Vous êtes sur la page 1sur 30

LES PLACES PUBLIQUES

un enjeu local et régional...


Préface nnn

L ’Europe occidentale a construit son identité et sa richesse en prenant appui


sur un réseau urbain qui n’a cessé de s’amplifier au fil des temps.
« Les villes y ont été portées à une température que l’on ne retrouve guère
ailleurs… » écrivait en 1979 l’historien français Fernand Braudel…
Porteuses d’innovation et de culture, les villes occidentales ont, de l’antiquité
aux temps modernes, structuré les territoires, la production de biens et de
services, les échanges,… dans un dialogue étroit mais tendu avec les campa-
gnes, au détriment de ces dernières bien souvent…
Destin particulier que celui de l’Europe occidentale où l’éclat des villes l’a
longtemps emporté sur celui des Etats…, développement dont le patrimoine
et les espaces les plus marquants de nos villes, places, avenues, squares, ...
continuent à témoigner.

La relation au territoire des villes et campagnes s’est profondément modifiée


à partir du 19e siècle et a connue, avec l’avènement de l’automobile au 20e siècle,
une accélération définitive.
Eclatement des villes, désurbanisation, rurbanisation,… nombreux sont les
qualificatifs témoignant d’une mutation spatiale qui n’a épargné aucune ré-
gion d’Europe, amenant le législateur, en Belgique, à tenter de contenir cette
évolution par le biais des plans de secteur, disposition unique en Europe par
son ampleur.

Conscient, dans ce contexte, de la difficulté des équilibres territoriaux à opé-


rer, le Gouvernement wallon a inscrit, au travers de diverses mesures, le re-
nouveau des villes parmi ses préoccupations.
Le Schéma de développement de l’espace régional en 1999 et le Contrat d’avenir
en 2004 en avaient dressé le cadre général, que le Plan Marshal est venu renfor-
cer par les priorités accordées à l’assainissement des sites industriels, nombre
d’entre eux ayant un caractère urbain. D’autres mesures récentes, en faveur du
logement et des transports notamment, devraient concourir à rendre plus attrac-
tive la vie dans les parties les plus urbanisées du territoire wallon.
Certaines initiatives, plus anciennes, telles que la rénovation et la revitalisa-
tion urbaines, continuent patiemment leur œuvre, dans les villes importantes
mais aussi dans les nombreuses petites entités qui caractérisent la structure
urbaine wallonne.

Dans ces opérations, comme dans celles soutenues pas d’autres aides régio-
nales, l’aménagement des places publiques et de l’espace public en général
contribue à sa manière à la requalification du milieu urbain, quelque soit son
importance.
J’invite donc les autorités locales à évaluer la situation dans leurs entités res-
pectives et à renforcer, par une politique concertée d’aménagement de l’es-
pace public, l’attractivité et la viabilité de leurs territoires.
La publication qui suit, complétée pour sa réédition, évoque les aspects à
prendre en compte lors de l’aménagement d’un espace public, dans une pers-
pective liée aux préoccupations des gestionnaires et autorités communales.
Centrée sur la problématique particulière des places de ville et de village, elle
contient des recommandations utiles pour bien d’autres aménagements.

André ANTOINE,
Ministre du Logement, des Transports et
du Développement territorial

1
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

Editeur responsable : Danielle SARLET, Directrice générale, Ministère de la Région wallonne,


DGATLP, rue des Brigades d’Irlande 1, 5100 Jambes (Namur)

Auteur : Jean-Marie GILLON, Attaché (MRW, DGATLP)

Coordination : Luc MARÉCHAL, Inspecteur général (MRW, DGATLP-DAU)

Relecture et/ou conseils : Luc MARECHAL, Danielle SARLET, André VERLAINE, Pierre GOSSELAIN

Dactylographie : Christiane SACRE (MRW, DGATLP)


Anne RENARD (MRW, DGATLP)

Crédit photographique : Guy FOCANT (MRW, DGATLP)


Fabrice DOR (MRW, DGATLP)
Jean-Marie GILLON (MRW, DGATLP)
Emmanuel KODECK (MRW, DGATLP)
Yves RAHIR (Groupe AGUA)
Jean-Pol VAN REYBROECK (MRW, DGATLP)
J. LEONE / GD. Lyon

Couverture : LIEGE - Place Saint-Lambert (Photo G. FOCANT © MRW)

Photogravure et impression : Imprimerie SNEL Grafics sa, Liège

© MRW, DGATLP, 2e édition, revue et complétée, 2006.

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, du texte ou
de l’iconographie de cet ouvrage est soumise à l’autorisation écrite de l’éditeur. Toute copie ou reproduction, par
quelque procédé que ce soit, photocopie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon
passible des peines prévues par la loi.

Dépôt légal : D/2006/5322/32

2
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

Parmi les faits qui ont marqué l’Europe de la seconde moitié du


20ème siècle, l’histoire retiendra sans doute le renforcement des
démocraties parlementaires et la guerre froide, la naissance de la
sécurité sociale et l’émancipation de la femme, l’internationalisation
de l’économie et ses crises, l’écroulement du bloc communiste et
bien sûr la lente construction de l’Union européenne. Bien d’autres
phénomènes pourraient éclairer cette période particulière de la
société européenne. Et il est étonnant de constater que si peu
d’attention soit accordée dans les écrits historiques à l’éclatement
de la ville «traditionnelle» et à l’urbanisation des campagnes,
phénomènes favorisés après-guerre par l’expansion économique
et démographique, la hausse du niveau de vie et l’avènement de
la voiture individuelle.

«La reconquête des places publiques,


un enjeu, une démarche …» nnn
O n ne mesurera jamais assez l’im-
pact que la mobilité croissante
des individus et le développement
société. Avec comme corollaires une
consommation d’espace considérable
et une perte sensible au niveau de la
des libertés avec la mitoyenneté, les
alignements, les gabarits, multipliant
les espaces résiduels et les ruptures
des infrastructures routières ont eu cohérence des paysages bâtis. d’échelle.
sur les conditions d’existence collec-
Là où la ville traditionnelle alignait Toute une culture d’aménagement
tive et le cadre de vie des populations.
avec soin et en ordre serré ses édifi- des villes et des villages s’est lente-
Là où le transport par rail, train et
ces, des plus modestes aux plus pres- ment effondrée, celle qui en faisait des
tramway, avait permis au 19e siècle
tigieux, se réservant par endroits les globalités par moment émouvantes,
l’expansion tentaculaire mais relative-
espaces nécessaires à sa respiration, de patients témoins d’une évolution
ment compacte des agglomérations
l’espace urbain et villageois de la se- et d’une histoire. La ville et le village
urbaines, le transport par route en fa-
conde moitié du 20ème siècle prendra se déclinent de nos jours davantage
vorisa définitivement l’éclatement.
Le développement spectaculaire de
ce nouveau mode de transport bou-
leversa la répartition dans l’espace
des activités, de l’emploi et de l’habi-
tat, engendrant une géographie de
plus en plus fragmentée des établis-
sements humains et le déclin démo-
graphique des centres urbains au pro-
fit de leurs périphéries.
Mais la croissance générale de la mo-
bilité n’eût en Europe pas que des
conséquences néfastes. Elle contribua
largement à l’essor économique des
villes après-guerre, en particulier des
entités de taille moyenne ou situées
dans des aires de moindre dévelop-
pement.
Les conséquences de ce phénomène
sur la morphologie de nos villes et
villages sont bien connues mais n’ont
jamais été enrayées : relâchement
spectaculaire du tissu bâti, apparition
du phénomène des lotissements,
culte de la maison isolée,... reflets
d’une émancipation socio-économi- ❚ Charleroi (vue aérienne). Ville ancienne et tracé radial des rues, témoin des origines
que attendue par une large part de la militaires de la ville. (Photo G. Focant © MRW)

