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L'ordination de l'esclave à Byzance : droit officiel et conceptions populaires

Author(s): Stavros Perentidis


Source: Revue historique de droit français et étranger (1922-) , avril-juin 1981,
Quatrième série, Vol. 59, No. 2 (avril-juin 1981), pp. 231-248
Published by: Editions Dalloz

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43846608

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VARIÉTÉS

L'ordination de l'esclave à Byzance :


droit officiel
et conceptions populaires1

Résumé. - L'examen de la question de l'ordination d'un esclave


nous révèle un des aspects du pluralisme juridique à Byzance :
nous constatons d'abord que, sous l'influence d'un esprit favorable
aux esclaves et aux affranchissements, la disposition du 82e canon
des Apôtres n'était pas toujours respectée et, d'autre part, il est
très probable que, dans les conceptions populaires, l'ordination d'un
esclave, tout comme sa participation aux sacrements de l'Eglise,
produisait ipso facto son affranchissement. Ceci se laisse entrevoir
dans l'analyse de certains textes législatifs et dans l'interprétation de
documents de l'époque.

L'étude de l'ordination d'un esclave d'après le droit byzantin ne pré-


senterait aucun intérêt si on se limitait au cadre d'une explication du
82e canon des Apôtres, qui semble régler cette question d'une façon
définitive 2. Notre but est de montrer d'une part que, sous l'influence
d'une tendance qui favorisait les affranchissements, cette disposition
canonique ne semble pas avoir été respectée dans la pratique, et d'autre

1. Cet article reprend le texte d'une communication présentée le 18 septembre


1980, au sein de la 34e session de la Société internationale Fernand de Visscher
pour l'histoire des droits de l'Antiquité (S.I.D.A.), dont le sujet général était
L'esclavage et les formes de dépendance. Je le dédie à Joseph Modrzejewski. Je
remercie également Mlle J. Turlan, professeur à l'Université de Paris 2, qui a
bien voulu revoir mon texte.
2. Voir la traduction française de ce canon, plus bas, dans la partie intitulee
Les textes juridiques sur l'ordination d'un esclave. Ce même canon est désigné
dans certains recueils canoniques, surtout en Occident, comme 81e canon des
Apôtres.

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part que l'Eglise byzantine n'a pas oublié de l'invoquer et de demander


son application, quand elle l'a jugé nécessaire. Autrement dit, nous nous
trouvons ici devant deux tendances : l'une s'opposant à l'esprit qui a
dicté le principe adopté par le 82' canon des Apôtres, et l'autre repré-
sentant l'esprit conservateur, qui essayait de maintenir en vigueur une
règle canonique contraire aux conceptions populaires des époques tar-
dives 3.

Mais essayons tout d'abord de situer ces deux courants à l'intérieur


de l'Eglise byzantine 4 : rappelons-nous qu'à l'origine de la solution
adoptée par le 82e canon des Apôtres, se trouve la doctrine de saint Paul,
qui ne s'est pas prononcé contre l'institution de l'esclavage, en incitant
d'une part les esclaves à l'obéissance envers leurs maîtres 5? et en recom-

