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Revue de géographie jointe au

Bulletin de la Société de
géographie de Lyon et de la
région lyonnaise

Contribution à l'étude des structures urbaines


Jean Tricart

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Tricart Jean. Contribution à l'étude des structures urbaines. In: Revue de géographie jointe au Bulletin de la Société de
géographie de Lyon et de la région lyonnaise, vol. 25, n°3, 1950. pp. 145-156;

doi : 10.3406/geoca.1950.6629

http://www.persee.fr/doc/geoca_1164-6284_1950_num_25_3_6629

Document généré le 24/03/2016


CONTRIBUTION

A L'ÉTUDE DES STRUCTURES URBAINES

par J. Tricart

Bien souvent, les études de Géographie Urbaine comportent seulement


une minutieuse histoire de la ville puis l'analyse de ses fonctions actuelles,
industrielles ou commerciales. Peu de chose sur le paysage urbain lui-même,
et presque toujours incidemment (1). Or, la Géographie est pour une large
part « science du paysage », et c'est pourquoi la Géographie Urbaine
devrait faire une place plus grande à l'analyse des types de maisons de no-
villes, à la disposition des immeubles de nos cités, à la répartition des
différents éléments de la population à l'intérieur des agglomérations.

(1) Ces intéressantes suggestions méritent certes toute l'attention du lecteur; et elles
inspireront les futurs auteurs de monographies urbaines. M. Tricart nous autorise pourtant
à rappeler qu'elles ont été plus ou moins suivies déjà depuis tantôt quarante ans dans
maint travail sur ce type de sujet. Sans parler de Rouen, de Damas, du Caire, d'Alger,
d'Oran, et pour nous borner à un échantillonnage de ce qui a paru dans nos provinces,
depuis le Grenoble de Raoul Blanchard publié pour la première fois en 1911, nous
mentionnerons, à la Rev. de géo. alpine, son Annecy (1916), son Québec (1934), et son
Montréal (1947); Le cours Berriat, étude de rue, par Ch.-A. Roux (1913), suivis ou accompagnés
par une bonne douzaine de monographies urbaines poursuivies jusqu'en 1949 dans un esprit
voisin de celui qui est recommandé ici. De leur côté, les pays du Rhône, qui donnaient ailleurs
le Marseille de G. Rambert (1934), voire le Saint-Etienne Je Maxime Perrin (1937), ont
fourni aux Etudes Rhodaniennes le Trévoux de Mlle Y. Janigot (1931), le Port-Saint-
Louis du Rhône de Louh François (1931), le Bourg-en-Bresse de Mme J. Cler-Garçon
(1933), l'Aix-les-Bains d'Armand Perrin (1934), le Cluny de Paul Degueurce (1935).
le Vienne en Dauphine de Mlle G. Revol (1945), le Tournus de Mlle Ch. Sardy (1935).
le Villefranche de Mlle H. Velu (1938), l'Evreux de Jean Vidalenc et le Tulle de M.
Chaulanges (Liv. jub. M. Zimmermann 1949), les études et discussions de Ch. Fournial'
(1944) et Pierre Bonnoure (1945) sur « Cité et centre d'activité », de celui-ci sur
l'évolution géographique de Paris (1944, puis 1949 au Livre jub. M. Zimmermann), les deux
thèses de Félix Rivet sur les quartiers Perrache et Grolée de Lyon, résumées (1946, 1947,
et 1949 au L. j. M. Z.) avant leur prochaine parution en librairie; celle, à venir, d'Edmond
Berthaud sur la banlieue de Lyon, anticipée par une note partielle (1946); sans compter
plus d'une analyse ou description de quartiers, à propos de telle foire, de tel marché, de-
telle forme d'activité ou de peuplement, de telle banlieue laitière ou maraîchère: à Chalor.
à Tournon, à Louhans, à Lyon même. Le présent fascicule traduit, plus ou moins, dans L-ь
articles qui suivent, la persistance de cet état d'esprit (N.D.L.R.).
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Nous voudrions donner ici d'abord quelques indications générales,


destinées à. orienter les recherches en ce sens, puis quelques indications pratiques.

