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Sylvie Goulard

Thibaut Caulier
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ISBN : 978-2-7540-7497-1
ISBN Numérique : 9782754084079
Dépôt légal : mai 2016

Correction : Florence Le Grand


Mise en pages : Romain Poiré

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Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako
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Remerciements
Je tiens à remercier mes proches ainsi que mes collaborateurs, et
plus particulièrement Thibaut Caulier et Sylvain Maréchal, sans
qui la parution de cet ouvrage n’aurait pas été possible.
Merci également à Laurent Boudin et Vincent Barbare pour
l’initiative de cette nouvelle collection.
’écriture de ce livre s’est achevée en mars 2016. Il ne prend
L donc pas en compte les éventuels développements ultérieurs.
Ni excès d’honneur ni
indignité
’Europe est mal en point, c’est vrai. Jamais, elle n’a été
L autant attaquée : les politiques d’austérité dans certains États,
c’est la faute à l’Europe ! Les réfugiés en Méditerranée, mais
que fait l’Europe ? Le chômage, la pauvreté, l’excès de règles,
l’Europe vous dis-je ! Et même sa principale réalisation, la
réconciliation franco-allemande, est en danger : pour une partie
de l’opinion, l’Allemagne passe pour dominatrice, même quand
elle fait des concessions majeures et prend à sa charge une partie
du fardeau commun. Le moteur franco-allemand peine à
produire des idées nouvelles. La Grèce a failli quitter la zone
euro, le Royaume-Uni organise un référendum sur son maintien
dans l’Union.
Comment en est-on arrivé là ? Une succession d’erreurs et
d’échecs a créé un terreau favorable. Les pro-européens auraient
tort de le nier. De nombreuses promesses n’ont pas été tenues :
le marché unique est inachevé ; l’euro n’a pas apporté à tous la
prospérité ; la « politique étrangère et de sécurité commune » n’a
pas vu le jour ; les procédures de décision restent lourdes, peu
transparentes, peu démocratiques.
Les causes du malaise sont toutefois multiples.
Certaines dépassent largement l’Europe : le monde change
profondément. La place relative des nations se modifie au point
que bientôt aucun pays européen ne fera plus partie du G8 (les
sommets mondiaux des économies les plus importantes). Même
si les Européens n’étaient pas unis, ils affronteraient ce
bouleversement. Après avoir dominé le monde depuis plusieurs
siècles, ils perdent du terrain, notamment en matière
d’innovation et de production. Pour le dépôt des brevets, l’Asie
ou les États-Unis dépassent largement l’Europe. En outre, le
vieillissement de la population pèse sur les régimes sociaux
inventés pour des sociétés plus jeunes, plus dynamiques. Enfin,
le nombre et la sophistication des réglementations ne sont que le
reflet de sociétés plus exigeantes, refusant tout risque sanitaire,
conscientes de l’importance de préserver l’environnement et le
patrimoine. L’Europe, pétrie d’histoire, férue de préservation,
contraste avec le nouveau monde qui détruit les villes anciennes,
les paysages et sacrifie sans scrupule le passé à l’avenir.
L’inachèvement de l’Union européenne contribue aussi au
malaise. Au lieu de déléguer pleinement à l’UE des pouvoirs
strictement délimités, les Européens, depuis vingt ans, ont fait le
choix de transférer des pouvoirs larges et vagues. Touche-à-tout,
l’Europe agace, sans être efficace. Et la schizophrénie menace
les dirigeants nationaux : les gouvernements ont pris des
décisions qui représentent un partage de souveraineté, la création
de l’euro par exemple, tout en prétendant rester souverains. Ils
ont réformé les institutions à la marge, quand le nombre et
l’hétérogénéité des États s’accroissaient.
Quelle est l’alternative ? Le retour à des États-nations rivaux ?
En nous privant du levier de l’action commune, nous ne serions
pas plus souverains. Le retour des rivalités entraînerait une
concurrence plus féroce encore pour dominer les marchés et
gagner la guerre d’influence. Face à Daech, aux terroristes,
chacun serait seul, sans grands moyens de riposte. Dès qu’on
réfléchit un peu, dès qu’on fait taire la hargne contre
« Bruxelles », « Berlin » ou les nouveaux entrants, le bon sens
invite à faire attention : sans ce cadre commun, où irions-nous ?
L’Europe sera ce que nous en ferons. L’heure est venue de la
réinventer mais pour y parvenir, mieux vaut savoir de quoi on
parle.
Ce livre aide à la comprendre, en démontant certains clichés,
sans renoncer à décrire ses limites et ses failles.
Histoire
’Europe est Histoire. Sans connaître l’histoire sanglante et
L absurde de l’Europe au XXe siècle, sans prendre conscience
du suicide qu’a représenté le conflit
de 1914 à 1918 (700 000 morts à Verdun en quelques mois…) et
la disparition de l’Empire des Habsbourg, sans se convaincre du
désastre du traité de Versailles, sans se rappeler le nazisme et
l’holocauste, on ne peut pas comprendre l’Europe actuelle, ni
dessiner celle de demain.
En dépassant, dans l’horreur tout ce que l’humanité a jamais
accompli, l’Europe du XXe siècle a durablement marqué les
esprits. La crise grecque a montré à quelle vitesse les
récriminations historiques peuvent resurgir. Les questions de
frontières, de minorités pourraient réapparaître, comme on voit
un État membre de l’UE, la Hongrie, revenir à des pratiques
autoritaires.
La réconciliation de la seconde moitié du siècle est un miracle.
Naturellement, la paix ne suffit plus à motiver les jeunes
générations. Mais si elles en ont goûté les bienfaits au point d’en
perdre la claire conscience, c’est en partie à la construction
européenne qu’elles le doivent. D’où l’importance de la
connaître et de s’en imprégner.
1
Au commencement
était la guerre
es pères fondateurs de l’Europe ont vécu la période sombre
L qui a suivi la Première Guerre mondiale.

De biens mauvais souvenirs


Le traité de paix de 1918, infligeant de lourdes sanctions aux
vaincus, signé à Versailles sans la participation de l’Allemagne,
a été vécu outre-Rhin comme une humiliation. L’économie en a
été affectée et l’Allemagne a connu une période d’augmentation
spectaculaire des prix.
La période d’après guerre a été traumatisante pour tous les
Européens. En Allemagne, le ressentiment a conduit au nazisme
et à la Seconde Guerre mondiale. L’esprit de revanche n’a pas
non plus été bénéfique aux vainqueurs puisqu’il a fait replonger
l’Europe dans l’horreur de la guerre.
Il ne fallait pas recommencer les mêmes erreurs.

Le cœur et la raison
Un renversement de perspective a été opéré après 1950 avec la
déclaration Schuman : mettre fin à une logique de vengeance/
réparations, et tendre la main aux vaincus pour fonder une paix
durable sur la coopération.
En parallèle, les Américains avec le « plan Marshall »
contribuaient à la reconstruction de tous les pays d’Europe,
Allemagne comprise.
Robert Schuman (1886-196 3) Né au Luxembourg d’une famille
lorraine, étudiant en Allemagne et avocat à Metz, Robert Schuman
grandit dans une culture franco-allemande. Sa mère lui transmet une
foi catholique tournée vers les plus démunis et attachée au progrès
social. Il est fait prisonnier pendant la Seconde guerre mondiale, mais
réussit à s’échapper et tire profit de son exil pour s’interroger sur les
conditions de la réconciliation. Une réflexion précieuse lorsque, devenu
ministre des Affaires étrangères en 1948, il devient l’artisan de la
réconciliation franco-allemande. Sa réussite ne se limite pas à ces deux
pays : dix ans plus tard, il préside le Parlement européen.

C’était non seulement une preuve de clairvoyance politique mais


un pari économique particulièrement judicieux ; Keynes
dénonçait, dès 1919, les conséquences économiques de la paix
lorsque celle-ci ne repose pas sur une réconciliation durable.
À partir de 1950, des coopérations concrètes sont engagées. Les
Européens créent une « Communauté », dotée d’un budget et de
règles de droit. L’aventure communautaire peut commencer.

Au commencement était la guerre

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Europe est un continent qui a, historiquement, toujours connu la guerre.

✓ Les traités de paix, comme celui de Versailles en 1918, par leurs sanctions
infligées aux vaincus, avaient pour conséquence d’aiguiser les nationalismes
plutôt que d’apaiser les tensions.

✓ Une paix durable ne pouvait se réaliser qu’en rejetant l’esprit de discrimination


et en rapprochant les Européens autour de leurs intérêts communs.
2
1950-1957 :
trois étapes
«L
’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une
construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations
concrètes créant d’abord une solidarité de fait. »
Cette phrase, tirée du discours que Robert Schuman prononce
le 9 mai 1950, résume assez bien l’histoire de la construction
européenne. Si, au début de la construction européenne, cette
stratégie par étapes a fait ses preuves, elle est aujourd’hui source
de difficultés : à force d’avancées incomplètes, les insuffisances
se font sentir et on vient accuser la construction européenne
d’être trop fédérale, alors qu’en réalité, les objectifs affichés sont
loin d’être atteints.

La volonté d’unir les hommes


La première étape consiste à mettre en commun, dès 1950, la
production de charbon et d’acier, les deux matériaux nécessaires
pour mener une guerre. Ainsi, Robert Schuman redonne à une
France victorieuse mais détruite une marge de manœuvre et à
l’Allemagne vaincue une raison d’espérer.
Le pragmatisme de Schuman n’est ni flou ni mou. D’abord il est
mis au service d’une vision claire : « l’unification complète,
économique et politique de l’Europe ». Ensuite, un point est non
négociable : les partenaires doivent « accepter l’engagement de
principe de mettre en commun leurs ressources en charbon et en
acier et d’instituer une autorité dont les décisions engagent les
gouvernements intéressés ».
Plutôt que d’aller vers un compromis sans ambition, Schuman,
encouragé par Jean Monnet, ne cherche pas à convaincre les
Britanniques. Le 18 avril 1951, le traité CECA (Communauté
européenne du charbon et de l’acier) est signé par six États
fondateurs : la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, le
Luxembourg et les Pays-Bas.

L’Europe de la défense, une occasion


manquée
La seconde tentative, en 1952, est celle de la communauté
européenne de la défense (CED), avec le traité de Paris. Elle
consiste à créer une armée européenne, rattachée aux institutions
politiques d’une Europe unie, avec un ministre de la Défense
responsable devant une Assemblée. L’idée est ambitieuse, trop
ambitieuse peut-être, et se heurte en France, à la peur d’un
réarmement de l’Allemagne.
Ce traité, ratifié par la Belgique, la RFA, l’Italie, le Luxembourg
et les Pays-Bas, est tué dans l’œuf par la France, et notamment
Pierre Mendès France qui le défend à peine. Bilan : le
réarmement de l’Allemagne se fera dans l’OTAN, plus vite que
prévu, et la question d’une armée européenne se pose toujours,
comme l’illustrent les déclarations du président de la
Commission Jean-Claude Juncker en mars 2015.

Le rebond par l’économie


Face à cet échec qui aurait pu sonner le glas de la construction
européenne, les pro-européens ne se découragent pas et
proposent un marché commun. En 1957, moins de trois ans
après l’échec de la CED, les traités de la Communauté
économique européenne (CEE) et de la Communauté
européenne de l’énergie (Euratom) sont signés puis ratifiés.
Jean Monnet (1888-1979) Alternant entre l’entreprise et
l’administration, parcourant le monde, Jean Monnet s’efforcera toute sa
vie de rapprocher les points de vue pour relever les défis communs.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fait beaucoup pour que les
États-Unis viennent en aide à l’Europe. Après la Guerre, il est d’abord
responsable du plan de modernisation et d’équipement français avant
de présider la Haute Autorité de la CECA. Surnommé le « père de
l’Europe », il milite pour les États-Unis d’Europe. En 1988, la France lui
rend hommage en transférant ses cendres au Panthéon.

La CEE a prospéré, malgré des vicissitudes. L’Union


européenne est aujourd’hui la première puissance commerciale
au monde. Pour y parvenir, une étape était devenue
indispensable : la création d’une monnaie unique, l’euro.

1950-1957 : trois étapes

L’essentiel en 5 secondes

✓ Inspiré par Jean Monnet, Robert Schuman propose, le 9 mai 1950, la mise en
commun du charbon et de l’acier, dans la perspective de parvenir, à terme, à
l’unification du continent.

✓ L’échec de la Communauté européenne de défense à la suite du refus français


en 1954 marque un coup d’arrêt à la construction d’une Europe politique.

✓ C’est finalement par l’économie (création d’un marché commun) que se fera
progressivement l’unification de l’Europe, en 1957.
3
La genèse
de l’euro
a monnaie unique est devenue un bouc émissaire idéal,
L l’origine de tous nos maux. En idéalisant un « âge d’or » du
franc et des monnaies nationales, les raisons qui ont poussé à la
création de l’euro finissent par être oubliées.
Pour comprendre les enjeux, il est nécessaire de revenir
plusieurs années en arrière.

La fin de la convertibilité du dollar en or


Jusqu’aux années 1970, les monnaies se définissaient par rapport
au dollar américain, convertible en or. Ce système, dit de Bretton
Woods, assurait une certaine stabilité mais, en 1971, les États-
Unis décident de mettre un terme à la convertibilité du dollar en
or, plongeant ainsi l’économie mondiale dans un système de
change flottant.
Très vite, ce système fait courir certains risques liés à la
volatilité des cours : certaines monnaies ont tendance à
s’apprécier à l’excès (le mark allemand), quand d’autres,
vulnérables à l’inflation, voient leur valeur s’éroder (le franc, ou
encore la lire italienne par exemple).

À la recherche de la stabilité
Le marché commun en souffre. Il devient alors impératif de le
compléter par une zone de stabilité monétaire. On imagine un
système où les monnaies des États membres évoluent dans une
sorte de tunnel. Ce « serpent monétaire », reposant sur
l’autodiscipline des États, échoue : plusieurs États ont des
difficultés à respecter les critères et sont contraints d’en sortir.
Une nouvelle impulsion s’impose. En 1978-1979, le Système
monétaire européen arrime les monnaies européennes à un pivot
de référence : l’ECU (European Currency Unit), moyenne
pondérée des monnaies européennes. Ce mécanisme, qui permet
d’amortir les fluctuations, n’est cependant pas parfait et
plusieurs ajustements seront nécessaires.

Les premiers pas de l’euro


Le 28 juin 1988, au sommet européen de Hanovre, les chefs
d’État ou de gouvernement commandent un rapport sur la
création d’une monnaie unique. Cette étude, produite par un
comité présidé par Jacques Delors, est accueillie avec
enthousiasme un an plus tard.
La chute du mur de Berlin en novembre 1989 et la perspective
de réunification allemande suscitent quelques incertitudes, mais
le démarrage de la première étape de l’Union économique et
monétaire est confirmé avec, à l’appui, des critères de
convergence assortis d’un calendrier ferme.
Le traité de Maastricht est signé en 1992. Les banques nationales
deviennent indépendantes et s’insèrent dans un Système
européen de banques centrales (SEBC) avec, à leur tête, une
Banque centrale européenne de nature fédérale.
Le 1er janvier 2002, au terme d’une minutieuse préparation, les
monnaies nationales laissent place aux pièces et billets en euro.

Les limites de Maastricht


Imparfait, le traité de Maastricht ne prévoit ni mécanisme de
gestion de crise, ni fonds de secours, ni procédure de sauvetage.
Aucune autorité politique n’est prévue pour piloter en temps
agités. Ses signataires savaient que ce n’était qu’une première
étape.
Des progrès ont été faits pour y remédier, à partir
de 2010 notamment, avec tous les inconvénients et insuffisances
des réformes menées « à chaud », pendant la crise. Mais l’euro
a, à l’évidence, besoin d’un nouveau cadre politique, avec un
exécutif propre contrôlé par un parlement, afin de dépasser la
gestion intergouvernementale, derrière des « portes closes ».

La genèse de l’euro

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le bon fonctionnement du marché requiert une certaine stabilité monétaire.

✓ À partir des années 1970, l’idée d’une monnaie unique fait son chemin, elle est
officiellement lancée en 1988.

✓ Le traité de Maastricht, qui établit l’Union monétaire, est signé en 1992. Il est
conçu comme une première étape devant être complétée par une union
économique et politique.
4
Retour sur
l’unification allemande
lusieurs décennies après la fin de la Seconde Guerre
P mondiale, la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, est
un tournant pour l’histoire de l’Europe.
En 1945, lors de la capitulation du Reich, les quatre « alliés »
(États-Unis, Russie, Grande-Bretagne et France) considèrent
l’Allemagne comme totalement privée de souveraineté. Ils
exercent ensemble des pouvoirs sur « l’Allemagne dans son
ensemble », au travers de leurs « zones d’occupation ». Mais la
guerre froide les conduit à séparer le pays en deux : RDA du
côté russe, RFA à l’Ouest par la fusion des trois zones
occidentales.
Dans le contexte de la guerre froide, arrimer la République
fédérale d’Allemagne à l’Ouest devient un enjeu majeur, tant
géopolitique que de défense des valeurs de l’Europe et de
l’Amérique contre la dictature communiste. Le pari est fait, via
l’OTAN et la CEE, de fonder avec l’Allemagne un partenariat
stratégique plutôt que de la traiter comme un ennemi vaincu à
punir.
L’automne 1989 est un temps de ferveur pacifique
extraordinaire. Par ses manifestations paisibles que les autorités
de Berlin-Est sont impuissantes à stopper, le peuple de RDA fait
tomber le mur. L’enthousiasme du peuple allemand, et au-delà
de tous ceux qui y voient une victoire de la liberté, tranche avec
l’hésitation initiale de François Mitterrand et la crainte de
Margaret Thatcher d’une reconstitution du Reich. Les
Américains finiront par convaincre les Britanniques du caractère
historique de la réunification. Jacques Delors, de Bruxelles,
apporte un appui précieux au processus en ouvrant la CEE aux
Länder issus de la disparition de la RDA.
En septembre 1990 est signé à Moscou le traité « 2 + 4 » (entre
les quatre puissances d’une part, RFA et RDA d’autre part),
intitulé « traité portant règlement définitif concernant
l’Allemagne ». Il confère notamment à la RFA unie sa pleine et
entière souveraineté et fixe les conditions du retrait de l’armée
soviétique de RDA.
Avec le traité de réunification, conscients que la coopération
était le fondement d’une paix durable en Europe et de la
nécessité de surmonter les vieux antagonismes, les signataires,
pour eux et les autres belligérants, tournent définitivement la
page de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne entérine la
perte d’un tiers de son territoire de 1937 et s’engage à renoncer à
toute revendication territoriale. La question des frontières de
l’Allemagne, notamment de celle avec la Pologne, qui avait
entraîné l’Europe dans la guerre, est réglée de manière
définitive. Le même engagement est pris, quoique
implicitement, par les quatre, à propos des réparations de guerre.
Volontairement, un trait est tiré sur le passé.

Retour sur l’unification allemande

L’essentiel en 5 secondes

✓ À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est partagée


artificiellement par les vainqueurs de la guerre. L’Est (la RDA) tombe sous le
joug soviétique ; les Occidentaux s’attachent à arrimer la RFA à l’Ouest.

✓ Ce n’est qu’après la réunification que la page de la Seconde Guerre mondiale


est tournée définitivement.

✓ La chute du mur de Berlin ouvre également la voie à l’adhésion des pays


d’Europe centrale et orientale.
Principes
’Europe est une union de valeurs, née dans un contexte
L particulier. Elle repose sur des principes fondamentaux dont
on parle trop peu, notamment le rejet du nationalisme, cause des
terribles souffrances du XXe siècle, et la primauté du droit sur les
rapports de force.
Depuis que François Mitterrand a lancé son fameux « le
nationalisme, c’est la guerre », ce sentiment a malheureusement
fait un retour en force. Pourtant les Européens paient cher le
cloisonnement, qu’il se traduise par l’absence de politique de
défense digne de ce nom ou de l’absence de marché unique
donnant aux entreprises la juste échelle pour investir et se
développer.
S’il fallait refonder un jour l’UE, ces principes seraient
incontournables : sans le souci de faire coopérer des États de
tailles diverses, sans le respect des institutions et des règles,
même une communauté comportant moins de membres ne
fonctionnerait pas. Le jeu entre partenaires formant une union
volontaire d’États et de citoyens doit être collectif et loyal.
Le nombre, l’arrivée de nouveaux venus compliquent la donne
mais ce qui compte le plus, pour faire fonctionner un ensemble,
quel qu’il soit, c’est l’esprit d’équipe, la volonté constante et
ingrate de faire prévaloir un intérêt commun sur la somme des
intérêts nationaux.
Ceux qui vendent une « Europe des Nations » capable d’agir,
promettent du vent. Ils pensent rester à l’abri de leurs certitudes
nationales, de leurs routines et, malgré tout, comprendre et
motiver les autres. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre, les
avantages de l’union, sans contraintes. Certains se marient aussi
en pensant rester célibataires…
Une Europe des volontés juxtaposées a plus de chances de se
bloquer qu’un système dans lequel chacun s’engage à y mettre
du sien, à respecter les règles, à brider sa volonté de puissance
ou son ego.
5
Privilégier
l’intérêt général
n inventant la Communauté européenne, les pères fondateurs
E de l’Europe ont placé l’intérêt commun des Européens avant
les rivalités des États : « nous unissons des peuples, nous ne
coalisons pas des États », disait Jean Monnet. C’était
visionnaire.
Dans de nombreux domaines, les États ont de plus en plus de
mal à agir : les terroristes organisent leurs attaques et diffusent
leurs vidéos à partir de sites Internet éparpillés dans le monde ;
la concurrence des productions est devenue planétaire.
Nous vivons désormais dans une interdépendance écologique,
économique et médiatique face à laquelle la sacralisation de la
« souveraineté nationale » ou l’exacerbation des « intérêts
nationaux » n’apporte aucune solution satisfaisante.

Un jeu collectif
Pour atteindre leur but, ils ont inventé une « méthode » de travail
entre gouvernements radicalement nouvelle : non pas des
négociations « de marchand de tapis » où chaque pays défend
son intérêt immédiat, mais un jeu collectif dont le but est
d’essayer de trouver une solution collective satisfaisante à un
problème commun. Si des spécificités existent, elles sont
débattues ; le compromis final en tient compte et souvent des
périodes de transition ou des modalités d’application
différenciées sont prévues.
C’est la raison d’être de la Commission européenne, institution
mal comprise, officiellement chargée de garantir l’intérêt général
européen.
C’est aussi l’intérêt d’avoir un Parlement, élu au suffrage
universel direct, où les solutions sont débattues publiquement.
Enfin, c’est la justification du recours au vote majoritaire (la
majorité peut s’imposer contre une minorité qui cherche à
entraver la décision) plutôt que celui de l’unanimité (il suffit
qu’un État, même ultraminoritaire, s’oppose à un projet pour
bloquer la décision).

Une exigence de chaque instant


Ce système requiert des efforts. Lorsque l’Europe a des
problèmes, comme en ce moment, c’est souvent parce qu’elle
s’est éloignée de cette méthode novatrice. La gestion de la crise
de la dette souveraine a été faite entre chefs d’État ou de
gouvernement, chacun défendant âprement son intérêt. Le travail
accompli par la Banque centrale européenne montre au contraire
que des institutions dotées de pouvoirs clairs sont capables
d’agir dans un intérêt supérieur.
Dans certains domaines, le maintien de l’unanimité bloque
malheureusement toute avancée. Les États refusent par exemple
de se doter d’un parquet européen (c’est-à-dire de juges pouvant
mener des poursuites), au détriment de la protection du citoyen
contre la criminalité transfrontalière. Ils rejettent la convergence
fiscale, perpétuant une concurrence déloyale entre États
européens. Le retard pris par l’Europe de la défense devient
indécent, vu la gravité des menaces à nos portes.
La tentation de s’en tenir à des actions nationales, au mieux
coordonnées, souvent désordonnées, est dévastatrice au moment
où les Européens devraient serrer les rangs dans un monde
incertain et concurrentiel. Si le comportement des autorités
grecques a posé problème, c’est moins par les revendications de
fond que par le refus du compromis.
Privilégier l’intérêt général

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’UE invente une nouvelle méthode de coopération entre États.

✓ Elle consiste à chercher l’intérêt supérieur commun, qui n’est pas le


marchandage des intérêts particuliers.

✓ Des institutions communes décident à la majorité.


6
« Le nationalisme,
c’est la guerre »
’est ce qu’a rappelé François Mitterrand, lors de son dernier
C discours au Parlement européen, en 1995. Avec la disparition
de sa génération, l’écho de cet avertissement s’estompe. Les
Européens auraient pourtant tort d’oublier les leçons de leur
histoire. Au XXe siècle, le nationalisme a conduit au suicide de
l’Europe : il est à l’origine de la boucherie de la guerre de 1914-
1918 et des erreurs tragiques de 1919. Conçu dans un esprit de
revanche, le traité de Versailles a en effet pavé la voie à
l’accession d’Hitler au pouvoir et, finalement, au second conflit
mondial. En ex-Yougoslavie, en Russie, on a vu où mène le
nationalisme exacerbé.
La Communauté européenne a été construite pour créer des
affinités et des intérêts partagés, par-delà les frontières
nationales. Si Robert Schuman voulait instaurer « une solidarité
de fait », c’était pour éviter aux Français et aux Allemands de
continuer à s’entre-déchirer. Construire l’Europe, c’était aussi
l’occasion d’assurer le rayonnement des valeurs européennes, de
la démocratie, la construction d’un monde meilleur.
L’attachement à son pays, à sa culture, est tout à fait légitime. Il
est naturel de vouloir tenir son rang dans la compétition
mondiale, de vouloir développer l’appareil productif national et
assurer l’emploi chez soi. Mais il y a un singulier aveuglement à
penser que les choses iraient mieux en détruisant tous les relais
d’influence que nous donne la construction européenne. Si nous
nous séparions les uns des autres, le mauvais génie national
resterait-il toujours sous contrôle ? En quoi aurions-nous plus de
moyens de pression, sur nos voisins et partenaires, sans le cadre
européen ?
Sur le plan économique, l’abandon de l’esprit coopératif nous
ramènerait vite à des relations « sauvages » : il n’y a pas de
« protectionnisme intelligent », si des barrières sont érigées par
un État, ses partenaires peuvent prendre des mesures de
rétorsion.
L’économie française vit de ses échanges avec l’Europe et le
monde. La plupart des grandes entreprises réalisent la majorité
de leur chiffre d’affaires à l’étranger, au point qu’il est difficile
de leur accoler un « passeport » bien défini. Les conditions de la
production ont changé : un bien fabriqué en France contient
souvent des pièces détachées ou des composants venant
d’ailleurs. Nombre d’emplois dans les services, comme le
tourisme, mais aussi dans l’industrie, dépendent de notre
ouverture.
Les nationalistes promettent beaucoup, en paroles, mais
lorsqu’ils arrivent aux responsabilités, ils se heurtent vite au mur
de la réalité. On le voit aujourd’hui en Grèce : en quittant le
terrain de la coopération pour celui de la confrontation, en
demandant des réparations à l’Allemagne et en cherchant à
conclure avec la Russie une alliance de revers, le Premier
ministre Alexis Tsipras a d’abord entamé son capital de
crédibilité international. Il a heureusement fini par revenir à des
positions plus coopératives.

« Le nationalisme, c’est la guerre »

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le nationalisme nourrit un esprit qui peut mener à la guerre.

✓ Le repli national est anachronique dans un monde globalisé où les enjeux ne


peuvent plus toujours être surmontés à l’échelon national.

✓ Mieux vaut une souveraineté partagée qui préserve notre influence qu’une
souveraineté proclamée qui conduit à la marginalisation.
7
Une union d’États
et de citoyens
lus de 500 millions d’Européens, répartis dans 28 États, voilà
P ce qu’est aujourd’hui l’Union européenne. Et dans cet
ensemble, plus de 330 millions utilisent l’euro dans 19 pays.
Ainsi, l’Europe unie est un ensemble plus peuplé que les États-
Unis. Si les dirigeants pensaient « européen », si les citoyens
avaient conscience de ce potentiel, l’Europe irait mieux.
Mais surtout, l’Union européenne est composée d’États de tailles
très diverses. Pour les faire cohabiter, il y a plusieurs obstacles à
surmonter.