3. L'étude du pluralisme juridique à Byzance a été inaugurée vers la fin du


siècle dernier par L. Mitteis, Reichsrecht und Volksrecht in den östlichen Provin-
zen des römischen Kaiserreichs, Leipzig, 1891. Une série de travaux, qui a inscrit
la réalité pluraliste du droit byzantin dans l'optique moderne de la sociologie
juridique, est donnée par notre maître, Georges Michaélidès-Nouaros, que nous
remercions ici pour ses savants conseils au cours de la préparation de ce travail.
Voir donc, G. Michaélidès-Nouaros, Contribution à l'étude des pactes succes-
soraux en droit byzantin , Paris, 1937; Idem, « Peri tês adelphopoïias en te archaia
Helladi kai en tô Byzantiô », Tomos Kônstantinou Harmenopoulou, Salonique,
1952, p. 251 sq., repris dans son recueil Dikaion kai Koinônikè Syneidêsis,
Athènes, 1972; Idem, « Les idées philosophiques de Léon le Sage sur les limites
du pouvoir législatif et envers les coutumes », Mnêmosynon P. Bizoukidou, Salo-
nique, 1960, p. 27 sq., et en grec dans Dikaion kai Koinônikè Syneidêsis; et en
dernier lieu, « Quelques remarques sur le pluralisme juridique à Byzance »,
Byzantina, 9, 1977, p. 421 sq. Voir également, N. Pantazopoulos, Apo tês
« logias » paradoseôs eis ton Astikon Kôdikaf Salonique, 19652. Aussi D. Simon,
ì Rechtsfindung am byzantinischen Reichsgericht , Frankfurt a. M., 1973, sur le
rôle du juge comme agent de ce pluralisme. Pour le droit canonique byzantin,
A. Christophilopoulos, Themata Byzantinoii Ekklêsiastikou Dikaiou, Athènes,
1957. Certains aspects particuliers se relèvent dans l'étude de W. Wolska-Conus,
« L'Ecole de droit et l'enseignement du droit à Byzance au xie siècle : Xiphilin
et Psellos »,• Travaux et Mémoires , 7, 1979, p. 1 sq. Sur la définition des termes
« Reichsrecht », « Volksrecht » et « Vulgarrecht », voir la critique de J. Gau-
demet, La formation du droit séculier et du droit de l'Eglise aux IVe et Ve siècles ,
Paris, 19792, p. 122 sq. Voir aussi D. Simon, « Provinzialrecht und Volksrecht »,
Fontes Minores I (Forschungen zur Byzantinischen Rechtsgeschichte), Frankfurt
a. M., 1976, p. 102 sq. Bien entendu cette liste bibliographique ne peut pas être
exhaustive.
4. Il n est pas possible de tracer ici en quelques lignes la position de l'Eglise
byzantine face à l'esclavage. Nous nous contenterons de renvoyer à H. Köpstein,
Zur Sklaverei im ausgehenden Byzanz, Berlin, 1966 (Berliner Byzant. Arbeiten 34),
qui y donne une présentation critique de toute la bibliographie antérieure à
son ouvrage. Il faut y ajouter une étude d'ensemble : Ch. Verlinden, L'Escla-
vage dans l'Europe médiévale , t. 2 /II : « Colonies italiennes du Levant, Levant
latin, Empire byzantin », Gand, 1977, et plusieurs autres articles sur divers
aspects de l'esclavage à Byzance. Nous avons également pu bénéficier du texte
inédit de la communication (au même Congrès) de J. de Churruca, L'anathème
du concile de Gangres contre ceux qui enseignent aux esclaves à quitter leurs
maîtres , ainsi que des réflexions tirées de la communication de P. Pieler, Skla-
verei in Byzanz , également non publiée.
5. / à Timoth. 6. 1.

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L'ordination cle l'esclave à Byzance

mandant à ces derniers d'être justes avec leurs esclaves. Ils ont eux aussi
« un Maître dans le ciel » 6. Le pouvoir et l'autorité du maître sur son
esclave ne sont donc nullement contestés par saint Paul, et ceci notam-
ment dans son Epître à Philemon, qui constitue le fondement doctrinal
de la disposition canonique mentionnée, comme nous le verrons plus
bas 7. Pour conclure rapidement sur la position du Nouveau Testament
par rapport à l'esclavage, nous rappellerons que l'Eglise des origines
reconnaissait l'institution et ne s'est pas prononcée pour son abolition 8.
Quant à l'Eglise du ivrt siècle, sa position est tout à fait différente :
la polémique des Pères de ce temps marque d'une façon décisive l'esprit
de l'époque, qui devient continuellement de plus en plus favorable à
l'amélioration de la condition des esclaves et aux affranchissements,
même si elle ne parvient pas à abolir l'esclavage 9. L'influence de ce
courant aux époques ultérieures se confirme, entre autres, par la présence
dans le texte des actes privés d'affranchissement d'une idée de l'époque,
exprimée par saint Jean Chrysostome 10 dans la phrase suivante : « Il
n'y avait pas d'esclaves à l'origine; Dieu, en créant l'homme, ne l'a pas
fait esclave, mais libre »11. Ce courant marque à travers le temps les
conceptions populaires, qui deviennent ainsi différentes par rapport à
l'esprit et à la doctrine de l'époque ancienne, ce qui est manifesté dans
un texte tardif inédit 12, le Discours X du pseudo-Syméon le Nouveau
Théologien 13 (xie/xiie s. ?), qui condamne l'esclavage considérant que

