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Introduction

Au cours des dernières décennies, la fluidité en lecture a souvent été négligée


ou tout simplement mal comprise. Par conséquent, on a omis de l’enseigner
dans plusieurs classes, ou alors on l’a fait dans des conditions qui ne corres-
pondent pas nécessairement à la définition d’un enseignement efficace
(Rasinski, 2012). C’est ainsi que l’on a pu entendre plusieurs enseignants se
plaindre de se sentir obligés de proposer des périodes de « lecture chronomé-
trée » en classe, dans lesquelles les élèves doivent lire aussi rapidement que
possible, au nom du développement de la fluidité en lecture.
À notre avis, l’interprétation erronée de la nature de la fluidité
en lecture et le désintérêt envers son enseignement sont dou- Plusieurs élèves ayant des problèmes
blement regrettables, puisqu’un corpus croissant de recherches de lecture éprouvent également des
reconnaît 1) que la fluidité constitue un élément essentiel du difficultés associées à la fluidité.
développement de la lecture chez les élèves, et 2) que plusieurs
élèves ayant des problèmes de lecture éprouvent également des difficultés
associées à la fluidité. Nous ne pouvons nous empêcher de croire que les com-
pétences en lecture des élèves s’amélioreraient et que le nombre de ceux qui
éprouvent des difficultés à lire diminuerait de façon considérable si la fluidité
occupait une place à part entière et jouait un rôle essentiel dans l’enseignement
de la lecture.
C’est à tout le moins l’espoir que nous caressons, avec cet ouvrage. En l’écri-
vant, nous avons voulu vous fournir une trousse de stratégies que vous pourrez
employer avec des élèves de 6 à 12 ans (première à sixième année) pour amé-
liorer leur fluidité en lecture et, par là même, améliorer leurs compétences
générales en lecture. Par ailleurs, nous avons organisé les stratégies de fluidité
en plusieurs paliers, selon les besoins individuels et collectifs des élèves avec qui
vous travaillez. De cette façon, il vous sera plus facile de miser sur un ensei-
gnement de la fluidité qui répondra vraiment à leurs besoins. Nous aborderons
les différents paliers de façon plus détaillée dans la suite de cette introduction.

Qu’est-ce que la fluidité ?