3
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

en termes de ruptures spatiales que LES PLACES PUBLIQUES, n’est plus à démontrer. La «ville com-
de continuités. Et cette réalité semble UN ENJEU RÉGIONAL... ? pacte» reste par ailleurs une scène pri-
irréversible, même si elle s’accompa- vilégiée pour une affirmation des
gne pour de larges couches de la po- institutions publiques et d’autres
Se pencher, dans un tel contexte, sur
pulation d’acquis incontestables en fonctions à haute charge symbolique.
l’avenir des places publiques peut
matière de mobilité et de conditions La contribution des places publiques
paraître dérisoire au regard de ce qui
de logement. La situation est générale à leur mise en valeur constitue
précède et des grands enjeux d’amé-
en Europe et les causes en sont com- une permanence dans l’histoire des
nagement et de développement
plexes… villes…
d’une région. Et pourtant, trois rai-
Dans ce processus général de sons au moins plaident pour qu’on Enfin, parce que l’attrait d’une région
«désurbanisation» l’espace public s’est s’attarde sur leur sort... se mesure pour partie à la richesse et
dilué, dilaté. Et si la ville et le village à l’agrément de son réseau de villes
Parce qu’il y va tout d’abord du bien-
traditionnels ont pu aménager certains et de villages. La Wallonie possède
être des populations des centres ur-
de leurs espaces, leurs extensions en peut être l’avantage, comparée à
bains, des banlieues, des villages, et
ont vu naître très peu ou même pas d’autres régions d’Europe, de ne pas
qu’il convient de maîtriser les tendan-
du tout. La voirie a progressivement être confrontée aux problèmes des
ces à l’exode vers les périphéries ur-
remplacé la rue, le square, la place grandes concentrations urbaines.
baines et rurales en améliorant les
publique,… dans un envahissement Avec la mobilité accrue des entrepri-
conditions de vie dans les périmètres
quasi généralisé du domaine public ses, les villes moyennes et petites ont
densément urbanisés. L’aménage-
par la voiture. Cette évolution s’est amélioré ces dernières décennies leur
ment de l’espace public peut y con-
accompagnée d’un développement position concurrentielle vis-à-vis des
tribuer dans une certaine mesure.
considérable du réseau de voiries, métropoles et des grandes villes euro-
avec comme conséquence des charges Ensuite parce que la ville «tradition- péennes. Au sein de ce mouvement
croissantes pour les collectivités loca- nelle» a fait ses preuves en matière d’émancipation, les places publi-
les et les autorités de tutelle (extension d’attractivité pour certaines activités ques peuvent être l’expression d’une
et entretien des réseaux, élargisse- économiques. Dans une société qui a urbanité qui s’affirme. Pour se ma-
ments de voirie, aménagements de connu ces cinquante dernières années térialiser localement, cette évolution
sécurité, épuration des eaux usées,…). une forte poussée du secteur tertiaire, devra se traduire au travers de pro-
Les coûts liés à la désurbanisation se- l’attirance exercée par les centres de grammes et d’opérations prenant en
ront au cœur des préoccupations pour ville et leurs espaces sur certaines ac- compte à la fois la réalité du terrain
les décennies à venir. tivités de service et commerciales et les désirs d’une communauté.

❚ Mons (Grand Place). Les places publiques contribuent depuis toujours à l’affirmation de l’architecture civile et religieuse. Photo G. Focant © MRW
4
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

La ville compacte, un ensemble durable…

A vec le vieillissement en cours


de la population européenne
et l’éclatement de la famille tradi-
tionnelle, le retour à la ville, ob-
servé depuis peu, pourrait bien
s’intensifier dans les décennies à
venir. Choix délibéré ou nécessité,
cette tendance s’explique par la
proximité des services et loisirs
qu’offre la ville, mais aussi, semble-
t-il, par les contraintes de mobilité
croissantes que rencontrent les usa-
gers.
Heureuse a priori pour la survie
des centres urbains, cette évolution
pose le problème de l’offre en lo-
gements et de leur accessibilité
pour le plus grand nombre, vu la
hausse constante, depuis dix ans,
des prix à l’acquisition d’un loge-
ment urbain et, dans une moindre


mesure, des loyers. D’où l’inquié-
tude des pouvoirs publics, à tous Nimègues (Pays-Bas). Le piétonnier central de la ville de Nimègues, un des plus importants
niveaux, pour un phénomène dont des Pays-Bas avec celui de la ville d’Arnhem, toute proche, abrite toutes les fonctions dont se
la maîtrise passera par des mesu- compose un centre urbain. Habitat, commerces, services privés et publics, université, lieux
res décrétales – fiscales notam- culturels et de culte, … y cohabitent dans un espace essentiellement ouvert aux piétons,
ment – foncières et partenariales, le cyclistes et transports publics. © Photo J.-M. Gillon.
marché belge du logement étant largement dominé par le ciale et culturelle, espaces propices à la diffusion rapide de
secteur privé. l’information et à l’amélioration du niveau de qualité des
Si le maintien en ville des populations est déterminante, la services urbains.
vitalité des centres urbains se mesure avant tout à la den- Parmi les secteurs d’activité qui animent la vie urbaine, le
sité de leurs activités et services, regroupement qui devient, tourisme urbain a pris, depuis une décennie ou deux, un
à partir d’un certain seuil, attractif pour les entreprises du essor non négligeable. Tourisme culturel, de loisirs, d’af-
secteur productif adaptées au milieu urbain. faires,… l’impact sur une économie locale peut être signifi-
Mais les centres-villes, en tant que lieux d’échanges, ne se catif, du moins pour les entités dont le rayonnement a at-
limitent pas à l’espace «marchand»… Par les conditions teint un certain niveau, et nécessite, pour son développe-
de proximité qu’ils proposent et les populations qu’ils abri- ment, un cadre de vie urbain adapté à ses besoins.
tent, ils deviennent des aires de concentration de la vie so- Dans l’éventail des mesures susceptibles d’assurer la sau-
vegarde des villes, l’aménagement de l’espace public peut
jouer un rôle non négligeable.
Certaines villes européennes en ont même fait un vecteur
important de leur politique de renouvellement urbain au
travers d’opérations dont l’ampleur dépasse largement le
cadre de l’aménagement d’une place publique.
Aménagement de piétonniers centraux et d’équipements
de quartier, rééquilibrage des modes de déplacement ur-
bains, mise en lumière de centres anciens, … autant d’opé-
rations pouvant accroître la viabilité et le rayonnement des
centres urbains… A condition pour ceux-ci de disposer,
pour leur fonctionnement au quotidien, d’un «réservoir»
de population et de logements suffisant dans un périmètre
assez restreint. Ce qui fait dire à certains urbanistes, hol-


landais notamment, que la bataille pour la survie des cen-
Marche-en-Famenne (rue des Brasseurs) tres urbains se jouera dans leurs banlieues toutes proches,
Le centre de Marche-en-Famenne qui regroupe en un ensemble là où une densification de l’habitat est encore possible…
vivant patrimoine monumental, habitat, commerces et services, Le Schéma de développement de l’espace régional ne dit
constitue un repère et un pôle d’attractivité dans la région. rien d’autre quand il prône le recentrage, la densification
© Photo J.-M. Gillon
et la mixité des fonctions dans les territoires urbanisés.

5
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

Reconstruire
la ville
sur la ville…

❚ Copenhague (Danemark). Alliant construction neuve et réhabilitation d’édifices an-


ciens, initiative publique et privée, la rénovation du quartier de Christianshavn n’est qu’une
des opérations d’envergure qui font de Copenhague une des villes européennes les
plus actives en matière de rénovation urbaine.
© Photo J.-M. Gillon.

❚ Maastricht (Pays-Bas – Quartier Céramique). Connue pour le renouveau de son


centre-ville et la récupération de logements aux étages des commerces, la Ville de
Maastricht mène une politique intense de densification de l’habitat et d’autres fonc-
tions à l’intérieur et en bordure du centre urbain. Envergure des opérations et partena-
riat public/privé caractérisent les initiatives hollan-
daises en matière de renouvellement urbain.
© Photo J.-M. Gillon.

❚ Mons (Quartier Messine). Fortement diversifiée au niveau des espaces et des loge-
ments qu’elle propose, cette opération d’assainissement et de rénovation urbaine de la
fin des années ’80 s’insère en plein centre ancien, entre une église existante et un ancien
abattoir reconverti en salle d’exposition d’art contemporain. Photo G. Focant © MRW.

