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CONSOLIDATION ET REVITALISATION DES

CENTRES HISTORIQUES : LE CAS DU CENTRE


HISTORIQUE DE PORT-AU-PRINCE

Sabine MALEBRANCHE 1

Présentation au colloque du GIM tenu à Montréal


du 26 au 30 juin 2000

Novembre 2000

1
Responsable académique du programme de maîtrise en développement urbain et régional au
Centre de techniques de planification et d’économie appliquée (CTPEA). Aussi, architecte-
urbanisme, professeur-chercheur au CTPEA, à l’Université Quisqueya et à l’Université d’État
d’Haïti.
Table des matières

Résumé ......................................................................................................................i
Introduction ................................................................................................................1
Port-au-Prince : évolution de la forme urbaine et pratiques urbaines ..............................3
L’occupation française : le contexte urbain et les différentes étapes de la
colonisation .........................................................................................................3
La Fondation de la ville de Port-au-Prince.............................................................4

Le tracé de la ville coloniale et la structure urbaine.................................................5


Port-au-Prince et l’émergence des centralités au XIXe siècle.........................................6
L’évolution spatiale du centre historique de Port-au-Prince.....................................6

La ruralisation et le processus d’accroissement de l’informalité dans


l’espace urbain de Port-au-Prince.........................................................................9
Définition et limites du centre historique de Port-au-Prince ................................... 11

Dynamique urbaine et mutations socio-économiques au centre historique de


Port-au-Prince................................................................................................... 11
Les caractéristiques socio-économiques et physico-spatiales du déclin du centre
historique de Port-au-Prince...................................................................................... 16
Les contraintes inhérentes au centre historique ................................................... 16
Analyse de la qualité de vie au centre historique de Port-au-Prince....................... 18
Définir un cadre théorique pour les interventions de consolidation urbaine.................... 26
Les atouts majeurs du centre historique de Port-au-Prince................................... 26

Pourquoi consolider ? ........................................................................................ 26


Références bibliographiques...................................................................................... 32
Sources primaires.............................................................................................. 32
Sources secondaires ......................................................................................... 33
Résumé

La mixité des fonctions dans le centre historique de Port-au-Prince a transformé


cette portion de la ville en un espace anarchique, ségrégué, perturbé et difficile à
appréhender. Cette mixité incontrôlée depuis le début des années 1990, est
également à l’origine des nombreux problèmes urbains inventoriés et identifiés
au niveau du centre historique aujourd’hui : saturation du centre en services
informels, insuffisance des services de base, faible capacité d’absorption des
équipements collectifs existants et des services de base, précarisation de
l’habitat du centre, etc.

Ce mélange de fonctions et d’usages au centre historique bien que présentant


des caractéristiques intéressantes que nous nous efforcerons de présenter à
travers cette recherche, n’arrive pas à assurer de manière durable la vitalité
économique et sociale des différents quartiers constitutifs du centre. Ceci est dû
au fait que depuis la fin des années 1940 et le début des années 1950, la
fonction résidentielle diversifiée présente au centre-ville a été remplacée par une
fonction résidentielle de type strate moyenne et strate basse. Le centre est donc
l’objet, depuis près d’une décennie, de grandes mutations socio-économiques,
politiques et sociales.

Il s’agira, après analyse, de prévoir des mécanismes et des politiques devant


permettre la revitalisation et la consolidation ou la rénovation du centre historique
en se basant sur des critères et des paramètres identifiés conjointement avec
l’équipe de recherche de Puebla.
Introduction

La complexité et la vitalité des villes se traduit en général par la dimension


spatiale de leurs centralités, le mode d’organisation de leur centre, l’attrait de leur
économie et la répartition des usages et des fonctions. La tendance, en général
dans les pays industrialisés, depuis le début des années 90, se ramène à un
déclin des centres-villes basé sur leur nouvelle fonction et les mutations dont
elles sont l’objet. En effet, les centres sont devenus des espaces sous utilisés à
cause des effets dus aux moyens modernes de la technologie. Ce virage
technologique (Castells : 1987), initié surtout par la révolution technologique de
l’information, d’une ampleur réelle a des effets indirects sur l’espace des villes et
particulièrement des centres. L’impact de ces nouvelles technologies a comme
conséquence une nouvelle organisation du travail, un nouveau mode d’utilisation
des institutions porteuses et génératrices de centralités et la réorganisation de
l’espace des centres villes.

Si les centres sont réorganisés et remodelés dans les pays industrialisés, dans
les pays en développement la problématique est toute autre. Les centres
historiques des pays du Tiers-Monde sous l’effet de fortes centralités
contradictoires et inorganisées sont l’objet de tensions sociales, voués à
l’anarchie et soumis à une grande détérioration. En effet, les centralités se
définissent par la mixité anarchique des usages et des fonctions, la
fragmentation du tissu urbain, la précarisation du cadre bâti et du patrimoine
architectural et la dégradation progressive de la qualité de la vie en milieu urbain.

Cette recherche sera basée sur une étude de l’habitat de certains quartiers du
centre historique de Port-au-Prince, la dynamique des marchés urbains formels
et informels et, les différentes pratiques spatiales des populations qui vivent ce
centre au quotidien. L’enquête a été réalisée dans les quartiers caractéristiques
ou constitutifs du centre historique de Port-au-Prince : le Bel Air (quartier de la
Cathédrale ou zone Cathédrale), le Morne-à-Tuf, les cités, Saint-Martin, la zone
du Bas-Peu-de-Chose (place Jérémie) et dans l’hypercentre ou centre
commercial de Port-au-Prince. Deux cent quatre vingt (280) ménages en
constituent l’échantillonnage sur Port-au-Prince et sa région métropolitaine (la
région métropolitaine de Port-au-Prince comprend les localités de Pétion-Ville,
Delmas, Carrefour, Croix-des-Bouquets et Kenscoff).

À cela, nous ajouterons les résultats d’enquêtes récentes de nature qualitatives


initiées et réalisées par le Bureau des Infrastructures et de l’Urbanisme de la
Présidence (1998-1999) et la Commission pour le 250e anniversaire de Port-au-
Prince, dans certains quartiers du centre historique de Port-au-Prince.

La première partie de la recherche portera sur l’évolution historique de la forme


urbaine en vue de comprendre et de mieux appréhender les pratiques actuelles
à partir du tracé existant.

La deuxième partie traitera de l’émergence des centralités au 19e siècle ayant


façonné le centre et des éléments structurant de la composition urbaine. Les
pratiques informelles seront étudiées ainsi que leur influence sur l’habitat.

La troisième partie présentera les caractéristiques socio-économiques et


physico-spatiales du déclin du centre historique de Port-au-Prince. Là, des
observations de nature qualitative nous permettrons de mettre en évidence la
qualité de la vie au centre historique, le niveau de dégradation et de détérioration
de l’habitat, la qualité et le mode d’utilisation des espaces collectifs, le niveau
des services de base à la population.

Les résultats de l’enquête réalisée par l’Unité de Recherche du Centre de


Techniques de Planification et d’Économie Appliquée (CTPEA), sur les pratiques
spatiales et l’habitat du centre historique de Port-au-Prince feront l’objet du
quatrième chapitre.

Cette enquête permettra de retracer la nature des relations de proximité liées à


l’habitat, la perception des usagers du centre historique par rapport aux
équipements collectifs existant ou pas et par rapport aux services urbains de

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base et le mode d’utilisation et de gestion de l’espace urbain par les populations
urbaines des quartiers du centre historique.

Port-au-Prince : évolution de la forme urbaine et pratiques urbaines

L’occupation française : le contexte urbain et les différentes étapes de la


colonisation
La colonisation selon Moreau de Saint-Méry, a connu trois étapes. La première
étape est celle de l’établissement des aventuriers français (flibustiers et bouca-
niers) à l’île de la Tortue. La France s’est greffée sur cette présence afin d’établir
sa puissance dans le Nouveau Monde à partir de l’expansion de cette première
conquête à la Plaine du Nord.

