmes.
Autre point noir: le foie de la femme est plus sensible à l’alcool que
celui de l’homme (alors qu’il est plus protégé de la malbouffe).
Certes, nous ne sommes pas des souris, néanmoins, dans les
laboratoires de recherches, lorsque nous étudions l’effet de l’alcool
sur le foie, nous n’utilisons que des souris femelles (à l’inverse, les
souris mâles sont privilégiées pour étudier les atteintes hépatiques
liées au surpoids): à consommation égale d’alcool, elles développent
des anomalies plus vite et de façon plus grave que les mâles. On sait
par ailleurs que chez les humains, sous l’effet spécifique de l’alcool,
non seulement le foie de la femme est plus vite détruit, mais, en
outre, il se régénère alors moins bien et évolue plus rapidement vers
une cicatrisation fibreuse anormale et vers la cirrhose.
Au Québec, la consommation maximale recommandée est de
2 verres de vin par jour pour un maximum de 10 verres par semaine
pour une femme et de 3 verres de vin par jour pour un maximum de
15 verres par semaine pour un homme. En France, les
recommandations de l’Agence de santé publique de France et de
l’Institut national du cancer concernant la consommation d’alcool
ont été récemment revues à la baisse. Il était jusque-là établi que la
femme ne devait pas dépasser 2 verres de vin par jour alors que
l’homme pouvait aller jusqu’à 3 verres. Dorénavant, hommes et
femmes ne doivent pas dépasser 10 verres de vin par semaine et
2 verres par jour – en prévoyant des jours sans aucune
consommation d’alcool. Malheureusement, dans ces nouvelles
recommandations, les différences, pourtant cruciales, entre la femme
et l’homme, ont disparu.
Le foie de la femme a, par ailleurs, une susceptibilité particulière
aux modifications de son organisme et de son mode de vie: les cycles
menstruels, l’âge (avec la ménopause), la prise de contraceptifs, les
grossesses…
L’une de mes patientes, Béatrice, vingt-trois ans, un peu
grassouillette, avait révélé, à l’occasion d’un bilan sanguin, une
élévation du taux d’une des enzymes du foie, la gamma-GT. Une
échographie de cet organe, destinée à explorer cette petite anomalie,
avait montré un tout petit nodule de 1 centimètre, un adénome, donc
une tumeur bénigne. Son médecin traitant lui avait demandé
d’arrêter la contraception par pilule, les œstrogènes favorisant la
croissance des adénomes. Elle m’avait consultée pour avoir mon avis.
On se pose en effet beaucoup de questions sur la contraception
orale que certains veulent remettre en cause. La pilule contraceptive
existe depuis les années 1960. À cette époque, la teneur en hormones
des pilules était dix fois plus élevée que maintenant: chacune
contenait 150 microgrammes d’œstrogènes (l’éthinyl-œstradiol); les
pilules actuelles, vérifiez sur votre boîte, n’en contiennent que 15 à
20 microgrammes.
Les premières générations de pilules, qui étaient donc fortement
dosées, multipliaient par 10 le risque de survenue de tumeurs
bénignes pouvant évoluer en cancer dans le foie: 3 cas pour 100 000
femmes, au lieu de 3 cas pour 1 million. Ce risque augmentait avec la
durée d’exposition aux œstrogènes, la quantité d’œstrogènes dans la
pilule et l’âge de la femme. Par ailleurs, ces premières pilules
pouvaient perturber la fabrication de la bile par le foie jusqu’à
entraîner une jaunisse.
Les dosages des pilules ayant diminué, le bon sens permet de
comprendre que les conséquences de la contraception des années
1960 ou 1970 sur le foie ne sont pas les mêmes que celles des pilules
actuelles. Pourtant, des amalgames restent régulièrement effectués
entre les anciens risques, qui étaient rares mais réels, et ceux
d’aujourd’hui, qui le sont beaucoup moins. En d’autres termes, le
risque est faible mais reste néanmoins très difficile à évaluer
précisément.
Aurais-je dû, au nom du risque zéro, interdire la pilule à Béatrice
qui ne voulait pas d’un autre mode de contraception? En somme, lui
tenir le même discours qu’il y a quarante ou cinquante ans? Cela me
semblait absurde! Son adénome était de petite taille. Je l’ai
raisonnablement autorisée à maintenir sa contraception, bien utile et
fort pratique pour elle. Pour ne prendre aucun risque, je lui ai
conseillé une pilule sans œstrogènes (certes contraignante car devant
être prise quasiment à heure fixe, et qui entraîne une augmentation
relative de nos propres œstrogènes) ainsi qu’une échographie
régulière du foie, une fois tous les six mois. Plusieurs années ont
passé. Son adénome n’a pas grossi – dans le cas contraire, je lui
aurais évidemment demandé d’arrêter la pilule.
Une conséquence moins connue des pilules, en particulier celles
des 3e et 4e générations (c’est moins vrai pour les pilules de 2e
génération auxquelles on revient) est de boucher les vaisseaux
sanguins. On pense habituellement aux vaisseaux des jambes, mais
ceux du foie sont également concernés. Heureusement, le risque est
rare (1 cas pour 100 000 femmes) et intervient chez des personnes
prédisposées. En cas de prise d’un contraceptif oral, si des douleurs
au ventre se manifestent, accompagnées d’une poussée de fièvre, il
est urgent de réagir: quand les veines du foie se bouchent, en
particulier la veine porte, les cellules meurent d’asphyxie et
entraînent une défaillance du foie.
Un autre moment délicat pour le foie est la grossesse, quand la
future mère accueille dans son corps un fœtus qui est à 50% le sien,
mais aussi à 50% celui du père, donc en quelque sorte un étranger
pour son organisme. Elle se met automatiquement en situation de
tolérance d’un étranger: pour ne pas rejeter son futur bébé, elle
diminue ses défenses immunitaires et devient de ce fait plus fragile.
Ces changements considérables peuvent parfois avoir de grandes
répercussions, bénéfiques (le foie n’est pas attaqué pendant la
grossesse) ou néfastes (après l’accouchement il y a un rebond d’auto-
immunité car l’organisme n’a plus à se mettre en situation de
tolérance pour «l’étranger» qu’est le fœtus et le foie sera encore plus
attaqué).
Par ailleurs, l’apparition de nausées et vomissements en début de
grossesse est bien connue. En revanche, on sait moins que lorsqu’ils
sont trop importants, le foie les tolère mal. L’actualité «people» en a
fait sa «une» quand Kate Middleton, l’épouse du futur roi du
Royaume-Uni, le prince William, a été hospitalisée durant sa
grossesse pour des vomissements incoercibles. Charlotte Brontë en
était morte à l’âge de trente-huit ans. Appelés hyperemesis
gravidarum (en grec hyper signifie excès, emesis signifie
vomissement et gravidas, grossesse), ils touchent 1% des femmes
enceintes et sont source de déséquilibres graves pour l’organisme,
avec des pertes de sodium, de potassium, de vitamines, une
déshydratation et des dommages causés au foie.
Une patiente, Lena, au premier trimestre de sa grossesse, avait été
hospitalisée pour ces troubles, imputés dans un premier temps à un
problème digestif. Une perfusion sucrée lui avait été posée en guise
de «remontant», mais sans ajout de vitamine B1. Erreur! Quand je
l’ai récupérée dans mon service, le taux des enzymes de son foie
s’était encore plus élevé, signalant une hépatite aiguë, et elle tenait
des propos incohérents: elle ne savait plus quel jour on était, ni où
elle était. Un classique quand l’hyperemesis gravidarum s’aggrave,
mais qui a longtemps valu aux femmes d’être qualifiées
d’hystériques, souffrant de troubles psychologiques! On pense
aujourd’hui, sans en avoir la preuve totale, que cette maladie est liée
à des modifications hormonales, à une inflammation du placenta, à
des anomalies de la contraction de l’estomac et à des problèmes dans
la production de bile par le foie. Il faut y penser systématiquement
quand on observe des vomissements et des anomalies du foie lors de
la prise de sang au premier trimestre de grossesse.
J’ai suspecté chez Lena une carence en vitamine B1. Elle est
classique chez une personne alcoolique (ce qui n’était pas son cas),
mais elle apparaît aussi lorsque l’on réhydrate une personne restée
longtemps à jeun… ou qui a beaucoup vomi. Cette carence entraîne
des lésions du cerveau – d’où les propos incohérents. La corriger est
une urgence, sinon les lésions peuvent devenir irréversibles. Lena a
été prise en charge à temps. Il est dommage que sa famille ne m’ait
jamais cru lorsque j’ai expliqué que son délire était «simplement» lié
à cette carence en vitamine B1. Cela semblait trop simple…
Pendant le deuxième trimestre de la grossesse, le foie reste
relativement calme. Des calculs dans la vésicule biliaire peuvent
cependant apparaître, liés à des modifications hormonales qui
changent la composition de la bile et à une moins bonne contraction
de la vésicule. Ils disparaissent souvent après la grossesse. S’ils ne
font pas mal, il ne faut surtout pas les opérer.
C’est au troisième trimestre, principalement en fin de grossesse,
que le foie peut à nouveau faire parler de lui. C’est assez rare et de ce
fait mal connu, et pourtant relativement grave. Les raisons n’en sont
pas très claires: sans doute les profondes modifications hormonales
qui démasquent des anomalies génétiques.
Le premier symptôme est le besoin de se gratter. D’abord la paume
des mains et la plante des pieds, puis tout le corps. Ces
démangeaisons ne résultent pas d’une simple irritation ou d’une
allergie, mais elles sont liées à de petits dépôts de bile sous la peau –
une bile qui a stagné faute de pouvoir être évacuée normalement
dans le tube digestif. Sans une intervention rapide, une jaunisse peut
se déclarer mais, pour la future mère, tout rentrera dans l’ordre
après l’accouchement. En revanche, le risque est réel pour l’enfant.
