Vous êtes sur la page 1sur 7

L’Omrane

face aux dysfonctionnements internes et externes

INTRODUCTION
Les arts, ayant pour objet le minéral, comprennent aussi la métallurgie sous toutes ses formes. A notre
époque le métal tend de plus en plus à se substituer à la pierre dans la construction, comme la pierre
s'était autrefois substituée au bois. C’est un symptôme caractéristique d'une phase plus "avancée" dans
la marche de la sédentarité.
A partir de la révolution industrielle, la fonte et le béton armé se sont substitués à la pierre à cause de leur
durabilité. Ces nouveaux matériaux ont accéléré la forme de resserrement spatial pour donner lieu à
l'apparition d'agglomérations –Mégalopolis- qui sont une forme exagérée de fixation.
En effet, la question de "solidification" atteint son degré le plus accentué dans le minéral. Le phénomène
de "condensation", poussé à l'extrême, aboutit à celui de "cristallisation" aux formes les plus grossières d'un
matérialisme sans issue.
De son côté, le nomadisme dévié amène un déséquilibre de "volatilisation". Ces aspects de déséquilibre, de
part et d’autre, apparaissent notamment au niveau de l’échelle, laquelle se répercute singulièrement sur
l’aspect social. Durant la phase de cristallisation des villes, l’échelle humaine, entendu dans le sens global, va
être remplacée par l’échelle industrielle où le schème de la machine en constituera le dessein et la finalité1.
D’ailleurs, la ville porte en elle les traces des règlements de conflits sociaux vécus par des générations
successives. L’interrogation sur les moments de l’urbanité en tant que continuité ou discontinuité
devrait modifier l’imaginaire de la collectivité :
Comment donc, par l’espace en crise, saisir la crise de la société ?
Vu l'interdépendance entre l’espace et le milieu social :
La décadence, la ruine et l'abandon, dont est l'objet l’espace de nos jours, tiennent-ils de ceux de la
Oumma dans son ensemble ?
Quelles conséquences sur l’espace aura la rupture de l’équilibre maintenu pendant des siècles dans les
territoires autour des cités-pôles ?

1
- Nous pouvons citer, par exemple, la description par Michel RAGON du contexte dans lequel est apparue la politique des Habitations au loyer modéré
(H.L.M.) par l’élocution, juste après la seconde guerre mondiale, d’un enseignant de l’Ecole des Beaux-arts à ses étudiants de terminal : "Messieurs, je vous
plains…, vous allez être obligés de construire des logements. Le logement pour l’homme ordinaire, n’ayant jamais été inclus dans l’histoire de l’architecture, les architectes contemporains
se sont en effet trouvés devant une tâche pour laquelle ils n’étaient pas préparés…L’architecture moderne a fait porter ses recherches sur les matériaux…alors que le matériau principal
de l’architecture était oublié : l’être humain, obligé de se modeler, de se mouler, de s’insérer…dans les matériaux techniques de l’architecte". Cf. "L’architecture, le prince et la
démocratie", éd. Albin Michel, Paris 1977, p. 23. Cet espace s’est installé dans nos villes.
1
Les crises d’identité étant souvent à l’origine des crises de développement dont l’espace est l’un des
champs de manifestation :
De quoi faut-il sauver nos villes et quelle tumeur détruit leurs espaces ?
La ségrégation sociale, la surdensification, le démantèlement des liens et des réseaux d'échange, de
commerce, de production et de distribution, la dégradation de la fonction d'éducation le désintérêt vis-à-vis
de notre culture… sont quelques traits qui expriment assez la crise que traversent nos sociétés.
La crise de valeurs et de sens à l'échelle universelle, ayant ses répercussions dans nos pays, accentue encore
les distances et crée un vide qu'il serait difficile de combler. L’intervention exogène a été une entrave à
l'épanouissement en amplifiant la complexité de crise et en achevant la rupture à tous les niveaux et
dans tous les domaines. La société, de nos jours, oscille entre deux univers antinomiques. Quelque soit
la considération accordée à cette dualité, il y’a un accord autour de la bicéphalie de nos espaces : à l’image
chaotique des villes s’aligne celle désordonnée de la pensée, la totale désorganisation des espaces et le
plein désarroi des sociétés.

