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René Pépin*
Lex Electronica, vol. 11 n°3 (Hiver / Winter 2007)
http://www.lex-electronica.org/articles/v11-3/pepin.htm
http://www.lex-electronica.org/articles/v11-3/pepin.pdf
INTRODUCTION................................................................................................................................................ 1
1. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX......................................................................................................... 3
2. LES POLITIQUES ET DIRECTIVES DES UNIVERSITÉS ................................................................... 4
3. LA DÉFINITION DU TERME « INVENTEUR ». ..................................................................................... 8
4. LE STATUT DE SALARIÉ.......................................................................................................................... 11
4. COAUTEUR EST-IL ÉQUIVALENT À CO-INVENTEUR?................................................................. 14
CONCLUSION: UNE INCURSION DU CÔTÉ DU DROIT BRITANNIQUE........................................ 15
Introduction
En matière de brevets, certaines notions sont absolument cruciales, notamment celle de
savoir ce qui est brevetable1, et celle de déterminer à qui revient la paternité de
l’invention, car c’est à cette personne qu’est accordé le brevet. L’article 27(1) de la Loi
sur les brevets (ci-après « loi canadienne ») s’exprime en effet en ces termes :
[l]e commissaire accorde un brevet d’invention à l’inventeur (…) si la demande
de brevet est déposée conformément à la présente loi (…)
Dans le contexte universitaire, cette règle, qui semble à première vue une lapalissade,
pose des difficultés particulières. Les principes généraux concernant la notion d’inventeur
ne sont pas suffisants pour couvrir tous les cas. Nous ne pouvons pas nous contenter
d’affirmer que celui ou celle qui ne fait que lancer une idée ou identifier un objectif à
atteindre n’est pas un inventeur au sens de la loi, pas plus que la personne qui n’accomplit
qu’un travail de technicien2. Depuis déjà plusieurs décennies, les activités de recherche
menées dans les universités, surtout dans le cadre de la recherche subventionnée, dans les
domaines scientifiques, ne sont plus le fief d’une seule personne. Elles impliquent
presque toujours une équipe, constituée de personnes qui entretiennent entre elles et
envers l’université des relations juridiques de plusieurs types. On peut identifier un
3
Pour une bonne explication du fondement philosophique de la loi canadienne sur les brevets, voir
les propos du juge Lamer, au nom de la Cour suprême, dans Pioneer Hi-Bred Ltd c. Canada (1989) 1
R.C.S. 1623, aux parags. 23 et ss.
4
Art. 44 de la Loi sur les brevets.
5
Les droits des inventeurs sont énumérés à l’article 42 de la loi : « (…) le droit, la faculté et le
privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de
l’invention ».
6
L’article 48(1) prévoit que le breveté peut renoncer « à tel des éléments qu’il ne prétend pas retenir
au titre du brevet », notamment s’il s’est représenté comme étant l’inventeur, mais il faut que cela ait été
fait « par erreur, accident ou inadvertance ».
7
Voir, H. FOX, The Canadian Law Relating to Letters Patent for Inventions, Toronto, Carswell,
1969, p. 223 : « Any material allegation in the application that is untrue causes a patent to be void ». En
pratique, il faut reconnaître que cela se produit très rarement, car la preuve qu’une allégation a été faite
pour induire en erreur est difficile à faire. Cf. Barrigar, supra, note 2, aux parag. 53.10 à 53.40.
8
Voir art. 43(1) de la loi canadienne.
9
Voir D. GERVAIS et E. F. JUDGE, Intellectual Property : the Law in Canada. Toronto, Carswell,
2005, p. 344, à la note de bas de page 13 : « Unlike copyright and trade-nmark law, U.S. patent law is fairly
similar to Canadian law », et à la p. 346 : « Because of the high degree of similarity between U. S. and
Canadian patent legislation, U.S. developments are usually relevant in a Canadian context… ».
10
Voir le Patent Act (2004) U.K. c. 16, art. 10, modifiant l’article 40 du Patent Act de 1977, (1977)
U.K. c. 37, qui est la loi fondamentale sur le sujet.
