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22/04/2024 11:43 Introduction. L’enveloppe psychique, une perspective critique | Cairn.

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Introduction. L’enveloppe psychique, une


perspective critique
Denis Mellier
Dans L'enveloppe psychique (2023), pages 1 à 19

Chapitre

I ntroduire cet ouvrage c’est d’abord argumenter la nécessité de réévaluer ce


concept, percevoir ensuite les lignes de son approfondissement pour proposer
enfin un projet pour le mettre au travail.
1

Pourquoi réévaluer ce concept ?

L’actualité sociale, culturelle, politique ou clinique nous incite à le réévaluer ainsi que 2
l’avancée de plusieurs travaux. Nous devons continuer aussi à lutter contre une
dérive possible de sa compréhension et souligner les difficultés de son identification.

Une problématique que l’actualité impose


La problématique des enveloppes s’impose tant au niveau des enjeux de notre culture 3
qu’au niveau plus particulier des souffrances à prendre en compte et en charge, des
dispositifs de soin propres à les accueillir, les contenir et les transformer. Ce
problème est aussi celui que la psychanalyse doit affronter pour trouver un site, un
lieu à partir duquel les effets de l’inconscient puissent être mis au travail.

« La société qui vient », pour reprendre le beau titre du collectif dirigé par D. Fassin 4
(2022), est faite d’incertitudes, de troubles et de crises que l’on pensait relégués au
passé. L’urgence climatique, la montée de la précarité et des inégalités, la résurgence
de la guerre en occident s’accompagnent d’une démultiplication de réseaux et de
connections jamais inégalés entre les hommes et les femmes de différents pays, de

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différents continents, de différentes langues, cultures ou identités. La conscience


« d’habiter » la même planète se met peu à peu en place (Latour, 2021). Nous sommes
« tenus » par des « biens communs » (Cornu, Orsi, Rochfeld, 2017), l’air que nous
respirons, l’eau nécessaire à la vie, l’énergie que nous utilisons. Ce qui tacitement
soutenait notre vie devient problématique, ce qui nous « enveloppait » devient tout à
coup réel, un mur contre lequel nous pourrions nous écraser, un astéroïde qui
pourrait frapper la terre… Il n’est pas impossible que la problématique des
enveloppes puisse nous aider à penser l’actualité de notre condition d’humain quand
la question de notre survie se pose. Fondamentalement l’enveloppe résulte de forces
qui doivent faire face à des souffrances qui attaquent l’existence même de la vie
psychique.

La pandémie du Covid-19 est ici un bon exemple. Elle a montré toute 5


l’interdépendance que les hommes ont sur terre, entre eux, mais aussi avec leurs
conditions matérielles d’existence, les animaux et la nature. L’intimité de tout un
chacun a été bouleversée au sein des premières enveloppes sensorielles, proximales,
qui impliquent la présence de l’autre, d’un autrui. Cet exemple montre que toutes les
configurations intersubjectives ont été touchées, les équipes sur les différents
terrains professionnels, associatifs ou politiques, les gouvernants dans leur gestion
de la crise, les réseaux sociaux dans leur réactivité et production de « fake news ». La
problématique des enveloppes se révélerait pertinente à tous les niveaux
d’agrégation de la vie psychique, l’individu, le couple, la famille, les différents
groupes, les équipes, les institutions, les différentes instances sociales ainsi que les
repères mêmes d’une civilisation.

L’émergence d’une cyberculture est un autre exemple. L’introduction d’internet dans 6


la vie quotidienne ne correspond pas à un simple développement de la technique. La
capacité d’extension de notre « monde » grâce à la construction d’une réalité
virtuelle, avec avatar et création d’un « metavers » donne le tournis. Il s’agit
réellement d’une mutation (Godart, 2020) qui n’est pas sans conséquence sur la
conception même du sujet et des processus de subjectivation. L’homme
« augmenté », le déploiement de l’intelligence artificielle, la gestion par algorithme
des décisions, commerciales, sociales et politiques signent une « cyberculture » où
surgissent de nouvelles pathologies comme de nouvelles possibilités d’appropriation
de la réalité matérielle. La question des liens se complexifie, celle des enveloppes
prend encore plus de sens.

Du côté de la clinique, les soignants font de plus en plus face à de nouvelles 7


pathologies (Jung, Camps, 2020), plus fluctuantes au regard des diagnostics
classiques, nouvelles quant à leurs manifestations comme l’hikikomori ou plus
généralisées comme les phénomènes d’addiction. Par ailleurs le domaine social est
maintenant envisagé en lien avec des formes qui relèvent de la psychopathologie. Le
fanatisme et les sectes ont déjà été étudiés, mais l’apparition de nouvelles formes de
fascisme et de terrorisme avec Daesh (État Islamiste), la montée de l’illibéralisme, la

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généralisation de l’emprise des individus par l’état ou la persistance de conduites


génocidaires dans les groupes humains appellent à un approfondissement de nos
cadres théoriques.

En philosophie citons les travaux de Peter Sloterdijk (2002) qui considère la forme de 8
la sphère comme paradigmatique de toute expérience humaine, de Hartmut Rosa
(2020) qui met l’accent sur les phénomènes de résonnance et de disponibilité, deux
aspects très présents dans la problématique des enveloppes. Du point de vue
cosmogonique (Descola, 2005), la culture occidentale est par ailleurs marquée par un
fort clivage entre nature et culture. Cette catégorisation radicale des « existants »
entre humain/non-humain a accompagné une exploitation de la terre dont nous
subissons en retour les effets. La géopolitique montre par ailleurs comment des
conflits ou liens d’appartenance se cristallisent autour d’un territoire. Plus
récemment Pierre Charbonnier (2022) réévalue les idées politiques modernes au
regard de leurs rapports à la terre et à l’environnement. Toute une série de travaux
tentent ainsi de réajuster nos connaissances au bouleversement épistémique en
cours.