I. — l'étude de la structure foncière

Un premier élément important est constitué par la structure foncière des


espaces» compris dans l'agglomération; urbaine, c'est-à-dire leurs dimensions,
leur disposition, et la catégorie de propriétaires auxquels elles appartiennent.
De lui dépend pour une très large part la géographie des espaces bâtis. Un
des principaux obstacles à la construction d'immeubles modernes dans les
vieux noyaux urbains est l'exiguïté des parcelles, qui correspond aux
conceptions architecturales des siècles passés. Autrefois, les maisons étaient plus
exiguës que celles vers lesquelles s'oriente la ■ technique actuelle, de sorte
que îa modernisation de* vieux noyaux urbains suppose le remembrement
foncier des parcelles. Remembrement urbain et reconstruction sont liés et
vont de pair dans nos cités détruites. Comme pour ce qui est de la structure
agraire, l'exiguïté des parcelles, héritage de conceptions techniquement
périmées, freine l'évolution et joue le rôle d'élément conservateur, mais ce rôle
est encore plus grand en matière de géographie urbaine par >uite de la
longévité des constructions. Ainsi s'explique la perpétuation (1еь vieilles ruelles
étroite- et sinueuses dans le centre de la plupart de nos grandes villes. Pour
"e> faire disparaître, il faut une coûteuse politique de grands travaux,. assise
sur de? expropriations et des démolitions onéreuses (Ex. les grandes percées
effectuées à Paris par Hausmann: boul. St-Michel. boul. St-( germain, ou la
rue du 22- Novembre, à Strasbourg), ou une calamité importante détruisant
des quartiers entiers, incendies ou guerres, dont les exemples ne nous
manquent hélas pas dans la France d'aujourd'hui. Ainsi ъ 'explique la permanence
du plan de. tant de villes, souvent notée par les auteurs.
Mais îa structure urbaine ne limite pas son influence à une action
conservatrice dans 1еь noyaux bâtis. Elle commande aussi le développement des
agglomérations. La structure pré-urbaine, c'est-à-dire, en fait, la structure
agraire de la banlieue de la cité, dirige la croissance de la ville et souvent
imprime leurs caractères géographique^ aux nouveaux quartiers. Comme
dans l'habitat rural, on note l'opposition entre deux grands types de «
colonisation.» : la colonisation, individuelle et la colonisation organisée. La
première laisse libre 'jeu à la fantaisie individuelle. Un citadin achète un lopin
à un paysan ou à un maraîcher, et y plante une maison, villa ou bicoque. Les
vieux chemins de terres deviennent peu à peu ruelles de faubourgs bordées
de tas de détritus puis rues de la ville. La construction se fait sans aucun
plan d'ensemble, comme la mise en valeur des régions d'habitat rural dispersé. .
Lors d'une première phase apparaissent des bâtisses disparates, en semis
désordonné, mais guidées par les chemins ruraux. Ici une cabane de jardin,
puis des terres encore vouées à la culture; plus loin, une villa coquette ou
une bicoque en planches, à peine supérieure aux bidonvilles tristement
célèbres des villes africaines. Celui-ci construit en bordure du chemin, cet autre
au fond de sa parcelle. Aucun alignement, aucune régularité, aucune homo-
STRUCTURES URBAINES 14л