Quelques ordres de grandeur


Grands et petits Nombre Part de la Pourcentage du
d’habitants population PIB de l’UE
européenne

Les 6 plus peuplés : Environ 360 70 % 73 %


Allemagne, Espagne, millions
France, Italie, Pologne, d’habitants
Royaume-Uni

Les 10 suivants : Environ 115 22 % 13 %


Autriche, Belgique, Bulgarie, millions
Grèce, Hongrie, Pays-Bas, d’habitants
Portugal, République
tchèque, Roumanie, Suède

Les 12 « plus petits » : Environ 35 7 % 14 %


Chypre, Croatie, Danemark, millions
Estonie, Finlande, Irlande, d’habitants
Lettonie, Lituanie,
Luxembourg, Malte,
Slovaquie, Slovénie
Chacun a voix au chapitre
Le mode de représentation n’est pas évident à trouver. Un
principe d’égalité des États conduirait à privilégier les petits
pays au détriment de la population des grands. Un principe
d’égalité des citoyens aurait pour conséquence de réduire à néant
la représentation des petits États.
La solution retenue depuis 2014 au Conseil des ministres est
celle de la double majorité : il faut que, pour chaque décision,
une majorité d’États représentant une majorité de la population
européenne soit réunie.
Au Parlement européen, les sièges sont répartis entre États en
fonction de leur population, avec un seuil minimum de six
places.
C’est à la Commission européenne que les effets des
élargissements successifs se font le plus sentir. Les commissaires
étant proposés par les gouvernements nationaux, et aucun État
ne voulant se voir retirer « son » commissaire, la Commission
est aujourd’hui un organe pléthorique de 28 membres.

Ne léser personne
Autre conséquence : l’importance des règles. Il faut que les
mêmes droits et les mêmes devoirs s’imposent à tous, ce qui
explique notamment la politique de concurrence de l’Union et
l’encadrement des aides d’États. Sans ces règles, un pays comme
la Belgique ne serait pas sur un pied d’égalité avec la France ou
l’Allemagne pour défendre ses entreprises.
Pour terminer sur une touche d’humour, l’ancien Premier
ministre belge Paul-Henri Spaak disait : « Il n’y a plus en
Europe que des petits États, simplement certains ne s’en sont pas
encore aperçu. »

Une union d’États et de citoyens

L’essentiel en 5 secondes

✓ Union d’États et de citoyens, l’UE décide à la double majorité.

✓ Comme dans toute communauté, le respect des règles prises en commun est
crucial pour assurer l’équité.
8
L’équité par le droit
our unir des États qui avaient davantage l’habitude de se
P quereller que de cohabiter harmonieusement, l’UE a fait le
pari du droit. Plutôt que d’imposer une vie commune par la
force, les États ont passé un contrat organisant une
Communauté.
Le droit de l’Union prend des formes différentes : règlements,
directives de portée générale, mais aussi avis, recommandations
(qui n’ont pas de force contraignante) et décisions (adressées à
un destinataire individuel).
Comme une loi nationale, un règlement est une norme qui
s’applique telle quelle, de manière obligatoire. En recourant au
règlement, l’Union européenne fixe les moyens pour parvenir à
un résultat. C’est la forme la plus simple à appliquer.
Une directive laisse davantage de liberté. Seul l’objectif est fixé
par l’Union. Les États membres, pour transposer les directives,
sont libres de prendre les mesures de leur choix pour parvenir
aux objectifs visés par la législation européenne. La
transposition permet aux gouvernements et aux parlements
nationaux de « personnaliser » la règle en fonction des
caractéristiques nationales.
On est loin du « diktat antidémocratique de Bruxelles » que
certains évoquent à la simple mention du mot « directive ».
D’une part, les objectifs d’une directive sont négociés et
déterminés par le Parlement européen, élu par les citoyens, et les
gouvernements des États membres. D’autre part, lorsque les
États transposent les directives, ce sont les parlements et les
gouvernements nationaux qui décident de la manière de
procéder. Cela peut toutefois amener à des différences graves
entre les États.
Une Communauté de droit
La Commission européenne s’assure que le droit européen
s’applique effectivement sur l’ensemble du territoire. Elle peut
déclencher une procédure si elle constate qu’un État n’a pas
correctement transposé le droit de l’Union sur son territoire. La
plupart du temps, la Commission réagit à la suite d’un dépôt de
plainte de la part d’un citoyen ou d’une entreprise qui souhaite
l’application d’une directive non, ou mal, transposée dans son
pays. Au terme de la procédure et en cas de contestation, c’est la
Cour de justice de l’Union européenne qui tranche.
L’équité entre partenaires européens suppose qu’une norme
européenne ait une autorité supérieure à une norme nationale. Si
une loi française vient contredire un règlement ou une directive
européenne, ce sont ces dernières qui l’emporteront. La situation
est plus complexe lorsqu’il s’agit de la Constitution : lorsque
cela arrive, le pouvoir constituant préfère en général réviser la
Constitution plutôt que reconnaître une supériorité au droit de
l’Union.
Les États doivent aussi respecter les règles qu’ils ont eux-mêmes
édictées et les engagements qu’ils ont pris vis-à-vis de leurs
partenaires. Le traité de Maastricht (1992) a cependant fait le
choix d’écarter la Cour de justice de la gouvernance
économique. C’est une entorse regrettable au principe de l’État
de droit.
L’État de droit
L’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans
lequel la puissance publique est soumise au droit. Elle est limitée par
une hiérarchie des normes (chaque norme tire sa validité de sa
compatibilité avec les normes supérieures), l’égalité des sujets de droit,
et l’existence de juridictions indépendantes et impartiales.

L’absence de contrôle de la part d’un juge a malheureusement


pour conséquence que, selon la taille des États, la souplesse dans
l’application des règles n’est pas la même : aujourd’hui, la
France bénéficie de délais pour rétablir ses comptes publics, ce
qui n’est pas le cas pour d’autres États membres.
L’Union est souvent présentée comme tatillonne, mais elle
permet de garantir des droits uniformes dans chacun des 28 États
membres. Les règles de concurrence et du marché unique
s’appliquent à toutes les entreprises, quel que soit leur État
d’origine. La Charte des droits fondamentaux peut être invoquée
par chaque citoyen européen. La Cour de justice de l’Union
européenne assure cette égalité devant la loi.

L’équité par le droit


L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Europe n’est pas faite par des « technocrates » : députés européens et


ministres nationaux font ensemble les « lois » européennes.

✓ Dans certains cas, ce sont les parlements nationaux qui complètent les règles
européennes.

✓ La Commission est chargée de faire respecter les règles, sous le contrôle de la


Cour de justice.
9
Une union
de valeurs
’Union européenne n’est pas seulement un marché. C’est une
L Union de valeurs, fondée après la Seconde Guerre mondiale
et le plus effroyable génocide jamais perpétré par les hommes.
Les pères fondateurs insistaient tous sur cette dimension morale.

Un monde un peu meilleur


À l’échelle du monde, les droits de l’homme sont plutôt mieux
protégés en Europe :

• L’UE a aboli la peine capitale.


• Le droit à un procès équitable y est garanti : les justiciables
ont droit à la présomption d’innocence, devant des tribunaux
impartiaux qui jugent en droit et dont les sanctions sont
proportionnées. S’ils se sentent floués par la justice de leur
pays, les citoyens peuvent saisir la Cour de justice de l’UE.
• Le Parlement européen est la seule assemblée supranationale
au monde qui permet aux citoyens d’être représentés dans le
processus décisionnel international.
• L’Union européenne est également en pointe dans de
nouveaux combats. C’est, par exemple, en Europe que sont
nées les notions de droit à l’oubli sur Internet ou de protection
des données personnelles.

Des droits reconnus par la Charte des


droits fondamentaux
La Charte des droits fondamentaux traduit les valeurs
européennes en droits invocables par tous les citoyens devant la
Cour de justice.
Son volet « dignité » protège des traitements dégradants, en
même temps qu’il interdit la peine de mort, et garantit le droit à
la vie. La Charte énumère les libertés des citoyens : liberté de
pensée, de conscience, d’expression, de réunion, ou encore le
respect de la diversité culturelle, religieuse et linguistique. Elle
pose des garanties en cas d’expulsion et d’extradition. Droits de
vote, de pétition, ou de libre circulation sont rappelés, de même
que le droit à une vie privée et familiale.
Les droits économiques et sociaux ne sont pas oubliés. La
Charte interdit le travail forcé et l’esclavage. Elle rappelle les
droits des personnes vulnérables (enfants, personnes âgées,
handicapées). Elle énumère les droits à l’éducation, au choix
d’une profession, à la protection en cas de licenciement abusif,
ou encore le droit des salariés de participer à la vie de
l’entreprise. Certains droits sociaux assez avancés sont
controversés, notamment au Royaume-Uni, qui souhaite s’en
passer. C’est le cas du droit à l’accès aux services publics, à la
Sécurité sociale ou encore de la protection de l’environnement et
des consommateurs. Des efforts restent à faire, mais les
garanties n’en sont pas moins importantes.
La Charte n’est pas le seul texte protégeant les droits
fondamentaux. Tous les États membres sont signataires de la
Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de
l’Europe, dont le respect est contrôlé par la Cour européenne des
droits de l’homme (située à Strasbourg).
Certes, ces droits sont souvent garantis au niveau national. Mais
quand ce n’est pas le cas, l’Europe peut agir comme protection
contre l’arbitraire de gouvernements nationaux. En Pologne, la
marginalisation du tribunal constitutionnel et la reprise en main
de l’audiovisuel public par le gouvernement populiste « Droit et
Justice » (PiS), a alerté la Commission. Le 16 janvier 2016,
celle-ci a entamé un « dialogue structuré » avec le
Gouvernement polonais, première étape d’une procédure prévue
en cas de risque clair de manquement aux valeurs de l’UE.

Une union de valeurs

L’essentiel en 5 secondes

✓ Plus qu’ailleurs dans le monde, l’Europe est attachée aux droits fondamentaux,
qui ne restent pas seulement des déclarations mais sont, pour la plupart, des
droits invocables par les citoyens :

• devant la Cour de justice à travers la Charte des droits fondamentaux ;

• ou devant la Cour européenne des droits de l’homme à travers la Convention


européenne des droits de l’homme.
10
La répartition
des compétences
’organisation efficace d’une Union de 28 États, représentant
L plus de 500 millions d’habitants, nécessite un principe de
répartition des compétences entre les différents niveaux de
décision. Les Français, habitués à vivre dans un État centralisé,
ont souvent des difficultés à mesurer l’utilité d’une répartition
claire des compétences. Elle est toutefois essentielle. L’Europe
s’est choisi le principe de subsidiarité.
Selon ce principe emprunté à la doctrine sociale de l’Église
catholique, les compétences doivent être exercées au niveau le
plus pertinent. Il invite à ce que soit confiée au niveau européen
la gestion des domaines dont les dimensions et les effets
dépassent les frontières nationales.
Le traité de Maastricht reprend le principe de subsidiarité mais
précise que « l’action de la Communauté n’excède pas ce qui est
nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité ». À la
subsidiarité s’ajoute la proportionnalité.
La subsidiarité a donc deux dimensions. D’abord, elle s’attache
à ne pas confier au niveau européen ce qui serait mieux réalisé
au niveau « local ». Cette première dimension est choyée par les
États membres, qui ne sont pas partageurs.
En revanche, la seconde dimension, qui consiste à transférer les
attributions des États au niveau européen pour des raisons
d’efficacité, est trop souvent oubliée. Ce qui conduit
malheureusement à un émiettement des efforts. D’où les
balbutiements de l’Europe diplomatique ou le manque de
coordination dans la lutte contre le terrorisme.
De surcroît, la routine s’est installée. La répartition des
compétences entre l’Union et les États n’a jamais été remise à
plat. La juxtaposition de domaines de compétences et l’absence
d’analyse de ce qu’il faudrait faire ensemble rendent les affaires
européennes complexes. On ne sait pas toujours qui fait quoi,
qui est responsable de quoi.
Depuis quelques années est apparue la notion de « meilleure
régulation », qui traduit une volonté de rendre plus lisible,
simple et efficace la législation européenne, et d’éviter les
normes inutiles. C’est un objectif louable mais cette notion peut
aussi être invoquée pour supprimer de l’agenda des textes
importants.
Enfin, une tension existe entre la subsidiarité qui entraîne une
grande diversité, et l’égalité des droits, à laquelle la France est
attachée, qui impliquerait plus d’uniformité. D’où parfois les
incompréhensions, nourries par les traditions nationales : quand
certains voient le fédéralisme comme un moyen de garder des
compétences fortes au niveau local (selon la définition
allemande du fédéralisme), d’autres, comme les Français, le
vivent comme une centralisation.

La répartition des compétences

L’essentiel en 5 secondes

✓ Toutes les compétences exercées par l’UE lui ont été volontairement
transférées par les États.

✓ L’Union est encore très dépendante des États, les transferts de compétences
étant souvent partiels.

✓ La juxtaposition des compétences entre États, régions et Union européenne nuit


parfois à la lisibilité et à l’efficacité de l’action.
Pouvoirs et institutions
es détracteurs de l’Europe la prennent souvent pour ce qu’elle
L n’est pas. Gommant son originalité, ils lui reprochent en
général à la fois son caractère fédéral et son manque
d’ambitions. Tous ceux qui comparent l’efficacité limitée de
l’Europe à la puissance des États-Unis d’Amérique notamment,
tombent dans ce piège.
Il suffirait de doter l’UE des organes exécutifs et de contrôle qui
lui font défaut, pour qu’elle rivalise avec les plus grandes
puissances. Mais si on se borne à la piloter avec une
Commission européenne à la nature incertaine, mi-
démocratique, mi-technocratique et si les ministres nationaux
continuent d’être en première ligne sans l’assumer, il ne faut pas
s’étonner qu’elle avance peu. Si la France était pilotée par les
présidents de région décidant à l’unanimité, elle ne serait pas
correctement gouvernée. Curieusement, ce qui apparaîtrait
ridicule pour nos pays passe pour raisonnable au niveau
européen…
11
Le Parlement européen :
l’assemblée des citoyens
e Parlement européen, élu au suffrage universel direct, est
L l’enceinte de la démocratie. C’est l’institution chargée de
représenter les citoyens de l’UE et de participer à l’élaboration
de la législation européenne.

Les citoyens s’affirment


À l’origine, le Parlement était une chambre consultative,
composée de parlementaires nationaux, dépourvue de pouvoir. Il
s’est progressivement affirmé comme un acteur majeur,
notamment grâce aux traités qui, au fil des révisions, ont
conforté son rôle de colégislateur européen. La procédure
législative ordinaire place en effet le Parlement européen et le
Conseil des ministres sur un pied d’égalité. Le Parlement vote en
partie le budget, participe à la désignation et, le cas échéant, à la
censure de la Commission européenne. Il joue également un rôle
dans la ratification des accords internationaux, de commerce par
exemple.

Une représentation pluraliste


Tous les cinq ans, 751 députés sont élus directement par les
électeurs des 28 États membres. Un nombre de députés est
attribué par pays, selon l’importance de leur population.
L’Allemagne envoie la plus grande délégation, avec 96 députés
(le maximum prévu par le traité). Un minimum de 6 sièges est
attribué aux pays les moins peuplés : l’Estonie, le Luxembourg,
Chypre et Malte. Ainsi, pour chaque État, sont représentées au
Parlement européen à la fois la majorité et l’opposition. En
France, 74 députés européens ont été élus lors des élections
de 2014.
Les affinités électives
Si l’élection a lieu sur des listes nationales ou régionales, les
députés européens siègent par famille politique.

Partis politiques français Groupes au Parlement européen

Les Républicains Parti populaire européen (PPE)

Parti socialiste Alliance progressiste des socialistes et


démocrates (S & D)

UDI – Modem Alliance des démocrates et libéraux pour


l’Europe (ADLE)

Europe écologie – Les Verts Les Verts / Alliance libre européenne

Parti communiste, Front de gauche Gauche unitaire européenne / Gauche verte


nordique (GUE)

Front national Europe des nations et des libertés (ENL)

À ces groupes politiques, s’ajoutent les Conservateurs et


Réformistes européens (ECR), où siègent notamment les
conservateurs britanniques, et le groupe Europe des libertés et de
la démocratie directe (EFDD), majoritairement composés des
eurosceptiques de Nigel Farage et des Italiens du Mouvement
cinq étoiles de l’humoriste Beppe Grillo.
Les députés se partagent le travail en commissions thématiques ;
on peut citer par exemple la commission parlementaire des
affaires agricoles (AGRI), celle de l’emploi (EMPL), ou encore
celle des affaires économiques et monétaires (ECON).
Le travail en groupe politique et en commission s’effectue au
Parlement à Bruxelles. Une fois le travail de fond réalisé et une
position de groupe définie, le texte fait l’objet d’un vote en
séance plénière (c’est-à-dire en présence de tous les députés).
Les séances plénières ont lieu quatre jours par mois à
Strasbourg.
L’originalité du Parlement européen, par rapport à l’Assemblée
nationale française, est l’absence de clivage préétabli entre
majorité et opposition. Le mode d’élection des députés, à la
proportionnelle, permet difficilement à un camp d’emporter la
majorité des sièges. L’absence d’opposition frontale laisse la
place à la constitution de majorités de projets, texte par texte.

Un Parlement réellement européen ?


Cet art du compromis intéresse peu les médias. Les rapporteurs,
chargés des textes, peuvent être d’une autre nationalité, inconnus
en dehors de leur pays d’origine, voire dans leur pays. Et les
élections européennes ne sont pas toujours le moyen de les faire
connaître. Les gouvernements s’abstiennent de faire des
campagnes civiques. Les médias n’invitent pas volontiers les
candidats ; en 2014, lors du grand débat précédant le scrutin, les
partis politiques ont préféré se faire représenter par leurs
dirigeants, qui n’étaient pas, pour la plupart, candidats.
Le mode de scrutin, organisé dans 28 cadres nationaux
différents, empêche aussi de faire naître un débat à l’échelle de
l’Europe. On pourrait imaginer, pour l’avenir, des listes
dépassant les frontières nationales, où les partis européens
prendraient le pas sur les formations nationales, et où le débat
serait moins cloisonné.
La question se pose aussi de faire émerger un Parlement de la
zone euro qui viendrait assurer un contrôle démocratique des
décisions prises dans le cadre de la zone euro. Comme celles
concernant le Mécanisme européen de stabilité (un fonds de
secours créé pendant la crise), que certains pays refusent
d’abonder.
L’enjeu est de faire du Parlement européen le lieu de la
démocratie transfrontière. Les parlements nationaux doivent
continuer à contrôler les gouvernements, mais l’absence
d’espace de débat à l’échelle européenne laisse trop souvent la
place à des affrontements démocratie contre démocratie, peuple
contre peuple, au détriment de l’intérêt commun.
La démocratie a un prix. Celui du Parlement européen, malgré
les critiques, est relativement modeste : son coût de
fonctionnement représente 1 % du budget européen, qui lui-
même est d’environ 1 % du PIB européen. Les 751 députés que
se « partagent » les 500 millions d’habitants de l’UE sont peu
nombreux en comparaison des 577 députés et 348 sénateurs
français, pour 66 millions d’habitants.

Le Parlement européen : l’assemblée des citoyens

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le Parlement européen représente les citoyens, qui élisent leurs représentants


tous les cinq ans au suffrage universel direct.

✓ Les députés se rassemblent par couleur politique, non par nationalité.

✓ L’absence de majorité préétablie rend nécessaire de travailler en surmontant les


clivages partisans, ce qui déroute les Français, habitués à la confrontation
droite/gauche.
12
Le Conseil
européen
e Conseil européen réunit les chefs d’État ou de
L gouvernement des 28 États membres, son président, ainsi que
le président de la Commission européenne.
Le Conseil européen se réunissait à l’origine de manière
informelle, « au coin du feu », lors de « réunions au sommet ».
Institutionnalisé en 1974, il est devenu une institution à part
entière avec le traité de Lisbonne (2008). Le Conseil européen a
désormais un président permanent, désigné pour deux ans, à sa
tête : Donald Tusk, qui a succédé au belge Herman Van Rompuy.
Ce président a pour fonction de coordonner et de préparer le
travail des 28.
Le Conseil européen définit les orientations et les priorités de
l’Union européenne. Il est amené, tous les cinq ans, à proposer
au Parlement une personnalité pour la présidence de la
Commission européenne.

Une tour de Babel


À chaque réunion du Conseil européen, on assiste à un ballet de
cortèges officiels conduisant les responsables nationaux à un
marathon de négociations qui durent parfois toute la nuit. Les
journalistes, présents en nombre, fournissent les mêmes images.
En revanche, la bande-son est différente selon les États : à
l’issue des sommets, les chefs d’État ou de gouvernement
assurent le service après-vente devant « leurs » opinions
publiques respectives. Communication politique oblige, ils
déclarent toujours sortir vainqueurs des négociations. Si bien
qu’à les écouter, on a l’impression que 28 réunions différentes se
sont tenues…
Pour le meilleur et pour le pire
Son rôle d’impulsion a été déterminant dans la construction
européenne. Mais, depuis quelques années, le Conseil européen
devient un problème. À 28, il est difficile de connaître
personnellement tous ses interlocuteurs. En tant qu’institution
représentant les États, certains sont tentés d’utiliser ces sommets
comme des caisses de résonance nationale. L’intérêt européen
passe parfois au second plan. Comme au théâtre, ses
protagonistes assurent le spectacle (en annonçant, à intervalle
régulier, des « sommets de la dernière chance »), mais leurs
décisions peinent à se traduire en acte.

Forces… et faiblesses du Conseil européen

Regroupe les chefs d’État et de Ce « fédéralisme des exécutifs » n’est


gouvernement, qui ont une légitimité contrôlé par aucun parlement, les débats
forte dans leur pays. Ce lien avec les sont fragmentés d’un État membre à l’autre.
démocraties nationales permet de
mobiliser des moyens importants pour
faire face aux crises (la crise grecque
par exemple).

Cette enceinte intergouvernementale On constate cependant une certaine


a fait beaucoup pour l’Europe tendance des chefs d’État ou de
communautaire. gouvernement à privilégier les intérêts
nationaux aux intérêts européens.

Les sommets attirent l’attention des Des conférences de presse souvent


médias du monde entier. pensées exclusivement pour « leurs »
opinions publiques nationales.

Capable de prendre des décisions Les dirigeants ne parviennent pas toujours


importantes, comme la création de à se mettre d’accord.
l’euro ou de nouveaux traités.

En mesure d’orienter les politiques Les déclarations ne sont pas toujours


européennes. suivies d’effets.

Des sommets informels permettant de Certains « petits » États se sentent parfois


ne pas être bloqué par un ordre du mis à l’écart quand les « grands » préfèrent
jour fixé longtemps à l’avance. négocier entre eux.

Le Conseil européen

L’essentiel en 5 secondes

✓ Longtemps informel, le Conseil européen qui réunit les dirigeants nationaux a


un pouvoir d’influence considérable sur la politique européenne.

✓ Le Conseil européen prend souvent ses décisions dans la douleur et l’opacité.

✓ Responsables seulement devant « leurs » opinions publiques nationales, les


chefs d’États et de gouvernement se préoccupent souvent davantage de
politique intérieure que de l’intérêt commun.
13
Le Conseil
des ministres
fficiellement dénommé « Conseil de l’Union européenne »,
O le Conseil des ministres, ou Conseil, rassemble les ministres
des 28 États membres, qui se réunissent en fonction de leur
champ de compétence. Parmi les dix formations thématiques on
trouve, par exemple, le Conseil des affaires étrangères, celui des
affaires économiques et financières ou encore celui consacré à
l’environnement.
À tour de rôle, les États sont amenés à assurer la présidence du
Conseil pour une durée de six mois : la fameuse « présidence
tournante ».
La technicité des sujets et les changements réguliers de ministres
(28 États donc 28 élections, 28 fois plus de chances de connaître
un remaniement ministériel) expliquent l’existence à ses côtés
d’un Comité des représentants permanents (COREPER). Ce
Comité, composé d’ambassadeurs représentant les États
membres, organise et supervise des groupes d’experts travaillant
sur tous les sujets. Il contribue à rapprocher les positions et
facilite la prise de décisions en préparant plusieurs pistes, sur la
base desquelles les ministres prendront leurs décisions.
Il fournit un appui d’autant plus utile que les attributions du
Conseil sont larges.

Nos ministres sont des « eurocrates »


qui s’ignorent
Avec le Parlement européen, le Conseil assure un rôle de
colégislateur. La Commission européenne propose des
règlements et directives que s’approprient, à tour de rôle, les
députés européens et les ministres. À la fin, Parlement et Conseil
doivent trouver un accord pour adopter les textes.
Au moment du vote au Conseil, chaque État est titulaire d’un
nombre de voix correspondant à sa population. Les décisions s’y
prennent la plupart du temps à une majorité qualifiée (55 % des
suffrages, représentant 65 % de la population). Néanmoins,
l’unanimité est parfois requise sur des questions sensibles
comme l’accueil d’un nouvel État membre, les questions fiscales
ou les ressources de l’Union.
Contrairement à la conception classique de la séparation des
pouvoirs (entre pouvoir de création des lois et pouvoir
d’application du droit), le Conseil de l’UE est aussi titulaire du
pouvoir exécutif : c’est aux États (donc aux ministres) que
revient d’appliquer la législation européenne. Le Conseil et le
Parlement peuvent confier ce pouvoir à la Commission
européenne. Celle-ci prendra alors des actes délégués, découlant
d’une autorisation explicite prévue par les textes adoptés par le
Conseil et le Parlement.
Enfin, le Conseil a des compétences en matière d’action
extérieure de l’UE. C’est lui qui, par exemple, fixe les lignes
directrices des négociations internationales.
Loin du cliché d’une Europe gouvernée par des bureaucrates, ce
sont bien des élus, les parlementaires européens, et les ministres
nationaux, qui font l’Europe. Le problème est qu’ils rechignent
souvent à assumer ce rôle et… se cachent derrière les experts.
Le Conseil des ministres

L’essentiel en 5 secondes

✓ Les ministres nationaux exercent conjointement avec le Parlement européen le


pouvoir législatif.

✓ La double majorité généralisée (55 % des États, 65 % de la population) facilite


la prise de décisions, mais la persistance de l’unanimité dans certains domaines
empêche d’avancer (sur la fiscalité par exemple).

✓ C’est aux États que revient la mission d’appliquer la législation européenne, ce


qui crée parfois des distorsions.
14
La Commission
européenne
heville ouvrière de la construction européenne, la
C Commission est ce petit « plus » qui fait que l’UE n’est pas
une organisation internationale comme les autres.
Gardienne des traités, elle veille à ce que les règles soient
respectées par tous. Par ailleurs, les États lui ont confié un rôle
de représentation externe dans certains domaines, comme le
commerce international. Enfin, la Commission européenne est
chargée de mettre en œuvre les décisions du Conseil des
ministres, et de s’assurer de l’application du droit européen.
La Commission occupe une place centrale dans la construction
communautaire : elle seule peut prendre l’initiative d’une « loi »
européenne. À chaque étape du processus d’adoption d’une
directive ou d’un règlement, la Commission et ses
35 000 fonctionnaires (ce qui est peu, par rapport
aux 50 000 fonctionnaires de la mairie de Paris) assurent un
appui technique incontournable au Parlement et au Conseil.

Une chauve-souris
C’est une institution originale à la double nature qu’on ne peut
totalement assimiler à une administration ou à un gouvernement.
Il est vrai que, comme un Premier ministre, le président de la
Commission européenne est élu par le Parlement. Depuis 2009,
les États membres (qui proposent une personnalité aux députés)
doivent tenir compte du résultat des élections européennes. C’est
pourquoi Jean-Claude Juncker, chef de file du groupe arrivé en
tête aux élections, est devenu président de la Commission
en 2014.
Comme un gouvernement, la Commission est responsable
devant le Parlement : elle doit recueillir la confiance d’une
majorité de députés pour entrer en fonction, et le collège des
commissaires peut être renversé par une motion de censure.
La comparaison s’arrête là. Contrairement à des ministres, les
commissaires ne sont pas choisis en fonction de leur couleur
politique. Les États membres proposent chacun un commissaire,
et le Parlement les valide, individuellement, puis,
collectivement, en fonction de leurs compétences et de leur
engagement européen, au terme d’auditions difficiles. Si bien
que cohabitent des commissaires de toutes tendances politiques.
Les décisions se prenant de manière collégiale, le dialogue entre
commissaires est indispensable.
Chargés de l’intérêt général, les traités leur imposent
l’indépendance. C’est elle qui garantit l’efficacité et la
crédibilité de la Commission.
Certains, à l’image de l’actuel président de la Commission Jean-
Claude Juncker, souhaiteraient en faire un organe plus politique.
Cette politisation risque toutefois de nuire à sa réputation
d’indépendance et d’expertise, en matière de concurrence ou
d’examen des budgets nationaux par exemple.
Le seul débat de ces dernières années portait sur le nombre de
commissaires. Il est vrai qu’au fil des élargissements, la
Commission est devenue pléthorique. Il a été prévu par le traité
de réduire leur nombre. Cette idée a été abandonnée par le
Conseil européen en 2008 : aucun État membre ne souhaitait
perdre « son » poste de commissaire.
Pour pallier les inconvénients du nombre, le président Juncker a
réorganisé la Commission autour de sept vice-présidents guidant
les travaux des commissaires placés sous leur coordination.
Même si les traités ne prévoient pas de postes de « super-
commissaires » ni de « mini-commissaires », le système des
vice-présidences de projets est censé améliorer l’organisation de
la Commission.

