Revue FSB XVIII 2020 EL AYEB & al.

CARACTERISATION DU PHOSPHOGYPSE ISSU DE L’INDUSTRIE

PHOSPHATIERE DU GROUPE CHIMIQUE TUNISIEN ET SA DISTRIBUTION
DANS L’EAU ET LE SEDIMENT DU GOLFE DE GABES

Nesrine EL AYEB1,2*, Hervé MUHR3, Mustapha BÉJAOUI1, Ezzeddine MAHMOUDI1

1- Université de Carthage, Faculté des Sciences de Bizerte, Laboratoire de Biosurveillance de
l’Environnement (LR01ES14), 7021 Jarzouna, Tunisie.
2- Université de Gabès, Faculté des Sciences de Gabès, 6072 Tunisie.
3- Université de Lorraine, Laboratoire Réactions et Génie des Procédés LRGP, 54001 Nancy.
France.
* Correspondance. Email : nessrine.ayeb@gmail.com
Reçu le 28-02-2020 ; Accepté le 18-06-2020

Résumé
De grandes quantités de phosphogypse obtenu à partir de déchets industriels tunisiens sont
accumulées chaque année. Ce travail vise déterminer la composition et la structure de ce
résidu inorganique afin de mieux comprendre son devenir dans l'environnement marin.
Plusieurs traitements ont été mis en place pour préparer les déchets à traiter. Leur
caractérisation est faite par des techniques telles que la microscopie électronique à balayage
(MEB) et la spectrométrie à plasma à couplage inductif (ICP).
Nos résultats indiquent que le phosphogypse issu de l’industrie phosphatière du groupe
chimique tunisien à une texture fine, de forme tabulaire et riche en métaux lourds notamment
le Cd, Zn et Pb.

Mots clés : Phosphogypse, métaux lourds, MEB, ICP.

Abstract
Large quantities of phosphogypsum obtained from the phosphate Tunisian industry are
accumulated every year. This work aims to determine the chemical composition and the
structure of this inorganic residue to better understand its fate in the marine environment.
Several treatments have been set up to prepare the waste to be treated. Their characterization
is implemented by techniques such as SEM and ICP.
Our results indicate that phosphogypsum from the phosphate industry of the Tunisian
chemical group has a fine texture, a tabular shape and it is rich in heavy metals such as Cd, Zn
and Pb.

Keywords: phosphogypsum, heavy metals, SEM, ICP.

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INTRODUCTION
La transformation du phosphate naturel en
acide phosphorique consiste à faire réagir
de l’acide sulfurique avec le minerai de
phosphate. La réaction donne en plus de
l’acide phosphorique (le produit désiré),
des quantités importantes de phosphogypse
(environ 1,4 tonne par tonne de phosphate)
qui sont déversées en mer depuis la date
d’entrée en exploitation de la première
unité industrielle en 1972 dans les usines
du groupe chimique tunisien à Gabès [1].
L'intérêt croissant pour les problèmes
environnementaux a conduit à la prise en
compte des nuisances induites par le rejet
du phosphogypse dans les eaux de mer.
Ces pratiques causent des problèmes
potentiels de transfert d'éléments toxiques
vers les sédiments et les organismes
aquatiques. Elles causent également une
stérilisation locale qui affecte la biocénose
et tout particulièrement la faune benthique
[2]. Ces impuretés comprennent surtout
des métaux lourds et des matières
organiques [3 ; 4].
La région du golfe de Gabès (sud-est de la
Tunisie) est connue par sa richesse en
ressources aquatiques à intérêt économique
fort important. De nombreuses activités
industrielles, tels que le traitement des
phosphates bruts, ont été y installées. Leurs
effluents contenant des polluants tels que
des métaux toxiques [5 ; 6 ; 7 ; 8 ; 9] sont
transférés en mer dans le golfe de Gabès.
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Les métaux lourds sont des éléments
métalliques naturels présents, mais en
quantités très faibles, dans les sols, l'eau et
l'air et ne sont pas biodégradables. On dit
que les métaux sont présents en "quantités
traces" car ils représentent 0,6 % (en
masse) du total des constituants de la
croûte terrestre [10] et représentent aussi
"la trace" du passé géologique et de
l'activité anthropique. Le terme de métal
lourd est souvent appliqué à tort à des
éléments en raison de leur toxicité. La
majeure partie des métaux traces
introduits, associé aux sédiments [5],
constitue un danger potentiel non
seulement à la santé humaine mais aussi à
l'environnement dans toutes ses matrices et
surtout les organismes benthiques
autotrophes et hétérotrophes.
Afin de mettre l'accent sur les altérations
écologiques occasionnées par le
phosphogypse, il est nécessaire de le
caractériser chimiquement et de déterminer
les taux des principaux métaux qui y sont
contenus et qui ont été transférés vers les
milieux marins.
MATERIEL ET METHODES
CARACTERISATION PHYSIQUE DU
PHOSPHOGYPSE
L’échantillon de phosphogypse, de fraiche
production, a été prélevé à la sortie du
filtre, puis laissé décanter une journée
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avant quartage, homogénéisation et Le pH est mesuré dans une solution agitée,