Une réappropriation ainsi du concept d’enveloppe psychique s’impose dans ce 9


contexte. Non pas qu’il puisse forcément s’appliquer à tous les niveaux
précédemment cités, la formule de G. Mendel reste d’actualité « la société n’est pas
une famille », on ne peut les confondre, mais parce que ce concept pourrait être apte
à rendre compte et mettre au travail des éléments précédemment laissés de côté. Les
phénomènes de « massification » que François Furet (1995) avait pointés comme
caractéristique du XXe siècle n’ont pas perdu de leur force. Les processus « sans
sujet » se développent (Kaës, 2012). À tous les niveaux aussi bien individuels que
sociétaux, aussi bien en groupe qu’en famille, en institution que dans le quotient, la
question des limites entre les sujets et de la consistance de leur réalité psychique,
comme de sa négation, se pose.

Les obstacles : réification, réduction et focale


Au carrefour d’un solide ancrage corporel et d’une dimension intersubjective 10
plurielle, cette notion est difficile à cerner. Elle peut rester très descriptive et être
réifiée. L’image qu’elle suggère, celle d’une enveloppe matérielle, d’un contenant
physique, est aux antipodes pourtant de sa nature psychique. Par ailleurs, plus que
tout autre processus psychique elle risque aussi d’être rabattue ou du côté
somatique, par exemple comme un problème somatique, médicale, ou du côté
environnemental, comme un phénomène social de contagion, de réseau. Elle peut
ainsi rester indistincte, noyée dans d’autres types de réalité, d’où la difficulté à la
conceptualiser.

Un concept réifié

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En français l’idée d’enveloppe renvoie immanquablement à l’image d’une enveloppe 11


postale, c’est-à-dire d’un contenant matériel et sans vie [1]. Ce risque a été dès le
départ dénoncé par Didier Anzieu et Didier Houzel. En insistant sur sa dimension
dynamique et pulsionnelle Didier Houzel a tenté d’imposer un autre modèle, plus
mathématique. Ce problème est concomitant à la manière dont on pense un
contenant psychique. Il n’est pas rare d’envisager par exemple qu’une salle soit
contenante, que la littérature est un bon contenant, qu’une activité sera contenante
etc., sans s’assurer du travail psychique que cela suppose. La contenance devient un
pur adjectif qualificatif, qui définit quasi physiquement un récipient matériel,
fictionnel ou artificiel. Sans doute l’énumération des différentes qualités des
enveloppes a pu aboutir ensuite à tels contresens. Pour Didier Anzieu la
« contenance » est en fait une des 8 ou 9 fonctions qu’il a décrite pour les enveloppes
psychiques. C’est le plus grand danger que court ce concept. L’enveloppe devient un
simple récipient, qu’il s’agira de remplir, ou qui apportera sécurité et réassurance
aux sujets.

Une perspective réductrice et désexualisée


Ce concept qui semble surtout pertinent pour penser les frontières du moi et ses 12
limites admet une composante narcissique évidente. Le réduire à ce processus c’est
cependant éviter de se confronter à sa dynamique, aux liens qui potentiellement le
font exister, mais aussi aux processus d’historicisation des sujets qui d’une manière
ou d’une autre seraient alors effacés, inexistants.

Dans Psychologie des masses et analyse du moi, S. Freud (1921) avait coûte que coûte 13
défendu l’existence de la libido comme la force active constitutive d’une foule : un
simple « instinct grégaire » ne permettait pas de la comprendre. Il en va de même
pour la notion d’enveloppe qui risque d’être envisagée comme dépendante des
qualités naturelles des individus, de leur empathie, bienveillance ou altruisme. Il va
de soi que cette désexualisation des enveloppes aboutit à négliger leur possible
transformation et à mésestimer la place qu’elles ont pour les sujets concernés.

Une conceptualisation difficile à identifier : cadre institutionnel


et parcellisation théorique
Très intriquée avec l’existence d’autres réalités matérielles, sociale, culturelle, 14
éducative, familiale, médicale ou somatique, la réalité psychique propre aux
enveloppes est très souvent difficile à dégager.

Ceci est particulièrement aigu dans les institutions qui n’ont pas une vocation 15
directe de soin ou de thérapie. Leur tâche primaire rassemble des professionnels
autour d’un travail sur ces différentes réalités, les équipes sont organisées autour
d’autres compétences, sociale, éducative, juridique, médicale, etc. La dimension de la
vie psychique, qui concerne chaque professionnel, est portée de manière parfois très
précaire par des « psy ». La problématique des enveloppes pourrait être ici très utile
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pour envisager comment les actions de ces équipes ne peuvent prendre sens pour les
sujets accueillis que si cette dimension psychique est reconnue et élaborée. Sans cela
on assiste à des fonctionnements très opératoires et techniques qui à terme vident
les pratiques de leur sens et de leur efficience.

Ce problème est malheureusement devenu aussi celui des institutions de soin quand 16
elles prennent unilatéralement des options managériales, comportementales ou
pharmacologiques (Delion, 2016). Identifier la problématique des enveloppes
psychiques suppose de prendre en compte la structuration du cadre institutionnel et
des équipes, tant au niveau de leurs contrats explicites que des pactes et alliances qui
se sont organisés de manière défensive face au risque d’envahissement des anxiétés
et angoisses amenées par les accueillis ou par les pressions externes. Cette tâche est
complexe.

Les études actuelles en pathologie tendent ainsi à privilégier l’individu, ses aptitudes 17
ou capacités, et au mieux sa psychodynamique, en l’isolant dans une série de
déterminations propres à ces différentes réalités. Ce découpage ne permet pas de
rassembler et de conjuguer ensemble ces réalités. Il tend à minimiser l’inscription de
ces sujets dans leur « tissu » groupal, familial, social ou culturel. Invoquer de manière
annexe le rôle du « contexte », des « facteurs de risques » ou des « troubles associés »,
c’est occulter une dynamique de processus beaucoup plus déterminante que l’on ne
croit dans les symptômes psychopathologiques. Ces approches théoriques font sans
doute écho à la peur des chercheurs et des soignants de basculer dans un champ
psychique pour lequel ils sont de moins en moins formés.

Pouvoir reconnaître et nommer les liens qui enserrent les sujets dans un tissu dont 18
ils se sentent extrêmement dépendants, permettrait d’ouvrir et de définir une focale
plus pertinente pour un soin psychique.