La fondation de la ville du Cap-Français (1670) a été un atout décisif pour


l’expansion de la France sur la terre ferme dont elle disputera une partie à
l’Espagne. La ville du Cap est ainsi fondée comme un centre économique,
militaire et administratif. L’autorité française prétend dès le départ au monopole
du commerce avec sa colonie. Aussi l’organisation générale de la colonie avec
l’occupation française se caractérise-t-elle par la répartition des unités de
plantation autour des centres administratifs et militaires.

La deuxième étape de la colonisation française a été le développement de la


région de l’ouest formée par les quatre quartiers de Port-au-Prince, Saint-Marc,
Léogane et Grande-Anse (Moreau de Saint-Méry, vol 2, p.115). Cette poussée
de la colonisation est en bonne partie l’expression du conflit permanent entre les
colons et l’autorité coloniale sur la liberté du commerce. La troisième étape de la
colonisation sera celle du développement de la partie sud avec la formation des
quartiers de Jacmel, Cayes et Saint-Louis du Sud (1760).

À chacune de ces étapes, des colons s’installant sur la côte, en s’éloignant le


plus possible de la capitale (Le Cap-Français), cherchent à évacuer le contrôle
de l’autorité coloniale sur leur commerce avec les navires des autres puissances

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européennes rivales qui croisent dans les environs. L’autorité coloniale s’étend
en implantant et structurant ses organismes de contrôle (maréchaussée,
administration, armée, fortifications) dans les différents quartiers qui seront
érigés en paroisses.

Aussi, les villes seront-elles avant tout, des espaces ou des centres de
commerce et d’échange et aussi des postes stratégiques et militaires.

La Fondation de la ville de Port-au-Prince


La ville de Port-au-Prince a été fondée le 13 juin 1749 par l’ordonnance du
gouverneur général, De Conflans et l’intendant Maillard. Cette ordonnance
complétait celle de 1743 et assurait définitivement «l’installation» et la fondation
de la ville après un demi-siècle d’hésitation.

Le site a été choisi en fin de compte à partir de plusieurs critères. D’abord, à


cause de sa situation géographique, position centrale par rapport aux régions du
nord et du sud déjà colonisées. Cette position centrale facilitera, en effet le
contrôle militaire territorial avec une plus grande capacité d’intervention par la
mer au nord comme au sud du pays. L’autre critère régissant le choix de ce site,
est le critère économique : cet emplacement constituait une situation favorable
pour les échanges commerciaux externes et internes.

Cette position centrale est aussi une position stratégique devant permettre de
résister aux invasions ou aux éventuelles attaques venant des autres puissances
européennes rivales. Les fonctions essentielles de la nouvelle capitale avaient
été définies en effet dans le décret du roi Louis XV de novembre 1749. Ce décret
stipulait que la ville avait pour fonction essentielle :

• de contrôler et d’administrer le territoire


• d’être un lieu d’échanges et de commerce
• de fournir un environnement sain, salubre et attrayant à ses habitants
• d’être un lieu de défense de la colonie, donc un centre militaire (Louis XV de
France).

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Le tracé de la ville coloniale et la structure urbaine
Les villes, conçues en métropole, seront édifiées suivant un plan en damier,
correspondant à l’évolution des idées de la Renaissance française, et offrant
l’avantage de permettre la répartition des lots de terrains en secteurs différenciés
et la construction de blocs réguliers, convenablement orientés.

Toutes les villes ont une place principale, la place d’Armes ou place Royale,
obtenue par l’ablation d’un ou de quatre îlots de la trame. Elle jouxte toujours
l’église et sert parfois de marché des vivres. La fonction principale de commerce
fait que l’on ne retrouve aucun élément monumental, comme dans les autres
villes de l’Amérique espagnole. Tout semble être réalisé avec économie, le gros
de la fortune réalisée étant transféré en France. Le tracé de la ville coloniale
traduit donc dans l’espace les privilèges de la métropole. À la fois ville
marchande de commerce et d’échanges, Port-au-Prince sera également une ville
de contrôle, d’administration et militaire.

La ville de Port-au-Prince se caractérise par deux tracés distincts : le tracé de la


ville marchande (1749) et le tracé de la ville royale (1750).

La ville marchande

La ville marchande aura un tracé en échiquier, tracé devant faciliter d’une part
l’entreposage de marchandises et leur écoulement rapide, d’autre part devant
faciliter des interventions militaires et stratégiques. Ce tracé était également
agrémenté d’une «place d’armes» à l’entrée de la ville. Les rues principales
partent de la «place d’armes» face à l’entrée de la ville.

Le port marchand assure la connexion avec la métropole et les autres ports de la


région. Comme toutes les villes coloniales, elle est située sur la côte, servant de
terminus à un réseau routier qui est relié aux différentes habitations de l’arrière
pays et leur richesse dépend de celle des habitations qu’elles contrôlent.

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La ville royale

En 1750, la capitale de la colonie, par ordre du gouverneur et de l’intendant fut


transférée de Léogane à Port-au-Prince. L’espace à côté de la ville marchande
ou ville paroissiale fut sarclé, nettoyé, et les nouvelles rues de la nouvelle ville
furent tracées, mais elles ne coïncidèrent pas exactement avec celles de la ville
marchande. Les îlots du tracé de la ville royale étaient rectangulaires ce qui
permet de distinguer nettement les deux régions. La limite entre la ville
paroissiale et la ville nouvelle est la rue pavée. Le port du roi était attenant à la
ville royale. La ville royale se caractérise également par une place, la place du
Gouvernement. Les rues avaient de 17 à 20 mètres de large.

La ville royale est le siège du gouverneur général représentant la monarchie et


l’État français, et la ville paroissiale, le centre d’échanges et de commerce, c’est
la ville des marchands qui représente la bourgeoisie maritime française.

La ville de Port-au-Prince n’étant avant tout qu’un lieu d’échanges, de commerce


et de transit des affaires (De Cauna : p. 20), on ne retrouve aucun
monumentalisme dans l’organisation de la structure urbaine.

C’est du positionnement de ce centre et à partir de ce tracé que, plus tard au


XIXe siècle vont se dessiner la centralisation, et les effets polarisant des
centralités urbaines émergentes.

Port-au-Prince et l’émergence des centralités au XIXe siècle

L’évolution spatiale du centre historique de Port-au-Prince


Le centre historique de Port-au-Prince, comme beaucoup de centres historiques,
se caractérise par l’émergence et la combinaison de centralités diverses. Dès la
deuxième moitié du XIXe siècle, le centre-ville de Port-au-Prince devient un
espace regorgeant de pôles structurant et de réseaux d’ambiance. Il inclus ce
que l’on pourrait appeler le centre historique et le centre administratif, et a

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commencé à exister en tant que «centre» ou «cœur» de la ville avec l’activation
du port, l’établissement des agents consignataires français et allemands au bord
de mer et l’implantation des levantins dans les commerces de la place.

Avec l’installation du chemin de fer en 1902-1903 (Gouvernement de Tirésias


Simon Sam), qui relia Port-au-Prince à l’Étang Saumâtre et à Léogane, le
commerce des denrées agricoles prit un grand essor. La rotation commerciale
s’en est accrue. Ce mouvement de modernisation du transport vers l’intérieur se
poursuivit à l’aide d’installations de nouvelles voies de chemin de fer et de
nouvelles destinations jusque sous le gouvernement de Tancrède Auguste avec
l’exécution de l’accord Mac Donald et la liaison de Port-au-Prince à Saint-Marc
en 1913. Le marché Vallière (1891) et plus tard le marché Salomon (1930) ont
été importés de France et édifiés pour répondre aux besoins de modernité ainsi
qu’aux nouveaux besoins en ravitaillement de la ville.

L’Occupation Américaine d’Haïti (1915-1934), avec la construction des routes


voiturables en direction des différents départements géographiques du pays et la
mise en place des liaisons militaires et administratives avec Port-au-Prince, a
renforcé la centralisation en Haïti et de surcroît à Port-au-Prince. Ceci a donné
naissance à une bureaucratie qui s’installe dans les quartiers du Bel Air et du
Bas-Peu-de-Chose, tandis que les grands commerçants habitaient l’étage de
leurs maisons de commerce et les grands propriétaires terriens absentéistes
logeaient les fabuleux Gingerbread des quartiers résidentiels de Bois-Verna, de
Turgeau et de Pacot. C’est à partir des années 40 que l’on assiste à une
occupation timide et progressive de l’espace urbanisable des quartiers précaires
ou marginaux de Port-au-Prince.

À partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les présidents haïtiens se


découvrent une vocation de bâtisseurs. Le Président Elie Lescot (1946) entreprit
la construction de la cité Lescot à La Fossette, au Cap-Haïtien. Il fut renversé
sans avoir eu le temps de réaliser le même projet de logements sociaux sur Port-
au-Prince. Après lui, Dumarsais Estimé, Président issu de la révolution de 1946
qui préconisait la promotion des masses noires et des ruraux, construisit la ville

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de Belladère et la cité de l’Exposition Internationale du Bicentenaire de Port-au-
Prince (actuel Front de Mer de Port-au-Prince). Le général Paul Magloire, à son
tour, construira la Cité Militaire, la Cité Magloire no 1 et la Cité Magloire no 2.

Après 1946 par ailleurs, sous les gouvernements de Dumarsais Estimé et de


Paul Eugène Magloire notamment, les écoles secondaires et plusieurs facultés
d’enseignement supérieur ont été instituées et concentrées à Port-au-Prince
pour desservir l’ensemble du pays. La capitale prend ainsi depuis lors le
caractère d’une ville de l’enseignement. Cette vocation demeure jusqu’à nos
jours. Neuf mois sur douze, la capitale regorge d’élèves et d’étudiants qui y
habitent, y circulent et justifient en partie les diverses extensions enregistrées
dans l’espace urbain.

Entre 1957 et 1966, durant les premières années qui ont suivi l’avènement de
François Duvalier au pouvoir, les migrations vers la capitale et vers l’étranger se
sont accentuées. De plus, afin d’établir un contrôle policier, le plus strict possible
sur la population, et en vue d’asseoir son pouvoir totalitaire et dictatorial, tous les
ports des villes de l’intérieur avaient été fermés au commerce international. Le
port et l’aéroport de Port-au-Prince devaient désormais desservir le pays tout
entier. La rotation du commerce s’en trouve accélérée avec la capitale et, avec
elle, les premières migrations vers la capitale.

François Duvalier construira Duvalier-Ville et la cité Simone-Ovide-Duvalier


aujourd’hui Cité Soleil, cette dernière étant destinée aux «déshérités de l’arrière
pays». Ces différentes extensions de la ville invitait à l’accueil dans Port-au-
Prince des familles de fonctionnaires, de militaires, de partisans des
gouvernements en place et aussi des chômeurs venus des milieux dont
l’économie agricole s’étiolait considérablement.

Par ailleurs, à des fins de démonstrations politiques, plusieurs fois par année,
des dizaines de milliers de paysans et de paysannes étaient déversés à la
capitale par des centaines de camions venus de tous les coins du pays. Les
chômeurs des campagnes trouvaient l’opportunité de tenter leur chance à la
capitale à la recherche d’une embauche, édifiant des bidonvilles et s’installant

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dans les rues incitant ainsi l’éclosion des premiers commerces marginaux
informels.

La ruralisation et le processus d’accroissement de l’informalité dans l’espace urbain


de Port-au-Prince
La ruralisation de la capitale haïtienne a ainsi débuté durant les années 60 avec
le durcissement du régime totalitaire de Duvalier. Les vendeuses des sections
rurales, les artisans ne s’adonnent plus au commerce ambulant comme cela a
été prévu par la Constitution de 1937 (Code d’Hygiène : Section VI, articles no 8
et no 9 ) admis depuis fort longtemps dans Port-au-Prince.

Ces articles prévoyaient des régulations et des normes pour le fonctionnement et


l’entretien des marchés publics et des abattoirs, ainsi que des normes sur le
maintien, la tenue vestimentaire adaptée au fonctionnement des marchands
ambulants et sédentaires dans la ville de Port-au-Prince.

Ces derniers ont eu tendance à s’installer sur les trottoirs en débordant les aires
de marchés d’abord (marché Vallières, marché Salomon, marché de la Croix-
des-Bossales) et plus tard, surtout après 1986, sans plus aucune contrainte, à
même les rues du centre historiques et jusque sur les places publiques (place
Sainte-Anne, place Carl-Brouard, place de la Cathédrale).

Dans la période comprise entre 1950 et 1970, des portions de l’habitat urbain du
centre-ville se sont graduellement détériorées, ce type d’informalité représente
24 % de l’aire informelle totale de Port-au-Prince (CLED/ILD:2000).

Avec la chute de la dictature en 1986, de nouvelles importations ont envahi


l’espace de la ville. Celles des voitures «pèpè», des pneus usagés, des pièces
de rechange automobile issues de démolition, des vêtements usagés également
«pèpè», des viandes et des poissons congelés «miami». Ce commerce agressif
de la période dite de «bamboche démocratique», et plus tard de l’ère Lavalas, a
augmenté l’attrait de la ville pour les chômeurs de la campagne. Le centre
historique de Port-au-Prince en vient à représenter le lieu de convergence de
tous les commerces informels. Il va de soi que les propriétaires des maisons de

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commerce traditionnels, désertent les étages et les cours du centre-ville pour
aller se loger dans les hauteurs, cédant la place à des entrepôts, quand ils ne
déménagent pas totalement les lieux.

L'absence de planification urbaine et le désintérêt des pouvoirs publics pour les


réglementations consacrées par les lois haïtiennes en matière d'urbanisme (Lois
de 1936, 1963 et 1982), et par rapport à l'aménagement de l'espace urbain, a eu
comme conséquence une détérioration du cadre bâti en général, la dégradation
de l'environnement urbain, et la précarisation des anciens beaux quartiers de
Port-au-Prince et du centre historique.

À cela, il faut ajouter le processus de bidonvilisation incontrôlée, rapide et


anarchique de la capitale qui s’est accélérée depuis les années 1990 avec
l’avènement du régime «Lavalas» au pouvoir. Ce phénomène est lié à un
délaissement des campagnes haïtiennes à partir d'une baisse progressive de la
productivité dans l'agriculture et de l'absence de services en milieu rural.

Ce processus de bidonvilisation a été mis en évidence dans des études récentes


de localisation et quantification des établissements informels humains réalisés
par le Centre pour la Libre Entreprise et la Démocratie (CLED/ILD : 2000). La
grande majorité des établissements humains informels ou quartiers précaires
inventoriés se trouvent concentrés dans quatre villes importantes du réseau
urbain haïtien : Port-au-Prince, Cap-Haïtien, les Cayes et les Gonaives. En
décembre 1997, il a été dénombré 474 établissements humains informels dans
ces quatre villes, 357 de ces 474 ont été localisés dans Port-au-Prince et sa
région métropolitaine, c’est-à-dire 75 %. Comme ces quatre villes représentent
aujourd’hui 90 % de la population urbaine d’Haïti, on considère que les aspects
informels dans les autres villes de nature négligeable (CLED/ILD:2000).

Il faut ajouter qu’une étude sur la typologie des situations informelles a mis en
exergue qu’à partir de 1986, vingt % de l’aire informelle totale de Port-au-Prince
est essentiellement constituée de terrains de l’État occupés de facto. À partir de
1990, deux % de l’aire informelle de Port-au-Prince est constituée de terrains
privés occupés de facto (CLED/ILD:2000). Port-au-Prince avec un taux

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d’accroissement annuel de 6,6 % a triplé de population en 20 ans. Cet
accroissement de population a eu comme conséquence l’occupation massive
des terrains de l’État et privés ainsi que l’accélération du processus informel de
la propriété urbaine entre 1991 et 1994.

Définition et limites du centre historique de Port-au-Prince


Le centre historique de Port-au-Prince se structure aujourd’hui autour de quatre
quartiers remarquables autrefois par leur caractère symbolique, leur niveau
référentiel et leur lisibilité. Ce sont le quartier du Champ-de-Mars ou la place du
Champ-de-Mars, le quartier de la Cathédrale (le Bel Air), l’hypercentre de Port-
au-Prince et la cité de l'Exposition (Front de Mer). Plus concrètement, le centre
historique est limité au nord par la rue Tiremasse, au sud par la rue Oswald-
Durand, à l’ouest par le boulevard Harry-Truman et à l’est par la rue Capois,
limitant ainsi la zone du Champ-de-Mars dans la ville.

