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Missions chrétiennes
en Asie (V -XXI siècle)
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Jérôme Pace
Missions chrétiennes en Asie
(V -XXI siècle)
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Carte • Le royaume de Siam
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Missions chrétiennes en Asie
Missions
chrétiennes
en Asie
(V -XXI siècle)
e e
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Missions chrétiennes en Asie
Introduction
Dans un contexte international et religieux aujourd’hui
particulièrement sensible, l’Asie apparaît pour l’Église catho-
lique romaine comme une terre de grande espérance. Les
papes Jean Paul II et Benoît XVI ont récemment rappelé, et à
plusieurs reprises !, l’intérêt du Saint-Siège pour ce continent
habité par environ deux tiers de la population mondiale…
Souvent présentée comme l’apanage des missions euro-
péennes en Asie entre les XVIe et XIXe siècles, l’histoire de la
religion chrétienne dans cette région est pourtant indissociable
de sa propre histoire : après tout, le christianisme n’est-il pas
né en Terre sainte, et donc en Asie de l’Ouest ?
Pour le reste, sa diffusion vers l’est n’attend pas : mises
au jour par l’archéologie, de nombreuses preuves matérielles
attestent de « premiers » contacts, dès les Ve et VIe siècles.
Assurément, les prémices d’une histoire désormais double-
ment millénaire et dont le cours n’a pas encore livré tous
ses mystères.
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Le christianisme syriaque
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L’Empire mongol
Au XIIIe siècle, le christianisme pénètre cependant de nou-
veau l’empire du Milieu. Le mariage de plusieurs princes de
sang mongols avec des femmes nestoriennes ouvre en effet
une période de grande tolérance. Les récits de voyage des
missionnaires dominicains et franciscains envoyés sur place,
par exemple André de Longjumeau, Jean de Plan Carpin ou
encore Guillaume de Rubrouck, témoignent de ce renouveau.
Tous évoquent, de l’Asie centrale jusqu’en Chine, l’existence
paisible de communautés chrétiennes syro-orientales. Initiées
par Rome et par Louis IX (1214-1270), les premières missions
européennes sont généralement bien accueillies par des sou-
verains mongols particulièrement avides d’échanges intellec-
tuels. Dans le contexte des croisades, la persistance de l’Empire
mongol à se présenter comme le protecteur des chrétiens fait
naître en Occident l’idée d’une alliance à revers contre l’islam et
les pouvoirs musulmans. Une éventualité confirmée par l’envoi,
en 1248, d’une ambassade mongole à Saint Louis : l’informant
que les Mongols souhaitent mettre fin au califat de Bagdad et
restituer Jérusalem aux chrétiens, le grand Khan Güyük (1206-
1248) lui demande de neutraliser le sultan d’Égypte afin que
ce dernier ne puisse venir en aide au calife.
Une proposition d’alliance restée lettre morte, mais renou-
velée à plusieurs reprises le temps passant. La rencontre, en
1287 à la Sainte-Chapelle, à Paris, de Philippe IV (1268-1314)
et du moine nestorien Rabban Șauma (1225-1294) marque, à
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cet égard, les esprits. En vain : les échecs répétés des zélateurs
européens à convertir les dirigeants mongols au christianisme
latin inquiètent les rois occidentaux. Lorsqu’en 1313, Philippe
le Bel se décide à soutenir l’ilkhan Öljaitü (1280-1316) dans sa
volonté de conquérir la Syrie-Palestine, il est déjà trop tard :
les Francs ont été éliminés du Levant. En Chine, la mission du
franciscain Jean de Montecorvino (1247-1328) est pourtant un
succès relatif. Installé depuis 1294 à Khanbalik, la capitale de
l’Empire et ancienne Beijing, le missionnaire est soutenu par
les autorités locales, malgré des relations difficiles avec les nes-
toriens : les conversions se multipliant, il est, en 1308, nommé
archevêque de Khanbalik par le nouveau pape Clément V
(vers 1264-1314). À la fin du XIVe siècle, l’arrivée au pouvoir de
la dynastie Ming (1368) conduit cependant à l’expulsion des
évangélistes occidentaux et à la destruction des églises et des
monastères ; elle sonne surtout la fin de communautés chré-
tiennes – syriaques et latines – déjà affaiblies par la grande
peste et l’affirmation ou réaction du bouddhisme et de l’islam.
