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SOMMAIRE

INTRODUCTION …………………………………………………………………………. 3
PARTIE I : SYSTEME POLITIQUE MAROCAIN ET PROBLEMATIQUE DU
CHANGEMENT SOCIAL ………………………………………………………..………..19
CHAPITRE I : DES MANIFESTATIONS DE RUE A LA REFORME
CONSTITUTIONNELLE ……………………………………………………………………21
SECTION 1 : UNE DEFERLANTE PORTEE PAR LE MOUVEMENT DU 20 FEVRIER
………………………………………………………………………………………….……. 23
SECTION 2 : LA REFORME CONSTITUTIONNELLE OU LA REDEFINITION DU
PACTE SOCIAL ……………………………………………………………………………. 40
CHAPITRE II : UN PROCESSUS ELECTORAL COMME APAISEMENT SOCIAL
…………………………………………………………………………………………...……58
SECTION 1 : RENOUVELEMENT DU PERSONNEL POLITIQUE COMME REPONSE
AUX VŒUX DE CHANGEMENT …………..……………………………………………. 58
SECTION 2 : QUAND ISLAMISME RIME AVEC DETENTE SOCIALE
……………………………………………………………………………….…………. …... 77
PARTIE II : PORTEE ET LIMITES D’UNE HYPOTHETIQUE RESILIENCE DU
SYSTEME POLITIQUE MAROCAIN
……………………………………………………………………………………………… 113
CHAPITRE 1 : LE DOUBLE POIDS DES PRESSIONS ENDOGENES ET EXOGENES
……………………………………………………………………………………………… 115
SECTION 1: RESURGENCE/PERMANENCE DE L’AUTORITARISME
………………………….…………………………………………………………………... 116
SECTION 2: REPLIQUES DU MAGMA SOCIAL (1981-84 et 90)
……………………….……………………………………………..……………………… 153
CHAPITRE 2 : CENTRALITE MONARCHIQUE ET REACTIVITE DU SYSTEME
POLITIQUE ……….………………………………………………………………………. 189
SECTION 1 : ETAT REGALIEN, ET REFORMES HOMEOPATHIQUES D’HASSAN II
………………...……………………………………………………………………………. 190
SECTION 2 : UNE ERE NOUVELLE, ET UN MONARQUE PORTEUR D’UNE VISION
………………………………….…………………………………………………………... 210
CONCLUSION GENERALE ……………………………………………………............ 236
BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………………………….. 241
ANNEXES ……………………………………………………………………………….... 261
TABLES DES MATIERES ……………………………………………………………… 268

1
Résumé :

La contestation sociale n’est pas nouvelle au Maroc, et remonte à l’ère du passé lointain du
bled Siba-Bled/ El Makhzen. Par notre étude des changements sociaux nous interrogeons
l’histoire récente de la monarchie et son modus operandi hérité du mode califal traditionnel.
Le présent travail met en valeur la tendance du régime à s’adapter chaque fois qu’il est en
difficulté. L’expérience politique a mis en évidence le bras de fer entre Hassan II et le
mouvement national comme acteur principal de l’exigence de la démocratie et des droits de
l’Homme après l’indépendance. Des émeutes sociales ayant fortement secoué le pays (1980-
1990), au délitement des liens traditionnels de solidarité (mutation démographique et taux
d’urbanisation frénétique), le Maroc développe une immunité contre les situations de trouble.
Résilience réelle ou hypothétique face aux événements du "printemps arabe", le mouvement
20 février a néanmoins soulevé de grands débats et suscité des changements institutionnels,
même sans réussir à déclencher un soulèvement populaire. Qu’en est-il à l’aune des tourments
sociopolitiques, que le Maroc a de sérieuses raisons de craindre, et qui ne finissent
d’assombrir l’horizon arabe et maghrébin !

Mots clés : monarchie, changement social, démocratie politique, makhzen, droits de


l’Homme, mouvement 20 février.

Abstract:
Social protest is not new in Morocco, and goes back to the era of the distant past of the Bled
el-Siba / bled El-Makhzen. Through our study of social changes, we question the recent
history of the monarchy and its modus operandi inherited from the traditional Caliph mode.
The present work highlights the tendency of the regime to adapt whenever it is in difficulty.
Political experience has highlighted the tug-of-war between Hassan II and the national
movement as a key actor in the demand for democracy and human rights after independence.
Since social riots have shaken the country (1980-1990), the traditional links of solidarity
(demographic change and frenzied urbanization rate) have been eroded, Morocco has
developed an immunity against disturbances. Real or hypothetical resilience to the events of
the "Arab Spring", the 20 February movement nevertheless raised major debates and
institutional changes, even without successfully triggering a popular uprising. What about the
socio-political torments that Morocco has serious reasons to fear, and they seem do not end up
darkening the Arab and Maghreb horizon!

Keywords: monarchy, social change, political democracy, makhzen, human rights,


movement 20 February.

2
INTRODUCTION :

Le monde est aujourd’hui traversé par de grandes dynamiques sociales, avec les
répercussions politiques, économiques, culturelles et géostratégiques propres à l’après guerre
froide : chute du Mur de Berlin en 1989, éclatement du Bloc Socialiste avec le démantèlement
de l’Union soviétique en 1991, ainsi que l’affirmation du triomphe des valeurs du modèle
libéral capitaliste. Parmi les conséquences directes ; ébranlement des anciennes zones
d’influence soviétique dans la région arabe (Irak, Syrie, Libye) des relations de pouvoir à
l’intérieur de plusieurs pays soumis à des régimes de parti unique ou de systèmes politiques
autoritaires, y compris l’Égypte.

Dans le sillage des évènements qu’a connu le monde au cours de cette période, la
région Afrique du Nord et Moyen Orient (MENA) a été dans un premier temps, "à l’abri" de
ces changements radicaux ressentis en Europe (Serbie, Géorgie, etc…) liés d’une manière ou
une autre à la reconfiguration du monde qui se poursuit aujourd’hui encore. Mais à partir de
2010-2011 et sous la pression cumulée des régimes souvent autoritaires qui prévalaient dans
ces pays et l’appel d’air que provoque l’image d’un modèle occidental fondé sur la "liberté et
la démocratie". Ce fut le début des soulèvements populaires baptisés très vite "printemps
arabe" ou "printemps démocratique", un ras de marée qui a touché le Maroc de plein fouet, y
engendrant des changements, sans pour autant déstabiliser ses fondations. Cette résistance
face à l’adversité nous interpelle et nous invite à une lecture attentive à la réponse de l’Etat et
du pouvoir politique.

Nous sommes en présence d’un certain nombre de termes qui font partie du « jargon
sociologique » des phénomènes sociaux relevant des grands concepts de la sociologie
politique. Plus exactement, les concepts de changement social, de dynamique sociale,
démocratie, pouvoir, etc… Notre travail tentera d’approcher l’ensemble de ces phénomènes
dans un espace circoncis qui est celui du Maroc. Auparavant, il nous semble judicieux de
définir la panoplie de concepts qui commandent l’analyse que nous projetons de mener dans
les pages qui suivent. En parlant du système politique, on évoque l’enjeu du "pouvoir" qui
suppose pour Godelier une liaison intime entre la violence et le consentement. « Même le
pouvoir de domination le moins contesté, le plus accepté, contient la menace virtuelle du

3
recours à la violence1», note-t-il, en précisant toutefois que « la répression fait moins que
l’adhésion, la violence physique moins que la conviction de la pensée qui entraîne avec elle
l’adhésion de la volonté, voire de la coopération des dominés 2».

Le pouvoir est un concept qui tire ses origines de la divinité au moins depuis l’ère
chrétienne. Pour Martin Luther, théologien germanique de la bible et réformateur du
christianisme, « le droit temporel et le glaive existent en ce monde de par la volonté de Dieu
et l’ordre de Dieu » Pour sa part, le français Jean Calvin s’est basé, sur deux explications
différentes mais complémentaires du pouvoir politique, l’une anthropologique et l’autre
théologique. D’un côté, le pouvoir est nécessaire en raison de la condition humaine, et de
l’autre, celui-ci a une origine divine, et donc toute autorité civile serait d’origine divine 3.

Dans le même sens, déjà Jean Bodin au 16 ème siècle avait considéré la religion comme
la base de la société et de l’Etat : « il n’y a chose qui plus maintienne les Etats et les
républiques que la religion, et c’est le principal fondement de la puissance des monarques et
seigneuries, de l’exécution des lois, de l’obéissance des sujets, de la révérence des magistrats,
de la crainte de mal faire et de l’amitié mutuelle envers un chacun 4». Bossuet (Jacques-
Bénigne) a de son côté affirmé que la religion est le fondement essentiel de la société et de
l’Etat, celui-ci a besoin d’une religion, vraie ou fausse, et il ne pourrait y avoir d’Etat laïc « la
bonne constitution du corps de l’Etat consiste en deux choses : dans la religion et dans la
justice, ce sont les principes intérieurs et constitutifs des Etats. Par l’une, on rend à Dieu ce
qui lui est dû ; et par l’autre, on rend aux hommes ce qui leur convient 5».

Pour J. de Maistre « il faut toujours que l’origine de la souveraineté se montre hors


de la sphère du pouvoir humain, de manière que les hommes même qui paraissent s’en mêler
directement ne sont néanmoins que des circonstances 6», il rappela aussi que « la monarchie

1
- GODELIER, M., L’idéal et le matériel, Fayard, 1984, p. 24.
2
- Idem.
3
- Dès 1519, les ouvrages de Martin Luther étaient vendus à Paris et l'évangélisme était diffusé dans de
nombreuses villes grâce à l’invention récente de l’imprimerie. Le calvinisme, doctrine défendue par Jean Calvin
(1509- 1564), né en Picardie-France, s’imposa comme une variante réformatrice en France et en Suisse de
l’œuvre Luthérienne.
4
- Jean Bodin (1529-1596) a théorisé la monarchie absolue en France, alors qu’Hugo Grotius (1583-1645) a
défendu la république libérale en Hollande, sur un double plan politique et religieux.
5
- BOSSUET, Jacques-Bénigne, Œuvres complètes, volume 5, pp. 215 et suivants.
6
- DE MAISTRE, J., Essai sur le principe générateur des constitutions politiques et des autres, p. 38.

4
européenne n’a pu être constituée et ne peut être concernée que par la religion une et
unique1». D’où l’importance de tous ces mouvements de résistance à l’autoritarisme papal
(Martin Luther) et la diffusion de toutes ces idées pré-modernes sur l’égalité, la citoyenneté et
la démocratie (Rousseau, Montesquieu) qui ont ouvert la voie au siècle des lumières et aux
révolutions européennes du 18ème et 19ème siècles.

C’est dans ce cadre empreint de quête de liberté et d’action collective pour une
reconfiguration du pouvoir royal absolutiste, que la notion d’espace public a fait son
apparition. « L'espace public évoque non seulement le lieu du débat politique, de la
confrontation des opinions privées que la publicité s'efforce de rendre publiques, mais aussi
une pratique démocratique, une forme de communication, de circulation des divers points de
vue 2».

L'espace public serait alors « un ensemble de personnes privées rassemblées pour


discuter des questions d'intérêt commun. Cette idée prend naissance dans l'Europe moderne,
dans la constitution des espaces publics bourgeois qui interviennent comme contrepoids des
pouvoirs absolutistes. Ces espaces ont pour but de médiatiser la société et l'État, en tenant
l'État responsable devant la société par la publicité, la Öffentlichkeit dont parlait Kant 3».

Le principe de publicité a été pour Habermas celui « de contrôle que le public


bourgeois a opposé au pouvoir pour mettre un terme à la pratique du secret propre à l'Etat
absolu». La théorie habermassienne a mis en évidence l’existence d'une véritable sphère
publique, laquelle à partir du XVIIIe siècle, a fondé progressivement un espace politique où
s’opère la « médiation » entre société et Etat. Cette médiation prend aujourd’hui la forme
d’une "opinion publique" qui a pour but de transformer la nature de la domination. Cette
théorisation initiale du champ politique à l’intérieur d’un espace public a beaucoup évolué
après avoir montré ses limites, au point qu’Habermas lui-même s’est vu contraint d’y
remédier par une autocritique. Par l’entremise de nombreuses institutions, le développement
de discussions publiques visait à soumettre l'autorité politique à la rigueur de la « critique

1
- Voir BARBIER, Maurice, Religion et politique dans la pensée moderne, Presse universitaire, Nancy, 1987, p.
19-27-39-46-61 et 63.
2
- PAQUOT, Thierry, L’espace public, 2009, La Découverte, pp. 3-9.
3
- LETOURNEAU, Alain, Quelques remarques sur le journalisme et la presse au regard de la discussion sur
l’espace public, cité in Brunet, Patrick J., L'éthique dans la société de l'information, Québec et Paris, Presses de
l'Université Laval et L'Harmattan, 2001, p. 49.

5
rationnelle ». Ce modèle libéral de la sphère publique, s’est révélé inopérant dans l’espace
politique propre aux démocraties de masse, régies par un Etat social1.

Habermas a remis en question En 1990, le concept de totalité, en modifiant


l’appréciation quant à la capacité critique du public, ce qui pose une nouvelle interrogation sur
l’espace public. En partant de l’analyse du discours sur la démocratie, il en vient à envisager
la possibilité d’un dédoublement de l'espace public, lorsque le « pouvoir communicationnel »
arrive à influencer le « pouvoir administratif » et à neutraliser la manipulation par les médias.
Il reconnait lui-même que « ce n'est pas sur le concept d'agir orienté vers l'entente
(verstândigungsorientierten Handelns) que je rencontre les critiques les plus vives mais sur
l'idée d'une double conceptualisation du milieu de vie sociale, c'est-à-dire sur mon souci de
compléter le concept de Lebenswelt qui relève d'une théorie de l'action, par des emprunts à la
théorie des systèmes2.

De cette manipulation par les médias, il en a été question largement tout au long des
événements du printemps arabe, lorsque beaucoup d’études souvent controversées, ont cru y
voir le rôle primordial des réseaux sociaux et des nouvelles technologies de l’information.

Le « printemps arabe » :

Le vocable est d’immanence journalistique et renvoie au printemps de Prague, de


Varsovie, etc. Il vise à traduire un phénomène social par ses similitudes avec d’autres
événements ayant eu lieu en différentes régions d’Europe. Le monde arabe aurait connu
durant cette période allant de 2011 à 2015, trois vagues historiques d’oppression politique
d’inégale durée et de formes diverses 3. Remontant dans le temps, Alaa Al Aswani, intellectuel
égyptien, auteur de l’Immeuble Yacobian et activiste de maydane Al Tahrir, que depuis 14
siècles a expliqué que « l’Islam politique a fait peser sa domination, entachée de népotisme,
de violence et des pires cruautés sur l’ensemble du Maghreb et du Moyen Orient 4».

1
- Habermas, Jürgen (traduction Buhout de Launey.), L'espace public : archéologie de la publicité comme
dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot, 1988.
2
- Sur la critique de l’espace public, voir Habermas Jurgen, (trad. Quéré Louis). Médias de communication et
espaces publics, in Réseaux, Hors Série n°1, 1991. Jürgen Habermas. p. 73-88.
3
- MARTIN, Dominique, Les soulèvement arabes depuis 2011 : de l’émotion au mouvement social, El Maârif Al
Jadida, 2015, p. 18.
4
- BASBOUS, Antoine, Le Tsunami arabe, Fayard, Paris, 2012, p. 16-17.

6
Toutefois, dans les années 50, le système de la "colonialité"1 est apparu avec les européens
qui ont mis fin aux ottomans. Les années 60 a connu un surcroît de nouveaux régimes
nationalistes (Nasser en Egypte, Assad à Damas, Boumedienne en Algérie, et Saddam en
Irak). Et à partir des années 80, les dirigeants de ces régimes nationalistes- qui se targuaient
d’être révolutionnaires-, se muent en autocrates, ce qui marqua profondément les esprits
contemporains. Ce passé tumultueux a peut être constitué une base référentielle pour le
déclenchement des mouvements arabes en 20112.

A côté de ces arguments politiques, on peut rajouter d’autres d’ordre social ;


notamment le contexte de l’islam politique et social, où il y a comme le rend compte A.
Basbous, trois séries d’interdits qui structurent les mentalités arabes : le tabou social (‘aïb), le
tabou institutionnel (mamnou’a), et le tabou religieux (haram)3. L’absence d’espace public au
sens où les révolutions européennes ont contribué à les instaurer tout au long du XIX ème
siècle, et son corollaire, la faiblesse des intellectuels.

Du mouvement social au changement social

Des auteurs de la "sociologie des conflits" pensent que "le mouvement social" désigne
« toute action collective visant à transformer l’ordre social 4». La notion "Changement" est
certainement polysémique et les dictionnaires d’usage nous en donnent différentes
significations de ce terme. Dérivé du latin "cambiare" qui veut dire « échanger, substituer une
chose à une autre ». En d’autres termes, un changement désigne un passage d’un état à un
autre ; Un changement psychologique ou social, c’est le passage d’un état X, défini à un
temps T, vers un état X1 à un temps T1, où X et X1 peuvent représenter un être humain ou un
milieu social qui, après "changement", devient à la fois autre chose et le même sinon, il y a
plus que du changement : il y a disparition et émergence d’une autre réalité, mort ou création 5.

1
- BALANDIER, George, La situation coloniale : approche théorique, in MARTIN, Dominique, Les
soulèvements arabes depuis 2011, op, cit, p. 18. L’auteur a expliqué que « la colonialité » constitue un système
qui, au-delà de la conquête et de l’exploitation de territoires et de ressources matérielles et humaines, officialise
une relation d’inégalité et d’infériorité structurelle entre le colonisateur et le colonisé.
2
- MARTIN, Dominique, Les soulèvements arabes depuis 2011, op.cit, p. 18.
3
- BASBOUS, Antoine, Le Tsunami arabe, op.cit, p. 18.
4
- Voir FORSE, M., Analyses du changement social, Le Seuil, 1998, p. 29.
5
- ENRIQUEZ, E. ; HOULE, G ; RHEAUME, J ; SEVIGNY, R, (sous la direction) 1993, L’analyse clinique
dans les sciences humaines, Montréal, Ed. Saint-Martin.

7
Beaucoup de synonymes font des nuances de la définition exacte de ces termes, parmi
eux, on citera : déplacement, mouvement, altération, ajustement, modification, évolution,
développement, réforme, transformation, mutation, révolution, rupture, métamorphose. Il est à
noter que tous ces termes différent l’un de l’autre selon la profondeur et l’ampleur du terme
"changement".

La notion de "changement" en philosophie, est indissociable de la polarité établie entre


la permanence (ce qui est structurel) et le changement (la durée). Deux philosophes antiques
s’opposaient autour de la signification du terme ; Pour Héraclite, le changement est l’essence
de l’être toujours en mouvement et en conflit entre les figures des éléments matériels, le feu
en particulier. Parménide voit que l’être est en permanence sous l’apparence des
changements. Cette opposition est au cœur de la dialectique de la pensée allemande du
XIXème siècle, celle de Hegel à Marx. Ce contraste entre ces idées a été repris dans les
différentes théories du changement faites en sciences humaines et sociales 1. En psychologie,
cinq traditions de pensée sont à citer 2; notamment la dynamique du changement, l’approche
systémique, le changement planifié ou « the planning of change », le développement
(personnel, organisationnel ou social, le changement et l’inconscient. Kurt Lewin lie la
conception du changement au souci de fonder une théorie scientifique des rapports entre
personnes et société à l’image des sciences de la nature 3.

Avant de procéder à l’analyse de ces différents volets, il est nécessaire de nous arrêter
sur la signification de notions et de termes appartenant au champ de la sociologie politique, et
qui vont être abordés tout au long de notre travail de recherche.

Et pour commencer, rien n’est plus significatif que le terme générique de "transition" à la fois
politique, sociale, culturelle, démographique etc. Pour Larousse, le vocable est défini comme
"un passage d’un état de choses à un autre". Ainsi donc, "la transition démocratique" peut
être définie de deux façons, qui d’ailleurs se complètent : elle indique le passage d’une forme
d’organisation politique "non démocratique" et donc "autoritaire" à une autre forme, cette fois
"démocratique" ou plus précisément en voie de "démocratisation" (ce qui est en soi une

1
- Ibidem.
2
- Ibidem.
3
- Voir LEWIN, Kurt, Psychologie dynamique, les relations humaines, PUF, Paris, 1959. Voir également
Vocabulaire de psychosociologie physique et mathématique.

8
transformation du régime touché dans sa nature même) en attendant l’avènement de la
"démocratie" (en tant que système enraciné)1.

Une autre définition consiste à dire que la phase intermédiaire indiquant la séparation
de l’ordre autoritaire pour embrasser un autre qui, adaptant d’autres règles que celles du
premier, va dans le sens de "la démocratisation" ou "la transition démocratique". Celle-ci se
situerait entre la phase préparatoire qui coïncide avec le déclenchement du processus
d’ouverture (celle de "la libéralisation") et la phase de la démocratie "consolidée, enracinée,
signifiant un mode de gouvernement accepté par tous -gouvernants et gouvernés- comme
seule règle de gestion des conflits"2.

On a pu écrire à propos de la transition démocratique que « …le risque d’invoquer (ce)


concept, suppose d’emblée que le problème de la nature démocratique du régime en question
est réglée, alors même qu’il s’agit de processus souvent réversible 3». L’exemple marocain en
fait preuve, et ce à partir de l’année 1990, lorsque le pays s’était engagé dans une politique de
détente à travers des mesures témoignant d’une volonté de libéralisation du régime, mais qui
n’a pas débouché à une vraie démocratisation.

Sur la démocratisation, Huntington S. affirma, dans son ouvrage The third


Democratization in the late twenthieth century, que la décennie 90 verra la "troisième vague"
de démocratisation4.

La "transitologie", considérée comme une sous-discipline de la science politique, est


apparue dans les années 1970 en Occident. Cette théorie n’a cependant pris une certaine
ampleur qu’à partir des années 2000 dans le monde arabe. Ce retard est dû à la fermeture des
régimes politiques arabes et leur stagnation. Au Maroc par exemple, s’il y avait « un
processus de démocratisation au Maroc, celui-ci était solidement "verrouillé" 5». De
nombreux auteurs ont, depuis, montré que la transitologie s’inscrit dans les thèses de la

1
- ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire (souple) ou les voies incertaines de la démocratisation
au Maroc, Bouregreg, 2012, p. 24.
2
- Idem, p. 24-25.
3
- TOZY, M. Réformes politiques et transition démocratique, Maghreb-Machrek, n°164, avril-juin, 1999, p. 76.
4
- Voir HUNTINGTON, S., The Third Wave, Democratization in the Late Twentieth Century, Norman,
University of Oklahoma Press, 1991. Selon cet auteur, la troisième vague de démocratisation comprendra les
rives du reste du monde après avoir touché l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord, l’Océanie et le Japon.
5
- ENHAILI, Aziz, Une transition politique verrouillée, in Confluences Méditerranée, L’Harmattan, n° 31,
automne 1999, p. 57-75.

9
théorie du choix rationnel et fait la promotion d’une approche pragmatique et procédurale de
la démocratisation1.

CAMAU voit dans "la transitologie" un concept qui « ne préjuge pas des convictions ou
options démocratiques des protagonistes de la transition mais prend les acteurs pour ce qu’ils
sont – des individus et des groupes engagés dans la sauvegarde ou la conquête de positions,
au moindre risque, dans un contexte mouvant et incertain -et non pour qu’ils devraient être-
des démocrates convaincus des nécessités et des bienfaits du pluralisme 2 ».

Le Maroc n’a pas échappé, comme d’autres pays d’ailleurs, à la troisième vague de
démocratisation3. A la lumière de ces avancées, peut-on affirmer que le Maroc « peut être
considéré comme typique de ces sociétés où l’observation des changements, indéniables,
parait indissociable d’une certaine continuité 4», ainsi que « l’attachement à l’islam et le
respect de la tradition, continuent d’imprégner le processus de modernisation, au point
d’inspirer encore l’esprit du régime, le fonctionnement complexe du système et les règles
subtiles du jeu politique actuel 5».

En effet, le paradoxe de la relation entre changement et permanence nous empêche


d’affirmer l’immobilisme politique au Maroc. A ce propos, Rouquier a souligné que « les
régimes politiques, comme n’importe quel organisme changent continuellement pour
s’adapter à l’évolution ou aux mutations de leur environnement 6». Plus adapté au cas du
Maroc, sujet de notre recherche, expliqua que : « la capacité d’un régime à effectuer cet

1
- ZAGANIARIS, Jean, Deux ou trois choses que je sais d’elle : La transition au Maroc à la lumière de la
transitologie, Revue Marocaine de Sciences Politique et Sociale, Automne-Hiver, 2010-2011, n°1, Vol-01,
CRESS, 2011, p. 54.
2
- CAMAU, Michel, La transitologie à l’épreuve du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, Annuaire de
l’Afrique du Nord, XXXVIII, 1999, p. 3-9.
3
- Le choix de la démocratie a fait l’objet de nombreuses déclarations du nouveau monarque dés son
intronisation. Mohamed Aujjar (ministres des droits de l’Homme) affirme également le choix de démocratisation
dans sa déclaration : « La mission essentielle de ce gouvernement consiste à mener à bien la transition
démocratique dans la perspective d’instaurer une véritable démocratie à partir des élections de 2002 », in La vie
économique, 30 mars 2001, p. 9.
4
- SANTUCCI, J-C, Le Maroc actuel. Introduction, CNRS, 1992, p. 9 et ss.
5
- Ibidem. Sur ce point, un autre auteur a expliqué que le Maroc se base sur « des logiques lourdes, profondes, à
l’œuvre de la société (logique de la permanence héritée de la profondeur historique du pays), d’une part, et
d’autre part, les bricolages à travers lesquels s’opère sa libéralisation politique et sociologique. Voir
ROUSSILLON, A, Un Maroc en transition : alternance et continuités, Introduction dans la Revue Maghreb-
Machrek, n°164, p.6.
6
- ROUQUIER, A., Changement politique et transformation des régimes, Traité de science politique, sous la
direction de M. Grawitz et J. Leca, 1985, p. 602.

10
accommodement au changement social et à la conjoncture est essentielle pour sa stabilité,
c'est-à-dire pour éviter les ruptures politiques 1 ». En outre, le régime monarchique marocain
semble saisir que la stabilité est au prix d’un certain nombre de concessions, et des
changements même ces derniers sont parfois douloureux, afin de s’adapter aux
transformations survenues sur la scène interne et internationale 2.

En effet, et à la lumière des dynamiques de protestations et de revendications qu’a


connues la région MENA à nos jours, nous avons observé que le Maroc n’a certainement pas
été épargné par cette vague déferlante qui a fait vivre le pays dans une ambiance de
manifestations et de réformes politiques. Ce phénomène des rues a suscité euphorie et
angoisses et fait entré le pays dans une nouvelle phase de son histoire politique.

L’ensemble des hypothèses que nous évoquerons, se justifient par l’idée que les
évènements de 2011 se réfèrent à des soulèvements précédents ; les plus récents furent les
mobilisations populaires en Europe en 1989 et 1990. Ces mouvements ont contribué à la
chute des régimes communistes et redessiné la carte de l’Europe centrale (Tchécoslovaquie,
Yougoslavie, Roumanie, Hongrie, etc). Déjà, les révolutions nationalistes de 1848 en Europe
avaient alimenté une interprétation jugée romantique du soulèvement des peuples contre les
tyrans3. Tout prés de nous, l’ombre de mai 1968 dans le monde ne cesse, non plus, de
catalyser les critiques conservatrices de la fragilité et de l’irrationalité des insurrections de la
jeunesse4. Jean Jacques Rousseau 5 avait pressenti « l’Etat de crise et du siècle des
révolutions », ce que Montesquieu 6 considérait à juste titre comme devant entraîner un double
double changement, celui des gouvernements et celui des lois.

1
- ROUQUIER, A., Changement politique et transformation des régimes, op.cit, p. 602.
2
- L’auteur a expliqué davantage que ces changements peuvent recouvrir une continuité objective. Il a signalé le
concept de changement effectif : « les politiques suivies s’adressent à de nouveaux acteurs collectifs, et
impliquent un réaménagement des règles du jeu dans le domaine symbolique ou distributif qui affecte
l’agencement même de la forme institutionnelle du pouvoir ». Voir ROUQUIER, A., Changement politique et
transformation des régimes, op.cit, p. 606.
3
- Appelés à bon escient Printemps des peuples, voire notamment Jean Sigmann, 1848 : Les Révolutions
romantiques et démocratiques de l’Europe, Calmann-Lévy, 1970, et Claudin Fernando, Marx, Engels et la
révolution de 1848, éd. François Maspéro, coll. « Textes à l’appui », Paris, 1980.
4-
MARTIN, Dominique, Les soulèvements arabes depuis 2011 : de l’émotion au mouvement national, Al Maârif
Al Jadida, 2015, p. 16.
5
- Jean-Jacques Rousseau, L’Emile : Livre III, Cité par Jean Rey, p. 69.
6
- Montesquieu, De l'Esprit des lois, Condillac, Essai sur l'origine des connaissances humaines (1749).

11
Seulement, dans la multitude des notions voisines à révolution, le risque est grand de
confondre les genres, et on a tenté à juste titre d’établir la distinction entre sédition, guerre
civile, et révolution des mœurs1. Paul Nizan2 s’est attelé à délimiter le terme révolution et
considéré son avènement dans le domaine politique, comme « renversement violent d’un
ordre social par un autre, la rupture d’une économie et d’une culture », ainsi la seule
révolution qui mériterait ce nom serait, selon lui, « la révolution prolétarienne, le
renversement du régime capitaliste, l’établissement d’un Etat par le prolétariat ».

Pour cerner davantage le sens du terme révolution, nous citerons des exemples qui ont
marqué l’histoire de l’humanité dont la révolution française de 1789 qui a entraîné un
chamboulement intégral de l’ordre public établi ; la monarchie absolue a pris fin, l’Eglise à
renoncé à son hégémonie sur le peuple et les privilèges de la noblesse et de l’aristocratie se
sont estompées au profit de l’Egalité de tous et de l’émergence d’une nouvelle classe
triomphante ; la bourgeoisie3. Le régime féodal avait fini par céder la place à un régime
capitaliste, plus démocratique et se basant sur la répartition juste et équitable des richesses.

Le régime marocain, globalement autoritaire et néo-patrimonial4, puise son substrat


dans le passé et aura été marqué par le règne d’Hassan II, une période ponctuée d’épisodes de
répression, de violence et de contre-violences et que l’on qualifia d’"années de plomb". Ce
mode de gouvernement se caractérise par l’absence de clivage ou de relation différenciée
entre l’Etat et la société. Ce trait qui peut exister dans un contexte « autoritaire » - le Maroc en
fut tout au moins un exemple - disparaît dans un contexte totalitaire qui nie à la fois le
pluralisme politique et le pluralisme social. Pour cet objectif il met en œuvre toute une série
de moyens de persuasion (à travers une propagande idéologique soutenue) et (ou) de
coercition et de brutalité pour faire disparaître tout pluralisme, autonomie ou opposition 5. Au
Maroc de nos jours, on ne peut pas parler d’autoritarisme absolu, comme ce fut le cas par

1
- Jean-Jacques Rousseau, L’Emile, op.cit, p. 69.
2
- NIZAN, Paul, Pour une nouvelle culture, Grasset, 1971.
3
- La bourgeoisie moderne est elle-même le produit d’un long développement, d’une série de révolutions dans les
modes de production et d’échange. Voir Karl Marx et Friedrich Engels, La bourgeoisie a joué dans l’histoire un
rôle éminemment révolutionnaire, in Le Manifeste du Parti communiste (1848).
4
- SAAF, Abdallah, Vers la décrépitude de l'état néo-patrimonial, Annuaire de l'Afrique du Nord Tome XXVIII,
CNRS, 1989.
5
- Voir ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire (souple) ou les voies incertaines de la
démocratisation au Maroc, Bouregreg, 2012, p. 47. LINZ, J., Totalitarism and Authoritarian regimes, in
HERMET, G., L’autoritarisme, Traité de science politique, PUF, 1985, Vol II, p. 273.

12
exemple en Libye, en Egypte…, puisque ce mode de gouvernement précisément, fait en sorte
de laisser une liberté au pluralisme politique, économique et sociale. Un ordre que LINZ a
appelé "autoritaire souple", où il n’y a pas un appui primordial d’idéologie « directrice » ou
"totalisante"1.

Cette période de l’histoire du pays a été dépassée par une ouverture entamée depuis
l’élan de la marche verte puis par une volonté de réelle alternance dès le début des années 90.
Une parenthèse douloureuse de l’histoire du Maroc a été tournée avec l’arrivée de
Mohammed VI au pouvoir, un jeune souverain qualifié de « démocrate » et reconnu pour sa
fibre sociale qui lui a valu le titre de « roi des pauvres ». Dès son avènement au pouvoir, le roi
s’est déplacé dans tout le Maroc, même dans quelques régions délaissées pour longtemps par
son père défunt. Il a présidé la Fondation Mohammed V qui a lancé une campagne de dons en
novembre 1999, sous le slogan « Tous unis contre la pauvreté » et a rappelé, dans son premier
interview les grands projets de son règne : « En premier lieu, le chômage et la sécheresse
dans les campagnes. Mais aussi la lutte contre la pauvreté. Et je pourrais parler durant des
heures de ces drames : la pauvreté, la misère, l’analphabétisme 2».

Une nouvelle ère qui a connu des réformes audacieuses (statut de la femme) dans le
domaine politique, et le lancement de chantiers grandioses destinés à booster le volet
économique et préparer le pays à un réel décollage économique. Dix années ont changé le
visage du Maroc, et dans un contexte national3 et international, se sont développées de
nouvelles attentes liées à la mutation démographique et au long processus d’"ouverture" sur le
monde avec toutes les conséquences inhérentes à la globalisation. Ces développements nous
poussent à confirmer que le Maroc est sur la bonne voie de la transition démocratique.

1
- Ibidem.
2
- Time Magazine, dans son édition, le 26 juin 2000.
3
- De multiples initiatives, ont été lancées surtout depuis l’arrivée du roi Mohammed VI. Ce dernier a lui-même
auguré le chantier de solidarité en créant une association aux moyens considérables - la Fondation Mohammed
VI de solidarité. La plupart des actions menées par la société civile, sont encouragées par les organisations
internationales qui exigent leur implication à l’occasion d’octroi d’aide financière. A titre d’exemple ;
l’Association Marocaine de Soutien et d’Aide aux Handicapés Mentaux- A.M.S.H.M- soutenue par Caritas et
l’ambassade de France, l’Association de lutte contre le Sida –A.L.C.S- appuyée par l’O.M.S, et l’organisation
américaine catholique Relief Services – C.R.S -, l’Association Marocaine de Solidarité et de Développement –
A.M.S.E.D- soutenue également par le C.R.S et le P.N.U.D. Voir Denoeux, G., Gâteau, L., L’essor des
associations : à la recherche de la citoyenneté ? Maghreb-Machrek, n°150, oct-déc 1995, p. 38 et ss.

13
Des transformations sociales ont marqué la région de l’Afrique du Nord et Moyen
Orient (MENA dans le lexique anglais) ; entraînant la vague subite qui a enflammé les rues
arabes, à commencer de la Tunisie où Ben Ali a été renversé, suivi de Kadhafi en Libye,
Moubarak en Egypte, et Abdellah Saleh au Yémen.

Dans le cadre de cette recherche qui s’intitule « Espace public et changements


sociopolitiques au Maroc à l’aune du printemps arabe », nous allons étudier le cas du Maroc
qui demeure encore, par moments, en effervescence, à la lumière des évènements ayant
précédé et succédé les soubresauts du « printemps arabe ». Nous nous baserons sur l’analyse
de différents volets, sociopolitique, culturel et économique, pour défendre notre point de vue
sur les transformations accumulées au moins depuis l’avènement de Mohammed VI.

L’espace public dans le contexte marocain, désignerait cet espace entre l’Etat et la
société qui a servi d’arène à la démocratisation peu ou prou, du régime politique marocain.
La notion de "société civile" demeure elle ambigüe. Selon Tanzarella, elle serait « d’abord
le domaine de la vie de la cité dans tous ses aspects (économiques, professionnels,
syndicaux, culturels, associatifs,…) qui se distingue de la dimension étatique, publique.
C’est la multiplicité horizontale face au pouvoir vertical. C’est le lieu des formes
autonomes l’organisation et la place potentielle des résistances. La question des libertés est
au cœur de son fonctionnement.

Mais au fondement de la notion de la société civile, on trouve aussi la dimension


privée et individuelle. La prise de conscience et le partage d’intérêts collectifs se traduisent
par la participation des citoyens à des structures et à des actions qui dépassent les fidélités
particulières, les affinités familiales, la sphère du privé. C’est la société, au sens latin
d’association entre plusieurs compagnons ou alliés qui sont visées ici. Cette « double
facette de la notion (société civile versus Etat, et versus individu) en a fait révélateur du
degré de démocratie et de modernité d’un pays ».

Dans le même contexte, il a souligné qu’on « n’arrive pas à se défaire d’une image
négative des sociétés du sud, fondée sur une grande méconnaissance de leurs réalités
complexes. (…) L’idée persiste que la société civile n’existe pas dans les pays arabes. Les
Etats autoritaires qui y dominent ne consentiraient pas à la libre expression des formes
associatives. Cette vision trouve son écho dans les chancelleries comme les acteurs
consistants des opinions publiques européennes et dans la presse. Nous tenterons de

14
montrer que les contestations au Maroc, plus particulièrement celles du Mouvement 20
février, et en dépit d’un air mimétique indéniable, s’inscrivent dans une tradition qui
plonge dans les dix dernières années et ne peuvent être considérées comme ayant un relent
révolutionnaire.

De ce fait, la question que nous posons avec acuité est de savoir dans quelle mesure
et par quels moyens l’espace public marocain (partis, associations et forces vives du pays),
a-t-il réagi face aux moments de troubles intenses ? Par quel subterfuge ou mécanisme
juridico-politique, le pouvoir a trouvé la panacée de dépassionner le débat public, et de
calmer l’ardeur des foules sans recourir à la force excessive des armes à feu comme dans
d’autres pays de la région. A quoi serait due cette « résilience » du système politique et
comment s’expliquer cette notion d’«exception » qu’on a voulu attribuer particulièrement
au Maroc ?

Une série de questions découle de cette problématique ; cette notion de « singularité »


du régime, emprunte-t-elle la voie de rupture ou de continuité du système makhzénien
généralement jugé autoritaire1 tel que mené sous le règne d’Hassan II ? Dans quelle mesure
les réformes sociopolitiques et économiques, que le nouveau monarque a instaurées, ont
effectivement mis le Maroc sur les rails du développement et l’ont accessoirement immunisé
contre les dérives contingentes ?

Les développements à chercher dans le passé récent, permettront de dévoiler non


seulement les différents changements sociopolitiques qu’a connus le Maroc, mais aussi le
degré de résilience du régime politique marocain face aux mouvements sociaux qu’il a
éprouvé antérieurement.

L’intérêt de la présente étude réside à notre sens, en cet essai d’analyse que nous
voulons baser sur le croisement des dynamiques nationales et internationales, avec un
regard porté sur l’influence exercée sur la conception du politique dans les pays ayant
connu des soulèvements populaires.

1- Le terme "système" (de gouvernement tyrannique incarné par le pouvoir absolu d’un seul home), est conçu “
comme un vaste système, dont les éléments remplissent quatre fonctions de base : l’adaptation, la poursuite
d’objectifs, l’intégration et le maintien des normes. … TALCOTT, Parsons, Social Systems and the Evolution
of Action Theory, N.Y, Free Press, London, 1977, p. 177.

15
Au lendemain de l’indépendance, le Maroc a vécu sous le long règne d’Hassan II
un régime de nature autocratique au sens de DENQUIN, qui considérait que « les régimes
autoritaires ont en commun de confisquer le pouvoir au profit du gouvernement en place,
(et que) celui-ci s’attribue un monopole absolu, et ne tolère aucune procédure susceptible
de remettre en cause sa domination1 ».

Sur l’autre versant, la variante arabe de cette idée souligne la permanence d’une
« structuration traditionnelle, communautaire, tribale ou familiale (la société ahli)
caractéristique d’une civilisation arabe qui échapperait donc à la version moderne de la
forme sociétale 2». Elle désigne également « une médiation par le canal d’associations
volontaires articulant la défense des intérêts particuliers, les conflits sociaux, aux normes et
symboles d’un espace public, dimension éthique de l’Etat 3».

Dans le champ sociologique, les dynamiques sociales et politiques que connait une
société, sont souvent la source d’un ensemble de processus enchevêtrés pouvant mener à des
changements soit conjoncturels soit structurels. Aussi, posons-nous comme problématique
axiale la question de la résistance réelle ou supposée du système politique face aux vents du
changement et sa capacité à s’adapter. En relisant le passé récent et les grands traits de la
réaction du pouvoir monarchique, nous serions en mesure de nous interroger sur une
hypothétique résilience des institutions politiques marocaines. Et, pour ce faire, nous partons
d’une série de constatations :

 Le Maroc ayant connu des vagues d’agitation sociale menées principalement par une
coalition d’associations et d’opposants politiques du Mouvement du 20 Février, n’a
pas connu le même sort que d’autres pays de la région ;

1
- Voir DENQUIN, J. M., Introduction à la science politique, Hachette, 1992, p. 38. MENOUNI estime de son
côté que « les régimes autoritaires ont pour caractéristique commune de réduire l’opposition à l’impuissance,
d’entraver l’exercice des libertés publiques et de réserver le monopole de fait ou de droit aux gouvernants ». Voir
MENOUNI, A., Institutions politiques et droit constitutionnel, Toubkal, 1991, p. 224. P. Braud partage la même
idée, en insistant sur l’absence de toute opposition viable. « Les gouvernants en place (dans ce type de régime)
ne soumettent pas réellement leur pouvoir aux aléas d’une compétition politique ouverte lors d’élections
pluralistes. En outre, ils ne tolèrent pas normalement l’expression publique de désaccord entre eux ». Voir
BRAUD, P., Sociologie politique, LGDJ, 2002, p. 214.
2
- Voir TANZARELLA, G., Les relations entre sociétés civiles et pouvoirs s’articulent, Revue de politique et
culture méditerranéenne, n°3, 1997, p. 4 et ss.
3
- CAMAU, Michel, Changements politiques et problématique du changement, op.cit, p. 3-13.

16
 La rapidité de la réaction de la monarchie a surtout visé à absorber la colère montante,
en proposant une série de réformes politiques, dont une révision constitutionnelle, qui
s’inscrivent dans la continuité plutôt que dans le changement.

Sur la base des remarques soulevées, nous envisageons les hypothèses suivantes :

 Au regard des pressions internes et externes, est-ce que le régime politique marocain a
changé dans le sens voulu par la monarchie, ou alors qu’il a du céder à la pression
forte des mouvements de rue suscités et portés par la vague du « printemps arabe » ?
 Le Mouvement du 20 Février, a-t-il réussi son pari en contribuant à l’instauration de
réformes politiques et institutionnels, ou a-t-il échoué à atteindre ses objectifs ?
 Comment fonctionne la vie politique aujourd’hui au regard des changements en cours
dans le pays et dans le reste de la région arabe ?

Dès lors, nous devons prendre en considération dans notre analyse, non seulement la
nature de l’Etat et les différents changements sociopolitiques qu’a connus le Maroc après les
évènements de 2011, mais aussi mettre le point sur la spécificité du régime monarchique, plus
précisément depuis le règne d’Hassan II jusqu’à l’avènement de Mohammed VI.

En ce sens, il nous est loisible d’adopter un plan en deux parties ; dans la première,
nous nous proposons d’examiner le système politique marocain à la lumière de la
problématique du changement vers un régime plus démocratique et plus égalitaire. Cela nous
amène à passer en revue les mouvements de rue et les pressions exercés sur le pouvoir pour
adopter une profonde réforme constitutionnelle (Chapitre I), et à tenter de lire d’une certaine
façon, l’échéancier électoral comme un mode d’apaisement social (Chapitre II). Dans une
deuxième partie, nous allons étudier de plus près la notion de résilience du système marocain,
en essayant de la mettre à l’épreuve sa portée réelle et ses limites objectives. Ainsi, nous nous
arrêterons sur les différentes formes contraintes qui pèsent sur le système, qu’elles soient
endogènes ou exogènes (Chapitre I), avant de nous pencher sur la signification de la centralité
monarchique et le rôle de la réactivité du système politique dans son ensemble (Chapitre II).

17
PARTIE I :

SYSTEME POLITIQUE ET CHANGEMENT


SOCIAL AU MAROC

18
PARTIE I : SYSTEME POLITIQUE ET CHANGEMENT SOCIAL AU
MAROC

Le régime marocain pour spécifique qu’il puisse paraître, est le fruit d’une histoire
singulière1. Dès son avènement au trône, le roi s’est engagé à promouvoir des actions
économiques et stratégiques, laissant apparaître une fibre sociale par l’intérêt qu’il manifeste
pour les couches sociales démunies 2, ce qui a créé une dynamique de réformes du politique,
de consolidation de la démocratie et de modernisation du pays.

Dans le cadre de la progression d’un Etat de droit, le roi Mohammed VI a fait face au
double front social et politique. Dès le début, il a prôné le nouveau principe de l’autorité 3. Ce
principe explique clairement l’existence d’une relation d’échange réciproque 4. Il va sans dire
que l’autorité a quitté le champ clos du ministère de l’Intérieur pour devenir une autorité de
concertation, de participation, d’initiation et d’animation 5. Le roi a manifesté ses idées de
réforme de cette notion et il a défini la responsabilité de l’autorité en trois éléments :
« Assurer la protection des libertés, préserver les droits, veiller à l’accomplissement des
devoirs », d’où en découle d’autres responsabilités : « la protection des services publics, des
affaires locales, des libertés individuelles et collectives, la préservation de la sécurité et de la
stabilité, la gestion du fait local et le maintien de la paix sociale 6».

En effet, il existe un consensus national sur les grands pas réalisés en moins de deux
décennies dans le domaine des infrastructures, dans le social, le culturel et le politique. Certes,
les attentes sont encore si importantes que certains n’hésitent pas à renier même tout

1-
CUBERTAFOND, Bernard, Pour comprendre la vie politique au Maroc, L’Harmattan, 2001, p. 5.
2-
Notamment les régions du Nord qui ont été manifestement réprimés et abandonnés par son père.
3
- L’autorité est considérée comme un principe indispensable d’une société civilisée ; un contrat qui reflète une
«démocratie sécuritaire », une « démocratie réglementaire ». Voir FAURE, Edgar, in BROUSKY, Lahcen,
Makhzenité et modernité : révolution tranquille d’un Roi, El Maârif Al Jadida, 2002, p. 183.
4
- LAHBABI, Mohamed, Le gouvernement marocain à l’aube du XXème siècle, Maghrébines, 1975, p. 78.
L’auteur considère l’ « allégeance » comme une condition principale dans la monarchie alaouite depuis des
décennies.
5
- FAURE Edgar, in BROUSKY, Lahcen, Makhzenité et modernité, op.cit, p. 177.
6
- Discours de Mohammed VI, le 12 octobre 1999. Le roi a expliqué que « cette responsabilité ne peut être
assumée à l’intérieur des bureaux administratifs qui doivent, au demeurant, rester ouverts aux citoyens, mais
exige un contact direct avec eux et un traitement sur le terrain de leurs problèmes, en les associant à la recherche
des solutions appropriées ».

19
changement. Les signes forts des transformations structurelles sont tels que des repères
saillants, le rappellent à tout observateur objectif ; le port de Tanger Med I et II, les autoroutes
Agadir – Oujda, Béni Mellal – Berrechid et El-Jadida-Safi, la ligne TGV opérationnelle en
2018 (Tanger – Casablanca).

Sur le plan industriel, l’option d’intégrer le club de la construction automobile et


aéronautique et la création d’écosystèmes de dernière génération, se sont avérés concluants.
Sur le plan culturel, les festivals internationaux de Musique Mawazine (Rabat), et de Cinéma
le FIFM (Marrakech), en plus de la construction de deux grands théâtres plurifonctionnels à
Casablanca et Rabat, et un musée d’Art Moderne, soulignent une vision claire de
réhabilitation de la chose culturelle. Sur le plan social enfin, l’INDH continue d’appliquer sa
politique de lutte contre la précarité, et des programmes à chaque fois révisés et adaptés visent
à éradiquer l’habitat insalubre et l’habitat anarchique. Ce chapelet de réformes et de
politiques publiques sont devenues plus palpables avec l’intronisation de Mohammed VI 1 ; à
savoir l’introduction d’une approche volontariste et populaire du régime, une stratégie de
leadership en interne et en externe, une réforme constitutionnelle audacieuse quoique loin du
parlementarisme escompté, etc.

Ce dynamisme royal au côté des réalisations en leurs temps, de très nombreux projets
socioéconomiques importants, ont consolidé la confiance et nourri les espoirs en des
lendemains meilleurs. Cet état de fait explique en partie tout au moins, pourquoi la vague des
protestations venue de l’Est, n’a pas eu raison de la société marocaine et n’a pas balayé
l’establishment politique.

1
- Contrairement à son père, Mohammed VI n’a pas adopté le principe de Machiavel, qui affirme que : « Si on
avait à choisir entre l’amour du peuple ou obtenir sa crainte, il faut choisir la crainte, car elle garantit mieux ton
pouvoir ». Voir MACHIAVEL, N, Le Prince, VIII, 1532, Gallimard, Collection La Pléade, Paris, 1952.

20
CHAPITRE I

DES MANIFESTATIONS DE RUE A LA REFORME


CONSTITUTIONNELLE

« Un Etat sans les moyens de changer se prive des moyens de se conserver »


Edmund Burke

« Une grande révolution n’est jamais la faute du peuple, mais du gouvernement. Toute
révolution est impossible quand le gouvernement est assez juste et assez vigilant pour la
prévenir et accorder des améliorations conformes à l’esprit de l’époque, au lieu de résister
jusqu’à ce qu’une nécessité venue d’en bas l’y contraigne 1», expliquant ainsi "l’exception ou
la différence marocaine". A l’opposé de ses voisins arabes (Tunisie, Egypte, Libye, Syrie), le
Maroc a anticipé le changement pour secouer le risque d’explosion. Ce risque selon Goethe,
est proportionné au degré de désespoir ou d’exaspération de la population2.

Pour réussir son anticipation, le nouveau monarque a poursuit deux directions


complémentaires, celle de l’approfondissement des droits de l’Homme, et celle de la
modernisation des structures3.

La révision constitutionnelle est en partie une revendication du Mouvement du 20


février pour aller plus loin dans le changement et accélérer un ensemble de réformes. Le
préambule de cette Constitution dispose : « Fidèle à son choix irréversible de construire un
Etat de droit démocratique, le Royaume du Maroc poursuit résolument le processus de
consolidation et de renforcement des institutions d’Etat moderne, ayant pour fondements les
principes de participation, de pluralisme et de bonne gouvernance. Il développe une société
solidaire où tous jouissent de la sécurité, de la liberté, de l’égalité des chances, du respect de

1
- GOETHE, Conversations avec Eckermann, 4 janvier 1824.
2
- Si Goethe voit qu’une grande révolution est la faute de gouvernement. D’autres, à propos du ressentiment
d’explosion, expliquent que : « face à des régimes répressifs, les populations apprennent à se prémunir contre
l’arbitraire en falsifiant leurs préférences. (…). Ce silence des masses donne une impression de stabilité, cette
apparente stabilité ne permet pas de saisir le mouvement graduel de mécontentement qui prend forme, jusqu’à
l’étincelle qui le révélera ». TAZDAIT T. et CHAABAANE N, De quelques caractéristiques des révolutions,
Manières de voir, juin-juillet, 2011.
3
- SAINT-PROT C. et ROUVILLOIS F., L’exception marocaine, Ellipses, 2013, p. 7.

21
leur dignité et de la justice sociale, dans le cadre du principe de corrélation entre les droits et
les devoirs de la citoyenneté… ».

La révision de 2011 a en effet, refondu les règles du pouvoir sur de nouvelles bases
dictées par la conjoncture nationale et internationale 1. Depuis son accession au Trône, il a
insufflé un vent de réformes tous azimuts touchant aussi bien l’aspect institutionnel que le
réaménagement de politiques publiques dans les domaines de la santé, de l’éducation, des
droits de l’homme et du développement social et humain.

Ces réformes et d’autres font partie d’une ligne politique prédéterminée visant un réel
projet de société porté par le nouveau règne, aussi bien dans le domaine des infrastructures2
que dans celui de développement de la ressource humaine ou du développement économique
et social dans le but de réduire les disparités sociales, et régionales.

En dépit des limites pouvant affecter certaines des politiques publiques, (éducation,
santé…) le volume des investissements mobilisés pour l’accomplissement de ces grandes
réformes témoigne de l’ampleur des programmes accomplis. Entre les années 2000-2014,
l’environnement macroéconomique du Maroc a enregistré une évolution remarquable, avec un
accroissement notoire de l’investissement dont le taux a dépassé les 25% du PIB en 2005
contre 23,1% en 1999. Le total des investissements étrangers a atteint 110 milliards de
dirhams de 1999 à 2004, ce qui a représenté une moyenne annuelle de 2 milliards de dollars.
Ce qui témoigne d’un changement qualificatif avec un niveau supérieur à celui de toutes les
décennies précédentes. Quant à l’investissement public, il est passé de près de 38 milliards de
dirhams en 1998-1999 à 76 milliards en 20063.

1
- Concernant le projet de la Constitution, le premier et le dernier mot « revient au peuple marocain ». « Nous
avons tenu à ce que, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, la Constitution soit faite par les
Marocains, pour tous les Marocains », Voir les discours du roi Mohammed VI, le 09 mars 2011et le 17 juin
2011.
2
- Il s’agit des autoroutes (Agadir, Tanger Beni Mellal, Oujda…), des différents équipements et chantiers : le
projet Azur pour le tourisme, le réaménagement de la vallée de Bouregreg à Rabat, le port Tanger-Med, ainsi que
les grands projets économiques de Casablanca et d’Agadir (Emergence, plan vert…).
3
- Voir EL GHISSASSI, Hakim, Regard sur le Maroc de Mohammed VI, Michel Lafon, 2006, p. 105-106.
L’investissement public est passé de près de 38 milliards de dirhams en 1998-1999 à 76 milliards en 2006.
L’évolution de l’enseignement peut être expliquée par plusieurs conditions, parmi elles : le nombre des
établissements au milieu urbain qui a passé de 999 en 2012-2013 à 1107 en 2014-2015 ; et au milieu rural de 232
en 2012-2013 à 285 en 2014-2015. Voir les rapports du Haut Commissariat au Plan (HCP).

22
Par ailleurs, l’ensemble de cette politique en adéquation avec de réelles ambitions de
démocratisation, ont joué un rôle d’amortisseur aux chocs économiques et sociaux,
particulièrement durant la survenue du « printemps arabe ».

Les développements qui suivent, tentent de jeter la lumière sur les contraintes
économiques et politiques qui pèsent sur le budget public, mais aussi les innombrables
attentes de la population, en termes de santé, d’éducation et d’emplois ; des attentes pas
toujours à la portée des moyens matériels et financiers de l’Etat. Le type de management
introduit par le nouveau règne suscite à la fois, critiques et louanges, suivant l’angle de
perception des changements en cours. Mais dans tous les cas, la capacité de réplique du
système aux soubresauts de la société, témoigne de son efficience et de sa perspicacité face
aux revendications plurielles. L’objet de cette étude est de contribuer modestement à l’effort
d’explication de ce qu’on a appelé « l’exception marocaine » pour amplifier « la résilience »
du système politique et social marocain face aux milliers de manifestations qui battaient le
pavé pendant plus d’un an et demi.

SECTION 1 : UNE DEFERLANTE PORTEE PAR LE MOUVEMENT DU 20


FEVRIER

Aborder les changements sociopolitiques au Maroc durant la période d’agitation


consécutive au « printemps arabe », nous invite à remonter chronologiquement au mouvement
du 20 février, groupement informel composé de courants divers qui s’était mobilisé pour la
circonstance. Selon les chiffres officiels, il s’agissait ce jour-là du 20 février 2011, d’un
rassemblement de 37.000 personnes (220.000 selon les organisateurs), qui auraient agi à
l’appel du mouvement, incités pour l’essentiel à travers le réseau social Facebook. Ce
regroupement a été considéré comme un premier mouvement social – hors cadre partisan - au
Maroc, qui visait des objectifs proprement politiques. Au fur et à mesure que le mouvement
enflait, les revendications se multipliaient et parfois se radicalisaient ; de la séparation des
pouvoirs à l’abrogation de l’article 19 qui consacrait l’ambivalence du roi en tant que Chef

Dans le même contexte, de 1999 à 2008, le taux de croissance de l’économie marocaine a évolué de façon très
cyclique ; Aux minimas de 1999 (0,8%), de 2005 (1,7%) et de 2007 (2,7%) succèdent les pics de 200& (6,5%),
de 2003 (5,5%), de 2006 (7,8%) et de 2008 (5,8%). Sur cette période, avec un taux moyen de 4%, la croissance
minimal de 0,8% pour atteindre parfois et rebondir à 6,5% et 7,8%. Cette capacité à rebondir, cette résilience ont
eu comme moteur la relance de la demande intérieure et une politique dynamique des investissements. VEDIE,
Henri-Louis, Une économie émergente et résiliente, Ellipses, 2013, p. 176-177.

23
d’Etat et Chef de la communauté religieuse par le truchement du statut Amir Al Mouminine
(Commandant des croyants).

Nous avons ainsi une revendication de la « monarchie parlementaire » et une autre qui
appelle à une « constitution démocratique populaire ». Les revendications exprimaient deux
visions opposées au sein du mouvement du 20 Février ; La première réformatrice, défendue
par une partie des indépendants du mouvement (AlMoustakiloune) et par la jeunesse liée aux
partis de gauche (Jeunes févriéristes de l’USFP, du PSU et du PADS) appelle à l’instauration
de la démocratie véritable tout en sauvegardant la forme monarchique du régime. La seconde,
même marginale était défendue et soutenue par la jeunesse d’Al Adl wal Ihsane et d’Ennahj
Addimokrati, laquelle sans se proclamer ouvertement républicaine, exprimait sa révulsion de
1
l’idée même de monarchie parlementaire .

Ce courant défend pêle-mêle la séparation du politique et de l’économique, la liberté


individuelle dont celle de conscience, la citoyenneté, l’égalité du genre et la reconnaissance de
la langue amazighe comme langue officielle. Leur projet immédiat paraissait utopique quand
il appelait à la dissolution du parlement, la destitution du gouvernement et la mise en place
d’une Assemblée Constituante… .

Doté d’une gestion souple, informelle et indépendante au début tout au moins des
partis et associations politiques, le mouvement du 20 février scandait des slogans politiques
divers et formulait de nombreuses revendications. Il a dénoncé, sans ambigüité, les maux qui
rongent la société ; la prévarication, la corruption, l’économie de rente, etc. Il a crié fort le
changement immédiat, au premier rang duquel, se tient la question constitutionnelle qui
jusque-là était une affaire du palais et de l’Etat-major des principaux partis
politiques. Sporadiques et dominicales, ces manifestations non autorisées, exprimaient des
revendications néanmoins ciblées, ce qui n’a pas échappé à la vigilance de l’institution
monarchique.

1
- La revendication d’une « monarchie parlementaire » et d’une « constitution démocratique populaire »
expriment deux visions opposées au sein du mouvement du 20 Février. La première défendue par une partie des
indépendants du mouvement (AlMoustakiloune) et par la jeunesse liée aux partis de gauche (Jeunes févriéristes
de l’USFP, du PSU et du PADS) cherche à instaurer la démocratie tout en gardant la forme monarchique. La
seconde défendue par une autre partie du mouvement et soutenue par la jeunesse d’Al Adl et d’Ennahj, sans se
proclamer ouvertement républicaine, marque néanmoins une réticence vis-à-vis du mot d’ordre de la monarchie
parlementaire.

24
Lancé dans les réseaux sociaux, ce mouvement diffus a mobilisé les foules pour le 20
février 2011 ; de nombreux manifestants brandissaient des pancartes et scandaient des
slogans, et des affiches dénonçaient l’autoritarisme 1 dans une dynamique de « foules »
spontanées dans un premier temps, pour devenir organisées et massives.

Il est question ici de l’action collective des mouvements sociaux d’aujourd’hui. Ainsi,
notre point de départ fera siennes les idées avancées par Robert Benford ; il s’agit de
l’approche du "framing" fondée sur une démarche constructiviste et d’interactionnisme
symbolique, mettant l’accent sur les cadres référentiels, symboliques et idéologiques qui
donnent sens à l’action2. Dans les travaux de recherche contemporains, sur les mouvements
sociaux, surtout de tradition anglo-saxonne, cette perspective dite du "framing" est partie
d’une tendance analytique qui l’englobe et la déborde, soit celle qui met l’accent sur une
composante essentielle de l’action collective : ses dimensions de subjectivité, d’identité
individuelle mais aussi collective, et son profond enracinement dans la culture de
l’authenticité qui marque la modernité avancée3.

L’étude de ce phénomène social est inhérente au volet politique ; il est plus ou moins
pris en compte dans d’autres volets sociologique et psychologique : Freud, le premier qui a
mis ce phénomène en lumière. Il a expliqué (Le Bon) (la libido) par un ensemble de
propriétés des conduites individuelles 4 :

1
- Ce vocable a plusieurs définitions : selon J.M. Denquin « les régimes autoritaires ont en commun de
confisquer le pouvoir au profit du gouvernement en place. Celui-ci s’attribue un monopole absolu, et ne tolère
aucune procédure susceptible de remettre en cause sa domination ». Menouni, quant à lui, « tendant vers un
certain monolithisme, les régimes autoritaires ont pour caractéristique commune de réduire l’opposition à
l’impuissance, d’entraver l’exercice des libertés publiques et de réserver le monopole de fait ou de droit aux
gouvernants ». Pour Braud, « les gouvernants en place (dans ce type de régime) ne soumettent pas réellement
leur pouvoir aux aléas d’une compétition politique ouverte lors d’élections pluralistes, en outre, ils ne tolèrent
pas normalement l’expression publique de désaccord entre eux ». Ces définitions disent pratiquement la même
chose, en présentant quelques éléments d’identification du régime autoritaire. Voir DENQUIN, J.M, Introduction
à la science politique, Hachette, 1992, p. 38 ; MENOUNI, A, Institutions politiques et droit constitutionnel,
Toubkal, 1999, p. 224 ; BRAUD, P, Sociologie politique, LGDJ, 2002, p. 24.
2
- BENFORD, R.D, An Insider Critique of the Social Mouvement, Framing Perspective, Sociological Inquiry,
1997, Vol 67, n°4, p. 415. Voir également BENFORD, R.D, et SNOW, D.A, Framing Processes and Social
Movements: An Overview and Assessment, Annual Review of Sociology, 2000, vol 26, p. 611-639.
3
- TAYLOR, C., Sources of the Self: The Making of Modem Identity, Cambridge (Mass), Harvard University
Press, 1989, p. 624.
4
- FREUD, S., Psychologie des foules et analyse du Moi, in Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot,
traduction, Paris, 2005, p. 144-148.

25
 Les individus acquièrent un sentiment de «puissance invincible », d’autant plus
enivrant qu’ils peuvent s’en sentir irresponsables, ce que Freud attribue aux
processus de défoulement des motions pulsionnelles inconscientes.
 La foule attise des contagions mentales, quasi-hypnotiques, ce qui peut amener
l’individu au point de lui faire perdre la conscience de ses actes (pour lui ce qui
tient lieu d’hypnotiseur sera le leader).
 La foule obéit à une logique de l’inconscient, plus que de la
raison : « impulsive, mobile, irritable, etc.» au point que même l’instinct de
conservation peut s’y trouver compromis.

Face à un phénomène social aussi complexe que les mouvements d’insurrection dans
le monde arabe et au Maroc, nous sommes en droit de nous demander s’il existe des raisons
qui pourraient nous renseigner sur l’origine des soulèvements 1 ?

Durkheim a parlé de « l’effervescence collective » et a constaté qu’au cours des


manifestations de communion de groupe, les individus sont en quelque sorte « électrisés » par
une énergie qui les traverse et les transcende, d’où renaît le lien social. Beauchard voit qu’au
cœur des manifestations existent une puissance d’un ciment qui, à la fois, catalyse la volonté
sacrificielle et unit les manifestants dans une effervescence émeutière, susceptible
d’engendrer des défilés protestataires, où s’expérimente le vécu collectif du «groupe en
fusion »2.

Selon lui, la dynamique des mobilisations fait recours essentiellement aux théories de
l’émotion, car ces soulèvements qui opèrent une rupture de l’ordre établi, sont nés d’une
« contagion sacrificielle » des émotions3 ; Le cas par exemple des mouvements islamistes
mieux organisés et dotés des discours émouvants, qui ont pu triompher sur la plupart des pays
arabes qui ont expérimenté ces effervescences émeutières. Ils ont pu peser le danger d’une
désespérance sociale et politique, face à l’installation de nouveaux pouvoirs autoritaires 4.

1
- Voir BELAMAR Hind et MOUHTADI Najib, Insurrection populaire et changement social en Tunisie, A
propos de la « révolution du Jasmin », Revue Maghrébine de Sociologie, d’Economie et de Science Politique-
Apoleius, n°1, printemps 2015, p. 71.
2
- BEAUCHARD, J., La puissance des foules, PUF, Paris, 1985, p. 66.
3
- Ibidem.
4
- DOMINIQUE, Martin, Les soulèvements arabes depuis 2011 : de l’émotion au mouvement social, Al Maârif
Al Jadida, 2015, p. 17.

26
Le soulèvement subit et massif, serait-il une réaction à un pouvoir dominateur, souvent
manquant de légitimité et d’adhésion populaire !

En s’intéressant à la notion de domination, Max Weber s’est interrogé sur la relation


qui produit « puissance » (Macht), « domination » (Herrschaft), « discipline » (Disziplin), en
donnant la définition suivante : « Tout véritable rapport de domination comporte un minimum
de volonté d’obéir, par conséquent un intérêt, extérieur ou intérieur, à obéir (…). Toutes les
dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité 1». Il a fait
également la distinction entre trois types liés à l’exercice d’une forme de domination ; Pour
lui, la domination est : charismatique, traditionnelle, ou légale-rationnelle.

La première repose sur la soumission (ou l’adhésion) aux qualités jugées


extraordinaires du chef. Cette adhésion est d’ordre affectif ; C’est ainsi que la force de
l’emprise des dominants sur les assujettis repose sur une communauté émotionnelle 2. La
deuxième, repose sur « la croyance au caractère sacré des traditions et des coutumes, en
assurant les règles de la vie de la communauté 3». De ce fait, Weber, repère la première à
travers l’histoire et ses systèmes sociaux successifs et fait de la troisième la marque qui
distingue les sociétés modernes, comme il situe la deuxième dans un passé lointain4.

En revanche, Bourdieu pense que la croyance en la légitimité du dominant en tant que


mécanisme cognitif d’adhésion au contenu des croyances, relève de représentations, de
comportements et d’engagements sur des valeurs telles que l’analyse conceptuelle et
sociologique constituée à partir de l’habitus, de la violence symbolique et du champ5.

En opposant « le groupe sériel » et « le groupe en fusion », Sartre relève que dans le


premier groupe chacun est séparé des autres et agit par lui-même ou sous l’influence de

1
- WEBER, Max, Economie et société, dans le chapitre III « Les types de domination », Agora, 1995, p. 285.
2
- Idem, p. 321.
3
- Ibidem. Cette idée a été confirmée également par Denquin, pour qui, la domination traditionnelle repose sur
les personnes qui en sont les dépositaires ». Voir DENQUIN, J.M, Introduction à la science politique, Dalloz,
2000, p. 47.
4
- ELFASSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre, op. cit, p. 84.
5
- BOURDIEU, Pierre, Violence symbolique et statut du politique, in Revue française de science politique, 51 ème
année, n°6, 2001, p. 949-963.

27
conduites réflexes ; Par contre, dans le deuxième groupe il y a un sentiment d’« appartenance
mutuelle » qui unit les manifestants1.

Quant à Jaspers l’émotion est liée à la réaction « feeling and thinking ». Selon lui,
l’émotion est vue non comme une réaction plus ou moins instinctive, mais comme le
corollaire d’une activité réflexive, non dissociée de la pensée et socialement construite. Elle
s’inscrit dans un ensemble complexe de réactions et réflexes, d’affects persistants,
d’attachement et de sentiments moraux, parfois contradictoires 2. L’effervescence devient ici
un mode émotionnel fait « d’excitation et d’enthousiasme générés à l’occasion d’interactions
rituelles et de stratégies réussies d’engagement, qui encouragent la poursuite de l’action 3».

Dans le même cadre d’analyse des différents concepts relatifs à la protestation sociale,
on peut évoquer la théorie de frustration relative, qui permet d’expliquer l’espoir de
changement chez l’individu à travers les mouvements de contestation4. A ce propos,
Tocqueville expliquait que : « Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que l’on tombe en
révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait supporté sans se plaindre, et
comme s’il ne les entait pas, les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le
poids s’en allège. Le régime qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui
qui l’avait immédiatement précédé, et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux
pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer 5».

A la lumière des « soulèvements arabes » comme l’explique Beauchard, il y avait une


puissance ou bien une volonté sacrificielle et collective qui réunissaient ses manifestants6.
L’espace public a construit un champ fertile de ces mouvements sociaux, dans le sens

1
- SARTRE, J.P, Critique de la Raison Dialectique, Gallimard, Paris, 1962, p. 328.
2
- JASPERS, J.M., Emotions and Social Movements: Twenty Years of Theory and Research, in The Annual
Review of Sociology, 2011, p. 15.
3
- Ibidem.
4
- A ce propos, Abderrahmane Rachik estime que la théorie de la frustration n’explique pas le processus du
passage du mécontentement individuel (sentiment d’injustice) à l’action collective. Elle ne prend pas en charge
la nature des contraintes qu’exerce le système politique sur l’action collective. Elle ne cherche pas non plus à
expliquer l’évolution progressive de protestations sociales ni le changement de la nature de l’action collective.
La structure autoritaire du pouvoir et les opportunités politiques (nationales, régionale ou internationales)
seraient incontournables dans l’analyse de la protestation sociale. Voir RACHIK, Aberrahmane, La société
contre l’Etat, mouvements sociaux et stratégie de la rue au Marco, La croisée des cheminées, 2016, p. 14-15.
5
- TOCQUEVILLE, Alexis de, L’Ancien régime et la révolution, Lévy, 1866, p. 259.
6
- BEAUCHARD, J., La puissance des foules, op.cit, p. 3.

28
d’Habermas, qui insista sur son rôle qui lui parut être au cœur des sociétés qui se sont
développées depuis l’âge des Lumières, et qui sont liées à l’accession de la bourgeoisie aux
responsabilités politiques. L’espace public, selon lui, a deux sens : l’un physique, l’autre
allégorique. Pour le premier sens, c’est parce qu’il est constitué des rues, des avenues, des
places, où le peuple fait éclater son mécontentement, marquant son opposition au pouvoir en
place et appelle à l’instauration d’un nouvel ordre. Concernant le deuxième sens, ce terme est
venu de l’opinion public, c’est celui où les informations nécessaires à la formation du
jugement individuel circulent, et où la liberté de la presse est garantie 1. Pour le cas d’espèce,
nous pouvons dire qu’il s’agit des réseaux sociaux, de la rue, l’université, … qui furent des
moyens qui ont accéléré l’évolution et l’élargissement des protestations.

Le Maroc, sujet de notre recherche, n’a pas échappé à cette forme d’expression
collective, du moment où le Mouvement 20 février a mené une année durant une action
protestataire régulière dans plusieurs villes du pays. Pour autant, pourrions-nous parvenir à
ressortir le profil de ces « protestataires » ayant formé la masse des manifestants ? Dans
quelle mesure pouvons-nous mesurer l’impact de ce mouvement social sur les transformations
sociopolitiques du pouvoir ?

Premier élément de réponse est d’ordre historique. D’une manière générale, le Maroc
se caractérise par un régime politique où la « monarchie » est dominante sur la scène sociale
et politique. Cette monarchie a été souvent présentée comme « experte en survie » qui
échappe aux vicissitudes du temps régional en s’ajustant aux transformations de son
environnement, et en observant les erreurs de ses voisins pour mieux régner et anticiper 2.

Deuxième élément de réponse réside dans l’histoire des protestations sociales au


Maroc 3: des mouvements sociaux, des émeutes, des rebellions …, un phénomène qui n’est

1
- HABERMAS, Jürgen, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la
société bourgeoisie, Payot, Paris, 1996 (Edition originale allemande, Stukturwandel der offentlichkeit, Herman
Luchterhand, 1962).
2
- BENNANI CHRAIBI, Mounia et JEGHLLAL Mohammed, La dynamique protestataire du Mouvement du 20
février à Casablanca, Revue française de science politique 2012/5 (Vol. 62), p. 867-894.
3
- La protestation sociale regroupe trois catégories distinctes : l’émeute, le mouvement social et les nouveaux
mouvements sociaux. La première se caractérise par sa violence collective, sa spontanéité et sa fugacité, la
seconde a pour objectif de défendre des intérêts matériels ou moraux d’une ou de plusieurs catégories sociales, et
la troisième cherche à défendre, promouvoir ou à mettre en cause les valeurs dominantes. RACHIK,
Aberrahmane, La société contre l’Etat, op. cit, p. 37.

29
pas nouveau1. Ce pays a connu tout au long de son histoire beaucoup de mouvements qui ont
été en rivalité avec la monarchie et le système politique qu’elle menait. Ces mouvements
avaient un caractère politique plus que social.

PARAGRAPHE 1 : UNE CONTESTATION DATEE, LE MOUVEMENT DU 20 FEVRIER

S’agissant de la mobilisation des foules à l’occasion du printemps arabe, il semble à


présent qu’il ne s’agit pas de « soulèvements » populaires, mais de « révoltes », car même
s’ils ont commencé par une dynamique émeutière, ils ont très vite migré vers le renversement
du système politique et la chute de leurs Chefs d’Etat (le cas de l’Egypte, la Tunisie, la
Libye), ce qui nous paraît être différent des manifestations du passé à l’instar des émeutes de
la faim en Tunisie et au Maroc. Le Mouvement du 20 février, par son action collective
moyennement maîtrisée, n’a pas pu provoquer un changement radical du système politique
marocain.

Au début, faut-il rappeler que le mouvement, s’appelait « Liberté et Démocratie


Maintenant 2» , et réunissait un groupe restreint de jeunes dont certains sont issus -ou leurs
parents- des organisations de gauche, et dont la plupart étaient connectés au réseau social
« Facebook ». Ce mouvement multi-situé s’est présenté sous forme d’une coordination
nationale décentralisée, caractérisée plutôt par des « liens faibles 3 ». Il a regroupé des
coordinations fortement imprégnées par les configurations locales dans lesquelles elles
s’inscrivent4.

Pour mieux cerner les fondements et les objectifs de ce mouvement, nous avons
procédé à une enquête avec certains de ses membres, et nous nous sommes basés sur d’autres
enquêtes et recherches, notamment celles faites sur le mouvement lui-même.

1
- A ce propos, Rachik explique que les manifestations et sit-in du Mouvement 20 février s’inscrivent dans une
tradition de protestation pacifique instaurée depuis la seconde moitié des années 1990. En 2005, l’action
collective des différents mouvements protestataires dans l’espace public (sit-in, manifestation, marche, etc) s’est
traduite en 700 sit-in, une moyenne de sit-in par jour. Ce chiffre a passé de 5000 actions en 2008 à 6438 en 2009
pour atteindre 8600 en 2010. Voir RACHIK, Aberrahmane, La société contre l’Etat, op.cit, p. 8.
2
- Selon le témoignage d’un membre du mouvement. Voir notre enquête sur le mouvement du 20 février (annexe
1).
3
- S. GRANOVETTER, Mark, The Strength of Weak Ties, American Journal of Sociology, 78, 1973, p. 1360-
1380.
4
- BENNANI CHRAIBI Mounia et JEGHLLAL Mohammed, La dynamique protestataire, op.cit, p. 867-894.

30
Des témoignages de ce mouvement, nous avons retenu le suivant :
« Le débat entre les jeunes, sur la possibilité de créer un mouvement de protestation, a
commencé vers la fin du mois de Janvier 2011. Le 27 janvier 2011, nous avions décidé de
sortir le 27 février 2011, mais nous avons été attaqués par les médias. Car le 27 février
coïncide avec la date de naissance de la RASD. On nous a qualifiés de « pro-Polisario » et de
« traitres de la nation » et pour éviter ces préjugés, nous avons décalé cette date d’une
semaine, et ça a donné le 20 février 2011 1».

Après avoir mis en avant sur la scène publique de nouveaux jeunes militants nantis de
formations universitaires et dotés d’un franc-parler, le mouvement s’est mis tout de suite à
chercher les anciennes figures du Mouvement national, pour asseoir une nouvelle légitimité
dont il n’avait pas forcément besoin2. Un pas qui a montré la faiblesse du mouvement et ses
limites face au système sécuritaire marocain.

Les capacités organisatrices du mouvement ayant été considérablement amplifiées par


les conditions mêmes de la mobilisation, et les manifestants du mouvement 20 février ont fait
preuve d’ouverture, et se sont basés sur Internet (les réseaux sociaux). Selon des témoignages,
« la coordination a commencé dans le monde virtuel, notamment Facebook, via un groupe
intitulé : Marocains en discussion avec le Roi. On a commencé à poster des statuts sur le mur
du groupe (des statuts comme : Tous pour une monarchie parlementaire. Tous pour la
libération des détenus politiques…). Par la suite, deux jeunes Marocains (Hicham Ahella et
Rachid Antid, les administrateurs du groupe) ont décidé de changer le nom du groupe. Il est
devenu : "Mouvement Liberté et Démocratie Maintenant". Les deux jeunes ont regroupé les
revendications publiées sur le mur du groupe, et les ont traduites en revendications publiées
dans une plateforme de "revendications des Jeunes Marocains" ».

Après son premier communiqué du 27 janvier 2011, le mouvement s’est développé


quantitativement et qualitativement 3, en s’inspirant du contexte des événements déclenchés en
Tunisie, en Egypte et en Libye … . La première scène qui marqua les esprits fut l’auto-

1
- Voir enquête sur le Mouvement 20 février de SADIK, Youssef, Logiques et dynamiques du Mouvement 20
février, in La révolution improbable : Etude des dynamiques protestataires et révolutionnaires dans le Maroc
arabe, Al Maârif Al Jadida, 2015. p 62.
2
- SADIK, Youssef, Logiques et dynamiques du Mouvement 20 février, in La révolution improbable, op. cit, p.
58.
3
- Voir le 1er communiqué de presse du Mouvement 20 février (annexe 2).

31
immolation du jeune tunisien Bouazizi, et ce vaste mouvement de contestation qui amena les
tunisiens à manifester dans les rues, puis à réclamer la fin de Zine El Abidine Ben Ali, en
conjuguant le verbe "dégager" à l’impératif. Les pays voisins ont suivi l’étincelle de colère
contre leurs tyrans1.

Ces manifestations pacifiques qui ont été au départ revendicatives, se sont vite
transformées en soulèvements populaires, et ont entraîné dans la majorité des cas, la chute des
dirigeants en place ; Ben Ali, Moubarak, Kadhafi… .

Au Maroc en revanche, le Mouvement du 20 février n’a revendiqué ni à la chute du


régime, ni le départ du roi. Il a limité ses demandes pressantes à des réformes profondes à la
fois politiques, économiques et sociales. Sa principale exigence, la lutte contre la corruption,
l’économie de rente2, la concussion et le népotisme. Il a réclamé des réformes sur le plan
économique et social, « dans le domaine de l’éducation, de la justice, de la santé ou de la lutte
contre la corruption 3», ainsi que d’autres sur les plans politique, constitutionnel et culturel
(statut et droits des amazighs).

Les revendications de ce mouvement portaient sur plusieurs points ; à savoir : la mise


en place d’une constitution à travers l’élection d’une constituante, la transparence dans la
gestion publique et la fin de la corruption et l’impunité, en assurant une bonne gouvernance
économique à travers la fin du monopole, la rente et la domination de réseaux économiques
familiaux4. Ainsi, fut mise également en relief la nécessité de garantir l’accès équitable aux
richesses du pays, à mettre en place un système de qualité pour l’enseignement public et une
infrastructure sanitaire qui profitent aux citoyens … .

1
- « La chute du régime tunisien a donné de l’espoir aux égyptiens, notamment les jeunes, pour revendiquer la
liberté et la dignité. Ces deux événements, ont leur tour influencé les jeunes marocains conscients de la nécessité
d’un changement politique, économique et social pour construire un Etat de droit et de liberté », expliqua un
témoin du mouvement du 20 février, cité in SADIK, Youssef, Logiques et dynamiques du Mouvement 20
février, La révolution improbable, op.cit, p. 64.
2
- Le mot « réforme » est polysémique ; Il évoque surtout l’acte de réparer et de faire perdurer. Voir SADIK,
Youssef, Réformes institutionnelles et changement social. Quel lien ?, Revue Prologues n°36, janvier 2007.
3
- FASSI-FIHRI, Taïb, Au Maroc le "printemps arabe" n’est pas nouveau, le Monde, 31 mars 2011.
4
- Dans le champ politique, la réforme sert à prolonger la durée de vie des régimes politiques en y associant de
nouveaux acteurs et en y intégrant des formules capables d’asseoir de nouvelles légitimités ou de renforcer les
anciennes. SADIK, Youssef, Logiques et dynamiques du Mouvement 20 février, in La révolution improbable,
op.cit, p. 59.

32
Le Mouvement 20 février s’est engagé par et pour les jeunes, mais, ce n’est qu’en
sortant dans la rue pour la première fois -après les événements de Casablanca par le passé-,
que le mouvement s’est fait connaître, en revendiquant la liberté, la dignité et des réformes
politiques.