Dynamique urbaine et mutations socio-économiques au centre historique de Port-


au-Prince
Le centre historique de Port-au-Prince, comme tous les centres se caractérise
par la diversification de ses milieux urbains. C’est un espace multi-fonctionnel :
les usages résidentiel, commercial, institutionnel et industriel se côtoient. À cela
s’ajoute un patrimoine historique et architectural en voie de disparition à cause
de l’absence de politiques de restauration et de revitalisation urbaine.

À partir des éléments structurant la forme urbaine, le maillage tout


particulièrement, on peut lire cette multi-fonctionnalité d’une part le long des
voies importantes du centre-ville, d’autre part dans la configuration et la structure
des îlots. Au centre historique, les activités informelles se caractérisent par des
entreprises commerciales et des entreprises de services avec très peu d’activités
industrielles. Ces entreprises se localisent dans des marchés de rue de type
informel en plein air qui envahissent la grande majorité des rues du centre
historique.

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Les axes structurants de la composition urbaine

Cette partie de la recherche présentera la dynamique interne du centre


historique à partir d‘une étude détaillée sur base d’enquêtes, la rue des
Casernes, et d’une étude basée sur des rapports d’observation de caractère
qualitatif pour les autres axes structurant de la composition urbaine.

La rue des Casernes : liaison Champ-de-Mars, place Toussaint-Louverture, avenue


Marie-Jeanne

La rue des Casernes, l’un des premiers axes structurant de la composition


urbaine, se définit comme une voie très importante dans la structure urbaine
parce que reliant directement le centre administratif et institutionnel au centre-
ville et au Front de Mer. Cet axe regroupe des repères institutionnels importants
dans la lecture de la ville (La Direction générale des Impôts, la Centrale
Autonome Métropolitaine d’Eau Potable et la Cour Supérieure des Comptes).

Une enquête réalisée en avril 2000 par le Bureau des Infrastructures et de


l’Urbanisme de la Présidence, a mis en évidence les différents types de
commerce informel le long de la rue des Casernes. En effet, 315 personnes ont
été interrogées (52 % des hommes et 48 % des femmes) et l’enquête a révélé
que les différents types de commerce identifiés à la rue des Casernes se
recoupent en cinq catégories : nourriture, vêtements, dactylographie, vente de
pièces d’automobiles et divers.

Il a été signalé que l’accès aux installations sanitaires pour les commerçants de
la rue se présentait de la façon suivante : 34 % des commerçants de la rue
habitent dans les alentours et utilisent leurs propres toilettes; 20 % d’entre eux se
rendent chez des particuliers ou dans des bureaux publics pour avoir accès à
une toilette. De plus, les enquêtés rapportent que 13 % bénéficient de relations
d’amitié stable pour satisfaire leurs besoins physiologiques.

Une bonne section de la rue des Casernes est truffée de corridors où pullulent
des petits entrepôts de stockage des pièces de récupération des démolisseurs
de voitures. Ces corridors sont à la fois des lieux d’aisance à ciel ouvert pour

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environ 8 % des mécaniciens d’occasion et des commerçants du secteur
informel. Les autres paient entre deux et cinq gourdes à des propriétaires de
toilettes privées.

Les organismes étatiques et para-étatiques tels que la Centrale Autonome


Métropolitaine d’Eau Potable (CAMEP), la Direction Générale des Impôts (DGI),
le Ministère des Travaux Publics Transport et Communication (TPTC) et le
Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE), ne disposent
pas de places de parking en nombre suffisant. Aussi, un grand nombre de
véhicules appartenant à ces organismes sont garés le long des trottoirs des deux
côtés de la rue et réduisent considérablement l’espace de circulation.

Les véhicules de certaines entreprises privées dont celles des Établissements


Raymond Flambert et la FONHEP sont très souvent immobilisés également le
long des trottoirs de la rue des Casernes. Il en est de même des véhicules de
tout genre, y compris des gros transporteurs qui s’y retrouvent à la recherche de
mécaniciens d’occasion. Ces derniers interviennent pour les réparations
d’urgence ou pour leur approvisionnement en pièces d’occasion. À cause de cet
usage informel, la portion de la rue des Casernes qui arrive au Front de Mer est
complètement souillé d’huiles mécaniques et jonchés d’objets métalliques des
plus hétéroclites.

La rue Bonne Foi (rue Martelly-Séide) : liaison place de la Cathédrale/ Front de Mer

La rue Bonne Foi (rue Martelly-Séide) se caractérise par des activités


commerciales correspondant à la fois au modèle semi-sédentaire et au modèle
mobile selon la classification proposée et étudiée par Bazabas (Bazabas : 1998).
Le modèle semi-sédentaire, en termes d’utilisation informelle de l’espace, se
caractérise par des structures basées sur l’aménagement de cloisons avec des
feuilles de tôle ou des cordes, permettant d’exposer les marchandises. Le
modèle mobile, toujours d’après Bazabas, est défini par l’utilisation systématique
de la chaussée et des trottoirs à l’aide de «boquittes» (grand seau en plastic) et
de cuvettes ou des thermos.

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À cette typologie particulière identifiée le long de la rue Bonne Foi, s’ajoute un
usage très spécifique, celui de la vente de livres usagés et de livres neufs en
prolongement des activités traditionnelles formelles existantes, c’est-à-dire les
librairies dont le nombre est très important le long de certains îlots de la rue
Bonne Foi.

La rue du Champ-de-Mars : liaison Champ-de-Mars / Autel de la Patrie / Front de Mer

Cette rue a une position particulière et privilégiée dans la trame urbaine à cause
de sa situation «centrale» dans le centre historique. Elle relie la place de l’Autel
de la Patrie au Front de Mer de Port-au-Prince. Là encore, on retrouve un
commerce informel basé sur la vente de produits manufacturés (télévision,
accessoires divers et variés pour maison, pneus usagés, pièces usagées de
voiture, démolisseurs de véhicules accidentés, etc.).

Certains trottoirs sont récupérés par des propriétaires des édifices attenants à
ces activités. Un repère de poids sur cet axe est le mur du Pénitencier National
(datant de la colonie). Le reste des îlots arrivant jusqu’au boulevard Jean-
Jacques-Dessalines se caractérise essentiellement par des occupations
informelles de type «manje kuit».

À partir du boulevard Jean-Jacques-Dessalines, la rue du Champ-de-Mars se


transforme en un espace famélique, agressif caractérisé essentiellement par des
garages de véhicules à ciel ouvert, la vente de pièces d’automobiles usagées ou
neufs, ou de quincaillerie à ciel ouvert.

Le boulevard Jean-Jacques-Dessalines : le deuxième axe structurant de la composition


urbaine

Le boulevard Jean-Jacques-Dessalines, l’artère commerciale la plus importante


du centre-ville de Port-au-Prince, délimite de manière très systématique la
structure du centre-ville en deux catégories d’activités informelles. D’abord, on
retrouve dans la partie est de la ville, des activités allant de la vente des
vêtements «pèpè», à la répartition de services tels que des produits
manufacturés et des produits de cuisine. Cependant vers l’ouest, on retrouve des

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activités commerciales informelles liées aux activités de garagistes, de
réparation de véhicules ou de vente de pièces automobiles.

Quatre-vingt dix pour cent (90 %) des activités commerciales informelles


identifiées le long de la rue du Champ-de-Mars, par exemple, à partir du
boulevard Jean-Jacques-Dessalines vers le Front de Mer sont des activités de
vente de pièces d’automobiles, de fournitures de services à la population en
termes de réparation de véhicules (climatisation ou autre type de pannes, etc. ).

Ce type d’utilisation se prolonge parfois dans les cœurs d’îlots : existence de


garages à ciel ouvert, de statut public ou privé ou totalement informel, de
réparation de véhicules (bas de la rue des Casernes par exemple). Cette
tendance à son tour, va structurer et configurer d’autres zones. Certaines rues
transversales, la rue du Magasin de l’État, la rue du Quai, le boulevard Harry-
Truman, sont caractérisées par cet usage.