Une conceptualisation à approfondir


Comment alors réévaluer ce concept ? Il faudrait prendre en compte tous les travaux 19
qui pourraient permettre de l’expliciter. Il s’agit bien sûr dans cet ouvrage d’une
tâche impossible. Nous avons cependant dégagé quatre directions de travail
consubstantielles à sa définition : sa corporéité et l’intersubjectivité de son champ, la
méthode clinique qu’il implique et la pathologie dont il peut rendre compte.

Une corporéité qui se construit : de la « peau psychique » au rapport avec


« l’image du corps » et la communication primitive
L’enveloppe psychique admet un lien privilégié avec la « peau ». E. Bick (1968) 20
positionne la naissance de l’espace psychique à l’intérieur du self grâce à une
« fonction contenant-peau », au même moment Bion (1967) utilise l’idée d’une « peau
mentale » comme le fait remarquer Didier Houzel (2005). Cette formulation est assez
métaphorique, mais Didier Anzieu l’a mise au centre de sa conceptualisation jusqu’à
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définir les fonctions du Moi-peau et des enveloppes en rapport direct avec cet
étayage corporel et les fonctions de la peau physique. L’enveloppe tactile semble ainsi
la matrice de toutes les enveloppes, en rapport avec le toucher qui serait un des
premiers sens développé chez le bébé dès sa vie intra-utérine. « L’enveloppe primaire
est tactile », c’est ainsi qu’il commence la définition de ce concept dans le Dictionnaire
international de psychanalyse (2002, p. 523). Même si ce lien entre la peau et l’enveloppe
apparaît comme essentiellement métaphorique, la question reste posée de la
prédominance de cette forme.

Des travaux ont depuis proposé d’autres modèles de configuration de cette première 21
« peau psychique ». G. Haag (1993) par exemple propose celui des « boucles de
retour », qui met plus l’accent sur les perceptions que la mère reçoit et qui peuvent
« faire retour » chez le bébé dans ce qu’elle nomme les premières identifications
intracorporelles. Toute une série de « plis » permet ensuite de penser la
« géographie » de l’espace psychique et de l’image du corps du bébé. La « peau » n’a
plus ce privilège d’être à l’origine de l’enveloppe, c’est pour elle « l’interpénétration »
des regards associée au contact de l’arrière-plan du dos qui devient le vecteur de
cette transformation. Dans un autre référentiel théorique, Françoise Dolto (1984)
développe l’idée d’une série de castrations symboligènes comme constitutives de
l’image inconsciente du corps d’un sujet. La castration ombilicale qui pourrait
correspondre à la première peau psychique est envisagée du côté du désir de l’adulte
et de sa parole dans le champ des premières communications subtiles entre le bébé
et sa mère.

La clinique par ailleurs suggère d’autres entrées sensorielles quant à la 22


problématique des enveloppes. Le travail avec les adolescents met en exergue la
question du miroir et du « se voir » au regard des autres après la crise pubertaire. Le
travail avec les personnes âgées bute sur la question de la diminution des capacités
motrices, cognitives, langagières, celui avec les cérébrolésés, avec des troubles
neurodéveloppementaux, celui avec des personnes atteintes de cancer, en
réanimation ou en fin de vie mettent également en avant d’autres repères corporels.

Ces différentes situations cliniques ou modèles théoriques rencontrent aussi 23


différentes découvertes en psychologie développementale, en neurosciences, en
biologie ou en médecine qui peuvent apporter d’autres modèles pour penser
l’ancrage corporel de l’enveloppe psychique.

L’idée d’une enveloppe psychique suppose des processus qui permettent sa 24


stabilisation et son inscription tant corporelle qu’intersubjective. Les travaux par
exemple de Mark Solm (2019) pourraient être précieux pour envisager comment se
produit une certaine « stabilisation de la conscience » au sein d’une enveloppe, ceux
d’Ariane Bazan (2007) mettent l’accent sur l’importance des « copies d’efférence »
pour envisager la conscience sensori-motrice, Lisa Ouss (2019) souligne l’importance
d’une prédiction/anticipation stable à ce niveau, Nicolas Danziger (2010) montre le
rôle de la douleur physique dans la construction de l’image du corps. Du côté de la
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médiation musicale Édith Lecourt (2022) a montré comment les recherches sur le
cerveau (Bigand, Tillmann, 2020) sont tout à fait compatibles avec les données
analytiques des groupes de musicothérapie et stimulantes pour envisager leurs
processus. Même s’il y a un écart irréductible entre neuroscience et psychanalyse
(Ansermet, Magistreti, 2010), les convergences de certaines de leurs données ne
peuvent que stimuler la recherche.

L’étude par ailleurs du développement chez le bébé, montre l’importance de la 25


sensorialité et des étapes dans ce qui serait son self et sa découverte de l’autre. Entre
appui sur des études expérimentales et la psychanalyse, Stern (1995) a établi
comment les « différents sens du self » pourraient se construire. Une « enveloppe pré
narrative » s’installe entre le bébé et sa mère quand il a appris à être avec elle. Ce
pattern explique pourquoi un bébé de 5 mois réagit à l’expérience bien connue du
« still face » d’Edward Tronick : l’impassibilité soudaine de l’expression faciale de sa
mère le désorganise, il ne « fait plus enveloppe » avec elle.

L’amour liquide (Bauman, 2010), La fin de l’amour (Illouz, 2020), La jouissance sans 26
entrave propre au capitalisme (Melman, Lebrun, 2009) ou L’économie de l’attention
(Citton, 2014) sont par ailleurs autant de directions différentes qui tentent de rendre
compte au niveau sociétal de phénomènes transsubjectifs propres à la corporéité des
sujets. Se pose ainsi la question de l’articulation de la corporéité avec la dynamique
des ensembles intersubjectifs.

Nous ne pouvons plus envisager la définition des enveloppes psychiques sans les 27
articuler plus précisément avec la construction de l’image du corps et la
« communication primitive » du sujet avec les autres.