séchage.
Analyse granulométrique
L’analyse granulométrique permet, à l'aide
de différents tamis, de déterminer
précisément la composition d’un matériau
afin d’en déduire ses caractéristiques
mécaniques.
L'essai consiste à fractionner, au moyen
d'une série de tamis, le phosphogypse en
plusieurs classes granulaires de tailles
décroissantes. Les masses des différents
refus et tamisas sont rapportées à la masse
initiale du matériau. Les pourcentages ainsi
obtenus sont exploités sous
graphique.
Analyse par Microscopie électronique à
balayage (MEB)
La microscopie électronique
balayage (MEB ou SEM : Scanning
Electron Microscopy) est une technique
de microscope capable de produire des
images en haute résolution de la surface
d’un échantillon en utilisant le principe des
interactions électrons. Il permet également
une microanalyse chimique élémentaire de
la surface de l’objet par la technique EDX
(Energy Dispersive X-ray).
COMPOSITION CHIMIQUE DU
PHOSPHOGYPSE ISSU DES USINES
DU GCT DE GABES
contenant 10 g de phosphogypse dans 100
ml d’eau distillée à l’aide d’un pH-mètre.
La détermination de la composition
chimique du phosphogypse est obtenue par
spectrométrie de masse couplée à un
plasma induit (ICP-MS). L’ICP-MS est une
technique instrumentale d’analyse reposant
sur la séparation, l’identification et la
quantification des éléments constitutifs,
d’un échantillon, en fonction de leur
masse. Elle est basée sur le couplage d'une
torche à plasma générant des ions et d’un
spectromètre de masse quadripolaire (dans
le cas de l'ICP-MS, Thermoelectron X7)
forme qui sépare ces ions en masse.
Dans le présent travail, on pèse 10 g de
phosphogypse et on le dissout dans un litre
d’eau sous agitation pendant 6h. Après
20h, on récupère le surnageant : c’est l’eau
à de premier lavage (EL1). On remplit à
nouveau le réacteur avec un litre d’eau,
mélangée à la fraction de phosphogypse
non dissous précédemment et on le met
sous agitation. La même procédure est
reproduite trois fois. On obtient ainsi des
EL1, EL2, EL3 et EL4.
Enfin, on filtre la solution à l’aide d’un
système de filtration (pompe à vide) et on
dissout ensuite le solide résiduel dans une
solution d’acide nitrique. Le but est de
dissoudre les éléments insolubles dans
l’eau (eau de lixiviation 2 ELX12).
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Pour l’eau de mer, l’échantillon est filtré,
on récupère le solide résiduel pour le
sécher puis on le met dans la solution
d’acide nitrique pendant une heure.
Pour le sédiment, les échantillons ont été
tout d’abord lyophilisés, ensuite transférés
dans des flacons gradués et dilués avec de
l’acide nitrique. Les
d'échantillons ont été analysées
spectroscopie d'émission optique à plasma
à couplage inductif (ICP-OES) dont la
limite de détection est de 5 ppb.
Les mesures des taux en métaux lourds ont
été effectuées à 334,5 nm pour le Zn, à
326,1 nm pour le Cd et à 168,2 nm pour le
Pb.
RESULTATS ET DISCUSSION
effet, le phosphogypse du GCT de Gabès est
de la classe 25/118. Ce résultat est en
concordance avec celui obtenu pour le
phosphogypse du site de GCT de Skhira
[11].
L’étude des caractéristiques
granulométriques du phosphogyse issu de
l’usine du GCT de Gabès, révèle une
solutions
granulométrie variant de 18 à 33 avec une
par
moyenne de 25 pour le tamis de diamètre
10 µm, et de 96 à 140 avec une moyenne
de 118 pour le tamis de diamètre 90 µm.
Ainsi, le phosphogypse de cette entité
industrielle peut être attribué à la classe
granulométrique 25/118 (Tab. 1).
MORPHOLOGIE DU
PHOSPHOGYPSE ISSU DU GCT DE
GABES