Pour réussir, il a fait concourir les réseaux sociaux pour diffuser ses idées et
revendications. Plusieurs jeunes ont réalisé des vidéos dans lesquelles ils ont cité ces
revendications et appelé les marocains à sortir manifester pour leur "réalisation". A Rabat où
un autre groupe appelé " ‫"حركة عشرين فبراير الشعب يريد التغيير‬, puis à Fès un autre groupe a été
créé avec principal slogan " pour la dignité…l’Intifada est la solution "1.

Selon des témoignages recueillis2, le Mouvement 20 février était composé d’un


ensemble de jeunes de différentes sensibilités : des partis politiques (Parti Socialiste Unifié,
Parti Annahj Addimocrati…), des associations (l’Association des Jeunes Marocains Diplômés
Chômeurs, l’Association Des Droits Humains (AMDH), des membres de la gauche et de la
gauche radicale, le mouvement islamiste Al Adl wal Ihsane… . Au départ, cette diversité des
participants a instruit l’envol du mouvement, mais pas pour longtemps.

En juillet 2011, le Mouvement a organisé une conférence au cours de laquelle, il a


déclaré sa stratégie et son plan d’action réalisé après quelques mois d’activisme politique.
Trois stratégies furent évoquées ; La première portait sur la démocratisation par étapes, en
évitant tout accrochage direct ou indirect avec la monarchie, prônant une période transitoire
vers une monarchie parlementaire. La deuxième représentait la préparation des alternatives,
de nouvelles élites crédibles pour confronter le pouvoir et les institutions mises en place. Et la
troisième a consisté à dissiper le pouvoir despotique, soit par décision royale ou par le cumul
des contradictions du régime politique lui-même.

Néanmoins, au bout de quelques mois de manifestations, plusieurs facteurs internes et


externes ont provoqué des fissures importantes dans les rangs du Mouvement, en livrant une
partie de son "leadership" à la recherche d’autres opportunités politiques. Le cas d’Oussama
Lakhlifi, un des fondateurs du mouvement est révélateur. Il rejoint le Parti Authencité et
Modernité (PAM) juste après l’adoption de la nouvelle constitution. Par ailleurs, le

1
- http://www.youtube.com/watch?v=A_LF0JqnMzw.
2
- Témoignage tiré d’une série d’entretiens que nous avons menés avec des jeunes membres du Mouvement 20
février, au siège du Parti des Néo-démocrates à Casablanca, le 29 Août 2015. Voir (annexe 2).

33
mouvement islamiste « Al Adl Wal Ihsane » considéré comme la principale composante de ce
mouvement, décida de se retirer au vu des résultats des élections législatives du 25 novembre
2012, lorsque le Parti islamiste justice et développement (PJD) était placé en tête (avec 107
sièges les 395)1.

A partir de ces éléments, le Mouvement 20 février a voulu s’inscrire dans une


dynamique contestataire cumulative du changement social, en continuant de revendiquer
certains droits et en appelant le gouvernement issu d’élections démocratiques à accélérer les
réformes ou à concrétiser les promesses qu’il a donné. Ainsi, caractérisé par une hétérogénéité
au niveau de sa composition, le Mouvement n’a pas pu être géré par un leader, faute
d’organisation et d’orientation de ses membres. En d’autres termes, le Mouvement 20 février
était peu organisé, hétérogène, sous encadré et sans stratégie claire pour se transformer en un
véritable mouvement social tel que reconnu dans la littérature politique 2. Il n’a pas cessé
d’exprimer des besoins et des aspirations souvent divergents, donc incapables de créer une
plateforme commune et fédératrice pour outrepasser les revendications catégorielles et se
transformer en un réceptacle du mouvement social global.

Anticipant la suite des événements et comme pour désamorcer le mouvement, le roi


annonça dans son discours du 09 mars 2011, 20 jours seulement après le début du
soulèvement de la rue, « la révision constitutionnelle profonde vouée à la consolidation de la
démocratie et de l’Etat de droit 3».

Cette révision énumère sept piliers4 :

 Consécration de la pluralité de l’identité marocaine et la reconnaissance


constitutionnelle de la composante Amazighe.

1
- L’entrée de cette organisation religieuse a été bien encadrée par des règles strictes. Il justifie son retrait par le
fait que sa participation au M20 n’a servi que le parti PJD. A propos des organisations islamistes au Maroc, voir
DARIF, Mohamed, Les islamistes marocains : les calculs politiques dans l’action islamiste 1969-1999,
Casablanca, Al Majalla Almaghribia li’ilm al-ijitima’as-siyassi, 1999, p. 67-76.
2
- TOURAINE, A., Production de la société, Le Seuil, Paris, 1993, p. 543.
3
- Discours de Mohammed VI du 09 mars 2011.
4
- MADANI, Mohammed, La réforme constitutionnelle sous le règne de Mohammed VI : le processus et
l’aboutissement, Elpoder Constituyente en El Mundo Arabe, 2012, p. 221-222.

34
 La consolidation de l’Etat de droit (constitutionnalisation des recommandations de
l’Instance Equité et Réconciliation (IER) et des engagements internationaux du Maroc
en la matière.
 La volonté d’ériger la justice en pouvoir indépendant et de la renforcer.
 La consolidation du principe de la séparation des pouvoirs à travers un parlement élu
issu d’élections libres et sincères.
 Un gouvernement élu émanant de la volonté populaire exprimée à travers les urnes et
jouissant de la confiance de la chambre des représentants.
 La consécration du principe de la nomination du premier ministre au sein du parti
arrivé en tête des élections de chambre des R et sur la base des résultats du scrutin.
 Le renforcement du pouvoir du premier ministre en tant que chef d’un exécutif effectif
et pleinement responsable.
 Le renforcement des organes et outils d’encadrement des citoyens (renforcement du
rôle des partis, de l’opposition parlementaire et de la société civile.
 La consolidation des mécanismes de moralisation de la vie publique et la nécessité de
lier l’exercice de l’autorité aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes.
 La constitutionnalisation des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits
de l’Homme et de la protection des instances en charge de la bonne gouvernance 1, des
droits de l’Homme et de la protection des libertés.

Cette vision du roi s’articule autour de sept propositions : la consécration


constitutionnelle de la pluralité de l’identité marocaine, notamment l’amazighité ; la
consolidation de l’Etat de droit et des institutions ; l’élargissement du champ des libertés
individuelles et collectives et la garantie de leur exercice ; le renforcement du système des
droits de l’Homme dans le respect de la primauté des engagements internationaux. Il s’agit en
plus de mettre en application les recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation
(IER) ; renforcer les prérogatives du Conseil constitutionnel qui se transforme en Cour
constitutionnelle ; consolider le principe de la séparation des pouvoirs en érigeant la Justice au

1
- Selon C. Gorand, la gouvernance, peut être considérée comme « la capacité d’un régime à faire respecter ses
normes et règles institutionnelles, à appliquer des politiques publiques, mais aussi à répondre aux besoins de sa
population. Pour la Banque mondiale, il s’agit d’un « processus par lequel, mais aussi à répondre aux besoins de
sa population. Voir GORAND, C., La démocratie par défaut au Brésil, in Démocraties d’ailleurs, Karthala, 2000,
p. 447.

35
rang de pouvoir indépendant ; et le maintien du cap sur la démocratie et la modernisation des
institutions1.

Affaibli par le retournement de la situation, il fera face désormais à la réaction de l’Etat, une
occasion de se demander dans quelle mesure le Mouvement 20 février a pu faire face à
l’institution du « Makhzen » et ses dispositifs sécuritaires 2 !

PARAGRAPHE 2 : SYSTEME MAKHZENIEN, UNE VEILLE SECURITAIRE

Contrairement à la manière forte de la gestion musclée de l’espace public menée par le


passé, le système politique marocain depuis l’avènement de Mohammed VI est intervenu
selon une double option qui consiste à persuader plus qu’à dissuader. L’Etat, dès le début, a
évité le recours à la force et il n’y avait eu que peu de contacts entre les agents de police et les
manifestants. Mais, cette situation a engendré des lacunes et dérapages ont été enregistrés par
endroits (Marrakech, Al-Houceima).

Le retrait tactique des forces de l’ordre, a malencontreusement ouvert la voie à


l’occupation anarchique des espaces publics par les marchands ambulants, d’où une nuisance
pour la circulation et pour les commerçants ; squat des logements privés non occupés par
leurs propriétaires ; augmentation sensible des actes de vandalisme, de vol et d’agression en
public.

Tout au long de la dynamique du mouvement, les autorités sécuritaires ont observé la


passivité, la retenue et œuvré parfois à disqualifier les jeunes meneurs des manifestants en
puisant dans leur vie privée (cas de Oussama El- Khlifi arrêté en flagrant délit nocturne de
pédophilie dans un lieu public, jugé et emprisonné). Peu à peu, les sorties du mouvement 20
février développent des techniques habiles de mobilisation des quartiers populaires, et
montent d’un cran le seuil des revendications politiques ciblant nommément l’entourage
direct du roi. Ce changement dans le degré des manifestants allait entrainer l’intervention

1
- Ces mesures consenties par le monarque prévoient aussi le renforcement des organes et outils d’encadrement
des citoyens, le rôle des partis politiques ; la moralisation de la vie publique ; et enfin l’affermissement de la
bonne gouvernance et droits de l’Homme.
2
- La révision de cette constitution n’a pas répondu aux revendications du M20, qui a réclamé son refus pour la
commission sélectionnée (nommée) par le roi. De plus, le référendum n’a pas pris beaucoup de temps pour être
discuté publiquement et la nouvelle constitution fut publiée ; ce qui entache la transparence du processus
référendaire mené par la monarchie et les résultats qui en suivirent.

36
parfois répressive des appareils sécuritaires, mais malgré tout, le «makhzen » s’ingéniait à
gérer cette situation de désordre social, en veillant à contrôler la situation devenant, comme
l’a dit quelqu’un il y a une vingtaine d’années, « un néo-Makhzen, machine cybernétique
particulièrement efficace dont toute la politique consiste à interdire l’apparition de tout
concurrent à vocation hégémonique 1».

Une marche dans la ville de Casablanca, avril 2011.

Dans l’attente de l’essoufflement du mouvement, les appareils idéologiques de l’Etat –


cette fois-ci - chantaient « l’exception marocaine », en attestant de la maturité des Marocains
et leur foi en leur monarque et la démocratie de leur pays. Moins d’un mois après le

1
- BOU MHALLI, M, Le Makhzen ou la gestion de la violence, Revue Autrement, H.S, n° 48, septembre 1990, p.
180.

37
déclenchement du mouvement, Le roi annonça une série de décisions ainsi que des réformes.
Même la religion a été mise à contribution avec la recommandation aux prédicateurs du
vendredi de mettre en garde contre les situations de trouble et le chaos. Sur le plan
économique, l’Etat annonce le doublement du budget de la Caisse de compensation, et
l’accélération des négociations avec les diplômés chômeurs et les syndicats des travailleurs.
Certains de ces derniers aux côtés d’islamistes cooptés et d’acteurs de la société civile, même
peu connus du grand public, vont être recrutés au sein du Conseil économique et social (CES)
nommé le 22 février 2011. L’objectif de cette décision consistait, non seulement, en
l’élargissement des bases du système, mais aussi la déviation des protestations aux volets
économique et social, s’éloignant des revendications politiques.

En effet, fut annoncé également l’accélération de certaines réformes au niveau du


dispositif institutionnel ; création du Conseil économique et social (21 février), transformation
du Conseil consultatif des droits de l’Homme (CCDH) en Conseil National des Droits de
l’Homme (CNDH) le 04 mars, mais la décision majeure fut certainement la mise en place de
la Commission consultative pour la révision de la Constitution (CCRC), le 10 mars 2011, puis
une semaine plus tard, l’institution du « Médiateur », le 17 mars.

En fait, après de longues années d’arrangement dans un processus de cooptation


informelle1, le Maroc semble opter cette fois-ci pour la cooptation formelle. Un choix qui
traduit un jeu politique basé « sur la recherche d’équilibre, le compromis et la médiation »
entre les diverses forces sociales 2. Le discours du 09 mars 2011 était perçu comme une
reconnaissance du Mouvement 20 février et comme une tentative de lui couper l’herbe sous
les pieds en présentant une réforme susceptible de séduire 3; une commission chargée de

1
- Du point de vue de la sociologie, la cooptation assure la stabilité des systèmes. Selznick fait la différence entre
cooptation formelle et informelle. Selon lui, le système fait appel à la cooptation formelle lorsque « se fait sentir
le besoin d’établir la légitimité de l’autorité ou les moyens d’exercer sur les catégories de personnes qui relèvent
de celle-ci » alors qu’on recourt à la cooptation informelle « lorsque se fait sentir un besoin d’ajustement à la
pression des sources de pouvoir spécifiques à l’intérieur de la communauté ». P. SELZNICK, La cooptation : un
mécanisme de stabilité organisationnelle, in Birnbaum. P et Chazel. F. Sociologie politique. Textes, Paris,
Armand Colin, 1970. D’autres auteurs voient que l’autoritarisme marocain n’a pas systématiquement recours à
l’exclusion pour maintenir son contrôle de la société, mais il pratique « l’inclusion » (certains diront « la
cooptation » ou « l’intégration ») comme tactique pour agir sur les foyers potentiels d’opposition. Voir LOEZA,
S., Mexique, Construire le pluralisme, in Réinventer la démocratie, Le défi latino-américain, PFNSP, 1992, p.
208.
2
- HERMASSI, Elbaki, Etat et Société au Maghreb, Antrhopos, Paris, 1975, p. 51.
3
- BENNANI-CHRAIBI Mounia et JEGHLLALY Mohamed, La dynamique protestataire du Mouvement 20
février, op.cit, p. 883.

38
proposer une nouvelle constitution a été mise en place le 09 Mars 2011. Ouverte à toutes les
catégories représentatives de la population, le Mouvement 20 février, faute de consensus ou
de leadership, a tout simplement refusé d’y participer... .

Dans cette brèche ouverte, les Marocains conviennent du message des autorités sur
« l’exception marocaine », et n’en veulent pour preuve que l’espace ouvert aux manifestants
sans les réprimer1. Pendant plus d’un mois, le Mouvement donnait le sentiment d’avoir
« gagné » le Makhzen, tandis que les forces de sécurité tenaient à distance des cortèges
manifestants2.

Pour élargir l’audience, des marches hebdomadaires, des réunions et des assemblées
générales ont été organisées par les différents acteurs de ce mouvement. Pendant ce temps, les
autorités continuèrent de semer les germes d’affaiblissement de la coalition du M20.

D’autres facteurs internes vont contribuer à l’échec de la tentative insurrectionnelle du


Mouvement 20 février ; la Marche du 24 avril a enregistré un grand nombre de retraits
d’acteurs dans l’intersection de la scène politique instituée et de l’espace protestataire. Huit
mois après, l’organisation la plus puissante de ce mouvement Al Adl Wal Ihsane va se retirer
définitivement après l’annonce des résultats des élections législatives de novembre 2011.
Outre les défections, les membres de la coalition se sentent assaillis autant par le Makhzen
que par ce qu’ils perçoivent comme un « Makhzen intérieur » à géométrie variable, composé
de « cooptés » et d’« infiltrés »3. Le début des doutes autour de ces personnes infiltrées,
augmenta de plus en plus et ils seront accusés publiquement d’êtres des agents du Ministère
de l’Intérieur ou des élus locaux.

Le pouvoir a tenté de détourner l’attention, tantôt par les réformes tantôt par la force.
Au moment où le M20 connaît son heure de gloire, des partis participent aux consultations du

1
- "Nous percevons cela avec énormément de sérénité". "Le Maroc (...) s'est engagé depuis longtemps dans un
processus irréversible de démocratie et d'ouverture de l'espace des libertés", a ajouté le ministre au cours d'un
point de presse. "Les citoyens peuvent s'exprimer librement (...) tant que cela se déroule dans le plein respect des
intérêts vitaux" du pays. Déclaration de Khalid Naciri, alors ministre de la Communication au journal le
« Figaro» du 03 février 2011.
2
- BENNANI-CHRAIBI, Mounia et JEGHLLALY, Mohamed, La dynamique protestataire du Mouvement 20
février, op. cit, p. 885. De son point de vue, les autorités veulent éviter autant le recours à la répression à la veille
de la réunion du Conseil de sécurité qui devait se prononcer avant fin avril au sujet de la prorogation du mandat
de la Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara Occidental (MINURSO).
3
- Ibidem.

39
CCRC tout en relâchant la pression sur leurs jeunesses qui continuent à défiler pendant les
marches du M20 (le cas de l’USFP et du PJD)1. Mais après le discours du 17 juin, tout est
rentré dans l’ordre2.

Dans une ère de méfiance, d’affrontement verbal et parfois physique entre les
membres du mouvement, ce dernier se relâche jour après jour. De manière quasi rituelle, à
chaque fois que les tensions montent au sein de l’assemblée générale, les participants lancent
deux slogans en particulier : l’un s’accompagne d’un geste désignant l’adversaire
intérieur : « Makhzen dégage », le second tente de rétablir le calme : « Unis et solidaires, nous
obtiendrons ce que nous voulons 3».

Sur un autre plan, les médias ont soutenu la vague des réformes initiée par la
monarchie, en réitérant le sentiment de paix et de quiétude qui fait l’exception du Maroc. Bien
entendu, cela n’arrangeait guère le M20 ainsi que ses suppôts. Un an plus tard, le 21 février
2012, dans un post sur Facebook, H.A qui a contribué à rédiger le premier appel du M20
invite à interrompre le Mouvement : « Les dinosaures ont transformé le M20 en quelque
chose qui ne diffère que par le nom des mouvements qui ont échoué dans le passé. Sous de
nouvelle formes, ils ont commis les mêmes erreurs, produit les mêmes illusions. Ceux qui
disent que le Mouvement perdure ne parlent que de la continuité du label… 4».

En somme, harcèlement, méfiance, retrait de la puissante organisation islamiste (Al


Adl Wal Ihssane), d’une part, et réformes plurielles de la monarchie, d’autre part, ont fini par
banaliser les slogans du M20 et contribuer à sa désagrégation sans recours à la violence. Le
système sécuritaire marocain aurait ainsi fait preuve d’une grande lucidité.

SECTION 2 : LA REFORME CONSTITUTIONNELLE OU LA REDEFINITION DU


PACTE SOCIAL

Après une large consultation avec toutes les forces vives de la nation, des partis
politiques, des experts, des syndicats et des associations …, le référendum populaire du 1 er

1
- CHRAIBI, M. et JEGHLLALY, M., La dynamique protestataire du Mouvement 20, op. cit, p. 887.
2
- Ce discours fut l’annonciateur du référendum constitutionnel.
3
- Idem, p. 888.
4
- http://www.youtube.com/watch?v=A_LF0JqnMzw.

40
juillet 2011 était un succès considérable tant pour le pourcentage des électeurs qui se sont
déplacés (73%) que par le consensus national exprimé au regard du résultat de la votation
adoptant le projet de la nouvelle constitution à une écrasante majorité (98,5%) 1. Il est à noter
que des femmes ont été associées à l’élaboration de ce texte, puisque cinq membres de la
Commission Consultative de révision de la Constitution sur dix-neuf étaient des femmes2. Et
le projet de la réforme constitutionnelle a été lancé.

La rédaction de la Constitution de 2011 s’inscrivait ainsi dans une vision de transition


démocratique du champ politique, en empruntant une vision linéaire au
développementalisme3. Une nouvelle constitution qui énumère un grand nombre de droits et
de devoirs en même temps, et qui gère la vie publique et la moralise de plus en plus.

Ce fut la cinquième révision de la constitution depuis 1962. Mais, l’esprit de la


constitution remontait au début du siècle dernier. Même sans avoir eu un impact direct sur la
classe politique, le premier projet de constitution au Maroc remontait à 1908. Allal El Fassi a
qualifié ce projet de « preuve de l’aptitude du Maroc à l’évolution naturelle vers une
civilisation plus étendue et une vie meilleure 4 ». De son côté, Ben Barka a estimé que « les
souverains intelligents du XIXème siècle et jusqu’à la veille du Protectorat, tenaient
infiniment aux réformes qui allaient jusqu’à l’élaboration d’une constitution 5». Mais, la
première constitution marocaine a été promulguée six ans après l’indépendance, en décembre
1962, et fut suspendue en 1965, après moins de deux ans de fonctionnement effectif. La
deuxième constitution qui a été une réelle régression fut adoptée en juillet 1970, et abrogée
dix huit mois après un coup d’Etat manqué qui ramena la monarchie à de meilleurs
sentiments. La troisième constitution, celle de 1972 a calmé un tant soit peu les ardeurs des

1
- SAINT-PROT, Charles, Continuité nationale et évolution constitutionnelle, in Collection Thèmes actuels, La
Constitution de 2011 : Lectures croisées, REMALD, n° 77, 2012, p. 17.
2
- AOUCHAR, Amina, L’égalité entre les hommes et les femmes, Lextenso, 2012, p.258.
3
- La théorie du développement politique est apparue au début des années soixante, dans le contexte de la
décolonisation. Cette théorie, américaine à l’origine, est dérivée des grandes théories évolutionnaires du XIX
siècle qui postulaient la convergence de toutes les sociétés vers un modèle unique de modernité. Voir BADIE,
B., Le développement politique, in Economica, 1994, p.16 et SS.
4
- Préface d’Allal El Fassi à l’ouvrage d’Abd El Aziz BENABDELLAH, Les grands courants de la civilisation
du Maghreb, Imprimerie du Midi, Casablanca, 1958, p. 13.
5
- Préface de Mehdi Ben Barka à l’ouvrage de Mohamed LAHBABI, Le gouvernement marocain à l’aube du
XXème siècle, Techniques Nord-Africains, Rabat, 1958, p. 3.

41
nationalistes, invités à s’impliquer dans le combat de la récupération du Sahara et le retour du
fonctionnement normal des institutions démocratiques.

Dès 1962, les revendications de la modernisation et la démocratisation du système


politique constitutionnel, ont été considérées comme une priorité de la société civile, des
acteurs sociaux et des partis politiques 1. Les différentes révisions constitutionnelles se
présentaient ainsi, comme des actes de réaménagement et d’adaptation suivant la conjoncture.

La révision de 2011 aura été « un acte refondateur », puisque les autres constitutions
n’avaient jamais apporté une modification si globale, voire radicale pour certains aspects, et
ce d’autant plus que le Maroc vivait depuis longtemps une crise d’installation d’un système de
représentation réelle 2.

En effet, la réforme constitutionnelle de 2011 ne peut être que considérée comme un


des grands chantiers politiques à travers lequel le système a montré sa volonté de mettre en
place un plan de décentralisation avancée et une démocratie locale concrète. A côté de cette
réforme, le roi a insisté sur sa volonté de donner un nouvel élan au processus de
régionalisation.

Dans son discours du janvier 2010, adressé à la nation, le roi a précisé quelques
grandes lignes de ce chantier3, notamment :

 L’élection des conseils régionaux au suffrage universel ;


 La gestion démocratique des affaires par les régions elles-mêmes ;
 Le rôle accru des présidents des conseils régionaux, dotés d’un pouvoir d’exécution.

1
- PERRINEAU, Pascal, L’engagement politique. Déclin ou mutation?, Presse de la Fondation nationale des
Sciences politiques, 1994, p.444.
2
- LAMGHARI, Abdelaziz, Cinquante ans de vie constitutionnelle, quel bilan?, El Maârif, 2013, p. 8.
3
- « (…) C’est un moment fort et solennel. Nous considérons qu’il marque le lancement d’un chantier
structurant, dont Nous voulons qu’il constitue un tournant majeur dans les modes de gouvernance territoriale.
Nous entendons également en faire un prélude à une nouvelle dynamique de réforme institutionnelle profonde.
De ce fait, la régionalisation élargie escomptée n’est pas un simple aménagement technique ou administratif. Elle
traduit plutôt, une option résolue pour la rénovation et la modernisation des structures de l’Etat, et pour la
consolidation du développement intégré… ». Extrait du Discours de Mohammed VI en janvier 2010. Pour
réaliser cette réforme, une Commission consultative de la régionalisation (CCR) a été mise en place. Elle est
composée de 22 personnes (juristes, politologues, économistes, membres de la société civile…). Pour Omar
Aziman, son président, cette réforme « devra consolider le processus démocratique et améliorer les relations
entre l’Etat et le citoyen ».

42
La constitution de 2011 aurait donc répondu à une double problématique, tout en
établissant des changements notoires dans certains articles et de leur mise en pratique. D’un
côté, elle a gardé la prééminence du pouvoir monarchique qui reconnait au roi son rôle central
dans la gestion des affaires publiques, et de l’autre, elle a fait la preuve d’une constitution
anticipative qui insiste sur la rupture avec celles du passé, en mettant en avant la
concrétisation et la mise en valeur d’un Etat démocratique et moderne 1.

K. Naciri a expliqué que trois considérations ont contribué à la rédaction de la


nouvelle constitution2. La première est d’ordre historique, car les revendications de
démocratisation du système constitutionnel marocain se révélaient une donnée sociopolitique
constante sous le règne d’Hassan II. La deuxième est d’ordre méthodologique, à savoir que la
constitution est le résultat d’une évolution achevée pour réaliser un redressement juridique ou
bien un résultat anticipant une évolution dans le futur. En fait, la nouvelle constitution est
intervenue pour répondre à ces deux questions, puisque le Maroc a connu de nombreux
évènements qui signalaient une évolution dans le bon sens, et en même temps elle a pu créer
un certain changement qui annonce une évolution à venir à travers les nouvelles lois qu’elle a
pu mettre en place sur le niveau politique, social et même religieux.

Le troisième élément est d’ordre fondamental, selon lequel la mise à niveau substantielle de
l’environnement constitutionnel est devenue nécessaire, et qu’il ne suffit pas de faire un
lifting de surface pour servir de base à un nouvel environnement sociopolitique plus mature3.
La nouvelle constitution marocaine met en valeur encore plus les éléments constitutifs d’un
Etat de droit : Démocratie, droits de l’Homme, libertés publiques formant, ainsi, ses principes
fondamentaux4. Ces éléments faisaient partie des listes des revendications des manifestants du

1
- Selon Roquier, « les régimes politiques comme n’importe quel organisme change continuellement pour
s’adapter à l’évolution ou aux mutations de leur environnement ». Voir ROQUIER, A., Changement politique et
transformation des régimes, Dans le traité de science politique, Sous la direction de M. Grawitz et J. Leca 1985,
p.602.
2
- NACIRI, Khalid, Le droit constitutionnel marocain ou la maturation progressive d’un système évolutif,
Permanences et ruptures dans le nouveau socle constitutionnel. In ABHATOO, publication du CND, HCP, 2009.
3
- Ibidem.
4
- L’expression « Etat de droit » est récurrente dans les discours de Mohammed VI, « Compte tenu de ces
lourdes responsabilités que Nous impose la mission suprême dont Nous sommes investis, de Notre attachement
aux valeurs sacrées, religieuses et national (…), Nous invitons tout un chacun … au respect des dispositions de
l’Etat de droit … ». Discours du 46ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le 20 août 1999 ;
« Notre détermination est également grande, dans le but de renforcer ce cadre indicatif pour les opérateurs
économiques, d’œuvrer pour la consolidation de l’Etat de droit dans le domaine économique, la réforme de la

43
20 février, et ont constitué le sujet des propositions faites par un ensemble de partis politiques
dans un moment adéquat.

Le roi a expliqué dans son discours du 09 mars 2011 : « Notre volonté est inébranlable
d’aller de l’avant dans la concrétisation du modèle marocain, dont nous réaffirmons le
caractère irréversible. D’ailleurs, Nous ne nous contenterons pas d’en préserver les acquis,
mais Nous entendons plutôt le consolider par de nouvelles réformes, et ce, dans le cadre
d’une profonde symbiose et d’une totale synergie entre nous-mêmes et toutes les composantes
de Notre peuple fidèle », en se basant sur « la réalisation des réformes structurantes » pour
assurer aux citoyens « l’exercice d’une citoyenneté digne, dans le cadre d’un Maroc avancé,
solidaire et jouissant de son unité et de sa souveraineté pleines et entières ».

La réforme constitutionnelle, selon nous, peut être considérée à juste titre comme une
bonne initiative qui a pu épargner au Maroc la crise provoquée par ce qui a été appelé
communément « printemps arabe ». Mais, la question qui se pose, à ce niveau, est de savoir
quels sont ses apports ? Quel nouveau système politique se dégage de cette constitution à
commencer de l’exercice du pouvoir ?

PARAGRAPHE 1 : LA DELIMITATION DU CHAMP DU POUVOIR ROYAL

Le rôle arbitral du roi a été l’un des grands traits clairement signalés dans la
Constitution de 2011. Celle-ci confirme une fois de plus la suprématie de sa personne, en tant
qu’arbitre suprême entre les institutions de l’Etat. A ce titre, il veille au respect de la
constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du
choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes, des citoyens, et des collectivités,
et au respect des engagements internationaux du royaume. Il exerce un certain nombre de
compétences tant à l’égard du gouvernement que du parlement, dans le cadre d’une séparation
et d’équilibre des pouvoirs, et l’article 89 dans son 1er alinéa dispose que : « Le gouvernement
exerce le pouvoir exécutif ».

justice, … ». Discours devant les responsables des régions, wilaya, préfectures et provinces…, le 12 octobre
1999 ; « Nous sommes déterminé, depuis Notre accession au Trône de Nos Glorieux Ancêtres, à poursuivre
l’édification de l’Etat moderne (…). C’est ce que nous avions souligné dans le premier discours du trône, en date
du 30 juillet 1999, où Nous avions exprimé Notre ferme attachement à la Monarchie constitutionnelle et au
multipartisme pour l’édification de l’Etat de droit et la protection des Droits de l’Homme et des libertés
individuelles et collectives ». Message aux participants du Vème atelier international des institutions nationales
des Droits de l’Homme, le 11 avril 2000.

44
Sans doute, faut-il avouer que la nouvelle constitution a montré de plus en plus son
ouverture sur une démocratisation réelle du Maroc, en respectant les bases d’une démocratie
participative. Le roi considère celle-ci comme « un pacte constitutionnel » qui serait « le
meilleur moyen de réaliser les ambitions légitimes qui habitent nos jeunes, conscients et
responsables, voire tous les Marocains qui ont à cœur de consolider la construction du Maroc
de la quiétude, de l’unité, de la stabilité, de la démocratie, du développement, de la prospérité,
de la justice, de la dignité, de la primauté de la loi et de l’Etat des institutions 1».

Sous l’empire de la constitution de 1996, le titre VI était consacré au


« gouvernement », lequel se composait du 1 er Ministre et des ministres (article 59) ; La justice
était entre les mains du roi. Dans ce texte, la place du gouvernement était réduite en tant
qu’organe exécutif, son rôle se limitait dans la fonction des lois ; Les autres fonctions du
pouvoir exécutif étaient du ressort du roi qui présidait le conseil des ministres.

La constitution de 2011, contrairement à ses précédentes, a apporté une modification


de taille. En vertu du Titre V intitulé « Du pouvoir exécutif », l’article 89 introduit une
nouvelle disposition : « Le gouvernement exerce le pouvoir exécutif », et le 2ème alinéa
explique davantage que sous l’autorité du chef de gouvernement, ce dernier met en œuvre son
programme gouvernemental, assure l’exécution des lois, dispose de l’administration et
supervise l’action des entreprises et établissements publics.

Parmi les nouveautés de la constitution de 2011, l’article 47 dispose que : « le roi


nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des
membres de la chambre des représentants, et au vu de leurs résultats. Sur proposition du chef
du gouvernement, il nomme les membres du gouvernement ».

Théoriquement, le roi ne peut mettre fin aux fonctions du chef du gouvernement, que
si ce dernier présente sa démission ; Il en a été lorsque le roi a mis fin au mandat de Benkirane
qui n’a pas pu constituer un gouvernement au bout de cinq mois. Mais il peut à son initiative
mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement après consultation
du chef du gouvernement. Le Chef du gouvernement peut à son tour lui demander de mettre
fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement, ou bien si ces derniers

1
- Discours de Mohammed VI adressé à la nation, le 19 mars 2013.

45
présentent leur démission individuelle ou collective. Selon l’article 88 1 de la constitution de
2011 et contrairement à l’article 602 de la constitution 1996, le gouvernement n’est plus
responsable devant le Parlement seulement. C’est dans ce cadre qu’on peut dire que la
nouvelle constitution est devenue « parlementaire »3, comme l’a annoncé le souverain dans le
Discours du 17 juin : « S’agissant du deuxième pilier, il traduit la volonté de confronter et de
consacrer les attributs et les mécanismes qu’induit le caractère parlementaire du régime
politique marocain ». Ceci traduit le recul du bicaméralisme qui était très clair dans la
constitution de 1996 4. L’article 88 de la constitution 2011, réaffirme l’élargissement des
pouvoirs reconnus au parlement.

En ce qui concerne le gouvernement, on trouve la logique à l’œuvre à propos de la


Chambre des Représentants : Le gouvernement sera en effet renforcé à proportion de la
légitimité démocratique qui sera désormais la sienne, le roi ayant déclaré qu’il émanerait « de
la volonté populaire exprimée à travers les urnes » lors des élections à la Chambre des
représentants5. Dans le cadre de la séparation des compétences entre le roi et le
gouvernement, il y a lieu d’aborder certaines compétences administratives partagées ; Il s’agit
du pouvoir de nomination et du pouvoir réglementaire.

L’article 30 de la constitution de 1996 6, prévoyait que seul le roi a le pouvoir de


nomination soit en matière civile ou bien en matière militaire 7. Par contre, la constitution de
2011 a modifié cette compétence exclusive du roi, en lui réservant uniquement la nomination

1
- Article 88 de la constitution de 2011 dispose : « Il est investi après avoir obtenu la confiance de la Chambre
des Représentants, exprimée par le vote de la majorité absolue des membres composant ladite chambre, en
faveur du programme du gouvernement ».
2
- Article 60 de la constitution de 1996 dispose que : « Le Gouvernement est responsable devant le Roi et devant
le parlement ».
3
- Article 1 de la Constitution 2011 dispose que : « Le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique,
parlementaire et sociale ».
4
- Le Professeur Ben Abdallah a expliqué que « Sur le terrain de la pratique, le bicaméralisme n’a pas été très
satisfaisant (…) il constitue (…) beaucoup plus un facteur de blocage que de développement de la démocratie
dans notre pays… ». Voir BEN ABDELLAH, Mohammed Amine, Le Parlement bicaméral d’aujourd’hui,
REMALD, 2005, p.136.
5
- ROUVILLOIS, Frédéric, Réflexions sur la monarchie démocratique à la marocaine, in Collection Thèmes
actuels, La Constitution de 2011 : Lectures croisées, REMALD, n° 77, 2012, p. 72.
6
- Article 30 de la constitution de 1996 dispose que le Roi : « nomme aux emplois civils et militaires et peut
déléguer ce droit ».
7
- Voir également le Dahir du 29 septembre 1999 portant délégation du pouvoir de nomination (B.O n° 4736 du
21/10/1999, p.856).

46
aux emplois militaires, en tant que Chef Suprême des Forces Armées Royales, un droit qu’il
peut déléguer1. En contrepartie, c’est au chef du gouvernement que revient la compétence de
nomination aux emplois civils dans les administrations publiques et aux fonctions des
établissements et des entreprises publiques, sans préjudice des dispositions de l’article 49 de
ladite constitution2.

Quant au pouvoir réglementaire, c’est vrai que pour la constitution de 1996 l’exercice
du pouvoir réglementaire est attribué au 1 er ministre, mais en réalité, c’était le roi qui détenait
ce pouvoir en agissant d’une manière plus ou moins directe. A l’encontre de cette disposition,
la constitution de 2011 a prévu dans son article 90 que : « le Chef du gouvernement exerce le
pouvoir réglementaire et peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres ».

En pratique, le roi exerce le pouvoir réglementaire de manière directe, et peut agir


directement par dahir. L’exercice du pouvoir réglementaire par le roi apparaissait dans ce cas
comme le complément et la conséquence nécessaire des compétences qui lui sont
expressément attribuées par la constitution dans trois domaines : la défense nationale, les
affaires religieuses et les droits et libertés3. Cela s’explique d’une manière claire, au niveau
des compétences qui lui sont attribuées par la nouvelle constitution.

Premièrement, la défense nationale, en tant que Chef Suprême des Forces Armées
Royales4 et président du Conseil Supérieur de Sécurité5. Deuxièmement, les affaires
religieuses, par le biais de l’institution « Commanderie des croyants (Imarat Al Mouminine),

1
- Article 53 de la constitution de 2011 dispose : « le Roi est le Chef Suprême des Forces Armées Royales. Il
nomme aux emplois militaires et peut déléguer ce droit ».
2
- Article 49 de la constitution de 2011 dispose parmi plusieurs questions relatives au Conseil des ministres : « la
nomination, sur proposition du Chef du Gouvernement et à l’initiative du ministre concerné, aux emplis civils et
wali de Bank Al Maghrib, ambassadeur, wali et gouverneur, et responsables des administrations chargées de la
sécurité intérieure, ainsi que les responsables des établissements et entreprises publics stratégiques… ».
3
- Voir HARSI, Abdallah, Séparation et équilibre des pouvoirs dans la nouvelle constitution de 2011, in
Collection Thèmes actuels, La Constitution de 2011 : Lectures croisées, REMALD, n° 77, 2012, p. 58-59.
4
- Article 53 de la constitution 2011.
5
- Article 54 de la constitution 2011 dispose : « Il est créé un Conseil supérieur de sécurité, en tant qu’instance de
concertation sur les stratégies de sécurité intérieure et extérieure du pays, et de gestion des situations de crise, …
Le roi préside ce Conseil et peut déléguer au chef du Gouvernement la présidence d’une réunion du Conseil, sur
la base d’un ordre du jour déterminé… ».

47
le roi exerce par dahirs les prérogatives religieuses inhérentes à cette institution1. Et plus
encore, l’exercice du pouvoir réglementaire par le roi apparait dans ce cas dans l’organisation
et les attributions du ministère des Habous et des Affaires Islamiques qui sont définies par
dahir et non par décret2.

Troisièmement, à propos des droits et des libertés, l’article 49 de la constitution de


1996 a été légèrement modifié et remplacé par l’article 42 de la nouvelle constitution. Ce
dernier dispose que « le Roi veille à la protection du choix démocratique et des droits et
libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités 3 ». Et vu l’importance de ce volet,
le roi a insisté sur sa valeur à plusieurs occasions. Lors du 51ème anniversaire de la
Déclaration des Droits de l’Homme, il a annoncé : « Depuis Notre accession au Trône de Nos
Glorieux Ancêtres, Nous n’avons cessé de réitérer Notre engagement à respecter les Droits de
l’Homme et à garantir les libertés individuelles et collectives dans le cadre de l’Etat de
droit 4». Dans un message aux participants au 5ème Atelier international des Institutions
Nationales des Droits de l’Homme, tenu à Rabat le 11 avril 2000, il a également affirmé :
« Notre identité culturelle et religieuse est aujourd’hui en mesure -comme elle l’a été à travers
l’histoire- de contribuer à l’enrichissement de l’universalité avec tout l’apport des Droits de
l’Homme, d’exercer les libertés et de s’intégrer dans leur mouvement sans contradiction ni
antagonisme, … ».

Dans le contexte du rééquilibrage des pouvoirs, la nouvelle constitution a mis le doigt


sur une autre réforme relative aux partis politiques.

Pour une démocratie moderne, « le raffermissement de la démocratie resterait


incomplet en l’absence de partis politiques forts 5». La constitution de 2011, dans son article 7
7 dispose que les partis politiques : « Concourent à l’organisation et à la représentation des
citoyennes et des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la

1
- Article 41 de la constitution de 2011 dispose que : « le Roi est le commandeur des croyants et veille au respect
de l’Islam ».
2
- HARSI, Abdallah, Séparation et équilibre des pouvoirs, op. cit, p. 59.
3
- Sur cette base, le Roi est habilité à créer divers organismes pour accomplir ces missions en détenant toujours
le pouvoir réglementaire en cette matière, le cas par exemple de « Al Wassit » (le Médiateur).
4
- Discours du roi à l’occasion du 51ème anniversaire de la Déclaration des Droits de l’Homme, le 10 décembre
1999.
5
- Extrait du discours de Mohammed VI, le 30 juillet 2003. Voir aussi le Discours du 8 octobre 2004, prononcé à
l’ouverture de la session parlementaire.

48
gestion des affaires publiques. (…) Leur constitution et l’exercice de leurs activités sont
libres, dans le respect de la Constitution et de la loi… ».

En fait, cette réforme ne constitue qu’une première étape dans l’édification d’un
régime politique qui, pour être parfaitement abouti, de ce point de vue, se devrait également
de rompre avec le principe d’unicité du pouvoir, c’est-à-dire l’idée – ancrée dans la tradition
constitutionnelle marocaine- selon laquelle le pouvoir royal, unique et originaire, ne saurait se
plier à une quelconque séparation des pouvoirs 1, et consentirait tout au plus à une diffusion ou
délégation de ceux-ci auprès d’instances constitutionnelles prédéfinies 2.

La possession du parlement de nombreux pouvoirs à ce point n’est pas surprenante,


puisqu’il constitue une condition indispensable de l’existence de cette réforme assurée par la
nouvelle constitution. Il importait par conséquent, dans l’optique de l’établissement d’une
« monarchie parlementaire » et de l’engagement du roi quant à une consolidation du principe
de séparation et d’équilibre des pouvoirs, que la révision constitutionnelle de juillet 2011
renforce de manière substantielle les pouvoirs du parlement 3. Cet objectif est globalement
atteint4. Il se manifeste, d’abord, par un élargissement sensible des compétences du parlement,
tout spécialement sur le plan législatif ; Il prend la forme, ensuite, d’une réorganisation et
d’une rationalisation du travail parlementaire, par le renforcement des prérogatives de la
Chambre des conseillers, ainsi que par la reconnaissance d’un véritable statut à l’opposition
parlementaire5.

Sur ce point, il convient d’évoquer l’article 70 qui dispose que : « Le Parlement exerce
le pouvoir législatif. Il vote les lois, contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiques

1
- MELLONI, David, Le nouvel ordre constitutionnel marocain de la « monarchie gouvernante » à la
« monarchie parlementaire », Lextenso, 2012, p 17.
2
- BEN ABDALLAH, Mohammed Amine, L’institution gouvernementale : autonomie gouvernementale :
Autonomie et subordination, REMALD, 2000, n°32, p11. « S’il ne fait aucun doute que le constituant a établi les
relations entre les trois pouvoirs sur la base du principe de la séparation, il est non moins certain qu’il a consacré
l’existence d’un pouvoir qui les surplombe tous et auquel, par des mécanismes juridiques hautement affinés, ils
sont tous soumis ».
3
- « Nous voudrions réaffirmer, pour Notre part, les espoirs que Nous fondons sur cette institution afin qu’elle
assume pleinement son rôle, tant dans le domaine législatif qu’en matière de contrôle de l’action du
gouvernement selon les mécanismes dont elle dispose, partant de Notre derme conviction que le fondement de la
démocratie repose sur la séparation des pouvoirs et l’instauration d’un équilibre entre eux… ». Discours
d’ouverture de la session d’automne du Parlement, le 08 octobre 1999.
4
- MELLONI, David, Le nouvel ordre constitutionnel marocain, op. cit, p. 22.
5
- Ibidem.

49
publiques… ». Et il faudra y ajouter aussi le titre : « Des rapports entre les Pouvoirs législatif
et exécutif », qui traite du rôle du parlement dans un nouvel équilibre constitutionnel 1.

La nouvelle constitution a prévu les procédures d’information, de contrôle et de


responsabilité du gouvernement devant le parlement, notamment devant la Chambre des
représentants2. La constitution de 2011 prévoit la responsabilité engagée à l’initiative du
gouvernement (article 103) 3, alors que l’article 105 traite de la responsabilité engagée à
l’initiative de la Chambre des représentants, et l’article 104 permet la dissolution de la
Chambre des représentants. L’article 96 de ladite constitution, attribue au roi la possibilité de
la dissolution, soit de la Chambre des représentants, soit de la Chambre des conseillers,
« après avoir consulté le Président de la Cour constitutionnelle et informé le Chef du
Gouvernement », et les présidents des Chambres, l’article 104, procure l’option de
« dissoudre la Chambre des Représentants, par décret pris en Conseil des ministres, après
avoir consulté le Roi, le président de cette Chambre et le Président de la Cour
constitutionnelle ».

En effet, l’article 104 ne s’applique qu’à l’hypothèse d’un refus de confiance exprimé
dans le cadre de l’article 103 à l’initiative du gouvernement, mais en réalité, rien n’oblige à
limiter le champ d’application de l’article 104 à cette hypothèse 4. Ce qui est à constater après
l’analyse du contenu de ces articles, c’est que le pouvoir royal reste persistant et dominant.

L’élargissement des compétences du parlement est allé jusqu’au domaine des traités
internationaux, longtemps réservé à la compétence du Roi. D’après l’article 55 de la
constitution de 2011, l’approbation préalable du parlement dont les traités demandant
l’engagement des finances de l’Etat, s’ajoute « les traités de la paix et d’union, ceux relatifs à
la délimitation des frontières, les traités de commerce (…) », ou ceux dont l’application
nécessite des mesures législatives, ainsi que, ceux relatifs aux droits et libertés individuelles
ou collectives des citoyens. Le pouvoir de ratification du roi est -pour la première fois- limité,
dés lors que ces traités doivent être soumis à l’approbation préalable du parlement. Il s’agit

1
- Il s’agit des titres de 100 à 106.
2
- MAUS, Didier, L’exécutif dans la Constitution marocaine de 2011, Lextenso, 2012, p. 77.
3
-Article 103 de la Constitution de 2011 dispose que : « Le Chef du gouvernement peut engager la responsabilité
du gouvernement devant la Chambre des Représentants, sur une déclaration de politique générale ou sur le vote
d’un texte ».
4
- MAUS, Didier, L’exécutif dans la Constitution marocaine, op.cit, p. 77.

50
des traités très importants dans la mesure où ils concernent l’assise territoriale du royaume,
les droits et libertés des citoyens, la paix et la sécurité du pays et les finances de l’Etat 1.

La Constitution de 2011 a traité de la création du gouvernement, des ministres et a


consacré dans quelques articles un nouvel aspect consacré au roi. Il s’agit de la double
filiation de ces pouvoirs. D’une part, l’alinéa 3 de l’article 47 prévoit que le roi peut prendre
l’initiative de mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement. Il le
fait après consultation du chef du gouvernement et avec son contreseing. D’autre part, l’alinéa
4 prévoit la procédure inverse, c'est-à-dire, que le Chef du gouvernement peut à son tour,
prendre l’initiative de demander au roi de mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs
membres du gouvernement.

Partant de ces deux dispositions, il est à constater que le droit de révocation des
membres du gouvernement appartient toujours au Roi, du moment où il y aura un recours en
fin de compte à ce dernier. Le fait que si le roi prend l’initiative de provoquer la révocation
d’un ou de plusieurs membres du gouvernement, il ait besoin non seulement de consulter le
chef du gouvernement mais de son contreseing, limite ipso facto l’autonomie du monarque 2.

Dans la nouvelle constitution, l’alinéa 5 de l’article 47 a évoqué la situation où un ou


plusieurs membres du gouvernement présentent leur démission. Le Chef du gouvernement,
dans ce cas, « peut demander » au roi de signer le dahir mettant fin aux fonctions des
intéressés. L’utilisation de cette expression indique que le Chef du gouvernement n’est pas
obligé d’accepter la démission individuelle ou collective des membres du gouvernement, il
peut tenter de les convaincre d’y renoncer ou il peut, dans des circonstances très particulières,
la refuser pour des raisons de conjoncture ou d’urgence 3.

Concernant le Conseil du gouvernement, l’article 92 a affirmé une nouveauté dans la


Constitution de 2011, par la création sous la présidence du Chef du gouvernement, d’un
Conseil qui délibère sur « la politique générale de l’Etat avant sa présentation en Conseil des
ministres ; la politique publique, les politiques sectorielles ; l’engagement de la responsabilité
du gouvernement devant la Chambre des Représentants ; la question d’actualité liées aux
droits de l’Homme et à l’ordre public ; les projets de lois (…) ; les décrets lois … ». Le

1
- IHRAI, Saïd, Le Droit International et la nouvelle Constitution, Lextenso, 2012, p.175.
2
- MAUS, Didier, L’exécutif dans la Constitution marocaine de 2011, op.cit, p.75.
3
- Idem, p. 76.

51
dernier alinéa de cet article dispose que : « Le Chef du gouvernement informe le roi des
conclusions des délibérations du Conseil du gouvernement ». Sur ce point, il est à constater
une certaine ambiguïté, due à l’absence de clarté des effets qui en découlent après cette étape
d’information.

Quant au Conseil des Ministres, en comparant l’article 92 qui énumère les questions et
les textes que le Conseil du Gouvernement peut y délibérer, l’article 49 de la constitution
2011 est venu pour élargir ceux du Conseil des ministres. Cet article dispose que : « Les
orientations stratégiques de la politique de l’Etat ; les projets de révision de la Constitution ;
les projets de lois organiques ; les orientations générales du projet de loi de finances ; les
projets de loi-cadre visés à l’article 71 (2ème alinéa) de la présente Constitution ; le projet de
loi d’amnistie ; les projets de textes relatifs au domaine militaire ; la déclaration de l’état de
siège ; la déclaration de guerre ; le projet de décret visé à l’article de la présente Constitution ;
la nomination, sur proposition du Chef du Gouvernement et à l’initiative du ministre
concerné, aux emplois civils de Wali de Bank Al Maghrib, ambassadeur, wali et gouverneur,
et responsables des administrations chargées de la sécurité intérieure, ainsi que les
responsables des établissements et entreprises publics stratégiques. Une loi organique précise
la liste de ces établissements et entreprises stratégiques ».

Parmi les nouveautés de la constitution 2011, il est opportun de signaler son


engagement à accorder aux conventions internationales (traités), la primauté sur le droit
interne. L’article 6 affirme les principes de constitutionnalité, de hiérarchie et d’obligation de
publicité des normes juridiques. Plusieurs dispositions renvoient, soit à la constitution :
(article 18, 19, 27 et 23) ; soit à des lois organiques, (article 7, 10, 14, 15) : partis politiques,
opposition parlementaire, propositions législatives présentés par des citoyens, ou pétitions)
soit à la loi (syndicats, accès aux médias publics, libertés et droits fondamentaux, droits de la
femme, droit à la vie et droits politiques, etc … . D’autres dispositions sont relatives au
règlement intérieur des chambres du parlement, aux décisions de justice, à la conformité avec
les normes internationales et les principes démocratiques 1.

1
- MOULAY RACHID, Abderrazak, Regards croisés au Maroc sur le rang hiérarchique des normes
internationales relatives aux droits de l’Homme, Publisud, 2012, p. 642.

52
C’est dans cet esprit de démocratisation du référentiel constitutionnel, que la Cour
Constitutionnelle a été installée en remplacement du Conseil Constitutionnel (article 177) 1. En
dépit de toutes ces innovations, l’institution monarchique est demeurée centrale au cœur du
système.

PARAGRAPHE 2 : LA MONARCHIE, UN LEADERSHIP POLITIQUE ET RELIGIEUX

Conforme à une tradition bien marocaine, la monarchie marocaine, pour moderniste


qu’elle peut paraître, puise ses fondements dans le champ religieux, mettant en valeur la
religion et les droits de la femme 2. La Constitution de 2011 dans son préambule, confirme que
le Maroc est un « Etat Musulman Souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité
territoriale … ».

Dès son deuxième Discours du 20 août 1999, Le roi a fait constamment référence aux
énoncés de son défunt père, s’est réclamé « Fidèle à la voie Hassanienne, attaché à la Bay’a 3
qui nous engage et qui t’engage, Bay’a qui s’inscrit en droite ligne de celle qui l’ont précédée
durant plus de douze siècles, qui puisse sa substance dans le Livre Saint et la Tradition du
Prophète, et qui est intimement liée à la Constitution marocaine ». Confirmé de plus et dans le
texte de la Constitution : « Le Roi, Amir Al Mouminine, est le Représentant suprême de la
Nation, le symbole de son unité, le Garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat, de la
sauvegarde de la religion, de la patrie et de l’unité du Royaume à l’intérieur de ses frontières
authentiques, …».

1
- A ce propos, le Conseil Constitutionnel a rendu deux dernières décisions portant sur la loi organique n° 27-11
relative à la chambre des représentants (décision n° 817/2011) et la loi organique n° 29-11 sur les partis
politiques (décision n°818/2011), dans l’attente des exceptions d’inconstitutionnalité soulevés au cours d’un
procès (article 133). Voir EL FADICI, Mohamed, L’élargissement de la saisine du conseil constitutionnel :
L’instauration d’une procédure de renvoi d’une question préjudicielle de constitutionnalité des juges ordinaires
au conseil constitutionnel, REMALD, n° 97-98, p. 29.
2
- Hassan II s’est attelé, dès son intronisation, à la restructuration de l’institution religieuse en réorganisant le
ministère des Habbous et des Affaires Islamiques, le Conseil des Oulémas, en créant Dar el hadith el hassania
pour la formation des oulémas en encourageant l’édition du Coran (Moushaf hassani) et sa diffusion à travers le
monde, la réédition de plusieurs ouvrages anciens traitant du rite malikite, la création de plusieurs prix pour la
meilleure psalmodie du Coran et la calligraphie islamique. Ou encore son geste inhabituel en terre d’Islam, le roi
a invité une femme à prendre la parole à l’occasion de l’inauguration de la mosquée Hassan II à Casablanca le 30
août 1993 ; Il s’agit d’Amina El Mrini, qui a été lauréate d’un concours de poésie organisé à l’occasion de
l’édification de cette mosquée. Voir TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante : foi, sagesse et
courage – Mohammed V, Hassan II, Mohammed VI, Maghrébines, 2013, p. 103.
3
- Allégeance.

53
La Constitution de 2011 n’a pas apporté de nouveau sur ce point. Elle a repris le
contenu de l’article 19 de la Constitution de 1996, mais en remplaçant l’expression « Amir Al
Mouminine » par « Chef de l’Etat »1 (article 42). Cette modification n’a pas supprimé
totalement ce titre, puisqu’on le retrouve cité dans l’article 41 qui dispose : « Le Roi, Amir Al
Mouminine, veille au respect de l’Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes », en
ajoutant que le Roi par ce biais « préside le Conseil supérieur des Oulémas, chargé de l’étude
des questions qu’il lui soumet ».

Généralement, la question de la religion s’attache à plusieurs domaines, politique,


culturel et social. Un débat paradoxal se porta essentiellement sur la Moudawana et les Droits
de l’Homme. Ahmed Khemlichi, membre de la Commission consultative chargée de la
révision de la Moudawana a expliqué qu’il n’y a pas « (…) de distorsions entre la charia et le
droit positif. Les règles que la société érige à partir de la Chari’a 2 servent d’assisses aux textes
de loi. De ce fait, les nouvelles dispositions contenues dans le projet de la Moudawana, ne
font aucune entorse à la Chari’a islamique. Dans notre travail, nous nous sommes appuyés sur
les livres anciens du fiqh et de l’ijtihad 3 des membres de la commission. A vrai dire, ce n’est
pas la Chari’a qui représente un obstacle à la réforme des textes régissant la famille, mais le
fait de s’accrocher à certains textes du fiqh (…). Je veux dire par là, souligne Khamlichi, des
interprétations étroites à la chari’a, notifiées dans quelques livres anciens. Nous nous sommes
référés nous-mêmes à la chari’a, mais en respectant des règles et des principes rigoureux 4 ».

En revanche, Mustapha Ramid, ancien député du PJD, a affirmé qu’après que le


Maroc eût levé ses réserves relatives à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes (Convention on the Elimination of All Forms of
Discrimination Against Women-CEDAW), qu’il est « (…) impossible d’instaurer une égalité
entre les sexes dans tous les domaines. Egalité dans les droits humains, oui, mais pas question
de mélanger les genres et les rôles. On ne peut pas changer la loi sur l’héritage, par exemple.

1
- Article 42 de la Constitution de 2011 dispose que : « Le Roi, Chef de l’Etat, son Représentant suprême,
Symbole de l’unité de la Nation, Garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat et Arbitre suprême entre ses
institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la
protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au
respect des engagements internationaux du Royaume… ».
2
- Législation islamique.
3
- Doctrine.
4
- Entretien avec Ahmed Khemlichi, http://www.bladi.net/forum/12755-maroc-reforme-moudawana-statut-
personnel/.

54
Le Maroc est un Etat musulman, selon la Constitution même, et personne, quel que soit son
rang, n’a le droit de mettre en cause la loi coranique 1».

Peut-on penser que la religion va être dépassée un jour pour garantir les droits à la
femme, notamment en matière successorale ? Et est ce qu’on peut recourir à une révision
concernant les droits acquis dans le texte de la Constitution 2?

Plus particulièrement, la Constitution de 2011 a soulevé la question de la place


accordée à la femme. Elle est devenue frappante, d’un côté, par rapport aux textes
constitutionnels précédents3, et des conventions internationales ratifiées par le Maroc, d’un
autre côté4.

Dans la perspective du "nouveau Maroc", un pays de droit et de démocratie, le roi a


soutenu fortement les droits de la femme. Pour sa part, il s’interroge « comment espérer
atteindre le progrès et la prospérité alors que les femmes, qui constituent la moitié de la
société, voient leurs intérêts bafoués, sans tenir compte des droits par lesquels notre sainte
religion les a mises sur un pied d’égalité avec les hommes, des droits qui correspondent à leur
noble mission, leur rendant justice contre toute iniquité ou violence dont elles pourraient être
victime 5».

Ainsi, pour élargir l’étendue des droits de la femme, la Constitution de 2011 ne s’est
pas limitée aux droits politiques, mais elle est allée aux droits économiques, culturels et
sociaux. L’article 19 dispose, à cet égard, que : « L’homme et la femme jouissent, à égalité,
des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et

1
- Mustapha Ramid, cité par MDIDECH, Jaouad, Egalité hommes-femmes, jusqu’où le Maroc peut-il aller ?, in
La vie économique, 30 Décembre 2008.
2
- L’article 175 de la Constitution de 2011 dispose qu’ : « Aucune révision [de la Constitution] ne peut porter
(…) sur les acquis en matière de libertés et de droits fondamentaux inscrits dans la présente Constitution », en
précisant que la révision ne peut concerner « (…) les dispositions relatives à la religion musulmane… ».
3
- « On dénombre une vingtaine d’occurrences qui font directement référence à la femme… on relève que le mot
« femme » est cité quatre fois, contre une fois dans la Constitution de 1996, et que le terme de « citoyennes »,
absent de tous les textes précédents, est cité dix-neuf fois ». Voir AOUCHAR, Amina, L’égalité entre les
hommes et les femmes, Lextenso, p. 264.
4
- L’article 19 de la constitution de 2011 dispose: « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et
libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent
Titre (Titre II) et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes
internationaux dûment ratifiés par le Maroc ».
5
- Discours du 49ème anniversaire de la « Révolution du Roi et du Peuple », le 20 août 1999.

55
environnemental … ». Cet énoncé relève une nouveauté dans cette constitution, contrairement
à celle de 1996 qui s’est limitée de signaler que : « Tous les Marocains sont égaux devant la
loi » (article 5), ou encore « l’homme et la femme jouissent de droits politiques égaux »
(article 8).

Selon les articles 12, 13 et 139 de la Constitution de 2011, on peut remarquer


également l’élargissement des droits de la femme en matière législative. Il s’agit à la fois des
droits de pétitions aux autorités et d’avancer des propositions en matière législative. L’article
27 affirme que les citoyennes jouissent des droits égaux à ceux des citoyens, elles sont
électrices, éligibles et ont droit d’accès à l’information1. Dans le même sens, l’article 154 de
la constitution de 2011 dispose que « les services publics sont organisés sur la base de l’égal
accès des citoyennes et citoyens (…) », chose qui n’était pas précise au niveau de l’article 12
de la constitution de 1996 qui dispose que « Tous les citoyens peuvent accéder, dans les
mêmes conditions, aux fonctions et emplois publics ».

Dans cette optique, la constitution de 2011 est survenue pour confirmer des droits
existants et innover pour d’autres, au de la femme, sur un pied d’égalité avec l’homme. Une
idée confirmée par les dispositions de l’article 31 de la constitution de 2011, qui énumère de
nombreux droits que la femme en égalité avec l’homme peut en jouir ; Notamment le droit :
« Aux soins de santé, à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité
mutualiste et organisée par l’Etat, à une éducation moderne, accessible et de qualité, à
l’éducation sur l’attachement à l’identité marocaine et aux constantes nationales immuables, à
la formation professionnelle et à l’éducation physique et artistique, à un logement décent, au
travail et à l’appui des pouvoirs publics en matière de recherche d’emploi ou d’auto-emploi, à
l’accès aux fonctions publiques selon le mérite, à l’accès à l’eau et à un environnement sain,
au développement durable ».

En matière électorale, l’article 11 garantit que : « les élections libres, sincères et


transparentes constituent le fondement de la légitimité et la représentation démocratique. (…)
Les pouvoirs publics mettent en œuvre les moyens nécessaires à la promotion de la
participation des citoyennes et des citoyens aux élections ».

1
- L’article 27 de la constitution de 2011, dispose que : « les citoyennes et les citoyens ont le droit d’accéder à
l’information …. ».

56
Par ailleurs, l’article 19 dispose que : « l’Etat œuvre à la réalisation de la parité entre
les hommes et les femmes », et à cet effet, une autorité a été créée pour lutter contre toute
forme de discrimination de la femme 1 ; Il s’agit de "l’Instance de la parité et de lutte contre
toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme". Elle a été créée en vertu dudit
article de la présente constitution, en ayant pour objectif la réalisation de la parité entre les
hommes et les femmes2.

1
- « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique,
social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution,
ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des
dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L’Etat marocain œuvre à la réalisation de
la parité entre les hommes et les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre
toutes formes de discrimination ». Article 19 de la constitution 2011.
2
- Cette instance est chargée de la lutte contre les inégalités et les discriminations des femmes. L’article 164 de la
constitution de 2011 précise que : « L’autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes formes de
discrimination, créée en vertu de l’article 19 de la présente Constitution, veille notamment au respect des droits
et libertés prévues audit article, sous réserve des attributions dévolues au Conseil national des droits de
l’Homme ».

57
CHAPITRE II

UN PROCESSUS ELECTORAL COMME APAISEMENT SOCIAL

Les manifestations de rue menées principalement par le Mouvement 20 février et ses


suppôts associatifs et institutionnels, ont fini par créer un sentiment d’attente qui s’installe à
défaut de changements brutaux. Ni les manifestants n’ont dégagé un cahier revendicatif
finement élaboré pour convaincre, ni l’Etat n’a usé de ses moyens pour stopper l’élan
protestataire. Pour donner un sens à cette ambiance malsaine, le roi a pris les devants en
proposant un large front de changements institutionnels à commencer de la constitution avec
la promesse d’introduire un régime parlementaire. Il se dessine à l’horizon de nombreuses
échéances électorales.

SECTION 1 : RENOUVELLEMENT DU PERSONNEL POLITIQUE COMME


REPONSE AUX VŒUX DE CHANGEMENT

A partir des années 90, le régime a adopté une politique de compromis en augurant des
négociations informelles avec différents acteurs politiques 1, dont l’objectif était de créer une
nouvelle relation entre la monarchie et les chefs d’opposition, dans le cadre de ce qu’on a
appelé un « pacte politique »2. Ce pacte n’a pas nécessité de conférence nationale. Il a épousé
la forme de communications particulières au Makhzen : signaux codés, travail par émissaires

1
- A partir des années 90, le régime politique fut amené à ouvrir de nouvelles possibilités aux partis d’opposition
pour l’accès au gouvernement, ce qui a abouti à « une alternance gouvernementale ». En 2002, cette expérience a
été freinée par la nomination d’un premier ministre technocrate. A propos des partis politiques, Laroui expliquait
que « L’image actuelle de la gestion politique du parti, ainsi que celle du processus électoral ou celle de
l’accession à des positions de responsabilité gouvernementale, ne semblent pas aller dans le sens d’une symbiose
entre la responsabilité politique et l’idéologie du parti. Ceci se reflète dans l’incapacité du responsable du parti
de disposer des armes nécessaires pour engager une bataille quelconque sur le plan politique. Il en sera toujours
ainsi tant que celui qui élabore les orientations idéologiques et politiques du parti, n’est pas celui qui négocie et
discute avec les détenteurs du pouvoir et n’est pas celui qui prend les décisions et nomme les responsables aux
postes de responsabilité. Dans une telle situation l’image actuelle des partis politiques est celle des secrétaires
des sultans qui écrivent pour l’histoire et s’adresse à un peuple imaginaire ».
12.‫ ص‬,‫ المركز الثقافي العربي‬,2888-2891 ‫ يوميات‬،‫ حجرة في العنق‬,‫ خواطر الصباح‬,‫عبد هللا العروي‬

2
- Un pacte politique est défini comme « un accord explicite, mais non toujours interprété ou justifié
publiquement, entre un ensemble défini d’acteurs et tendant à définir (ou, mieux, à redéfinir) les règles l’exercice
du pouvoir sur la base de la garantie mutuelle des intérêts vitaux de chaque partie. Au cœur de ce pacte réside un
compromis négocié par lequel chaque partie accepte de ne pas utiliser, ou à tout le moins, de sous-utiliser sa
capacité à porter atteinte à l’autonomie organisationnelle ou aux intérêts vitaux des autres… ».

58
interposés, nominations dans les cercles extérieurs du sérail (les Conseils Supérieurs de la
Jeunesse, des Droits de l’Homme…)1.

Dans cette perspective, il est à rappeler que les élections étaient une condition
indispensable pour la mise en œuvre de l’ouverture du système politique marocain. L’analyse
du concept d’« élections » est liée instantanément à l’étude du contenu empirique du pouvoir,
et par conséquent la nature des enjeux politiques au Maroc. Selon Tozy, cela se traduit par un
déphasage constant entre le signifiant et le signifié, entre l’impression de réalité et la réalité 2.
En d’autres termes, il s’agit pour nous d’analyser les différentes orientations de la relation
entre monarchie/acteurs politiques, pouvoir/politique, élection/leadership…, en faisant
référence à la sémiologie de la notion du « pouvoir », parce qu’il s’agit d’une domination
symbolique plus qu’une domination territoriale.

PARAGRAPHE 1 : PORTEE POLITIQUE DU TEMPS ELECTORAL

Les élections sont un moment fondateur de la démocratie, mais leur nature diffère en
fonction des systèmes politiques et de leur histoire. Rémy Leveau a défini les « élections »,
comme un moment de rénovation qui permet une recomposition partielle de la classe
politique, un renouvellement des élites dans les partis traditionnellement liés au Makhzen, et
une intégration par le biais du gouvernement d’alternance de l’ancienne opposition Makhzen 3.

Pour Tozy, les élections constituent « les explications en terme de libéralisation ou de


démocratisation ne rendant pas compte des dynamiques en cours et encore moins des
indicateurs contradictoires qui informent autant sur des avancées que des régressions 4 ». Il
considère « le moment électoral "comme" une occasion intéressante pour observer ces
dynamiques contradictoires et proposer une modalité d’évaluation des changements en cours
qui ne se réduit pas à un jugement tranché sur la réussite ou l’échec d’une transition ». Ainsi,
le système politique marocain serait un système "ambivalent" présentant une « configuration

1
- TOZY, Mohamed, Elections au Maroc entre partis et notables 2007-2009 (sous la direction de), Najah Al
Jadida, 2010, p.12.
2
- Préface de Mohamed Tozy, in CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc ?, Najah Al Jadida, 2011, p. 16.
3
- LEVEAU, Remy, Le fellah marocain au service du trône, PFNSP, Paris, 1976, in TOZY, Mohamed, Elections
au Maroc, op.cit, p. 15.
4
- TOZY, Mohamed, Les élections législatives au Maroc : processus de libéralisation et/ou dynamique de
redéploiement autoritaire ?, in TOZY, Mohamed, Elections au Maroc, op.cit, p. 15-16.

59
quelque peu nouvelle où les élections représentent un enjeu réel pour accéder aux cercles de
cooptation, voire pour peser sur des décisions de gestion courante des affaires publique 1».

Dans ce cas, les élections "ne mettent pas en compétition" des projets politiques ou des
choix de sociétés. « La monarchie a décidé d’infléchir son mode de gouvernance dans le sens
d’une prise en compte du rapport de causalité entre les expressions des opinions publiques et
les choix des politiques à appliquer ; (…) les élections contrairement à ce qui a été dit ne
représentent pas un vrai test pour le pouvoir aussi bien dans le sens et encore moins pour
évaluer l’ampleur du risque islamiste et la capacité du système à en maîtriser ou non
l’expansion 2».

El Ouazzani pour sa part, considère que si la démocratie a ses débuts, était liée à l’idée
de représentation, « l’élection qui en est le corollaire, n’a pas, elle, toujours été synonyme de
démocratie ». « Dans les pays en développement où l’Etat-nation est toujours en cours de
construction et où l’institutionnalisation n’est que partiellement accomplie, cette question
revêt un aspect autrement plus aigu puisqu’elle concerne aussi bien la problématique de
l’institutionnalisation que celle de l’intégration de l’individu citoyen à sa communauté
nationale. (…). Les élections constituent également « un procédé par lequel les citoyens
affirment leur souveraineté et découvrent qu’ils appartiennent à une communauté nationale,
plus large que les groupes primordiaux tels que la famille, la tribu ou la paroisse 3». En effet,
« en matière de démocratie et surtout en matière d’élection, c’est … une question
d’apprentissage et d’accoutumance 4».

D’ailleurs, l’élection sur le plan concret et simple, constitue un acte juridique de nature
collective, un contrat politique par lequel une population concernée désigne ses représentants
par le vote de sa majorité, tout en leur transférant une légitimité exigée pour l’exercice du
pouvoir attribué à la fonction ainsi occupée5. En contrepartie, l’élu s’engage à représenter les

1
- Ibidem.
2
- Ibidem, (une version plus courte de ce texte a été publiée en anglais en 2008, Voir « Morocco’s Elections
Islamists, technocrats and the Palace », Journal of Democracy, Volume 19, Number 1 January 2008, National
Endowment for Democracy and The Johns Hopkins University Press.
3
- EL OUAZZANI, A., Elections, intégration nationale et apprentissage de la démocratie, Najah Al Jadida, 2010,
p.14.
4
- Ibidem
5
- ALLAOUI, Omar, Election et production des élites locales (cas d’Ait Ourir), Najah Al Jadida, 2010, p. 72.

60
intérêts de ses électeurs, à les défendre et à essayer de satisfaire leurs besoins 1. Dans son
discours du 06 novembre 2005, le roi a annoncé quatre décisions ; la mise en œuvre par la loi
23-06 modifiant le code électoral en fait partie.

Sur le plan constitutionnel, les élections « libres », « sincères et transparentes »


constituent « le fondement de la représentation démocratique »2. Ce qui affirme que le Maroc
est une monarchie constitutionnelle basé sur un mode de suffrage universel, qui désigne les
représentants (deux chambres depuis la constitution de 1996), qui votent la loi. Le
multipartisme constitue une option qui garantit cette ouverture démocratique3, même si on
reste encore dans l’évolutif, le mouvant et le composite : une démocratie royale, c’est-à-dire
subjuguée par le roi, sous couvert de démocratie parlementaire 4.

En effet, cette conception est due historiquement, à la relation de "rivalité" entre la


monarchie et les partis nationalistes de l’opposition (l’Istiqlal et l’USFP) sur la question de
l’exercice du pouvoir durant les années 60 et 70, qui a enregistré une mutation profonde aussi
bien dans sa forme que dans son contenu5.

Pour ce faire, nous considérons nécessaire de revenir sur la naissance des formations
politiques au Maroc, leurs parcours et référentiels idéologiques, avant d’examiner et
comprendre leurs comportements sur la scène politique.

A- LES HERITIERS DU MOUVEMENT NATIONAL

Le parti de l’Istiqlal (l’Indépendance) est considéré comme le plus ancien parti


marocain qui englobait en son sein, les membres de l’ex-parti national et l’élite nationaliste
des années 50 et 60. Sa création remonte au début des années trente, juste après la guerre du

1
- Ibidem.
2
- Article 11 de la constitution de 2011.
3
- A propos du rôle des partis politiques, l’article 7 de la constitution de 2011 dispose que : « Les partis
politiques œuvrent à l’encadrement et à la formation politique des citoyennes et des citoyens, ainsi qu’à la
promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques. Ils concourent à
l’expression de la volonté des électeurs et participent à l’exercice du pouvoir, sur la base du pluralisme et de
l’alternance par les moyens démocratiques, dans le cadre des institutions constitutionnelles … ».
4
- CUBERTAFOND, Bernard, La vie politique au Maroc, op.cit, p.2.
5
- TOZY, Mohamed, Les élections législatives au Maroc, op.cit, p. 49.

61
Rif1. En 1944, le parti a mené une action importante qui s’est articulée autour de cinq
principales idées 2 : l’indépendance ; la liberté et le développement du citoyen marocain ; la
reconstruction du pays sur des bases islamiques ; l’instauration d’une monarchie
constitutionnelle et démocratique ; et le développement de la coopération internationale.

Les membres du PI étaient en majorité d’extraction bourgeoise. A ce propos, Palazzoli


distingue trois types de bourgeoisies ; la bourgeoisie traditionnelle des villes du Nord,
notamment de Fès qui était représentée par Allal Al Fassi. La bourgeoisie commerçante
moderne, représentée par Omar Ben Abdeljalil et Ahmed Balafrej. Enfin, une bourgeoisie
modeste des jeunes intellectuels de gauche. En 1945, ce parti s’est orienté vers une nouvelle
structure pour réussir ses objectifs, en mobilisant les masses populaires à travers l’instruction
civique et l’éducation politique 3.

Déjà au lendemain de l’indépendance, le PI s’est trouvé en situation délicate face à la


monarchie. Cette opposition s’est manifestée dans la volonté du parti à dominer la conduite
des affaires du pays, alors que le Roi (Mohammed V à l’époque) entendait contenir
l’influence du parti et si possible le refouler dans l’ombre4. Dans ce sens, Camau expliquait
qu’« effectivement, le parti a tenté de contrôler les leviers de commande de l’Etat et de briser
les résistances qu’il rencontrait chez une partie de la population, tout en ménageant la
personne du Roi. Mais, il s’est laissé enfermé dans un système de gouvernement tel que sa
participation au pouvoir loin de l’unifier et de le consacrer comme parti dominant, a exacerbé
ses dissensions internes et favorisé l’émergence d’autres forces. Pratiquant un
parlementarisme sans parlement, Mohammed V est parvenu progressivement à neutraliser
l’Istiqlal, d’une part, en l’associant au pouvoir sans le lui abandonner et, d’autre part, en lui
promettant la monarchie constitutionnelle sans la réaliser 5».

En 1959, le parti a connu une scission interne et l’Union nationale des forces
populaires (UNFP) vit le jour. Un nouveau levier du mouvement national est né. A cause de

1
- Il s’agit du soulèvement pendant les années 1920, des populations du Nord du Maroc contre l’Espagne. Une
résistance menée par Abdelkrim El Khattabi, et qui avait pour objectif l’autonomie du Rif et l’instauration d’une
république berbère dans le Nord du pays.
2
- REZETTE, Robert, les partis politiques marocains, Thèse de doctorat en droit, Université de Bordeaux, 1955.
3
- PALAZZOLI, C., le Maroc politique de l’indépendance, Sindbad, 1973, p. 302.
4
- Ibidem, p. 135.
5
- CAMAU, Michel, Pouvoirs et institutions au Maghreb, Cérès, 1978, p. 333.

62
sa désorganisation, et du fait qu’il rechigne à coopérer avec la monarchie, il n’a pas pu résister
longtemps sur la scène politique, faute de moyens. Cette rétrogradation jeta le parti dans une
léthargie qui s’est traduite en une nouvelle scission en 1974, et qui a donné naissance un an
après, à l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP).

Quant au Mouvement populaire (MP), il représente des notables berbères basés au Rif
et dans le Moyen Atlas. Il a été lancé tant bien que mal en 1957. Ce parti a défendu l’égalité
des races et le développement des paysans berbères, grâce à son leader Mahjoubi Aherdane.
Selon qui, « le Maroc a une richesse nationale qui est d’essence berbère, son ossature est
berbère, sa personnalité, sa culture, sont berbères 1 ». Il a défendu le particularisme
berbérophone et paysan de son parti, en déclarant en 1964 : « Qui dit paysan, dit pauvre, notre
idéologie est représentative de la classe que nous défendons 2 ».

De son côté, le Parti du progrès et du socialisme (PPS) a été crée en 1974, prenant
suite du Parti de Libération et du Socialisme (PLS), qui a succédé au Parti Communiste
Marocain (PCM)3, et qui a connu de longs moments d’ostracisme et d’interdiction.

Le PCM a été marqué par sa volonté de mettre fin au fascisme en Europe, dans le
cadre du mouvement communiste international, et sa revendication de l’indépendance du
Maroc. Il a été mené par Ali Yata, un parti communiste qui a connu beaucoup de soubresauts
tout au long de son parcours d’autant plus qu’il revendique son identité musulmane 4.

L’Organisation de l’action démocratique et populaire (OADP) est issue du


Mouvement National en 1983. En tant que parti de gauche, elle a rejoint le Parti de l’Istiqlal
et l’USFP, comme elle a partagé avec le PPS le principe du marxisme léninisme. Elle puisse
son substrat idéologique aussi bien dans le « frontisme » des années 70 que dans le
panarabisme nassérien et baâthien qu’il partage avec l’UNFP.

1
- EL BENNA, A., Les partis politiques au Maroc, la société civile au Maroc, SMER, 1992, p. 143.
2
- PALAZZOLI, C., le Maroc politique, op.cit, p. 181.
3
- Le Parti Communiste Marocain a été crée en 1943.
4
- Selon Palazzoli, la doctrine communiste Comporte partout une lutte systématique contre les institutions
religieuses.

63
B- LES NOUVEAUX PARTIS LIES A L’ADMINISTRATION

Dans cette catégorie de partis, on citera le Rassemblement National des Indépendants


(RNI), le Parti d’Union constitutionnelle (PUC), et le Parti National Démocratique (PND).
Grâce aux élections communales de 1976 et aux législatives de 1977, le Rassemblement
National des Indépendants a raflé la mise au détriment des partis du mouvement national. Son
principal objectif était « la sauvegarde et la consolidation » des acquis qui englobent « les
fondements de la nation, symbolisés par la monarchie constitutionnelle, les institutions
démocratiques et les libertés publiques, la culture nationale et la personnalité marocaine qui
sont, à leur tour, la meilleure protection de la patrie et des citoyens contre les idées et les
courants destructeurs… 1».

Un tel principe a fait de lui un parti « centriste, réformateur et moderniste, tout en se


rangeant délibérément sous la bannière du Hassanisme 2 ». Des divergences ont très vite éclaté
en son sein, lorsqu’une fronde a éclaté sous la férule d’Abdelkader Benslimane qui défend le
camp des ruraux marginalisés contre celui d’Osman plus bourgeois et citadin.

Son incapacité à préserver son unité a donné naissance à un nouveau parti. Il s’agit du
Parti National Démocratique (PND), en 1982. A la faveur des élections de 1983, le Parti de
l’Union Constitutionnelle a été crée sous la houlette de Maâti Bouabid. Il se déclara comme
un défenseur « des intérêts réels des couches modestes et défavorisées des campagnes et des
villes, des périphéries de villes, des quartiers populaires, enfin là où le développement
économique et social du pays n’a pas encore porté les fruits qui en étaient légitimement
attendus 3».

A partir de cette esquisse d’histoire politique marocaine, nous pouvons affirmer que le
Maroc a connu un réel multipartisme, menant un combat sur le front idéologique aussi loin
que possible du débat sur la "religion" 4. Un champ politique diversifié qui défendait le
mouvement national et la monarchie à la fois, aurait pu faire du Maroc une démocratie si ce

1
- La grande Encyclopédie du Maroc, Tome consacré aux institutions, 1986, p. 99. (Ministère de l’information).
2
- AL BENNA, A., Les partis politiques au Maroc, op.cit, p. 154.
3
- Ministère de l’information, La grande Encyclopédie du Maroc, Tome consacré aux institutions, 1986, p. 100.
4
- Le Parti de l’Istiqlal (PI) fait de l’islam et de la culture arabo-islamique des principes fondamentaux dans leurs
projets politiques. Quant aux partis du gauche, l’UNFP, l’USFP, et le PPS. Ils ont utilisé la religion en tant
qu’élément défenseur dans un champ à dominante religieuse. Voir El BENNA, A., Les partis politiques au
Maroc, op.cit, p. 150.

64
n’étaient les vicissitudes du politique et l’incapacité de trouver un compromis sur l’exercice
du pouvoir.

De nombreux mémorandums portant sur la réforme constitutionnelle ont été présentés


par les partis de l’opposition. Ces mémorandums ont constitué le support principal de
communication avec le Palais 1. Dans le cadre des tractations entre le Palais et les partis de la
Koutla, il est à relever que cette période du règne d’Hassan II a été une étape charnière pour le
Maroc d’aujourd’hui. Avec des réformes progressives mises en place ; le Conseil consultatif
des droits de l’Homme (Avril 1990), les tribunaux administratifs (Septembre 1994), la
création du Conseil constitutionnel (Février 1994) et le Conseil consultatif pour le suivi du
dialogue social (Novembre 1994), outre la libération des prisonniers de Tazmamart, le retour
des exilés… .