Il existe donc une dynamique et une vitalité urbaines qui transforment la réalité
urbaine du centre historique et configure les milieux urbains. Mais cette
dynamique a généré de nouvelles structures urbaines hors norme. La
multifonctionalité urbaine est source de conflits et génère, en réalité, l’apparition
et «l’installation» d’activités de plus en plus non intégrables. Donc, l’habitat du
centre historique est un habitat saturé, dégradé, soumis aux contradictions
générées par l’accélération de l’informel dans la ville de Port-au-Prince.

Notre démarche d’analyse montre que l’utilisation des axes structurants de la


composition urbaine du centre historique de Port-au-Prince permet
d’appréhender la dynamique interne de ce centre. L’autre hypothèse de travail
est que le centre historique génère des centralités de nature quasi informelle, et
cette informalité non maîtrisée a comme conséquence l’atomisation du tissu
urbain, la paupérisation des populations urbaines, la dégradation de l’habitat et
de la qualité de la vie des collectivités.

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Les caractéristiques socio-économiques et physico-spatiales du déclin
du centre historique de Port-au-Prince

Les contraintes inhérentes au centre historique

Le site de la ville de Port-au-Prince : dualisme et contradictions

La situation et l’emplacement du site des villes est, en général, un phénomène


essentiel pour comprendre les villes, leurs contradictions, leur histoire et leur
développement. Cependant, si on se réfère à une conception de la géographie
physique, la cytologie urbaine, il est indispensable de saisir et d’évaluer l’impact
des faits physiques sur la naissance, le développement, la croissance d’une ville
en vue de prévoir un meilleur fonctionnement économique et social à court,
moyen et long termes.

Une des premières contraintes du centre historique de Port-au-Prince est


l’emplacement du site de la ville de Port-au-Prince. Ce site est conditionné et
configuré par sa topographie et par son réseau de drainage naturel composé de
ravines, de thalwegs et de flancs de montagnes à fortes pentes. En effet, ces
faits physiques permettent de comprendre la morphologie de la ville, l'étalement
actuel de la ville et les différents accidents qui marquent son territoire façonnant
le développement de ses différents quartiers.

L'emplacement du site de la ville dans la baie avec la montagne en forme de


demi cirque, et dont les bassins versants se dirigent vers elle, constitue un
sérieux désavantage en termes de drainage et d'assainissement. Ce panorama,
bien que pittoresque, offrant en toutes saisons un spectacle de choix, est en
même temps à l'origine de beaucoup d'inondations en périodes pluvieuses, de
zones marécageuses et nauséabondes difficiles à curer et à drainer, au centre-
ville en particulier.

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Les réseaux de voirie et de circulation

Un autre paramètre permettant d’expliquer le déclin et la détérioration du centre


historique de Port-au-Prince est l’état du réseau de voirie. En effet, ce dernier est
considérablement dégradé dans certaines parties de la ville. Dans le quartier de
la Cathédrale par exemple, 80 % des chaussées sont sérieusement abîmées et il
existe très peu de trottoirs pour les déplacements des piétons. L'obstruction
majeure à la circulation repose sur le fait que les marchés de rues et les activités
informelles envahissent les trottoirs et la voirie dans presque tout le centre
historique. Le problème connaît une très grande acuité à la rue Bonne Foi, la rue
du Docteur-Aubry, la rue des Fronts Forts ou la rue du Champ-de-Mars par
exemple.

Par ailleurs le dimensionnement des voies de communications et des trottoirs


dans la trame urbaine ne peut plus absorber la densité des activités
commerciales informelles générées par les populations au centre-ville. Plus
l'accès est prioritaire et important, plus l'espace est récupéré par des activités
informelles de type sédentaire et semi sédentaire regroupant des «entreprises
commerciales» (vente de produits manufacturés importés, de vêtements) ou des
«entreprises de transformation», réparation de chaussures, orfèvre, etc.)
(Bazabas : 1998).

Un exemple frappant est l’utilisation actuelle de la rue Docteur-Aubry, face à la


place de la Cathédrale de Port-au-Prince. Une bonne partie de la chaussée est
récupérée de fait par l'étalement anarchique d'activités informelles allant des
produits cosmétiques jusqu'aux produits alimentaires de première nécessité en
passant par la vaisselle, les appareils ménagers, les «pèpès», etc.

Les observations de terrain (1998) ont révélé également l'existence de


seulement 22 feux de signalisation pour toute la municipalité de Port-au-Prince,
dont plus de la moitié reste inopérante.

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L'absence d'un système d'assainissement de la ville

Le réseau de drainage du centre historique est totalement défectueux : les


canaux sont obstrués en permanence par des détritus de toutes sortes. Le
manque de curage et d'entretien de ces réseaux crée des «inondations»
localisées dans la zone du «bas de la ville» (le quartier du Front de Mer de Port-
au-Prince, cité de l'Exposition) en saison pluvieuse. Les exutoires servent
souvent, en réalité, de lieu de stockage des ordures ménagères.

Les trottoirs, en certains points du centre historique sont localisés en-dessous de


la chaussée et sont donc ainsi susceptibles d'être inondés à tout moment (en
saison pluvieuse ou quand le Bois de Chêne est en cru). Certains trottoirs du
côté du boulevard Harry-Truman (direction sud) sur le Front de Mer servent de lit
à une eau stagnante, boueuse et nauséabonde.

Un troisième élément handicapant le réseau de voirie est le fait que certaines


rues du centre historique sont obstruées par des tonnes de déchets qui n'ont pas
été acheminés vers les sites de décharge (rue Bonne Foi, rue des Fronts Forts,
certains points du boulevard Harry-Truman, en particulier le Front de Mer de
Port-au-Prince). La place du Champ-de-Mars reste l'un des rares quartiers du
centre historique ou les résidus solides urbains ne sont pas entreposés.
L’accumulation des déchets solides urbains sur la chaussée en maints endroits,
provoque de sérieux conflits de circulation, empêchant la fluidité du transport et
augmentant la pollution environnementale dans Port-au-Prince. Le Front de Mer
reste le quartier du centre historique le plus défavorisé par le drainage, parce
que localisé dans la partie la plus basse de la ville.

Analyse de la qualité de vie au centre historique de Port-au-Prince


Des observations directes issues de travaux de terrain réalisés en 1998 et
basées sur l'analyse des images urbaines localisées dans la municipalité de
Port-au-Prince, en particulier le centre historique, ont permis de mettre en
évidence la détérioration de la qualité de vie. Depuis le début des années 1990,

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la qualité de vie et les conditions de vie à Port-au-Prince se sont considéra-
blement dégradées jusqu’à atteindre un niveau de sous-humanité.

Le concept de qualité de vie en milieu urbain

Le concept de qualité de vie se définit à partir des paramètres tels que la santé
de la population, le niveau de salubrité et d'hygiène du milieu ambiant (qualité de
l'air, odeurs, bruits, le drainage des eaux usées, etc.), les effets combinés de la
croissance des villes sur l'atmosphère, l'eau, le sol, les forêts, ou les déchets, sur
la qualité globale de l'environnement.

Le concept de qualité de vie se rattache à la nature et à la qualité de l'image


urbaine, qui, en réalité traduit physiquement dans l'espace et le temps, le mode
de vie des collectivités urbaines et leur degré d'évolution. Il s'agira dans le cadre
de cette recherche, de mettre en évidence la qualité des sites urbains, collectifs,
privés, publics ou vacants, et de mettre l'accent sur leur mode d'utilisation. Le
niveau d'accessibilité aux services urbains, ainsi que la qualité des services
fournis, peuvent être considérés comme le troisième critère permettant de définir
la qualité de vie en milieu urbain.

Les images locales urbaines les plus frappantes et symptomatiques de la qualité


de vie en milieu urbain se situent autour de l'utilisation des espaces collectifs, de
l'utilisation informelle des rues et des trottoirs, de l'accessibilité aux services
urbains de base, de la détérioration du cadre bâti, de la qualité des moyens de
transport urbain, et de la gestion des vides urbains au centre-ville de Port-au-
Prince.

L'utilisation des espaces collectifs du centre historique

Les espaces publics du centre-ville et du centre historique de Port-au-Prince


transmettent un paysage inconfortable, une sorte de malaise urbain. L'absence
de régulation et de réglementation dans l'utilisation des espaces collectifs, en
l'occurrence les places et les parcs, expliquent leur utilisation actuelle.

