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La brevetabilité du logiciel :

Dans cette introduction, on dira quelques mots d’abord sur la définition


et le contenu des brevets d’invention, puis sur l’histoire des brevets
d’invention.
Le brevet d’invention peut être défini comme un titre délivré par l’Etat et
en vertu duquel le titulaire ou ses ayants droit bénéficient, moyennant
l’exécution de certaines obligations, d’un droit exclusif temporaire
d’exploitation de l’objet d’une invention, susceptible d’application
industrielle.
Cette définition doit être commentée avec le dessein de faire en
particulier ressortir les différences qui existent entre les brevets et le
droit d’auteur.

1. Le brevet confère des droits.

A priori, il y a une certaine ressemblance à cet égard avec le droit


d’auteur, en effet, comme dans le droit d’auteur, on rencontre ici un
monopole, c’est-à-dire des droits pécuniaires et aussi un droit moral.
A l’heure actuelle, la durée du monopole est, pour les brevets, de 20 ans
à partir de la demande qui en est faite.

2. C’est aussi cette préoccupation de l’intérêt général

C’est ce qui explique que, en contrepartie des droits qui lui sont
conférés, l’inventeur doit se soumettre à des obligations. En effet, en
contrepartie du monopole, le breveté contracte un certain nombre
d’obligations

a ) obligation de porter à la connaissance du public l’invention brevetée


par l’intermédiaire de l’organisme national de la propriété industrielle ;
b) obligation de payer des redevances annuelles, appelées annuités
c ) obligation d’exploiter par lui-même ou par le fait de tiers l’objet du
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brevet sous peine de sanctions.

3. Une autre différence importante

Entre le droit des brevets et le droit d’auteur est que la protection des
brevets, à la différence de la protection du droit d’auteur, est
subordonnée à des formalités. L’invention en elle-même n’emporte
aucun droit, si ce n’est celui de demander le brevet. Il faut solliciter un
titre pour obtenir des droits.

Le plan adopté pour l’étude du droit des brevets se présente comme


suit:
Sous-Chapitre I — La brevetabilité.
Sous-Chapitre II — La procédure de délivrance des brevets.
Sous-Chapitre III — Les droits et obligations des titulaires de brevets.

Sous-Chapitre I : La brevetabilité

La brevetabilité couvre l’ensemble des conditions de fond auxquelles est


subordonnée la validité des droits attachés aux brevets. Ces conditions
sont formulées dans la Loi n° 2000-84 du 24 août 2000, relative aux
brevets d’invention au chapitre 1 consacré aux inventions brevetables.
On peut considérer qu’il existe des conditions positives et des conditions
négatives.
Les conditions positives sont énoncées à l’article 2 paragraphe 1 de la loi
qui dispose que « Le brevet est délivré pour les inventions nouvelles
impliquant une activité inventive et susceptibles d’application
industrielle». Ce même article dispose dans son paragraphe 2 que : « Ne
sont pas considérées comme inventions au sens de l’alinéa premier du
présent article, notamment :
a- les créations purement ornementales ;
b- les découvertes et les théories scientifiques ainsi que les méthodes

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mathématiques;
c- les plans, principes et méthodes destinés à être utilisés :
- dans l’exercice d’activités purement intellectuelles,
- en matière de jeu,
- dans le domaine des activités économiques,
- en matière de logiciels.
d- les méthodes de traitement thérapeutique et chirurgical du corps
humain ou de l’animal et les méthodes de diagnostic appliquées au
corps humain ou à l’animal. Ces dispositions ne s’appliquent pas aux
préparations et notamment aux produits et compositions utilisés aux
fins de l’application de l’une de ces méthodes.
e- les présentations d’informations ;
f- toutes sortes de substances vivantes existant dans la nature.
Les exceptions des dispositions de l’alinéa 2 du présent article
concernant la brevetabilité des éléments énumérés ne s ‘appliquent
qu’aux dits éléments considérés en tant que tels ».
Cette loi ajoute dans son article 3 que : « Le brevet ne peut être délivré
pour :
- Les variétés végétales, les races animales ou les procédés
essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux.
Toutefois, cette disposition ne s’applique pas aux procédés biologiques
médicaux et aux produits obtenus par ces procédés ;
- Les inventions dont la publication ou la mise en œuvre seraient
contraires aux bonnes mœurs, à l’ordre public, à la santé publique ou à
la sauvegarde de l’environnement ».
Dès lors, voici quel sera le plan. Dans les deux premières sections, on
étudiera les conditions positives et les conditions négatives de
brevetabilité.

SECTION 1ère : Les conditions positives de la brevetabilité

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Pour reprendre les termes de l’article 2 de la loi, on examinera tour à
tour l’exigence du caractère industriel de l’invention, puis celle de la
nouveauté de ladite invention et enfin l’exigence de l’activité inventive.
SOUS-SECTION 1 L’exigence de la nouveauté de l’invention
Elle est posée par l’article 2 de la loi et définie par l’article 4 de la même
loi qui dispose que : « Est nouvelle l’invention qui n’est pas comprise
dans l’état de la technique. L’état de la technique est constitué par tout
ce qui a été rendu accessible au public, avant la date de dépôt de la
demande de brevet ou de la date de priorité valablement revendiquée
pour cette demande, et ce, par une description écrite ou orale, un usage
ou tout autre moyen.
L’état de la technique comprend également le contenu de toute
demande de brevet tunisien dont la date de dépôt ou, le cas échéant, de
priorité est antérieure à la date de la demande de brevet visée à l’alinéa
2 du présent article, et qui n’a été publiée qu’à cette date ou à une date
postérieure ».