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Un monde divisé ?
Patronato/Padroado
À la fin du XVe siècle, la découverte du Nouveau Monde
bouleverse l’ordre établi. Pour prévenir tout conflit entre les
deux grandes puissances maritimes et coloniales de l’époque,
l’Espagne et le Portugal, le traité de Tordesillas est signé le
7 juin 1494 : établi sous l’égide du pape Alexandre VI (1431-
1503), il vise à partager les récents territoires colonisés en
deux zones d’influence distinctes. La promulgation, au cours
des années suivantes, de plusieurs bulles papales a notam-
ment vocation à asseoir cet équilibre et coordonner, par l’in-
termédiaire de nations catholiques fortes, l’évangélisation de
contrées fraîchement conquises. Un arrangement complexe
de droits et d’obligations à l’origine des systèmes du patronato
espagnol et du padroado portugais : respectivement effectifs
jusqu’aux XIXe et XXe siècles, les mandats offriront plusieurs
siècles durant aux royaumes ibériques, une autorité politique
exceptionnelle sur les affaires religieuses de leurs colonies.
La décision du Saint-Siège de confier l’œuvre d’Évangile
aux mains de l’Espagne et du Portugal se révèle essentielle à
l’heure de la Contre-Réforme, en particulier en Asie : dans le
sillage des puissants navigateurs portugais, établis en Inde,
puis dans la péninsule malaise, la Compagnie de Jésus essaime
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L’expansion jésuite
L’envoi jésuite en Asie est organisé en provinces ecclé-
siastiques. Si la province de Goa, en Inde, apparaît très vite
la plus éminente, la structure générale de la mission évolue
cependant au fur et à mesure de l’extension des territoires
ouverts à l’apostolat. L’érection, en Chine, le 23 janvier 1576,
de Macao en diocèse suffragant de Goa, participe de cette
perspective : placé sous la responsabilité de Melchior Carneiro
(1516-1583), le nouvel évêché a notamment juridiction sur la
Chine, la Corée, le Japon, ou encore le Vietnam, autant de ter-
ritoires qui dépendaient jusqu’alors du diocèse de Malacca, en
Malaisie. Quelques années plus tard, le collège Saint-Paul de
Macao deviendra le premier centre d’études jésuite pour les
langues et cultures de l’Extrême-Orient (en particulier chinoise
et japonaise).
En 1549, l’arrivée de François Xavier à Kagoshima, sur l’île
japonaise de Kyūshū, renforce le prestige de la Compagnie
de Jésus. Le futur saint est en effet le premier missionnaire
européen à investir le territoire nippon : amorçant le « siècle
chrétien » japonais, son parcours le mène vers le nord, d’abord
à Hirado, une petite île au nord-ouest de Kyūshū, puis à Kyōto,
la capitale impériale. Dans le même temps, les échanges de
technologie entre Portugais et Japonais bouleversent la so-
ciété nippone : inconnues de l’archipel jusqu’alors, les armes
à feu introduites par les « barbares du Sud » déchaînent les
passions. Étudiées puis reproduites par les artisans locaux,
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De la réalité du compromis
Assurément, la politique d’inculturation d’Alessandro
Valignano et de Matteo Ricci contribue à une meilleure im-
plantation du christianisme en Asie. Cependant, le manque de
moyens économiques et humains empêche l’apostolat jésuite
de se développer et affermir ses positions : une problématique,
dont l’importance et la profondeur vont se révéler, au cours du
XVIIe siècle, la raison de nombreux bouleversements radicaux,
en particulier en Chine, en Inde et au Japon.