6
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

❚ Lyon (Place des terreaux). Hôtel de ville et Musée des Beaux-Arts,... les édifices publics organisent l’espace urbain. © Photo J.-M. Gillon.
LA GESTION DE L’ESPACE t la localisation par rapport à cette nes parties de ville, pourtant den-
PUBLIC COMMUNAL structure spatiale des bâtiments sément bâties, étant dépourvues
publics les plus fréquentés (gares, du moindre équipement.
L’ÉTAT DE LA QUESTION bâtiments administratifs, postes,
théâtres, musées,…), la vie publi- t les déficiences au niveau des prin-
Lieu de toutes les mobilités, des usa- que se limitant de nos jours de cipales liaisons piétonnes, qu’il
ges publics et de la communication moins en moins aux espaces à l’air s’agisse de manquements structu-
informelle, l’espace public constitue libre. Certains inventaires vont rels (largeur, état,…) ou de discon-
le fondement de la ville et du vil- jusqu’à y inclure services et com- tinuités dans les cheminements
lage, l’espace qui matérialise la con- merces privés accessibles à tous. (traversées de voirie, franchisse-
tinuité de vie d’une collectivité et qui ments d’obstacles naturels ou
t pour les localités d’une certaine infrastructurels tels que cours
s’inscrit pour cela, davantage que les taille ou les cas ponctuels comple-
édifices, dans la longue durée… d’eau, voies ferrées, etc…)
xes, une analyse sociologique per-
Pour intervenir en connaissance de mettant de mieux comprendre t le niveau de satisfaction ou d’in-
cause sur l’espace public, même au comment les usagers, visiteurs ou satisfaction des usagers et rési-
travers d’une action ponctuelle, il est résidents, vivent et utilisent l’es- dents face à l’espace public.
utile d’avoir une vue globale de la si- pace public (fréquentation, origine
tuation pour mieux cerner la portée géographique des usagers, per- Il est clair que de telles investiga-
et le sens d’une opération. ception par le citoyen de la sécu- tions sont à moduler en fonction de
rité, de la propreté, des aspects la nature et de l’importance des lo-
Cet inventaire fonctionnel et quali- positifs et dérangeants,…) calités, une communauté rurale ne
tatif devrait comprendre : posant pas les mêmes problèmes
Cet outil doit permettre d’évaluer au qu’une agglomération urbaine de
t un relevé cartographique de l’en- mieux «l’état de santé» de l’espace
semble des espaces marquants taille importante ou moyenne.
public d’une collectivité, du moins
(places publiques, artères haute- dans ses composantes les plus signi-
ment symboliques, squares, parcs ficatives. Il permet en tout cas de dé-
et jardins publics, aires de jeux,…) celer : LE PROJET URBAIN OU VILLAGEOIS
accompagné d’une analyse por-
tant sur leur état physique, leur t les lieux de concentration de la vie EN MATIÈRE D’ESPACE PUBLIC
fonction, leur morphologie et publique, espaces et édifices con-
Il est important tout d’abord de dire,
éventuellement leur histoire. fondus, et d’en tirer éventuelle-
à la suite de l’inventaire, qu’un pro-
ment des enseignements.
t les axes piétonniers structurants jet global d’aménagement de l’espace
reliant ces espaces, c’est-à-dire les t les grands déséquilibres dans la public peut se décliner isolément ou
itinéraires majoritairement em- répartition spatiale et fonction- de concert avec d’autres programmes
pruntés par les piétons. nelle des espaces publics, certai- de développement urbain et rural.

7
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

Le projet urbain ou villageois se défi- En matière d’aménagement de l’es- L’AMENAGEMENT PHYSIQUE


nit, selon l’urbaniste française pace public, les objectifs et priorités DES PLACES PUBLIQUES
Patrizia Ingallina, comme «une ac- découleront d’une part des
tion globale et négociée pour créer disfonctionnements mis à jour par L’agencement formel d’une place
un environnement de qualité», te- l’inventaire et d’autre part d’options publique relève à la fois de réalités
nant compte de finalités spatiales, plus volontaires que pourrait pren- fonctionnelles et d’un choix sociétal.
économiques, socio-culturelles et dre le pouvoir local. Ces dernières Il traduira, par son organisation phy-
identitaires. Il peut prendre des ap- peuvent être de nature différente sique et son esthétique, le rôle et le
pellations diverses : projet commu- mais pas forcément contradictoire. «statut» de l’espace dans l’organisme
nal, de ville, d’agglomération, plan ou L’aménagement de l’espace public, en urbain ou villageois. Une place de
projet stratégique, contrat de ville, .... particulier des places publiques, fait gare répond à d’autres finalités tech-
et couvre des objectifs tantôt globaux en effet partie de l’arsenal de mesu- niques qu’une place de village, un
(de développement durable, de revi- res habituelles pour : aménagement de quartier à d’autres
talisation urbaine,...), tantôt plus sec- usages sociaux qu’une place de cen-
toriels (plans de mobilité, plans lo- t soutenir le mouvement en faveur tre urbain historique.
caux d’habitat, plans «piéton»,...). d’un «retour à la ville», réponse
durable aux problèmes engendrés Ces réalités auront une incidence di-
Dans de telles démarches la ville et le par la désurbanisation. recte sur l’occupation physique de
village sont considérés comme des l’espace, notamment en matière de
faits sociétaux, au-delà de leurs ap- t revitaliser les centres urbains en dégagement. Si la majorité des pla-
parences morphologiques. Le projet perte d’activités et de développe- ces doivent permettre un usage po-
urbain ou villageois s’apparente à ment. lyvalent des lieux, certaines appellent
l’urbanisme opérationnel et nécessite, t renforcer l’image et l’attractivité une organisation plus spécifique du
pour sa mise en œuvre et sa réussite, d’une ville au sein d’un réseau de site. C’est le cas notamment des pla-
la réunion des conditions suivantes : localités «concurrentes». ces de gare, lieux de grande mobilité,
t la mise sur pied de structures de ou de certains aménagements de
Un programme global d’aménage- quartier équipés d’aires de jeux. Il est
concertation à caractère parte- ment de l’espace public favorisera
narial, voire contractuel entre ac- important, dans une programmation,
donc la répartition spatiale des opé- de bien évaluer ces enjeux.
teurs institutionnels, économi- rations aux centres des villes et dans
ques, associatifs et professionnels. leurs périphéries les plus immédia-
t l’ouverture disciplinaire, vu la tes, là où se concentre la partie de UNE DÉMARCHE, PAS UN LIVRE
complexité et le caractère global population pouvant accéder facile- D’IMAGES OU DE RECETTES...
des opérations. ment et à un coût de mobilité moin-
dre aux équipements et services ur- Plusieurs écueils sont à éviter quand
t une programmation transversale bains. on aborde l’aménagement physique
permettant d’intégrer les variables des places publiques.
techniques, socio-économiques, Il veillera par ailleurs à promouvoir
environnementales et financières. la réalisation de nouveaux espaces Le premier consiste à opérer par «mo-
publics dans les quartiers où la pré- dèles», à puiser «l’inspiration» dans
t une certaine continuité au niveau sence d’espaces interstitiels ou de fri- des réalisations étrangères et à la
de la volonté politique, ces pro- ches industrielles invite à une restruc- transposer, sans autre réflexion, à des
grammes pouvant s’étaler sur des turation des lieux. lieux inadéquats.
périodes assez longues. Le deuxième, à l’opposé, serait de
vouloir figer dans un cadre réglemen-
taire rigide l’ensemble de la problé-
matique de l’aménagement des pla-
ces publiques.
Le dernier, enfin, consiste à donner
une réponse partielle aux problèmes
posés. Comme «le piège de la table à
dessin» qui limite l’aménagement à
un «exercice graphique» vu du ciel,
une épure abstraite, alors que l’espace
sera perçu et vécu au niveau du pié-
ton. Ou la démarche qui réduit le pro-
blème à un simple exercice «techni-
que», voiries, bordures, filets d’eau et
avaloirs devenant les seuls paramè-
tres pris en compte ou à peu près....
L’aménagement d’une place publique
demande une approche plus élaborée
et globale. Son agencement sera tenu
de rencontrer la réalité du site, ses
❚ Louvain-la-Neuve (Grand-Place). Les valeurs de la ville européenne et de l’urbanité au composantes physiques, mais aussi
service du piéton. © Photo J.-M. Gillon. sa finalité sociale.

8
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

L’expérience lyonnaise….

L a Communauté urbaine de Lyon fait partie des 14


communautés d’importance variable actuellement
opérationnelles en France. Elle fut mise sur pied par voie
t l’adoption d’un «vocabulaire des espaces publics»
qui assure la cohérence visuelle et chromatique des
aménagements (matériaux de sol, mobilier urbain,
autoritaire et après négociation avec l’Etat dans le cadre couvert végétal,... ) ;
de la loi de décembre 1966, en même temps que celles
t l’appel à des concepteurs de qualité venus des qua-
de Bordeaux, Lille et Strasbourg.
tre coins de France et travaillant dans le cadre d’une
Riche de ses 55 communes regroupant environ 1.300.000 organisation rigoureuse et centralisée.
habitants et forte de 5.300 agents, elle œuvre dans des
domaines aussi divers que la qualité des eaux, la pro-
preté, l’assainissement, les secours, la mobilité, l’habi-
tat, l’urbanisme,... et bien d’autres.
Seconde unité urbaine de France et «rivale» de Paris,
Lyon a compris très tôt que le développement et le rayon-
nement international passeraient par la maîtrise du ca-
dre de vie urbain. Trente-cinq ans de gestion stratégi-
que en ont fait une des euro-cités les mieux gérées d’Eu-
rope, notamment en matière d’aménagement de l’es-
pace public.
Considéré comme un véritable laboratoire urbain en la
matière, Lyon a planifié et réalisé à ce jour plus de 300
opérations qui ont sensiblement modifié l’aspect et
l’usage du domaine public, s’appuyant pour cela sur :
t une puissante maîtrise d’ouvrage organisée de ma- ❚ Lyon (Place Bellecour). © Photo J.-M. Gillon.
nière transversale et développant une «culture par-
tagée» des espaces publics entre élus, techniciens,
associations et concepteurs ; La politique d’aménagement de l’espace public mise en
œuvre dans le Grand Lyon a eu pour effet de provoquer
t une importante programmation en amont des pro-
un certain «retour à la ville» dans l’hyper centre de Lyon
jets, avec prise en compte de toutes les facettes de
(aire très large comprise à l’intérieur du périphérique).
l’espace public : histoire, usage, vieillissement, main-
Cette évolution est perceptible depuis 5 à 6 ans (± 1995)
tenance,...;
alors que les premières opérations datent de 1989. La
t une approche territoriale du problème qui concerne politique menée en matière d’habitat urbain et de
tour à tour les rues et places du centre de Lyon, les réaffectation des friches industrielles y a contribué pour
grandes cités de logement, les centres de village et une part (anciennes industries textiles et mécaniques de
de quartier ainsi que les sites liés aux infrastructures la banlieue Est).
de transport (stations de métro,...).
Lyon vient de réintroduire, à l’instar d’autres villes fran-
Devenue une référence nationale et européenne, tant par çaises et 43 ans après son abandon, le tramway urbain
la méthode que par l’ampleur de ses réalisations, Lyon en ville. Les deux premières lignes mises en service en
a su de surcroît créer un «style» en optant résolument janvier 2001 (18,7km) constituent la première phase de
pour la modernité et la simplicité. Deux facteurs y ont mise en œuvre du plan de déplacements urbains censé
contribué : renforcer les réseaux de métro et de bus existants.