I. Définition de la nouveauté

L’article 2 de la loi de 2000 dispose que « une invention est considérée


comme nouvelle si elle n ‘est pas comprise dans l’état de la technique ».
L’article 4 explique ce que l’on doit entendre par « état de la technique
». Il dit en substance que « l’état de la technique est constitué par tout
ce qui a été rendu accessible au public ... avant la date du dépôt de la
demande de brevet ». L’état de la technique n’est pas constitué par
l’ensemble des connaissances acquises en général il l’est seulement par
l’ensemble des connaissances acquises qui sont déjà divulguées et qui
sont comme telles accessibles au public. Dire d’une invention qu’elle est
nouvelle, c’est exiger qu’au moment du dépôt de la demande de brevet,
elle n’ait pas encore été révélée au public a contrario, la divulgation met
obstacle à la brevetabilité.

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Celle règle s’explique par une pensée de sauvegarde des intérêts de la
collectivité, L’Etat ne protège l’inventeur que si celui-ci rend service à la
Société. Or, il ne rend service à la Société que s’il lui révèle une
invention. Il n’y a aucune raison, en revanche, pour que la Société lui
accorde un monopole si, au moment où il présente sa demande de
brevet, l’invention qu’il invoque est déjà connue.
C’est dire que la nouveauté s’apprécie de façon objective, absolue. Dans
ces conditions, si deux inventeurs font, chacun de leur côté, la même
découverte, certes ils sont tous deux des créateurs. Mais seul aura un
brevet celui des deux inventeurs qui en aura fait le premier la demande,
c’est ce que la doctrine appelle le régime du premier déposant (first to
file), par contre les Etats Unis d’Amérique consacrait un autre régime a
savoir celui du premier inventeur (first to invent) qu’elle a abandonné Le
16 mars 2013, les États-Unis d’Amérique en adoptant le système du
premier déposant. En définitive, l’inventeur doit veiller à ce que
l’invention ne soit pas divulguée avant qu’il ne demande un brevet pour
elle.

II. Les événements qui mettent obstacle à la nouveauté

Il s’agit de la divulgation. Il faut préciser où, comment et quand elle doit


avoir lieu pour mettre obstacle à la nouveauté.

A. Le lieu de divulgation

La loi tunisienne adhère à une conception large de la divulgation et


regarde comme destructrice de la nouveauté non seulement la
divulgation en Tunisie, mais même la divulgation à l’étranger. En effet,
peu importe l’endroit où ont eu lieu les faits de publicité. L’essentiel est
qu’il ait été possible d’en prendre connaissance dans les milieux de
spécialistes.

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B. Le mode de divulgation

1. L’article 4 parlant d’une « description écrite ou orale », il en résulte


d’abord que peu importe que la divulgation ait eu lieu par écrit ou
oralement.
2. Ce texte traitant aussi d’une divulgation par « un usage ou tout autre
moyen », c’est dire que la vente, la mise en vente, la publicité préalable
à la vente du produit inventé détruisent la nouveauté au même titre
qu’un article ou une conférence traitant de l’invention. Cependant, il
n’y a divulgation que si l’invention a été portée â la connaissance
du public d’une manière suffisante pour en permettre l’exécution.

C. Le moment de la divulgation

Pour qu’elle détruise la nouveauté, il faut que la divulgation ait lieu avant
le dépôt de la demande de brevet. Donc, si la divulgation n’a lieu
qu’après ladite demande, elle n’est pas destructrice de la nouveauté.
Ainsi ne sera pas destructrice de la nouveauté, la divulgation qui se
produirait entre le jour du dépôt de la demande et le jour où le brevet
est délivré.

SOUS-SECTION 2 L’exigence de l’activité inventive

L’article 2 de la loi de 2000 porte que, pour être brevetable, une


invention doit « impliquer une activité inventive ». En posant cette
condition de brevetabilité, la loi tunisienne s’est rapprochée d’un grand
nombre de Droits étrangers. Ainsi, en Allemagne, la brevetabilité est
subordonnée à une certaine « hauteur inventive », aux Etats-Unis à un «
éclair de génie».
A quoi correspond l’exigence de l’activité inventive ?
Elle signifie qu’il ne suffit pas qu’une invention soit nouvelle pour donner
prise à un brevet. Encore faut-il que l’invention n’ait pas pu venir à

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l’esprit de n’importe quel technicien, du seul fait de ses connaissances et
de son expérience. Il y a un degré de banalité et de simplicité en-deçà
duquel l’innovation technique ne mérite pas le titre d’invention.
Le statut de l’activité inventive a été établi par l’article 5 de la loi
disposant que : « Une invention est considérée comme impliquant une
activité inventive si, pour un homme du métier elle n’est pas évidente, et
ce, en comparaison avec l’état de la technique à la date du dépôt de la
demande de brevet ».