Commençons par donner une brève explication de ce qu’est la fluidité en lec-
ture. Essentiellement, nous considérons que la lecture est caractérisée par deux
composantes principales : une composante de surface et une composante pro-
fonde (Rasinski, 2010). La composante profonde de la lecture fait référence à
la compréhension, ou au sens. Les lecteurs doivent faire appel à leurs ressources
cognitives pour creuser les textes et découvrir le sens que les auteurs ont voulu
communiquer par leurs écrits. La maîtrise de cette composante profonde
est donc l’objectif ultime de la lecture, puisqu’elle permet de découvrir et de
comprendre le sens d’un texte.
La composante de surface fait, quant à elle, référence aux tâches plus
mécaniques de la lecture : la capacité à déchiffrer les mots d’un texte de
façon précise, avec le plus d’aisance possible, et à lire avec expressivité pour
améliorer le sens d’un texte. Même si nous croyons souvent que la lecture
expressive se produit seulement durant la lecture à voix haute, nous savons
qu’elle a également lieu durant la lecture silencieuse, particulièrement chez les
lecteurs expérimentés. S’il est vrai que, dans un sens, la composante de surface
s’avère moins importante que la composante profonde, elle reste néanmoins
essentielle pour le développement d’une maîtrise de la lecture. Pour avoir accès
à la compréhension profonde des textes, les lecteurs doivent d’abord maîtriser
les composantes de surface. Avez-vous déjà observé un lecteur qui avait de la
difficulté à déchiffrer les mots d’un texte ou qui lisait de façon monotone,
en séparant chacun des mots ? Il y a fort à parier que ce lecteur éprouvait
également de la difficulté à construire du sens.
La reconnaissance des mots revêt manifestement une importance critique
dans la lecture. On ne peut lire si l’on est incapable de transformer les mots per-
çus dans leur version imprimée en un équivalent oral, comme une histoire qu’on
nous raconterait. Maîtriser la capacité à déchiffrer les mots avec précision n’est
cependant pas suffisant, en soi. La reconnaissance des mots doit être dévelop-
pée jusqu’à ce que le déchiffrage se fasse de façon automatique et sans effort.
La théorie de l’automaticité suggère que tous les lecteurs ont une quantité
limitée de ressources cognitives, ou d’énergie cognitive, à consacrer à la com-
préhension de ce qu’ils lisent (LaBerge et Samuels, 1974). Essentiellement,
l’énergie cognitive fait référence aux manipulations mentales auxquelles nous
nous prêtons pour résoudre un problème. Cette énergie peut être consacrée à
une multitude de tâches. Or, comme elle est disponible en quantité limitée,
nous devons l’utiliser efficacement. La lecture est une activité qui comporte
plusieurs facettes. Vous conviendrez sans doute que pour faire une lecture effi-
cace, un lecteur doit d’abord pouvoir déchiffrer les mots qui sont écrits (com-
posante de surface), avant de comprendre ce que l’auteur veut dire par ces mots
(composante de profondeur). S’il lui faut utiliser une quantité d’énergie trop
importante pour déchiffrer les mots, il lui en restera moins à consacrer à la
compréhension. Les élèves qui parviennent à lire les mots d’un texte
correctement, mais de façon laborieuse, hésitante et peu convaincante, uti-
lisent trop d’énergie cognitive pour les déchiffrer. En conséquence, il ne leur
reste pas assez d’énergie pour la compréhension, qui en souffre inévitablement.
Lorsqu’il est question de reconnaissance des mots, les deux
Lorsque la reconnaissance des mots principaux objectifs poursuivis devraient être la précision et
est développée au point de devenir l’automaticité (LaBerge et Samuels, 1974). Une chose qui se
précise et automatique, le lecteur peut fait de façon automatique demande très peu d’effort cognitif.
consacrer son attention aux tâches de Nous faisons une foule de choses de façon automatique, dans
la vie de tous les jours, qu’il s’agisse de marcher dans la rue,
compréhension plus importantes et de conduire une voiture ou encore de se brosser les dents. La
plus profondes. plupart du temps, nous réalisons ces tâches sans trop y porter
attention. C’est pourquoi nous pouvons généralement faire
plus d’une chose en même temps, comme lorsque nous parlons à un ami
en marchant, ou que nous profitons de nos déplacements pour admirer le
paysage ou pour réfléchir à un problème. Lorsque la reconnaissance des mots
est développée au point de devenir précise et automatique, le lecteur peut
consacrer son attention aux tâches de compréhension plus importantes et
plus profondes. Le meilleur exemple d’un lecteur ayant développé une bonne
automaticité, c’est vous qui lisez cette page en ce moment même. Vous n’avez