6. Coloss. 4, 1; voir aussi Ephes. 6, 8 et Galai. 3, 28.


7. Infra, I : Les textes juridiques sur l ordination d un esclave.
o. Sur le sens ambigu ae la citation / a Korintu. /, z i, ci. r. boumis, « ne
apeleutherôsis ton doulôn - Symbole tôn hierôn kanonôn eis tèn herm
chôriou I Corinth. 7, 21 », Annuaire scientifique de la Faculté de Théologie de
l'Université d'Athènes , 24, 1980.
9. Pour le Bas-Empire, cf. J. Gaudemet, Les institutions de l'Antiquité, Paris,
1967, p. 716 sq. Plus amplement, J. Dutilleul, s.v. « Esclavage », Dictionnaire
de Théologie catholique ; P. Dimitropoulos, s.v. « Douleia », Thrêskeutikè kai
Ethikè Egky klop aid eia; R. Naz, s.v. « Esclave », Dictionnaire de Droit canonique.
10. Homélie XXII, Sur l'Epître aux Ephésiens, dans Migne, P.G. 62, col. 155 sq.
11. Voir un premier acte d affranchissement dans C. Sathas, Bibliotheca Graeca
Medii jEvi, Venise-Paris, 1872-1894, t. 6, p. 617 : « La Providence, donnant la
vie à l'homme, l'a créé pour être libre et indépendant... » (trad, par A. Hadjini-
colaou-^Marava, Recherches sur la vie des esclaves dans le monde byzantin,
Athènes, 1950, p. 110); un second acte dans A. Dain, « Une formule d'affran-
chissement d'esclave », Revue des Etudes byzantines, 22, 1964, p. 238 : « Dieu
dans sa bonté personnelle a façonné l'homme libre et non soumis à l'esclavage... »
Dans le même esprit une troisième formule dans D. Simon - S. Troianos, Dreizehn
Geschäftsformulare, Fontes Minores II, Frankfurt a. M., 1977, p. 294. Voir cette
même idée, exprimée dans les Basiliques II, 1, 4, citant Ulpien.
12. Nous remercions M. le Professeur Jean Gouillard, président du comité
français de l'Association internationale des études byzantines, qui a bien voulu
nous le signaler et nous le communiquer.
13. Accessible dans le Codex Parisinus Coislinianus 292. Seule la traduction
latine de J. Pontanus a été imprimée, sous le titre « Symeonis Iunioris opuscula »,
Ingolstadt, 1603, et reproduite dans Migne, PēG. 120, col. 318 sq. Est-ce Cons-

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les maîtres et le Diable procèdent de la même façon, pour rendre l'homme


incapable de se libérer. Ce texte ne donne qu'un aspect extrémiste du
courant qui favorisait la condition des esclaves, mais nous verrons aussi
que le courant fidèle à l'enseignement de saint Paul ne disparaît pas.
Ainsi on se trouve devant un dualisme, qui se perpétue dans les temps
byzantins jusqu'aux périodes tardives de l'histoire byzantine, et qui se
révèle d'une manière caractéristique et significative dans le domaine de
l'hagiographie byzantine : A. Hadjinicolaou-Marava 14 constate que dans
une légende hagiographique, la vie de saint Théodore Tiron 15, un saint
se révèle protecteur des maîtres, tandis que selon une autre légende
sainte Marie la Jeune 16, elle-même esclave, avait au contraire une pré-
dilection pour les esclaves.
Il ne faut pas oublier que l'Eglise byzantine possédait ses propres
esclaves. Nous citerons ici le cas d'un acte officiel, un Séméiôma synoda
de 1059 17, dans lequel il est question d'un esclave nommé Demétrius,
qui s'est réfugié dans la Grande Eglise, où il a avoué spontanément avoir
commis un meurtre. La Grande Eglise lui accorde un asile sui generis :
elle le vend pour le prix de 24 nomismata à l'évêque de Priène, Demé
trius, pour qu'il reste en sécurité au service de son évêché. L'esclave
appartiendra donc à l'évêché, jusqu'à sa mort, et ne pourra être vendu
ni retrouver la liberté. Les évêques qui succéderont à Demétrius sur
le trône episcopal de Priène s'occuperont, au même titre que lui, de son
salut. Et s'il s'échappe, il sera puni d'une servitude plus dure. C'est donc
par cet asile sui generis que l'Eglise lui assure, d'un côté l'impunité pour
son crime par le pouvoir temporel, et de l'autre la rédemption de son
péché. C'est en effet un curieux statut, qui reflète un aspect très intéres-
sant de la position de l'Eglise face au problème du salut de cet esclave,
en le condamnant à la servitude à vie : nous ne pouvons pas lui donner
le caractère d'une pénitence canonique, car cette « pénitence > n'est
pas prévue dans le droit canon grec 18, mais il semble que le synode

tantin Chrysomallos qui en est l'auteur ? Cf. I. Gouillard, « Constantin Chryso-


mallos sous le masque de Syméon le Nouveau Théologien », Travaux et Mémoires,
5, 1973, p. 313 sq.
14. A. Hadjinicolaou-Marava, op. cit., p. 21 sq.
15. Sur saint Théodore Tiron, voir F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca ,
Bruxelles, 19573 {Subsidia hagiographica 8a), t. 2, p. 281.
16. Sur sainte Marie la Jeune, voir F. Halkin, op. cit., t. 2, p. 85.
17. Pour l'identification de cet acte et pour des indications bibliographiques,
voir « Les Regestes des actes du patriarcat de Constantinople », Chalcédoine-
Paris, 1936-1979, acte n° 887. Ce Séméiôma synodal est signé par le patriarche
Constantin III Lichoudès (1059-1063).
18. Sur la pénitence du meurtrier, voir les 56e et 57e canons de saint Basile
(Migne, P.G. 138, 735 sq., avec les commentaires des canonistes du xii® et du
xiii® siècle, Balsamon, Zonaras et Aristène), le 5e de saint Grégoire de Nysse
(Migne, P.G. 138, 873 sq.) et le 22e du concile d'Ancyre (Migne, P.G. 137,
1187 sq.). La durée de la sanction canonique varie, selon les sources, de cinq à