DESORGANISATION DU MODELE D’AL OMRANE


S’étant éloignées graduellement de l’enseignement de leur religion, les sociétés musulmanes vont
contribuer eux-mêmes à la désorganisation des espaces d’Al Omrane. Celui-ci ne trouve sa cohérence
que dans une consciencieuse application de préceptes fondateurs dont le plus considérable est celui de
la justice.
La justice devrait être globale et rayonner dans tous les territoires de l’environnement autour de la cité-
pôle, profitant aussi aux agriculteurs et aux bédouins. L’injustice installe le désespoir et se répercute sur le
développement de l’Omrane : l’injustice conduit donc à la dévastation et à la ruine.
L’essor de l’Omrane, son apogée ou sa décadence, se réalise dans un cadre de forte corrélation entre la
condition sociale et la forme spatiale. Pour IBN-EL-AZRAQ, l’épanouissement de l’Omrane est l’un des
principaux piliers du pouvoir.
La perte de sens et le chaos qui apparaissent par l’abandon de quelques ou de toutes les caractéristiques
d’Al Omrane Al-bashari et conduisent véritablement à la désorganisation de la société et à des conflits
accessoires : ceci entraîne la déstructuration de l’Omrane et risque de provoquer son éventuelle
disparition.
Quelles sont les causes et les apologies de la déchéance de bon nombre de nos villes et parfois même de
leur disparition ?
L’abandon des valeurs d’une société peut-elle causer l’agonie de son espace ?
Dans un contexte d'anarchie, de dégradation, d'insécurité, de calamités naturelles et de misère des
phases précoloniales, la déstructuration du territoire s'est accentuée. Celle-ci va contribuer à étouffer les
villes qui vont perdre ce qui leur restait encore comme atouts.
Le long isolement du monde musulman forgera chez le Musulman le sentiment paradoxal, dans de
petits pays, de vivre dans un "immense continent" pratiquement coupé de toute véritable influence
extérieure. Les valeurs établissent la corrélation entre la société et son espace et chaque défaillance de
ces valeurs conduit au désordre de l’espace.
Les dysfonctionnements internes causent une perte d’équilibre spatial et d’immunité sociale,
prédisposant la société et son espace à subir les méfaits d’un autre type de disfonctionnement mais
externes. Ce qui accroît la complexité de la situation qui appelle de multiples actions pour contrecarrer
ces dysfonctionnements dans tous les sens.
La pénétration économique étrangère avait commencé au milieu du milieu du 19e siècle, début de la
période précoloniale : à l'aube du XXe siècle, nos sociétés deviennent "colonisables"2.

2
- "Comme dans toute évolution sociale et politique, il s'agissait sans doute de l'interaction de deux phénomènes : la politique coloniale des puissances européennes d'un côté, et la faiblesse
de l'Etat marocain de l'autre. Ou, comme le dit Malek BENNABI, la colonisation d'un pays islamique fut souvent le résultat de sa "colonisabilité"". Ladislav
CERYCH, "Européens et marocains 1930-1956, sociologie d'une décolonisation", Collège d'Europe - Bruges 1964, page 260-261.
2
DESTRUCTURATION DU MODELE
Ville-campagne, séparation inéluctable
La tendance à tout réduire à la seule dimension quantitative est marquée dans les conceptions
"scientifiques" du 18e, 19e et 20e S. et se remarque aussi nettement dans le domaine de l'organisation
sociale dont la conception de l’espace en est une constituante. Reliquat du 19e siècle, les régions
industrielles ont connu un fort développement de population avec une importante hausse de la densité
et un habitat compact.