SOUS-SECTION 3 L’exigence du caractère industriel de l’invention

Dans la loi de 2000, cette question était abordée dans l’article 2 de la loi,
celui-ci donnant d’abord une définition du caractère industriel de
l’invention.
La loi de 2000, a fait figurer les développements sur le caractère
industriel à l’article 6. Qui dispose : « Une invention est considérée
comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être
fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, ou dans l’agriculture ».
En effet, les inventions ne sont brevetables, que si une application dans
le domaine de l’industrie existe et si la demande de brevet précise les
applications industrielles dont elles sont susceptibles. Ces exigences
reposent sur l’idée que l’attribution d’un monopole temporaire
d’exploitation se fait en échange de connaissances mises à la disposition
du public ; les droits exclusifs constituent la contrepartie à
l’enrichissement de l’état de la technique. Cependant, si le terme même
d’industrie n’est pas défini par les textes, il est admis, depuis longtemps,
qu’il doit être pris dans son acception la plus large. La référence explicite
au secteur agricole conforte la conception extensive du terme industrie
qui doit dépasser son seul sens économique. L’industrie est « toute
action de l’homme pour façonner ou utiliser la nature et la matière ».
L’exigence d’application industrielle traduit le caractère concret que doit

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présenter l’invention. L’invention doit appartenir, non pas au domaine
des abstractions, mais à celui des réalisations: elle doit porter non pas
sur un principe abstrait, mais une conception mise en œuvre dans
l’industrie.
Le caractère alternatif de l’aptitude de l’invention à être utilisée ou
fabriquée dans l’industrie rend la condition d’application industrielle
relativement souple.

SECTION 2 Les conditions négatives de brevetabilité : Les


exclusions de brevetabilité

On suppose qu’on se trouve en présence d’inventions qui, par elles-


mêmes, revêtent un caractère brevetable parce qu’elles ont un caractère
industriel, qu’elles sont nouvelles et qu’elles impliquent une activité
inventive. Elles remplissent les conditions positives de brevetabilité.
Alors il arrive que, pour des raisons d’intérêt général ou tout brevet est
refusé.
La loi de 2000 prévoit de nombreux cas d’exclusion de brevetabilité. On
les classera en trois groupes, en disant que le refus de protection est dû
tantôt au caractère abstrait de l’invention (I), tantôt à des raisons
éthiques (II), tantôt au fait que l’invention bénéficie déjà d’un autre type
de protection (III).

I. Les cas d’exclusion de brevetabilité tenant au caractère


abstrait de l’invention

Entrent dans cette catégorie les trois cas suivants :


1. L’article 2 paragraphe 2 dispose que : « Ne sont pas considérées
comme inventions au sens de l ‘alinéa premier du présent article,
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notamment :
a- les créations purement ornementales ;
b- les découvertes et les théories scientifiques ainsi que les méthodes
mathématiques ». En effet, les découvertes ainsi que les théories
scientifiques et les méthodes mathématiques sont exclues du domaine
de la brevetabilité.
La solution met l’accent sur le fait que le brevet concerne, non pas la
science pure, mais la science appliquée. Par exemple, la découverte du
radium n’a pas donné prise en soi à un brevet. Ce sont seulement les
utilisations pratiques du radium qui sont susceptibles d’être brevetables
car elles sont seules susceptibles d’application industrielle.
2. Ce même article dispose dans son paragraphe 2 c que «
- les plans, principes et méthodes destinés à être utilisés
- dans l’exercice d’activités purement intellectuelles,
- en matière de jeu,
- dans le domaine des activités économiques,
- en matière de logiciels. »
a) Sans doute les principes et méthodes destinés à être utilisés
dans le domaine des activités économiques contribuent à l’essor de
l’industrie et du commerce en suscitant le concours de capitaux
nécessaires. Aussi les règles de comptabilité et de calcul accélèrent les
opérations et facilitent les relations entre fournisseurs, clients ou
bailleurs de fonds. Mais les innovations apportées dans ces deux
domaines ne débouchent pas directement sur la construction d’un
nouveau prototype de machine ou l’élaboration d’un procédé, de
fabrication. Il n’y a place pour un brevet qu’à propos de machines ou
appareils concrets d’application d’un système abstrait. Ainsi, on ne peut
faire breveter une méthode de calcul, mais une machine à calculer est
tout à fait susceptible d’être brevetable.
b) Ce même article précité exclut aussi du bénéfice de la

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brevetabilité les programmes d’ordinateurs. Il s’agit là d’un
problème très difficile. Que les ordinateurs eux-mêmes puissent être
brevetés, tout le monde en est bien d’accord. Mais, là où il y a
divergences c’est lorsqu’il s’agit de savoir si l’on peut breveter aussi les
programmes d’ordinateurs. Certains disent qu’un programme
d’ordinateur n’est pas brevetable parce qu’il relève d’un système
strictement abstrait. Mais ce raisonnement est critiqué par d’autres qui
sont sensibles au fait que la création de programmes coûte souvent fort
cher et qui considèrent qu’il serait inique que cette création soit privée
de protection et que quiconque puisse, sans rémunération, profiter du
travail d’autrui.
Ce dernier raisonnement n’a cependant pas convaincu le législateur
tunisien. Il semble que la raison qui a conduit à écarter la brevetabilité
est que certains pensent que les programmes d’ordinateurs pourraient
être protégés par le droit d’auteur. La forme sous laquelle le programme
a été rédigé pourrait, selon certains, donner prise à une propriété
littéraire.
3. L’article 2 de la loi paragraphe e dispose que les présentations
d’informations sont exclus de la brevetabilité. On peut donner comme
exemple un dispositif de signalisation routière. En effet, la présentation
d’informations peut être rapprochée des méthodes dont il a toujours été
admis qu’elles n’étaient pas brevetables.

