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L'agriculture urbaine,
une chance pour l'aménagement
du Grand Tunis ?
Moez Bouraoui, Pierre Donadieu, André Fleury
« Brume. - Retour à l'Ariana : charmante baine ou incra- urbaine. Les anima teurs décri r l' intri cation d 'espaces agrico les
délicieuse, enivrante chose. Les terrasses d e différe ntes équipes d e recherche dans le tissu urbain , reli e que la révèle
blanches des maisons à volets verts saillis- s'emploient à rendre l'expressio n « agri- un e observation visuelle. Enfin, il pré-
sent au milieu de la verdure, le tout est culture urbaine » moins co ntingence et à sence les résultats d 'une enquête sur les
dominé, en échappées, par des montagnes en examiner les conditions de généralisa- représentations et pratiques soc ia les
bleues ; champs d'oliviers, caroubiers tion. C'est, encre autres, la position de actuelles d es habi ta nts dans l' es pace
énormes, des haies de nopals (figuier de l'agence The Urban Agriculture Network rural/agricole tunisois. Mise en perspec-
Barbarie) où les feuilles, vieillissant, sont (TUAN), créée en 1989, qui cherche à tive, la synthèse devrait permeccre d'éva-
devenues des branches. » favo riser le échange d'expériences [l]. luer si, en première analyse, les hab itants
Gustave Flaubert Ce rce réflexion gagne les vi lles ara bes parragenc le projet urbai n acmel er ses
Voyage à Carthage, 1858 méditerranéennes, au concexre culturel et modal ités de réalisation ou si leurs pra-
historique différent, malgré des conver- tiques de l'espace ou leurs déclarations
gences évidences dues à l' histo ire colo- suggèrent l'attente d'une autre manière
D
epuis plus d ' un e ce ntaine
d'années, chez certains urba- niale de la première moitié du x:xe siècle, de fai re la ville, norammenc en y inté-
ni s tes théoriciens co mm e aux d éter min a nts de l'ur b an isatio n grant les aménités de l'espace agri co le
E. Howard , J. Greber, modern e (flux routiers, place de l'espace péri urbain.
J. D eryng, etc., la planification urbaine verc public) er aux incenses traditions
prend e n compte l'agriculture com me d'échange encre les grandes cirés mari-
instrument d 'am énagem ent de la vill e. times de la Méditerranée. D es travaux
C'est ainsi qu'est né le vocable « agricul- relatifs à l'agriculture urbaine de l'a ire De la médina
ture urbain e », qualifiant cerce agricul- méditerranéenne so nr réalisés au Proche-
tur e qui ré pond à un e co mm a nd e Orienc (Beyrouth, Gaza), à l'initiative de au Grand Tunis,
urbaine. Il est acruellem enc appliqué à ]. Nasr (comm. pers.) , et au Maghreb,
deux concexces bien différents : celui des avec le concours de l'équipe Agriculcure un siècle d'histoire
Urbai ne (ENSP/INRA). Le programme
villes occidentales, qui cherchent à
répondre a ux as piration s de le ur s de recherche sur la métropole cunisoise,
urbaine
citoyens de disposer d'espaces de nature e n gagé en 1998 , s ' inscrit dan s ce
proches de leurs lieux de vie, et celui des co ntexte. Il témoigne d ' un e nouvelle Trois références so nt parti culi èreme nt
villes tropicales, oü les préoccupation s prise de conscience de l'enri chissement utilisées pour cerce analyse [3-5], ainsi
alim entaires et de gestion des déchets que l'agri culture pou rrait apporter au que la connaissance perso nnelle d' un des
Favorisent l'agriculture vivrière, périur- projet d'aménagemenr de la vill e. Il a fai t auteurs, citoyen de la ville.