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La naissance
de la société des MEP
Un long processus
Encouragée par la Congrégation de la Propagande, la
proposition du jésuite Alexandre de Rhodes (lire page précé-
dente) est cependant négligée par le pape Innocent X (1574-
1655). Une position d’autant plus tranchée que, certes soumis
aux pressions politiques de l’Espagne et du Portugal, le souve-
rain pontife refuse également l’idée d’une France, qu’il craint
et n’apprécie que peu, comme puissance missionnaire. À l’in-
verse, le plaidoyer de l’évangélisateur français trouve à Paris un
écho particulièrement favorable. Des membres éminents de la
Compagnie du Saint-Sacrement se portent rapidement volon-
taires et se préparent à la vie missionnaire. Mais, les tractations
engagées entre le Saint-Siège et la Compagnie sont longues et
difficiles : ce sont ainsi près de cinq ans qui s’écoulent avant la
mise en place d’une action concrète. La décision, le 8 juin 1658,
du pape Alexandre VII (1599-1667) de nommer trois vicaires
apostoliques pour les missions d’Asie – Monseigneur François
Pallu (1626-1684), Monseigneur Pierre Lambert de la Motte
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Quid de la France ?
Du côté de la France, la fondation de la société des Missions
étrangères de Paris (MEP) suscite l’effervescence. Participant
du « réveil missionnaire », entamé au début du XVIIe siècle,
d’un pays devenu désormais la première puissance politique
européenne, elle apparaît une opportunité politique majeure.
Très tôt, le roi de France, Louis XIV (1638-1715) – et à travers
lui, l’Église de France –, perçoit l’intérêt de soutenir l’envoi
d’évêques dépendants de la Congrégation de la Propagande
exclusivement. Un soutien apprécié à sa juste valeur, mais qui
interpelle, par son ampleur, le Vatican : craignant une volonté
du jeune monarque d’établir un patronat français, Rome sou-
haite limiter son aide au seul aspect financier. La nomination
des trois vicaires apostoliques, sans présentation des bulles
au souverain et sans l’obtention de lettres patentes, dit bien
le climat de méfiance installé entre les deux parties.
En 1663, la création à Paris, rue du Bac, d’un séminaire
chargé de recruter des volontaires pour la nouvelle mission,
assoit cependant l’autorité du Saint-Siège sur la nouvelle insti-
tution. Devenue « corps d’association de prêtres pour les mis-
sions », la société des MEP n’est, au sens strict, ni un ordre ni
une congrégation : tous prêtres séculiers, ses membres restent
incardinés à leur diocèse d’origine et sont mis à disposition
de la Congrégation de la Propagande. Un lien direct entre la
papauté et les missionnaires, nécessaire à la pérennisation
d’une identité forte : quand l’activité apostolique de l’Église
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Une mission…
Premiers vicaires apostoliques et membres fondateurs de
la société des Missions étrangères de Paris (MEP), Nosseigneurs
François Pallu (1626-1684), Pierre Lambert de la Motte (1624-
1679) et Ignace Cotolendi (1630-1662) sont les pionniers d’une
mission qui marquera le continent asiatique de son empreinte,
en particulier sur le plan diplomatique. Chargés respective-
ment du Tonkin, de la Cochinchine, enfin des provinces méri-
dionales de la Chine et de la Tartarie, ils connaissent cependant
des histoires et fortunes diverses. Particulièrement dangereux,
leur voyage jusqu’en Asie alterne voie de mer et voie de terre
afin d’éviter de passer par les colonies portugaises ; une pre-
mière étape aussi longue que coûteuse, annonciatrice de nom-
breuses difficultés.
Premier à s’expatrier, Lambert de la Motte ouvre la voie.