Risque d’une naissance prématurée. Risque que sa souffrance soit
telle qu’il émette ses premières selles, le méconium, dans le liquide
utérin. Il peut alors décéder in utero, ou bien à la naissance s’il avale
le liquide.
Le diagnostic est simple à établir: il suffit de doser, dans le sang, le
taux des acides biliaires qui sera anormalement élevé. Le traitement
préconisé dans ce cas est un dérivé de la bile d’ours que les Chinois
utilisaient dès le VIIe siècle, l’acide ursodésoxycholique, produit en
toute petite quantité par le corps humain. Il est heureusement
aujourd’hui fabriqué par l’industrie pharmaceutique et ne nécessite
donc plus d’infliger d’atroces souffrances aux ours… En attendant
que le médicament agisse, il y a les vieilles recettes pour soulager:
des bains chauds ou un peu de glace sur la peau qui démange.
Par ailleurs, un phénomène très étrange se déroule au cours de
certaines grossesses (1 pour 10 000): la stéatose gravidique. Le foie
est en quelque sorte étranglé, l’oxygène que nous respirons ne lui
parvient plus et les cellules s’étouffent. Les aliments cessent d’être
métabolisés, ses cellules se gorgent de milliers de gouttelettes de
graisse qui ne peuvent être épurées. La future mère doit être
surveillée de près car l’aggravation est inéluctable. Si l’accouchement
n’est pas déclenché à temps, le foie défaillira, mettant en péril la vie
de la mère et de l’enfant. Le risque de récidive lors d’autres
grossesses est élevé.
Et puis, il y a la ménopause du foie. À ce tournant de la vie, le flux
sanguin qui le traverse peut diminuer un peu, ainsi que sa taille. Ses
merveilleuses capacités de régénération s’amenuisent. Certains
avantages qu’avait la femme sur l’homme disparaissent. Le foie de la
femme devient l’égal de celui de l’homme. Il lui pardonnera moins
ses erreurs alimentaires!
Chapitre 9
Comment va-t-il?
L’hépatite
ou le vrai problème du foie
Éric, l’un de mes premiers patients alors que je venais d’être nommé
chef de clinique, était venu en consultation avec sa femme. Il était
très fatigué, mais ce qui m’avait marqué par-dessus tout était sa
couleur: il était jaune, vraiment jaune. En palpant son foie, je me suis
immédiatement aperçu qu’il était gros et surtout très dur, comme un
caillou, au lieu d’être souple et mou. Quelque chose n’allait pas. Un
foie si dur fait immédiatement penser à un cancer. Les examens ont
malheureusement confirmé le diagnostic: sa jaunisse était liée à un
cancer en phase terminale. Il était trop tard.
Pendant des années, cet homme avait souffert d’une surcharge en
ferritine, donc en fer, au niveau du foie. Elle n’avait jamais été
dépistée. L’analyse de la ferritine dans le sang fait pourtant partie
d’un banal bilan de santé. Comme l’immense majorité des maladies
du foie, celle-ci est évitable, parce que dépistable.
Nous savons bien que sous l’action de l’oxygène de l’air, le fer
rouille. Il s’agit d’une réaction lente et progressive. Au fil du temps, la
rouille le rend cassant et inutilisable. Pour le foie, c’est quasiment le
même phénomène.
Notre organisme contient du fer, en moyenne 5 grammes, utilisé
pour fabriquer principalement les constituants des globules rouges.
En même temps, nous respirons de l’oxygène. Combiné au fer,
l’oxygène produit la rouille qui s’appelle alors le stress oxydant. C’est
un déchet et, à moins qu’il soit en quantités excessives, notre
organisme, y compris notre foie, dispose de moyens pour l’éliminer.
Ce fer-là provient de notre alimentation. Normalement, nous
n’absorbons que 5 à 10% de notre apport quotidien (20 mg en
moyenne). Le reste est rejeté dans les selles.
Mais si notre organisme ne fonctionne pas correctement, s’il
n’élimine pas le fer ou si nous absorbons trop de fer, ses stocks vont
s’accumuler lentement dans différents organes: le pancréas, le cœur,
les articulations et bien sûr le foie. Ils peuvent augmenter de façon
monstrueuse jusqu’à atteindre 10, 20, voire 40 grammes au lieu de
5 grammes. Cela peut prendre une trentaine d’années: c’est long et
court à la fois!
Pendant ce temps, au niveau du foie, les radicaux libres, qui sont
autant de petites bombes, augmentent et commencent leur travail de
sape sur les cellules, les détruisant peu à peu. La suite, nous la
connaissons désormais: le foie peut augmenter de taille et la capsule
qui l’entoure devenir sensible. Les tissus deviennent fibreux avant
d’évoluer vers une cirrhose. Spécificité de cette maladie, la peau
prend une couleur brune du fait de l’accumulation de fer, et les
articulations sont douloureuses puisque le fer s’y dépose.
Tardivement, quand il s’accumule dans le pancréas, un diabète
survient. Au niveau du cœur, une insuffisance cardiaque apparaît.
Chez Éric, la maladie s’était encore plus gravement développée: à
un moment donné, une cellule épuisée et stressée avait fait un burn-
out et était devenue un peu folle. Son ADN trop abîmé l’avait
empêchée de se reproduire normalement. À partir de cette cellule
trop malade, un cancer s’était développé… tout cela à cause d’une
accumulation anormale (et détectable) de fer dans le foie.
On reconnaît les prémices de cette maladie par la fatigue. Elle est
facilement confirmée par un examen de sang – il se dit, quand on
cherche le taux de fer dans l’organisme, bilan «martial», en référence
à Mars, le dieu romain de la guerre qui a aussi donné son nom aux
arts «martiaux» ou à la loi «martiale». La planète Mars s’est vue
attribuer ce nom en raison de sa couleur rougeâtre, analogue à celle
des oxydes de fer utilisés pour fabriquer les armes. Mais dans notre
organisme, le fer ne représente la force que lorsque son stock est
normal. S’il est trop élevé ou trop bas, la force cède la place à une
grande fatigue… On mesure aussi, dans certains cas, directement la
quantité de fer dans le foie de façon très simple et indolore par une
IRM.
L’accumulation de fer peut être favorisée par des agressions
extérieures. L’alcool en trop grande quantité en est une cause
classique. Une alimentation trop riche en sucre ou en graisses, le
surpoids, l’obésité sont d’autres facteurs courants.
Et puis il y a une maladie qui déclenche la rouille du foie:
l’hémochromatose. C’est une mutation génétique, la première
connue de la préhistoire. Elle est relativement répandue: en France,
elle touche une personne sur 300, soit environ 200 000 personnes
atteintes – le taux est équivalent aux États-Unis où 2 000 000 de
personnes seraient touchées.
L’hémochromatose est une anomalie… qui avait autrefois favorisé
la survie. Souvenez-vous! Il y a dix mille ans, vous étiez au temps de
la préhistoire. Chasseur-cueilleur, vous vous nourrissiez
principalement de viande rouge. Puis vous avez découvert
l’agriculture, devenant un Sapiens du néolithique. Vous avez
commencé à manger plus de céréales mais moins de viande. Vos
stocks en fer diminuaient, vous risquiez de développer une carence,
donc une anémie qui fatigue. Or, dans un environnement nettement
moins confortable et beaucoup plus physique que le nôtre, la fatigue
rend les chances de survie beaucoup moins importantes.
Pour survivre, la nature étant bien faite, votre ADN s’est adapté. Il
a développé une mutation, c’est-à-dire une modification spontanée
qui vous permettait d’absorber dix fois plus de fer sans pour autant
en manger plus. Vous aviez ainsi plus de chance de survivre et de
vous reproduire: c’est la naissance de l’hémochromatose.
Cette mutation s’est vraisemblablement produite en Europe
centrale et s’est étendue avec les migrations de populations vers
l’ouest et le nord de l’Europe. Les populations d’origine celte sont les
plus atteintes, mais le peuple viking l’était probablement aussi. Au
Moyen Âge, les grandes migrations ont étendu cette mutation en
Bretagne, en Normandie, dans les pays traversés par le Danube et
dans des régions autour de la Méditerranée. Elle a dû leur rendre
bien des services durant de longs périples en bateau à bord desquels
les Vikings ne mangeaient pas de viande, et donc pas de fer!
Aujourd’hui, les zones où elle est la plus fréquente sont l’Irlande, le
nord du Royaume-Uni, la Scandinavie, la Bretagne et la Normandie.
Mon patient atteint d’un cancer en phase terminale était d’origine
bretonne. Ce n’est pas une raison pour développer une paranoïa, à
l’image de cette patiente, porteuse de la mutation, qui m’a décrété
qu’elle interdirait à ses enfants d’épouser des natifs de Bretagne ou
de Normandie! D’autant plus que, comme pour les autres anomalies
génétiques, pour être malade, il faut que les deux parents soient
porteurs de l’ADN muté. On peut donc transmettre la susceptibilité à
ses enfants sans être soi-même malade.
Et ici, pas de sexisme: les femmes portent autant la mutation que
les hommes. Cependant, elles sont relativement protégées avant la
ménopause, les cycles menstruels permettant d’éliminer un peu de
l’excédent de fer. La maladie n’apparaît donc souvent chez elles que
quelques années après la disparition des règles. À l’inverse, chez les
femmes qui ont des règles abondantes, le fer peut manquer,
entraînant anémie et fatigue. La femme enceinte, elle, a des besoins
augmentés: 6 mg de fer par jour, contre 2 mg pour un homme et 2 à
4 mg pour une femme avant la ménopause – après quoi, ses besoins
sont identiques à ceux des hommes.