La Commission européenne

L’essentiel en 5 secondes

✓ La Commission européenne est la principale originalité institutionnelle de l’UE.

✓ Elle est garante des traités et de l’intérêt général.

✓ Son indépendance assure son autorité, mais certains aimeraient la voir jouer un
rôle plus politique.
15
La Cour de justice
a Cour de justice de l’Union européenne, qui siège à
L Luxembourg, assure le respect du droit de l’Union ainsi que
l’interprétation et l’application des traités passés entre
les 28 États membres.
Son rôle est déterminant dans l’application d’un même droit au
sein de 28 systèmes juridiques différents. Pour ce faire, la Cour
de justice a le dernier mot : elle peut être saisie par les citoyens
en dernier ressort (c’est-à-dire après avoir épuisé toutes les voies
de recours nationales).
La Cour de justice est composée d’un juge par État membre. Des
avocats généraux complètent sa composition. Leur rôle est de
fournir une analyse juridique indépendante et impartiale des cas
soumis à la Cour. Ils ne participent pas au jugement mais leur
prise de position influence beaucoup les juges qui, souvent,
suivent leurs avis.
Les juges, nommés pour une durée de six ans par les États, sont
en général des juristes de haut niveau. Ils siègent parfois en
séance plénière (à 28), mais le plus souvent en formation
restreinte (de 3 à 5 juges). Les délibérations se font en français.
Le travail est organisé par un président qu’ils élisent pour un
mandat de trois ans renouvelable.
La Cour de justice est compétente pour juger des recours en
manquement, des recours en annulation et des recours en
carence.
Un recours en manquement peut intervenir lorsqu’un État n’a
pas respecté ses obligations. Avant de passer devant la Cour de
justice, l’État en question fait l’objet d’un premier rappel à
l’ordre de la part de la Commission européenne. Si l’État reste
sourd aux demandes de la Commission puis de la décision de la
Cour, des amendes peuvent être votées. Le montant des amendes
peut atteindre plusieurs millions d’euros.

Attention à ne pas la confondre avec la Cour européenne des droits de


l’homme, qui siège à Strasbourg, chargée d’appliquer le droit issu de la
Convention européenne des droits de l’homme (qui s’applique dans
47 États, membres ou non de l’Union européenne).

Un recours en annulation consiste à demander au juge d’écarter


un acte. Cette demande peut être effectuée par un particulier
(contre un acte d’un État qui serait contraire au droit de l’Union)
ou par un État (contre un acte de l’Union).
Pour le recours en carence, la logique est inverse : cette fois,
c’est l’inaction qui est attaquée. Avant qu’une condamnation
n’intervienne, l’État mis en cause est invité à prendre les
mesures nécessaires (par exemple une loi de transposition d’une
directive).
Face à une charge de travail de plus en plus grande, un Tribunal
a été créé pour décharger la Cour de justice. Le traité prévoit
également la mise en place de tribunaux spécialisés par
domaine. Pour l’instant, le seul tribunal de ce genre existant est
le tribunal de la Fonction publique européenne, qui ne concerne
que les fonctionnaires des institutions.
Une réforme de la Cour de justice est en cours. Les États, et le
Parlement, ont convenu que la Cour avait besoin de neuf juges
supplémentaires. Cependant, incapables de décider de qui aura
le privilège de proposer un juge, les États tentent de passer de 9
à 28 nouveaux magistrats.
La Cour de justice

L’essentiel en 5 secondes

✓ Basée à Luxembourg, la Cour de justice est chargée de contrôler l’application


uniforme du droit européen.

✓ Elle est compétente pour juger plusieurs recours, par exemple contre les États
qui manquent à leurs obligations.
16
Le processus de création
des « lois » européennes
a procédure législative ordinaire est un processus de
L codécision, où plusieurs acteurs sont impliqués : la
Commission, le Parlement et le Conseil des ministres.
Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice : les citoyens à travers
le Parlement, les ministres nationaux au sein du Conseil, et la
Commission qui s’assure que la direction prise est conforme à
l’intérêt général.
La Commission européenne a le monopole du pouvoir
d’initiative : c’est elle qui fait les propositions et peut à tout
moment les retirer. On peut regretter que le Parlement ne puisse
de lui-même proposer un texte législatif : ses initiatives n’ont
pas de portée juridique contraignante. Mais dans la suite de la
procédure législative ordinaire, les parlementaires prennent de
l’importance.
Après la proposition de la Commission, le texte fait plusieurs
navettes entre le Parlement européen et le Conseil des ministres.
Les deux institutions sont sur un pied d’égalité : aucun des deux
n’a seul le dernier mot. En cas de désaccord persistant, les
acteurs principaux du dossier (du Parlement, du Conseil et de la
Commission) se retrouvent autour d’une table pour élaborer,
ensemble, un compromis qui est ensuite soumis à l’approbation
de l’ensemble du Parlement et du Conseil.
Dans la pratique, il y a des contacts entre les différentes
institutions tout au long du processus, de manière à rapprocher
les positions, et la Commission joue un rôle de conciliateur.
• Un texte controversé : la directive Bolkestein
La méconnaissance du processus d’élaboration des règles
européennes peut engendrer des malentendus, comme à
l’occasion de la directive Bolkestein.
En 2005, les opposants au traité constitutionnel se
saisissent de ce qui n’est qu’une proposition de la
Commission européenne, concernant la libéralisation des
services, pour jeter de l’huile sur le feu.
L’une des dispositions les plus controversées du texte
prévoyait que, lorsqu’un étranger serait amené à travailler
dans un autre pays, « sa » législation d’origine
s’appliquerait toujours à lui. En clair, le salaire minimum
d’un Français, où qu’il se trouve, resterait celui de la
France. La même chose pour un Polonais : d’où la peur du
« plombier polonais », au salaire plus bas, qui viendrait
voler le travail des Européens de l’Ouest.
En présentant la proposition de directive comme une
version finale, qui s’appliquerait telle quelle, les
détracteurs de la directive ont occulté la particularité de la
prise de décision au niveau européen : un compromis
collectif, au terme d’une procédure en plusieurs étapes.
Dans les faits, le processus démocratique a permis de
modifier le texte en profondeur. Au niveau européen,
comme au niveau national (des débats se sont tenus au sein
des parlements nationaux).
Au Parlement européen, les députés ont multiplié les
auditions et les débats. De nombreux amendements
(modifications de texte) ont été déposés et votés. Le
« principe du pays d’origine » a été abandonné.
Au terme d’une procédure intense (quatre débats au
Conseil, quatre en plénière, deux lectures) et longue (près
de trois ans entre la proposition de la Commission et
l’adoption du texte), le Conseil a finalement approuvé le
texte adopté en seconde lecture par le Parlement européen.
Puisqu’il s’agissait d’une directive, les parlements
nationaux ont ensuite eu le temps (trois ans) pour débattre
lors de la transposition de la directive.
Au final, le texte adopté était bien différent de celui
présenté à l’origine par la Commission.
La stricte application de la procédure de codécision peut parfois
prendre du temps, ce qui est délicat dans les situations
d’urgence. Ainsi, suite à la crise, les trois institutions se sont
engagées à travailler vite (et bien) de manière à adopter et mettre
en œuvre la législation nécessaire. C’est ce que l’on appelle,
dans le jargon européen, les accords en première lecture.
Cette procédure accélérée a par exemple été utilisée pendant la
crise financière, dans le dossier de l’Union bancaire (c’est-à-dire
un mécanisme de solidarité entre banques de la zone euro, afin
que les États n’aient plus à les renflouer avec de l’argent public,
couplé d’un superviseur unique : la BCE). La commission des
affaires économiques et monétaires du Parlement européen a
travaillé à un texte, le Conseil des ministres s’en est saisi et une
décision a été prise très rapidement.

Le processus de création des « lois » européennes

L’essentiel en 5 secondes

✓ La Commission européenne fait la première proposition de texte législatif.

✓ Parlement et Conseil, à égalité, s’emparent chacun à leur tour des propositions


de la Commission et cherchent un compromis au terme de plusieurs navettes et
éventuellement d’une procédure de conciliation.

✓ Les accords en première lecture permettent d’aller plus vite.


17
Lobbies :
vérité et fantasmes
Bruxelles, un quartier de quelques kilomètres carrés
À concentre l’ensemble des institutions européennes où
travaillent les décideurs européens : Commission, Conseil et
Parlement. Comme dans tout lieu de pouvoir, la tentation est
forte d’essayer d’influencer la prise de décision.

Visiteurs du soir à Paris, plaidoiries du


jour à Bruxelles
Ce n’est pas seulement le cas à Bruxelles – les groupes de
pression existent au niveau local et national. Le lobbying y est
simplement plus visible. Au Royaume-Uni, le lobbying est
considéré comme normal. Du coup, les lobbyistes ne voient pas
pourquoi ils devraient se cacher une fois la Manche traversée.
En outre, de l’influence scandinave, l’Europe retient
l’attachement à la transparence. En France, le phénomène existe
mais est plus discret. Les jeux d’influence s’y expriment tout
autant, dans la haute administration et les grandes entreprises,
mais dans l’ombre.
Le travail de ces groupes de pression consiste à fournir aux
décideurs un certain nombre d’informations, de statistiques,
d’idées ou d’avis sur les textes qui les concernent. L’enjeu du
lobbying est de fournir une expertise pour influencer la
législation en leur faveur.
Certains trouvent leurs méthodes antidémocratiques. Pourtant, il
n’y a rien de choquant à ce qu’un décideur s’intéresse aux
acteurs concernés par une législation. Lorsqu’on prend des
décisions qui affectent des secteurs importants (le secteur
agroalimentaire représente 6 % du PIB de l’UE, 15 millions
d’entreprises et 46 millions d’emplois ; le secteur bancaire
emploie près de 3 millions de personnes, dans plus
de 7 700 institutions de crédit), être attentif aux arguments des
principaux intéressés n’est pas un luxe. On pourrait comparer le
rôle du lobbyiste à celui d’un avocat qui viendrait plaider la
cause de son client. En face, le décideur fait figure de juge et
prend sa décision à la lumière des arguments des uns et des
autres.
Des abus sont possibles, et il faut mettre au crédit de l’Union
européenne d’avoir tenté d’encadrer le jeu des lobbies, et de
régulièrement chercher à améliorer ce cadre. Un registre de
transparence a été mis en place par la Commission européenne.
Pour être reçu par les fonctionnaires de la Commission ou par
les députés européens, mieux vaut y être inscrit. Pour y figurer,
les cabinets de lobbying doivent s’engager à respecter un certain
nombre de règles et de principes éthiques, mais aussi à fournir
des informations de base sur leurs activités et leurs ressources
financières. Au Parlement européen, des règles déontologiques
visent à éviter les conflits d’intérêts.
La meilleure barrière reste le travail de fond. Pour ne pas se faire
berner, un député ou un fonctionnaire doit connaître ses dossiers.

Une pluralité d’opinions


Par ailleurs, la pluralité des opinions justifie que les décideurs
rencontrent différentes personnes. Les argumentaires des
lobbyistes ne reflètent souvent qu’une partie de la réalité, celle
qui intéresse leur client, et occultent certaines données.
S’attacher à consulter plusieurs parties prenantes et croiser les
informations est primordial pour se construire une opinion
solide. Ce n’est pas ce qui manque à Bruxelles. Les
multinationales n’ont pas le monopole du lobbying. Les ONG,
les syndicats, et même les Églises mènent des stratégies
d’influence. On compte également un certain nombre de
fondations et de laboratoires d’idées (les « think tanks »), plus
ou moins indépendants, qui alimentent le débat public, menant
ainsi, indirectement, des actions de lobbying. Pour un même
secteur, rencontrer à la fois industriels et ONG permet d’avoir
une vue d’ensemble.
Suite à la crise des subprimes, 200 députés européens ont signé
en 2010 un appel pour une surveillance financière. Cette
initiative a donné naissance à un « Greenpeace » de la finance,
Finance Watch, qui milite pour un système financier plus
transparent et mieux régulé.
De telles initiatives peuvent avoir un poids réel sur la scène
européenne. La recette d’une bonne campagne de lobbying
repose moins sur l’argent dépensé que sur les arguments
avancés. À ce titre, certaines ONG apportent une expertise
pointue qui leur permet de tenir la concurrence face aux firmes
multinationales. C’est ce à quoi se sont attachés, par exemple,
plusieurs syndicats pour dénoncer l’optimisation fiscale de
McDonald’s.
Le lobbying peut être à la portée de tous, et cela peut conduire à
des dérives : on ne compte plus le nombre de campagnes
d’envois massifs de courriels interpellant les députés.
Évidemment, l’expertise n’est crédible que lorsqu’elle vient de
personnes qualifiées et repose sur des arguments solides et
étayés. Cependant, il ne faut pas sous-estimer l’influence que
peuvent avoir les citoyens sur certains dossiers.
Lobbies : vérité et fantasmes

L’essentiel en 5 secondes

✓ Comme tout lieu de pouvoir, Bruxelles attire les lobbyistes.

✓ Un registre de transparence permet d’éviter certains abus.

✓ La pluralité des intérêts représentés rend possible un débat argument contre


argument.
Les politiques de l’Union
européenne
’Europe est hésitation. Elle reflète bien, en tout cas, les
L hésitations de nos gouvernants qui oscillent entre des
ambitions élevées et des pratiques de marchands de bazar. Au
lieu de céder la souveraineté, pleinement, quand il le faut, quitte
à mettre en place des organes de contrôle exigeants, les
responsables nationaux ont souvent fait les choses à moitié : ils
ont choisi de saupoudrer d’Europe le champ politique, sans
donner à l’UE les moyens juridiques et financiers d’agir. D’où
cette impression d’une excessive intrusion sans efficacité.
La différence saute aux yeux entre d’un côté, les secteurs où les
compétences sont transférées à l’UE et qui « marchent » assez
bien, la politique monétaire par exemple, menée par la BCE, et
de l’autre, les secteurs où les institutions européennes et les États
interviennent conjointement, dans la confusion.
La crise grecque montre le danger de brouiller les
responsabilités : l’assainissement était essentiellement nécessaire
en raison des erreurs de gestion accumulées depuis des
décennies dans ce pays. Certains dysfonctionnements des plans
de sauvetage européens n’ont pas arrangé les choses. Mais le
partage de responsabilité permet à chaque camp de se défausser
et d’accuser l’autre. C’est une mauvaise méthode.
Le caractère inachevé du marché unique, l’impuissance de la
diplomatie européenne ou encore l’inexistence des capacités
militaires ou de sécurité civile nuisent à l’image de l’Europe.
Mais elle ne peut faire que ce qu’on l’a autorisée à faire.
Cela laisse de l’espoir : si les compétences étaient attribuées
différemment, l’UE a des marges de progressions indéniables.
18
La politique monétaire
a Banque centrale européenne est chargée de conduire la
L politique monétaire de l’Union.
Elle est dirigée par un président (aujourd’hui Mario Draghi)
entouré d’un directoire de cinq membres permanents,
indépendants des États, et d’un conseil des gouverneurs
comprenant les 19 présidents des banques centrales nationales.
Son mandat est conçu de manière étroite : c’est la stabilité
monétaire, avec un objectif d’inflation proche de 2 %. Les États
lui ont délégué des prérogatives importantes : la détermination
de la quantité de monnaie en circulation et le contrôle de l’accès
au crédit des banques, par exemple.

Une banque centrale indépendante et


attachée à la stabilité des prix
Lors de la création de l’euro, beaucoup de questions se sont
posées sur l’indépendance et le mandat de la Banque centrale.
D’un côté, l’Allemagne et les pays germaniques tenaient à une
banque protégée des influences politiques et concentrée sur la
lutte contre l’inflation. De l’autre, la France et les pays du Sud,
ayant une tradition de plus grande porosité entre le monde
politique et la politique monétaire, auraient volontiers confié à la
BCE un mandat plus large. Par traité, les seconds ont clairement
accepté la conception allemande. Certains poursuivent le débat
comme s’il n’avait pas été tranché.
La position allemande ne se comprend qu’avec le recul
historique : entre les deux guerres mondiales, l’Allemagne a
connu une période d’hyperinflation ; les prix pouvaient être
multipliés plusieurs fois au cours d’une même journée, ruinant
ceux qui avaient mis de l’argent de côté, et faisant la joie des
spéculateurs. Traumatisée par cette période et ses conséquences
(elle explique en partie l’arrivée d’Hitler au pouvoir), fière de la
stabilité de sa monnaie depuis 1948 (le deutschemark, créé avant
même la naissance de la République fédérale), l’opinion
publique allemande ne pouvait concevoir des institutions
monétaires soumises à des influences politiques, mettant en péril
la stabilité de la monnaie.
À l’inverse, les gouvernements français ou italiens successifs
avaient pris l’habitude de recourir à la dévaluation et à
l’inflation pour doper artificiellement la compétitivité des prix
de leur production.
Chacun a finalement fait un pas vers l’autre. Les Français ont
accepté en 1992, par référendum, que la Banque centrale soit
indépendante et que son rôle soit d’assurer la stabilité. De leur
côté, les Allemands acceptent de passer du mark à l’euro et de
prévoir un dialogue entre la BCE et le Conseil des ministres.
Aujourd’hui, un dialogue régulier est également assuré avec le
Parlement européen. Les opinions l’ignorent en général mais le
président de la BCE se soumet ainsi plusieurs fois par an aux
questions des députés européens. L’indépendance n’empêche
pas une discussion exigeante, en public.

« Whatever it takes »
De l’avis général, la BCE « fait le job ». Au plus fort de la crise,
alors que les gouvernements tardaient à dégager des solutions
communes, la BCE a joué un rôle crucial.
Dès 2007, elle fournit 95 milliards d’euros pour stabiliser le
secteur financier. En 2010, elle annonce un programme de rachat
de dettes pour soulager les États en difficultés. En
septembre 2012, à la suite d’une décision du Conseil européen
de la zone euro, Mario Draghi annonce que la BCE fera « tout ce
qui est nécessaire » pour préserver l’intégrité de la zone euro.
Des liquidités sans précédent et à bas coûts sont mises à la
disposition des banques pour permettre le financement de
l’économie.
En janvier 2015, Mario Draghi annonce un vaste programme de
rachat de dettes pour aider à faire repartir la croissance
(« assouplissement quantitatif »). Enfin, la BCE s’est vu confier
une nouvelle mission de supervision des banques de la zone
euro.
Lors de la crise grecque, alors que le système financier était sur
le point de s’effondrer faute d’accord entre le gouvernement et
ses créanciers, la Banque centrale a maintenu l’économie à flot,
en fournissant des liquidités d’urgence. Son rôle n’est cependant
pas de se substituer aux responsables politiques, d’où des
initiatives mesurées, dans le cadre de son mandat.
On voit ici la force que peut tirer l’Union européenne de
structures fédérales. Les décisions sont prises à un niveau
pertinent, les mesures ont davantage d’ampleur et les effets se
font sentir.

La politique monétaire

L’essentiel en 5 secondes

✓ La BCE est chargée de préserver la stabilité des prix.

✓ Son indépendance la met à l’écart des influences politiques.

✓ Institution fédérale, l’impact de ses décisions est considérable, ce qui l’a conduit
à jouer un rôle important pendant la crise.
19
La politique européenne
de concurrence
a concurrence est mal perçue par les Français. Il est vrai que
L la France est traditionnellement attachée à l’intervention de
l’État dans l’économie, soit directement, soit via des
réglementations qui protègent, par exemple, certaines
professions. Il a fallu attendre 2009 pour qu’une Autorité de la
concurrence indépendante soit instituée en France.
La concurrence est avant tout un cadre dans lequel l’esprit
d’entreprise et la défense de l’intérêt du consommateur peuvent
s’épanouir. Les règles de concurrences permettent une saine
émulation des acteurs économiques.
Grâce à la concurrence, les consommateurs ont accès à un large
choix de produits au meilleur prix.
Du côté des entreprises, les règles assurent une chance équitable
de réussite, quelle que soit la taille de la structure. Les règles
strictes sur les abus de position dominante évitent que « les
grands » ne soient tout-puissants et « les petits » sans défense.
Des exceptions sont prévues lorsqu’elles sont nécessaires
économiquement et socialement. Ainsi, les services publics ne
sont pas concernés : l’article 106 du traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne limite l’application des règles de
concurrence pour permettre d’assurer l’intérêt économique
général. Pour compenser certains effets pervers de la
concurrence mondiale, un fonds d’ajustement existe pour
indemniser certains « perdants » de la mondialisation.

Éviter les cartels


Il peut arriver que, d’une manière ou d’une autre, plusieurs
entreprises se concertent pour contourner les règles de la
concurrence. Elles peuvent ainsi augmenter leurs marges, au
détriment des consommateurs. La Commission est sévère
lorsqu’il s’agit de sanctionner les manœuvres de ces entreprises.
En 2008, une amende de 1,38 milliard d’euros a été infligée à
quatre fournisseurs automobiles qui s’étaient organisés en cartel.

Encadrer les positions dominantes


Sur un marché donné, il arrive qu’une entreprise surclasse ses
concurrents. Son leadership peut se traduire en parts de marché
importantes mais aussi en termes d’avance technologique. Cela
n’est pas répréhensible en soi. Le droit de l’Union ne vient pas
punir l’excellence et la réussite.
En revanche, pour consolider leur avance, des entreprises
peuvent être amenées à profiter de leur position privilégiée pour
mettre des bâtons dans les roues à leurs concurrents, ou pour
empêcher d’éventuels nouveaux acteurs d’entrer sur le marché.
Un exemple célèbre d’abus de position dominante concerne
Microsoft. La firme américaine avait profité de son quasi-
monopole sur le marché des systèmes d’exploitation (avec son
logiciel Windows) pour contrecarrer la concurrence sur le
marché des lecteurs multimédias : les utilisateurs se voyaient
contraints d’acheter le logiciel maison. La Commission a rappelé
à l’ordre la firme de Bill Gates, en la condamnant à 497 millions
d’euros d’amende.
Cette exigence s’exprime aussi en matière de contrôle des
concentrations. Avant une fusion de deux entreprises qui peut
avoir des conséquences sur un marché, le commissaire à la
concurrence a son mot à dire pour éviter que la création, ou le
renforcement, d’une position dominante ne vienne affecter la
concurrence sur le marché unique.
Tous égaux devant les aides d’État
Enfin, les règles de concurrence viennent encadrer les aides
d’État. Dans un marché commun, il serait déloyal que certaines
entreprises bénéficient de l’aide de leur pays quand d’autres
doivent se débrouiller seules.
Néanmoins, des flexibilités existent. L’article 107 du traité sur le
fonctionnement de l’UE autorise par exemple de telles aides
lorsqu’elles sont destinées à « remédier à une perturbation grave
de l’économie d’un État membre ». Cette disposition a été
particulièrement utile dans la crise lorsqu’il a fallu sauver les
banques de la faillite.

Une réussite européenne


La politique de la concurrence est l’une des politiques
européennes qui rencontre le plus de succès. Lorsque la
Commission européenne vient émettre des doutes sur l’action de
grandes entreprises comme Google ou Gazprom (fournisseur de
gaz russe), la voix du commissaire à la concurrence porte
jusqu’à Washington et Moscou.
Les « eurocrates » sont moins impressionnés que leurs
homologues américains quand il s’agit d’examiner la position de
Google : alors qu’une procédure avait été enterrée aux États-
Unis, la Commission européenne est allée au bout de sa
démarche.
Quand l’Europe se donne les moyens de ses ambitions et reste
ferme sur ses règles, elle sait se faire respecter.
La politique européenne de concurrence

L’essentiel en 5 secondes

✓ La politique de concurrence permet d’assurer une égalité des chances entre


grands et petits.

✓ Les consommateurs y gagnent en termes de pouvoir d’achat et de choix de


produits.

✓ La politique européenne de concurrence est prise très aux sérieux dans le reste
du monde. C’est un instrument de puissance européenne.
20
La politique
agricole commune
a politique agricole commune est l’une des rares politiques
L réellement européenne.

De Gaulle, l’Européen
Sous l’impulsion du général de Gaulle, la PAC entre en vigueur
en 1962. Elle a pour objectif d’assurer l’approvisionnement des
Européens en produits agricoles. Cela passe par une
augmentation de la production, mais aussi par une attention
portée à la stabilité des prix et au fait de garantir aux agriculteurs
un revenu correct.
La PAC est un succès, qu’elle doit à son caractère réellement
européen. Le marché et le budget sont communs. Les produits
circulent librement, sans passer la douane, entre les États de la
Communauté. Inversement, les produits étrangers sont taxés,
conformément à une préférence communautaire, à l’exception
de ceux en provenance des pays en voie de développement.

La PAC s’adapte
La première grande réforme de la PAC a lieu trente ans plus
tard, en 1992. Les défis ont changé. Initialement prévue pour
augmenter la production agricole, la réussite est telle que le
problème le plus aigu est celui des surplus. La PAC de 1992
s’attache donc à la réduction des surfaces cultivées, en échange
de subventions. Celles-ci ne sont plus automatiques mais
soumises, à partir de 2003, à des normes visant à assurer la
sécurité alimentaire, la santé, le bien-être animal ou encore une
agriculture durable.
Le bilan de la PAC n’est pas dénué de défauts. Une part
majoritaire des aides était consacrée aux plus grandes
exploitations. 80 % des aides allaient à 20 % des exploitations
alors même que les petites structures, majoritaires, en auraient
eu le plus besoin. Une nouvelle réforme vient mettre l’accent sur
le développement rural, avec une attention portée sur les zones
défavorisées, et le développement d’activités complémentaires,
comme le tourisme.

Le Parlement entre en piste


Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Parlement
européen devient colégislateur en matière agricole. À partir
de 2011, il est impliqué dans une nouvelle révision de la PAC, ce
qui donne lieu à un débat nourri (plus de 8 000 amendements
déposés, militant pour une PAC « plus équitable, plus verte et
plus durable »).
Malgré certaines réticences initiales du Conseil des ministres, le
Parlement européen a voté, en 2013, une réforme s’attachant à
rendre le financement plus équitable (possibilité de plafonner les
aides, distribution plus équilibrée des fonds), plus transparent
(les aides directes ne sont désormais versées qu’aux agriculteurs
actifs), pour une PAC plus durable (30 % des aides doivent être
consacrées au verdissement des exploitations).
Pour les agriculteurs, et en particulier les petits, le versement des
aides est simplifié, et les contraintes adaptées selon la taille des
exploitations. En outre, un fonds de réserve est créé pour faire
face à d’éventuelles crises.

La PAC n’est pas démodée


En dépit d’une nette réduction au fil des ans, la PAC demeure le
premier poste de dépense du budget européen. La France en fait
un enjeu d’intérêt national.
Même si les agriculteurs sont désormais très minoritaires en
Europe, l’enjeu reste important car il touche à la fois à
l’aménagement du territoire, à la sécurité alimentaire et à nos
rapports au reste du monde.
De nouveaux enjeux, comme le dérèglement climatique ou la
malnutrition, font de la PAC un sujet toujours d’actualité.
L’exposition universelle de 2015 à Milan portait d’ailleurs sur ce
sujet : nourrir la planète.

La politique agricole commune

L’essentiel en 5 secondes

✓ La PAC est l’une des premières politiques réellement européennes.

✓ L’objectif est de rémunérer correctement les agriculteurs et d’assurer la sécurité


alimentaire.

✓ La PAC est désormais plus verte et moins « productiviste ».