Une extension de sa portée intersubjective : de la dualité mère-bébé à la


pluralité des sujets
Plus fondamentalement l’enveloppe psychique apparaît avec l’évolution de la 28
psychanalyse du côté de l’intersubjectivité. L’idée d’enveloppe est présente chez
Freud à partir de sa description du Moi. Rappelons cette citation : « Le moi est avant
tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface mais il est lui-même la
projection d’une surface » (Freud, 1923, p. 238). L’analyse de l’Esquisse (Anzieu, 1987 ;
Houzel, 1987) confirme ce rapport de l’enveloppe au Moi avec sa base biologique.
Cependant si l’enveloppe s’étaie ainsi sur différentes fonctions biologiques, elle
s’étaie aussi sur les fonctions de la mère. Après Freud, plusieurs travaux comme ceux
de Melanie Klein ont ainsi mis l’accent sur la théorie de la relation d’objet pour
approcher la dynamique pulsionnelle du sujet. C’est en abandonnant l’idée que le
Moi est inné comme le pensait M. Klein, qu’Ester Bick (1968) introduit l’idée d’une
« première peau psychique » en 1967. C’est en mettant en relief la nécessité d’un
passage du moi corporel au moi proprement dit que Didier Anzieu (1974b) envisage

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les phénomènes décrits par Bowlby comme une pulsion primaire d’attachement
antérieure à la pulsion sexuelle, avant même l’écriture de son texte sur le Moi-peau
(Cupa, 2006).

Malgré cette ouverture à l’intersubjectivité, ce concept reste très marqué par une 29
problématique duelle, avec une conception monadique, intrapsychique, de la psyché.
Ne pourrait-on pas l’inscrire plus résolument dans une métapsychologie plus
intersubjective et groupale, comme les travaux de Bion et de Kaës nous incitent à le
faire ?

Didier Anzieu (1981) a introduit ce concept comme le cinquième organisateur 30


psychique groupal dans son ouvrage sur le groupe. S’il fait référence à « la peau de
mon voisin » (Turquet, 1974) pour justifier cette introduction, il met finalement en
avant l’instance de l’Idéal du moi. Cette instance permet selon Freud (1921) de faire
groupe autour du Mittler, le meneur qui est investi libidinalement par chaque
membre de la foule. L’enveloppe groupale proviendrait ainsi de la « mise en
commun » de cette instance, cela répond à la phase d’illusion groupale qu’il a
dégagée. Quel lien alors avec le « moi-peau » ?

De nombreux travaux en psychanalyse groupale ont depuis développé cette idée en 31


prenant une base plus directement issue de la problématique du traumatisme et de
la contenance.

Citons les travaux d’Albert Ciccone (1991, 2001) qui a très tôt mis cette problématique 32
au cœur du soin psychique, ceux issus du CIRPPA avec Bernard Chapelier (2011), la
contenance marque les processus de différenciation qui s’opèrent peu à peu dans le
groupe thérapeutique d’enfants, ou ceux de Guy Gimenez et Clarisse Vollon (2015)
sur des groupes de patients psychotiques. Je me suis inscrit dans cette perspective
pour envisager la construction de la vie psychique (Mellier, 2005, 2014).

L’enveloppe familiale a été définie par Didier Houzel (1994) en lien avec la question 33
de ce qui est à contenir au sein d’une famille. Évelyne Granjon (1989) avait plus mis
l’accent sur l’importance des enjeux de la transmission entre les générations : dans le
néo-groupe constitutif de la thérapie familiale psychanalytique il s’agit de prendre en
compte les éléments bruts qui, tels les éléments bêta, ne se transforment pas d’une
génération à une autre. Sur la famille avec Patrice Cuynet (2010) l’enveloppe a un
rapport très étroit avec l’habitat, la maison, un test familial a été mis en place dans ce
sens. Son hypothèse d’un « corps familial » permet de fonder et de caractériser les
enveloppes familiales qui peuvent ainsi avoir différentes caractéristiques selon la
pathologie des sujets concernés (eczéma, obésité, alcoolisme, etc.).

L’enveloppe institutionnelle a fait l’objet d’une hypothèse (Houzel, 1992) et d’un 34


développement pour les institutions d’accueil et soin par Denis Mellier (2000, 2018).
Dans ce dernier cas elle ne peut être envisagée sans penser à ce qui se met en

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commun pour une équipe autour de sa tâche primaire. Ces enveloppes ont ainsi des
liens très étroits avec les pactes, contrats ou alliances conscients et inconscients
constitutifs du fait institutionnel (Kaës, 2014).

Au niveau sociétal, les travaux sur l’holocauste ou autres traumatismes collectifs, s’ils 35
n’utilisent pas explicitement ce concept, se situent néanmoins dans cette
problématique d’un traumatisme à contenir entre les générations (Waintrater, 2019).
Il en va de même pour les situations actuelles mobilisant les groupes dans leurs
idéaux ou les bandes (Mohammed, 2011).

Ce champ très vaste « d’application » du concept d’enveloppe demande à ce que soit 36


mieux repéré comment ce qui fait lien entre les sujets, ou manque à le faire, obéit à
des logiques proprement dites intersubjectives. Le modèle bionnien (Bion, 1970) est
ici précieux pour comprendre comment des éléments insensés doivent coûte que
coûte trouver une issue, même au prix d’être étouffé par l’establishment. Contention ou
contenance ici s’opposent radicalement en donnant à voir des qualités radicalement
opposées des enveloppes.

Les processus de contenance apparaissent ainsi assez communément partagés chez 37


ces auteurs. Reste cependant à évaluer la place du corps parfois très absente de leurs
considérations. L’anthropologie pourrait nous aider à allier l’intersubjectivité à la
corporéité. Rappelons seulement ici que les substances comme le sang, le lait et le
sperme sont traditionnellement pour elle constitutifs de l’organisation des cultures
humaines. Les lois des ensembles intersubjectifs qui portent en eux-mêmes les
différences constitutives des sujets impliquent ainsi les corps de ces sujets et leurs
ressentis.

Notons qu’on assiste par ailleurs au développement de travaux qui utilisent un 38


modèle « écosystémique » (Bronfenbrenner, 1979) centré sur un sujet, différents
cercles concentriques situent son « microcosme » et son « macrocosme » avant
d’envisager son cadre écologique général. Différents modèles systémiques tendent
ainsi à rendre compte de la complexité de ce qui « fait enveloppe » pour un sujet,
mais bien sûr dans une visée « objectivante » et généralisante sans explicitement
prendre en compte la qualité des processus de soin et les enjeux contre-
transférentiels des intervenants ou thérapeutes. Il devient urgent de considérer, sur
la base d’un travail psychanalytique, comment articuler effectivement différents
niveaux de détermination, pour un sujet, pour ses liens et pour les ensembles
auxquels il participe plus ou moins directement.