Au cours de ces années de transition, le PJD se préparait à l’ombre pour réussir les
élections législatives qui suivirent en profitant d’un ensemble de facteurs, aussi bien que sur
le plan national qu’international. Nous pourrions ainsi résumer cette évolution en trois
périodes de formalisation de l’idéologie du PJD2 :

La première est celle qui peut être qualifiée de « putschiste » entre 1970-1975, quand
la Chabiba islamiyya durant les années de plomb au Maroc s’est radicalement positionnée par
rapport au régime politique, aux partis politiques et à la pratique de l’islam 3. Elle a considéré
que les partis politiques ne disposaient d’aucune autonomie vis-à-vis du pouvoir, et que le
régime dans sa totalité était irréligieux puisque la pratique de cette religion n’existait pas dans
les faits. La deuxième période peut être nommée une « idéologie participative » 4; Elle a
débuté avec l’assassinat du leader socialiste Omar Benjelloun en 1975 5. En 1981, la Jeunesse

1
- Le premier a été présenté par les partis de l’Istiqlal et l’USFP, le Parti du Progrès et du socialisme (PPS) et
l’Organisation de l’Action Démocratique et Populaire (OADP), le 19 juin 1996. Le deuxième fut présenté par la
même Koutla.
2
- M.AMMOUR, Fouad, L’islam politique au Maroc à la lumière du printemps arabe, in Printemps arabe et
après, Annuaire de la Méditerranée 2010-2011, Al Maârif Al Jadida, 2010, p. 64.
3
- C’est avec l’expérience de la Chabiba islamiyya, au début des années 70, que l’islam politique a commencé au
Maroc.
4
- M.AMMOUR, Fouad, L’islam politique au Maroc, op.cit, p. 64.
5
- La Jeunesse islamique fut accusée par le pouvoir et les partis de gauche d’être derrière cet assassinat, le chef
historique du mouvement Abdelkader Moutii s’est exilé à l’étranger en Arabie Saoudite puis en Libye.

65
islamique a connu une scission, d’où la constitution de la « Jamâa Islamiyya »1, ancêtre du
PJD. Quant à la troisième phase, elle n’a commencé qu’à partir de l’année 1990 et continue
jusqu’à nos jours, et peut être qualifiée d’« idéologie conciliatrice » ; et certains ont vu une
négation même des principes islamiques de ce mouvement 2. La mise en œuvre de cette option
politique impose un certain nombre de conditions, notamment la création d’un parti ou, à
défaut, l’alliance avec un parti existant 3. Ainsi, dans la mesure où il s’est vu interdire la
constitution de son propre parti politique (Parti du renouveau national), le mouvement a
intégré le Parti du Mouvement Populaire Démocratique Constitutionnel, dirigé par un grand
monarchiste, Abdelekrim El Khatib. Cette alliance a duré peu de temps avant que le PJD ne
soit légalisé comme parti politique.

La première participation du PJD aux élections législatives a eu lieu en 1993


permettant au nouveau parti de faire évoluer en son sein la conception politique de la gestion
des affaires publiques.

Au cours de 1997-2011, le terrain politique était propice à une avancée timide des
islamistes (PJD). Deux éléments ont milité pour d’un côté, l’échec ou la mise en échec de la
gauche. Et d’un autre côté, le faible taux de participation aux élections 4. Ce parti a pu
parfaitement se positionner dans la scène politique en dépassant l’ambivalence entre le
politique et le religieux.

Lors du printemps arabe, le PJD a refusé de rejoindre le Mouvement du 20 février lors


ces manifestations. Mais, il a bien exploité ce contexte critique pour s’imposer et mieux
négocier son positionnement sur l’échiquier politique 5. A cet égard, il est important
d’examiner la réaction anticipative de la monarchie. En insistant sur son principal objectif de
consolider l’Etat de droit, de démocratie et développement 6, le roi a adopté une stratégie

1
- Littéralement « la communauté islamique ».
2
- M.AMMOUR, Fouad, L’islam politique au Maroc, op.cit, p. 64.
3
- Ibidem.
4
- Quelques chiffres sur les résultats des élections communales du 12 septembre 200 » : les inscrits : 14.620.937,
votants : 7.147.062, bulletins nuls : 771.578, le taux de participation est de 54% (dans les grandes villes, le taux
ne dépasse pas 37%). Voir la Gazette hebdo du 15 Septembre 2003.
5
- M. AMMOUR, Fouad, L’islam politique au Maroc, op.cit, p.65.
6
- De grands projets ont été introduits (Port Tanger Méditerranée, Marina de Casablanca, aménagement de la
Vallée du Bouregreg, les infrastructures routières, les programmes de l’INDH, le plan Azur pour le tourisme,
plan pour l’artisanat, le plan Emergence pour l’Offshoring).

66
politique qui consolide la pratique des élections. En 2002, deux grands changements macro et
micro-politique ont été instaurés ; les réformes du code électoral par l’introduction du mode
proportionnel et la législation des effets de la succession monarchique et du gouvernement
d’alternance. Ces deux réformes ont crée une nouvelle dynamique du jeu politique au Maroc.

Dés l’année 2006, la vie politique marocaine a subi un nouveau changement traduit
par le biais du code électoral mis en place pour avancer sur la voie de la démocratisation 1. Ce
code a mis en exergue un certain nombre de règles à respecter par les partis et leurs adhérents.
L’article 8 dispose qu’il faut « un engagement écrit, sous forme de déclarations individuelles
d’au moins 300 membres fondateurs pour tenir le congrès constitutif du parti ». L’article 13
précise que « pour être valablement réuni, le congrès constitutif du parti politique doit
regrouper au moins 500 congressistes fondateurs (…) répartis en fonction de leur résidence
effective dans au moins la moitié des régions du Royaume ». Tandis que l’article 21 a instauré
une rigueur dans le fonctionnement interne, en précisant que « le parti politique doit être
organisé et administré selon des principes démocratiques donnant vocation à tous les
membres de participer effectivement à la direction de ses différents organes ».

Pour favoriser l’expression de la pluralité, « l’Etat accorde aux partis politiques ayant
obtenu au moins 5% des suffrages exprimés à l’occasion des élections générales législatives
(…) un soutien annuel pour la contribution à leurs frais de gestion », et en contrepartie, l’Etat
exige la tenue d’une comptabilité dans les conditions réglementaires fixées par la loi et charge
la Cour des comptes du contrôle des dépenses 2.

D’une certaine façon, on pourrait affirmer que le roi VI a pu créer la stabilité et la


visibilité du champ politique, et apporter la garantie des droits de la femme (moudawana
2004), sa participation et sa représentativité dans les élections.

En ce qui concerne la participation et la représentativité de la femme, en matière des


élections, la loi électorale de 2008 dispose : « Il sera apporté, selon des conditions et
modalités définies par voie réglementaire, un soutien destiné au renforcement des capacités de
représentativité des femmes à l’occasion des élections générales communales et législatives
(…) ». Au niveau du texte de la Constitution de 2011, on peut se référer à l’article 6 du Titre I
qui garantit également l’égalité de la femme, et dispose que : « les pouvoirs publics œuvrent à

1
- Voir l’article 4 bis du Code électoral marocain.
2
- EL GHISSASSI, Hakim, Regard sur le Maroc de Mohammed VI, Michel Lafon, 2006, p. 93.

67
la création des conditions permettant de généraliser l’effectivité de la liberté et de l’égalité des
citoyennes et des citoyens, ainsi que de leur participation à la vie politique, économique,
culturelle et sociale ». De même, l’article 8 précise que « l’homme et la femme jouissent de
droits politiques égaux ».

D’autre part, on a pu relever que dans les dernières élections, ont été inclus dans la
liste nationale réservée aux femmes, des candidat(e)s de moins de quarante ans, afin
d’améliorer la représentativité des « jeunes »1. Des auteurs ont toutefois noté qu’il existe
plusieurs obstacles qui freinent toujours la participation de la femme à la vie politique : la
forte masculinisation des formations politiques, le fonctionnement même de la vie politique
fortement élitiste, l’absence de modèle, l’absence d’information sur les partis politiques, et la
méfiance de la population, en général, à l’égard de l’activité politique et des structures
politiques2.

PARAGRAPHE 2 : POUVOIR, MAKHZEN ET LEADERSHIP

A l’occasion de l’examen général de la situation partisane, il nous est apparu utile de


passer en revue l’étude du « leadership politique » qui nous permettra d’éclaircir des
problématiques touchant le système politique marocain ; notamment, les modalités des
élections, de distribution de l’autorité et de la prise de décision, la décadence de la
participation politique, l’absence quasi-totale du lien social entre partis politiques et citoyens,
ainsi que la montée des mouvements revendicatifs et des contestations sociales.

A- SIGNIFICATIONS ET ELEMENTS D’IDENTIFICATION

Ibn Khaldoun avait signalé le terme « dirigeants » au sens politique, en tant que
figures « exceptionnelles » qui sont essentiellement incarnés par des rois, des khalifes, des
gouverneurs, des beys…, et leur principale fonction consiste à diriger leurs peuples, gérer les
affaires de la communauté et superviser les relations internes et externes de la cité 3. Dans les

1
- AOUCHAR, Amina, L’égalité entre les hommes et les femmes dans la Constitution marocaine de 2011, in la
Revue Méditerranéenne de Droit public (RMDP), Lextenso, 2012, p. 267.
2
- NACIRI, Rabiaa, Femmes et politique : Choix de non-participation ou refus de participation, 2001, p.133-144.
3
- IBN KHALDOUN, Abderrahmane, Prolégomènes au Discours sur l’histoire universelle, Presses de
l’imprimerie Catholique, 1377.

68
aires culturelles arabo-musulmanes, l’utilisation de la notion de « leader »1 se confond
généralement avec d’autres notions comme celles de « marabout », « saint », « chef », ou
« Amghar » dont les significations peuvent désigner la chefferie, l’autorité, le
commandement2 ou même za’ama3.

Au Maroc, cette notion s’est développée avec le mouvement national en se référant au


quand on a commencé à parler des « zaâmates » ou « qiyadates ». La notion de « zaim »,
selon Waterbury, renvoie au « grand leader » ou « leader national »4. Elle recèle, ainsi, une
connotation idéologique puisqu’elle semble liée à la fonction d’« arbitrage » (Attahkim) qui
avait renforcé le pouvoir des « élites nationalistes »5. Parlant du règne d’Hassan II, « Le roi a
rejeté le rôle de leadership national et s’est refusé d’exploiter l’immense potentiel
démagogique qu’il contient. Le rôle le plus familier que le roi a adopté était celui d’arbitre,
une option plus appropriée à la société marocaine. Pour exercer ce rôle, il a été obligé de
consacrer ses énergies et sa pensée à la manipulation des élites 6».

La notion de « leadership » est définie également comme « un processus réciproque de


mobilisation, par des personnes avec certains motifs et buts, des ressources économiques,
politiques et symboliques, dans un contexte de compétition et de conflit, en vue de réaliser
des objectifs indépendants ou tenus mutuellement par les leaders et les partisans 7». La
littérature politique fonde le leadership sur l’obtention de l’adhésion volontaire de partisans
dans le cadre d’une approche « interactionniste » mettant en relation le leader, les followers et

1
- Ce terme est synonyme du “meneur” en français. Il vient de l’anglais « to lead », c-à-d, conduire, diriger. Les
équivalences en français sont nombreuses : guide, dirigent, patron, maître, responsable, commandant, caïd,
supérieur, chef, chef de bande, notable, meneur, pilote, berger, gourou (celui qui sait tout), cicérone (guide
autorisé qui explique aux touristes les curiosités d’une ville ou d’un musée), amphitryon (hôte qui offre à dîner).
Leadership, avec son suffixe "ship", indique l’état ou la condition de leader. Voir CHAHIR, Aziz, Qui gouverne
le Maroc, étude sociologique du leadership politique local, CMSC, 2011, p. 28.
2
- Le « commandement » revêt une connotation péjorative qui renvoie souvent à un lexique militaire. Les
puristes français préfèrent traduire « leadership » par « direction » même s’ils demeurent minoritaires face à une
majorité qui préfère garder le terme original en anglais. Voir CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, étude
sociologique du leadership politique local, CMSC, 2011, p. 28.
3
- "za’ama", d’où dérive le terme « zaim » peut être renvoyé à la notion du « chef charismatique », définie par
Max Webber comme une personne « exceptionnelle » dans son fameux « type-idéal » de l’autorité.
4
- WATERBURY, John, The commander of the faithful, The Moroccan Political Elite: a study of segmental
politics, New York, 1970, p. 155.
5
- CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, étude sociologique du leadership politique local, CMSC, 2011, p. 29.
6
- WATERBURY, John, The commander of the faithful, op.cit, p. 155.
7
- BURNS, J. McGregor, Leadership, N.Y: Harper and Row, 1978, p. 18.

69
l’environnement de leadership1. Certains chercheurs intéressés par l’étude de la vie politique
au Maroc, n’évoquaient pas la notion de « leadership » explicitement, ils l’ont remplacé par
d’autres termes, chef, zaim, commandeur, dirigeant, Amghar… 2.

Apparue avec le mouvement des chefs des partis nationalistes face aux forces
coloniales, cette notion demeure désormais présente, voire même imposée de plus en plus.
Après l’indépendance, le souverain a concentré tous les pouvoirs entre ses mains, en
s’appuyant sur son appareil politico-administratif « Makhzen »3 pour monopoliser le pouvoir
décisionnel et escamoter toute tentative du mouvement des nationalistes d’en disposer. Et
pour renforcer son pouvoir et contourner les nationalistes, il a rallié les notabilités locales
dans les zones traditionnellement rebelles et les centres urbains 4.

Parallèlement, le palais a mis sur pied une administration bureaucratique qui lui
permettait, entre autres, de procéder à la sélection et au recrutement des élites locales pour

1
- CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, op.cit, p. 23.
2
- A titre d’exemple, l’historien Abdellah Laroui dans ses recherches sur le mouvement national marocain, il n’a
pas évoqué le terme « leadership », et il l’a remplacé par le terme « chef ». LAROUI, Abdellah, Les origines
sociales et culturelles du nationalisme marocain, op.cit, 1971, p. 11 et 166. A l’encontre de cette idée, McGregor
Burns, dit que les deux termes ne sont pas synonymes ; le terme « chef » (Head) est dépendant des pouvoirs
émanant d’une position formelle (dissuasion), alors que le terme « leader » ne peut compter que sur l’adhésion
volontaire des partisans (persuasion). BURNS, J. McGregor, Leadership, N.Y: Harper and Row, 1978, p. 18-19.
3
- Le terme « Makhzen » signifie la Maison royale, et jusqu’au protectorat, l’appareil d’Etat. Actuellement, il
renvoie à un « mode de gouvernement des hommes » (A. Claisse), mais également à « une manière d’être et de
faire, qui habite les mots, épice les plats, qui fixe la forme et le contenu de la relation entre gouvernant et
gouvernés. TOZY, Mohammed, Les enjeux de pouvoir dans "les champs politiques désamorcés" au Maroc, in
CAMAU, Michel (dir), Changements politiques au Maghreb, CNRS, 1991, p. 61. L’auteur a également fait la
distinction entre « Makhzen » et Dar Al Makhzen », en expliquant que « … Dar Al Makhzen (…) ramène à
l’espace physique de pouvoir. Le Sultan, qui y occupe le centre, il désigne les cercles de proximité et définit la
hiérarchie des courtisans. Il est de ce fait, l’unique pour voyeur du système en symboles d’autorité et le principal
artisan de la culture politique ». TOZY, Mohamed, Monarchie et Islam politique au Maroc, Les éditions
actuelles presses de Sciences politiques, Paris, 2008, p. 42. Selon Claisse, le Makhzen est un « héritage
soigneusement maintenu, « consolidé en utilisant des ressources institutionnelles ». Jadis c’était « un ensemble
de groupes qui convergeraient vers un lieu de pouvoir », cependant « c’est davantage un pouvoir institutionnalisé
soutenu par des groupes qu’il contrôle et manipule ». Pour Santucci, « le système légal au Maroc repose sur une
hiérarchie de rationalités », et à travers lui et « avec les ressources propres de cette tradition proprement
marocaine –plus que par les relais institutionnels- que se gèrent les ambitions et les conflits et que se prennent les
décisions qui engagent ». Quant à Vermeron, cet organe est un « véritable principe d’autorité, reposant sur le
système de l’allégeance et de la soumission ». Voir par ordre CLAISSE, A., Le Makhzen aujourd’hui, in le
Maroc actuel, une modernisation au miroir de la tradition, CNRS, 1982, p. 291 ; SANTUCCI, J.C., Le Maroc
actuel…, op.cit, (en introduction), p. 9-10 ; VERMERON, P., Le Maroc en transition, La découverte, 2000, p.
18.
4
- LEVAU, Rémy, Le Fellah marocain, défenseur du trône, Fondation nationale des sciences politiques, 1976.

70
renforcer la présence du makhzen dans les communes urbaines notamment 1. Waterbury a
écrit, dans ce contexte que « Les partenaires du souverain ont changé. Au début du siècle,
c’étaient les tribus ou leurs chefs qui avaient su les dominer. A présent, les tribus ont
beaucoup perdu de leur influence et leur importance : il s’agit plutôt des groupements urbains
et, mieux encore, de l’élite dirigeante qu’elle soit urbaine ou rurale, civile ou militaire, encore
que les notables ruraux conservent de l’influence 2 ». Ces « notables » ont pu s’imposer sur le
champ politique local, en présidant les conseils des villes, et en empruntant le statut de
« représentants » de la communauté bien qu’ils soient dépourvus d’une légitimité
démocratique3.

Dès son avènement, le nouveau monarque s’est attelé prioritairement à supprimer


l’image négative du « chef autoritaire ». Convaincu par l’idée de moralisation du système
politique entaché par des pratiques despotiques (fraudes électorales, corruption, clientélisme,
népotisme…), il a concrétisé sa volonté par le limogeage de Driss Basri (ex-ministre de
l’Intérieur en 1972-1999). De nombreux présidents de conseils communaux ont été écartés,
certains furent condamnés à la prison (Slimani Abdelmoughit, ancien maire de Casablanca),
Abdelaziz Affoura4, puis fut adoptée une nouvelle charte communale, un nouveau code
électoral (2002), l’organisation des premières élections (septembre 2002), et l’approbation
d’une nouvelle loi sur les partis politiques (2004).

B- POUR UNE RENOVATION DU CHAMP PARTISAN

En fait, l’importance de l’étude de la notion de « leadership »5 constitue une condition


sine qua non d’analyse du concept des « élections », car elle permet, non seulement,
d’identifier les structures et les modalités adoptées par les acteurs dans le jeu politique, leurs

1
- CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, op.cit, p. 34.
2
- WATERBURY, John, The commander of the faithful, op.cit, p. 230.
3
- CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, op.cit, p. 37.
4
- Le premier fut l’ex-président de l’ex-CUC et directeur d’une société dans le secteur privé. Le second était
gouverneur de la préfecture Ain Sebaâ-Hay Mohammedi. Les deux ont été impliqués dans des affaires de
corruption et dilapidation de deniers publics.
5
- Vu l’importance de l’étude de la notion du « leadership », Jean McGregor Burns a fait appel aux chercheurs
d’accorder l’intérêt aux leaders politiques. Il a souligné que « Les politologues doivent mettre l’accent sur les
institutions politiques et sociales qui contribuent à faire émerger des leaders politiques, les changements générés
par leur expérience ainsi que l’éventuel impact du leadership sur la politique et sur l’histoire ». BURNS, J.
McGregor, Leadership, op.cit, p. 27.

71
stratégies, leurs discours…, mais aussi de mesurer le degré de démocratisation du système
politique donné. A ce niveau, il y a lieu de se poser deux questions, à savoir : Quelle est la
relation entre la notion de « leadership » et la prise de décision ? Dans quelle mesure peut-on
confirmer que le Parti des islamistes (PJD) représente cette notion, et par quels moyens ?

A la base de notre sujet de recherche, lié spécialement au Maroc, et dans une


temporalité marquée par les événements du « printemps arabe » (2011), nous allons se
focaliser sur l’étude de la notion de « leadership », et plus particulièrement de « leadership
politique »1 : Le cas du « Parti Justice et Développement » à Casablanca.

Ce parti, fondation du troisième âge de l’islamisme, a réussi à faire le plein de ses voix
chez ses militants2, connus pour leur probité, puis chez les sympathisants de l’opinion
publique, en faisant de l’islam une valeur ou « une composante essentielle de leur discours,
officiel ou para-officiel, que dans le cadre d’une tactique défensive, ou sous la pression d’une
clientèle toujours très attachée aux valeurs religieuses 3 ».

La première expérience parlementaire du PJD a révélé que la critique des islamistes ne


reposait pas uniquement sur l’opposition du licite et de l’illicite, elle était aussi sociale (contre
le plan d’intégration de la femme au développement, contre l’organisation du festival
Mawazine), économique (contre les ventes des boissons alcoolisées), et stratégique (contre le

1
- Le leadership politique, selon Edinger, « se distingue des autres formes de leadership par le fait qu’il renvoie
au processus par lequel les gouvernements essayent d’exercer un contrôle sur des décisions publiques. Les
leaders détiennent ainsi leur autorité légale du poste qu’ils occupent au sein des institutions politiques. Ils ont
pratiquement la possibilité de choisir entre des objectifs alternatifs et un ensemble varié d’actions politiques. Ici,
le terme "politique" établit précisément le contexte organisationnel général du leadership et renvoie,
explicitement ou implicitement, à l’Etat et aux processus politiques institutionnels ». Voir EDINGER, Lewis,
The comparative analysis of political leadership, Comparative Politics, le 17 January 1975, p. 257.
2
- Lewis Edinger a défini la notion de leadership en la liant à « la capacité d’une personne d’influer sur les
comportements des partisans de manière à les orienter vers une direction particulière ou partagée avec le
groupe ». EDINGER, Lewis, Political leadership in industrialized societies, studies in comparative analysis,
Wiley, New York, 1967, p. 67. John W. Gardner le rejoint, en considérant cette notion comme « un processus de
persuasion ou un exemple par lesquels un individu (ou une équipe de leadership) influence le groupe pour qu’il
suive certains objectifs défendus par le leader ou bien partagés par ce dernier et ses followers ». L’auteur a fait
également la distinction entre « élite » et « leadership », et affirma que le premier n’est pas approprié pour
désigner les leaders, et que ces derniers appartiennent tous à des élites ; « In any society –no matter how
democrtaic, no matter how equalitarian – there are elites in the sociologist’s sense : intellectual, athletic, artistic,
political, and so on. The marks of an open society are that elite status is generally earned, and that those who
have earned it do don’t use their status to violate democratic norms. In our society, leaders are among the many
‘‘performance elites’’. GARDNER, John W., On Leadership, Free Press, N.Y, 1990, p. 1-2-3
3
- TOZY, Mohamed, Monarchie et islam politique au Maroc, Presses de la fondation nationale des sciences
politiques, Paris, 1999, p. 133.

72
déploiement occidental dans le monde islamique) 1. Mais après avoir remporter les élections
en 1997, le PJD a adopté un discours modéré, qui s’adaptait avec la conjoncture régionale
voire internationale2. Ceci explique une autre composante du « leadership politique » qui
porte sur les caractéristiques personnelles.

Parmi les caractéristiques qui ont marqué le PJD, est celle du maintien du « lien
social », qui lui permettre d’obtenir un résultat prodigieux dans plusieurs circonscriptions
électorales. Il s’agit d’une action qui s’est traduite par le contact ininterrompu avec les
citoyens3. En développant ce point, Eugen Weber a expliqué que : « le problème n’était pas le
contenu de la propagande, mais son intensité et sa continuité. Le premier homme était une
présence permanente, quelqu’un qui pouvait vous parler et à qui l’on pouvait parler, le second
n’apparaissait que sporadiquement. La présence créait des liens de réciprocité ; les rencontres
sociales renforçaient ses liens ; les petites attentions et les rapports intéressés flattaient le
sentiment de ceux qui, par leurs coutumes, leurs manières, leur habilement, leur éducation et
parfois même leur langage formaient une classe à part (…). Ces classes désiraient ardemment
être reconnues par celles qui leur étaient supérieures, et elles savaient gré à ceux qui leur
offraient cette reconnaissance (…). Pour l’instant, ceux qui arrivaient à combiner les vertus
traditionnelles de générosité avec un certain genre de munificence publique teintée d’une
nouvelle « familiarité » plaisaient à la foule (…). Le langage politique des villes ne pouvait
susciter une réaction positive que s’il était interprété et traduit en termes plus familiers 4».

1
- JELMAD, Mohammed, Religion et politique au Maroc : Opportunisme politique et égarement idéologique,
Sala Al Jadida, 2016, p. 109.
2
- L’ancien secrétaire général de ce parti, Saad Eddine Ottmani a confirmé qu’il n’y a pas de contradictions entre
les valeurs de modernité et le référentiel religieux, mais plutôt une symbiose et une harmonie. Voir rapport
politique présenté au Conseil national le 31 décembre 2005, Collection justice et développement.
3
- Un conseiller USFP a déclaré, à propos de l’ancrage des « islamistes » que : « Quoique l’on dise, les islamistes
sont parvenus à s’implanter dans les villes et en particulier dans les quartiers défavorisés. Ils ont pris la place
qu’occupaient jadis les élus gauchistes. Les conseillers PJD qui sont représentés au sein du conseil de la ville ne
sont que la partie émergente de l’iceberg. Les politiciens qui connaissaient très bien la ville sous diront que ce
sont bel et bien les membres de l’association Al Adl Wal Ihsane qui contrôlaient l’espace social à travers
notamment leur action de proximité au profit des populations démunies (aides alimentaires, dons et prêts
« halal » sans intérêt au profit de jeunes diplômés chômeurs, soutien aux personnes âgées et handicapées, achat
de moutons à l’occasion de la fête d’al-Aid el-Kebir au profit de familles défavorisées, encadrement des jeunes
dans les "Maisons des jeunes", … . Dans la ville de Casablanca, les élus PJD emboitent le pas aux disciples de
Cheikh Yacine dont la popularité dépasse de loin celle des politiciens et des responsables les plus chevronnés qui
nous gouvernent(…) ». Ces propos ont été cités in CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, op.cit, p. 119.
4
- EUGEN, Weber, La fin des terroirs, Fayard, 1983, p. 386-387.

73
Cependant, le retour du PJD au discours religieux a été remarquable à la veille de la
vague du « printemps arabe » en 2011 ; à rappeler les discours de Benkirane 1 qui savait
toujours jouer sur le sacré, contre ce qu’il qualifiait d’habitudes makhzénniennes relatives la
cérémonie de la Bey’a (la baise main)..., mais une fois il a intégré le système politique et
institutionnelle il va rétracter ses principes. Par ces débouchés légaux, politiques et sociaux,
ce parti a répondu largement aux attentes d’une population touchée par la précarité, et pour
longtemps éloignée de la conjoncture politique. Il a pu remplir une fonction tribunicienne et
un rôle stabilisateur, en canalisant les mécontentements ou les révoltes potentielles de cette
population2.

Ces avancées n’expliquent que l’instabilité idéologique de Benkirane, manifestée dans


plusieurs occasions ; quand il n’a pas hésité à mettre en veille la référence religieuse du parti
lorsqu’il s’était agit d’alliance politique notamment avec le parti du Progrès et du Socialisme,
ou lorsqu’il s’agit de défendre son parti contre d’éventuelles accusations le rattachant à
l’extrémisme religieux, ou encore en déclarant sur la chaine Al Jazira, en 2015, qu’il était
juste musulman qui avait peine à s’acquitter de ses devoirs religieux en essayant de prendre
ses distances des frères musulmans et rejetant l’appellation islamiste à son parti, le Secrétaire
général du parti islamiste n’a pas, non plus, hésité, au cours de son allocution devant les
participants à l’université d’Agadir en Août 2016, de se dire fier de sa référence islamiste, et
d’affirmer qu’il n’est pas question pour eux de renier leurs savants et en particulier Ibnou
Taymiya, dont il n’ignore, sûrement pas, que les théories constituent la principale source
d’inspiration du wahhabisme –à l’origine de l’extrémisme religieux- qui a été exclu, par les
participants à la conférence de Gronzy, du sunnisme vire du cadre de la communauté sunnite 3.

1
- R. Dahl affirme cette idée, et considère que : « dans toute association d’individus, une proportion relativement
faible d’entre eux exerce une influence directe relativement que le reste sur tous les choix importants qui
concernent l’existence de cette association, tels que par exemple sa survie ou la part qu’elle dit recevoir des
ressources de la communauté comme l’argent, le pouvoir, l’estime ou bien le mode de répartition de ces
ressources au sein de l’association ou bien encore les changements à apporter à ses structures, ses activités, ses
objectifs majeurs, etc. Ces individus sont par définition les leaders ». DAHL, R. Qui gouverne ?, Armond Colin,
Paris, 1973, (Trad. Who governs ?, Democracy and power in an American city, Yale University Press, 1961, in
CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, op.cit, p. 53.
2
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine entre stabilité du régime et démocratie, Publisud, 2016, p. 301.
3
- JELMAD, Mohammed, Religion et politique au Maroc, op.cit, p. 111-112. A ce propos, Khalid Naciri a
expliqué que : « Ce parti ne pourra pas constamment différer les indispensables clarifications idéologiques,
doctrinales, politiques et organisationnelles. Il est interpellé, et nous avons besoin de l’écouter dans un discours
qui ne prête pas à plusieurs lectures ». www.maghreb.com/fr/lagazette.

74
En acceptant le jeu politique mis en place, avec tous ces enjeux, la quasi-totalité des
partis adoptaient un discours mêlé entre la revendication et à l’attente des réformes 1. Pas loin
des aléas des jeux tactiques, en 2008, l’apparition d’une nouvelle formation proche de la
monarchie ; le Parti Authencité et Modernité (PAM).

Créé sous la houlette d’un dignitaire du régime en la personne de Fouad Ali El


Himma, ancien ministre délégué à l’intérieur, connu sous le surnom révélateur de l’ "ami du
Roi", a remis sur le tapis cette dichotomie : appui stratégique ou revendication stratégique
occasionnant la résurgence de conflits verticaux entre les formations sur fond de proximité ou
de distanciation par rapport au pouvoir 2. Le PAM s’est basé sur une la délégitimation de
l’échiquier partisan mis en place et le surinvestissement sur le PAM comme toile de fond de
la nouvelle donne avec comme corollaire une modernisation (rénovation) de l’action politique
jugée apathique et en dépaysement avec la dynamique du nouveau règne 3.

A corsaire, corsaire et demi, le secrétaire général du PJD a déclaré lors du Congrès du


Mouvement Populaire que les vrais partis au Maroc ne dépassent guère quatre4 : l’Istiqlal,
l’USFP, le MP et le PJD. Et le PAM fut bon cheval de trompette, ainsi que les autres partis
politiques5.

D’ailleurs, dans une scène handicapée par des « leadership non compétitifs »6, le PJD
a confirmé sa capacité à réagir favorablement à une demande particulière et implicite du
pouvoir 7. Ce dernier avait le souci de contrecarrer définitivement l’extrémisme religieux 8, qui

1
- Abderrahmane Youssoufi (1998-2002) a expliqué que pour lui : « c’est que l’étape de transition démocratique
que nous vivons se poursuivre et réussisse ». in La Vie économique, le 27 juillet, 2001.
2
- BERRADA, Youness, Les partis politiques et la transition, l’équation de changement et de restructuration,
Revue Marocaine des Sciences Politique et Sociale, Automne-Hiver, 2010-2011, n°1, Vol-01, CRESS, 2011, p.
122.
3
- Voir Communiqué du parti MP (MAP), le 13 juin 2010.
4
- Ce Congrès a été tenu le 11 juin 2010.
5
- Le PAM, nouveau venu de la scène partisane nationale, a détenu 56 sièges contre 54 pour Al Istiqlal qui coiffe
pourtant le gouvernement grâce à sa première place aux législatives de septembre 2007.
6
- La majorité des partis politiques portaient les mêmes programmes, sans pouvoir se lancer dans une véritable
dynamique.
7
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op. cit, p. 301.
8
- En 2016, le Maroc n’était pas épargné de la nouvelle vague de terrorisme mené par DAECH, ce qui a mis le
pays devant un autre défi qui la sécurité territoriale ; Le Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) a
arrêté un présumé sympathisant de Daech le lundi 24 octobre dans la ville de Tifelt. Selon un communiqué du

75
qui n’avait guère le choix que d’institutionnaliser ce courant. Cette institutionnalisation a
aussitôt relancé le débat sur l’évaluation du poids réel du mouvement islamiste marocain, sa
capacité à se créer un espace idéologique propre, et ses choix stratégiques dans la relation
avec le pouvoir, voire même dans la lutte politique pour le pouvoir 1.

En somme, « Le leadership » peut être considérer comme « un processus complexe


inhérent à la réalisation d’un certain degré et type de changement social qui touche aussi bien
les individus que les institutions et les systèmes de valeurs 2». « Il s’agit d’un changement
réel, une transformation à un certain degré des attitudes, des normes, des institutions et des
comportements qui structurent notre vie quotidienne. En un mot, le processus de leadership
doit être défini comme celui qui se dégage des stades de la prise de décision jusqu’à la
réalisation de changements concrets dans la vie des gens (…). Le changement réel signifie
une interaction continue des attitudes, des comportements et des institutions, dirigée par les
altérations dans les hiérarchies individuelles et collectives des valeurs 3 » ; une telle définition
est adéquate au PJD qui s’est servi des associations de prédication, des lieux de cultes… dans
la mobilisation électorale 4, en adoptant un discours religieux et une approche moralisatrice
aux de manipulation de masses. Il s’agit d’un Islam qui tend à islamiser la politique 1.

Ministère de l’intérieur, le jeune homme était un élève ingénieur, aurait cherché à collecter les informations
nécessaires pour commettre un attentat terroriste. Dans un autre temps, le directeur du BCIJ a déclaré que le
Maroc a déployé ses efforts depuis 2002 et il a démantelé 164 cellules terroristes, et que le nombre des
arrestations est arrivé à 2933 personnes et 324 projets terroristes ont été également avortés.
1
- BEKKALI, Amina, Le pouvoir et les islamistes au Maroc ou Dieu à partager, Colloque IFRI, Paris, 1996, in
SANTUCCI, J., Les partis politiques marocains à l’épreuve du pouvoir, Revue REMALD, Collection « Manuels
et travaux universitaires », n°24/2001, p. 64.
2
- CHAHIR, Aziz, Qui gouverne le Maroc, op.cit, p. 226.
3
- BURNS, J. McGregor, Leadership, N.Y: Harper and Row, 1978, p. 414.
4
- Lors les dernières élections législatives de 2016, les leaders des deux formations politiques ont exprimé leur
jalousie partisane à l’égard du PJD. L’USFP a également élaboré un programme religieux en annonçant :
« l’élaboration d’une vision globale pour la réforme culturelle et religieuse qui ne soit confinée dans les détails et
de la restauration du champs religieux dans ses dimensions étroites, mais plutôt sous l’angle de la doctrine
pédagogique et religieuse qui se doit d’être harmonisée avec les dispositions constitutionnelles en vigueur et
conformes aux valeurs de tolérance de la religion musulmane, aux prescriptions de la doctrine malékite et aux
principes de la modération, de la tolérance et du vivre ensemble avec les cultures et les civilisations humaines »,
en appelant à mettre en place « une stratégie nationale globale et unifiée pour la culture religieuse et les affaires
de la religion comprenant des dispositions transversales intégrées garantissant l’harmonisation entre les mesures
verticales prises dans le cadre des champs de l’éducation culturelle, du développement socio-économique et des
la consécration des droits humains ». Voir les articles 485 et 486 du programme électoral de l’USFP 2016.
Le PAM, quant à lui, a déclaré officiellement la préparation d’un mémorandum qui sera soumis à la haute
considération du Chef de l’Etat, et dans lequel il dénonçait « l’utilisation du capital symbolique de la religion

76
SECTION 2 : QUAND ISLAMISME RIME AVEC DÉTENTE SOCIALE

« La question de l’islam comme force politique est une question essentielle pour notre
époque et pour plusieurs années à venir. La première condition pour en traiter avec
un minimum d’intelligence, c’est de ne pas commencer par y mettre de la haine 2»
Michel Foucault

Depuis les années 90, les "islamistes" se sont lancé un grand défi par leurs
revendications, leur volonté persévérante de participer à la vie politique. Ce défi a jonglé entre
le conflit et le dialogue pour présenter une panoplie de questions sur la relation entre islam,
pouvoir et démocratie au Maroc. Et tout d’abord, il nous semble indispensable de se
demander, à la suite de Burgat, s’il s’agit d’un islamisme « par le haut » ou « par le bas »3 ?

Pour répondre à cette question, il sera utile de faire la différence entre une islamisation
révolutionnaire « par le haut » et une islamisation sociale « par le bas », ainsi que
l’instrumentalisation chronologique proposée par Gilles Kepel et Olivier Roy à propos de
l’aire musulmane, et sa portée explicative 4.

Dans les années soixante-dix, il y avait une claire prédominance des modes d’action
révolutionnaire. Mais, au cours des années quatre-vingt, la voie a changé vers une nette
domination des modes d’action sociale 5. Selon Kepel et Roy, « Les mouvements islamistes,
qui avaient longtemps opté pour une "islamisation révolutionnaire par le haut", ont désormais
changé de stratégie et ont choisi depuis peu une réislamisation "sociale par le bas" ». Ainsi

dans le discours politique à des fins électorales et ses effets négatifs à court et à moyen terme ». Voir le
communiqué de presse diffusé par le PAM, le 19 octobre 2016.
1
- En réponse à ces manipulations de la mouvance islamique, plus particulièrement radicale, le roi Mohammed
VI dans son discours du 20 août 2016 s’est attelé à déstructurer l’idéologie du radicalisme religieux et à
démontrer l’imposture de ses théoriciens qui interprètent l’Islam en fonction de leurs sombres intérêts.
JELMAD, Mohammed, Religion et politique au Maroc, op.cit, p. 144-145.
2
- FOUCAULT, Michel, Dits et Ecrits III, Gallimard, Paris, 1996, p. 708.
3
- BURGAT, François, L’islamisme en face, La Découverte, Poche, 2002, p.83, 84, 85.
4
- KEPEL, Gilles (en introduction), Exils et royaumes, les appartenances au monde arabo-musulman
aujourd’hui, Presses de la FNSP, 1994, p. 30. Dans le même contexte, « Le développement de la contestation
islamique ne s’effectue pas sur un mode linéaire ; Dans un premier temps, jusqu’au milieu des années quatre-
vingt environ, les mouvements qui occupent l’attentions des autorités et des médias … privilégient un processus
de réislamisation par le haut. ». Voir BURGAT, François L’islamisme en face, op.cit, p. 236.
5
- Ibidem.

77
donc « le modèle politique révolutionnaire qui vise à la prise de l’Etat par l’action violente, a
fait place à une stratégie de réislamisation par le bas de l’ensemble de la société 1».

La question des rapports entre la religion et la politique dans le monde arabo-


musulman, demeure d’une grande acuité, alors que la religion paraît aujourd’hui dépassée en
Occident où les sociétés sont largement laïcisées 2. Dans les pays sud-méditerranés, la religion
est vue soit comme instance symbolique de légitimation (constructions étatiques), soit comme
un mode de contemplation d’un passé prétendument glorieux (traditionalistes ou simples
croyants), soit comme idéologie de combat pour arriver au pouvoir (le cas des islamistes)3.

Cependant, les raisons de réapparition du religieux sont les mêmes pour tous les pays
arabo-musulmans : l’incapacité des sociétés à assimiler d’une manière positive, la modernité
et les conséquences qui en découlent ; l’incapacité aussi de construire un modèle de
modernisation spécifique, les crises socio-économiques, la pauvreté, la démographie
galopante et le vide laissé par le nationalisme et le panarabisme 4.

PARAGRAPHE 1 : A L’ORIGINE DE L’ISLAMISME

Littérairement, le mot « Islam » signifie « soumission ». On trouve dans cette


signification le mot « salam » (la paix) et le mot « taslim » (lâche prise, abandonner l’égo).
Dans le contexte religieux, l’Islam est défini comme la soumission à la volonté de Dieu, par
l’abandon de la volonté liée à l’égo afin de trouver la paix intérieure dans la proximité
divine5. Bruno Etienne le définit comme étant une religion fondée sur le Coran qui constitue
l’ensemble des normes de la vie politique, sociale, familiale, religieuse, pour tout musulman 6.
musulman6. Joseph Maila, voit qu’il existe cinq types d’islamisme, qui sont : l’islamisme
d’Etat (le cas de l’Iran, Soudan, l’Arabie Saoudite), l’islamisme de résistance et de libération

1
- « L’échec du modèle révolutionnaire est d’abord l’échec de la révolution iranienne que symbolisent deux
dates : septembre 1980 et juin 1989. (…) La mort de Khomeyni a laissé ce qui restait du mouvement
révolutionnaire dépourvu d’un chef charismatique ». GILLES, Kepel, La Revanche de Dieu, Le Seuil, Paris,
1991), Voir OLIVIER, Roy, De l’islam révolutionnaire au néo-fondamentalisme, Esprit, 1990.
2
- BARBIER, M, Religion et politique dans la pensée moderne, Presse universitaire de Nancy, 1987, p.3.
3
- LAMCHICHI, A, Islam et contestation au Maghreb, L’Harmattan, Paris, p.12.
4
- BEN HASSAN, Alaoui, La coopération entre l’Union européenne et les pays du Maghreb, Nathan, 1994, p.
109.
5
- BEN ROCHD, R, Islam entre islamisme et anti-islamisme, Déchra, Casablanca, 2000, p. 9.
6
- ETIENNE, Bruno, Islamisme radical, Hachette, Paris, 1987.

78
nationale (Palestine, Afghanistan), l’islamisme de tendance politique et culturelle (Algérie,
Tunisie, Turquie), l’islamisme groupusculaire idéologiquement violent (Egypte, Pakistan),
l’islamisme entriste et légal (Jordanie).

Pour certains, l’islamisme est caractérisé « d’une part, par son passage de l’ordre de la
prédication pour la moralisation de la société à l’ordre de la contestation politique des Etats, et
d’autre part, son ancrage dans la modernité en tant qu’il en est, en quelque sorte, le produit 1».
Il est fondamentalement « un phénomène politico-religieux 2».

Du fondamentalisme, intégrisme, …, on peut distinguer une troisième catégorie ; Celle


de l’islam politique, qui désigne l’ensemble des mouvements qui se réfèrent à la loi islamique,
la chari’a, pour arriver au pouvoir, et s’étend aux partis islamiques modérés des pays laïcs (la
Turquie), et aux groupes les plus radicaux (l’Algérie).

Historiquement, l’islamisme est apparu dans les années 60. Il a connu son plein essor
dans les années 80. Kepel distingue cinq phases de la naissance du mouvement islamiste :

 Les années 60, période d’apparition du mouvement ;


 Les années 70 avec l’élaboration de l’idéologie islamiste, notamment avec
l’apparition du livre « Maalim fi tariq » de Sayed Qotb ;
 La période entre 70 et 79 (la révolution iranienne) qui contribue à l’expansion
du mouvement, notamment dans les universités et la vie associative et où la
dimension révolutionnaire a côtoyé le discours wahabite ;
 Les années 80 marquées par des percées islamistes avec l’Intifada de Palestine
en 1989, la prise de pouvoir au Soudan par Tourabi, la fondation du Front
islamique du salut (FIS) en Algérie. Tous ces événements ont coïncidé avec la
chute de l’URSS ;
 La guerre du Golf en 1991, avec toutes ses répercussions survenues entre les
bailleurs de fonds et troupes sympathisant avec l’Irak.

Sur la relation entre l’islamisme et la démocratie, de nombreuses interprétations ont


été avancées. Rached Ghannouchi3en expliquant cette relation, a estimé que : « La démocratie

1
- LAMCHICHI, A, Islam et contestation au Maghreb, L’Harmattan, 1989, p. 68.
2
- Idem, p. 45.
3
- Leader du Parti de la Renaissance (Ennahda, ex-Mouvement de la Tendance Islamique).

79
fait partie de l’univers de l’islam… . Elle en constitue l’une des valeurs de base ». Il a plaidé
pour une conception propre de l’islam et la démocratie. « Arrêtez de dire que le concept de la
démocratie est étranger à notre culture. Arrêtez de dire qu’il n’appartient qu’à l’Occident.
Vous vous trompez, la démocratie, c’est l’islam 1 ». Il s’est interrogé, dans un deuxième
temps, « Que faut-il penser de ceux des islamistes qui disent que la démocratie est un concept
Kufr 2? Si c’est un simple différend linguistique, le problème est d’ordre formel (…). La
démocratie est simplement un mode d’organisation pacifique des luttes politiques et
intellectuelles (…). Si dans la religion musulmane il ne peut y avoir de contrainte, alors à plus
forte raison en politique. (…) Les libertés ne sauraient être un danger pour l’islam
puisqu’elles en représentent l’essence. (…) Ceux qui considèrent que la démocratie comme
Kufr sont donc dans l’erreur. Cette question a déjà été tranchée par d’éminents spécialistes de
l’Ijtihad3. Assimiler la démocratie au Kufr est un Ijtihad erroné 4».

L’égyptien Adel Hussein 5 a mis l’accent sur l’attachement aux valeurs musulmanes, et
a fait un long détour par le marxisme avant de rejoindre une trajectoire déjà perceptible dans
l’univers politique. A l’encontre de ceux qui admettent que l’islamisme et la démocratie sont
harmonieux, on trouve d’autres qui pensent tout à fait le contraire. A titre d’exemple, Sami
Nair qui prétend que « L’islamisme est l’ennemi mortel de la démocratie ; comme en Iran, sa
victoire en Algérie signifierait une dictature sanglante comme tous ceux qui n’accepteraient
pas son message. (…) le coût global de l’expérience serait dramatique : un régime
théocratico-militaire, une régression scientifique, une inquisition culturelle, des exodes de
population 6».

1
- Lors de l’un de ses interventions devant les auditoires orientaux quand il était en exil du MTI.
2
- Apostasie, incroyance, et incroyants : Terme qui désigne tous ceux qui ne croient ni Dieu, ni au Prophète
Mohammed.
3
- Effort d’interprétation personnelle des sources de l’Islam, s’opposant à l’imitation aveugle (taqlîd).
4
- Interview à l’hebdomadaire algérien Horizons (22août 1991, p. 1 et 12). Voir également son ouvrage « Les
libertés publiques dans l’Etat islamique » (Markaz Al Wihda Al Arabia, Beyrouth, 1993), dans lequel il
déclare que : « Nous sommes prêts, quand bien même serait-elle communiste ».
5
- Adel Hussein, fut le fils du fondateur du Parti Jeune Egypte, Ahmed Hussein. Il a été élu au secrétariat général
du Parti du Travail Egyptien, et il a cédé sa place de rédacteur en chef du bihebdomadaire Chaâb à son neveu
Magdi (le fils du fondateur du Parti Jeune Egypte, Ahmed Hussein).
6
- NAIR, Sami, 1er août 1994, p7, in François Burgat, L’islamisme en face, La Découverte/Poche, 2002.

80
Au Maroc, précisément Abdessalam Yassine 1, dans le même contexte, estime que :
« Nul droit non basé sur la loi de Dieu ne correspondra à nos mentalités et à nos espoirs. (…)
Nous ne jouerons jamais la modernité pour amadouer une opinion publique interne ou
externe, car il ne s’agit pas pour nous d’un jeu mais d’une question de vie ou de mort pour le
quart de l’humanité. Nous sommes acquis à l’idéal démocratique qui veut que ce soit le
peuple qui choisisse son gouvernement et que ce soit lui qui congédie l’équipe, la classe ou
l’idéologie qui ne lui conviennent pas. Alternance démocratique au pouvoir, soit (…) (Mais)
nous resterons sourds à l’appel des sirènes qui nous chantent les mérites d’une démocratie à
l’occidentale comme le seul système à garantir l’accomplissement du "désir rationnel",
comme le seul espoir pour les "damnés de la terre" de sortir de l’ornière du sous-
développement 2».

Plusieurs auteurs ont souligné la centralité de la monarchie marocaine, sa construction


lente mais sûre à partir des années 40, comme clé de voûte de son système politique, et sa
relation symbolique et appuyée avec l’islam3. Le Tourneau estime que le roi « est la clé de
voûte de l’unité marocaine ». Le système monarchique est doté d’un pouvoir d’attraction, et le
souverain descend du Prophète « est considéré par la masse marocaine comme détenteur de la
baraka qu’il répand autour de lui. De plus, il porte depuis des siècles le titre de "prince des
croyants" ». Il est ainsi un chef religieux et chef politique à la fois 4.

A notre avis, la dynastie alaouite a été toujours particulièrement protégée depuis son
accession au pouvoir, non seulement par le maniement du religieux et son confinement, mais
aussi par l’existence du Makhzen5.

1
- Le Chef du Mouvement islamiste Al Adl Wal Ihsane.
2
- Une correspondance avec l’auteur, le 21mars 1992, in BURGAT, François, L’islamisme en face, La
Découverte/Poche, 2002, p. 190-191.
3
- Voir notamment ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, le défi à la monarchie, Le Fennec, 2005, p. 29.
Voir également : LE TOURNEAU, Roger, Evolution politique de l’Afrique du Nord, Armond Colin, Paris,
1962. GEERTZ, Clifford, Islam Observed, Yale University Press, New Haven, 1968 (version française :
Observer l’Islam, La Découverte, Paris, 1992). COMPS-SCHILING, Elaine, Sacred Performances. Islam,
Sexuality, and Sacrifice, Columbia University Press, New York, 1989.
4
- LE TOURNEAU, Roger, Evolution politique de l’Afrique du Nord, Armand Colin, Paris, 1962, p. 265.
5
- J.C. Santucci a évalué le rôle important du Makhzen, en expliquant qu’il « …tend à prendre une part non
négligeable dans la maitrise et la diffusion d’un changement par le haut, qui sans être totalement déramé à la
modernité extérieure et universalisant, a conduit par sa connotation fortement endogène, à pérenniser les
fondements traditionnels de son hégémonie dans l’espace sociopolitique. Cette imbrication de l’Etat et de la

81
A la veille du protectorat, en tant que principale source de légitimité, « la religion
(l’islam) constituait le seul fondement théorique du statut du Sultan. Sous le protectorat et
jusqu’en décembre 1962 -date de promulgation de la constitution marocaine- l’islam demeure
la seule base sur laquelle s’appuie le Makhzen. La constitution de 1962 consacrera des
principes religieux, maintenus ensuite dans les deux autres constitutions : celle de juillet 1970
remplacée par celle de mars 1972 1. Le « Makhzen » est encore un appareil de pouvoir
disposant des moyens de coercition pour l’exercice de la violence légitime.

A- ISLAM ET MONARCHIE, UN ENJEU DE POUVOIR

Au Maroc, toute autorité qui contredit les préceptes de l’Islam est refusée, voire
interdite. « Que se soit aux yeux de la masse ou des élites, l’Islam apparaît au Maghreb
comme la source radicale de toute légitimation, l’expression n’est pas toujours explicite, mais
elle correspond à cette conviction minimale qu’aucun pouvoir ne saurait être reconnu s’il
contredit la volonté d’Allah incarnée dans l’islam 2». La monarchie marocaine, à l’origine
inspirée du modèle califal, reconnait que « la souveraineté appartient à la communauté. Cette
dernière la délègue au calife considéré, par elle, comme son porte-parole. La souveraineté est
ainsi attribuée au roi et non à la nation, considérée comme l’émanation et l’incarnation du
peuple marocain 3».

Origine chérifienne, ascendance prophétique, sont deux facteurs qui auréolent la


monarchie marocaine d’une légitimité et d’un pouvoir quasi-absolu. Une réalité tellement
enracinée dans la conscience que Hassan II en explique la signification et la portée : « Le
Souverain se trouve donc investi d’une triple mission : religieuse, nationale et politique. Il
veille au respect de l’Islam, il garantit l’indépendance de la nation, enfin il représente l’unité,
la pérennité de l’Etat et veille au respect de la constitution 4». Ou encore, « dans le passé

société que réalise le Makhzen dans la représentation des intérêts, la protection des droits, la modulation des
influences et la régulation des conflits, est d’autant mieux acceptée qu’il est indissolublement lié à une institution
monarchique, enracinée dans l’histoire séculaire du pays et la conscience collective du peuple». Voir
SANTUCCI, J.C, Le Maroc actuel, une modernisation au miroir de la tradition, (en introduction), CNRS, 1982,
p. 11-12.
1
- CHERIFI, R, Le Makhzen politique au Maroc-hier et aujourd’hui, Afrique-Orient, Casablanca, 1988, p. 28.
2
- GRAND-GRANGUILLANCE, G, Islam et politique au Maghreb, in S.D, Olivier, Islam et l’Etat dans le
monde d’aujourd’hui, PUF, Paris, 1982, p. 47.
3
- CHERIFI, R, Le Makhzen politique au Maroc –hier et aujourd’hui, op.cit, p. 46.
4
- Hassan II, Le Défi, Albin Michel, Paris, 1976, p. 38. Cet ouvrage s’ouvre sur ce verset du Coran : « Celui qui
s’attache à Dieu sera dirigé sur la voix droite. Attachez-vous fortement au pacte de Dieu, ne vous divisez pas ».

82
proche et lointain du Maroc, la monarchie était toujours la forteresse de l’islam et son
bouclier. Sans la monarchie qui a défendu l’islam face à tous les dangers et qui a institué le
rite malikite, le cours de l’histoire du Maroc n'aurait pas été le même 1».

Le défunt roi avait beaucoup investi dans le champ religieux, car pour lui « l’Islam
comporte tous les principes qui font de l’action sociale un devoir de tout musulman », en
précisant toutefois que : « nous devons considérer l’islam, celui du 20ème siècle, nous y
trouverons tous les principes dont nous avons besoin pour fonder une société qui emprunte au
capitalisme ses aspects les plus positifs sans pour autant se laisser asservir par l’argent 2».

L’attirait religieux au Maroc est représenté par deux institutions ; Il s’agit notamment,
du Ministère des Habous et des Affaires Islamiques et du Conseil des Oulémas présidé par le
monarque. Le Ministère des Affaires Islamiques a été créé en 1961, en se dotant d’une loi
organique le 13 rajeb 1381 (21 décembre 1961). Il s’est s’intégré en Ministère des Habous en
1965, et devint Ministère des Habous et des Affaires Islamiques 3.

Parmi les objectifs de ce ministère, « la limitation de la prolifération des lieux de culte


et la neutralisation des prêcheurs libres », et c’est dans ce sens qu’a parvenu un dahir
réglementant la construction et l’usage des mosquées. L’article 2 de ce dernier dispose que :
« Le permis de construire est délivré par le gouverneur de la préfecture ou de la province,
après avis des services compétents du Ministère des Habous et des Affaires Islamiques, et du
Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire National 4». Aujourd’hui, « le
contrôle de l’Etat sur ce personnel est plus étroit encore qu’auparavant. En retour, les oulémas

1
- Discours du Trône du 03 mars 1981, Renaissance d’une Nation, Palais Royal, Rabat, p. 82.
2
- Mohammed VI en interview à Time, le 26 juin 2000.
3
- Le Dahir de 12 avril 1976 a prévu la composition de ce Ministère comme suit : « Outre le Ministère et son
cabinet, le Ministère comprend une inspection générale, un secrétariat général, deux directions, cinq divisions et
quinze services ».
4
- L’article 2 a ajouté que pour faire barrière aux Mosquées populaires, le promoteur devait s’engager à
« construire ou à acquérir, avant l’achèvement de la construction, des immeubles qu’il constitue Habous au profit
de l’édifice et dont le revenu sera affecté à l’entretien de ce dernier et à la rétribution des agents du culte qui lui
seront affectés ». L’article 7 du même dahir dispose que : « La gestion et le fonctionnement sont assurés par le
ministère des Habous et des affaires islamiques. Le Khatib, imams et prédicateurs qui y sont affectés sont
nommés par le ministre des Habous après avis du gouverneur de la préfecture ou de la province et consultation
du Conseil Régional des Oulémas concernés ».

83
contribuent à légitimer les pouvoirs établis et à protéger l’Etat contre les assauts des
extrémistes religieux 1».

Hassan II a longtemps insisté sur la distinction du fondamentalisme islamique de ce


qu’il appelait intégrisme. En expliquant la responsabilité des prédicateurs, dans l’un de ces
messages, il a affirmé que : « Le monde islamique traverse une période délicate où il est
appelé à s’associer étroitement au monde moderne, à adopter divers modes de la vie
contemporaine, des valeurs nouvelles, à s’insérer dans l’esprit du monde nouveau, tout en
préservant sa spécifité, ses racines et en restant attaché aux constantes de sa religion. En
aucun pays islamique le prédicateur du vendredi n’a le droit d’utiliser son prêche pour faire
revenir la nation en arrière, la conduire au fanatisme, à l’isolationnisme, la lancer dans le
tourbillon des troubles et la spirale de la violence : quand de telles méthodes prévalent dans
un pays islamique, l’image de l’islam s’en trouve déformée dans le monde entier et l’avenir
de la Omma gravement compromis 2».

La prééminence du monarque sur le corps des oulémas s’expliquait par deux raisons :
La première, se base sur le fait que la monarchie était soucieuse de la concurrence directe qui
pouvait émerger de ce corps sur le plan politico-religieux. La deuxième, par le fait qu’en
institutionnalisant ce corps, la monarchie détiendra le pouvoir pour atténuer les mouvements
islamiques. De cette manière, Hassan II a pu déterminer le champ d’action de ces oulémas,
tout en les mettant en garde contre toute déviation, « Ne faites pas de la Mosquée une tribune
et ne vous intéressez pas à ce qui ne vous concerne pas 3», ce qui a fait dire à certains que
cette politique a servi à dompter le corps des Oulémas.

Tozy a noté à ce propos que « les oulémas sont devenus plus qu’avant des
fonctionnaires gérant le patrimoine des biens Habous, leur hiérarchisation n’obéissant plus
exclusivement au degré de savoir religieux accumulé et à leur audience auprès des « laïcs »,

1
- ARKOUM, M, Ouvertures sur l’Islam, Coll l’ouverture, 1989, p. 111.
2
- Ce message a été lu à la Rencontre mondiale des prédicateurs de la Joumouaâ à Marrakech, le 25 janvier
1993.
3
- ROUSSET, Michel, Le système politique du Maroc, in collectif, Le grand Maghreb ; données sociopolitiques
et facteurs d’intégration des Etats du Maghreb, Economica, 1988, p. 55-56.

84
mais à une échelle permanente établie par la fonction publique. Actuellement le constat de la
marginalité du groupe des oulémas est unanime 1».

A la marge ont pu fleurir des foyers partiellement rebelles, et les islamistes ont pris
progressivement place sur la scène politique pour contester le monopole de la monarchie sur
la chose religieuse ; Le Mouvement d’Islah Wa Tajdid et l’Al Adl Wal Ihsane à titre
d’exemple. Ce dernier a préféré rester sur le front contestataire contrairement au précédent qui
s’est inscrit dans une dynamique politique.

En effet, « la monarchie est toute puissante, enracinée dans le vouloir-vivre collectif


comme élément primordial et symbole de la persistance de structures anciennes que l’on
respecte et aussi, paradoxalement, comme animatrice et arbitre d’une nécessaire
modernisation 2». Elle jouit en réalité de plusieurs types de légitimités ; et Berdouzi en
énumère une dizaine3, les plus principales sont : la légitimité religieuse 4, historique5,
constitutionnelle. D’autres, existent et contribuent également au renforcement du pouvoir
royal : la légitimité économique, généalogique, sociologique, conventionnelle, nationaliste,
charismatique, …6. Tozy y voit plus large : « la quête d’une légitimation s’est faite dans deux
directions : politique (affaiblissement des clercs et entretien du pluralisme religieux) et

1
- TOZY, M, Monopolisation de la production symbolique au Maroc et hiérarchisation du champ politico-
religieux au Maroc, CNRS, 1980, p. 224.
2
- BONNEFOUS, Marc, Le Maghreb : repères et rappels, Centres des hautes études sur l’Afrique et l’Asie
Moderne, Paris, 1990, p. 56.
3
- BERDOUZI, M, Destinées démocratiques. Analyse et prospective du Maroc politique, Publication
Renouveau, Rabat, 2000, p. 19.
4
- Pour lui cette légitimité tire son existence de l’ascendance chérifienne d’où vient le monarque, et « En tant que
Imam de tous les Imams et de tous les croyants, les sultans puis les rois du Maroc se sont posés et ont été perçus
et sacralisés en tant que symbole spirituel suprême et en tant qu’ultime référence protectrice de la foi. Ces
fonctions légitimantes de premier ordre devaient les autoriser à réguler le champ religieux lui-même, au besoin
par la force, notamment à l’encontre des Zaouias, des confréries et de quelques oulémas qui ont pu manifester
des velléités d’échapper significativement à leur autorité spirituelle et temporelle ». Voir BERDOUZI, M,
Destinées démocratiques, op. cit, p. 28-29.
5
- Plus que les Hanouvres en Angleterre, la dynastie alaouite a gouverné le Marc depuis près de quatre siècles. A
ce propos, Hassan II a déclaré que « comme pour les cinq cents ans passés, dans les siècles à venir, et quel que
soit le roi, c’est le roi du Maroc qui est et qui sera, le garant de tes droits et de tes libertés ».
Berdouzi note toutefois que « bien qu’historiquement légitime, la monarchie se pérennise dans l’histoire pour
autant qu’elle se transforme. Ce processus a du reste déjà commencé, par le passage du sultanat et de l’empire à
la monarchie constitutionnelle et par l’adoption de modèles et de styles culturels et politiques nettement plus
ouverts et plus adaptifs que par le passé ». BERDOUZI, M, Destinées démocratiques, op. cit, p. 25.
6
- BERDOUZI, M, Destinées démocratiques…, op.cit, p. 19.

85
(monopolisation de l’interprétation de la religion et socialisation de la personne du descendant
du prophète) et accessoirement économique (contrôle des pôles d’excellence de l’économie,
ONA par exemple) 1.

Les mouvements islamiques au Maroc sont apparus dans la clandestinité au cours des
années 70, avant la naissance de l’islam politique qui devient très vite contrôlé par l’Etat.

L’ouverture du régime politique marocain et ses aspirations à la démocratisation se fait


sentir réellement à la fin du règne d’Hassan II. Une initiative de tourner la page de
l’autoritarisme permet de ramener au pouvoir les socialistes à partir de 1998, et ce fut grâce à
des élections plus transparentes et sincères qui ont aussi montré le pouvoir de mobilisation
électorale des islamistes2. Depuis, le Maroc a pu se démarquer de ses voisins par son choix de
démocratisation ; La monarchie et les acteurs politiques ont convenu de tourner la page, mais
la présence de l’islamisme devenait une réalité.

Pour expliquer l’évolution de l’islamisme marocain, il nous semble indigné de


rappeler l’histoire religieuse du Maroc moderne ; Notamment les structures confrériques, le
chérifisme, la réforme religieuse entre XVIIIème et le XXème siècle, le nationalisme, le statut
des lettrés marocains après l’indépendance et les formes d’appropriation et de domestication
de l’islam par la monarchie dans la seconde partie du XXème siècle.

B- ISLAMISME, STRUCTURES ET REFERENTIEL

En étant consciente du rôle des Oulémas dans la limitation ou la légitimation de sa


souveraineté, la monarchie marocaine pour rester la seule grande institution religieuse,
instance de médiation entre Dieu et croyants 3 a réussi à limiter et affaiblir la portée des
mouvements religieux4. Cette restriction renvoie au « modèle segmentaire », développé par J.

1
- TOZY, M, Réformes politiques et transition démocratique, Maghreb-Machrek n°164, avril-juin, 1999, p. 69.
2
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains : le défi à la monarchie, Le Fennec, p. 7.
3
- Idem, p. 33.
4
- D’autant plus que le gouvernement se sécularise progressivement dans sa composition : dans le premier
gouvernement du Maroc indépendant, on trouve sept membres ayant reçu une éducation traditionnelle, puis trois
dans le deuxième gouvernement en 1956, mais ils sont quasiment absents par la suite. Voir VERMEREN, Pierre,
Ecole, élite et pouvoir au Maroc et en Tunisie au XXème siècle. Des nationalistes aux islamistes, 1920-2000,
Alizés, Rabat, 2002, p. 273 ; et la Découverte, Paris, 2003, in ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains,
op.cit, p. 34.

86
Waterbury1, et à la suite d’Edmond Burke, on peut relever que le charisme personnel et
religieux des oulémas marocains, s’approprie plus facilement et circule entre les hommes du
Makhzen, spécifiquement le Sultan et les figures religieuses individuelles qui le soutiennent
ou le rejettent2.

Ce contrôle a été constant depuis longtemps, et au cours du XIX ème siècle, le sultanat a
maintenu son contrôle sur les Oulémas, mais ceux qui ont refusé les postes dans le système
judiciaire, sont restés hors de ce contrôle ; Il s’agit des oulémas-enseignants. Comme le
souligne Laroui, « les maîtres-enseignants de la Qarawiyyine sont nommés, après avis du
sultan, par le cadi de Fès, qui est un des leurs ; l’opinion sultanienne a tendance au tournant
du siècle à devenir prépondérante, (…) à tel point que sous Abd El Aziz, la nomination [des
enseignants] commença à se faire par dahir [décret], comme pour les autres fonctionnaires du
Makhzen 3».

Pourtant, au début du XXème siècle, les assauts coloniaux - qui ont abouti à
l’instauration du protectorat français en 1912- ont offert à une partie des Oulémas la
possibilité de s’imposer au centre de l’arène politique, lors de plusieurs épisodes d’opposition
ponctuelle au sultan4. De ce fait, une « opposition cléricale »5 composée de certains oulémas,
a fait partie du mouvement à l’origine de la déposition du sultan Abdelaziz en 1908 6.

En raison des réformes imposées par le protectorat à partir des années 1930, les
Oulémas furent de retour sur la scène politique. Ces réformes portaient sur la rationalisation et
la modernisation des modes de transmission du savoir et son contenu, et ce par l’ouverture des
programmes aux matières scientifiques, aux langues étrangères, imposer aussi des examens

1
- Dans son ouvrage « The Commander of faithful », John Waterbury a parlé du « modèle segmentaire » pour les
élites séculières, en expliquant que cette catégorie ne peut devenir trop puissant, et que les oppositions internes-
en particulier les divisions entre familles et/ ou canaux institutionnels mis en place par le pouvoir- sont utiles
pour le régime.
2
- Edmund Burke III, The Moroccan Ulama, 1960-1912 : an introduction, In LAROUI, Abdellah, Les origines
sociales et culturelles du nationalisme marocain, 1830-1912, Centre culturel arabe, Casablanca, 2ème édition,
1993, p. 98-103.
3
- LAROUI, Abdellah, Les origines sociales et culturelles, op.cit, p. 196.
4
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 37.
5
- LAROUI, Abdellah, Les origines sociales et culturelles, op.cit, p. 375.
6
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 37.

87
standardisés et fonctionnariser les enseignants1. En fait, il nous semblait important de signaler
également le rôle qu’a joué la salafiyya 2 au Maroc, une transition du wahhabisme au
nationalisme. Les idées de ce courant religieux se sont diffusées dans le monde musulman, à
partir du XVIIIème siècle, en Arabie Saoudite, l’Inde, la Syrie, l’Egypte. Et dans chaque cas,
cette diffusion procède par hybridation et ne laisse passer que certains éléments d’une
doctrine très flexible, filtrée par les conditions locales 3.

Trois éléments doctrinaux et deux grands types d’acteurs permettent de définir la


salaffiya marocaine4 : La doctrine wahhabite importée par les lettrés et pèlerins marocains
venus de l’Orient, le réformisme égyptien, et le nationalisme qui a permis plus tard de donner
un sens idéologique et politique au salafisme marocain. Quant aux acteurs de ce courant, ils
étaient des élites intellectuelles, des oulémas 5 et certains des sultans alaouites6.

1
- Idem, p. 38. Ces réformes de la Qarawiyyine ont été très proches de celles qui ont été menées en Egypte (Al
Azhar) et en Tunisie (Zaytouna), dans la seconde moitié du XIXème siècle. Voir SRAIB, Noureddine, Université
et société au Maghreb : la Qarawiyyine de Fès et la Zaytouna de Tunis, Revue de l’Occident musulman et la
Méditerranée, n° 38, 1984, p. 63-74 ; MAGHNIA, Abd El Ghani, Tradition et innovation à la Qrawiyyine, Thèse
de doctorat, Université Paris-VIII, 1996 ; EL AYADI, Mohammed, Religion, Etat et société dans le Maroc
contemporain, Doctorat d’Etat, Université Denis-Diderot-Paris-VII, 1997.
2
- La notion de « Salafiyya » fait référence à un ensemble de réformes religieuses de l’islam, dont les
interprétations varient selon les moments historiques et les acteurs qui s’en emparent. Le terme renvoie
directement aux salafs, les « pieux ancêtres », c’est-à-dire aux trois premières générations de l’histoire de
l’islam, dont firent partie les compagnons du Prophète. Voir ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit,
p. 40.
3
- Idem, p. 41.
4
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 41.
5
- Les salafistes marocains de la génération d’Allal El Fassi (1910-1974) lient la salafiyya marocaine au
réformisme wahhabite du XVIIIème siècle. Cette doctrine a été fondée en Arabie Saoudite par Mohammed Ibn
Abdelwahhab (1703-1792). L’ouléma Abu Bakr Al-Qadiri date l’arrivée du wahhabisme au Maroc de la période
du sultan Mohammed Ibn Abdallah (1757- 1790), puis surtout du sultan Moulay Sulayman (1760-1822), qui se
disait juridiquement Malékite et doctrinalement hanbalite (le hannabalisme et le malékisme sont des écoles
juridiques de l’islam dont se rajoute les écoles shafi’ite et le hanéfite). Il voulait combattre les bida’as
(innovations blâmables) et insistait sur le recours à la Sunna (tradition du Prophète, ses faits, dires et gestes).
Voir Al QADIRI, Abu Bakr, Mémoires de la lutte nationale, tome I (en arabe), Annajah Al Jadida, Casablanca,
1992 ; DRAGUE, Georges, Esquisse d’histoire religieuse du Maroc, confréries et zaouia, Peyronnet et Cie, Paris,
1951.
6
- A titre d’exemple le sultan Abdelhafid qui était un lettré, expliqua Laroui, et qui a gardé une autorité religieuse
après le protectorat ; à son époque, il a nommé Abu Chouaib Al Dukkali à la tête du Conseil du hadîth (les dits
du Prophète). Il rejoignit la confrérie Tijaniyya, une fois retiré du pouvoir par le protectorat en 1912. Voir
LAROUI, Abdellah, Les Origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912), op. cit, p. 402.

88
A ce propos, Laroui considère que le salafisme est devenu l’idéologie commune à tous
au début du XXème siècle, il a été investi d’un contenu différent selon les options politiques de
chacun ; centralisme makhzénien, réformisme bourgeois et les oulémas1. Ce salafisme
protéiforme va ensuite converger progressivement vers le nationalisme 2. De nombreuses
confréries soufies ont collaboré avec le protectorat, ce qui a renforcé en réaction la relation
étroite entre nationalisme et doctrine salafiste3. Ce salafisme nationaliste s’est construit dans
le processus du détour vers l’Orient, d’itinéraires individuels qui importaient les réformes
issues de l’Orient musulman et imprimaient leurs noms dans ce qui allait devenir, à partir de
la fameuse crise suscitée par le « Dahir berbère » de 1930, la grande époque de la lutte
nationale4. Au cours de cette période, les oulémas réformistes ont entré en nationalisme et ont
ont reçu constamment, dans la seconde moitié des années 1940, l’appui du pouvoir
monarchique, puisque la lutte nationale les unifie 5.

Hassan Al Sa’ih, un lettré marocain avait expliqué dans la deuxième livraison de


Da’wat al-haqq, que la salafiyya « crée une génération nouvelle qui connaît l’islam tel qu’il
est et qui dans le même temps sait combien l’Occident attend de pouvoir prendre l’islam et les
musulmans dans ses filets, de les priver de leurs capacités de résistance, et les éloigner de leur
civilisation. (…) Telle était la tâche du mouvement salafiste avant l’indépendance : la lutte
contre l’occupant, la purification de la pensée et le retour de l’islam à ses sources pures. Mais
aujourd’hui, le mouvement salafiste se trouve face à d’autres problèmes. Et je pense qu’ils
sont plus difficiles que ceux qui existaient avant l’indépendance. Hier, ses ennemis agissaient
en plein jour. Mais, aujourd’hui, ils agissaient à son encontre dans l’obscurité. (…) Il ne fait
pas de doute que la jeunesse marocaine a lu les philosophes occidentaux, leur philosophie

1
- LAROUI, Abdellah, Les origines sociales et culturelles, op.cit, p. 427-429.
2
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 47.
3
- ABUN-NASR, Jamal, A History of the Maghrib in the Islamic Period, Cambridge University Press,
Cambridge, 1987, p. 382. Dans le même contexte, on peut signaler le mouvement des “écoles libres” qui a
débuté dans les années 1920, et dans un esprit de réforme éducative pour atténuer les défaillances de la
Qarawuyyine et organiser un enseignement en langue arabe pour les filles et les garçons. Voir AL QADIRI, Abu
Bakr, Mémoires de la lutte nationale, op.cit, p. 490-495.
4
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains,…, op.cit, p. 47.
5
- Allal El Fassi représente une bonne illustration de l’union entre le salafisme et le nationalisme et attachement à
la monarchie. Comme il était le représentant le plus populaire du nationalisme marocain, Clifford Geertz a
souligné que : « Si le Maroc était devenu indépendant dans les années 1930, ce qui était absolument impossible,
cela se serait fait sans aucun doute contre la monarchie, et Fassi serait devenu le Sukarno du Maroc ». Voir
GEERTZ, Clifford, Islam Observed, Yale University Press, New Haven, 1968 (traduction française : Observer
l’islam, La Découverte, Paris, 1992, p. 80.

89
matérialiste. (…) Ces jeunes représentent un danger pour notre renaissance, car ils sont
étrangers à la pensée marocaine 1».

Dans cette ère de conflit entre la monarchie et les islamistes, Hassan II se justifiait par
le fait qu’il ne s’agissait pas de son propre intérêt ou de la protection de son pouvoir absolu,
mais c’est l’intérêt général qui est en jeu. Il l’expliqua dans l’un de ses discours, qu’: « Il est
du devoir de chacun de faire la distinction entre les problèmes qui peuvent valablement faire
l’objet de discussion et de divergence d’opinion et les problèmes autour desquels doit se
réaliser une unanimité nationale ; ces derniers ne sauraient faire l’objet de surenchères de
nature à contrecarrer les effets sincères déployés en vue de l’intérêt général 2».

Il a réussi à subordonner ces islamistes au mouvement national, comme il a pu


intégrer le mouvement « Réforme et Renouveau ». D’abord dans le cadre d’un vieux parti en
sommeil ranimé pour l’occasion, le « Mouvement Populaire Démocratique et
Constitutionnel » dirigé par Abdelkrim Elkhatib, vieux leader proche du palais3. Les
islamistes de Réforme et Renouveau ont eu sous cette couverture légale neuf élus aux
législatives du 14 novembre 1997 avec 140 candidats et 264324 voix (4,14%) ; Ainsi, ils sont
arrivés à soutenir la coalition gouvernementale et ont pu s’émanciper de leur parrain en
transformant leur mouvement en un parti officiellement reconnu, le Parti de la justice et du
développement4.

Dés la Constitution de 1962, le roi est un chef d’Etat ambivalent qui tient du sacré et
du profane. Dans l’article 19 : « Le roi, Amîr Al Mouminine, représentant suprême de la
nation, symbole de son unité, garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat, veille au
respect de l’islam et de la constitution. Il est le protecteur des droits et libertés des citoyens,
groupes sociaux et collectivités ».Donc, cette stature religieuse « Amir al Mouminine » a
renforcé la sacralité de la personne du roi. Ainsi, la monarchie marocaine depuis sa première

1
- Da’wat Al-haqq, 1ère année, n° 2, août 1957, p. 21-22 et 30.
2
- Extrait du discours d’Hassan II en 1963.
3
- CUBERTAFOND, Bernard, Pour comprendre la vie politique au Maroc, op.cit, p. 30. Cette idée vaut pour le
cas des Oulémas dans la monarchie marocaine, puisque cette dernière a mis assez de limites pour contrôler la
puissance de cette catégorie. Voir WATERBURY, John, The Commander of Faithful. The Moroccan Political
Elite, A Study in Segmented Politics, Columbia University Press, New York, 1970.
4
- AYACHE, Germain, La fonction d’arbitrage du Makhzen, Actes de Durham, Recherches récentes sur le
Maroc moderne, Bulletin économique et social du Maroc, 1979, p. 5-21, in CUBERTAFOND, Bernard, Pour
comprendre la vie politique au Maroc, op.cit, p. 30.

90
constitution n’a jamais refusé la religion de l’islam, mais ça n’empêche pas que l’espace
religieux au Maroc a été fragmenté ; puisque la monarchie a réussi à imposer sa domination
sur les oulémas, à les domestiquer, tout en s’assurant de faire perdurer la porosité et la
fragmentation de la sphère religieuse, une fragmentation qu’elle a progressivement traduite
sur le plan institutionnel1.

La monarchie a adopté une stratégie qui lui a permis d’exécuter un contrôle assez large
de l’islam. Le cas par exemple des Habous ou fondations pieuses, dont la nationalisation date
du protectorat, n’ont pas été transformés ; Lyautey les avait réformés à partir de 1915, ce qui a
permis à la monarchie d’éviter d’y apporter des changements2. La réforme coloniale par sa
rationalisation des Habous, elle les a utilisés pour financer l’Etat marocain3. L’université
religieuse, de sa part, a été touchée par ce contrôle monarchique.

La monarchie a trouvé, à propos de la Qarawiyyine 4 et ses annexes provinciales. Ce


n’est qu’avec la loi du 6 février 1963 (Dahir 1-62-249) qui réglemente la Qarawiyyine, que
l’existence de cette université a été reconnue officiellement, ainsi que son nom, et sa prise en
charge par l’Etat marocain a été confirmé. Réagissant à cette réforme, Allal El Fassi a
écrit : « Il y a quelques années, l’Etat a fêté les mille ans de la Qrawiyyine, la plus ancienne
université au monde. Les divers représentants des universités amies ont assisté à cette fête.
Mais ils ont tenté d’empêcher les oulémas de fêter cet événement, alors qu’ils en avaient le
droit puisqu’ils considéraient que cette fête serait un hommage à la Qarawiyyine, à leur
conduite et à leur soutien au mouvement nationaliste. Nous avons réussi à obtenir le décret
qui redonne à nouveau à la Qarawiyyine son non d’université Qarawiyyine. (…) Nous avons
accepté que les facultés de l’université soient éparpillées entre Tétouan, Marrakech et Fès.

1
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 60. L’auteure a expliqué différemment aux républiques
arabes indépendantes, qui pour gérer leur sphère religieuse ont réalisé des variantes de la modernisation turque
tentée plutôt par Mustapha Kamal et qui ont généralement transformé trois domaines (le système juridique, les
fondations pieuses et l’enseignement), la monarchie marocaine n’a pas répliqué ce modèle en trois étapes, que
l’on peut trouver notamment en Algérie, en Tunisie ou en Egypte à partir des années 1950 et 1960.
2
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 63.
3
- LUCIONI, Joseph, Les Fondations pieuses « Habous » au Maroc, in ZEGHAL, Malika, Les islamistes
marocains, op.cit, p. 63.
4
- A propos de la Qarawiyyine, Mehdi Ben Barka leader moderniste de l’Istiqlal en 1957, a souligné les grandes
lignes d’opposition avec les oulémas conservateurs sur la réforme de l’enseignement religieux, et a considéré
que cette université religieuse n’était pas vouée à la disparition. BENBARKA, Mehdi, Ecrits politiques, 1957-
1965, Syllepses, Paris, 1999, p. 62-64.

91
Ainsi l’université est-elle composée aujourd’hui de trois facultés, théologie à Tétouan, langue
arabe à Marrakech et doit islamique à Fès 1».

La seule manière de canaliser les oulémas qui en sont issus et la jeunesse nationaliste
qui lui était liée, en particulier dans la ville de Fès traditionnellement rebelle et passée au
nationalisme, était de la négliger et de lui faire subir les assauts du savoir moderne et
occidental2. Ainsi, la transformation de la sphère religieuse par la monarchie n’a pas
véritablement touché ou remodelé le système d’enseignement religieux représenté par la
Qarawiyyine, elle a laissé dépérir -alors qu’en Egypte Nasser l’a modernisé et, en Tunisie,
Bourguiba l’a réduit à son expression minimale- et elle n’a jamais voulu imposer aux oulémas
une réforme de leur institution d’enseignement 3.

En 1980, Hassan II a annoncé la mise en place des « Conseils scientifiques » des


oulémas, une structure de surveillance présidée par le monarque et composée de structures
régionales. Il s’agit d’un signe qui va expliquer sa volonté de refonder la légitimité de son
pouvoir. Et ce n’est qu’à partir de 1997-1998, qu’il accepta l’intégration des islamistes
légalistes dans le jeu politique. Il est parvenu à déconnecter la parole religieuse à dimension
politique de sa propre sa sphère et l’a laissé circuler en dehors de l’espace monarchique, à
conditions qu’elle ne remette pas en question sa légitimité politique ; Dans le temps, pour
s’assurer que cette parole religieuse ne s’unisse pas contre la monarchie, Hassan II a inclus
une partie de l’opposition islamiste dans le champ politique légale, dans une stratégie
classique visant à discipliner les contestataires potentiels 4.

Malgré cette tendance d’ouverture sur les islamistes, des auteurs ont mis en doute ce
choix, et par conséquence du succès de la démocratisation du système politique marocain.
Pensant que le piège serait de se fier aux « modérés » de l’islam qui donnait illusion qu’un
accord est possible, alors qu’il n’y a entre l’islam et l’islamisme qu’une différence de degré,

1
- Al Fassi, Allal, Le message de la Qrawiyyine dans le passé, au présent et dans le futur, Al-Imân, n°7, 4
novembre 1967, p. 15.
2
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains,…, op.cit, p. 63-64.
3
- Idem, p. 78.
4
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains,…, op.cit, p. 186-187.