21
Le commerce
international
remier exportateur mondial, premier partenaire commercial
P de plus de 100 pays, l’Union est la première puissance
commerciale au monde, devant la Chine et les États-Unis.
Dans les négociations internationales, son marché de plus
de 500 millions de consommateurs est un argument de poids. La
Commission a la responsabilité de négocier pour toute l’UE, sur
la base d’un mandat qui lui est donné par les ministres nationaux
du commerce extérieur. En matière commerciale, l’Union
européenne est donc clairement identifiée ; son négociateur est
le commissaire en charge de la politique commerciale.

Des protections contre la concurrence


déloyale
L’UE protège ses États membres de la concurrence déloyale en
déterminant les conditions d’entrée des produits importés. Par
exemple, alors que la Chine exportait vers l’Europe des
panneaux solaires vendus en dessous de leur prix de revient
(dumping), la Commission européenne a décidé, en juin 2013,
de taxer les panneaux qui ne respecteraient pas un prix
minimum. À l’OMC, comme dans le dernier accord avec le
Canada, l’Union s’est également battue pour défendre son
patrimoine culinaire, avec les appellations d’origine protégée et
les indications géographiques.

L’Union européenne, une chance pour la


France dans la mondialisation
Certains font à l’Europe le reproche de ne pas protéger
suffisamment des inconvénients du libre-échange. Mais le
monde s’est considérablement ouvert. Depuis 1950, le volume
des échanges a été multiplié par vingt-cinq. 10 % des emplois
européens sont liés directement ou indirectement au commerce
international. Si la France ne faisait pas partie de l’UE, elle
serait toujours confrontée à la mondialisation mais n’aurait
qu’un marché de 65 millions d’habitants à opposer dans des
négociations.
Il est illusoire de vouloir se couper du reste du monde. Nos
entreprises ont besoin d’exporter, nos habitudes alimentaires,
nos modes de vie sont plus globaux que nous ne pensons. Rien
qu’au petit déjeuner, les consommateurs européens apprécient de
boire un café, un thé ou un chocolat chaud. Ils utilisent des
smartphones fabriqués dans divers pays.

Et le contrôle démocratique ?
La démocratie n’est pas absente, contrairement à ce que l’on
peut entendre. Le traité de Lisbonne a conféré des prérogatives
nouvelles au Parlement européen, dans le contrôle des traités
internationaux. Compétences dont il s’est pleinement saisi en
rejetant, le 4 juillet 2012, l’accord commercial anti-contrefaçon
qui avait, à l’époque, fait l’objet de vives contestations de la part
des citoyens, notamment sur le risque d’une interdiction des
médicaments génériques. Et lorsque les traités touchent des
compétences nationales, les parlements des 28 viennent effectuer
des contrôles supplémentaires.

Un rôle à repenser ?
L’un des défis que rencontre l’Europe est de repenser sa
politique commerciale. Alors qu’elle avait beaucoup fait pour
intégrer de nouveaux pays dans le jeu international (en étant
l’avocate de l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation
mondiale du commerce), le « multilatéralisme » (c’est-à-dire des
accords commerciaux entre plus de deux États) de l’OMC
s’essouffle, au profit du « bilatéralisme » (accords entre deux
États). C’est l’une des raisons au traité transatlantique (TTIP ou
TAFTA) : mettre en place des règles communes avec les États-
Unis, qui auront ensuite vocation à être partagées par d’autres
États.

Le commerce international

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Union européenne est la première puissance commerciale du monde.

✓ Dans les négociations commerciales internationales, son négociateur unique la


rend clairement identifiable.

✓ Depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen exerce son contrôle sur les
accords commerciaux de l’UE.
22
Grandeur et vicissitudes
du marché unique
près la Communauté européenne du charbon et de l’acier, et
A l’échec de la Communauté européenne de la défense, les
pères fondateurs ont emprunté un chemin plus humble pour unir
les peuples : le commerce, les échanges.
La Communauté économique européenne commence par lever
les obstacles aux échanges entre les États membres. Les droits
de douane disparaissent. Les consommateurs n’ont pas à payer
de taxes supplémentaires et ont accès à une plus grande diversité
de produits. Par ailleurs, les États ne peuvent plus tricher en
variant leurs exigences selon la provenance du produit. C’est ce
qu’on appelle le principe de non-discrimination. Dans un arrêt
célèbre, « Cassis de Dijon », la Cour de justice a ainsi considéré,
pour simplifier, qu’un alcool bon pour un Français ne pouvait
pas faire de mal à un Allemand.
Grâce au marché commun, un commerçant est libre de vendre
ses produits partout en Europe. Un chercheur d’emploi peut
trouver du travail dans n’importe quel État membre. Une
entreprise peut proposer ses services à tout Européen intéressé.

Des garde-fous
Certains y voient le règne du tout marché, du grand capital qui
assouvirait les peuples. C’est une caricature car l’Europe ne
considère pas le marché comme une fin mais comme un moyen
au service de la prospérité économique. Le marché n’est pas une
religion et les « eurocrates » ne lui font pas une confiance
aveugle. La crise financière a d’ailleurs rappelé que la prudence
était bonne conseillère.
Des règles, qui assurent la qualité sanitaire ou l’innocuité des
produits, sont prévues. Lors de la crise de la vache folle, des
restrictions aux échanges ont été mises en place pour préserver
la santé publique. Le marché unique n’est pas non plus une
jungle, il ne concerne que les services et marchandises autorisés
par la loi.

Peser dans le monde


L’Union européenne tire une force de son marché de
500 millions de consommateurs, qui attire les investisseurs du
monde entier, séduits par les débouchés offerts. Lors des
négociations internationales, ce poids économique permet à
l’Union d’être en position de force pour défendre ses exigences.

Les défauts du marché unique


Si le marché unique fait partie des grandes réalisations
communautaires, il est loin d’être achevé : la concurrence fiscale
entre États fait rage ; non seulement les États pratiquent des taux
d’impôts sur les sociétés différents, mais même les assiettes,
c’est-à-dire ce qui est taxé, sont différentes tandis que la
convergence sociale a pris du retard.
Dans certains secteurs, le décalage entre la théorie (un marché
unique) et la pratique (des marchés encore cloisonnés) persiste.
Pour prendre quelques exemples concrets, dans le domaine du
transport maritime, la libre circulation est inexistante : les
navires naviguant d’un État membre à l’autre doivent passer les
mêmes contrôles douaniers qu’à l’international. Le ferroviaire
n’est pas en reste : l’écartement des voies ou la signalisation ne
sont pas toujours les mêmes d’un État à l’autre. Dans le secteur
des télécoms, les consommateurs paient encore cher leurs
communications à l’étranger, faute de concurrence efficace entre
opérateurs. Heureusement, le 30 juin 2015, Conseil et Parlement
sont parvenus à un accord pour supprimer les frais
supplémentaires de communication à partir du 15 juin 2017.
Le « marché unique » est plutôt mal perçu par les opinions
publiques, qui y voient une menace pour l’emploi. Pourtant, il
fait beaucoup pour la puissance économique de l’Union, et crée
des emplois. Cet espace de libre-échange a permis de faire sortir
des millions de personnes de la pauvreté. Accompagné des aides
européennes, l’accès au marché unique a permis de
spectaculaires réussites économiques, comme en Pologne.

Des États encore puissants


Un certain nombre de critiques restent fondées, même si elles
renvoient souvent à un refus des gouvernements d’harmoniser
certains secteurs ou à des niveaux de vies différents d’un État à
l’autre.
Ainsi, « l’Europe » est blâmée mais les solutions ne pourront
venir que d’une évolution des capitales nationales.
Celles-ci gardent encore la main : la législation européenne pour
le marché unique prend le plus souvent (dans 80 % des cas) la
forme de directives, ce qui permet aux législateurs nationaux
d’ajuster en fonction des situations et préférences locales. Mais
la mise en place est ralentie (on constate en moyenne un retard
de neuf mois entre la date de transposition prévue et la
transposition réelle), et diverge parfois selon les pays.

Des pistes pour l’avenir


Le recours aux règlements, qui s’appliquent directement sans
intervention des parlements nationaux, pourrait y remédier. Les
décisions politiques pourraient ainsi être plus rapidement mises
en œuvre. Les consommateurs et les producteurs profiteraient de
règles plus claires, leur permettant une meilleure protection par
la Cour de justice de l’Union européenne.
De grands chantiers sont sur la table, comme le numérique ou
l’énergie. Ces « nouvelles frontières » du marché pourraient
accompagner la reprise économique en Europe, avec de
nombreux emplois à la clé.

Grandeur et vicissitudes du marché unique

L’essentiel en 5 secondes

✓ Avec le marché unique, les entreprises ont accès à un marché de 500 millions
de consommateurs.

✓ Les normes, souvent caricaturées, sont nécessaires pour assurer la qualité des
produits.

✓ Les divergences entre États n’ont pas encore totalement disparu, au détriment
de l’économie.
23
L’Union économique et
monétaire inachevée
voquée depuis 1970, l’Union économique et monétaire naît
É vingt ans plus tard, avec le traité de Maastricht.
Le volet monétaire est solide, avec une monnaie unique gérée
par une banque centrale indépendante et fédérale (la BCE). En
revanche, suite notamment au refus de la France, les questions
économiques et budgétaires restent en grande partie du ressort
des États. La zone euro n’a pas d’exécutif propre.
L’accent est mis sur la discipline budgétaire à laquelle tous les
États doivent se soumettre, sous le contrôle de la Commission et
des partenaires (déficit inférieur à 3 % du PIB, dette maximum
de 60 % du PIB).
Certains économistes doutent du bien-fondé de ces règles, de la
manière dont elles ont été arrêtées, et considèrent que leur
application pénalise la croissance. Néanmoins, dans une union
monétaire, l’état des finances publiques d’un membre peut
affecter la situation économique des autres, comme on l’a vu
avec la crise grecque, d’où l’importance d’un cadre commun.
Malheureusement, ces règles ont été régulièrement bafouées, y
compris par l’Allemagne en 2003. Les ministres des finances,
chargés de la surveillance des règles, ont fait preuve de
beaucoup d’indulgence les uns envers les autres. Ils ont eu
tendance à être plus sévères avec l’Irlande, le Portugal ou encore
l’Espagne, quand la France bénéficie de délais supplémentaires
pour résorber son déficit.
D’où le dilemme actuel : soit les gouvernements veulent en
rester à une union fondée sur des règles mais alors ils devraient
les respecter et peut-être renforcer les contrôles, par exemple en
donnant un pouvoir à la Cour de justice, curieusement exclue, à
ce jour, de ce champ. Soit ils acceptent de passer à une logique
d’institutions et dotent la zone euro d’un exécutif qui disposerait
d’un budget, et serait contrôlé par des élus, les parlementaires
européens réunis dans une formation « zone euro ».
La situation actuelle, où tant de gouvernements contestent les
règles sans vouloir en changer n’est pas tenable.

L’Union économique et monétaire inachevée

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le respect des règles est primordial pour la pérennité de l’euro.

✓ La crise grecque a montré les limites d’un système incomplet, notamment par
l’absence de budget pour stabiliser l’UEM.

✓ La démocratie exigerait un parlement de la zone euro (par exemple au sein du


PE), et l’État de droit un rôle accru de la Cour de justice.
24
La libre circulation
des travailleurs
a libre circulation des travailleurs est l’une des libertés
L fondamentales de l’Union européenne. Elle repose sur le
refus de la discrimination : chaque citoyen européen est libre de
chercher et d’exercer une profession dans n’importe quel État
membre de l’UE.
Même si des restrictions existent, notamment pour l’accès à
certains emplois publics, cette liberté permet, par exemple, à des
jeunes de partir travailler à l’étranger ou aux étudiants
d’effectuer un stage ou un cursus à l’étranger. Cette liberté
augmente aussi les opportunités d’emploi dans les zones
frontalières.

Une liberté controversée, des critiques


exagérées
La liberté de circulation des travailleurs suscite des inquiétudes,
exacerbées par le manque de confiance mutuelle et la
méconnaissance des bienfaits dont bénéficie l’économie
nationale. De ces imperfections et d’une certaine désinformation
des partis qui y puisent un fonds de commerce, naissent des
incompréhensions explosives.
Au Royaume-Uni, par exemple, la présence de travailleurs
d’Europe centrale est présentée comme une concurrence
déloyale alors même que le Premier ministre Tony Blair qui a
encouragé leur venue en refusant, pour son pays, le bénéfice de
phases de transitions, pourtant possibles. Ainsi « Bruxelles » est
rendu responsable d’un choix national.
Épouvantail commode pour les eurosceptiques, la mobilité des
travailleurs reste pourtant limitée. Moins de 3 % des Européens
vivent dans un autre État membre. Des sondages montrent que
les Européens, y compris originaires de nouveaux pays
adhérents, ne souhaitent pas profiter de la mobilité, ou
considèrent que les obstacles sont trop importants.
Même si les obstacles réglementaires ont été levés, d’autres
persistent comme la barrière de la langue ou des différences
culturelles. De même, la reconnaissance des diplômes n’est pas
achevée dans toute l’Europe, ce qui limite l’exercice de certaines
professions par des étrangers.

Le détachement des travailleurs, un


problème réel
Le détachement des travailleurs consiste, pour un employeur, à
envoyer provisoirement l’un de ses salariés travailler dans un
autre pays.
Pour éviter le dumping social, la directive encadrant le
détachement prévoit que le salaire du pays d’accueil
s’appliquera. En revanche, pour protéger les salariés et leur
garantir une continuité dans leurs cotisations sociales, les
charges salariales payées sont celles du pays d’origine.
On peut donc arriver à une situation où, à mérite égal, la
rémunération totale (salaire et cotisations sociales) diffère selon
le pays d’origine. « Plus chers » que les travailleurs de l’Est, les
salariés français doivent trouver des arguments plus qualitatifs
pour tenir la concurrence.
Le détachement des travailleurs est parfois utilisé de manière
déloyale, par des employeurs peu scrupuleux, et les fraudes au
détachement alimentent encore la suspicion. Mais même
lorsqu’il se produit dans les règles, il peut susciter des questions.
Vu l’hétérogénéité de l’UE, mieux vaudrait y mettre fin dans sa
forme actuelle. La libre circulation des travailleurs est l’une des
quatre libertés fondamentales de l’UE et l’un des grands
avantages dont jouissent les Européens.

La libre circulation des travailleurs

L’essentiel en 5 secondes

✓ La libre circulation des travailleurs est l’une des quatre libertés fondamentales
de l’UE et l’un des grands avantages dont jouissent les Européens.

✓ La libre circulation concerne finalement peu de monde.

✓ Les différences de niveaux entrainent des abus, invitant à la prudence.


25
Schengen
n 2015, l’espace Schengen a fêté ses trente ans.
E Le 14 juin 1985, cinq pays (France, Allemagne, Pays-Bas,
Belgique et Luxembourg) signaient dans la petite ville
luxembourgeoise de Schengen, un accord de suppression des
contrôles aux frontières, venant compléter la liberté de
circulation.
Dès 1957, le traité de Rome posait le principe de la libre
circulation des personnes, mais il a fallu près de quarante ans
pour que les Européens ne soient plus soumis à des contrôles
aux frontières, en 1995. Et encore, tous les États membres ne
souhaitant pas y adhérer, les accords de Schengen se sont faits
en dehors du cadre communautaire. Ils n’entreront dans le droit
de l’Union qu’en 1999.
Certains pays, comme le Royaume-Uni ou encore la Roumanie
ou la Bulgarie (quoi qu’on lise souvent), n’en font pas partie. En
revanche, des États non membres de l’UE comme la Suisse, la
Norvège ou l’Islande ont également rejoint l’espace Schengen.

Les frontières intérieures disparaissent


Concrètement, les accords de Schengen viennent rendre la
liberté de circulation plus fluide. Pour les frontaliers par
exemple, ce n’est pas une mince différence. Mais également
pour le transport de marchandises ou le tourisme et les voyages
d’affaires : pas de file d’attente aux aéroports, ou dans des postes
frontières terrestres.
Des moyens de contrôles subsistent néanmoins. Policiers,
douaniers et ministères des Affaires étrangères (qui délivrent les
visas) peuvent s’appuyer sur une banque de données
informatiques (le système d’information Schengen), leur
permettant de coordonner leurs recherches de délinquants en
cavale.
Malheureusement, comme les difficultés actuelles le montrent,
la disparition des frontières intérieures ne s’est pas accompagnée
d’une organisation véritablement européenne des frontières
externes qui était pourtant indispensable, dès l’origine.

Schengen en sursis ?
Certains hommes politiques demandent aujourd’hui une réforme
des accords, quand ce n’est pas leur suspension pure et simple,
pour mieux lutter contre les flux migratoires.
Les élargissements successifs et la crise sont passés par là :
l’« étranger » est souvent vu comme un concurrent sur le marché
de l’emploi. Même si ces pays ne font pas partie de l’espace
Schengen, l’élargissement à la Bulgarie et la Roumanie crée des
crispations.
Depuis les « printemps arabes » et la déstabilisation qui s’en est
suivie, par exemple dans un pays comme la Libye, les pressions
migratoires en provenance du Nord de l’Afrique se sont
considérablement intensifiées. La guerre en Syrie a également
conduit à l’exil de populations nombreuses. Entre 2014 et 2015,
le nombre de demandes d’asile a augmenté de plus de 70 %,
dépassant le million en 2015. Les pays en première ligne,
comme la Grèce ou l’Italie, se retrouvent assez désarmés pour
contenir l’arrivée des réfugiés. D’où l’idée de compléter
Schengen par un corps européen de gardes-frontières, qui aurait
plus de prérogatives que la modeste agence Frontex. La
responsabilité du contrôle des frontières extérieures est une
tâche d’intérêt commun ; il n’y a pas de raison qu’elle incombe
aux pays périphériques seulement.
Les textes prévoient des mesures exceptionnelles. Dans le
jargon, on les appelle les « clauses de sauvegardes ». Elles
consistent à rétablir les contrôles aux frontières en cas de
nécessité, comme en 2015 lorsque l’Allemagne, puis le
Danemark, la Suède et la Norvège ont voulu organiser l’accueil
des réfugiés, et la France la COP 21.
La gravité de la crise des réfugiés a poussé certains États à aller
plus loin. L’Autriche a érigé une barrière filtrante sur une partie
de sa frontière avec la Slovénie, pays membre de Schengen
devenu un point d’entrée de réfugiés. À la suite des attentats
du 13 novembre 2015, le rétablissement des contrôles en France
n’est plus justifié par la COP 21 mais par un État d’urgence
prolongé pour une durée indéterminée. En février 2016, la
Belgique a rétabli des contrôles sur une partie de sa frontière
avec la France, par crainte de voir arriver sur son territoire les
réfugiés bloqués à Calais et Grande-Synthe.
Le 26 janvier 2016 à Amsterdam, les ministres européens de
l’Intérieur ont demandé à la Commission européenne une
réactivation des contrôles aux frontières pour deux ans.

Un abandon coûteux
Les citoyens, et l’économie, auraient beaucoup à y perdre. Une
étude de France Stratégie, publiée en février 2016, évalue le coût
de l’abandon de l’espace Schengen à 100 milliards d’euros au
total, dont une dizaine pour la France. Le tourisme en serait
particulièrement affecté, mais aussi les travailleurs frontaliers et
le transport de marchandises. Selon les estimations de ce think
tank rattaché aux services du Premier ministre, le commerce
entre pays Schengen diminuerait de 10 à 20 %. Sans parler des
coûts durables liés aux contrôles systématiques.
Il n’est pas prouvé que le rétablissement des contrôles aux
frontières, désastreux pour la libre circulation, soit le moyen le
plus efficace d’accroître la sécurité. D’une part, les grands axes
sont plus contrôlés que les petites routes et les failles des
dispositifs sont béantes : l’installation, dans le sens Paris-
Bruxelles uniquement, de portiques de sécurité à l’entrée du seul
Thalys, en est un exemple flagrant. En outre, ces mesures ne
sont pas mises en balance avec des mesures plus radicales
comme la création d’un FBI européen, d’un parquet européen,
qui marquerait un changement d’échelle résolu notamment pour
le terrorisme et la lutte contre la criminalité organisée. Une
conception traditionnelle, peut-être dépassée, de la souveraineté,
aboutit à privilégier le prestige et le maintien des structures
nationales sur la sécurité.
La gestion de l’espace Schengen rencontre des défis plus
importants qu’à l’époque de la signature des accords, mais
abandonner les frontières ouvertes serait une régression, sans
garantie pour la sécurité.

Schengen

L’essentiel en 5 secondes

✓ Les accords de Schengen prévoient la suppression des contrôles douaniers.

✓ Un rétablissement exceptionnel des contrôles est possible en cas de nécessité.

✓ La fin de Schengen aurait de graves conséquences, notamment économiques.


26
L’Europe de la défense
de l’environnement
n donnant des compétences supplémentaires à l’Union
E européenne dans le domaine de l’énergie, le traité de
Lisbonne renoue avec la stratégie communautaire des débuts
(Communauté européenne du charbon et de l’acier, Euratom).
Les enjeux énergétiques et la lutte contre le changement
climatique sont des défis majeurs, qui relativisent les frontières
nationales et même celles des continents. Le savoir-faire de
l’Union européenne, où des règles contraignantes prises
collectivement, démocratiquement, s’appliquent à grande
échelle, peut être utile pour répondre à ces défis.
En adoptant une attitude volontariste, en se fixant des objectifs
ambitieux (qu’elle ne parvient pas toujours à atteindre), l’Europe
a contribué à la prise de conscience mondiale. Elle a ainsi joué
un rôle de « lanceur d’alerte » dont ni les États-Unis ni la Chine
ne se sont chargés.

Les trois 20
Sans vouloir entrer dans le détail de sa stratégie sur le climat,
l’Union européenne s’est fixé un triple objectif à
l’horizon 2020 :

• Une baisse de 20 % des émissions des gaz à effet de serre


(responsables du réchauffement climatique) par rapport au
niveau de 1990 ;
• Une proportion de 20 % d’énergies renouvelables dans la
consommation énergétique ;
• Une augmentation de 20 % de l’efficacité énergétique.

La pollution mise aux enchères


Pour y parvenir, l’UE a notamment mis en place un système
original d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre
(GES) : elle régule ses émissions de GES en attribuant une
quantité limitée d’émissions aux États membres. Ces derniers
peuvent s’échanger des quotas non utilisés à travers un système
d’enchères, dont les revenus servent à financer des
investissements verts. Une bonne idée sur le papier, mais qui n’a
pas encore totalement convaincu, et ne cesse d’être révisée.

Des économies à la clé


La politique énergétique européenne passe aussi par une
meilleure intégration et interconnexion des systèmes nationaux.
Ainsi, les déficits d’approvisionnement des uns (en 2006,
15 millions d’Européens ont été plongés dans le noir) pourraient
être mieux compensés par le surplus des autres. L’optimisation
de la production à l’échelle européenne devrait entraîner des
économies de 12,5 à 40 milliards d’euros par an à
l’horizon 2030, selon une étude commandée par la Commission.

Une question d’indépendance


Les objectifs environnementaux européens vont au-delà des
visées écologiques. Sur le plan géopolitique, une moindre
dépendance au gaz russe ou au pétrole des pays du Golfe est
aussi un gage de stabilité. Selon les chiffres de la Commission,
en 2030, l’Union devrait dépendre à 94 % de l’extérieur pour
s’approvisionner en pétrole, et à 80 % pour le gaz. D’où l’intérêt
de trouver des énergies alternatives.

L’Europe de l’environnement
Au-delà de la simple question énergétique, l’Union européenne
s’est engagée dans une stratégie de préservation de
l’environnement, pour une croissance plus verte.
Cette stratégie européenne n’est ni abstraite ni lointaine : elle se
traduit localement. Dans chaque région, le budget européen
contribue au financement de nombreux projets, sélectionnés
notamment sur des critères environnementaux. Cela permet
d’encourager des initiatives « vertes », comme des transports
moins gourmands, qui contribuent à une croissance plus
intelligente et durable. Depuis 2015, pour obtenir des
subventions, les agriculteurs doivent respecter un certain nombre
de mesures écologiques.

L’encadrement des produits chimiques


Si la croissance verte offre des perspectives de création
d’emplois, certaines industries voient d’un mauvais œil
l’encadrement des activités polluantes ou toxiques. Le Parlement
européen et la Commission se sont par exemple battus pour un
encadrement exigeant des produits chimiques, à travers la
directive REACH (« Registration, Evaluation and Autorisation
of Chemicals », en français, « Système d’enregistrement,
d’évaluation et d’autorisation des substances chimiques »).
La compétitivité de l’industrie chimique devait être mise en
balance avec les enjeux de santé publique. Au final, le texte
adopté devrait, selon une étude de la Commission, permettre des
bénéfices sur la santé estimés à 30 milliards d’euros sur trente
ans, et inciter l’innovation.

Préserver la biodiversité
Ce texte, adopté en 2006, n’est qu’un exemple. Une autre
bataille emblématique de l’Union européenne a consisté à
protéger les milieux naturels à travers le réseau Natura 2000. La
définition des zones protégées a été rude – certains y voyaient
une forme d’expropriation, d’autres protestaient vigoureusement
contre la réintroduction de l’ours ou du loup – mais a abouti à
une solution tenant compte à la fois du besoin de protection de la
faune et de la flore, et des intérêts économiques à long terme.
Aujourd’hui, Natura 2000 couvre 18 % du territoire de l’UE et a
été étendu à la mer.

La défense des abeilles


Plus récemment, le Parlement européen a alerté la Commission
européenne sur le sort des abeilles. Ces insectes sur lesquels
repose une grande partie de notre écosystème étaient menacés
par trois pesticides. Les lobbies de l’industrie chimique ont
perdu une bataille, une suspension de leur utilisation a été
décidée par la Commission, mais pas la guerre : en vigueur
depuis décembre 2013, l’interdiction expirera à la fin de
l’année 2016.
En matière de sécurité alimentaire, de déchets, ou encore de lutte
contre les pesticides, les standards européens sont
significativement plus élevés qu’ailleurs dans le monde. Cette
avancée peut être portée au crédit de l’UE.
L’Europe de la défense de l’environnement

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le réchauffement climatique doit être traité au niveau pertinent, qui est


planétaire, d’où l’importance de la COP21.

✓ La question énergétique a une dimension géopolitique.

✓ L’UE a été en avance sur ces sujets avec le protocole de Kyoto.


27
La protection
des données
vec l’essor des réseaux sociaux et du commerce en ligne, une
A part croissante de données privées circulent sur Internet.
L’espionnage à grande échelle de la NSA (Agence nationale de
sécurité américaine) révélé par Edward Snowden, a montré que,
sous couvert de lutte contre la criminalité et le terrorisme, les
libertés fondamentales sont parfois bafouées.
Dès 1995, soit deux ans avant la création de Google, une
directive européenne a posé les fondements de la protection des
données à caractère personnel. Ce texte, en vigueur à partir
de 1998, apporte aux citoyens européens des garanties en
matière de droit d’accès aux données par des tiers, de
consentement dans la délivrance de celles-ci, ou encore de
sécurité des traitements. Un réseau européen d’autorités
nationales indépendantes de protection des données (comme la
Commission nationale de l’informatique et des libertés, en
France), le G29, est mis en place. Un Contrôleur européen de la
protection des données (CEPD) est également créé en 2004.

La Cour de justice du côté des citoyens


C’est la Cour de justice de l’Union européenne, chargée
notamment de faire respecter la Charte européenne des droits
fondamentaux, qui est devenue un acteur clef de la protection
des citoyens en la matière. Se fondant notamment sur l’article 7
de la Charte (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée
et familiale, de son domicile et de ses communications »), elle a
notamment annulé un accord passé par la Commission
européenne avec les États-Unis, reconnaissant, dans ce pays,
« un niveau de protection adéquat aux données à caractère
personnel transférées » (arrêt dit Safe Harbor de 2015).
L’intervention de la Cour a été rendue possible par la plainte
d’un utilisateur autrichien de Facebook contre la filiale
européenne de cette société, installée en Irlande.
La Cour a notamment épinglé le fait que l’accord avec les États-
Unis ne prévoyait pas de voies de recours ; elle a aussi rappelé
que les autorités nationales de contrôle sont totalement
indépendantes lorsqu’elles examinent le respect des exigences
en matière de transfert de données. En d’autres termes, même si
un pays tiers est considéré comme « sûr » par la Commission
européenne, le contrôle n’est en rien empêché.
À la suite de l’annulation du « Safe Harbor », un nouvel accord,
le « Privacy Shield » (bouclier de protection), a été publié.
Celui-ci doit encore, à l’heure d’écrire ces lignes, être validé par
les autorités nationales de contrôle réunies dans le G29.
En tout état de cause, à l’avenir, la Cour pourra éventuellement
être amenée à se prononcer sur sa validité.