19
Des enquêtes et des travaux de terrain (Commission 250e anniversaire de la ville
de Port-au-Prince: 1998) ont mis en évidence que la plus grande place de la ville
de Port-au-Prince, la place du Champ-de-Mars (360 000 m2) regroupe des
activités informelles allant du lavage des automobiles à la vente de «manje kuit»,
des boissons et de livres d'occasion.

Le même phénomène est à signaler à la place de la Cathédrale de Port-au-


Prince qui se caractérise prioritairement par la vente de vêtements «pèpè»,
d'accessoires de cuisine de toutes sortes et d'appareils à musique. La présence
agressive de la fonction commerciale informelle a des retombées considérables
sur le mode d’utilisation de la ville, la qualité de l’environnement et du cadre bâti.

On admettra que d'une manière générale, il ne s'agit pas d'avoir des politiques
urbaines d'exclusion systématique des activités informelles. On estime qu'envi-
ron 75 % des emplois urbains à Port-au-Prince sont informels. Ces activités
constituent une démarche productive de survie, par une multitude d'investis-
sements personnels dans les services, l'artisanat et les arts face aux
concurrences du marché du travail. Il faut donc penser à leur intégration de
manière objective et inciter à leur formalisation graduelle.

L'occupation informelle des rues et des trottoirs

L'espace urbain de Port-au-Prince, révèle la diversité et la dynamique de


l'économie urbaine informelle (Barzabas: 1997). En effet, 90 % des trottoirs du
centre historique de Port-au-Prince regorgent d'activités commerciales et
artisanales informelles d'une très grande diversité. Ce mode d'utilisation de
l'espace rend la circulation piétonnière difficile. Certaines rues, de fait, sont
devenues piétonnes et handicapent considérablement la circulation des
véhicules (exemples, rue des Fronts Forts, rue des Césars, rue Macajoux, rue
Traversière, rue des Remparts, etc.).

Malgré les dimensions confortables des rues du centre-ville (variant en moyenne


entre 11 et 15 mètres), les déplacements de piétons comme de véhicules sont
conditionnés par cette utilisation informelle incontrôlée.

20
La qualité des infrastructures de service

L'état et la qualité des infrastructures de service à la population (marchés


urbains, abattoirs, cimetières et gares), sont des paramètres importants dans la
perception de la qualité de vie.

Il est à noter que l'absence de services de base (eau, électricité) et d'installations


sanitaires dans les équipements de services. Dans les marchés urbains du
centre-ville par exemple, les produits vendus ne sont pas protégés (notamment
les produits périssables), les étalages comme les structures sanitaires ne
répondent pas aux normes régulièrement admises. Les ordures générées par les
marchés s'accumulent périodiquement à cause de la mauvaise gestion de la
collecte des déchets dans la ville.

Les abattoirs publics les plus importants de la région métropolitaine - Carrefour,


Gressier, Croix-des-Bouquets - ne sont pas conformes aux normes. Il n'existe
pas de sites d'enfouissement sanitaire, les sols des abattoirs ne sont pas traités
et il n'existe pas de systèmes d'évacuation des eaux usées et des déchets. Les
sites d'abattage ne sont pas contrôlés. Les déchets sont en général évacués à la
mer, dans les ravines, dans les rivières, ou dans les canaux à ciel ouvert. Ceci a
des incidences néfastes sur l'environnement urbain à court et à long termes sur
la santé de la population et l'environnement régional.

Dans la municipalité de Port-au-Prince, l'unique cimetière municipal ne répond


pas à la demande de la population - il est saturé depuis déjà plusieurs années.
Le manque d'entretien, l'absence de drainage et d'écoulement des eaux de pluie,
l'inexistence d'espaces verts rendent cet espace insalubre et infect.

L'état du cadre bâti et les conditions de confort du logement

Les conditions physiques du logement dans la municipalité de Port-au-Prince


sont également une indication du degré de précarité de la qualité de vie. Le
confort minimum requiert un certain niveau d'accès à l'eau, un système sanitaire
adéquat et des services de base attachés au logement. En 1995, Saterhwaithe
constate le «…fait que 600 millions de citadins du sud vivent dans des abris et

21
des quartiers où leur vie et leur santé sont constamment menacés par l'absence
d'une distribution d'eau salubre en quantité suffisante, d'installations sanitaires,
d'évacuation des déchets solides et liquides (...)».

À Port-au-Prince, 92 % des ménages n'ont d'accès qu'à des latrines ordinaires


(fonds secs). Depuis 1986, les sachets en plastic remplacent très souvent les
latrines et les déchets humains et, ainsi empaquetés, sont déposés à même la
chaussée, le long des berges des ravines, des pentes et sur le littoral. Soixante-
doux pourcent des ménages ne disposent pas d'eau courante pour leur usage
domestique (IHSI: 1986).

Sur les 319 400 logements informels identifiés dans les quatre grandes villes du
pays, Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Les Cayes et Les Gonaives, Port-au-Prince
regroupe 82 % de ce stock de logements, soit 263 100 logements (CLED/ILD :
2000). Cinquante-trois pourcent de ces logements, soit 139 300 sont localisés
dans les ravines, 39 %, soit 10 200 dans les collines, 5 %, soit 12 000 dans le
centre-ville détérioré et 3 %, soit 9 600 dans les marécages (CLED/ILD : 2000).
Le stock total de quartiers d’établissements informels répertoriés dans les quatre
principales villes a été estimé à 2 025 milliards de dollars au coût de
remplacement : 89 % de ce stock de logements dans la zone métropolitaine
compte pour ce total (CLED/ILD: 2000).

Un logement sain et adéquat se définit aussi à partir du type de matériaux


utilisés, des surfaces habitables offertes par personne par famille. On a révélé
qu'approximativement 30 000 ménages vivent dans des logements de 12 m2
(Roy, Fass: 1989). Seule l'électricité est disponible dans près de 35 % des
logements raccordés illégalement au réseau actuel.

La non-application des normes, réglementations existantes (Lois de 1936 et de


1963) en ce qui a trait à la construction du logement, a comme conséquence un
cadre bâti offrant une architecture anarchique, hétérogène et non-intégré à
l'environnement. Ceci explique le caractère précaire de presque tous les
quartiers au centre historique de Port-au-Prince (utilisation de couleurs
agressives, de matériaux inadaptés au milieu urbain).

22
L' insalubrité du milieu ambiant

Les services de ramassage d'ordures de la municipalité de Port-au-Prince


fonctionnent de manière irrégulière et créent de sérieux problèmes dans
l'utilisation du sol de la ville. Les espaces vacants, la voirie publique très souvent
sont utilisés par les populations urbaines comme lieu de décharge. De plus, les
services de ramassage d'ordures, quand ils fonctionnent, desservent très peu de
quartiers défavorisés. Aussi, les détritus s'accumulent le long des trottoirs, aux
intersections de certaines rues, dans des impasses - la qualité de l'environ-
nement est sérieusement atteinte par des odeurs, des insectes attirés par les
détritus, des chiens errants parmi les déchets. Très souvent, les caniveaux
débordent, obstrués par des immondices de toutes sortes.

Les défaillances du système de ramassage des déchets encouragent la pratique


consistant à déverser les ordures ménagères dans les caniveaux à la faveur des
grandes averses avec pour effet, leur éparpillement dans toutes les rues,
l'obstruction des égouts ainsi que la pollution de la baie de Port-au-Prince. Les
égouts souvent obstrués ne permettent pas l'évacuation des eaux pluviales et
provoque dans certains quartiers, soit l'engorgement du sol, soit de grandes
masses d'eau stagnante qui favorisent la propagation de certaines maladies
infectieuses.

La qualité des modes de transport urbain

Les modes de transport en commun sont très limités dans Port-au-Prince,


compte tenu de la croissance de la population. Les parcours pour tous les types
de transporteurs sont fixés et localisés le long des artères principales et des
voies collectrices. Par contre, les arrêts ne sont pas planifiés. Aussi, l'inexistence
d'abribus le long des parcours signifie que les véhicules publics peuvent s'arrêter
et, comme de fait, s'arrêtent à n'importe quel lieu et à n'importe quel moment.
Cela contribue à ralentir la circulation, à augmenter la durée du transit et crée
conflits et confusions à l'arrêt.

