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français et étranger (1922-)
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mandant à ces derniers d'être justes avec leurs esclaves. Ils ont eux aussi
« un Maître dans le ciel » 6. Le pouvoir et l'autorité du maître sur son
esclave ne sont donc nullement contestés par saint Paul, et ceci notam-
ment dans son Epître à Philemon, qui constitue le fondement doctrinal
de la disposition canonique mentionnée, comme nous le verrons plus
bas 7. Pour conclure rapidement sur la position du Nouveau Testament
par rapport à l'esclavage, nous rappellerons que l'Eglise des origines
reconnaissait l'institution et ne s'est pas prononcée pour son abolition 8.
Quant à l'Eglise du ivrt siècle, sa position est tout à fait différente :
la polémique des Pères de ce temps marque d'une façon décisive l'esprit
de l'époque, qui devient continuellement de plus en plus favorable à
l'amélioration de la condition des esclaves et aux affranchissements,
même si elle ne parvient pas à abolir l'esclavage 9. L'influence de ce
courant aux époques ultérieures se confirme, entre autres, par la présence
dans le texte des actes privés d'affranchissement d'une idée de l'époque,
exprimée par saint Jean Chrysostome 10 dans la phrase suivante : « Il
n'y avait pas d'esclaves à l'origine; Dieu, en créant l'homme, ne l'a pas
fait esclave, mais libre »11. Ce courant marque à travers le temps les
conceptions populaires, qui deviennent ainsi différentes par rapport à
l'esprit et à la doctrine de l'époque ancienne, ce qui est manifesté dans
un texte tardif inédit 12, le Discours X du pseudo-Syméon le Nouveau
Théologien 13 (xie/xiie s. ?), qui condamne l'esclavage considérant que
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qui a pris cette décision considère cette forme ďesclavage comme essen-
tiellement spirituelle. De toute façon, il est certain qu'au xť siècle
l'Eglise fait encore usage d'esclaves, même si c'est sous prétexte d'asile
et de pénitence.
Cependant il n'est pas de notre propos d'insister davantage sur la
position de l'Eglise byzantine face à l'esclavage; nous essaierons seule-
ment de définir les deux tendances qui caractérisent cette position, comme
suit :
1. L'une essaie de suivre l'évolution des mœurs et de s'adapter aux
conceptions populaires, ne serait-ce qu'avec hésitation.
2. Et l'autre reste favorable au respect et au maintien de la tradition,
notamment celle des doctrines des Ecritures, même si cette tradition
n'est plus conforme aux conceptions des périodes plus tardives.
Notre exposé se poursuivra avec l'examen des textes législatifs concer-
nant l'ordination d'un esclave, puis avec la recherche et l'interprétation
des indications sur l'application des dispositions juridiques traitant de
cette matière; en même temps nous essaierons de voir comment on pou-
vait considérer l'ordination d'un esclave comme sous-entendant ipso facto
son affranchissement.
« Nous ne permettons pas que l'on ordonne des esclaves sans le consen
tement de leurs maîtres, au détriment de ceux qui les possèdent; u
telle manière de faire serait la ruine des maisons. Si jamais l'esclave para
être digne de l'ordination, tel que se montra notre Onésime, et les maîtr
le permettent, le libèrent et le laissent partir de la maison, qu'à ces cond
tions il soit fait ainsi » 19.
Cette disposition fait partie des canons reconnus comme sources offi-
cielles du droit canon grec 20; elle fait également partie de la [plus
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28. Les Basiliques sont édités par H. J. Scheltema, N. Van Der Wal et
D. Holwerda, Basilicorum libri LX, Series A : Textus et Series B : Scholia,
Groningen, depuis 1953 (14 vol. déjà parus).
29. Le canoniste du xii® siecle Jean Zonaras fait mention de cette disposition du
droit civil (qui diffère de celle du droit canonique) dans son commentaire sur le
82e canon des Apôtres (Migne, P. G. 137, 207 sq.). Il est également intéressant de
voir comment le Nomocanon en XIV titres (I, 36) présente et commente cette
divergence entre le droit canonique et le droit civil en matière d'ordination
d'esclave. Le Nomocanon en XIV titres est édité dans G. Rhalli et M. Potli,
Syntagma ton theiôn kai hierôn kanonôn, Athènes, 1852 (réimpr. Athènes, 19
I» P- 1 S(l-
30. Ex autou tou katalegenai eleutheros kai eugenes esto. Le juriste Ineodore
THermopolite (vie s.) l'entend comme une réforme : voir son commentaire sur le
Code Justinien 1.3.36.1 (édité dans H. R. Lug, « Ein Bruchstück des Codex-
Kommentars des Theodoros », Fontes Minores I, p. 3), où Théodore utilise les
termes Touto sêmeron kekainotomêtai.