généité s< -ciale : . ici un chiffonnier,- là: un employé de bureau, plus loin un
ouvrier. Des travailleurs en faux-col au clochard sédentarisé, toute l'échelle
«ociale est représentée. Puis peu à peu, cet aspect pionnier se modifie. Les
constructions deviennent plus nombreuses et- finissent par former, une rue,
où persistent longtemps des parcelles réfractaires occupées par des jardins,
des vergers, ou même de la grande culture, propriété de paysans qui ne >e
pressent pas de vendre, comptant sur une valorisation progressive. Les
•i mal-lotis » obtiennent que la municipalité fasse jeter quelques brouettées
de gravier dans les ornières de leur « rue », ou de leur « avenue-», voire
de leur « boulevard », noms pompeux faisant un violent contraste avec îa
piteuse réalité,. mais d'autant plus fréquents à cause de cela.. Des bordures
de trottoir apparaissent dans l'herbe, puis l'électricité, le gaz, l'eau. Alors le
çtade de maturité est atteint. Le prix des parcelles et des maisons s'accroît,
presque tout est bâti, le niveau social s'élève : clochards et chiffonnier?
érmgrent peu à peu vers de nouvelles franges pionnières, où ils trouveront des
lopins bon marché . pour leurs cabanes ; la population devient celle des
« banlieusards moyens »: employés de bureau, ouvriers économes, petits
fonctionnaires. Les commerces apparaissent, logés au début dans de simples
villas, puis dans des boutiques souvent surmontées d'étages formant autant
d'appartements. - Dès lors les pavillons reculent devant les immeubles, et
une nouvelle étape est encore franchie.
L'n fait essentiel caractérise cette « colonisation » individuelle:: elle
conserve, comme un véritable fixateur, la structure agraire pré-urbaine.
Les rues sont d'anciens chemins ruraux et gardent souvent pendant quelque
temps les vieux noms de terroirs (rue des Vignes, rue de la Fontaine Renée,
sente des Haras, rue du Clos Notre-Dame, autant d'exemple^ pris dans la
banlieue parisienne et que nous. pourrions aisément multiplier). Le dessin
des parcelles primitives se maintient dans son ensemble : les plus exiguës
persistent telles quelles, d'autres sont divisées en 2 ou en Л. Les plus grandes
échappent à l'emprise de cette colonisation individuelle.
Toutes les structures agraires ne sont pas également favorables à ce type
de métamorphisme urbain. Les champs en lanières des communes
alsaciennes ou lorraines sont souvent trop étroits pour permettre d'asseoir une
maison. Il faut alors regrouper deux ou trois parcelles contiguës avant
île construire, ce qui est long et difficile pour un simple particulier. Souvent
dans ce cas domine la « colonisation » collective. Ailleurs, au contraire.
!es pièces sont trop grandes et dépassent les moyens de l'acheteur isolé. En
général 1.000 nr, c'est-à-dire 10 ares, est un maximum. Au-dessus, il faut
recourir à la technique du* lotissement, c'est-à-dire de la « colonisation >
organisée. Les structures agraires les plus favorables sont donc celles où
les parcelles ont de 5 à 10 ares et ne sont pas trop allongées. Tels sont les
vignobles dans les environs de Paris, et cela explique que la banlieue se
,

soit développée, surtout avant 1914, sur les pentes des coteaux, anciennes
vignes présentant des conditions favorables de par le dessin des parcelles.
La crise viticole du début du xxe siècle est aussi venue ajouter ses effets,
incitant le vigneron dans la gêne à. vendre à un prix rémunérateur.- De plus,
échappant aux servitudes- collectives, les vignes étaient parcourues d'un
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dense réseau de chemins desservant chaque lopin ou presque. La rapide et


précoce croissance de la banlieue dans la vallée de la Seine en aval de
Paris, dans la vallée de Montmorency et sur le coteau de Hurepoix au Sud
de Paris s'explique en très grande partie par l'adaptation séculaire de>
terroirs à la culture de la vigne et des légumes.
Une structure sociale de petits et moyens paysans est également
favorable à la « colonisation individuelle. Disposant de ressources réduites, ils
se laissent tenter par l'exode rural ou par la hausse du prix des terres
devenues terrains à bâtir avant qu'elles aient atteint leur valeur maxima
et vendent plus facilement. Rares sont les récalcitrants qui gardent envers
et contre tous leur parcelle enclavée au milieu des constructions sans la
céder à quelqu'un qui veut bâtir. L'agglomération en développement y
gagne en homogénéité. Au contraire, les grands propriétaires constituent
généralement un obstacle, même quand leurs parcelles ne sont pas
remembrées en ensembles d'un seul tenant trop vastes. Disposant d'avances. il>
attendent le moment favorable pour céder leur bien, gênant le
développement de l'agglomération.
La « colonisation » organisée repose sur la technique du lotissement, dont
le développement date surtout de Fentre-deux guerres, période pendant
laquelle le législateur a éprouvé le besoin de la réglementer. Dans ce cas. il
n'y a pas continuité entre la structure agraire et la structure urbaine qui en
dérive. Cette dernière est établie suivant un plan nouveau, plus ou moins
différent de l'ancien. Tracé des rues, dessin des parcelles >ont effectués en
vue de la construction urbaine et visent le plus souvent à faire Venir le
nombre maximum de maisons >ur l'espace loti. Chaque terrain a accès sur
une rue.
Il en résulte naturellement un plan aisément reconnais sable, le plus
souvent proche parent du damier, mais, surtout dans les pays anglo-saxons et
depuis peu. les artères se développent souvent en arabesques sinueuses,
effort pour lutter contre une uniformité obsédante. En France, les
lotissements anciens, antérieurs à la loi de 1925. n'ont été >oumis par l'état à
aucune contrainte, aussi les spéculateurs ont-ils rogné !e plus possible sur la
largeur des chemins afin de vendre plus de terrain sous la forme de
parcelles. Les rues sont alors étroites, souvent mal commodes, parfois sans
issue. Depuis, les obligations sont strictes et exigent une lageur minimum, des
ronds-points aux extrémités des impasses, des trottoirs !e long des
chaussées, etc.. Seule la régularité du tracé permet de distinguer, sur le plan,
les rues de ces lotissements des autres artères urbaines.
Dans le cas des lotissements importants, les organisateurs ont aussi
souvent prévu l'emplacement des boutiques, voire des écoles ou des lieux de
culte. Le cas est fréquent pour les grosses cités ouvrières, mais se trouve
aussi dans la banlieue parisienne (Goussainville, CVonesse, Fondation Blu-
menthal à Epinay-sur-Seine). Le quartier est alors moulé dans un cadre
dont il lui sera difficile de s'échapper.
La structure sociale du peuplement est aussi généralement différente de
celle qui résulte île la •• colonisation » individuelle. Le> lots, vendus par le
STRUCTURES URBAINES 149