Les modes de structuration de l’habitat se sont d’abord développés sur un mode analogue à celui qui
caractérisait les situations non urbanisées antérieures. Seule l’activité économique dominante se
transformait tandis que les possibilités et contraintes régissant la vie quotidienne des populations
restaient semblables : les variables démographiques ne forment pas la clé expliquant l’apparition de l’urbanisation des
villes. Les problèmes sociaux, économiques et politiques vont générer un ensemble de projets
réformateurs-utopiques dont le fonctionnement repose sur l’organisation spatiale qu’ils proposent3.
La plupart des courants sociologiques du dix-neuvième siècle ont négativement considéré la séparation
entre ville et campagne que le mouvement d'industrialisation tendait à rendre irréversible : ils insistaient
sur le danger d'une rupture entre citadins et ruraux. A un réel passéisme de certains théoriciens répond
l'acceptation d'un présent industriel encore limité et semi-artisanal, mais mêlée à la peur d'une
industrialisation plus massive.
Le déséquilibre entre espace citadin et environnement champêtre a été trop brutal dans la phase de
percée industrielle. En 1841, l'Angleterre compte seulement 26 % de paysans dans sa population active ;
la Belgique 51 % de paysans en 1846 ; la France 54 % en 1856 ; les Etats-Unis 65 % en 1850 ; l'Union
soviétique 82 % en... 19264. Plus que l'intention des hommes, l'enthousiasme pour le monde qui émerge
ou la nostalgie du passé, les réalités objectives tendent à marginaliser la campagne. Paradoxalement,
cette diminution de l'impact du monde rural découle pour une bonne part des succès antérieurs de
l'agriculture : le décollage agricole joue un rôle essentiel dans la révolution industrielle.
La population agricole tournait, en Occident, autour de 75 à 85 % de la population totale depuis le
lointain néolithique ; dès 1820, les deux tiers des actifs de l'Angleterre seront en dehors du secteur
agricole. De nos jours, les Etats-Unis ont moins de 3 % de fermiers -au nombre de 3 millions- et
produisent une plus grande quantité de nourriture que les 220 millions de paysans répandus dans le
monde de 17005.
Au milieu du dix-neuvième siècle, l'expansion de la ville s'accélère et apparaît comme le "maître
d'œuvre" de la nouvelle civilisation. Le système industriel, dans son irrésistible expansion, était en voie
d'urbaniser le monde entier, au besoin par la force.
Le développement du tiers-monde n'a pas suivi le même tracé linéaire mais a été plus rapide qu'en
Occident. Une indéniable poussée agricole a été largement annulée par une explosion démographique,
sans précédent dans l'histoire de l'humanité.
La conséquence, pour la plupart des pays du tiers-monde, est un développement désarticulé.
L'industrialisation, souvent à ses débuts, a fortement accentué l'écart entre les villes et les campagnes.
Par les contraintes du marché mondial et les effets de dépendance, le tiers-monde a dû entreprendre
son industrialisation sous la pression d'un puissant système économique et social extérieur à lui-même.
Aussi assiste-t-on à un phénomène hybride, un mélange de "ruralisation" du monde urbain en
expansion et de stagnation persistante des campagnes, alors que l'évolution n'est pas achevée.

3
- Les approches progressiste et culturaliste, en tant qu’"utopies" consiste à élaborer une contre-société modèle à partir d’une critique de l’existant et
attribuant un caractère thérapeutique à l’espace proposé, ces propositions d’espaces commencent à prendre des formes fragmentaires pour céder place à
une conception plus élaborée. la démarche "haussmannienne" ne relève ni d’une critique sociale, ni d’une théorie explicite d’aménagement, mais du fait de
traiter l’espace de la ville comme une totalité, d’une manière méthodique et systématique. L’objectif étant d’adapter la ville aux exigences fonctionnalistes de
l’ère industrielle et de lui permettre de survivre aux nouvelles conditions. Cf. DRAOUI Adnane & MOUTIE Mohammed Hatim, "Modèle et processus de
modélisation en architecture : essai de synthèse…", ENA Rabat, juillet 2000.
4
- "De la capacité politique des classes ouvrières, 1865", cité dans Œuvres choisies, Gallimard, "Idées", 1967. Les informations qui suivent sont tirées –mutatis
mutandis- de l’article de Roland LEW, "Ville et campagne : une rupture indéniable", in Le Monde diplomatique, Avril 1982, p. 28.
5
- Cf. l’article de Roland LEW, op. cité, mutatis mutandis.
3
25 % de la population des pays "en voie de développement" vivait dans des villes il y’a quarante ans, la
proportion actuelle est de plus de 50 %.
Devant le spectacle de ces mégalopoles du tiers-monde, véritables dépotoirs des campagnes plus encore
qu'espaces de déploiement des industries urbaines, ne faut-il pas conclure à l'échec du modèle urbain
d'importation occidentale ?
Le blocage semble total : le gonflement des villes aboutisse à l'effet inverse de celui qui était prévu :
elles freinent l'expansion économique au lieu d'être en quelque sorte les locomotives de la nation.
Est-ce l'accablant constat des temps présents ?
Cet avantage n'est-il pas lui-même un leurre ?
Les masses condamnées à la misère dans la plus grande partie de la planète pourront-elles tolérer la
persistance sinon l'accroissement des privilèges d'une part infime de l'humanité ?
Sans même attendre l'action consciente des sociétés, les effets induits par l'étape actuelle du
développement dans des métropoles provoquent une ré-émergence de la "bidonvilisation" des villes.