VI Introduction
pas besoin d’analyser chacun des mots que vous voyez ou de les prononcer
à voix haute pour les déchiffrer. Vous les reconnaissez sans effort et de façon
instantanée, ce qui vous permet d’être plus attentif au sens de ce que nous
essayons de vous communiquer. Les recherches ont démontré que la précision
et l’automaticité sont étroitement liées à une bonne compréhension. Plus le
lecteur est capable de reconnaître les mots de façon précise et automatique,
plus sa compréhension en lecture s’avère efficace.
La première composante essentielle de la fluidité est donc la capacité à recon-
naître les mots de façon automatique et précise. À l’instar de la conduite auto-
mobile ou du brossage des dents, la précision et l’automaticité s’acquièrent par
la pratique.
La deuxième composante essentielle de la fluidité est l’expression lors de la
lecture à voix haute (Schreiber, 1980). Le terme technique pour décrire
une lecture expressive est la « prosodie ». Réfléchissez un instant à une per-
sonne qui s’exprime avec une grande fluidité : elle parle avec une expression
appropriée, elle sait capter votre attention et elle met en valeur le sens de son
discours. Pensez maintenant à une personne qui s’exprime de façon beaucoup
moins fluide, en empruntant un ton lent et monotone. Vous aurez proba-
blement plus de difficulté à demeurer attentif au message que cette personne
cherche à communiquer et à comprendre ce qu’elle essaie de dire.
Il en va de même pour la lecture. Les lecteurs qui lisent avec un bon niveau
d’expression réfléchissent au sens du texte et, ce faisant, ils l’approfondissent.
À l’inverse, les lecteurs qui ont un niveau d’expression plus faible sont moins
susceptibles de comprendre ce qu’ils lisent. L’expression inclut la faculté de
lire avec confiance et avec un volume de lecture approprié, la capacité à haus-
ser ou à baisser le ton de la voix adéquatement, à faire des pauses aux endroits
appropriés du texte, à regrouper des mots de façon logique, à mettre l’accent
sur certains mots ou expressions ainsi qu’à adopter un rythme ou une vitesse
de lecture qui renforce la signification (en ralentissant ou en accélérant, selon
le besoin). Comme c’était le cas avec la reconnaissance des mots, les recherches
démontrent que l’expression est associée à une meilleure maîtrise de la lecture.
Les lecteurs qui lisent avec un bon niveau d’expression ont tendance à être des
lecteurs compétents, même lorsqu’ils lisent en silence. Inversement, les lec-
teurs qui lisent avec un niveau minimal d’expression ont tendance à être des
lecteurs moins compétents, même quand ils lisent en silence.
C’est pourquoi nous considérons que la reconnaissance des mots et l’expres-
sion constituent les deux composantes essentielles de la fluidité. Le déve-
loppement de ces composantes permet aux élèves d’approfondir le sens de
leurs lectures et de devenir des lecteurs plus accomplis. Dans les chapitres
suivants, nous vous proposons des leçons qui permettront de développer la
fluidité en lecture de vos élèves.

Introduction VII
Les paliers de l’enseignement de la fluidité
L’une des particularités de cet ouvrage se trouve dans la façon dont les leçons
sur la fluidité ont été catégorisées en trois paliers. Cela vous permet non seule-
ment de différencier l’enseignement de la fluidité que vous proposez en classe,
mais aussi de répondre aux besoins individuels et collectifs des élèves avec qui
vous travaillez. Le modèle de Réponse à l’intervention (RàI) est un système
de prévention et d’intervention à trois paliers. Tous les élèves commencent
au palier 1 et reçoivent un enseignement général basé sur la recherche. C’est
ce que nous considérons habituellement comme le programme d’études ou
l’enseignement ordinaire. Le palier 2 s’adresse aux élèves qui ne répondent
pas à l’enseignement au palier 1. Ces élèves pourraient accuser un certain
retard par rapport à leurs pairs ou aux attentes de leur niveau scolaire. Ils
ont donc besoin d’un soutien additionnel. Typiquement, ce deuxième palier
d’enseignement se passe en petits groupes, et les interventions sont toujours
basées sur la recherche. On vise alors à combler l’écart entre les performances
des élèves concernés et les attentes de leur niveau scolaire. Finalement, les
élèves qui éprouvent encore des difficultés passent au palier 3, où on leur
propose un enseignement intensif et basé sur la recherche qui a démontré son
efficacité pour une amélioration rapide du niveau de compétence en lecture.
L’enseignement est alors souvent donné de façon individuelle, que ce soit par
l’enseignant titulaire ou par un spécialiste de la lecture (National Center on
Response to Intervention, États-Unis, 2010).