îotisseur à un prix uniforme sont assez coûteux par suite des travaux
d'aménagement. La peculation n'est d'ailleurs pas toujours exclue. Cela suffit à
écarter une certaine clientèle, incapable de payer. Ouvriers aisés, employés,
artisans, fonctionnaires forment un milieu assez homogène, celui du «
français moyen » propriétaire d'une petite maison grâce aux prêts avantageux
autorisés lors du premier après-guerre par les lois Ribaux puis Loucheur.
Certaines conditions particulières de structure agraire pré-urbaine
favorisent la « colonisation » par lotissements. C'est le cas toutes les fois que
cette structure agraire ne peut s'adapter tant bien que mal à la construction,
que les parcelles soient trop exiguës, ou qu'elles soient trop vastes, ce qui
est le plus fréquent. Le long de la ligne Paris-Survilliers, dans la Plaine de
France, les agglomérations de banlieue qui entourent chaque gare sont
postérieures à la guerre de 1914-18 et tirent leur origine de vastes lotissements
effectués dans les énormes parcelles de très grandes fermes, dont certaines
persistent encore au milieu des maisonnettes et des pavillons, comme la
Grange-des-Noues. A Houlgate (Calvados), la situation balnéaire s'est
constituée entièrement par colonisation individuelles de parcelles de bocage peu
étendues, sauf le quartier qui entoure l'église. Occupant une vaste pièce de
4 ha .Ю, il résulte d'un lotissement (voir fig. 1).
La colonisation organisée est aussi de règle dans le cas des cités ouvrières
construites par les sociétés industrielles pour loger leur personnel.
Souvent, dans ce cas, le lotissement n'a été possible qu'après un remembrement
des parcelles agricoles, comme dans un grand nombre de centres
métallurgiques lorrains, remembrement qui est facilité lorsque se trouvent dans le
champtier plusieurs pièces de terre. assez grandes. Le site de bien des cités,
voire d'usines, a été déterminé par les facilités qu'offrait au remembrement
l'existence de grandes propriétés terriennes comptant des parcelles vastes
et voisines les unes des autres. L'usine et la cité de l'U.C. P.M.I, (ancienne
usine Thys^en). à Hagondange, en offre un exemple.

IL LE PAYSAGE URBAIN

L'analyse du pay-age urbain constitue un autre élément proprement


géographique de l'étude des villes. Il existe des types de maisons citadines
comme il existe <\e> types de maisons rurales. Par delà la fantaisie des
architectes, des réalités profondes demeurent, qui appartiennent au
déterminisme géographique. Comme pour ce qui est de l'habitat rural, on peut
relever trois influences principales:
L'influence des conditions naturelles, climat et nature du sol de la région
environnante. Toutes nos villes ne sont pas encore faites de gratte-ciels en
béton et en métal, t-t la standardisation industrielle les a à peine touchées
plus que г.оч campagnes: Toulouse reste une ville de brique, opposée à
Bordeaux, ville de pierre. Le calcaire grossier continue de donner son
cachet à Paris et le grès vosgien à Strasbourg. Les toits d'Angers sont en
ardoise», ceux de Briançon en tôles ondulées.
150 J. TRICART

L'influence de la structure foncière joue aussi un rôle considérable.