II. Les cas d’exclusion de brevetabilité pour des raisons éthiques

A. Les inventions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs

La loi de 2000 indique que «ne sont pas brevetables les inventions dont
la publication ou la mise en œuvre serait contraire à l’ordre public ou aux
bonnes mœurs ». Ainsi en serait-il par exemple d’une invention
concernant un appareil destiné à l’exploitation d’un jeu de hasard. Mais
l’application de ce texte paraît rare.
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Quelle est la sanction de cette règle ? La sanction est double :
- D’une part, lors de l’examen de la demande de brevet par
l’Administration, s’il apparaît que l’invention est contraire à l’ordre public
ou aux bonnes mœurs, le brevet sera refusé.
- D’autre part, on peut supposer que l’Administration de l’institut
national de la Propriété industrielle ait commis l’erreur d’accorder un
brevet à une invention contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
En ce cas, il est possible de faire tomber le brevet par une action en
nullité de celui-ci intentée devant les tribunaux judiciaires.

B. Les races animales, les procédés d’obtention de végétaux ou


d’animaux

L’article 3 de la loi dispose que : - Le brevet ne peut être délivré pour :


- Les variétés végétales, les races animales ou les procédés
essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux. » ; Il
s’agit en somme des produits naturels vivants. Il semblerait contraire à
la morale que quelqu’un puisse s’approprier un monopole sur ces
produits. Ce sont donc des raisons d’ordre éthique qui font ici écarter la
brevetabilité.
La brevetabilité du vivant reste un sujet très controversé. Ainsi aux
Etats-Unis en 1987 a été pris un brevet sur une souris au patrimoine
génétique modifié.

C. Les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du


corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic
appliquées au corps humain ou animal

Ces dispositions ne s’appliquent pas aux préparations et notamment aux


produits et compositions utilisés aux fins de l’application de l’une de ces
méthodes. Cette solution est logique. En effet, l’on sait qu’il est
traditionnel d’exclure les méthodes du champ de brevetabilité. D’autre
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part, cette exclusion se recommande aussi par des raisons d’ordre
moral. Il ne faut pas que quelqu’un puisse avoir un monopole sur
quelque chose d’aussi essentiel pour l’avenir de l’humanité.

III. Les cas d’exclusion de brevetabilité du fait de l’existence


d‘autres protections

Il existe deux cas de ce genre.


a) Les créations esthétiques : Ces créations ne sont pas susceptibles
d’être brevetées. En effet, elles bénéficient déjà d’autres protections, à
savoir le droit d’auteur.
b) Les obtentions végétales : Traditionnellement, on admet qu’il faut
exclure du domaine de la brevetabilité les produits agricoles. Ils ne
peuvent être brevetés, parce qu’ils proviennent, non d’une activité
humaine industrielle, mais de l’action des forces naturelles, simplement
stimulées, dirigées par la main de l’homme. Cependant, aujourd’hui,
l’ingéniosité des hommes imagine des types artificiels de plantes et de
semences par des combinaisons que la nature, livrée à elle-même,
n’aurait probablement pas pu réaliser aussi un mouvement d’opinion
s’est développé à l’effet d’instituer une protection des « nouveautés
végétales » ou, comme on dit souvent, des « obtentions végétales ». Le
2 décembre 1961 a été signée à Paris, une convention internationale qui
a pour objet la protection des « obtentions végétales. L’idée générale qui
est que les obtentions végétales donnent lieu â délivrance de titres
particuliers, les « certificats d’obtention végétale » qui confèrent un
monopole de 20 ans sur la production de la variété considérée. Ce titre
ressemble à un brevet, mais ne peut pourtant être assimilé à celui-ci.

Sous-Chapitre II La procédure de délivrance des brevets

On distinguera dans ce chapitre, d’une part le dépôt du dossier de la


demande et d’autre part les pouvoirs de l’Administration saisie d’une
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demande de brevet.

SECTION 1 Le dépôt du dossier de la demande

On distinguera:
- les personnes habilitées à demander un brevet,
- les conditions de forme de la demande de brevet,
- les effets attachés à la demande de brevet.

SOUS-SECTION 1 Personnes habilitées à demander un brevet

On verra tour à tour:


- qui a droit au brevet,
- la question des inventions de salariés.

I. Qui a droit au brevet?

Deux systèmes sont possibles pour la détermination de la personne qui a


droit au brevet. Selon un premier système, le droit de demander le
brevet est attribué au premier inventeur. C’est en effet à l’inventeur et à
l’invention première en date qu’il paraît légitime d’accorder le droit à la
protection. Mais, dans la pratique, l’application de ce système soulève de
graves difficultés. Des controverses peuvent naître sur le point de savoir
qui est véritablement le premier inventeur. Ce système était consacré au
Etats Unis, il a été abandonné en 2013 au profit du système du premier
déposant.
Le second système consiste à attribuer le droit au brevet au premier
déposant, c’est-à-dire â la première personne qui a demandé la
délivrance. Ce système est justifié sur le plan théorique par le fait que la
protection ne naissant pas de l’invention, mais du brevet, il est normal
qu’il appartienne à la première personne qui l’a demandé et obtenu.
Concernant le droit tunisien, la loi sur les brevets d’invention de 2000 se
rallie au second système. C’est ce que prévoit l’Art. 7. - Le droit à un
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brevet d’invention au sens de l’article premier de la présente loi
appartient à l’inventeur ou à ses ayants droit. Dans la procédure à suivre
auprès de l’Organisme chargé de la propriété industrielle, le déposant de
la demande de brevet est réputé avoir droit au brevet.
Lorsque plusieurs personnes ont, indépendamment les unes des autres,
fait la même invention, le droit au brevet appartient à celle qui a procédé
au dépôt en premier.