Le palier 1
Le premier palier de l’enseignement de la fluidité peut être offert à l’ensemble
des élèves de la classe. C’est le type d’enseignement qui fait aisément partie
du programme d’études régulier ; il inclut sans doute des activités semblables
à celles que vous proposez déjà. Tous les élèves nécessitent un certain niveau
d’enseignement de la fluidité, et l’enseignement au palier 1 correspond bien à
ces besoins.

Le palier 2
Au deuxième palier, l’enseignement de la fluidité s’adresse aux élèves qui ont
besoin d’un coup de pouce pour améliorer leur fluidité en lecture. Les élèves
qui profitent du cadre d’enseignement de ce deuxième palier font peut-être des
progrès en lecture, mais le développement de leur fluidité n’est pas aussi vigou-
reux que ce que vous aimeriez voir. Éventuellement, les lacunes persistantes en
fluidité peuvent faire en sorte que ces élèves ont besoin d’interventions plus
intensives, non seulement pour améliorer leur fluidité, mais aussi pour déve-
lopper d’autres habiletés. Comme la fluidité est en quelque sorte une porte
d’entrée vers une maîtrise plus poussée de la lecture, les difficultés qui y sont
associées peuvent entraîner un retard dans le développement d’autres compé-
tences. Le palier 2 de l’enseignement de la fluidité propose des interventions
suffisamment intensives en amont, afin d’apaiser les inquiétudes relatives à la
fluidité avant qu’elles n’engendrent des problèmes plus sérieux en lecture.

VIII Introduction
Le palier 3
Malheureusement, certains élèves éprouvent plus de difficulté
à développer leur fluidité. Cette carence entraîne d’autres pro- Les élèves aux prises avec des pro­
blèmes en lecture, comme une mauvaise compréhension, un blèmes de fluidité ont non seulement
manque de confiance et une perte d’intérêt envers celle-ci. Les plus de difficulté à comprendre des
élèves aux prises avec des problèmes de fluidité ont non seu- textes, mais ils se considèrent éga­
lement plus de difficulté à comprendre des textes, mais ils se
lement comme de mauvais lecteurs.
considèrent également comme de mauvais lecteurs. Ils voient
donc cette activité comme une corvée, qu’ils évitent autant que Ils voient donc cette activité comme
possible. Pour ces élèves, l’un des principaux objectifs consiste une corvée, qu’ils évitent autant que
à développer un certain niveau de fluidité qui leur permettra possible. Pour ces élèves, l’un des
de s’attaquer à d’autres problèmes. Le palier 3 d’enseignement principaux objectifs consiste à déve­
cible donc des élèves ou de petits groupes d’élèves pour qui
les difficultés importantes en fluidité ont une incidence sur
lopper un certain niveau de fluidité
d’autres aspects de la lecture. qui leur permettra de s’attaquer à
En écrivant le présent ouvrage, nous espérons vous aider à
d’autres problèmes.
prendre les décisions pédagogiques les plus appropriées pour
répondre aux besoins de vos élèves. N’oubliez pas, toutefois, que vous pourrez
faire preuve d’une grande souplesse dans la façon de choisir, de modifier et de
mettre en œuvre les modèles pédagogiques que nous vous proposons. Toutes
les leçons peuvent être adaptées pour être offertes individuellement ou à de
plus grands groupes d’élèves. Nous espérons que les leçons et les activités qui y
sont associées vous permettront de concevoir vos propres modèles d’enseigne-
ment de la fluidité, pour répondre aux besoins précis de vos élèves.
La fluidité est assurément une composante essentielle de la maîtrise de la lec-
ture. Pourtant, elle est trop souvent négligée ou mal comprise. Nous espérons
que les chapitres suivants vous permettront de faire la part belle à cette habileté
dans votre propre programme de lecture, pour aider l’ensemble de vos élèves à
acquérir une plus grande maîtrise et une satisfaction accrue en lecture.

Introduction IX

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