❚ Lyon (ligne de tram n° 1 - Boulevard Vivier). © Photo J.-M. Gillon. ❚ Lyon (Place de la République). © J. Leone/GD. Lyon

9
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

❚ Lyon (Montée de la Grande Côte). Aménagement d’un intérieur d’îlot en jardin public dans
un quartier populaire surplombant la ville ancienne. © Photo J.-M. Gillon.

❚ Arlon (Quartier Saint-Donat). Opération de rénovation urbaine ❚Marche-en-Famenne (Place aux foires). Place de quartier
respectueuse du cadre bâti ancien et mise en zone résidentielle de légèrement à l’écart du cœur de la ville, élément d’un important
l’espace public. © Photo J.-M. Gillon. programme piétonnier. © Photo J.-M. Gillon.

L’aménagement
de l’espace public
ne se limite pas
à des opérations ❚ Lavaux-Sainte-Anne (Place communale). Place de village épousant la simplicité d’une
de prestige... localité régie par le règlement général sur les bâtisses en site rural. © Photo J.-P. Van Reybroeck.

10
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

Il devra répondre aux besoins les plus


élémentaires, ceux qui relèvent de la
sécurité et de la durabilité, convenir
à l’usage attendu, et rencontrer si pos-
sible cet indéfinissable besoin de
beauté qui habite les hommes.
Cette démarche qui s’appuie sur les
besoins humains et sociaux, des plus
simples aux plus élevés, n’est pas ré-
cente. Elle a fait ses preuves et était
connue de certains théoriciens de la
Renaissance, voire de l’Antiquité. Et
elle est toujours appliquée, de ma-
nière consciente ou non, par nombre
de professionnels de l’espace, qu’ils
soient architectes, designers, ingé-
nieurs ou urbanistes.
Les paragraphes qui suivent respec-
tent ce cheminement et sont conçus
comme une grille de pensée, aide
possible à la conception d’un espace ❚ Andenne (Place des Tilleuls). L’ordonnancement symétrique des arbres souligne la position
ou à l’évaluation d’un projet. axiale de l’Hôtel de ville sur la place. © Photo J.-M. Gillon.

LA LECTURE D’UN LIEU OU de matériaux de sol dont la tona- connaissance du terrain que peuvent
LA REALITE D’UN ESPACE lité ne s’harmoniserait pas avec avoir les gestionnaires communaux
l’environnement bâti, s’avère précieuse à cet égard pour
Les projets de places publiques con- mener à bien un projet.
cernent souvent des lieux existants, t la qualité sensorielle des lieux, la
témoins d’une histoire locale et d’une froideur d’un espace pouvant Mais une bonne procédure de concer-
évolution urbanistique. dans certains cas se corriger par tation ne remplacera jamais totale-
un judicieux programme de plan- ment le savoir-faire d’un auteur de
Pour saisir cette complexité, un tations. projet. La Ville de Lyon, exemplaire
auteur de projet devra s’informer, en matière d’aménagement de ses
questionner et avoir cette disponibi- Mais regarder un espace, c’est aussi
espaces publics, l’a bien compris en
lité du regard qui caractérise les in- essayer de comprendre comment
établissant une claire limite entre con-
telligences sensibles. d’autres personnes peuvent l’appré-
certation du public et élaboration des
hender. Des recherches, menées pour
Il se devra donc d’être attentif à : projets,... et en choisissant des auteurs
l’essentiel aux Etats-Unis et en
de projet confirmés. Cette manière de
t la morphologie générale du lieu Grande-Bretagne, ont montré la com-
procéder, qui limite l’intervention du
et si nécessaire son histoire, un es- plexité de la perception que peuvent
public à l’énoncé d’objectifs com-
pace ordonné du 18ème ou 19ème siè- avoir d’un lieu les usagers de l’espace
muns et d’usages à respecter ou à
cle appelant d’autres réponses public. Etudes portant sur le compor-
générer, permet d’éviter qu’un projet
qu’un lieu dont la géométrie in- tement, les images mentales, les re-
ne s’enlise dans une accumulation de
formelle évoque une lointaine si- pères, les préférences,... le matériel
désirs individuels rendant impossible
tuation médiévale, d’étude accumulé est important et
une vision globale des lieux ou un
éclectique.
apport significatif des professionnels
t la position des rues attenantes et
Il n’est pas courant, dans le cadre d’un de l’espace.
les perspectives qu’elles génèrent,
afin de ne pas contrarier ces der- aménagement, de pouvoir procéder
nières par un aménagement à de telles enquêtes auprès de la po-
pulation. La traditionnelle procédure LA VALEUR D’USAGE OU LA
inapproprié,
de concertation peut y pallier dans DEMANDE DES UTILISATEURS
t l’étendue de l’espace et la hauteur une certaine mesure, surtout si elle
du bâti qui le borde, un espace s’accompagne d’un questionnaire Usage et perception d’un lieu sont des
trop distendu pouvant nécessiter portant sur les points sensibles de notions intimement liées.
une plus forte structuration de l’aménagement et les usages consa-
l’espace ou même un complément En effet, un usager aura d’un endroit
crés. Des méthodes pour appréhen-
de bâti sur la place, une image positive si celui-ci l’aide à
der la participation de la population
«vivre». C’est vrai pour son logement,
existent et certains bureaux d’étude
t la présence d’édifices marquants son lieu de travail, de loisirs, mais
en ont fait une spécialité. De telles
dont le positionnement pourrait aussi dans une certaine mesure pour
initiatives sont à encourager. Si elles
influer sur la composition archi- sa rue, son quartier, sa ville....
rendent les procédures plus longues,
tecturale de l’espace,
et quelques fois conflictuelles, elles La place publique rejoint donc cette
t la dominante chromatique du permettent d’éviter nombre de ma- sphère de «l’habiter» chère au philo-
bâti, pour éviter la mise en oeuvre lentendus et de projets inadaptés. La sophe allemand Heidegger, ensemble

11
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

d’endroits qui nourrissent l’univers


familier d’un être et qui varie selon
les individus et les catégories socia-
les.
Des enquêtes menées dans divers
pays ont montré que cet univers
s’élargissait avec le niveau sociopro-
fessionnel d’une personne. Un cadre
d’entreprise ou un professeur d’uni-
versité vit son environnement géo-
graphique d’une manière plus large
qu’un simple employé ou une per-
sonne âgée sans ressources.
On comprend mieux dès lors l’atta-
chement que peuvent avoir pour une
place publique les personnes dont le
«rayon d’action» se résume, pour di-
verses raisons, à un territoire fort li-
mité (personnes âgées ou à mobilité
réduite, enfants...). Y être attentif
ouvre la voie à une vie civique égale
pour tous.

❚ Namur (Place du Marché aux Légumes). Commerces, cafés et restaurants assurent l’accueil
et le contrôle social de la place. Photo G. Focant © MRW.

LES BESOINS DE BASE


Pour faire partie du cadre de vie
d’une personne, une place publique
devra donc répondre à certains be-
soins humains, et avant tout à ceux
qui ont trait à la sécurité physique et
morale des personnes.
Quatre facteurs au moins peuvent y
contribuer :
t la nature des activités riveraines.
Celle-ci conditionnera la fréquen-
tation et le «contrôle social» d’une
place et, partant de là, la sécurité
et l’accueil des personnes. Il ap-
partient aux instances communa-
les d’y être attentif en suscitant la
présence sur le site d’activités
ouvertes au public et créatrices
d’animation, également en soirée.

❚ Liège (Place St-Paul). Un espace intime et bien connu des Liégeois, en plein cœur de la
ville. Photo G. Focant © MRW.

12
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

❚ Namur (Place d’Armes). Une place entièrement libérée de la


voiture et appréciée du jeune public. © Photo J.-M. Gillon.