Chez les hommes (et les femmes après la ménopause), le foie qui
rouille peut être soigné et guéri grâce à une méthode d’autrefois, qui
fut d’ailleurs moquée par Molière. Il s’agit des saignées que les
médecins de son époque pratiquaient à tour de bras, les considérant
comme le traitement de toutes les maladies. Ils pensaient enlever le
sang surabondant ou malsain, ce qui nous semble maintenant
farfelu. Mais, pour le fer, l’idée était excellente! Les femmes ont leurs
saignées naturelles, les règles. Les hommes, eux, auront les vraies
saignées!
Mais pas de panique: les saignées n’ont rien de spectaculaire, elles
se déroulent un peu comme un don du sang. Chacune permet de
soustraire environ 200 à 250 mg de fer. En moyenne, lorsqu’on
découvre une hémochromatose, on propose aux hommes (et aux
femmes après la ménopause) une saignée de 400 ml environ par
semaine pendant un à deux ans. La surcharge anormale en fer
disparaît. Pour éviter qu’elle se reconstitue, on pratique des saignées
d’entretien trois à quatre fois par an. Grâce à ce traitement,
l’espérance de vie est normale. Pour les femmes avant la ménopause,
le traitement est moins intense.
La situation est moins claire en cas de surcharge en fer dans le foie
non lié à une hémochromatose. L’un de mes patients, un jeune
homme de vingt-cinq ans, avait été alerté par des douleurs aux
articulations. La cause de la surcharge était à l’évidence liée à la
malbouffe. Nous avons opté ensemble pour des saignées. Cette
décision peut être discutée pendant de très longues soirées d’hiver,
car tous les médecins et les experts ne sont pas d’accord. Son stock
en fer s’est néanmoins normalisé, ses douleurs articulaires ont
disparu… et il était ravi.
Par contre, avec un autre de mes patients, âgé de soixante-douze
ans, en surpoids du fait d’une alimentation déséquilibrée et un peu
arrosée, j’ai écarté l’option des saignées à cause de ses problèmes
cardiaques liés au surpoids. Leur bénéfice potentiel était inférieur au
risque qu’elles faisaient prendre pour le cœur. Il a eu droit, lui, à un
régime alimentaire strict.
Dans tous les cas, face à une surcharge en fer, il est illogique de se
gaver d’aliments… riches en fer. Le foie animal évidemment, mais
aussi le boudin, la viande rouge, les huîtres, les lentilles, le soja, le
tofu, les haricots blancs, le cacao – donc le chocolat. Par ailleurs,
l’alcool modifie le métabolisme du fer et augmente sa quantité dans
le foie, aggravant ainsi l’hémochromatose. Il faut également limiter
l’apport en graisses et en sucres qui favorisent la «maladie du soda»:
en cas de surcharge en fer, elle risque en effet d’être plus grave et
d’évoluer plus vite vers une cirrhose. Enfin, la prise de vitamine C,
qui favorise l’absorption digestive du fer, est déconseillée. En
revanche, on peut favoriser la consommation régulière de thé et de
café qui la ralentissent.
Toutefois, par rapport à l’efficacité des saignées, l’influence des
restrictions alimentaires sur le niveau de fer reste marginale, de
l’ordre de 15 à 20 mg ingérés par semaine par rapport au 200 à
250 mg enlevés par une saignée. Donc ne vous privez pas trop.
Quid alors de Popeye? A-t-il eu raison de prendre du fer pour être
fort et en forme? Oui s’il souffrait d’un manque de fer se traduisant
par une fatigue, une absence d’entrain, un essoufflement et une
anémie. Mais… il est probable que son histoire soit complètement
fausse. D’une part, les anémies concernent très rarement les
hommes, puisqu’ils n’ont pas de règles et donc aucune raison de
manquer de fer. D’autre part, son menu n’était pas étudié: la forme
du fer issu des végétaux, y compris les épinards, le soja ou les
lentilles, est mal assimilable par l’organisme. Popeye aurait été
mieux avisé de manger de la viande rouge où le fer provient des
globules rouges qui y sont encore présents et que notre organisme
sait très bien absorber.
La carence en fer ne fait évidemment pas rouiller le foie. Il est tout
de même important d’en rechercher la cause: des règles trop
abondantes chez les femmes, un régime faible en fer comme chez les
végétariens et les végan, ou une perte de sang microscopique dans le
tube digestif qui peut à terme se traduire en anémie. On sait que les
personnes intolérantes au gluten, souffrant de la maladie cœliaque,
n’absorbent pas correctement le fer. Dans certains cas, proposer une
supplémentation peut être utile. Elle doit être limitée et surveillée
par des prises de sang régulières.
Chapitre 13
L’exotique virus A
Il adore vivre dans l’eau que nous buvons et les aliments que nous
mangeons, y compris les moules ou les huîtres qui filtrent le virus et
le concentrent – heureusement, en France, le contrôle sanitaire des
coquillages et des eaux réduit ce risque, même s’il ne l’élimine pas
complètement. Au Québec, c’est le rôle du Programme canadien de
contrôle de la salubrité des mollusques.
Après avoir infecté les cellules de notre foie, il poursuit sa
promenade et il est éliminé dans les selles. L’individu porteur va aux
toilettes, touche une poignée de porte avant de s’être lavé les mains, y
dépose le virus. Celui ou celle qui le suit touche à son tour cette
poignée, s’imprègne la main du virus et la porte à sa bouche: il ou
elle est à son tour contaminé. Avec peu de chances d’y échapper:
dans 1 gramme de selles infectées, on trouve 100 millions à
10 milliards de virus A. Son foie est atteint et, par le même circuit,
son entourage risque une atteinte identique. Attention aussi aux
contaminations par les rapports ano-oraux: le virus passe
directement du tube digestif vers la bouche.
L’hépatite A est rare dans les pays occidentaux. En France, on
estime que 700 et 800 personnes sont contaminées chaque année,
souvent après un voyage dans un pays où l’eau potable est difficile
d’accès, où l’épuration des eaux usées pose problème, et où les fruits
et légumes sont arrosés avec ces eaux souillées. Consommés crus, ils
signent la maladie. Mais il n’est pas toujours nécessaire de voyager!
En 2010, toujours en France, une cinquantaine de personnes avaient
été contaminées par la consommation de tomates semi-séchées en
provenance de Turquie. Est-ce l’eau avec laquelle les tomates avaient
été arrosées sur place? Ou les mains des personnes qui les ont
manipulées à un stade du transport? On n’a jamais su quel a été, ici,
le facteur de la mondialisation du virus.
Au Québec, on a recensé 50 cas en moyenne dans la dernière
décennie. Par ailleurs, dans les populations vivant en collectivité, en
particulier dans les crèches où les couches sont manipulées, des
épidémies d’hépatite A sont possibles. De plus, comme il s’agit
d’enfants en bas âge, leurs défenses immunitaires (qui détruisent les
cellules porteuses du virus) ne sont pas très fortes et l’enfant peut
rester bien portant malgré la présence du virus – la discordance
entre des défenses immunitaires encore immatures et le fait que les
enfants vont guérir reste un point mystérieux pour la médecine. Les
puéricultrices ne savent donc pas que l’enfant est porteur. C’est le
début de l’épidémie mais, fort heureusement, tout le monde ou
presque va guérir.
Il existe un vaccin contre l’hépatite A mais aucun traitement
spécifique. Dans 95% des cas, après un pic, la maladie se résorbe
seule, sans séquelles, mais elle peut, beaucoup plus rarement,
entraîner une hépatite fulminante qui, elle, est très grave. Le virus A
ne persistant pas dans notre corps, il n’y a pas d’atteinte chronique
du foie qui lui soit liée.
Autrefois, pour des raisons d’hygiène, les épidémies étaient
autrement plus fulgurantes. Ainsi, en novembre 1942, lors de la
campagne d’El Alamein, 3 602 soldats avaient été hospitalisés pour
blessure… et 1861 pour hépatite A. Celle-ci avait également causé des
ravages aux États-Unis pendant les deux guerres, d’Indépendance
(1775-1783) et de Sécession (1861-1865).
Le virus E
Trois ou quatre semaines après avoir passé d’excellentes vacances en
Corse, l’un de mes amis s’est retrouvé avec un foie bien mal en point
et une forte jaunisse qui s’installait. Il s’est étonné quand je lui ai
demandé s’il avait apprécié les figatelles de ses apéros, c’était
effectivement le cas.
Les figatelles sont une spécialité corse, des saucisses crues ou peu
cuites à base de foie de cochon – de préférence les cochons sauvages
ou les sangliers qu’on trouve sur l’île. Or, le virus de l’hépatite E
adore se loger dans le foie des cochons et du gibier tel le cerf, mais
aussi des bovins, des chèvres et même des poulets. Le seul moyen de
s’en débarrasser est de bien cuire la viande. Faute de quoi, il est très
heureux de pénétrer dans notre corps pour finir dans notre foie. Les
produits cuits comme le jambon, les pâtés de foie (émulsion chaude),
les produits pasteurisés ou ayant été chauffés pendant plus de
deux heures ne posent pas de problème.
Le virus E est zoonose, c’est-à-dire qu’il se transmet de l’animal à
l’homme. Une transmission qui n’est pas forcément directe: au
Royaume-Uni, il avait été retrouvé dans plus d’un tiers des moules
recueillies près d’un élevage de porcs. Mais on peut aussi être
contaminé en consommant des baies comme les framboises sur
lesquelles des animaux sauvages porteurs du virus ont laissé leurs
déjections. Ce n’est pas, non plus, un virus particulièrement
exotique: il est assez répandu en Corse et dans le Sud de la France où
il est la première cause d’hépatite aiguë. Près de 2 000 cas y sont
diagnostiqués chaque année.