Une réévaluation du cadre et du processus analytique : aménagement,


dispositif et associativité
La problématique des enveloppes suit de très près la question de l’aménagement du 39
cadre de travail analytique, notamment en institution, et des différentes
déclinaisons de l’associativité.

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Dans le même temps où Didier Anzieu prenait conscience des difficultés d’un travail 40
analytique avec des patients souffrants de traumatismes précoces, de failles dans
leur Moi-peau, il avançait l’idée d’une « psychanalyse transitionnelle » c’est-à-dire un
cadre propre à mettre au travail les éléments non encore verbaux de ces
traumatismes. L’aménagement du cadre psychanalytique doit être « ajusté afin de
compenser le manque du patient » (1979, p. 203). Anzieu (1986) précise plus tard le
rapport des enveloppes au cadre psychanalytique. Ce cadre repose sur des règles,
association libre, attention flottante et abstinence, qui permettent de garantir la
possibilité d’un travail psychique de perlaboration. Il a montré que les deux
consignes qui résument cette règle fondamentale présentent une « homologie de
structure topographique » avec l’appareil psychique.

« Deux des enveloppes les plus importantes le pare-excitation, la surface 41


d’inscription, sont en effet mises en œuvre respectivement par la règle d’abstinence
et par la règle des associations libres. » (1986, p. 14)

René Roussillon (2009) a par la suite profondément explicité cette nécessité. Les 42
variations des dispositifs analysants renvoient aux capacités de symbolisation des
patients. Les enveloppes psychiques trouvent leur fondement quand l’être-bébé
devient sujet, elles appellent des dispositifs ajustés aux possibilités de représentation
des sujets concernés. Anne Brun (2019) a effectué ce travail avec les groupes à
médiation centrés sur la peinture. En s’appuyant sur le repérage et l’évolution des
signifiants formels propres au support pictural, elle a analysé les processus qui se
déploient pour les participants du groupe. Ella va jusqu’à proposer une grille basée
sur ces signifiants pour les évaluer plus « objectivement ».

Quand les liens sont « précaires » pour un sujet, j’ai montré (Mellier, 2005) que la 43
demande de soin est pour lui trop difficile. Cette non-demande de personnes qui
pourtant sont sujettes à des « détresses impensables » ou « souffrances primitives »
implique de penser des offres de soin, comme des offres possibles de « contenant »
pour accueillir ces souffrances. Si les patients n’ont pas suffisamment de demande
pour consulter, il faut alors travailler ces offres de soin au sein même des équipes et
institutions. Les dispositifs d’écoute, d’attention et de travail de ces souffrances non
contenues ont alors une dimension groupale. Pour « aller-vers » et se rendre
« disponibles », les praticiens, les cliniciens doivent pouvoir s’inscrire au sein d’un
travail d’équipe soutenant. C’est ce « cadre institutionnel » (non nécessairement
analytique) qui permet de soutenir des dispositifs plus analytiques, de réception et
d’élaboration de ces souffrances archaïques.

Sur les terrains la variété des dispositifs des praticiens explose : parfois pour une très 44
grande richesse parfois en devenant beaucoup plus précaire, et souvent au risque de
perdre le sens de la fonction soignante. La pérennité et la force des dispositifs

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résident dans une inscription suffisamment solide au sein du cadre institutionnel,


mais aussi dans la pleine conscience que les soignants ont de leurs logiques
associatives.

Les qualités associatives ou non des processus sont directement des indicateurs de la 45
qualité des enveloppes psychiques. Ces qualités (compacité, connexité, orientabilité
et élasticité) ont été décrites par Didier Houzel (2005). Après les « associations
d’idées » dans la cure, la « chaîne associative groupale » et maintenant la
reconnaissance des « associations non verbales », comme celles propres au jeu [2], au
squiggle, ou au matériau propre à une médiation, ces processus propres au travail de
lien demandent à être précisés dans leur genèse, pathologie et développement.

L’associativité est devenue une caractéristique de l’extension de la psychanalyse 46


(Roussillon, 2009). Il reste cependant à la qualifier et à la repérer dans ses
caractéristiques propres. La tâche n’est pas aisée quand elle se réfère aux formes
mêmes de la parole avec sa prosodie ou la « communication non-verbale », voire aux
données corporelles, comme les « signifiants formels ». Le problème est beaucoup
plus complexe quand elle se réfère à des données externes à la vie psychiques, celles
appartenant au domaine de la culture, de l’éducation ou de l’économie par exemple,
le risque de confusion des réalités est très grand. C’est sur ce fil que semble pouvoir
néanmoins se créer une possible contenance de souffrances intimement reliées à des
secteurs très différents les uns des autres. Les identités des sujets sont ici
convoquées, non dans leur substance qui reste très illusoire, mais dans la manière
dont ils peuvent s’identifier comme acteurs, sujets, dans ces différentes réalités. Ces
liens sont ainsi constitutifs d’enveloppes psychiques qui entraînent différents
sentiments d’appartenance (Rouchy, 2008). La très forte adhésivité signe le peu
d’écart existant dans les processus associatifs.

Une extension de la conceptualisation des enveloppes pourrait permettre de 47


comprendre comment des équipes et dispositifs peuvent s’ajuster au plus près des
manifestations psychopathologiques et des souffrances primitives à prendre en
charge. Réévaluer ce concept, c’est approfondir les rapports en corporéité et
intersubjectivité qui le définissent et explorer plus avant les processus et leurs
dispositifs propres à les mettre au travail.

Vers une lecture de la psychopathologie plus intersubjective


La notion d’enveloppe est née face aux difficultés cliniques de prise en charge de 48
souffrances jusqu’alors peu représentables. Sa double origine théorique, anglaise et
française, a ainsi positionné cette conceptualisation dans deux voies
psychopathologiques bien différentes. La clinique s’est ensuite développée aux deux
bornes de son étayage, somatique et social.