92
non de nature … . L’islamisme ne croit pas à la démocratie qu’il juge être une création de
l’occident 1».

En outre, le groupe Al Adl Wal Ihsane 2, refuse jusqu’à maintenant d’accepter le jeu
politique, qu’il considère entièrement monopolisé par le pouvoir, et que les acteurs politiques
existants ne reflètent pas les aspirations de la société marocaine. Ce refus a été contré par une
politique d’usure pratiquée par les pouvoirs arabes à l’encontre des mouvements islamiques
radicaux après la révolution iranienne (cas de l’Egypte) 3.

L’action du mouvement d’Adl Wal Ihsane (justice et bienfaisance), au cours des


années 80 s’est orientée dans deux directions ; La première, d’ordre caritatif, a consisté à
relayer un Etat défaillant dans son offre de services publics pour les plus défavorisés. Toutes
ces actions sont, pour eux, le moyen de conquérir de nouveaux militants, de « ré-islamiser »
les classes populaires déracinées et de recréer du lien social dans une société déstructurée 4 ».
La conquête idéologique des islamistes a été facilitée par la politique d’arabisation des années
80. Cette politique a permis l’emploi de milliers de diplômés chômeurs issus des facultés
islamiques.

Cette démarche, consciente de la part de l’Etat, visait à saper les fondements


idéologiques de la contestation de la gauche. L’islamisme militant a ainsi peu à peu relayé
l’idéologie socialiste au sein de l’université. Cela s’est traduit par une prise de contrôle du

1
- AGNUCHE, A., dans l’Indépendant (magazine), du 27 au 29 juin 2003, in ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale
et ordre autoritaire (souple) ou les voies incertaines de la démocratisation au Maroc, Bouregreg, 2012, p. 155.
2
- A. Yassine, leader du mouvement avait toujours critiqué sévèrement les partis politiques, qui n’étaient, selon
lui que des trompeurs : « Les partis politiques nationaux ont le droit d’exprimer leur point de vue à condition de
ne pas s’attaquer à la foi musulmane, nous dénonçons cependant ses plans et complots qui visent les intérêts de
la communauté, nous combattrons leurs slogans creux et trompeurs… et lutterons contre tous les opportunistes et
charlatans qui font commerce de politique et religion… ». Et concernant son acception de la démocratie, il a
expliqué que : « La démocratie n’est pas le contraire de l’apostasie, mais du despotisme. Le contraire de
l’apostasie est la foi. Si notre science s’arrête à l’équation démocratie=apostasie, une autre équation s’impose
d’elle-même, foi=despotisme. (…) Nous n’avons pas de conflit avec la démocratie, une fois qu’on aura assimilé
ces fondements et les points de rencontre qu’elle pourrait avec l’Islam. Extraits d’A. Yassine cités in TOZY, M,
Monarchie et …, op. cit, p. 211, p. 223.
3
- KEPEL, G., L’islamisme déclin ou mutation, in Le monde des débats, n°1, mars 1999, p. 5-6.
4
- VERMERON, P., Le Maroc en transition, La Découverte, 2000, p. 52-53.

93
syndicat étudiant (UNEM). Plus tard, les étudiants les plus convaincus ont formé une contre-
élite sociale d’enseignants, des médecins, d’ingénieurs et avocats, prêts à servir 1 ».

Ce mouvement, en la personne de son leader Abdessalam Yassine, est resté


« L’adversaire le plus affirmé du souverain, rappelant par certains côtés Suyyed Qotob, le
leader des Frères musulmans égyptiens éliminé par Nasser en 1965 2», en rappelant tout le
temps Hassan II, roi du Maroc, que son autorité est « limitée, d’abord par le fait que l’Etat ne
crée pas la loi qui vient de Dieu. Limitée ensuite parce qu’une des sources du droit est
l’interprétation qu’en donnent les savants et les oulémas 3». Il a exprimé explicitement, à part
ses critiques du pouvoir monarchique, sa volonté d’instituer un pouvoir islamique : « Nous
acceptons le pluralisme (partis politiques et syndicats) politique qu’est l’une des
manifestations de la démocratie que nous souhaitons, provisoirement, en attendant
l’avènement proche d’un pouvoir islamique 4».

Pour ce faire, les islamistes du mouvement d’Al Islah Wa Attajdid (modéré) ont opté
pour le changement par le bas, et ont préféré de déployer leurs efforts au sein de la société et
la réformer comme objectif prioritaire. Le fondateur de la Chabiba islamiya A. Moti5 avait
expliqué à cet effet, qu’« il est inutile de se confiner dans une attitude d’opposition
systématique au pouvoir, alors qu’il existe au Maroc "un fondamentalisme d’Etat". Les
oulémas ont commencé à mettre la lumière sur le fait que l’Islam n’est pas un problème de
régime. Nous avons commencé nous-mêmes à admettre que l’Islam n’était pas une histoire de
régime (…) que l’élite qui a pris le pouvoir après le protectorat est une élite qui a été formée
en Europe et qui voit les choses d’une façon plus occidentale encore… . A ce moment là,

1
- Ibidem.
2
- LEVEAU, R, Le sabre et le Turban, op.cit, p.82.
3
- BRANCIARD, M, Le Maghreb au cœur des crises…, op. cit, p. 92. Dans ce contexte, l’on peut citer la
fameuse lettre d’A. Yassine, intitulée « L’islam ou le déluge» envoyée à Hassan II en 1974. C’« est une lettre de
cent pages que j’ai envoyé au Roi du Maroc en 1974 prenant exemple sur la tradition de nos oulémas. Ils avaient
coutume, dans les siècles passés, de transmettre un conseil écrit, public, ne craignant pas de dire la vérité, je lui
ai demandé de reconsidérer sa pratique et j’ai utilisé des mots tirés du lexique religieux ‘’Annonce ta
Rédemption, reviens à Dieu, concilie toi avec Dieu’’ seule réponse, j’ai été mis en prison durant trois ans et
demi, dont deux chez les fous». Dans cette lettre, il a fait référence à son statut de « chérif idrisside » avant de
passer à la critique tous azimuts du régime en la personne du roi, en déclarant que : « Mon épistole n’est pas
comme toutes les lettres que tu reçois, elle fait de la réponse une obligation et même le silence est une réponse
éloquente …». Voir LAMCHICHI, A, Islam et contestation au Maghreb, op. cit, p. 123-124-125.
4
- TOZY, M, Monarchie et islam politique, op. cit, p. 208.
5
- En qualité de président de la Jama’a Al Islamiya, prédécesseur du mouvement Al Islah.

94
nous avons compris que notre devoir était de faire comprendre aux gens, et en priorité à l’élite
du pays, que l’islam est une chose indispensable 1 ». Au contraire, Al Islah Wa Attajdid se
veut un mouvement de la réforme de la société marocaine. Il a créé plusieurs associations et a
considéré que l’université est un canal essentiel pour faire passer ses discours et programmes.
Il a créé également le syndicat de l’Union Nationale de Travail du Maroc (UNTM), et une
section estudiantine appelée Al Islah Wa Attajdid. Pour en arriver à la création de son parti
politique (PJD) et participer concrètement à la prise de décision 2.

Le postulat de l’islam est une identité du Maroc clairement affirmée. Le préambule de


la constitution de 2011 dispose que le Maroc est un « Etat musulman souverain, attaché à son
unité nationale et à son intégrité territoriale, (…). Son unité, forgée par la convergence de ses
composantes arabo-islamiques (…) ». Et dans son 3ème article du 1ertitre, elle affirme
que « L’Islam est la religion de l’Etat, qui garantit à tous le libre exercice des cultes ».

La question que l’on se pose à ce niveau, est de savoir comment le Parti Justice et
Développement en tant que parti à référentiel islamiste a pu intégrer le jeu politique ? Par
quels moyens et quels sont les principes adoptés par ce parti pour faciliter sa conversion de la
prédication à la politique ?

PARAGRAPHE 2 : LE PJD, DE LA PREDICATION A L’ACTION POILITIQUE

L’histoire du Parti de la Justice et du Développement s’est développée en contraste


avec celle de la Chabiba islamiyya (Jeunesse islamique) en 1969, et celle du cheikh Yassine.
L’islam politique s’est diversifié au Maroc, comme partout ailleurs, et il a connu une
compétition intense entre ses variantes, qui allaient de l’islam politique participatif du Parti de

1
- TOZY, M, Monarchie et islam politique, op. cit, p. 234.
2
- En fait, les principes de ce mouvement n’étaient pas à déplaire à leur concurrent islamiste. Fethallah Arsalane,
secrétaire général d’Al Adl Wal Ihsane a déclaré, à ce propos, que : « Ce sont nos frères, nous respectons surtout
leur programme éducatif, mais nous pensons que leur itinéraire politique est confus. Ils ont été amenés à prendre
des positions discutables de gens qui vivent certaines contraintes et qui sont perturbés. Nous les excusons et nous
les aimons… . Nous ne les avons pas soutenus quand leur dossier de création d’un parti a été rejeté. Cette
position vient de notre souci de sauvegarder la singularité de notre discours. Il est indéniable que nous sommes
islamistes comme eux, mais nous ne voulons pas créer la confusion au niveau des islamistes de base… d’autant
plus que les postions de l’Islah sont considérées par nous comme des erreurs politiques graves ». Voir TOZY, M,
Monarchie et islam politique, op. cit, p. 217.

95
la Justice et du Développement, aux revendications et pratiques du groupe du cheikh Yassine,
jusqu’aux accès de violence des groupes de la nébuleuse de la salafiyya jihâdiyya1.

Olivier Roy a déjà prévu que le mouvement islamiste n’est pas condamné à disparaître
il pourra encore se développer2. Le cas des pays arabes après la grande vague du printemps
arabe, les islamistes ont pu arriver au pouvoir 3.

Le Parti Justice et Développement est né en 1998, de la décomposition/recomposition


de groupes politiques anciens, de fractures et de redéploiements assez complexe qui ont été la
conséquence des modes de régulation politique autorisés par la monarchie 4. Dissemblable au
groupe de Cheikh Yassine qui s’est constitué autour d’une personne (guide spirituel), il s’est
doté d’une structure mosaïque, dans laquelle on trouvait au lieu d’un personnage unique et
central, des personnalités fortes et ambitieuses, avides de mobilité politique et sociale, qui
pouvaient souvent s’opposer les unes aux autres, ce qui menaçait constamment l’unité du
parti, soumis à de nombreuses forces centrifuges 5. Plus analogue idéologiquement, au vieux
parti de l’Istiqlal, les dirigeants de Réforme et Renouveau se sont adressés à son secrétaire
général, qui accepta leur intégration au parti à condition de ne pas faire partie de ses instances
dirigeantes. Ce rôle marginal a poussé Benkirane et ses amis à se retourner vers une figure
aussi ancienne que celles qui dirigeaient l’Istiqlal6 ; le parti du Mouvement populaire
démocratique et constitutionnel (MPDC) 7. Pour Abdelkarim Elkhatib, l’intégration des
islamistes dans son parti était une opportunité de rassurer le Palais, préoccupé de mettre la
main sur les islamistes de Tajdid Wal Islah. Il a fallu le feu vert du roi avant que Khatib
n’accepte leur demande sachant qu’il a lui-même agrégé diverses structures associatives

1
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 191.
2
- OLIVIER, Roy, L’Echec de l’islam politique, Le Seuil, Paris, 1992.
3
- Le PJD au Maroc, Ennahda en Tunisie, les Frères Musulmans en Egypte….
4
- BERDOUZI, Mohammed, Destinées démocratiques : Analyse et prospective du Maroc politique, Renouveau,
2000, p. 155.
5
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains,…, op.cit, p. 209. L’auteure a signalé également la différence
entre les PJD et le groupe de Yassine, au niveau du style et de stratégie politique dotés par chacun d’eux. Le
premier ont un style enthousiaste et optimiste et ont participé sans complexes à tous les pans du système, sans
hésiter non plus à en critiquer certains aspects ; pourtant le second, a montré un zèle religieux et politique lié à
l’expression d’une anxiété sociale et religieuse, et s’est positionné dans l’extériorité par rapport au système
politique contrôlé par la monarchie.
6
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 211.
7
- Ce part fut créé en 1967, par Abdelkarim Khatib et Ben Abdellah Ouagti. Abdelkarim ElKhatib a commencé
sa carrière politique au sein de l’Istiqlal, et en 1957 a créé le Mouvement populaire.

96
islamistes en les arrimant au MDPC 1. Cette fusion entre les islamistes et le MPDC s’est faite
au cours de l’année 1996, en deux étapes :

En premier lieu, trois associations islamistes ont fusionné en 1996 ; Il s’agit de


l’"Association islamique" de Ksar Kbir (créée en 1976 par Ahmed Raissouni), l’"Association
Achourouk" de Rabat (issue d’une scission de la Chabiba en 1986) et de l’"Association
Adda’wa islamiya" de Fès (créée en 1976 par Abdessalam Harras, un des oulémas de la
Qarawiyyine). Ces associations ont pris par la suite le nom de " la Ligue de l’avenir
islamique » (Rabitat al-mustaqbal al-islami)2, et ont rejoint celle de la "Réforme et
Renouveau". Cette union a engendré le "Mouvement de l’Unicité et de la Réforme"(MUR),
en regroupant plus de deux associations islamistes.

En second lieu, Benkirane a été élu secrétaire général adjoint du MDPC, à l’issue du
congrès extraordinaire en 1996, devenant ainsi le second d’Abdelkarim Elkhatib. Les
instances islamistes qui acceptaient la participation au système partisan ont été réunies autour
d’un parti ancien, le MPDC3, et d’une nébuleuse associative qui lui est arrimée pour offrir à
ses membres une grande souplesse structurelle 4.

Suite à ces faits, ce rassemblement assez hétéroclite d’anciens oulémas conservateurs,


de jeunes diplômés et d’anciens leaders de la Chabiba…, a soufflé un nouvel air dans le vieux
parti d’Abdelkarim ElKhatib, devenu en 1998, lors de son quatrième congrès, le "Parti Justice
et Développement" (PJD).

Il est clair que le PJD est à l’origine un mouvement anti-système, qui avait tendance à
favoriser le rôle d’exacerbation des conflits, alors que d’autres partis préféraient mettre en
avant la régulation (RNI, USFP), il critiquait les autres organisations, en particulier l’USFP,
qu’il qualifiait de parti laïc 5. Il jugeait de façon défavorable certains éléments de la

1
- TOZY, Mohamed, Monarchie et islam politique au Maroc, Presses de sciences politiques, Paris, 1999. p. 143.
2
- Cette ligue a été dirigée par Ahmed Raissouni, chef du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR). Né en
1953 près de Larache, il a obtenu en 1978 une licence de charia de la Qarawiyyine de Fès, puis en 1992 un
doctorat en théologie de l’université Mohammed V de Rabat.
3
- BERDOUZI, Mohammed, Destinées démocratiques, op.cit, p. 144.
4
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 212.
5
- ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire (souple) ou les voies incertaines de la démocratisation
au Maroc, Bouregreg, 2012, p. 153.

97
constitution, en remettant en cause les prérogatives constitutionnelles du roi1. Sans oublier
que depuis les attentats terroristes du 16 mai 2003de Casablanca 2, l’"islamisme"est devenu la
cible d’attaques, PJD en tête, accusé de tenir un double langage qui fait « le lit de
l’extrémisme »3.

Il a adopté une nouvelle devise, « se diviser pour survivre », au lieu de celle de la


monarchie « diviser pour régner ». Il s’est constitué dans une structure bicéphale MUR/PJD,
le PJD comptant quelque quatre mille membres, et jouant un rôle pro-makhzénien, tandis que
le MUR jouait celui d’une tendance centrifuge par rapport au pouvoir et servait de caisse de
résonance idéologique du PJD en faisant circuler ses idées à travers le travail de prédication,
les médias et la pratique associative4. Contrairement à son concurrent Al Adl Wal Ihsane, ce
mouvement a toujours fait preuve de bonne foi et de fidélité envers la monarchie 5. Il a
renoncé à son projet de changement du régime par le haut (le cas du mouvement Al Adl Wal
Ihsane) et a investi dans la réforme de la société marocaine, en expliquant à ce propos que :
« L’Etat est constitutionnellement et doctrinalement constitué et il n’ya aucune discussion sur
la légitimité de la présence de la religion dans la société et la constitution. (…) Notre vision
de cette relation est différente de ce qu’on croit, nous ne cherchons pas à utiliser la religion

1
- Le 12 mai 2003, dans un entretien accordé à « Aujourd’hui le Maroc », A. Raissouni, président du
« mouvement Unicité et Réforme » (MUR), s’est attaqué à la notion d’« Imarat Al Mouminie », stipulé par
l’article 19 de la constitution.
2
- Ces attentats ont fait 44 morts. G. Martin a expliqué à ce propos que « la réaction émotionnelle (au 16 mai )
fait écho au discours éradicateur… qui ne fait pas de différence entre un épiphénomène (même s’il est
terriblement destructeur), celui des groupuscules extrémistes d’une part, et d’autre part les islamistes réformistes
du PJD et d’Adl Wal Ihssane, qui sont des acteurs politiques jouissant d’un ancrage social… et qui ont, de plus,
contribué activement à éviter l’algérianisation de la scène politique marocaine ». Voir MONJIB, M., dans un
article intitulé « Faut-il bannir l’islamisme ? », in Le journal (hebdo) du 16 juillet au 14 août 2003.
3
- De nombreux journaux ont publié des articles sur ce sujet, à titre d’exemple : "La Gazette du Maroc" du 9 juin
2003, « Le PJD a sérieusement et profondément contribué à la montée des intolérances. Il a de ce fait, participé
plus ou moins à la création de l’ambiance propice aux actes les plus fous », ou encore « les partis le rendent
responsable d’avoir favorisé la propagation d’un islamisme intolérant et fermé, faisant le lit de l’extrémisme
« takfiri » violent ». "Aujourd’hui le Maroc" du 6-8 juin 2003, a écrit « certains membres du PJD ont toujours
joué un double jeu et prôné un discours mitigé (…) intégristes au sein du M.U.R et démocrates sous le drapeau
du PJD ». "Maroc hebdo international" du 11 au 17 a noté que « A. Raissouni et M. Ramid, deux maximalistes…
principaux animateurs du M.U.R, pôle de regroupement d’une militance islamiste tolérée et qui n’a jamais été
dissoute, malgré un radicalisme verbal digne du lexique taliban ».
4
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 214.
5
- BENABDELLAOUI, M, L’islam Contemporain, Dar Maâhad et Dar N’mir, 1998, p. 267 (en arabe).

98
pour les besoins de la politique, l’action politique est pour nous un instrument pour asseoir
nos objectifs religieux… 1».

Une stratégie réussie et qui a pu avoir la bénédiction d’Hassan II en juin 1996, qui en
s’interrogeant sur les formations islamistes marocaines déclara qu’ : « il s’agit de Marocains
tant qu’ils n’auront pas manifesté un schisme ou une hérésie et qu’ils se conformeront aux
lois et règlements de l’Etat, je n’interviendrai pas 2».

Aux élections communales de juin 1997, l’espoir des membres du MUR a été gâché,
après la décision qui était prise par Abdelkarim Elkhatib, leader du MDPC, de boycotter les
élections, sans l’aval de ces derniers3. Dès lors, ces derniers se sont retrouvés privés du canal
du MPDC, qu’ils espéraient utiliser pour participer aux élections, mais cela ne les a pas
empêché de prendre part au processus électoral sous l’étiquette SAP « Sans appartenance
politique »4, en présentant près de deux mille candidats islamistes du MUR et d’obtenir cent
sièges de conseillers municipaux et trois sièges de présidents de commune 5.

En effet, les législatives de l’automne 1997 a pu marquer l’entrée des islamistes dans
la sphère parlementaire, avec l’obtention de neuf sièges ; Un résultat quintessence par rapport
certains partis politiques qui existaient depuis longtemps (PPS ou ADP…) 6: cinq à
Casablanca, un à Tanger, un à Tétouan, un dans l’arrière-pays de Fès et un à Agadir 7. Quant
au MDPC, il a obtenu 364 324 voix, soit 4,14% des suffrages exprimés, en récoltant neuf
sièges dans deux circonscriptions de Casablanca (Ben M’sik-Sidi Othman et Madiouna)8. Et

1
- Des révélations de M. Yatim, lors du changement du nom de ce mouvement de « Jama’a » à celui de
« Association », et qui a expliqué davantage que « l’essence de notre projet est la réforme de ce qui est vicié dans
la société et la rénovation de ce qui a vieilli en elle », d’où la justification de l’appellation « Réforme et
renouveau ». Voir TOZY, M., Monarchie et islam politique, op.cit, p. 244-245.
2
- Interview Hassan II accordée à deux chaînes allemandes à la veille de la visite du chancelier allemand en juin
1996. MAP, 31/05/1996, bladi.net, 29 décembre 2008.
3
- TOZY, M., Monarchie et islam politique, op.cit, p. 252-253.
4
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 217.
5
- TOZY, Mohamed, Monarchie et islam politique au Maroc, op.cit, p. 253.
6
- Il a présenté 144 candidats dont la plupart sont des cadres intellectuels, 60% sont des enseignants, 13% des
scientifiques (médecins, ingénieurs…), 7% des avocats et des cadres supérieurs et enfin moins de 4%
appartiennent à la catégorie ouvriers et paysans. Jeune Afrique, interview avec Mohamed Tozy, du 9 au 15
février 1999, 39ème, p. 15.
7
- ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 218.
8
- Voir résultats du quinquennat parlementaire 1997-2002, Rabat, août 2002, p. 4-5.

99
que la fin du règne d’Hassan II fut un exorde du Parti de justice et de développement. A côté
du parlement, le parti possède un syndicat « l’UNTM » qui lui était affilié.

Tableau : Le PJD lors les élections de 1997.

A partir de ce tableau, on peut résumer que 4/9 des élus du PJD qui emportaient un
grand nombre de voix, appartiennent à des circonscriptions de Casablanca, ce qui est normal
si l’on savait que les mouvements islamiques marocains sont fortement concentrés dans cette
ville1. Cette mobilisation massive de ce parti dans ces zones est du au fait que la majorité de
leur population « du fait de leur coupure avec le système étatique », a écrit M. Camau, ils
« réinventent ou recherchent de nouvelles formes de sociabilité. Ils peuvent à cet égard,
trouver dans les mouvements islamistes des principes de solidarités et des formes d’entraide
ainsi que de nouveaux repères d’intelligence de la vie sociale et politique 2».

Deux ans après, les élections partielles d’avril 1999 vont procurer au PJD un nouveau
parlementaire dans la personne d’Abdelillah Benkirane, issu de la circonscription de Salé, et

1-
BRUNO, E et Tozy M, Le glissement des obligations islamiques vers le phénomène associatif à Casablanca, le
Maghreb musulman en 1979, CNRS, Paris, 1981, p. 235 et ss.
2
- CAMAU, M., Trois questions à propos de la « démocratisation » dans le monde arabe, Dossier du CEDEJ, le
Caire 1992, p. 45.

100
en août 2000, de nouvelles élections partielles lui ont offert deux nouveaux députés, et le PJD
a fini la cinquième législature marocaine par quatorze députés1.

En arrivant au parlement, le PJD dans un premier temps a exprimé ses critiques au


gouvernement sur certains points, notamment des questions à propos du code de statut
personnel (la Moudawana), sur le sujet du micro-crédit, l’absence de référence religieuse dans
les déclarations gouvernementales, la négligence des institutions religieuses traditionnelles et
officielles dans la lutte contre l’analphabétisme et les entreprises de moralisations de la vie
publique2.

Dans sa lancée pour asseoir sa légitimité et se positionner sur l’échiquier politique, le


PJD3 fut stoppé par les évènements du 16 mai 2003, et intimidé par le pouvoir -il a accepté à
l’instar des autres partis- toutes les concessions qui lui seront dictées4. A cette époque et
paradoxalement aux autres partis politiques, les islamistes ont été les seuls qui avaient un vrai
programme, les seuls qui sont montés au créneau, criant haut et fort que les explosifs et les
kamikazes n’avaient rien à voir avec l’islam et leur référentiel. Ils étaient les seuls qui ont osé
critiquer le bilan du gouvernement, alors que les autres, semblent absorbés, par les questions
de mise en tête de liste, de circonscription facile ou difficile, etc5.

En effet, trois facteurs expliquent l’ascension du PJD au Maroc6 :

1- La volonté exprimée clairement par le PJD de faire clairement la distinction entre la


religion et la politique. Dans son idéologie actuelle, la lutte contre la corruption et
l’injustice constitue le point fort de son programme.

1-
ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains, op.cit, p. 219.
2
- Parti de la Justice et du Développement, Travaux du Conseil national, Rabat, octobre 1998, p. 9-10.
3
- Au début des années 1980, Abdellilah Benkirane a fondé une association, devenue officiellement, en février
1992, Réforme et Renouveau (Islah waTajdid). En 1992, Benkirane et ses amis ont passé à l’action politique en
demandant au pouvoir l’autorisation de créer un parti politique, sous le nom de « Parti du renouveau national »
(hizb Al-Tajdid Al-watani). Et malgré ce nom qui, pour eux, présentait la distinction entre travail de prédication
et activité politique, leur demande a été refusée. Voir DARIF, Mohamed, Les islamistes marocains, Annajah Al
Jadida, Casablanca, 1992 (version arabe), p. 172-173.
4
- http://www.liberation.press.ma , in BROUSKY, Lahcen, La mémoire du temps : Maroc, pays de l’inachevé,
Published, 2004, p. 148.
5
- BROUSKY, Lahcen, La mémoire du temps, op.cit, Published, 2004, p. 149.
6
- M. AMMOR, Fouad, L’islam politique au Maroc à la lumière du printemps arabe : Défis et perspectives, in
L’annuaire de la Méditerranée 2010-2011 : Printemps arabe, et après, El Maârif Al Jadida, 2010. p. 62.

101
2- Le printemps arabe a montré la fragilité possible et/ou réelle des régimes en place. Ce
qui les a obligés à lâcher du lest. Au Maroc, la réforme constitutionnelle et l’ouverture
du champ politique à l’islam politique furent précipitées par ce printemps arabe.
3- La perte de vitesse des partis dits traditionnels, de droite comme de gauche, a catapulté
au premier plan de la scène politique le PJD qui reste, in fine, vierge politiquement
parlant dans la mesure où il n’a jamais assumé de responsabilité institutionnelle par le
passé.

Faisant profit d’une telle situation politique critique – avec le coup de tonnerre qu’ont
connu les pays arabes-le PJD a semé ses grains pour créer une grande base populaire et réussir
les élections d’après les émeutes de rue qui ont basculé, un moment donné, la scène politique
au Maroc.

Durant les communales de 2009, selon sa stratégie électorale, le PJD s’est focalisé sur
les grandes villes. Les dirigeants et cadres de ce parti savent très bien qu’ils ont une difficulté
à pénétrer le monde rural1. La cause est peut être que le discours islamiste orienté vers
l’éthique, la morale et les valeurs religieuses correspond peu aux besoins matériels et
demandes sociales des habitants de ces espace comme l’accès au logement et aux
équipements tels l’eau, l’électricité, l’assainissement, l’hôpital, l’école etc 2.

La campagne électorale de ce parti dans les différentes villes était avec des slogans
tantôt dénonçant la corruption et l’exclusion sociale, tantôt levant la question religieuse et
l’unicité de Dieu. Elle a pris la forme d’une sortie kharja3, mode traditionnel de propagande
ou de prédication islamique, daawa4.

1
- BAJOURI, Nadir, Le politiquement autre : Acteurs en scène à la périphérie de Casablanca, Najah Al Jadida,
2010, p.187.
2
- Ibidem.
3
- Kharja signifie sortie, elle est le moyen utilisé par les groupes islamiques de se lancer dans la prédication,
daawa, auprès du public. Elle se fait en petits groupes, au niveau d’un quartier, d’une ville ou d’une région
particulière. Elle vise la propagation du discours ou plutôt du message de Dieu auprès de la population et elle
constitue en même temps le moyen par lequel les groupes islamiques recrutent de nouveaux éléments. La
campagne électorale des islamistes dans un quartier peut ressembler à ce mode d’action traditionnel des groupes
de prédication. Voir Nadir, BAJOURI, Le politiquement autre : Acteurs en scène à la périphérie de Casablanca,
in Mohamed, TOZY (sous la direction), Elections au Maroc : entre partis et notables (2007-2009), Najah Al
Jadida, 2010, p. 190.
4
- Ce terme veut dire « Discours des islamistes ».

102
« Le projet islamique est le point d’arrivée. Cela veut dire qu’on doit à la fin s’arrêter
chez la société islamique. Bien sûr il faut faire des concessions, on ne peut pas du jour au
lendemain construire la société islamique. Il faut d’abord trouver les gens qui croient en ce
projet 1».

Etant donné que le Maroc est un pays qui jouit d’une pluralité de tendances
religieuses, soufisme, confréries, zaouias,… 2. L’islam est considéré comme une source
essentielle de légitimité politique, sociale et culturelle. Dans ce contexte, l’islam politique a
été traversé par trois tendances :

 Un courant minoritaire constitué par les salafistes purs et durs « islam radical ». ce
mouvement reste fortement minoritaire et peu présent dans la société marocaine.
 Un courant contestataire de l’ordre établi et voulant instaurer un Etat islamique au
Maroc. Il est représenté par le mouvement politique « Al Adl Wal Ihsane de
Abdessalam Yassine.
 Un courant modéré, comptant 42 députés depuis 2002, contre 14 en 1977, représenté
par le Parti de la Justice et du Développement (PJD).

Au Maroc, la monarchie a été depuis consciente de l’importance de la religion dans la


légitimation du pouvoir, d’où elle a pu monopoliser ce champ. Une tactique réussie grâce à
plusieurs facteurs ; notamment, le titre du « commandeur des croyants » qui laisse une grande
marge de contrôle sur tout acteur actif dans son territoire ; et en fonction de ce titre le
monarque a pu structurer le champ religieux par l’institutionnalisation du corps des oulémas,
en créant le Ministère des Habous et des affaires islamiques, pour mettre la main sur les
affaires religieuses. D’autres références et pratiques ont suscité plus de grandeur au champ
religieux au profit du monarque tout au long de l’histoire marocaine : l’ascendance
chérifienne du monarque, la pratique de la bay’a, le maintien du waqf, organisation des
oulémas, renforcement de l’enseignement traditionnel, en particulier au sein de la
Quarawiyyine3… .

1
- Entretien avec un candidat du PJD à Lahrayouiyine, le 10/07/2009, in BAJOURI, Nadir, Le politiquement
autre, op.cit, p. 190.
2
- TOZY, Mohammed, Le Maroc actuel : une modernisation au miroir de la tradition ?, CNRS, 1992.
3
- TOZY, Mohamed, Jeune Afrique, n° 1987, du 9 au 15 février 1999, p. 10.

103
« L’Islam contribue donc à verrouiller le champ politique, garantissant à la monarchie
le contrôle idéologique ultime 1», en passant par un processus long et progressif du « fait qu’il
cumulait trois types de légitimités, rationnelle, charismatique et historique, le monarque est
devenu non pas seulement le dépositaire d’un pouvoir symbolique, c’est-à-dire un sultan
investi par d’autres centres de production du sacré d’un pouvoir révocable, mais le producteur
initial et exclusif de la symbolique, et cette production tire sa justification non pas
d’institutions positives comme la constitution ou la volonté du peuple, mais de sources
presque mythiques. Cette situation de fait, non sanctionnée systématiquement par les textes
officiels, mène et hiérarchisé où la monarchie joue le rôle d’un auteur hégémonique qui
détermine proportionnellement à son crédit symbolique 2».

L’islamisme actuel, au Maroc, est conçu comme un phénomène sociopolitique qui se


sert de la religion pour soutenir ses thèses 3. Une idée confirmée également par Rodinson qui
définit l’islam, comme étant « une aspiration à résoudre, au moyen de la religion, tous les
problèmes sociaux et politiques, et simultanément, de restaurer l’intégralité des dogmes ».

Malgré le monopole de la monarchie sur le plan politico-religieux, « elle ne parvient


pas à contrôler la totalité du champ religieux, un ensemble plus ou moins spontané
d’associations, de prédicateurs autonomes et d’agitateurs sociaux s’y rencontrent avec l’espoir
d’exploiter toute faille entre le pouvoir et les masses. Des confréries nouvelles recrutent des
adeptes, particulièrement dans les milieux urbains défavorisés. Dans les prônes, la critique
sociale et politique est fréquente… 4». D’où la naissance, en principe, de deux organisations :
Al Islah Wa Attawhid (réforme et unicité) et Al Adl Wal Ihsane (équité et bienfaisance), ou
encore Jamaat Addawa wa Tabligh d’origine indo-pakistanaise ; En fait, ce mouvement à
vocation internationale n’avait pas de projet politique, il « prêchait même pour l’apolitisme» 5,
et de faire un « retour à l’islam, à la pratique religieuse cherchant par-là à réislamiser la

1
- LEVEAU, R, Le sabre et le turban, l’avenir du Maghreb, François Bourin, Paris, 1993, p. 80.
2
- BERDOUZI, M, Destinées démocratiques : analyse et prospective du Maroc politique, Renouveau, 2000.
3
- BRANCIARD, M, Le Maghreb au cœur des crises, Chroniques sociales, Lyon, 1994, p. 82-83.
4
- LEVEAU, R, Le sabre et le Turban, op.cit, p. 81-82.
5
- TOZY, M, Jeune Afrique, n° 1987, 1999, p. 12.

104
société notamment les gens du peuple, sans toutefois intervenir directement dans le domaine
politique 1».

Au cours des années 70, le pouvoir (monarchie) a anticipée la mise en œuvre du


mouvement islamiste ; En d’autres termes, c’est le pouvoir lui-même qui, semble-t-il, était à
l’origine de la naissance et la cristallisation de l’islamisme au Maroc pour contrecarrer le
gauchisme en plein essor2. Plus exactement, en 1973, le mouvement de la Jeunesse islamique
est apparu. Dissout en 1976 après l’assassinat d’Omar Benjelloun, leader syndicaliste et
dirigent de l’USFP, en 1975. Les membres de ce mouvement faisaient partie de la classe
intellectuelle à l’époque ; à citer son fondateur Abdelkarim Moti’a (inspecteur de
l’enseignement, Abdessalam Yassine 3,…4.

Concernant l’évolution de ce mouvement, Tozy a fait la distinction de quatre étapes 5;


la première s’est établie clandestinement, et fut marquée par un discours extrémiste et un
endoctrinement des membres dans le cadre de cellules fermées, bâties sur le modèle des frères
musulmans. La deuxième s’est caractérisée par l’adoption d’une stratégie de lutte politique et
remettre en cause l’action clandestine. La troisième étape a coïncidé avec les événements
d’Algérie (1992), l’association a changé de nom et devenue Al Islah Wa Tajdid (réforme et
renouveau). La dernière étape s’est déterminée par le ralliement de certains membres du
bureau du mouvement au parti du Mouvement Populaire Constitutionnel et Démocratique
(MPCD)6. Ultérieurement, le mouvement est resté le bras idéologique, même quand il a
changé de nom, devenant Al Islah Wa Attawhid (Réforme et Unicité), avant de muter à
nouveau en 1997, pour aider à donner naissance au Parti Justice et développement (PJD).

1
- BRANCIARD, M, Le Maghreb au cœur des crises, op.cit, p. 92.
2
- TOZY, Mohamed, Jeune Afrique, n° 1987, du 9 au 15 février 1999, p. 11.
3
- Né en 1928, d’origine Idrisside-berbère, il était aussi un inspecteur de l’enseignement public. Il faisait partie,
dans les années 60, de la confrérie mystique Bouchichiya ; et créa en 1985, le groupe Al Adl Wal Ihsane (justice
et bienfaisance).
4
- La majorité des membres de ce mouvement ont été associés par la suite pour créer une nouvelle association
« Jama’a Al Islamiya ; Elle fut à l’origine de la création de l’association Al Islah Wa Attawhid (Réforme et
unicité) en 1982.
5
- TOZY, M, De l’action clandestine au parlement, qui sont les islamistes au Maroc ?, Le Monde diplomatique,
Août, 1999, p. 20.
6
- Le partage des sièges du bureau politique du parti MPCD, a été confirmé lors de son congrès en 1996. TOZY,
M, De l’action clandestine au parlement, op.cit, p. 20.

105
Selon une littérature propre au mouvement, les principes fondateurs d’Al Islah Wa
Tawhid, reposeraient sur une clarification primordiale : « Lever tout risque de mauvaise
interprétation, car ce nom en effet, peut suggérer à celui qui ne connaît pas notre réalité…,
un projet de monopole de l’islamité et l’exclusion de toute autre sensibilité ». L’association
tient à préciser qu’elle « ne représente pas les musulmans, mais un groupe parmi les
musulmans et elle ne se considère pas comme « tuteur » de l’islam, ni porte-parole exclusif de
celui-ci. Elle ne cherche pas non plus à empêcher quiconque d’agir dans ce cadre. Les
principes de participation, d’interaction (tafa’oul) et de collaboration avec l’autre,
prédicateurs, associations, institutions et organisations sociales et politiques qui travaillent
dans le sens d’une élévation du niveau du respect de l’Islam dans la vie des individus et des
groupes… sont des constantes de méthodes d’action et de prédication… » En somme,
l’essence de leur projet serait la « réforme de ce qui est vicié dans la société et la rénovation
de ce qui a vieilli en elle 1».

En passant par toutes ces étapes, Al Islah Wa Attawhid a pu entrer dans le jeu
politique, par contre celui de l’Adl Wal Ihsane est resté à l’écart. Qui tout d’abord pour être
reconnu par les pouvoirs publics, son leader a déposé une demande de légalisation de son
groupe au Ministère de l’Intérieur. Auparavant, ce mouvement avait mené ses actions dans la
clandestinité ; il a envahi les universités et les cités universitaires, avant de prendre part,
même timidement aux émeutes du pain (1981, 1984, 1990) pour protester contre le projet de
révision du statut de la femme sous le gouvernement Youssoufi, le chef d’ «Aladl wal Ihsan »,
Abdessalam Yassine ne s’est pas contenté de la protestation contre l’Etat, mais il est allé
jusqu’à la mise en cause de la monarchie elle-même, accusée de favoriser une
occidentalisation de la société. Dans ce contexte, il a adressé une première lettre à Hassan II
dans les années 70, qui lui avait coûté 3 ans de prison, dont 2 ans dans un hôpital
psychiatrique. Il adressa une deuxième lettre2, cette fois à Mohammed VI après son accession
au Trône. Ce dernier, lui a préféré un geste d’apaisement. Il l’a affranchi de la résidence
surveillée dont il a souffert pour près de onze ans3.

1
- Voir Communiqué du Mouvement Réforme et renouveau, in TOZY, Mohamed, Monarchie…..op.cit, p. 236.
2
- Il s’agit d’une lettre ouverte qui a été adressée à Mohamed VI, intitulée « A qui de droit ».
3
- Sans trop de tapage, le Ministre de l’intérieur avait déclaré à que « Abdessalam Yassine est dorénavant un
citoyen comme les autres ».

106
Influencé par la tendance politique du monde de cette époque, le mouvement islamiste
marocain n’est pas resté à l’abri ; Il s’agit des transformations géostratégiques liées à la
révolution iranienne de 1979 et l’attaque de la Grande Mosquée de la Mecque, et d’un autre
côté, au Mouvement des Frères Musulmans d’Egypte qui seraient derrière l’assassinat
d’Anouar El-Sadate. A propos de la révolution iranienne, à titre d’exemple, A. Yassine a
déclaré qu’« un nouveau visage de l’Islam apparaît dans le peuple iranien, un visage que des
dirigeants ayant la foi éclairent peu à peu et qui illuminera à son tour, si Dieu le veut, tous
les peuples de la nation islamique 1».

Cette révolution a engendré de « profonds changements non seulement dans le


gouvernement, ce qui est normal, mais aussi dans tout le tissu social du pays et dont les
conséquences se sont répercutées bien au-delà de ses frontières. Elle se présente comme
l’expression de l’Islam, autrement dit comme mouvement religieux, sous une direction
religieuse, comme une critique de l’ordre ancien, formulée en termes religieux et avec des
projets de nouvel ordre exprimés en termes religieux 2».

Quant aux répercussions du mouvement des Frères musulmans (Egypte) 3, il y a lieu de


confirmer que ce mouvement a été présent presque dans tous les pays arabes, soit par des
sections (Syrie, Koweit, Yemen), soit sous d’autres appellations: « Hamas » en Palestine et en
Algérie, « Front national Islamique » au Soudan, « Mouvement islamique de Niazi et
Rabbani » en Afghanistan, « Mouvement de tendance islamique » en Tunisie, ou aussi au
Maroc avec le groupe d’Abdessalam Yassine « Al Adl Wal Ihsane »4.

C’est ainsi que les mouvements islamistes marocains ont été inspirés dans leur
programme politico-religieux, pour envisager désormais l’aventure du pouvoir. Mais en
réalité, ces mouvements ont été toujours sous le contrôle absolu de la monarchie, voire

1
- LEVEAU, R, Réaction de l’Islam officiel au renouveau islamique au Maroc, in le Maghreb musulman en
1979, CNRS, 1981, p. 211.
2
- LEWIS, B, Le langage politique de l’islam, The University of Chigago, traduit en français par Odette Guitard,
Gallimard, 1988, p. 11.
3
- Il s’agit d’une association fondée en Egypte, en 1928 par Hassan El Banna. Ce groupe était financé
directement et entièrement par l’Arabie Saoudite, leurs objectifs se basait sur : La reconnaissance du primat de
l’Islam comme doctrine en matière théologique, philosophique et culturelle ; la rénovation conçue comme un
retour aux ressources de l’orthodoxie et comme restauration du pouvoir de l’Islam dont la place est centrale dans
la société, et la lutte contre les facteurs internes de division et élargissement du concept de nation à l’ensemble
du monde musulman. Voir BRANCIARD, M, Le Maghreb au cœur des crises, op.cit, p. 83.
4
- PONS, O, L’Islam politique, op.cit, p. 135.

107
marginalisés par rapport à d’autres chez ses voisins arabes, « la société maghrébine qui
jusqu’ici garde le plus sous contrôle ses islamistes en les marginalisant est la monarchie
marocaine 1».

Cette marginalisation s’est faite essentiellement sur la base de deux éléments ;


notamment en soutenant les confréries, et en encourageant le multipartisme, « Les réactions
du souverain tendant à accroître le rôle des élus locaux et nationaux laisseraient croire qu’il
perçoit la signification politique de cette effervescence diffuse et qu’il souhaite la canaliser
par une participation institutionnelle des partis et des syndicats, enfin de compte, beaucoup
moins dangereuse pour son pouvoir qu’un courant religieux échappant au contrôle
bureautique ou policier 2».

La politique de multipartisme était mise en place par le pouvoir pour faire face aux
prétentions politiques du parti de l’Istiqlal3, explicitement stipulée dans l’article 3 de la 1 ère
constitution marocaine : « Il ne peut y avoir de parti unique ». Depuis ce temps, ces partis
voyaient que ces mouvements islamistes ainsi que leurs programmes représentent une
concurrence à poids lourd 4. A cet effet, le ralliement des partis politiques surtout le PI, « dans
la ligne officielle du régime a renforcé la tendance du pouvoir et l’a rassuré 5».

Quant au soutien des confréries6, il était accompagné par l’introduction des images de
laïcité au mode de vie de la société marocaine. Les confréries peuvent être définies comme «
des sortes de communautés permettant d’établir entre l’homme et le divin des relations plus
concrètes, plus affectives que celle de l’Islam officiel. La vocation première d’une confrérie
est de conserver, de transmettre et de diffuser l’enseignement du fondateur 7». Hassan II,
durant son règne, a pris soin de cette catégorie à caractère religieux qui recrutaient surtout
parmi les franches de la population, aussi bien rurale qu’urbaine, déçues par la modernisation

1
- LEVEAU, R, Islam et contrôle politique au Maroc, CNRS, Paris, 1981, p. 271-280.
2
- LEVEAU, R, Réaction de l’Islam, op. cit, p. 205.
3
- MONJIB, M, Monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir, L’Harmattan, Paris, 1992, p. 221.
4
- A ce propos, Mohamed Tozy a donné l’exemple de Mohamed Fokrani (USFP), Abou Baker Kadiri (Parti de
l’indépendance). TOZY, Mohamed, Jeune Afrique, n° 1987, 1999, p. 18.
5
- BENDOUROU, Omar, Le pouvoir exécutif au Maroc depuis l’indépendance, Publisud, Paris, 1986, p. 149.
6
- DRAGUE, George, Esquisse d’histoire religieuse du Maroc : Confréries et Zaouias, Peyonnet et Cie, Paris,
1951.
7
- BRANCIARD, M, Le Maghreb au cœur des crises, op.cit, p. 90.

108
matérielle1. Une clientèle qui faisait partie de celle des mouvements islamiques, ce qui
justifiait le soutien qu’apportait le mouvoir à ces courants mystiques 2.

Pour l’image de la laïcité, Tozy explique que « La laïcité ne se situe pas, comme en
occident, entre l’Islam en tant que religion et la politique en tant que pratique profane, mais à
l’intérieur de l’Islam, entre dîn (religion stricto sensu) et dunya (vie temporelle) régie par
l’esprit de la révélation 3». Les signes de cette laïcisation sont très divers et variés, comme
l’expliquait R. Leveau ; Un système éducatif laïc «on est arrivé au fil des ans, et en dépit des
campagnes officielles d’arabisation, à voir les diplômes des universités traditionnelles, ou des
sections de langue arabe des universités modernes, mal considérés et peu sûrs d’eux-mêmes
lorsqu’ils ne savent pas le français ». Une presse laïque « la presse et la radio-télévision
diffusent, y compris dans leurs émissions en langue arabe, des modèles culturels de type
occidental. Mis à part la lecture de passages de Coran aux heures de prières, et les émissions
du mois de Ramadan, la télévision comporte assez peu de programmes à caractère
islamique ». Un mode de vie laïc « la vie urbaine dont le style emprunte plus … celui de
l’ancienne classe moyenne européenne d’Afrique du Nord (y compris le loto et le tiercé) qu’à
celui de la bourgeoisie traditionnelle ; la législation timide des "interdits de l’Islam" à travers
des transformations majeures dans le mode de vie et a fortiori le mode de penser 4.

Cependant, avec les événements qui ont touché le monde arabe en général, et pour le
cas du Maroc, en particulier, on peut parler de deux conceptions ; Celle des islamistes, qui
voyait que la société marocaine est une société laïque qu’il faut islamiser, et celle du pouvoir
qui ne voit intérêt à islamiser ce Maroc. Cette dernière tire son raisonnement de l’idée que

1
- LAMCHICHI, A, Islam et contestation au Maghreb, op.cit, p. 175.
2
- Dans le même contexte, Mohamed Tozy a présenté une étude sur la confrérie Boudchichia, implantée dans la
ville de Casablanca, et a expliqué l’évolution de cette dernière en se transformant en confrérie éducative pour
encadrer et organiser la vie spirituelle et temporelle de ses adeptes. Prônant l’apolitisme, elle tendait à éduquer et
purifier de l’intérieur de la société marocaine. Comme il signalé que les recrutements de cette confrérie s’étalait
sur les étudiants et les lycéens, et c’est qui n’est pas sans inquiéter le pouvoir. Voir TOZY, Mohamed,
Interférence des champs politique et religieux au Maroc, in Horizons maghrébins, automne 1985.
3
- TOZY, Mohamed, Monopolisation de la production symbolique et hiérarchisation du champ politico-religieux
au Maroc, op.cit, p. 271.
4
- « Un autre symptôme de la dégradation du système des valeurs islamiques en milieu urbain est constitué par
l’alcoolisme. La consommation de bière et de vin s’accroît dans la classe moyenne. De façon significative et
ambigüe, elle baisse de 30% dans le mois de ramadan, la bourgeoisie s’adonneraient plutôt au Whisky. Voir
LEVEAU, R, Islam et contrôle politique au Maroc, op.cit, p. 277 et 278.

109
cette laïcisation empêcherait l’émergence d’un islam radical ou au moins limiter
l’augmentation de ses adeptes. Pourtant, le contraire risque d’être produit 1.

De sa part, la monarchie par le biais de toutes ces légitimités a pu maintenir le contrôle


sur les mouvements islamiques, et les faire intégrer dans le jeu politique. Cette intégration est
due à plusieurs facteurs ; plus particulièrement l’expérience d’alternance, le processus de
démocratisation du pays, le contexte international et enjeux politiques en conséquence,
l’institutionnalisation de l’Islam, les événements de 2011(printemps arabe),…. Cette idée a
été déjà évoquée par Leveau en expliquant qu’« en se plaçant à sa tête, le roi répondrait aux
sollicitations de Yassine… . Il pourrait pratiquer à l’égard de dirigeants de ces mouvements la
tactique subtile d’intégration [PJD] et d’usure [Al Adl Wal Ihsane] que la monarchie a si bien
menée avec les partis et les syndicats. Autrement dit, les mouvements islamiques pourraient à
leur tour être cooptés dans le jeu politique des élites [PJD] 2».

Somme de toute, la monarchie marocaine a réussi jusqu’à présent à contenir


l’islamisme par une politique de contrôle, voire de monopole du champ religieux et de semi-
ouverture aux courants modérés de l’islamisme politique. Et le PJD constitue la bonne
illustration d’intégration des mouvements islamiques dans le jeu politique.

1
- En adoptant la même idée, Berdouzi a souligné que « les expériences de laïcisation de l’Etat dans le monde
musulman demeurent rarissimes et ont probablement favorisé des retours religieux fanatiques ». BERDOUZI,
Mohamed, Destinées démocratiques, op.cit, p. 29.
2
- LEVEAU, R, Le sabre et le Turban, op.cit, p. 83.

110
Conclusion Première Partie :

Pour conclure, la vague de contestation qui a touché le Maroc en 2011, n’est pas
nouveau. Le Mouvement 20 février sans prendre le degré des manifestations violentes, le cas
des autres pays voisins, a pu relativement redessiner la tendance des mouvements sociaux au
Maroc, par ses revendications des réformes constitutionnelles. C’est à la base de ces réformes
et beaucoup plus d’autres, le roi Mohammed VI n’a pas tardé pour réagir ; et le processus a
abouti à nouveau.

A partir de plusieurs éléments, à savoir la constitution, les élections, l’appareil


répressif « Makhzen », cette partie nous a permis de comprendre la spécifité d’une monarchie
institutionnelle, dont sa légitimité n’était point contestée, malgré que le débat politique
persiste. En effet, la ransition démocratique, le partage du pouvoir, la lutte contre les
inégalités sociales furent les éléments majeurs du défi de développement au Maroc.

Ces conclusions nous renvoient inévitablement, à remonter à l’histoire de la monarchie


marocaine liée à la centralité et la résilience du système politique au Maroc.

111
PARTIE II :

PORTEE ET LIMITES D’UNE HYPOTHETIQUE


RESILIENCE DU SYSTEME POLITIQUE MAROCAIN

112
PARTIE II : PORTEE ET LIMITES D’UNE HYPOTHETIQUE
RESILIENCE DU SYSTEME POLITIQUE MAROCAIN

« La démocratie souhaitée et souhaitable pour tous doit être,


pour réussir et s'implanter, administrée à doses
minutieusement étudiées et soigneusement adaptées».
Hassan II, Discours du Trône, 1992

La complexité et la difficulté de la question « résilience » du système politique


marocain devrait nous amène à revenir à l’histoire de ce pays, sa résistance face aux
changements depuis l’indépendance à nos jours, liés à la fois à un héritage culturel et une
philosophie politique propre au régime monarchique marocain. Cette vision pour large qu’elle
puisse paraître nous semble la plus appropriée pour rapprocher la question de « l’exception
marocaine ».

Nous tenterons de lever le voile sur différentes dimensions ; historique, politique, et


institutionnelle. L’éclairage historique porte sur des évènements ponctuels et des tendances
sur le court et le moyen terme, la dimension politique avec le renforcement des bases de la
monarchie et le déclin programmé du mouvement national sous l’ère Hassan II. Enfin,
institutionnelle pour traiter des réformes sociales et économiques depuis l’intronisation du
nouveau monarque et la mise en avant d’un discours sur l’Etat de droit et la consolidation de
la démocratie, y compris la lourdeur du passé qui entoure la consécration d’un modèle libéral
à l’œuvre dans les monarchies occidentales.

En somme, Hassan II a tracé les grandes lignes du nouveau Maroc : libéralisme


économique « nouvelle orthodoxie du développement »1, ouverture pérenne sur l’Occident, et
une ouverture démocratique toute relative.

1
- Une expression de I. Hibou qui a été reprise par M. Catusse. Voir CATUSSE, M., De la lutte des classes au
dialogue social, in Maghreb-Machrek, n°162, octobre-décembre 1998, p. 20.

113
Nous tenterons d’explorer la réalité du Maroc d’aujourd’hui, afin d'en ressortir ce qui
favorise ou renforce la résilience du système politique marocain. Face aux différents
mouvements de société, nous ferons une relecture de la réactivité des institutions et des
acteurs politiques, … . Beaucoup d’événements et de faits sociaux ont secoué le pays depuis
les attentats de 2003. Les batailles rangées pour ou contre la révision de la Moudowana,
signant l’entrée en jeu de l’islamisme politique, les centaines de sit-in ou d’attroupements
quotidiens en divers endroits du territoire national. Enfin, les soulèvements aussi spontanés
que violents à Sidi Ifni, Gdim Izik, Sefrou, et tout récemment Alhoceima, Jerada et la liste
n’est pas close.

Bien avant le printemps arabe, l’Etat marocain a développé des techniques, des
mécanismes à déployer suivant les situations et les circonstances. Il n’a pas toujours excellé,
mais il a pu souvent juguler les crises contingentes avec plus ou moins de succès. Avec
l’éclatement de la crise d’ALHOCEIMA, des signes d’essoufflement ont montré les limites d’un
Etat centralisateur qui rompt sans le vouloir, les nombreuses chaines de médiation sociale et
politique, à commencer de l’effritement volontaire des partis politiques. Il s'agit donc d'un
travail de description, d’évaluation et d'interprétation qui va nous permettre de mieux
comprendre l’évolution politique à la lumière des enjeux politiques, économiques et sociaux.

114
CHAPITRE 1

LE DOUBLE POIDS DES PRESSIONS ENDOGENES ET EXOGENES

« Le monopole de la contrainte par l’Etat devient un principe 1»

Le recours à l’histoire des mouvements sociaux au Maroc peut ressortir deux formes
contradictoires du pouvoir ; l’un anesthésiant, l’autre répressif. En effet, cela donne
l’impression particulièrement dangereuse pour le pouvoir, par la mise en scène incessante du
réel point d’espoir d’amélioration, tant que le pouvoir royal figé sur ses privilèges,
continuerait, selon l’expression de Palazolli, à « ralentir, délayer, contenir 2».

Tout au long de la période coloniale et même après son indépendance, le Maroc s’est
caractérisé par un climat de méfiance et de crainte, lié à la répression exercée sur les militants
de l’indépendance, et ceux du mouvement national. Cela ne pouvait être considéré que
comme une forme d’autorité absolue du monarque, qui n’est pas soumise à une loi, ou un
quelconque contrôle3.

Les militants de la période coloniale sont passés de la lutte contre le colonialisme à la


revendication d’une démocratie réelle, et à la lutte contre la monarchie absolue. Pour soutenir
leurs revendications, ces militants traditionnels avaient choisi d’adhérer à plusieurs corps à la
fois ; des associations, des syndicats ou bien des partis politiques.

Au cours de cette période, les anciens prisonniers et leurs familles à côté des militants
du mouvement des droits de l’Homme ont joué un rôle central dans la formation et l’initiation
d’un espace de citoyenneté au Maroc.

Dans ce chapitre, nous allons essayer de faire un tour historique sur les premiers éclats
de résistance au Maroc face à l’oppression coloniale, en rappelant les grands moments de
désaccord entre la monarchie et l’opposition (les années de plomb…), pour aborder par la
suite le mouvement marocain des droits de l’Homme. L’objectif de ce chapitre est de

1
- HOBBES, T., Le Léviathan, 1651, Traduction de Gérard Mairet, Gallimard, Paris, 2000.
2
- Cité in CUBERTAFOND, Bernard, La vie politique au Maroc, L’Harmattan, 2001, p. 77.
3
- « Chacun servait indirectement le roi en se trompant chaque fois d’adversaire : les résistants affaiblissent les
syndicats qui affaiblissent Ben Barka qui affaiblit Bouabid qui affaiblit Allal El Fassi qui affaiblit Guédira,
dernier rempart contre un pouvoir sans partage et sans contrôle ». Voir LAROUI, A., Le Maroc et Hassan II,
Centre Culturel Arable, 2005, p. 37.

115
répondre aux questions qui s’imposent à propos du système politique marocain et sa
résilience : Il s’agirait d’interroger l’origine de ces mouvements ? Se demander sur quoi
reposent leurs revendications ? Et puis comment la monarchie a pu atténuer voire absorber ces
mouvements notamment en les intégrant dans le système politique ?

SECTION 1 : RESURGENCE/PERMANENCE DE L’AUTORITARISME

Le bras de fer entre monarchie et mouvement national nécessite au préalable des


éclaircissements sur les caractères fondamentaux de l’un et de l’autre. La monarchie auréolée
de son pouvoir de droit divin se situait « sans confusion possible dans la catégorie des
monarchies théocratiques 1». Cet exercice sera consolidé par le recours fréquent aux
mécanismes traditionnels de consultation dans les pays musulmans (Shura), et le pacte sacré
qui unit le peuple au Roi à travers le serment d’allégeance (Bay’a) ; Il s’agit d’une relation
d’échange réciproque2. Pascon a signalé la place du non-dit, du discours du bienvenue
courtois mais protecteur de l’intimité, les refus de donner des clés et la mise à disposition de
fausses clés, « stratégie de l’araignée » : divulguer ou prendre au piège 3 ? Van der Yeught,
dans le même sens, a comparé le Maroc à une série de riads, maisons traditionnelles fermées
sur elles-mêmes avec une cour centrale à ciel ouvert, protégeant leur propre secret. Une
raison, selon lui, suppose que « connaître le pays ne signifie pas ici la même chose
qu’ailleurs. Il me semble qu’on ne connaît pas le Maroc. On ne fait que passer d’un "riad" à
l’autre, d’un cercle d’intimité à un autre souvent plus secret encore4».

1
- BENDOUROU, Omar, La monarchie théocratique au Maroc, Revue de droit international et de droit comparé,
n° 1-2, 1987, p. 88.
2
- LAHBABI, Mohamed, Le gouvernement marocain à l’aube du XXème siècle, Maghrébines, Casablanca, 1975,
p. 78. L’auteur considère l’«allégeance » comme une condition principale dans la monarchie alaouite depuis des
décennies.
A ce propos, Ibn Khaldoun, dans sa fameuse Mouqaddima, définit « la bay’a » comme « un engagement à
l’obéissance, le sujet (mubayi’e) s’engage à confirmer au Prince (Amir) les affaires des musulmans sans lui
disputer et à lui obéir dans tout ce qu’il fait (…) quand les gens procédaient à la bay’a, il serraient la main du
prince, cette pratique ressemble à celle des vendeurs et des acheteurs, c’est pourquoi on l’appelle bay’a du verbe
bai’aie : vendre… ». Voir IBN KHALDOUN, Al Muqaddima, Dar-Al-Bayane, Le Caire, p. 209.
3
- PASCON, Paul, (avec la collaboration de A. Arrif, D. Schroeter, M. tozy, H. Van der Wuste), La Maison
d’Iligh et l’histoire sociale du Tazerwalt, SMER, Rabat, 1984, p. 5-7.
4
- Sur l’idée que le Maroc soit une succession de riads, voir VAN DER YEUGHT, Michel, Le Maroc à nu,
L’Harmattan, Paris, 1989.

116
Cette centralité du pouvoir monarchique s’explique clairement avec l’avènement
d’Hassan II, qui a pu l’imposer dans le cadre d’une constitutionnalisation adaptée, comme il a
su regagner le jeu avec la notabilité rurale 1.

Au lendemain de l’indépendance, les rapports entre le roi et les partis politiques issus
du mouvement national sont devenus conflictuels autour de l’enjeu politique majeur de la
forme de l’Etat au sortir de l’indépendance, ce qui va déterminer le fonctionnement du
système politique marocain. Ainsi, cette intensité trouve parfaitement son sens dans
l’existence d’une compétition politique permanente entre ces deux composantes de l’Etat
marocain.

En conséquence, la résurgence du nationalisme au Maroc au cours des années 60-80


s’est caractérisée par sa justesse. Le nationalisme est devenu un enjeu, qui a pris des formes et
des actions intenses.

PARAGRAPHE 1 : UN PRINCIPE TOUJOURS D’ACTUALITE : « DIVISER POUR


REGNER »

En restaurant le pouvoir des notables du monde rural, Mohammed V a évité une


évolution incertaine qui aurait réduit la monarchie à un simple symbole, en transférant la
réalité du pouvoir à un parti dominant, en l’occurrence le Parti de l’indépendance. Dans la
même période, il a engagé son prestige personnel et son aura lié à l’exil et à la participation à
la lutte pour l’indépendance.

Dans ce jeu subtil, le mouvement national a maintenu son contrôle sur la bureaucratie
et la bourgeoisie urbaine (héritiers des grandes familles), tout en gardant ses rapports avec le
monde rural.

A- SOURCES DE LA REFORME DE L’INSTITUTION DU SULTAN (LES ANNEES 30-40)

Le protectorat a pu introduire dès 1914, un certain nombre de réformes qui ont


préfiguré un modèle juridique et politique des libertés publiques, mais ces droits n’ont fait

1
- Il s’agit des « individus qui, tout en participant à l’exercice du pouvoir administratif ou judiciaire, ne font pas
partie de l’administration comme agents de carrière qui peuvent être déplacés d’un poste à l’autre (…), ils
mobilisaient sur le plan politique un ensemble de liens interpersonnels s’appliquant à une locale plus ou moins
étendue ». LEVEAU, Rémy, Le Fellah marocain, défenseur du Trône, Presse de la Fondation nationale des
Sciences Politiques, Paris, 1976, p. 2.

117
qu’institutionnaliser des systèmes parallèles et inégalitaires, car seulement au profit des
étrangers (liberté de la presse, fonctions publiques, enseignement, liberté de réunion, etc).

Le Dahir du 16 mai 1930, connu sous le nom de « Dahir berbère »1, a marqué une
étape de plus dans le renforcement du régime de domination. Il a ainsi entamé la politique de
division du peuple marocain par la création d’écoles franco-berbères. Le protectorat entendait
faire accréditer l’idée que les Berbères ne sont pas de vrais musulmans et qu’il est donc
possible de les christianiser 2. Ce dahir a provoqué un mouvement de contestation d’un grand
nombre d’intellectuels de la ville de Fès et Salé, Tanger, Tétouan et toute la zone espagnole.

Mohammed Hassan Ouazzani3, a considéré que cette politique consacrait la devise


« diviser pour régner », et que « ce dahir, en érigeant les différentes ethniques, culturelles et
juridiques en principes fondamentaux du système politique dit lyautéiste n’avait que consacré
la cassure de l’unité du peuple marocain et opéré un geste pour le massacre de ses destinées
nationales 4».

Suite à des manifestations contre ce dahir, de nombreuses arrestations ont été menées
par les autorités du protectorat. Ouazzani explique à ce propos que de nombreuses arrestations
ont été transformées en condamnation d’autres en exil et bien entendu les prisonniers
politiques étaient soumis au régime de droit commun5».

Cette situation a conduit à l’adoption de deux dahirs limitant les libertés individuelles.
Le premier, le Dahir du 29 juin 1935 qui a prévu des condamnations à des peines
d’emprisonnement à l’encontre de quiconque aura incité à des désordres ou à des
manifestations ou les aura provoqués ; quiconque aura exercé une action tendant à troubler

1
- Ce dahir a été considéré par Robert- Jean Longuet (fondateur de la Revue Maghreb en juillet 1932) comme
« monument d’hypocrisie ». Théoriquement, officiellement, il a été promulgué dans l’intérêt de la liberté de
pensée. Pratiquement sous cette façade laïque, il est une arme habile et subtile entre les mains des catholiques,
qui peuvent manœuvrer tout à leur aise ». LONGUET, R-J, Réponse amicale à Sixte-Quenin, Maghreb, n°2, août
1932, p.7
2
- ROLLINDE, Marguerite, Le Mouvement marocain des Droits de l’Homme, Karthala, 2002, p. 25.
3
- L’un des intellectuels qui ont participé au mouvement de contestation contre le dahir berbère, issu de
l’enseignement moderne et ayant un diplôme de l’Ecole des sciences politiques.
4
- OUAZZANI, Mohamed Hassan, Combats d’un nationaliste marocain, Fondation M.H. Ouazzani, Rabat, 1989,
p. 126, in ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 26.
5
- OUAZZANI, M.H., La question berbère au Maroc, réactions et représailles, Maghreb, n°11, mai-juin 1993, p.
47.

118
l’ordre, la tranquillité ou la sécurité ». Le second dahir, celui du 20 juillet 1936, adopté pour
interdire clairement les manifestations de rues. Malgré ces répressions, le mouvement n’avait
guère droit d’y renoncer. Son ampleur s’est accentuée certainement mais en douceur 1.

Dans la zone Nord, l’histoire du mouvement nationaliste s’est concrétisée


manifestement dès la proclamation de la Deuxième République espagnole, en avril 1931.
Instruit par des formations dans les écoles traditionnelles, des universités du Caire et du
Naplous, le Parti des réformes nationales (PRN) s’est mis en place avec l’idée d’implanter des
écoles libres2. L’indépendance étant pour eux un but lointain, la collaboration avec l’Espagne
dans le but d’obtenir à terme une autonomie interne leur semblait préférable. Aussi, leur
préoccupation essentielle fut la formation et l’enseignement 3.

Dans cet esprit, ils ont préparé un « document de revendications marocaines », remis
au président de la République espagnole, le 8 juin 1931. Ce texte a été rédigé par Abdessalam
Bennouna4 et accompagné de huit cents signatures. Ce qui lui valut le titre de « père du
nationalisme marocain ». Il représentait l’espoir des Marocains en ces « héros actuels de
l’Espagne en vue de libérer leur pays » et leur attente d’une « tutelle bienveillante en leur
prêtant l’appui nécessaire et en les aidant à s’acheminer dans la voie du progrès afin qu’ils
puissent devenir pour la nation protectrice autant de bons collaborateurs que des alliés
puissants 5».

Les revendications rédigées dans ce texte portaient sur différentes attentes ;


notamment l’enseignement, les libertés de la presse et d’associations, les réformes
administratives et juridiques, la révision de la fiscalité, l’application des lois sociales

1
- Après le dahir de 1934 qui a rétabli les prérogatives judiciaires des pachas et du haut tribunal chérifien tout en
maintenant et réglementant les tribunaux coutumiers, d’autres manifestions ont vu le jour. Une période qui a été
marquée par l’apparition du Front populaire et d’autres mouvements revendiquant l’indépendance du Maroc.
2
- BENNOUNA Abdesslam et Mohamed Daoud ont fondé en 1924, une école libre à Tétouan « El-Ahlia », ayant
pour objectif la promotion et la diffusion des principes et valeurs du nationalisme.
3
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 38.
4
- A. BENNOUNA (1887-1935) fut l’instigateur et le porte parole du groupe. Il était membre de l’Académie
espagnole, de la Ligue internationale contre le colonialisme et crée, par l’intermédiaire de Chakib Arslan, les
premiers liens entre nationalistes marocains et leaders de la Nahda arabe.
5
- Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op. cit, p. 39.

119
espagnoles aux travailleurs marocains, les institutions sanitaires 1, etc... Même si ce texte
n’abordait à aucun moment la question de l’autonomie, encore moins l’indépendance, il
n’était pas suivi d’effet et les autorités espagnoles n’allaient tenir aucun compte des demandes
qui leur ont été faites. En novembre 1932, les nationalistes marocains en collaboration avec
des hommes politiques, des journalistes et intellectuels espagnols, créèrent « l’association
hispano-musulmane »2.

Un an après sa création, Abdesslam Bennouna engagea des discussions avec un


militant espagnol, Carlos Malaka Rita, la question de coopération avec les républicains
espagnols, ce qui fut à l’origine de la fondation d’une section de La Ligue espagnole des
droits de l’Homme, à Tétouan, le 21 décembre 1933. Elle fut la première Ligue marocaine des
droits de l’Homme3, indépendante de la Ligue espagnole dans le principe. Elle s’est présentée
comme une sorte de sections de cette dernière, pour éviter non seulement le refus de sa
création de la part des autorités du protectorat.

La Ligue Marocaine des Droits de l’Homme a eu l’occasion de créer plusieurs revues


(ESSALAM, HOURRIYA), qui favorisaient la promotion de leurs valeurs. En parallèle, la Revue
Maghreb a été fondée à partir de juillet 19324. Editée à Paris, cette revue a soutenu le
mouvement de protestation, et a dénoncé le Dahir Berbère. R-J. Longuet a expliqué que
l’objectif de la revue était de « rendre à ce peuple une autonomie qui lui a été garantie par un
traité au bas duquel nous avons apposé notre signature, et sauvegardé l’honneur de la vraie
France, généreuse, laïque et républicaine»5. Georges Monnet, député de l’Aisne, va jusqu’à

1
- Abdesslam BENNOUNA adressa une lettre à Chakib Arsalane (qui fut l’intermédiaire avec le mouvement
national arabe, la Nahda), le 2 mai 1931, pour justifier ces revendications : « Je ne suis pas, Monsieur, très
optimiste quant à nous octroyer prochainement le statut d’autonomie, mais je crois que si nous persévérions de
manière ordonnée et si nous savions comment défendre nos droits, en saisissant cette opportunité, beaucoup de
nos souhaits seront satisfaits. Cela constituerait la première pierre pour l’autonomie qui nous conduira enfin à
l’indépendance, si Dieu le veut ».
2
- Abdesslam BENNOUNA, Chakib ARSLAN, Ahmed BELAFREJ, Abdelkhalek TORRES, Mohamed DAOUD… ont
été parmi les membres de cette association.
3
- Le bureau de cette Ligue était présidé par Abdesslam BENNOUNA, Thami AL OUAZZANI (vice-président),
Mohamed MASMOUDI (trésorier), José BIROULA (secrétaire), Mohamed DAOUD, Ahmed GHILAN, Abdelkhalek
TORRES… .
4
- « Cette revue a été fondée pour défendre les droits et élever haut ta voix, pour exprimer tes revendications
(…). En effet le droit qui se perd parce qu’il n’est pas réclamé et la soumission à l’injustice constituent une mort.
La revendication d’un droit, c’est la vie elle-même ». Extrait du texte d’appel rédigé au dos de la revue.
5
- Voir LONGUET, R-J., Maghreb contre les ennemis de la France, Maghreb, n°9. mars 1933, p. 11. Dans une
analyse de la politique berbère au Maroc, Mohamed Al Yazidi, a interrogé ceux qui en sont à l’origine et leur a

120
comparer la politique de la France au Maroc avec celle de Hitler, en annonçant que
« l’immense majorité des Français repousse et déplore les principes et les procédés par
lesquels Hitler et ses amis gouvernent leur pays (…). Mais ces mêmes Français tolèrent sans
protestation que leurs représentants exercent sur les 60 millions de sujets coloniaux des
méthodes d’administration qui ne sont pas moins entachées d’injustice, d’arbitraire et de
violence 1».

Compte tenu de toute critique à l’égard du protectorat, les mouvements de gauche ont
aboutit à la promulgation d’un dahir comportant les sanctions contre les perturbateurs de
l’ordre au Maroc2. Le 29 juin 1935, il a été soumis à l’approbation du Résident général et à la
signature du sultan. Ce dahir avait pour objet « d’atteindre deux moyens de propagande qui ne
tombent pas sous le coup de la législation actuelle, (à) savoir : l’introduction, la détention, la
diffusion d’écrits séditieux et l’action verbale tendant à la création, par contagion mentale,
d’un état d’esprit contraire à l’ordre, à la tranquillité ou à la sécurité 3».

En trente ans de présence coloniale, les dits marocains ont beaucoup évolué et le
retour des nationalistes fut d’une grande ampleur, plus précisément à partir du Manifeste du
1er janvier 1944, qui donna naissance au Parti de l’Indépendance. A partir de cette date, il ne
s’agissait plus de réclamer des réformes en association avec le protectorat, mais d’exiger « la
restitution d’une souveraineté confisquée : un droit qui ne se marchande pas, une réparation
faite à une violence qui ne se légitime plus par aucune contrepartie "civilisatrice", compte

demandé : « s’ils comptent laisser encore longtemps un code qui renferme des lois du genre de celles-ci : 1° la
femme et les enfants du sexe féminin font partie de l’héritage ; 2° la succession d’une femme venue décédant
sans enfant mâle, même si cette femme a été abandonnée et a dû pourvoir seule à ses besoins, revient aux
héritiers de son mari (…). J’aime à croire, dit-il, que si vigilants soient-ils pour la conservation de l’Orf (droit
coutumier), les champions de la politique berbère n’admettront pas que des lois amorales, aussi opposées à
l’ordre public, puissent subsister encore longtemps ». AL YAZIDI, Mohamed, Divers aspects de la politique
berbère, Maghreb, n°11, p. 8-19. D’un point de vue réformiste, les deux auteurs furent appel au respect des
engagements contractés par la France par le traité du 30 mars 1912.
1
- MONNET, Georges, L’émancipation des peuples doit être notre but dans les colonies, Maghreb, n°11, mai-
juin 1932, p. 4.
2
- M.H. Ouazzani dans le cadre de sa collaboration avec des intellectuels français de gauche, a expliqué : « Nous
sommes que des patriotes éprouvés, et notre patriotisme reste parfaitement compatible avec la morale islamique,
dont nous sommes encore fortement imprégnés. Quant à la lutte que nous menons, elle s’inspire des obligations
que comporte ce patriotisme marocain basé sur la défense légitime de notre nationalité et aussi sur le droit, la
justice, la liberté et l’humanité (…). Les véritables réformes sont celles qui plaisent au peuple, c’est-à-dire celles
qui garantissent ses intérêts et satisfont à ses besoins ». OUAZZANI, M.H, Combats d’un nationaliste, op.cit, p.
121.
3
- Publié dans le Bulletin officiel du 5 juillet 1935.

121
tenu du passé glorieux. L’indépendance, cela se prend 1». Cette revendication avait déjà été
réclamée par le Parti des réformes nationales (PRN) et le Parti d’unité marocaine (PUM), en
1942.

En somme, Le Manifeste du 11 janvier 19442 a énoncé le projet d’un Etat marocain


pleinement souverain, ayant un régime monarchique constitutionnel, attaché à l’islam et
jouissant des libertés démocratiques 3:« La souveraineté marocaine doit s’organiser dans le
cadre d’une monarchie constitutionnelle et démocratique, garantissant efficacement les
libertés démocratiques et individuelles et notamment la liberté de croyance, à l’aide d’un
pouvoir central responsable et d’une représentation nationale qui traduit fidèlement les
aspirations du peuple 4». C’est à partir de cette date aussi que le sultan manifesta sa sympathie
ouverte envers les nationalistes. Pour autant les dissensions subsisteront.

Hassan El Ouazzani à son retour d’exil, créa un nouveau parti, le Parti démocrate de
l’indépendance (PDI). Il s’est démarqué de son rival Allal Al Fassi par sa revendication non
seulement de l’indépendance du pays, mais aussi sa démocratie. Les objectifs de ce parti,
selon lui, furent ainsi : « La lutte nationale pour l’indépendance a toujours été et demeure
encore inséparable du combat pour l’avènement de la démocratie dans le cadre d’une
monarchie libérale et constitutionnelle. Pour le PDI, l’indépendance n’est donc pas une fin en
soi, mais le moyen de libérer le pays en le rendant à nouveau maître de ses destinées ». Il en
appelle à « tous les éléments sains » de la nation, c’est-à-dire « le prolétariat, la paysannerie,
l’intelligentsia, la petite bourgeoisie 5».

A son congrès, tenu en décembre 1944, il nomma une commission de droits de


l’Homme avec une section femmes, mères et enfants. Deux ans après, il a fondé l’Association
« Akhouat es-safa » (Les sœurs de la pureté). Ce qui est à retenir à ce niveau, c’est sa
reconnaissance de la femme et de son rôle, et sa volonté de l’intégrer au cœur du mouvement
national.

1
- RIVET, Daniel, Le commandement français et ses réactions, p. 358, in ROLLINDE, M., Le mouvement
marocain, op.cit, p. 62.
2
- Parmi les principaux auteurs de ce manifeste, on citera Ahmed Balafrej, Mohamed Al Yazidi, Mohamed
Hassan Ouazzani, Mehdi Ben Barka… .
3
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 63.
4
- JULIEN Ch.-André, Le Maroc face aux impérialismes, 1415-1956, Jeune Afrique, 1978, Paris, p. 190.
5
- Discours de M.H. Ouazzani en mai 1946, in ROLLINDE. M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 63.

122
A cette époque déjà, les manifestations se multipliaient enracinant la pratique de la
contestation. Ainsi, de nouvelles manifestations se déclenchèrent à Rabat, Salé et Fès, le 29
janvier 1944, et se transformèrent en échauffements avec l’armée. En effet, ces revendications
expliquent la nouvelle forme qu’a pris le mouvement de droit, notamment les pétitions, les
appels à l’opinion internationale, les conférences de presse, etc. De ces actions éparses, tantôt
dans les villes, tantôt dans les campagnes, les mosquées, les zaouïas, les écoles... . Plus que
tant la tendance le mouvement syndical a commencé à briller à l’époque, accentuant la
vigueur du mouvement national.

Les revendications syndicales soutenues particulièrement par le nouveau Parti


communiste marocain et des militants enrôlés dans l’Union générale des syndicats confédérés
du Maroc (UGSCM)1, notamment Abraham Serfaty2.

Toutefois, le Parti communiste français a considéré que le choix s’est fait, pour les
peuples d’Afrique du Nord, entre une union avec la France nouvelle et révolutionnaire,
assurant ainsi « l’émancipation véritable des colonies et des masses » et « une indépendance
préconisée par les nationalistes qui ne serait en fait qu’une ruse employée par ces derniers
pour sauver et perpétuer leurs privilèges (…). Il ne peut y avoir d’équation et de réciprocité
entre l’émancipation et l’indépendance et dans ce cas précis, elle devrait s’en passer car ce qui
prévaut c’est l’indépendance du peuple 3».

1
- Cette Union a été née à l’issue du 4ème congrès de l’Union départementale de la CGT, en 1946.
2
- Né le 12 janvier 1926 à Casablanca, dans une famille juive de commerçants aisés, il a rejoint en 1944 les
Jeunes communistes marocains. A l’âge de dix-huit ans, il découvre pur la première fois les cachots de Derb
Moulay Chérif. Après des études secondaires au lycée Lyautey de Casablanca, il obtint deux baccalauréats de
mathématique et de philosophie en 1945 et part en France. Il y rencontre les résistants français : « La résistance
française a compté dans ma formation intellectuelle, politique, humaine, et j’ai été profondément touché de voir
tous ces anciens résistants qui, aux côtés de bien d’autres, avaient signé la pétition pour la libération des détenus
politiques au Maroc qu’a lancée le Comité pour les libertés et les droits de l’homme en France et dans le
monde ». Il rejoignit l’Union des étudiants communistes française et milita à la section du Parti communiste
français (PCF) du 5è Arrondissement. Après son diplôme de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris en
1949, il rentre au Maroc et dirige un chantier de recherches minières dans le Haut-Atlas. Deux ans après, il
démissionne pour rejoindre la lutte politique du mouvement national à Casablanca, et il entra dans une vie semi-
clandestine au sein du Parti communiste marocain. Ces propos ont été cités par ROLLINDE, M., Mouvement
marocain, op.cit, p. 65-66.
3
- RAOUF, HAMZA, Le PC Tunisien et la question nationale, in R. Gallissot, Mouvement ouvrier, communisme
et nationalisme dans le monde arabe, L’Atelier, 1978, p. 260. Cette analyse vaut autant pour le PC tunisien que
marocain. Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…op.cit, p. 66.

123
Dans le cadre d’union entre les peuples de France et du Maroc, l’UGSCM a réclamé
des droits égaux. Et malgré les dissensions entre nationalistes marocains et communistes, le
mouvement syndical s’est éminemment développé 1. En 1947, le Parti de l’Istiqlal a infiltré ses
militants pour adhérer à l’UGSCM en vue d’accompagner ce mouvement syndical. Au sein de
la direction de ce parti (PI), Mehdi Ben Barka 2, en était le secrétaire administratif. Il a favorisé
cette politique d’entrisme syndical, avec l’appui de l’aile gauche du parti, représenté par
Mohammed Al Yazidi, alors secrétaire général adjoint, et Omar Abdeljalil.

De nouveaux militants se sont présentés pour le contrôle du parti, Abderrahim


Bouabid, Mehdi Ben Barka, Abderrahman Youssoufi, Abdallah Ibrahim, et Maati Bouabid.
L’Union marocaine du travail (UMT) fut créée le 20 mars 1955. C’était le premier syndicat
dirigé par un marocain et dont Mahjoub Ben Seddik fut secrétaire général.

L’histoire du syndicalisme marocain a été liée à celle du parti politique, tant qu’il est
vrai que pour les ouvriers la lutte nationale se confondait avec la lutte de classes, face à un
patronat très largement étranger3.

La ville de Casablanca fut le creuset des protestations de masse. Elle a ensanglantée


par une série d’évènements, « les marches de la faim » dues à la sécheresse de l’année 1945,
le massacre de centaines marocaines et marocains par des tirailleurs sénégalais (le 7 avril
1947), etc. Ces faits ont engendré une prise de conscience chez le même peuple un nouveau
phénomène d’ordre urbain et social : le soulèvement des bidonvilles4.