L’UE, une échelle pertinente


Les enjeux économiques, considérables, liés aux activités
numériques, comme l’ampleur des flux, rendent difficile la
protection de la vie privée. Facebook, par exemple,
compte 1 milliard d’utilisateurs qui mettent spontanément sur la
Toile un nombre impressionnant de données et d’images.
Dans cette bataille planétaire, l’échelle européenne est plus
pertinente que celle des États nations pris isolément. Souvent
originaires de la Silicon Valley, les réseaux sociaux planétaires
bénéficient en effet de la puissance américaine, même si le refus
récent de la firme Apple de donner accès à des données cryptées
au FBI démontre qu’aux États-Unis aussi, un débat existe.
Le rejet par le Parlement européen, en février 2010, de la
première version de l’accord SWIFT, relatif à l’échange de
données bancaires dans le cadre de la lutte antiterroriste, montre
l’utilité de l’action au niveau européen.
C’est pourquoi il est heureux qu’un nouveau paquet « protection
des données », proposé par la Commission européenne, vienne
bientôt compléter le cadre législatif actuel. Après adoption par le
Parlement et les ministres selon la procédure législative
ordinaire, et sous le contrôle de la Cour, il devrait assurer aux
citoyens un certain nombre de garanties supplémentaires,
comme le droit à l’oubli numérique.

La protection des données

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’article 7 de la Charte européenne des droits fondamentaux dispose que


chacun « a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de
ses communications ».

✓ La Cour de justice de l’Union européenne assure cette protection, lorsqu’elle


n’est pas garantie par les autres institutions.
28
La recherche
européenne
our rester compétitif par rapport aux autres pays du monde,
P pour améliorer la qualité de vie des Européens et ouvrir de
nouvelles perspectives de croissance, il faut innover. C’est
pourquoi la recherche a toujours constitué un pilier de la
construction communautaire.
Les premiers efforts se sont concentrés dans le domaine de
l’énergie. En 1958, l’Europe lance Euratom, pour la coopération
dans le domaine du nucléaire civil. Pour faire face à la crise
pétrolière des années 1970, l’Europe met ensuite l’accent sur la
recherche d’énergies alternatives au pétrole.
Si l’énergie est toujours d’actualité, la politique européenne de
recherche se tourne aussi vers d’autres domaines, comme la
santé. L’Europe a ainsi financé un programme qui a abouti à un
meilleur diagnostic de la maladie d’Alzheimer.

Les chercheurs se rencontrent


L’Europe joue un rôle important dans la mise en relation des
centres de recherche. Plutôt que de rester « dans leurs coins »,
les chercheurs de tous les États membres peuvent se rencontrer,
afin de travailler ensemble sur des projets transnationaux.
Mais les chercheurs ne restent pas qu’entre Européens. L’Union
européenne s’est battue pour que s’implante sur son territoire,
près d’Aix-en-Provence, le réacteur ITER, où des chercheurs du
monde entier travailleront à une potentielle révolution dans
l’énergie nucléaire (la fusion).
Cet « espace européen de la recherche » n’est pas un bocal de
chercheurs dont les découvertes prendraient la poussière dans un
laboratoire. Pour que la recherche ait un impact concret dans
l’économie, la mise en réseau se fait aussi avec les entreprises.
Une politique qui « vaut le coût »
La Commission européenne se fixe un objectif de 3 % du PIB
européen investi dans la recherche à l’horizon 2020. Cette cible
était déjà visée pour 2013, sans succès. Sur la période 2014-
2020, ce sont 80 milliards d’euros qui seront à disposition des
chercheurs, sur la base de trois critères principaux :

• L’excellence scientifique (investir dans les projets les plus


prometteurs) ;
• La primauté industrielle (priorité à ce qui peut être utile à
l’économie) ;
• Les défis sociétaux (pour que les citoyens en bénéficient).

Le reste des financements doit venir des États membres, et des


entreprises. Des dépenses d’investissements à hauteur de 3 % du
PIB européen pourraient créer, d’ici 2025, près de 4 millions
d’emplois et augmenter le PIB de l’UE de 800 milliards
d’euros !

Le paradoxe européen
Alors que l’Europe investit des sommes considérables, et qu’elle
a, à sa disposition, des centres de recherche d’excellence, le
nombre de brevets déposés (le « droit d’auteur » des inventeurs),
est à la traîne par rapport aux États-Unis et à la Chine. En 2013,
en Chine, plus de 800 000 demandes de brevets ont été
formulées, contre près de 600 000 aux États-Unis, et moins
de 400 000 en Europe.
Pour remédier à ce retard dans la course de l’innovation, un
brevet unitaire européen sera opérationnel en 2016 dans 25 États
membres, et devrait encourager davantage l’innovation en
Europe.

La recherche européenne

L’essentiel en 5 secondes

✓ La recherche et l’innovation sont indispensables pour rester performants dans la


course mondiale.

✓ En 2016, le brevet européen sera enfin lancé.


29
La lutte contre
la pauvreté
n 1957, le traité de Rome précisait que la Communauté
E économique européenne avait vocation d’« améliorer le bien-
être de ses peuples ».
La lutte contre la pauvreté figure parmi les cinq grands objectifs
de l’Union européenne. On peut ainsi lire au troisième
paragraphe de l’article 3 du traité que l’Union « combat
l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et
la protection sociale ».
Cependant, cet objectif peine à se réaliser. En 2000, dans le
cadre de sa « stratégie de Lisbonne », l’Union avait affiché une
grande ambition : « donner un élan décisif à l’élimination de la
pauvreté d’ici à 2010 ». Cette année-là, le nombre de personnes
vivant sous le seuil de pauvreté atteint encore 80 millions, soit
l’équivalent de la population allemande. La crise économique a
considérablement aggravé la situation sociale, notamment en
Grèce, où certains n’hésitent pas à parler de crise humanitaire.
L’enjeu de la lutte contre la pauvreté est une question de
valeurs : la première puissance commerciale du monde peut-elle
accepter qu’une partie importante de sa population ait du mal à
« joindre les deux bouts » ? C’est aussi un enjeu économique.
Alors que la démographie décline et que la croissance est faible,
l’Union se prive de ressources humaines précieuses.
Mais lorsqu’il s’agit d’aider les plus démunis, les compétences
de l’Union sont limitées.

L’aide alimentaire, une compétence


européenne ?
En 1987, l’Union a décidé de mettre à disposition du
« programme de distribution de denrées alimentaires aux plus
démunis » (PEAD) les surplus de production de la Politique
agricole commune. Au fur et à mesure des réformes de la PAC,
les excédents ont diminué. Si bien que pour alimenter le PEAD,
il fallait désormais acheter les denrées. Certains États, comme
l’Allemagne et le Royaume-Uni, estimaient qu’une telle
politique d’aide alimentaire était plus pertinente au niveau
national, et non au niveau européen. La Cour de justice de
l’Union européenne leur a donné raison.
Pour maintenir son engagement dans la lutte contre la pauvreté,
la Commission européenne a proposé la création d’un nouveau
programme : le fonds européen d’aide aux plus démunis
(FEAD), que le Parlement européen a approuvé à une très large
majorité en 2014. Cette fois, l’objectif est d’apporter un appui
aux politiques nationales de lutte contre la pauvreté et
l’exclusion sociale.

Des outils à saisir


En 2010, dans le cadre de sa stratégie Europe 2020, qui vise à
sortir 20 millions de personnes de la pauvreté, la Commission a
mis en place une plateforme européenne contre la pauvreté et
l’exclusion sociale, et a proposé que 20 % du fonds social
européen soit consacré à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion
sociale. Avec ce fonds, l’Union vient participer au financement,
mais n’est pas seule à agir.
D’autres actions très concrètes sont possibles au niveau
européen. Par exemple, inciter les États à échanger leurs bonnes
pratiques pour plus d’efficacité dans la lutte contre la pauvreté,
et simplifier les règles d’accès aux fonds européens : les
procédures sont parfois si complexes que de l’argent disponible
n’est pas utilisé, alors qu’il pourrait apporter une aide précieuse.
Dans le cadre du « semestre européen », c’est-à-dire dans le
suivi des politiques budgétaires des États membres par la
Commission européenne, la prise en compte récente des
indicateurs sociaux, en plus des indicateurs strictement
économiques, est un pas dans la bonne direction.
Alexis Tsipras, qui souhaite « réorienter l’Europe », gagnerait à
prendre la tête d’une initiative européenne de lutte contre la
pauvreté ; celle-ci n’est pas le monopole de la Grèce.
Malheureusement, par sa stratégie de confrontation, le
gouvernement grec a longtemps semblé oublier les gens
modestes qui, par leurs impôts, financent ses plans de secours.

La lutte contre la pauvreté

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’amélioration des conditions de vie et d’emploi est un objectif de l’UE depuis


ses origines.

✓ La lutte contre la pauvreté dépend essentiellement des États et collectivités


locales.
30
Le numérique, nouvelle
frontière du marché unique
«O
n ne tombe pas amoureux du marché unique », disait
Jacques Delors. Et aujourd’hui encore moins qu’hier : le
marché européen évoque peu de choses aux jeunes générations
qui l’ont toujours connu, et qui n’y font plus vraiment attention.
Alors, dépassé l’objectif d’un marché unique ? Pas si sûr.
L’importance prise par Internet au cours de ces dernières années
offre une illustration frappante des chantiers à ouvrir pour offrir
aux Européens un marché unique. L’Europe a pris beaucoup de
retard pour le commerce électronique sans frontière. Si bien que
le numérique (le « World Wide Web »), secteur par définition
ouvert sur le monde, se retrouve bien engoncé en Europe dans
des frontières trop étroites.

Des frontières persistantes


Des incertitudes persistent lorsqu’il s’agit, pour un
consommateur, de commander un produit dans un autre pays, ou
pour une entreprise, d’être assurée du paiement d’un client
étranger, sans parler des coûts et tracasseries de livraison. La
confiance, indispensable, manque : alors que 60 % des
consommateurs se déclarent en confiance lors d’une commande
en ligne à un vendeur du même pays, ils ne sont plus que 38 %
lorsque l’entreprise est implantée à l’étranger. Certains vendeurs
bloquent la commande depuis l’étranger, de peur de ne pas être
payés, ou renvoient vers la filiale du pays du client.
Pour ce qui est de l’audiovisuel, la situation est aussi
fragmentée. Pour garantir les droits d’auteur, les marchés sont
encore nationaux. Par la technique du geo-blocking, il est
impossible pour un Français de profiter sur sa tablette de son
abonnement à un service de vidéo à la demande lorsqu’il est en
vacances à l’étranger. Aujourd’hui, moins de 4 % des contenus
de vidéo à la demande sont accessibles sans restriction
géographique. Une harmonisation des règles de droit d’auteur
est sur la table, avec deux exigences principales : permettre un
plus large accès des consommateurs à la production culturelle
européenne tout en garantissant protection et rémunération des
créateurs.

Séance de rattrapage
La coexistence de 28 législations différentes tranche avec la
situation américaine, où les start-up poussent comme des
champignons. Aucun des GAFA (Google, Amazon, Facebook,
Apple) n’est européen, alors que nous n’avons pas à rougir en
termes de centres de recherche et d’innovation.
Pour l’Europe, la création d’un marché unique du numérique
pourrait créer un grand nombre d’emplois et doper la croissance
du PIB de l’UE de manière significative. Selon certaines
estimations, les consommateurs européens pourraient épargner
11,7 milliards d’euros par an s’ils avaient accès à l’ensemble du
marché numérique européen.
Pour ces raisons, la Commission européenne présidée par Jean-
Claude Juncker, attachée à raviver la croissance et
l’investissement en Europe, a fait de ce marché unique du
numérique l’une de ses priorités.
Le numérique

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Europe a pris du retard dans la construction du marché unique numérique.

✓ L’abolition des barrières dans ce domaine peut stimuler la croissance et


l’emploi.

✓ Le marché unique du numérique fait naître des interrogations, notamment sur le


droit d’auteur et la protection des données personnelles.
31
L’harmonisation fiscale :
un chantier ouvert
ans un monde où les capitaux circulent librement, il est aisé
D pour les entreprises de faire remonter leurs bénéfices là où le
système fiscal est le plus intéressant pour elles. En jouant sur les
différents systèmes fiscaux des 28 États membres, certaines
entreprises multinationales ont pu, en toute légalité, réduire
considérablement leurs taux d’imposition.
Certains pays ont peu à peu développé des stratégies de grande
ampleur pour attirer des sociétés holdings avec une fiscalité
toujours plus attrayante, parfois conçue sur mesure (par des
« rescrits fiscaux » ou « rulings » de l’administration fiscale de
ce pays). À ce degré d’optimisation fiscale, ce qui est permis
n’est pas forcément moral.
À peine élu président de la Commission européenne, Jean-
Claude Juncker s’est trouvé dans une situation délicate suite aux
révélations (« Luxleaks ») relatives au système fiscal du
Luxembourg, pays dont il a été Premier ministre durant dix-huit
ans.
Ces pratiques ont pu se développer par manque de convergence
fiscale au sein de l’UE et par des conceptions différentes de
l’impôt. Pour certains pays, petits ou périphériques, et pour les
gouvernements les plus libéraux, une certaine concurrence
fiscale est en soi une bonne chose car, en faisant baisser les
impôts, elle attire ou retient du « business » en Europe. D’autres
pays, en revanche, soulèvent la question d’un dumping fiscal
déloyal.

Des ressources amoindries


La crise des dettes souveraines souligne aussi les conséquences
fâcheuses de l’absence de convergence. Les Européens ont fait
le choix de partager une même monnaie, sans se doter d’une
politique budgétaire commune, ni d’un régime fiscal unique.
Chaque État doit respecter les règles communes de bonne
gestion des finances publiques (pas plus de 60 % de dette et 3 %
de déficit) mais les ressources fiscales liées à l’activité des
grands groupes peuvent s’échapper vers des pays voisins.

Une concurrence fiscale exagérée


La loyauté de la concurrence en Europe est en jeu : dès lors
qu’une entreprise étrangère s’implante dans un État membre,
l’ensemble du marché unique s’ouvre à elle. On comprend alors
qu’elle cherchera le système fiscal le plus léger, puisque, de
toute façon, l’accès au marché sera le même où qu’elle
s’implante.
Pour attirer des entreprises sur leurs territoires, certains États ont
besoin de faire valoir leur attractivité fiscale. C’est le cas, par
exemple, d’un pays comme l’Irlande, « excentré » par rapport au
« cœur » de l’Europe, et d’une taille relativement modeste.
Si une certaine dose de concurrence fiscale est plutôt saine, il est
difficile de fermer les yeux sur des situations où de grandes
multinationales sont amenées à ne payer quasiment aucun impôt,
ce qui leur donne un avantage face à des PME concurrentes.

Le Parlement et la Commission
s’emparent du sujet
Un compromis constructif pourrait consister à bien distinguer
l’assiette des taux, en harmonisant la première, tout en
continuant à laisser aux États membres, une certaine latitude
dans la fixation des taux.
Le Parlement européen, dans le dossier « ACCIS » (Assiette
commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés), a tenté de
promouvoir cette approche.
Faire en sorte que, sur l’ensemble du territoire de l’Union, la
définition de ce qui est soumis à l’impôt et de ce qui ne l’est pas,
soit la même, serait une avancée à la fois significative et
pragmatique.
Significative car elle permettrait de rendre plus lisible les taux
d’impositions entre États, d’éviter que les entreprises ne
profitent abusivement des failles des systèmes fiscaux, et de
rétablir, dès lors une concurrence loyale entre États. Pragmatique
car elle n’empêcherait pas les États de jouer sur les taux,
permettant une concurrence fiscale bénéfique aux
consommateurs et aux contribuables.
À la suite du « Luxleaks », une commission spéciale a été créée
au Parlement européen pour enquêter et faire des propositions
contre l’évasion fiscale. La Commission européenne, se fondant
sur sa compétence en matière de concurrence, s’est attaquée au
sujet de l’évasion fiscale des grandes entreprises en déclarant
illégaux des traitements fiscaux avantageux mis en places par la
Belgique, les Pays-Bas ou encore le Luxembourg. Fin
janvier 2016, elle a présenté un ensemble de propositions
permettant d’encadrer la pratique des rescrits fiscaux. Enfin, la
Commission s’est engagée à mettre en place les
recommandations de l’OCDE (Organisation de coopération et de
développement économique) visant à lutter contre l’érosion de la
base fiscale.
L’UE a déjà réussi à faire converger certaines fiscalités : elle fixe
des taux minimums pour ce qui est de la TVA, des taxes sur le
tabac, l’alcool et le carburant. Beaucoup reste à faire mais il faut
impérativement progresser : c’est un enjeu majeur pour l’Union.
La confiance mutuelle et le financement des services publics,
comme l’éducation, en dépendent.

L’harmonisation fiscale

L’essentiel en 5 secondes

✓ Malgré la libre circulation des capitaux, les États ont toujours refusé de faire
converger leurs régimes fiscaux.

✓ L’exigence de l’unanimité laisse libre cours à l’optimisation fiscale déloyale.

✓ Le Parlement s’est saisi de la question et le sujet a été remis à l’ordre du jour


suite aux révélations dites « Luxleaks » (accords déloyaux passés par le
Luxembourg avec des multinationales).
32
La convergence
sociale inachevée
vec la fiscalité, la convergence sociale est la grande oubliée
A de l’Europe. Pendant longtemps, le progrès social était
considéré comme une fin, qui découlerait de la prospérité
économique. Le partage des rôles est clair : à l’Europe de mettre
en œuvre les conditions de la croissance, aux États d’assurer la
protection sociale. Comme pour la fiscalité, la répartition des
compétences entre UE et États, et la règle de l’unanimité,
empêchent des avancées vers la convergence sociale.

Une concurrence entre travailleurs


européens ressentie comme déloyale
Ce « trou noir » européen est regrettable. Avec la libre
circulation des travailleurs, les différences rendent la
concurrence déloyale entre, par exemple, ouvriers de l’Ouest et
ouvriers de l’Est. Le statut des travailleurs détachés, imparfait,
est une tentative pour y remédier : les travailleurs étrangers sont
rémunérés au salaire du pays d’accueil, mais les cotisations
sociales restent celles du pays d’origine. Si cela permet de
continuer à cotiser pour la retraite, par exemple, le coût du
travail n’est pas le même selon que le pays d’origine a un haut
niveau de protection sociale ou non. De plus, la directive ne
s’appliquant pas aux détachements inférieurs à huit jours,
certaines entreprises abusent du système.

Des modèles sociaux différents


Faut-il un salaire minimum européen ? Cette question revient
régulièrement dans le débat public français mais les traditions
sociales et l’idée que l’on se fait du rôle de l’État sont différentes
d’un pays à l’autre de l’Europe. Notre système social, hérité du
Conseil national de la résistance (1944), est très éloigné des
conceptions de nos voisins. Si convergence sociale il y a, les
négociations aboutiraient probablement à un résultat éloigné des
vues franco-françaises.
Les divergences sociales doivent aussi être relativisées : les
différences salariales s’expliquent aussi par un coût de la vie
inégal d’un pays à l’autre. Pour cette raison, un revenu minimum
uniforme n’a pas beaucoup de sens.

Des réponses européennes encore


timides
Ces réalités posées, il ne faut pas oublier quelques avancées
européennes que l’on doit en partie à Jacques Delors. « Objectif
de plein emploi et niveau élevé de protection sociale », « égalité
hommes/ femmes », ou encore lutte contre les discriminations
sont des objectifs de l’Union, mentionnés dans le traité. Les
droits sociaux sont consacrés dans la Charte des droits
fondamentaux. Mais en période de crise, alors que 9,7 %
d’Européens sont au chômage (chiffres de mars 2015), les
citoyens sont en droit de demander davantage.
C’est du côté du budget européen que l’on pourrait trouver des
solutions. Son montant est aujourd’hui modeste mais a permis
de créer, en 2006, un fonds européen d’ajustement destiné à
dédommager les « perdants » de la mondialisation. Par ailleurs,
à travers le fonds social européen, l’UE s’implique, au niveau
local, pour davantage de cohésion.
La convergence sociale inachevée

L’essentiel en 5 secondes

✓ Malgré les promesses d’ « Europe sociale », les gouvernements nationaux


refusent de créer les conditions de la convergence des régimes sociaux.

✓ Il faut éviter de penser que le modèle social français est exportable tel quel – les
difficultés de financement ne sont pas attractives.

✓ Des fonds sont alloués à la cohésion, mais la compétence sociale reste


nationale.
33
Une Europe judiciaire
embryonnaire
e domaine de la coopération judiciaire et policière est l’une
L des illustrations les plus criantes de l’illusion souverainiste.
À force de refuser une collaboration plus poussée avec leurs
voisins, c’est la sécurité collective qui risque de souffrir.
Dans un espace de libre circulation, où la criminalité ne connaît
pas de frontières, justice et sécurité gagneraient beaucoup à être
organisées sans entraves frontalières. Des agences européennes
existent. L’OLAF est chargée de la répression des fraudes au
budget européen, Eurojust de la coopération judiciaire et
Europol de la coopération policière. Des progrès pourraient être
réalisés rapidement en leur donnant le pouvoir de mener des
enquêtes pénales et d’engager des poursuites transfrontières.
Certaines réalisations, comme le mandat d’arrêt européen, ou
futures réalisations, comme le Parquet européen, vont dans le
bon sens. On peut regretter qu’elles n’aillent pas toujours assez
loin. Le Parquet européen tel qu’imaginé par la Commission ne
concerne que les atteintes aux intérêts financiers de l’Union.
C’est une réponse à la fraude au budget européen, mais pourquoi
avoir ignoré des sujets graves comme le terrorisme ?
La sensibilité de ces affaires et la diversité des traditions
juridiques peuvent expliquer la frilosité des États membres.
Heureusement, toute avancée significative n’est pas impossible.
Depuis 2009, le traité de Lisbonne ouvre la possibilité de
coopérations renforcées : un minimum de neuf États membres
pourrait décider d’aller plus loin.
Une justice organisée, en partie, au niveau européen n’aurait pas
seulement l’avantage de l’efficacité : l’Union repose sur le droit
et le Parlement est particulièrement attaché au respect des
libertés fondamentales.
Suite aux attentats de Charlie Hebdo, le dossier PNR
(« Passenger name records », c’est-à-dire un système européen
d’échange d’informations sur les passagers aériens), jusque-là
bloqué, a été rouvert. Un tel fichier, qui serait utile dans la lutte
contre le terrorisme, suscite des inquiétudes pour les libertés
individuelles : le recours à la collecte de données personnelles
doit se faire avec précaution, d’où le besoin de contrôles
judiciaires à l’échelle européenne. La Cour de justice, en
annulant la convention « Safe Harbor », a récemment montré
son attachement au contrôle de la récolte des données
personnelles sur les réseaux sociaux.

Une Europe judiciaire embryonnaire

L’essentiel en 5 secondes

✓ La coopération judiciaire n’est pas à la hauteur des enjeux.

✓ Face à des criminels aux activités sans frontières, le souverainisme est


inadapté, l’Europe insuffisamment dotée.
34
Diplomatie et défense
européenne ?
epuis 1993, l’Union a mis en place, sur le papier, une
D « politique extérieure et de sécurité commune » (PESC) dont
les objectifs sont ambitieux : préserver la paix, renforcer la
sécurité, promouvoir la coopération internationale, développer et
consolider la démocratie, l’État de droit et le respect des droits
de l’homme et des libertés fondamentales.
L’ambition est louable, encore faudrait-il se donner les moyens
de la réaliser, pour ne pas décevoir les citoyens. Malgré
l’euroscepticisme ambiant, ceux-ci restent favorables à une
véritable diplomatie européenne (dans un eurobaromètre de
novembre 2014, 66 % des Européens se disaient favorables à
une politique étrangère commune) et à une défense européenne
(73 % de l’opinion y est favorable, selon un eurobaromètre de
septembre 2013).

Une montée en puissance très


progressive
Contrairement à son nom, la PESC de 1993 n’a rien d’une
politique « commune » à tous les Européens. Il s’agit, tout au
plus, d’une coordination rudimentaire entre États composant
l’Union, vulnérable au moindre véto. La montagne a hélas
accouché d’une souris.
Une avancée timide est réalisée en 1997, à l’occasion du traité
d’Amsterdam. L’« abstention constructive » et le vote à la
majorité qualifiée viennent remplacer l’unanimité dans la prise
de décision. Un « super-diplomate » européen est créé : le
secrétaire général du Conseil, haut représentant pour la politique
étrangère et de sécurité commune. Hélas, l’habit ne fait pas le
moine et l’ambiguïté de sa position nuit à son travail. C’est
finalement le Conseil, et sa présidence tournante, qui garde la
main sur la représentation extérieure européenne. À l’ONU, les
Européens peinent à faire front commun. On est loin du puissant
secrétaire d’État américain…
Le traité de Lisbonne fait monter en grade le « super-
diplomate ». Dorénavant « haut représentant de l’Union pour les
affaires étrangères et la politique de sécurité commune », il
préside le Conseil des ministres des Affaires étrangères et assure
le rôle de vice-président de la Commission européenne, en
charge des relations extérieures. Il est épaulé par un service
diplomatique, le Service européen pour l’action extérieure
(SEAE).

Les États jouent toujours un rôle


prépondérant
Le poids encore important des chancelleries nationales et les
traditions diplomatiques des États court-circuitent quelque peu
l’action du haut représentant et du SEAE, qui doivent encore
faire leur preuve. Si la première haute représentante, Catherine
Ashton, a été très active notamment sur le dossier iranien (sans
son travail en amont, l’accord signé le 14 juillet 2015 n’aurait
peut-être pas été possible), les limites de son influence se sont
vues en Syrie comme en Ukraine.
Son successeur, Federica Mogherini, multiplie les visites et
occupe la scène médiatique. Elle prend au sérieux son rôle de
vice-présidente de la Commission, en étroite collaboration avec
les États et le Parlement européen, mais se heurte aux mêmes
obstacles érigés par les diplomaties des grands et les hésitations
des petits. Si elle s’est félicitée de la rapidité avec laquelle
les 28 se sont mis d’accord pour traquer les passeurs en
Méditerranée, dans la crise ukrainienne, ce sont les dirigeants
français et allemands qui ont mené les négociations, ne laissant à
la haute représentante qu’un rôle d’appui.
Malgré les différentes traditions diplomatiques et des histoires
souvent rivales, l’Europe aurait tout à gagner à unir ses forces.
La situation budgétaire des États devrait les inciter à mutualiser
leurs moyens diplomatiques et militaires. Sur la scène
internationale, l’Europe ne pèse que si les États qui la composent
adoptent une position commune.

Une défense commune ?


Dès le début de la construction communautaire, les Européens
songent à organiser ensemble leur défense. Si la France a fait le
premier pas en proposant la création d’une armée européenne,
elle lui donnera un coup fatal. L’échec de la Communauté
européenne de la défense laissera la voie libre à l’OTAN
(Organisation du traité de l’Atlantique Nord), c’est-à-dire à une
défense coordonnée avec les Américains.
Le corps européen (Eurocorps), lancé par le président François
Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl en 1992, qui
rassemble les forces de cinq pays (France, Allemagne, Belgique,
Espagne et Italie) et quatre membres associés (Grèce, Pologne,
Turquie et Italie), travaille en lien avec l’OTAN. Il a pu mener
des opérations en Bosnie-Herzégovine (1999), à Sarajevo
(en 2000) ou encore en Afghanistan (2004-2005 et 2012-2013),
mais joue surtout un rôle d’appui et ne rassemble pas tous les
États européens.
L’appartenance à l’OTAN n’est pas un problème en soi. Les
Européens sont protégés par les Américains, et bénéficient d’une
certaine autonomie : en 2003, même si les pressions sont fortes
pour intervenir en Irak, Français et Allemands ne s’alignent pas
sur les États-Unis.
L’Europe pourra-t-elle toujours compter
sur les États-Unis ?
Mais les circonstances ont changé. Le monde évolue rapidement
et les États-Unis se tournent davantage vers l’Asie, au détriment
des Européens. Suite aux printemps arabes, alors que la France
comptait intervenir en Syrie, pour venir en aide aux opposants
au régime de Bachar el-Assad, les États-Unis se sont fait
remarquer par leur absence, traumatisés par les expériences
afghane et irakienne. Cependant, au Mali, les Américains
fournissent un appui logistique précieux, et les préoccupations
de l’OTAN se tournent davantage vers l’Ukraine, face à la
Russie.