Mon ami avait été alerté par sa jaunisse; le plus souvent, une
infection au virus E ne suscite qu’une fatigue, voire aucun symptôme:
on guérit alors sans même savoir qu’on a été contaminé. À une
exception près: certaines formes d’hépatite E, qu’on trouve
notamment en Inde, peuvent être rapidement mortelles pour les
femmes enceintes.
D’autant qu’il n’existe aucun traitement médicamenteux contre ce
virus. Ce que l’on recommande? Du repos, une abstinence d’alcool…
et un peu de patience. C’est une maladie dont on ne conserve
habituellement pas de séquelles: nos défenses se mettent en marche
et nous débarrassent des virus en les éliminant dans les selles.
Dans les pays où le niveau d’hygiène est moins strict, ne buvez pas
d’eau non traitée comme l’eau des puits ou des rivières et ne mangez
que des aliments cuits à cœur. Les gestes de base doivent être
rappelés: bien se laver les mains après être allé aux toilettes, après
avoir changé la couche du bébé, avant de préparer les repas et de
manger. En cas d’hépatite déclarée, nettoyez les sanitaires, les
lavabos, les robinets et les poignées de porte avec de l’eau de Javel
diluée. Faites la vaisselle à l’eau chaude et lavez votre linge à 60°.
Gare à l’après-accouchement!
Notre organisme n’aime pas les étrangers: il les considère comme des
ennemis desquels il doit se protéger. Pour abriter l’enfant qu’elle
porte, la femme enceinte se met en situation de tolérance d’un
étranger: elle diminue ses défenses, et son système immunitaire est
donc moins actif dans son ensemble. Autrement dit, les globules
blancs ne détruisent pas systématiquement les cellules, dont celles
du foie, si elles sont infectées par un virus.
Paradoxalement, en cas d’hépatite, puisque les cellules du foie
meurent moins, le foie lui-même peut transitoirement s’améliorer.
Mais attention, seulement le temps de la grossesse. Car le virus, ravi
de ne plus être détruit, en profite pour se reproduire à toute allure.
Un cataclysme peut advenir après l’accouchement, aussi bien pour la
mère que pour l’enfant. Les défenses immunitaires se remettent en
route, à 100% voire plus, pour compenser le déficit de la grossesse.
Ils détruisent alors en masse les virus et, avec eux, les cellules qui les
abritent.
Si trop de cellules du foie sont détruites simultanément, la femme
risque une hépatite grave, le foie n’ayant pas le temps de régénérer.
C’est pourquoi une femme atteinte d’hépatite doit être étroitement
surveillée pendant sa grossesse et après l’accouchement.
Pour ce qui est de l’enfant né d’une femme infectée, il est exposé
dès ses premiers instants de vie à une grande quantité de virus, avec
un risque majeur d’être à son tour infecté, surtout par l’hépatite B. Il
doit alors impérativement être séro-vacciné dans les 12
premières heures de sa vie. Pour ce qui est du virus C, il y a aussi un
risque de transmission mais… pas de vaccin. Dépistons et traitons
cette hépatite avant la grossesse
Chapitre 14
L’empilement d’interactions
La première raison en est les différentes interactions que nous
subissons. Ainsi, le surpoids est un facteur d’inégalité face à l’alcool:
à consommation égale, deux verres par jour et ils sont vite
consommés, une personne enveloppée risque de voir beaucoup plus
vite l’état de son foie s’aggraver. Avec un bémol: il existe
heureusement des consommateurs réguliers d’alcool en surpoids qui
vont très bien.
Le stress, on l’a vu, n’est pas négligeable. Or c’est un facteur en très
nette croissance dans nos sociétés qui vont de plus en plus vite et
cultivent le culte de la performance. Stress + malbouffe + alcool
risquent fort, par leurs effets conjugués, de venir à bout du
malheureux foie, aussi héroïque soit-il.
L’interaction avec les médicaments est également à prendre en
compte. Même les plus anodins! Un patient m’avait ainsi consulté
pour une hépatite d’origine inconnue – les examens avaient montré
qu’elle n’était pas virale. Le niveau de ses enzymes du foie était très
élevé, proche de 1000 pour une normale à 40. Il avait été hospitalisé
quelques jours avant que tout ne rentre dans l’ordre… aussi
brutalement que sa maladie s’était déclarée. Intrigué, je l’avais
longuement interrogé. Il n’était pas un buveur d’alcool régulier, mais
il avait récemment fait la fête et en avait consommé une grande
quantité: un véritable binge drinking, deux jours de suite. Il en était
ressorti avec un mal de tête et, pour le soulager, avait pris pendant
quelques jours du Doliprane® (paracétamol) à une dose normale.
Le paracétamol est en vente libre et largement utilisé pour faire
baisser la fièvre ou diminuer les petites douleurs, y compris chez les
enfants. Or, comme tout ce qu’on avale, il passe par le foie. À doses
habituelles, il ne pose généralement aucun problème. Cependant, le
foie utilise un même peptide détoxifiant, le glutathion, pour traiter
l’alcool et le paracétamol. Leur excès simultané dans le foie de mon
patient lui a été impossible à gérer: ses stocks de glutathion se sont
épuisés… et il a été victime d’une hépatite médicamenteuse. C’est ce
qu’on appelle encore, à l’hôpital, la mésaventure au paracétamol…
Certains pensent également, comme moi, que le paracétamol
pourrait devenir un poison et être plus toxique en tuant les cellules
quand on a une atteinte hépatique liée au surpoids, entraînant une
carence en glutathion.
Le terrain génétique
On attribue communément nos inégalités en matière de santé au
terrain génétique. Mais en matière de sensibilité à l’alcool et à la
malbouffe, on sait aujourd’hui qu’il y a très peu de gènes qui
interviennent.
Il y a évidemment des exceptions, notamment celle qui touche
certains Japonais porteurs d’une anomalie génétique transmissible
de génération en génération: le syndrome «flush». On ne trouve pas,
chez eux, l’enzyme qui permet de fabriquer du vinaigre à partir du
dérivé toxique de l’alcool, l’aldéhyde. L’aldéhyde toxique s’accumule
donc dans leur organisme, rapidement et en grande quantité. Dès
qu’ils consomment de l’alcool, ils deviennent tout rouges et se
mettent à transpirer, leur cœur s’accélère et ils ont mal à la tête. Les
personnes atteintes de cette anomalie doivent y voir une chance:
elles sont tellement malades après un ou deux verres d’alcool qu’elles
n’ont aucun risque d’en consommer régulièrement, et encore moins
en grande quantité!
Par ailleurs, une étude étonnante a été menée par l’équipe du
professeur Karen Karajan Ryan, à Cincinnati, aux États-Unis, sur des
souris auxquelles on a fait subir une gastrectomie – une opération de
réduction de l’estomac telle qu’elle est pratiquée chez les personnes
obèses pour induire une perte de poids. Un premier groupe de souris
avait été génétiquement modifié: on les avait privées du gène FXR
qui joue un rôle dans le métabolisme (la réabsorption) des acides
biliaires produits par le foie. Contrairement aux souris d’un
deuxième groupe, qui disposaient de ce gène et ont maigri après
l’opération, celles du premier groupe ont continué, malgré
l’opération, à prendre du poids.
Le microbiote
Le microbiote intestinal, encore appelé la flore intestinale,
représente l’ensemble des micro-organismes, des bactéries, appelés
plus généralement des microbes, que nous hébergeons dans notre
système digestif. Ces êtres vivants minuscules, faits d’une seule
cellule, sont si nombreux, cent mille milliards, qu’ils représentent
1,5 kg de notre poids (ils pèsent aussi lourd que le foie). Ils vivent en
parfaite symbiose avec nous, interagissent avec notre foie, notre
cerveau, avec l’ensemble de notre organisme et ont même une
influence sur notre comportement. Ils nous maintiennent en bonne
santé, nous aident à digérer et favorisent une bonne immunité.
Ils sont aussi capables de transformer certains produits toxiques
que nous absorbons pour les rendre inoffensifs. Ils fabriquent
également de nombreux composants qui leur permettent de
communiquer avec notre cerveau. Si on dit souvent que notre ventre
est notre deuxième cerveau, c’est grâce à sa flore intestinale!
J’ai la chance de diriger une équipe de recherches à l’Inserm au
sein de laquelle des études au long cours sont lancées. Certaines
concernent très précisément les interactions entre notre foie et notre
microbiote.
Au milieu des années 2000, nous avions ainsi mené la première
étude française sur le microbiote dans sa relation avec l’alcool. Mon
travail parallèle en milieu hospitalier m’avait autorisé quelques
originalités. Je me souviens ainsi des kilomètres que j’avais
parcourus, rue des Carnets, à Clamart, entre mon service et mon
équipe de recherches, avec des sachets où je récupérais les selles de
patients hospitalisés dont on savait qu’ils étaient consommateurs
d’alcool. Mes déambulations intriguaient tout le monde: dans le
secteur concurrentiel de la recherche, où le secret est de mise, je ne
pouvais évidemment pas expliquer ce qui semblait, vu de l’extérieur,
être une étrange lubie. Mais je savais que j’étais sur une bonne piste
et je tenais à aller jusqu’au bout de l’étude qui a été longue, souvent
frustrante parce qu’il faut attendre les résultats, les confirmer, les
étudier encore avant de parvenir à une preuve scientifique.
Nous avions réparti les selles en trois groupes: celles appartenant à
des patients alcooliques dont le foie était en bon état de marche,
celles dont les «propriétaires» avaient une légère atteinte du foie, et
enfin celles provenant de patients ayant le foie très abîmé par
l’alcool.