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L'ordination de l'esclave à Byzance

qui a pris cette décision considère cette forme ďesclavage comme essen-
tiellement spirituelle. De toute façon, il est certain qu'au xť siècle
l'Eglise fait encore usage d'esclaves, même si c'est sous prétexte d'asile
et de pénitence.
Cependant il n'est pas de notre propos d'insister davantage sur la
position de l'Eglise byzantine face à l'esclavage; nous essaierons seule-
ment de définir les deux tendances qui caractérisent cette position, comme
suit :
1. L'une essaie de suivre l'évolution des mœurs et de s'adapter aux
conceptions populaires, ne serait-ce qu'avec hésitation.
2. Et l'autre reste favorable au respect et au maintien de la tradition,
notamment celle des doctrines des Ecritures, même si cette tradition
n'est plus conforme aux conceptions des périodes plus tardives.
Notre exposé se poursuivra avec l'examen des textes législatifs concer-
nant l'ordination d'un esclave, puis avec la recherche et l'interprétation
des indications sur l'application des dispositions juridiques traitant de
cette matière; en même temps nous essaierons de voir comment on pou-
vait considérer l'ordination d'un esclave comme sous-entendant ipso facto
son affranchissement.

I. - Les textes juridiques sur l'ordination d'un esclave.

Examinons les dispositions juridiques byzantines qui traitent de l


question. Nous avons déjà mentionné le 82e canon des Apôtres, qui est
la seule disposition canonique en la matière, et qui s'exprime comm
suit :

« Nous ne permettons pas que l'on ordonne des esclaves sans le consen
tement de leurs maîtres, au détriment de ceux qui les possèdent; u
telle manière de faire serait la ruine des maisons. Si jamais l'esclave para
être digne de l'ordination, tel que se montra notre Onésime, et les maîtr
le permettent, le libèrent et le laissent partir de la maison, qu'à ces cond
tions il soit fait ainsi » 19.

Cette disposition fait partie des canons reconnus comme sources offi-
cielles du droit canon grec 20; elle fait également partie de la [plus

vingt-sept ans d'excommunication et de pénitence pour l'auteur d'un homicide


involontaire, tandis que l'absolution peut être accordée à un homicide volontaire
après vingt ans de pénitence ou à la fin de sa vie. Il s'agit, ici aussi, d'une mani-
festation du pluralisme juridique dans le domaine du droit canonique byzantin.
19. Trad, de P. P. Joannou, Discipline generale antique {tr-ixv s urotta-
ferrata, 1962, révisée par nous-même.
20. Voir la liste des sources othcielles du droit canonique grec, dans A. uhris-
tophîlopculos, Hellênikon Ekklêsiastikon Dikaion , Athènes, 19652, p. 37-

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ancienne collection canonique grecque, la Synagoge 21 de Jean le Scho-


lastique (vers 550) et a été confirmée en tant que règle canonique
officielle par le 2e canon du concile Quinisexte ou in Trullo de
691/692 22. Sans vouloir revenir sur la question de la datation du
recueil des 85 canons des Apôtres 23 (qui contient cette disposition),
rappelons ici brièvement que l'on situe aujourd'hui généralement la date
de sa composition entre le début du Ve siècle et le milieu du VIe. Nous
verrons plus bas la signification de cette datation 24.
En ce qui concerne le fond de cette disposition, il s'agit bien d'une
lex imperfecta 25, qui pose deux principes : l'esclave qui est jugé digne
ne peut pas recevoir les ordres sacrés sans le consentement de son maître
et avant son affranchissement. Il en résulte donc : premièrement, qu'un
esclave peut être jugé digne du ministère sacré, et être candidat à
l'ordination, sans qu'il y ait d'incompatibilité entre son statut d'esclave
et sa candidature; deuxièmement, que son maître doit consentir à son
ordination, voire donner son autorisation, et en plus procéder avant
l'ordination à son affranchissement; le maître doit enfin autoriser l'esclave
à quitter sa maison une fois devenu libre.
Le texte du présent canon se réfère expressément au précédent de
YEpître à Philemon , en citant le nom d'Onésime, que saint Paul n'a
pas admis dans le ministère sacré, avant que le maître Philemon n'eût
donné son accord. Le caractère conservateur de la disposition est donc
incontestable, surtout quand son auteur s'exprime en utilisant les termes :
« Une telle manière de faire serait la ruine des maisons » 26.