l'o bjet de séminaires, cenus en 1999 à
l'Institut national agro nomique de Tunis Les grandes étapes
et à !'École supérieure d'horticulture et
d'élevage de Chon Mariem, ainsi que de l'expansion
M. Bouraoui, P. Donadieu, A. Fleury : d' un cravail de thèse [2]. de la métropole tunisoise
ENSP, Programme Agriculture urbaine, Le présent articl e rapporte l'état actuel
Laboratoire de recherche, 10, rue du de l' ag ri c ulture p ériurbai ne et incra- A l'origine, une ville arabe, doublée
Maréchal -Joffre, RP 914, 78009 Versailles
Cedex, France. urbaine dans l'agglomérati o n tuni so ise, d'une ville européenne
A. Fleury : SADIF (unité Systèmes le Grand Tunis, et son implication appa- Le centre vill e actuel de Tun is résulte de
agraires et développement), Centre lnra rence dans le milieu urbai n. li procède la juxtaposition de deux formes urbaines
de Versailles-Grignon . d'abord de manière diachronique, à par- crès con trastées : la médina et la ville
Tirés à part : A. Fleury tir de la bibliographie et de l'étude de européenne, créée à la fi n du XJXe siècle
documents cartographiques se rapportant sous le protectorat français. La ville arabe,
Thème : Systèmes agraires. à l'ensemble du Grand T unis. Ensuite, iJ ou médina, a été édifiée à faible distance
Au sud et à l'ouest,
la progression libre
d'un habitat modeste
Un autre arc urbain s'est développé ur
les terres ag ri co les proches des zo nes
industrielles ud et Ouest de l'agglomé-
ration. Plusieurs formes d'hab itat y so nt
visibl es.
Tour d 'abord , l'habitat planifié des lotis-
sements de la série El Manzah, au nord-
o ues r, présente un e assez forte
compacité : il ne semble guère y avoir
d'espaces verts publics ou co ll ectifs.
Toute activité agricole en est absente, si
ce n'est quelques parcelles interstitielles,
d'exploitation visiblement très précaire.
On o bserve des zo nes nouvell es d'habita t
illégal en zone agricole proche de la vi lle,
mais à l'écart des routes, sur des terrains
non constructibles ach etés à des proprié-
taires fonciers. Sur la plaine de Sijoumi,
et plus parricul:èremenr du côté de
Anar, Mghira et Sidi H 'cine (photo 2),
l'orga ni sat ion d e ces nouvell es zones
n'est pa sans évoq uer celle de la médina
traditionnelle. Elles sont parfois ceintes
d'un h aut mur presque continu qui
bloque toute communication visuel le et
physique entre le dedans et le dehors ;
leurs rues sont étroites er peu propices à
la circula ti o n a utomobile. Cependant,
elles s'en distinguent profondément par
la faible qualit é architecturale d es
co nstructions et la quasi-absence de la
viabilisation. La démarche de ces squat-
ters est d'attendre la légitimation a poste-
riori par les autorités publiques, indépen- Photo 3. Vestiges d'une olivette à El Mnihla avec le puits au premier plan (environs de Tun is)
damment des documents de planification (cliché P. Donadieu) .
; cela leur permettra d'obtenir l'équipe-
ment de base (eau, électricité, assainisse- Picture 3. Last remnants of olive grove in El Mnihla (a well in the foreground).
L'agriculture, considérée
comme un instrument
de défense des sites
protégés
Les sebkhas les plus proches de Tunis,
celles de Sijoumi et d 'Ariana , sont
atteintes par la ville. La rive Sud de la
première est déjà construire sur trois
côtés et semble êue un lieu de déverse- Photo 5. Cultures irriguées au nord-ouest de Rao ued: o liviers et maraîchage (environs de
ment d 'eaux usées, alors qu'elle a une Tu nis) (c liché P. Do nad ieu) .
valeur écologique réelle et présente un
paysage remarquable selon les critères de Pict ure 5. lrrigated crops to north-west of Raoued (in the vicinity of Tunis) : olive graves and market
la culture urbaine occidentale (photo 4). gardening.
Elle est abondamment fréquentée par
les oiseaux, en particulier par les fla-
mants roses. Certaines petites îles sont assolements associanr à une base céréa- semble pas intensivement cultivée, mal-
cultivées en céréales, conférant au lieu lière la production de légumes cultivés gré quelques parcelles maraîchères, car
u n cacher singulier et pittoresque. en sec (pomme de terre, oignon, etc.). certains propr iéta ires semb lent avoir
L'agriculture sèche, relativement inten- Paradoxalement, I'ag ricul rure de la préféré une opération financière. Les
sive, présente une grande variété : on zone irriguée de Mghi ra (passage du systèmes irrigués constituent ainsi le
peut voir à Sidi-Abdallah El Méoui des canal Medjerda - Cap-Bon) au sud ne second type de zone à protéger ; c'est