31. Nous notons qu en Occident, le concile d Urleans de 511 avait decrete que
le maître qui ne s'opposait pas à l'ordination de son esclave, après en avoir été
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informé, était présumé l'affranchir. Le même concile avait également accepté que
Tévêque qui conférait les ordres sacrés à un esclave, lui rendait en même temps
la liberté. Voir R. Naz, s.v. « Esclave », Dictionn. de Dr. canon ., qui cite aussi
le Decret de Gratien (disi. LIV, can. 19); et C. J. Hefele et H. Leclercq, Histoire
des Conciles , Paris, 1908, t. 2, p. 1011. Nous ne pouvons pas affirmer que Fauteur
de la novelle 123 avait connaissance de cette décision conciliaire, prise si loin de
Constantinople et en dehors des limites de l'Empire de Justinien. Cette solution,
admise par le concile de 511, a été ensuite abrogée par les conciles réunis dans la
même ville en 538 et 549.
32. Voir les nouvelles de Léon VI dans P. Noailles - A. Dain, Les novēlies
de Léon VI le Sage , Paris, 1944 (texte grec et trad, française). Sur ce recueil voir
aussi H. Monnier, Les novelles de Léon le Sage, Bordeaux, 1923; C. Spulber,
Les novelles de Léon le Sage , Cernauti, 1953; G. Michaélidès-Nouaros, Les
idées philosophiques de Léon le Sage (cité supra, note 3); et E. Condurachi,
« Tradition et innovation dans la pensée juridique de Léon le Sage », Revue
roumaine d'histoire, 13, 1974, p. 335 sq.
33. Cf. Attaliate, Ponèma, III, 11. Ce texte est accessible dans J. Zepos et
P. Zepos, lus Graecoromanum, Athènes, 1931 (réimpr. Aalen, 1962), t. 7, p. 410 sq.
A noter que Michel Attaliate ne donne que la première mesure prise par la
novelle de Justinien, selon laquelle l'esclave qui reçoit les ordres sacrés avec l'avis
de son maître devient libre. Ici aussi c'est probablement l'ordination qui rend à
l'esclave la liberté.
34. Voir la liste des novelles de Leon VI qu'Attaliate utilisa dans le Ponema
dans J.A.B. Mortreuil, Histoire du Droit Byzantin , Paris, 1843-1846, t. 3,
p. 223. Sur la survivance de la législation justinienne dans les collections juridiques
tardives, cf. F. A. Biener, Geschichte der Novellen Justinians, Berlin, 1824
(réimpr. Aalen, 1970).
35. Mortreuil, op. cit., t. 3, p. 218, évalue le nombre des manuscrits du Ponèma
à vingt-deux, auxquels l'éditeur du texte L. Sgoutas en ajoute deux autres : cf.
J. Zepos et P. Zepos, op. cit. (supra, note 33), t. 7, p. 411. Il n'est pas impossible
qu'il y ait eu d'autres manuscrits.
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36. Voir ce canon dans Migne, P. G. 137, col. 1243 sq., avec les commentaires
des scholiastes byzantins Balsamon et Zonaras, qui attachent cette solution à la
doctrine de saint Paul, d'après la citation I à Tim. 6, 1. Nous mentionnons ici la
communication de J. de Churruca, « L'anathème du concile de Gangres contre
ceux qui enseignent aux esclaves à quitter leurs maîtres », et nous remercions
l'auteur qui a bien voulu nous communiquer son texte, encore inédit.
37. Dans Migne, P.G. 31, col. 947 : « Tous ceux qui, étant esclaves, cherchent
refuge dans les congrégations, doivent être renvoyés à leurs maîtres, à l'exemple
de saint Paul, qui après avoir régénéré Onésime par l'Evangile, l'a renvoyé à
Philemon... » (trad, de nous-même). Cette disposition s'attache également à la
tradition qui émane de YEpître à Philemon, même si cette doctrine ne porte que
sur l'administration d'un esclave au ministère sacré, et non pas à son entrée dans
la vie monastique.
38. Trad, de SVP. Joannou, op. cit. (supra, note 19).
39. La citation en italique est I à Tint. 6, 1.
40. Novelle 5, chap. 2, 1. ¡Sur cette novelle, voir H. Alivisatos, JJie kirchliche
Gezeîzgebung des Kaisers Justinian I, Berlin, 1913 (réimpr. Aalen, 1973).