Cette même question a été également régie par le ¡droit civil : la


123e novelle de Justinien 27 (datant de 546), passée dans les Basiliques

21. Cf. V. Benesevic, loannis Scholastici Synagoga L titulorum, München, 1937,


titre 33, canon 1 (p. 99 sq.).
22. Migne, P. G. 137, 519 sq. L'origine « apostolique » de ces canons n'a pas
été contestée en Orient.
23. Sur la datation du recueil des 85 canons des Apôtres, voir F. Nau, s.v.
« Canons des Apôtres », Dictionn. de Théol. cathol. ; H. iLeclercq, s.v. « Canons
apostoliques », Dictionn. d'Archéologie chrétienne et de Liturgie; G. Bardy, s.v.
« Canons apostoliques », Dictionn. de Dr . canon.
24. Voir plus bas, II : L'ordination d'un esclave dans les conceptions populaires.
25. En réalité, ce canon interdit les ordinations d'esclaves sans préciser si l'ordi-
nation célébrée malgré cette interdiction est invalide ou non, ou si c'est le maître
de l'esclave qui dénonce son invalidité. Les scholiastes tardifs (Balsamon, Zonaras
et Aristène) ne se prononcent pas sur ce point.
26. Voir aussi les commentaires de Balsamon et de Zonaras sur ce canon, dans
Migne, P. G. 137, 205 sq.
27. Novelle 123, chap. 17. Les novelles de Justinien sont editees par
R. Schoell et G. Kroll, dans le troisième volume du Corpus Iuris Civilis, Berlin,
1895.

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L'ordination de l'esclave à Byzance

III, 1, 32 28, donne une solution plus modérée, distinguant l'ordi-


nation célébrée au su de celle qui a été faite à l'insu du maître de
l'esclave ordonné. Et dans le premier cas, elle précise que si le maître
est au courant et ne s'oppose pas à l'ordination de son esclave en tant
que clerc, ce dernier devient, à partir du moment de son ordination,
libre et eugenès ( ingéniais ). A bien noter ce dernier point : Eugenès
ne peut devenir que de fictione iuris, et la novelle lui attribue un statut
personnel original, sans pour ainsi dire modifier son ancienne condi-
tion, puisque elle lui rend la liberté en le considérant dorénavant comme
un homme libre depuis sa naissance, et non pas comme un affranchi. Et
dans le cas où l'ordination a été faite à l'insu du maître, elle n'est pas
ipso facto invalide, mais il est permis à ce dernier de revendiquer son
esclave dans un délai d'un an.

En comparant cette disposition de la législation impériale avec celle


du 82e canon des Apôtres 29, nous notons la modération qui carac-
térise la novelle justinienne : la condition de l'affranchissement préalable
n'y figure pas et l'accord du maître peut être donné tacitement, puisque
son silence durant un an après l'ordination (ou après le moment où il a
pris connaissance de l'ordination) est considéré comme son accord. La
valeur de son accord s'est également affaiblie, puisqu'il ne peut plus
s'y opposer, une fois ce délai écoulé, ce qui présente un second point de
modération par rapport à la disposition canonique. Nous retenons éga-
lement le fait que l'affranchissement de l'esclave se réalise ipso facto
à partir du moment de son ordination; c'est le sens des termes de la
novelle : ex hoc ipso quod constitutus est, liber et ingéniais erit 30.
Il nous semble que, même si le maître n'est pas au courant, de toute
façon l'esclave devient libre une fois l'ordination célébrée, et c'est l'ordi-
nation (peut-être en tant que sacrement, nous allons y revenir) qui
produit cet effet 31. Cette même disposition a été abrogée par la

28. Les Basiliques sont édités par H. J. Scheltema, N. Van Der Wal et
D. Holwerda, Basilicorum libri LX, Series A : Textus et Series B : Scholia,
Groningen, depuis 1953 (14 vol. déjà parus).
29. Le canoniste du xii® siecle Jean Zonaras fait mention de cette disposition du
droit civil (qui diffère de celle du droit canonique) dans son commentaire sur le
82e canon des Apôtres (Migne, P. G. 137, 207 sq.). Il est également intéressant de
voir comment le Nomocanon en XIV titres (I, 36) présente et commente cette
divergence entre le droit canonique et le droit civil en matière d'ordination
d'esclave. Le Nomocanon en XIV titres est édité dans G. Rhalli et M. Potli,
Syntagma ton theiôn kai hierôn kanonôn, Athènes, 1852 (réimpr. Athènes, 19
I» P- 1 S(l-
30. Ex autou tou katalegenai eleutheros kai eugenes esto. Le juriste Ineodore
THermopolite (vie s.) l'entend comme une réforme : voir son commentaire sur le
Code Justinien 1.3.36.1 (édité dans H. R. Lug, « Ein Bruchstück des Codex-
Kommentars des Theodoros », Fontes Minores I, p. 3), où Théodore utilise les
termes Touto sêmeron kekainotomêtai.
31. Nous notons qu en Occident, le concile d Urleans de 511 avait decrete que
le maître qui ne s'opposait pas à l'ordination de son esclave, après en avoir été

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novelle 9 de Léon VI le Sage (886-912) 32, mais elle se retrouve


de nouveau dans la compilation juridique de Michel Attaliate, inti-
tulée Nomikon Fonèma (ou Nomikon Poièma ) 33 composée en
1073/1074. Comme Michel Attaliate n'y donne qu'une compilation
des Basiliques , et ceci sans tenir compte des réformes législatives ulté-
rieures 34, nous ne pouvons pas considérer que l'abrogation par Léon VI
de la novelle de Justinien n'avait plus d'effet au moment de la compo-
sition du Ponéma Nomikon. Mais il est important de noter ici que
cette collection juridique privée (qui contient aussi la disposition justi-
nienne, malgré son abrogation) a été très répandue 35, et peut avoir
joué un rôle d'agent sur le pluralisme juridique en matière d'ordination
d'esclave.

