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Bulletin de la Société de
géographie de Lyon et de la
région lyonnaise
Tricart Jean. Contribution à l'étude des structures urbaines. In: Revue de géographie jointe au Bulletin de la Société de
géographie de Lyon et de la région lyonnaise, vol. 25, n°3, 1950. pp. 145-156;
doi : 10.3406/geoca.1950.6629
http://www.persee.fr/doc/geoca_1164-6284_1950_num_25_3_6629
par J. Tricart
(1) Ces intéressantes suggestions méritent certes toute l'attention du lecteur; et elles
inspireront les futurs auteurs de monographies urbaines. M. Tricart nous autorise pourtant
à rappeler qu'elles ont été plus ou moins suivies déjà depuis tantôt quarante ans dans
maint travail sur ce type de sujet. Sans parler de Rouen, de Damas, du Caire, d'Alger,
d'Oran, et pour nous borner à un échantillonnage de ce qui a paru dans nos provinces,
depuis le Grenoble de Raoul Blanchard publié pour la première fois en 1911, nous
mentionnerons, à la Rev. de géo. alpine, son Annecy (1916), son Québec (1934), et son
Montréal (1947); Le cours Berriat, étude de rue, par Ch.-A. Roux (1913), suivis ou accompagnés
par une bonne douzaine de monographies urbaines poursuivies jusqu'en 1949 dans un esprit
voisin de celui qui est recommandé ici. De leur côté, les pays du Rhône, qui donnaient ailleurs
le Marseille de G. Rambert (1934), voire le Saint-Etienne Je Maxime Perrin (1937), ont
fourni aux Etudes Rhodaniennes le Trévoux de Mlle Y. Janigot (1931), le Port-Saint-
Louis du Rhône de Louh François (1931), le Bourg-en-Bresse de Mme J. Cler-Garçon
(1933), l'Aix-les-Bains d'Armand Perrin (1934), le Cluny de Paul Degueurce (1935).
le Vienne en Dauphine de Mlle G. Revol (1945), le Tournus de Mlle Ch. Sardy (1935).
le Villefranche de Mlle H. Velu (1938), l'Evreux de Jean Vidalenc et le Tulle de M.
Chaulanges (Liv. jub. M. Zimmermann 1949), les études et discussions de Ch. Fournial'
(1944) et Pierre Bonnoure (1945) sur « Cité et centre d'activité », de celui-ci sur
l'évolution géographique de Paris (1944, puis 1949 au Livre jub. M. Zimmermann), les deux
thèses de Félix Rivet sur les quartiers Perrache et Grolée de Lyon, résumées (1946, 1947,
et 1949 au L. j. M. Z.) avant leur prochaine parution en librairie; celle, à venir, d'Edmond
Berthaud sur la banlieue de Lyon, anticipée par une note partielle (1946); sans compter
plus d'une analyse ou description de quartiers, à propos de telle foire, de tel marché, de-
telle forme d'activité ou de peuplement, de telle banlieue laitière ou maraîchère: à Chalor.
à Tournon, à Louhans, à Lyon même. Le présent fascicule traduit, plus ou moins, dans L-ь
articles qui suivent, la persistance de cet état d'esprit (N.D.L.R.).
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généité s< -ciale : . ici un chiffonnier,- là: un employé de bureau, plus loin un
ouvrier. Des travailleurs en faux-col au clochard sédentarisé, toute l'échelle
«ociale est représentée. Puis peu à peu, cet aspect pionnier se modifie. Les
constructions deviennent plus nombreuses et- finissent par former, une rue,
où persistent longtemps des parcelles réfractaires occupées par des jardins,
des vergers, ou même de la grande culture, propriété de paysans qui ne >e
pressent pas de vendre, comptant sur une valorisation progressive. Les
•i mal-lotis » obtiennent que la municipalité fasse jeter quelques brouettées
de gravier dans les ornières de leur « rue », ou de leur « avenue-», voire
de leur « boulevard », noms pompeux faisant un violent contraste avec îa
piteuse réalité,. mais d'autant plus fréquents à cause de cela.. Des bordures
de trottoir apparaissent dans l'herbe, puis l'électricité, le gaz, l'eau. Alors le
çtade de maturité est atteint. Le prix des parcelles et des maisons s'accroît,
presque tout est bâti, le niveau social s'élève : clochards et chiffonnier?
érmgrent peu à peu vers de nouvelles franges pionnières, où ils trouveront des
lopins bon marché . pour leurs cabanes ; la population devient celle des
« banlieusards moyens »: employés de bureau, ouvriers économes, petits
fonctionnaires. Les commerces apparaissent, logés au début dans de simples
villas, puis dans des boutiques souvent surmontées d'étages formant autant
d'appartements. - Dès lors les pavillons reculent devant les immeubles, et
une nouvelle étape est encore franchie.
L'n fait essentiel caractérise cette « colonisation » individuelle:: elle
conserve, comme un véritable fixateur, la structure agraire pré-urbaine.