!>ien Meuvent plus grand encore car la dimension et la forme des parcelles
commandent celles des maisons. Les invraisemblables cours intérieures du
quartier du . Temple à Paris sont une conséquence de l'espacement
considérable des rues qui tire probablement lui-même ses origines de la structure
pré-urbaine. L'emplacement des anciennes fortifications de: Honrleur, loti
en étroites parcelles allongées explique le pittoresque alignement des minces
façades accolées les unes aux autres tout autour des vieux bassins du port.
L'influence de la structure sociale enfin, joue aussi son rôle. Il suffit de
comparer les vieilles gentilhommières du quartier du Marais et les
immeubles « de rapport » contemporains situés entre les quais et le boulevard
Saint-Germain pour se rendre compte que les criants contrastes de la société
se retrouvent dans l'habitat urbain aussi bien que dans Thabitat rural;
davantage même, car nulle part les campagnes françaises ne nous ont montré
d'aussi violente opposition que celle qui existe entre les hôtels particuliers

des abords du Parc Monceau ou du Bois de ■ Boulogne et les cabanes
innommables de la л zone » de Saint-Ouen.
:

La permanence des construction vient encore nuancer' l'influence de ces


facteurs. Bien des immeubles sont vieux de plusieurs siècles et leur façade
offre un témoignage des techniques anciennes de construction, comme les
vieilles maisons à colombage des quais de Till à Strasbourg, ou, autrefois,
les alentours du Vieux Marché à Rouen. Le peuplement des immeubles
anciens subit lui-même une évolution, montrée par de • trop rares études..
Un lent déclassement accompagne les attaques de la , vétusté. Telle maison
bourgeoise du xvin* siècle a été occupée ensuite par des représentants des
classes moyennes au xixe siècle, et abrite aujourd'hui, divisée en
appartements exigus et incommodes, d'humbles ménages ouvriers.

Légende de la fig. l ci contre:


Fig. 1. — Répartition des commerçants et artisans à Houlgate (Calvados).
;

Signes conventionnels: l. Industriels. — 2. Articles pour touristes. — >. Commerces d;.-


l'habillement et du textile. — 4. Commerces d'alimentation. — 5. Artisans. — 6. Hôtels,
restaurants, pensions. — 7. Commerces de luxe (Bijouterie, Haute Couture). — S.
Horticulteurs,, jardiniers. — 9. Professions libérales. — G. Gare.
.

La mer se trouve un peu au delà dubord supérieur du • plan et parallèle à la grande


rue. légèrement oblique par rapport à ce dernier (rue des Bains). La Route Nationale esc
l'autre grande rue à peu près parallèle à la voie ferrée et perpendiculaire à. la rue des
Bains.
Localisation étroite des commerçants le long du bord S. de la rue des Bains (vue su:
Ij. mer) et E. de la Route Nationale. . Les artisans s'installent souvent le long . des rue»
secondaires. La rue des Bains groupe la majeure partie des hôtels, des commerces
.

d'alimentation de luxe (4 pâtissiers, 3 salons de thé), des marchands d'articles pour


touristes (photographie, articles de plage). Les commerces > de luxe sont attirés par
,

l'extrémité E. de la rue des Bains (proximité du Casino et du quartier de la Côt?. où dominent


les riches villas).
Carte dressée sur place par les étudiants du laboratoire de Géographie Je l'Université
Je Strasbourg au cours de la session de Normandie (juillet 1949) et dessinée au cours Jîs
.

travaux pratiques de cartographie sous la direction de M. Sittig.


STRUCTURES URBAINES 151
152 J. TRICART

II faut aussi faire la part des habitudes locales, généralement enchâssées


dans tout un complexe de conditions sociales et de commodités techniques.
Elle- ont pour effet d'engendrer des type* de maisons parfois bien
caractéristiques de certaines villes, comme les échoppes bordelaises ou les magni-
ňques greniers de Besançon ou les toits pointus à étages du vieux Stras-
bourg, tassés autour de la cathédrale.
Aus^i variée que la maison rurale, la maison urbaine a-t-elle eu droit à
!a. même sollicitude qu'elle de la part des géographes ?