CARACTERISATION L’examen au microscope électronique à

GRANULOMETRIQUE DU balayage (MEB) montre que les cristaux
PHOSPHOGYPSE ISSU DU GCT DE du phosphogypse sont de forme tabulaire
GABES (Fig. 1) de longueur comprise entre 20 et
Le phosphogypse est doté d’une 200 µm, avec une longueur médiane
granulométrie fine qui s’apparente à celle d’environ 50 µm. Les formes tabulaires ou
d’un limon. Le phosphogypse tunisien hexagonales sont bien connues pour
présente un pourcentage de fraction d’autres phosphogypses [12 ; 13] avec un
granulométrique fine d’environ 60 % [2]. certain adoucissement des formes
L’analyse du phosphogypse issu du GCT (arrondissement) pour le phosphogypse
de Gabès révèle un certain resserrement de marocain [13].
la granulométrie avec le temps. Ceci est
obtenu, sans doute, sous l’effet de
phénomènes d’érosion-dissolution. En

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Tableau 1 : Plages de variation des caractéristiques granulométriques du phosphogypse issu

du GCT de Gabès (D : Diamètre)
Echantillo Phosphogypse
n
D 90 µm 96 – 140
D 50 µm 30 – 43
D 10 µm 18 – 33

Echelle : 100
µm

Figure 1 : Aspect général, obtenu par MEB, du phosphogypse issu du GCT de Gabès

ANALYSE CHIMIQUE DU fabrication, de l’efficacité de l’usine et de

PHOSPHOGYPSE ISSU DU GCT DE
GABES
Le phosphogypse est composé
essentiellement de sulfate de calcium
mélangé avec de la silice et d’autres
impuretés telles que les oxydes de fer, de
magnésium et d’aluminium, des sulfures,
de la matière organique et des métaux
traces [14]. La composition chimique d’un
phosphogypse dépend de l’origine du
minerai de phosphate, du procédé de
l’âge du terril.
Il est nécessaire de mesurer l’impact
environnemental du matériau en œuvre,
notamment lors d’un processus de
lessivage par les eaux de pluie et de
comparer les analyses chimiques des
lixiviats à des valeurs repères.
Les phosphogypses peuvent contenir des
métaux lourds tels que du cadmium, du
plomb, du mercure, du cuivre et du zinc
[15]. Les teneurs en métaux lourds

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déterminées au niveau des eaux de lavage, TAUX DES PRINCIPAUX ETM DU