L’exemple marocain
A cet égard, l’expérience marocaine est édifiante. L’urbanisation des anciennes cités et la fondation des
nouvelles agglomérations, en phase d’industrialisation, a accompagné la déstructuration des villages et
des zones bédouines, déclenchant un exode de population vers elles.

Les solutions proposées pour ces agglomérations devenues problématiques ne changent en rien la
tendance dominante. La période coloniale va accentuer l'étouffement des cités-pôles d’Al Omrane.

Sur le plan juridique, le changement du statut foncier et l'occupation du sol va contribuer à une nouvelle
répartition spatiale, amenant une dégradation d'ordre physique selon la surdensification ponctuelle ou le
dépeuplement, menant à la ruine du tissu urbain.

Aux niveaux économique et social, la désorganisation des activités originelles à l'intérieur de la cité-pôle
causée par l'intervention coloniale, va entraîner un désordre dans l'organisation et le fonctionnement
des activités à l'échelle de la cité.

Une nouvelle organisation spatiale manifeste une véritable rupture de conception, de gestion et
d’entretien de l’espace au niveau de la ville, de ses parties et de son environnement.
Un arsenal de "dahirs" fondamentaux relatifs aux plans d'aménagement, aux lotissements et à la police des
constructions, promulgué en discontinuité avec l'esprit et les principes de l'organisation de l'espace urbain
traditionnel, va constituer une rupture effective en consacrant la suppression d'un patrimoine abondant de
textes et de pratiques6.

La législation du protectorat traitait des situations moyennes sans tenir compte des cas particuliers, alors
que la jurisprudence musulmane s'attachait à traiter cas par cas tous les problèmes qui se posaient7.
L'objectif de la loi d'urbanisme est l'établissement d'une réalité nouvelle engendrant des perturbations
importantes et dangereuses laissant de profondes séquelles dans l'évolution de nos villes8.

6
- "En étudiant de très près le plan d'une médina, nous remarquerons la domination de quelques règles sociales qui régissaient toute construction. Ces règles sont caractérisées par deux
éléments principaux : les foyers de transformation (artisans) et les édifices religieux. En ce qui concerne les foyers de transformation... ils occupaient des espaces favorables à leur
épanouissement ainsi ils étaient toujours près des cours d'eau. Les autres corps de métier s'y greffaient selon une organisation très minutieuse. Quant aux habitations, elles prenaient place
le plus souvent autour des édifices religieux ... La largeur des rues, la hauteur des édifices, obéissaient à des règles coutumières unanimement respectées." Abdelilah MKINSI, "Le droit
marocain de l'urbanisme", Publications I.N.A.U. (Institut National de l'Aménagement et de l'Urbanisme), Rabat 1989, p.9.
7
- "... des différents "cas" relatifs au droit traditionnel en matière d'urbanisme et de voisinage en particulier énoncés dans les livres traitant des "Nawazils" que nous traduisons par
"casuistiques" ou traitement de cas particuliers en matière de droit... dont les applications (des régulateurs de ce droit) sont variables suivant le cas traité, et suivant les usages (Al'orf) influents sur
l'effort législatif. Cette casuistique a fondé des sortes de "pratiques juridiques" 7 pouvant avoir des positions différentes vis-à-vis du même cas traité". Kamil YASSINE, "Les principes
Intimité-Voisinage dans l'habitat islamique", mémoire E.N.A. Rabat juin 1991, p.25.
8
- "Avec le dahir de 1914, l'urbanisme au Maroc se réduisait au développement et à l'embellissement des villes nouvellement créées par le protectorat... La législation de 1914 était celle
des grands chantiers. En effet, toutes les opérations de construction étaient à l'époque faites et regroupées par l'Etat en vue de créer intégralement des villes nouvelles. Ce dahir... incomplet...
ne s'occupait surtout que des voies et des plans d'aménagement et ne définissait pas d'une manière claire le lotissement... en définissant les modalités des quatre opérations suivantes :
4
"Tout le savoir vernaculaire accumulé durant des siècles fut purement et simplement déclaré nul et non avenu, ou tout au moins
corrompu et intégré dans un cadre étranger qui ne pouvait qu'en altérer l'éclat et le message culturel et le déraciner autant que
l'œuvre étrangère qu'il serait susceptible de légitimer"9.