Des Européens divisés


La situation actuelle est marquée par une absence de solidarité
entre pays européens. Quelques pays du Sud se retrouvent en
première ligne pour gérer l’arrivée des migrants en
Méditerranée. Des États comme le Royaume-Uni et la France
assument la plus grande part de l’effort militaire. Le président de
la Commission Jean-Claude Juncker s’en est ému, et s’est
déclaré en faveur de la création d’une armée européenne
le 8 mars 2015.
L’initiative est louable mais a fait l’objet de critiques, et des
doutes ont été émis sur la faisabilité d’un tel projet. Les pays
européens n’ont pas tous la même conception des relations
internationales. Certains se méfient des conflits armés et
préfèrent la neutralité et le « soft power » (pouvoir civil), c’est le
cas notamment des pays du Nord, et de l’Allemagne pour des
raisons historiques ; d’autres ont une forte tradition diplomatique
et se sentent davantage investis d’une mission internationale (la
France et le Royaume-Uni).
La géographie joue sur les priorités : les pays du Sud se sentent
davantage concernés par la Méditerranée, alors que les pays de
l’ex-URSS regardent surtout vers l’Est et la menace russe. Enfin,
les États membres ne partagent pas la même conception du rôle
de l’Union européenne. Certains souhaitent que l’Europe joue un
rôle mondial, quand d’autres, attachés à leur neutralité, sont plus
réticents.

Une défense européenne encore


dispersée
Ces divergences d’approches expliquent les échecs de la
coordination. Des organes ont été créés, comme le comité
militaire ou l’état-major de l’Union européenne, mais ils
n’agissent encore qu’à la marge, et la coopération reste aléatoire.
La défense européenne semble donc au point mort. Les États
mettent en avant leurs différences, alors que les menaces
concernent l’ensemble de l’Union.
En 2003, dans sa stratégie européenne de sécurité, l’Union
européenne marquait pourtant son accord sur l’essentiel, en
réclamant une action européenne concertée contre les principales
menaces auxquelles le continent est confronté : le terrorisme, la
prolifération des armes de destruction massive, les conflits
régionaux (notamment au Moyen-Orient), la déliquescence des
États (Afghanistan) et le crime organisé (trafic d’armes, de
drogues, d’êtres humains) parfois en lien avec le terrorisme.
L’Europe relèverait les défis plus facilement en étant unie. La
vocation première de l’Europe est d’ailleurs le maintien de la
paix.
On peut mettre au crédit de Jean-Claude Juncker de remettre cet
enjeu sur la table, en désignant notamment l’ancien ministre et
ancien commissaire européen Michel Barnier, en tant que
conseiller spécial pour la politique de défense et de sécurité
européenne. À cette occasion, le président de la Commission a
déclaré : « Certes, l’Europe est une “puissance douce”, mais
même la plus forte des puissances douces ne peut se passer à
long terme d’un minimum de capacités intégrées en matière de
défense et de sécurité. »

Diplomatie et défense européenne ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ Malgré le soutien de l’opinion publique, la diplomatie et la défense européenne


restent à l’état embryonnaire.

✓ La haute représentante européenne agit sur quelques dossiers (l’Iran par


exemple) mais les chancelleries nationales lui mettent des bâtons dans les
roues.

✓ La fragmentation de l’Europe sur la scène internationale nuit à son efficacité.


Questions ouvertes
’Europe est un processus. Parce qu’elle repose sur les
L tensions et les synergies entre 28 États et plus de 500 millions
d’individus, elle ne trouvera jamais un équilibre définitif. Parce
qu’elle appelle un débat démocratique, elle sera ce que nous en
ferons ; elle sera la somme de choix, eux-mêmes instables et
soumis à révision, le cas échéant.
Le partage des compétences peut évoluer, comme son champ
géographique.
Elle requiert un état d’esprit, des compétences linguistiques, des
expériences que les gouvernants procurent trop rarement aux
Européens concernés. On leur demande de croire à une
« communauté de destin », sans leur donner à en voir les
contours, ni les avantages.
Ce qui est sûr, c’est que le jugement sur l’Europe, son efficacité,
son attrait, devrait être fait en prenant du recul, en comparant
avec le reste du monde, en intégrant l’apparition de nouvelles
puissances et de nouveaux défis.
Le salut de l’Europe, c’est qu’elle se tourne vers les autres et
apporte au monde sa part d’humanité.
35
Va-t-on vers l’Europe
à plusieurs vitesses ?
’Europe à plusieurs vitesses consiste à permettre aux États
L membres qui le souhaitent de pousser leur intégration sans
obliger les États réticents à les suivre immédiatement. Cette idée
ancienne a par exemple été reprise dans une tribune, publiée par
le ministre de l’Économie Emmanuel Macron et son homologue
allemand Sigmar Gabriel, en juin 2015.
Les avancées à géométrie variable ne sont pas toujours faciles à
mettre en œuvre mais il n’y a pas de raison non plus de
dramatiser.

Une réalité ancienne


D’abord, la possibilité d’une différenciation existe depuis
longtemps : tous les pays membres des Communautés
européennes ne participaient pas au premier système monétaire
européen. En 1992, le traité de Maastricht posait des conditions
à l’entrée dans l’Union économique et monétaire. Certains pays
ont d’abord dû faire des réformes avant de rejoindre la zone
euro. D’autres, comme le Royaume-Uni et le Danemark ont
négocié des dérogations permanentes.
L’espace Schengen, qui ne compte aujourd’hui que 22 membres
de l’UE, s’est construit à l’origine indépendamment de la
construction communautaire. Plus récemment, le traité de
Lisbonne a facilité le recours à des « coopérations renforcées » :
quand la majorité n’est pas réunie pour avancer à 28, comme
c’était le cas pour le brevet européen, un groupe d’au minimum
neuf pays peut décider de continuer sa route, sans fermer la
porte à ceux qui voudraient les rejoindre plus tard.
Une intégration plus poussée nécessaire
au partage de l’euro
L’existence d’une zone euro à 19, au sein d’une union à 28, est
un cas d’école. Les États qui partagent une même monnaie
peuvent-ils rester au même stade que ceux qui ont conservé leurs
propres devises ? La crise des dettes souveraines a cruellement
montré les insuffisances du système de Maastricht. Ce traité était
déséquilibré : la politique monétaire fédérale n’était pas
accompagnée d’un même degré d’intégration budgétaire.
Lorsque certains États de la zone euro se sont retrouvés en
difficulté dans le remboursement de leurs dettes, c’est
l’ensemble qui a titubé. Les plans de rigueur auraient peut-être
été mieux acceptés si au lieu d’être vu comme l’interférence
extérieure d’une « troïka » bureaucratique ou des créditeurs, ils
avaient pu être mis en œuvre par un gouvernement de la zone
euro, contrôlé par un Parlement de la même zone.
Finalement, dans l’organisation de l’Europe, la raison devrait
conduire à éviter deux excès. Le premier est celui de se laisser
bloquer par les plus lents ou les moins lucides. Le second serait
de créer des fossés infranchissables, où les États composant un
« club VIP » exclusif, refuseraient que d’autres ne les rejoignent.
Toutefois, comme on le voit en ce moment avec le Royaume-
Uni, ceux qui obtiennent des dérogations pour ne pas être au
cœur de l’avant-garde devraient assumer toutes les conséquences
de leur choix souverain : ils ne font pas l’objet d’une
discrimination.
Va-t-on vers l’Europe à plusieurs vitesses ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Europe à plusieurs vitesses existe déjà, entre la zone euro et les autres, entre
l’espace Schengen et ceux qui n’en sont pas.

✓ L’euro appelle une plus grande intégration.

✓ L’enjeu est de ne pas se couper des pays les plus réticents.


36
Le Royaume-Uni,
dedans ou dehors ?
n janvier 2013, le Premier ministre britannique David
E Cameron a annoncé son intention d’entamer une négociation
ayant pour but de réformer l’Union européenne et, une fois la
place de son pays redéfinie, d’organiser un référendum sur
l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE. La victoire du parti
conservateur aux élections de mai 2015 a ouvert la voie à cette
consultation, programmée le 23 juin 2016. Lors du Conseil
européen des 18 et 19 février 2016, les 28 chefs d’État ou de
gouvernement sont parvenus à un « nouvel arrangement » pour
le Royaume-Uni. Sur cette base, David Cameron fera campagne
pour le maintien de son pays dans l’UE.
Dans la bataille pour convaincre une opinion publique
britannique réputée eurosceptique, le Premier ministre ne pourra
pas prétendre avoir l’appui de l’ensemble de sa majorité et
même des membres de son gouvernement : il leur a laissé la
liberté de faire campagne pour le « oui » ou pour le « non ».
Ainsi, son ministre de la Justice, Michael Gove, ou encore le
maire de Londres, Boris Johnson, sont dans le camp adverse.

Royaume-Uni / Union européenne : des


relations mouvementées
Depuis l’entrée des Britanniques dans la Communauté
économique européenne, dans les années 1970, un formidable
malentendu, qui est à la source du malaise, s’est perpétué : la
dimension politique du projet européen a été alors escamotée
aux électeurs britanniques. Depuis, ils réclament que l’UE reste
le simple marché qu’elle n’a jamais entendu être. Un marché
régulé réclame d’ailleurs des législations et des institutions pour
les faire appliquer.
Une fois membre de l’Union, le Royaume-Uni a souvent
travaillé à freiner une intégration politique dont il ne voulait pas.
Si Margaret Thatcher avait de bons arguments pour justifier un
rabais de la contribution de son pays, alors pauvre et peu
bénéficiaire des aides agricoles, Londres a nui à l’émergence
d’un budget européen à la hauteur des ambitions affichées pour
l’UE. Le Royaume-Uni est par ailleurs resté en marge de la
monnaie unique et des accords de Schengen. Il a obtenu qu’une
partie de la Charte des droits fondamentaux ne lui soit pas
applicable.
Pour ces raisons, certains responsables politiques, notamment en
France, en viennent à souhaiter son départ : le référendum serait
un moyen de bouter la « perfide Albion », trop libérale et
atlantiste, hors de l’UE. Le refus du général de Gaulle de laisser
entrer « l’Angleterre », en 1963, a laissé des traces durables dans
les esprits.

Une sortie risquée


Pourtant, les pays européens ont intérêt au maintien du
Royaume-Uni dans l’UE. Ce pays attaché à l’économie de
marché et compétitif, où se trouve la première place financière
du monde, contribue au dynamisme de l’UE. Sur le plan
géopolitique, sa tradition diplomatique et ses moyens militaires
en font un État de premier plan. Sans les Britanniques, l’UE
n’aurait à l’évidence plus le même poids dans le monde. La
sortie d’un pays aussi important sonnerait comme un échec pour
l’intégration européenne, et pourrait ouvrir la voie à une
dislocation au gré des alternances politiques.
Au Royaume-Uni, les conséquences seraient graves aussi. Pour
exporter sur le continent, le Royaume-Uni devrait respecter des
règles qu’il ne contribuerait plus à définir. Il perdrait le bénéfice
d’accords commerciaux mondiaux plus favorables que ceux
qu’il peut espérer conclure seul avec des pays tiers. Son
économie en pâtirait. Pour cette raison, les milieux économiques
et la City de Londres se mobilisent déjà pour un maintien dans
l’UE. L’Écosse souhaitant ardemment demeurer dans l’Union
européenne, comme l’Irlande du Nord, à terme, une double
dislocation, de l’UE et du RU, ne serait pas à exclure.
À l’heure d’écrire ces lignes (mars 2016), le résultat du
référendum s’annonce très incertain.
Du dynamisme du camp pro-européen (Écosse, milieux
économiques, jeunes) et des prises de position de partenaires
clés aux yeux des Britanniques (les États-Unis, le Canada
notamment) dépendra largement l’issue du scrutin. Mais comme
on l’a vu en France en 2005, les électeurs ne se prononcent pas
toujours sur la question posée. La crise migratoire pourrait jouer
un rôle d’épouvantail.

Le référendum, une occasion manquée


pour l’Europe ?
On peut regretter que la réponse apportée par les gouvernements
européens aux demandes britanniques n’ait pas été plus
constructive. L’occasion aurait pu être saisie de remédier à
certaines imperfections de l’Union et de remettre l’Europe sur la
voie d’un succès économique qui, aux yeux des Britanniques,
aurait plus compté que les arrangements juridiques incertains
auxquels les 28 sont arrivés. David Cameron avait raison de
souligner, dès 2013, que l’Europe manque de compétitivité, que
sa croissance est faible et qu’elle risque de se laisser distancer
dans la course mondiale. Il n’avait pas tort de poser la question
des différences de niveaux de vie dans l’UE élargie, hétérogène.
Ramenés à un accord pour le RU, les marchandages ressemblent
plus à un chantage à la sortie de la part du Royaume-Uni qu’à un
exercice conjoint, équilibré, de remise à plat de l’UE.
L’arrangement conclu, en dehors du cadre juridique de l’UE, est
confus. Les conférences de presse des chefs d’État ou de
gouvernement, tenues à l’issue du Conseil européen, ont
immédiatement fait apparaître des divergences manifestes
d’interprétation sur le contenu et la portée de l’accord qui venait
d’être conclu. Il en est ainsi des services financiers par exemple.
Si, pour François Hollande, les mêmes règles continueront à
l’avenir à s’appliquer dans tout le marché intérieur, les autorités
de Londres prétendent plutôt le contraire.
Des questions restent ouvertes sur la portée réelle d’un accord
contenant à la fois de simples rappels, des vœux pieux
concernant un futur changement de traité européen et des
changements législatifs qui supposent l’accord in fine du
Parlement européen. Fragile sur la forme, l’accord est aussi
contestable sur le fond. En considérant les migrants comme des
poids économiques, ce qui est souvent démenti par les chiffres,
les chefs d’État ou de gouvernement mettent à mal le principe de
non-discrimination. La compétitivité, qui est pourtant une vraie
préoccupation, n’est pas suffisamment abordée.
L’équité n’est pas non plus respectée. Cet accord ne prévoit pas
de mettre les droits du Royaume-Uni au niveau de ses devoirs. Il
consacre par exemple, pour la première fois, le fait que le
Royaume-Uni n’aura durablement pas l’euro pour monnaie.
Mais il consacre une place à part entière, pour le Royaume-Uni
dans les institutions, y compris quand elles ont à connaître des
sujets relevant uniquement de l’euro.
On imagine pourtant mal les Britanniques accepter que des
députés européens français ou allemands aient un droit de regard
sur la politique monétaire de la Bank of England.
Enfin, et c’est sans doute le plus grave, cet accord est très
décevant sur le plan démocratique. Seuls les Britanniques sont
appelés à se prononcer sur un texte qui est censé encadrer la
relation future de ce pays et de 27 autres, dans l’UE. Les
Parlements nationaux des autres États membres ne semblent
même pas devoir être impliqués dans la procédure de ratification
d’un arrangement dont on dit qu’il est « irréversible et
juridiquement contraignant ».
Le bon sens commandait de prendre acte de la volonté des
Britanniques d’avoir un statut à part, en mettant en place, par
une révision des traités, un cercle de pays, autour de la zone
euro, décidés à mener des politiques davantage intégrées, et de
l’autre, un cercle plus large et moins contraignant, jouissant
d’obligations mais aussi de droits réduits. À terme, ce cercle
pourrait accueillir les candidats à l’adhésion que l’UE aurait du
mal à intégrer, comme la Turquie ou l’Ukraine ou encore
certains États des Balkans. Il pourrait également être le
réceptacle d’États désireux de sortir de l’UE telle qu’elle existe.
L’Europe « à deux vitesses » existait déjà avant les demandes
britanniques puisque l’euro ou Schengen ne concernaient pas
tous les États membres. En revanche, répondre effectivement
aux demandes britanniques exigeait d’aller plus loin, en prenant
acte de la décision définitive, par exemple, de ne pas rejoindre
l’euro.
Seul un véritable changement de traité, clair, ratifié par tous et
équitable pour chacun, le permettra.
Que les Britanniques votent oui ou non, il faudra de toute façon,
d’ici peu, prendre les mesures qui s’imposent notamment à la
zone euro, dont nos dirigeants ont feint, encore une fois, de ne
pas voir l’impérieuse nécessité.

Le Royaume-Uni, dedans ou dehors ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’UE et le Royaume-Uni ont toujours entretenu des rapports mouvementés.

✓ À de multiples égards, une sortie du Royaume-Uni serait préjudiciable au projet


européen mais surtout au Royaume-Uni lui-même.

✓ Le gouvernement britannique organise un référendum d’ici à 2017.


37
Peut-on sortir
de l’euro ?
vec la crise économique, certains prônent la sortie de l’euro
A au motif qu’elle permettrait la dévaluation de la monnaie
nationale. En juillet 2015, l’hypothèse, non prévue par les
traités, a été envisagée pour la Grèce. Finalement, le Conseil
européen a préféré l’intégrité et sous réserve que le programme
soit mis en œuvre, la sortie de la Grèce devrait être évitée.
Ceux que cette option tente oublient visiblement les raisons pour
lesquelles l’euro a été adopté et qui malgré tout, restent valables.

Des avantages internes


La monnaie unique a permis de supprimer les risques de change
pour les échanges à l’intérieur de la zone euro. Ainsi, les
entreprises n’ont plus à craindre de devoir payer plus cher leurs
fournisseurs ou leurs matières premières suite à un changement
de parités entre les monnaies. Pour la France, dont les
principaux partenaires commerciaux sont des États de la zone
euro (Allemagne, Belgique, Italie notamment), c’est un acquis
précieux. Le commerce numérique transfrontalier, comme le
tourisme et les déplacements professionnels en sont également
facilités.

Des avantages externes


L’argument souvent répété selon lequel l’euro serait « trop fort »
pour les exportations hors d’Europe, n’a plus cours : la monnaie
unique a perdu une partie de sa valeur avec la politique
accommodante de la BCE.
L’euro est devenu une monnaie de référence qui permet de peser
sur la scène internationale. Dans les négociations cruciales des
banquiers centraux, la BCE est entendue et respectée. La
crédibilité de la monnaie unique participe beaucoup à
l’attractivité de l’UE pour les investisseurs étrangers. Sur le plan
diplomatique, les États de la zone euro peuvent se permettre des
positions courageuses, comme la France refusant d’intervenir en
Irak en 2003, en étant moins vulnérables à des mesures de
rétorsion sur leur devise.
Sortir de l’euro reviendrait donc à se priver de tous ces
avantages internes et externes.

La sortie de l’euro serait un saut vers


l’inconnu
Il n’est pas inutile de rappeler qu’en droit, la sortie de la zone
euro n’a jamais été prévue par les traités. L’Union économique
et monétaire était conçue comme irrévocable, pour une raison
simple : sa crédibilité. La confiance des particuliers, des acteurs
économiques ou encore des investisseurs étrangers justifie des
engagements clairs et définitifs. Seule la sortie de l’Union
européenne est juridiquement prévue (article 50 du traité sur
l’Union européenne).
Si un État décidait de sortir de la zone euro, ou y était contraint,
le scénario comporterait une part d’inconnu. La Banque centrale
européenne s’est substituée aux banques nationales. Les
consommateurs sont habitués à trouver des billets dans les
distributeurs et à payer avec leur carte de crédit. Une sortie de
l’euro ne créerait-elle pas des mouvements de panique dans les
banques au point de justifier un contrôle des changes ?
Comment faire pour bâtir une monnaie crédible et imprimer de
nouveaux billets dans un climat d’incertitudes ? Comment éviter
l’hémorragie de capitaux ? Ces questions sont souvent occultées,
ou prises à la légère, par les partisans de la sortie de l’euro.
Enfin, tout pays « sortant de l’euro » pour déprécier sa monnaie
devrait rembourser les dettes qu’il a antérieurement contractées,
ou du moins la plus grande partie d’entre elles, en euros ; la
charge n’en serait que plus lourde, sauf à faire faillite au passage
mais le défaut unilatéral ne peut pas être envisagé à la légère. Le
précédent de l’Argentine qui n’en finit pas de payer les
conséquences de son défaut devrait faire réfléchir.
Non prévue dans les traités, difficile à réaliser, coûteuse, on voit
bien qu’une sortie de l’euro, quoique théoriquement possible,
n’en serait pas moins périlleuse. Un gouvernement peut toujours
décider de violer les engagements pris et abuser de la confiance
de ses partenaires. Reste à savoir ce qu’il fait ensuite. Les
peuples ont du bon sens, ils sentent bien qu’on ne « joue pas »
impunément avec la monnaie : tous les sondages montrent que
les Européens sont attachés à l’euro. Même quand les Grecs ont
rejeté par référendum le premier projet de programme, ils
souhaitaient sans aucun doute des aménagements, mais pas son
abandon. Un attachement qui n’aboutirait pas toujours à accepter
les devoirs, liés aux droits et avantages, ne serait toutefois pas
durable.

Peut-on sortir de l’euro ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ Une sortie de l’euro reviendrait à nous priver d’avantages internes et externes.

✓ La possibilité d’une sortie de l’euro a replongé la Grèce dans une grave crise.

✓ Les citoyens restent majoritairement favorables à la monnaie unique.


38
Troïka et plans
de sauvetage
’Europe a été durement frappée par une crise financière née
L aux États-Unis en 2007-2008. Certains États ont dû faire des
sacrifices pour préserver leur secteur bancaire, et nombre de
citoyens européens paient encore un lourd tribut. Le chômage a
considérablement augmenté, notamment chez les jeunes, tout
comme la pauvreté.
En Grèce, au Portugal et en Irlande, la situation était tellement
détériorée que leurs gouvernements ont dû faire appel à la
solidarité des Européens et au Fonds monétaire international
(FMI).
Les dirigeants européens ont confié à la BCE, à la Commission
européenne et au FMI la responsabilité de fournir assistance
financière et recommandations pour assainir les comptes
publics. Les efforts demandés par cette « troïka », considérables,
étaient pourtant nécessaires. Si bien qu’aujourd’hui, l’Europe est
hélas devenue dans certains pays synonyme d’austérité.

État d’urgence
L’Europe est devenue un bouc émissaire facile. Loin d’être due
aux seuls efforts demandés par l’Union européenne, l’austérité a
été rendue nécessaire par des décennies de mauvaise gestion
nationale. Par le passé, certains gouvernements ont laissé filer la
dépense publique au lieu de songer aux générations à venir.
Dans d’autres pays, l’endettement privé a été débridé, créant des
bulles immobilières que des politiques fiscales appropriées
auraient pu éviter. S’y ajoute, dans le cas grec, la falsification
des comptes publics.
Sans administration fiscale efficace, les rentrées d’argent ne sont
pas assurées et la fraude fiscale est une pratique courante.
Certaines catégories de la population, dont certaines très aisées
comme les armateurs, ne participent pas suffisamment à l’effort
de solidarité nationale.
La solidarité entre pays européens ne va pas de soi. Des pays
peu peuplés, au niveau de vie moyen, comme la Slovaquie, ont
été appelés à porter secours à des États « plus riches », ou dans
lesquels on part plus tôt à la retraite, ce qui a pu susciter
l’agacement des opinions publiques. Il n’est pas choquant, pour
préserver l’équité, que des contreparties soient demandées aux
pays aidés, en vue d’assainir durablement leur économie.
L’un des reproches porte sur la brutalité des programmes
d’assainissement, le rythme et l’ampleur des réformes
demandées. Dans l’absolu, il aurait été plus judicieux d’étaler
l’effort, afin de ne pas hypothéquer la croissance à court terme.
Mais cela est facile à dire après coup. La gravité de la situation,
la réaction violente des marchés exigeaient une réaction
vigoureuse.

La démocratie oubliée ?
La Troïka soulève des interrogations qui ne sont pas seulement
d’ordre économique. En 2014, le Parlement européen a publié
un rapport d’enquête sur le rôle et les activités des trois
institutions. Les députés y déplorent le manque de base juridique
pour sa création, le défaut de transparence et surtout l’absence
de contrôle démocratique des décisions. La présence de la BCE
n’est pas exempte de potentiels conflits d’intérêts. Le FMI
s’abrite derrière son statut d’organisation internationale pour se
dérober au contrôle parlementaire ; il n’est pas habitué à
intervenir dans un ensemble tel que la zone euro qui n’est pas un
État. Il est clair que les ministres des finances, qui ont
constamment avalisé les décisions de la troïka, se sont abrités
derrière ces experts, pour ne pas assumer leurs responsabilités.
Depuis début 2016, le Parlement européen est associé au suivi
du plan de sauvetage grec.
On peut regretter que le gouvernement d’Alexis Tsipras ait
initialement choisi une voie de confrontation, se contentant de
victoires symboliques superficielles (la troïka remplacée par les
« institutions » par exemple) au lieu d’engager la zone euro dans
une révision approfondie, posée, de ses procédures et du bien-
fondé de certaines de ses décisions.

Troïka et plans de sauvetage

L’essentiel en 5 secondes

✓ La crise a conduit les gouvernements des pays les plus touchés à faire appel à
la solidarité européenne.

✓ La consolidation budgétaire est hélas essentiellement due à la gravité des


erreurs passées.

✓ Des progrès sont à faire dans la gestion de crise, notamment un meilleur


contrôle démocratique.
39
Le « non »
de 2005, oublié ?
n 2005, par référendum, les Français et les Néerlandais
E rejettent le projet de Constitution pour l’Europe. Trois ans
plus tard, le traité de Lisbonne est adopté. Certains y voient un
déni de démocratie : les « élites » se moqueraient de l’avis des
peuples pour leur imposer coûte que coûte davantage
d’intégration européenne.
Cette vision des choses, très répandue, n’en est pas moins
erronée.

Les motivations du « non » à la


Constitution
Premièrement, quand on regarde les sondages sortis des urnes, il
apparaît que le « non » était fait de motivations différentes. 52 %
des électeurs « nonistes » se sont décidés avant tout sur la base
d’enjeux nationaux, comme la situation sociale du pays au
moment du vote. Comme souvent lors d’un référendum, les
électeurs ont également voulu adresser un signal au pouvoir en
place. L’opposition, de gauche, a majoritairement voté non :
56 % des électeurs socialistes, 60 % des écologistes et 95 % des
communistes.
La possible adhésion de la Turquie, liée certes à l’Europe mais
ayant peu de rapport avec la Constitution, a également contribué
à faire pencher la balance. Selon des chiffres de l’institut CSA,
20 % des « nonistes » trouvaient dans la question turque une
motivation pour voter.

Démocratie contre démocratie


Deuxièmement, dix-huit États ont quant à eux ratifié le traité
(par seize procédures parlementaires et même deux référendums,
au Luxembourg et en Espagne). Il n’est pas possible d’ignorer la
volonté exprimée par ces partenaires. Cela reviendrait à réduire
la majorité des Européens au silence, d’autant plus qu’aucune
proposition constructive n’a été faite par le président Chirac
pour sortir de l’impasse. S’il y a eu déni de démocratie, ce n’est
pas au niveau européen, c’est en France où les autorités n’ont
tiré aucune conséquence du désaveu subi.

Un enjeu de la campagne présidentielle


de 2007
Enfin, Nicolas Sarkozy a clairement indiqué pendant sa
campagne de 2007 qu’il entendait proposer une renégociation :
« Si je suis élu président de la République, je proposerai à nos
partenaires européens un traité simplifié. » Lors d’une
conférence de presse, le 28 février 2007, il en détaille le
contenu : présidence stable du Conseil, recul de la règle de
l’unanimité et rôle plus important pour le Parlement européen,
les bases du futur traité de Lisbonne sont annoncées.
Lors du débat d’entre deux tours, à la question d’un traité sans
référendum, Nicolas Sarkozy répond : « On ne va pas
recommencer un référendum […]. On doit débloquer la situation
en Europe sur la base d’un consensus. »

Un traité qui ménage tout le monde


Son élection présidentielle de 2007 lui a donné mandat pour agir
au nom des Français. La présidence allemande du Conseil
européen prend appui sur ces propositions et élabore un
compromis.
C’est un texte différent de celui de 2005 qui en sortira. Le traité
ne vient plus établir une Constitution mais propose des
aménagements aux traités existants.
La dimension symbolique de la Constitution est abandonnée : on
ne parle plus de ministre européen des Affaires étrangères, ni de
drapeau, d’hymne ou de fête de l’Europe.
Sur le fond, la « concurrence libre et non faussée » est moins
centrale dans les objectifs de l’Union, énumérés à l’article 3 du
traité. La Charte des droits fondamentaux, qui garantit des droits
économiques et sociaux, devient juridiquement contraignante.
Les critiques de la France à l’encontre d’une Europe trop
libérale sont entendues. Parallèlement, comme il est nécessaire
dans un compromis collectif, des gages sont donnés à d’autres :
Pologne, Royaume-Uni et République tchèque obtiennent que
les avancées sociales de la Charte ne les concernent pas.
L’article 50 du traité sur l’Union européenne prévoit désormais
l’hypothèse d’une sortie de l’UE.