23
Le deuxième élément important à signaler en ce qui a trait à la qualité du
transport est qu'il n'existe pas de parcours pré-établis ou fixés par type de
transporteurs. Les poids lourds, les véhicules transportant des déchets solides
ou liquides au site de décharges n'ont pas de parcours assignés. Ils circulent
dans les quartiers résidentiels et près des hôpitaux sans aucune forme de
protection pour l'environnement. À cela, il faut ajouter que les horaires de
livraison pour les transports de marchandises ne sont pas planifiés.

Il est à signaler également qu'il n'existe pas de normes par rapport au type de
transporteur : les transporteurs scolaires ne sont pas adaptés à la fonction des
véhicules. Il en est de même pour les taxis et les bus. S'il existe un standard par
exemple au niveau du transport public au centre-ville, c'est le tap-tap. On peut
dire qu'il s'agit là d'un standard spontané. Aucune étude n'est faite pour mettre
en évidence le standard optimal.

On observe par ailleurs, que les lieux de stationnement assignés aux véhicules
qui assurent le transport interurbain ne sont pas des gares routières. En effet, il
s'agit de lieux choisis arbitrairement, sans aucune structure physique appropriée,
le long des artères principales. Autour de ces espaces vitaux d'échanges,
viennent se greffer les éléments essentiels aux voyageurs (marchandes de
«manje kuit», confiserie, boissons, pâtés et tout le commerce informel). Il en
résulte un encombrement permanent des circuits de transport au voisinage de
ces lieux de stationnement.

Depuis 1986, on a enregistré une tendance à l'importation massive de véhicules


usagés et d'épaves. Souvent abandonnés le long des rues, et même quelques
fois au milieu de la chaussée, ils provoquent des encombrements, perturbent la
circulation et apportent une nouvelle note insolite au paysage urbain.

À cela, il faut ajouter la pollution de l'atmosphère par les gaz d'échappement,


problème qui reste encore dans la catégorie de ce qu'on appelle du
«juridiquement indifférent».

24
L’utilisation des vides urbains à Port-au-Prince

Un autre aspect déterminant permettant d’évaluer la qualité de vie dans l'espace


du centre historique de Port-au-Prince, c'est aussi l'image que renvoie les
espaces industriels et résiduels, les espaces non construits, les espaces
vacants, les vides urbains, «les restes de la ville» (Korosec-Serfaty : 1991).

Le paysage urbain, expression de domination sociale, reflète aussi le degré


d'évolution sociale des collectivités. Certains lieux, a priori, n'ont pas de valeur
de paysage parce qu'ils nous envoient des images de vacuité. Mais les images
de la vacuité font aussi partie de l'identité de la ville moderne et traduisent ses
priorités et ses contradictions. Malheureusement, et très souvent, parler de
paysage urbain revient à parler d'images urbaines esthétiques, de jardins
somptueux et de magnifiques ensembles urbains. L'expérience des paysages
urbains n'est pas toujours liée à ce concept : elle peut-être aussi fonctionnelle.

Les images de la vacuité à Port-au-Prince ne sont pas toujours des images


fonctionnelles ou esthétiques. Les espaces vacants, les vides urbains dans la
trame urbaine deviennent très rapidement des espaces de décharge publique.
Les enjeux fonciers, très forts, en milieu urbain limitent, dans l'espace, les
besoins concrets des gens et les espaces interstitiels dans leur béance
agressive, sont également squattérisés par des populations urbaines marginales
cherchant leur droit à la ville, donc leur droit à la vie.

Les terrains vagues, les espaces vacants dans les quartiers résidentiels ou le
centre-ville sont des espaces négatifs, des espaces refuges, sans contrôle, qui
transmettent aussi des images de vacuité sociale et spatiale, de biens collectifs
mal gérés, et de la mauvaise qualité de vie dans la ville.

Faudra-t-il rappeler que la lecture des paysages dans la ville est aussi la lecture
de l'histoire et du degré d’évolution économique et sociale des sociétés ?

25
Définir un cadre théorique pour les interventions de consolidation
urbaine

Les atouts majeurs du centre historique de Port-au-Prince


Le centre historique de Port-au-Prince est un espace complexe, générateur de
centralités liées majoritairement à l’économique, à l’institutionnel et au rési-
dentiel. Les rapports d’observation et les travaux de terrain ont permis de
constater que le centre s’est considérablement détérioré à cause de la mixité
d’usages non maîtrisés et de fonctions qui s’adaptent de manière inarticulée à la
structure urbaine existante. Cependant, malgré cette dégradation graduelle et
progressive, le centre historique, dans certains quartiers, a gardé une cohésion
et une vitalité remarquables.

Un autre atout du centre historique de Port-au-Prince est le caractère évolutif de


sa trame urbaine. En effet, la ville s’est structurée et organisée et a connu son
extension actuelle à partir du tracé de la ville coloniale (1749 et 1750). Cette
évolution est restée collée à ce tracé, et la ville coloniale est encore aujourd’hui,
après deux cent cinquante ans d’histoire urbaine, le centre qui polarise et génère
les centralités, les nouveaux usages et les nouvelles fonctions urbaines.

Un atout majeur du centre historique est le dimensionnement de ses rues. En


effet, le centre historique de Port-au-Prince contient les rues les plus larges de
tous les centres historiques de la Caraïbe et même de l’Amérique centrale.
L’historien Moreau de Saint-Méry rapporte que les rues du centre de la ville
avaient en moyenne 60 à 80 pieds anglais ou toises (c’est-à-dire 18 à 24 mètres
de large si on se réfère au système métrique). Ce gabarit rend possible des
interventions de consolidation qui, obligatoirement, doivent tenir compte de la
voirie existante et des avantages offerts par le système viaire.

Pourquoi consolider ?
Notre hypothèse est de considérer le fait que la ville de Port-au-Prince est un
espace constitué de fragments ou quartiers autonomes qui, à la fois, se

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complètent et se repoussent. Les interventions de consolidation de son centre
historique devra permettre de regénérer la forme urbaine en tenant compte des
spécificités et des particularités de chaque quartier.

La démarche de consolidation du centre historique de Port-au-Prince peut


s’articuler autour de plusieurs types d’interventions dans la structure urbaine.
L’exploitation de l’enquête sur l’habitat permettra de fixer le type et la nature des
interventions de consolidation. La consolidation urbaine, de manière objective,
prévoit l’amélioration du cadre de vie des habitants des quartiers à consolider.
Elle comprend des interventions de remodelage ou de «rapiéçage» du tissu
urbain détérioré, la revalorisation ou la réutilisation du patrimoine architectural et
urbain, la construction et l’insertion d'habitats neufs dans les tissus anciens
(Sokoloff : 1999). La mise en place de ce processus permet de «revivifier» et de
revitaliser le centre historique à court terme, et à moyen et à long termes, l’image
de la ville de Port-au-Prince.

La regénération de la forme urbaine: remodeler le centre historique de l’intérieur

Dans le cadre du centre historique de Port-au-Prince, la consolidation sera


basée sur le principe de récupération de la forme urbaine. Cette regénération
s’accompagnera de l’aération des cœurs ou des centres d’îlots (Sokoloff : 1999).
Il est essentiel, à cette phase, d’éliminer les édifices ou les structures vétustes ou
délabrées en vue de les remplacer par un habitat neuf et de qualité.

En effet, 69,75 % des populations résidant au Bas-Peu-de-Chose, à Bel Air, au


Monseigneur-Guilloux et à Morne-à-Tuff, vivent dans un type d’habitat de strate
basse (voir typologie en annexe), c’est-à-dire une densité de 100 logements à
l’hectare, avec des parcelles irrégulières, sans voies de desserte, sans drainage
et l’unité de bâti en très mauvais état.

L’amélioration du cadre de vie s’accompagne également de la valorisation ou de


la réutilisation du patrimoine historique ou architectural. Il est essentiel de
protéger, par des réglementations spéciales, l’identité et le caractère des
quartiers sur lesquels sont proposées les interventions de remodelage.