Parallèlement, la mise en place d'une nouvelle structure urbaine, "la ville nouvelle", entraîna l'élimination du
système traditionnel de la gestion telle que la Hisba, les Habous... et la mise en place d'une structure de
gestion : le protectorat n'hésita pas à transférer les biens Habous en biens domaniaux dès 1914 pour "un usage public".
La nouvelle organisation basée sur la classification économique des villes va entraîner le déséquilibre de
l'organisation spatiale d’Al Omrane et l'apparition de nouvelles agglomérations basées sur l'exploitation
des ressources du pays dans de nouvelles zones d'influence décisionnelles dans lesquelles les cités-pôles
ne sont plus que des entités marginalisées au sein des agglomérations.
Les villes originelles vont pâtir de cette nouvelle organisation, d'autant plus qu'elle les privait du pouvoir
décisionnel en leur usurpant leur rôle "dirigeant" en tant que pôle des territoires organisés selon la
modèle d’Al Omrane. La ségrégation spatiale et sociale est pratiquée dans le territoire occupé instituant
l'utilisation sélective des sites, raciale, sociale et fonctionnelle.
La ville marocaine verra ses principales prérogatives "émigrer" vers de nouveaux centres de gravité
décisionnels. Les quartiers précoloniaux seront désertés par l'élite aisée et les villes envahies par les
ruraux déracinés fuyant les conditions de vie difficiles dans les campagnes déstabilisées. Ce double
processus sera à l'origine de la surdensification des espaces urbains, de la taudification des tissus anciens
et de la perte de la fonction de citadinité des cités-pôles d’Al Omrane.
Au niveau rural, l'irruption des colons dans le monde rural mit en branle un processus de déstabilisation des
structures d’Al Omrane, à travers la désagrégation des systèmes productifs et agraires, déclenchant l'exode
massif des ruraux vers les centres urbains10.
L'espace urbain présentera désormais un aspect bicéphale avec de nouvelles entités, greffes étrangères
dans un corps urbain de plus en plus malade, sans légitimité historique, mais possédant d'énormes
"atouts" sur le plan physique. Ces nouvelles entités sont juxtaposées à des centres historiques à fort
potentiel de citadinité mais handicapés du point de vue de la prestation physique.

La législation d'urbanisme promulguée en 1952, véhicule un souci d'ordre et de contrôle. Après la


proclamation de l'indépendance, la politique interventionniste de l'administration du Protectorat sera
accentuée par l'administration marocaine. A un type d'urbanisme tatillon et d'ordre se substituera un
urbanisme basé sur le souci de contrôle et d'ordre, mais aussi sur le principe de rien faire11 et de n'agir -
brutalement- que lorsque cela explose12.
La planification urbaine durant les périodes coloniale et postcoloniale n'a pu maîtriser l'espace.
L'administration n'en revendique pas moins tout le monopole des actions à entreprendre. Le souci
majeur demeure le soin relativement excessif apporté aux "Nouvelles Villes"13 négligeant le reste de
l'agglomération, sujet à tous les maux. Les agglomérations vont se trouver emportées par une
hyperurbanisation, reflet d'une croissance fougueuse condamnant à l'échec toute option arrêtée pour sa
maîtrise.