Accompagné de deux prêtres, Jacques de Bourges (1630-1714)
et François Deydier (1634-1693), il quitte Paris pour Marseille
le 28 juin 1660. Ayant débarqué à Alexandrette (Turquie), les
trois hommes rejoignent Bassorah (Irak) par voie terrestre, puis
Surate (Inde), par voie maritime ; de là, ils traversent l’Inde à
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… des missionnaires
Le destin missionnaire d’Ignace de Cotolendi est bien plus
bref. Ayant quitté Marseille le 3 septembre 1661, le vicaire
apostolique n’arrive jamais à destination : il meurt à Palacol,
en Inde, le 16 août 1662. Enfin, accompagné de sept prêtres et
deux laïcs, François Pallu quitte Paris le 3 janvier 1662. Ayant
atteint Mergui le 29 octobre 1663, il rejoint Pierre Lambert de la
Motte à Ayutthaya (en Thaïlande) le 27 janvier 1664. Très vite,
les deux vicaires apostoliques décident d’organiser un synode et
de rédiger leurs propres instructions, les Monita ad Misionarios
(« Instructions aux missionnaires ») : en grande partie issues des
Instructions aux vicaires apostoliques des royaumes du Tonkin
et de la Cochinchine, ces dernières, publiées en 1665, posent
les fondements des comportements missionnaires en Asie et se
révèlent une analyse profonde de l’échec de l’implantation du
christianisme sur le continent jusqu’alors.
La même année, François Pallu retourne en Europe pour
faire un rapport précis sur la situation des missions : si le vicaire
apostolique insiste sur les difficultés – matérielles et humaines –
inhérentes à la vie missionnaire, il signale également les intri-
gues nombreuses de la Compagnie de Jésus. Si la pérennisation
de la société des Missions étrangères de Paris (MEP) se joue
certes localement, elle passe aussi par les soutiens de Paris et
de Rome : laissant à Pierre Lambert de la Motte la responsabilité
de l’action sur le terrain, l’homme occupera le reste de sa vie à
des allers-retours incessants entre l’Europe et l’Asie.
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Le royaume de Siam
Le choix de Pierre Lambert de la Motte et de François Pallu
de prendre position au Siam (actuelle Thaïlande) n’est pas
anodin. Si, certes, le royaume n’est pas sous leur juridiction, il
est également facilement abordable : terre d’accueil mission-
naire (dominicains, franciscains, jésuites), ce dernier se trouve
au centre d’un important réseau commercial. Une ouverture
sur l’extérieur qui, dans un contexte international complexe
et parfois troublé, offre à la société des Missions étrangères
de Paris (MEP) une position d’attente appréciable et se révèle,
malgré la présence de missionnaires dépendants du padroado
opposés à sa présence, une base arrière de choix dans la pers-
pective de pénétrer le Tonkin et la Cochinchine d’une part, la
Chine d’autre part. En comparaison, le Tonkin, un temps une
base de repli importante pour les missionnaires jésuites lors
de la fermeture du Japon, n’offre pas les mêmes garanties :
relativement isolé, le pays est davantage préoccupé par la
préservation de son ordre intérieur que par l’établissement de
relations avec l’étranger. En outre, l’interdiction, depuis 1658,
de la « religion portugaise » ajoute à un contexte difficile.
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De la réalité de la mission
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… et incompréhensions
Si l’implantation de la mission semble prometteuse, son
bilan apparaît moins flatteur. En effet, engluée dans des que-
relles intestines et ses rapports conflictuels avec la Compagnie
de Jésus, la société des Missions étrangères de Paris (MEP) peine
à trouver sa place dans un pays qu’elle ne considère qu’une
étape de parcours sur le chemin du Tonkin et de la Cochinchine
d’une part et la Chine de l’autre : le choix de nombreux mis-
sionnaires de ne pas entreprendre l’étude de la langue sia-
moise et de se consacrer à celle du vietnamien exclusivement
illustre parfaitement une situation confuse. L’ordination, dès
1668, de deux prêtres vietnamiens, par ailleurs anciens caté-
chistes des jésuites, renforce le sentiment d’une politique apos-
tolique résolument tournée vers la confrontation et l’extérieur.