Les rues sont d'anciens chemins ruraux et gardent souvent pendant quelque
temps les vieux noms de terroirs (rue des Vignes, rue de la Fontaine Renée,
sente des Haras, rue du Clos Notre-Dame, autant d'exemple^ pris dans la
banlieue parisienne et que nous. pourrions aisément multiplier). Le dessin
des parcelles primitives se maintient dans son ensemble : les plus exiguës
persistent telles quelles, d'autres sont divisées en 2 ou en Л. Les plus grandes
échappent à l'emprise de cette colonisation individuelle.
Toutes les structures agraires ne sont pas également favorables à ce type
de métamorphisme urbain. Les champs en lanières des communes
alsaciennes ou lorraines sont souvent trop étroits pour permettre d'asseoir une
maison. Il faut alors regrouper deux ou trois parcelles contiguës avant
île construire, ce qui est long et difficile pour un simple particulier. Souvent
dans ce cas domine la « colonisation » collective. Ailleurs, au contraire.
!es pièces sont trop grandes et dépassent les moyens de l'acheteur isolé. En
général 1.000 nr, c'est-à-dire 10 ares, est un maximum. Au-dessus, il faut
recourir à la technique du* lotissement, c'est-à-dire de la « colonisation >
organisée. Les structures agraires les plus favorables sont donc celles où
les parcelles ont de 5 à 10 ares et ne sont pas trop allongées. Tels sont les
vignobles dans les environs de Paris, et cela explique que la banlieue se
,
soit développée, surtout avant 1914, sur les pentes des coteaux, anciennes
vignes présentant des conditions favorables de par le dessin des parcelles.
La crise viticole du début du xxe siècle est aussi venue ajouter ses effets,
incitant le vigneron dans la gêne à. vendre à un prix rémunérateur.- De plus,
échappant aux servitudes- collectives, les vignes étaient parcourues d'un
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îotisseur à un prix uniforme sont assez coûteux par suite des travaux
d'aménagement. La peculation n'est d'ailleurs pas toujours exclue. Cela suffit à
écarter une certaine clientèle, incapable de payer. Ouvriers aisés, employés,
artisans, fonctionnaires forment un milieu assez homogène, celui du «
français moyen » propriétaire d'une petite maison grâce aux prêts avantageux
autorisés lors du premier après-guerre par les lois Ribaux puis Loucheur.
Certaines conditions particulières de structure agraire pré-urbaine
favorisent la « colonisation » par lotissements. C'est le cas toutes les fois que
cette structure agraire ne peut s'adapter tant bien que mal à la construction,
que les parcelles soient trop exiguës, ou qu'elles soient trop vastes, ce qui
est le plus fréquent. Le long de la ligne Paris-Survilliers, dans la Plaine de
France, les agglomérations de banlieue qui entourent chaque gare sont
postérieures à la guerre de 1914-18 et tirent leur origine de vastes lotissements
effectués dans les énormes parcelles de très grandes fermes, dont certaines
persistent encore au milieu des maisonnettes et des pavillons, comme la
Grange-des-Noues. A Houlgate (Calvados), la situation balnéaire s'est
constituée entièrement par colonisation individuelles de parcelles de bocage peu
étendues, sauf le quartier qui entoure l'église. Occupant une vaste pièce de
4 ha .Ю, il résulte d'un lotissement (voir fig. 1).
La colonisation organisée est aussi de règle dans le cas des cités ouvrières
construites par les sociétés industrielles pour loger leur personnel.
Souvent, dans ce cas, le lotissement n'a été possible qu'après un remembrement
des parcelles agricoles, comme dans un grand nombre de centres
métallurgiques lorrains, remembrement qui est facilité lorsque se trouvent dans le
champtier plusieurs pièces de terre. assez grandes. Le site de bien des cités,
voire d'usines, a été déterminé par les facilités qu'offrait au remembrement
l'existence de grandes propriétés terriennes comptant des parcelles vastes
et voisines les unes des autres. L'usine et la cité de l'U.C. P.M.I, (ancienne
usine Thys^en). à Hagondange, en offre un exemple.
IL LE PAYSAGE URBAIN
Quels sont les moyens dont dispose le géographe pour étudier les
structures urbaines dont nous venons d'essayer de montrer brièvement l'intérêt ?..
Il y a d'abord l'enquête directe, car la géographie est science vivante,
mais elle ne peut guère servir qu'à poser les problèmes. Elle échoue. quand
il s'agit de rassembler une documentation complète et complexe, base
indispensable à tout essai cartographique.
.
.
ce dernier dans la matrice permet de savoir si c'est lui-même qui a fait
construire ou s'il a acquis l'immeuble de quelqu'un d'autre. Dans le premier cas,
lors de la construction, sa cote a été modifiée. La parcelle antérieurement
jardin, terre ou vigne, a été barrée, et, simultanément, inscrite à nouveau
sous le nom de maison. Les colonnes « tirée de ... » et « porté â ... » de la
matrice portent toutes deux le n° du folio de l'actuel propriétaire. Si l'on
veut savoir de qui ce dernier tenait la parcelle en question, il suffit de lire
le n° de folio du propriétaire antérieur dans la colonne « tiré de ... >•
correspondant à la dite parcelle. On peut continuer ainsi la filiation. jusqu'au
.
propriétaire qui la détenait lors de l'établissement du premier cadastre. Dans
le second cas, on opère de la même façon pour effectuer la filiation de la
parcelle et on retrouve ainsi la date à laquelle la construction a été effectuée,
et la. personne qui la possédait alors.