Prenons maintenant un autre cas de dualisme juridique, que l'on


pourrait considérer comme similaire à l'ordination d'un esclave, qui
est celui de l'entrée d'un esclave dans un monastère. Le 4e canon du
concile de Chalcédoine, quatrième concile œcuménique (451), confirme
dans un sens la mesure prise par le 3° canon du concile local de

informé, était présumé l'affranchir. Le même concile avait également accepté que
Tévêque qui conférait les ordres sacrés à un esclave, lui rendait en même temps
la liberté. Voir R. Naz, s.v. « Esclave », Dictionn. de Dr. canon ., qui cite aussi
le Decret de Gratien (disi. LIV, can. 19); et C. J. Hefele et H. Leclercq, Histoire
des Conciles , Paris, 1908, t. 2, p. 1011. Nous ne pouvons pas affirmer que Fauteur
de la novelle 123 avait connaissance de cette décision conciliaire, prise si loin de
Constantinople et en dehors des limites de l'Empire de Justinien. Cette solution,
admise par le concile de 511, a été ensuite abrogée par les conciles réunis dans la
même ville en 538 et 549.
32. Voir les nouvelles de Léon VI dans P. Noailles - A. Dain, Les novēlies
de Léon VI le Sage , Paris, 1944 (texte grec et trad, française). Sur ce recueil voir
aussi H. Monnier, Les novelles de Léon le Sage, Bordeaux, 1923; C. Spulber,
Les novelles de Léon le Sage , Cernauti, 1953; G. Michaélidès-Nouaros, Les
idées philosophiques de Léon le Sage (cité supra, note 3); et E. Condurachi,
« Tradition et innovation dans la pensée juridique de Léon le Sage », Revue
roumaine d'histoire, 13, 1974, p. 335 sq.
33. Cf. Attaliate, Ponèma, III, 11. Ce texte est accessible dans J. Zepos et
P. Zepos, lus Graecoromanum, Athènes, 1931 (réimpr. Aalen, 1962), t. 7, p. 410 sq.
A noter que Michel Attaliate ne donne que la première mesure prise par la
novelle de Justinien, selon laquelle l'esclave qui reçoit les ordres sacrés avec l'avis
de son maître devient libre. Ici aussi c'est probablement l'ordination qui rend à
l'esclave la liberté.
34. Voir la liste des novelles de Leon VI qu'Attaliate utilisa dans le Ponema
dans J.A.B. Mortreuil, Histoire du Droit Byzantin , Paris, 1843-1846, t. 3,
p. 223. Sur la survivance de la législation justinienne dans les collections juridiques
tardives, cf. F. A. Biener, Geschichte der Novellen Justinians, Berlin, 1824
(réimpr. Aalen, 1970).
35. Mortreuil, op. cit., t. 3, p. 218, évalue le nombre des manuscrits du Ponèma
à vingt-deux, auxquels l'éditeur du texte L. Sgoutas en ajoute deux autres : cf.
J. Zepos et P. Zepos, op. cit. (supra, note 33), t. 7, p. 411. Il n'est pas impossible
qu'il y ait eu d'autres manuscrits.

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L'ordination de l'esclave à Byzance

Gangres (340 ?) 36 et par la IIe Règle de saint Basile 37, et précise


que « personne 38 ne peut être reçu dans un monastère pour devenir
moine contrairement à l'avis de son maître; et que celui qui transgresse
notre présente décision reste suspendu de la communion afin que le
nom du Seigneur ne soit pas blasphémé » 39.
La législation justinienne donne, ici aussi, une solution plus modérée.
La 5* novelle 40 (535) précise, contrairement à la disposition cano-
nique décrétée par le concile, que le novice qui s'est montré pendant
trois ans digne de l'entrée dans la vie monastique, s'il est esclave, reste
après la tonsure tranquille, sans être gêné par personne, puisqu'il est
passé sous l'autorité du Maître de tous, c'est-à-dire celle qui émane
du ciel, et devient ainsi libre. Et la novelle poursuit littéralement :
« Si dans plusieurs autres cas ceci se fait et cette liberté leur est accordée
par la loi, comment la Divine Grâce n'aurait-elle pas eu vigueur de
loi, afin de les libérer d'un joug pareil? » 41.
L'auteur donc de la novelle reconnaît à la Divine Grâce un pou-
voir supérieur à celui de la loi humaine, pouvoir qui rend la liberté aux
esclaves qui se font tonsurer moines. Cette disposition n'introduit pas
une innovation, mais elle repose, nous semble-t-il, plutôt sur les concep-
tions populaires : n'oublions pas que saint Hypatios 42 refuse de
rendre à Monaxios ses esclaves, en lui opposant que maintenant « les
esclaves sont à Dieu » 43, idée que Y on retrouve dans le texte même
de la 5e novelle de Justinien.