L’incapacité également des zélateurs français à évangéliser
des autochtones certes ouverts, mais surtout très attachés à
leur religion (le bouddhisme theravâda), et plus largement leur
culture, ajoute au constat d’un idéal de l’inculturation battu
en brèche.
Enfin, l’engagement de la société des Missions étrangères
de Paris (MEP) dans l’établissement de relations privilégiées
entre la France et le Siam met à mal celles établies entre ses
membres et les autorités locales. Une entrave aux Instructions
aux vicaires apostoliques des royaumes du Tonkin et de la
Cochinchine et Monita ad Misionarios, dont les missionnaires
paieront le prix fort. Si l’échange d’ambassades, entre 1684 et
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Vietnam et Chine
Objectif avoué de Rome et de la société des Missions étran-
gères de Paris (MEP), l’évangélisation du Vietnam et de la Chine
est, à l’instar de celle du Siam, particulièrement délicate. Les
jeux politiques locaux et internationaux favorisent les persécu-
tions et une atmosphère de méfiance entre chrétiens et autori-
tés indigènes. L’exemple du Tonkin et de la Cochinchine illustre
bien cette situation : terres d’ouverture – les dominicains ont
entamé leur évangélisation au XVIe siècle –, puis d’accueil im-
portantes pour les missionnaires jésuites lors de la fermeture
du Japon, les deux royaumes sont désormais en proie à l’insta-
bilité. L’appel d’Alexandre de Rhodes à la formation sur place
d’un clergé autochtone autonome ne disait pas autre chose :
lui-même expulsé à plusieurs reprises, le prêtre craignait pour
la survie de la communauté chrétienne de la région.
Malgré un contexte dangereux, Pierre Lambert de la Motte
effectue plusieurs voyages au Tonkin et en Cochinchine. Les
débuts sont cependant difficiles : devant le fossé culturel qui
le sépare des populations indigènes, l’homme va jusqu’à sou-
haiter quitter son office. Toutefois, la rédaction des Monita ad
Misionarios puis la création du séminaire d’Ayutthaya changent
la donne : l’ordination, en 1668, de deux prêtres vietnamiens
consacre une mission qui remplit désormais son rôle. En 1670,
la création par le vicaire de la congrégation apostolique des
Amantes de la Croix apparaît une autre étape importante :
première congrégation de religieuses autochtones de l’histoire
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« Siècle missionnaire »
et christianisme en Asie
aujourd’hui
(xixe-xxie siècle)
Au début du XVIIIe siècle, une série de crises met en péril la
société des Missions étrangères de Paris (MEP). Incapable de
prendre la mesure de régions d’Asie de l’Est et du Sud-Est certes
ouvertes au dialogue, mais également très attachées à leurs
religions et cultures, l’institution ne répond pas aux attentes.
De même, querelles intestines et rapports conflictuels avec la
Compagnie de Jésus, à laquelle elle est censée se substituer,
interrogent quant à la cohérence et la viabilité de son discours.
Très vite, la querelle des rites fait rage et confirme la difficulté
de la société des MEP à contester et s’imposer face à une pré-
sence jésuite qui refuse tout partage territorial de juridiction. Les
conséquences sont sans appel : en 1717, la fermeté nouvelle du
Siège apostolique romain oblige l’Empereur de Chine à interdire
la prédication chrétienne dans le pays ; une interdiction suivie,
en 1723, par l’expulsion des missionnaires et la persécution
des fidèles. En 1767, la prise d’Ayutthaya et la destruction du
quartier chrétien par les Birmans compromettent définitivement
l’implantation du corps missionnaire dans la région.
