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Nadia MAKDOUN
Université Chouaib Doukkali ,El Jadida
Résumé
Cet article vise à consacrer, au travers le récit de voyage, la
« suprématie » de l’Autre face à l ’ « infériorité » de l’oriental et de
démontrer également comment l’orient est fait chez les écrivains
voyageurs orientalistes de clichés et de stéréotypes inexorables.
Nous nous intéresserons dès lors à observer de plus près les clichés
culturels et moraux relatifs à la littérature orientaliste qui cherche à
brosser l’image d’un orient aliéné spirituellement et culturellement.
Nous nous proposons donc de tenter une lecture de la littérature de
voyage mais aussi du discours sur l’Autre. Nous essayerons ainsi de
répondre aux questions suivantes : quelles sont les images orientales
qui peuvent être véhiculées chez l’occident et l’écrivain orientaliste
en particulier ? Et de quelle manière cette littérature dépeint-t-elle la
relation de l’homme au monde ? Comment les récits du voyage du
début du XXème siècle avaient-ils impacté la perception du monde
et la relation à l'autre ?
L’œuvre d’André Chevrillon intitulée : Un Crépuscule d’Islam au
Maroc en 1905 s’apprête parfaitement à fournir des réponses
pertinentes aux dites problématiques. Nous dégagerons dans une
première partie quatre images dominantes dans le récit à savoir celles
rattachées à l’exotisme, la religion, le despotisme et la volupté. Il
sera question dans un second temps d’interroger le rapport entre
l’orient et l’occident en mettant en exergue la position de
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1. L’orient exotique
L’exotisme demeure un phénomène dont l’originalité première
est de réaliser l’identification de l’objet en quête et des lieux.
L’espace étranger devient ainsi l’objet de la recherche et de la
fascination de l’auteur. Ses aspects curieux, étranges et piquants sont
recherchés et mis en scène par l’écrivain voyageur qui crée ainsi un
monde extraordinaire (Couprie, 1986 :17).
L’écriture exotique serait aussi l’opportunité ou la réponse à un
besoin ; le lecteur désire fuir dans la lecture des récits exotiques qui
le laisseront voyager et entreprendre un réel départ imaginaire loin
des tracas de la vie quotidienne. L’écrivain voyageur ne contribue
pas seulement à opérer les fuites de ses lecteurs potentiels mais les
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2. L’orient religieux
Dans Crépuscule d’Islam au Maroc en 1905, il a été question de
définir ce qui constitue l’islam dans une terre orientale où les
dogmes, les traditions et les superstitions apparaissent comme de
véritables composantes de cette religion. Mais il importe ici de
distinguer très soigneusement entre la religion exprimée dans le
coran et les traditions qui sont incorrectement considérées comme
faisant partie de la religion alors que l’islam est purement et
simplement l’application du Coran. En effet, Chevrillon démontre,
ici, ce qui a pu faire que l’islam soit devenu « une religion énervée »
telle qu’il la qualifie. La tradition frénétique et l’esprit superstitieux
musulman sont pris ici à tort pour de la religion.
Les manifestations de ces dogmes et de ces traditions de
sorcellerie ont constitué un répertoire très étendu où l’auteur a pu
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L’objet du culte n’est plus Allah, mais le saint qui s’est absorbé en
Dieu, un hystérique, un bon fol, plus souvent un thaumaturge habile
qui vend ses miracles (Chevrillon, 1999 : 52).
3. L’orient despotique
Le despotisme oriental incarne bel et bien un pouvoir efficace par
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Le terme « makhzen » (en arabe : ; مخزنlittéralement « magasin ») désigne, dans
le langage courant et familier au Maroc, à la fois le Pouvoir marocain et un système
de relations interpersonnelles n’obéissant pas à la loi et aux règles du droit, et
s’éloignant de la rationalité politiquement démocratique dans BOURQUIA,
R.(2011), Culture politique au Maroc à l’épreuve des mutations, Paris, Ed.
L’Harmattan, p 23.
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Le terme « Mokhaznis » (en arabe dialectal )مخازنىةdésigne les agents de
l’autorité marocaine.