36. Voir ce canon dans Migne, P. G. 137, col. 1243 sq., avec les commentaires
des scholiastes byzantins Balsamon et Zonaras, qui attachent cette solution à la
doctrine de saint Paul, d'après la citation I à Tim. 6, 1. Nous mentionnons ici la
communication de J. de Churruca, « L'anathème du concile de Gangres contre
ceux qui enseignent aux esclaves à quitter leurs maîtres », et nous remercions
l'auteur qui a bien voulu nous communiquer son texte, encore inédit.
37. Dans Migne, P.G. 31, col. 947 : « Tous ceux qui, étant esclaves, cherchent
refuge dans les congrégations, doivent être renvoyés à leurs maîtres, à l'exemple
de saint Paul, qui après avoir régénéré Onésime par l'Evangile, l'a renvoyé à
Philemon... » (trad, de nous-même). Cette disposition s'attache également à la
tradition qui émane de YEpître à Philemon, même si cette doctrine ne porte que
sur l'administration d'un esclave au ministère sacré, et non pas à son entrée dans
la vie monastique.
38. Trad, de SVP. Joannou, op. cit. (supra, note 19).
39. La citation en italique est I à Tint. 6, 1.
40. Novelle 5, chap. 2, 1. ¡Sur cette novelle, voir H. Alivisatos, JJie kirchliche
Gezeîzgebung des Kaisers Justinian I, Berlin, 1913 (réimpr. Aalen, 1973).
41. Nam si in multis casibus etiam ex lege hoc fit et talis quaedam libertas
datur, quomodo non praevalebit Divina Gratia, lalibits eos absolvere vinculis?
(pour l'édition utilisée, voir supra, note 27).
42. Sur saint Hypatios Ihigoumene (17 jum), cl. t. Halkin, op. cit. {supra,
note 15), t. 1, p. 251. Sur cet événement, voir H. Bellen, Studien zur Sklavenflucht
im römischen Kaiserreich, Wiesbaden, 1971 (Forschungen zur antiken Sklaverei,
IV), p. 85 et note 604. Voir aussi la note suivante.
43. Trad, de A. Festugiere, Les moines de la region de Constantinople (Les
moines d'Orient 2), Paris, 1961, p. 35. Le texte est édité par G.J. M. Bartelink,

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Stavros Pereniidis

Outre cette seconde divergence entre le droit canonique et la légis-


lation justinienne, nous retrouvons ici un second élément qui intéresse
notre exposé, et qui résulte clairement du texte de la novelle de Justi-
nien : nous avons certes une ressemblance assez significative entre la
libération obtenue à travers la célébration de l'ordination 44 (qui rend
l'esclave libre et ingénus) et d'autre part l'affranchissement par la
tonsure 45, avec l'intervention de la Grâce Divine, plus puissante en
ce sens que la loi humaine, d'après les termes du législateur. Est-ce
que nous devrions considérer, dans le silence du texte de la il 23e novelle,
que c'est là aussi la Grâce qui rend la liberté à l'esclave qui reçoit les
ordres sacrés, et ceci par le moyen de sa participation au sacrement
de son ordination ? Nous pensons que ce détail reflète probablement
un point des conceptions populaires de l'époque, sur un rôle « libé-
rateur » du sacrement de l'ordination, qui ont été reconnues et adoptées
par le législateur 46.

II. - L'ordination d'un esclave


DANS LES CONCEPTIONS POPULAIRES.

Nous avons vu que le 82e canon des Apôtres constitue le t


nique de base et l'unique disposition du droit canon grec
la question de l'ordination d'un esclave. Nous avons égale
le pouvoir temporel, se fondant probablement sur des conc