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Le « siècle missionnaire »
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La renaissance de l’apostolat
français
En France, l’engouement missionnaire dépassera le seul
cadre de la société des Missions étrangères de Paris (MEP). Il
faut dire que la Révolution a laissé des traces : exsangue, le
corps d’association ne compte plus, lors de sa réouverture,
qu’une vingtaine de missionnaires sur le terrain. Toutefois, la
fondation à Lyon, le 3 mai 1822, de l’Œuvre de la propagation
de la foi marque le début d’un renouveau pérenne : comptant
parmi les Œuvres pontificales missionnaires, l’institution a pour
rôle de récolter les fonds nécessaires aux financements des
missions. Un effort collectif et populaire sans précédent, et
dont la diffusion des bulletins de l’Œuvre, les Annales de la pro-
pagation de la foi, va devenir la première caisse de résonance :
à travers la publication de lettres envoyées par les mission-
naires depuis leur lieu d’évangélisation, la revue renseignait
non seulement les donateurs quant à la situation de ces der-
niers, mais également un plus large public sur de nombreuses
cultures jusqu’alors parfaitement inconnues.
Sur le continent asiatique, la société des MEP bénéficie
de relais autochtones ou européens de plus en plus impor-
tants. Transféré sur l’île de Penang, en Malaisie, le séminaire
d’Ayutthaya devient le Collège général : dispensant son ensei-
gnement en latin, l’établissement accueille des élèves de toute
l’Asie du Sud-Est. Plusieurs voies s’offrent aux scolastiques,
une fois leur formation terminée : si la plupart d’entre eux sont
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Quel bilan ?
De la répétition de l’Histoire
Si l’implantation de la mission semble à nouveau promet-
teuse, la situation va néanmoins très vite dégénérer : au-delà
des difficultés inhérentes à l’activité apostolique – ainsi notam-
ment de l’incapacité relative des zélateurs à s’adapter aux
cultures locales ou à communiquer avec les populations au-
tochtones –, de nombreux conflits de juridiction éclatent entre
les différentes congrégations missionnaires (Chine, Inde). Un
contexte délétère, renforcé par l’ingérence de plus en plus forte
des puissances européennes en Asie. À cet égard, la première
guerre de l’opium (1839-1842), qui voit la défaite de l’Empire
Qing face au Royaume-Uni, achève de fragiliser une position
finalement toujours délicate : véritable appel à la violence et
aux persécutions, elle marque un tournant majeur dans le rejet
des « barbares d’Occident ».
Au premier rang des affrontements, la société des Missions
étrangères de Paris (MEP) subit de plein fouet ces agressions. Les
missions de Chine, de Corée, de Malaisie ou encore du Vietnam
sont particulièrement touchées : des pertes nombreuses et à
la portée symbolique telle que l’institution est surnommée
le « Séminaire des martyrs ». Une fois encore, contrevenant
aux Instructions… de la Congrégation de la Propagande, les
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Le christianisme en Asie
aujourd’hui
Quels statuts du christianisme en Asie aujourd’hui ? Tour
d’horizon sur une situation plurielle, à travers les exemples de
la Chine, de l’Inde et du Japon.
Chine
Le christianisme chinois contemporain est un christianisme
miraculé. Au bord de la disparition durant la période maoïste
(1949-1976), il apparaît aujourd’hui comme un symbole de
renouveau culturel et de modernité. Une situation étonnante
dont les racines remontent au début du XXe siècle : implacable,
la « révolution culturelle » de Mao Zedong n’est, en effet, pas
seule responsable de la déconstruction culturelle telle que dé-
noncée par les observateurs. Accusées d’obscurantisme féodal,
mais également rendues responsables du retard économique
du pays, les traditions confucéenne et taoïste sont également,
depuis la proclamation de la République de Chine en 1912, la
cible des intellectuels chinois. Assurément, la modernisation
de l’économie domestique ne saurait aboutir sans une culture
de la modernité : une culture de la confrontation, tant de nos
jours le reflet d’une tradition nationale qu’européenne. Un lieu
de rencontre certes difficile et source de tensions – ainsi de
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Inde
Constituant une faible proportion de la population in-
dienne (2,3 %, soit environ 24 millions de personnes), les com-
munautés chrétiennes sont en Inde une minorité « protégée ».