11
De même en droit britannique, où l’article 7(1) de la loi de 1977 prévoit que « Any person may
make an application for a patent (…) »
12
En droit britannique, on trouve cette exigence formulée à l’art. 13(1) en ces termes : « The
inventor or joint inventors of an invention shall have a right to be mentioned as such in any patent granted
for the invention… ».
13
Cette disposition ajoute des précisions quant à l’importance de la contribution de chacun des
inventeurs : « Inventors may apply for a patent jointly, even though they did not physicallty work together
or at the same time, each did not make the same type or amount of contributuion, or each did not make a
contribution to the subject matter of every claim of the patent. »
14
En droit britannique, l’article 8(1) de la loi contient une disposition originale en ce sens que toute
personne peut d’adresser au « comptroller », le fonctionnaire chargé d’étudier la demande de brevet, pour
lui demander de se prononcer sur la question de savoir si elle peut se faire reconnaître le titre d’inventeur, et
sur la question de savoir s’il y a eu cession valide d’un brevet. Évidemment, elle conserve également le
droit de s’adresser aux tribunaux.
15
La propriété intellectuelle en milieu universitaire au Québec, Montréal, FQPPU, 2002.
16
Au niveau fédéral, il s’agissait du Rapport Fortier, de 1999, et au niveau québécois il s’agissait
d’une politique énoncée dans le document Savoir changer le monde, de 2001.
17
Voir supra, note 15, aux pp. 68 et 69.
18
Idem, p. 81-87.
19
Voir J-P. VILLAGGI, L’administration publique québécoise et le processus décisionnel,
Montréal, Éditions Yvon Blais, 2006, pp.75-98, et P. ISSALYS et D. LEMIEUX, L’action
gouvernementale. Précis de droit des institutions administratives, Montréal, Editions Yvon Blais, 1997, pp.
107 ss.
20
Art. 1372 C.c.Q.
21
Joany Chou c. U. of Chicago, 254 F.3d 1347 (2001) Décision de la « U.S. Court .of Appeal for the
federal circuit. » Mentionnons qu’aux États-Unis la loi Bay-Dole, entrée en vigueur en 1980, est venue
régler la question des brevets obtenus grâce à des subventions d’un organisme fédéral. Les universités
détiendront les brevets, pourvu que les profits soient partagés avec les inventeurs, et que le gouvernement
se fasse concéder de façon permanente une licence non exclusive. La loi est devenue un amendement à la
loi sur les brevets. Cf. 35 U.S.C., s. 202 (c )(3)-(4), (7). Pour une analyse du droit américain quant aux
recherches financées par un organisme férédal, voir J.S. Gabig, « Federal Research Grants: Who Owns the
Intellectual Property », (1986) 9 Har. J. L. & Pol'y 639.
22
Cette décision est commentée par S. B. SEYMORE, « My patent, Your Patent, or Our Patent?
Inventorship Disputes within Academic Research Groups », (2006) 16 Alb. L.J. Sci. & Tech 125,, p. 145 ss.
23
Idem, p. 1356-7.
24
U. of Western Virginia c. Kurt Vanvoories , 278 F. 3d 1288 (2002). La décision est analysée par S.
SEYMORE, supra, note 22, p. 157 et ss.
25
Idem, p. 1291. Le texte de la décision emploie les mots « university personnel ».
26
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42. L’article 5(1) est ainsi formulé : « … le droit
d’auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci-après, sur toute œuvre littéraire, dramatique,
musicale ou artistique originale… »
27
En matière de brevets, la formulation classique de cette règle est : « Mere conception is not
invention ». Dans le même sens, l’article 27(8) prévoit que: « Il ne peut être octroyé de brevet pour de
simples principes scientifiques ou conceptions théoriques. ».
28
Voir, entre autre, J. S. McKEOWN, Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs,
Toronto, Carswell, 2000, p.58.
29
Apotex inc. c. Wellcome Foundation Ltd, (2002) 4 R.C.S. 153, 21 C.P.R. (4th) 499, 219 D.L.R.
(4th) 660.
30
Idem, au parag. 97.
31
Idem, au parag. 99.
32
Le texte est reproduit supra, à la note 13.