II. Les inventions des salariés

La question posée est celle de savoir à qui appartient l’invention faite par
un salarié au salarié ou à l’employeur?
La loi de 2000 avait abordé le problème des inventions de salariés et
prévoit deux grandes sortes d’inventions de salariés, les inventions de
service et les autres inventions. Le texte à appliquer est les articles Art.
10. Qui dispose que « L’invention faite dans le cadre d’une relation de
travail, par un employé tenu de par ses fonctions effectives d’exercer
une activité inventive, des études et des recherches qui lui sont
expressément confiées, appartient à l’employeur.
L’invention faite dans le domaine d’activité de l’employeur, par un
employé non tenu par son travail d’exercer une activité inventive, et
grâce à l’utilisation de données ou de moyens qui lui sont accessibles du
fait de son emploi, appartient à l’employé ».
Cet article distingue entre deux types d’inventions de salarier, d’une part
les inventions de service d’autre part les inventions hors exercice du
contrat de travail.

1. Les inventions de service

L’article 10 paragraphe 1 de la loi les définit comme celles que le salarié


fait ou dans l’exécution d’un contrat de travail comportant une mission
inventive qui correspond à ses fonctions effectives, ou dans l’exécution
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d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées.
Ces inventions sont la propriété de l’employeur.

2. Les autres inventions

Le texte de l’article 10 paragraphe 2 dit qu ‘elles appartiennent au


salarié inventeur. Cependant ici une subdivision est opérée.
a) Le texte fait une place à part aux inventions faites par un salarié, soit
dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des
activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation de
techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise ou de données
procurées par elle.
Ces inventions appartiennent au salarié. Toutefois l’employeur pourra, à
sa demande, se faire attribuer, en totalité ou en partie, les droits
attachés au titre de propriété industrielle protégeant l ‘invention en
question. Si l’employeur adopte une telle attitude, le salarié aura droit en
contrepartie à un juste prix. On tend a appeler ces inventions les
inventions à option pour tenir compte du choix que la loi laisse à
l’employeur dans cette hypothèse. b) Quant aux autres inventions qui
n’intéressent pas directement l’employeur, elles sont et restent la seule
propriété du salarié, comme l’étaient les inventions libres. Il n’y a pas ici
d’option pour l’employeur.

3. Obligations respectives de l’employeur et du salarié

Pour la mise en œuvre du système ci-dessus décrit, un certain nombre


d’obligations pèsent sur l’employeur et sur le salarié.
L’article 11 de la loi en énumère la liste : le salarié auteur d’une
invention en informe son employeur. L’employeur accuse réception de
cette information. Le salarié et l’employeur doivent se communiquer tous
renseignements utiles sur l’invention en cause. Ils doivent s’abstenir de
toute divulgation de nature à compromettre en tout ou en partie
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l’exercice des droits conférés par la présente loi. Cet article dispose : «
L’employé auteur d’une invention au sens de l’article 10 de la présente
loi en fait immédiatement la déclaration à l’employeur conformément
aux dispositions des articles 12 et 16 de la présente loi ».

SOUS-SECTION 2 Les conditions de forme de la demande de


brevet

Cette question est régie par le chapitre II de la loi.

I. Première condition la description et les dessins

1. La description

La loi de 2000 prévoit que l’invention doit être exposée dans la demande
de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme
du métier puisse l’exécuter. La description comporte un certain nombre
de mentions (indication du domaine technique auquel se rapporte
l’invention, indication de l’état de la technique antérieure, exposé de
l’innovation, etc.).

2. Les dessins

Il n’y en a pas obligatoirement. Ils ne sont exigés que s’ils apparaissent


nécessaires à la compréhension de la description. La loi précise que les
dessins servent à interpréter les revendications.

II. Deuxième condition les revendications

La loi de 2000 exige, dans le dossier constitutif de la demande, la


présence d’une ou plusieurs revendications.
La loi de 2000 permet de préciser les conditions et les effets des
revendications.

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1. Conditions

a) Conditions de forme : la loi sur les brevets porte que les revendications
« doivent être claires et concises ».
b) Conditions de fond : Elles concernent le lien entre les revendications et
la description. La loi sur les brevets précise que « les revendications
doivent se fonder sur la description ». Le lien entre revendication et
description est très important car l’Administration peut rejeter la
demande de brevet dont les revendications ne se fondent pas sur la
description.

2. Effets

Les effets des revendications concernent l’étendue de la protection


conférée par le brevet. La loi sur les brevets énonce à cet égard que «
les revendications définissent l’objet de la protection demandée ». En
effet, l’étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée
par la teneur des revendications. Mais, comme on l’a rappelé déjà, le
texte ajoute : « la description et les dessins servent à interpréter les
revendications. En fin de compte, l’étendue du brevet est soumise à une
double limitation : revendications et description.
La solution apparait bonne. Le brevet d’invention apporte une limite au
domaine public. Avec le caractère limitatif des revendications, la
situation sera plus claire et le domaine public ne sera pas limité au-delà
du raisonnable. Seules les revendications expresses feront l’objet d’un
monopole.
Compte tenu des effets attachés aux revendications, il est important de
savoir si et dans quelle mesure elles sont susceptibles d’être modifiées.
Pour être bref on se contentera de dire qu’on peut classer ces
modifications en trois catégories : celles qui sont spontanées, c’est-à-
dire celles que le déposant fait de sa propre initiative, celles qui sont
suggérées au déposant par l’Administration, celles qui sont imposées au
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déposant par le juge, à la suite d’une décision d’annulation du brevet.