III. — LES STRUCTURES SOCIALES

L'étude des structures sociales, enfin, constitue un élément important


<Ie la géographie de l'habitat urbain. Comment se répartissent à l'intérieur
de la ville les hommes qui la peuplent et dont le travail permet son existence?
Problème dont l'intérêt est identique à celui du problème du groupement
et de la dispersion de l'habitat rural, mais combien moins étudié que lui.
Or, il >'agit d'un, élément synthétique, dont l'explication réside dans la
civilisation elle-même du pays auxquel appartient la ville étudiée. Le
quartier noir de Harlem à New- York n'est-il pas une conséquence géographique,
une marque infligée au paysage, du racisme américain? La concentration des
nord-africains dans les îlots insalubres de Paris n'est-il pas le symbole de la
situation misérable, voire de la déchéance, que subissent ces -malheureux-:
.

transplantés, que n'assimilent pas nos villes industrielles? Le « fort »,


quartier du commerce après avoir été un réduit défensif, des villes de l'Asie des
Moussons n'est-il pas l'héritage direct du passé colonial? La curieuse
ségrégation des divers éléments de la population ? des villes asiatiques dans des
quartiers distincts, entourés de murailles, voire légèrement séparés les uns
des autres, qu'à montré Chesneaux, n'est-èlle pas le relief des conceptions
mêmes de la civilisation orientale?
Sans aller aussi loin, nos villes françaises montrent souvent une
spécialisation des divers quartiers, bien que les conditions particulières du
logement dans notre pays ne soient pas favorables à une grande netteté ■ des
faits. La localisation des usines et des commerces les plus importants répond
en général à l'influence de facteurs liés aux fonctions mêmes de la: ville.
Bien des petites villes industrielles se sont développées autour de leur usine,
bien des bourgades se serrent autour de leur champ de foire. Dans les villes
touristiques, les quartiers sont étroitement en: rapport- avec le site exploité.
Ainsi, à Houlgate, les maisons les plus somptueuses se groupent en deux
endroits: sur le flanc d'une avancée du plateau qui vient tomber, sur la mer,
et où-la vue porte au loin, et le long de la plage, en front de mer. En arrière,
les constructions sont plus récentes et plus modestes.
:

Dans les villes importantes, la. composition sociale de la population n'est


pas la même dans les divers quartiers, parfois même dans des rues conti-
guës. Ainsi, percé par Haus^man et bordé d'immeubles cossus, le boulevard
STRUCTURES URBAINES 153

Saint-Germain à l'Est du boulevard Saint-Michel, est habité par des gens


aisés, commerçants, avocats, industriels, professeurs, voire même riches.
Mais ce n'est qu'une façade plaquée sur un autre monde, celui des taudis
et des hôtels meublés de la rue de Bièvres, où s'entassent Nord-africains et
chiffonniers. Contrastes particulièrement saisissant mais certainement pas
'inique. Les quais vers l'Institut eh montrent un. autre exemple, comme
d'ailleurs la rue de Rivoli vers l'Hôtel de Ville, ou la rue des Archives. Les
mêmes oppositions .se retrouvent à une échelle plus grande dans les
conurbations. Saint-Denis abrite essentiellement des ouvriers, Saint-Cloud ou
Montmorency presque uniquement des gens des classes moyennes ou des
bourgeois riches.
La structure sociale de la population d'un quartier évolue avec le temps.
Ainsi, à Strasbourg, Neudorf est resté jusqu'au début du xixe siècle une
sorte de zone malfamée, coupe-gorge où traînaient vagabonds et
chiffonniers. A l'heure actuelle, bien desservi par les tramways et proche du centre
de la ville, c'est une banlieue de résidence assez aisée, où alternent les
immeubles modernes et les pavillons à 2 ou 3 logements.

IV. INDICATIONS PRATIQUES

Quels sont les moyens dont dispose le géographe pour étudier les
structures urbaines dont nous venons d'essayer de montrer brièvement l'intérêt ?..
Il y a d'abord l'enquête directe, car la géographie est science vivante,
mais elle ne peut guère servir qu'à poser les problèmes. Elle échoue. quand
il s'agit de rassembler une documentation complète et complexe, base
indispensable à tout essai cartographique.
.