Dans cette première phase de l’étude, la corrélation entre l’atteinte
hépatique et la présence de certaines bactéries dans le tube digestif
est apparue flagrante. Mais était-ce l’atteinte du foie qui avait
modifié les bactéries, ou bien certaines bactéries avaient-elles
agressé le foie, ou bien les deux à la fois?
Pour la deuxième phase de l’étude, nous avons pris les bactéries
incriminées et les avons transférées à des souris élevées en milieu
stérile, qui n’avaient donc jamais été en contact avec des bactéries.
On appelle ce procédé «l’humanisation des souris». Un groupe de
souris a reçu les bactéries des patients qui avaient un foie très atteint
et l’autre groupe, les bactéries de ceux dont le foie allait parfaitement
bien. Nous leur avons fait à toutes boire de l’alcool, et les résultats
étaient incroyables: les souris auxquelles avaient été inoculées les
bactéries des buveurs d’alcool malades du foie sont tombées malades
du foie. Celles qui avaient reçu les bactéries des buveurs d’alcool au
foie sain sont restées saines. Autrement dit, la sensibilité du foie à
l’alcool a été transmise non par des gènes, mais par la présence d’un
certain type de bactéries dans le système digestif.
Il est par ailleurs presque certain que les bactéries digestives
produisent des composés, protecteurs ou délétères, qui passent
directement dans le foie. Avec une même quantité consommée, un
nombre de verres équivalent, un type d’alcool identique, une
personne restera en parfaite santé alors qu’une autre développera
une maladie grave, voire mortelle, du foie. Ce n’est pas seulement la
quantité qui compte. Il y a aussi la façon dont le foie et les bactéries
gèrent cette quantité, et c’est un facteur d’inégalité.
Les effets du microbiote ne concernent pas uniquement l’alcool. En
2014, une étude merveilleuse d’une équipe israélienne du Weizmann
Institute a été consacrée à l’effet des édulcorants sur le diabète… par
l’intermédiaire de ce microbiote. Pendant cinq semaines, des souris
ont reçu de fortes doses d’édulcorants qui ont effectivement modifié
leurs bactéries digestives. Elles sont devenues diabétiques. Les selles
de ces souris, renfermant donc le microbiote modifié, ont été
récupérées et transférées à d’autres souris qui n’avaient pas pris
d’édulcorants: elles sont devenues diabétiques à leur tour. Une étude
parallèle a été menée chez les êtres humains: cinq hommes et deux
femmes ont reçu, pendant une semaine, de la saccharine à forte dose.
Ces sept jours ont suffi pour que quatre d’entre eux développent une
résistance, heureusement provisoire, à l’insuline.
On peut également supposer que le surpoids est affaire de la
présence, dans notre système digestif, d’une population moins
diversifiée de bactéries. Globalement, plus on est nombreux, plus on
s’amuse, plus ça marche!
Le microbiote jouerait aussi un rôle dans notre comportement: il
nous pousse à boire! L’addiction est une envie irrépressible et
répétée de consommer un produit et, malgré tous les efforts, on
n’arrive pas à s’y soustraire. Celle qui nous intéresse ici est liée à
l’alcool mais il peut aussi s’agir de tabac, d’héroïne, d’une addiction
aux jeux, etc. On sait que tout sevrage à une addiction est compliqué.
Volonté défaillante? En réalité, des études récentes ont montré que
nos bactéries intestinales sont impliquées dans les comportements
addictifs. Certaines pourraient aider au sevrage en fabriquant des
produits qui modifient les circuits neurologiques: là encore, notre
tube digestif devient notre second cerveau…
Je me dois de citer l’étude de l’équipe belge d’Isabelle A. Leclercq
et Patrice D. Cani. Des personnes ayant une addiction à l’alcool ont
été séparées en deux groupes, en fonction de leur score d’addiction
(l’envie de se diriger vers une bouteille d’alcool, l’anxiété liée à
l’alcool…). Ces scores dits de gravité de l’alcoolisme ont été corrélés à
la perméabilité intestinale: plus l’intestin est anormalement
perméable à certaines toxines et bactéries, moins il sélectionne ce qui
va passer à travers la veine porte jusqu’au foie. Pris de court, ce
dernier ne réussit pas à filtrer toutes les toxines qui lui parviennent.
Les scores de gravité ont également été corrélés à la présence de
certaines bactéries dans le tube digestif.
Peut-être qu’en ciblant cette barrière et nos bactéries intestinales,
on arriverait à limiter le risque de récidive d’alcoolisme chez les
personnes qui ont arrêté l’alcool. On peut anticiper que les
addictions à l’alcool, au sucre, au sexe, au tabac, ont toutes, plus ou
moins, les mêmes mécanismes physiologiques.
Le foie, un peu comme un troisième cerveau, participe à ce
phénomène addictif. De même qu’il envoie des protéines au cerveau
pour lui dire qu’il a assez de sucre ou, au contraire, qu’il en veut
encore, il est probable qu’il tienne un rôle dans les autres addictions.
Nous sommes là à la limite des connaissances scientifiques actuelles,
mais il me semble quasi certain que ce rôle sera un jour étudié plus
en profondeur et que nous aurons les moyens de le démontrer. On
sait déjà que les acides aminés de certaines protéines du foie jouent
un rôle sur les neurotransmetteurs qui interviennent sur nos
humeurs. Et donc sur nos addictions. Ce sont des sujets sur lesquels
mon équipe travaille actuellement.
Des perspectives thérapeutiques gigantesques s’ouvrent ainsi
devant nous. Elles aboutiront sans doute dans quelques années, mais
les recherches restent pour l’heure balbutiantes. Celles qui existent
se font actuellement sur des souris, mais il restera évidemment à
transposer ces résultats sur des humains. Car, comme j’ai souvent
coutume de le répéter, nous ne sommes pas que des grosses souris et
nous ne savons pas encore comment notre organisme, bien plus
complexe, réagirait.
IV
Quelle médecine
pour sauver son foie?
Chapitre 17
Mes patients d’aujourd’hui ne sont pas ceux que j’ai connus à mes
débuts. Grâce à Internet, ils sont, si ce n’est mieux informés, en tout
cas informés de leur maladie, de son pronostic, de ses traitements et
surtout des traitements alternatifs proposés.
Les plus courageux me demandent s’ils peuvent recourir à un
complément alimentaire pour protéger leur foie – j’imagine que
certains en prennent sans me le demander. S’attendent-ils à une
levée de boucliers de ma part? Je suis pourtant d’autant moins
opposé à ces compléments, pris dans les limites du raisonnable, que
les ressources thérapeutiques classiques sont minimes dans ma
spécialité.
Les antioxydants pourraient être intéressants dans de nombreux
cas d’inflammations hépatiques, en particulier quand elles sont liées
au surpoids avec un risque de stress oxydant ou en cas de
consommation d’alcool un peu excessive. Ils ont peut-être un effet
protecteur à condition de les prendre assez tôt, lorsque l’atteinte du
foie n’est pas trop avancée, et en cure de plusieurs semaines ou mois.
Ceci dit, en aucun cas ils ne doivent être pris en remplacement d’un
médicament qui a fait la preuve de son efficacité: ils sont, comme
leur nom l’indique, des compléments.
Par contre, dans certains cas, je les déconseille formellement, en
particulier quand l’atteinte du foie est trop sévère et dans le cas de
cancers: ils risquent alors d’être délétères et pourraient
paradoxalement aggraver l’atteinte, voire inhiber les traitements
anti-cancéreux s’ils sont mis en place.
En effet, un antioxydant peut ralentir le vieillissement d’une
cellule. Mais la cellule est programmée pour mourir. Mettez-vous à la
place d’une cellule du foie. Vous êtes en pleine forme, vous travaillez
bien. À un moment donné de votre vie, vous vieillissez, vous fatiguez,
vous êtes donc moins efficace. Or, vous vivez en société, avec toutes
les autres cellules du foie. Votre baisse d’efficacité ralentit les autres
puisqu’en plus de leur propre travail, elles doivent assurer l’excédent
de votre travail que vous n’avez pas pu mener à bien. Ce qui se
produit naturellement dans notre foie n’est pas très moral: les
cellules qui vieillissent se suicident et disparaissent pour protéger le
fonctionnement de l’organe dans son ensemble. Les antioxydants
risquent, eux, de prolonger artificiellement la vie de ces cellules
fatiguées. Or, quand le foie est très atteint, trop de cellules sont
fatiguées et handicapent le travail des plus jeunes. Il vaut mieux les
laisser mourir. D’autre part, en restant artificiellement en vie, la
cellule vieillissante risque de se transformer en cellule immortelle…
mais cancéreuse.
Pour tous les autres cas, je ne saurais proposer un antioxydant
plutôt qu’un autre: il n’existe aucune étude permettant de les
comparer. On sait que leur consommation diminue légèrement
l’inflammation du foie (on le constate par les résultats des taux
d’enzymes dans les analyses de sang), mais leur mécanisme d’action
n’a pas encore été identifié.
Les antioxydants les plus connus sont les polyphénols, très
présents dans le monde végétal: ce sont des molécules dites
aromatiques qui donnent leur goût, leur arôme et leur couleur aux
aliments. Leur famille inclut les tanins du thé et du vin, en particulier
rouge, ainsi que les flavones présentes dans le café, le thé, le soja, les
pommes, le pamplemousse ou les fruits rouges qui lui doivent leur
couleur. On en trouve également dans les épinards, les brocolis,
l’artichaut, le radis, l’ail et l’oignon. Ils ont des pouvoirs antioxydants
et anti-inflammatoires.
Une autre catégorie d’antioxydants est constituée des phytostérols,
présents dans toutes les plantes. Ils sont, en quelque sorte, le
cholestérol du monde végétal et sont particulièrement concentrés
dans les huiles végétales, les noix, les noisettes, les amandes et le
curcumin, l’actif du curcuma. Leur particularité, lorsqu’on les
consomme? Entrer en compétition avec le cholestérol, diminuer les
taux du mauvais cholestérol et freiner ses effets délétères.