❚ Cologne (Place du Dôme). La vaste esplanade devant la ❚ Rome (Piazza della Rotonda). Un espace fort fréquenté et
cathédrale attire jeunes et visiteurs. © Photo J.-M. Gillon. apprécié des Romains et des visiteurs, à l’écart des bruits de la Ville
éternelle. © Photo J.-M. Gillon.

Voitures et places
publiques font
rarement bon ❚ Louvain-la-Neuve (Place des sciences). L’absence de voitures à l’intérieur du centre urbain
ménage... favorise contacts et rencontres. Photo G. Focant © MRW.

13
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

❚ Le Roeulx (Place communale). La mise en «zone 30» de l’ensemble de la place réduit la vitesse de circulation des véhicules et rend pour ainsi
dire inutile les passages pour piétons. Photo F. Dor © MRW.

t une claire répartition de l’espace t une réduction sensible des nui- t la maîtrise de la vitesse de circu-
dévolu au piéton et à la voiture. sances automobiles (bruit, odeur, lation des véhicules. La configu-
Certains aménagements donnent, encombrement...), ce qui suppose ration sinueuse des rues menant
par l’emploi d’un matériau uni- une suppression totale ou partielle à une place peut avoir un effet ré-
que et continu, l’impression que du stationnement en surface. Bien ducteur naturel sur la vitesse des
le piéton y est roi. Or, les places des aménagements échouent sur véhicules, mais ces cas sont rares.
publiques sont parfois longées par ce point, pourtant essentiel, sous La réduction de la largeur de l’es-
des flux de circulation dont l’im- la pression des riverains. Une ré- pace réservé à la voirie reste un
portance dépasse le caractère lo- vision locale du plan de circula- moyen sûr pour y parvenir, la
cal des lieux. Divers dispositifs tion peut apporter une solution, mise en plateau générale du site
adaptés à la nature des projets comme à Philippeville où le sta- également. Un autre moyen,
peuvent clarifier de telles situa- tionnement a été fortement réduit cumulable avec les moyens préci-
tions : mise en œuvre de bordures, place d’Armes grâce à une mise en tés, est la mise en «zone 30» de
éventuellement surbaissées, ou de sens unique des rues attenantes, l’espace tel que le préconisent le
larges bandes de matériaux nobles ce qui a permis d’y loger le station- Ministère de la communication et
disposés à fleur de voirie, usage nement excédentaire. Aménager à l’Institut belge pour la sécurité
d’un revêtement spécifique pour grands frais d’argent public une routière. Cette mesure permet, en
la voirie, disposition en ligne place pour l’affecter exclusive- outre, la suppression des passages
d’éléments physiques séparant le ment ou presque à la voiture a peu pour piétons, peu empruntés sur
piéton du domaine routier (arbres, de sens quand on mesure l’aspi- les places publiques. Les commu-
bancs, poubelles...). Les moyens ration du citoyen à se réap- nes de Mons, Gembloux,
sont nombreux, peuvent se com- proprier une part de l’espace ur- Gerpinnes, Fontaine-l’Evêque,
biner mais doivent s’intégrer dans bain ou villageois. En optant pour Antoing et Le Roeulx ont adopté
une vision claire et sans ambiguïté un franc dégagement de ses espa- ce système.
des lieux. ces les plus significatifs, une Com-
mune fera preuve de civilité et de
précaution face à un parc automo-
bile qui n’a pas achevé son expan-
sion.

14
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

La pierre naturelle et l’aménagement des


places publiques...
L a notion de durabilité fait désormais partie de notre
langage familier. Déjà à l’honneur en 1992 à l’occa-
sion de la conférence de Rio, elle sous-tend aujourd’hui
vient néanmoins, pour ces aires et surtout si celles-ci sont
constituées d’un matériau continu, de s’assurer de l’ab-
sence d’impétrants dans le sol.
tous les discours... Elle a fait l’objet d’initiatives euro-
péennes, d’un plan fédéral et, pour la Wallonie, d’un plan
d’environnement pour le développement durable. Cet
engouement pour un concept pourtant vieux comme le
monde souligne bien la soudaine inquiétude d’une so-
ciété face à une économie dont le dynamisme ne res-
pecte pas toujours l’environnement social et naturel.
S’il est un matériau qui incarne bien cette notion de du-
rée, de permanence dans le temps, c’est bien la pierre,
ou plutôt la gamme de matériaux pierreux qui forment
une des richesses de la Wallonie.
Richesse en gisements mais aussi en expérience et sa-
voir-faire, l’industrie d’extraction et de transformation
wallonne ayant largement fait ses preuves.
Ce capital dont regorge le sous-sol wallon, le patrimoine
immobilier en est pétri et le domaine public en fait de-
puis toujours un large usage. ❚ Tournai (Grand-Place). Photo G. Focant © MRW.
L’emploi de la pierre naturelle dans l’aménagement des
places publiques peut se moduler selon la nature des
L’usager attend du domaine public confort et sécurité.
lieux, les budgets disponibles et l’ampleur des opéra-
Il y a lieu, lors d’un aménagement, d’identifier les lieux
tions envisagées sur le territoire communal.
de passage piétonnier intensifs. Ceux-ci se situent en
S’il est conseillé, pour les opérations les plus significati- général sur le pourtour des places publiques, là ou se
ves, en milieu historique par exemple, d’avoir intégra- concentrent activités commerciales et services. Offrir à
lement recours à la pierre naturelle en raison de ses qua- ces endroits des aires de cheminement planes et anti-
lités chromatiques notamment, pour des opérations dérapantes concourt au confort général des usagers,
moins prestigieuses le matériau noble se prête très bien quels qu’ils soient. Les matériaux pierreux, une fois usi-
à un usage combiné avec des matériaux moins onéreux nés, conviennent très bien à cet usage. Cette remarque
(pavés de béton, enrobés, asphaltes...). vaut également pour les trottoirs des artères commer-
ciales importantes.
C’est le parti qu’a adopté, quand la nature ou l’étendue
des lieux l’y invitait, la Ville de Lyon, confrontée au défi Sur une place publique, la pierre naturelle peut affirmer
de réaliser un grand nombre d’aménagements dans un sa présence dans bien d’autres domaines. Fontaines,
délai relativement restreint. Dans nombre de ces réali- bassins d’eau, œuvres d’art, soubassements de kiosques
sations, seules les délimitations de l’espace font appel à et d’autres équipements, bornes, ... l’usage de la pierre
des matériaux nobles, les «aires de remplissage» étant semble infini et offre la garantie d’un environnement
réalisées au moyen de matériaux plus ordinaires. Il con- durable, gage pour l’avenir...

❚ Liège (Place Saint-Lambert). Photo G. Focant © MRW. ❚ Andenne (Place des Tilleuls). © Photo J.-M. Gillon.

15
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

Pour s’inscrire durablement dans le


temps et dans la vie d’une commu-
nauté et ne pas peser à terme sur les
finances communales, l’aménage-
ment d’une place publique devra, dès
sa conception, faire l’objet d’une at-
tention particulière.
La simplicité générale du projet, le
choix des matériaux et des équipe-
ments auront une incidence sur les
investissements de départ mais aussi
sur la gestion de l’espace dans le
temps (entretien, remplacement
d’éléments détériorés, de revête-
ments défoncés,...)
Il y va de l’image de la collectivité
mais aussi de la survie de l’aména-
gement, un espace fragilisé attirant
les actes de vandalisme. Potelets, vas-
ques à fleurs, colonnes végétales,...
sont des éléments dont la pérennité
n’est pas toujours assurée...
Leur mise en oeuvre doit être limitée
ou évitée. Il est important également,
en cas de dégradation, que les élé-
ments détériorés soient rapidement
remplacés.
Veiller, dès la conception du projet, à
la mise en lumière nocturne d’une
place publique la rend sécurisante et
accueillante, et permet de prolonger
considérablement l’usage de l’espace
en soirée.
S’inscrire dans le temps signifie en-
fin que l’usage d’un espace soit maî-
trisé, afin d’empêcher qu’une place
publique piétonne ne redevienne pro-
gressivement un espace de stationne-
ment. Il incombe aux autorités com-
munales d’y être attentif.