41. Nam si in multis casibus etiam ex lege hoc fit et talis quaedam libertas
datur, quomodo non praevalebit Divina Gratia, lalibits eos absolvere vinculis?
(pour l'édition utilisée, voir supra, note 27).
42. Sur saint Hypatios Ihigoumene (17 jum), cl. t. Halkin, op. cit. {supra,
note 15), t. 1, p. 251. Sur cet événement, voir H. Bellen, Studien zur Sklavenflucht
im römischen Kaiserreich, Wiesbaden, 1971 (Forschungen zur antiken Sklaverei,
IV), p. 85 et note 604. Voir aussi la note suivante.
43. Trad, de A. Festugiere, Les moines de la region de Constantinople (Les
moines d'Orient 2), Paris, 1961, p. 35. Le texte est édité par G.J. M. Bartelink,
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tardives, propose des solutions moins rigides. Nous allons voir main-
tenant comment cette disposition canonique était suivie dans la pratique
ecclésiastique.
Le premier document que nous allons invoquer est la Lettre à
Simplicia (ou Lettre LXXIX) de saint Grégoire de Nazianze47, datant
de 374 : il s'agit de !a réponse de saint Grégoire à la plainte de Simpli-
cia, qui protestait car son esclave avait été ordonné sans son accord.
Saint Grégoire répond avec étonnement à sa correspondante qu'elle
revendiquait comme esclave l'homme que lui-même désigne comme
sympoimen 48, ce qui implique qu'il était même consacré évêque 49.
Cette ordination avait été faite par deux pontifes de grande notoriété
(saint Grégoire lui-même et son père Grégoire l'Ancien), qui ne pou-
vaient pas ignorer le précédent néotestamentaire de YEpître à Phile-
mon 50 et la position prise par saint Paul face au problème de l'emploi
d'un esclave dans le ministère sacré, qui constitue le fondement doctrinal
du 82e canon des Apôtres. La question qui se pose maintenant est de
savoir si cette ordination de l'esclave de Simplicia avait été faite
malgré cette interdiction canonique : même si nous ne pouvons pas
considérer cet événement comme une transgression, puisqu'il est anté-
rieur au 82° canon des Apôtres 51, il est certain que l'ordination de
l'esclave de Simplicia par saint Grégoire manifeste une discontinuité
dans la tradition doctrinale depuis YEpître à Philemon jusqu'au
82* canon des Apôtres, tradition qui n'autorise pas l'ordination d'un
esclave sans l'accord du maître. Notons en passant que saint Grégoire
ne semble pas contester les droits de Simplicia sur son esclave 52, et
il fait appel à sa générosité, en lui disant que « cette offrande [c'est-à-
dire de son esclave à l'Eglise] est la plus sainte ».
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53. Pour l'identification de cet acte impérial, cf. F. Dölger, Regesten der
Kaiserurkunden des oströmischen Reiches , München-Berlin, 1924-1932, acte réper-
torié sous le numéro 1177. Sur cette novelle voir, H. Köpstein, « Zur Novelle
des Alexios Komnenos zum Sklavenstatus (1095) », Actes du XV 9 Congrès inter-
national d'Etudes byzantines (Athènes, septembre 1976), Athènes, 1980, t. 4 (His-
toire), p. 160 sq., avec la bibliographie proposée. Voir également notre note 59.
54. Migne, P. G. 137, 799 sq. avec la trad, latine de G. Beveregius. Voir ©gaie-
ment les indications bibliographiques de F. Dölger, loc. cit.y acte 1177.
55. Migne, P.G. 137, 800. A. Hadjinicolaou-Màrava, op. cit., p. 27.
56. « Ina me enteuthen pros eleutherian synelthosin » (trad, de nous-meme).
57. C'est-à-dire que « toutes les lois et les canons encouragent la liberte ».
58. Trad, de nous-même.
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59. Cette novelle d'Alexis a été adressée au patriarche Nicolas III Grammatikos,
à Constantinople. Une seconde version, contenant les mêmes dispositions (F. Döl-
ger, loc. cit., acte 1178, désigné comme « Novelle B » par H. Köpstein, Zur
Novelle des Alexios Komnenos zum Sklavenstatus ) semble avoir été adressée à
l'archevêque de Salonique, en même temps que la précédente. H. Köpstein est
aussi de l'avis que la novelle d'Alexis avait un caractère général (op. cit., p. 163,
note 12), ce qui suppose également une opinion populaire généralisée plutôt
qu'isolée.