Les aliments qui ont la réputation de protéger le foie tirent leur
efficacité des antioxydants qu’ils contiennent. J’en ai retenu certains
qui me semblent particulièrement intéressants. Pour autant, ne vous
amusez pas à aller les cueillir dans les champs! Comme on ne peut
pas manger tous les jours plusieurs kilos de radis ou d’artichauts, on
optera pour les préparations vendues dans les magasins spécialisés
en diététique, les grandes surfaces et les magasins bio. Elles peuvent
associer plusieurs composants et les actifs sont proposés à plus forte
dose.
Je vous invite tout de même à la prudence quant à la provenance et
à la pureté des compléments alimentaires vendus sur Internet.
Le curcuma
Le curcuma est une plante qu’on trouve beaucoup en Inde. Le
curcumin, nom du pigment extrait de cette plante, est utilisé de très
longue date par les médecines indienne et chinoise et il l’a été, en
Europe, dès le xve siècle. Lorsqu’il est pur, de bonne qualité, le
curcumin a des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes. Il
pourrait prévenir le processus de cicatrisation fibreuse du foie et
empêcher ses cellules de se gorger de graisse, mais aussi diminuer le
taux des triglycérides et du cholestérol dans le sang – ce qui protège
le foie. Il serait ainsi utile en cas d’atteinte hépatique liée au surpoids
ou à l’alcool.
C’est du moins ce qui est advenu chez des souris de laboratoire,
dans le cadre d’une étude qui remonte à plus de dix ans. Elles avaient
été réparties en deux groupes soumis à un même régime alimentaire
déséquilibré, dans le but de créer un foie gras. Du curcumin avait été
rajouté aux rations des souris du premier groupe: elles ont moins
souffert d’atteintes hépatiques que celles du second groupe. La piste
est intéressante, mais les bémols sont nombreux. D’une part, cette
étude n’a jamais été renouvelée comme c’est habituellement le cas
pour les recherches scientifiques. Par ailleurs, elle manquait de
rigueur: par exemple, elle n’avait pas inclus un dosage du curcumin
dans le sang des souris. Il est dommage que les études
internationales ne se penchent pas sur ce sujet, considéré mineur
pour une raison très matérielle: je ne connais pas de laboratoires qui
réaliseraient des investissements pour des études sur le curcumin,
sans perspective de retour sur les frais!
L’autre problème du curcumin est sa très mauvaise absorption: 1%
seulement de la dose prise est retrouvée dans l’organisme. Un
pourcentage toutefois amplifié quand il est associé à la pipérine, un
dérivé du poivre noir: sa destruction par le foie est alors réduite, ce
qui permet d’augmenter son effet.
Mais, comme toujours, il y a un côté obscur: le curcumin doit être
pris à fortes doses pour être détectable dans le sang. Or, à ces doses,
il est possible que le produit, qui n’est jamais pur à 100%, contienne
des dérivés toxiques pour le foie.
Le radis
Cette racine est depuis longtemps utilisée pour ses propriétés
digestives: elle est considérée comme laxative, stimulante et pouvant
soulager les douleurs de l’estomac. Riche en flavones et en
antioxydants, le radis, en particulier noir, aurait selon certaines
études, des propriétés anti-inflammatoires, antimicrobiennes et anti-
tumorales. Il protégerait la membrane des cellules en cas de régime
trop gras.
Une étude menée en 2015 par une équipe chinoise de Pékin a
consisté à donner un extrait spécifique de radis blanc asiatique à des
rats mis en régime alimentaire de type occidental – la malbouffe
dans une version enrichie en graisse. Ces extraits ont permis, dit
l’étude, de diminuer la graisse dans le foie, d’améliorer (un peu) le
taux d’enzymes du foie et de réduire (un peu aussi) les effets du
stress oxydant.
Consommé nature ou sous forme de compléments alimentaires, le
radis serait un bon rempart contre les toxiques qui nous agressent.
L’artichaut et le Chardon-Marie
L’artichaut est un chardon bien domestiqué et cultivé – auquel les
Grecs et les Romains attribuaient une grande valeur. Le Chardon-
Marie, lui, pousse dans les sols secs et ensoleillés, principalement
autour de la mer Méditerranée. Comme l’artichaut, les Grecs
l’utilisaient pour traiter les problèmes de foie. Pline l’Ancien
recommandait de boire le jus de la plante mélangé à du miel pour
«éliminer les excès de bile».
Le Chardon-Marie, et dans une moindre mesure l’artichaut,
contiennent des substances intéressantes pour protéger le foie,
comme les flavones, dont la silymarine (constituée de trois flavones
particulièrement antioxydantes). En théorie, la silymarine pourrait
avoir une action positive dans les atteintes du foie liées à l’alcool et
au surpoids, et peut-être en cas d’infection liée à un virus, mais son
efficacité est néanmoins limitée: après avoir été ingérée, elle reste en
majorité prisonnière du tube digestif, sans parvenir à franchir la
barrière intestinale pour être correctement absorbée.
Des travaux sur des cellules en culture, et moins sur des modèles
animaux, ont montré les propriétés anti-cancéreuses et anti-
fibrosantes de ces deux chardons et leur capacité à limiter le stress
oxydant, protégeant ainsi les cellules du foie. Je pense en particulier
à une étude menée par des chercheurs de Xiamen, en Chine, qui ont
donné pendant dix jours à des souris de l’alcool associé à des extraits
de feuilles d’artichaut. Par rapport à un groupe témoin, l’étude a
effectivement montré une réduction de certains marqueurs du stress
oxydant de 20 à 75% (selon les marqueurs), ainsi qu’une réduction
de 25% du taux des enzymes du foie. Là encore, ce sont des données
préliminaires qui sont intéressantes, mais l’étude reste critiquable
sur plusieurs points. D’abord elle n’a pas été reproduite alors que,
par définition, la science est reproductible. Elle n’a pas été testée
avec d’autres doses d’alcool, et c’est d’autant plus dommage que la
piste est prometteuse et laisse imaginer des possibilités dans le cadre
de la recherche de nouveaux médicaments.
Le ginseng
La variété la plus interpellante pour le foie semble être le Panax
ginseng d’origine asiatique, car il contient plus de substances actives.
Il a des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes qui
pourraient protéger le foie. Il serait également bénéfique dans
l’atteinte hépatique liée à l’alcool ou au surpoids.
La berbérine
C’est une substance extraite du vinettier ou épine-vinette, parfois
considéré comme une mauvaise herbe car elle favorise la croissance
de champignons toxiques pour le blé. La berbérine est largement
utilisée par les médecines chinoise et ayurvédique pour traiter la
diarrhée et les affections digestives.
Une étude menée en 2017 par des chercheurs de l’université de
Louvain, en Belgique, a montré qu’en injection, elle améliorait, chez
des souris, l’atteinte hépatique liée au surpoids en augmentant
l’expression par le foie d’une protéine jouant un rôle dans les
addictions au sucre.
La berbérine a des propriétés anti-inflammatoires et
antioxydantes, améliore l’action de l’insuline et peut faire diminuer
la quantité de graisse dans le foie. De plus, elle renforcerait la
barrière intestinale, la rendant plus imperméable au passage de
toxines délétères pour le foie. On pourrait la privilégier chez les
personnes qui sont en surpoids.
La spiruline
Très à la mode, on a longtemps hésité à la classer dans la famille des
algues (du fait de ses pigments), avant de la ranger dans celle des
bactéries. Riche en antioxydants, elle a, selon une étude menée à
Bruxelles en 2017, un effet bénéfique sur le foie des souris en
diminuant l’inflammation qui se produit naturellement au cours du
vieillissement, par une action sur le microbiote intestinal. L’étude
conclut que la spiruline pourrait, peut-être, améliorer l’immunité des
personnes vieillissantes.
Le romarin
Le romarin est un arbrisseau très présent sur le pourtour
méditerranéen. Utilisé en cuisine et en parfumerie, il est aussi
proposé en phytothérapie. Les flavones et les tanins qu’il contient le
dotent potentiellement de propriétés antioxydantes et d’effets
protecteurs sur le foie en cas d’agression. On le trouve dans plusieurs
compléments alimentaires.
Le Desmodium adscendens
C’est une plante des zones tropicales également riche en flavones.
Selon les pays, les médecines traditionnelles l’utilisent en décoction
pour soigner la douleur, la fièvre ou l’asthme. Couramment
consommée dans les régions où elle pousse, elle est moins connue en
Occident, et donc peu proposée en complément alimentaire.
Le café
Plus on boit du café, plus on protège son foie! En effet, plusieurs
études assez concluantes montrent que l’une des boissons les plus
consommées dans le monde est aussi un véritable ami et grand
protecteur de notre foie. De plus, ces études n’ont pas été réalisées
seulement sur des cellules en culture ou des animaux de laboratoire,
mais chez l’homme, dans la vraie vie.
Le café est associé à une diminution du stress oxydant, mais aussi
du niveau des enzymes du foie dans le sang, ce qui suggère qu’il
pourrait ralentir la mort de ses cellules. Sa consommation réduirait
les risques de cirrhose et de cancer du foie… et le bénéfice
apparaîtrait dès la première tasse consommée, notamment pour
protéger de la toxicité de l’alcool. Deux ou trois tasses par jour
permettraient de réduire le risque de cancer du foie de 38%. On
pense que cet effet est lié à la caféine mais également à d’autres
composantes du café qui peuvent activer des enzymes spécifiques
dans le foie, sans doute de détoxification. L’effet bénéfique du café ne
concerne donc pas forcément les autres boissons contenant de la
caféine.