LA COMMODITÉ
D’UN AMÉNAGEMENT
Toute création est censée convenir à


l’usage qui en est attendu, qu’il
s’agisse d’un objet utilitaire, d’un Namur (Place de l’Ange). Le marché hebdomadaire reste une tradition solidement ancrée
ouvrage d’art, d’un édifice ou a for- dans la vie des villes wallonnes. © Photo J.-M. Gillon.
tiori d’une place publique.
L’usage des places publiques s’est
modifié au fil des siècles mais pas for- D’autres facteurs, plus spécifiques, ne nécessitent, sauf contrainte to-
cément simplifié. Marchés, foires, fes- conditionnent le confort des usagers pographique majeure, aucune
tivités culturelles et autres, les activi- d’une place publique : modification de leur relief. Y créer,
tés qui s’y déroulent sont de natures pour le seul plaisir des yeux, des
t la planéité générale des lieux,
diverses et parfois inattendues. différences de niveaux artificielles
dans la mesure où le piéton doit
peut porter atteinte à la libre cir-
Il importe donc, pour être utile à la pouvoir évoluer à sa guise dans
culation des piétons et des per-
collectivité, qu’une place publique ce qui constitue pour lui un des
sonnes à mobilité réduite, deve-
reste un espace largement dégagé, rares espaces de liberté dans la
nir source de chutes ou entraver
malgré les équipements nécessaires à ville. Les places publiques s’ac-
l’organisation d’activités occa-
son usage et son agrément. commodent assez bien de légères
sionnelles.
dénivellations naturelles. Elles

16
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

Dégagement
et planéité des lieux
conditionnent
le confort
des usagers...

❚ Gand (Kouter). Ancienne place d’armes accoutumée aux parades militaires, le Kouter est
actuellement le siège d’un marché aux fleurs quotidien et de concerts dominicaux (kiosque
1868). © Photo J.-M. Gillon.

❚ Bastogne (Place Saint-Pierre). Confort et qualité des revêtements ❚ Lyon (Place des Célestins). Malgré la circulation locale présente
en pierre naturelle caractérisent les aménagements piétonniers de la sur trois de ses côtés, cette place bordée de plantations offre un es-
principale artère commerciale de la ville. © PHoto J.-M. Gillon. pace intime et chaleureux en plein cœur de la ville, face au Théâtre
des Célestins. © Photo J.-M. Gillon.

❚ Thionville (Place du Marché). Calme et planéité générale des lieux font de cette petite place
historique un lieu de «séjour» apprécié de la population. © Photo J.-M. Gillon.

17
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

S’asseoir en ville...

L ’agitation générale et le bruit lié à la circulation ur-


baine sont en général mal ressentis par l’usager des
centres urbains. C’est ce qui ressortait très clairement,
au début des années ’70 déjà, des sondages d’opinion
réalisés dans diverses villes des Pays-Bas. Visiteurs d’un
jour, résidents ou personnes de la périphérie non dési-
reuses de résider en ville, les avis convergeaient et les
chiffres étaient éloquents...
Ces données mériteraient sans doute une actualisation, ❚ Namur (Place Chanoine Descamps). © Photo J.-M. Gillon.
certaines villes européennes ayant pris depuis des me-
sures : réorganisation de la circulation urbaine, création
de piétonniers à caractère commercial,... mesures effica-
ces mais d’une portée trop souvent limitée aux parties
les plus historiques des centres de ville.
Un sondage récent de l’Institut français de l’environne-
ment (1999) a fait apparaître que la pollution de l’air liée
aux transports urbains restait une préoccupation récur-
rente des Français. La pression générale de la circula-
tion urbaine n’étant pas prête de se résorber, la recon-
quête des places publiques garde donc toute sa perti-
nence, en particulier si l’on prend en compte les parties
les plus agglomérées des centres urbains et non seule-
ment les cœurs historiques.
Vu sous cet angle, les besoins à couvrir pour la Wallonie
restent importants...
Dans ce contexte, la vertu première que le citoyen est en
❚ Paris (Place Joachim du Bellay). © Photo J.-M. Gillon.
droit d’attendre d’une place publique, c’est d’y trouver
le calme et de pouvoir y séjourner, donc s’asseoir. Ce
qui est incompatible avec une intense occupation des plus élémentaires. Trop de bancs se résument de nos
lieux par la voiture... jours à des objets esthétiques, épurés à l’extrême mais
impropres à l’usage qui en est attendu. L’usager moyen
S’attarder sur une place publique signifie que les possibi- n’est pas toujours jeune ou sportif... Le banc public avec
lités de s’y asseoir doivent être variées et multiples : à l’om- dossier s’impose dans tous les cas.
bre ou au soleil, en groupe
ou à l’écart, en prenant une
consommation ou pas...
Il importe de ne pas concen-
trer les bancs publics en un
seul endroit de la place car
cela favorise leur «appro-
priation» par certains grou-
pes sociaux. Les répartir sur
le pourtour d’un espace cen-
tral reste un moyen efficace
pour pallier cet inconvé-
nient. Cette façon de procé-
der offre aux usagers un
grand choix de situations,
les uns préférant le calme et
l’isolement, d’autres le con-
tact humain ou les endroits
de plus grande animation.
Il y a lieu de se souvenir
enfin qu’un banc public doit


être confortable et répondre
aux règles ergonomiques les Anvers (Place verte). © Photo J.-M. Gillon.

18
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

Il convient à cet égard de préciser tif à l’implantation des équipe- COMPOSITION


que le piéton qui traverse une ments en général, mais aussi au ARCHITECTURALE
place publique a tendance à opter fait qu’à la belle saison certaines
pour la trajectoire la plus courte. activités solliciteront une part de
ET BEAUTÉ D’UN ESPACE
Raison de plus pour dégager ces l’espace public (terrasses de café,
trajets de tout obstacle majeur : étals...). Aux siècles passés, les règles de
marches, dénivellations, équipe- beauté étaient le fait du prince ou de
t le confort des revêtements de sol minorités dominantes. Cela n’est plus
ments trop encombrants, etc...
qui doit rendre aisé la marche à le cas aujourd’hui, le nombre d’inter-
pied mais aussi le passage de «vé- venants dans le processus de produc-
hicules légers» (voitures pour per- tion de l’espace bâti s’étant tellement
sonnes à mobilité réduite, pous- diversifié que les repères culturels
settes d’enfant...). A cet égard, s’en trouvent perturbés.
l’usage du pavé naturel, sauf s’il
s’agit de pavés resciés, ne s’indi- Parler de beauté devient donc com-
que pas vraiment pour les lieux de plexe de nos jours ou pour citer la
passage intensif évoqués ci-avant. philosophe française Françoise
Cette remarque vaut également Choay : «De quelle beauté s’agit-il dans
pour les aires de cheminements nos sociétés acculturées, éclatées, ne dis-
des artères commerciales, que cel- posant d’aucun langage ou fond esthéti-
les-ci soient entièrement piétonnes que de base qui puisse leur servir de réfé-
ou non. Trop d’aménagements ne rence ?»
sont pas attentifs à cet aspect des
Sur quoi s’appuyer dès lors pour pré-
choses.
tendre à une approche esthétique des
t la possibilité de «séjourner» sur places publiques, si ce n’est avant tout
t le dégagement des lieux de pas- une place, ce qui signifie que les sur cette règle très ancienne qui lie
sage intensif, en particulier l’es- possibilités de s’y arrêter et de s’y depuis toujours l’usage à la beauté.
pace bordant directement les acti- asseoir doivent être réelles, ce qui Autrement dit, une place publique ne
vités riveraines d’une place publi- suppose un certain calme et une saurait prétendre à une quelconque
que (commerces, horeca,...). Ce qui organisation bien réfléchie des «beauté» si elle ne rencontre pas les
signifie qu’il convient d’être atten- flux ou accès motorisés. besoins exposés ci-dessus. Le large

❚ Avignon (Palais des Papes). L’inclinaison assez contraignante du site n’a donné lieu à aucune modification vraiment significative du relief du
sol. © Photo J.-M. Gillon.

19
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

❚ Charleroi (Place Charles II). L’ordonnancement concentrique de l’espace s’inscrit dans la forme polygonale de la place. © Photo J.-M. Gillon.

dégagement d’une place, sa planéité 1. LE RESPECT DE «L’ESPRIT tions, bancs publics...). Agir à contre-
et un clair arbitrage de l’espace entre 1. DES LIEUX» sens de cette règle de base mène la
le piéton et la voiture induisent déjà plupart du temps à des aberrations...
une première configuration des lieux
1. ET L’ORDONNANCEMENT
1. DES ÉLÉMENTS DANS L’ESPACE Les places de forme irrégulière se ren-
et donc la base d’une «esthétique».
contrent couramment, en particulier
Ceci dit, l’harmonie d’un aménage- La lecture des lieux, évoquée plus dans les villes ou les villages qui ont
ment ne s’obtient pas par simple ob- haut, contribue largement à la formu- gardé des traces de leur organisation
servance de quelques règles de bon lation de projets adaptés aux caracté- médiévale.
usage. Une place publique sécuri- ristiques formelles d’un espace. Une
Introduire dans de tels espaces des
sante et adaptée à un usage diversi- mauvaise compréhension du con-
dispositifs strictement géométriques,
fié n’en devient pas pour autant texte bâti mène inévitablement à des
comme un quadrillage de sol régu-
belle... solutions malheureuses.
lier par exemple, perturbe la nature
Difficile à première vue, vu la diver- Composer un espace public, c’est spontanée des lieux.
sité des situations, de «codifier» de mettre en relation les éléments d’un
manière expéditive les conditions qui programme en les disposant de ma-
mènent à cet état d’harmonie. Ce der- nière mûrement sentie et réfléchie par
nier dépendra largement de la prise rapport au contexte bâti.
en compte conjointe des quatre fac-
Dans cette mise en relation, la forme
teurs suivants :
de la place, c’est-à-dire l’espace déli-
mité par les fronts de bâtisse qui le
bordent, joue un rôle primordial.
C’est elle qui doit guider, dans un
souci de dialogue et de saine hiérar-
chie des choses, les lignes de forces
du projet et la disposition dans l’es-
pace de ses composantes les plus per-
ceptibles (voiries, luminaires, planta-