Dans le cas des lotissements, on retrouve ainsi, avant la vente des
parcelles loties, un propriétaire commun pour toute une >érie de terrains conti-
gus, personne dont il est aisé de connaître la nature: société immobilière,
particulier, industriel, etc.. et dont on peut retrouver, par filiation
également, les prédécesseurs, soit un grand propriétaire terrien possédant de vastes
parcelles, soit- une foule de petits paysans dont les terres ont été remembrées
par le lotisseur. L'origine des structures urbaines s'éclaire ainsi aisément.
.
On saisit sur le vif la genèse du nouveau quartier et l'établissement
progressif d'une forme primaire d'habitat, phénomène qui ne se montre plus
qu'exceptionnellement dans : le monde rural contemporain.
Le dépouillement des archives municipales et des papiers des services de
contrôle de la préfecture permettent également d'avoir des précisions sur
les lotissements (date de l'autorisation de - lotir, composition de la société
.
Il ' est donc aisé d'étudier, au moyen de cette matrice, la structure sociale ■
de la propriété bâtie, en relevant les personnes possédant plusieurs maisons
et tirant, de ce fait, un revenu de leur location. Cela permettra ainsi de voir
quelles sont les classes sociales qui détiennent la propriété urbaine,
commerçants, rentiers, industriels, ou sociétés immobilières, compagnies
d'assurances, etc.. lorsqu'ils s'agit d'immeubles récents, cela complétera l'étude
des matrices ordinaires en précisant les catégories sociales qui sont
responsables du développement urbain: petits propriétaires ayant construit eux-
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.
correspondant à la somme des loyers matriciels de ses divers immeubles,
dépouillement qu'on peut compléter, au moyen d'un tableau à 2 dimensions, avec celui
des catégories sociales de propriétaires. Naturellement, une expression
cartographique de ce travail ne manque pas d'être intéressante car elle est
susceptible de mettre en lumière des différences entre les quartiers de la
ville. Tel d'entre eux, par exemple, est la propriété d'un office d'habitation?
à Bon- Marché, ou d'un industriel ou d'un entrepreneur de constructions, et
cela suffit souvent à lui donner un paysage urbain particulier.
Le dépouillement de cette matrice peut aussi permettre de cartographier
de façon acceptable, échappant à peu près à l'appréciation subjective de
l'enquêteur, les diverses constructions de la ville selon leur valeur. Les diverse*
maisons de Houlgate sont figurées par des signes correspondant à leur îover
matriciel. On observe nettement que les immeubles les plus riches s'installent
sur le flanc de la butte à. l'Est de la,- ville et le long de la plage. Mais une
imprécision subsiste, car une construction fortement imposée peut aussi bien
,
être un immeuble de location médiocre qu'une grosse villa. D'autres
documents permettent de résoudre cette difficulté.
Les diverses matrices permettent aussi de suivre pas à pas les progrès de
la construction de la ville, de scruter le mécanisme intime de constitution des
quartiers nouveaux. Il suffit de faire des cartes de quartiers où les maisons
sont figurées par des signes différents, en fonction de la date à laquelle elles
ont été bâties.
Les recensements de population et celui des maisons viennent compléter
les documents cadastraux en permettant de confronter la propriété des
immeubles et leur occupation.
Les dénombrements de population, effectués régulièrement tous les 5 ans
depuis 1831, >auf certaines années calamitéuses, groupent les habitants par
maisons, par rues et par. quartiers. Chaque immeuble est affecté d'un n° de
maison, ce qui permet de voir le nombre de familles qu'il abrite, donc de
reconnaître si c'est une habitation individuelle ou collective. Lorsque le
travail a été bien fait, le nom de la rue et le numéro ont été indiqués, de sorte
que la cartographie ou la confrontation avec les documents cadastraux e^t
aisée, mais, hélas, ce n'est pas toujours le cas, et les numéros affectés aux
maisons sont parfois fantaisistes et différents de ceux qu'elles portent en
réalité. Comme la profession de chaque individu, sa nationalité et son lieu
de naissance sont indiqués, il est facile de cartographier aussi la répartition
de la population en fonction de ses occupations ou de son lieu d'orivine. La
structure sociale des «livers quartiers, voire des rues, apparaît ainsi. Il en e^t
de même des colonies d'étrangers dans les faubourgs industriels ou de
provinciaux à Paris et certaines autres grandes villes.
Le recensement des maisons iL* 1943 donne des renseignements
complémentaires. Sur chaque fiche d'immeuble sont indiqués le nombre de pièces,
le nombre d'étages, les commodités (garages, salles de bain, etc.). le nombre
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