Une situation de relative sécurité encore impensable lors de la
naissance en 1947 de l’Union indienne : confronté à l’un des
épisodes les plus sanglants de son histoire, le pays est en effet
traversé de vagues de violences inimaginables entre les hin-
dous et les musulmans. Une série de représailles intolérables
qui ne manqueront pas de toucher également un christianisme
alors dénoncé, notamment du fait de ses liens avec le monde
occidental, comme un élément perturbateur de l’ordre social.
Relativement en retrait des affaires du sous-continent, les
chrétiens jouent cependant dans les domaines de la santé,
de l’aide sociale et de l’éducation un rôle de premier plan. Ce
sont ainsi près de 15 % des Indiens qui transitent par leurs
centres de soins, et 10 à 12 % des élèves et des étudiants qui
fréquentent leurs établissements scolaires.
La communauté chrétienne de l’Inde est majoritairement
catholique (57 %). Ils sont divisés en trois groupes selon leur
rite : rite latin (72 %) ; rite syro-malabar (24 %) ; rite syro-malan-
kara (4 %). Autre statistique importante : les « intouchables »
représentent aujourd’hui entre 60 % et 70 % des chrétiens
indiens.
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Japon
Au contraire de ses pendants chinois et indiens, bien vi-
vants et capables de se projeter dans l’avenir, le christianisme
japonais contemporain tend pour sa part à disparaître len-
tement. Il faut dire que le Japon entretient avec l’étranger
des rapports particulièrement ambigus : certes ouvert sur le
monde, l’archipel ressent également de plus en plus le be-
soin d’affirmer une identité qu’il sent menacée par une trop
grande occidentalisation de sa société. Une affirmation sous
la forme souvent d’un nationalisme exacerbé, et dont l’arri-
vée des Occidentaux, lors de la réouverture forcée du pays au
milieu du XIXe siècle, et l’occupation des États-Unis après la
Seconde Guerre mondiale ont posé les solides fondations : un
contexte pesant, qui explique la difficulté pour les Japonais à
se convertir à une religion considérée encore comme tout à fait
étrangère à leur culture. Expression de l’ambivalence nippone,
le christianisme jouit cependant sur l’archipel d’une image po-
pulaire. Les Japonais sont ainsi nombreux à se marier à l’église
ou à célébrer Noël sans être de confession chrétienne.
Les chrétiens ne représentent au Japon que 1 % de la po-
pulation. Une communauté d’environ 650 000 protestants et
440 000 catholiques.
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Conclusion
L’histoire du christianisme en Asie est une histoire plu-
rielle. Une histoire, dont il est difficile d’évoquer l’entièreté, tant
la multiplicité des espaces et des temporalités qui l’animent
oblige à des choix et un horizon parfois limité.
Cependant, évoquer les relations entre la religion chré-
tienne et le continent asiatique est aussi l’opportunité de ré-
véler un monde connecté : une invitation au voyage qui, de
l’Antiquité jusqu’à nos jours, esquisse le portrait d’une région
du monde complexe et souvent mal comprise.
Assurément, une occasion unique de relativiser une posi-
tion historique européano-centriste : l’identité du christianisme
asiatique est aussi celle de l’Asie qui l’a vu naître. La com-
prendre, la projeter ne saurait être l’affaire d’une seule culture,
mais celle, bien plus précieuse, de dialogues nombreux. Dans
un contexte contemporain de repli sur soi, une perspective
comme une mosaïque absolument nécessaire.