Sous-Chapitre III Les droits et obligations des titulaires de


brevets

On verra tour à tour les droits et les obligations dans deux sections.

SECTION I Les droits

Il existe un droit moral et des droits pécuniaires. On n’évoquera donc


plus ici que les droits pécuniaires.
On verra le champ d’application des droits pécuniaires dans l’espace et
dans le temps, puis le contenu desdits droits.

SOUS-SECTION 1 Champ d’application des droits pécuniaires


dans l’espace et dans te temps

I. Champ d’application des droits pécuniaires dans l’espace

Pour un brevet délivré en Tunisie, ce champ d’application est limité au


territoire tunisien. Ceci est une conséquence du caractère strictement
national des brevets d’invention. Comme on l’a déjà dit, cette
territorialité des brevets tient à ce que l’octroi d’un brevet est une
manifestation de souveraineté d’un pays.

II. Champ d’application des droits pécuniaires dans le temps

Concernant les brevets, la durée du monopole qui les concerne est de 20


ans. Le point de départ du délai est aussi le dépôt de la demande.

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Le système comporte cependant une certaine souplesse. En effet des
taxes sont exigibles chaque année des brevetés et le défaut de paiement
entraîne la déchéance. Dans ces conditions, si un breveté trouve, avant
l’expiration des 20 ans, que le brevet lui coûte trop cher, il lui suffit de
cesser de payer les annuités et il sera déchu du brevet.

SOUS-SECTION 2 Contenu des droits pécuniaires

On parlera d’abord de la portée du monopole conféré par le brevet, puis


de la mise en œuvre du monopole.

I. Portée du monopole conféré par le brevet

On distinguera l’objet du droit (A) et les prérogatives du droit (B).

A. L’objet du droit de brevet

La loi de 2000 dispose que « L’étendue de la protection conférée par le


brevet est déterminée par la teneur des revendications. Toutefois, la
description et les dessins servent à interpréter les revendications » et
l’article ajoute « Si l’objet du brevet porte sur un procédé, la protection
conférée par le brevet s’étend aux produits obtenus directement par ce
procédé ».

B. Les prérogatives du brevet

Elles sont énumérées par le législateur. On verra tour à tour le contenu


des prérogatives du breveté (1) et les limites desdites prérogatives (2)
et enfin l ‘action en déclaration de non-contrefaçon (3),

1. Le contenu des prérogatives du breveté

Il est précisé par la loi de 2000 qu’il est interdit aux tiers d’exploiter
commercialement une invention brevetée, sauf, bien entendu, accord du

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breveté.
Si on veut résumer, on dira;
a) qu’ils interdisent à un tiers de fabriquer, d’utiliser, de vendre ou de
détenir un produit ou un procédé breveté
b) que si la fabrication faite à l’étranger en violation d’un brevet
tunisien n’est pas condamnable en Tunisie en raison des limites de
la souveraineté tunisienne, l’importation des objets tombe sous le coup
de cette loi ;
c) que la loi interdit aussi « la mise dans le commerce sous une autre
forme» que la vente ou la mise en vente d’un objet fabriqué sans
l’autorisation du breveté. Donc une simple location ou un prêt portant
sur un objet contrefait sont interdits
d) que la loi interdit aussi de livrer à un tiers licencié (on verra plus loin
ce que sont les licences) des moyens en vue de la mise en œuvre d’une
invention brevetée. Ainsi le commerçant qui fournit à un contrefacteur le
matériel ou les ingrédients qui serviront à la contrefaçon accomplit un
acte illicite.

2. Les limites des prérogatives du breveté

Il s’agit des cas où le breveté ne peut pas invoquer un monopole. En


effet, le breveté ne peut s’opposer aux actes d’usage domestique ni aux
actes d’usage expérimental qu’un tiers fait de l’objet breveté.
En effet, ce que le brevet couvre, ce sont seulement les actes d ‘usage
industriel ou commercial. Or, un acte d’usage domestique ou
expérimental ne s’identifie pas à un acte d’usage industriel ou
commercial. Par exemple celui qui achète des appareils de cuisine
contrefaits pour les usages de son ménage ne peut être poursuivi pour
usage illicite au contraire l’hôtelier qui met à la disposition des voyageurs
dans son hôtel un ascenseur fabriqué par un contrefacteur commet le
délit de contrefaçon par usage commercial. Cette distinction est

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traditionnelle en Droit des brevets.
Enfin, le droit tunisien introduit une autre limitation au droit du breveté.
Il s’agit d’un texte consacrant la théorie dite de l’épuisement du droit du
breveté. Ceci veut dire qu’à partir du moment où le produit breveté a été
commercialisé par le breveté ou par un tiers avec le consentement du
breveté, le breveté ne peut plus avoir de droit de regard sur l’usage que
l’acheteur peut faire du produit.

II. Mise en œuvre du monopole

On doit d’abord donner ici quelques indications sur les contrats.