33
Eli Lilly c. Aradigm Corp. 376 F. 3d 1352 (2004).
34
Idem, p. 1359.
35
Ibid.
36
Board of Education et al. c. American Bioscience, inc., 333 F. 3d 1330 (2003).
37
Certains auteurs comparent le fonctionnement des équipes de recherche à celui d’une petite
compagnie. Voir, notamment, S.B.SEYMORE, supra, note 22, p.130.
38
Supra, note 32, p. 1336.
39
Idem, p. 1338.
40
Ibid.
41
Pour être plus complet, il faut ajouter qu’il y a deux autres questions qui se posent lorsqu’on étudie
la notion d’inventeur. Nous avons choisi de ne pas en traiter vu la pauvreté des sources juridiques
canadiennes sur le sujet. Elles ont rapport avec l’exigence que la demande de brevet soit conforme à la
vérité. Se pose alors la question de savoir si les omissions ou ajouts qui peuvent s’avérer faux sont
seulement ceux contenus dans la pétition, ou dans l’ensemble du dossier présenté à l’examinateur des
brevets. L’autre est de savoir, pour déterminer si quelque chose a été fait pour induire en erreur, jusqu’à
quel point l’examinateur doit s’enquérir l’état d’esprit du demandeur de brevet, ou s’il doit se contenter des
documents présentés à l’appui de la demande, et de la conduite du requérant. On pourra avantageusement
consulter sur ces questions les décisions American Bioscience (supra, note 36, p. 1343 et ss.) et Perseptive
Biosystems inc., c. Pharmacia Biotech 225 F. 3d. 1315, p. 1321-22.
42
D. VAVER, Intellectual Property Law, Concord (Ont.), Irwin Law, 1997, p. 147.
43
Voir, par exemple, H. G. FOX, supra, note 7, p. 230, « (…) one main consideration must be kept
in mind. That consideration is the question of contract, express or implied ». Il est aussi bien établi qu'il est
légal pour une personne de céder d'avance ses droits pouvant lui échoir en matière de brevets. Aux États-
Unis, voir S. HALPERN, C. NARD et K. PORT, Intellectual Property, The Hague, Klewer Law
International, 1999, p. 204, au parag. 272. On considère que cette question relève essentiellement du droit
des contrats.
44
Dans les anciennes décisions, on estimait qu’il y avait toujours une clause implicite dans un
contrat d’emploi, de sorte que l’employé se trouvait à agir comme fiduciaire pour son employeur lorsqu’il
inventait quelque chose, mais cela ne reflète plus l’état du droit. Voir M. P. KRATZ, Obtaining Patents,
Toronto, Carswell, 1999, p. 40.
45
Voir Techform Products Ltd, c. Wolda (2000) 5 C.P.R. (4th) 25, au parag. 12. Et Hughes &
Woodley on Patents, Markham (Ont), Butterwotrths, 2005, p. 556, parag. 68 : « (…) the mere existence of
an employment relationship does not disqualify employees from patenting inventions made during the
course of their employment ».
46
H. FOX, supra, note 7, p. 233.
47
Idem, p. 240.
48
Le droit de l’enseignement supérieur, Montréal, Thémis, 1990, pp. 503-4.
49
Idem, p. 504.
50
Pour une analyse très complète de la question, voir S.CHERENSKY, « A Penny for Their
Thoughts: Employee-Inventors, Preinvention Assignment Agreements, Property, and Personhood », (1993)
81 Cal. L. R. 595, particulièrement aux pp. 616-626.
51
S. H. PATEL, « Graduate Students' Ownership and Attribution Rights in Intellectual Property ».
71 Ind. L. J. 481, p.492-5.
52
Ibid. Un auteur a suggéré que la solution soit inversée, i.e. que l'employeur obtienne le brevet,
mais l'employé conserverait toujours une licence gratuite et non exclusive. Voir « Note: Patent Ownership:
an Employer's Rights to his Employee's Invention » (1982-3) 58 Notre Dame L. Rev. 863, p. 887 ss.