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4. L’orient voluptueux
L’orient voluptueux a fait fantasmer bon nombre de peintres et
d’écrivains voyageurs depuis des siècles déjà. Ils ont ainsi fait la
configuration de femmes concupiscentes dénudées à travers leurs
toiles et leurs descriptions détaillées de leur monde secret. Ces
femmes qui incarnent le plaisir charnel et qui se laissent entraîner
dans des dégustations de tendres et infinies suavités. Ces sensuelles
femmes destinées à combler leur maître le sultan. Nous tenterons
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1. La supériorité de l’Occident
La supériorité de l’occident véhicule son sens avant tout dans
cette impuissance de considérer l’autre comme son alter ego s’il ne
lui reflète pas l’image qu’il exige de lui. Cet autre qui se démarque
symétriquement de cet occident qui ne cesse de le suffoquer. Ainsi,
l’autre quand il ne répond pas généralement à ce qu’on lui impose,
est, d’emblée, maudit par une altérité engendrant dans les pires des
cas une régression ignoble (Saïd, 1999 : 10-11). De ce fait, l’espace
et la culture de l’autre devient pour l’occidental un ailleurs que l’on
ne peut admirer mais d’où aucune nouveauté ne ressort. L’ensemble
des sociétés occidentales demeurent convaincues de leur supériorité
que nulle autre société étrangère ne viendra les concurrencer.
On retrouve la notion de la supériorité de l’occident dans bon
nombre de récits de voyage notamment celui d’André Chevrillon qui
relate son voyage effectué au Maroc durant la période du XIX siècle.
C’est ce qui nous conduira à nous poser les questions suivantes : dans
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Mon rifain est venu lacer jusqu’au dernier œillet la porte. Agenouillé
de l’autre côté, la tête baissée jusqu’à l’interstice qui sépare la toile
de la terre (Chevrillon, 1999 :71).
2. L’infériorité de l’Orient
Pouvoir constituer une idée plus au moins pertinente sur ce qu’est
l’infériorité de l’orient renvoie à interroger l’ouvrage d’Edward
Saïd L’Orientalisme, l’Orient crée par l’Occident qui fournit la
réponse qui suit :
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mais de la race, non des vies particulières, mais de cette longue vie
totale qui depuis tant de siècles dure dans ces mêmes enceintes
(Chevrillon, 1999 :118).
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objet sexuel dont les hommes usent pour assouvir leur désir charnel.
Les femmes sont ainsi instrumentalisées pour servir les desseins de
ceux qui veulent les asservir. Elles se présentent également dans le
récit comme l’objet de propriété d’un maître qu’il désigne aux autres
et à elles-mêmes comme « l’interdit » (Horm). Les femmes doivent
aussi subir d’autres épouses dans le lit de leur mari ou maître,
partager avec elles la vie quotidienne et subir ensemble les
humiliations et les conditions de servitude qu’elles doivent à leur
mari pour sa seule qualité d’être un mâle.
La femme orientale apparaît, certes, dans ce récit soumise aux lois
dégradantes imposées par la société de l’époque et qui sont, il faut le
dire, des lois qui témoignent d’une réalité bien établie que l’on s’est
forcé à évoluer, au fur et à mesure, que la société se développe. Mais
ceci n’est point une raison valable qui permet aux écrivains
voyageurs notamment André Chevrillon de réduire la femme à de
telles considérations.
L’infériorité de l’orient s’est ainsi manifestée sous de multiples
formes, le plus souvent destinées à incarner l’image d’un Orient vu
d’en haut par l’occident.
Au terme de nos propos, nous tenons à signaler qu’André
Chevrillon a été extrêmement sensible tout le long de son récit à tous
les contrastes de la société marocaine de l’époque. Il a
principalement mis le point sur les constituants plus ou moins
négatifs de l’orient découvert en 1905 ; la critique, entre autres du
système de gouvernance imposé par les sultans ainsi que les
idéologies erronées dégagées à propos de l’islam demeurent selon
lui le modèle parfait du mutisme et du silence.
Il est également appréciable de mentionner que Chevrillon a fait,
par conséquent, de par son style d’écriture très subtil occidentaliser
le Maroc qu’il a découvert en condamnant toute forme
d’obscurantisme qu’il jugea principale caractéristique de cette terre
d’orient. Mais c’est là une véritable opposition avec ce qu’avance
François Durant dans la préface qu’il a réservée à Crépuscule
d’Islam au Maroc en 1905 ; il prétend que Chevrillon n’a point
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Bibliographie
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