l'ouverture des voies publiques ; la mise en oeuvre d'un plan de la ville ; la création par des particuliers d'une partie de la ville ; la réglementation de l'acte de bâtir." MKINSI, op.
cité, p.10.
9
- Omar HASSOUNI, "Objets, Concepts, Méthodes : essai de synthèse, exemple de Salé", juin 1993, p.106, tome 2.
10
- La politique coloniale "se voulait d'abord une politique de peuplement, censée répondre à une colonisation qui se voulait agricole villageoise et rurale". Mekki BENTAHAR, "Villes et
campagnes au Maroc", Editions EDITELL, Rabat 1988, p.14.
11
- BENTAHAR, op. cité, p.92.
12
- "L'administration centrale, chargée de ces questions, trouve tout naturellement que les difficultés sont insolubles tant que les solutions éventuelles s'opposeront aux intérêts privés.
Considérés comme inacceptables par l'élite, les projets de développement sont de plus en plus remis en question ou tout simplement remis dans les tiroirs... Et c'est sans doute pour ces
mêmes raisons, laisser-aller/laisser faire, que la question urbaine est bloquée par le refus de l'élite de prêter l'oreille aux besoins de la population. Aussi, l'aspect général des cités est
sensiblement le même qu'il y a des décennies, modèle d'urbanisme colonial hérité et maintenu tel quel pour la satisfaction d'une minorité demeurée loin des problèmes d'habitat et
d'urbanisme et leurs conséquences qui se maintiennent de façon miraculeuse dans les lieux de leur source." BENTAHAR, op. cité, p.99-100.
13
- "traitant en parent pauvre le reste de l'agglomération, sujet à tous les maux qu'on essaie d'atténuer par l'administration de calmants sans effet"BELFQUIH et
FADLOULLAH, op. cité, p.213, tome 1.
5
Avec des moyens de maîtrise insuffisants, l’administration actuelle opère donc un “ urbanisme de
rattrapage ” au lieu d’un “ urbanisme prévisionnel ” : les objectifs de base, pour la mise en place d’un
cadre de vie harmonieux et cohérent, sont démentis par “ la réalité vécue ”.
CONCLUSION
Les raisons premières des dysfonctionnements internes du modèle Al Omrane résident dans la
prédominance des caractéristiques des sédentaires sur celle des nomades. Celles externes sont la
conséquence d’une domination étrangère. Ceci conduit à une situation d’une grande complexité
contribuant à la déstructuration d’Al Omrane.
Parmi les valeurs imposées à la communauté en phase de colonisabilité, l’élimination manifeste du mode
de vie bédouin dans une urbanisation en troisième phase de sédentarité provoquée par
l’industrialisation.
Ce nouveau mode de vie, extrémiste dans le resserrement urbain et conduisant à la cristallisation des
villes, transforme les cités existantes en agglomérations super-urbanisées.
Quel est le poids des changements apportés par l’urbanisme à la structure sociale, à l’espace des cités et
à Al Omrane dans sa globalité ?
La transformation de la logique de la vie économique par l’industrialisation a bouleversé les structures
sociales et le mode d’appropriation de l’espace et a contribué à homogénéiser les possibilités dans
l’espace à travers la multiplication des biens appropriés individuellement.
L’industrialisation s’est orientée vers l’appropriation de surfaces relativement grandes par des
équipements qui pouvaient se développer dans un maximum d’autonomie par rapport au reste du tissu
urbain. La multiplication de tels espaces en dehors des centres urbains a largement contribué à
dévitaliser ceux-ci et à fractionner la complémentarité qui les caractérisait.
L’évolution de l’industrie des transports a aussi contribué au changement de la consommation de
l’espace : alors que les transports en commun favorisent la concentration spatiale, les moyens de
locomotion individuels favorisent la dispersion14.
La ville industrielle a été refusée en bloc, tant par les conservateurs et les progressistes que par les
aristocrates et les démocrates. Ce n’est donc pas un problème à résoudre mais plutôt un constat pénible
et déplaisant. Ce genre de ville est uniquement animée par des processus mécaniques dénués de sens
malgré les tous les travaux qui ont cherché à l’adapter à la vie industrielle15.
La conciliation architecture et industrie a tenté de s’effectuer à partir d'une conception idéaliste et pseudo-
scientifique de "l'Homme" physiologique, abstrait de tout contexte social réel, "neutre", anhistorique et
asocial. L’environnement, également neutre et objectif, provient d'un vocabulaire formel lui-même
neutre et objectif, celui de la géométrie euclidienne.
Bibliographie