Le déni de démocratie n’est pas là où on


le croit
Les ratifications par voie parlementaire s’enchaînent. L’Irlande
vote « non » dans un premier temps, avant d’obtenir
d’importantes concessions. Une fois de plus, le déni de
démocratie n’est pas là où on le croit : les réserves des seuls
Irlandais conduisent à écarter tout espoir d’harmonisation fiscale
et toute diminution du nombre de commissaires européens.
Le traité de Lisbonne n’est pas parfait, et la crise a montré ses
limites. Mais, à 28 États membres et en conservant l’obligation
de ratification unanime, la nouvelle réforme des institutions
semble vouée à l’échec. Peut-on éternellement figer l’état du
droit ? Cela paraît peu raisonnable. Un référendum à l’échelle
européenne serait une piste intéressante : l’ensemble des
citoyens serait consulté simultanément, directement, et sans
susciter de doute sur le caractère démocratique du résultat, au
besoin avec une double majorité qualifiée (États/population).
Une autre voie consisterait à prévoir par avance les
conséquences d’un « non » isolé, et le seuil minimum de
ratifications pour que le traité puisse s’appliquer. La Bavière n’a
jamais ratifié la constitution allemande.

Le « non » de 2005, oublié ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ Les motivations de « la France du non » étaient très liées aux questions de


politique intérieure française.

✓ Le non de la France et des Pays-Bas doit être apprécié en tenant compte de la


volonté des autres partenaires.

✓ Un nouveau traité était l’une des propositions de Nicolas Sarkozy pendant la


campagne présidentielle de 2007. Il n’a pas été imposé de force.
40
Des ambitions sans
moyens financiers ?
vec un budget équivalent (et même inférieur) à 1 % de son
A PIB, certains continuent à dire que l’Europe coûte cher.
Certes, l’argent public doit être utilisé avec précaution. Mais
lorsqu’on voit les réalisations de l’Europe, considérer que son
coût est trop important relève de la mauvaise foi.
Pour 1 % de leur richesse, les Européens peuvent vivre dans un
espace de paix, de liberté, et un espace économique sans
frontières, doté de règles. Les régions reçoivent des aides, qui
permettent aux pays du Sud et de l’Europe de l’Est de rattraper
leurs retards économiques. L’agriculture est préservée, avec une
politique commune qui assure l’abondance, même si celle-ci est
mal partagée.
Les mauvaises langues diront que ce 1 % ne reflète pas tout à
fait la réalité : certains États ont été renfloués par les
contribuables pour assurer la solidarité européenne, lors du
passage à l’euro les commerçants ont facilement cédé aux
sirènes de l’arrondi par le haut. Toutefois, les prêts consentis aux
pays en difficulté ont vocation à être remboursés (ce qui justifie
des plans de réformes rigoureux pour des pays comme la Grèce,
qui bénéficiera d’un troisième plan d’aide de 86 milliards
d’euros) et c’est plutôt la faiblesse de l’inflation qui, au moment
d’écrire ces lignes, inquiète les économistes.
Au-delà de son montant, une autre question se pose au sujet du
budget de l’Union : son financement. À l’origine, la
Communauté parvenait à se financer grâce aux profits que son
marché générait, avec des taxes sur les produits importés de
l’extérieur de la zone qui venaient alimenter le budget. Mais au
fur et à mesure que les droits de douane ont été abaissés, la part
de « ressources propres » a été réduite à une portion congrue.
Si bien qu’aujourd’hui, l’Union vit au crochet des États
membres qui, régulièrement, négocient « comme des marchands
de tapis » lorsqu’il faut se répartir la facture. De leur côté, les
citoyens, représentés au Parlement, n’ont qu’un droit de regard
limité, et très récent, sur ce que l’on fait de leur argent.
L’Europe aurait pourtant les moyens de voler de ses propres
ailes. Avec plus de 500 millions d’habitants et un PIB de plus
de 13 000 milliards d’euros, il ne suffirait que d’une faible taxe
européenne pour assurer des revenus suffisants à la réalisation
des objectifs de l’Union.

Des ambitions sans moyens financiers ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le budget européen ne dépasse pas 1 % du PIB de l’UE.

✓ La majeure partie du budget consiste ces dernières années en contributions des


États.

✓ Des ressources propres, fondées sur une assiette économique (TVA, taxe
carbone, etc.), seraient plus appropriées.
41
Comment assurer
davantagededémocratie ?
’Union européenne, pas démocratique ? Tous les cinq ans, les
L citoyens élisent leurs représentants au Parlement. Le mode
d’élection, au scrutin proportionnel, permet au Parlement d’être
une photographie fidèle de l’état de l’opinion européenne. Le
seuil minimum de six députés pour les pays les moins peuplés
permet que soient représentées, pour chaque État, majorité et
opposition. Pour éviter une trop grande représentation d’un pays,
un maximum de 96 députés ne peut être dépassé par une
délégation nationale. Les ministres, qui tirent leur légitimité des
parlements nationaux, participent au processus législatif. Au
Conseil, les chefs d’État ou de gouvernement exercent une
influence considérable sur l’orientation de l’UE.
Les commissaires européens, avant d’entrer en fonction,
subissent un examen exigeant, que tous ne réussissent pas,
devant les députés : questions écrites, auditions devant les
commissions compétentes, épreuves de rattrapage à l’écrit ou à
l’oral. Un exercice dont l’Assemblée nationale française devrait
peut-être s’inspirer. Depuis les élections de 2014, le président de
la Commission est le chef de file de la famille politique arrivée
en tête aux élections européennes.

Des marges de progression existent


Le Parlement ne bénéficie pas encore de pouvoir d’initiative
législative : il ne peut proposer une nouvelle directive ou un
nouveau règlement. Dans la pratique, les parlementaires
profitent de la codécision pour faire avancer leurs sujets de
préoccupations, et formulent des demandes par des rapports
d’initiative législative auxquels la Commission est tenue de
répondre, en se justifiant en cas de refus d’agir. C’est par cette
procédure que le Parlement a, par exemple, institué le « dialogue
monétaire » avec la Banque centrale européenne.
C’est la Commission qui bénéficie du monopole de l’initiative,
notamment pour des raisons de cohérence de l’agenda. Confier
cette prérogative à l’institution chargée de défendre l’intérêt
général n’est pas dénué de sens dans une Union où les
antagonismes nationaux n’ont pas encore disparu, mais les
citoyens iraient peut-être davantage voter si leurs élus avaient un
rôle plus actif dans l’agenda européen.
Si l’article 10 du traité sur l’Union européenne dispose que « le
fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie
représentative », l’avenir de la zone euro s’est trop souvent joué
derrière des portes closes, laissant libre cours à une logique
intergouvernementale que les pères fondateurs voulaient
pourtant dépasser. Cette méthode n’a pas rendu service : la
désinformation a prospéré ; les opinions publiques nationales
n’ont souvent perçu la réalité qu’à travers un prisme national
déformant. Le référendum grec a laissé de côté 300 millions de
citoyens pourtant concernés.
Le débat du mercredi 8 juillet 2015 au Parlement européen, en
présence d’Alexis Tsipras, de Jean-Claude Juncker et de Donald
Tusk, a été un moment important pour la démocratie
européenne ; l’intérêt des citoyens a dépassé les attentes. Il est
dommage d’avoir attendu cinq mois (depuis l’arrivée de Tsipras
au pouvoir en Grèce) pour un tel débat, il serait encore plus
regrettable que celui-ci ne soit qu’une tentative isolée. Le suivi
du nouveau plan d’aide pourrait être l’occasion d’assurer enfin
un contrôle démocratique de la « troïka » au niveau pertinent,
c’est ce dont est chargé, au Parlement européen, le nouveau
groupe de travail sur l’assistance financière. Cela ne doit
toutefois pas empêcher les gouvernement de continuer à rendre
des comptes à leurs parlements nationaux.
Le niveau d’intégration n’est cependant pas le même au sein de
l’Union. Le Royaume-Uni ou le Danemark ont fait le choix de
conserver leur monnaie nationale, mais 19 pays partagent l’euro
et ses exigences. Assurer un contrôle démocratique au bon
niveau ne consiste ni à se contenter d’un contrôle fractionné
entre États membres, ni à élargir à l’excès le nombre de
responsables. À ce titre, l’idée d’une assemblée de la zone euro,
au sein du Parlement européen pour ne pas multiplier les
structures, mérite d’être étudiée.
Une plus grande légitimité démocratique de l’Union européenne
passe nécessairement par de meilleurs taux de participation aux
élections européennes. De 61,99 % en 1979, la participation a
systématiquement baissé, jusqu’à atteindre les 42 % aux
élections de 2014. Cette désaffection ne concerne d’ailleurs pas
que les élections européennes.
Les autorités n’ont jamais tiré sérieusement les conséquences de
ce constat. Les campagnes civiques d’envergure sont rares, les
médias ne s’intéressent au scrutin que dans les derniers jours de
campagne, et posent souvent aux candidats des questions de
politique nationale. Il avait même été envisagé en France de ne
plus envoyer professions de foi et matériel électoral par la poste
pour les élections de 2014.
Les élections mériteraient également d’être davantage
européennes. Les listes nationales ou régionales sont en décalage
avec l’enjeu de l’élection. On pourrait imaginer des
circonscriptions transfrontières, où les partis européens
pourraient trouver leur place.
Comment assurer davantage de démocratie ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ Les États restent responsables des élections européennes. Ils font peu pour
lutter contre l’abstention.

✓ La crise a été gérée par les gouvernements au détriment des institutions


communes.

✓ Des pistes d’amélioration existent, passant par davantage de responsabilité et


de transparence dans la prise de décision.

✓ Une meilleure couverture médiatique et politique au niveau national pourrait


aider.
42
Quels sont les futurs
membres de l’UE ?
n entend souvent sur l’Europe des propos nostalgiques :
O certains regrettent la petite communauté des débuts. La
famille serait devenue trop nombreuse, et il serait temps de se
retrouver en petit comité, pour plus de confort. La vocation de
certains pays européens à participer à l’Union européenne est
mise en doute.
Les « nouveaux membres » ne sont pourtant pas des « pièces
rapportées » : tout aussi européens que nous, ils ne devaient
qu’aux tourments de l’Histoire (les dictatures au Sud, le
communisme à l’Est) d’avoir été séparés de l’Europe
occidentale. Chez Robert Schuman et les autres pères
fondateurs, comme chez de Gaulle d’ailleurs, il a toujours été
clair que la division du continent était une aberration provisoire,
à combattre. Dès le début, l’objectif initial était bien l’unité de
tout le continent. La nostalgie des cercles étroits est donc une
erreur de perspective historique grave.

Les fondateurs font des émules


En 1957, les fondateurs ne sont que six : la France, la Belgique,
l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et une partie de
l’Allemagne. Le Royaume-Uni refuse de faire partie du marché
commun. Puis c’est le général de Gaulle qui, en 1963,
renouvelle publiquement son opposition à l’entrée des
Britanniques dans la CEE, à la fois pour des raisons pratiques
(leur agriculture est trop liée au Commonwealth pour s’intégrer
dans le budget tel qu’il est conçu) mais aussi pour des motifs
stratégiques : le général juge ce partenaire trop proche des États-
Unis. Le départ du général ouvre la porte au Royaume-Uni qui,
en 1973, rejoint la CEE aux côtés de l’Irlande et du Danemark.
Après les dictatures, la famille se
retrouve
Sous le joug de dictateurs, les Grecs, Espagnols et Portugais
doivent attendre le retour de la démocratie pour participer à la
construction communautaire. Leur retard économique inquiète
certains, mais sans ces pays qui ont marqué l’histoire de
l’Europe, la Communauté ne serait véritablement européenne.
En 1981, la Grèce devient le dixième État membre. Le Portugal
et l’Espagne la rejoignent en 1986.
En 1989, la chute du mur de Berlin, suivie de la réunification
allemande permettent à l’Est du pays de rejoindre rapidement la
communauté. De nombreux commentateurs oublient combien
l’accueil de l’ex-RDA dans la CEE a contribué à stabiliser une
situation très volatile. Certains pays, qui ne voulaient prendre
parti pour aucun des blocs de la guerre froide, ne voient plus une
demande d’adhésion comme un risque de perdre leur neutralité.
La réunification de l’Europe est en marche. En 1995, l’Autriche,
la Suède et la Finlande adhèrent à l’Union.
Une étape majeure sera franchie entre 2004 et 2007 avec
l’élargissement à douze pays : Chypre, la République tchèque,
l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne,
la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie et la Roumanie.

Un accueil peu préparé


Ce grand élargissement ne fait pas l’unanimité : certains
Européens de l’Ouest se méfient de ces cousins que l’Histoire a
artificiellement éloignés, et les retrouvailles sont un peu
gauches : selon leurs interlocuteurs, les pays candidats
n’entendent pas le même son de cloche sur l’Union européenne.
Un cahier des charges est fixé pour l’entrée (les « critères
d’adhésion » – état de droit, économie de marché, reprise des
règles communes), mais rien n’est dit sur l’essentiel. S’il est
utile de savoir « comment » vivre ensemble, encore faudrait-il
savoir « pour quoi faire ».
Le quatrième critère d’adhésion, celui de la capacité de l’UE à
accueillir de nouveaux membres, est dévalorisé. Les « anciens »
ne font pas les efforts qu’ils demandent aux nouveaux. Certaines
pièces de la maison commune méritaient pourtant d’être
rénovées pour accueillir de nouveaux membres dans de bonnes
conditions. Plutôt que de faciliter la prise de décision collective,
certains États, jaloux de leur part d’influence, font en sorte de
pouvoir bloquer les discussions si une direction ne leur plaît pas.
Les règles, pensées pour six, applicables à quinze, trouvent leurs
limites à 17 ou 28.

Vers la fin de l’« élargissement » ?


Aujourd’hui, l’adhésion de nouveaux membres de l’UE n’est
plus une priorité politique. La Commission de Jean-Claude
Juncker ne comporte d’ailleurs pas de commissaire dédié à la
question. Depuis 2007, un seul État supplémentaire, la Croatie,
nous a rejoints, en 2013.
Reste à inventer un autre mode de relation avec des pays voisins
stratégiques : Turquie, Ukraine, Balkans. La politique de
voisinage ne saurait plus être la « salle d’attente » de l’adhésion
ni un lot de consolation. On compte en 2015 encore quatre
candidats officiels, et les événements en Ukraine montrent que
l’Europe peut encore faire rêver au point de braver la répression
en descendant dans la rue.
Trop longtemps, l’UE a vu dans sa propre extension son
principal outil d’influence sur son entourage. Ces temps sont
révolus. Cela ne signifie pas qu’avec le cercle instable qui
l’entoure, de l’Afrique du Nord ou Moyen-Orient et la Russie,
l’UE n’ait pas à faire entendre sa voix, à défendre ses valeurs et
nouer des coopérations constructives.

Quels sont les futurs membres de l’UE ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ De 1957 à 2013, l’UE est passée de 6 à 28 membres.

✓ La fin de la guerre froide justifiait l’adhésion des pays d’Europe centrale et


orientale.

✓ Aujourd’hui, la priorité est à l’approfondissement.


43
Quelle situation pour les
autres pays européens ?
ertains pays européens ont fait le choix de ne pas adhérer à
C l’Union. C’est le cas de la Norvège, de l’Islande et de la
Suisse. Les eurosceptiques y voient la preuve qu’une sortie de
l’Union ne serait pas un drame, et qu’elle permettrait de
retrouver l’indépendance perdue.
En rejetant, par référendum (pour la Suisse et la Norvège),
l’adhésion à l’UE, ces pays ont voulu conserver leur
souveraineté, et donc se passer de la contrainte d’institutions et
de règles supranationales.

Une indépendance en trompe-l’œil


Cette indépendance est démentie par les faits. Alors qu’ils ne
participent pas à l’édiction des normes, ils reprennent quasi
automatiquement à leur compte les règles européennes. Les
retombées économiques du marché unique sont trop importantes
pour que leurs entreprises puissent s’en passer, et leurs
consommateurs sont trop attachés à ce qu’un grand marché peut
leur offrir. D’autres accords, notamment sur la libre circulation
des personnes (Schengen), s’appliquent également dans ces
pays. Alors qu’ils ne sont pas liés par le traité, les accords
prévoient que les tribunaux nationaux doivent se conformer à la
jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : de
fait, l’ordre juridique européen est supérieur à leur droit national.

Des États membres presque comme les


autres
Pour prendre uniquement l’exemple de la Suisse, une vingtaine
de traités bilatéraux, et une centaine d’autres accords, intègrent,
in fine, le pays dans le champ communautaire. Les règles
européennes en matière de sécurité, d’asile ou d’environnement
s’appliquent ainsi à la Confédération helvétique. Les Suisses
participent même à l’accueil des nouveaux États membres en
finançant des centaines de projets destinés à réduire les fractures
économiques et sociales au sein de l’UE.
La fiction d’indépendance de la Suisse s’est illustrée
en 2014 lors d’une votation remettant en cause la libre
circulation des personnes. Pour ce faire, une renégociation est
nécessaire mais se heurte aux réticences de l’Union.
Les intérêts des Européens, membres ou non de l’UE, sont
imbriqués. Les mêmes valeurs sont partagées. Les défis sont
communs. Le choix d’une indépendance formelle cache mal la
dépendance dans les faits, et à leur détriment : les décisions se
prennent en leur absence.

Quelle situation pour les autres pays européens ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ Sans être membres, certains États ont engagé des partenariats très étroits avec
l’UE.

✓ C’est ambigu car ils ne participent pas pleinement à l’élaboration des règles qui
s’appliquent à eux.
44
Le Conseil
de l’Europe
e Conseil de l’Europe n’est pas une institution de l’UE,
L cependant la confusion est souvent faite, de par son nom,
mais aussi parce qu’il partage les mêmes symboles : le drapeau
bleu aux douze étoiles, l’Ode à la joie de Beethoven comme
hymne, et la devise « Unis dans la diversité ».
Conseil de l’Europe et Union européenne ont la même matrice :
la volonté de réconcilier les Européens après la Seconde Guerre
mondiale. Ils ont en partage les mêmes « pères fondateurs ». Ces
derniers, qui avaient plus d’ambitions pour l’Europe qu’une
« simple » organisation internationale, ont ensuite fondé la
CECA et la CEE dans une logique communautaire.
Créée en 1949, c’est la première tentative de réconciliation des
Européens, après la Seconde Guerre mondiale, autour des droits
de l’homme et des libertés fondamentales. Mais son mode de
fonctionnement, intergouvernemental, la différencie de l’Union
européenne et de sa méthode communautaire.

Une organisation internationale comme


les autres
Le Conseil de l’Europe est une organisation internationale qui
regroupe 47 États de l’Europe et de l’Europe élargie : la Turquie
et la Russie, par exemple, en font partie. Pour y adhérer, les
États doivent ratifier la Convention européenne des droits de
l’homme, ce qui suppose le respect de l’État de droit,
l’organisation d’élections libres ou encore l’abolition de la peine
de mort.
Ses critères d’adhésion et sa méthode de coopération sont moins
contraignants que ceux de l’Union européenne, ce qui lui permet
de jouer un rôle de pont entre l’Europe « unie » et l’Europe
« élargie », rassemblées dans une même enceinte où ONG, élus
locaux, parlementaires, peuvent discuter, tisser des liens, et faire
rayonner les valeurs européennes.
Le Conseil de l’Europe est notamment composé d’une
assemblée parlementaire, où siègent 318 représentants
nationaux, et 318 suppléants. La France envoie
ainsi 18 parlementaires à Strasbourg, où siège ce Conseil. Les
pouvoirs de cette assemblée sont limités. Les parlementaires
n’émettent que des avis consultatifs : toutes les décisions se
prennent à l’unanimité par les 47 ministres des Affaires
étrangères.

Un rôle affirmé dans la défense des


droits de l’homme
Néanmoins, les parlementaires élisent les juges de la Cour
européenne des droits de l’homme, chargés de faire appliquer le
droit de la Convention européenne des droits de l’homme
(CEDH).
La Cour européenne des droits de l’Homme, créée en 1959, peut
être saisie par chaque citoyen des États ayant ratifié la
Convention. C’est avec cette Convention et cette Cour que le
Conseil de l’Europe est le plus actif. Elle prend des décisions
importantes, et lourdes, comme lorsqu’elle valide l’interruption
des soins de Vincent Lambert, victime d’un accident de la route
en 2008, et dans un état végétatif depuis lors.
En 2011, dans un arrêt « Heinisch contre Allemagne », les juges
sont venus protéger les « lanceurs d’alertes » qui divulguent des
informations d’intérêt public, contre d’éventuelles rétorsions de
leurs employeurs.
D’une manière générale, la Cour européenne des droits de
l’homme et sa Convention protègent la vie privée, le droit à un
procès équitable, la liberté d’expression, les droits politiques
(droit à des élections libres par exemple), ou encore le droit de
propriété.
Néanmoins, la protection des droits de l’homme et des libertés
n’est pas toujours assurée efficacement, comme en Russie ou en
Turquie.

Le Conseil de l’Europe, un préalable à


l’adhésion à l’Union ?
Le Conseil de l’Europe est souvent considéré comme la porte
d’entrée dans l’Union européenne. Il est vrai que tous les États
membres de l’UE ont été membres du Conseil de l’Europe et le
sont restés. La ratification de la Convention permet d’attester du
respect de certains critères d’adhésion à l’Union européenne.
Mais tous les États membres du Conseil n’ont pas vocation à
adhérer à l’UE.
Le rôle du Conseil de l’Europe dans la défense des droits
fondamentaux aurait parfois besoin d’être rappelé. Au moment
du débat sur l’adhésion de la Turquie, certains avançaient l’idée
que, si ce pays n’entrait pas dans l’Union européenne, il
tournerait le dos à la défense des droits de l’homme. La Turquie
est pourtant membre du Conseil de l’Europe depuis 1949…

Ne pas confondre :

Conseil Conseil de l’Union européenne Conseil de l’Europe


européen

– Organisation
internationale.
– Institution de – Institution de l’UE. – 47 États membres.
l’UE.

– Réunit les – Réunit les ministres des 28. – Pas de pouvoir


chefs d’État ou contraignant, sauf en
de – Participe à l’élaboration de la matière de droits de
gouvernement législation européenne (pouvoir l’homme avec la Cour
des 28. législatif). européenne des droits
de l’homme pour
– Rôle – Fait appliquer la législation assurer le respect de la
d’impulsion des européenne (pouvoir exécutif). Convention
politiques de européenne des droits
l’UE. de l’homme.

Le Conseil de l’Europe

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le Conseil de l’Europe est la première tentative de rapprochement des


Européens après la Seconde Guerre mondiale.

✓ Il est composé de 47 membres (y compris la Russie ou la Turquie par exemple).

✓ Il est surtout connu pour la Convention européenne des droits de l’homme que
la Cour européenne des droits de l’homme est chargée d’appliquer.
45
L’Europe face
aux réfugiés
es images de l’île de Lampedusa, et des naufrages de bateaux
L au large de la Grèce, ont fait le tour du monde. Pour fuir la
misère et les conflits, des hommes sont prêts à s’embarquer dans
une traversée dangereuse, parfois mortelle, sans garantie
d’arriver à destination.
Les questions sur le rôle de l’Europe sont légitimes mais encore
faut-il bien comprendre qu’il s’agit d’un enjeu mondial. Les
États-Unis ont contribué à déstabiliser la région. La Turquie et
les pays arabes ont aussi un rôle à jouer, et certains d’entre eux
comme la Jordanie et le Liban, font un effort considérable. Et
l’état d’inachèvement de l’Union l’empêche d’agir.

L’Europe n’a que les compétences qu’on


lui donne
L’UE, fondée sur le droit, ne peut agir que dans le cadre des
compétences qui lui ont été confiées par les gouvernements
nationaux. Aujourd’hui, de nombreux domaines, comme la
politique migratoire ou la diplomatie, relèvent encore de
l’échelon national. Pour la gestion de ses frontières extérieures,
le rôle de l’UE est cantonné à la coordination des politiques
des 28. Celle-ci n’est pas assez efficace.
L’agence européenne chargée de mener cette coordination
(Frontex) est dotée d’un budget modeste, trop faible au regard
des enjeux. L’UE n’a ni moyens militaires, ni navires de
surveillance : les États membres gardent la main.

Un cadre juridique inadapté


La convention de Dublin prévoit que la demande d’asile doit
être introduite dans le premier pays d’arrivée. Cela fait peser sur
les pays qui sont géographiquement en première ligne, comme la
Grèce, l’Italie ou encore la Hongrie, des charges
disproportionnées. La pression migratoire est telle que ces pays
n’ont pas la capacité d’accueil suffisante. Les exilés ne
cherchent d’ailleurs pas à s’installer dans ces pays, mais
ambitionnent plutôt de rejoindre l’Allemagne, ou la Suède.
Dés le printemps 2015, la Commission a proposé la seule
solution qui ait du sens si on ne détourne pas les yeux : un
système de répartition des demandes d’asile entre pays
européens. Face à l’ampleur de la situation, et malgré
l’opposition des pays de l’Est (qui n’ont pas l’habitude d’être
des territoires d’immigration), les États membres ont décidé à
l’automne 2015, d’accueillir 160 000 réfugiés supplémentaires.
Ces ambitions tardent à se traduire sur le terrain, même si les
chiffres retenus sont loin d’être à la hauteur des flux réels.
Certains États font plus d’efforts que d’autres. L’Allemagne a
fait un geste fort, pour des raisons humanitaires, mais a dû
ensuite rétablir le contrôle à sa frontière avec l’Autriche, ce qui
est prévu par Schengen mais pourrait, si cela durait, poser des
problèmes. La Suède, l’Autriche, la Norvège, le Danemark ou
encore la Belgique ont suivi l’exemple allemand en
réintroduisant des contrôles temporaires aux frontières.

Un enjeu global
Une action en amont, combinant aide au développement et
solution diplomatique en Syrie notamment, est également
indispensable. Pour freiner le départ des bateaux, les demandes
d’asile devraient pouvoir être formulées depuis le pays
d’origine. L’installation de « hot spots » n’est cependant pas
toujours évidente, a fortiori dans des pays en guerre ; même en
Italie et en Grèce, où des campements de ce type ont été
installés, les autorités sont dépassées par les arrivées
quotidiennes. Si bien que la différenciation entre migrants
économiques et réfugiés, entre ressortissants de pays sûrs et de
pays en guerre, n’est pas toujours évidente à opérer.
La solidarité et l’ouverture doivent s’accompagner d’une lutte
contre l’immigration illégale, et plus encore contre les pratiques
consistant à exploiter la misère humaine. À la suite de
l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU, les États
membres de l’UE ont décidé, le 22 juin 2015, de lancer une
opération (EUNAVFOR Med) permettant d’intercepter et de
détruire les bateaux pour contrecarrer le trafic de migrants.
Les raisons de l’accord avec la Turquie sont là. Même si on ne
partage guère les méthodes de gouvernement du président
Erdogan, il est difficile d’imaginer des solutions qui
n’impliquent pas les pays de transit.
Tant que les gouvernements européens ne prendront pas les
décisions qui s’imposent, consistant à doter l’UE de moyens de
riposte conjoints, adossés à une solidarité de tous les États
membres, l’UE devra recourir à des subterfuges.
Certains dénoncent un chantage de la Turquie mais lorsque ces
critiques émanent de la France, qui fait si peu d’efforts pour
accueillir les réfugiés et contribuer, de manière constructive, à la
solution de la crise, c’est un peu facile.
En contrepartie de l’effort fourni, il n’est pas anormal que les
autorités turques demandent des aides. Il est en revanche plus
douteux de relancer subrepticement le processus d’adhésion sans
débat public.
Comme souvent les États membres reprochent à « l’Europe »
son inaction, tout en l’empêchant d’exister. Ils gèrent, par des
moyens diplomatiques, des sujets qui relèvent de la démocratie.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’UE va mal.

L’Europe face aux réfugiés

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Union européenne fait face à un nombre de demandes d’asile sans précédent.

✓ Pour organiser l’accueil, la Commission a proposé de répartir les réfugiés entre


États, selon leur capacité.