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Les souffrances à contenir ont d’abord été celles irreprésentables propres à l’autisme 49
mais aussi aux nourrissons dans leurs premières semaines de vie. Face aux angoisses
de chute sans fin, de liquéfaction, E. Bick a fait l’hypothèse que c’était le Self lui-
même qui ne pouvait se rassembler, avoir la consistance d’une réalité psychique et
permettre l’existence d’un « espace » à partir duquel les processus de projection et
introjection de l’objet décrits par Melanie Klein peuvent avoir un sens. L’école dite
« post-kleinienne », avec Tustin, Meltzer, Rhodes, Haag, Houzel et Ciccone, etc., a
ainsi considérablement exploré en ce sens les pathologies les plus archaïques. La
« seconde peau » [3], l’identification adhésive, la bidimensionnalité, le
démantèlement, l’auto-sensualité permettent de penser des défenses pour un sujet
qui doit « se contenir à tout prix » car, pour reprendre les termes bionniens, il doit
contenir des « terreurs sans nom ».

Pour Didier Anzieu cette notion a d’abord été élaborée pour faire face aux patients 50
peu accessibles à la rigueur du cadre analytique, des patients dits « états-limites »,
« borderline ». Il s’agit de pouvoir mettre au travail des traumatismes précoces, qui
sont restés « en deçà de la parole » car issus d’une période où l’appareil du langage
n’était pas suffisamment constitué. Les « situations limites » (Roussillon, 1999), les
personnalités narcissiques, mais aussi les troubles dans la construction du moi de
l’enfant ont bénéficié de cette approche. Cette question sur la psychopathologie peut
ainsi considérablement s’élargir.

Les cliniques liées à la précarité (Furtos, 2008), à la survie, aux angoisses de « non- 51
assignation » ou aux processus d’auto-exclusion posent explicitement le problème
des failles de l’étayage sociétal, culturel ou économique des sujets. Les processus
pathologiques impliquent bien sûr ces sujets, mais aussi les services qui les prennent
en charge ou plus largement leur environnement social et politique. Des
interférences sont à analyser à de multiples niveaux.

Des processus psychiques qui pourraient très bien s’apparenter à la problématique 52


des enveloppes, mais, pour différentes raisons, ne sont pas nommés comme tels.
L’exemple le plus frappant est la problématique psychosomatique, alors qu’elle est
envisagée par exemple en termes de pare-excitation maternel, de défaillance de la
mentalisation, de corps érogène ou de faille du préconscient. Cela expliquerait mieux
la place des thérapeutes au regard de la fragilité de l’équilibre psychosomatique des
sujets, et permettrait d’envisager les défenses institutionnelles des services
hospitaliers avec la pathologie des patients. Les différents travaux sur les addictions
gagneraient également à bénéficier de la focale ouverte par la problématique des
enveloppes.

Certaines pathologies sont décrites avec d’autres référentiels. Par exemple dans le 53
monde du travail les phénomènes de burn-out, ou de suicide au travail, sont très
largement documentés grâce à des approches en psychosociale et/ou en psychologie
de la santé. À la croisée de problématiques individuelles et de questions collectives,

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ils révèlent indéniablement une psychopathologie des enveloppes psychiques.


L’impact par ailleurs de certaines théories managériales dans un processus local
montre la complexité des interférences de niveaux.

La labilité des symptômes à certaines époques de la vie (petite enfance et adolescence 54


notamment, mais vieillesse également) ainsi que le passage entre des voies
psychopathologiques bien différentes les unes des autres (entre les pathologies
mentales, somatiques, liées à l’agir ou inscrites dans un trouble social), plaident pour
être réunifiés sur un socle commun. Un point de vue strictement
« développemental » est très réducteur car il dénie toute place aux processus
d’historicisation, mais il ne peut être ignoré, car visiblement l’installation de la
psychopathologie dépend des conditions physiques du sujet et de son âge. Par
ailleurs qu’est-ce qui fait que certaines souffrances non contenues peuvent trouver
successivement ou simultanément différentes formes pathologiques ? Le « soi » d’un
sujet peut-il se comprendre comme un agrégat de différentes parties qui réagissent
différemment à ces détresses archaïques et qui changent suivant une nouvelle
configuration ? Ces questions recoupent certains flottements quant à la définition
des enveloppes, leur genèse, leur topographie : le Moi, l’appareil psychique, le
préconscient, le Self, l’espace psychique… au-delà des différentes conceptions
théoriques, ces variations demandent à être analysées.

Enfin il n’est pas inintéressant de reprendre le travail de Jean Guillaumin (1987) sur 55
les « maladies professionnelles des psychanalystes ». Les enveloppes concernent très
précisément la personne même de l’analyste qui, par le travail de son contre-
transfert, doit pouvoir bénéficier « d’enveloppes », d’étayages, d’espaces où il peut
maintenir ses capacités de penser. Si les enveloppes de l’analyste sont atteintes, c’est
bien que chez tout patient ce processus est à l’œuvre.

Revisiter ce concept c’est s’inscrire dans une psychopathologie radicalement plus 56


intersubjective pour un quadruple but : une psychopathologie psychodynamique
moins marquée par un point de vue monadique et une unicité des processus de
défense, un repérage des liens et des diverses modalités associatives des sujets, une
prise en compte plus explicite de la place du contre-transfert dans le diagnostic ainsi
que des dispositifs pouvant mettre au travail ces liens.

Projet de travail

Au regard de la problématique précédemment esquissée l’enveloppe psychique 57


s’étaie plus que tout autre processus de la réalité psychique et sur le corps, le soma et
sur l’autre, le socius. Il s’agit ainsi dans cet ouvrage de revenir sur les souffrances et
le maillage très étroit entre corporéité et intersubjectivité que réalise le travail de lien
consubstantiel à son existence. Comment envisager cette complexité ? Comment ce
maillage est-il perceptible et mis au travail à travers différents processus associatifs

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de liens ? Comment la psychopathologie signe-t-elle un véritable accroc dans ce


maillage, un trou ou une soudure qui grève les possibilités de penser du sujet ?
Comment des dispositifs rendent-ils possibles un nouveau « tissage » de lien ?
Pouvons-nous aller plus loin dans son approche métapsychologique ?

Trois parties scandent ainsi cet ouvrage sur l’enveloppe psychique. La première 58
partie est plus théorique et réunit deux grands pionniers à l’origine de cette
conceptualisation, la deuxième est plus clinique, elle est centrée sur la
psychopathologie et les dispositifs de soin, la troisième s’engage dans une
perspective plus métapsychologique.