Divers documents permettent d'y remédier: le cadastre avec sa matrice


et son état de section, la matrice des propriétés bâties, les recensements des
maisons de 1943 et les dénombrements de populations..
Le cadastre nous renseigne tout d'abord sur la structure foncière. Le plan
donne le dessin des parcelles bâties et la comparaison de l'état de choses
actuelles et du vieux cadastre du début du xixe siècle permet de confronter
structure agraire pré-urbaine et structure foncière des espaces construits
depuis un siècle.
Il nous permet aussi de suivre les étapes du développement de la ville. La,
rubrique « augmentations-diminutions » placée au début de la matrice,
enregistre, année par année, les constructions de maisons nouvelles, les
démolitions faux « diminutions ») et les modifications, car. tous ces événements
.se traduisent par des changements de l'assiette de l'impôt. Diverses colonnes
font connaître les motifs de ce dernier, le nom du propriétaire et. le n° de.
la. parcelle affectée. Il est donc aisé de dresser une courbe du rythme de
l'accroissement de la ville, soit tout entière, soit de tel ou tel quartier.
L'étude des matrices renseigne sur les changements de propriétaires des
parcelles et sur la façon dont -'est effectué le développement de la ville. Le
154 J. TRICART

plus simple est de suivre, à, partir du cadastre révisé,, une parcelle


actuellement bâtie et qui ne l'était pas lors de l'établissement du premier cadastre.
L'état de section révisé donne le nom du propriétaire actuel. Le folio de

.
ce dernier dans la matrice permet de savoir si c'est lui-même qui a fait
construire ou s'il a acquis l'immeuble de quelqu'un d'autre. Dans le premier cas,
lors de la construction, sa cote a été modifiée. La parcelle antérieurement
jardin, terre ou vigne, a été barrée, et, simultanément, inscrite à nouveau
sous le nom de maison. Les colonnes « tirée de ... » et « porté â ... » de la
matrice portent toutes deux le n° du folio de l'actuel propriétaire. Si l'on
veut savoir de qui ce dernier tenait la parcelle en question, il suffit de lire
le n° de folio du propriétaire antérieur dans la colonne « tiré de ... >•
correspondant à la dite parcelle. On peut continuer ainsi la filiation. jusqu'au
.
propriétaire qui la détenait lors de l'établissement du premier cadastre. Dans
le second cas, on opère de la même façon pour effectuer la filiation de la
parcelle et on retrouve ainsi la date à laquelle la construction a été effectuée,
et la. personne qui la possédait alors.
Dans le cas des lotissements, on retrouve ainsi, avant la vente des
parcelles loties, un propriétaire commun pour toute une >érie de terrains conti-
gus, personne dont il est aisé de connaître la nature: société immobilière,
particulier, industriel, etc.. et dont on peut retrouver, par filiation
également, les prédécesseurs, soit un grand propriétaire terrien possédant de vastes
parcelles, soit- une foule de petits paysans dont les terres ont été remembrées
par le lotisseur. L'origine des structures urbaines s'éclaire ainsi aisément.

.
On saisit sur le vif la genèse du nouveau quartier et l'établissement
progressif d'une forme primaire d'habitat, phénomène qui ne se montre plus
qu'exceptionnellement dans : le monde rural contemporain.
Le dépouillement des archives municipales et des papiers des services de
contrôle de la préfecture permettent également d'avoir des précisions sur
les lotissements (date de l'autorisation de - lotir, composition de la société
.

immobilière qui lotit, conditions de cession des parcelles pour la


construction, organisation de la voirie, etc.).
La inatrice: des propriétés bâties est apparue vers la fin du xixe siècle.
Etablie suivant un principe voisin de celui des matrices ordinaires, elle
comporte un folio pour chaque propriétaire d'immeubles, où sont indiqués son
nom, sa profession, son domicile, puis la liste des diverses propriétés bâties
qu'ils possède avec leur nature (usine,. maison, garage, etc..) et. pour
chacune,' la base d'établissement de l'impôt, le « loyer matriciel »,
approximativement proportionnel à l'importance de l'immeuble.
;

Il ' est donc aisé d'étudier, au moyen de cette matrice, la structure sociale ■
de la propriété bâtie, en relevant les personnes possédant plusieurs maisons
et tirant, de ce fait, un revenu de leur location. Cela permettra ainsi de voir
quelles sont les classes sociales qui détiennent la propriété urbaine,
commerçants, rentiers, industriels, ou sociétés immobilières, compagnies
d'assurances, etc.. lorsqu'ils s'agit d'immeubles récents, cela complétera l'étude
des matrices ordinaires en précisant les catégories sociales qui sont
responsables du développement urbain: petits propriétaires ayant construit eux-
STRUCTURES URBAINES 155

mêmes leur pavillon, offices d'habitations à bon marché, industriels ayant


créés des cités pour leur personnel, etc.. Il est intéressant aussi de faire. un
dépouillement statistique des cotes totales de chaque propriétaire.