Ces contrats sont de deux sortes. L’on distingue les cessions de brevets
et les concessions de licence. Dans la cession de brevet, le cédant se
dessaisit de la propriété du brevet. Dans la concession de licence,
l’inventeur conserve la propriété du brevet et se contente de conférer au
licencié un droit d’exploitation.
La différence pratique essentielle entre la cession et la licence est que,
lorsqu’il y a cession, le cédant ne peut plus exploiter l’invention. Au
contraire, lorsqu’il y a eu simple concession de licence, le concédant,
sauf stipulation contraire, conserve la faculté d’exploiter le brevet
concurremment avec le licencié.
D’autres différences pratiques entre cession et licence concernent
l’exercice de l’action en contrefaçon.
A propos de licence, il faut encore ajouter qu’elles sont susceptibles
d’être de deux types. La licence peut être exclusive, auquel cas le
breveté s’interdit d’accorder une licence à une autre personne que celle à
qui il l ‘a d’abord octroyée. Il arrive aussi que la licence soit simple, non
exclusive dans cette hypothèse, elle laisse à celui qui a octroyé une
première licence la possibilité d’en accorder d’autres.
Certaines règles sont communes aux cessions et aux licences
La loi sur les brevets, porte que la cession ou la licence peuvent

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concerner non seulement le brevet d’ores et déjà octroyé, mais aussi la
simple demande de brevet.
Cependant le législateur édicte une règle de forme. Les contrats de
cession ou d’octroi de licence doivent nécessairement être passés par
écrit. L’écrit est une condition de validité des contrats. La règle se justifie
par le fait que les cessions et les licences de brevet sont, soumises à la
formalité de publicité et que la publicité n’est possible que si la cession
est constatée par un écrit.
En troisième lieu, pour qu’un contrat de cession ou de licence soit
opposable aux tiers, il faut qu’il soit inscrit sur un registre, dit Registre
national des brevets.
A côté des cessions et des licences proprement dites, la loi reconnait une
autre institution qui s’appelle la licence de droit. C’est une sorte d’offre
publique de licence. Le breveté offre à tout tiers qui le désire d’obtenir
une licence à des conditions acceptables, raisonnables.

SECTION 2 Les obligations

Un monopole d’exploitation n’est conféré à l’inventeur que moyennant


certaines contreparties.
Le titulaire d’un brevet a essentiellement trois obligations celle de payer
des annuités fiscales, celle d’exploiter l’invention, celle enfin de divulguer
l’invention pour que les tiers puissent s’en inspirer.
II reste â parler des deux autres obligations pesant sur le breveté, c’est-
à-dire l’obligation de payer les annuités et l’obligation d’exploiter le
brevet. Il en sera fait état dans deux sous-sections.

SOUS-SECTION 1 L’obligation de payer les annuités fiscales

C’est la contrepartie du monopole accordé au breveté. Les annuités ne


sont pas fixes, mais leur taux s’accroit au fur et â mesure que le brevet
devient plus ancien. C’est une façon d’éliminer rapidement les brevets
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qui sont sans valeur et qui ne couvrent pas leurs frais, de telle sorte
qu’on revient aussitôt que possible à la liberté du commerce ou de
l’industrie. De fait la sanction du défaut de paiement des annuités est la
déchéance du brevet.
A propos de ce paiement des annuités, la loi comporte plusieurs règles.
1. Il est prévu que le payement des annuités n’est pas dû seulement
après l’octroi, du brevet, mais dès le dépôt de la demande.
2. Le paiement doit être opéré dans un délai fixé par décret, mais que
le débiteur en retard dispose d’un délai de grâce de 6 mois pour payer.
3. Si le débiteur n’a payé ni dans le délai initial, ni dans le délai de grâce, la
loi le déchoit de ses droits. Cette déchéance rétroagit au jour de
l’expiration du délai initial, de sorte que les tiers qui auraient pris
l’initiative d’exploiter l’invention pendant le délai de grâce échappent aux
poursuites en contrefaçon.
Le paiement de l’annuité est du à la date anniversaire de dépôt de la
demande de brevet d’invention, le déposant doit payer les annuités de
maintien en vigueur.
Redevances au 01.01.2015
De la 2ème à la 5ème annuité: 59,500 DT TTC
De la 6ème à la 10ème annuité: 153,900 DT TTC
De la 11ème à la 15ème annuité: 313,200 DT TTC
De la 16ème à la 20ème annuité: 590,500 DT TTC

SOUS-SECTION 2 L’obligation d’exploiter

Le législateur s’inspire de l’intérêt général quand il accorde un monopole


au breveté, II pense de la sorte stimuler l’esprit d’invention. Mais ce
raisonnement n’est juste que si le breveté exploite effectivement
l’invention pour laquelle il obtient un monopole. Ceci est si vrai que,
pendant un certain temps, la sanction du défaut d’exploitation d’un
brevet était, comme pour le paiement des annuités, la déchéance du

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breveté.
Mais, cette sanction est apparue trop sévère. C’est pourquoi, il a semblé
plus équitable de remplacer le système de la déchéance par un système
de licence légale. Le breveté ne perd pas complètement ses droits.
Simplement il est privé du monopole. Les tiers peuvent, moyennant une
indemnité, utiliser son invention. La loi prévoit un grand nombre de cas
de licences légales dont il faut maintenant parler. On distinguera dans la
loi deux grandes catégories de licences légales. Ce sont les licences
obligatoires et les licences d’office. La différence entre les deux est que
les licences obligatoires sont délivrées par l’autorité judiciaire alors que
les licences d’office ont un caractère essentiellement administratif.