1
- Au cours de cette période, un grand nombre de Marocains ont adhéré ce mouvement, 20 000 membres en
1946, 100 000 en 1948. Voir MENOUNI A. Elatif, Le syndicalisme au Maroc, Maghrébines, Casablanca, 1979,
p. 42.
2
- Ancien élève du collège Moulay Youssef, marqué par des enseignants communistes, comme Jean Dresch, son
professeur de géographie, il fut très tôt attiré par le marxisme mais pris ses distances avec le Parti communistes
dès 1943, en raison d’hostilité du PCF aux thèses de l’indépendance et aux nationalistes d’Afrique du Nord. Voir
sa notice biographique in Dictionnaire biographique, p. 51-54.
3
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op. cit, p. 68.
4
- La population de ces bidonvilles a constitué une menace permanente dans l’esprit des habitants des quartiers
européens de la ville, dont le luxe représenta une véritable provocation pour ces marocains condamnés à la
misère et au sous-emploi. Et Face à cette situation, l’administration coloniale a opté pour le remplacement du
Résident Erik Labonne par le maréchal Juin qui avait pour objectif d’instaurer une co-souveraineté entre le
Maroc et la France. Il a lancé un ultimatum au sultan pour l’obliger à désavouer l’Istiqlal, et il a tenté d’utiliser
les autorités traditionnelles et les chefs de confrérie, en s’appuyant sur le Glaoui de Marrakech, pour menacer le
sultan d’invasion des tribus berbères sur les villes ; il organisa des manifestations spontanées de montagnards et
de cavaliers berbères contraints de se rendre à Fès ou à Meknès. Dans le même temps, il renforça les mesures

124
En effet, cette période a été caractérisée, d’une part, par la montée en puissance du
mouvement syndical (l’adhésion des Marocains à l’UGSCM a passé de 50 000 adhérents en
1946 à 60 000 en 1950), et par l’accentuation de la répression violente exercée par le
protectorat, d’autre part. Cette répression s’est concrétisée par l’acte du Résident qui a mis de
côté la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales1 (4 novembre 1950), en accusant l’Istiqlal et le Parti Communiste de préparer
un complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Il arrêta un certain nombre de
syndicalistes, parmi eux Tayeb Benbouazza et Mahjoub Ben Seddik… 2.

Cela a provoqué la colère des marocains qui vont entrer en résistance directe contre les
autorités françaises3. Le recours aux armes était désormais légitimé et le mouvement a été
doté d’une organisation armée. « Les moyens sont simples et visent par une série d’attentats et
de liquidations, à créer un climat d’insécurité générale. Les cibles visées sont des
personnalités européennes, des "traitres" marocains. Les lieux touchés sont des stations
d’essence, des sièges de journaux ou revues, des fermes (incendie des récoltes), des trains 4».

répressives contre les nationalistes, les communistes et les syndicalistes. Voir ROLLINDE, M., Le mouvement
marocain, op. cit, p. 69.
1
- Cette convention a été élaborée au sein du Conseil de l’Europe. Elle définit un certain nombre de droits
fondamentaux (articles 2 à 14), et en particulier la prohibition du meurtre illégal, de la torture et des traitements
inhumains ou dégradants, de l’esclavage ou du travail forcé, d’une garantie contre l’arrestation et
l’emprisonnement arbitraires.
2
- Certains Français ont été aussi victimes de leur engagement. Quarante quatre d’entre eux ont été expulsés
après les évènements de 1952, accusés de collaboration avec l’Istiqlal. Parmi eux, Albert Ayache (professeur au
Lycée Lyautey de Casablanca) arrêté chez lui. Pierre Parent, ancien membre de l’Assemblée d’Alger et de
l’Assemblée Nationale, à qui on a reproché un article du 7 juin 1952 sous le titre « De la violence ». Dans lequel
il écrit : « Je pense qu’aujourd’hui, … où rien ne peut rester caché, il est d’autres moyens d’aboutir que de faire
couler le sang d’innocents, ce qui n’ajoute rien à la justice d’une cause ». Une note de la Résidence a inversé ses
dires en laissant croire que Pierre Parent était favorable à la violence : « Je pense qu’aujourd’hui il n’est d’autre
moyen pour aboutir que de faire couler le sang ». Voir BARRAT, Robert, Justice pour le Maroc, Le Seuil, Paris
1953, p. 73.
3
- De nombreux facteurs ont dévoilé la violence chez les Marocains contre la violence de l’occupant français,
notamment la destruction des syndicats, l’interdiction des partis politiques et la destitution de Sidi Mohamed Ben
Youssef, et son envoi en exil le 20 août 1953, puis son éloignement à Madagascar avec le prince Moulay Hassan
ainsi que les membres de sa famille.
4
- BOUAZIZ, Mostapha., Aux origines de la Koutla démocratique, Publications de la Faculté des lettres et
sciences humaines de Casablanca, 1997, p. 75.

125
Malgré cela, ce n’est qu’après trois ans de conflit et de confrontation, que le Maroc a
pu avoir son indépendance et le Sultan Sidi Mohammed fut de retour1.

En somme, les mouvements des années trente et quarante ont pu fonder une base
solide du mouvement national2. Les élites naissantes ont évolué dans le conflit, la
confrontation et acquis une grande détermination à revendiquer l’indépendance de leur pays.
Cela a consacré le « mouvement national » comme acteur majeur de la scène politique au
Maroc, ce qui lui donne une légitimité lors de nouveaux combats dans les années soixante à
quatre-vingt.

Cette période s’est caractérisée à côté du mouvement national marocain, par un autre
mouvement, celui des Marocains et des Français. Une telle idée résume qu’au-delà de la
confrontation antagonique entre eux, les deux parties ont pu partager certaines idées,
notamment la lutte commune contre les autorités du Protectorat, et la défense de certains
droits, même si les objectifs poursuivis par eux étaient différents, voire opposés 3.

A côté, au de-là des divergences politiques, le Maroc était manifestement sous le


charme de l’idéologie salafiste sur laquelle s’accorde la majorité des intervenants de la scène
politique. C’est ainsi que le Maroc ne pouvait prendre d’autre forme que monarchique, un
régime fondé sur l’islam autour d’un roi. Il s’est doté d’une trilogie « sacrée », qui a fait
l’objet de la devise constitutionnelle de l’Etat « Dieu, la Patrie, le Roi »4.

1
-Trois ans marqués par la terreur de la répression policière à laquelle répondaient les actions isolées de militants
et de militantes, ceux que l’Etat français nommait terroristes, condamnés à la clandestinité dans de petites
cellules isolées les unes des autres pour éviter les risques de dénonciation. Ils ne reculaient pas devant les
moyens, comme en témoigne l’attentat du marché central à Casablanca, la veille de Noël 1953, qui a fait 18
morts, celui de Marrakech, le 20 février 1954 contre El Glaoui, ou celui de Mers Sultan, le 14 juillet 1955. Voir
ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 73.
2
- La Résidence n’avait guère le choix que de calmer le jeu et d’esquiver la montée de la violence. Elle a procédé
à la libération des syndicalistes arrêtés, en admettant la création de l’Union Marocaine du Travail (UMT), le 20
mars 1955, à Casablanca. Et elle réclama le 2 mars 1956, l’indépendance du Maroc.

3
- Dans ce contexte, Lyautey n’avait pas tort lorsqu’il a écrit, dès 1920, dans la circulaire dite du « coup de
barre » : « Ce n’est pas impunément qu’ont été lancées à travers le monde les formules de droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes et les idées d’émancipation et d’évolution dans le sens révolutionnaire. Il faut bien se
garder croire que les Marocains échappent ou échapperont encore longtemps à ce mouvement général ». Voir
Circulaire du 18 novembre 1920.
4
- Préface d’Abderrahim Berrada, in ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p.9.

126
B- AGE D’OR DE LA PERIODE TRANSITOIRE (LES ANNEES 50-60)

Au lendemain de l’indépendance, les acteurs politiques, le roi et les partis du


mouvement national ont accordé la priorité à la question de l’intégrité territoriale et au
raffermissement du nouvel Etat unifié. Faisant du Sultan un héro de l’indépendance, personne
ne remettait en cause sa prééminence1. Mohammed V s’adressa aux Marocains le 9 mars
1956, et lança non seulement un appel à l’union en «véritable émir des croyants, de tous les
croyants du monde islamique», mais aussi la volonté du Maroc de jouer un rôle dans
l’ensemble du monde arabe et de la communauté musulmane qui dépasse le cadre territorial
marocain2.

Le choix de la monarchie au Maroc coulait de source, et était fortement soutenu de


l’Istiqlal au parti communiste marocain (PCM) qui l’a manifestement exprimé dans un
communiqué, après la publication du Dahir du 6 juin 1957, faisant de Moulay Hassan le
Prince héritier du Trône. Il a considéré « l’investiture de SAR Moulay Hassan en qualité de
prince héritier comme un facteur de renforcement de l’unité de la nation, condition de
sauvegarde de notre indépendance, si chèrement acquise, contre toute menace 3». La
monarchie se présentait ainsi comme une garantie de l’union de la nation autour d’un
territoire (Al- Wataniya) et le lien idéal du Maroc avec la communauté musulmane dans son
ensemble, d’autre part ; ce que Rodinson a appelé le « patriotisme de communauté »4. En
d’autres termes, c’est la transition du nationalisme en tant qu’action politique à un
nationalisme à caractère historique, en tant qu’« instance de réinterprétation »5. Cette double
référence territoriale et communautaire s’est traduite à la fois par la coexistence d’une
revendication constitutionnelle, loi fondamentale qui régit les rapports juridiques, civiques et
politiques des citoyens d’un Etat donné, et aussi par le sentiment d’appartenance à la "Umma"
qui implique le respect de la "charî’a". La question de l’islam, à ce niveau là, était interprétée
différemment par des acteurs politiques de l’époque. Selon Allal Al Fassi, l’islam constitue

1
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op. cit, p. 87.
2
- Ibidem.
3
- Communiqué du 15 juin 1957, in le Parti communiste marocain dans le combat pour l’indépendance nationale,
textes et documents, 1949-1958, Paris, juillet 1958, p. 298.
4
- RODINSON, Maxime, De Mohamed à l’islam politique d’aujourd’hui, in L’Islam, politique et croyance,
Fayard, Paris, 1993, p. 76
5
- Voir LAROUI, Abdellah, Etudier le nationalisme, in Esquisses historiques, 4 ème partie, Centre culturel arabe,
Casablanca, 1992, p. 124-145.

127
une voie de démocratie, et la doctrine « égalitarialiste » qu’il prône est fondée sur un projet
« éthique » dans lequel le Coran tient lieu de déclaration des droits de l’Homme 1.

Dans le même registre, Mehdi Ben Barka nuançait ses propos et pensait que le
fondement islamique de la société marocaine s’imposait, mais que « le citoyen marocain, en
tant que tel, est aconfessionnel, en ce sens que les institutions de l’Etat marocain sont des
institutions non confessionnelles ». Il considère que l’Islam en tant que référence est une
culture plus qu’une croyance. « Le mot laïcité, dit-il, je ne le comprends pas comme le
comprennent d’autres, étant donné que le problème ne se pose pas pour nous de la même
façon que dans d’autres pays. Nous voulons former notre jeunesse dans les traditions
nationales, c’est-à-dire lui donner une formation religieuse au sein de l’enseignement. Mais
quand il s’agit des institutions de l’Etat, à ce moment-là, elles restent en dehors de la religion
de celui qui les occupe2».

Parmi les grandes revendications du mouvement national, durant la lutte contre la


France coloniale, était l’accès à l’enseignement, et qui demeurait fortement défendu par
l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM)3 fondée en 1957, et l’Association des
étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMNA).

En 1948, dès la proclamation de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme,


Mehdi Ben Barka fit parti de la délégation de journalistes marocains présents au palais de
Chaillot où siège l’ONU. Il remet un mémorandum sur les droits de l’Homme au Maroc à la
Commission politique chargée de statuer sur le sort des territoires dépendants et dans lequel,
il dénonce l’absence de constitution, la protection juridique contre les abus des autorités du
protectorat, les atteintes à la liberté de circuler, au droit de propriété et à l’absence de code
réglementant le droit au travail, à l’enseignement, ainsi que les différentes atteintes à la liberté
d’expression, de réunion et d’association. Ces revendications firent référence à la Révolution
française et à la charte des Nations Unies.

En « père de la nation », Mohamed V a exprimé sa volonté de moderniser le Maroc,


tout en gardant les mesures de contrôle de la société. Une telle attitude s’expliquait par

1
- Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…, op.cit, p. 89.
2
- Voir BEN BARKA, Mehdi, L’université marocaine, in M. Ben Barka, Ecrits politiques 1957-1965, Syllepse,
1999.
3
- Cette union avait pour objectif l’encadrement des étudiants marocains dont le cadre de la continuité des
associations qui l’ont précédé et qui ont fait sortir de nombreux cadres du mouvement national.

128
l’absence de textes internationaux, à l’exception de la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme de 19481. Face à cela, l’archaïsme du Dahir du 29 juin 1935 de la période coloniale,
repris et amendé par le Dahir du 26 septembre 1969. Ce dernier prévoyait l’incarcération
allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement pour quiconque ayant manifesté « la résistance
active ou passive contre l’application des lois, décrets, règlements ou ordres de l’autorité
publique », avoir « incité à des désordres… ou exercé une action tendant à troubler l’ordre, la
tranquillité ou la sécurité 2». Durant cette période, les rangs du principal parti l’Istiqlal se sont
divisés entre radicaux et modérés. Rivalités d’individus et volonté hégémonique du « parti-
nation », celui issu des luttes de libération. La scission du courant radical de l’Istiqlal va le
recaler dans l’opposition depuis le départ d’Abdellah Ibrahim (décembre 1958-mai 1960), et
la création de l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP) en janvier 1959.

L’UNFP a rassemblé de grands militants du mouvement national, notamment Mehdi


Ben Barka, Abderrahim Bouabid, Youssoufi, Fqih Basri, Mohamed Hihi, Abdellatif Laraki,
Omar Benjelloun, etc. Leur principal objectif était « l’instauration d’une démocratie réelle
garantissant à tous les citoyens la participation à la gestion des affaires publiques sur le plan
national et local dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle sous l’égide de S.M.
Mohammed V3». Son premier conseil national en 1959, a sorti un communiqué dans lequel il
« protesta contre les saisies répétées à l’encontre de (notre) journal AT-TAHRIR. Il dénonça le
rôle destructif que joue une certaine opposition dans l’administration contre le gouvernement
du pays 4». Des militants sont allés jusqu’à demander la responsabilité du Gouvernement
devant le peuple et non devant le Roi, ce qui leur a valu d’être inculpés d’offense à La
personne du roi, d’attenter à la sûreté intérieure de l’Etat !

1
- Ce texte n’avait pas d’effet contraignant sur le droit positif des pays membres de l’ONU, comme ce fut le cas
du Maroc à partir de 1956.
2
- Ce dahir ne sera abrogé qu’en 1994. Et en 1959, le code de procédure pénale (CPP) va amender le code des
libertés publiques en introduisant des peines et des restrictions plus sévères. Complété par la suite par un code
pénal (CP), qui a été promulgué en 1962, qui avait pour objectif d’unifier les juridictions précédentes, sus
contrôle français, espagnol et dans la zone de Tanger. De nombreux articles de ce code, notamment les articles
169 à 179 relatifs aux infractions contre la monarchie et les articles 201 à 204 relatifs aux infractions contre la
sûreté intérieure de l’Etat, sont calqués sur le code français, mais les tribunaux en font une lecture extrêmement
large et qui va dans le sens de plus de sévérité. Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 95.
3
- Extrait de la Charte de l’UNFP, 6 septembre 1959.
4
- At-tahrir, 15/12/1959, cité par Omar Bendourou, Le pouvoir exécutif au Maroc depuis l’indépendance,
Published, Paris, 1986, p. 77.

129
De son côté, le Parti communiste a déposé ses statuts (31 mars 1959) sans aucune
objection du Gouvernement 1. Mais, le 10 septembre, le Président du Conseil du
Gouvernement a publié un décret, et il a prononcé la suspension de ce parti en engageant la
procédure de dissolution par voie de justice2. Le Parti d’Ali Yata a rejeté ces accusations
d’hostilité à la religion musulmane et d’opposition au principe monarchique, en alléguant que
« c’est le marxisme-léninisme qui nous conduit à soutenir toutes les forces (les forces
nationales), dont la monarchie marocaine ». Il reprenait l’argument de la majorité des partis
communistes arabes, à cette époque, qui présentait l’islam sous forme progressiste opposée
aux riches et aux oppresseurs, et n’hésitaient pas à faire appel à la tradition musulmane, au
nom du nationalisme arabe3.

Rejetée par le tribunal de première instance de Casablanca, le 29 octobre 1959, la


requête déposée par le ministère public fut recevable au niveau de la forme par la Cour
d’appel de Rabat, ce qui ouvrit la voie à la dissolution de ce parti. La cour s’est appuyée dans
son jugement sur le Discours du Trône du 15 novembre 1959, dans lequel Mohammed V a
déclaré que : « Les doctrines matérialistes, qui sont incompatibles avec notre foi, nos valeurs
morales et notre structure sociale, ne peuvent avoir de place chez nous, car l’islam, grâce à
son aspect de tolérance, nous suffit ». Ce procès atteste deux éléments, le premier porte sur les
limites que la légitimité religieuse s’impose à la légalité, et le second explique que la parole
du roi a force de loi4.

Après la séquence d’exil de la famille royale durant lequel les relations ne se sont pas
coupées avec le mouvement national, la monarchie s’imposait d’elle-même, comme le
reflétait l’accueil triomphal réservé à Mohammed V le 9 mars 1956 à son retour à l’aéroport
de Rabat-Salé. Le monarque fut un symbole de lutte pour l’indépendance du Maroc et le
protecteur de son unité territoriale.

1
- Cette décision fait référence au dahir sur les associations qui a été promulgué dans le cadre du code des
libertés, et qui s’appliquait aux partis politiques.
2
- En faisant référence à l’article 3 qui dispose la nullité des associations ayant pour but de porter atteinte à
l’intégrité du territoire national ou à la monarchie elle-même.
3
- RODINSON, Maxime, Problématique de l’étude des rapports entre Islam et communisme, in Marxisme et
monde musulman, Le Seuil, Paris, 1972, p. 130-181.
4
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 101.

130
Les premières élections communales eurent lieu en 1960, et tous les partis étaient
représentés à l’exception de l’UNFP, les élections communales et municipales ont été
marquées par la présence forte des partis du mouvement national même si le palais a
minimisé leur caractère politique. Ben Barka estimait à ce propos, qu’il s’agissait « d’un coup
d’Etat » qui a « obligé le pouvoir fondé sur l’arbitraire et la coercition à enlever son masque et
à apparaître tel qu’il était fondamentalement 1». La disparition précoce de Mohammed et tous
les malentendus avec les représentants du mouvement national marquaient la fin « du pacte
entre le roi et le peuple » et « le moment de ce processus qui clôt la mobilisation nationale, un
tournant qui rend la monarchie fondamentalement conservatrice 2 ».

Les militants de l’aile gauche du mouvement national se sont engagés à exprimer le


refus de ce processus et s’en prendre illico au Roi. L’UNEM, a pris la même position que ces
derniers, et elle a marqué sa rupture avec le Palais, lors de son 6ème Congrès en juillet 1961, à
Azrou. Elle a affirmé dans son texte doctrinal que : « L’UNEM est convaincu que le seul et
unique responsable de ces échecs répétés est le pouvoir. Aussi déclare-t-elle que ce pouvoir
est le principal obstacle à tout progrès, parce qu’il s’appuie sue des forces sociales et
politiques déterminées qui sont "l’impérialisme international", "la féodalité", "un groupe de
spéculateurs" et "une poignée d’opportunistes" 3». C’est le moment où l’UNEM commençait
à considérer le roi comme adversaire, en critiquant sa politique intérieure qui empêche le
progrès du pays.

Avant sa mort, et malgré ces circonstances délicates qui caractérisaient la scène


politique marocaine, Mohammed V a pu jeter les bases d’un Etat moderne. La question qui
s’impose est de savoir : Dans quelle mesure, Hassan II en successeur averti, allait surmonter
les embûches de la mise en œuvre de ce projet ?

Proclamé roi le 3 mars 1961, au lendemain du décès de son père Mohammed V,


Hassan II a adopté une stratégie qui consiste à conserver tous les pouvoirs entre ses mains ;
Chef d’Etat, Président du Conseil, Chef Suprême des Forces Armées Royales, et Chef d’état-
major Général. Dans son 1 er Discours du Trône, il a déclaré son engagement envers son
peuple « dans le respect des intérêts supérieures de la Patrie (et) conformément aux principes

1
- BEN BARKA, Mehdi, Option révolutionnaire, op.cit, p. 21-22.
2
- GALLISOT, René, Introduction à M. Ben Barka, Ecrits politiques, op.cit, p.23.
3
- PALAZZOLI, Claude, Le Maroc politique de l’indépendance à 1973, Sindbad, Paris, p. 414-418.

131
de l’Islam, à ses valeurs spirituelles et à ses traditions nationales séculaires (…) pour
poursuivre l’ascension du Maroc dans la voie du progrès et de la prospérité 1».

En détenant l’essentiel des pouvoirs, on a reproché au roi Hassan II d’avoir instauré un


système politique très autoritaire et fortement personnel ; en ayant la main sur les élections
des représentants, sur l’armée dont il est le Chef, les services de police placés sous son
autorité directe, et en plus un système juridique qui rend difficile la défense des libertés et
droits collectifs ou individuels, contenus dans la Charte des libertés publiques. Dans ce cadre,
la concentration de ses pouvoirs « transite nécessairement par un jeu subtile où la ruse le
dispute souvent à la coercition suave quand ce n’est pas la répression brutale 2». Pour étendre
la présence son autorité, Hassan II se basait sur le maillage de l’administration territoriale 3, et
l’appareil « Makhzen »4, dont les hommes (caïds, gouverneurs, représentants locaux de
l’Etat), sont considérés comme «l’œil scrutateur» et le « bras expéditif » du roi5. Un système
de contrôle politique qui ne cesse de fasciner les chercheurs.

Selon CLAISSE, le Makhzen « est une réalité ancienne et diffuse. Elle renvoie à une
réalité précoloniale, que la colonisation a su habilement manipuler. Mais le Makhzen a
largement investi le Maroc actuel. Il est omniprésent dans la société et insaisissable à travers
les concepts courants du droit constitutionnel et de la science politique… Craint et respecté à
la fois, le Makhzen arbitre, taxe, légifère sans avoir besoin de lois pour ce faire. Il régule
plutôt qu’il ne réglemente puisqu’il manipule les mécanismes les plus intimes du social. Il
constitue un Etat parallèle imbriqué dans l’Etat et hors de lui. Il est le pouvoir laïc qui recourt
au religieux, le pouvoir coopté qui emprunte volontiers les détours de la légitimité moderne et
de la loi, un pouvoir enfoui dans la société, qui se place volontiers au-dessus lui donne une
force toute particulière. « Le Makhzen tire sa force d’une fantastique mémoire des individus,

1
- Discours du Trône du 3 mars 1961, in Hassan II, Le défi, 1976, Albin Michel, p. 273-275.
2
- BENANI, Ahmed, Légitimité du pouvoir au Maroc. Consensus et contestation, Genève-Afrique, novembre
1986.
3
- « Là où il n’y a pas d’agent d’autorité, il y a absence totale de pouvoir », voir BASRI, Driss, L’agent
d’autorité, Imprimerie royale, 1975, p. 17.
4
- Le concept de Makhzen est dérivé du verbe « Khazana », qui veut dire cacher ou préserver. On l’on retrouve
dans l’expression française de « magasin ». CLAISSE, Alain, Le makhzen aujourd’hui, in le Maroc actuel, une
modernisation au miroir de la tradition ?, Etudes réunies par SANTUCCI, Jean-Claude, CNRS, Paris, 1992, p.
285.
5
- CUBERTAFOND, Bernard, Pour comprendre la vie politique, op.cit, p. 36.

132
des révoltes, des oppressions, des compromissions, des alliances 1». C’est aussi un des
concepts clés pour comprendre les marges possibles du changement social.

Il serait de l’avis de Michaux-Bellaire, « l’endroit où est exercé le pouvoir et où sont


réunies les ressources pour l’exercer 2». Driss Basri, à la tête de « L’administration
territoriale » pour près de trois décennies, a estimé que la notion du « Makhzen demeure
profondément vécue et communément répandue », et de ce fait « le gouverneur représente sa
Majesté le Roi, symbole de l’unité nationale et protecteur des droits et des libertés ». A ce
titre, cette notion « place l’agent d’autorité au dessus des clivages et particularisme et lui
procure, sinon l’estime de la part des citoyens, du moins un respect raisonnable lui permettant
de mieux réaliser son intervention 3».

Ce témoignage de l’intérieur de l’appareil Makhzen nous éclaire sur les fondements de


son idéologie ; à savoir qu’il tire sa légitimité de celle du roi, en vue de jouer un rôle
d’administration mais aussi de médiation, ce qui a pour objet inavoué de minorer la fonction
naturelle des partis et des syndicats.

Trois mois après son intronisation, Hassan II a proclamé la loi fondamentale en 1961,
qui précisait que « Le Maroc est une monarchie arabe et islamique, et que la religion de l’Etat
est l’Islam », et la constitution a vu le jour quelques mois après en 1962, également faite par
ses soins4. Ces actes furent perçus par la classe politique comme les premiers signes d’une
fermeture politique annoncée.

1
- Préface d’Alain CLAISSE dans la Présentation du livre de Rachida Cherifi, Le Makhzen politique au Maroc,
Afrique-Orient, Casablanca, 1988, p.9.
2
- MICHAUX-BELLAIRE, Edmond et GAILLARD, Henri, L’administration au Maroc, le Makhzen, étendue et
limite de son pouvoir, Tanger, 1909, p.2, in CUBERTAFOND, Bernard, La vie politique au Maroc,
L’Harmattan, 2001.
3
- BASRI, Driss, L’administration territoriale au Maroc, ordre et développement, Thèse de doctorat d’Etat,
Grenoble, 1987, p.44.
4
- « La Constitution que j’ai construite de mes mains, qui sera diffusée sur tout le territoire du royaume et qui
dans un délai de vingt jours sera soumise à ton approbation, cette Constitution est avant tout le renouvellement
du Pacte sacré, qui a toujours uni le peuple et le roi ». Discours d’Hassan II, le 18 novembre 1962.

133
La Constitution de 1962 a consacré la "sacralité" du pouvoir royal, ce qui « enterre
l’hypothèse de co-souveraineté entre le Roi et les partis politiques 1». Ces derniers ont
vigoureusement réagi à la proclamation d’un référendum constitutionnel ; notamment l’UNFP
qui estime « qu’au moment où la monarchie absolue refuse la parole du peuple, elle se prépare
à lui octroyer une Constitution élaborée par des techniciens étrangers ». Il « dénonce le
complot contre le peuple marocain qui consiste à élaborer une Constitution dans le secret et
avec la complicité de l’étranger 2».

Même son de cloche du Conseil National de l’UMT, qui exprima son rejet pur et
simple de cette constitution, dans un communiqué en date du 21 novembre 1962. Selon lui
« cette Constitution qu’on impose au peuple après sept mois d’atermoiements, au cours
desquels la corruption s’est généralisée, l’absolutisme, la collusion avec le colonialisme et le
pouvoir personnel ont été érigés en système de gouvernement au Maroc 3». Le rejet de la
constitution s’est accompagné d’un appel à l’obligation de constituer « une Assemblée
constituante, seule apte à élaborer une Constitution donnant au peuple des garanties véritables
et non formelles 4».

Dans cette ambiance conflictuelle, les partis politiques ont exacerbé la contradiction,
l’UNFP faisant de l’élection d’une constituante une condition préalable à toute entente avec le
Palais, et Mehdi Ben Barka déclare son opposition à « une Constitution octroyée », qui
légaliserait un pouvoir autocratique. La Constitution, de son point de vue, « n’est valable que
dans la mesure où elle garantit les libertés publiques, leur permet d’être effectives, par le
contrôle et la sanction du pouvoir et où elle permet de contrecarrer les influences étrangères
dans les affaires de notre pays ».

1
- TOZY, Mohamed, Monarchie et islam politique au Maroc, Presse des sciences politiques. Paris, 1999, p. 89.
Telle fut la déclaration d’Abderrahim Bouabid devant la commission administrative du parti, à l’occasion des
funérailles de Mohammed V, Le Monde, 8 mars 1961.
2
- Au lendemain de la mort de Mohammed V, l’UNFP a défini la conception du pouvoir, en expliquant que :
« La seule solution doit être l’union des partis en dehors du Roi : celui-ci ne doit être que l’arbitre de la situation,
le redresseur des torts, il doit régner sans gouverner ». Voir MONJIB, Maâti, La monarchie marocaine et la lutte
pour le pouvoir, L’Harmattan, Paris, 1992, p. 263. Cette idée explique le rejet de cette vision après l’annonce du
maintien de la royauté au centre de la vie politique, administrative et judiciaire.
3
- Communiqué repris en annexe in MENOUNI, A., Le syndicalisme au Maroc, Maghrébines, Casablanca, 1979,
p. 477.
4
- Cette réclamation fait référence au compromis passé avec le pouvoir royal lors du congrès de 1961.

134
Pourtant, la Constitution marocaine de 1962 a mis en avant toutes les expressions de
démocratie, d’ouverture et de garantie des droits de l’Homme. Elle a repris certains énoncés
de la Charte Royale de 1958, et s’est inspirée de son homologue française du 4 octobre 19581.
En instituant « une monarchie constitutionnelle démocratique et sociale » (article 1), son
objectif principal fut « l’amélioration du sort des classes populaires et de faire toujours passer
l’intérêt général avant l’intérêt particulier ». Elle s’est dotée d’un régime parlementaire à
caractère dualiste, c’est-à-dire que le gouvernement est responsable devant le Chef de l’Etat et
le Parlement, comme elle s’est distinguée des autres régimes arabes par sa reconnaissance du
multipartisme. A titre d’exemple, la Tunisie a aboli sa monarchie le 25 juillet 1957 en faveur
de son président, elle s’est appuyée sur le Néo-Destour comme parti unique. L’Algérie a fait
de même du Front National de Libération (FNL), son parti unique, alors que l’Egypte a
renversé le roi Farouk et institué une république socialiste sous la férule d’une junte militaire
« les officiers libres ».

Abstraction faite de cette différence par rapport à ses voisins, et qui représentait le
signe d’une réelle volonté d’aller vers un système ouvert et démocratique, il y a lieu de
s’interroger sur l’interprétation qu’en fait le roi lui-même. Dans ses mémoires « le Défi » il
estime que la disposition qui légalise les partis politiques aurait pu être « considérée
d’inspiration communiste par M. Puaux ou le Général Juin. Je pense plus simplement que le
souverain ne saurait avoir de parti de prédilection : son parti, c’est la nation tout entière 2».
Ainsi, le multipartisme bute sur la transcendance du monarque qui loin de mettre en place un
système moderne, celui-ci est devenu un moyen de marginaliser l’opposition en jouant de la
division dans ses rangs, et en recourant au besoin à la création de nouveaux partis, quitte à
créer une « opposition de sa majesté 3».

En saisissant directement la nation, chaque fois qu’il en éprouve le besoin, Hassan II


vole au-dessus des partis et actionnait l’article 2 de la Constitution qui dispose : « La
souveraineté appartient à la Nation, qui l’exerce directement par voie de référendum et
indirectement par l’intermédiaire des institutions constitutionnelles ». A contrario, l’article
notoire de la même constitution précise que le roi est « Commandeur des croyants,

1
- Maurice Duverger qui a participé à l’élaboration de cette constitution, l’a considérée comme un point de
départ essentiel à la mise en place, au Maroc, d’un véritable « Etat de droit ». Voir ROLLINDE, M., Le
mouvement marocain, op.cit, p. 106.
2
- Hassan II, Le Défi, Albin Michel, Paris, 1976, p. 81.
3
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 108.

135
Représentant Suprême de la Nation, Symbole de son unité, garant de la pérennité et de la
continuité de l’Etat » (article 19) 1. A partir des dispositions de cet article, il est à souligner,
non seulement une définition précise des pouvoirs que détient le roi, mais aussi la royauté
suprême. Cette supériorité est soutenue par les dispositions de l’article 20 de ladite
constitution, en instituant le principe héréditaire de la monarchie. Cet article n’est que la
confirmation du dahir par lequel Mohammed V avait conféré le titre « prince héritier du trône
chérifien » à Moulay Hassan. Il dispose : « La couronne du Maroc et ses droits
constitutionnels sont héréditaires et se transmettent aux descendants mâles, en ligne directe et
par ordre de primogéniture de S.M. le roi Hassan II. Lorsqu’il n’y a pas de descendant mâle,
en ligne directe, la succession au trône est dévolue à la ligne collatérale mâle la plus proche et
dans les mêmes conditions », excluant ainsi toute possibilité, même virtuelle, de choix entre
des candidats est supprimée2.

Dans le même ordre d’idées, le contenu des articles 26 et 1083, a interdit toute
possibilité de remettre en cause le caractère intangible et sacré de la forme monarchique de
l’Etat et des dispositions relatives à la religion musulmane, et qui « ne peuvent faire l’objet
d’une révision constitutionnelle », auxquels s’ajoutent celui de l’intégrité territoriale, dont le
roi est lui-même le garant. Il serait utile à ce stade de revisiter cette période pour relever
précisément les points d’achoppement.

En effet, ces différentes dispositions ont attisé des conflits durables entre le Roi et les
partis politiques qui n’adhérèrent pas au système projeté, au nom de la sécurité de la nation,
du respect de la monarchie et de la religion. Cette insubordination s’est manifestée à travers
les élections de 1963 qui ont révélé le poids de l’opposition dont il présumait l’avoir affaibli,

1
- A propos de la suprématie du pouvoir du Commandeur des croyants, Bertrand BADIE a écrit : « Dieu étant
seul souverain, l’idée même de la souveraineté populaire n’a aucun sens. L’homme ne peut définir de façon
autonome ni la loi juste ni le pouvoir juste. L’hypothèse qui voudrait en faire le pouvoir ultime, perd par la
même, toute signification très particulière. Elle n’est plus vectrice de souveraineté, mais tout juste source de
conseil. L’assemblée n’est, dès lors ; porteuse ni d’un pouvoir législatif qui ne lui appartient pas, ni d’un pouvoir
de contrôle de l’exécutif qui ne peut être que par référence à un savoir, et non par référence à un mandat ». Voir
BADIE, B., Les deux Etats, Fayard, Paris, 1986, p. 209.
2
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 109.
3
- Cet article précise que « le roi en tant que détenteur du pouvoir politique, contrôle le parlement puisque les
lois, votées par cette instance, doivent être soumises au sceau du roi pour promulgation ». Ce dernier peut
dessaisir ce dernier (parlement) d’un projet ou d’une proposition de loi en la soumettant à référendum (article
72).

136
en se dotant d’un « parti du roi » ; le FDIC avec son nouveau premier ministre, Ahmed Réda
Guédira.

L’échec du gouvernement n’est pas soldé malgré la formation au dernier moment du


« Front pour la Défense des Institutions Constitutionnelles » (FDIC), constitué du Mouvement
Populaire (MP) et des amis d’Ahmed Réda Guédira, qui vont rejoindre plus tard le Parti
Démocratique Constitutionnel (PDC) de Mohamed Ouazzani1. L’UNFP a pu obtenir un
résultat honorable, et Allal Al Fassi élu député de Fès, entra dans l’opposition.

Dans ce bras de fer, la monarchie n’a pas pu amoindrir les partis politiques et de
dépolitiser la vie publique. Mais il ne tarda pas d’adopter une désarmer l’Istiqlal, déjà
implanté en milieu rural par l’appui des membres de la petite bourgeoisie lettrée et encadrée
du parti, il a profité du nouveau découpage électoral pour lancer une réforme au niveau
communal qui maintenait les mêmes solidarités tribales que sous le protectorat. Cette réforme
a favorisé, par un scrutin uninominal, la montée des notables locaux sur lesquels le pouvoir
pouvait compter et réduisait les pouvoirs de la commune, en soumettant la gestion de ses
affaires à la tutelle des pachas et caïds, non sans avoir pris soin d’«épurer le corps des agents
d’autorité de tous ceux qui seraient soupçonnés de sympathie à l’égard des partis politiques 2».

Le gouvernement d’une main de fer, s’est appuyé sur un appareil policier, piloté dans
un premier temps par Guédira, qui fut chargé en 1961 de la Direction Générale du Cabinet
Royal, et légué dans un second temps à Mohamed Oufkir 3. Cet appareil a investi tous les
moyens pour la confrontation des militants de l’UNFP, les étudiants et les syndicalistes qui
soutenaient ce parti.

1
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 111.
2
- Circulaire du ministre de l’Intérieur du 17/09/1960, in LEVAU, Rémy, Le Fellah marocain défenseur du
Trône, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1976, p. 51.
3
- Mohamed Oufkir, officier de l’armée française, fut directeur de la Sûreté nationale durant la période du
protectorat, et a été nommé Général en 1963. Il créa au sein de la police ordinaire, des unités spéciales,
notamment les Compagnies mobiles d’intervention (CMI), les groupes légers de sécurité (GLS), les unités d’élite
inter-armes désignées pour la répression des émeutes. Ainsi que d’autres services, tel que les Renseignements
généraux (RG), la Direction Général d’Etudes et de Documentation (DGED), les Brigades spéciales et le Cab1,
un cabinet des services secrets chargé des répressions politiques.

137
A partir de là, il était facile de constater l’ampleur des antagonismes entre la
monarchie et les partis politiques 1. Plus claire dans plusieurs occasions, cette rivalité a été
manifestée dans les propos de A. Bouabid dans le journal « Jeune Afrique »2. Il y expliquait
que « Notre adversaire réel est celui qui refuse de remplir la tâche qui était réellement la
sienne, c’est-à-dire l’arbitre qui aurait dû se situer au-dessus des partis et qui s’est
transformé en chef d’une coalition d’intérêts : nous voulons parler du Roi ». L’UNEM, lors
de son VIIIème congrès en Juin 1963 à Casablanca, à déclaré solennellement que « l’abolition
du régime est la condition préalable pour sortir le pays de la crise ouverte ou latente dans
laquelle il ne cesse de se débattre depuis l’indépendance (…). En fait le vrai visage du régime
monarchique marocain apparaît dans le comportement antinational d’une minorité féodale qui
usurpe le pouvoir et défend les positions stratégiques du néo-colonialisme (…). Dans ces
conditions, l’UNEM déclare que les étudiants marocains feront tendre leurs efforts vers la
réalisation de l’objectif primordial du peuple : la chute du régime actuel et la prise du pouvoir
par les organisations populaires, révolutionnaires et démocratiques ».

Le lendemain des élections du16 juillet 1963, de nombreux militants se sont faits
arrêtés ; certains membres de l’Istiqlal, d’autres de l’UNFP, soit 130 militants et responsables.
Trente d’entre eux sont libérés au bout de quelques jours, dont Abderrahim Bouabid,
Mohamed Basri l’a suivi le 17 juillet, et a été présenté comme l’âme du complot 3. Neuf jours
après, un communiqué royal dénonça un complot qui remonterait à l’automne 1961.

Pour ces militants, gardés au secret, la campagne de répression fut de retour contre
l’opposition, et la torture était largement exercée sur eux. Elle s’était faite dans des centres
secrets dont le plus connu à l’époque fut Dar el-Mokri à Rabat, en présence d’officiers
français et du colonel Oufkir, directeur général de la Sûreté4. Gilles Perrault, dans son livre
« Notre ami le Roi » a décrit les sept degrés du rituel tortionnaire, en disant que « la liste
complète des torturés et l’inventaire de leurs supplices exigeraient tout un chapitre. Nul ne

1
- « Chacun servait indirectement le Roi en se trompant chaque fois d’adversaire : les résistants affaiblissent les
syndicats qui affaiblissent Ben Barka qui affaiblit Bouabid qui affaiblit Allal El Fassi qui affaiblit Guédira,
dernier rempart contre un pouvoir sans partage et sans contrôle ». LAROUI, A, Le Maroc et Hassan II, Centre
Culturel Arabe, 2005, p. 37.
2
- Journal « Jeune Afrique », numéro d’Avril 1963.
3-
ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 113.
4
- Idem, p.114.

138
sait combien de corps martyrisés furent ensevelis sous les orangers de Dar el-Mokri 1». Il a
cité également un éditorial de « l’Avant-garde », organe de l’UMT : « La torture constitue
désormais un facteur nouveau dans la conjoncture marocaine. Il serait de même plus juste de
dire que ce facteur est, d’ores et déjà, déterminant dans le comportement des individus et des
organisations (…). Quel que soit l’épilogue du nouveau "complot" cette donnée nouvelle
qu’est la torture pèsera désormais lourdement sur la vie politique du pays 2».

En effet, le Maroc de l’époque a beaucoup souffert de cette instabilité au niveau de sa


politique intérieure3. Le 22 novembre 1963, s’ouvrit le procès de certains militants, qualifiés
par Hassan II d’« égarés » qui ont « frappé la nation dans le dos ». Majid Benjelloun,
Procureur du roi, avait réclamé la condamnation à mort contre l’un des inculpés. Ce procès a
commencé par une procédure par contumace contre Ben Barka, pour « atteinte à la sûreté
intérieure de l’Etat et tentative d’assassinat du roi ».

Cet évènement a mobilisé des avocats marocains, français et algériens 4, qui sont venus
pour les défendre et les soutenir. Un comité de soutien s’est mobilisé à Paris pour dénoncer la
torture au Maroc. Il s’est créé autour de Charles-André Julien, Gisèle Halimi, Louis Aragon,
François Mitterrand, Jean Paul Sartre, Robert Barrat, etc. Dans le même contexte, cet état des
lieux a affecté d’autres pays arabes connus par la même méthode de gouvernement, de la
torture et de la violence, cas de l’Algérie sur laquelle Edgar Morain a écrit : « La torture
rabougrit les cynismes, les réalismes, les opportunismes. Elle appelle cette grande force réelle
qui manque aujourd’hui dans le désert de la pseudo-efficacité : la morale (…). Le nouveau
cogito de la gauche ne peut être que dans le refus inconditionnel et universel de la torture5».

Le militant marocain El-Hihi en témoigne6 : « En 1963, après ces arrestations, j’ai été
désigné par le parti pour m’occuper de ces prisonniers politiques et de leurs familles. Ils

1
- PERRAULT, Gilles, Notre ami le Roi, Gallimard, Paris, 1990, p. 61-69
2
- Ibidem.
3
- Au cours de cette même période, le Maroc est entré en conflit avec l’Algérie sur les frontières héritées de
l’époque coloniale. « La guerre des sables » n’a pris fin qu’après l’intercession des sages de l’Afrique, lors de la
conférence de Bamako, les 29-30 octobre 1963.
4
- Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…, op.cit, p.117.
5
- Voir MORIN, Edgar, France Observateur, 9juillet 1959, cité in Pierre Vidal-Naquet, Mémoires 2, Le trouble
et la lumière, 1955-1988, Seuil/ La Découverte, Paris, 1998, p. 110.
6
- Né en 1928, compagnon de Mehdi Ben Barka, Membre dirigeant de l’UNFP, puis l’USFP jusqu’en1983.
Membre fondateur de l’AMDH et président de 1988 à 1991 est décédé en novembre 1998.Voir Extrait d’un

139
étaient plusieurs centaines, même plus de mille, arrêtés à Casablanca et partout. Au sein du
parti, l’UNFP, on a constitué une commission chargée des détenus eux-mêmes, de leur
défense et de leur famille, pour les aider, les subventionner et les assister. On m’appelait le
coordinateur de la commission». L’idée de créer une Association des droits de l’Homme a
commencé à germer dans l’esprit de Ben Barka, Bouabid et d’autres.

Dans le même registre, les organisations internationales ont joué un rôle qu’on peut
qualifier d’important au même titre que les partis politiques ; notamment, la Fédération
internationale des droits de l’Homme (FIDH), animée en majorité par les membres de la
Ligue française qui a pu présenter une image assez large des droits de l’Homme, en
revendiquant l’application concrète de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Elle
a ajouté à la défense des droits civils et politiques inscrits dans les déclarations américaines de
1776 et française de 1789 et 1793, celle des droits économiques et sociaux. Quant à
l’Amnesty International, elle lança une campagne à l’échelle internationale pour attirer
l’attention sur la situation désespérée des prisonniers politiques. L’appel était intitulé « Les
prisonniers oubliés » publié dans le journal anglais « The observer »1 .

En parallèle, Hassan II pour peaufiner l’image d’une démocratie pluraliste, va se servir


de la présence d’une forte opposition à l’Assemblée, excitée à l’avance par la démission de
Guédira, le 15 août 1964, avec un espoir de participation au Gouvernement. Un vœu qui n’a
pas duré longtemps, puisque dès le 20 août, le jour où les condamnés à mort ont vu leur peine
commuée en perpétuité, le nouveau Gouvernement a été créé par décret royal avec une forte
place accordée aux militaires et la reconduction des ministres battus aux élections 2. L’UNEM
va répliquer instantanément, en rappelant à l’UNFP les conditions d’une entente avec le
Palais ; « la libération de tous les détenus politiques, fin de l’état d’exception, l’instauration
d’un gouvernement populaire, l’élection d’une assemblée nationale constituante, la réalisation

entretien de Mohamed Hihi, tenu avec ROLLINDE, Marguerite, in ROLLINDE, M., Le mouvement
marocain…, op.cit, p. 118.
1
- A Paris, le journal « Le Monde », daté du 27 mai 1961, a présenté l’initiative sur deux colonnes, sous le
titre : « Une campagne mondiale pour l’amnistie des prisonniers politiques est lancée à Londres ». Le principe de
cette campagne a porté sur l’application des articles 18 et 19 de la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme.
2
- Le Général Mohamed Oufkir fut ministre de l’Intérieur et le Général Améziane, Ministre de la Défense
nationale, Ahmed Bahnini, ancien Ministre de la Justice, battu par Allal El Fassi à Fès est devenu Premier
ministre.

140
de réformes radicales par les représentants authentiques des masses populaires 1». Le 15
octobre 1964, le Gouvernement va décider la dissolution de l’UNEM. Deux mois après, il a
supprimé son statut d’association reconnue d’utilité publique par dahir de 1961.

Dans ces conditions, le mouvement des émeutes va s’accentuer et les manifestations


vont éclater, plus précisément le 23 mars 1965 2 après l’annonce d’une circulaire du Ministre
de l’Education Nationale, Youssef Bel Abbas Tanarji3. Leurs revendications portaient sur
l’amélioration de la situation économique et sociale du pays, sans vraiment mettre en cause la
monarchie. Sur le champ, la répression a été mise en place et a été renforcée par l’armée,
pour maîtriser la foule et la dissiper totalement. Les victimes étaient nombreuses, deux mille
personnes ont été traduites devant les tribunaux4.

En effet, les émeutes de 1965 ont entrainé deux grandes situations ; Une relation
tendue entre le Makhzen et la société, et la rupture entre deux générations politiques, celle de
l’époque coloniale et celle de l’indépendance. De ce point de vue, on peut présumer que
l’enseignement a joué un rôle important dans la relation de rivalité entre le pouvoir et
l’opposition5.

1
- Al- Mouharrir (organe de l’UNFP), 3 mars 1964.
2
- Au lendemain de ces émeutes, Hassan II s’est adressé aux élus en leur disant : « Assez de discours et de vaines
paroles auxquelles vous ne pouvez croire vous-même, Nous attendions de vous des lois. Nous sommes dans
Notre troisième année d’expérience parlementaire, et le journal officiel n’a encore publié que trois lois. Je vous
demande à vous, députés, à vous, élus, de faire preuve de conscience de professionnelle afin de donner à l’Etat et
au peuple de bonnes lois ».
3
- Cette circulaire a interdit l’accès au second cycle des lycées aux jeunes de plus de dix-sept ans, c'est-à-dire à
60 % d’entre eux. Même si le baccalauréat ne concernait qu’une partie infime des jeunes, 1 500 bacheliers par an
vers 1965, c’était un symbole qui avait un pouvoir mobilisateur, comme le prouvaient les émeutes provoquées
par cette circulaire. Ces propos ont été cités par Rollinde in ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…, op.cit,
p. 122.
4
- M. Rollinde a expliqué qu’il était impossible de donner un chiffre tant les appréciations varient selon les
sources, d’autant plus que de nombreuses victimes ont été enterrées secrètement de nuit. M. Bouaziz a parlé de
quelques centaines de morts et 3 000 arrestations selon le bilan du mouvement national qu’il opposait aux 7
morts, 69 blessés et 168 arrestations annoncés par le bilan officiel. Voir ROLLINDE, M., Le mouvement
marocain…, op.cit, p. 123.
5
- Le 30 mars 1965, Hassan II s’est adressé à la Nation : « Permettez-moi de vous dire qu’il n’y a pas de danger
aussi grave pour l’Etat que celui d’un prétendu intellectuel. Il aurait mieux valu que vous soyez tous des
illettrés… ». Suite à ces événements survenus à Casablanca, une circulaire du ministre de l’éducation nationale
datée du 23 mars 1965, prescrivait le renvoi du lycée des élèves âgés de plus de 18 ans et leur orientation
obligatoire vers l’enseignement technique.

141
Dans cette ambiance tumultueuse, Mehdi Ben Barka a été enlevé et liquidé à Paris
dans des circonstances jamais élucidées. Parlant de l’enlèvement de Ben Barka, Laroui est
arrivé à la conclusion suivante : « Comme il arrive souvent dans pareils cas, vérité historique
et vérité policière ou simplement humaine ne s’accordent pas. La première est dès le départ
évidente, complète et indubitable, même si elle ne satisfait complètement ni la curiosité ni
l’exigence de justice. Du point de vue éthique, le procès Ben Barka est toujours ouvert, mais
de point de vue historique et politique, il est clos depuis longtemps 1.

En1965, l’état d’exception est instauré, et parmi les mesures qu’entraîne une telle
proclamation : -la dissolution de la Chambre des Représentants, et une prise en main par le
souverain de la totalité des pouvoirs et le renforcement de l’exécutif. L’exercice du pouvoir
est fait par décrets royaux et par circulaires royales. Les remaniements ministériels sont
effectués sur décision royale (23 remaniements en cinq ans). Des décrets royaux portant loi,
2
octroyant au roi le pouvoir législatif . En vertu de l’article 35 de la Constitution l’état
d’exception permet au roi de mener une gestion autoritaire dans laquelle l’Etat a mis en place
un système implacable de surveillance et de répression.

Ce climat politique délétère très tendu a fini par évincer les dignitaires du mouvement
national, et a conduit le pays vers des rivages inconnus dont deux tentatives de coups d’Etat
militaires. Il s’agit du premier coup d’Etat mené par le Général Medbouh et le colonel
M’hamed Ababou à Skhirat (Juillet 1971)3, et l’attaque de l’armée de l’air sous les ordres du
général Oufkir contre le Boeing royal en plein vol de retour de France (en août 1972).

Le mouvement national a débuté pendant les années de lutte contre le colonialisme, il


est tout aussi vrai qu’il avait abondamment de raisons à continuer son action après la
libération. Car, il s’agissait bien d’une nécessité sociale et politique. En considérant le

1
- LAROUI, A., Le Maroc et Hassan II, un témoignage, Presses interuniversitaires, 2005.
2
- Voir SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine entre stabilité du régime et démocratie, Publisud, Paris,
2016, p. 87. Voir aussi BERRAHOU, Saleh Eddine, L’Etat d’exception au Maroc (Inédit), Publications FSJES,
Université Qadi Ayad, Marrakech, 2002.
3
- A 13h 45, le 10 juillet 1971, les cadets sous-officiers de l’école militaire d’Ahermoumou ont envahi le palais
royal de Skhirat. Une fusillade nourrie d’une demi-heure succédant à l’attaque, des exécutions sommaires
d’invités à la réception organisée à l’occasion de l’anniversaire du souverain. Une tuerie qui a fait plus de deux
cents morts. SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine entre stabilité du régime et démocratie, op.cit, p. 92-
93.

142
mouvement national comme un élément essentiel de la dynamique sociale, nous devons y
jeter plus de lumière.

La sémiotique nous apprend que l’expression « mouvement national », varie en arabe


entre haraka wattania et haraka qawmia1. LAROUI préfère le recours à l’expression du «
marxisme objectif »2, en défendant l’idée que le nationalisme n’a pas besoin de s’appuyer sur
l’existence de ce qu’on nomme une nation pour naître ou se développer, il lui suffit d’avoir
l’intention de fonder une nation3. Allal El Fassi a essayé de démontrer que le nationalisme est
un trait inhérent à la personnalité maghrébine 4.

A l’époque, et sur un autre plan, le mouvement communiste qui a suscité de grands


débats au sein des élites arabes était touché par cette polysémie du terme. En 1920, la
commission nationale et coloniale du Congrès International Communiste a pris la décision
unanime de remplacer l’expression mouvement démocratique- bourgeois par celle du
mouvement révolutionnaire5.

L’histoire du "nationalisme" au Maroc pourrait remonter à la période de la


« pénétration arabe », quand il s’est détaché du califat 6 abbaside pour fonder avec Idriss Ier la

1
- Le terme « wattani » veut dire patriote, ce qui veut dire que soit la personne soit le mouvement est lié à l’idée
de terre, de sol, de patrie, le terme « qawmi »en revanche, dérive du terme « qawm », nation et renvoie au
panarabisme des années 50 et 60.
2
- LAROUI, Abdellah, L’idéologie arabe contemporaine, MASPERO, Textes à l’appui, Paris, 1977. De son côté,
Labica écrit : « A quoi bon forger cette notion de « marxisme objectif» celle de nationalisme ou d’idéologie
nationalitaire, si étrangère à la terminologie de LAROUI…». LABICA, G., Les arabes, M. Jourdain et la
dialectique : Notes critiques sur quelques problèmes de l’idéologie à propos de « l’idéologie arabe
contemporaine », in A. Laroui, Revue algérienne des sciences juridiques politiques et économiques. 1967, p.
875.
3
- LAROUI, A., Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain, marocain (1830- 1912), Centre
culturel arabe, 2001, p. 27. AYACHE, G., pense que la nation est « une question préjudicielle » car « il n’est pas
établi que le sentiment, sa naissance et son développement soient en fonction directe avec le processus de
formation de la nation, ou plus exactement, subordonnée à son aboutissement».
4
- EL FASSI, Allal, Al harakat al istiqlalia… op cit, p.1.
5
- Voir Lénine sur la question nationale et coloniale, Pékin, 1970, p. 33-34.
6
- Le terme « califat » veut dire « une institution et un mode de gouvernement ». BAHBOUHI, T, De la raison
monarchique : repère pour une esquisse d’interprétation, Thèse de doctorat d’Etat (droit public), Faculté des
sciences juridiques économiques et sociales, Université Mohammed V, Rabat, 1997, p. 359.

143
première des nations arabes indépendantes 1. Le mouvement national au Maroc n’est
certainement pas nouveau. C’est un héritage de civilisations 2.

En sciences sociales, le concept de « nationalitarisme » qui est proposé pour désigner


le mouvement de libération dans les trois continents, est créateur. Par contre le
« nationalisme » des puissances colonialistes apparaît comme un phénomène d’agressivité
politique, de domination ethnique, raciale 3. Il s’agit d’une chaîne de maturation4 allant du
sentiment national, sentiment patriotique 5, résistance primaire6, nationalisme-tribalisme7 à la
la conscience nationale proprement dite.

Allal El Fassi sur la question du nationalisme « citadin » naissant, a cité trois


évènements mémorables8 :

 La découverte en 1924 d’un centre important de propagande en faveur


d’Abdelkrim et l’arrestation de plusieurs de ses membres.
 De jeunes marocains ont rejoint volontairement les rangs des combattants
rifains à Ajdir.
 En 1925, les ouvriers marocains dans leur congrès général à Gennevilliers, ont
adressé un message de salutation et de soutien au chef républicain. D’autres
nationalistes ont également traité eux-mêmes du mouvement national,

1
- EL FASSI, Allal, Le nationalisme est un degré et non une étape, in la voie istiqlalienne, Rabat, 1962, p. 14.
2
- Ibidem.
3
- ANOUAR, Abdelmalek, Idéologie et renaissance nationale : l’Egypte moderne, Anthropos, 1969, p. 19.
4
- VATIN, Jean-Claude, Sur l’approche des mouvements nationaux maghrébins en général, et sur l’Algérie des
années 30 en particulier, La Revue Algérienne de droit, 1977, p.232.
5
- « Ce qui s’est passé il y a quatre-cent trois années c’est la concrétisation et l’affirmation éclatante de
l’existence d’un sentiment patriotique… ». Al Bayane des 2/3/4 Août 1971, Editorial : L’esprit de Oued El
Makhazine, p1.
6
- Selon A. Laroui, il y a une distinction entre résistance primaire et nationalisme à proprement dit. Le
Mouvement d’Abdelkrim El Khattabi fait sujet de la première catégorie. LAROUI, A., Les origines sociales …,
op.cit., p. 68 et Ss.
7
- HALSTEAD, John P., Rebirth of a nation: the origins and rise of Moroccan nationalism (1912-1944), Havard
University Press, Cambridge, Massachusetts, 1967. L’auteur a résumé le mouvement national au Maroc en trois
phases ; la première est celle du mouvement de réformes apparu au XIXème siècle et qui a pris fin avec
l’établissement du protectorat. La deuxième a commencé en 1907 et s’est achevée avec la capitulation du dernier
chef berbère en 1934, il s’agit de la résistance militaire ou « tribal-nationalisme ». La troisième phase est celle du
« nationalisme » ; elle est divisée en deux : une période réformiste (de 1912 à 1927) et une période séparatrice
après 1930.
8
- Voir EL FASSI, Allal, Alharakat…. Op.cit., p. 127.

144
notamment Ben Barka, Mohammed Lahbabi en 19571, Ali Yata et Abdessalam
Bourquia2, etc.

L’histoire du nationalisme marocain a d’abord été influencée par le mouvement du


renouveau islamique ; dont les réformes prônées par la Salafiya issue de la Nahda égyptienne,
et dont l’impact rigoriste a été tempéré par la forme de religion populaire que consacre à
travers les âges les réseaux des zaouias 3 qui simplifiaient le dogme et défendaient « al-
toghour » (les côtes) chaque fois que le pouvoir politique manquait à l’appel ou montrait des
signes de faiblesse… .

De principales revendications ont été réclamées, et des réformes établies ; Plus


particulièrement le démantèlement du système des « grands caïds4», la création des
municipalités et du conseil national5. En matière des libertés publiques, on peut citer la
revendication de liberté d’expression, la suppression des abus judiciaires, des atteintes
corporelles à la personne, l’abolition d’esclavage, et encore, la réclamation de la liberté de
réunion, d’association sur toutes ses formes, et la liberté syndicale et le droit de pétition, et
enfin l’amnistie pour les exilés et les détenus politiques depuis l’établissement du protectorat.

A la lumière de ces passages sur l’histoire du mouvement national au Maroc, on peut


conclure que les différents chefs du mouvement national, ont entretenu une relation parfois

1
- Voir LAHBABI, Mohammed, Le gouvernement marocain à l’aube du XXème siècle, la préface de Mehdi Ben
Barka, Maghrébines, 1975, p. 3, 4, 5, 6.
2
- BOURQUIA, A., Yata, Ali, kifah nisf qarn min ajli mouassassatin tamtilia wa doustiria dimocratia (Un demi
siècle de lutte pour des institutions représentatives, constitutionnelles et démocratiques), Al Moukafih, 1962.
3
- Voir MOUHTADI, Najib, Pouvoir et religion au Maroc, histoire politique des Zaouïas, Editions Eddif,
Casablanca, 1999. Concernant le salafisme, on cite Chouaîb Ad-Doukkali et ses disciples Mohamed Ben Larbi
El Alaoui et Allal El Fassi, qui ont essayé d’établir la liaison entre le mouvement salafi et le nationalisme.
Cependant, le mouvement nationaliste à ses débuts, était le fait d’un petit groupe de jeunes bourgeois citadins,
une sorte de syncrétisme où se mêlaient inquiétudes religieuses et rancœur nationaliste. Voir BERQUE, J., ça et
là dans les débuts du réformisme religieux au Maghreb, études d’orientalisme dédiées à la mémoire de Lévi
Provençal, Paris, vol 2, 1962, p. 483-486.
4
- Une idée partagée par Paul Pascon, qui a parlé de la notion de « caïdalisme ». PASCON, Paul, Le Haouz de
Marrakech, 2 tomes, CNRS Paris et INAV Rabat, Tanger, Marocaines et Internationales, 1983.
5
- Selon Allal Al Fassi, le Conseil n’était aux yeux de la Koutlah qu’une étape vers l’établissement d’une
véritable Constitution, et si le parti n’avait pas jugé nécessaire de revendiquer de manière expresse une loi
fondamentale c’était tout simplement : 1- parce que le comité croyait nécessaire, avant tout, l’application d’une
démocratie progressive, en vue de préparer le peuple et de l’éduquer par le biais des conseils communaux et
municipaux. 2- Enfin, le C.A.M croyait que la question de la constitution devenait une chose facile lorsqu’elle se
poserait qu’entre le peuple et son roi et après l’éviction de l’étranger. Voir EL FASSI, Allal, Les mouvements
d’indépendance, op.cit, p.166-167.

145
brouillée et équivoque avec le sultan1. Mais dans l’ensemble, les nationalistes avaient pour
seuil la réforme du régime sultanien pour en faire une monarchie moderne, ce qu’exprime
avec clarté Cliford Geertz : « Le Maroc est le seul pays où le combat pour l’indépendance y a
été centré sur la capture, la restauration et la rénovation de l’institution sultanale2».

En fait, l’union du Roi et du mouvement national s’est concrétisée par les rencontres
qui ont été faites avec les membres de l’Istiqlal. Deux interprétations sont à retenir :

 Abdelkrim Ghallab a supposé qu’en mai 1943, le premier contact direct s’est
effectué entre le comité directeur du parti de l’Istiqlal et le sultan. Il s’agissait
d’Ahmed Balafrej, Omar Ben Abdeljalil, Mohammed Lyazidi, M’hammed
Ghazi et Mohammed el Fassi3.
 Pour ce qui le concerne, Abderrahim Bouabid a révélé qu’il y a eu déjà en
1941, un Pacte National (mithaq watani) passé entre le sultan et le mouvement
national4.

Le Manifeste d’indépendance5 de 1944 a été lancé pour renforcer cette relation entre
les deux parties6. Ce fût la déclaration du parti de l’Istiqlal selon laquelle il est nécessaire
d’adopter une monarchie constitutionnelle et démocratique 7. La scission de ce parti en 1959 a

1
- Abderrahim Bouabid, lors d’un meeting à Rabat, le 28 mai 1960, a déclaré que : « L’expérience que nous
vivons actuellement au Maroc n’est pas une démocratie, mais un régime fasciste que quelques-uns veulent nous
imposer ». Dans le même registre, Fqih Basri lors d’une conférence à Casablanca, tenue le 17octobre 1961, a
annoncé que : « Le but de notre mouvement populaire est de renverser un régime pourri ».
2
- GEERTZ, C., Islam observed, religious development in Morocco and Indonesia, New Haven and London,
Yale University press, 1968, p. 78. Déjà en 1933, pour s’attirer la sympathie du Sultan, les nationalistes ont lancé
l’idée d’organisation annuelle d’une fête du trône.
3
- GHALLAB, A., Tarikh Al Haraka Al Watania, op. cit, p.271.
4
- Ce pacte connu par peu de marocains, était « une sorte de serment et de contrat entre le Roi et les dirigeants
du mouvement ». Son objectif résidait dans l’indépendance du pays. Voir Al Mouharir du 20 Août 1980, p.1. Les
propos de Bouabid, A., ont été révélés lors d’une conférence publique à l’occasion de l’Anniversaire de la
« Révolution du Roi et du Peuple », in ROLLINDE, M. Le mouvement marocain, op.cit, p. 138.
5
- Voir le texte du Manifeste, in Maroc P.I (Parti de l’indépendance), Documents (1944-1946), Paris, septembre
1946, p. 2-3.
6
- A propos de ce Manifeste, Waterbury a signalé l’absence de référence à la monarchie constitutionnelle, du
moment où l’introduction de ce terme était trop révolutionnaire et même inacceptable pour certaines
personnalités du makhzen. Voir WATERBURY, John, Le Commandeur des croyants : la monarchie marocaine
et son élite, traduit et adapté de l’anglais par Catherine Aubin, Presses universitaires de France, 1975, p. 66.
7
- WATERBURY, John, Le Commandeur des croyants : la monarchie marocaine et son élite, traduit et adapté de
l’anglais par Catherine Aubin, Presses universitaires de France, 1975, p. 66.

146
donné naissance à un nouveau parti, celui de l’Union National des Forces Populaires (UNFP),
« c’était l’Istiqlal débarrassé de sa direction traditionnelle »1. Dans le même contexte, le
politologue américain Waterbury a résumé la situation « en 1956, l’Istiqlal était une force
politique considérable (…). Le parti rassemblait incontestablement tous les nationalistes
marocains. Un affrontement était inévitable entre le Palais et l’Istiqlal dans la mesure où le
premier n’avait pas l’intention de restreindre, ni même de les définir, ses pouvoirs et le
deuxième, tout en n’ayant pas de malveillance particulière envers le roi, voulait cependant
limiter l’étendue de ses prérogatives 2». La question constitutionnelle s’inscrit donc dans
plusieurs registres, Ben Barka pensait que « les assemblées communales et municipales qui
vont voir le jour dans quelques mois constituent le facteur de base assurant la participation du
peuple à l’édification nationale 3».

Dès l’avènement d’une alternance4 dans le régime politique marocain (1958-1960)


avec le Gouvernement Abdellah Ibrahim, une suite d’évènements est survenue. Elle a
constitué un tournant historique, inédit, extraordinaire dans la marche démocratique du
Maroc5.

Les coups d’Etat avortés, à Skhirat en juillet 1971, et en août 19726, ont montré au
monarque la limite de sa politique autocratique, vu que « l’ennemi » n’est pas dans
l’opposition politique, qu’elle soit d’obédience islamiste ou marxiste 7. Ces actes ont poussé la
la monarchie à revenir vers les partis politiques pour refonder sa légitimité. Le 23 septembre

1
- MENOUNI, Abdelatif, Le syndicalisme ouvrier marocain, Ed. Maghrébines, p. 418-419.
2
- Voir WATERBURY, John, Le Commandeur des croyants : la monarchie marocaine et son élite, op.cit, p.172.
3
- BEN BARKA, Mehdi, Problèmes d’édification du Maroc et du Maghreb, entretiens recueillis par Raymond
Jean, Plon, 1959, p. 25.
4
- Le Robert définit le terme "alternance" comme : un propos que l’on tient, paroles opposées à action, ce que dit
une personne. Etymologiquement, il est considéré comme « une succession répétée dans l’espace ou dans le
temps, qui fait réapparaître, tour à tour dans un ordre régulier, les éléments d’une série ». L’alternance est
l’antithèse de l’alternative, de la révolution, elle est synonyme de la stratégie de la réforme graduelle et
permanente. Voir également EL RHAZI, Sobh Allah, Alternance et démocratie, El Joussour, 2000, p. 44-48.
5
- M’hamed Boucetta, « Libération » du 17/10/94.
6
- Le premier coup d’Etat a correspondu au jour de l’anniversaire d’Hassan II, et le second s’est fait à l’occasion
du XVème siècle de l’UNEM, « Le 16 août, les étudiants étaient encore en congrès quand le très fort écho des
bombardiers du Palais venait brusquement interrompre les travaux d’une séance plénière consacrée à la lecture
des rapports des différentes commissions du congrès ». EL AYADI, Mohamed, Religion et société dans le
Maroc contemporain, thèse pour le doctorat en sciences politiques, Université Paris 7- Denis Diderot, Paris,
1997, p. 62.
7
- ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain des droits de l’Homme, op.cit, p.171.

147
1972, Hassan II a envoyé au comité exécutif de l’Istiqlal 1ainsi qu’aux autres partis politiques,
un message leur demandant de participer au Gouvernement qu’il voulait former pour le 16
octobre2. Les deux chefs politiques, Allal El Fassi de l’Istiqlal et Abdelkrim Al-khatib du
Mouvement Populaire - devenu MPDC (Mouvement Populaire Démocratique et
Constitutionnel)- ont décliné l’offre du Roi3.

Les procès qui suivirent ces attentats, bien que qualifiés de « légaux » par la Ligue
française des Droits de l’Homme 4, finirent dans l’illégalité puisque vingt ans après on
découvrit le « jardin secret » du Roi, et la tragédie de Tazmamart 5. Indigné par la campagne
de défense des droits de l’Homme, Hassan II a pris celle-ci pour offense à sa propre
personne6. De multiples sanctions ont été édictées à l’encontre de ces putschistes, mais après

1
- L’Istiqlal a dressé un diagnostic sévère, dans lequel il a expliqué que : Les institutions politiques se sont vidées
de leur sens, l’Etat a été privatisé au profit du Makhzen menant à la corruption, à la création de nouvelles
féodalités qui se constituent autour de la redistribution clientéliste des terres. Allal El Fassi a souligné de sa part,
les atteintes aux Droits de l’Homme, l’absence de la liberté de la presse, les grands problèmes de l’enseignement,
en particulier le manque d’attention portée à la Qarawiyyine et aux institutions religieuses. Il a évoqué également
le déclin (tadahwir) de la culture islamique. Voir ZEGHAL, Malika, Les islamistes marocains : Le défi à la
monarchie, Le Fennec, Casablanca, 2005, p. 108-109.
2
- Ibidem.
En réagissant à cette demande, Allal El Fassi, au nom de l’Istiqlal, dans un texte publié sous le titre « Evaluation
de la situation politique », a annoncé que « L’indépendance nationale ne peut se faire qu’à travers la libération
du citoyen de toutes sortes de servitudes (en utilisant en arabe le terme "ubûdiyya") politique, économique et
sociale. Elle ne peut se réaliser qu’en fermant la porte aux pays impérialistes qui complotent contre la
souveraineté du Maroc ». Voir la lettre du 16 octobre 1972 au roi Hassan II, in Taqyim al-wadh al-siyasi,
Publication de l’Istiqlal, novembre 1972 (en arabe), p. 13.
3
- Bien différent, lors de la préparation du projet de la Constitution de 1962, Allal El Fassi s’est basé dans son
analyse de la situation politique au Maroc sur les catégories étrangères du discours des oulémas. Il a réclamé une
véritable démocratie, un Gouvernement légitime fondé sur la souveraineté de la loi, responsable devant ses
citoyens et élu par eux. Abdelkrim El Khatib, quant à lui, a fait référence à la Charia qu’à la démocratie, et il
s’est attardé sur les conditions légitimes de la bay’a.
4
- « Au lendemain du verdict prononcé le 26 février 1972, dans l’affaire de Skhirat, Le Monde et le Figaro du 2
mars 1972 titrent, comme l’ensemble de la presse européenne, « un verdict de clémence » : une seule
condamnation à mort, exécutée, 33 peines de prison allant de 3ans à perpétuité et 1008 acquittements. Les peines
sont plus sévères pour les 220 militaires qui comparaissent devant le tribunal militaire après le second attentat, le
7 novembre 1972. Onze condamnations à mort exécutées le 13 janvier 1973, et 31 à la prison dont 22 à 3ans
seulement ». in ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain des droits de l’Homme, op.cit, p.172.
5
- Il s’agit d’une prison secrète qu’Hassan II reniait officiellement, où de nombreux mutins jugés militaires-
comploteurs contre la monarchie dans les années 1970, étaient incarcérés dans des conditions effroyables. Voir
MARZOUKI, Ahmed, Tazmamart, cellule 10, Paris-Méditerranée, Paris, 2001.
6
- Lors d’un discours radiotélévisé, le 7 août 1973, Hassan II a annoncé que : « Dieu a placé le roi sur le trône
pour sauvegarder la monarchie. Pour cette sauvegarde, le rite malékite prévoit qu’il ne faut pas hésiter à faire
périr un tiers de la population aux idées néfastes pour préserver les deux tiers de la population saine ».

148
la fuite discrètement de trois lettres, la première en 1980 1, la deuxième en 1989, et la dernière
en 1990, l’affaire s’est ébruitée et finalement une amnistie générale fut décrétée.

Vingt-quatre de ces prisonniers sont morts dans des conditions atroces : les autres n’en
sont sortis qu’en 1991, sous la pression conjuguée, bien que tardive, de l’OMDH qui a
mentionné leur existence lors de son Congrès du 14 mai 1991, des Organisations
Internationales, mais aussi de l’Assemblée Européenne et du comité d’expert des Droits de
l’Homme à l’ONU2.

Au cours de la période trouble des coups d’Etat, Hassan II est parvenu à reconquérir
son contrôle sur l’armée par la prise des pleins pouvoirs sur la direction et la gestion du
département de la Défense Nationale. Sorti vainqueur de l’épreuve putschiste, il a créé une
Direction de la Surveillance du Territoire (DST), qui lui ont permis d’accentuer son contrôle
sur l’armée et la police3.

La normalisation de la vie politique a été entreprise avec la révision constitutionnelle


de 1972, le consensus national autour de l’affaire du Sahara et le retour des partis historiques
dans l’enceinte du parlement. Un ajustement sur le plan sociopolitique a été mis en place. Des
étudiants libérés et une réforme de l’enseignement a été opérée en procédant à l’arabisation-
islamisation du cursus scolaire et universitaire, allant jusqu’à remplacer, à la rentrée scolaire
de 1978, les départements de philosophie par des départements d’études islamiques, dans
toutes les universités4.

Après avoir retracé certains des différents flux chronologiques du mouvement national
au Maroc, le but n’étant pas uniquement d’interpeller le passé, mais de prouver qu’à l’appui
de son histoire interactive, non seulement de l’appareil monarchique, mais du mouvement
national que le régime politique marocain est devenu de plus en plus ferme, alerte et
perspicace dans la gestion des soulèvements (émeutes et grèves) qu’il a pu rencontrer. Ainsi,

1
- « Les choses s’accélèrent nous nous affaiblissons et la nourriture est de plus en plus mauvaise. Le 2 janvier
1980, un deuxième camarade a succombé à une hémorragie recale. Même rituel qu’avec le premier. Le troisième
est en train d’agoniser… telle est notre situation actuelle et le spectre de la mort nous hante jour et nuit. Un
silence ambigu règne sur le bâtiment ». Extraits de lettre parue dans Amnesty International, Maroc : torture,
« disparitions », emprisonnement politique, EFAI, Paris, mars 1991, p. 55-59.
2
- ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op. cit, p. 177.
3
- Idem, p. 175.
4
- Ibidem.

149
peut-on considérer cela comme un faisceau d’éléments cumulables qui font que certains
parlent d’une capacité de résistance du système politique marocain, y voyant une exception,
notamment le fait que les mouvements de contestation se sont banalisés ces derniers temps !

En somme, le passage historique sur le mouvement national marocain pendant le règne


de Mohammed V (1956- 1961) et Hassan II (1961- 1999), affirme que le premier, symbole de
résistance contre le protecteur, a pu transformer un règne faible en règne fort à travers le
regroupement de toutes les forces de son peuple assoiffé et accroché fermement à son
indépendance. Le second, par précaution ou par crainte a arrêté la fougue nationaliste, ce qui a
créé une profonde mésentente autour de l’exercice du pouvoir.

PARAGRAPHE 2 : UNE MAIN DE FER DANS UN GANT DE VELOURS


« Tout homme a son jardin secret » 1

Depuis la première constitution en 1962, les débats portaient sur la problématique


constitutionnelle et les larges compétences du roi. La monarchie en effet ne voyait en le
parlement et le gouvernement que des adjuvants à son propre pouvoir. Le problème réside
dans « l’application des dispositions de la constitution et des principes de la monarchie
constitutionnelle, sans que les institutions constitutionnelles, comme le parlement ou le
gouvernement, deviennent un voile entre le Roi et le peuple 2».

Après le lancement de la révision de la Constitution, le 17 janvier 1972, Hassan II a


exploité un pouvoir de contrôle général sur tous les rouages de l’Etat sans exception. Il a
renforcé sa reprise en main de l’armée, des services de sécurité, etc ; « le roi peut adresser des
messages à la Chambre et à la nation. Le contenu de ces messages ne peut faire l’objet
d’aucun débat » (article 28). Le Code des Libertés a fait aussi l’objet d’une autre révision,
modifié par le Dahir du 10 avril 1973. Son objectif était le renforcement du contrôle sur les
associations (article 7), et le verrouillage du Statut des libertés publiques 3 ; Notamment, toute
publication qui va porter atteinte aux fondements institutionnels, politiques ou religieux, est

1
- Réponse d’Hassan II, lors de l’émission « L’heure de Vérité » d’Antenne 2, le 17 décembre 1989, sur l’affaire
de Tazmamart et sur la famille Oufkir.
2
- Voir interview Hassan II avec France Inter le 23/01/1983, in Renaissance d’une nation, op.cit, p. 322.
3
- Ce dahir par les dispositions de son article 42, a ajouté au Code des libertés publiques de 1958, la notion de
« troubles à l’ordre public », qui permet de sanctionner, par l’emprisonnement et l’amende, la publication
d’informations ou de pièces entachées de fausseté ou de mensonges susceptibles de troubler l’ordre public.

150
susceptible de sanction pénale ou/et civile et peut faire l’objet d’une suspension par le
Ministre de l’Intérieur1.

Une année plus tard, après avoir donné un avertissement à ceux qui seraient tentés par
une radicalisation, le régime a réussi un pas en avant via deux directions ; En maintenant la
mobilisation de l’affaire du Sahara entre ses mains, d’une part, et en démantelant ant le
mouvement marxiste-léniniste, d’autre part. La campagne de « la marche verte »2, le 6
novembre 1975, avec la participation de 350 000 personnes, a réussi à réconcilier la classe
politique. Abderrahim Bouabid a accepté d’y collaborer, bien que sa participation a provoqué
de nombreux conflits au sein de son parti. D’après Mohamed ElHihi, le conflit ne portait que
sur les modalités de la participation sur le fond, il a expliqué, à ce propos, que « tout le monde
était d’accord pour défendre l’intégrité du territoire (…). D’autant plus que nous avons
toujours reproché aux gouvernements depuis l’indépendance d’avoir négligé la défense de
cette partie du Sahara. C’est à cause d’eux, de leur négligence, qu’on est arrivé à ce point-là ».

Une nouvelle campagne d’arrestations s’est lancée pendant ces années, elle va s’en
prendre à la destruction du mouvement marxiste-léniniste, et l’envoi en prison de tous ses
militants.

Une atmosphère de répression s’installait dans le pays ; le monarque est de plus en


plus autoritaire et ne faisait aucune concession. Cette campagne d’arrestations a touché
essentiellement des jeunes lycéens, étudiants ou jeunes enseignants, ainsi que des
intellectuels.

Rappelant son vécu de l’incarcération de son conjoint, Daure-Serfaty traite le


"Makhzen", en ces termes : « un nœud de noirs réseaux, réels mais cachés, masqués, et son
image tapie au cœur de chacun 3», son arme c’est la peur « Vous ne croyez pas à la peur?
Vous avez tort. Il faut avoir vu la peur. Etrange : plus on est proche du Makhzen, plus elle est

1
- C’était le cas du Directeur de l’Opinion, Idriss Kaitouni, et membre du Comité, Directeur national de la
LMDH, qui a été poursuivi en justice pour diffusion de fausses nouvelles après avoir publié dans son journal le
communiqué de la Ligue et de l’Association à propos de la mort d’un prisonnier politique (L’Opinion du 24
septembre 1989), gréviste de la faim. Plus de 500 avocats du Maroc et de l’étranger vont se mobiliser pour le
défendre. Condamné à deux ans de prison, il sera gracié après la visite au Palais royal d’une délégation de
Chorafas Idrissides. Voir ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op.cit, p. 178.
2
- 350 000 marcheurs avancèrent derrière leur roi en brandissant le Coran et en récitant la Fatiha pour défendre
l’intégrité territoriale de leur pays, mais surtout plébisciter la personne du Roi.
3
- DAURE-SERFATY, Christine, Tazmamart, une prison de la mort au Maroc, Stock, Paris, 1992, p. 47.

151
grande. On sait que rien ne sera pardonné à qui a été admis en son sein. Ni à ceux qu’il a
protégés et promus et qui manqueraient à la reconnaissance, ni surtout à ceux qui font sa force
et le rendent redoutable : sa police, son armée 1».

A partir de novembre 1974, une vague d’arrestations a touché 120 militants du


mouvement marxiste-léniniste2, parmi eux : Abraham Serfaty et Abdellatif Zeroual qui
mourait sous la torture pendant la période de détention au Derb Moulay Cherif, le 14
novembre, neuf jours après son arrestation et celle d’Abraham Serfaty3. Ils ont été répartis
dans les prisons de Ghbila4 et d’Ain Bordja5 à Casablanca. Même s’ils ont été séparés les uns
des autres, ils ont pu communiquer grâce aux familles, pendant les visites au parloir, pour
discuter de la ligne à tenir au cours du procès, et décider ensemble, d’une grève de la faim
illimitée, le 14 novembre 1976, avec un seul mot d’ordre central : le jugement ou la
libération6. « La grève de la faim, c’est une lutte politique : la décision prise en commun,
malgré la consigne, la lettre qu’on écrit au Directeur de la prison et au Procureur général
Chorfi, avec les revendications et les objectifs (…). La grève de la faim, c’est le silence et la
solitude7».