des eaux des lixiviats, des eaux du rejet
après filtration et des eaux de mer (où se
fait le rejet du phosphogypse) révèlent des
valeurs très élevées surtout dans les eaux
de lixiviats pour les éléments Cd, Co, Cu,
Ni, Pb et Zn mais aussi dans l’eau de rejet
pour les éléments Cd, Co, Fe et Zn (Tab.
2). Cependant ces teneurs restent
inférieures aux limites tolérées pour le rejet
dans le domaine public maritime fixées par
l’arrêté du 26 mars 2018 relative aux
industries mécaniques et métallurgiques en
Tunisie [16]. Elles concernent les éléments
les plus toxiques, essentiellement les
métaux lourds. Seuls As, Ba, Cd, Cr, Pb,
Hg, Se et Ag sont classés comme éléments
toxiques par l’Agence américaine pour la
Protection de l’Environnement (EPA-
USA).
Par ailleurs, le phosphogypse issu du CGT
de Gabès a un pH voisin de 3. Cette valeur
est très acide par rapport à celle fixée par la
norme tunisienne [16].
Plusieurs travaux ont prouvé que le
cadmium, le zinc et le cuivre étaient les
plus abondants dans les phosphogypses
syriens [17 ; 18 ; 19 ; 20]. Arocena et al.
[21] précisent que la plupart des métaux
lourds (Cr, Co, Zr, Cu, Pb, Zn, Ag, Ni, Cd
et V) se trouvent dans la fraction
granulométrique inférieure à 20 µm.
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PHOSPHOGYPSE DANS L’EAU ET LE
SEDIMENT MARINS
Les analyses de l’eau de mer prélevée au
voisinage du GCT révèlent que les teneurs
en métaux lourds sont toujours faibles
(Tab. 2) et inférieures à la limite tolérée par
la norme tunisienne en vigueur [16].
Les sédiments peuvent avoir la capacité de
piéger les métaux de manière très
différente. L'accumulation de métaux dans
les sédiments met l’accent sur l'état de
contamination des milieux aquatiques et en
particulier marins. En effet, dans le
sédiment prélevé près du GCT, les teneurs
en éléments métalliques (ETM) montrent
que le Cd et le Zn ont des concentrations
très élevées de l’ordre de 10,73 ppm et
10,95 ppm respectivement (Fig. 2) par
rapport aux valeurs obtenues par
Kikouama et al.[22] dans le kaolin à
Dakar. Cependant, le Plomb a des
concentrations plus faibles de l’ordre de
4,1 ppm.
CONCLUSION
Notre étude a permis de connaitre la
composition chimique et la structure du
phosphogypse issu de l’industrie
phosphatière du groupe chimique tunisien
et rejeté dans l’eau de mer. Ainsi, il s'avère
que ce résidu inorganique est constitué
essentiellement de gypse sous forme de
cristaux tabulaires plus ou moins agrégés
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de granulométrie 25/118 µm. Il contient, confèrent un pH acide et des métaux lourds

également, des impuretés acides qui lui principalement le Fe, Cd, Zn et Pb.

Tableau 2 : Teneurs des principaux métaux lourds des lixiviats du phosphogypse issu du GCT
de Gabès (LR1 à LR4 : eau de lavage de 1 à 4 ; ELX : eau de lixiviats et ER : eau de rejet)
Eléme Uni LR LR2 LR3 LR4 ELX EL ER Eau Seuil de
nt té 1 1 X2 après de potabilit
filtratio mer é [16]
n
As ppb <4 <4 <4 <4 <4 <4 <4 <4 100
Cd ppb 15, <3 <3 <3 <3 571, 7,135 <3 20
92 4
Co ppb 14, <3 <3 <3 1033 83,3 225,5 19,17 1000
34 1
Cr ppb <5 <5 <5 <5 <5 <5 <5 <5 500
Cu ppb 6,3 - - 0,924 67,64 228, 39,05 3,308 2000
88 0,452 0,7156 7
6
Fe ppb 338 9,715 0,2873 - 4810 228 652,3 56,66 3000
,5 0,373 80
Hg ppb 36, 14,59 8,848 5,621 11,01 2,96 3,815 - 5
21 2 8,071
Mn ppb 6,9 1,653 0,789 0,782 45,97 85,9 23,06 2,423
21 3
Ni ppb 13, 2,784 1,387 1,683 32,41 120, 8,801 0,558 1000
89 7 2
Pb ppb 12, 6,24 4,957 2,303 46,34 80,1 18,89 4,409 500
47 2
Zn ppb 222 81,27 3,696 11,69 1676 484 1035 95,49 5000
,4 5

12
M sédi T
Taux des principaux ETM en ppm

M sédi C
10

0
Zn Cd Pb

Eléments

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Figure 2 : Concentration des trois principaux métaux lourds contenus dans le phosphogypse
(Zn, Cd, Pb), issu du GCT de Gabès, dans le sédiment marin avoisinant (M séd T : teneur
moyenne dans le sédiment témoin ; M sédi C : teneur moyenne dans le sédiment contaminé)

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