Une première partie sur la complexité d’un concept


entre corporéité et intersubjectivité
Les souffrances à contenir admettent dans le cas des enveloppes psychique un niveau 59
de complexité particulier.

Didier Houzel a profondément explicité ce concept en le positionnant notamment au 60


niveau des angoisses à contenir et des processus de contenance des sujets. Il
prolonge ici son analyse pour revenir sur la dimension réellement complexe de ce
concept, complexe au sens d’Edgar Morin. De manière inattendue l’enveloppe
psychique rassemble des mondes différents qui ont tous pour fonction de rendre
possible la vie du sujet. On aurait tort ainsi de relier l’enveloppe à la nature précise
d’un fonctionnement ou d’un registre spécifique. C’est bien sûr ce qui fait son
intérêt, mais c’est aussi ce qui le rend apte à de multiples glissements de sens,
comme nous l’avons vu.

René Kaës positionne ce concept au sein d’une métapsychologie des liens. Il rappelle 61
ce que doit ce concept à Didier Anzieu, à son histoire singulière et au Moi-peau, pour
l’inscrire ensuite résolument au fondement même des liens intersubjectifs. Ces
ensembles ont bien sûr des liens d’emboîtement, cela est souvent noté, mais il insiste
plus précisément sur les interférences qu’ont ces enveloppes de différents niveaux,
celles de l’individu, celles des liens des sujets entre eux, celles de leur ensemble, voire
celle du méta-cadre. Les enveloppes composent avec différentes réalités hétérogènes
à la vie psychique et restent très marquées par les traumatismes passés des sujets.
Des exemples illustrent son propos.

Une deuxième partie clinique sur la psychopathologie


et la variation des dispositifs
Les sujets aux prises avec des souffrances qui manquent à être contenues ont 62
développé des défenses radicales qui prennent différentes formes. Pathologies
individuelles ou collectives, atteintes corporelles ou mentales, agir sur soi ou sur les
autres, tous les secteurs de notre existence sont touchés par la problématique des

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enveloppes. Les liens en souffrance entre le sujet et son corps, entre le sujet et les
autres mettent à mal leurs processus associatifs de penser et posent ainsi des
questions méthodologiques au clinicien.

Quel dispositif pourra soutenir et développer un travail de liens face à de telles 63


pathologies ? Les terrains sont très différents, hétérogènes, la demande de soin
psychique fluctuante, voire déniée. La « raison » d’un dispositif est de pouvoir
recevoir et transformer les souffrances propres à la dérégulation des processus
constitutifs des enveloppes psychiques. Encore faut-il qu’un cadre suffisamment
fiable existe pour arrimer ce dispositif. Dans cette deuxième partie l’hétérogénéité
des enjeux psychopathologiques côtoie ainsi une très grande diversité des
dispositifs.

Dominique Mazéas interroge les premières formes d’enveloppe qui peuvent émerger 64
des processus autistiques. La question de l’ajustement subtil des mouvements
propres à la respiration illustre comment une fonction purement physiologique peut
devenir un espace partagé entre le thérapeute et son patient en thérapie individuelle.

La construction de l’auto-érotisme et de la capacité à fantasmer-rêver constitue pour 65


Christine Anzieu-Premmereur un indicateur du processus thérapeutique pour des
patients pris par des processus addictifs. La réanimation de leurs capacités
libidinales et le développement d’activités sources de plaisir signent pour eux une
restauration des premières enveloppes où le plaisir se partage dans les interactions
entre mère et bébé.

L’infanticide est un impensé. Le travail psychique en institution que nous décrit 66


Magali Ravit ne tient qu’à un fil. Proposer des rencontres régulières ou installer un
groupe thérapeutique à médiation analytique dans le cadre institutionnel
contraignant de la prison demande un ajustement constant.

La psychopathologie du travail est parfois le grand oublié de la clinique. Gilles Amado 67


et Dominique Lhuilier travaillent en entreprise et dans le milieu du sport. Dans ce
secteur l’intervention clinique souffre d’un défaut de dispositif alors que les
demandes de performance sont très fortes et le développement de souffrances liées
au travail patent. Comment le clinicien peut-il se rendre suffisamment disponible,
sans pour autant être sous l’emprise des enjeux compétitifs de la structure ?
Comment « dé-psychologiser » la souffrance d’individus qui se culpabilisent d’un
travail non réalisé alors qu’ils sont pris par des processus collectifs paradoxaux ? La
notion d’enveloppe peut être une aide pour prendre une juste mesure de ces
phénomènes, les repérer, reconnaître leurs effets sur les sujets, et agir en
conséquence.

Une troisième partie centrée sur l’associativité et l’approche


métapsychologique

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Le texte de Didier Anzieu qui ouvre cet ouvrage est déjà ancien (Anzieu, 1991), mais 68
comme souvent chez cet auteur il anticipe des questions à venir. Il conclut le colloque
organisé par René Kaës sur les « processus associatifs groupaux » en prenant
paradoxalement l’exemple d’une cure individuelle. Il a en germe l’intuition
d’envisager la complexité des processus associatifs en dégageant 3 types
d’association pour l’évolution de cette cure : celle reliant la pensée au corps (quand
cette patiente ne cesse de se plaindre), puis celle de la pensée à la pensée de l’autre
(quand elle est surtout centrée sur la pensée de l’analyste), enfin celle liée à l’ordre
symbolique du langage qui régit les rapports humains. Pour mettre en mouvement le
travail de lien propre aux enveloppes, il s’agit d’abord de partir des associations que
le sujet peut avoir par rapport à une autre réalité, corporelle, sociale, éducative ou
culturelle, avant que le sujet ne puisse partager ses éprouvés avec les autres, voire les
élaborer.

L’associativité a une place centrale, pour qui veut définir une enveloppe psychique. 69
Le clinicien qui partage « en négatif » les défaillances des enveloppes des sujets doit
résister à l’indifférenciation, à la confusion ou au rejet dont il est l’objet. Cette
troisième partie reprend les apports précédents en les élargissant vers une approche
métapsychologique des enveloppes.