Dans leurs déclarations, les accusés ont dénoncé un procès contre l’UNEM et contre la
Revue "Souffles", et ils ont réfuté la thèse d’un complot comme incompatible avec l’idéologie
marxiste-léniniste fondée sur la croyance en la capacité militante du peuple de se libérer de la
répression et de l’exploitation qu’il subissait 8. En fait ce qui été reproché aux accusés, c’était

1
- Idem, p. 50.
2
- En principe, ces militants appartenaient aux trois organisations issues des scissions au sein de l’UNFP et du
PLS, Illal Amam, 23 mars et Li-nakhdoum as-sha’ab. Parmi ces militants, le poète Abdelatif Laâbi, et deux
autres animateurs de la revue Souffles, Mohamed chebaâ et Ali Noury, et aussi Anis Balafrej.
3
- ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op.cit, p. 190.
4
- Ghbila est le nom d’une prison civile à Casablanca, bâtie dans les années vingt par les autorités coloniales.
5
- C’est une ancienne caserne française aménagée pour servir d’exutoire au surpeuplement de Ghbila.
6
- ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op.cit, p. 190.
7
- Témoignage d’un ancien détenu, Maghreb An-nidal, n° 6, décembre 1977, p. 45.
8
- ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op.cit, p. 188. Le ministère public a maintenu
l’accusation d’attentat et complot dont le but était de changer le régime, ainsi que, pour six inculpés dont
Abdellatif Laâbi et Anis Belafrej, la création d’organisation d’extrême gauche ayant pour objectif la liquidation
du régime et l’installation d’un régime républicain socialiste. Le 1 er septembre 1973, le tribunal a rendu son
jugement. Six accusés ont été condamnés à une peine de réclusion de quinze ans. Il s’agissait d’Ahmed
Herzenni, Sion Assidon, mathématicien, enlevé le 23 février 1972, Abdellatif Derkaoui, Mohamed Bari, Anis
Belafrej et Amine Abdelhamid. Treize ont été condamnés à dix ans, un à huit ans, six à cinq ans, deux à dix-huit

152
le fait d’avoir créé ou appartenu à des organisations clandestines marxistes-léninistes, ayant
pour objectif le renversement du régime monarchique au profit d’une république populaire
démocratique. Parmi les avocats qui ont renoncé à prendre la défense des accusés ayant
rompu un tabou, Abdelaziz Bennani, qui a affirmé : « je me suis dé-constitué pour les
membres de l’organisation Ila Al Amam en raison de la position prise sur la question du
Sahara occidental. Abraham Serfaty affichait en effet son soutien pour le peuple et la
République sahraouie et tombait ainsi dans le jeu de l’accusation qui voulait déplacer le
procès d’une contestation intérieure du régime vers la mise en cause d’une cause nationale 1».

Le procès en question a donné lieu à deux effets : le premier d’ordre interne, a mis en
exergue la rupture des courants marxistes-léninistes avec le consensus de la classe politique
autour du roi, du territoire et de la religion. Le second d’ordre externe, consiste à rompre le
silence qui entourait la situation des Droits de l’Homme au Maroc comme l’a expliqué Maître
Leclerc (FIDH) : « Ce qui est important, c’est que le procès devait être une sorte de paravent
démocratique pour montrer qu’au Maroc on juge les gens comme dans n’importe quel pays
civilisé…2».

SECTION 2 : REPLIQUES DU MAGMA SOCIAL (1981-84 et 90)

Au regard des passages historiques susmentionnés, il parait évident que le Maroc était
encore loin d’une démocratie dans sa plénitude, et de la dynamique d’ouverture citoyenne
dans une compétition loyale d’accès au pouvoir. Mais, à partir des années 80, la question des
Droits de l’Homme s’est amplifiée et a été accompagnée par des changements quelque peu
positifs ; Les élections s’expriment assez régulièrement, même si elles n’ont pas d’impact
direct sur la vie publique, le multipartisme s’active mais reste confiné dans un espace étroit, et
l’«alternance politique» se profilait, tout en souffrant d’un excès de « consensus ».

La constitution de 1992 combine les éléments du régime parlementaire avec le souci


constant de préserver une influence décisive du souverain3. Ce changement minime
s’explique par la nécessité d’ouverture du régime affecté dans sa légitimité suite au livre de

mois. Quatorze acquittements ont été prononcés, onze peines avec sursis et vingt-cinq inculpés, dont Abraham
Serfaty et Abdellatif Zeroual, ont été condamnés par contumace à perpétuité.
1
- Abdelaziz BENNANI, Entretien avec ROLLINDE Margueritte, en septembre 1997.
2
- Extrait du Rapport d’Yves Baudelot de l’Association Internationale des Juristes Démocrates (AJID).
3
- ELFASSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, Bouregreg, 2012, p. 34.

153
Gilles Perrault. Santucci estime à ce propos, qu’il visait à satisfaire les partis politiques
notamment l’opposition, soucieuse de tester sa représentativité et d’élargir ses bases sociales,
mais dont la monarchie veut garder l’initiative et la maîtrise pour accroître le prestige et la
crédibilité du régime1.

En fait, avec ces allures d’ouverture qui restent mesurées, les objectifs de la
sauvegarde du contrôle de la scène politique demeurent constamment intacts.

Ce contexte politique dominé par l’omniprésence du monarque 2, réduit également le


pluralisme dans le champ social, celui des droits de l’Homme, et par conséquent, produit une
situation atroce qui a fomenté la cadence des mouvements des droits de l’Homme d’une
grande vitesse3.

PARAGRAPHE 1 : A LA RECHERCHE D’UN MODUS VIVENDI OU L’IMPULSION DE


LA SOCIETE CIVILE

Pendant une longue période les partis d’opposition, n’ont eu cesse de revendiquer une
« démocratisation » véritable de la vie publique4, dont la question des Droits de l’Homme
occupait un champ prioritaire.

Pour la première fois dans le Maghreb, la Ligue de Défense des Droits de l’Homme a
vu le jour5. Elle s’est dotée d’une charte, le 6 mars 1976, et a tracé ses objectifs, parmi
lesquels : « la défense des droits politiques, économiques et sociaux ; la diffusion et le
développement des droits inscrits dans l’islam et des droits universels ; le travail sur la loi et
la suppression de toutes les lois contre la liberté et la dignité de l’homme ; le soutien des
peuples en lutte pour leur libération du colonialisme et pour le recouvrement de leurs droits et

1
- SANTUCI, J.C, Chroniques politiques marocaines 1971-1982, CNRS, 1985, p. 117.
2
- SEHIMI y voit une justification : « Il faut que le Roi soit garant de la constitution et des libertés pour suivre et
contrôler les affaires de l’Etat ». SEHIMI, M, Le Roi arbitre ou guide ?, Revue Juridique Politique et
Economique du Maroc, n°13-14, 1983, p. 154.
3
- La mobilisation de ces mouvements est intéressante à étudier « parce qu’elle est parvenue à rendre légitime
l’objet même de la mobilisation ». CATUSSE, M., Chronique politique, A.A.N, 2003, p. 232.
4
- Le concept de "la démocratie" a été abordé par différents auteurs. Rouquier la voit sacralisée, au point que peu
de régimes osent s’afficher ‘’non démocratiques’’. Voir ROQUIER, A., Le mystère démocratique, in La
démocratie, Métailié, 1985, p. 20. Dans le même contexte, loin de parler d’un système où « le peuple
souverain » est à la fois gouvernant et gouverné (similitude), on peut parler de certaines personnes qui
gouvernent au nom du peuple (la distinction). Voir aussi HERMET, G, La démocratie, Flammarion, 1997, p. 16
et ss.
5
- Cette Ligue des droits de l’homme a été crée par le parti de l’Istiqlal.

154
l’intégrité de leurs territoires, et le soutien aux mouvements de libération et particulièrement à
l’OLP et à la lutte contre toute forme de racisme ou d’apartheid ; la coopération avec les
organisations, institutions, syndicats ou unions internationales, régionales ou nationales … ».

L’Islam comme matière à penser le politique, a commencé ainsi à prendre une place
dans les revendications socioculturelles, les programmes des partis et à l’occasion dans le
discours sur les droits de l’Homme.

Dans ce contexte, Mouaqit1 pense que « le mouvement des droits de l’Homme


s’analyse comme une incitation à recréer le discours salafiste, parce que le salafisme c’est
d’abord un discours progressiste qui n’est pas celui des oulémas, mais qui est produit par
des gens laïcs, ou plutôt séculiers, et qui arrivent à se référer à l’islam au sens très
large… 2».

A- L’AMDH, UN BOURGEON DE DENONCIATION

Malgré la répression qu’a subi le mouvement national principalement l’UNFP et


l’USFP, éprouvé par la multiplication des procès politiques iniques, a déplacé la
revendication démocratique sur le terrain des Droits de l’Homme. C’est pourquoi
l’avènement en juin 1979 d’une nouvelle instance œuvrant dans le domaine de la défense
des droits de l’homme, qui se voulait indépendante, s’avérait d’autant plus louable que la
Ligue de Défense des Droits de l’Homme créée en mai 1972. Celle-ci d’obédience
istiqlalienne, était considérée comme molle vis-à-vis du pouvoir 3. L’Association
Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH), fut considérée comme un espace militant qui
fut surtout appréhendé comme un « indicateur de changement de la société marocaine
dans la mesure où il exprime une réorganisation des rapports sociaux et une solidarité
entre les individus s’appuyant sur des considérations autres que familiales ou tribales »,

1
- Membre de l’OMDH (en 1997).
2
- MOUAQIT, Mohammed, Entretien avec Margueritte ROLLINDE, octobre 1996 et avril 1997, in Rollinde, M.,
Le mouvement marocain…, op.cit, p. 89.
3
- Pendant la période de l’état d’exception, de 1965 à 1970, « Le droit écrit sert tout au plus à l’inflation du
discours et à la légitimation des caprices des pouvoirs institués. Mais le citoyen sait que la seule "table des lois"
qui existe est celle qui organise l’arbitraire. Ce citoyen ne peut donc avoir le sentiment de sa citoyenneté. C’est
citoyen annulé ». Voir LAABI, A, et ALESSANDRA, Jacques, La Brûlure des interrogations, L’Harmattan,
1985, p. 77.

155
par ses actions d’opposition, des étudiants jeunes …, elle se présente « comme la voie du
pauvre vers l’élitisme 1».

Cette association a ouvert ses portes aux jeunes militants d’université, a fût solidement
soutenue par l’USFP. Son objectif, selon Abderrahmane Youssoufi, était la défense des
militants du parti en prison. Dans ce contexte, il témoigne qu’à l’USFP « nous nous sommes
intéressés aux droits de l’Homme parce que nous en étions la matière première. Parce que
l’USFP était le parti de l’opposition le plus réprimé, c’est lui qui fournissait les charrettes de
victimes. Au Maroc, pour s’attaquer à ce problème il faut déjà être un militant endurci ».

Ainsi, expliqua-t-il, « on a constitué une association avec comme noyau dur les
militants de l’USFP, élargi à d’autres partis 2 ». A l’occasion des procès politiques, les droits
de la défense ont constitué le noyau dur de la défense des droits de l’Homme, et cela a été le
point de départ pour la conscientisation et la sensibilisation aussi bien des militants que de
l’opinion dans ce domaine. Il fallait prendre la défense des prisonniers politiques, organiser
les procès, s’occuper de leurs familles ; cela fait partie du travail des mouvements
d’opposition au Maroc. Il n’y a pas que le bureau d’études, il y a aussi la logistique. Il nous
fallait une structure spécialisée 3».

A l’occasion de la commémoration du 30 ème anniversaire de la Déclaration


Universelle Des droits de l’Homme, le journal du parti Al-Muharrir rappelle que :
« Chaque individu a des droits légitimes qui ne souffrent aucune exception », et que « les
droits individuels et collectifs, sociaux, économiques et culturels, civils et politiques, ne
peuvent être divisés », soulignant à cet effet que le lien est très fort entre « droits de
l’Homme, développement et paix 4».

Cet éditorial avait interpellé en son temps, diverses parties ; le gouvernement et le


parlement, mais aussi les autorités et les organes des pouvoirs. Et c’est sur des pressions

1
- Voir JEMAI, Abderrahim, Entretien avec Margueritte ROLLINDE, à Rabat, novembre 1997. Abderrahim
Jemai, fut ancien Bâtonnier de Kénitra, membre fondateur de l’AMDH et son ancien secrétaire général, membre
de la section marocaine d’Amnesty International et président de l’Observatoire marocain des prisons.
2-
Extrait d’un entretien d’A. Youssoufi avec Rollinde M. au local de l’USFP à Casablanca, en septembre 1995,
in ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op. cit, p.208.
3
- ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op. cit, p.208.
4
- Publié in Al-Muharrir, 19 décembre 1987, n° 1431, p.5 (en arabe).

156
répétées que le Maroc a fini par ratifier les deux pactes internationaux relatifs aux droits
civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

Dès lors, le pouvoir s’est vu contraint de mettre en accord la Constitution et les lois
avec les engagements de la Déclaration Universelle. Le pouvoir judiciaire a été de son
côté, appelé à assumer ses responsabilités en matière des Droits de l’Homme et des libertés
fondamentales.

Il a réservé la grande part de responsabilité aux Organisations non


gouvernementales, en leur faisant appel à collaborer avec le parlement et le gouvernement,
sous directive des Nations Unies, et d’œuvrer vigoureusement au respect des Droits de la
femme pour acter les décisions de la Conférence Internationale de Mexico (1975).

Le congrès constitutif de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme, a eu


pour objectifs : « La défense des droits de l’Homme politiques, civils, économiques,
sociaux et culturels, et notamment l’action pour le respect des libertés publiques ; La
défense de la dignité de l’Homme et son honneur ; La promotion des droits de l’Homme
tels qu’ils sont définis par les pactes internationaux relatifs aux droits de l’Homme ;
L’approbation par le Maroc de tous les pactes et accords internationaux sur les droits de
l’Homme, l’intégration de leur contenu dans la législation marocaine et la conformité de
celle-ci avec ces pactes et accords ; La dénonciation et la condamnation de toute violation
des droits de l’Homme ; Le soutien aux victimes des violations des droits de l’Homme 1».

Au même titre et pour rester fidèle aux principes de l’Internationale Socialiste,


l’AMDH a aussi réitéré « sa solidarité absolue avec tous les Africains, Latino-Américains
et Asiatiques en lutte contre la ségrégation raciale, le colonialisme, l’exploitation, et pour
le respect des droits de l’Homme ». Enfin, concernant la cause palestinienne, elle affirmé
que « l’entité sioniste constitue en elle-même la plus perfide des violations des Droits de
l’Homme », et n’a pas manqué de condamner la politique « d’apartheid et de génocide
perpétrée à l’égard des peuples d’Afrique du Sud et de Namibie ».

Au contraire des objectifs de la Ligue qui adosse son combat sur le référentiel
islamique, ceux de l’Association des Droits de l’Homme sont alignés sur les pactes et les
accords internationaux relatifs aux Droits de l’Homme. Elle s’est ainsi clairement inscrite

1
- Extrait des statuts de l’AMDH.

157
dans la ligne de Ben Barka et ses compagnons 1, ce qui a favorisé à la montée de la gauche
radicale au Maroc, en rupture avec l’USFP et le PPS, et des débuts de sa répression 2.

En relation directe avec les vagues d’arrestation des prisonniers politiques3,


notamment ceux du mouvement marxiste-léniniste, le préambule des statuts de l’AMDH4
(en vue d’être ouvert au mouvement national et au mouvement marxiste-léniniste à la fois),
s’est basé sur les principes du XIIIème congrès de l’UNEM (1969), qui reposait sur les
valeurs de : « l’indépendance, du mouvement de masse, de la démocratie, et du
progressisme5 ».

Dans le cadre de ses préoccupations concernant les droits civils et politiques 6,


l’association a participé à une commission d’enquête, avec la Ligue, suite à la grève de la
faim des détenus politique de Meknès et Kénitra. Au mois de mars 1980, une délégation
d’Amnesty International a visité le Maroc avec qui elle signa une convention contre la
torture (ratifiée par le Maroc le 21 juin 1993) 7.

1
- référence à la Tricontinentale, mais aussi au combat de toute la gauche européenne qui militait pour le peuple
vietnamien et soutenait la révolution chinoise.
2
- ROLLINDE, Margueritte, Le mouvement marocain, op. cit, p. 210.
3
- A l’occasion de son 1er anniversaire, le 24 juin 1980, l’association a publié un communiqué, dans lequel elle a
rappelé qu’au Maroc « les prisons connaissent toujours de multiples détenus, victimes de la liberté d’opinion ; de
nombreux citoyens sont encore séquestrés dans des centres secrets de détention. Les lois marocaines interdisent
les arrestations arbitraires, la séquestration secrète, la torture physique et morale ».
4
- A l’occasion de son premier anniversaire, le 24 juin 1980, l’association a publié un communiqué dans lequel
elle rappela qu’au Maroc « les prisons connaissent toujours de multiples détenus, victimes de la liberté
d’opinion ; de nombreux citoyens sont encore séquestrés dans des centres secrets de détention. Les lois
marocaines interdisent les arrestations arbitraires, la séquestration secrète, la torture physique et morale ».
5
- D’une manière générale, il est à remarquer que cette association s’est appuyée également sur le principe
qu’adoptait Azziman, qui disait que : « La défense des droits de l’Homme doit se faire loin d’un esprit partisan et
sur un plan supérieur à toute stratégie politique ». AZZIMAN, Omar, Extrait d’un article publié dans la revue
"Ala Al-aql, n°2, 1991 (en arabe).
6
- Concernant les droits économiques et la question palestinienne, un communiqué a dénoncé la hausse des prix
des denrées alimentaires lesquelles ont provoqué les émeutes de 1981. L’association a participé au mouvement
de solidarité avec les peuples palestinien et libanais, après l’invasion de Beyrouth par Israël, et organisa deux
meetings en avril et en juin 1982, avec la participation du bureau de l’OLP à Rabat. Voir ROLLINDE,
Margueritte, Le mouvement national, op. cit, p. 215.
7
- Au cours de cette période, la revue AT-TADAMOUN, a été créée. Elle reconnait à l’AMDH, la vocation d’être un
mouvement de masse. Elle représenterait alors « la majorité écrasante de nos populations qui aspirent à la dignité
…», At-tadamoun, juillet 1981 n°1, éditorial en français.

158
Il est à constater que l’éruption du mouvement des droits de l’Homme était liée de
façon étroite, au contexte politique que connaissait le pays à cette époque, et dans lequel
s’entremêlaient partis politiques, associations, étudiants.

Une multitude de facteurs vont favoriser l’éclatement des manifestations de 1981 et


1984. « Les émeutes du pain »1 étaient aussi le signal que le Maroc souffrait d’une crise
économique2 et sociale3, due également à la croissance urbaine démesurée et incontrôlée à
cause de l’exode rural, la hausse des prix des produits alimentaires de base, les salaires de
base (SMIG) restant très modéré, et le chômage de plus en plus endémique 4.

Des vagues de grèves se sont succédé pendant cette période contre la baisse de plus
en plus accélérée du pouvoir d’achat, à l’appel de la Confédération démocratique du
Travail (CDT)5.

Le 08 juin 1981, l’AMDH a publié un communiqué remettant en cause ces


augmentations au nom des engagements internationaux concernant la Charte des Droits de
l’Homme qui stipule, entre autres, que « les pays signataires de cet accord reconnaissent le

1
- Au cours de cette période, la Tunisie a vécu le même scénario des manifestations et des arrestations. Il est à
rappeler que cette période était marquée par des arrestations des islamistes, lors les « émeutes de pain » en
réagissant à la hausse des prix du pain. Voir ROLLINDE, Marguerite, Les émeutes en Tunisie, un défi à l’Etat ?,
in D. Le Saout et M. Rollinde, Emeutes et mouvements sociaux, op. cit, p. 111-127.
2
- Tangeaoui, sur cette période, à écrit que « Dés les années 80, le Maroc entre dans une crise économique
durable qui, outre ses effets sur la population en terme de chômage ou de pouvoir d’achat va l’amener à
s’endetter encore plus et à hypothéquer davantage encore son autonomie en matière de politique économique.
Eprouvant de plus en plus de difficultés pour rembourser sa dette, il ne tarde pas à accepter de mettre en œuvre,
sous la houlette des bailleurs de fonds, une politique d’ajustement de ses structures économiques. Cette
orientation, devrait aboutir à l’annonce d’un processus de modernisation orienté vers une intégration plus poussé
dans les rouages et mécanismes de l’économie mondiale ». Voir TANGEAOUIS, S., Ordre politique et ordre
social, in Les Cahiers de l’Orient, 1994, p. 11 et ss.
3
- L’augmentation des taux de chômage, d’analphabétisme, d’émigration. A ce propos, il est à rappeler le grand
mouvement qu’a connu la ville de Casablanca, le 2& mai 1981, après l’annonce par le gouvernement de la
hausse des produits de 1ère nécessité ; 40% sur la farine, 40 à 50% sur le sucre, 28% sur l’huile, 14% sur le lait,
76% sur le beurre.
4
- Cette crise économique est due à la mise en place du plan d’ajustement structurel, recommandée par le FMI et
la Banque Mondiale, à partir de l’année 1983. « La période de l’Ajustement structurel s’annonce alors que
l’Etats n’a plus les moyens de son étatisme ». Voir ELKENZ, A., Le changement de paradigme au Maghreb.
Quelques interrogations sur les origines et les perspectives, in Démocrate et société civile, 1994, p. 34-35.
5
- En 1979 et 1981, beaucoup de grèves cristallisaient des revendications salariales, la réintégration des
travailleurs licenciés à cause de leurs activités syndicales et pour le respect des libertés syndicales… . En 1990,
la CDT et l’UGTM ont mené une grève générale pour réinstaurer le dialogue avec le gouvernement sur ces
revendications.

159
droit de chaque individu à un niveau de vie convenable pour lui et pour sa famille y
compris la nourriture, l’habillement et le logement ainsi que la possibilité d’améliorer
directement ses conditions de vie 1».

En réaction à ces manifestations, Hassan II a déclaré : « En résumé, faut-il


considérer que ceux qui suivent la voie de la violence, commettent des actes de nature à
porter atteinte à l’ordre public et appellent à la grève générale et à l’agitation sont des
éléments indispensables et dont on ne peut se passer par rapport à la démocratie ? 2».

Le mouvement des jeunes étudiants s’est développé progressivement, de l’école à


l’université3. Les jeunes ont exploité tous les espaces pour s’exprimer dans les théâtres, les
ciné-clubs, les maisons des Jeunes, les universités … 4.

Ils ont pu attiser les revendications dans plusieurs villes, Agadir, Oujda, Hoceima,
Nador, khouribga… 5. Hassan II a vite fait marche arrière et annoncé l’abandon des
hausses non sans avertir le corps enseignant « qu’à l’avenir ils seront sanctionnés selon les
dispositions de la loi en vigueur sous le protectorat, et reconduites à l’indépendance »,
faisant allusion aux dispositions de la loi sur les attroupements qui interdit l’occupation de
l’espace public sans l’aval des autorités locales.

Parallèlement, le mouvement des islamistes commençait à pointer sur la scène


politique. Les mouvements islamistes faisaient le jeu de l’Etat pour faire une pression sur
l’opposition en critiquant ouvertement le discours présupposé matérialiste et laïc.

1-
Rollinde, M., Le mouvement marocain…, op.cit, p. 225. La grève du 20 juin qui a succédé les événements du
18 juin a provoqué la violence des policiers, de multiples arrestations ont été faites. Les membres de l’AMDH en
faisaient partie, dont six responsables du Bureau central : Maître Benameur, Taieb Sassi, Ahmed Izzi, Mohamed
Jabri, Mohamed Saktaoui.
2
- Propos tenus dans une interview à la chaîne de télévision française Antenne 2, le 29 janvier 1982.
3
- On peut signaler à ce niveau, l’association « Al Adl Wal Ihsane », fondée en 1987 par Abdessalam Yassine, le
groupe Al Islah Wa Tajdid, fondé en 1982 par des ex-membres de l’association Ashabiba… .
4
- D’énormes slogans ont été abordés lors de ces manifestations, comme « Assez de prisons et de palais, des
universités et écoles », « A bas Hassan II, Vive Abdelkrim, Vive Abdelkrim et Vive la République »,
« Mohamed V était notre père, mais toi qui es-tu ? » ou encore « Pour la guerre tu nous connais, pour vivre tu
nous ignores ». Source : CLCRM, n° 59, Paris, février 1984.
5-
Beaucoup de procès ont résulté de ces manifestations, le procès de trente-six enseignants, de Marrakech 1984,
le procès des soixante et onze islamistes accusés d’appartenir à l’association clandestine Al Jihad, dirigée depuis
l’étranger par Abdelkrim Mouti, vingt ans de prison vire la perpétuité, pour trente-quatre des accusés et, pour
treize d’eux, dont sept par contumace, la peine de mort. Voir ROLLINDE, Margueritte, Le Mouvement
marocain, op. cit, p.232.

160
Au cours de cette période, la société civile a commencé à frémir et de nouvelles
associations sont venues combler le vide et assurer le combat des droits de l’Homme. En
l’occurrence, l’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme (OMDH) a été créée en
1988, et l’ADFM pour les droits des femmes en juin 1985… .

En somme, après avoir "dompté" l’opposition, le régime s’est rendu compte par
vigilance, que les défenseurs des droits de l’Homme n’avaient pas moins de valeur que les
premiers. Il a visé deux volets ; l’un dédié à la jeunesse, l’autre au Conseil Consultatif des
Droits de l’Homme (CCDH), et a encouragé la création d’associations culturelles et
sportives sous le contrôle suprême de potentats du pouvoir (Aouad à Salé, Benaissa à
Asilah, Mediouri à Marrakech, Kebbaj à Fès, etc.). Le ministre de la Jeunesse et des Sports
a supprimé la gratuité de l’accès aux activités des maisons de jeunes en 1984, et a créé une
« Association de coopération éducative entre les maisons de jeunes » dirigée par des
fonctionnaires du ministère, pour se substituer aux « Conseils de Maisons » dont tous les
membres sont élus1. Le deuxième volet a concerné la religion, en vue de mettre sous
contrôle tout mouvement pro islamique, en restructurant le champ religieux. Dès 1985, fut
lancé le projet de construction d’une grande mosquée à Casablanca 2.

B- LE CCDH : UNE INSTITUTION PUBLIQUE NON INDEPENDANTE

Le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme (CCDH) a été créé le 11 avril 1990.
Abstraction faite de cet acte politique hautement significatif, Hassan II a gardé le
monopole de la nomination de ses membres, qui étaient soit des représentants de syndicats,
des partis politiques, ou des membres des associations des droits de l’Homme, chapeautés
par quatre ministres; Driss Basri (ministre de l’Intérieur et de l’information), Belarbi El
Alaoui (ministre de la Justice), Abdellatif Filali (ministre des Affaires étrangères et à la
Coopération), Abdelkebir M’daghri Alaoui (Ministre des Habbous et Affaires islamiques).

La création du Conseil s’est faite pour répondre aux critiques et accusations


adressées au régime3, devenus de plus en plus difficiles à contenir sur le front interne

1
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 233.
2
- Il s’agit de la Mosquée Hassan II, lancée en 1987 et achevé en 1993, aujourd’hui un mouvement
incontournable à Casablanca.
3
- A propos de ces attaques, Hassan II a déclaré dans son discours du 08 mai 1990 : « Nous sommes excédés,
tous les Marocains sont excédés par tous ces propos tendant à faire croire qu’il existe au Maroc des prisonniers
pour des raisons politiques (…). A tout propos Amnesty International et d’autres viennent exercer sur nous leur

161
comme sur la scène internationale 1. En réponse, Hassan II a précisé : « … Aussi avons-
nous décidé de consacrer notre présente réunion au parachèvement de l’Etat de droit, un
Etat qui, avant tout, entend mettre un terme aux dires des uns et des autres sur les droits de
l’homme, pour clore cette affaire. Il s’agit d’une part de doter les citoyens du moyen
juridique, diligent sérieux et efficace de défendre leurs droits en tant que citoyens vis-à-vis
de l’administration, de l’autorité de l’Etat même 2».

Malgré ses compétences restreintes, le Conseil a conservé une compétence


consultative. Il a reconnu le statut des prisonniers politiques ainsi que leurs droits, puisque
Hassan II ne le contrarie pas. Ce dernier a expliqué à ce propos que : « les citoyens, même
ceux condamnés par les tribunaux, ont des droits. Ils doivent être protégés de la faim, de la
maladie, des abus, pouvoir recevoir les visites de leur familles, obtenir les médicaments
dont ils ont besoin, être examinés par un médecin le cas échéant, le système juridique et
l’Etat doivent leur assurer toutes les conditions permettant la sauvegarde de leur dignité 3».

Le Conseil Consultatif des Droits de l’Homme présidé par le 1 er président de la


Cour Suprême, comprenait des ministres et avait pour mission de fixer son plan de travail,
d’établir les programmes susceptibles d’assurer la réalisation de ses objectifs et d’émettre

contrôle, comme si nous étions encore sous protectorat… . Nous ne serons véritablement un Etat de droit que le
jour où chaque Marocain disposera du moyen de défendre ses droits quel que soit son adversaire ».
1
- SANTUCCI, Jean-Claude, Etat de droit et droits de l’Etat au Maroc- réflexions à propos du CCDH, Annuaire
de l’Afrique du Nord, Tome XXXIV, 1995, CNRS, p. 291. Dans ce contexte, l’on peut rappeler les
conséquences de plusieurs événements, notamment l’entretien d’Hassan II avec la délégation d’Amnesty
International (février 1990), et la rencontre d’une « commission pour le dialogue avec Amnesty » spécialement
créée par le roi pour la circonstance. Leur rapport sur les circonstances de la garde à vue et la violation des droits
de l’Homme a été publié après leur retour, suivi d’un rapport intitulé, dans sa version française, « Maroc, torture,
disparitions, emprisonnement politique », dont la publication a lancé, en mars 1991, une campagne internationale
d’Amnesty sur la situation des Droits de l’Homme au Maroc. A signaler également la campagne des associations
de défense des droits de l’Homme en France, sur le titre des « Temps des droits de l’Homme au Maroc », avec la
Ligue française des droits de l’Homme, l’Association de défense des droits de l’Homme au Maroc (ASDHOM),
l’Association des travailleurs marocains en France (ATFM), le Comité de lutte contre la répression au Maroc
(CLCRM) et l’Union nationale des étudiants au Maroc (UNEM). Sans oublier l’impact du livre de Gilles
Perrault, « Notre ami le Roi », paru chez Gallimard. Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p.
262.
2
- Discours de Hassan II, le 8 mai 1990. En réaffirment ces idées, il a précisé : « Personnellement, je crois que la
conscience de ce Conseil consultatif sera tranquille à partir du moment où il considère que les trois valeurs
sacrées de ce pays sont : Dieu, la Patrie, le Roi. Dès lors, personne ne peut dire qu’il ya des prisonniers
politiques »
3
- Discours d’Hassan II, le 8 mai 1990.

162
des recommandations en vue d’atteindre, au plus haut point ce qui peut concourir à la
protection et au respect des droits de l’Homme 1».

Au début de l’année 1991, le CCDH a déposé un mémorandum demandant « la


suspension immédiate » de tous les procès en cours liés aux événements de décembre 1990
jusqu’à ce que la commission d’enquête diligentée par le Conseil ait terminé son rapport, et
a considéré que ces procès ont connu des pratiques regrettables et abouti à des décisions
largement inspirées par les aveux mentionnés dans les procès-verbaux de la police
judiciaire, et parfois fondées sur des charges qui constituent une violation des droits
garantis par la Constitution2. En février de la même année, alors que trois cent quatre-
vingts condamnations ont été prononcées sur ces bases, le même Conseil propose à
l’approbation du roi un ensemble de recommandations visant à appliquer à un plus grand
nombre de détenus un meilleur respect de leurs droits, concernant notamment la visite des
familles, les soins médicaux et une alimentation convenable 3.

Le Maroc au cours de cette période, a profité de la promotion de la question des


droits de l’Homme à l’échelon national et international 4. L’adoption de la Constitution de
1996 par référendum populaire a relancé le débat sur les droits de l’Homme et les libertés
fondamentales. Ces droits ont été énumérés dans le cadre des dispositions du titre I, qui
garantit à tous les citoyens : la liberté de circuler et de s’établir dans toutes les parties du
royaume ; la liberté d’opinion, la liberté d’expression sous toutes ses formes et la liberté de
réunion ; la liberté d’association et la liberté d’adhérer à toute organisation syndicale et
politique de leur choix.

Au niveau national, le Conseil national des droits de l’Homme a présenté de


nombreuses recommandations sur le plan juridique aussi bien que sur le plan législatif.

De nombreux amendements juridiques ont été introduits pour tenir compte des
nouvelles exigences élargissant le champ des libertés ; A titre d’exemple, le CCDH fondé

1
- Article 3 du règlement intérieur du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme.
2
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…, op.cit, p, 303.
3
- Ibidem.
4
- L’article 12 de la constitution 2011 dispose : « Tous les citoyens peuvent accéder, dans les mêmes conditions,
aux fonctions et emplois publics ». les citoyens ont le droit à l’éducation et au travail (Article 13) ; Le droit de
faire grève reconnu (art. 14), bien que tributaire d’une loi organique jamais adoptée depuis 1962, puis le droit de
propriété, la liberté d’entreprendre, etc.

163
sur les dispositions du mémorandum du 8 Joumada II 1411 (26 Décembre 1990),
concernant la garde à vue et la détention préventive qui firent modifier et compléter les
articles 68, 69, 76, 82, 127 et 154 du Code de procédure pénale. Les modifications
introduites ont concerné : La limitation de la durée de la garde à vue, l’obligation à la
police judiciaire de communiquer quotidiennement au procureur du roi et au procureur
général du roi la liste des personnes retenues en garde à vue 24h après et d’en informer
immédiatement leurs familles. Ces modifications ne sont pas sans rappeler les énormes
exactions commises dans les décennies 70 et 80. On y ajoute l’obligation d’un contrôle
médical pour le prévenu, et son droit au choix d’un avocat pour l’assister dès le premier
interrogatoire devant le parquet ou devant le juge d’instruction.

Il y eut également le recours au mandat de dépôt considéré seulement comme une


possibilité, la possibilité pour le prévenu d’être présenté en état de liberté même en cas de
flagrant délit, contre caution ou garantie personnelle. Et enfin, l’obligation de présenter au
tribunal, dans un délai de 15 jours au maximum, le prévenu objet d’un mandat de dépôt,
émanant du parquet général de la cour d’appel ou de la cour spéciale de justice. La
limitation de la durée de la détention préventive prononcée par le juge d’instruction à deux
mois, délai pouvant être prolongé cinq fois seulement, sur décision justifiée et susceptible
de recours ; au-delà de ce délai, le prévenu, non présenté, doit être libéré.

Sur le plan législatif1, le CCDH a entamé une stratégie d’information et « de


communication avec certaines organisations nationales, régionales et internationales, et
avec des organisations non gouvernementales dans un cadre de dialogue et de coopération
dans l’intérêt des droits de l’Homme 2».

Au niveau international, son universalité s’est traduite par la signature de plusieurs


chartes sur la question. En juin 1993, le Maroc a ratifié la convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pour une mise à jour de la
législation nationale, le CCDH proposa un projet de loi en vue de la modification de la

1
- Sur le plan législatif, le CCDH s’est intéressé à la situation des prisonniers, les conditions d’arrestation,
d’instruction et de détention, en défendant le respect de la dignité humaine et des droits qui leur sont inhérents,
en insistant sur la nécessité de lier les textes aux accords et traités internationaux ratifiés par le Maroc et aux
règles modèles relatives au traitement des prisonniers adoptées par la conférence des Nations Unies sur la lutte
contre l’infraction et le traitement des délinquants.
2
- MIKOU, Mohamed, Le Conseil consultatif des droits de l’Homme, création et vocation, L’Harmattan, 1994,
p. 407. (Ouvrage collectif : Le Maroc et les droits de l’Homme : Réalisations et perspectives).

164
durée de la garde à vue et celle de la détention préventive. Enfin, le dahir de 1935 relatif à
la répression des manifestations contraires à l’ordre public et des atteintes au respect de
l’autorité, a été abrogé le 4 juillet 1994. Peu de temps après, le CCDH a proposé une liste
composée de 352 prisonniers politiques qui ont été libérés le 21 juillet 1994. Rollinde
explique que le CCDH a également joué un rôle dans l’introduction de programmes de
formation aux droits de l’Homme dans les administrations concernées ; comme l’école de
formation des gendarmes ou des policiers 1. De la sorte, il semblait que le monde arabe a
été subitement touché par le souci des droits de l’Homme ; la Ligue mauritanienne en 1987
(soutenue par le président Mouaouya Ould Tayaâ), et d’autres Ligues ont été fondées en
Tunisie2 et en Algérie3.

Des progrès certes, mais la réforme juridique n’était pas suffisante pour donner un
sens palpable à la promotion des droits de l’Homme, du moment où « on a l’impression
d’un pays qui paraît à première vue très ouvert et un pays où l’élite est très occidentalisée,
mais celle-ci n’a pas de prise sur les transformations du pays. Cela crée un sentiment de
malaise : on parle beaucoup mais on fait peu, l’action ne suit pas. Les changements qui
sont opérés, sont superficiels et ne touchent pas les problèmes de fond. En d’autres termes,
ces changements sont sans conséquence. Il y’a en fait un monde entre le discours et la
réalité et il n y’a pas d’action 4 ».

Ainsi, des actions ont été adoptées pour doter le CCDH de nouveaux instruments
juridiques et favoriser la promotion des droits de l’Homme. Le Dahir n°1.00.350 du 10
Avril 2001 (15 Moharrem 1422) portant réorganisation du Conseil Consultatif des Droits
de l’Homme, a signalé plusieurs axes stratégiques de réforme abordés sous trois angles :
l’élargissement des attributions du Conseil, le renouvellement dans sa composition, et
enfin le renforcement de son autonomie.

1
- Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…, op.cit, p. 265.
2
- Zine Al Abiddine Ben Ali, annonça dans sa première allocution adressée aux tunisiens que « le peuple méritait
une vie politique développée, basée sur le multipartisme, la pluralité et la multiplicité des organisations
populaires », car l’époque, dit-il, « ne supportait plus la présidence à vie, ni la succession mécanique qui écartait
le peuple ». Voir Hind Belamar & Najib Mouhtadi, Insurrection populaire et changement social en Tunisie, sur
la « révolution du Jasmin », op.cit, p.82.
3
- La Ligue Algérienne des Droits de l’Homme, présidée par maître Omar Menouar, la Ligue algérienne des
Droits de l’Homme (LADDH), sous la présidence de maître Abdennur Ali Yahia.
4
- CROZIER, Michel, « C’est l’écoute et l’évaluation qui fondent la bonne gouvernance ». Entretien réalisé par
Farida MOHA et publié dans le Quotidien du 04 Mars 2002.

165
D’importantes dispositions ont accompagné la révision du texte du CNDH, parmi
lesquelles : L’émission d’un avis consultatif d’ordre général ou spécial se rapportant à la
défense et à la protection des droits fondamentaux. Il fut également prévu de soumettre au
roi un rapport annuel sur l’état des droits de l’Homme ainsi que sur le bilan et les
perspectives des activités du conseil. Ce dernier a une fonction d’étudier l’harmonisation
des textes législatifs et réglementaires avec les chartes et les conventions internationales
auxquels le Maroc a adhérées ; et d’examiner sur sa propre initiative ou requête, les cas de
violation des droits de l’Homme et de soumettre ses conclusions à l’autorité compétente.

En plus, l’article 14 dudit dahir dispose que : « Le Conseil jouit d’une autonomie
administrative et financière dans la gestion de son administration et de son budget. » Dans
le même ordre d’idées, Le CCDH a mis le point non seulement sur le respect des droits de
la femme et l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard du sexe féminin, mais
aussi sur la formation et le niveau d’instruction de la femme, par la mise au point de projets
novateurs de formation professionnelle au profit de la femme, et ce pour une finalité de
former des citoyennes pleinement conscientes de leurs droits et de leurs responsabilités
politique, sociale et culturelle.

D’après ces avancées multiformes, peut-on affirmer pour autant que la stagnation
de la LMDDH et de l’AMDH allait tout de même influencer l’enflement du mouvement
des droits de l’Homme, voire la création d’une nouvelle organisation et que le CNDH
n’aura été qu’une forme institutionnalisée de reprendre la main sur la gestion du porte
feuille droits humains en désamorçant la capacité de mobilisation du tissu associatif
militant !

C- L’OMDH : UNE ORGANISATION MI-FIGUE MI-RAISIN

Malgré la mise en sommeil de la LMDH et AMDH, tout en ayant le même objectif


de défendre les droits de l’Homme. L’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme
(OMDH) est née1. Elle est composée des personnalités de la gauche radicale, des hommes
d’affaires, des bureaucrates, des ingénieurs et des professeurs d’université, des docteurs et
des avocats, ainsi que des personnalités du monde des arts et des lettres.

1
- Plus exactement, la décision de sa création a été prise après la « Conférence nationale sur les Droits de
l’Homme », qui a eu lieu le 11 et 12 décembre 1987 à Oujda.

166
En s’inspirant des démocraties occidentales, l’OMDH a visé l’évolution du système
politique marocain purement monarchique, et l’orienter vers un système politico-juridique
reposé sur le parlementarisme 1.

La Déclaration finale de son Congrès constitutif reprend les principes de base de


cette organisation : « Processus historique d’accumulations réalisées par plusieurs
générations de fils de cette nation dont les qualités de courage, de liberté et de tolérance
n’ont d’égales que le souci d’en sauvegarder l’identité et les valeurs authentiques (…), la
cause de la défense des droits de l’Homme (…) 2».

Dans la perspective de consolider un Etat de droit et de regrouper leurs forces, ces


trois associations (LMDDH, AMDH et OMDH) ont élaboré une Charte commune, appelée
Charte nationale des droits de l’Homme, qui a dévoilé, après de longues années de
mouvement sur la question, un nouveau projet juridique et politique pour le Maroc.
Proclamée le 10 décembre 1990 à Rabat, au 42ème anniversaire de la DUHD, et jour du
deuxième anniversaire de l’OMDH 3. il est à souligner, à ce niveau, que sur la voie de la
déclaration de Casablanca des Ligues maghrébines des droits de l’Homme, ainsi que
d’autres textes internationaux4, la Charte a appuyé l’indivisibilité des droits civils,
politiques, et des droits économiques, sociaux et culturels.

En effet, tant que les associations de droits de l’Homme ont fonctionné comme des
comités de défense des prisonniers politiques, d’un côté, le mouvement des familles a
contribué fortement à leur soutien et à la revendication de leurs droits, d’un autre côté. A
l’exemple du mouvement des familles qui s’était constitué en 1974, les familles des
lycéens et des étudiants arrêtés en 1981 et en 1983. « Des centaines de prisonniers, ça fait
des centaines de familles plongées dans le désarroi, l’angoisse, l’attente et qui finissent par

1
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…, op.cit, p. 273.
2
- Ibidem.
3
- Sont signataires de cette Charte les présidents de l’Association (Mohamed Hihi) et de l’Organisation (Khalid
Naciri), et le secrétaire général de la Ligue (Abdelkader Alami). Le président de la Ligue (Mohamed Abd El
Hadi Al Qabbab) est signataire, mais en tant que président de l’Association des barreaux du Maroc. Enfin
l’Association des juristes Marocains est représentée par son président, Abderrahmane Kadiri. Le texte de la
Charte établi en langue arabe est publié dans une traduction française, in OMDH, mai 88- mars 91, pp. 141- 145.
4
- Les associations signataires se déclaraient : « Conscients que l’homme est le centre de la vie et que grâce aux
droits matériels et moraux et aux libertés essentielles qu’il acquiert, s’épanouit son génie, jaillissent ses
potentialités et se développe sa personnalité et qu’il se trouve ainsi habilité à contribuer au développement
économique, social et culturel de son pays, à sa stabilité politique et au progrès de se civilisation ».

167
s’organiser pour tenter d’arracher leurs proches de la prison. A de rares exceptions près, ce
sont surtout les femmes (mères ou épouses) qui réagissent sur l’espace public, s’unissent et
luttent ensemble. Mouvement de femmes, mais pas un mouvement féministe. Leur mot
d’ordre : libération des prisonniers politiques 1». Depuis cette période, les femmes ont été
au premier rang et la population active s’est de plus en plus féminisée 2.

Des rencontres ont eu lieu entre elles dans un espace public, devant les portes des
prisons, pour défendre le droit de leurs maris, de leurs frères, de leurs fils. L’histoire a
commencé par des regroupements timides, pour en arriver à des manifestations
audacieuses. Elles en organisèrent une le 1er mai 1984, sous la bannière des « Familles de
détenus politiques ». Ainsi, ces femmes arrivant souvent de la campagne, généralement
analphabètes, ont pris peu à peu conscience de ce qu’est la politique pour laquelle militent
leurs enfants et pour laquelle ils sont envoyés en prison :

« Tout devenait politique. Ce mot, vous aviez réussi à en percer le mystère. La


politique, ce n’était donc pas autre chose que cette guerre quotidienne entre riches et
pauvres, ceux qui détiennent le gourdin et frappent à tour de bras et ceux qui se protègent
des coups (…). Voilà mes chères, si chères, ce sont ces idées et tant d’autres qui se
frayaient leur chemin dans votre conscience au cours des heures interminables de l’attente
à la porte des prisons … 3».

Pour donner un cadre légal à leurs revendications, les femmes ont choisi de
rejoindre le mouvement de la Défense des droits de l’Homme ; d’où est venue l’idée de

1
- Elles ont ressenti l’arrestation de leurs proches pour ce qu’elle était : une injustice faite à des gens dont le seul
crime est d’avoir exprimé leurs opinions. Les crimes pour elles, c’étaient le vol, le meurtre. Que font leurs
enfants en prison ? Leur problème n’était pas d’être d’accord ou non avec leurs prisonniers mais d’être contre
une détention jugée illégitime : principe de base de toute action démocratique, pourtant si souvent « oubliée » par
les partis ayant pignon sur rue ». Témoignages de membres des familles, 15 mai 1983, in « La femme dans le
monde arabe ». Revue Soual, n°4, novembre 1983, p. 149-152, repris in « Dossier 84, Solidarité avec les luttes
des femmes au Maroc », Paris, 1984. Propos cités in ROLLINDE, M., Le mouvement marocain…, op.cit, p.
242-143.
2
- Voir COURBAGE, Y., Le Maroc de 1962 à 1994 : Fin de l’explosion démographique ? Maghreb-Machrek, n°
153, juillet-septembre 1996, p. 79. Voir Témoignages de membres des familles, 15 mai 1983, in La femme dans
le monde arabe, revue Soual, n°4, novembre 1983, p. 149-152, repris in Dossiers 1984, Solidarité avec les luttes
des femmes au Maroc, Paris, 1984.
3
- LAABI, Abdellatif, Le Chemin des ordalies, Denoël, 1982, p.74.

168
créer l’Association démocratique des femmes marocaines (ADFM) 1 en juin 1985,
l’Organisation des femmes de l’Istiqlal (OFI) en février 1987, l’Union de l’action féminine
(UAF) en mars de la même année 2.

Ce mouvement des femmes a été soutenu par les associations de défense des droits
de l’Homme. L’AMDH a affirmé dans son préambule, le principe de la « globalité des
droits humains » ; la lutte contre « la ségrégation entre l’homme et la femme », ainsi que
d’autres violations de droits économiques, sociaux et culturels considérés comme « des
violations des droits humains aussi graves que la peine capitale, la torture, la privation de
passeport, les entraves aux libertés d’opinion, d’expression de la presse, de constitution
d’association et autres violations des droits politiques et civils ». Par ces principes, elle a
adhérée à la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard de la
femme, qui fut signée à Copenhague en 1979.

Les positions de l’OMDH sont, elles, plus complexes à analyser ; puisque dans les
textes en faveur des droits de la femme, à chaque fois qu’il est fait référence aux textes
internationaux, il est mentionné que ces droits « puisent leurs racines dans les valeurs du
patrimoine islamique », ce qui limite forcément leur impact. Il faut donc partir des
« principes de la DUDH3 en harmonie avec les valeurs islamiques », et ce en faisant appel
à l’Ijtihad pour résoudre le problème de discrimination entre hommes et femmes. La Ligue
des droits de l’Homme reconnaît également l’égalité entre hommes et femmes, en se basant
sur deux références ; l’islam et les conventions et déclarations internationales, à condition
que ces derniers ne s’opposent pas à la référence de l’islam.

A la lumière de ces accumulations, il est clair qu’il y avait une véritable


contribution, voire une complémentarité entre le mouvement des associations des droits de
l’Homme et les associations des femmes, car les deux revendiquaient pratiquement les

1
- Cette association a été créée sur l’initiative du PPS, et la plupart de ses membres étaient des enseignantes, des
avocates. Elle avait pour objectif, au départ, le travail sur les textes de lois, ensuite elle a mis le doigt sur des
questions qui touchent de près la société marocaines, notamment le travail des enfants, la violence des femmes
(harcèlement sexuel, ….).
2
- Plus récemment, l’Association des femmes marocaines progressistes (AMFP), a été créée en 1992, à
l’initiative de femmes ou de sœurs d’anciens prisonniers marxistes-léninistes. Amina Brahma, présidente de
l’association, expliquait que « le problème de la femme est lié à celui de tout le peuple marocain, il n’y aura pas
de solution à la lutte pour la femme si ce n’est pas lié à la lutte des classes ». Extrait entretien in ROLLINDE, M.
Le mouvement marocain op.cit, p. 329.
3
- Déclaration universelle des droits de l’Homme.

169
mêmes droits politiques, culturels, sociaux ou civils, abstraction faite de leurs référents ou
présupposés idéologiques.

Cette situation effervescente a favorisé d’autres projets ; notamment, la révision de


la Moudawana. A ce propos, beaucoup d’efforts ont été investis dans l’espace public,
menés à la fois par les associations de la défense des droits de l’Homme, et de la défense
des droits de la femme, ainsi que par les partis politiques et des intellectuels progressistes.

En dehors des tentatives qui ont été faites pour la révision de ce code, les femmes
de l’UAF, à l’occasion de la préparation de la constitution de 1992, ont lancé dans tout le
pays une campagne de signatures demandant le changement du statut du personnel. En
adressant une lettre ouverte aux parlementaires, elles ont proclamé « qu’une véritable
démocratie ne peut fonctionner, ni même exister, s’il n’y a pas égalité des citoyens et des
citoyennes devant le droit (…). La Moudawana, rédigée de plus de trente ans, est dépassée
dans la réalité quotidienne. Elle est devenue non seulement incapable de résoudre les
problèmes de la famille marocaine, mais elle représente pour celle-ci un facteur de crise et
d’éclatement 1».

Ces changements portent sur :

 L’abolition de toute forme de tutelle sur la femme à sa majorité et son droit


à choisir librement son mari,
 Le refus de la polygamie,
 Le refus de la répudiation, et l’institution d’une procédure de divorce devant
la justice pour le mari comme pour la femme,
 Le droit pour la mère d’obtenir la tutelle de ses enfants en cas de séparation.

Cette lettre ouverte s’est transformée en texte de pétition, et a connu un grand


succès dans le pays (plus d’un million de signatures), en dépit des réticences des
mouvements islamistes naissants et qui s’opposaient aux principes mêmes de la question
féminine. Le roi a fini par s’en saisir 2. Par dahir royal des changements légers ont été

1
- Le 08 Mars, revue de l’UAF (en arabe), n°57, mars 1992.
2
- ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 330-331.

170
retenus et le nouveau texte de la Moudawana sera promulgué le 10 septembre 1993 1,
mettant un terme à une polémique naissante entre modernistes et traditionalistes.

Voyant à présent le positionnement des uns et des autres. La réaction des


associations à ce sujet n’a pu être que positive, l’AMDH à titre d’exemple, en appuyant le
changement s’est reposée sur deux principes : la considération de la femme en tant qu’être
humain par la reconnaissance de sa majorité une fois que l’âge légal est atteint, et par
l’abolition de toute forme de tutelle sur la femme ; et l’établissement d’un nouveau code du
statut personnel basé sur la DUDH et les chartes internationales relatives à ce sujet.

La Ligue marocaine de défense des droits de l’Homme a également soutenue les


changements qui seraient faites dans l’intérêt de la femme, mais qu’elles ne contrarient pas
les principes de la religion ; notamment, l’héritage 2.

L’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH), de sa part, a profité de


l’occasion de la révision constitutionnelle, en avril 1992, pour rappeler que « la référence
fondamentale de l’OMDH est la DUDH et les conventions internationales (…), ce qui
implique l’affirmation du principe de l’égalité entre l’homme et la femme dans les droits
civils, politiques, socioéconomiques, et culturels 3 ». En effet, l’OMDH a considéré
que « la méthode qui consiste à émettre des fatwas prononçant des anathèmes et des
sanctions à l’encontre de citoyens qui ont exprimé leur opinion en toute liberté et formulé
leur revendication dans le cadre de la loi, outre qu’elle représente une forme de terrorisme

1
- Il est à rappeler que les deux discours d’Hassan II, du 29 juillet et du 20 août, dans lesquels il a réclamé : « J’ai
entendu des plaintes au sujet de la Moudawana ou de son application, c’est une affaire qui relève de mon
ressort ». De ce fait, il s’est chargé lui-même de la question des femmes, mais en la liant à la religion, puisque
« en tant qu’Amir Al Mouminine, a compétence pur appliquer et interpréter la religion ».
2
- « Le problème de la femme se pose sur les questions de la tutelle, de la garde des enfants et du divorce (…).
Quant à la question de l’héritage, c’est impossible de l’amender car il est défini par un texte coranique précis et
nous sommes engagés à appliquer le Coran et non pas à lui désobéir ». M.A. Al-Qabbab en entretien avec M.
Rollinde, in ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 332.
3
- Le 23 juillet 1992, le Bureau national de l’organisation publia un communiqué de soutien ferme à l’attention
des initiatives prises par les associations de femmes, et dans lequel il condamne clairement les "fatwas"
prononcées à l’encontre de ces femmes.
Le terme « fatwa » est un avis juridique donné par un spécialiste de la loi islamique (chari’a) sur une question
particulière ; en règle générale, une fatwa est émise à la demande d’un individu ou d’un juge pour régler un
problème sur lequel la jurisprudence islamique n’est pas claire.

171
intellectuel réprouvé et inadmissible, est une transgression de la loi et une usurpation du
pouvoir judiciaire 1».

Plus généralement, les textes des constitutions marocaines ont également consacré
quelques articles à la question des droits de l’Homme ; notamment, la constitution de 1996
qui a donné une nouvelle relance sur la protection des droits de l’Homme, dans son
préambule et dispose que le Maroc « réaffirme son attachement aux droits de l’Homme tels
qu’ils sont universellement reconnus ».

Pour conclure, on peut dire que plusieurs facteurs ont favorisé l’implémentation de
la question des droits de l’Homme au Maroc, abstraction faite du climat de rivalité et de
lutte entre les partis politiques du mouvement national, et les associations progressistes et
les courants de pensée islamistes. Ces mouvements ont réussit, grâce à l’ouverture de
l’espace politique aux revendications des associations qui défendaient les droits de
l’Homme, et plus particulièrement à celles de la défense des droits de la femme.

Il est à remarquer également que le régime marocain, surtout à la fin des années 80,
est devenu plus tolérant sur la question de liberté d’expression. Cette tolérance n’était pas
pour rien, elle a représenté la persévérance du système politique mené par Hassan II, et son
contrôle permanant sur toute sorte de changement en vue de faire face aux risques
d’explosions sociales.

Dans ce registre, il est à souligner le rôle important qu’a joué la pression de


l’opinion publique internationale, les ONG ; notamment, les rapports d’Amnesty
International et de la FIDH, la presse française, surtout « le Monde ». Or, après la
libération des détenus politiques en 1989, le poids de la pression internationale a pu
stimuler la volonté du roi Hassan II de « tourner définitivement la page de ce qu’on
l’appelle les prisonniers politiques », pour « mettre un terme à la situation d’embarras et de
doute à l’intérieur 2».

1
- OMDH, Déclarations et communiqués, Tome II, p. 92-93.
2
- Discours d’Hassan II, le 8 juillet 1994.

172
PARAGRAPHE 2 : QUAND L’ETAT ASSUME SES EGAREMENTS

Les droits de l’Homme en tant que principe universel est intimement lié à l’existence
de l’homme, mais sa nouvelle configuration mondiale a pris un élan au début du 20ème siècle,
à travers la conception marxiste réfutant les principes de la société libérale. Elle a été adoptée
essentiellement par l’ex URSS, les pays de l’Europe de l’est, et quelques pays d’Amérique
Latine, d’Asie et d’Afrique, notamment la Chine populaire, Cuba, Vietnam, Algérie,
Maroc…1.

Au Maroc, la question des droits de l’Homme s’est posée à partir des années 70, au vu
d’un certain nombre de facteurs d’ordre économique, politique et culturel, à commencer de
l’enracinement de la pensée socialiste et la mobilisation dans l’université autour de débats sur
les expériences communistes en URSS et en Chine, ce qui a favorisé des mouvements
clandestins d’obédience marxiste-communiste.

Sur l’échiquier international, les droits de l’Homme par ses composantes intrinsèques
ont été défendus par plusieurs philosophes du siècle des lumières. En fait, ce que l’on appelle
aujourd’hui « Droits de l’Homme » était auparavant qualifié par « Droits naturels » ; ce droit
découle de la loi naturelle, une idée développée par Saint Thomas d’Aquin qui voyait que la
nature est un facteur d’impulsion, et un facteur régulateur de l’activité déployée. Ce qui fait
référence au droit naturel qui est « un dû à autrui selon une égalité naturelle, laquelle
demeure, tout particulièrement chez l’homme, générale et indéterminée tandis que le droit
positif est un dû à autrui selon une égalité plus définie, plus adaptée au milieu social, encore
qu’elle demeure elle aussi, assez générale et assez déterminée pour recouvrir la quasi-totalité
des salutations particulières… 2».

1
- En dépit de la volonté manifestée ça et là par les Etats de suivre des voies respectant les principes
démocratiques, les droits de l’Homme et les libertés fondamentales tels qu’ils sont proclamés dans la Charte des
Nations Unies et surtout dans la Déclaration Universelle de 1948, il n’en reste pas moins que dans la pratique de
chaque jour, ces droits de l’Homme demeurent systématiquement violés et bafoués, ou pour le moins non
respectés et ignorés ». SENDAGUE, Ahmed Belhadj, Le sous développement et les droits de l’Homme, Babel,
1994, p. 46.
2
- Voir LACHANCE, Louis, Droit et « Droits de l’Homme », presses universitaires de France, 1959, p. 68. Dans
le même cadre conceptuel, « lié au protestantisme, l’école du droit naturel du XVIIème siècle élabore la théorie du
contrat et du droit naturel qui va mouler la nouvelle conception des rapports entre gouvernants et gouvernés. Elle
fait du contrat le principe fondateur de la société civile, et du droit naturel la source du système de valeurs censé
se substituer à la morale de l’Eglise et transcender le droit positif de l’Etat ». MOUAQIT, Mohammed, Liberté et
libertés publiques, Eddif, 1996, p. 31.

173
Si Saint Thomas d’Aquin a fait une distinction entre la loi divine, la loi naturelle et la
loi positive. John Locke a mis l’accent sur un certain nombre de droits, tels que le droit à la
vie, à la liberté et à la propriété. Montesquieu , de son côté, dans « l’Esprit des Lois » (1748) a
appuyé une idée liée au gouvernement, il s’agit de la séparation des pouvoirs pour garantir le
respect des droits de l’Homme, il a condamné le despotisme et exalté la liberté et le droit à la
propriété et la tolérance.

La révolution française a joué un rôle majeur en la structuration des principes


révolutionnaires, ayant aboli les privilèges et imposé l’ordre égalitaire bourgeois. Cette
reconfiguration juridique et politique a été couronnée par l’adoption de la Déclaration des
droits de l’Homme (26 août 1789)1. Après la guerre mondiale, une diversité de dispositions
relatives à ces droits a été proclamée officiellement dans la charte de l’ONU.

Cette charte mis à part son aspect universel, a constitué un dispositif éthique et
juridique entre les Etats membres de l’ONU, par la ratification de la charte internationale des
droits de l’Homme de 19482. Elle se composait de trois textes :

 La Déclaration universelle des droits de l’Homme (10 décembre1948)3 ;


 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 décembre
1966) ;
 Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (16
décembre1966).

A partir du cumul conceptuel hérité de la philosophie des lumières, il est à souligner


que « les textes révolutionnaires reposent sur des principes communs qui façonnent la
conception libérale des droits de l’Homme, c’est d’abord la liberté considérée comme un
ensemble de droits opposables à l’Etat et fondée sur la responsabilité de l’Homme, il

1
- L’article 1 de ladite déclaration énonce deux droits fondamentaux ; la liberté et l’égalité. Les autres articles
énumèrent d’autres libertés civiles (la sûreté, la liberté d’opinion et d’expression, le droit de propriété…), ainsi
que d’autres droits d’ordre politique, notamment le droit de légiférer, droits aux emplois publics… .
2
- En ratifiant les textes relatifs aux droits de l’Homme (la déclaration de 1948, les deux pactes de 1966 et les
normes globales qui en découlent), les Etats signataires deviennent moralement responsables devant leurs
citoyens ainsi que devant la communauté internationale.
3
- Cette Déclaration annonce de nombreux principes et droits, notamment le principe de l’égalité, « Tous les
êtres naissent libres et égaux… » (Article 1), et précise que « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans
distinction à une égale protection de la loi. (…).

174
appartient à chaque individu de réaliser les droits reconnus, c’est ensuite la confiance dans la
loi considérée comme gardienne de la liberté 1».

En effet, l’internalisation des droits de l’Homme a favorisé le respect et la promotion


des droits humains, du fait que « l’interdépendance croissante des peuples et des Etats tend à
gommer, à effacer, l’opposition entre politique intérieur et politique extérieure. Il est devenu
impossible d’isoler totalement les sociétés nationales du milieu international 2 ».

Au Maroc, la fin des années 90 qui a coïncidé avec la fin du règne d’Hassan II a
largement libéré les marocains de la peur 3. L’opacité a reculé, la parole s’est libéré, et les
libertés publiques ont progressé4. Après les événements de 2011, le Maroc a adopté une
politique moderne dans le cadre d’un islam modéré. Ce qui caractérise fondamentalement ce
modèle maroco-marocain, c’est une combinaison étroite, effectivement inédite, entre une
démocratie authentique et une monarchie véritable 5.

Le projet de modernisation soutenu par le nouveau roi du Maroc, s’est concrétisé par
la mise en œuvre de plusieurs réformes au niveau social, économique, politique, religieux ;
notamment, la révision de la Moudawana, la création de l’Instance équité et réconciliation
(IER) en 2004, l’Initiative nationale de développement humain (INDH) en 2005, la réforme
du champ religieux entre 2004 et 2008, le chantier de la régionalisation avancée en 2010, la
promotion et la défense des droits de l’Homme (CCDH en 1990 et le CNDH en 2011),
l’installation du Conseil économique, social et environnemental en 2011, et dans la même
année, la réforme constitutionnelle.

1
- MADIOT, Yves, Droits de l’Homme et libertés publiques, Masson, 1976, p.47.
2-
BECET, Jean-Marie et COLARD, Daniel, Les droits de l’homme : Dimensions nationales et internationales,
Economica, 1982, p. 158.
3
- Le 16 Août 1999, un mois après la mort d’Hassan II, une commission d’arbitrage indépendante
d’indemnisation de la disparition et de la détention arbitraire fût créée. Une nouvelle étape charnière pour le
développement du socle des droits de l’Homme. Depuis sa création, la commission avait reçu plus de 5700
dossiers concernant les détenus de Tazmamart et ceux des années 60, 70 et 80. Selon Abdelaziz Benzakour,
membre de la commission : « … Le train est maintenant sur les rails (…) nous avons jeté, à la fois, les bases du
travail de l’instance d’arbitrage puisque nous avons confectionné son règlement intérieur et les fondements
référentiels de l’indemnisation en ce qui concerne les principes juridictionnels et judiciaires, qui nous
permettront de statuer s’il s’agit de détention arbitraire ou de disparition forcée ». Article intitulé : « Un pas vers
la réhabilitation », par Noureddine JOUHARI, Maroc hebdo international du 21 au 27 juillet 2000.
4
- CUBERTAFOND, Bernard, Pour comprendre la vie politique, op.cit, p. 5.
5
- ROUVILLOIS, Frédéric, Réflexions sur la monarchie démocratique à la marocaine, Maghrébines, 2012.

175
Partant du fait que le Maroc se définit comme une monarchie constitutionnelle 1,
démocratique, parlementaire et sociale 2, son attachement aux fondements constitutionnels de
l’Etat ; à savoir l’Islam, la monarchie et l’intégrité territoriale, n’exclut pas la possibilité
parfois de changements, y compris radicaux3. La page de l’autoritarisme a été tournée ; avec
la grâce royale de 1994, suivie de la mise en place d’un gouvernement d’alternance par
Hassan II en 1998… . Depuis l’intronisation de Mohammed VI, il y eut le retour d’Abraham
Serfaty, le limogeage du ministre de l’Intérieur, le retour de la famille de Ben Barka, et
d’anciens militants des droits de l’Homme ont intégré le gouvernement 4, les associations se
sont multipliées, etc5.

La réforme de la constitution de 2011, pour sa part, a donné un réel coup de pouce à la


question des droits de l’Homme. Comme les précédentes (1962-1970-1972-1992-1996), elle a
prévu des libertés6 et des droits7, mais en consacrant une liste plus enrichie quantitativement

1
- La révision de la constitution a été toujours présente. La scène politique marocaine était toujours ouverte pour
accompagner l’évolution et le changement qu’a connu le Maroc tout au long de l’Histoire. Ce qui est nouveau à
propos de la constitution de 2011 c’est qu’il ne s’agit pas d’une révision mais une réforme.
2
- 1er article du Dahir n°1-1191 du 29 juillet 2011, portant promulgation de la constitution marocaine.
3
- EL GHISSASSI, Hakim, Regard sur le Maroc de Mohammed VI, Michel Lafon, 2006, p.91.
4
- Le cas par exemple des anciens responsables de l’OMDH , à citer : Abderrahmane Youssoufi, cofondateur
dans les années d’exil, de l’Institut arabe et de l’Organisation arabe des droits de l’Homme ; Omar Azziman,
ministre de la Justice ; Mohammed Aoujar, ministre chargé des droits de l’Homme et Aicha Belarbi, secrétaire
d’Etat auprès du ministre d’Etat aux Affaires étrangères et de la Coopération, dans le 1 er gouvernement
Youssoufi, et ambassadrice du Maroc auprès de l’Union européenne depuis le remaniement de septembre 2000.
D’autres les ont rejoints et ont occupé des postes de responsabilité dans leur ministère, comme Habib Belkouche,
directeur du Centre d’information, de documentation et de formation aux droits de l’Homme, relevant du
ministère des droits de l’Homme, ou Naima Benwakrim au ministère de la Famille, de l’Enfance, de la Condition
de la femme et de l’Intégration des handicapés. Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 339.
5- ces changements ont survenu non seulement avec les mutations socio-économiques internationales et leur
action sur les pays du Maghreb (PAS, FMI, …), mais aussi, avec la « rupture dans le monde socialisation et
d’intégration des générations nées aux indépendances » et à « l’émergence de formes de sociabilité significatives
d’aspirations à l’autonomie sociale ». Voir CAMAU, Michel, Changements politiques et problématique du
changement, introduction à Changements politiques au Maghreb, CNRS, coll. Etudes de l’Annuaire du Nord,
Paris, 1991, p. 3-13.
6
- Parmi les libertés, on peut citer la liberté de pensée, d’opinion et d’expression (article 25), les libertés de
réunions, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association et d’appartenance syndicale et politique
(article 29), la liberté d’entreprendre (article 35 alinéa 2), la liberté de la presse (article 28), la liberté de circuler
et de s’établir sur le territoire national (article 24). Ces libertés sont proclamées par le code des libertés publiques
de 1958, et consolidées par le respect de certains principes fondamentaux, tels que la légalité des peines (article
23 alinéa 1), la non rétroactivité de la loi (article 6 dernier alinéa), l’égalité (article 19 et 31), la corrélation des
droits avec les devoirs (article 37)… .
7
- Au-delà des libertés garanties par la constitution, elle proclame un grand nombre de droits économiques,
sociaux, culturels et environnementaux. A titre d’exemple, on peut citer le droit à la vie (article 20), à la sécurité
(article 21), à l’intégrité physique ou moral et à la dignité (article 22), à la protection de la vie privée (article 24),

176
et qualitativement 1. Son préambule se présente contre toute discrimination en raison de sexe,
il souscrit et réaffirme son attachement aux droits de l’Homme tels qu’ils sont
universellement reconnus2. Cet attachement à l’universalité des droits de l’Homme jette la
lumière sur l’incorporation des conventions internationales des droits de l’Homme au droit
national. Dupuy confirme cette idée en pensant que « la constitution dans sa nouvelle
formulation intègre dans le droit public marocain les actes internationaux de portée
universelle intervenus en cette matière 3 ». A l’encontre de cette idée, certains pensent que si
« au point de vue juridique conceptuel et symbolique, (il s’agit) d’une importante
modification qui met l’accent sur le caractère universel des droits de l’Homme, modification
qui marque une nette évolution des milieux officiels qui, pendant longtemps, ont préféré
mettre l’accent sur le caractère spécifique propre au Maroc de ces droits. Le passage du
particularisme à l’universalisme est une mesure qui place notre pays, ne serait-ce que
théoriquement, sous l’autorité des conventions internationales le hissant au niveau des pays
ayant atteint un certain degré de développement dans ce domaine 4».

Cependant, le grand reproche adressé à la constitution réside dans l’absence d’une


disposition prévoyant expressément la supériorité du traité international sur la loi nationale 5.
Mais malgré cela, les pouvoirs publics consentent la suprématie du droit international
humanitaire sur le droit interne ; il est lieu de signaler les réponses de la délégation marocaine
lors de l’examen par le comité des droits de l’Homme, par lesquelles il a affirmé que « les

ou encore le droit d’accéder à l’information détenue par l’administration (article 27), le droit à la santé, à
l’éducation, au logement, à l’accès aux fonctions publiques selon le mérite, à l’eau et à un environnement sain
(article 31), et le droit à la propriété (article 35)… .
1
- EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception des droits de l’Homme en droit administratif au Maroc, Publisud,
Paris, 2012, p. 48. (Contribution à l’ouvrage « Droit et mutations sociales et politiques au Maroc et au
Maghreb »).
2
- Le 3ème alinéa du préambule de la constitution de 2011. L’alinéa 11 dudit préambule parle de la protection et
de la promotion des dispositifs des droits de l’Homme et du droit international humanitaire et de la contribution à
leur développement dans leur "indivisibilité et leur universalité". Voir EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception
des droits de l’Homme…, op.cit, p. 46.
3
- DUPUY, R.J, La constitution marocaine et les relations internationales, in Trente années de vie
constitutionnelle au Maroc, LGDJ, 1993, p. 324. Cette idée a été partagé par certains auteurs marocains, comme :
BENDOUROU, O., et AOUAN, M., La réforme constitutionnelle marocaine de 1992, RDP 1993, n° 2, p. 434 ;
KADIRI, A., Constitution marocaine et droit international public, in Lecture dans la constitution révisée le 13
septembre 1996.
4
- MENOUNI, A., Lectures dans le projet de constitution révisée, in Révision de la constitution marocaine 1992,
analyses et commentaires, Rabat, 1992, p. 169.
5
- EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception des droits de l’Homme, op.cit, p. 56.

177
conventions bilatérales ou multilatérales qui sont ratifiées dans les formes prévues par la
constitution sont incorporées au droit interne, leurs dispositions sont applicables et
susceptibles d’être invoqués de plein droit sur le plan judiciaire 1».

Dans ce sens, le roi Hassan II a déjà affirmé que « le droit international tel qu’il est
reconnu et pratiqué de nos jours, dispose que les accords bilatéraux ou multilatéraux à
caractère international imposent aux signataires des obligations qui priment sur leur droit
interne2 », et « depuis la rédaction de la précédente constitution (celle de 1992) la notion des
droits de l’Homme est devenue un des piliers du droit international, le Maroc en prend acte 3»,
en confirmant : « nous avons traduit cette haute sollicitude pour les droits de l’Homme dans la
Constitution de notre Royaume dans les différents textes de notre législation et dans nos
positions, notamment les engagements auxquels nous avons souscrit et les chartes relatives
aux droits de l’Homme auxquelles nous avons pour un grand nombre adhéré… . C’est ainsi
que ces droits ont revêtu dans la Constitution de 1992 une dimension universelle du fait que
cette constitution a énoncé l’attachement du Royaume du Maroc aux droits de l’Homme tels
qu’ils sont universellement reconnus… . A cet égard, nous avons modifié, sur proposition de
ce conseil (CCDH), les législations contraires aux dispositions des droits de l’Homme 4».

La note de présentation de la loi n° 34-05 modifiant et complétant la loi n° 2-00


relative aux droits voisins a fixé aussi un référentiel. « … Cette loi prévoit la protection et
l’exploitation des droits d’auteur et droits voisins en conformité avec les standards
internationaux en la matière prévus par les différentes Conventions, Traités ou Accords
auxquels le Maroc est partie… ». Toutes les dispositions de n’importe quelle convention
internationale ratifiée par le Maroc sont applicables aux cas prévus dans cette loi5.

Dans son discours du Trône du 30 juillet 1999, le roi a souligné la primauté de l’Etat
de droit « Nous sommes extrêmement attaché …à l’édification d’un Etat de droit, à la
sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés individuelles et collectives… à la

1
- CERD/C/225/Add. I, 12/5/1993, p.1.
2
- Le Matin du Sahara du 4/8/1979, p. 3.
3
- Le Monde du 2/9/1992.
4
- La Lettre Royale adressée aux participants à la 1ère rencontre méditerranéenne des institutions nationales de
promotion et de protection des droits de l’Homme, qui a été tenue à Marrakech en 1998.
5
- Voir MOULAY RACHID, A. Errazak, Regards croisés au Maroc sur le rang hiérarchique des normes
internationales relatives aux droits de l’Homme, Publisud, 2012, p. 630.

178
préservation des droits dont Dieu a honoré l’homme et qui ont été consacrés par les
conventions internationales dont le Maroc figure parmi les premiers signataires ».

Néanmoins, certains droits et libertés introduits dans des conventions comme la


Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (1966), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (1966)…, relèvent une certaine incompatibilité avec les principes de l’Islam, religion
officielle de l’Etat1. Il s’agit par exemple de la liberté de conscience, la liberté de disposer de
son corps, de l’égalité de droit et de responsabilités entre l’homme et la femme en matière de
statut personnel, la liberté d’avoir ou d’adopter une religion de son choix … 2. Dans ces cas, le
Maroc fait recours à la technique des « réserves » aux traités prévue par la Convention de
Vienne pour écarter l’application de ces droits et libertés ou pour en nuancer la mise en
œuvre3.

Contrairement à d’autres conventions qui, par leurs dispositions, n’entrent pas en


contradiction avec la religion de l’islam ; notamment la Déclaration islamique universelle des
droits de l’homme (1982), la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination
à l’égard des femmes (1979), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants (1984), la Convention relative aux droits de l’enfant
(1989)….

Dans ce contexte, il est à signaler que certains courants de pensée ont considéré que la
Déclaration universelle des droits de l’Homme doit appeler des nuances au niveau de la
réception, c-à-d, certains droits peuvent être adoptés alors que d’autres ne conviennent pas

1
- EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception des droits de l’Homme…, op.cit, p. 46.
2
- Le jugement de la Cour d’appel de Rabat du 9 février 1960, relatif à la dissolution du parti communiste,
illustre cette situation : « Attendu, il est vrai, qu’il est soutenu par l’intimé que la poursuite dont il est l’objet est
contraire à la charte des Nations Unies à laquelle le Maroc a adhéré, et, partant à la Déclaration universelle
des droits de l’Homme, qui proclame la liberté de pensée, d’expression et d’association, mais attendu que
l’adhésion par un Etat à la proclamation générale de portée internationale que constitue la Déclaration
universelle des droits de l’Homme fondée sur des principes communs d’humanisme mais non sur un système
commun de régime politique et social ne peut s’imposer comme règle au pays adhérent que sous réserve de la
protection de son ordre public interne ». Voir EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception des droits de l’Homme,
op.cit, p. 52.
3
- RBII, H., La pratique marocaine des réserves dans les conventions internationales des droits de l’Homme,
Remald, n° 18, p. 73.

179
pour notre société1. D’autres courants ont vu que ces droits ne concernent que l’homme
occidental, c’est le cas par exemple, de la notion de représentation qui se concrétise dans le
suffrage universel, l’élection, les partis politiques, l’alternance, le référendum… est une idée
occidentale2.

Dans ce climat d’ambigüité entre les valeurs de la civilisation occidentale et les


valeurs marocaines pétries de référencement musulmans, au cours des années 90, le champ
des droits de l’Homme s’est néanmoins ouvert de plus en plus ; et d’autres revendications s’y
sont jointes ayant pour objectif l’égalité entre l’homme et la femme, le droit d’accès à
l’information et de présentation de pétitions, la lutte contre toutes les formes de discrimination
et des pratiques humiliantes pour la dignité humaine… 3.

Cette émergence a favorisé la ratification de la plupart des textes internationaux de la


protection des droits de l’Homme ; De nombreuses institutions ont été mises en place pour la
défense et la sauvegarde des droits et des libertés, et les pouvoirs publics ont investis
beaucoup d’efforts pour la mise en conformité des textes législatifs et réglementaires aux
conventions internationales ratifiées, soit par la révision, ou bien par l’adaptation 4.
L’harmonisation des dispositions pertinentes de la législation nationale est désormais érigée
en règle générale par le dernier alinéa du préambule de la constitution de 2011 5.

1
- EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception des droits de l’Homme, op.cit, p. 47.
2
- LAKHAL, S., L’association "AL Adl Wal Ihsane" et la question de la participation aux élections, Le journal
« Al Ahdath Al Maghribia », du 25/8/2002, p. 8. (Rédigé en arabe)
3
- A ce propos, l’article 8 de la constitution de 1992-1996 stipule que : « l’homme et la femme jouissent de droits
politiques égaux (…), sont électeurs tous les citoyens majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et
politiques ».
4
- Pour illustrer, on peut se référer aux missions remplies par l’ancien ministère délégué chargé des droits de
l’Homme, qui consistaient à « examiner l’ensemble des textes législatifs et réglementaires en vigueur en vue
d’en apprécier la conformité aux principes et aux règles relatifs aux droits de l’homme et de proposer le cas
échéant les correctifs et amendements qui s’imposent ainsi que d’œuvrer en vue d’assurer aux instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels le Maroc a adhéré la meilleure intégration au droit interne
eu égard aux valeurs islamiques de la société marocaine ». Voir Décret relatif à l’organisation et aux attributions
du ministère auprès du 1er ministre chargé des droits de l’Homme. Bulletin Officiel du 24.5.1994, n° 4262, p.
335.
5
- EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception des droits de l’Homme, op.cit, p. 47.

180
Du bloc constitutionnel et des expériences du passé qu’a connu le Maroc au niveau
social, Le roi a rapidement réagi en corrigeant certaines défaillances du système politique
marocain1.

Il s’est appuyé sur trois éléments pour structurer le mouvement de


constitutionnalisation des droits et des libertés 2. Le premier élément concerne les traditions du
Maroc qui en fondent l’unité, selon les dispositions de l’article 19 de la constitution de 2011
: « le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume ». Le
deuxième, représente l’Islam qui selon l’article 3 et 4 est considéré comme « la religion du
pays » ainsi que « le Roi, Amir Al Mouminine, veille au respect de l’Islam », et aux termes de
l’article 6 qui résume que le principe de souveraineté du législateur est lié toujours à cet
élément religieux3. Le troisième élément, s’est présenté dans la coresponsabilité entre l’Etat et
les citoyens ; D’après les dispositions de l’article 40, « Tous supportent solidairement et
proportionnellement à leurs moyens, les charges que requiert le développement du pays, et
celles résultant des calamités et des catastrophes naturelles ». Dans le même contexte, l’article
37 dispose que : « toutes les citoyennes et les citoyens doivent respecter la Constitution et se
conformer à la loi. Ils doivent exercer les droits et libertés garantit par la Constitution dans un
esprit de responsabilité et de citoyenneté engagée où l’exercice des droits de fait en
corrélation avec l’accomplissement des devoirs ».

Sur la base de ces articles, il est permis d’affirmer qu’il y a un changement


remarquable en matière des Droits de l’Homme 4. Sans omettre le rôle qu’a joué les différents

1
- EL GHISSASSI, Hakim, Regard sur le Maroc, op.cit, p. 80.
2
- RAMBAUD, Thierry, La garantie des droits et des libertés dans la constitution marocaine de 2011,
Maghrébines, Casablanca, 2012.
3
- Article 6 de la Constitution de 2011 : « La loi est l’expression suprême de la volonté de la nation. Tous,
personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elle et doivent s’y soumettre.
La souveraineté du législateur s’exprime, par voie de conséquence, dans le respect des principaux fondamentaux
de l’Islam dont le Roi est le garant ».
4
- Thomas Gil a défini les droits de l’Homme comme étant « la formule éthique minimale sur laquelle on peut
obtenir un consensus général en tout cas en théorie ». GIL, Thomas, La diversité culturelle et la rationalité des
droits de l’Homme in Droits fondamentaux et spécifité culturelle, L’Harmattan, p. 147. Selon les théologiens
musulmans, les droits de l’Homme trouvent leurs origines dans le Coran, la Sunna et la jurisprudence, « Les
principes fondamentaux (on pourrait dire directeur de l’islam) dans le domaine des droits de l’Homme et du droit
humanitaire sont certainement la justice, l’égalité, le respect des engagements et la consultation… . BENCHIKH,
Majid, Annuaire de l’Afrique du Nord, A.A.N, 1995, tome XXXIV, p.70.

181
acteurs (associations, partis politiques, société civile…) 1, qui sont intervenus soit pour
réclamer, soit pour compléter ou apporter de nouvelles revendications.