27
Le renforcement des centralités existantes

Dans le centre historique de Port-au-Prince, la concentration spatiale des


activités et des services se localisent majoritairement dans l’hypercentre, mais
également, comme nous l’avons analysé dans les chapitres précédents, le long
de certains axes structurants tels que la rue des Casernes, la rue Bonne Foi, la
rue du Champ-de-Mars, le boulevard Jean-Jacques-Dessalines, pour ne citer
que ceux-là. Le problème réside dans le fait que la centralité se redéploie de
manière anarchique, informelle et non planifiée.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, 43,9 % de la population résidant


dans les quartiers du centre historique utilisent les services du marché Salomon
par opposition à 9,8 % de cette même population qui s’approvisionne dans les
marchés de rue. On peut en déduire la nécessité de redistribuer les grands
marchés dans les autres quartiers périphériques afin de diminuer la pression sur
le centre-ville.

Il s’agira de normer, de redistribuer et de réorganiser la centralité en tenant


compte des éléments dominants le long des axes structurants ou des quartiers
générateurs d’activités économiques et de services.

Le renforcement de la présence des équipements publics et des monuments,


ainsi que des grandes institutions est une étape importante dans l’application
d’une politique de consolidation urbaine. Cet aspect de la consolidation urbaine
sera basée sur la restauration de l’image des repères importants de la ville. C’est
le sens que prennent les travaux de rénovation et de modernisation de la place
du Champ-de-Mars, incluant la place Dessalines, la place Pétion, le kiosque
Occide-Jeanty et bientôt la place Capoix et la place Toussaint-Louverture initiés
par la Commission du 250e anniversaire de la ville de Port-au-Prince et le Bureau
des Infrastructures et de l’Urbanisme de la Présidence.

En effet, ces travaux ont créé un mouvement de population vers les espaces
publics réhabilités. 51,2 % de la population des quartiers du centre historique
vont se promener sur la place du Champ-de-Mars et 39 % de cette même popu-
lation se rend au Bicentenaire, sur la place des Nations-Unies. Ces indications

28
montrent que, lorsque les places publiques sont rénovées, elles constituent un
attrait à toute heure pour les populations en quête d’espaces collectifs,
d’espaces salubres, d’espaces paysagers et d’espaces de détente. Le caractère
de l’habitat résidentiel sera donc renforcé par l’ajout de services de base et
d’équipements de loisirs.

La création de zones de nouvelles centralités

Les enquêtes réalisées vont permettre d’identifier les carences en équipements


socio-communautaires au sein des différents quartiers du centre historique et de
sa périphérie. En effet, 60,97 % de la population des quartiers du centre
historique utilisent les service d’hôpitaux et de cliniques privés à cause de la
mauvaise qualité des services dans les centres de santé publics. Il faut ajouter
également que 51,2 % des populations du centre historique ne sont pas
approvisionnées par la Centrale Autonome Métropolitaine d’Eau Potable. 65,9 %
ne disposent pas de téléphone et 41,5 % n’ont pas accès à l’électricité.

Afin de protéger le tissu urbain traditionnel du centre historique, il est important


de créer de nouvelles zones de centralités. Ces zones, conçues à l’intérieur des
quartiers du centre et dans les quartiers périphériques, recevront des activités
tertiaires et de loisirs ainsi que les services de base et les équipements socio-
communautaires appropriés. Ceci permettra d’équilibrer à moyen et à long
termes le développement de ces quartiers par rapport à la dynamique du centre.
En vue d’attribuer des vocations à l’intérieur des zones de nouvelles centralités, il
est important de faire une analyse détaillée de la localisation, la typologie et la
dynamique des activités tertiaires dans les quartiers envisagés.

Ces zones de nouvelles centralités seront en réalité de nouveaux pôles qui


devront s’inscrire dans le prolongement de la structure urbaine actuelle. Chaque
zone développera des centralités propres en fonction du type d’habitat existant et
aussi en fonction des besoins et des priorités de cet habitat. Il s’agit en fait de
supporter un phénomène de croissance non plus par expansion comme on le

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faisait dans les années 60, mais par restructuration interne de la ville (Sokoloff :
1999).

Le développement d’axes piétonniers «civiques»

Ces projets de regénération urbaine et de renforcement de centralités, comme


dans le cas du modèle de Barcelone, devra s’articuler autour de la création
d’axes piétonniers «civiques» permettant d’assurer la liaison entre les points forts
du centre historique et ses quartiers périphériques.

Ces axes piétonniers permettraient d’atténuer les irrégularités, les dysfonction-


nements et les incongruités résultant de la juxtaposition inesthétique de certains
secteurs de la ville et causés tant par les interventions volontaristes (depuis la
fondation de la ville royale jusqu’à la présidence d’Estimé et de Magloire, par
exemple), que par l’expansion du processus d’informalité dans le centre-ville de
Port-au-Prince. Ceci permettra d’obtenir la continuité et la cohésion indispen-
sables à la viabilité des projets de consolidation urbaine.

Ces axes piétonniers civiques seront éventuellement des axes institutionnels,


des axes commerciaux formels et des axes commerciaux intégrant éventuel-
lement les activités informelles intégrables «maîtrisées». Toujours en tenant
compte du modèle de Barcelone, le long de ces axes, on aura des petits projets
d’amélioration du paysage urbain, du mobilier urbain, le contrôle de l’affichage en
zone commerciale, résidentielle et institutionnelle. Le développement de ces
axes piétonniers permettra également de créer des liens civiques entre les lieux
historiques significatifs et les places, entre les lieux administratifs et les marchés
publics et de revaloriser les références historiques et patrimoniales dans la
mémoire des usagers du centre.

«La complicité» et la participation des différents acteurs dans le processus de


consolidation du centre historique

Il est clair que la municipalité, en tant que gouvernement local ou collectivité, est
le premier acteur intéressé à démarrer le processus, le mettre en place et le

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finaliser. Elle devra prendre en charge l’élaboration des plans de restructuration
et de revitalisation urbaine, la programmation d’un échéancier devant permettre
de réaliser les différents projets urbains issus de cette programmation
d’ensemble.

Par contre, le principal bénéficiaire et en même temps l’acteur le plus important


dans ce processus de consolidation et de revitalisation urbaine, est l’usager. Il
est indispensable que la municipalité mette en place des mécanismes
opérationnels permettant d’assurer la participation citoyenne à toutes les étapes
de conceptualisation, de mise en oeuvre et de suivi des réalisations. Cette
participation pourra se matérialiser par association, sous forme de commissions
de rénovation ou de restructuration de quartiers, de commissions ou
d’associations de commerçants formels et informels. Ces commissions
disposeront d’un pouvoir d’avis que la municipalité pourra difficilement
contourner.

À cela, il est important d’adjoindre l’apport et le soutien financier d’un secteur


privé désireux de revitaliser le centre commercial et d’en projeter une nouvelle
image d’urbanité. Ce secteur, lui aussi, en accord avec les autres partenaires
devra exercer son rôle aux différentes étapes du processus et s’assurer de la
cohérence du programme, du bien fondé, de l’intérêt des projets choisis et de
leurs retombées économiques et sociales à court, à moyen et à long termes.

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Références bibliographiques

Sources primaires

Bureau des Infrastructures et de l’Urbanisme de la Présidence. Commission du


250e anniversaire de la fondation de la ville de Port-au-Prince. Draft du
rapport final du projet de réorganisation des vendeurs du secteur informel
dans le cadre de la restauration des places publiques par la Commission
du 250e anniversaire de Port-au-Prince. Port-au-Prince, Haïti, avril 2000.
Commission pour le 250e anniversaire de la fondation de la ville de Port-au-
Prince, Bureau des Infrastructures et de l’urbanisme de la Présidence.
Schéma Directeur du Front de Mer de Port-au-Prince. Port-au-Prince, mai-
juin 1999.
Commission pour le 250e anniversaire de la fondation de la ville de Port-au-
Prince, Bureau des Infrastructures et de l’Urbanisme de la Présidence.
Rapport. Port-au-Prince, avril-mai 1998.
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Prince. Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et
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Port-au-Prince. Port-au-Prince, Haïti, 1999.
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informel urbain. Analyse de la situation et résumé des réformes proposées
pour la formalisation de la propriété en Haïti , janvier 2000.
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historiques. Europe, vol. 2. 1998
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centres historiques. 1998.

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Sources secondaires

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