.
correspondant à la somme des loyers matriciels de ses divers immeubles,
dépouillement qu'on peut compléter, au moyen d'un tableau à 2 dimensions, avec celui
des catégories sociales de propriétaires. Naturellement, une expression
cartographique de ce travail ne manque pas d'être intéressante car elle est
susceptible de mettre en lumière des différences entre les quartiers de la
ville. Tel d'entre eux, par exemple, est la propriété d'un office d'habitation?
à Bon- Marché, ou d'un industriel ou d'un entrepreneur de constructions, et
cela suffit souvent à lui donner un paysage urbain particulier.
Le dépouillement de cette matrice peut aussi permettre de cartographier
de façon acceptable, échappant à peu près à l'appréciation subjective de
l'enquêteur, les diverses constructions de la ville selon leur valeur. Les diverse*
maisons de Houlgate sont figurées par des signes correspondant à leur îover
matriciel. On observe nettement que les immeubles les plus riches s'installent
sur le flanc de la butte à. l'Est de la,- ville et le long de la plage. Mais une
imprécision subsiste, car une construction fortement imposée peut aussi bien

,
être un immeuble de location médiocre qu'une grosse villa. D'autres
documents permettent de résoudre cette difficulté.
Les diverses matrices permettent aussi de suivre pas à pas les progrès de
la construction de la ville, de scruter le mécanisme intime de constitution des
quartiers nouveaux. Il suffit de faire des cartes de quartiers où les maisons
sont figurées par des signes différents, en fonction de la date à laquelle elles
ont été bâties.
Les recensements de population et celui des maisons viennent compléter
les documents cadastraux en permettant de confronter la propriété des
immeubles et leur occupation.
Les dénombrements de population, effectués régulièrement tous les 5 ans
depuis 1831, >auf certaines années calamitéuses, groupent les habitants par
maisons, par rues et par. quartiers. Chaque immeuble est affecté d'un n° de
maison, ce qui permet de voir le nombre de familles qu'il abrite, donc de
reconnaître si c'est une habitation individuelle ou collective. Lorsque le
travail a été bien fait, le nom de la rue et le numéro ont été indiqués, de sorte
que la cartographie ou la confrontation avec les documents cadastraux e^t
aisée, mais, hélas, ce n'est pas toujours le cas, et les numéros affectés aux
maisons sont parfois fantaisistes et différents de ceux qu'elles portent en
réalité. Comme la profession de chaque individu, sa nationalité et son lieu
de naissance sont indiqués, il est facile de cartographier aussi la répartition
de la population en fonction de ses occupations ou de son lieu d'orivine. La
structure sociale des «livers quartiers, voire des rues, apparaît ainsi. Il en e^t
de même des colonies d'étrangers dans les faubourgs industriels ou de
provinciaux à Paris et certaines autres grandes villes.
Le recensement des maisons iL* 1943 donne des renseignements
complémentaires. Sur chaque fiche d'immeuble sont indiqués le nombre de pièces,
le nombre d'étages, les commodités (garages, salles de bain, etc.). le nombre
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d'appartements. On y trouve de plus le nom et l'adresse du propriétaire et


la liste des locataires, ce qui vient recouper les éléments fournis par les
dénombrements de population. Ce recensement permet donc une véritable
cartographie du paysage urbain, distinguant les pavillons individuels, les
immeubles moyens, les grandes bâtisses à appartements multiples, les maisons
confortables et les autres, etc.
L'étude des structures urbaines, tout comme celle des structures rurales
structures agraires, structures sociales, structure de l'habitat) permet donc
-.me véritable prise de conscience raisonnée du paysage urbain. C'est par elle
<{ue la géographie urbaine se rendra plus autonome par rapport aux sciences
voisines avec lesquelles elle s'est plus ou moins confondue jusqu'à présent.
Combien d'études, dites géographiques, sur des villes ne sont-elles pas, en
fait, la juxtaposition de chapitres historiques retraçant par le menu une
histoire séculaire, et de chapitres d'économie politique analysant, ou pis,
énumérant, des listes d'établissements industriels ou commerciaux? Le petit
livre de M. Chabot, par ailleurs excellent, n'échappe pas complètement à
cette critique, car on cherche en vain, au milieu de chapitres par ailleurs
fort intéressants, une étude sur les structures urbaines. Or c'est ce dernier
clément qui donnera à la géographie urbaine son autonomie et lui permettra
'le rattraper le retard qu'elle montre par rapport à la géographie rurale.

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