20
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

l’emportait sur une intense occupa- publiques, de piétonniers ou de


tion physique des lieux. simples trottoirs, l’espace public
Renouer tant soit peu avec cette sim- souffre souvent de la présence ex-
plicité et cette tradition du «vide» cessive de certains de ces élé-
n’exclut en rien l’ouverture à la mo- ments.
dernité des formes et aux exigences
t le nombre et la variété de maté-
de la vie urbaine et rurale actuelle.
riaux de sol, une place publique
Pour y parvenir, il convient, dès la
n’étant pas une salle d’exposition
conception du projet, de restreindre :
de matériaux. Nombre de projets,
t les éléments hors sol pris dans réalisés ou non, ne respectent pas
leur ensemble, qu’il s’agisse de ce principe élémentaire. Deux ou
certains dispositifs inhérents à trois matériaux de sol suffisent
Une place orthogonale par contre l’aménagement (potelets, vasques, amplement pour aménager une
appelle une disposition géométrique parterres à fleurs,...) ou d’éléments place. Les plus belles places his-
voire symétrique des éléments, en plus techniques (signalisation rou- toriques se limitent en général à
particulier quand un édifice public tière et autre, cabines électriques, l’usage d’un seul matériau, l’archi-
vient régir l’ensemble. Un tel espace parcmètres, dispositifs publicitai- tecture qui les borde suffisant, il
se prête mal à une organisation tota- res,...). Qu’il s’agisse de places est vrai, à leur animation visuelle.
lement libre du site.
Pour nos esprits rompus à la raison,
«l’ordre» engendre souvent un début
de beauté...
Dans cet esprit, le regroupement en
ligne et régulièrement espacé des
éléments les plus essentiels et répéti-
tifs d’un programme (arbres, luminai-
res, bancs...) reste une manière effi-
cace pour structurer l’espace d’une
place publique et délimiter l’espace
franchement réservé au piéton,
comme une aire centrale de place par
exemple. Cette manière de procéder
permet par la même occasion de li-
miter le nombre de potelets et de bar-
rières de sécurité dans un projet.
Le regroupement ponctuel d’élé-
ments plus isolés tels que cabines té-
léphoniques, abribus, WC publics,
signalisation touristique,... concourt ❚ Huy (Grand-Place). Simplicité générale de l’aménagement que vient ponctuer au centre de
la place la fontaine le Bassinia. © Photo J.-M. Gillon.
au même objectif de propreté visuelle.
L’espace public souffre en général de
la disposition chaotique de ces équi-
pements.

2. LA RÉDUCTION VOLONTAIRE
2. DES COMPOSANTES DU PROJET
Au Moyen Age la place publique se
présentait comme un espace utilitaire,
visuellement neutre et dégagé de
toute entrave physique hormis le
point d’eau vital pour la vie de la
communauté, généralement disposé
à un endroit peu encombrant. La Re-
naissance et l’époque classique y in-
troduiront l’architecture à pro-
gramme, la statuaire et l’art des fon-
taines, l’époque industrielle les trot-
toirs et les premiers équipements ur-
bains (réverbères, vespasiennes,
bancs publics, bornes postales,...). ❚ Thionville (Place de l’église). La sobriété et la tonalité générale des matériaux de sol s’har-
Mais la place publique restait malgré monisent avec les enduits de façade de l’architecture domestique de la place.
tout un espace où le dégagement © Photo J.-M. Gillon.

21
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

❚ Lyon (Place Antonin Poncet). Le traitement strictement orthogonal de la place répond à la


rigueur de l’architecture à programme du 18e siècle qui borde l’espace. © Photo J.-M. Gillon.

❚ Philippeville (Place d’Armes). Le plan en étoile de la place est censé ❚


Lille (Rue Léon Gambetta). Arbres, luminaires et bancs publics for-
rappeler le tracé radial de cette petite ville militaire et frontalière du ment une «barrière naturelle» contre l’envahissement de ce petit square
16e siècle. © Photo J.-M. Gillon. (Document : Survey & Aménagement). urbain par la voiture. © Photo J.-M. Gillon

Ordonnancement
et traitement
chromatique
favorisent
la beauté ❚ Liège (Place Saint-Lambert). Le choix chromatique des matériaux pierreux de la place
des lieux... s’aligne sur la tonalité générale du Palais des Princes-Evêques. Photo G. Focant © MRW.

22
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

t le nombre de voitures en station-


nement qui, s’ajoutant aux élé-
ments précités, peuvent venir per-
turber de façon définitive le calme
visuel que l’on attend de l’aména-
gement d’une place publique.

3. LE TRAITEMENT CHROMATIQUE
3. DE L’ESPACE
L’architecture qui ceinture les places
publiques est très rarement homo-
gène. La plupart des places actuelles
sont bordées d’édifices dont l’archi-
tecture et la tonalité sont diversifiées.
A cette variété formelle et chromati-
que du bâti s’ajoutent les équipe-
ments de la place, les terrasses de
café, les auvents, les enseignes... le
tout formant un univers visuel quel-
que fois fort chahuté. ❚ Havelange (Place des Tilleuls). Les parements en pierre de grès de plusieurs édifices ont
guidé le choix chromatique du revêtement de sol. Photo F. Dor © MRW.
Il est donc conseillé, lors d’un amé-
nagement de place, d’opter pour des
matériaux de sol peu contrastés et
d’une tonalité neutre, l’ensemble des
éléments précités et la présence hu-
maine suffisant largement à l’anima-
tion visuelle des lieux.

4. LA PRÉSENCE DE FACTEURS
4. SUSCEPTIBLES D’ACCROÎTRE
4. LA QUALITÉ ÉMOTIONNELLE
4. D’UN ESPACE

On songera tout d’abord à la mise en


lumière nocturne des lieux qui peut
apporter une dimension poétique à
l’ensemble. On oublie souvent qu’une
place publique doit vivre le jour, la
soirée et la nuit.
Ensuite, quand le lieu s’y prête, aux
arbres et plantations en pleine terre
susceptibles de réchauffer l’atmos-
phère générale d’une place et de rap-
peler à l’usager le rythme inexorable
des saisons.
Ou à la présence d’éléments particu-
liers ou symboliques tels que fontai-
nes, kiosques, statues ou oeuvres
d’art qui constituent des points d’ap-
pel chargés d’émotion et qui nécessi-
tent pour cela une position isolée
dans l’espace.

❚ Tournai (Grand-place). La mise en lumière des lieux souligne l’architecture et l’agencement


général de la place. Photo G. Focant © MRW.

23
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

Villes et lumières…

D es premières illuminations, festives et sporadiques,


de la Renaissance à l’apparition, grâce aux progrès
de la technologie, de réseaux structurés aux 19e et
20e siècles, l’éclairage urbain s’est efforcé de concilier sé-
curité, embellissement et contrôle social, les monarchies
ayant joué, au 18e siècle surtout, un rôle déterminant en
matière de surveillance du domaine public.
L’avènement de l’automobile et la montée en puissance
des sciences de l’éclairage ont favorisé, après-guerre,
l’émergence d’une « philosophie » de l’éclairage public
essentiellement orientée vers la sécurisation des réseaux
viaires et de leurs usagers. Performances et standardi-
sation des équipements, normalisation des comporte-
ments humains et des situations étaient les mots d’or-
dre d’une pratique qui niait largement les spécificités ❚ Liège (Pont de Fragnée). Photo G. Focant © MRW.
spatiales de la ville, hormis pour quelques lieux dont le
caractère commercial ou patrimonial s’affirmait avec
netteté. En Belgique et en Wallonie, les initiatives publiques en
matière d’éclairage public ont suivi, depuis les an-
En réaction à cette pratique jugée trop fonctionnaliste se nées ’60, le même parcours.
dessine en Europe, vers la fin des années ’80, un courant
d’idées se réclamant d’une approche plus globale et Des plans décennaux d’éclairage des années ’60 à la toute
« émotionnelle » de l’éclairage des villes. récente initiative wallonne en faveur des « plans lu-
mière », on est passé d’une logique essentiellement rou-
Apparu en même temps que les concepts de « projet de tière à des pratiques prenant en compte la richesse et la
ville » et de développement urbain durable, ce mouve- complexité du milieu urbain, sans voir disparaître pour
ment prône, par le biais des « plans lumière », l’émer- autant les préoccupations en matière d’économies
gence de véritables panoramas lumineux mettant en d’énergie et de rationalisation des programmes.
valeur les axes structurants de la ville, les ouvrages
d’art, … mais aussi les repères urbains dominants, les Les premières réalisations, souvent ponctuelles, com-
lieux de vie que sont les places et jardins publics, le pa- mencent à voir le jour et le mouvement en faveur d’une
trimoine immobilier dans son ensemble… prise en compte plus globale de la lumière dans l’amé-
nagement des villes semble s’amorcer, quelques villes
Des écoles de pensée se dessinent, privilégiant tantôt les wallonnes, comme Mons, Liège ou même Namur, ayant
éléments structurants du territoire urbain, tantôt une pris les devants. Mais il reste du chemin à parcourir…
approche intimiste, voire poétique de la ville, ou tentant
une synthèse des deux, comme la Ville de Lyon, pion- Les vertus d’une mise en lumière correcte des villes
nière dans le domaine, une fois de plus… s’avèrent multiples… Elles vont de la valorisation du
cadre de vie quotidien aux retombées touristiques, en
passant, pour les opérations d’envergure, par le renfor-
cement du sentiment d’appartenance à une collectivité,
sentiment mis à mal par les individualismes et les anta-
gonismes que secrète en Occident la vie urbaine mo-
derne.
Mais cet engouement pour une revalorisation de la ville
par la lumière ne doit pas occulter les fondements que
constituent pour la vie urbaine le niveau d’emploi et
d’équipement, le logement, la sécurité et les facilités en
matière de déplacements.