✓ Souvent qualifiés, ces réfugiés pourraient apporter beaucoup à une économie


européenne en difficulté. Le plan européen ne concerne cependant pas l’accueil
des migrants économiques.
46
L’Europe et la Russie
lors que la chute de l’URSS laissait entrevoir de meilleures
A relations entre l’Union européenne et la Russie, la crise
ukrainienne est une illustration des rapports difficiles
qu’entretiennent la Russie de Poutine et l’Europe depuis
quelques années.

Les débuts prometteurs de Vladimir


Poutine
Pourtant, lorsqu’il arrive au pouvoir, en 2000, Vladimir Poutine
manifeste sa volonté de faire entrer la Russie dans le jeu global,
et de se rapprocher de l’Europe. Sa volonté d’une Grande Russie
passe alors par une modernisation de l’économie, et non par la
force militaire. Les élargissements successifs de l’Union
européenne, à des pays de l’ex-URSS, ne provoquent pas de
réactions hostiles de la part du Kremlin. Au contraire, Vladimir
Poutine déclare y voir une occasion de rapprochement, non
seulement sur le plan géographique mais aussi sur celui des
valeurs.

Des relations conflictuelles


À partir des années 2003-2004, alors que la Russie s’enrichit, les
choses commencent à évoluer. Vladimir Poutine s’empare des
pouvoirs que la Constitution russe lui confère, et le régime
devient plus autoritaire. Les pouvoirs constitutionnels qui,
jusque-là, permettaient au président russe de moderniser
rapidement un pays au retard économique important, sont mis au
service de la défense du régime, notamment en encadrant les
médias, en réprimant minorités et opposants politiques, en
violation de la Convention européenne des droits de l’homme
que la Russie a pourtant ratifiée.
Le changement d’état d’esprit de Moscou s’est également fait
sentir dans sa politique étrangère, en tentant de retrouver
l’influence que la Russie avait sur ses voisins à l’époque de
l’URSS. Ainsi, en 2008, violant le droit international, la Russie
part à la conquête d’une partie de la Géorgie.
En 2013, les Russes font pression pour que l’Ukraine suspende
ses négociations avec l’Union européenne en vue d’un accord
d’association. S’ensuit une contestation de la rue (notamment
sur la place du Maïdan), violemment réprimée par les autorités.
Les affrontements divisent le pays entre pro-UE
(« accompagnés » de nationalistes ukrainiens) et pro-russe.
Ignorant le droit international, le Kremlin envoie ses forces
spéciales russes en Ukraine, avant d’annexer la Crimée. L’UE
réagit en infligeant des sanctions à la Russie, notamment le gel
des avoirs de certains oligarques russes et ukrainiens proches du
pouvoir, des restrictions aux échanges, et un embargo sur les
armes.
Mais de leur côté, les Européens ne sont pas exempts de
reproches : ils n’avaient pas vu que la signature d’un accord de
partenariat commercial risquait de mettre le feu aux poudres.

Les ressources naturelles comme


moyen de pression
La stratégie d’influence russe ne se traduit pas seulement en
actions militaires. La Russie tire également profit de ses
ressources naturelles, dont une grande partie de l’Europe
dépend. L’entreprise gazière Gazprom, qui fournit jusqu’à 60 %
des besoins énergétiques de pays comme l’Italie ou l’Allemagne,
est le principal levier de l’influence économique de la Russie.
Si la politique ambiguë de Gazprom a alerté la Commission
européenne, qui enquête sur les manquements de l’entreprise
russe aux règles de concurrence, les Russes explorent également
d’autres voies d’influence.

Moscou cherche des relais d’influence


Le Kremlin entretien de très bonnes relations avec les partis
politiques eurosceptiques, comme le Front national en France,
ou le UKIP au Royaume-Uni. Si ces formations ont peu de
chances d’arriver au pouvoir, Moscou miserait sur leur capacité
de nuisance pour faire pression sur les gouvernements
européens.
En Grèce, Vladimir Poutine a également tiré profit de la détresse
du gouvernement Tsipras pour lui faire miroiter une alliance
alternative, et fragiliser l’UE.
Sur le plan médiatique, la voix de la Russie est organisée, avec
des relais de propagande comme avec, en France, la Web-radio
Sputnik. Gazprom s’affiche sur les panneaux télévisés à
l’occasion des compétitions de football, afin de soigner sa
popularité auprès des opinions publiques.
Face à Moscou, les enjeux sont conséquents. Il apparaît
indispensable pour l’Union de se libérer de la dépendance aux
ressources naturelles russes pour poser des bases plus saines à sa
relation avec le Russie. Le but n’est pas, en effet, de tourner le
dos à un voisin majeur, comme la situation en Syrie le rappelle,
mais de rester ferme sur les valeurs démocratiques, et sur le
maintien de la stabilité et de la sécurité du continent.
L’Europe et la Russie

L’essentiel en 5 secondes

✓ Le rapprochement UE-Russie, envisageable après la fin de l’URSS, n’est pas


encore advenu.

✓ L’Europe dépend beaucoup du gaz russe, ce qui déséquilibre les relations.

✓ Les tensions sont très vives depuis l’invasion de la Crimée et la crise en


Ukraine.
47
Vers une éducation
européenne ?
réé en 1987, le programme Erasmus permet aux étudiants
C européens d’effectuer une partie de leurs études à l’étranger.
Immortalisés dans le film de Cédric Klapisch, L’Auberge
espagnole (2002), 3 millions d’étudiants européens ont bénéficié
de ce programme, et la Commission européenne a évalué
à 1 million le nombre de « bébés Erasmus », nés de couples
mixtes.
Grâce aux crédits européens (ECTS) permettant de valider un
diplôme et aux accords entre universités permettant de ne pas
payer de droits d’inscription supplémentaires, les étudiants
peuvent partir à l’étranger sans prendre de retard sur leurs
études, ou sans craindre de ne pouvoir valoriser leur expérience
une fois rentrés chez eux.

Les échanges se multiplient


Depuis sa création, le programme Erasmus s’est perfectionné.
« Erasmus + » prévoit de doubler le nombre de bénéficiaires
d’ici à 2020 (jusqu’ici, seul 1 % des étudiants français en
profitait en raison d’un trop faible montant des bourses). Les
étudiants qui le souhaitent peuvent également faire le choix de
partir en stage à l’étranger plutôt qu’en université. « Erasmus
+ » intègre également d’autres programmes d’échanges, moins
connus, qui concernent les plus jeunes (à partir de l’école
primaire) mais aussi les adultes.
Les efforts pour encourager les échanges continuent. En 2013,
l’Union a créé l’Alliance européenne pour l’apprentissage,
soutenue par de nombreuses entreprises et organisations. En
juin 2015, plus de quarante entreprises ont rejoint l’initiative
avec, à la clé, la perspective de 140 000 contrats d’apprentissage
ou de formation pour les jeunes. Cette initiative a un double
intérêt : à la fois l’expérience à l’étranger, mais aussi
l’acquisition de compétences professionnelles, ce qui permettra
aux jeunes de trouver plus facilement du travail.

Vers une éducation européenne ?


Néanmoins, malgré son caractère symbolique et sa popularité,
Erasmus reste encore une expérience partagée par une minorité
d’Européens. Les objectifs du programme (connaître d’autres
cultures, maîtriser plusieurs langues) gagneraient à s’appliquer
de manière plus large. Cela pourrait passer par une éducation
civique européenne ou encore un plus grand effort dans
l’apprentissage des langues.
Cette éducation européenne permettrait de donner aux élèves et
étudiants les outils indispensables pour comprendre l’Europe, et
pour leur vie professionnelle.
Aujourd’hui, la culture des Européens reste encore très
nationale. Très peu connaissent l’histoire de leurs voisins, la
« vie politique » n’est suivie que dans ses dimensions locales et
nationales, la plupart de l’actualité de l’étranger concerne des
« faits divers » ou des conflits, la presse étrangère n’est que très
peu lue, alors même qu’avec Internet elle n’a jamais été aussi
accessible.
Vers une éducation européenne ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ Erasmus ne concerne plus uniquement les étudiants d’universités ou de


grandes écoles.

✓ Le rapprochement peut également se faire par un meilleur apprentissage des


langues et une meilleure connaissance des autres cultures : très appréciés, les
échanges n’ont jusqu’ici concerné qu’une minorité de personnes.
48
L’Europe,
oubliée des médias ?
«À
Bruxelles, personne ne vous entend crier. » Cet épisode
de la série danoise Borgen décrit comment Birgitte
Nyborg, Premier ministre qui voulait nommer un commissaire
influent, finit par envoyer à Bruxelles un rival encombrant.

Loin des yeux, loin du cœur


Le travail dans les institutions est parfois ingrat. Les
responsables façonnent des textes sur des sujets techniques, peu
« vendables » en une des journaux télévisés. Les personnages
clés d’un dossier sont souvent des députés de pays lointains, peu
connus. Est-ce le manque d’intérêt des citoyens qui provoque
l’indifférence des médias ou le manque de couverture
médiatique qui éloigne les Européens de l’Europe ? C’est la
poule et l’œuf…
Les autorités politiques ne font pas non plus toujours leur travail
d’information civique, notamment au moment des élections
européennes, marquées par un fort taux d’abstention, sans qu’il
soit tenté d’y remédier.
Rares sont les ministres ou chefs d’État ou de gouvernement qui
présentent sans faux-semblant la réalité de leur pouvoir : une
gestion d’interdépendances complexes ! À la place, ils ressassent
des beaux discours sur la « souveraineté » ou « l’indépendance
nationale », sans grand rapport avec la réalité en 2015.

L’information ne manque pas


Ce livre s’est donné comme objectif de faire un peu mieux
comprendre l’Europe et ses enjeux. Il n’a pas la prétention
d’informer sur l’ensemble de l’actualité européenne, très riche
malgré le silence qui l’entoure.
Ceux qui voudraient en savoir plus ne manquent heureusement
pas de sources pour suivre l’actualité européenne. Les journaux,
les radios et certaines chaînes TV envoient à Bruxelles des
correspondants de qualité, qui révèlent parfois des scoops.
En 1999, c’est suite à un article, du journaliste de Libération
Jean Quatremer (dont Les Coulisses de Bruxelles est aujourd’hui
l’un des blogs francophones les plus visités dans la « bulle
bruxelloise »), sur les pratiques douteuses de la commissaire
Édith Cresson, que la Commission Santer décide de
démissionner collectivement.
La chaîne Euronews couvre l’actualité d’un point de vue
européen, quand le journal d’Arte fournit un éclairage franco-
allemand.
Mais ce sont surtout les médias anglo-saxons qui reçoivent la
palme de l’influence. Le Financial Times informe les élites
économiques. C’est bien souvent par le prisme de The
Economist que les Chinois, les Brésiliens et les Américains
reçoivent des nouvelles de « Bruxelles ». Ce quasi-monopole
des Britanniques peut poser problème : on laisse le soin de
diffuser l’idée européenne à ceux qui ne s’en sont guère
emparés.
Dans ce petit monde, un nouveau venu américano-allemand a
fait une entrée remarquée en avril 2015. Lancé aux États-Unis
pour révéler les coulisses de la bataille Obama-Clinton de 2008,
le journal en ligne Politico vient de s’implanter à Bruxelles en
promettant de dévoiler « les machinations, les manœuvres »
d’une capitale « imprégnée de personnes fascinantes et
d’intrigues politiques captivantes ».
L’Europe, oubliée des médias ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Europe est souvent la grande oubliée des médias, et des discours politiques.

✓ Les médias anglo-saxons, à l’audience plus large, sont très influents à


Bruxelles.
49
Le TTIP / TAFTA
e Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement
L (plus connu sous le nom de TTIP ou de TAFTA), en cours de
négociation entre l’Union européenne et les États-Unis, fait
couler beaucoup d’encre.
La Commission européenne, qui mène les négociations dans les
limites du mandat accordé par les États, est accusée d’ouvrir le
marché européen à des produits américains dont les critères de
qualité sont inférieurs aux nôtres, ou encore de ne pas avoir pris
au sérieux la menace que représenteraient les tribunaux arbitraux
destinés à garantir les droits des investisseurs.
La négociation doit viser l’ouverture des échanges tout en
instaurant des garde-fous.

Les bénéfices potentiels


L’Europe pourrait tirer parti de cette ouverture. Aux États-Unis,
les marchés publics sont réservés aux entreprises américaines.
Les Européens sont ainsi privés de l’accès à 10 % de l’économie
américaine, alors même que les entreprises de ce pays
bénéficient d’un accès libre à nos marchés publics. Il s’agit donc
d’une question de réciprocité.
De même, certains biens européens, comme les produits laitiers,
ne peuvent être exportés aux États-Unis. Le TTIP pourrait
rendre nos relations commerciales plus équitables et permettre à
nos entreprises de vendre d’avantage aux 300 millions de
consommateurs américains. Si les normes sont harmonisées, nos
PME pourront consacrer moins de temps et moins d’argent aux
soucis bureaucratiques.

Les interrogations
Si l’on regarde les statistiques, l’UE est un ensemble plus peuplé
et même plus puissant, sur le plan commercial, que les États-
Unis. Mais les Américains sont mieux organisés : c’est un État
fédéral capable de déterminer ses intérêts et de les défendre,
d’une manière infiniment plus efficace que l’UE ne le fait.
Dans ces négociations, il ne s’agit ni de brader notre mode de
vie, ni de niveler nos normes par le bas. Les opposants au traité
expriment parfois des préoccupations légitimes. D’autres
arguments ne reflètent pas tout à fait la réalité. Parfois, le débat
perd tout lien avec la raison. Contrairement à ce qu’ils affirment,
il n’y aura pas de poulet chloré dans nos assiettes : « Je trace une
ligne rouge très claire : nous n’allons importer ni bœuf aux
hormones, ni poulet nettoyé au chlore », a ainsi déclaré au
journal Le Parisien l’ex-commissaire européen Karel De Gucht,
qui a lancé les négociations. De même, la France, attachée à son
exception culturelle, a obtenu que l’audiovisuel ne soit pas
concerné par le traité.
L’incertitude règne quant au sort réservé aux services financiers.
L’Union plaide pour l’inclusion d’un chapitre ambitieux sur la
coopération réglementaire financière mais, au moment de la
rédaction de ce livre, les Américains s’y opposent toujours. Ces
derniers, qui estiment avoir davantage encadré la finance depuis
la crise, voient dans l’harmonisation de ces règles un risque de
retour en arrière. Les Européens craignent de leurs côtés qu’une
trop grande divergence ne vienne fragiliser la stabilité financière
mondiale.

Comment régler les différends entre


États et investisseurs ?
Mais les critiques les plus virulentes portent sur le recours à des
tribunaux arbitraux dans le règlement des différends entre
investisseurs et États (plus connu sous le nom d’ISDS pour
« Investor-State Dispute Settlement »).
Ce mécanisme n’est pas nouveau : utilisé depuis la fin des
années 1950, il accompagne les quelque 1 400 accords que les
États membres ont déjà passés individuellement. Contrairement
à un tribunal classique, où les juges relèvent des autorités
publiques, les arbitres sont choisis par les parties (investisseurs
et États) elles-mêmes.
Le recours à ces tribunaux privés pose la question de l’équilibre
entre protection des investisseurs et droit des États à réguler. Les
arbitres sont censés protéger les investisseurs d’une
expropriation « directe ou indirecte » de la part des États. La
Commission européenne s’est engagée à clarifier la portée du
concept d’expropriation indirecte. Une simple baisse de profits,
provoquée, par exemple, par des normes environnementales plus
strictes, pourrait-elle être assimilée à une expropriation
partielle ? Une hausse du salaire minimum pourrait-elle motiver
une demande de compensation de la part des entreprises ?
A contrario, quand l’Allemagne a décidé, d’un coup,
d’abandonner le recours à l’énergie nucléaire, contrairement à
des accords passés antérieurement avec des fournisseurs, ne
faut-il pas que ces derniers soient correctement indemnisés ?
Derrière les contrats annulés, ce sont des salariés, et leurs
familles, qui se retrouvent brusquement sans perspectives.
Face aux inquiétudes, la Commission s’attache à encadrer cet
outil. Elle envisage la création d’un Tribunal international
d’arbitrage, organisme public qui serait amené à trancher les
recours. Le mercredi 8 juillet 2015, le Parlement s’est prononcé
en faveur d’un tel tribunal, où des magistrats professionnels,
nommés par les pouvoirs publics, seraient « soumis aux
principes démocratiques ainsi qu’à un mécanisme de contrôle ».
Des négociations opaques ?
Le secret des négociations crée des fantasmes et nourrit des
incertitudes (sur les appellations géographiques des produits
agricoles par exemple). Deux exigences se heurtent de front :
d’un côté le besoin d’informer les populations et de donner, en
toute transparence, des informations sur les objectifs des
négociateurs. De l’autre, les règles ancestrales de la
négociation : celui qui abat ses cartes à l’avance s’affaiblit.
La discussion sur le TTIP fait peser sur l’UE une sorte de
soupçon d’opacité alors que les diplomaties nationales n’ont
jamais pratiqué la transparence par le passé ! Il y a souvent, chez
les adversaires du traité, deux poids et deux mesures.
L’accord final sera dévoilé dans un délai suffisant pour permettre
un débat basé sur le texte, et non sur des rumeurs, avant d’être
soumis au Parlement européen et aux parlements nationaux. Le
contrôle démocratique pourra s’exercer à deux niveaux.

L’enjeu de l’influence de l’Europe dans le


monde
Une Union européenne forte, capable de peser sur l’édiction des
normes mondiales (environnementales, sanitaires, alimentaires,
etc.), est un atout majeur. Le TTIP n’a pas seulement vocation à
abaisser les tarifs douaniers, déjà très bas entre l’Europe et les
États-Unis, mais surtout à rapprocher les normes de ces deux
pays, qui auront vocation à devenir des standards mondiaux.
Si le traité fait peur, il faudrait aussi se demander si nous
préférerions laisser les Américains, l’Asie ou encore le Brésil
décider seuls des futures normes qui s’imposeront à nous.
D’autant que les États-Unis et l’Asie (Chine non comprise) sont
en bonne voie pour conclure un accord de partenariat. En
juin 2015, le Congrès américain a donné son feu vert à ce traité
transpacifique (TTP).

Le TTIP / TAFTA

L’essentiel en 5 secondes

✓ Les négociations sont en cours, le traité n’entrera en vigueur qu’avec l’aval du


Parlement européen.

✓ La levée des barrières pourrait bénéficier aux exportations européennes.

✓ L’enjeu majeur est celui de la convergence des normes mondiales. Si l’Europe


se ferme, qui les fixera ?
50
Quelle place pour
l’UE dans le monde ?
ès l’origine, le projet communautaire se voulait global. Il
D n’était pas seulement question d’organiser l’Europe, mais de
lui donner une assise et une vision dans le monde.
Le 9 mai 1950, Schuman déclare que « la Communauté elle-
même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du
monde de demain ».
Plus de cinquante ans plus tard, le bilan est plutôt positif.
Longtemps bridée par le monde bipolaire de la guerre froide
(avec deux grandes puissances : États-Unis et URSS), l’Union
européenne a réussi à se faire une place. Première puissance
commerciale, l’Union européenne est également reconnue dans
le monde pour son modèle social et démocratique. Elle est à
l’initiative de plusieurs combats globaux, notamment dans la
lutte contre le dérèglement climatique et l’aide aux pays en
développement.

Un décrochage de l’Europe ?
Néanmoins, l’Union européenne est confrontée à plusieurs défis
pour garder sa place.
D’abord, sa population est vieillissante (d’ici 2025, les
personnes âgées de 65 ans et plus représenteront plus de 20 % de
la population, et les octogénaires seront de plus en plus
nombreux) ; le déclin démographique (1,58 enfant par femme
en 2012) peut poser des problèmes, notamment de financement
des retraites.
Son modèle d’influence, basée sur l’exportation de ses normes
(soft power) trouve ses limites lorsqu’il est confronté à des
méthodes plus musclées, comme celles de Vladimir Poutine par
exemple, ou de Daech.
Dans la concurrence mondiale pour l’innovation, le nombre de
brevets déposés par les chercheurs et les entreprises européennes
est en deçà de ce que l’on pourrait attendre ; l’Europe est
clairement distancée.

Des raisons d’espérer


La méthode communautaire, quand elle est respectée, permet de
dépasser les égoïsmes nationaux pour prendre des décisions
collectivement, afin de résoudre les problèmes communs. C’est
un précieux atout dans un monde de plus en plus interdépendant,
où aucune puissance mondiale n’est en capacité de s’imposer
seule. Les négociations sur le climat le rappellent.
En termes de croissance, même si elle est à la traîne aujourd’hui,
l’Europe pourrait tirer parti de sa proximité avec le continent
africain, qui devrait connaître une croissance rapide dans les
prochaines décennies. Évidemment, tout ne viendra pas de
l’extérieur et certains États européens doivent continuer à se
réformer et à réduire leur dette pour assurer une croissance
durable.
Pour être audible et influente sur la scène internationale, l’Union
européenne doit encore faire des efforts. Elle gagnerait à être
plus identifiable. Aujourd’hui, les Américains, Brésiliens, ou
Chinois ont du mal à savoir quel numéro de téléphone appeler
pour joindre l’interlocuteur européen pertinent. La
représentation extérieure de la zone euro n’est pas des plus
claires : entre Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe,
Mario Draghi, président de la BCE, Valdis Dombrovskis,
commissaire en charge de l’euro, Pierre Moscovici, commissaire
européen aux affaires économiques et financières, il y a de quoi
se perdre.
Face à la montée de nouvelles puissances, se pose aussi la
question d’un siège unique européen dans certaines
organisations internationales. Si l’Europe parlait d’une même
voix, elle serait plus audible qu’aujourd’hui, où trop souvent
règne la cacophonie.

Quelle place pour l’UE dans le monde ?

L’essentiel en 5 secondes

✓ L’Europe connaît un déclin démographique mais reste encore influente,


aujourd’hui.

✓ Aucun de ses États membres n’a la taille critique pour peser seul.

✓ Une meilleure représentation externe lui serait bénéfique, sa voix étant,


jusqu’ici, encore fragmentée.
Sommaire

Couverture
50 notions clés sur l'Europe pour les Nuls
Copyright
Remerciements
Ni excès d’honneur ni indignité
Histoire
1 - Au commencement était la guerre
De biens mauvais souvenirs

Le cœur et la raison

2 - 1950-1957 : trois étapes


La volonté d’unir les hommes

L’Europe de la défense, une occasion manquée

Le rebond par l’économie

3 - La genèse de l’euro
La fin de la convertibilité du dollar en or

À la recherche de la stabilité

Les premiers pas de l’euro


Les limites de Maastricht

4 - Retour sur l’unification allemande


Principes

5 - Privilégier l’intérêt général


Un jeu collectif

Une exigence de chaque instant

6 - « Le nationalisme, c’est la guerre »


7 - Une union d’États et de citoyens
Quelques ordres de grandeur

Chacun a voix au chapitre

Ne léser personne

8 - L’équité par le droit


Une Communauté de droit

9 - Une union de valeurs


Un monde un peu meilleur

Des droits reconnus par la Charte des droits fondamentaux

10 - La répartition des compétences


Pouvoirs et institutions

11 - Le Parlement européen : l’assemblée des citoyens


Les citoyens s’affirment
Une représentation pluraliste

Les affinités électives

Un Parlement réellement européen ?

12 - Le Conseil européen
Une tour de Babel

Pour le meilleur et pour le pire

13 - Le Conseil des ministres


Nos ministres sont des « eurocrates » qui s’ignorent

14 - La Commission européenne
Une chauve-souris

15 - La Cour de justice
16 - Le processus de création des « lois » européennes
17 - Lobbies : vérité et fantasmes
Visiteurs du soir à Paris, plaidoiries du jour à Bruxelles

Une pluralité d’opinions

Les politiques de l’Union européenne

18 - La politique monétaire
Une banque centrale indépendante et attachée à la stabilité des
prix

« Whatever it takes »

19 - La politique européenne de concurrence


Éviter les cartels

Encadrer les positions dominantes

Tous égaux devant les aides d’État

Une réussite européenne

20 - La politique agricole commune


De Gaulle, l’Européen

La PAC s’adapte

Le Parlement entre en piste

La PAC n’est pas démodée

21 - Le commerce international
Des protections contre la concurrence déloyale

L’Union européenne, une chance pour la France dans la


mondialisation

Et le contrôle démocratique ?

Un rôle à repenser ?

22 - Grandeur et vicissitudes du marché unique


Des garde-fous

Peser dans le monde

Les défauts du marché unique

Des États encore puissants


Des pistes pour l’avenir

23 - L’Union économique et monétaire inachevée


24 - La libre circulation des travailleurs
Une liberté controversée, des critiques exagérées

Le détachement des travailleurs, un problème réel

25 - Schengen
Les frontières intérieures disparaissent

Schengen en sursis ?

Un abandon coûteux

26 - L’Europe de la défense de l’environnement


Les trois 20

La pollution mise aux enchères

Des économies à la clé

Une question d’indépendance

L’Europe de l’environnement

L’encadrement des produits chimiques

Préserver la biodiversité

La défense des abeilles

27 - La protection des données


La Cour de justice du côté des citoyens
L’UE, une échelle pertinente

28 - La recherche européenne
Les chercheurs se rencontrent

Une politique qui « vaut le coût »

Le paradoxe européen

29 - La lutte contre la pauvreté


L’aide alimentaire, une compétence européenne ?

Des outils à saisir

30 - Le numérique, nouvelle frontière du marché unique


Des frontières persistantes

Séance de rattrapage

31 - L’harmonisation fiscale : un chantier ouvert


Des ressources amoindries

Une concurrence fiscale exagérée

Le Parlement et la Commission s’emparent du sujet

32 - La convergence sociale inachevée


Une concurrence entre travailleurs européens ressentie comme
déloyale

Des modèles sociaux différents

Des réponses européennes encore timides

33 - Une Europe judiciaire embryonnaire


34 - Diplomatie et défense européenne ?
Une montée en puissance très progressive

Les États jouent toujours un rôle prépondérant

Une défense commune ?

L’Europe pourra-t-elle toujours compter sur les États-Unis ?

Des Européens divisés

Une défense européenne encore dispersée

Questions ouvertes

35 - Va-t-on vers l’Europe à plusieurs vitesses ?


Une réalité ancienne

Une intégration plus poussée nécessaire au partage de l’euro

36 - Le Royaume-Uni, dedans ou dehors ?


Royaume-Uni / Union européenne : des relations mouvementées

Une sortie risquée

Le référendum, une occasion manquée pour l’Europe ?

37 - Peut-on sortir de l’euro ?


Des avantages internes

Des avantages externes

La sortie de l’euro serait un saut vers l’inconnu

38 - Troïka et plans de sauvetage


État d’urgence

La démocratie oubliée ?

39 - Le « non » de 2005, oublié ?


Les motivations du « non » à la Constitution

Démocratie contre démocratie

Un enjeu de la campagne présidentielle de 2007

Un traité qui ménage tout le monde

Le déni de démocratie n’est pas là où on le croit

40 - Des ambitions sans moyens financiers ?


41 - Comment assurer davantagededémocratie ?
Des marges de progression existent

42 - Quels sont les futurs membres de l’UE ?


Les fondateurs font des émules

Après les dictatures, la famille se retrouve

Un accueil peu préparé

Vers la fin de l’« élargissement » ?

43 - Quelle situation pour les autres pays européens ?


Une indépendance en trompe-l’œil

Des États membres presque comme les autres

44 - Le Conseil de l’Europe
Une organisation internationale comme les autres

Un rôle affirmé dans la défense des droits de l’homme

Le Conseil de l’Europe, un préalable à l’adhésion à l’Union ?

45 - L’Europe face aux réfugiés


L’Europe n’a que les compétences qu’on lui donne

Un cadre juridique inadapté

Un enjeu global

46 - L’Europe et la Russie
Les débuts prometteurs de Vladimir Poutine

Des relations conflictuelles

Les ressources naturelles comme moyen de pression

Moscou cherche des relais d’influence

47 - Vers une éducation européenne ?


Les échanges se multiplient

Vers une éducation européenne ?

48 - L’Europe, oubliée des médias ?


Loin des yeux, loin du cœur

L’information ne manque pas

49 - Le TTIP / TAFTA
Les bénéfices potentiels
Les interrogations

Comment régler les différends entre États et investisseurs ?

Des négociations opaques ?

L’enjeu de l’influence de l’Europe dans le monde

50 - Quelle place pour l’UE dans le monde ?


Un décrochage de l’Europe ?

Des raisons d’espérer

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