Il s’agit, aujourd’hui, de répondre à une forte demande de respect sous le regard


attentif d’alliés occidentaux dont on recherche le soutien politique, économique et social. Il
faut donc rallier, sans recours à la coercition, notamment par les moyens de la séduction, de la
redistribution et de la rationalité politique, des populations devenant majeures, des
concitoyens capables de recours en cas d’abus de pouvoir 2.

D’où est venue l’idée de deux autres réformes majeures ; celle de l’Instance Equité et
Réconciliation (IER)3 et le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH).

A- UNE INSTANCE POUR L’EQUITE ET LA RECONCILIATION

Suite aux recommandations du Conseil consultatif des droits de l’Homme, l’Instance


d’équité et de réconciliation (IER) a été créé le 06 novembre 2003 4. Elle a instruit 16.861
dossiers individuels et répondu aux demandes de réparation de 9.779 victimes5. Son président
en approuvant ce constat, a expliqué que : « les investigations de l’IER ont permis d’élucider
742 cas comprenant des victimes de disparition forcée au sens strict du terme, mais aussi des
victimes décédées en cours de détentions arbitraires ou de disparition 6 ».

1
- La Ligue marocaine des droits de l’Homme (LMDH, 1972), l’Association marocaine des droits de l’Homme
(AMDH, 1979), l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH, 1989), Forum Vérité et Justice (FVJ,
1999), l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM, 1985), l’Association solidarité féminine
(ASF, 1985), l’Union de l’action féminine (UAF, 1987)… .
2
- CUBERTAFOND, Bernard, Pour comprendre la vie politique, op.cit, p. 29.
3-
Le roi Mohammed VI a montré dans plusieurs occasions sa volonté d’assurer une réconciliation avec le passé,
en déclarant : « En tête de Nos préoccupations figurait (…), tout naturellement, la nécessité de confronter et
raffermir la cohésion de la société marocaine, en réalisant la réconciliation des Marocains avec eux-mêmes et
avec leur histoire, à travers le travail de la Commission Equité et Réconciliation ». Voir Discours du trône de
2012.
4-
En fait, l’Instance d’équité et de réconciliation (IER) n’est pas la seule institution qui traite de la protection et
de la défense des droits de l’Homme. Dans le discours du roi Mohammed VI, le 10 Décembre 2002 : « Nous
entendons aussi doter notre pays d’institutions qui devront épier les dysfonctionnements, épingler d’éventuelles
violations de leurs droits et contribuer, par leurs propositions pratiques, à la réforme législative, judiciaire et
administrative ».
5
- EL GHISSASSI, Hakim, Regard sur le Maroc, op.cit, p.129.
6
- Entretien avec Driss Benzekri, président de l’IER, paru dans le magazine Sézame, n°2, janvier 2006.

182
L’Instance a recommandé la consolidation des garanties constitutionnelles des droits
humains, par l’appui de la Constitution. Elle « dispose de compétences non judiciaires en
matière de règlement de règlement des graves violations des droits de l’Homme du passé et a
pour mission, l’investigations, l’évaluation, l’arbitrage, la recherche et la présentation de
recommandations et de propositions 1».

Une expérience unique en son genre, l’IER tire ses principes du fait qu’elle « n’est pas
venue pour légitimer un nouveau pouvoir comme c’était le cas pour des expériences
similaires en Afrique du Sud, au Chili ou en Espagne 2». Pour certains l’IER n’est qu’un
« statut de cadeau de consolidation pour les victimes, ne permettant pas au Maroc d’accomplir
l’essentiel : cicatriser les blessures des années de plomb et se démocratiser 3», et pour d’autres
elle constitue un grand pas pour le respect des droits de l’Homme et la consolidation du
processus de démocratie.

Bien que l’Instance selon l’article 9 de ses statuts ne peut pas nommer les responsables
des disparitions, meurtres et tortures et doit éviter toutes initiatives susceptibles de fonder
« des rancœurs, dissensions ou discordes », ses recommandations ont été assez larges et
persistantes ; notamment la nécessité d’excuses publiques du 1er ministre, les réformes
constitutionnelles (séparation des pouvoirs, interdiction de toutes les violations physiques et
mentale, les libertés publiques), la primauté du droit international sur le droit interne,
l’abolition des instructions orales, l’éradication de l’impunité, et la mise en place des
mécanismes de suivi des recommandations 4.

Dans ces perspectives stratégiques visées et guidées par le nouveau souverain


Mohammed VI, l’IER a pu plus au moins tourner la page des violations des droits de
l’Homme commises dans le passé 5, en contribuant à la délégitimation des abus et des
violations au Maroc1.

1
- http://www.ier.ma
2
- Témoignage d’Abdelhay Mouden, membre de l’IER.
3
- Propos de Sandrine Lefranc cités par l’hebdomadaire marocain La Vie économique er repris par Desrues,
Entre Etat de droit et droit de l’Etat, la difficile émergence de l’espace public au Maroc, in L’Année du Maghreb,
CNRS, Paris, 2007, p. 282.
4-
Les bonnes feuilles de l’IER, in Tel Quel, 24 décembre 2005 au 6 janvier 2006, p. 64.
5-
Au terme du mandat de cette Instance, le roi Mohammed VI a exprimé sa satisfaction des missions accomplies
accomplies par elle, en assurant une « réconciliation sincère », qui a pu cesser « l’hémorragie des ressources

183
B- CNDH : UNE INSTITUTION PUBLIQUE INDEPENDANTE !

La création du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) s’est inscrite dans la
dynamique de démocratisation et de mise en place des mécanismes garantissant le libre
exercice des choix politiques, en se dotant des privilèges et des attributions larges qui lui
garantissant plus d’indépendance, et plus d’impact en matière de protection et défense des
droits de l’Homme.

Avant d’examiner son importance et évoquer ses attributions, il est nécessaire de faire
un rappel sur sa constitution. Succédant au Conseil consultatif des droits de l’Homme
(CCDH) crée en 1990, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a été crée par
dahir n°1-11-1, en 2011. « Nous entendons aussi doter notre pays d’institutions qui devront
épier les dysfonctionnements, épingler d’éventuelles violations de leurs droits et contribuer,
par leurs propositions pratiques, à la réforme législative, judiciaire et administrative 2.» Il
s’agit d’une institution nationale indépendante chargée de la défense et de la promotion des
droits de l’Homme et libertés au Maroc, en se conformant aux « principes de Paris »3 qui
régissent les institutions nationales des droits de l’Homme.

A l’instar d’autres institutions similaires, ses membres sont nommés par la Roi, le
Parlement, les organisations de magistrats et d’autres organisations compétentes en la
matière4.

englouties dans des combats de chimère ». Voir le Discours de Mohammed VI adressé à la nation, le 06 janvier
2006.
1
- « En évoquant le cinquantenaire que nous venons de quitter, nous n’entendons pas nous ériger en juge de
l’Histoire, où s’entremêlent indissociablement l’actif et le passif. Seuls les historiens sont habilités à évaluer la
marche de l’Histoire avec l’impartialité et l’objectivité requises, et à l’abri de toute considération politique
conjoncturelle. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons regarder cette tranche de l’Histoire comme un
épisode révolu et enterré à tout jamais, ni que en restons éternellement prisonniers ». Discours de Mohammed
VI, le 06 Janvier 2006.
2
- Discours royal lors de la cérémonie de nomination et d’installation des nouveaux membres du Conseil
consultatif des droits de l’Homme (CCDH) et du Wali de Diwan al-madalim, à Rabat, le 10 Décembre 2002.
3
- Référence internationale en matière des droits de l’Homme, ratifiée par l’Assemblée générale de l’ONU, elle
est relative aux caractéristiques des institutions nationales chargées de promouvoir et protéger les droits de
l’Homme.
4
- Le Dahir portant sur la création de ce Conseil a apporté un changement au niveau de la forme par rapport au
Dahir n° 1-00-350 du 10 avril 2001 portant objet sur la réorganisation du CCDH. L’ancien texte ne dépassait pas
18 articles, alors que le nouveau dahir en compte 59.

184
En matière de protection et défense des droits de l’Homme et libertés, le CNDH veille
tant au niveau national que régional à l’observation et au suivi de la situation des droits de
l’Homme. Il surveille les cas de violations comme il procède aux investigations et enquêtes
nécessaires. Il peut intervenir par anticipation en cas d’urgence lorsqu’il s’agit d’une violation
individuelle ou collective des droits de l’Homme et ce en coordination avec les autorités
concernées. Le CNDH est appelé à élaborer des rapports sur ses observations et investigations
et à les soumettre aux autorités compétentes accompagnées de recommandations.

Il contribue également à la mise en œuvre des mécanismes prévus par les conventions
internationales relatives aux droits de l’Homme auxquels le Maroc fait partie. Il effectue
périodiquement des visites aux lieux de détention et aux établissements pénitentiaires, les
centres de protection de l’enfance et de la réinsertion, les établissements hospitaliers
spécialisés dans le traitement des maladies mentales et psychiques et aux lieux de rétention
des étrangers. Pour ce faire, il élabore des rapports sur ses visites et les soumet aux autorités
compétentes.

Dans le cadre de l’élargissement des missions qui lui sont accordées, il n’a pas que le
droit d’examiner et d’étudier l’harmonisation des textes législatifs en vigueur avec les
conventions internationales des droits de l’Homme et au droit international humanitaire, mais
aussi le droit de proposer des recommandations dans ce contexte. Il assiste le parlement et le
gouvernement -sur leur demande- en matière d’harmonisation des projets ou propositions des
lois avec les conventions internationales. Enfin, il encourage l’adhésion du Maroc aux
conventions internationales des droits de l’Homme et au droit international humanitaire.

En matière de promotion des droits de l’Homme, le CNDH contribue par tous les
moyens à la promotion de la culture des droits de l’Homme et de la citoyenneté, il veille à la
promotion des principes et des règles du droit international humanitaire et œuvre à leur
consolidation. Il s’engage à soumettre des rapports annuels et thématiques sur les droits de
l’Homme au Roi d’une part, et aux deux chambres du parlement d’autre part. En plus, le
rapport annuel sur la situation des droits de l’Homme et les perspectives d’action du Conseil
est publié dans le bulletin officiel.

Parallèlement, le Conseil national des droits de l’Homme est doté d’autres


compétences en matière de droit international humanitaire. Il veille à la coordination des

185
activités des différentes autorités et fait le suivi de l’application des conventions
internationales auxquels le Maroc s’est engagés. Il contribue au programme de formation et
de sensibilisation y relatif et développe les relations de coopération et de partenariat pour
favoriser l’échange d’expertise avec le Comité international de la croix rouge et toutes les
instances concernées par le droit international humanitaire.

Par ailleurs, la constitution de 2011 a couronné cette voie du renouveau en matière des
droits de l’Homme. Un projet politique novateur qui a calibré et rendu possible l’ambition de
la démocratisation de l’Etat marocain, et la concrétisation des droits et libertés.

 Le principe de liberté, d’égalité et de dignité

La Constitution marocaine a décliné le principe de liberté dans toutes ses acceptions ;


la liberté personnelle, le droit au respect de la vie privée (article 24) et le droit à l’intégrité
physique et morale (article 22), la reconnaissance des libertés d’opinion, de création
artistique, scientifique, technique (article 25) dresse un large panorama des libertés
intellectuelles1. D’une part, on constate l’existence des libertés économiques, en particulier, le
droit de propriété, la liberté d’entreprendre, la libre concurrence (article 35), et d’autre part,
on trouve les libertés individuelles conçues comme un moyen de s’exprimer dans la sphère
publique ; la liberté de la presse (article 28), les libertés de réunion, de manifestation pacifique
et d’association (article 29).

Si le principe de liberté dans la constitution de 2011 est conçu comme un principe


fondamental, celui d’égalité porte sur deux conceptions ; la première est à la fois universaliste
et individualiste de l’égalité qui reconnait l’individu en tant que tel et non son appartenance à
une communauté. La seconde est une conception à la fois communautariste et positive de
l’égalité qui tend à la fois à reconnaître des droits à l’individu, en tant que membre d’une
communauté spécifique, au sein de l’ordre juridique national, et à permettre, par la loi, le
rétablissement d’une égalité effective, au moyen de ce que l’on appelle les discriminations
positives2.

1
- BERTRAND, Mathieu, Les droits fondamentaux : un patrimoine commun intégré dans la Constitution
marocaine, Lextenso, 2012, p. 243.
2
- BERTRAND, Mathieu, Les droits fondamentaux, op.cit, p. 243.

186
S’agissant du principe de dignité, la constitution marocaine de 2011a valorisé ce
principe dés son préambule. Il s’agit d’un principe inconditionné ; alors que certains droits
peuvent être conditionnés par la nationalité, l’âge ou le statut, la dignité n’est conditionnée
que par l’appartenance à l’espèce humaine, il occupe une place prééminente au regard même
du principe de liberté individuelle 1. Depuis le renforcement du mouvement féministe dans la
décennie 80, les relations du genre ont fait du chemin.

 L’égalité du genre

Après de longues années de revendications d’égalité entre l’homme et la femme,


introduites dans toutes les constitutions marocaines, à partir de celle de 1962 jusqu’à celle de
19962, ce n’est qu’en décembre 2008 que le Maroc a annoncé son intention de lever les
réserves qui accompagnaient sa ratification en 1993, de la convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Convention on the Elimination of
All Forms d Discrimination Against Women, CEDAW). 3

Pour les défenseurs de l’égalité entre l’homme et la femme, un certain nombre de


dispositions constitutionnelles ouvrent des possibilités de remise en cause des droits acquis.
Ainsi, le préambule, dont on connait la portée, et qui fait désormais partie intégrante de la
Constitution, nourrit ces inquiétudes. Le deuxième paragraphe précise que le Maroc est un
« Etat musulman», mais dans le projet initial, il a été proposé que le Maroc soit un « pays
musulman ».

Ce changement de terme est significatif puisque si cette dernière formule a une


dimension plutôt culturelle, voire géopolitique, la première, elle, a un contenu juridique, donc
producteur de droit. Bien confirmée dans le même paragraphe du préambule par « la
prééminence accordée à la religion musulmane dans ce référentiel national (…), à l’article
premier, « la Nation s’appuie dans sa vie collective sur des constantes fédératrices, el
l’occurrence la religion musulmane (…), et surtout à l’article 3 4. Ainsi, si l’islam est l’une des

1
- Idem, p. 245
2
- En 1962, le Maroc était doté de la Constitution de « l’expérimentation » ; en 1970, de la Constitution du
« reflux » ; en 1972, de la Constitution de la « stabilisation » ; en 1992, de la Constitution de la modernisation.
Voir http://www.cedroma.usj.edu.Ib/pdf/cpayar/naciri.pdf.
3
- AOUACHAR, Amina, L’égalité entre les hommes et les femmes, op.cit, p. 255.
4
- Article 3 de la constitution de 2011dispose que : « L’islam est la religion de l’Etat (…) ».

187
composantes essentielles de la nation, d’aucuns peuvent invoquer la religion pour contester
certains droits aux femmes1.

Plus encore, certaines dispositions de la moudawana de 2004 laissent une brèche plus
au moins remarquable à ce propos ; il s’agit « (…) de la question de l’égalité hommes-
femmes en matière successorale, dans le mariage (interdiction de la polygamie) et lors de sa
dissolution (nafaqa). Il s’agit également de permettre à la femme marocaine de se marier à un
non-musulman sans que ce dernier ne soit dans l’obligation de se convertir à l’islam,
d’interdire la polygamie et le mariage des filles mineures de moins de 18ans (…) 2».

1
- Amina Aouchar, l’égalité entre les hommes et les femmes, op.cit, p. 260.
2
- MDICHECH, Jaouad, Egalité hommes-femmes, jusqu’où le Maroc peut-il aller ?, in La vie économique, 30
décembre 2008.

188
CHAPITRE 2
CENTRALITE MONARCHIQUE ET REACTIVITE DU SYSTEME
POLITIQUE

« Dans la monarchie, le prince est la source de tout pouvoir politique et civil»


Montesquieu, Esprits des lois, II, IV

Depuis son intronisation en 1999, le roi a manifesté sa volonté ferme de changement.


Un espoir mitigé et prudent qui faisait miroiter un avenir meilleur pour les Marocains qui y
ont cru. Par son âge, le roi représentait l’immense majorité d’un pays où 70% de la population
est née après l’indépendance 1. Il annonça les grandes lignes de sa politique et de sa vision
ouverte et moderne, dés son premier discours du 30 juillet 1999 adressé à la nation ; à savoir,
le renforcement de la démocratie, le développement humain et le respect des droits de
l’homme… .

Dans peu de temps, Il a donné à la monarchie alaouite une double image libérale et
démocratique à la fois, par le biais de plusieurs réformes mises en place ; notamment, la
création du Conseil consultatif des droits de l’homme en vue de libérer de nombreux
prisonniers politiques, déverrouillage de l’économie et de l’espace public, la mise en œuvre
de la Moudawana, l’instauration du développement humain, … .

Le développement économique semble être l’un des grands chantiers du nouveau


monarque ; C’est ainsi que la Maroc s’est lancé dans de grands projets ; tels que le Port de
Tanger Med, devenu une grande plate-forme de la Méditerranée, le projet Azur dans le
secteur du tourisme, le réaménagement de la vallée de Bouregrag qui a pu faire de Rabat,
capitale du royaume, une ville verte tournée vers l’avenir, le plan émergence d’implantation
d’unités d’industrialisation structurante (Kénitra et Tanger)… . De gros investissements ont

1
- Dans une interview accordée à l’hebdomadaire "Libération" le 29 juillet 1999, le 1 er ministre de l’alternance,
Abderrahmane Youssoufi, répondant à une question du journaliste « le roi est jeune ? », a déclaré : « Avec lui le
Maroc va prendre un coup de jeune et c’est très bien. Nous sommes un pays majoritairement jeune, les jeunes
ont un code entre eux. Ils comprendront les signaux du nouveau roi…Avec l’Europe nous avons signé un traité
qui établit une zone de libre-échange. ... Nous voulons modifier les pratiques administratives, la justice, lutter
contre l’analphabétisme, réformer l’enseignement, améliorer le statut de la femme, changer la vie. La jeunesse a
maintenant la sensation d’être dirigée par l’un des siens, je crois que c’est notre chance ». Voir TAHIRI-
ALAOUI Touhami, Une monarchie militante, op. cit, p. 148-149.

189
été mis à contribution au niveau des infrastructures (autoroutes, doublement des voies de
chemins de fer, Ligne Grande Vitesse (LGV).

Sur le plan social, Le roi a créé en 2001, l’Institut Royal de la Culture Amazigh
(IRCAM) comme annoncé par son discours à AJDIR, reconnaissant l’importance de cette
langue et culture dans l’histoire et l’identité marocaine 1. Les programmes d’aide dans le
secteur de la santé RAMED (Régime d’Assistance Médicale) au profit des démunis,
l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH).

Sur le plan religieux, comme l’article 41 de la constitution de 2011 le stipule, « le Roi,


Amir Al Mouminine, veille au respect de l’Islam. Il est Garant du libre exercice des cultes. Il
préside le Conseil Supérieur des Oulémas », et exerce « les prérogatives religieuses inhérentes
à l’institution d’Imarat Al Mouminine qui lui sont conférés de manière exclusive par le
présent article ». D’après cet article, le roi a à gérer toute latitude le champ religieux.

Sur le plan culturel, le Maroc a apporté la preuve que le changement touchera tous les
niveaux, notamment politique 2. Pour se rendre compte des grands pas franchis en peu de
temps, il est judicieux de créer le contraste par une rétrospective mettant en comparaison le
règne du présent monarque et celui de son défunt père.

SECTION 1 : ETAT REGALIEN, ET REFORMES HOMEOPATHIQUES D’HASSAN


II

« Qui donc juge nécessaire, en sa nouvelle principauté, de s’assurer de ses ennemis,


s’attacher des amis, vaincre ou par force ou par ruse, se faire aimer et craindre du peuple…
rajeunir par nouveau moyen les anciennes coutumes, être rigoureux et bienveillant,
magnanime et libéral ».
Machiavel

1
- Article 5 de la constitution 2011 dispose que : « …, l’Amazigh constitue une langue officielle de l’Etat, en tant
que patrimoine commun à tous les Marocains sans exception ».
2
- Mohammed VI a souligné que : « Nous souhaitons que le Maroc, sous notre règne, aille de l’avant sur la voie
du développement et de la modernité, et qu’il accède au troisième millénaire, doté d’une vision prospective, en
parfaite cohabitation et une entente réciproque avec nos partenaires préservant son identité et sa spécifité, sans se
refermer sur soi, dans le cadre d’une authencité reconfirmée et d’une modernité qui ne renie nos valeurs
sacrées ». Extrait du Discours de 30 juillet 1999.

190
Le règne d’Hassan II (1961-1999), a été caractérisé par un jeu politique dans
lequel l’appareil administratif jouait un rôle prépondérant au dépend du politique, un
gouvernement incapable d’arrêter la déprédation, et surtout une situation d’échec de
passer d’un libéralisme économique à un libéralisme politique… . L’état général était une
apathie de la vie politique1.

L’hégémonie de la monarchie se manifeste de deux manières : monopole de la


production de symbolique religieuse, ce qui permet de maîtriser le paradigme islamique
du pouvoir ; la capacité de l’Etat et de son appareil makhzénien à diffuser le sens des
concepts politiques2 ; un contexte qui ne permet pas d’aller dans le sens d’une
démocratisation de la royauté, ni d’une réelle libéralisation, du moins avant le tournant
des années 19903.

Quarante ans après l’indépendance, certes, l’histoire politique du Maroc met en


relief une monarchie absolue qui marginalise quasi totalement les partis politiques et les
institutions constitutionnelles4. Hassan II a toujours exprimé sa volonté de maintenir les
principes traditionnels de la dynastie marocaine. De ce fait, le consensus sur une véritable
réforme du pouvoir était loin d’être acquis5.

Le défunt roi avait interprété à son avantage la Constitution pour exercer des
pouvoirs non prévus par le texte constitutionnel ; il s’est prévalu de sa qualité de

1
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit., p. 193.
2
- TOZY, Mohamed, Monarchie et islam politique au Maroc, Presses de la Fondation nationale des sciences
politiques, 1999, p. 75.

3- BEN ABDALLAH, Mohammed Amine, Droits de l’homme et libertés publiques au Maroc, Contribution
à la doctrine du droit administratif marocain, REMALD, 2008, Tome 2, p. 96.
4
- Une idée partagée par plusieurs auteurs, notamment par M. Rollinde qui a expliqué la sortie du défunt
Hassan II comme vainqueur de l’épreuve des coups d’Etat, ce qui lui a permis d’accentuer son contrôle sur
l’armée et la police, et qu’il était à la fois monarque absolu, ministre de la Défense et chef de l’état-major
général. Voir ROLLINDE, M., Le mouvement marocain, op.cit, p. 177 et 183.
5
- Le principe de faire du Maroc une monarchie constitutionnelle, a été affirmé dans son discours du 09
mars 1963 : « Tant que la monarchie restera fidèle à ses principes, le Maroc ne connaîtra de régime autre
que le régime monarchique qui symbolise la communion entre le roi et le peuple » ; et dans le discours du
06 novembre 1977, dans lequel il a expliqué : « Faire de la monarchie constitutionnelle une réalité en
laquelle Notre père commun, le regretté souverain Mohammed V, avait une très grande foi. Nous croyons
avec la même ferveur en cette monarchie, et les Marocains continueront très longtemps à y croire, car ce
régime est le bastion invulnérable de ce pays contre tout désordre et contre tous ceux qui lui veulent du
mal ».

191
commandeur des croyants pour asseoir sa légitimité sur la tradition musulmane et
marocaine1. « La constitution fait de nous un arbitre. Je suis certain que beaucoup ont
dit : Ah ! Les pouvoirs du Roi sont énormes ! Mais, Messieurs, qu’ils sachent tout
simplement que le Roi n’a pris que ce qu’il puisse justement intervenir quand les choses
n’iraient pas, ou aider pour que les choses aillent mieux. Je leur dirai enfin pour prendre
un exemple très simple : Imaginez deux équipes de football sur un terrain, enlevez à
2
l’arbitre le pouvoir de siffler et d’expulser un joueur, et jouez Messieurs ».

Le roi est doté d’un ensemble de fonctions assez larges et presque indéfinies,
conformément à l’article 19 de ladite constitution qui l’identifie en tant qu’« un
représentant suprême de la nation ». Ce titre fut l’un parmi d’autres qu’il a pris soin
d’expliciter dans l’un des discours en 1978 : « C’est ainsi que se confirme ce que je vous
ai toujours affirmé, que vous soyez pouvoir législatif ou pouvoir exécutif, à savoir que si
la séparation des pouvoirs est indispensable, elle ne peut en aucun cas concerner la
responsabilité suprême 3».

Pour consolider cette analyse, nous proposons quelques extraits des discours en
différentes occasions, et dans lesquels le défunt roi a justifié son choix pour la monarchie
absolue au Maroc :

L’islam, explique-t-il, « m’interdirait de mettre en place une monarchie


constitutionnelle dans laquelle le souverain déléguerait tous ses pouvoirs, et règnerait
sans gouverner. Je peux déléguer mes pouvoirs mais je n’ai pas le droit, de ma propre
initiative, de me désister de mes prérogatives, car elles sont aussi spirituelles ». Pour lui

1
- BENDOUROU, Omar, Le régime politique marocain sous Mohammed VI : rupture ou continuité ?, in Le
débat juridique au Maghreb, de l’étatisme à l’Etat de droit- Etudes en l’honneur de Ahmed Mahiou,
(ouvrage collectif), Publisud-Iremam, 2000, p. 377.
2
- In SEHIMI, M., Citations de S.M le Roi Hassan II, SMER, 1981, p. 91. Ce rôle d’arbitre faisait de lui
« L’autorité supérieure, en mesure de représenter la volonté de la vie nationale et la légitimité de la
nation ». Voir SEHIMI, M., Le Roi, arbitre ou guide ? Revue juridique, politique et économique du Maroc,
n° 13-14, 1983.
3
- SEHIMI, M., Citations de S.M le Roi Hassan II, op.cit, p.95. Hassan II a expliqué davantage que : « La
séparation des pouvoirs, ne serait pas à notre niveau, mais au niveau inférieur, le Roi étant appelé à diriger
et à tracer la politique de son pays avec l’aide du pouvoir exécutif représenté par le gouvernement et du
pouvoir législatif : le parlement. L’un et l’autre ont le droit de légiférer avec la seule différence que le
gouvernement doit exécuter et que le parlement doit contrôler cette action pour s’assurer qu’elle est
conforme à la voie par nous ».

192
déléguer certains pouvoirs au parlement et au gouvernement ne veut pas dire les céder.
Ou encore, « …Tant que la monarchie restera fidèle à ses principes, le Maroc ne
connaîtra pas de régime autre que le régime monarchique qui symbolise la communion
entre le peuple et le roi1 », « le régime monarchique marocain, grâce à Dieu est solide et
il le restera, car il représente un dialogue de quatorze siècle entre les souverains
marocains et leur peuple2 ».

En effet, la monarchie au Maroc comme mode de gouvernement a triomphé


depuis des siècles. Hassan II a déployé tous les moyens pour monopoliser les pouvoirs et
les légitimer ; notamment les pouvoirs religieux et spirituels. C’est la base idéologique
d’un système qui allie modernité amadouée et tradition sélective.

PARAGRAPHE 1 : MODERNITE A PETITS PAS ET FIDELITE AUX TRADITIONS

Intronisé le 3 mars 1961, Hassan II a hérité d’une histoire, un Maroc indépendant


et uni, une patrie de renommée… Il s’est basé sur les recommandations du testament
légué par son père le jour de son investiture en tant que prince héritier, l’appelant à gérer
un héritage dans un contexte national empreint de prudence et de suspicion,
caractéristiques des moments fondateurs postindépendance.

A ce propos, on signale l’évolution de l’administration territoriale, dont la


décentralisation qui a connu un certain développement, sous le règne d’Hassan II.
L’élection des assemblées communales urbaines et rurales (dans les années 60) ont
marqué cette période. Ce processus a évolué à travers : -Les dahirs portant- lois du 30
septembre 1976 relatives à l’organisation communales (charte communale) et à
l’organisation des finances des collectivités locales et de leurs groupements. – le
renforcement du pouvoir de l’administration provinciale et la mise à disposition de
moyens financiers par le FSDR, le FDCL et le Fonds de développement des provinces
sahariennes3.

1
- Dans un message adressé à la nation en mai 1963.
2
- Dans un message adressé à la nation en octobre 1963.
3
- Le 07 mai 1965, Hassan II a déclaré à la télévision belge que : « La philosophie du XXème siècle est celle
de la coopération et de la solidarité humaine. Le Marché commun européen ne doit pas, à mon sens,

193
C’est dans cet environnement que le gouverneur s’est installé dans ses fonctions
avec des institutions insuffisantes pour le décollage du nouveau Maroc. Une sphère où le
pouvoir de l’Etat n’est susceptible d’aucune concurrence, ni de prétention. Le souverain
était régulateur et arbitre, la monarchie est l’initiateur de la vie politique.

Au long de son règne, Hassan II a capitalisé sur les réformes du gouvernement


Abdellah Ibrahim (1985-1959). Il s’est intéressé aux questions économiques, et a
manifesté sa volonté de créer des structures de développement -en dépassant ce que le
colonisateur a légué - pour un contrôle national des moyens de production et de gestion
économiques. Ainsi, de multiples interventions de l’Etat sur l’économie ont abouti à la
planification, la création d’entreprises publiques, de sociétés d’Etat, offices pour la mise
en valeur et la modernisation des divers secteurs, agriculture, commerce, transports,
aménagement régional, etc. Il s’agit d’une stratégie contemporaine au
développementalisme triomphant, illustré par l’expansion de l’administration centralisée,
de l’économie nationale, par la prise de contrôle de l’économie par le pouvoir politique 1.

Très conscient de la nécessité d’ouverture du régime politique, il a écarté toute


opposition, et a veillé sur le monopole du pouvoir et sa légitimation. Cette légitimation
s’appuie le plus souvent sur une action proche de la manipulation des symboles exercée
par le pouvoir et amplifiée par ses élites2, comme elle se base sur une ou un des
croyances plus au moins consensuelles répandues dans la population 3.

fonctionner en circuit fermé, ce qui le conduirait à la saturation. Il n’a que deux moyens pour trouver de
nouveaux débouchés : ou bien l’instrument ancien et périmé de l’impérialisme, ou bien l’instrument placé
dans le cadre de la solidarité du XXème siècle : la coopération internationale. (…) Nous pensons
qu’économiquement et commercialement, nous pouvons avoir d’excellents rapports avec le Marché
commun, sans que notre souveraineté nationale et notre liberté d’action sur le plan international ne s’en
trouvent diminuées pour autant ». Le 06 février 1995, un accord d’association entre le Maroc et l’Union
européenne a été signé. Et le 24 novembre 1995, La conférence euro-méditerranéenne a instauré un projet
de partenariat vite tombé en panne entre les 15 pays de l’Union européenne, et les 12 pays des rives de la
Méditerranée.
1
- Voir SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine entre stabilité du régime et démocratie, Publisud,
Paris, 2016, p. 78 et p. 118.
2
- outre le renouvellement des réseaux par les élections, Alain Claisse estime que la mobilisation des
clientèles se fait sous forme de machines électorales de partis, à l’idéologie bricolée, qui tentent avec
difficulté de s’institutionnaliser. Voir CLAISSE, A., Les élections marocaines de 1983 et 1984, Annuaire
d’Afrique du Nord, CNRS, Paris, p. 632-668.
3
- HERMASSI, E., Etat et société au Maghreb. Anthropos, Paris, 1975, p. 48. Voir également CAMAU,
M., Pouvoir et institutions au Maghreb, Cérès, Tunis, 1978.

194
La monarchie marocaine est intrinsèque et contractuelle à la fois ; Elle présente
une autorité provenant de la descendance du Prophète et une autorité appuyée sur
l’approbation de la communauté1.

Partant du constat de Max weber voit l’autorité et la légitimité ; à savoir la


domination rationnelle, la domination traditionnelle, et la domination charismatique 2 , on
peut dire que le roi Hassan II a mis l’accent sur deux points : L’histoire et la tradition,
d’un côté, et les sources modernes, de l’autre. Les règles constitutionnelles
dites "modernes", ont été incorporées dans le texte constitutionnel au prix d’un
aménagement spécial inspiré de la tradition3. Pourtant, les règles constitutionnelles
traditionnelles ne seront appliquées qu’au prix d’un aménagement spécial imposé par des
nécessités actuelles4.

C’est dans ce sens, précisément à quelques jours du référendum constitutionnel du


7 décembre 1962, Hassan II a annoncé : « Ce projet, je l’ai voulu conforme aux principes
religieux de l’islam inspirés de nos traditions et de nos mœurs et aussi adaptés aux
exigences de notre temps, et faisant participer le peuple à la gestion des affaires de
l’Etat ».

La fusion des pratiques traditionnelles et des configurations de la modernité a


abouti à un croisement politique et constitutionnel, ainsi qu’économique. Les institutions
mises en place (élections communales des années soixante, constitution de 1962, premier
parlement), ont fait de la monarchie un leadership temporel et spirituel.

Suivant ce raisonnement, on remarque que les deux dimensions apparemment


contradictoires, sont en réalité conciliables 5. C’est ainsi que dans l’esprit de la tradition1,

1
- GEERTZ, C., Observer l’islam, changement religieux au Maroc et en Indonésie, La Découverte, Paris,
1992, p. 34. En fait, un Etat est considéré légitime dés qu’il respecte les principes qui fondent
historiquement son existence. Voir WEBER, Max, Economie et société, Ecrit posthume 1921, Plon, Paris,
1971.
2
- Voir WEBER, Max, Economie et société, Ecrit posthume 1921, Plon, Paris, 1971.
3
- GUIBAL, M, Les sources modernes de la Constitution, in Trente années de vie constitutionnelles au
Maroc, L.G.D.J, 1992, p. 50.
4
- Ibidem.
5
- ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 52.

195
le modernisme (le pluripartisme, le pluralisme politique et social…) a plus pour but, « de
refléter la cohésion de la communauté que d’exprimer la diversité des attitudes politiques,
par définition, l’unanimité de la communauté est considérée comme existant à priori, elle
est ainsi antérieure au (modernisme), et celui-ci ne fait que l’exprimer 2 ». Il y eut une
résurgence et une réhabilitation de la tradition après un intermède où le nationalisme
vainqueur propose un modernisme politique et économique 3.

En réalité, la monarchie est considérée comme une institution surveillante d’une


tradition historique où s’enchevêtrent vigoureusement la légitimité nationale et la
légitimité religieuse. Selon Debbasch, la monarchie est « non seulement une institution
dotée de prérogatives, mais le dépositaire principal de la souveraineté 4 ». En d’autres
termes, « le monarque a un pouvoir général d’action et d’interprétation s’imposant à tout
autre parce qu’il se dote d’une nature supérieure et sacrée 5».

Michel Rousset affirme pour sa part, que « dans la conception explicitée par le roi
Hassan II, le pouvoir d’Etat est un pouvoir intimement lié à l’histoire du Maroc et de la
monarchie. C’est ce pouvoir qui a assuré au cours des siècles l’unité, la cohésion et la
continuité d’une société dont la diversité fait la richesse ; mais ce pouvoir, c’est aussi un
pouvoir qui tire sa légitimité de son origine chérifienne et de son action au service de

1
- La tradition et les valeurs traditionnelles ont contribué à façonner le consentement collectif. « Le leader à
l’échelle nationale bénéficie de prestiges qui transposent à profit la vielle unanimité de l’Umma. Il garde
une dimension thélégale (unanimisme, ijmaâ, consensus du peuple) bien que sa signification soit toute
temporelle ». Voir BERQUE, Jaques, Les arabes, Delpire, Paris, 1959, p. 229.
2
- SEHIMI, M., L’esprit du régime : monarchie et démocratie, in ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et
ordre autoritaire, op.cit, p. 52. L’auteur a expliqué également que la pérennité de ce modernisme « réside
dans la monarchie dont le statut est prééminent (au sein du) système politique marocain ».
3
- Laroui a fait la distinction entre tradition structure et tradition valeur. Dans le cas de la première le lien
entre traditionalisme et tribalisme ne peut être prouvée concrètement. La tradition valeur est une tradition
idéologie. Elle est une traditionalisation assumée par une élite qui se trouve en situation d’autodéfense ;
d’où son aspect manipulateur. Voir LAROUI, A. Ellah, La crise des intellectuels arabes, Maspero, Paris,
1974.
4
- DEBBASCH, C., Il faut plus parler de mission que de pouvoirs, in La Grande Encyclopédie du Maroc,
Institutions, 1986, p. 48.
5
- CUBERTAFOND, B., Le système politique marocain, L’Harmattan, 1997.

196
l’intérêt national ; le pouvoir d’Etat est ainsi sous-entendu par l’adhésion populaire qui
consacre cette triple légitimité : historique, religieuse et politique 1».

Le Maroc a été engagé sur la voie de la démocratisation, mais celle-ci est restée
loin d’être comparable à celle de l’Europe. Le roi défunt déclara en 1996 : « …
J’instituerai une monarchie constitutionnelle, évidemment pas sur le type anglais ou
scandinave, nous n’en sommes pas là 2».Il a pu maintenir en tous cas, une" monarchie
d’arbitrage qui est aussi une « monarchie gouvernante 3».

Sehimi a commenté cette conception par le fait que « l’arbitrage royal ne connaît
aucun cantonnement : Il va en effet beaucoup plus loin. Ainsi, se réalise le glissement
vers un statut d’arbitre à qui est confié finalement un rôle de responsabilité totale. Certes
ce rôle n’est pas forcément incompatible avec l’arbitrage. On ne peut nier, cependant,
qu’il le surélève à un étage supérieur : celui de l’orientation et de la décision 4».

Roi au service de la monarchie et serviteur de son peuple, Hassan II se définit


ainsi et prévenait qu’« il ne saurait y avoir d’intermédiaires entre le roi et le peuple 5», et
veut bien " réserver" aux partis politiques… la fonction de "servir d’encadrement"6, car la
la monarchie "constitue le fondement essentiel de la communauté musulmane telle
qu’elle fut conçue par le prophète 7».

Par son titre "garant d’une tradition et d’un progrès", Hassan II supposait qu’un
Etat fort est plus nécessairement dans un pays qui doit assumer les lourds problèmes de la
"consolidation de l’unité nationale" et du "développement" 8». Et comme pour se

1
- ROUSSET, M., Constitution immuable ou changeante ?, Revue Maghreb-Machrek, n° 137, juillet-
septembre, 1992, p. 23.
2
- PALAZZOLI, C., Le Maroc politique, Sindbad, 1974, p. 123.
3
- ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 57.
4
- SEHIMI, M., dans la Grande Encyclopédie du Maroc, 1986, p. 27.
5
- Déclarations publiées par la Revue « Réalités », n° 250, novembre 1986, in PALAZZOLI, C, Le Maroc
politique, op.cit, p. 123.
6
- Ibidem.
7
- TORELLI, M., Le pouvoir royal, in ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 60.
8
- EL FASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 60.

197
démarquer des partis politiques, la monarchie a toujours manifesté sa volonté de minorer
les formations politiques1 et leur rôle dans la vie publique.

L’on peut également, à ce niveau, aborder la modernisation des institutions


administratives. Ce besoin d’extension s’est traduit par un quadrillage consolidé du
territoire et par une professionnalisation du personnel de commandement 2; Ainsi que la
formation des cadres administratifs et techniques du Maroc, notamment ceux du
ministère de l’Intérieur appelés à servir au niveau territorial 3. Ceci explique la délégation
d’autorité à plusieurs institutions administratives 4, à la tête de chacune des provinces et
préfectures, le gouverneur était le représentant du roi et le délégué du gouvernement ; Les
caïds et les pachas furent les autres relais du circuit d’autorité qui reliait le centre du
système politico-administratif marocain à sa périphérie5. A partir des années 80, le Maroc
Maroc s’est caractérisé par « une organisation centralisée, principalement contrôlée par le

1
- « En 1956 (…) nous avons vécu les événements du Tafilalet et constaté ce qui eut pu en résulter (…). En
1959, nous avons eu les événements du Rif. Un cimetière y est encore, comprenant les tombes des martyrs,
tant parmi les militaires que parmi les civils. Nous avons été contraint, nous l’humble serviteur de Dieu, de
donner l’ordre de tirer parmi nos frères, les Marocains. Dans le courant de la même année (…) nous avons
été obligés de prendre notre voiture pour nous rendre à Beni-Mellal. La situation y était tellement dégradée
qu’un commissaire de police avait tiré sur un procureur (…) et pour quel motif ? Tout simplement parce
que l’autorité était absolue entre les mains des partis politiques. Ces derniers manifestent constamment de
l’opiniâtreté et donnent l’impression de vouloir vivre dans la confusion (…). Ainsi tant qu’ils vivaient dans
la confusion et agissait à leur guise, ils étaient pleinement satisfaits » Extrait du discours du défunt Hassan
II, du 1er août 1970.
2
- Claisse explique que la représentation du roi, se traduit par «une délégation d’autorité considérable et
beaucoup plus qu’une simple délégation de compétence administrative». Voir CLAISSE, A., Le Makhzen
d’aujourd’hui, op.cit, p. 290.
3
- EL FASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 96. L’auteur a donné l’exemple de
l’institut de formation des cadres, créée par le général Oufkir en 1965, qui recrutait au niveau de la licence
sur concours. Les élèves ont un statut militaire et suivent pendant deux ans une formation administrative. A
leur sortie ils sont intégrés dans les cadres du ministère de l’Intérieur.
4
- On peut signaler l’appui de la charte communale de 1976 de la démocratisation ; de nombreux colloques
des collectivités locales ont été organisés pour objectif la clarification des rôles des acteurs de la démocratie
locale.
5
- Ces agents sont délégués du pouvoir central, chargés de faciliter les relations avec l’environnement
social ; en bas de l’échelle du commandement : Les Chioukhs aidés des m’qadmines qui contrôlent douars
(campagnes) et quartiers (villes), établissant le lien entre le qaid et la population avec laquelle ils
entretiennent des rapports directs. Le pouvoir de ces agents s’est accru de telle manière qu’en matière
électorale, ils collaborent à l’inscription des listes électorales, organisent les bureaux de vote, en assurant
les services d’ordre (et même parfois la présidence). Voir ELFASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre
autoritaire, op.cit, p. 97.

198
ministère de l’Intérieur, apparaît encore aujourd’hui comme l’instrument "séculier" du
pouvoir suprême 1».

Le renforcement et la modernisation du consensus administratif a été accompagné


par une mise en valeur des volets économique et social. D’autres volets sur le plan social,
sont indispensables ; notamment le logement, l’enseignement et la santé. Le logement a
été conditionné par la croissance démographique, qui est passée de 11. 620 000 en 1960 à
26. 073 000 habitants en 1994 ; Autrement dit, le taux de croissance annuel qui était de
2,8% entre 1952 et 1960, est passé à 2,6% entre 1960 et 1982 pour descendre à 2,06%
entre 1982 et 1994, il est aujourd’hui de l’ordre de 1,3%. Au cours de cette période, pour
faire face à la demande expansible de logements, de multiples établissements publics de
promotion immobilière ont été créés : L’Office des logements militaires, les sept
établissements régionaux d’aménagement et de construction (ERAC), la société nationale
de promotion de l’habitat locatif. Ou encore, la création du Fonds social de l’habitat, le
Fonds national d’achat et d’équipement des terrains, ainsi que l’élaboration du Code des
investissements immobiliers. Ces investissements ont été codifiés par le dahir du 17 août
1985, et modifié en mai 1988. Aujourd’hui agrégés au sein d’ALOMRANE alors que
parallèlement les sociétés immobilières de droit privé.

En ce qui concerne le secteur de l’enseignement, et en près de 40 ans de règne, il a


été toujours une question de la réforme de ce système, souvent dans ses aspects
techniques. Laroui estime ainsi « mettre fin à la gratuité, dont les effets pervers sont
désormais identifiés et reconnus ; introduire les principes de sélectivité, de technicité, de
compétitivité, conserver et renforcer le bilinguisme et le multiculturalisme ; intéresser le
monde des affaires à la gestion des universités ; développer la concurrence entre les deux
enseignements, public et privé, rien de tout cela n’est critiquable en soi, et tous les
membres de la commission nationale étaient prêts à en discuter. Ce qu’ils refusaient, c’est
d’être forcés de n’en discuter que sur l’aspect technique, de négliger toute incidence
sociale ou politique ou même économique. Ce fut la source de toutes les difficultés qui ne
finirent pas avec la clôture des travaux de la Commission Supérieure pour l’Education et
la Formation (COSEF) ».

1
- CLAISSE, A., Le Makhzen d’aujourd’hui, op.cit, p. 287.

199
Quant au secteur de la santé, le Maroc entre les années 60 et 84, a passé de 320
salles de visite et dispensaires ruraux, 97 centres de santé, 36 hôpitaux généraux et 1 028
médecins, à : 1 136 dispensaires, 330 centres de santé, 84 hôpitaux, 1 479 médecins dans
le secteur public et 22 671 membres du personnel paramédical. Pour arriver en 1989 à
1 243 dispensaires, 377 centres de santé, 88 hôpitaux, 2 619 médecins dans le secteur
public1, et près de 10.000 médecins en 2007, et environ 32.700 techniciens et personnel
paramédical.

Sur le plan social, la monarchie avait fait face à « une crise structurelle
d’intégration »2, qui révélait les difficultés du système à satisfaire une demande en
augmentation constante d’une grande partie de la société (le chômage des villes,
l’émigration légale ou illégale, les émeutes…)3. Pour atténuer ces troubles des années 80
et 90, pour peu que les acteurs (préoccupés par le spectre de la déstabilisation) se
montrent compréhensifs, on ne peut s’empêcher de remarquer que ces crises, coïncident
étrangement avec des petits gestes politiques susceptibles de satisfaire les mécontents
(ceux de la Koutla, encore dans l’opposition) 4. Notamment, la fixation d’une date pour
les scrutins (souvent différés), promesses d’élections transparentes, quelques
changements (révision des listes électorales, nouveau découpage des circonscriptions,
changement du mode de scrutin, …), retouches constitutionnelles (1973, 1992, 1996) ou
encore l’appel à "l’union nationale" sous couvert d’un gouvernement de coalition
"provisoire" (1976/77) ou (1983/84) ou d’un gouvernement dit "d’alternance", incluant
l’opposition (1998)5.

1
- Sur cet aspect relatif à l’éducation, voir LAROUI, Abdellah, Le Maroc et Hassan II : un témoignage,
Presses interuniversitaires et le Centre culturel arabe, 2005. Sur la question de la santé, voir TAHIRI-
ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante, op.cit, p. 131.
2
- NAIR, S., Le différend méditerranéen, Kiné, 1992, p. 137.
3
- EL FASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 126.
4
- Ibidem.
5
- EL FASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire…, op.cit, p. 126. Dans ce contexte, il y a lieu de
signaler d’autres réformes qui ont été faites au niveau du chantier législatif. Notamment, la loi sur les
investissements, la loi sur les sociétés anonymes, la loi sur les sociétés autres qu’anonymes, la loi instituant
les tribunaux de commerce, le nouveau code du commerce, la révision du code des douanes via la
« commission nationale de simplification des procédures », l’adoption du nouveau plan comptable, la
promulgation du code du travail, la loi sur la concurrence et sur les prix… .

200
Le problème tant de la décentralisation des pouvoirs que de la décentralisation des
compétences persistait encore, d’où est survenue la nécessité de créer une entité
intermédiaire : la région1. Le discours du 24 octobre 1984 devant le Conseil consultatif
régional du Centre-Nord a constitué une innovation en matière de régionalisation, en
soulignant que les régions devaient disposer de compétences législatives, financières et
administratives2. C’est ainsi que « des compétences législatives, financières et
administratives leur permettant de connaître les besoins, d’évaluer l’échelle des priorités
et de les exprimer collectivement nonobstant la diversité des partis et des courants
politiques 3».

La région devait être un espace public démocratique où les populations ayant


conscience de la dimension régionale se libéraient des contraintes de la centralisation et
pourraient s’épanouir sur le plan social et culturel4. Elle a été définie par le dahir du 16
juin 1971 comme : « un ensemble de provinces qui, sur le plan tant géographique
qu’économique et social, entretiennent ou sont susceptibles d’entretenir des relations de
nature à stimuler leur développement et, de ce fait, justifient un aménagement
d’ensemble ».

Sur le plan structurel, on peut signaler le PAS. Il s’agit de la politique


d’ajustement structurel, recommandée par le FMI et la Banque Mondiale, à partir de
l’année 1983. Certains auteurs en évoquant le concept de « la domination sociale par le
haut », dans le cadre d’étatisme, ont prévu qu’ : « Il est symptomatique d’une crise aigue
caractérisée par la concentration du pouvoir et la valorisation d’une gestion centralisée,
génératrice d’un développement par le haut qui a fortement contribué à l’étouffement de
la société civile et la marginalité des énergies et potentialités locales ». D’autre part si
« l’effort de centralisation semble avoir atteint un seuil qui permet à l’Etat d’avoir une

1
- Hassan II a concrétisé sa vision à travers la Charte communale de 1976, dans le discours du 24 octobre
1984 et dans la constitutionnalisation de la région (celle de 1992 et 1996).
2
- TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante, foi, sagesse et curage : Mohammed V, Hassan II,
Mohammed VI, Maghrébines, Casablanca, 2013, p. 123.
3
- Extrait du discours d’Hassan II, le 24 octobre 1984.
4
- TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante, op.cit, p. 125. Dans ce sens, Hassan II affirma
dans son le Défi que : « Notre impératif est équilibré. Si une production maxima est recherchée, aucun
secteur économique n’est favorisé au détriment d’autre. Le Maroc comprend sept grandes régions
économiques ; notre Sahara retrouvé est le huitième. Nous veillons à ce qu’aucune de ces régions ne se
développe au détriment d’une ou de plusieurs autres ».Voir Hassan II, Le Défi, Albin Michel, 1976.

201
emprise totale sur son espace territorial, il est (cependant) à l’origine d’une multitude de
blocages et dysfonctionnements préjudiciables pour l’efficacité de l’action publique et la
réalisation des objectifs de développement ». D’où «l’aggravation des inégalités, la
marginalité s’installe et se trouve en première ligne face à la pauvreté, aux inégalités
spatiales et à l’austérité imposée au nom du réformisme libéral du FMI et de la Banque
Mondiale1. Ce qui a bien servi le Maroc à désamorcer les situations tendues, conjurer les
éventuelles "crises de gouvernabilité" (pour faire face au contrepoids social de la
politique de rigueur sur les couches populaires, aux émeutes de 1983 et 1990…), et aussi
donner, par ces changements institutionnels, l’illusion d’une intégration politique 2.

En somme, et abstraction faite des mesures d’ordre institutionnel, politique,


structurel… mises en œuvre, la recherche de la stabilité économique était une condition
sine qua non de réussite du régime politique et de sa stabilité. Le secteur économique a
souffert de nombreux problèmes structurels ; le commerce comme l’industrie n’offraient
pas une sécurité suffisante à l’investisseur marocain : marché potentiel réduit, respect des
contrats problématique pour encourager autre chose que des spéculations à court terme 3.

Le secteur de l’agriculture a évolué, et avec lui l’accroissement des grosses


exploitations face aux paysans pauvres. Le nombre des paysans a augmenté avec des
écarts entre régions selon les conditions climatiques, le mouvement de concentration
foncier ou de différenciation de mode de culture4. Cela a mené le Maroc vers une impasse
de la politique économique (surtout dans les années 60), puisqu’il ne disposait ni de
ressources énergétiques ni de matières premières importantes. L’expérience de la
planification n’a pas donné les résultats escomptés5.

Mais le secteur agricole souffre de difficultés importantes dans de multiples


régions, à cause de l’insuffisance des pluies. De ce fait, le roi Hassan II avait décrété

1
- Voir CLAISSE A. et SEDJARI, A., L’espace démocratique local dans les pays en développement, in EL
FASSSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 175.
2
- Idem, p. 127.
3
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit, p. 125.
4
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit, p. 127.
5
- CLAISSE, A., Le plan au Maroc. Discours et pratiques. Revue des sciences juridiques, politiques et
économiques du Maroc, 1981, n° 10, p. 51.

202
l’exonération de l’agriculture. « C’est dans cette optique, avait dit le roi, que Nous avons
décidé d’exonérer les revenus agricoles de tout impôt, et cela jusqu’à l’an 2000 1».

En 1973, dans le cadre d’une redéfinition du pacte social, de nouvelles mesures


ont été adoptées. C’était le lancement d’une nouvelle stratégie économique fondée sur le
développement du secteur privé. Il s’agit de la "marocanisation " économique des
entreprises agricoles, minières, commerciales, financières et industrielles. L’économie
marocaine a connu une croissance significative grâce aux grands projets d’investissement
publics et privés, conséquence de cette stratégie. De plus, une nouvelle génération
d’entrepreneurs marocains et de cadres a émergé ; la marocanisation du secteur tertiaire,
qui touchait plus de 4000 entreprises dans le commerce et l’artisanat, sera suivie de celle
des banques et de l’industrie pétrolière 2.

Une mesure parmi d’autres, qui a visé la redistribution des pouvoirs économiques
internes, capital étranger et capital local. Ce qui a mené les responsables politiques à
préciser que la marocanisation n’est ni nationalisation, ni étatisation, mais qu’elle
s’inscrit dans la droite lignée des options fondamentales du Maroc qui a choisi la voie
libérale pour organiser son développement économique et social 3.

La marocanisation était une tentative de création de nouvelles sources de


légitimation face à des formules de traditionalisation qui avaient plus ou moins fait la
preuve de leur insuffisance 4. En mobilisant le soutien de nouvelles catégories sociales on
s’assure l’accélération de l’importation d’un nouveau modèle étatique 5.

Dans ces circonstances, le Maroc se retrouvait dans une ère de changement et


dans l’obligation de s’adapter avec de nouvelles données ; la population passée de 10 à
plus de 26 millions.

1
- Discours d’Hassan II, le 3 mars 1984.
2
- Voir TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante, foi, sagesse et curage, op.cit, p. 112.
3
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit., p. 129.
4
- De nouvelles mesures pour une libéralisation du code d’investissement et une marocanisation des
entreprises des secteurs primaire et secondaire sont décrétées ; D’autres ont été créés, tels que les
programmes d’investissement public (BTP, agriculture), des crédits pour le textile et l’hôtellerie. Voir
SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit., p. 129-132.
5
- SAAF, A., Etat et classes sociales au Maroc, in SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit., p.
130.

203
Dans le même volet, le secteur public a connu une dynamisation remarquable à
travers la filialisation qui a été concrétisée en double voies, en tant que régulateur de
développement économique, et un moyen de régulation sociale. Les entreprises
publiques, ont offert à la monarchie une double possibilité de rester elle-même tout en
étant conforme à l’esprit du temps qui faisait de l’économie l’essence de toute
modernité1.

De ce fait, le secteur public a pu (sous réserve) structurer et restructurer


l’économie du pays. Et les entreprises publiques ont été chargées d’établir de nouveaux
rapports conformes à l’organisation moderne de l’activité économique et de normaliser
ces rapports par l’intégration de nouvelles classes en constitution 2.

Sur le plan financier, deux lois ont été adoptées ; la loi bancaire et la loi sur la
bourse. Selon la banque mondiale, les institutions et les règlements intéressant les
investissements étrangers directs se sont considérablement améliorés au cours des années
943. Réforme des marchés financiers, réforme du cadre institutionnel, réforme du droit,
l’essentiel de ces dispositions révèle l’ampleur des ambitions affichées par leurs
promoteurs, imposant aux entrepreneurs de mobiliser les ressources nécessaires afin de
s’adapter, se conformer, tirer parti de ce nouvel environnement et, dans certains cas,
parvenir à faire valoir leurs intérêts, particuliers, sectoriels ou corporatistes, dans
l’édification de ce nouveau droit 4.

Théoriquement, nous pouvons affirmer l’ouverture du système politique marocain


tout au long de ces années, mais pratiquement, la monarchie demeurait centrale. Le
Maroc a reproduit "un modèle de domination orientée vers le déploiement d’une
stratégie " ayant pour objectif « la monopolisation de la scène politique, le contrôle du
processus d’allocation des ressources, l’extension de la domination par l’acquisition des

1
- BALAFREJ, N., Le secteur public dans l’économie marocaine et son rôle dans le développement, Thèse
de Doctorat en sciences économiques, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Rabat,
1981.
2
- LEVEAU, R., Pouvoir politique et pouvoir économique dans le Maroc de Hassan II, Les Cahiers de
l’Orient, 2ème trimestre, 1987.
3
- TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante, foi, sagesse et curage, op. cit, p. 117.
4
- Ibidem.

204
rôles et des positions de pouvoir dans différents espaces sociaux (politique, administratif,
économique, culturel), satisfaction d’une clientèle élargie 1».

PARAGRAPHE 2 : SAHARA ET PALESTINE AU CŒUR DE LA MOBILISATION


POLITIQUE

N’ayant pas l’intention de revenir sur les origines de ces deux affaires, notre
objectif est de mettre le point sur l’importance de ces deux questions qui occupent une
place prépondérante dans le cœur des Marocains, et savoir dans quelle mesure elles ont
servi la monarchie à confronter son rôle de leader.

La mobilisation autour de ces deux affaires a visait la prééminence de la


monarchie en matière de défense des causes sacrées et de mobilisation des masses.
Notamment quand il s’agit de canaliser l’ardeur des islamistes, « depuis quelques années,
les facteurs qui témoignent d’une poussée d’un courant islamiste d’opposition n’ont pas
manqué. Mais la monarchie a su jusqu’alors, en jouant sur le nationalisme face à
l’Algérie et au Polisario, ainsi que sur son dévouement à la cause palestinienne, en limiter
les effets tout en renforçant sa propre légitimité 2».

La question du Sahara relève de l’unanimité de la société marocaine ; Il s’agit de


la première cause nationale. Conscient de la réalité de cet Etat marocain, Lyautey apporta
le témoignage suivant : « Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une
véritable poussière, d’un état de chose inorganique, où le seul pouvoir constitué était celui
du Dey turc, effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés
en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance,
rebelle à toute servitude, qui, jusqu’à ces dernières années, faisant encore figure d’Etat
constitué, avec sa hiérarchie de fonctionnaires, sa représentation à l’étranger, ses
organismes sociaux dont la plupart subsistent toujours, malgré la défaillance récente du
pouvoir central3 ».

Historiquement, l’affaire du Sahara a été signalée dès le lendemain de


l’indépendance ; le défunt Mohammed V avait déclaré dans le discours du 25 février

1
- HERMET, G. et BADIE, B., Politique comparée, PUF, 1990, p. 245.
2
- LEVEAU, R, Réaction et …, op.cit, p. 206.
3
- Voir Lyautey, Hubert, Paroles d’action : Madagascar- Sud oranais Oran- Maroc (1900-1926), A. Colin,
Paris, 1927, p. 172.

205
1958 : « Nous proclamons solennellement que Nous poursuivrons notre action pour le
retour de Notre Sahara dans le cadre du respect de Nos droits historiques et
conformément à la volonté de ses habitants ». Son successeur a pur faire de cette affaire
nationale, une occupation étrangère condamnée par plusieurs instances étrangères ; Les
européens en général et la gauche en particulier ont mis sur la balance un nationalisme
algérien « Révolutionnaire et progressiste » et de l’autre un « nationalisme réactionnaire
et féodal » marocain1.

« Le succès d’une cause considérée par tous les marocains comme une cause
nationale, impliquait que tous se présentent unis non seulement face à l’Espagne, mais
aussi face à la communauté internationale ». En créant ce consensus national, la
monarchie « apparaissait comme l’institution centrale du système politique, capable de
fédérer les forces sociales, de contrôler les islamistes ainsi que les militaires et
d’assembler les régions dans un pays dont l’unité était pour l’essentiel héritée du
protectorat 2».

Hassan II a mis son savoir-faire pour fédérer toutes les composantes nationales
autour de la question du Sahara3. On parle d’une seconde révolution du roi et du peuple4.
Aussi surprenante soit-elle et malgré l’incompréhension qu’elle a suscitée à l’étranger, la
« Marche verte » apparaissait comme un acte politique en riposte à l’agressivité des deux
voisins du Maroc et une riposte à l’expectative des Marocains 5. Elle était un événement,
non seulement dans le mouvement du Maroc indépendant, mais aussi dans le processus
de prise de conscience politique des jeunes générations qui n’ont pas connu l’époque de
la résistance anticoloniale et la lutte pour l’indépendance 6.

1
- BADUEL, P.R, (Dir), Enjeux Sahariens, CRESM, CNRS, Paris, 1984, in SOUALI, Mohamed, La
monarchie marocaine, op.cit., p. 166.
2
- LEVEAU, R, Le sabre et le Turban, op.cit, p. 13.
3
- « Si la Marche verte a suscité au sein de l’opinion publique internationale force commentaires,
réflexions, voire incompréhension, cela atteste de l’intérêt et de l’importance de ce glorieux événement.
Préface d’Hassan II de l’ouvrage collectif : la Marche verte.
4
- TAHIRI-ALAOUI, T., Une monarchie militante, foi, sagesse et curage, op.cit, p. 87.
5
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit., p. 159.
6
- TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante, op. cit, p. 86.

206
Ce différend territorial maroco-espagnol a suscité de nombreuses réactions des
partis politiques. Et tous les partis en général ont soutenu cette initiative dont Abderrahim
Bouabid, fraichement élu à la tête de l’USFP. En effet, cette situation a fait émerger un
« Maroc nouveau », que le Parti de l’Istiqlal a soutenu solidement, et entre 1974-1976, il
a adressé pas moins de sept mémoires au souverain concernant le Sahara, et a multiplié
les commémorations d’anniversaires nationales. Généralement, les partis ont lié la
libération du Sahara à la nécessité de la démocratisation du régime, et c’est ainsi qu’ils se
sont mobilisés dans une atmosphère où le consensus autour du Sahara se transformait en
consensus autour de la monarchie1.

Ce consensus national a favorisé la détente du climat de la vie politique pendant


cette période, au point de penser à la réinsertion des forces d’opposition dans un régime
démocratisé et ouvert. Mais cela n’a pas éliminé les points de divergence qui allait vite
retrouver leurs places entre l’opposition et le pouvoir. Quand le gouvernement a décidé,
le 28 mai 1981, une augmentation des prix des produits de consommation courante ; La
Confédération du travail (CDT), syndicat créé en 1978 et affilié à l’USFP, a pris la tête de
la protestation et appela à une grève générale le 20 juin 1981. A l’occasion d’une
manifestation légale, les choses ont découpé et des établissements publics et privés,
commerciaux et financiers ont été saccagés, particulièrement à Casablanca.

L’affaire saharienne a permis grâce aux ressources idéologiques qu’elle procurait,


de devenir un enjeu politique essentiel dans la stabilité du régime 2, Hassan II a réussi
l’unanimité collective, hormis sa sortie surprenante à Nairobi quand il a annoncé la
disposition du Maroc d’organiser un référendum d’autodétermination au Sahara. Cela a
valu une mise en demeure surveillée pour Bouabid et ses camarades exilés dans le centre
du pays, dans la localité de Missour ; une oasis dans une région éloignée et aride. Cet
incident autoritaire, avait tendu les relations avec ce parti de gauche si populaire à
l’époque. Cela n’a pas empêché A. Bouabid de jeter des fleurs au roi, à l’occasion d’un

1
- SOUALI, Mohamed, La monarchie marocaine, op.cit., p. 161-162.
2
- Ibidem, p. 186.

207
témoignage inclus dans l’ouvrage collectif « Edification d’un Etat moderne, le Maroc de
Hassan II », que préparait Driss Basri en 1986 à la gloire du souverain 1.

Sur le plan de la politique étrangère, Hassan II était devenu un leader symbolique


sur l’échiquier mondial en projetant une image de stabilité et de modération en interne. Il
était parvenu à poursuivre ses objectifs de différentes manières ; libéralisation partielle de
l’économie, ouverture prudente sur les marchés financiers internationaux et sur les
investisseurs étrangers, outre sa volonté de s’ériger par moments médiateur avisé dans le
conflit israélo-palestinien2.

A propos de ce conflit Hassan II en tant que président du comité Al Qods


(Jérusalem), a soutenu l’OLP, « tout en maintenant de discrets contacts avec Israël », et
aura joué un rôle dans la visite du président Anouar El Sadate à Jérusalem en 1977 3. En
1979, il a été désigné par la conférence des ministres des affaires étrangères des pays
membres de l’OCI comme président du Comité Al Qods, chargé « d’attirer l’attention sur
la situation de Jérusalem et d’alléger l’emprise sioniste sur les Lieux Saints en mobilisant
la chrétienne aux côtés du monde musulman 4». En mettant l’accent sur cette question, il
est à noter que la monarchie « est partagée entre un souci de prudence et de contrôle et la
nécessité de ne pas se laisser déborder par qui que ce soit en matière islamique.

1
- Abderrahim Bouabid écrivit : « Le règne de Hassan II est déjà à l’âge de 25 ans. Une performance, quand
l’observateur impartial garde à la mémoire tous les défis auxquels le règne a dû faire face. Ceux qui se sont
improvisés Cassandre portaient des œillères épaisses, ils en ont en pour leur compte. Et le règne continue
avec un carnet de commande de projets immédiats ou à plus long terme. Sensible à l’invitation privilégiée
qui m’a été faite d’apporter une contribution personnelle, celle-ci ne saurait être que modeste et limitée. En
écrivant ces lignes, une réflexion de Voltaire a surgi subitement de ma mémoire : ‘’Il est toujours à craindre
que le panégyrique pourrait passer pour une flatterie intéressée’’. Aussi, me semble-t-il, le parler vrai est la
meilleure façon de servir cette symbiose entre le monarque et le peuple, de contribuer à consolider et à
enrichir cette union étroite qui a déjà fait ses preuves. »
2- Création du Comité AI-Qods (Jérusalem) sur recommandation du sommet de l’OCI à Jeddah en1975,
visite de Shimon Pérès et Itshaq Rabin à lfrane (centre-nord du Maroc) en 1986. Voir EL HOUDAIGUI,
Rachid, La politique étrangère sous le règne d’Hassan II, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 179. Pour l’auteur,
« la production de la politique étrangère sous le règne d’Hassan II était façonnée par une triple contrainte :
un contexte national dynamiquement concurrentiel, une position géopolitique fragile et un environnement
international contraignant. Le Souverain est parvenu, non sans difficultés, à élaborer une réponse qui lui
assure d'une part la consolidation de sa position sur le plan national, et d'autre part, la promotion de son
influence internationale ».
3- BALTA, P, Le grand Maghreb, des indépendances à l’an 2000, op.cit, p. 223.
4
- LEVEAU, R, Réaction de l’islam officiel…, op.cit, p. 212.

208
L’engagement accentué en faveur de la cause palestinienne est une réponse indirecte aux
critiques que font les fondamentalistes en se référant à la révolution iranienne 1».

Sa solidarité peu-islamique avec ses frères musulmans s’est manifestée dans de


nombreux sommets arabes tenus à Casablanca, à Fès et à Rabat. Hassan II a avancé à
grands pas la solution au drame palestinien. C’est ce qui a permis de considérer l’OLP
comme son seul représentant légitime et de réconcilier les Palestiniens avec le
gouvernement de la Jordanie 2.

Le Maroc a constamment joué un rôle très important pour revaloriser les droits
des palestiniens. Par son histoire, il a toujours fait preuve d’immunité contre toute
tentative de déstabilisation politique 3.

Hassan II a laissé un legs mitigé avec beaucoup d’avantages mais aussi un passif
en matière de gestion du volet des droits de l’Homme et de la démocratie.

Quelques années avant sa mort, il a testé de réparer des injustices (Tazmamart) et


œuvré à la réconciliation avec les adversaires d’hier, mené une politique de
rassemblement, avec le retour des exilés, d’élargissement des détenus politiques. Enfin, il
a bataillé pour une succession monarchique tout en douceur, ce qui a expliqué
l’avènement de gouvernement d’alternance en 1997 4».

Aujourd’hui que le Maroc est touché par beaucoup de problèmes au niveau social,
économique et politique, son héritier au trône a su tirer profit des expériences cumulées
en évitant toute forme de confrontation avec les partenaires politiques et sociaux.

1
- Ibidem.
2
- TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante…, op.cit, p. 133. Hassan II a annoncé dans un
sommet tenu à Rabat que « Le problème le plus épineux, commenta notre souverain par la suite, était de
réconcilier les Palestiniens avec le gouvernement de la Jordanie- nous y sommes parvenus ».
3
- Faisant preuve de son ouverture, de nombreuses initiatives ont été faites par Hassan II. En principe, on
peut citer : l’adoption du peuple par référendum une nouvelle constitution en 1992, et qui sera révisée en
1996, et ce pour répondre à la demande de l’opposition. Contrairement à celle 1992, cette dernière a
instauré un bicaméralisme organique, dont la première chambre était celle de l’expression directe des
citoyens, la seconde représentait les groupes sociaux intermédiaires entre l’Etat et les citoyens.
4
- TAHIRI-ALAOUI, Touhami, Une monarchie militante…, op. cit, p. 99.

209
Le nouveau roi emprunte la même voix concernant l’affaire palestinienne, comme
la question du Sahara. Dans un discours, Le roi avait expliqué que : « Si la cause d’Al
Qods revêt une dimension religieuse du fait qu’elle a toujours été un espace ouvert à
toutes les religions monothéistes, elle a en outre une portée politique, ce qui a nécessité la
création d’un comité spécial, que le roi du Maroc a l’honneur de présider. Nous ne
ménagerons aucun effort pour qu’il puisse assumer sa mission avec succès suivant en cela
la voie tracée par notre regretté père1».

SECTION 2 : UNE ERE NOUVELLE, ET UN MONARQUE PORTEUR D’UNE


VISION

« Nous ne pouvons connaître les vraies problèmes des


populations que nous souhaitons aider sans aller vers elles.
La culture de proximité est fondamentale pour la réussite
des projets 2»

Mohammed VI

Dans la perspective de consolidation du processus d’un régime politique


démocratique et solidaire, Le roi a emprunté la voie de rupture et de continuité à la fois.
Dès son accession au trône, il n’a pas tardé à manifester ses intentions de rompre avec
certaines pratiques habituelles par le passé 3. Renouveau et le changement furent les
leitmotive du nouveau monarque.

Le Maroc de Mohammed VI traversait une situation peu enviable dans beaucoup


de domaines4. Sur le plan économique ; le pays était à bord de la faillite, la productivité et
les gains de productivité du Maroc demeurent très faibles et le déficit de la balance

1
- SEHIMI, M, Citations de SM Mohamed VI, op.cit, p. 172-173. Plus précisément, son discours au
premier conseil d’administration de Beit Mal Al Qods, Marrakech 14 février 2000.
2
- Entretien du Roi Mohammed VI avec Hakim EL GHISSASSI, magazine « La Médina», en juillet 2002.
3
- « Je sais où je veux aller. Mon père, que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde, le savait aussi, et savait
jusqu’où il voulait aller. L’objectif reste le même : travailler pour le progrès et le bien-être du Maroc ».
Entretien du roi Mohammed VI avec El Pais, le 16 janvier 2005.
4
- Le Maroc vit sous la menace d’« une crise cardiaque », a déclaré Hassan II dans un Discours devant le
parlement en 1996.

210
commerciale atteint des niveaux alarmants1. La société marocaine vivait dans la précarité
aussi bien matérielle que morale2, et à la politique, elle n’était que formelle 3.

Ainsi donc, l’économie marocaine en 1998 affichait un déficit alarmant, et ce bien


que « "Les «fondamentaux" macroéconomiques, constitués par l'inflation, les balances
extérieures, le déficit budgétaire et les taux de change : sur tous ces plans, le Maroc
présente des résultats dignes de l'Europe de Maastrich 4». En revanche, les infrastructures
étaient dans un état lamentable 5. Le chômage s’accentuait de jour en jour 6. Pour une
population souvent démunie, la multiplication des enfants apparaissait moins comme une
charge que comme une source de revenus, une garantie contre le chômage et la vieillesse.
Sans doute la croissance démographique était en recul (entre 1982 et 1994, elle
augmentait à 2,03% seulement) et va réduire le poids des jeunes (et leurs attentes en
matière d’emplois) 7. En plus de l’analphabétisme8, la discrimination sexuelle battait son
plein, particulièrement dans le monde rural, où les droits de la femme étaient bafoués.
Concernant l’émigration, le bilan cumulé se chiffre à 2,5 millions de marocains, installés
en Europe de l’ouest sur un chiffre global de 5 millions de marocains expatriés. Le
nouveau monarque a accordé beaucoup d’intérêt aux MRE (Marocains expatriés) et
n’hésite pas à assister personnellement aux vagues de retour l’été, à travers l’opération
MARHABA patronnée par la fondation Mohammed V de solidarité. Courbage a estimé

1
- « Le Maroc a-t-il une stratégie de développement économique ? », Cercle d’Analyse Economique de la
Fondation Abderrahim Bouabid.
2
- Selon les statistiques du Haut Commissariat au Plan, le taux de la pauvreté en 2007 pour l’ensemble du
pays s’établit à 9%, mais atteint encore 14,5% en milieu rural. Voir également le rapport principal du
Groupe de la Banque mondiale, Royaume du Maroc Mise à jour de la pauvreté, Volume 1, n° 21506-
MOR, Moyen-Orient et Afrique du Nord, Secteurs sociaux (MNSHD), 30 mars 2001, p. 5.
3
- SAAF, Abdallah, La transition au Maroc : l’invitation, Eddif. 2001.
4
- VERMERON, Pierre, Le Maroc en transition, op.cit, p. 179.
5
- 46% de la population rurale n’avait pas encore en 2005, accès aux différents équipements sociaux et
administratifs. HCP, 2007.
6
- Selon le rapport de la Banque du Maroc datant de 2004, pas moins de 1.315.000 personnes d’âge actif
(une population à majorité jeune) ne trouvaient pas d’emploi dans le milieu rural (taux de chômage de
3,2%) et encore moins dans le milieu urbain (19,6%). En 2002, le taux est élevé à 5,2%, pour arriver à
12,1% en 2012.
7
- Voir ELFASSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 179. Voir également BENCHRIFA,
A. ? L’impact de la migration internationale sur le monde rural marocain, Séminaire sur la migration
internationale, Rabat, 1996.
8
- Le taux d’analphabétisme, selon le recensement général de la population en 2004, est arrivé à 43% ; et en
milieu rural s’élevait à 60,5%.

211
que « l’émigré marocain, par son rôle économique notamment, dans sa communauté au
pays natal, est devenu, peut-être à son corps défendant, un agent des transformations
sociales, familiales et démographiques par delà sa famille directe, les remises d’épargne
devenues colossales (317 millions de Dhs en 1970, 18 milliards de Dhs et 7,3% du PNB
en 1993), en 2004, il est arrivé à 24 milliards de Dhs, améliorent la vie quotidienne de
plusieurs branches liées au rameau principal par des liens de parenté. L’émigration
contribue à modeler les habitudes de consommation et favorise les aspirations au mieux
être »1.

Le Maroc, toutefois, jouissait d’une certaine stabilité reconnue sur le plan interne.
Il était doté d’institutions étatiques solides et progressait lentement mais sûrement aussi
bien sur le plan économique que politique. Car bien que ne disposant pas de richesses
pétrolières à l’instar de la majorité des pays arabes. Il a dû faire en plus face à de très
longues années de sécheresse alors qu’il se considérait comme pays à vocation agricole.
Bien sûr le poids de la crise se faisait ressentir et le citoyen marocain a dû en payer les
frais, mais cela restait dans les limites du supportable. Il est également doté de textes
législatifs déterminant les prérogatives, les droits et les devoirs de chacun. La 1 ère
Constitution date de 1962 et a été modifiée plusieurs fois par voie référendaire. Les
constitutions intervenues après ne représentaient pas de grandes modifications. Des
élections législatives et communales ont été organisées à échéances presque régulières.
Le pouvoir législatif est représenté par le parlement dont les membres étaient élus au
suffrage universel sauf la 2ème chambre, élue au suffrage indirect. La seconde chambre a
pour mission, entre autres, de contrôler l’action de l’exécutif et qui est lui aussi issu des
urnes. L’appareil judiciaire et le système sécuritaire sont bien installés et fonctionnaient
presque normalement.

Sur la voie du libéralisme et du multipartisme, le Maroc est un membre actif des


organisations mondiales qui veillent sur la sauvegarde des libertés et des droits de
l’Homme. Le rayonnement culturel et sportif dépasse les frontières du pays. Bref, le
Maroc a tout d’un Etat de droit qui n’a cessé de se développer au fil des années sur tous
les plans.

1
- Voir COURBAGE, Y., Le Maroc de 1962-19-: Fin de l’explosion démographique, p. 81 et ss, in
ELFASSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 179.

212
Deux images opposées d’un même Maroc, à une même époque. Autant l’une était
terrine et n’augurait rien de bon pour l’avoir, autant l’autre est rayonnante et verse dans
l’optimisme. La nouvelle politique doit être à la fois évolutive, corrective et anticipative
selon les cas. Autrement, elle devra en même temps s’inscrire dans la continuité et non la
rupture.

Depuis 1999, le nouveau roi a mis le pays sur les rails du changement et du
progrès à travers la mise en œuvre d’un ensemble de réformes1 tant au niveau politique2
et social3 que religieux et économique 4 ; Le Maroc se trouvant ainsi dans l’obligation

1
- Les récentes réformes ayant une aspiration démocratique sont notamment la très populaire réforme du
code de la famille, la moudawana, mais aussi la création de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) qui
s’est penchée sur les abus des « années de plomb », la création de l’Institut royal de la culture amazigh
(IRCAM), l’entrée en vigueur de la Charte nationale de l’enseignement et de la formation, … . Voir
DALLE, Ignace, Espérances déçus au Maroc, Le Monde Diplomatique, août 2004, p.18.
2
- En précisant sa vision, dans son discours au Parlement le 8 octobre 1999,il a annoncé : « Nous voudrions
réaffirmer, pour notre part, les espoirs que nous fondons sur cette institution afin qu’elle assume pleinement
son rôle, tant dans le domaine législatif qu’en matière de contrôle de l’action du gouvernement selon les
mécanismes dont elle dispose, partant de notre ferme conviction que le fondement de la démocratie repose
sur la séparation des pouvoirs et l’instauration d’un équilibre entre eux ».
3
- Comme exemple, la constitution du Haut Comité Scientifique interdisciplinaire auquel sera confié la
mission, d’une part, d’établir l’état des lieux et des besoins dans les domaines de l’éducation, de la culture
et de la recherche scientifique, d’autre part d’étudier pour s’en inspirer les différents modèles et expériences
ayant cours dans les autres pays du monde. Laâbi, Abdellatif : Pour un Pacte national de la culture,
Entretien Al BAyane, Edition 7 mai 2010.
4
- Plan Maroc Vert dans le secteur d’agriculture, 700 à 900 projets d’agrégation mobilisant entre 110 et 150
milliards de Dirhams d’investissement. Il n’existe aucun document officiel sur la question, voir Atify R. et
Bouabid Z. (2009). Sur les échanges avec l’UE, voir l’accord de « zone de libre échange » ; cet accord
s’inscrit dans le cadre du « processus de Barcelone », son objectif était de hisser, politiquement,
économiquement et socialement les nations du Maghreb au niveau de ceux de la rive nord. Pour ce qui est
de l’accord d’association Maroc union européenne, proprement dit, il est entré en vigueur en 2000. Voir
ELFASSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 187.
Un autre accord a été signé en 2005 avec les Etats-Unis, et trouve sa place dans le projet américain appelé
« Le Grand Moyen Orient » (G.M.O).
Dans le même contexte de transition, Catusse a signalé plusieurs nouveautés, notamment, la loi sur les
sociétés anonymes, la loi sur les sociétés qu’anonymes, la loi instituant les tribunaux de commerce et le
nouveau code de commerce, la révision du code des douanes avec la participation du patron, et en termes
d’alignement avec les règlements internationaux, l’adoption d’un nouveau plan comptable prenant compte
des directives européennes. Voir CATUSSE, M., Le débat sur les privatisations au Maroc : un procès
exemplaire, Revue Maghreb- Machrek, n°167, janvier-mars 2000, p. 38

213
d’adapter les règles et les normes de la « mise à niveau » par rapport au marché
européen1.

En conséquence, « le bouleversement des rapports de force entre les acteurs du


processus de production est l’une des conséquences logiques et prévisible de cette
transition à visage « néo-libérale», ainsi que « l’émergence d’acteurs différenciés,
innovants et distincts de l’Etat procède du « catéchisme » de la nouvelle politique
économique internationale ». Si bien que « l’Etat-makhzénien marocain omniprésent dans
un système ou l’économique procède du politique, tend à s’effacer dans certains
situations et à laisser face à face travailleurs et employeurs 2».

Avant d’approcher les textes de lois consignés sous le règne de Mohammed VI et


leurs apports par rapport aux précédents, on posera la question de savoir quelle sont les
grandes actions – tous secteurs confondus- qui ont été menées par le nouveau souverain ?

Dès le début, les initiatives du Roi annonçaient la rupture avec certaines pratiques
du passé, cette forme d’autocratie qui avait gouverné le pays pendant plusieurs décennies.
Les signaux qu’il envoyait étaient directs et éloquents, joignant l’acte à la parole. Son
action concernait tous les domaines et allait à l’encontre de ce qui se faisait auparavant3 ;
les années de plomb, la persécution, la répression, … . Le deuxième signal se manifestait
dans le parachèvement de l’amnistie des détenus et des exilés politiques, la création
d’organismes pour les réhabiliter et les indemniser des dommages qu’ils ont subis. Ce fut
tellement intégral que cette action a été qualifiée par le ministre de l’intérieur déchu Driss
Basri, de « trahison à la mémoire de Hassan II ».