Le café protège de tout… mais, justement parce qu’il est riche en
actifs efficaces, sa surconsommation entraîne des effets indésirables,
notamment sur le cœur et le tube digestif. C’est d’ailleurs le cas de
tous les produits efficaces qui, par définition, sont efficaces sur un
plan, et montrent une face obscure sur d’autres plans.
Le thé
Tous les thés sont riches en tanins antioxydants et en vitamine C, le
thé vert contient de surcroît des flavones particulières qui le rendent
encore plus antioxydant.
De manière générale, il préserverait des maladies cardiaques, de
certains cancers, en particulier du cancer du poumon et réduirait le
stress. Il est possible qu’il protège, à partir de 2 tasses par jour, du
cancer du foie et, plus généralement, des maladies hépatiques liées à
l’alcool, au tabac, au surpoids et au fer, pour les personnes à risque,
selon une étude récente de l’Institut national américain de la santé.
Néanmoins, son effet bénéfique est moins clair que celui du café.
Malgré ces propriétés, les médecins ont été surpris d’observer
plusieurs dizaines de cas d’hépatites associées à sa consommation.
Elles seraient peut-être causées par la présence d’impuretés
intervenues lors de manipulations au stade de la préparation. Des
impuretés dangereuses, dont des pro-oxydants particuliers toxiques
pour le foie, qui y génèrent la formation de radicaux libres entraînant
des destructions de l’ADN et des membranes des cellules. Des pro-
oxydants d’ailleurs retrouvés dans d’autres plantes, mais, là aussi, ils
pourraient y avoir été induits lors de la préparation. Ces cas restent
néanmoins exceptionnels au regard du nombre incroyablement élevé
de personnes qui consomment du thé.
La vitamine E
C’est un puissant antioxydant, présent dans les végétaux, mais aussi
dans les huiles d’olive, de tournesol ou de soja, le beurre, la
margarine et les poissons gras, les noisettes et les amandes. Elle évite
la destruction des acides gras oméga-3 protecteurs (qu’on trouve
dans les poissons gras et l’huile de colza ou de lin) et, grâce à ses
propriétés, elle peut être utilisée comme conservateur alimentaire
qui évite le rancissement des aliments (on la retrouve sous
l’appellation E306 à E309).
La carence en vitamine E est exceptionnelle. Une supplémentation
a été proposée chez les personnes qui ont une accumulation de
graisses dans le foie du fait de leur surpoids, mais, comme nos stocks
sont habituellement suffisants, je ne recommande pas cette
supplémentation chez une personne en bonne santé, sans problème
de foie. Elle pourrait même avoir des effets néfastes comme une
augmentation du risque de cancer de la prostate ou d’accident
vasculaire.
Nous nous méfions, à juste titre, des produits industriels que nous
mangeons, buvons ou respirons. Une nourriture saine que l’on
prépare soi-même, avec de bons ingrédients, sera toujours bien
meilleure qu’un plat industriel contenant des émulsifiants, des
conservateurs, des additifs et des excès de sel et de sucre, cruels pour
notre foie.
Mais attention à ne pas verser dans l’excès inverse: tout ce qui est
naturel n’est pas forcément bon pour la santé, en particulier pour le
foie. Si beaucoup de plantes ont des effets bénéfiques sur notre
organisme, d’autres ont aussi une face obscure.
Non seulement il ne faut pas consommer n’importe quoi, mais de
surcroît, rien n’est jamais complètement bon ou complètement
mauvais pour notre organisme. Or, lorsque nous cherchons des
informations précises pour protéger notre foie, nous mélangeons
tout. Et quand nous les glanons sur Internet, nous lisons tout et son
contraire et au final, nous ne savons plus quoi faire. Ce flou est lié
dans certains cas à la méconnaissance, dans d’autres à la volonté
plus ou moins délibérée de ne mettre en valeur que l’aspect
bénéfique d’un produit – celui qui est à vendre. Le reste est omis.
Pour les médicaments, le médecin est obligé d’informer son patient
des effets indésirables, même les plus rares. Pour les compléments
alimentaires, la loi n’est pas la même.
J’ai le souvenir d’une patiente qui m’avait consulté pour une
hépatite révélée par l’élévation du taux des enzymes du foie. Elle
m’avait été envoyée par son médecin traitant qui y perdait son latin:
il ne trouvait aucune cause à sa maladie. Je me suis intéressé à ses
éventuels traitements alternatifs, elle m’a indiqué prendre (par voie
orale) un produit à base d’huile de bourrache pour fortifier ses
cheveux. Cette huile, extraite de la fleur de bourrache, est riche en
acides gras oméga-3, 6 et 9, en antioxydants et est présentée comme
bénéfique car anti-inflammatoire, antioxydant et ralentissant le
vieillissement. Ses propriétés annoncées sont ainsi exactes. Ce qu’on
ne dit pas, c’est qu’elle contient aussi des substances au nom
compliqué d’alcaloïdes pyrrolizidiniques, très toxiques pour le foie.
Personne ne peut affirmer que la bourrache, prise trop longtemps, ne
peut pas provoquer d’hépatite ou même favoriser un cancer du foie:
des décès ont été rapportés dans des pays où elle est fréquemment
utilisée et, en Belgique, un arrêté en interdit la vente. Bien sûr, ce
type de toxicité est très rare, mais mieux vaut ne pas être le premier
cas, car il n’est pas prévisible. J’ai signalé à cette patiente la
corrélation avec son hépatite, sans pouvoir pour autant affirmer que
l’huile de bourrache en était l’unique cause. Cependant, quand elle a
cessé d’en prendre, son état s’est très nettement amélioré. C’est un
produit que je déconseille.
Un cas similaire s’est présenté avec une autre patiente qui, elle,
prenait régulièrement, par voie orale, de l’Aloe vera, un antioxydant
qui a la réputation d’être bon pour la santé, mais qui peut, chez
certains, causer des hépatites. Effectivement, quand elle a arrêté
l’Aloe vera, son foie s’est normalisé. Là non plus, je n’en avais pas la
preuve, je pouvais juste constater la corrélation. J’aurais eu la preuve
si elle avait recommencé à en reprendre et si les ennuis de son foie
s’étaient à nouveau manifestés.
Nous savons aussi que tous les champignons ne sont pas bons à
manger. Mais nous savons moins pourquoi. L’amanite phalloïde est
probablement le champignon le plus vénéneux. Cela est difficile à
vérifier, mais elle pourrait être à l’origine de la mort du pape Clément
VII en 1534 et de l’empereur du Saint-Empire Charles VI en 1740.
Comme elle ressemble à des espèces comestibles, elle reste, de nos
jours, toujours responsable de décès dans les pays occidentaux.
L’amanite phalloïde contient des substances particulières, les
amatoxines. Même à très faible dose, celles-ci bloquent les cellules
du foie qui meurent quelques heures après l’ingestion. On commence
par vomir, puis on tombe dans le coma. Avec de la chance, le peu de
foie qui reste régénérera. Avec moins de chance, on sera obligé
d’avoir une greffe d’un nouveau foie en extrême urgence. Et s’il n’y a
pas de donneur, on ne se réveillera pas…
La Germandrée petit-chêne est un autre exemple de plante
potentiellement dangereuse. Elle aurait pu être bonne pour la santé:
elle contient des flavones et des tanins antioxydants. Les Grecs
l’utilisaient contre la toux et l’asthme et, en 1986, elle est revenue à la
mode, en particulier en France, pour favoriser la perte de poids.
Dans les années qui ont suivi son utilisation, des cas très graves
d’hépatite sont apparus. Certains ont nécessité une greffe de foie en
extrême urgence et d’autres ont entraîné la mort. La Germandrée
petit-chêne a, depuis, été interdite à la vente.
Le tabac est, lui aussi, une plante. On le sait toxique pour les
poumons, les vaisseaux, le cœur, la gorge. Le foie n’est pas sa
première cible, mais il ne l’apprécie pas. Des expérimentations chez
l’animal ont montré que la nicotine peut entraîner une inflammation
ou favoriser la fibrose, surtout lorsqu’elle est associée à d’autres
toxiques. Même si ce n’est pas très clair, on suppose que la
consommation de tabac favorise le cancer du foie, surtout quand il y
a un deuxième facteur de risque comme une infection virale. Mieux
vaut éviter!
L’autre plante dont on parle beaucoup, y compris pour vanter ses
vertus thérapeutiques, est le cannabis. Il est en tout cas une belle
illustration de la dualité des plantes! Quand il est consommé, le
cannabis se retrouve dans le sang et se rapproche du foie. Il cherche
même à pénétrer à l’intérieur de ses cellules. Il a alors le choix entre
deux «portes» différentes, c’est-à-dire des récepteurs différents.
Le premier récepteur est toxique: lorsqu’il est utilisé par le
cannabis, il favorise l’aggravation des maladies du foie, en particulier
le processus de cicatrisation, c’est-à-dire la fibrose qui aboutira à la
cirrhose. En revanche, si le même cannabis choisit le deuxième
récepteur, il peut inhiber le processus de fibrose et protéger le foie.
C’est ce qui arrive souvent quand il accompagne la consommation
d’alcool: il réduit de moitié le risque de stéatose et de cirrhose
alcooliques.
Cependant, la consommation de cannabis aggrave l’hépatite C: les
consommateurs développent plus rapidement une cirrhose. Par
ailleurs, en cas de régime déséquilibré, le cannabis favorise
l’accumulation de graisses dans le foie et aggrave les lésions. Le
cannabis a donc lui aussi une face claire et une face obscure! Mieux
vaut donc s’abstenir pour protéger son foie! En revanche, si l’on
parvient à créer des dérivés du cannabis qui ne choisiraient que le
deuxième récepteur, celui qui protège le foie, on aurait grand espoir
de découvrir de nouveaux traitements protecteurs.