Le repérage et l’élaboration de situations institutionnelles en groupe d’analyse de la 70


pratique permettent à Jean-Pierre Pinel de montrer comment « contenir » des peurs
d’effondrement présentes chez des sujets limites. Les pathologies de l’agir tendent à
ex-corporer les conflits sur d’autres scènes. L’absence de répondant, qui souvent se
répète pour ces sujets, alimente leurs répétitions mortifères. C’est sur « les murs
d’une institution » que peut s’inscrire leur désarroi, à charge pour les équipes
éducatives de pouvoir porter et donner sens à ces agirs, à charge pour le clinicien de
« tenir » pour mettre au travail ces souffrances primitives. À partir de cette clinique il
esquisse une approche métapsychologique des enveloppes institutionnelles.

Théorie, clinique et méthodologie vont de pair. Pour ma part je montre comment 71


nous gagnerions à définir l’enveloppe psychique comme une véritable formation
psychique, comme le rêve ou le jeu. Fondée sur l’associativité et des processus de
contenance, l’enveloppe dépend d’un travail d’attention que Freud et ses
continuateurs ont indiqué. Prenant différentes formes, l’enveloppe répond à
différents enjeux pour contenir des angoisses primitives où sont confuses des
discriminations comme dedans/dehors, conscient/inconscient, corps/psyché,
moi/autres ou soi/socius. Cela implique une certaine disposition d’état d’esprit que le
clinicien doit cultiver, un dispositif apte à recevoir, contenir et transformer ces
angoisses suivant ses possibilités associatives, ainsi qu’une équipe et un cadre apte à
orienter ce travail. Comme formation psychique l’enveloppe doit se définir entre le
Self et les modalités défensives du Moi.

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En conclusion, les enveloppes psychiques et l’extension


de la psychanalyse

L’extension de la psychanalyse entrerait dans une troisième période. Après le temps 72


de sa fondation avec Freud autour d’une réalité psychique qui prenait sa consistance
pour chaque individu avec le refoulement de la sexualité, son extension s’est réalisée,
on l’a souvent rappelé, autour des « contenants » qui rendent possibles ces
« contenus ». Les pathologies touchant la solidité de l’appareil psychique, ses
frontières ou son immaturité, sont ainsi devenues plus accessibles au travail
psychique. Les effets de l’inconscient peuvent alors se travailler en dehors de la cure
type, avec les aménagements du cadre, le face-à-face, les différents types de groupes
analytiques, le psychodrame ou l’utilisation de médiation. La postmodernité, la
mondialisation, la faillite des méta-cadres sociaux signent un « malêtre » (Kaës, 2012)
qui concerne les liens mêmes que les sujets ont entre eux et vis-à-vis d’eux-mêmes.
Le travail des liens va au-delà de la construction, restauration ou élaboration des
« contenants » nécessaires à tout sujet. Il concerne « le tissu » dans lequel nous nous
mouvons, les processus qui rendent possibles l’existence des ensembles
intersubjectifs, groupes, famille ou autres agrégations. Une métapsychologie du 3e
type selon les termes de R. Kaës (2015) devrait permettre de prendre en charge des
pathologies profondément enracinées dans les ensembles intersubjectifs, des
pathologies propres à ces ensembles. Le concept d’enveloppe psychique pourrait
prendre ici toute sa place, s’il est pensé radicalement au fondement de
l’intersubjectivité comme de la corporéité.

Cet ouvrage s’adresse aux psychologues et psychanalystes qui œuvrent sur les 73
terrains du soin, mais aussi à toutes les équipes pluridisciplinaires qui cherchent des
solutions face au découragement, à la perte de sens et à l’impuissance. Il s’adresse
également aux thérapeutes aux prises avec des aspects très archaïques de la
personnalité. Il intéressera les chercheurs et les humanistes qui se préoccupent des
multiples souffrances qui jalonnent notre histoire et qui sont encore si présentes au
quotidien.

Notes

[1] Cette question rejoint le problème de sa traduction en anglais : « envelope » a le sens


trop concret d’une enveloppe matérielle, à la différence par exemple de l’espagnol
où « envoltura » bénéficie de la connotation latine de l’entourance (volvere : « faire
rouler »). C. Anzieu-Premmereur envisageait de le traduire par « wrap » qui indique
mieux l’idée d’enveloppement, d’enrouler quelque chose (communication
personnelle).

[2] J’avais indiqué (Mellier, 1999) comment dans son texte devenu célèbre sur la
formation des symboles, Marion Milner (1952) avait privilégié chez son petit
patient le processus du jeu, plutôt que son interprétation comme le préconisait à
l’époque M. Klein. M. Milner a pu maintenir ainsi son attention en s’appuyant sur
ses connaissances en anthropologie, le jeu de cet enfant lui rappelait les rites de

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certaines cultures, et sur la valeur qu’elle attribuait à une démarche artistique


dégagée des processus secondaires, « c’est mon imaginaire qui prenait feu » (voir
son ouvrage sur L’inconscient et la peinture).

[3] En Angleterre, le concept « d’enveloppe » ne semble pas avoir pris l’ampleur qu’il a
eu en France si l’on juge par exemple The Edinburgh International Encyclopedia of
Psychoanalysis (Skelton, 2006) où ce terme est absent : la peau psychique ou le « Skin
phenomena » reste la seule occurrence proche de cette notion.

Plan
Pourquoi réévaluer ce concept ?
Une problématique que l’actualité impose
Les obstacles : réification, réduction et focale
Une conceptualisation à approfondir

Projet de travail
Une première partie sur la complexité d’un concept entre corporéité et intersubjectivité
Une deuxième partie clinique sur la psychopathologie et la variation des dispositifs
Une troisième partie centrée sur l’associativité et l’approche métapsychologique

En conclusion, les enveloppes psychiques et l’extension de la psychanalyse

Auteur
Denis Mellier

Professeur émérite de Psychologie clinique et psychopathologie, MSHE (UAR 3124),


Laboratoire de Psychologie UR 3188, Université de Bourgogne Franche-Comté, UBFC),
psychologue clinicien (Lyon), membre de la Société Française de Psychothérapie
Psychanalytique de Groupe (SFPPG), co-président de la Waimh-France.

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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2023


https://doi-org.distant.bu.univ-rennes2.fr/10.3917/dunod.melli.2023.01.0001

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