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Le concert européen se pose comme une forme achevée, stable de l’ordre international
assurant la paix par l’équilibre des puissances européennes. Déséquilibré par la guerre de
Crimée de 1853-1856, il survit aux guerres nationales opposant des pays européens. Il a
d’abord fonctionné comme un équilibre des relations entre les Etats européens et faillit à
sauver la paix en 1914, après les guerres balkaniques de 1912-13. Des éléments et des traits
du « système d’équilibre européen » survivent à 1919 et au nouvel ordre international qui
n’efface pas toute logique de recherche d’équilibre, dans les diplomaties des pays d’Europe
du moins.
Henry Kissinger, Diplomatie, Fayard, 1996 (1ère éd. 1994) et L’ordre du monde, 2016 (2014).
Georges-Henri Soutou, Histoire de l’Europe de 1815 à nos jours, Paris, PUF, 2007.
Jean Bérenger, Georges-Henri Soutou, L’Ordre européen du XVIe au XXe siècle, Paris,
PUPS, 1998.
1.2 Une opinion publique européenne porteuse des valeurs de l’ordre européen
2 Un presque siècle de paix en Europe consacre, entre 1815 et 1914, un ordre européen
2.1 Un ordre européen dans une paix générale et durable
2.2 La fonction de l’équilibre des puissances
Un siècle de paix générale, déséquilibrée en 1854-1856 puis 1870-71 permet de poser les
fondements d’un ordre européen défini par une stabilité, ébranlée mais maintenue pour
l’essentiel en 1914.
En 1919, la fin d’un ordre diplomatique auquel l’Europe avait prêté durablement ses valeurs
n’annule pas ses influences sur le système de la sécurité collective, essentiellement aux
conceptions européennes, mais qui échoue à internationaliser ses principes jusqu’en 1939.
Après 1918, il est donc difficile, sinon impossible de parler désormais de « paix européenne »,
pas plus que d’un « ordre européen » par l’élargissement de la scène internationale et de la
recherche de la paix internationale au-delà de l’Europe.
1
1 Qu’est-ce que le « concert européen » ?
L’invention du congrès comme espace de négociation international publique ne date pas, loin
s’en faut, du XIXe siècle, car son modèle s’établit déjà au XVIIe siècle par exemple avec
l’assemblée des Electeurs de Ratisbonne en 1630, puis avec les négociations de Westphalie
entre 1643 et 1648. Avec les négociations européennes à Vienne en 1814-1815, le congrès
européen continue de s’offrir à la fois comme un espace-temps caractéristique de l’ordre
européen et du regard des peuples, entendu au sens d’une pratique diplomatique centrale, de
la temporalité cardinale de la diplomatie internationale et du lieu symbolique qui noue et
dénoue la négociation en vue d’une alliance, de la paix ou de la guerre. En soi, le congrès
européen n’est donc pas inédit dans la séquence diplomatique qui nous retient ; son âge d’or,
entre les congrès de Vienne de 1815 et de Paris en 1856, est aussi l’expression de la
domination européenne sur les affaires internationales. Le congrès offre ainsi à saisir une
structure de relations et d’alliances dans la construction du concert européen. Il l’est bien sûr
au sens d’une nouvelle pratique diplomatique facilitant les rencontres directes d’hommes
d’Etat.
Mais aussi d’une volonté de dépasser la conception mécanique des relations internationales et
de l’équilibre européen du XVIIIe siècle, façonnées par la « politique de cabinet » et la
solidarité monarchique1. Il y a la volonté européenne, au sortir des guerres napoléoniennes, de
fondre un système international reposant à la fois sur un équilibre mécanique des forces et
alliances, sur des valeurs –indépendance et solidarité des Etats, principe de réciprocité, respect
des traités-, sur des pratiques politiques et diplomatiques communes enfin. Jusqu’au conseiller
de Metternich, Friedrich von Gentz, la conception prévaut d’une synthèse des valeurs
monarchiques et de celles libérales du premier XVIIIe siècle des Lumières. L’ambition du
« concert européen » élargit la notion plus ancienne « d’équilibre européen », implicite
depuis les traités de Westphalie et d’Utrecht et explicite avec l’essai de David Hume de 1754
sur « l’équilibre des puissances »2, en intégrant l’idée d’un équilibre certes mécanique, mais
aussi organique. La notion approche celle d’un « ordre européen, au sens des valeurs d’une
civilisation » (1998)3 : idée de la paix, entre Européens de civilisation chrétienne, par un
mélange de valeurs monarchiques et impériales travaillées par les idées libérales du XVIIIe s,
réévaluées de toute façon contestées par les idées révolutionnaires et le mouvement des
nationalités au XIXe siècle (1830, 1848, unifications nationales).
2.1 Une opinion publique européenne porteuse des valeurs de l’ordre européen
Celle-ci se caractérise par l’émergence d’une opinion publique européenne qui pèse sur le
règlement des crises et des conflits en Europe. Supériorité des opinions publiques nationales
1
Paul Schroeder, The Transformation of European Politics 1763-1848, 1994.