Des questions me sont parfois posées par des patients au sujet de
la cocaïne, issue des feuilles de la coca, une plante médicinale
d’Amérique du Sud. Le foie, je suis catégorique, n’aime pas ce type de
consommation, pas plus d’ailleurs que celle des amphétamines et
autres ecstasy: il a du mal à les épurer, et ces substances suscitent un
stress oxydant aigu qui fait souffrir ses cellules jusqu’à les tuer. Or,
comme on l’a vu, si trop de cellules meurent en même temps, une
défaillance importante du foie peut survenir, et la greffe en urgence
est alors la seule solution.
Faites attention à vous! Et, dans tous les cas, prévenez votre
médecin de ce que vous faites pour que votre foie, cet ami si discret,
puisse être surveillé par une prise de sang de temps en temps.
Chapitre 20
Prébiotiques et probiotiques,
des aliments qui soignent?
Les prébiotiques
Ce sont des sucres non digestibles, la nourriture dont raffolent nos
propres bactéries digestives: comme nous, elles ont besoin de se
nourrir pour vivre et se multiplier.
Le lait maternel en est riche sous forme de galacto-
oligosaccharides ou GOS. On sait aussi en fabriquer artificiellement:
c’est le lactulose, un produit prescrit, souvent sans savoir que c’est un
prébiotique, aux personnes très malades du foie ou constipées (la
constipation entraîne une stagnation de toxines nocives pour le foie).
Mais les prébiotiques sont essentiellement présents dans certaines
fibres alimentaires, sous forme d’inuline et de fructo-
oligosaccharides (ou FOS). Nous connaissons les aliments qui en
sont riches: l’ail, les artichauts, la chicorée et, dans une moindre
mesure, les asperges, les oignons, les panais, les poireaux, le blé
entier, l’orge, le seigle et les topinambours. On en trouve aussi dans
les choux et brocolis, les lentilles, les ananas, les bananes ou encore
les amandes et les haricots rouges.
Les autres fruits et légumes sont cependant riches en fibres comme
la pectine, la cellulose et la lignine qui régulent le transit intestinal.
D’autre part, une étude que nous avons réalisée à Clamart a
démontré que la pectine favorise la croissance de bactéries
bénéfiques qui protègent le foie de l’alcool chez les souris.
Quand on a déjà une alimentation diversifiée, on consomme
forcément des prébiotiques, sinon une fois par jour, au moins tous
les deux ou trois jours: quelques asperges, de l’ail, des oignons, une
poignée d’amandes font largement l’affaire.
Par contre, si, en revoyant votre menu de la semaine, vous
constatez que ce n’est pas le cas, ne bouleversez pas votre
alimentation du jour au lendemain, mais réintroduisez-y de manière
très progressive les aliments prébiotiques – sous peine de maux de
ventre qui pourraient durer quelques jours, le temps que l’organisme
s’adapte.
Attention tout de même en cas de troubles fonctionnels
intestinaux: ces fibres «intelligentes» sont aussi celles qui
contiennent le plus de FODMAP (mono-, di-, oligo-saccharides
fermentables et polyols) qui fermentent et produisent des gaz
susceptibles d’entraîner ballonnements et douleurs. Les pets
pourront être importants et gênants! Il ne faut pas brusquer nos
bactéries, mais être à leur écoute…
Les postbiotiques
C’est une piste à la fois très ancienne… et complètement neuve qui
s’ouvre désormais à la recherche. Les postbiotiques sont les
substances fabriquées par nos bactéries intestinales pour mener leur
travail à bien. Elles permettraient donc de parvenir à un résultat
optimal, sans passer par l’une des deux étapes que nous venons de
voir: «manger» des suppléments de bactéries ou «faire manger» nos
bactéries existantes.
L’exemple de postbiotique le plus connu est celui de la bile d’ours.
Aujourd’hui, cette bile est artificiellement synthétisée en laboratoire
et son efficacité est démontrée. Reste que, pour l’heure… elle est le
seul postbiotique que nous utilisons vraiment comme traitement.
Plusieurs laboratoires se penchent actuellement sur ce sujet. Les
résultats ne sont pas escomptés avant plusieurs années – la durée
des protocoles avant la validation de la mise sur le marché d’un
médicament. Les perspectives sont cependant immenses…
Avec, entre autres, l’étude sur les souris que j’ai décrite au début de
ce chapitre, notre équipe de l’Inserm a montré qu’en fonction des
bactéries intestinales que nous portons, notre foie est plus ou moins
sensible à l’alcool. Malheureusement, nous ne pouvons pas encore
identifier précisément les bactéries qui interviennent dans cette
sensibilité ou qui seraient aptes à la prévenir.
Nous savons aussi que nos bactéries jouent un rôle dans notre
comportement: elles peuvent nous pousser à boire! L’addiction est
une envie irrépressible et répétée de consommer: de l’alcool, du
tabac, des drogues ou même des jeux. Le sevrage de toute addiction
est compliqué et souvent voué à l’échec. Volonté défaillante? Pas
seulement! Des études ont montré récemment que nos bactéries
intestinales sont impliquées dans les comportements addictifs.
Certaines d’entre elles pourraient aider au sevrage en fabriquant des
produits qui modifient les circuits neurologiques – nous ne savons
pas encore lesquelles. Mais peut-être que demain, votre yogourt
enrichi suffira à vous débarrasser de toutes vos addictions!
Conclusion
Ma liste de courses n’est pas conçue comme une série de diktats pour
un régime occasionnel, mais comme des conseils à apprivoiser et
appliquer sur le long terme.
Elle permet de composer les trois repas quotidiens qui nous sont
indispensables, y compris un vrai déjeuner. Je n’ai pas inclus les
incartades que l’on peut se permettre de temps en temps, à condition
de veiller à l’équilibre et à la diversification des repas sur l’ensemble
de la journée et de la semaine: une boisson gazeuse, un verre de vin
ou un dessert ne détruiront pas un foie en bonne santé… s’ils ne sont
pas tous les jours à table.
D’ailleurs, exception faite des légumes, aucun aliment, pas même
les fruits, ne doit être consommé de façon excessive.
Nos repas, il est important de le dire, seront dégustés plutôt
qu’avalés: en mangeant lentement, en mâchant bien les aliments, le
travail du tube digestif est facilité et le sentiment de satiété peut
arriver pendant que l’on mange. Dans ce cas, ne pas se forcer à
terminer son assiette!
Et enfin, pour le bien-être de notre foie, évitons les grignotages et
veillons à avoir une activité physique régulière.
Laitages
Lait à 2%.
Yogourt grec à 2%.
Yogourt nature.
Fromages à moins de 45% de matière grasse (3 portions par
semaine pour les personnes en surpoids, sinon 1 portion par
jour).
Viandes
Charcuteries
Poissons et crustacés
Œufs
Pain
Pain de seigle.
Pain de blé entier.
Pain au son.
(Pas plus de 50 grammes par repas, soit 150 grammes par jour si
on ne consomme pas en même temps de féculents. À noter qu’une
baguette pèse 250 grammes.)
Féculents
Flocons d’avoine.
Pommes de terre (moins de 100 grammes par jour).
Riz, pâtes, tapioca, blé (moins de 150 grammes par jour, cuits.
Privilégiez-les complets).
Petit pois, maïs, polenta (moins de 150 grammes).
Lentilles.
Haricots blancs ou rouges.
Pois chiches.
Pois cassés.
Légumes
Fruits frais
Les fruits secs, qui ont donc perdu l’eau des fruits frais, sont 5 à 6
fois plus concentrés en sucres à poids égal. Ils doivent être évités
quand on a des problèmes de foie, à cause de cette concentration.
Matières grasses
Beurre.
Margarine au maïs, tournesol ou olive.
Huile d’olive ou de colza.
Crème sure.
Sucres et édulcorants
Boissons
Ouvrages
Guide de thérapeutique Perlemuter, Plus de 1000 maladies, plus de 3000 médicaments,
avec Léon Perlemuter, 9e édition, Elsevier Masson (livre + application), 2018.
Cahiers des ECN, co-direction d’une collection en 18 volumes destinée aux étudiants en
médecine, avec David Montani et Léon Perlemuter, Masson.
Les bactéries, des amies qui vous veulent du bien, avec Anne-Marie Cassard, Solar, 2016.
Études scientifiques
Les travaux de recherche que je dirige à l’Inserm nous ont permis de publier, dans des
revues internationales, dans leur majorité en langue anglaise, de nombreuses études
scientifiques validées par nos pairs. Elles sont toutes disponibles sur le site de la National
Library of Medicine. Je cite ici, parmi les plus récentes, celles qui me semblent les plus
marquantes:
«Transplantation of human microbiota into conventional mice durably reshapes the gut
microbiota», Sci Rep., mai 2018.
«Transient elastography alone and in combination with FibroTest® for the diagnosis of
hepatic fibrosis in alcoholic liver disease», Liver Int, 2017.
«Liver function test abnormalities in depressed patients treated with ANtidepressants: A
Real-World Systematic Observational Study in Psychiatric Settings», PLoS One, mai 2016.
«CXCR4 dysfunction in non-alcoholic steatohepatitis in mice and patients», Clin Sci, 2015.
«Alcohol withdrawal alleviates adipose tissue inflammation in patients with alcoholic liver
disease», Liver Int, 2015.
«Body Fat Distribution and Risk Factors for Fibrosis in Patients with Alcoholic Liver
Disease», Alcohol Clin Exp Res, 2013.
«Gut microbiota transplantation demonstrates its causal role in the development of type 2
diabetes and fatty liver», Gut, 2013.
«Toxic lipids stored by Kupffer cells correlates with their pro-inflammatory phenotype at an
early stage of steatohepatitis», J Hepatol, 2012.