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Missions chrétiennes en Asie
Glossaire
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Bibliographie
Sources
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Ouvrages
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Missions chrétiennes en Asie
Périodiques
Nathalie KOUAMÉ (sous la dir.), « La première évangélisation du
Japon. XVIe-XVIIe s. Perspectives japonaises » (Dossier), Histoire
& Missions Chrétiennes 11, 2009, pp. 5-163.
Sites Internet
www.jesuites.com (Compagnie de Jésus)
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Merci d’avoir téléchargé ce Pour télécharger Adobe
livre numérique sur votre ordi- Digital Editions 4.5.7 cliquez
nateur ou votre tablette. Voici ici ou télécharger gratuitement
quelques conseils pour lire au et installer Readium (le module
mieux cet ouvrage multimédia. complémentaire du navigateur
Google Chrome), cliquez ici
Pour optimiser les téléchar-
gements et la lecture des livres Sur un ordinateur
numériques, il est préférable
Bien que les ebooks soient
d’utiliser un navigateur de type
pensés pour être lus sur une ta-
Firefox (télécharger ici) ou goo-
blette, il est possible de les télé-
glechrome (télécharger ici)
charger et de les lire sur votre
Pour le confort de lecture de
ordinateur.
l’ebook ou livre numérique sur
• Pour trouver rapidement
un ordinateur PC, Macintosh ou
un texte, vous pouvez cliquer
un Netbook :
directement sur le titre affiché
1. PDF-interactif : nous
dans le sommaire.
vous conseillons le logiciel gra-
• Pour écouter les entretiens
tuit d’Adobe « Adobe Acrobat
audio produits par Le Monde
Reader »
de la Bible en direct, vous devez
2. EPUB : nous vous
avoir une connexion internet.
conseillons le logiciel gratuit
• Pour les écouter plus
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tard, ou sur un support mobile
Readium (le module complé-
(tablette ou smartphone), vous
mentaire du Google Chrome) :
devez les télécharger via le site
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« Soundcloud », puis cliquer sur • Vous pouvez cliquer
« share », puis sur « embed », et sur les différents liens et sons
copier le code sur votre appareil comme sur un ordinateur (lire
mobile. ci-dessus).
Vous pouvez également, Attention : sur iPad, l’ouver-
en sélectionnant un mot ou un ture d’un lien ou d’une vidéo
morceau de texte (avec votre peut fermer le livre numérique.
souris d’ordinateur), surligner le Pour retrouver la lecture du livre
mot ou le passage sélectionné numérique, vous devez le rou-
ou l’accompagner d’une note vrir avec l’application iBooks.
personnelle. • Vous pouvez également,
en sélectionnant un mot ou
Sur votre tablette un morceau de texte (avec vos
• Vous pouvez, en écartant doigts sur l’écran d’une tablette),
les doigts posés sur l’écran, surligner le mot ou le passage
agrandir à volonté les textes et sélectionné ou l’accompagner
les images. d’une note personnelle.
• Pour trouver rapidement
un texte, vous pouvez cliquer
directement sur le titre affiché
dans le sommaire.
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En couverture :
Le missionnaire jésuite italien
Matteo Ricci (1552-1610)
et le lettré Xu Guangqi
(1562-1633), baptisé en 1603.
Shanghai,
cathédrale Saint-Ignatius.
© Selva/Leemage
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Lire aussi les autres livres numériques de notre collection
Découvrir autrement…
En lançant la collection « Découvrir autrement… », Le Monde de la Bible veut
faciliter la découverte de l’univers biblique et religieux dans les monothéismes.
Le propos est volontairement divisé en chapitres, puis subdivisé en items
ou en questions, dont les réponses sont courtes et écrites dans un langage
accessible au plus grand nombre. L’ouvrage peut ainsi soit se lire en continu
selon la pédagogie déployée par l’auteur, soit se lire par centre d’intérêt, en
sélectionnant d’emblée l’item privilégié dans le sommaire interactif.