2
David Hume, On the Balance of Power, 1754.
3
Jean Bérenger, Georges-Henri Soutou (dir.), L’Ordre européen du XVI au XXe siècle, Paris, 1998.
2
sur l’opinion européenne difficilement palpable ; mais cristallisation progressive d’une
opinion internationale, temporaire, dans valeurs du concert européen (le libéral William
Gladstone 1809-1898, 1er min 1869-1874, puis 1880-1885, 1886, 1892-94 GOD Grand Old
Man, ou God’s only mistake tient la GB en dehors de la guerre franco-prussienne) : droits
historiques des nations, valeurs de l’Europe chrétienne, principes du droit international. En
1876, il dénonce les atrocités turques en Bulgarie, la politique turcophile du cabinet
britannique et des « Ottomans plus gd spécimen anti-humain de l’humanité » pour justifier
une diplomatie morale précisément, plaçant des valeurs humanistes.
-1ère idée sur les origines politiques et sociales. La formation de l’opinion est l’effet de la prise
en compte et de la diffusion généralisée de l’information et des nouvelles dans une société,
nationale ou internationale4. Les philosophes (Jürgen Habermas) et les historiens (Daniel
Roche, Arlette Farge, Dire et mal dire au XVIIIe s., Seuil, 199, Lucien Bély, L’information
politique, PUPS, 2001) ont parlé, à propos de la seconde moitié du XVIIIe siècle, de la
« constitution d’un espace public propre et correspondant à une sphère d’autonomisation de la
pensée bourgeoise » sous l’Ancien Régime en Europe. Par-là, ils entendent la constitution
d’un « espace public » (au sens d’espace social, intellectuel, institutionnel d’expression
critique des opinions : par ex. les académies…) échappant aux formes du contrôle étatique
moderne du débat et de la pensée politique. Aux XVIIIe et XIXe siècle, l’ère des révolutions
consacre donc, dans les institutions politiques de certains pays à l’imitation de l’Angleterre et
de la France, des Etats-Unis d’Amérique plus tard… un espace public propre du débat de
politique étrangère : assemblées parlementaires élues, clubs et associations politiques,
philanthropiques, scientifiques, premiers journaux touchant un lectorat lentement alphabétisé.
On assimile opinion à parlementarisme et bientôt, à démocratie libérale. Il y a des conditions
réunies du débat public.
2e idée les valeurs européennes et l’équilibre préservent d’une guerre qui naîtrait des rivalités
coloniales. Les opinions publiques sont-elles prêtes à faire une guerre pour défendre une
colonie avant 1914 ? C’est très peu vraisemblable si l’on suit Raoul Girardet (1917-2013)
(L’Idée coloniale en France de 1871 à 1962, 1972). En regardant les faits, les crises
coloniales européennes, celles de la conquête des empires, n’ont pas débouché sur des guerres
européennes. La République opportuniste et des radicaux (1880-1914) connaît la réprobation
d’abord anglaise, ensuite allemande entre les années 1890 et 1914, mais il n’y a pas eu de
guerre européenne née d’une crise des rivalités coloniales ni à Fachoda en 1898, ni à Agadir
en 1905 pas plus qu’en 1911. Ensuite, il y a eu une réprobation de l’opinion européenne
contre la guerre des Boers menée par Londres entre 1899 et 1902 : mais ce fut non contre la
motivation impériale, mais la façon de mener la guerre en massacrant des Européens au nom
d’un idéal de civilisation, en ouvrant des camps de concentration.
La politique ang. de splendide isolement, protectrice de l’équilibre européen, conduit
les dirigeants et opinion anglaise à n’accepter d’intervenir dans les affaires du continent qu’en
cas de menace de rupture d’équilibre. Ceci explique que l’Algne ne fut pas perçue
prioritairement comme une menace en 1871, pas même avant les années 1890 et le
programme de Weltpolitik de Guillaume 2 renvoyant le vieux chancelier Bismarck (travaux de
l’historien américain Fritz Stern, Bismarck et son banquier Bleichröder), mais encore
longtemps derrière la menace de la France et de la Russie, notamment en Asie centrale dans
les années 1868-1877 (pression de l’opinion anglaise, formellement jusqu’en 1902. Les
ambitions coloniales de la France, celles impériales de la Russie (détroits, Iran, Afghanistan,
4
Alfred Sauvy, L’opinion publique, paris, PUF, 1958.
3
Tibet) heurtaient encore les siennes en Egypte, Inde, Chine… càd des questions uniquement
coloniales, au détriment des affaires européennes dont sortirent les crises et les guerres
jusqu’en 1914. Il est vrai que les milieux chauvinistes furent moins influents que ceux
pacifistes alors et que la question coloniale n’était pas entrée dans la conscience des
Européens (entre les années 1930 et 50 à l’heure de la décolonisation. P. Guillen, L’Expansion
1882-1898, IN , 1985 ; C.-R. Ageron, La Décolonisation française, 1993).