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Domesticar: perspectiva, mediação, escala

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Encontro II: fraturar, fissurar, extrair [29.abril.2023]

Brutalisme - Achille Mbembe

Dans cet essai, je convoque la notion de brutalisme pour décrire une époque saisie par le pathos de
la démolition et de la production, sur une échelle planétaire, de réserves d’obscurité. Et de déchets
de toutes sortes, restes, traces d’une gigantesque démiurgie. […]

Par brutalisme, je fais donc référence au procès par lequel le pouvoir en tant que force
géomorphique désormais se constitue, s’exprime, se reconfigure, agit et se reproduit par la
fracturation et la fissuration. J’ai également à l’idée la dimension moléculaire et chimique de ces
processus. La toxicité, c’est-à- dire la multiplication de substances chimiques et de déchets
dangereux, n’est-elle pas une dimension structurelle du présent ? Ces substances et déchets (les
déchets électroniques y compris) ne s’attaquent pas seulement à la nature et à l’environnement
(l’air, les sols, les eaux, les chaînes alimentaires), mais aussi aux corps ainsi exposés au plomb, au
phosphore, au mercure, au béryllium, aux fluides frigorigènes.

Par le biais de ces techniques politiques que sont la fracturation et la fissuration, le pouvoir recrée
non seulement l’humain, mais des espèces, véritablement. Le matériau auquel il s’efforce de
(re)donner forme ou qu’il tente de transformer en espèces neuves est traité d’une manière similaire
à celle que l’on utilise lorsqu’on s’attaque à des roches et à des schistes qu’il s’agit de dynamiter
afin d’en extraire du gaz et de l’énergie. Vue sous cet angle, la fonction des pouvoirs contemporains
est donc, plus que jamais, de rendre possible l’extraction. […]

La transformation de l’humanité en matière et énergie est le projet ultime du brutalisme. […]

Le brutalisme est son véritable nom, apothéose d’une forme de pouvoir sans limite extérieure ni
dehors, et qui a renoncé aussi bien au mythe de la sortie qu’à celui d’un autre monde à venir.
Concrètement, le brutalisme se caractérise par l’étroite imbrication de plusieurs figures de la
raison : la raison économique et instrumentale, la raison électronique et digitale et la raison
neurologique et biologique. Il repose sur la profonde conviction selon laquelle il n’existe plus de
distinction entre le vivant et les machines. (pp.10-28)
The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalism - Anna L.
Tsing

The ability to make one’s re-search framework apply to greater scales, without changing the
research questions, has become a hallmark of modern knowledge. To have any hope of thinking
with mushrooms, we must get outside this expectation. In this spirit, I lead a foray into mushroom
forests as “anti-plantations"[…] This quality is “scalability.”[…]

A scalable business, for example, does not change its organization as it expands. This is possible
only if business relations are not transformative, changing the business as new relations are added.
similarly, a scalable research project admits only data that already fit the research frame. Scalability
requires that project elements be oblivious to the indeterminacies of encounter; that’s how they
allow smooth expansion. Thus, too, scalability banishes meaningful diversity, that is, diversity that
might change things.

Scalability is not an ordinary feature of nature. Making projects scalable takes a lot of work. Even
after that work, there will still be interactions between scalable and non scalable project elements.
Yet, despite the contributions of thinkers such as Braudel and Bohr, the connection between scaling
up and the advancement of humanity has been so strong that scalable elements receive the lion’s
share of attention. The non scalable becomes an impediment. It is time to turn attention to the non
scalable, not only as objects for description but also as incitements to theory.

A theory of nonscalability might begin in the work it takes to create scalability—and the messes it
makes. One vantage point might be that early and influential icon for this work: the European
colonial plantation. In their sixteenth- and seventeenth-century sugarcane plantations in Brazil, for
example, Portuguese planters stumbled on a formula for smooth expansion.

They crafted self-contained, interchangeable project elements, as follows: exterminate local people
and plants; prepare now empty, unclaimed land; and bring in exotic and isolated labor and crops for
production. This landscape model of scalability became an inspiration for later industrialization and
modernization. […]

Sugarcane plantations expanded and spread across the warm regions of the world. Their contingent
components—cloned planting stock, coerced labor, conquered and thus open land—showed how
alienation, interchangeability, and expansion could lead to unprecedented profits. This formula
shaped the dreams we have come to call progress and modernity.

(pp. 37-40)
Une écologie décoloniale: penser l’écologie depuis le monde caribéen - Malcom Ferdinand

La déforestation et la résultante perte de biodiversité constituent un problème majeur. Néanmoins,


l’écologie de l’arche de Noé cantonne celui-ci à un enjeu environnemental et technique qui serait
adéquatement décrit par un assortiment de chiffres, de nombre d’hectares de forêt coupée et de
nombre d’espèces disparues. En retour, les politiques de reforestation sont aussi restreintes à leurs
chiffres qui, aussi indispensables soient-ils, ne suffisent pas à saisir les violences infligées aux
communautés humaines et non humaines, ni les pertes de monde causées. […]

La conséquence de ce technicisme qui atteste l’hors-monde est une compréhension de la


reforestation sans le monde, sans que l’augmentation de la couverture forestière s’accompagne de la
reconnaissance d’un monde commun, où Haïti et ses paysans occuperaient une place digne.
S’ensuivent des techniques de reforestation qui sont cantonnées à l’hors-monde. À l’image du
célèbre tableau Paradis terrestre du peintre haïtien Wilson Bigaud, l’enjeu écologique serait réduit
aux contours physiques des forêts et à leurs mesures quantitatives. […]

C’est à partir de cette réduction de la déforestation à la forêt qu’un discours encore dominant en
Haïti accuse sans procès des Nègres Marrons et des paysans. Ce discours s’appuie sur le fait
qu’effectivement des Marrons et des paysans ont coupé des arbres. En s’échappant des plantations
esclavagistes des plaines, les Nègres Marrons ont trouvé refuge dans les mornes, coupant ici et là
quelques arbres pour s’y faire une place et construire leurs cases. Les paysans sont quant à eux
pointés du doigt par leurs pratiques agricoles et leur production de charbon de bois. À cause de
l’érosion, les paysans se retrouvent obligés de cultiver des terres sur des pentes abruptes,
difficilement accessibles et appauvries en nutriments, ce qui diminue les rendements et leurs
revenus. […]

Ce discours qui tient pour responsables de la déforestation de la Terre les pauvres et les
marginalisés est celui de l’injustice. Les paysans haïtiens font l’expérience d’une pauvreté
chronique associée à une discrimination sociale entre ruraux et urbains qui, par endroits, recoupe la
distinction coloniale entre Noirs et mulâtres. […]

Les politiques de reforestation ont fait de la plantation d’arbres et non de l’instauration de monde
leur visée. Étant tenus pour responsables, les paysans deviennent littéralement les cibles des
«solutions » techniques apportées. (pp. 107-110)

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