60. Voir ce texte edite dans G. Rhalli et M. Potu, op. cit., (supra, note 29),
t. 5, p. 443 sq. Sur les Apokriseis de Nicétas, cf. H. -G. Beck, Kirche und theolo-
gische Literatur im Byzantinischen Reich , München, 1959 (Byzant. Handbuch),
p. 621.
61. « Hoi de apelogounto me einai tauten ten nomothesian tou makaritou basi-
leôs 2> (trad, de nous-même). Ce témoignage date donc d'après 1118, année de la
mort d'Alexis Comnène, de vingt-trois ans postérieure à la promulgation de la
novelle en question.
62. Voir plus haut, note 59. Lidee de la recherche des informations histo-
riques sur les coutumes dans les documents canoniques remonte à A. Van Gennep,
« Note sur la valeur documentaire folklorique des canons des conciles et des
constitutions synodales », Congrès d'histoire du Christianisme (Jubilé Alfred
Loisy), Amsterdam-Paris, 1928, t. 3, p. 94-108.
63. Voir plus haut, I : Les textes juridiques sur l'ordination d'un esclave.
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nos 70, que ces deux rites produisaient, outre le « passage », un second
effet qui était l'absolution des péchés du récipiendaire 71. Ainsi l'ordi-
nation d'un esclave pourrait également avoir comme second effet l'affran-
chissement de l'esclave qui recevait les ordres sacrés. L'Eglise officielle
ne semble pourtant pas vouloir reconnaître ce caractère du sacrement
de l'ordination, mais ceci ne peut pas exclure l'existence d'une telle
conception populaire. Rappelons-nous également que Yadelphopoiïa (ou
fraternisation) 72 avait été condamnée par l'Eglise officielle 73, mais
nous connaissons pourtant l'existence d'une cérémonie religieuse spéciale
pour la fraternisation, dont le rituel nous a été conservé dans YEucho -
logion de J. Goar 74.
¡Le dernier document invoqué est une Lettre patriarcale et synodale ,
que l'on date de mai 1228, signée par Germain II, rédigée donc à
Nicée 75. 'Elle est adressée au métropolite de Russie Cyrille et à tous les
évêques; elle proteste contre le fait que la règle canonique n'est pas
respectée et exige que les évêques ne doivent autoriser aucune ordi-
nation d'esclave, si les maîtres n'avaient pas octroyé auparavant par
écrit la liberté au candidat. Dans la version russe du document (seule
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disponible, puisque l'original grec a disparu) 76, le 82e canon des Apôtres
n'est pas désigné par son nom, mais, comme la Lettre cite bien le pré-
cédent de YEpître à Philemon , il est certain que les « lois sacrées et
divines » dont parle la Lettre plus ou moins vaguement, ne désignent
que le 82* canon des Apôtres, dont l'Eglise exige ici de nouveau
l'application 77.
III. - Conclusion.
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Mais il n'est pas enfin impossible que des ordinations d'esclaves aient
fonctionné dans ce sens, c'est-à-dire pour rendre la liberté aux ordonnés,
et que leurs maîtres, inspirés par les conceptions populaires sus-énoncées,
n'aient pas contesté la validité de l'affranchissement réalisé ainsi, ni
saisi les instances judiciaires.
Stavros Perentidis.
87. N. Pantazopoulos, Apo tês " logias " paradoseôs eis ton Astikon
Kôdika (supra, note 3), essaie d'expliquer révolution du droit grec depuis
146 av. J.-C., à travers l'opposition de deux courants, à savoir celui qui s'attache
à la tradition « puriste » ou savante, et celui qui émane de la tradition populaire.
Voir la critique de G. Michaélidès-Nouaros, « Läikon kai episêmon dikaion
cis tèn nornikèn zoèn », Dikaion kai koinônikè syneidêsis (recueil cité supra ,
note 3), p. 27 sq.
88. Plusieurs auteurs considèrent la conscience collective (ou consensus populi )
comme la source primordiale du droit. Sans vouloir nous prononcer sur cette
thèse, nous citons, entre autres, G. Del Vecchio, Philosophie du droit , Paris,
1952; H. Coing, Grundzüge der Rechtsphilosophie , München, 19622, p. 291 sq.
Voir aussi les diverses thèses des philosophes du droit sur le pluralisme juridique,
résumées et commentées dans L. Ingber, « Le pluralisme juridique dans l'œuvre
des philosophes du droit », Le Pluralisme juridique (études publiées sous la
direction de John Gilissen), Bruxelles, 1972, p. 72 sq.
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