53
Pour une étude de ces pratiques, voir P.K. CHEW, « Faculty-Generated Inventions: Who Owns
the Golden Egg? », (1991) 2 Wis. L. Rev. 259.
54
Voir PATEL, supra, note 51, p. 497.
55
Voir la recension des décisions faite par S. PATEL, supra note 50, p. 502.
56
In Re David Harvey Katz, 687 F 2d 450 (1982) (U.S. Court of Customs and Patent Appeals). C.
McSHERRY, supra, note 2, traite de cet arrêt aux pp. 183-5. La décision a été critiquée par plusieurs
personnes qui estiment que le tribunal a agi en fonction d'un préjugé. Ils considèrent qu'il ne serait jamais
arrivé à la même conclusion s'il s'était agi d'un étudiant qui s'était présenté comme le seul véritable
inventeur, après avoir publié un article avec un professeur comme coauteur….
57
Devant l'examinateur, et le Patent and Trademark Office Board of Appeals.
58
C'est le libellé de l'art. 27(3)(a) de la loi canadienne.
59
Il y a cependant eu une dissidence dans cette affaire. Voir les propos du juge Miller, p. 456 et ss. S.
B. SEYMORE, supra, note 22, p. 162 ss, traite d'un autre cas notoire survenu aux États-Unis, qui ne s'est
pas cependant retrouvé devant les tribunaux. Mais il illustre bien le genre de difficultés qui peuvent se
présenter. Une personne, du nom de Schwartz, un chimiste de niveau post-doctoral, s'était joint pour un an
à une équipe de plus de 25 chercheurs de l'Université North Western. Des difficultés sont survenus avec
des membres de l'équipe quand il a voulu publier un article, sur le nom et le nombre de coauteurs.
L'Université a aussi été impliquée dans l'affaire, vu qu'elle avait une politique en matière de brevets à l'effet
que les chercheurs doivent lui céder tous les brevets à obtenir. Quand l'équipe a eu publié elle-même le
résultat de ses travaux, cela mettait en branle le délai d'un an maximal mentionné dans les lois canadienne
et américaine entre le moment du dévoilement d'une invention et la demande de brevet. Schwartz était ici
prix entre deux feux, entre son éditeur qui ne voulait pas publier tant que la dispute avec l'équipe n'était pas
résolue, et entre l'université qui ne voulait pas trancher le litige qui l'opposait aux autres chercheurs quant à
la paternité de l'invention…
60
Pour ne prendre que cet exemple, il y a à l'Université de Sherbrooke depuis 2001 une Politique sur
la protection de la propriété intellectuelle des étudiantes et des étudiants et des stagiaires postdoctoraux de
l'Université de Sherbrooke. Disponible à partir du site web de l'institution: www.usherbrooke.ca
61
Voir T.A. BLANCO WHITE, Patents for Inventions, London, Stevens & Sons, 1983, p. 197 et ss.
62
Pour une étude de ces articles, voir Halsbury's Laws of England, London, Butterworths, 1994, vol.
35, parag. 393 et ss.
63
Le libellé est: « (…) the circumstances in either case were such that an invention might reasonably
be expected to result from the carrying out of his duties ».
64
La formulation est : « Where it appears to the court or the comptroller (…) that the patent is
(having regard among other things to the size and nature of the employer's undertaking) of outstanding
benefit to the employer and that by reason of those facts it is just that the employee should be awarded
compensation to be paid by the employer, the court or the comptroller may award him such compensation
of an amount determined under section 41 below ». L'article 41(4) énumère les éléments qui devront être
pris en considération pour assurer une part équitable (« fair share ») à l'employé: la nature de ses activités,
sa rémunération et autres avantages sociaux, les efforts et l'habileté déployés par lui et d'autres personnes se
consacrant à la même tâche, et toute autre contribution qu'il a pu faire, que ce soit des avis dispensés, une
assistance quelconque, ses habiletés en tant qu'administrateur ou dans le domaine des affaires.
65
La loi dit: « (…) shall be unenforceable against him (…) ».
66
Supra, note 62, au parag. 404, p. 245.
67
Patent Act, 2004, U.K. c. 16.
68
Une modification équivalente a été faite dans la formulation de l'article 40(2).