❚ Copenhague (Danemark) Parc le Tivoli. © Photo J.-M. Gillon.

24
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

L’EAU ET LA VILLE, UNE HISTOIRE ANCIENNE…


Par sa présence qui s’accompagne souvent de dégagements, l’eau constitue un élément structurant de l’espace
urbain. Cours d’eau, espaces portuaires, étangs et abords de fontaines y participent, avec les places publiques et
les parcs, à la respiration des villes et à la mise en valeur de leur patrimoine immobilier, ancien et nouveau…

❚ Gand (Quais aux herbes et au blé).


Avant tout utilitaire, la ville médiévale tourne plutôt le dos aux cours d’eau qui la traversent, hormis aux abords des
espaces fluviaux nécessaires à son approvisionnement, son industrie et son commerce. Autrefois partie intégrante du
port médiéval, cet espace qui témoigne du passé marchand de la cité a été vidé de la circulation automobile et amé-
nagé en promenade urbaine. © Photo J.-M. Gillon.

❚ Rome (Piazza Navona). ❚ Besançon (quai Vauban).


Férue d’esthétique, d’antiquité et de perspective, la ville Relayant les velléités en matière d’embellissement ur-
de la Renaissance italienne introduit, outre les premiers bain de la Renaissance, l’urbanisme classique français
ordonnancements de façades, la statuaire et l’art des fon- des 17e et 18e siècles généralise l’architecture à pro-
taines. Un triple dispositif de fontaines, dont la fontaine gramme, les places royales et ouvre définitivement la
du Maure (en avant-plan), rythme l’espace de la Piazza ville sur le fleuve, dans une sorte de théâtralisation de
Navona dont le tracé évoque celui du stade antique de l’espace urbain prônant l’ordre engendré par la monar-
l’empereur Domitien, autrefois établi à cet endroit. © chie absolue. Vastes programmes d’architecture et ouver-
Photo J.-M. Gillon. ture des quais à la desserte et à la promenade. © Photo
J.-M. Gillon.

25
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

Déjà réputée comme ville d’eau dans l’Europe du 18e


siècle, la Ville de Spa qui vient se doter d’un nouveau
centre thermal, d’un funiculaire et d’un complexe hôte-
lier d’envergure internationale, attend l’aménagement
de la Place royale dont le nouveau visage devrait con-
firmer la renaissance touristique de la ville. © Photo J.-

❚ Spa (Place royale).


M. Gillon.

Avec le 19e siècle, la nature fait son


entrée définitive dans la ville euro-
péenne. Parcs, jardins et boulevards
se multiplient, espaces de respiration
pour la ville industrielle et lieux de
valorisation sociale pour la bourgeoi-
sie montante. Massifs d’arbres et che-
mins s’y organisent – autour d’un
étang central quelques fois – dans une
disposition libre censée incarner les
vertus d’une nature sans contraintes
et les espaces de liberté engendrés par
le libéralisme ambiant de l’époque. ©
Photo J.-M. Gillon.
❚ Namur (Parc Louise-Marie).

Les années ’70 –’80 marquent un regain d’intérêt de la


part des pouvoirs publics pour les valeurs de la ville
traditionnelle, avec à la clé de nombreuses opérations
de rénovation urbaine respectueuses du milieu urbain.
Comme cette opération à caractère social du début des
années ’80 qui exploite le potentiel paysager de la Vesdre
tout en assainissant, au cœur de la petite cité de Dolhain,
un des nombreux sites industriels de la vallée. © Photo

❚ Limbourg (Dolhain – opération Bodeux).


J.-M. Gillon.

26
U N E N J E U L O C A L E T R É G I O N A L . . .

Le déplacement après-guerre de nom-


breuses infrastructures portuaires
vers les embouchures des fleuves li-
bère d’importants espaces urbains
dans les villes européennes et donne
lieu à de vastes programmes de
requalification. Comme à Amsterdam
où les presqu’îles de Java, KNSM,
Sporenburg et Bornéo ont fait l’objet,
dans les années ’90, d’une opération
de construction de 2170 logements sur
des terrains dont la viabilisation a été
assurée par les pouvoirs publics (dé-
molitions, assainissement des sols, in-
frastructures, …). © Photo E. Kodeck.
❚ Amsterdam (Aménagement des docks Est).

Maillon important de la politique de mobilité ré-


gionale en faveur du trafic lent, le réseau auto-
nome des voies lentes (RAVeL), qui emprunte en
Wallonie de nombreux chemins de halage, se
prête, en milieu urbain surtout, à bien d’autres
usages que le transport de personnes. © Photo
J.-M. Gillon.
❚ Namur (Quai de Meuse).

Marquée dans l’histoire de son développement


urbain par les activités lainières liées à la Vesdre,
la Ville de Verviers a initié, aux débuts des an-
nées 2000, un « parcours des fontaines » censé
remettre en activité les nombreuses fontaines que
compte la ville, tout en créant de nouvelles ani-
mations urbaines sur le thème de l’eau. Equilibre
et simplicité caractérisent cet aménagement au
cœur de la cité lainière. © Photo Y. Rahir.
❚ Verviers (Place verte).
27
L E S P L A C E S P U B L I Q U E S :

Conclusion nnn

L’aménagement d’une place publique, on l’aura compris, ne saurait


faire l’économie d’une démarche réfléchie. Que celle-ci suive le
cheminement proposé ci-dessus ou des voies plus intuitives, peu
importe...
Grandiloquence, accumulation d’effets, d’objets et de signes sont
souvent révélateurs d’une absence de maîtrise et sources bien
souvent de coûts pour la collectivité ou d’inconvénients pour les
usagers. Les recommandations formulées dans la présente brochure
ont pour finalité d’inviter les responsables locaux et les
professionnels de l’espace à une réflexion sur le sens et l’usage
d’un aménagement. Elles visent d’autre part, au-delà de ces
considérations, à mettre en mouvement un dialogue entre acteurs
institutionnels, concepteurs, utilisateurs et gestionnaires de l’espace
public, dans un souci de préservation et de génération d’un
patrimoine public porteur d’image et de bien-être collectif.

BIBLIOGRAPHIE
CHOAY F., La règle et le modèle, sur la théorie de l’architecture et de l’urba-
nisme, Paris, 1980.
CHOAY F., Introduction à GIOVANNONI G., L’urbanisme face aux villes
anciennes, Paris, 1998.
FONDATION ROI BAUDOUIN, Le mobilier urbain, Bruxelles, 1984.
HEIMESSEN C., Het veranderende beeld van stadscentra, Delft, 1970.
INGALLINA P. , Le projet urbain, Paris, 2001.
LYNCH K., Voir et planifier, l’aménagement qualitatif de l’espace, Paris, 1982.
PAQUOT Th., LUSSAULT M., BODY-GENDROT S. (sous la direction de),
La ville et l’urbain, l’état des savoirs, Paris, 2000.
REMOND R., Introduction à l’histoire de notre temps, tome 3 : Le XX e siècle
de 1914 à nos jours, Paris, 1974 et 1989.
RONCAYOLO M., Histoire de la France urbaine, La ville aujourd’hui, muta-
tions urbaines, décentralisation et crise du citadin, Paris, 1985 et 2001.

28
Direction générale de l’aménagement du territoire, du logement et du patrimoine - MRW

Division de l’aménagement et de l’urbanisme Direction de l’urbanisme et de l’architecture

Publication gratuite

Vous aimerez peut-être aussi