I. Les licences obligatoires

Ce sont des licences qui sont accordées par l’autorité judiciaire. En effet,
une personne pourra demander une licence obligatoire à l’expiration de
ce délai si une des conditions suivantes est remplie:
- le breveté n’a pas commencé à exploiter son brevet ou fait des
préparatifs effectifs et sérieux pour le faire sur le territoire Tunisien.
- le breveté n’a pas commercialisé en Tunisie le produit objet du brevet
en quantité suffisante pour satisfaire aux besoins du marché Tunisien.
Cependant, le breveté peut s’opposer à la demande de licence obligatoire
en justifiant le défaut d’exploitation du brevet par des excuses légitimes.
L’octroi de la licence obligatoire donne lieu à une procédure judiciaire
devant le tribunal de grande instance.
Le demandeur doit justifier:
1) qu’il n’a pu obtenir du breveté une licence conventionnelle,
2) qu’il est en état d ‘exploiter l’invention de manière effective et sérieuse.
La licence, si elle est octroyée, doit être non exclusive, de façon à stimuler
la concurrence, Le tribunal fixe la durée de la licence, son champ
d’application territorial, le montant des redevances que paiera le

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licencié. Les conditions pourront être ultérieurement modifiées à la
demande du breveté ou du licencié. Le retrait de la licence est susceptible
d’être ordonné si le titulaire ne satisfait pas aux conditions prévues. La
licence n un caractère personnel et, pour cette raison, la cession de la
licence nécessite l’autorisation du tribunal.

II. Les licences d’office

Elles ont un caractère essentiellement administratif. On ne saurait dire


pourtant qu’elles revêtent un caractère exclusivement administratif car,
sur certains points, une intervention de l’autorité judiciaire est prévue.
La loi organise trois principales catégories de licences d’office. Les unes
sont mises sur pied dans l’intérêt de la Santé publique, les autres dans
l’intérêt de l’économie nationale, les dernières enfin dans l’intérêt de la
Défense nationale.

A. Licences d‘office dans l’intérêt de la Santé publique

Elles ont un caractère essentiellement administratif. Si l’intérêt de la


Santé publique l’exige, un arrêté ministériel peut placer sous le régime
de la licence d’office les brevets délivrés pour des médicaments ou pour
des procédés d’obtention de médicaments ou pour des produits
nécessaires à l’obtention des médicaments ou pour des procédés de
fabrication de tels produits. Il faut supposer que ces médicaments ou
produits de base ne sont mis à la disposition du public qu’en quantité ou
en qualité insuffisante ou à des prix anormalement élevés. A la suite de
ce premier arrêté, toute personne qualifiée est autorisée à demander au
ministre chargé de la propriété industrielle l’octroi d’une licence
d’exploitation. Chaque licence est octroyée par un arrêté individuel pris
par le ministre, arrêté qui fixe la durée et la circonscription territoriale de
la licence. En revanche, le ministre ne fixe pas d’autorité le montant des
redevances dues au titulaire du brevet: celles-ci sont en principe établies
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par voie amiable par le créancier, c ‘est-à-dire le breveté, et le débiteur,
c’est-à-dire le licencié. Si l’accord n’est pas réalisé, c’est le tribunal qui
tranchera, ce qui prouve bien que la compétence judiciaire n’est pas
complètement exclue dans le domaine des licences d’office.

B. Licences d‘office dans l’intérêt de l’économie nationale

Ce deuxième type de licence d’office a suscité des discussions, car:


1. cette licence a une portée générale et est susceptible de s’appliquer à
tous brevets, sauf aux brevets de médicament
2. si l’on comprend qu’un système de licence obligatoire ait été édicté en
cas de défaut total d’exploitation, cas qui est précis, il apparaît plus
contestable de prévoir une licence d’office dans l’hypothèse d’une simple
insuffisance d’exploitation, ce qui est une notion plus floue:
Mais la délivrance des licences est subordonnée à un certain nombre de
conditions qui sont de nature à faire respecter éventuellement les
intérêts légitimes du breveté.
La première condition est que le ministre chargé de la propriété
industrielle adresse au titulaire du brevet une mise en demeure d’en
entreprendre l’exploitation «de manière à satisfaire aux besoins de
l’économie nationale ». Cette mise en demeure fait courir un délai d’un
an pendant lequel le propriétaire du brevet doit entreprendre son
exploitation. Ce délai est susceptible d’être prolongé par le ministre si le
breveté justifie d’excuses légitimes et compatibles avec les exigences de
l’économie nationale.
La deuxième condition de la licence d’office est que, au bout de ce délai,
l’absence d’exploitation ou l’insuffisance en quantité ou en qualité de
l’exploitation entreprise porte « gravement préjudice au développement
économique et à l’intérêt public ».
Le ministre accorde chaque licence par voie d’arrêté. La licence accordée
n’est pas exclusive et n’est pas cessible. L’arrêté qui l’octroie en fixe la

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durée et le champ d’application géographique. Quant aux redevances
que le licencié doit verser au breveté, elles sont déterminées par accord
entre eux ou à défaut par décision du tribunal de grande instance,
comme dans le cas des licences dans l’intérêt de la Santé publique.

C. Licences d‘office dans l’intérêt de la Défense nationale

Les besoins de la Défense nationale justifient des dérogations au droit


exclusif d’exploitation dont est titulaire le propriétaire du brevet.
La loi prévoit en ce domaine une licence d’office non seulement pour les
brevets, mais même pour les simples demandes de brevet. Dans ce cas,
c’est nécessairement l’Etat qui demande la licence d’office. Il le fait par
l’intermédiaire du ministre chargé de la Défense. L’Etat qui obtient la
licence peut d’ailleurs assumer l’exploitation soit par lui- même, soit par
l’intermédiaire d’un tiers. L’arrêté qui accorde la licence émane du
ministre chargé de l’industrie. Cet arrêté fixe les conditions de
l’exploitation, à l’exception des redevances. Celles-ci sont fixées par
accord amiable entre le breveté et le licencié. A défaut d’accord amiable,
les redevances sont déterminées par le tribunal.

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