1. AARAB Hafida et AIT HAJ SLIMANE Ali, "Processus de maîtrise de l'urbanisation au Maroc", M.E.N.A., Rabat, juin 1992.
2. AL WANSHARISSI, "Critère expressif et recueil de l'insolite" (Al Mi'yar al Mou'rib wa al Jaami' al Moughrib).
3. BELFQUIH M'hammed et FADLOULLAH Abdellatif, "Mécanismes et formes de croissance urbaine au Maroc…", éd. El Maârif, Rabat 1986.
4. BENEVOLO Léonardo, "Histoire de l’architecture moderne", éd. Dunod, Paris 1987.
5. BENTAHAR Mekki, "Villes et campagnes au Maroc", Editions EDITELL, Rabat 1988.
6. CERYCH Ladislav, "Européens et marocains 1930-1956, sociologie d'une décolonisation", Collège d'Europe - Bruges 1964.
7. DRAOUI Adnane & MOUTIE Mohammed Hatim, "Modèle et processus de modélisation en architecture : essai de synthèse…", juillet 2000.
8. HASSOUNI Omar, "Objets, Concepts, Méthodes : essai de synthèse, exemple de Salé", juin 1993, 2 tomes.
9. IBN KHALDOUN Abderrahmane, "L'Introduction" à son livre "Al 'Ibar" ("Les leçons de l'Histoire") : "Les Prolégomènes" ("Al Mouqaddima"), éd. Lajnat Al Bayane-El-
Arabi, El Mania, Egypte, 1966, en arabe, 4 t.
10. IBN-EL-AZRAQ, "Badai’ as-soulk fi tabai’ al moulk, en arabe", éd. Maison arabe du livre, Le Caire 1977.
11. LEW Roland, "Ville et campagne : une rupture indéniable", in Le Monde diplomatique, Avril 1982, p. 28 ; ainsi que "De la capacité politique des classes ouvrières, 1865", cité
dans Œuvres choisies, Gallimard, "Idées", 1967.
12. Malek BENNABI, "Le phénomène coranique", éditions A.E.I.F. Paris 1975.
13. Malek BENNABI, "Vocation de l'Islam", édition du Seuil, collection Esprit "Frontières ouvertes", Paris 1954.
14. MKINSI Abdelilah, "Le droit marocain de l'urbanisme", Publications I.N.A.U.(Institut National de l'Aménagement et de l'Urbanisme), Rabat 1989, p.9.

14
- Ces moyens s’avèrent être des consommateurs boulimiques de l’espace de par la circulation et le stationnement dans les zones de concentration, au
détriment d’autres fonctions et d’autres activités. Une fois apparu, cet aspect ravageur de la ville industrielle a soulevé de grandes désolations. Cf. Léonardo
BENEVOLO, "Histoire de l’architecture moderne", éd. Dunod, Paris 1987.
15
- Une fois apparu, cet aspect ravageur de la ville industrielle a soulevé de grandes désolations. Cf. Léonardo BENEVOLO, "Histoire de l’architecture
moderne", éd. Dunod, Paris 1987.
6
15. RAGON Michel, "L’architecture, le prince et la démocratie", éd. Albin Michel, Paris 1977.
16. REMY Jean et VOYE Liliane, "La ville : vers une nouvelle définition", éd. L’Harmattan, Paris 1992.
17. SCHAM, "LYAUTEY in Morocco. Protectorate Administration 1912-1925", London, Univ. of California Press, 1970.
18. WIRTH Louis, "Urbanism as away of life", in J. REISS, "On cities and social life", Université de Chicago press., Chicago 1938.
19. YASSINE Kamil, "Les principes Intimité-Voisinage dans l'habitat islamique", mémoire E.N.A. Rabat juin 1991.

Vous aimerez peut-être aussi