1
- Le programme MEDA de l’union européenne, élaboré dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, a
comporté un volet pour « favoriser l’intégration du Maroc à l’espace économique en 1997, l’U.E créait
pour cinq ans un centre d’affaire à Casablanca, « Euro-Maroc-entreprises », destinée à la mise à niveau des
PME et PMI. Voir ELFASSI, Ayoub, Praxis libérale et ordre autoritaire, op.cit, p. 188.
2
- CATUSSE, M., De la lutte des classes au dialogue social, Maghreb-Machrek, n°162, octobre-décembre,
1998, p. 21.
3-
L’on notera parmi ses premières initiatives, le limogeage du ministre de l’Intérieur Driss Basri. Un signe
très fort. Le ministre qui était à son poste depuis un quart de siècle était le bras droit d’Hassan II. Sa
destitution, a elle seule, constituait une rupture épistémologique avec un passé douloureux dont il endossait
la responsabilité.

214
PARAGRAPHE 1 : CHANTIER DEMOCRATIQUE ET REAMENAGEMENTS
INSTITUTIONNELS

Après les nombreuses réformes dans différents domaines, la notion « Makhzen »,


va être revisitée en tant que constituant du pouvoir politique. Ce dernier va acquérir une
redéfinition moderne et demeure Mohammed VI, le commanditaire de biens matériels et
source de formules et de solutions politiques. Il consolide son rôle principal au sein de
l’Etat comme le choix des hommes qui auront à administrer selon ses directives et
orientations1.

Une nouvelle vision qui s’est concrétisée par la destitution de Driss Basri,
contrôle et réinvestiture des gouvernements Yousoufi, choix des hauts responsables,
réaffirmation de la fonction royale de « commandeur des croyants », la démocratisation
du « Makhzen ». deux mesures ont manqué le début de règne de Mohammed VI, ; il
s’agit de la réintégration d’Abraham Serfaty rentré d’un exil forcé, et l’élargissement
d’Abdessalam Yassine quelques mois auparavant en mai 20002, en levant la résidence
surveillée, qui lui était imposée depuis des décennies.

En matière des compétences gouvernementales, Le roi a gardé la main sur le


pouvoir réglementaire dévolu constitutionnellement au Premier ministre ; en est exemple
cette décision de créer, en 2002, des centres régionaux d’investissements sous la
responsabilité des walis auxquels des compétences gouvernementales ont été transmises
par ordre royal3.

Dans le champ parlementaire, Le roi n’a pas hésité selon certains écrits à recourir
à l’article 19 pour dessaisir cette institution de certaines de ses compétences, notamment

1
- CUBERTAFOND, Bernard, Pour comprendre la vie politique, op. cit, p. 43.
2
- Abdessalam Yassine revendiqua la justice et développa sa vision messianique du changement politique.
Il a insisté sur les grands problèmes économiques, en évoquant la globalisation et des effets destructeurs, la
corruption… . Voir Abdessalam Yassine, Mémorandum à qui de droit, sur
www.aljamaareview.com:chrif:memorandum.htm .
3
- Voir la lettre royale du 09 Janvier 2002 adressée à son 1er Ministre.

215
dans le domaine des libertés publiques, comme c’est le cas de la création du Diwan Al-
madalim (dahir du 10 décembre 2001)1 !

Dans la perspective de rupture, le nouveau souverain n’a pas réussi à supprimer


des protocoles lourds et anachroniques, telle la cérémonie de la bay’a 2, le protocole des
courbettes répétées lors de nomination des hauts fonctionnaires, des personnalités
marocaines, et des ambassadeurs au Palais royal3… . Dans ce contexte, la rupture n’a pas
eu lieu sur le plan symbolique, malgré que le roi ait mis l’accent sur la politique de
proximité4 et la solidarité en s’adonnant à d’étonnantes postures dans la sphère privée
quand il s’donne volontiers au rituel des photos avec le menu peuple 5.

En matière d’exercice du pouvoir, il a également gardé la main mise sur le champ


religieux, la gestion des affaires internes et la politique étrangère.

Les méfaits, les abus, les errements, s’ils n’ont pas totalement disparu, ils ont
sensiblement diminué. D’autre part, le palais n’est plus pointé du doigt quand l’un des
droits de l’Homme est bafoué. Les élections qui se sont déroulées sous le règne de
Mohammed VI ont une allure bien différente de celles d’avant. Elles étaient pour le
moins transparentes et ne furent pas l’objet de contestations comme par le passé. Les
gagnants sont allés au gouvernement et les autres ont reconnu leur défaite et formé

1
- BENDOUROU, Omar, Le régime politique marocain sous Mohammed VI : rupture ou continuité ?, op.cit,
p.360.
2
- Synonyme du mot « allégeance ». Cet acte implique l’existence de deux parties, « l’une est naturellement
le souverain lui-même et cela ne change pas. L’autre, qu’en général les livres de droit présentent
simplement comme les musulmans, en fait, comprend normalement le petit groupe d’hommes, au centre du
pouvoir, détenteurs de charges à la cour, dans l’armée et la bureaucratie et, exceptionnellement, les chefs
religieux ». Voir LEWIS, B, Le langage politique de l’Islam, op.cit, p. 91 et 92.
3-
Avec Mohamed VI, on a passé de « l’allégeance-contrat » à une « allégeance modernisée », un passage
qui garantit le nouveau concept d’autorité, défini par le roi actuel comme « un concept fondé sur la
protection des services publics, des affaires locales, des libertés individuelles, sur la préservation de la
sécurité et de la paix ». Voir son Discours du 12 octobre 1999.
4
- « Tout en demeurant attaché à la spécifité qui distingue la monarchie marocaine dans ce qu’elle a
d’essentiel, à savoir sa légitimité religieuse et constitutionnelle, sa fibre populaire et son patriotisme
historique, nous l’avons hissé au rang e monarchie citoyenne, à travers les progrès démocratiques
accomplis, l’action menée en matière de développement et le travail de mobilisation et de proximité réalisé
sur le terrain ». Discours prononcé dès lors la fête du Trône, le 30 Juillet 2005.
5
- « Nous ne pouvons connaître les vrais problèmes des populations que nous souhaitons aider sans aller
vers elles. La culture de proximité est fondamentale pour la réussite des projets ». Entretien avec le roi
Mohammed VI, magazine La Médina. Juillet 2002.

216
l’opposition au sein du parlement. Sur le plan social, on doit reconnaître que les efforts
conjugués par le monarque au profit des démunis même s’ils n’ont pas porté tous leurs
fruits ni réussi à faire sortir les gens de la précarité, on estime qu’ils ont largement atténué
"la morosité où ils vivaient 1".

En matière des droits de l’Homme, le Maroc a franchi d’importants étapes pour


concrétiser son développement, à l’échelle nationale2 et internationale. Tout d’abord, il y
eut la ratification de plusieurs conventions, la mise à niveau de la législation nationale
pour la rendre conforme à la législation internationale à travers la modification d’un
certain nombre de lois, et enfin la création ou la réactivation des institutions chargées de
la protection et la défense des droits de l’Homme 3.

1-
« La lutte contre la pauvreté et contre l’analphabétisme est un objectif prioritaire ». Entretien avec le
Figaro, le 4 septembre 2001.
2
- Le Maroc adopte l’Islam comme son unique religion, et la considère comme fondement principal en
matière de l’Homme, sur le plan interne. Le Coran recommande fortement le respect de l’être humain,
« Certes, Nous avons honoré les fils d’Adam, Nous les avons transportés sur terre et sur mer, leur avons
attribué les bonnes choses comme nourriture, et Nous les avons nettement préférés à plusieurs de nos
créatures ». Sourate Al-Isrâ ‫ "و لقد كرمنا بني ادم و حملناهم في البر و البحر و رزقناهم من الطيبات‬: ‫ من سورة اإلسراء‬07 ‫ اآلية‬,
"‫و فضلناهم على كثير ممن خلقنا تفضيال‬.
EL YAÄGOUBI pense que si « le juge marocain n’était pas un peu philosophe et n’avait pas une
conception philosophique et évolutive de la dignité, il n’aurait pas adopté toute une série de jugements et
arrêts particulièrement protecteurs des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Voir EL
YAÄGOUBI, Mohamed, Le droit à la dignité : les textes et le juge, Remald, 2007, n° 75, p. 9.
3
- Beaucoup d’efforts ont été investis par les pouvoirs publics et différentes institutions en matière des
droits de l’Homme, basés sur la reconnaissance de la suprématie des conventions internationales sur le droit
interne ; la jurisprudence en témoigne par quelques décisions, comme l’application de l’article 11 du Pacte
international des droits civils et politiques selon lequel « Nul ne peut être emprisonné pour la seule raison
qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle . Ainsi, après avoir pris une attitude
négative dans une décision de rejet le tribunal de première instance de Rabat se rétracte en adoptant deux
jugements éminemment positifs puisqu’il précise que « attendu que la demande de contrainte par corps
n’est plus légitime depuis la ratification par le Maroc de la convention internationale relative aux droits de
l’Homme du 16 décembre 1966 et plus spécialement de son article 11 qui dispose qu’il est interdit
d’emprisonner une personne pour une dette résultant d’une obligation contractuelle ». Le juge des référés
(Tribunal de 1ère Instance à Rabat, le 24/11/1986) a affirmé que « La législation marocaine ne contient
aucune disposition établissant la primauté et l’obligation d’appliquer la Convention internationale lorsque
celle-ci se heurte à une disposition constitutionnelle ou légale », et ainsi « doit rejeté le moyen d’annulation
d’une contrainte par corps fondé sur l’adhésion par le Maroc au Pacte international des droits civils et
politiques qui prohibe l’incarcération pour une dette contractuelle ». in EL YAÄGOUBI, Mohamed, La
réception des droits de l’Homme, op.cit, p. 57-58.

217
La constitution de 2011 a consacré une nouvelle étape prometteuse1. Elle affirme
dans son préambule, la suprématie des conventions internationales sur le droit interne et
la nécessité d’harmoniser les dispositions de la législation nationale, tout en respectant
l’identité nationale du Maroc2, et d’inscrire son action dans le cadre des organismes
internationaux, sa souscription aux principes, droits et obligations découlant des Chartes
dédits organismes3. Elle a également mis l’accent sur l’Islam (préambule, articles : 6, 7,
19, 32 et 33), en précisant que les droits individuels et collectifs énumérés au 1 er titre sont
du domaine de la loi (article 46), dont le Roi est protecteur (article 19).

Preuve de réaménagement du chantier démocratique, Le roi a redéfini le concept


de l’« autorité », dans son discours du 12 octobre 1999, devant les responsables des
régions, wilayas, préfectures et provinces de son royaume. « Nous voudrions à cette
occasion expliciter un nouveau concept de l’autorité et de ce qui s’y rapporte, un concept
fondé sur la protection des services publics, des affaires locales, des libertés individuelles
et collectives, sur la préservation de la sécurité et de la stabilité, la gestion du fait local et
le maintien de la paix sociale », a dit le souverain en développant la responsabilité qui
« ne saurait être assumée à l’intérieur des bureaux administratifs qui doivent, au
demeurant, rester ouverts aux citoyens, mais exige un contact direct avec eux et un
traitement sur le terrain de leurs problèmes, en les associant à la recherche des solutions
appropriées 4».

Dans le cadre des Nations Unies, le Maroc réagit constamment qu’il s’agisse des
instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme (Déclaration universelle des

1
- EL YAÄGOUBI, Mohamed, La réception des droits de l’Homme, op.cit, p. 58.
2
- L’alinéa 13 du préambule de la Constitution 2011, dispose que le Maroc s’engage à : « (…) accorder aux
conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des
lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale immuable, et dès la publication de ces
conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions
pertinentes de sa législation nationale.
3
- MOULAY RACHID, Abderrazak, Regards croisés au Maroc sur le rang hiérarchique des normes
internationales relatives aux droits de l’Homme, Publisud, 2012, p. 628-229.
4
- Dans une deuxième occasion, Mohammed VI en expliquant son nouveau concept du pouvoir, a répondu :
« Je crois qu’il est grand temps pour le pouvoir de servir les gens et non l’inverse. Je suis convaincu que les
gens ont aujourd’hui plus de maturité et plus d’ouverture d’esprit. Nous avons notre propre intelligentsia ici
même. Nous sommes l’un des rares pays arabes ou maghrébins où l’intelligentsia reste dans le pays. Ces
gens nous ont aussi aidé à définir le nouveau concept d’autorité au service des citoyens marocains ».
Interview à Time, le 26 juin 2000.

218
droits de l’Homme, le Pacte international des droits civils et politiques, le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), aux droits de la femme
(Déclaration, convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes), de la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes
d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, des
conventions de l’OIT, de la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des
membres de leurs familles, des instruments internationaux relatifs aux droits de l’enfant 1.

De même qu’il est actif au niveau des espaces régionaux et continentaux (UMA,
Ligue des Etats arabes, OCI, non alignés qu’il s’agisse de projets de Chartes, de
documents, de codes, de recommandations ou résolutions…). Zn dépit de la multitude des
fronts, le nouveau roi semble avoir privilégié deux portes d’entrée : la mise à niveau de la
société dans ses multiples facettes et la prise en main de l’habilitation de la ressource
humaine2.

PARAGRAPHE 2 : CHANTIER SOCIAL ET PARI DU DEVELOPPEMENT HUMAIN

Dès son intronisation, le roi a investi dans le champ social, via plusieurs
campagnes de solidarité lancées, en déclarant que : « le développement du pays est
impossible si certaines couches de la société sont marginalisées 3». En réaffirmant son
« attention également au problème de la pauvreté dont souffre une partie de notre peuple.
Nous œuvrons, avec l’aide et l’assistance de Dieu, à en réduire l’acuité et l’impact. A cet
égard, Mon père, que Dieu ait son âme, m’avait honoré en acceptant la proposition de
créer une institution à laquelle il avait donné le nom de Fondation Mohammed V de
solidarité qui voue son action aux affaires des couches les plus pauvres, des nécessiteux
et des handicapés 4».

Après sa première campagne de solidarité, il a exprimé sa satisfaction « des


résultats louables de la première expérience comme en témoigne son bilan éloquent dont
les recettes, en espèces et en nature, ont été affectées à la restauration d’un grand nombre

1
- MOULAY RACHID, Abderrazak, Regards croisés au Maroc …, op.cit, p. 629.
2
- Ibidem.
3
- Discours de Mohammed VI devant un parterre de personnalités qui ont assisté au coup d’envoi de la
seconde campagne de solidarité.
4
- Discours du Trône du 30 juillet 1999.

219
d’établissements de bienfaisance, à l’achat de médicaments et à d’autres dépenses à
caractère humanitaire 1 ». La création de l’INDH en 2005 est la meilleure illustration. Un
autre volet social, et pas des moindres, est celui de l’égalité entre les deux sexes 2. Une
question qui a fait couler depuis beaucoup d’encre, en suscitant des querelles sans issue
entre féministes et antiféministes, entre modernistes et conservateurs, le roi a
globalement tranché en faveur de l’amélioration du statut de la femme3.

Sur le plan économique, les deux années 2001 et 2002 ont enregistré une
augmentation relativement importante des investissements4.

Depuis 2002 et jusqu’au 2008, le Maroc a enregistré un tournant sur le plan de la


dynamique économique. Cet élan fut arrêté par les effets de la crise mondiale (2008) et
les conséquences désastreuses du printemps arabe. D’ailleurs, l’on peut constater que sur
le plan social, le Maroc avançait à deux vitesses distinctes depuis l’avénement du
gouvernement islamiste : celle du Roi et celle du gouvernement de Benkirane ; autant
l’une était rapide et anticipative, autant l’autre était lente et tâtonnante. Bref, l’action de
Mohammed VI avait tout d’une « révolution » clairvoyante où quasiment tout est changé
mais en douceur.

En effet, il fallait passer à la rédaction des textes régissant les prérogatives de


chacun et les rapports juridiques entre les différents acteurs de la vie politique et sociale.
Et avec de tels changements qui se sont opérés dans les rapports monarchie /
gouvernement / peuple, la révision de la constitution était inéluctable, notamment que le

1
- Allocution à l’occasion de coup d’envoi de la deuxième campagne de solidarité contre la pauvreté, Rabat,
le 2 novembre 1999.
2-
« Comme étant tous égaux, où qu’ils se trouvent, et quel que puisse être leur statut social. Il n’est donc
point de distinction entre eux, si ce n’est pas la sincérité de leur patriotisme, leur sens du devoir et leur
volonté de représenter honorablement leur pays ». Discours prononcé à l’occasion du cinquantième
anniversaire de l’Indépendance, le 16 novembre 2005
3-
Il s’est marié à une fille issue du peuple et, une première dans l’histoire du Maroc, les marocains
connaissent la femme de leur Roi, la Princesse, Lalla Salma en occurrence. C’était significatif, au moins
pour éclairer le peuple sur la vision que se faisait le Roi de ce sujet. Par ce geste, Il effaçait cette image
dévalorisante de la femme explicitement et bannissait, sinon abolissait la polygamie par exemple
implicitement et restituait à la femme ses droits et sa valeur dans la société.
4
- Ces investissements sont dues à la vente de la deuxième licence du mobile et à la vente de 35% du capital
de la société publique de télécommunication IAM, le taux national du chômage a passé de 14,5% en 1999 à
10,5% en 2002, le taux d’électrification rurale de 27% à 50%, la dette extérieure s’est réduite de 19,2%
(1998) à 14,1 milliards de dollars en 2002.

220
profil des trois composantes de la nation marocaine a fondamentalement changé. Déjà en
2007, dans son discours du 30 Juillet, Le roi définissait la monarchie qu’il voulait et
définissait les rapports de séparation entre les différentes institutions constitutionnelles -
l’exécutif, le législatif et le judiciaire- et leur distinction de la royauté1.

A- L’INDH OU LE PARI DE REHABILITER LA RESSOURCE HUMAINE

L’idée de l’INDH remonte au gouvernement d’alternance (1997-2002). Lancée


sur une instigation royale « … Cette initiative s’inscrit dans la vision d’ensemble qui
constitue la matrice de notre projet sociétal, modèle bâti sur les principes de la
démocratie politique, d’efficacité économique, de cohésion sociale et de travail, mais
aussi sur la possibilité donnée à tout un chacun de s’épanouir en déployant pleinement ses
potentialités et ses attitudes… 2».

Depuis le 18 mai 2005, date à laquelle le roi avait annoncé le lancement de


l’Initiative Nationale de Développement Humain, le pays a connu une effervescence qui
est allée crescendo pour se propager dans tous les quartiers, dans les villages reculés du
royaume et englober différentes catégories d’âge et de couches sociales, notamment les
plus démunies d’entre elles. En effet, des milliers de chantiers visant le Développement
Humain tel que consigné dans le discours royal, ont vu le jour, à savoir le « programme
de villes sans bidonvilles », le « programme PAGER »3, Fogarim4 …etc.

L’opération a connu un intérêt immédiat de la part de l’administration et un


véritable engouement de la part des populations vivant dans la précarité. L’initiative
mettait ainsi l’homme au centre de son activité et de ses préoccupations. Cette politique
empreinte de fibre sociale a été considérée par les observateurs comme une donnée
intrinsèque du Roi Mohammed VI, qualifié par les médias comme « le Roi des pauvres ».

1-
« … Je tiens à réaffirmer que le régime voulu par Nous est celui d’une monarchie citoyenne. Une
monarchie agissante qui ne saurait être cantonnée dans un concept forcément réducteur, ni dans des
prérogatives exécutives ou organe législatif ou autorité judiciaire. Ces institutions constitutionnelles ont
leurs compétences exercées sur la base de la séparation des pouvoirs distincts de ceux de la Royauté. Telle
est la monarchie marocaine authentique que Nous Nous sommes choisie.».
2
- Extrait du discours de Mohammed VI, le 18 mai 2005.
3
- Programme d’Approvisionnement Groupé en Eau du monde Rural.
4
- FOGARIM est un prêt immobilier garanti par la Caisse Centrale de Garantie (CCG) en faveur des
populations à revenus modestes et/ou non réguliers. Il offre ainsi la possibilité d’acheter un logement à
usage d’habitation principale, neuf ou ancien, ou d’acquérir un terrain et/ou en construction.

221
La mobilisation du pays autour d’un projet social et humain structurant, s’inscrit
en droite ligne d’une politique volontairement généreuse et encline à la prise en charge
des catégories sociales qui vivent dans la précarité. Cela s’est matérialisé dans la
politique de lutte contre l’habitat insalubre, et surtout dans la prise en charge
médicosociale à travers le RAMED 1.

Cette fibre sociale de la monarchie marocaine était logique dans la période


transitionnelle ; le Maroc a été marqué par de grandes disparités régionales et sociales,
après trois décennies de répression appelées années de plomb (décennies 1960 et 1980),
un cycle d’ajustement structurel dans les années 80, l’homme était légué au second plan
dans les choix économiques, politiques, sociaux…. C’est cette situation que le nouveau
monarque voulait corriger en mettant les moyens nécessaires, en dépit de leur limite 2.

La question qui se pose, à ce niveau, est de savoir en quoi consiste cette


initiative ? Dans quelle mesure ce programme a pu opérer un changement vers une
« nouvelle situation sociale » jugée meilleure que celle d’avant ?

Le lancement du 1er programme prioritaire de l’INDH fait en 2005 a ciblé


initialement 360 communes, 1104 projets répertoriés pour l’année 2005 et 4000 pour
2006, avec une enveloppe de 10 milliards de dirhams (environ 900 millions d’euros). Plus
de 5200 bénéficiaires directs ont été touchés par 22.000 projets de développement pour la
période de 2005-2010, dont plus de 3700 activités génératrices de revenus.

1
- Le RAMED est un régime d’assistance médicale qui vise l’amélioration et l’extension de la couverture
médicale au Maroc, constituant un des piliers du développement humain et social. A cet effet, deux régimes
de la couverture médicale de base ont été crées en 2002. Il s’agit de l’Assurance Maladie Obligatoire de
base (AMO) et le Régime d’Assistance Médicale (RAMED). Le 1er est fondé sur les principes et les
techniques de l’assurance sociale au profit des personnes exerçant une activité lucrative, des titulaires
principes de l’assistance sociale et de la solidarité nationale au profit des démunis. Voir
http//www.ramed.ma/servicesEnligne/home.html.
2
- Au cours de cette période, le Maroc a fait appel à l’intervention du FMI et du Banque mondiale, pour
résoudre le blocage économique dont il souffrait. Comme le confirme A. El Kenz, en expliquant que « Le
système de l’Etatisme semble bloqué, et ce seront les échecs économiques de sa gestion, qui amènent le
pays à se restructurer autour de nouvelles normes, celles du libéralisme. L’initiative d’ouverture n’est venue
ni d’en haut ni d’en bas, mais d’ailleurs. Le moment de l’Etatisme se termine à l’examen peu glorieux des
balances commerciales, budgétaires et de paiement déficitaires d’une dette extérieure impressionnante,
d’une évaluation drastique de la monnaie. La période de l’Ajustement structurel s’annonce alors que l’Etat
n’a plus les moyens de son étatisme ». Voir ELKENZ, A., Le changement de paradigme au Maghreb.
Quelques interrogations sur les origines et les perspectives, in Démocrate et société civile, 1994, p. 34-35.

222
La première phase de cette initiative avait 4 programmes :

 Programme de lutte contre la pauvreté en milieu rural1,


 Programme de lutte contre l’exclusion sociale en milieu urbain 2,
 Programme de lutte contre la précarité 3,
 Programme transversal4.

1
- Ce programme a ciblé dans la première phase 403 communes rurales pour arriver à 701 communes dans
la deuxième phase. Ses objectifs sont : l’amélioration d’accès aux services sociaux de base ; la promotion
de l’approche genre ; la promotion de l’animation sociale, culturelle et sportive ; la promotion des Activités
Génératrices de Revenus ; la promotion du développement durable local, et le renforcement de la
gouvernance local.
2
- L’objectif global de ce programme c’est la lutte contre l’exclusion sociale et l’amélioration des
conditions et la qualité de vie de la population. Ses objectifs spécifiques sont basés sur : L’amélioration
d’accès aux équipements urbains de base et aux services publics de proximité (éducation, santé) ; assurer
l’insertion sociale des jeunes ; renforcer l’animation sociale, culturelle et sportive ; promouvoir le
développement durable local, promouvoir les Activités Génératrices de Revenus ; renforcer la participation
de la femme et des jeunes ; renforcer la gouvernance locale. Pour mettre en pratique ces objectifs, ce
programme a pris en considération certains critères ; notamment, le taux de chômage ; la proportion de la
population pauvre ; la taille de la population bénéficiaire ; la complémentarité par rapport aux programmes
de développement local en cours ou envisagés ; l’implication du budget des partenaires ; le niveau de
qualification des jeunes et taux d’abandon scolaire ; taux d’exclusion des femmes et des jeunes… .
3
- En vu d’améliorer la qualité de vie des personnes précaires et soutenir les populations en situation
difficile, ce programme présente les objectifs suivants : l’amélioration de la prise en charge et favoriser la
réinsertion familiale et sociale des populations cibles ; améliorer la qualité des prestations offertes
actuellement par les associations et institutions publiques pour atteindre les standards de qualité ; créer les
capacités supplémentaires d’accueil où cela s’avère nécessaire ; appuyer les acteurs et les associations
intervenant dans le domaine des services aux personnes vulnérables ; Assurer une prévention efficace en
identifiant et en menant toute action apte à juguler le phénomène de précarité.
Ce programme a ciblé 10 catégories de personnes en situation de précarité : les femmes en situation de
grande précarité, jeunes sans abri et enfants de rue, ex-détenus sans ressources, personnes âgés démunis,
malades mentaux sans abri, malades sidéens sans ressources, mendiants et vagabonds, enfants abandonnés,
personnes handicapés sans ressources, et les toxicomanes sans ressources.
4
- Ce programme est divisé en deux axes ; le premier porte sur l’accompagnement et le deuxième concerne
les activités génératrices des revenus. Les objectifs du premier visent : le soutien des actions de
communications au profit des populations cibles ; le soutien des actions d’animation sociale, culturelle et
sportive ; le soutien des actions de capitalisation et d’échange d’expériences ; et le renforcement de
l’ingénierie sociale en matière de formation et renforcement des capacités.
Et l’objectif principal du 2ème axe de ce programme c’est l’insertion des populations pauvres et vulnérables
dans le tissu économique et social du pays. D’autres objectifs spécifiques à citer : impulsion de la création
de microprojets générateurs d’emploi et de revenus stables ; la valorisation des ressources spécifiques aux
territoires ; la promotion de l’esprit de l’entreprenariat collectif et de créativité, la favorisation des
spécialisations des projets AGR.

223
La seconde phase de cette initiative s’est étalée de 2010-2015, avec des moyens
plus renforcés, un contenu enrichi et dans des domaines élargis, intégrant un nouveau
programme, celui de mise à niveau territoriale 1. L’enveloppe allouée à cette phase est
arrivée à 17 milliards de dirhams2. Ce programme s’est base sur cinq axes, à savoir :
l’éducation3, la santé, l’électrification rurale, l’eau potable, l’amélioration des routes et
des pistes rurales.

Le jeune monarque a exprimé clairement sa satisfaction du bilan de la première


phase de cette initiative, en mettant au défi les projets de la deuxième phase dans
l’opération de développement. Il a déclaré à ce propos que « (...), le troisième pilier
constitue une nécessité impérieuse. Il s'agit, en l'occurrence, de placer le citoyen au cœur
de l'opération de développement, comme Nous l'avons concrètement démontré à travers
l'Initiative Nationale pour le Développement Humain qui a permis d'enregistrer, sur une
période de cinq années, des résultats tangibles dans le combat contre la pauvreté,
l'exclusion et la marginalisation.

De fait, Nous nous sentons encouragé et déterminé à aller de l'avant pour en


affiner et étendre davantage les programmes de l'INDH, notamment en effectuant des
visites sur le terrain et en multipliant les actions d'évaluation et de réajustement de ses

1
- Ce programme a été inséré au cours de la deuxième phase de l’initiative, pour complémenter les objectifs
des 4 programmes cités au-dessous. Cela n’empêche pas de souligner certains objectifs qui lui sont propre,
à citer : la subvention aux besoins des populations de certaines zones montagneuses ou enclavées ; la
réduction des disparités en matière d’accès aux infrastructures de base, équipements et services de
proximité ; le renforcement de la convergence des actions sectorielles, en concentration avec les acteurs de
développement local et en coordination avec les CPDH, présidés par les Walis et gouverneurs.
2
- Les sources de financement de ce budget se divisent comme suit :
- Budget général de l’Etat : 9,4 milliards de dirhams.
- Collectivités locales : 5,6 milliards de dirhams.
- Etablissements publics : 1 milliard de dirhams.
- Coopération internationale : 1 milliard de dirhams.
3
- L’enveloppe budgétaire de ce programme s’est fixée à 5 milliards de dirhams du montant global de
l’initiative. Divisée comme suit : 75 millions de dirhams pour l’appui à la santé, 1,2 milliards de dirhams
pour l’électrification rurale, 725 millions de dirhams pour l’eau potable, Routes et pistes rurales 2,5
milliards de dirhams, et pour l’appui à l’éducation 450 milliards de dirhams.

224
projets dans la perspective d'une généralisation sur l'ensemble du pays, permettant
découvrir toutes les régions et les populations démunies… 1».

L’Initiative Nationale de Développement Humain a très vite enfanté des


synonymes visant à mettre à niveau le social, le culturel, le sportif, et bien entendu
l’économique, voire la participation politique. Ce vaste programme cherchait à toucher
directement l’individu lui-même en tant qu’acteur actif au sein de la société dont il fait
partie.

L’organisation de l’initiative a été confiée à un organe composé d’un ensemble de


comités stratégiques ; un « comité central » présidé par le chef de gouvernement, et « un
comité régional » (CCDH) sous la présidence du Wali de la région, « un comité
provincial » (CPDH) présidé par le gouverneur, et le dernier est le « comité local »
(CLDH) qui est composé par le tiers des représentants élus des communes et
arrondissements urbaines, des associations et des représentants des affaires extérieures.
L’objectif de ce dispositif sui-générique est la recherche d’équilibre entre le citoyen et la
société.

En effet, toute la philosophie de l’INDH repose sur l’idée d’apporter une


assistance sociale de qualité à cette population dans le but de favoriser son intégration
économique, sociale et institutionnelle. Parmi les instruments de l’accompagnement de ce
programme sociétal c’est : la large participation des citoyens, l’intégration et la
rationalisation des interventions des établissements et des organismes publics, et le suivi
et l’évaluation permanente des réalisations.

Tout récemment, en 2014, Le roi a inauguré dans les régions du Grand Casablanca
et Tétouan, d’importantes réalisations que nous proposons de recenser à titre indicatif ;
notamment, le Centre socio-sportif de proximité « Mohammed Zerktouni » situé à Dar
Bouazza ( Province de Nouacer), accompli au profit des jeunes de cette commune rurale,
dans le but de lutter contre la délinquance et le décrochage social des jeunes de la région,
le Centre de développement humain pour l’assistance des personnes âgées à la préfecture
d’arrondissement Ain-Sebaâ – Hay Mohammedi, qui vise la lutte contre la précarité. Le

1
- Extrait du discours adressé à la Nation à l’occasion de la fête du Trône, le 30 juillet 2010, soit quelques
mois seulement du déclenchement de la vague du printemps arabe.

225
Centre socioculturel de Bouskoura, un partenariat avec la commune et le group
« Palmeraie Développement » pour la lutte contre la délinquance et l’abandon scolaire.

Dans cette période, et dans le cadre de la lutte contre la précarité et la promotion


des activités génératrices de revenus, Le roi a visité le Centre de tri et de recyclage des
déchets ménagers et assimilés, réalisé dans la zone industrielle de Bernoussi. A Tétouan,
dans le cadre de développement éco-urbain, le roi a lancé les projets de réalisation de la
« Ceinture verte », de reconstruction du pont de Bouanane sur Oued Martil, la
construction de deux marchés de proximité aux quartiers Khandaq Zerbouh et
M’hannech. Il a également lancé les travaux pour l’aménagement de huit terrains de
sport, des projets qui tendent à lutter contre la précarité et la délinquance au milieu des
jeunes, offrir des alternatives aux vendeurs ambulants et encourager des activités
génératrices des revenus1.

La monarchie marocaine, a donc non seulement initié des politiques publiques


tendant à réduire les disparités sociales et régionales, mais elle a réussi le tour de force
d’imprimer en caractères indélébiles une démarche sociétale participative, concrète et
inductrice de changement social, économique et culturel. Cette action multiforme aura
certainement joué un rôle dans l’absorption des chocs générés par le déclenchement du
mouvement du 20 février en 2011. Une action solitaire sur le plan social, mais aussi une
action en faveur de l’émancipation de la femme qui représente un peu lus de la moitié de
la société.

B- LE CHANTIER DE LA FEMME : UNE REFORME EMBLEMATIQUE DU


STATUT PERSONNEL (LA MOUDAWANA)

Après une première révision du Statut Personnel amendé une première fois en
1993 sous l’ère Hassan II, les courants féministes et modernistes du pays, ayant
estimé les amendements apportés très insuffisants, ont lancé une large campagne dès
1996, appelant à une refonte fondamentale de la Moudawana créée en 1957. Celle-ci a été
jugée globalement décalée par rapport aux mutations sociales et culturelles qui ont
traversé la société marocaine.

1
- D’autres projets ont été également inaugurés à Beni Mellal, Azilal, Salé, Rabat et Marrakech…

226
La Moudawana, ou Statut Personnel, est au cœur d’un débat fécond entre
modernistes et traditionalistes qui suscite beaucoup de passion, des divergences, voire des
clivages, tant le champ du statut personnel commande les leviers stratégiques de la nature
de la société et son devenir culturel… Ce débat dure depuis les années 60 jusqu’à
aujourd’hui. Le défunt roi dans son discours du 20 août 1992, cherchant à dépassionner le
débat mené par les associations féministes 1 déclara que la moudawana était d’abord une
affaire qui relevait du religieux, donc de ses prérogatives en tant qu’Amir Al Mouminine.
Pendant son règne la question d’égalité entre homme - femme n’était jamais prise
totalement en considération, les droits de la femme dans le statut familial également.

C’est sur cette base que nous pouvons confirmer que la réforme menée sous le
nouveau règne a marqué un changement qualitatif sur la voie de l’égalité du genre.
S’inspirant de la démarche de son père en 1993, le roi a désamorcé le conflit latent entre
féministes et traditionalistes2, en confiant le projet de révision à une commission
d’experts.

Celle-ci placée sous la présidence d’un ancien ministre et ancien secrétaire général
du parti de l’Istiqlal (droite conservateur), M’Hammed Boucetta3, également considéré
comme un Alem. La commission a reçu les plaidoiries de militants engagés, chercheurs
universitaires et des membres de la société civile. Elle a travaillé en toute liberté, donnant
à s’exprimer aux associations 4, en vue de mettre en relief leur action en matière de
protection des droits de la femme.

1
- Si l’ADFM symbolise le réseautage et le plaidoyer pour l’amélioration des conditions de vie de la
femme, il existe une vingtaine d’associations féministes au Maroc qui innovent en passant du champ de la
revendication de la moudawana à celui de l’égalité de genre, et se mobilisent autour de thèmes plus
touchant à la liberté individuelle ; dont l’avortement.
2
- Deux grandes manifestations à Rabat (modernistes) et Casablanca (traditionnalistes), ont réussi à aligner
des centaines de milliers de manifestants. Dans ce contexte, il faut rappeler que ces mouvements se sont
dotés d’une stratégie intelligente cherchant l’adhésion des citoyens et de la classe politique tout au long des
quatre années de travail et de mobilisation. Ces manifestations se faisaient soit devant les tribunaux, le
parlement, ou la rue. Le débat entre défenseurs et détracteurs de la réforme, est devenu une affaire du vécu
des citoyens, une thématique sociale.
3
- L’un des fondateurs du Parti l’Istiqlal et a été nommé par le Roi Mohammed VI, président de la
Commission consultative chargée de la révision de la Moudawana, en remplacement de M. Driss Dahak.
4
- Il s’agit initialement de l’Union d’Action Féminine (UAF), association issue d’un parti de gauche
l’OADP, devenu PSD en 1997 avant de s’auto dissoudre dans l’Union Socialiste des Forces Populaires

227
Le texte qui en est sorti, a fait objet d’une loi adoptée par le parlement en 2004.
Intervenant au début du troisième millénaire, dans une conjoncture difficile au lendemain
des suites des attentats du 11 septembre à New York et des kamikazes à Casablanca en
2003, a hissé le Maroc au banc des nations engagées sur la voie de l’égalité homme-
femme.

La deuxième étape du changement s’est concrétisée par le lancement du Plan


National d’Intégration des Femmes (PANFID), un plan qui visait le développement de
quatre volets ; l’éducation, la santé, le pouvoir économique et le statut juridique, qui porte
sur le volet de l’élévation de l’âge du mariage, la réglementation de la polygamie, le
partage des biens entre les époux, l’abolition de la tutelle et le divorce judiciaire.

Bien entendu la question de la femme a clivé la société à travers deux marches de


Rabat et de Casablanca. Ces mouvements se sont dotés d’une stratégie intelligente en
cherchant une adhésion des citoyens et de la classe politique tout au long de quatre
années de travail.

En ce qui concerne les principaux changements qu’a apportés la moudawana se


présentent comme suit :

 L’âge minimum du mariage pour la femme est élevé à 18 ans au lieu de 15


ans,
 Le partage des biens acquis pendant le mariage entre les époux, soumis à
condition devant le juge,
 La répudiation et le divorce peuvent se faire en accord, en gardant une
marge à la femme et protéger ses droits,
 La garde des enfants, en cas de divorce, par la femme en lui réservant le
domicile conjugal,
 En cas de remariage de la femme, elle perd la garde de ses enfants à l’âge
de 7ans,
 La reconnaissance des enfants nés hors-mariage et la facilitation de la
procédure de preuve de paternité,

(USFP) en 2005, mais aussi d’autres associations, y compris des associations islamistes récemment créées
depuis pour contrebalancer le discours jugé libertin sur l’émancipation des femmes.

228
 La tutelle est devenue facultative 1,
 La polygamie est devenue difficile 2, et soumise à l(accord préalable de la
première épouse.
 Le divorce peut être exercé par la femme comme par l’homme3.

Malgré toutes ces nouveautés mises en place par le nouveau texte, des défaillances
sont encore importantes, et la bataille pour l’amélioration du statut de la femme a encore
de beaux jours. Ainsi, à titre d’exemple, la polygamie qui n’a pas pu être interdite
expressément, le texte a néanmoins cherché à la rendre difficile quoiqu’elle reste
possible. Là encore, le problème qui se pose est celui de l’autonomie de la femme et sa
capacité à se prendre en charge, tout aussi bien que la marge d’appréciation laissée au
juge. S’agissant de la garde d’enfant, le nouveau texte a apporté des améliorations
ménageant le statut de la mère remariée, mais toute l’attention est portée sur le confort de
l’enfant4.

En cas de divorce, et si la mère se remarie elle ne peut garder ses enfants que s’ils
sont malades ou que leur état de santé est critique. En revanche, le père peut les garder
même s’il se remarie.

1
- L’ancien code du statut familial de 1957 exigeait de la femme prétendant au mariage d’être représentée
par un wali (tuteur) au moment de la conclusion de l’acte et expliquait dans son article 11 la hiérarchie des
tuteurs matrimoniaux de sexe masculin. Dans le code de 1993, l’article 12 dispose : «le wali ne peut la
donner en mariage que si elle lui donne pouvoir à cette fin », ce qui maintenait le conditionnement d’un
tuteur pour la femme en mariage, faisant de cette disposition une simple retouche cosmétique.
2
- L’article 40 de la Moudawana stipule : « La polygamie est interdite lorsqu’une injustice est à craindre
entre les épouses. Elle est également interdite lorsqu’il existe une condition de l’épouse en vertu de laquelle
l’époux s’engage à ne pas lui adjoindre une autre épouse ».
3
- L’article 78 de la nouvelle Moudawana précise que : « Le divorce est la dissolution du pacte conjugal
exercée par l’époux et par l’épouse, chacun selon les conditions auxquelles il est soumis, sous le contrôle
de la justice et conformément aux dispositions du présent code ».
4
- L’article 175 de la moudawana stipule que « Le mariage de la mère chargée de la garde de son enfant
n’entraîne pas la déchéance de son droit de garde, dans les cas suivants :
1) si l’enfant n’a pas dépassé l’âge de sept ans ou si sa séparation de sa mère lui cause un préjudice ;
2) Si l’enfant soumis à la garde est atteint d’une maladie ou d’un handicap rendant sa garde difficile à
assumer par une personne autre que sa mère ;
3) Si le nouvel époux est un parent de l’enfant avec lequel il a un empêchement à mariage ou s’il est son
représentant légal ;
4) Si elle est la représentante légale de l’enfant. Le mariage de la mère qui a la garde, dispense le père des
frais de logement de l’enfant et de la rémunération au titre de sa garde, mais il demeure, toutefois,
redevable du versement de la pension alimentaire due à l’enfant ».

229
En ce qui concerne la tutelle pour le mariage, devenue facultative, n’est pas pour
autant abolie. Elle reste comme une option : L’article 25 dispose qu’ «il appartient à la
femme majeure de conclure elle-même son contrat de mariage ou de donner mandat à
cette fin à son père ou quelqu’un de sa famille ». Dans ce cas, le législateur n’a tranché ni
en faveur de l’existence de la tutelle en tant que condition obligatoire au mariage ni à son
abolition définitive.

Concernant le partage des biens acquis pendant le mariage, le législateur offre ce


droit à la femme - employée seulement-, et néglige quelque peu la femme au foyer qui
elle aussi contribue d’une manière ou d’une autre au développement du patrimoine
familial et donc à charge à elle de prouver sa contribution. Le texte reste assez vague et la
formalité de partage des biens entre les époux n’est pas claire, et ici le juge garde tout son
pouvoir discrétionnaire.

Le travail n’est donc fait qu’à moitié, et tout gouvernement quelque soit sa
coloration politique, se trouve de facto sous les tirs nourris d’une société civile
déterminée à changer positivement le statut de la femme. Mais, certainement « la
dynamique de changement de la condition de la femme marocaine est bien à l’œuvre 1».
Si la femme est au cœur du processus, son rôle est tout aussi indéniable dans l’éducation
des générations montantes. Là, le problème de la formation et de l’éducation demeure
entier, grave et inquiétant.

C- LE TABLEAU NOIR DU CHANTIER EDUCATIF

Au lendemain de l’indépendance, le mouvement nationaliste prônait une profonde


réforme du système éducatif au Maroc, insistant sur quatre éléments qu’il prenait pour
décisives, à savoir : la marocanisation du système, la généralisation de l’enseignement,
l’arabisation et l’unification de l’école.

Dans ce temps, de multiples réformes et commissions se sont succédées, sans


jamais aboutir. En 1959, c’est la formation du Conseil Suprême de l’Enseignement.
Intervint ensuite le projet Benhima en 1967, et deux conférences d’Ifrane en 1970 et en
1980. La haute commission de l’enseignement a été formée en 1975, suivie par la
commission royale de réforme de l’enseignement en 1978. La commission nationale de

1
- VERMERON, P., Le Maroc en transition, op.cit, p. 115.

230
l’enseignement en 1994, le Conseil supérieur de l’éducation et de la formation (Cosef-
1999).

La question qui s’impose à ce niveau est de savoir pourquoi ces diverses


directives, commissions, rapports et études, n’ont pas réussi à promouvoir le secteur de
l’éducation au Maroc ?

Le système éducatif a beaucoup souffert de l’instabilité des programmes, et de


l’improvisation des réformes, outre les problèmes inhérents à l’administration
responsable du secteur, et aux corps professionnels. Ces problèmes sont liés
essentiellement à l’insuffisance de la couverture des services d’éducation, et l’inégalité
des chances d’accès à l’éducation entre le milieu urbain et le milieu rural. D’autre part, la
politique d’arabisation a montré ses limites, tout comme l’incapacité d’imaginer un
système de contribution des ménages à l’effort national de couverture des frais de
fonctionnement de l’enseignement. Désormais, l’enseignement public subit la
concurrence de l’enseignement privé, et l’émergence d’un pole universitaire privé qui est
en passe de prendre des proportions considérables et de marginaliser in fine le secteur
public dans son ensemble.

En d’autres termes, les dysfonctionnements du système éducatif marocain


s’expliquent par la lourde responsabilité de l’Etat qui prend tout à sa charge, pour
l’exécution de la réforme, et se trouve confronté à l’insuffisance des investissements
financiers qui touchent seulement l’immobilier et le personnel, et non les projets eux-
mêmes.

Le Conseil supérieur de l’éducation et de la formation (COSEF), a mis en évidence


un diagnostic sans appel. Après la commission royale de l’éducation et de la formation
mis en place en 1999, et la Charte de l’enseignement, le roi a lancé un plan d’urgence
pour la période de 2009-2012. Ce plan repose sur six axes répartis en 19 leviers et 78
articles. Il aurait apporté selon des rapports officiels, des réponses globales à l’unification
de l’enseignement, l’amélioration de la qualité de l’éducation et de la formation,
l’organisation pédagogique, la motivation des ressources humaines, le partenariat et le
développement. La réalité en est tout autre.

231
Dans le même sens, la constitution de 2011 a mis l’accent sur le droit à
l’éducation conformément aux conventions et aux chartes internationales. Le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, fait à New York le 19
décembre 1996, reconnait le droit de toute personne à l’éducation (article 13) 1, et que
l’enseignement primaire est obligatoire et gratuit pour tous (article 14), ainsi que le droit
de participer à la vie culturelle, de bénéficier de la protection des intérêts moraux et
matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est
l’auteur (article 15).

Beaucoup de programmes ont été validés pour développer la fréquentation


scolaire et la lutte contre l’inégalité des chances 2. Les investissements dans les
infrastructures consentis ces dix dernières années et les aides accordées aux élèves les
plus démunis ont permis d’augmenter les taux nationaux de scolarisation, de 52,4% à
98,2% pour le primaire, de 17,5% à 56,7% pour le premier cycle secondaire et de 6,1 à
32,4% pour le deuxième cycle secondaire 3.

Dans l’optique d’amélioration de la qualité de l’enseignement, des centres


régionaux de formation des enseignants ont été nouvellement crées, pour la mise à niveau
des programmes pédagogiques, et l’entretien d’une dynamique de la réforme en veillent à
l’adéquation entre les programmes d’enseignement et de formation professionnelle d’une
part ; et les attentes du marché du travail, d’autre part.

Et, pour une bonne gouvernance du secteur d’enseignement, le Ministère de


l’éducation nationale s’est engagé dans un processus de décentralisation pour améliorer la
gestion des moyens qui lui y sont alloués, et promouvoir des plans de carrière et de
mobilité des enseignants pour un redéploiement selon les compétences. Vu cette
importance, le 20 août 2014, Le roi a annoncé la réactivation du Conseil supérieur de

1
- Un enseignement primaire obligatoire et accessible gratuitement à tous, un enseignement secondaire, y
compris l’enseignement secondaire technique et professionnel, généralisé et rendu accessible à tous, un
enseignement supérieur accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, une
éducation de base encouragée ou intensifiée pour les personnes qui n’ont pas reçu d’instruction primaire ou
qui ne l’ont pas reçue jusqu’à son terme.
2
- Voir le Plan d’urgence élaboré en 2008 sur le site : http//www.men.gov.ma.
3
- Boufous, Aziz, L’enseignement au Maroc : un secteur noyé dans ses réformes, mis en ligne Lundi 5
juillet 2010, in Agora vox, https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/l-enseignement-au-
maroc-un-secteur-77907

232
l’Education (CSE)1, en le considérant comme une source permanente et indépendante de
suivi et d’évaluation.

Sur le plan financier, la Banque mondiale et d’autres grands partenaires de


développement ont apporté un soutien technique et financier au programme de la réforme
du système éducatif au Maroc. Dans le cadre du Plan d’urgence lancé par Mohammed VI,
la banque mondiale a alloué 100 millions de dollars à titre de prêt à l’appui des politiques
de développement, en accordant le même montant en deuxième tranche pour la
réalisation dudit plan2.

Pour la Banque Mondiale, « l’éducation est un investissement de longue haleine


qui exige des efforts soutenus et des politiques cohérentes. Le Maroc a obtenu des
résultats importants en termes d’accès à l’éducation, mais il doit poursuivre ses efforts
afin de garantir l’égalité des chances, surtout pour les filles et les communautés rurales, et
d’améliorer la qualité des apprentissages 3». Ce qui signifie le succès mitigé accompli par
le pays dans ce domaine névralgique pour son avenir. Il reste à réaliser un réel bond en
avant, en adoptant des mesures courageuses, tant sur le plan de la refonte pédagogique
que sur celui de la prise en charge des budgets de fonctionnement et d’investissement qui
nécessitent une implication très minime, mais néanmoins déterminante des parents
d’élèves, des communes et de la société en général.

Nous avons examiné différents secteurs sociaux et éducatifs, nus avons rappelé les
politiques publiques déclinées sur l’amélioration des conditions d’existence des couches
sociales défavorisées. Le travail colossal consenti sur près de deux décennies, s’il n’a pas
abouti à tous les objectifs escomptés, il a certainement le mérite de stabiliser les
fondements de la société marocaine et sa résistance aux sirènes des changements
chaotiques.

1
- Voir le rapport du CSE, édité en 4 volumes en 2008, retrace, chiffres à l’appui, le bilan contrasté des
avancées et des dysfonctionnements au sein du système. Royaume du Maroc, CSE, Rapport annuel 2008.
2
- Cet investissement a pour objet la lutte contre l’inégalité des chances à l’’éducation entre le milieu urbain
et rural et l’amélioration de la qualité d’enseignement.
3
- Ces propos ont été dits par Kamal Braham, coordinateur pour le secteur de développement humain de la
Banque Mondiale et responsable de l’équipe chargée de la mises en œuvre du second prêt à l’appui des
politiques de développement pour l’éducation.

233
Quelle résilience présente le Maroc face aux vagues de changements qui
s’abattent de plus en plus sur la majeure partie des pays arabes qui se manifestent
périodiquement et sélectivement depuis 2011 ? Certes, le Maroc a résisté aux tempêtes du
printemps arabe, mais rien n’est joué à l’avance. Il demeure comme les autres pays de la
région, constamment sous la menace de l’implosion et du déchirement social. Des
résolutions intelligentes et opportunes ont sauvé la mise en 2011, mais il ne semble pas
que l’histoire suive une progression linéaire !

Réaménagement institutionnel dans le sens d’une plus grande efficience des


services publics et des prestations sociales, une réforme durable et progressive dans le
champ des libertés et droits de l’homme, une révision audacieuse –même encore limitée –
du statut de la femme, un processus long et ardu pour la réforme de l’éducation et la
formation. Sur ces différents chantiers, la monarchie s’est montrée entreprenante et
volontariste en montant aux premières lignes. Beaucoup d’efforts, de stimulation et
d’impulsion pour réaliser cette mutation vers un Etat moderne, démocratique et apte à
faire face aux défis des profondes transformations qui traversent le monde à l’heure
actuelle.

Bien entendu, toutes ces réformes ont connu des sorts plus ou moins acceptables,
et il reste à mener un travail sur le long terme pour améliorer, corriger et affiner les
réalisations accomplies en ces domaines. Malgré, leurs limites et leurs défauts, ces
multiples actions menées sous le nouveau règne, plus encore que celles du roi défunt,
auront servi de pare-choc aux grands mouvements d’agitation sociale qui ont secoué le
pays. Leur rôle d’amortissement est indéniable jusque là, mais toute action sociale charrie
ses propres germes de dépassement des idées déjà établies.

Rien ne présume de la précarité d’un système politique qui fait dorénavant face à
de nouveaux paramètres tels le changement de la pyramide démographique, le chômage
endémique sur une courbe ascendante, et l’affaiblissement des instances de médiation, la
dégradation de l’échelle des valeurs traditionnelles de cohésion sociale et l’étiolement de
l’idéologie patriotique, de loyalisme et d’appartenance.

234
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE :

En vue de réussir une transition démocratique à l’époque, le défunt Hassan II a


réussi le repositionnement des partis et des entités du champ politique, tout en gardant le
monopole du pouvoir religieux ; un fondement dont il s’est servi pour exclure les groupes
islamistes, qui prétendent s’opposer à la monarchie, du champ politique. De plus, il s’est
appuyait sur son pouvoir administratif renforcé par son appareil de répression
« Makhzen ».

Depuis, la vie publique et politique marocaine a évolué ; et le nouveau monarque,


en empruntant les démarches de son père, a montré une certaine consolidation pérenne à
la société civile et une volonté ferme de changement, pour faire du Maroc un hub sur tous
les niveaux, économique, politique et social.

235
CONCLUSION GENERALE :

La monarchie marocaine a fait preuve d’une volonté constante et déterminée de


prise en compte de nombre de demandes et attentes de la société ; indice s’il en est d’une
libéralisation du régime politique, mais aussi un signe dans « la construction de
problèmes publics, dans l’énonciation de problématiques légitimes, dans l’identification
de responsabilités et dans la construction de représentations collectives 1».

Au terme de ce travail modeste, faut-il convenir définitivement que la réforme


institutionnelle au Maroc, est une donnée structurelle émanant de la volonté du prince, et
relevant de la suite logique d’une politique d’ouverture et de modernisation, ou faut-il
sacrifier à l’effet de mode et coller les réformes dans leur ensemble, aux conséquences du
"printemps arabe", phénomène de rue rendu responsable des progrès notés dans le champ
politique marocain !

Le rôle joué par les mouvements sociaux, les actions même limitées des partis
politiques, des associations, et/ou les médias… ont certainement apporté une grande
impulsion au système. Nul ne pourrait minimiser ce rôle grandiloquent, touchant les
volets politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils ont assurément et c’est
indéniable, crée un climat de pression politique sur la monarchie et ses rouages internes.

Toutefois, le changement au niveau de la distribution des rôles politiques pour


palpable qu’il était perçu, n’empêche pas de constater que l’arbitrage comme le
commandement sont demeurés un privilège incontestable de la royauté. Ce qui peut-être
considéré comme le résultat des facteurs de légitimation historique, religieux, et
politique. Hassan II a réussi à maintenir un grand équilibre dans le système penché en
faveur de la monarchie, un mode de gouvernance ferme et autoritaire, en gérant une
multitude de situations : des moments conflictuels avec le mouvement national, les partis
d’opposition, et plus tard, avec la vague des islamistes (le cas du mouvement Al Adl Wal
Ihsane). Un autoritarisme qui a servi la monarchie et lui a fait rallier tour à tour, toute

1
- CATUSSE, M., Chronique politique du Maroc, A.A.N, 2003, p. 231.

236
sorte de mouvements à ses côtés (inclusion-exclusion). Par son expérience riche, sa
virtuosité à l’échelle internationale, il a réussi à forger une image de modernité, de
développement et de rayonnement du Maroc. Il était devenu l’homme de toutes les
situations dans le monde arabo-musulman, (création de la conférence islamique, le comité
al-Qods, organisation de la majorité des sommets arabes) un leader qui menait des
batailles sur tous les fronts ; notamment le conflit arabo-israélien, la guerre civile au
Liban, le retour d’Egypte à la Ligue arabe, la légitimité de l’OLP, etc.

Dans le choix de la continuité, le nouveau roi a opté pour une participation active
des mouvements à coloration islamique, dans le respect des urnes. Un processus de
démocratisation (le cas du PJD), qui a pu traduire effectivement la « spécifité
marocaine » quand on sait que les mouvements islamistes sont chassés par tout dans le
monde arabe. En revanche, s’y rajoute un autre facteur important ; les deux principaux
mouvements islamiques marocains s’accordaient sur le rejet de l’action violente,
contrairement à la nébuleuse des mouvements clandestins de la Salafiya Jihadia au Maroc
et dans d’autres pays voisins (Libye, Egypte, et même des pays du Sahel ; Mali, Nigéria,
Niger, etc.).

Un mode consensuel qui a servi les deux parties, monarchie, partis politiques et
mouvements islamiques, notamment en rendant possible l’alternance dans le jeu
politique. Le Maroc, terre d’un passé prestigieux, vit aujourd’hui un présent tumultueux
et en mutation. Les principales composantes de sa vie politique ont été parfois modifiées,
parfois chamboulées mais sans que change le régime en sa quintessence 1. La prééminence
du monarque dans le système constitutionnel demeure indéniable, comme le confirme
clairement la constitution. Le système politique marocain témoigne de la sorte, sa
capacité à la fois à gérer les contradictions, et à maintenir l’équilibre des forces entre les
différents acteurs du champ politico-religieux.

Désormais, en se référant à l’article 41 de la constitution, la politique et la religion


ne se réunissent qu’au niveau du Roi en sa qualité de Commandeur des croyants.
Définissant cet aspect ambivalent de la constitution, le roi souligne que cette disposition a

1
- En rendant hommage à son père, Mohammed VI a déclaré que : « Je dois dire que je n’aurais jamais
réussi ce que j’ai accompli s’il y n’y avait pas les jalons posés par feu Sa Majesté mon Père ». Mohammed
VI dans une interview accordée au journal Times le 26 juin 2000.

237
pour raison de « contrôler et récupérer l’Islam pour la mise sur pied d’un clergé officiel
assuré du monopole de la prestation religieuse afin de s’opposer à l’islamisme et à la
prolifération des clercs sauvages qui ne s’autorisent que d’eux-mêmes1». Dans cette
approche, il s’agit aussi de prévenir les nuisances touchant l’esprit de l’Islam épuré basé
sur la générosité et la tolérance. En tout état de cause, la monarchie constitutionnelle
marocaine existe pour les « marocains qui veulent une institution monarchique forte,
démocratique et exécutive 2».

D’autres aspects caractérisent la démarche du roi ; notamment le nouveau concept


de l’autorité, qui repose souhaite faire de l’administration territoriale un lieu de
prestations optimales au service des citoyens. Le souverain a expliqué à cet effet que
l’autorité « doit être au service du citoyen, proche de ses préoccupations et de ses
besoins », expliquant qu’ « une relation qui ne se caractérise ni par la tentation ni par la
crainte, mais par le respect mutuel et complémentaire entre gouvernants et gouvernés »,
et que « cette relation ne doit pas être une relation d’affrontement mais d’harmonie et de
complémentarité »3.

Convaincu de la primauté des droits de l’Homme, la monarchie a déployé


beaucoup d’efforts pour la sauvegarde et la consécration des droits et libertés individuels
et collectifs (article 31 de la Constitution). La constitution de 2011 prévoit des
dispositions claires sur la moralisation de la vie publique ; notamment par la création
d’institutions indispensables ; Médiateur (article 162), Instance nationale de probité, de
prévention et de lutte contre la corruption (article 36), Cour des comptes chargée de
contribuer à la moralisation de la vie publique et pour protéger les principes de bonne
gouvernance et de transparence.

Au niveau économique, les mutations socioéconomiques internationales, les


effets induits de la mondialisation ont encouragé le Maroc à prendre des décisions
audacieuses et à s’ouvrir sur la société4.

1
- Interview du Roi Mohammed VI au journal le Figaro, le 04 septembre 2001.
2
- ROY, Olivier, Les voies de la réislamisation, Revue Pouvoirs, n° 62, P.U.F, 1992, p. 88.
3
- Discours de Mohammed VI, le 10 décembre 1999.
4
- Le nombre d’associations a été multiplié de manière significative, ce qui est en soi un gage d’ouverture
sur la société civile.

238
Malgré cela, le devenir de la démocratie au Maroc est à nuancer, en attendant
la réussite de la combinaison tripartite du changement lui-même1, et réaliser un
consensus de rupture2.

En effet, le Maroc bien qu’il reconnaisse fortement l’importance du partenariat


avec l’Union européenne, demeure quelque peu déçu des positions dissonantes de
Bruxelles, tant sur la question du Sahara que sur le volet agricole. Les blocages répétés
sur la voie d’un échange libre et équitable, a poussé le Maroc à opter pour une
diversification de ses partenaires économiques et stratégiques, en se tournant décidément
vers le continent noir dont il fait partie intégrante. Plusieurs accords et conventions ont
été noués avec une dizaine de pays africains, dans le but d’asseoir une coopération
gagnant-gagnant au profit des populations (financement de programmes de
développement, aide matérielle et logistique contre la sécheresse, lutte contre les
maladies, épidémies, l’encouragement des étudiants africains en leur accordant des
bourses d’études au Maroc etc.). Plus de 50 tournées dans plus de 42 pays africains ont
été faites pour montrer sa coopération et son retour très fort dans l’Union Africaine.

Certainement que le nouveau règne n’a pas été de tout repos, puisqu’il a coïncidé
à ses débuts, avec les attentats du 11 septembre, les kamikazes de Casablanca en 2003, la
guerre contre l’Irak, la guerre contre les populations palestiniennes à Gaza, vu le roi
Mohammed VI est président du Comité AlQods. Sur le plan interne, l’air de liberté ayant
soufflé sur le pays, a suscité plus de revendications sociales et économiques et nourri plus
d’attentes en termes de droits et de libertés, d’où la multiplication des grèves, des
marches de protestations, attroupements et sit-in.

Autant d’agitations sociales qui ont indirectement servi les appareils idéologiques
et répressifs d’Etat. De sorte que lorsque les vents du « printemps arabe » ont soufflé sur
le pays, l’Etat a su gérer la situation dans de bonnes conditions. On a pu y voir
l’avènement d’un Etat démocratique ou en voie de démocratisation, capable de réduire
ses conflits et contradictions internes par la négociation et l’art du compromis.

1
- KHATIBI, A, L’alternance et les partis politiques, Eddif, 2000.
2
- BENMMASSAOUD TREDANO, A, Alternance, du consensus aux urnes, Revisiter le consensus sur le
consensus : pour un consensus de rupture, p. 145-148.

239
Le pays est certes en voie de modernisation, à la recherche d’un développement
équilibré et durable, mais le chemin demeure parsemé d’embuches. L’ampleur des
progrès accomplis n’a d’égale que les réalisations importantes accomplies en si peu de
temps et dans une conjoncture internationale pas toujours facile. Notre hypothèse initiale
sur le rôle fondamental et central de la monarchie n’a pas changé, bien au contraire.

Concernant l’hypothèse de la résilience du système politique et sa capacité à


s’adapter, force est de reconnaître la difficulté de la conjoncture tant sur le plan interne
qu’international. Beaucoup de paramètres ont déjà disparu des manuels politiques,
d’autres sont en cours d’élaboration et il semble que le système politique marocain est
appelé à faire face à de nouvelles épreuves plus ardues et plus périlleuses, notamment le
déclenchement de foyers de tension sporadique ; Sidi Ifni, Sefrou, Houceima, Tata, etc….
Sur le plan interne, le clan des monarchistes n’est plus monolithique, tandis que la grogne
enfle dans les milieux des droits de l’homme et des opposants divers.

Depuis les évènements de 2011, le Maroc offre le visage d’un pays qui avance
certes, mais qui progresse à deux vitesses, celle des grands centres urbains remorqués à la
mondialisation, et celle des zones rurales longtemps marginalisées, qui croupissent dans
la misère et le dénuement. Un militant marocain a résumé cette situation dans une vision
plutôt optimiste : « A défaut d’initiatives volontaristes fortes, on peut craindre que ce soit
de la pression sociale que viendra le plus puissant vecteur de changement. Si ce n’est pas
le cas, il faudra peut-être attendre que les élites au pouvoir et celles capables de peser à
moyen terme grâce au suffrage populaire soient remplacées par d’autres, moins
prisonnières des logiques autoritariste, paternaliste, clientéliste et rentière....1»

Le problème pour le Maroc des dix prochaines années, est de savoir rattraper les
retards, sans bloquer la marche des secteurs économiques les plus avancés, et surtout de
jouer à l’équilibriste en cherchant les ressources d’une meilleure médiation efficiente
entre les acteurs politiques et sociaux ; qu’ils soient au pouvoir ou à l’opposition, dans les
centres ou les périphéries. La résilience dont il a fait preuve en 2011, n’est pas un chèque
à blanc, de véritables risques existent de plus en plus et le système politique est plus

1
- ABDELMOUMNI, Fouad, Le Maroc et le printemps arabe, Revue « Pouvoirs », Le Seuil,
n° 145, 2013/2, p. 123-140.

240
sollicité qu’auparavant pour plus de perspicacité, en matière de gestion des conflits et
surtout d’anticipation de l’imprévu.

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http//www.hcp.ma

260
‫‪ANNEXES‬‬

‫استقصاء للرأي‬
‫أسئلة موجهة لنشطاء داخل حركة ‪ 02‬فبراير‬

‫ماذا تمثل لك حركة ‪ 17‬فبراير وكيف التحقت بها ومتى ؟‬

‫ماهي الشعارات القوية برأيك التي رفعها المتظاهرون بالحركة ؟‬

‫هل كنت موافقا على كل الشعارات أو هل سبق أن اعتبرت بعضها غير مواتيا لمتطلبات الشعب‬
‫الحقيقية ؟‬

‫يقال أن عشرين فبراير تقليد فقط للحركات االحتجاجية في تونس ومصر‪ .‬هل تعتقدون أن ذلك كان‬

‫صائبا أو ربما كان من الضروري نهج طريق آخر مالئم أكثر للواقع المحلي ؟‬

‫هل تعتبرون أنفسكم كأحد المؤسسين للحركة‪ /‬إن نعم ‪ :‬كيف ذلك ؟‬

‫ماهي المشاكل و الصعوبات التي ربما صادفتموها على مستوى التنظيم والتأطير؟‬

‫بعد مرور ‪ 4‬أعوام هل تعتقدون أن حركة ‪ 17‬فبراير كان لها وقع مهم على الحياة السياسية‬
‫المغربية؟‬

‫مارأيكم في السياسيين المغاربة داخل األحزاب المغربية ؟‬

‫يقال أحيانا أن دستور ‪ ٠٠١١‬كان اإلصالح الوحيد الذي ترتب عن الحركة ؟ هل تعتقدون أنه على‬
‫العكس‪ ،‬كانت هناك إصالحات أخرى‪ ،‬وإن كذلك ماهي هذه اإلصالحات ؟‬

‫إلى أي حد تعتقدون أن حركة عشرين فبراير كانت ملغ ومة بتشكيلتها المختلطة بين يساريين ويسار‬
‫متطرف وجمعيات حقوقية وأخرى إسالميه‪ ،‬ناهيك عن جمهور تابع من دون اقتناع ؟‬

‫‪261‬‬
Questionnaire destiné aux activistes du mouvement du 20
février :
1. Que représente pour vous le mouvement du 20 février, et comment vous l’avez
rejoint (modalité et timing) ?

2. Quels sont les slogans les plus forts à avoir été scandés par les manifestants de ce
mouvement ?

3. Etiez-vous d’accord avec ces slogans ou les considériez-vous comme inadaptés


aux revendications réelles du peuple ?

4. On dit que le mouvement du 20 février a été la réplique de mouvements en


Tunisie et en Egypte. Pensez-vous que c’était une bonne chose, ou fallait-il imaginez une
autre action qui répondrait à la réalité locale ?

5. Considériez-vous, vous-même, comme un des fondateurs du mouvement et si oui


comment cela est arrivé ?

6. Quels sont les difficultés et problèmes d’organisation et d’encadrement que vous


avez rencontrés ?

7. Pensez-vous –quatre ans après – que le mouvement 20 février a eu un impact du


sur la vie politique marocaine ?

8. Votre avis sur les politiques ?

9. On dit parfois que la constitution de 2011 a été la seule réforme tangible de ce


mouvement ? Pensez-vous qu’il y en a eu d’autres ? Lesquelles ?

10. Dans quelle mesure pensez-vous, après coup, que le mouvement a finalement été
miné par son hétérogénéité ?

262
LE 1ER COMMUNIQUE DE PRESSE DU MOUVEMENT 20 FEVRIER
Mouvement du 20 février
-coordination Rabat-

Communiqué de presse

Dans le cadre de la mouvance politique et sociale que connait le Maroc aujourd’hui, et qui résulte de la congestion
de la situation depuis des années, et de la continuité de la série makhzennienne pour contourner les revendications
du peuple marocain, et l’obscurcissement dirigé par les médias officiels et les journaux dites indépendants, ainsi
que l’utilisation des mercenaires, des aide-pouvoir et des profiteurs de la situation actuelle bénie par le régime
marocain, en exploitant le fond public pour les mobiliser et les orienter généralement contre les libres de la patrie
et particulièrement les activistes du mouvement du 20 février et les forces vivantes qui le soutiennent.

En continuant avec la même politique makhzennienne pour l’élaboration des constitutions, voici le régime
marocain annonce des « révisions constitutionnelles » via un comité recruté et orienté par le roi sans montrer le
moindre respect à la démocratie connue à l’échelle mondiale pour l’élaboration de constitution démocratique, ce
qui explique notre dénonciation à cette constitution au niveau de sa forme et de son contenu, ainsi que notre
boycotte de ce qu’on a nommé « référendum ».

En revanche, nous avons réalisé concrètement que notre décision a été bien correcte surtout après les informations
des violations que nous avons reçu, avant, durant et après le référendum, ce qui mène à le considérer illégitime,
injuste, et falsifié, et ce qui prouve que le régime marocain refuse de montrer la bonne volonté ni pour répondre
aux revendications légitimes du peuple marocain ni pour établir la démocratie demandée.

Par conséquent, le mouvement du 20 février-coordination rabat, annonce à l’opinion nationale et internationale :

- Que nous dénonçons toutes les méthodes makhzenniennes pour le traitement des revendications légitimes du
peuple marocain, qui est la voie pour une vraie démocratie.
- Que nous dénonçons la violence des forces de répression et leurs collaborateurs, ainsi que l’attaque des médias
officiels contre le mouvement et les forces qui le soutiennent.
- Notre solidarité totale et non conditionnée avec tous les détenus politiques et particulièrement les détenus du 20
février, et nous revendiquons le jugement instantané des tortionnaires qui étaient derrière le décès des martyres du
mouvement.
- Que nous nus accrochons toujours à nos revendications justes et légitimes jusqu’à sa réalisation.
- Que nous continuions à militer en suivant notre programme de lutte.

Nous invitons tous les citoyens et toutes les forces politiques, syndicales, et associatives à la participation massive
à la marche du dimanche 10 juillet 2011, à BAB LHAD à partir de 18:00.

Nous ne nous renonçons pas

Dignité, liberté, justice sociale

Rédigé le 05/07/2011

263
DES EXTRAITS SIGNIFICATIFS DES DISCOURS DE MOHAMMED VI :

« Nous demeurons fidèle à la voie Hassanienne, attaché à la Bay’a qui Nous engage et qui
t’engage, Bay’a qui s’inscrit en droite ligne de celles qui l’ont précédée durant plus de douze
siècles, qui puisse sa substance dans le Livre Saint et la tradition du Prophète, et qui est
intimement liée à la constitution marocaine qui stipule que le Roi, Amir Al Mouminine, est le
représentant suprême de la Nation, le symbole de son unité, le garant de la pérennité et de la
continuité de l’Etat, de la sauvegarde de la religion, de la patrie et de l’unité du Royaume à
l’intérieur de ses frontières authentiques, celui qui veille au respect de la constitution, qui assure
la défense des droits et libertés des citoyens et dont la personne est sacrée et inviolable ».

Discours du 46ème anniversaire de la Révolution


du Roi et du Peuple, le 29 août 1999.

« Nous souhaitons que le Maroc, sous notre règne, aille de l’avant sur la voie du développement
et de la modernité, et qu’il accède au troisième millénaire, doté d’une vision prospective, en
parfaite cohabitation et une entente réciproque avec nos partenaires préservant son identité et sa
spécifité, sans se refermer sur soi, dans le cadre d’une authencité reconfirmée et d’une modernité
qui ne renie nos valeurs sacrées ».

Discours du 30 juillet 1999.

« En tant que commandeur des croyants, il est hors de question que je combatte l’islam. Nous
devons combattre la violence et l’ignorance. Il est vrai que quand nous sortons nous voyons des
femmes avec des foulards et des hommes avec des barbes. Ceci a toujours été le cas au Maroc. Il
y a cette tendance proprement occidentale qui donne une âme aux objets inanimés. Depuis
quelque temps, il ya des foulards "islamiques". Un foulard ne dit pas : "Je suis islamiste". C’est
ridicule. Ou une barbe islamiste. ... La seule chose que je ne tolérerai pas est la violence et
l’ignorance. L’Islam, en tant que religion, est la religion officielle de l’Etat marocain. Il y a aussi
les juifs qui font parfaitement partie intégrante du tissu social. Le commandeur des croyants n’est
pas seulement commandeur des musulmans, mais aussi des croyants (juifs et chrétiens). Mon
grand-père a déclaré une fois qu’il n’y avait pas des citoyens mais rien que des Marocains. Le
Maroc est bâti sur la tolérance ».

Extrait d’une interview à Time, le 26 juin 2000.

264
CHRONOLOGIE SELECTIVE DE LA REPRESSION DES DROITS DE
L’HOMME

1912 : Institution du protectorat et déclenchement de la résistance des tribus

1930 :
- Proclamation du Dahir berbère, manifestations réprimées

1933 :
- 21 décembre Création de la Ligue des droits de l’Homme àTétouan

1944 :
- 11 janvier Manifeste du parti de l’Istiqlal
- 29 janvier Manifestations de rue et répression
1946 :
- Mai/juillet Naissance de l’UGSCM, naissance de l’association Akhouat es-
Safa
1948 :
- 10 décembre Déclaration universelle des droits de l’Homme

1955 :
- Retour de Mohammed V
- Création de l’UMT

1956 :
- 2 mars Fin du protectorat français au Maroc
- 7 avril Fin du protectorat espagnol
- 15 mai Création des Forces armées royales (FAR)
- 26 décembre Congrès constitutif de l’UNEM

1957 :
- 16 juillet Dahir sur la liberté syndicale
- 23 mai Création d’une Cour de justice
1958 : Dahir/ code des libertés publiques

1960 :
- 27 mai Chute du gouvernement, nouveau gouvernement « royal »
- 3 novembre Création d’un Conseil constitutionnel

1961 :

265
- 3 mars Intronisation d’Hassan II

1962 :
- 22 avril Création de l’Union progressiste des femmes du Maroc (UPFM)
- 14 décembre Référendum sur la 1 ère constitution marocaine

1963 :
- 17 mai Elections législatives
- 16 juillet Complot présupposé de l’UNFP

1965 :
- Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
- 23 mars Manifestations des lycées à Casablanca
- 7 juin Instauration de l’état d’exception
- 29 octobre Enlèvement de Mehdi Ben Barka à Paris

1966 :
- Pactes internationaux relatifs aux droits civils, politiques, et aux droits
économiques, sociaux et culturels
1968 :

- Manifestations étudiantes à Paris

1970 :
- 7 juillet Discours royal pour la révision de la constitution
- 22 juillet Création de la Koutlah wataniya (PI et UNFP)
- 24 juillet Référendum constitutionnel

1971 :
- 10 juillet Attentat contre Hassan II dans son palais de Skhirat

1972 :
- Janv-mars Vague d’arrestations dans les milieux de la gauche radicale
- 26 février Verdit du procès des militaires du complot de Skhirat
- 10 mars Nouveau référendum constitutionnel
- 11 mai Création de la Ligue marocaine de défense des droits de
l’Homme
- Octobre Création de la revue Illal Amam, naissance du groupe sous le
même nom

1973 :
- 24 janvier Dissolution de l’UNEM par le gouvernement
- 2 avril Suspension de l’UNFP
- 10 avril Dahir modifiant le code des libertés
- 25 juin-30 août Procès de Kénitra contre les militants de l’UNFP

266
- 31 juillet-2sept Procès de Casablanca contre quatre-vingts marxistes
léninistes
- 7 août Disparition des militaires condamnés dans le bagne de Tazmamart
1974 :
- 27 août Création du Parti du progrès et du socialisme (PPS)
- 15 sept Création de l’USFP, ex-UNFP.
1975 :
- La Marche verte
- 14 novembre Accords tripartites de Madrid entre Espagne, Maroc et Mauritanie
1978 :
- Convention de Copenhague contre la discrimination à l’égard des femmes (ratifiée
par le Maroc le 21 juin 1993)

1979 :
- 24 juin Congrès constitutif de l’AMDH
- 3 août Ratification par le Maroc des pactes internationaux de 1966

1980 :
- Convention contre la tortue (entrée en vigueur en 1987 ratifiée par le Maroc le 21
juin 1993)
Visite d’une délégation d’Amnesty International

1981 :
- 28 mai Manifestations à Oujda, Berkane, Nador
- 20-21 juin Emeutes du pain à Casablanca
- 22 juin Arrestations de responsables de l’AMDH
- 25 juin Annonce d’Hassan II de l’organisation d’un référendum
d’autodétermination au Sahara occidental
- Septembre Proclamation de la DIUDH dans les salons de l’UNESCO à Paris

1983 :
- Décembre arrestation d’Abdessalam Yassine et condamnation à 3 ans
- Emeutes à Casablanca et d’autres villes (des centaines de morts par balles)

1990 : Emeutes dans plusieurs villes, surtout à Fès où on dénombre des centaines de
morts.

267
TABLES DES MATIERES

INTRODUCTION………………………………………………………………………. 3
PARTIE I : SYSTEME POLITIQUE MAROCAIN ET PROBLEMATIQUE DU
CHANGEMENT SOCIAL…...……………………………………………………….. 19
CHAPITRE I : DES MANIFESTATIONS DE RUE A LA REFORME
CONSTITUTIONNELLE ….....…………………………………………………………21
Section 1 : Une déferlante portée par le mouvement du 20 février
………………………………………………………………………..……………….… 23

Paragraphe Une contestation


1: datée du 20 février
………...……………………………………………………………………..……30

Système makhzénien, une veille sécuritaire


Paragraphe 2:
…………………………………………………………………………......36
Section 2 : La réforme constitutionnelle ou la redéfinition du pacte social
…………………………………………………………………………………………... 40

La
Paragraphe délimitation
1: du pouvoir royal
…….…………………….……………………………………………………...…44

Paragraphe 2 : La monarchie, un leadership politique et religieux …….....53

CHAPITRE II : PROCESSUS ELECTORAL ET APAISEMENT SOCIAL


…………………………..………………………………………………………………..58
Section 1 : Renouvellement du personnel politique comme réponse aux vœux de
changement ……………………………………………………….……………………. 58

Paragraphe 1: Portée politique du temps


électoral………………………………………......………………………………59

A- Les héritiers du mouvement national ……………………………..……………. 61


B- Les nouveaux partis liés à l’administration …………………………………….. 64

Paragraphe 2: Pouvoir, makhzen et leadership


………………………………………………………………...……………..…………..68

A- Signification et éléments d’identification …………………...…………………. 68


B- Pour une rénovation du champ partisan …………………………………………71
Section 2: Quand islamisme rime avec détente sociale
……………………………………………………………………………….…………. 77

268
Paragraphe 1 : A l’origine de l’islamisme…………………..…………… 78

A- Islam et monarchie, un enjeu de pouvoir……………………………………….. 82


B- Islamisme, structures et référentiel……………………………………………... 86
Paragraphe 2 : Le PJD, de la prédication à l’action politique …………... 95

Conclusion de la première partie ………………………………………………. 111

PARTIE II : PORTEE ET LIMITES D’UNE HYPOTHETIQUE RESILIENCE DU


SYSTEME POLITIQUE MAROCAIN
…………………………………………………………………………………………. 113
CHAPITRE I : LE DOUBLE POIDS DES PRESSIONS ENDOGENES ET
EXOGENES...…………………………………………………………………………. 115
Section 1 : Résurgence/permanence de l’autoritarisme …………………..………… 116
Paragraphe 1 : Un principe toujours s’actualité « Diviser pour régner » …... 117
A- Sources de la réforme de l’institution du Sultan (les années 30-40)
………………………………………………………………….................. 117
B- Age d’or de la période transitoire (les années 50-60)
……………………………………………….……………………….…. 127

Paragraphe 2 : Une main de fer dans un gant de velours ……........................ 150


Section 2: Répliques du magma social (1981-84 et 90)
……………………….………………………………………………………………… 153
Paragraphe 1 : A la recherche d’un modus vivendi ou l’impulsion de la société
civile …………………………………………………..………………………………. 154
A- L’AMDH, un bourgeon de dénonciation…............................................155
B- Le CCDH, une institution publique non indépendante..……………… 161
C- L’OMDH, une organisation mi-figue mi-raisin..……………………... 166

Paragraphe 2 : Quand l’Etat assume ses égarements …………….…........….. 173


A- Une instance pour l’équité et la réconciliation ……….……………...... 182
B- CNDH : une institution publique indépendante ! ………………...…… 184

CHAPITRE II : CENTRALITE MONARCHIQUE ET REACTIVITE DU SYSTEME


POLITIQUE …………………………………………………….…………………….. 189

269
Section 1: Etat régalien, et reformes homéopathiques d’Hassan
II………………...……………………………………………………………….…….. 190
Paragraphe 1 : Modernité à petits pas et fidélité aux traditions…………….... 193

Paragraphe 2 : Sahara et Palestine au cœur de la mobilisation politique


…………………………………………………………………………….………........ 205
Section 2 : Une ère nouvelle, et un monarque porteur d’une vision .………………. 210
Paragraphe 1: Chantier démocratique et réaménagements
institutionnels………………………………………………………………...... 215

Paragraphe 2 : Chantier social et pari de développement humain


…………………………………………………………………………………. 219

A- L’INDH ou le pari de réhabiliter la ressource humaine ……………………… 221

B- Le chantier de la femme : une réforme emblématique du statut personnel (la


moudawana) .…………………………………...…………..…………………. 226

C- Le tableau noir du chantier éducatif…………………………………………… 230


Conclusion de la deuxième partie ………………………………………….…… 235

CONCLUSION GENERALE.………………………………………………….….... 237


BIBLIOGRAPHIE.……………………………………………………….……….…. 241
ANNEXES.………………………………………………………………………...….. 261
TABLES DES MATIERES.…………………………………………………………. 268

270

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