Callinicos : Vie d'Hypatios, Paris, 1971 (Sources chrétiennes 177), et


Sanctorum Iunii, Anvers, 1701, t. 3, p. 323 B (31). A noter ici que l'un de ces
quatre esclaves de Monaxios « devint un ascète très éprouvé et il fut jugé digne
du sacerdoce » (trad, de G. J. M. Bartelink, loc. cit., p. 138), ce qui désigne bien
l'ordination d'un esclave qui n'a pas été affranchi par son maître. A-t-il été considéré
comme libéré par la tonsure, et à ce titre admis à l'ordination en tant qu'un
homme libre ?
44. Sur le sacrement de 1 ordination, voir entre autres, A. Michel, s.v. « Ordre-
Ordination », Dictionn. de ThéoL cathol., J. G. Timagenis, s.v. « Cheirotonia »,
Thrêsk. kai Ethik. Egkyklop .; B. Botte, « La formule d'ordination " la Grâce
Divine " dans les rites orientaux », L'Orient Syrien , 2, 1957, p. 285 sq.; et
A. Christophilopoulos, Themata Byzant. Ekklês. Dikaiou (supra, note 3),
p. 25 sq. Voir les rituels grecs de l'ordination, dans J. Goar, Euchologion, sive
rituale Graccorum, Venise, 1730 (réimpr. Graz, 1960).
45. Sur la tonsure des moines, voir H. Alivisatos, « He koura ton klerikon
kai monachôn kata to kanonikon dikaion tês orthodoxou Ekklêsias », Epetêtris
Hetairçias Byzantinôn Spoudôn, 23, 1953, p. 233 sq.; P. Papaevaggelou, s.v.
« Koura monacliike », Thrêsk. kai Eth. Egkyklop.; également, A. Christophilo-
poulos, Themata Byzant. Ekkles. Dikaiou, p. 44 sq.; A. Michel, s.v. « Ton-
sure », Dictionn. de Théolê cathol.; J. Pargoire, s.v. « Anadoque », Dictionn .
d'Archéol. chrét. et de Liturgie ; et la plus recente bibliographie dans J. Koni-
DARis, To Dikaion tês monastêriákês periousias, Athènes, 1979, p. 13 sq. Voir
également les rituels grecs de la tonsure monacale dans J. Goar, op. cit. A
noter qu'à cette époque, certains considéraient la tonsure monacale comme un
sacrement; voir aussi infra, note 65.
46. Sur la législation justinienne et le droit canonique vis-à-vis du problème de
la fuite des esclaves, voir H. Bellen, op. cit. {supra, note 42).

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L'ordination de l'esclave à Byzance

tardives, propose des solutions moins rigides. Nous allons voir main-
tenant comment cette disposition canonique était suivie dans la pratique
ecclésiastique.
Le premier document que nous allons invoquer est la Lettre à
Simplicia (ou Lettre LXXIX) de saint Grégoire de Nazianze47, datant
de 374 : il s'agit de !a réponse de saint Grégoire à la plainte de Simpli-
cia, qui protestait car son esclave avait été ordonné sans son accord.
Saint Grégoire répond avec étonnement à sa correspondante qu'elle
revendiquait comme esclave l'homme que lui-même désigne comme
sympoimen 48, ce qui implique qu'il était même consacré évêque 49.
Cette ordination avait été faite par deux pontifes de grande notoriété
(saint Grégoire lui-même et son père Grégoire l'Ancien), qui ne pou-
vaient pas ignorer le précédent néotestamentaire de YEpître à Phile-
mon 50 et la position prise par saint Paul face au problème de l'emploi
d'un esclave dans le ministère sacré, qui constitue le fondement doctrinal
du 82e canon des Apôtres. La question qui se pose maintenant est de
savoir si cette ordination de l'esclave de Simplicia avait été faite
malgré cette interdiction canonique : même si nous ne pouvons pas
considérer cet événement comme une transgression, puisqu'il est anté-
rieur au 82° canon des Apôtres 51, il est certain que l'ordination de
l'esclave de Simplicia par saint Grégoire manifeste une discontinuité
dans la tradition doctrinale depuis YEpître à Philemon jusqu'au
82* canon des Apôtres, tradition qui n'autorise pas l'ordination d'un
esclave sans l'accord du maître. Notons en passant que saint Grégoire
ne semble pas contester les droits de Simplicia sur son esclave 52, et
il fait appel à sa générosité, en lui disant que « cette offrande [c'est-à-
dire de son esclave à l'Eglise] est la plus sainte ».

47. Nous avons utilisé l'édition de P. Gallay, Saint Grégoire de Nazianze :


Lettres , Paris, 1964 (Coll. des Universités de France), avec une traduction fran-
çaise; le texte est également accessible dans Migne, P.G. 37, col. 149 sq. Nous
remercions ici le R.P. J. Paramelle, directeur d'études à l'E.P.H.E. et directeur
de la Section grecque de PI.R.H.T., pour sa bienveillance et ses conseils sur l'inter-
prétation du présent document.
48. Terme difficilement traduisible en français. P. Gallay le traduit : « ce pas-
teur qui est mon collègue » (loc. cit., p. 100).
4V. uans la Lettre que nous examinons ici, n esi eue comme niereus : ce lerme
désigne tout aussi bien tout simplement le prêtre, qu'un membre du corp
dotal quel que soit son grade. P. Gallay pense, lui aussi, qu'il était con
évêque (op. cit., p. 99 et note 4, dans la p. 128, avec les Notes complément
L'essentiel c'est bien qu'il y ait eu une ordination d'esclave. P. Gallay ajo
lement que plusieurs « habitants avaient demandé qu'on leur donnât pour
ce serviteur » (op. cit., p. 101, note 2), ce qui implique que probablem
conceptions populaires, à cet endroit, ne s'opposaient pas à ce qu'un
devienne membre du corps sacerdotal.
50. Saint Gregoire ne mentionne pas YEpître a rhilemon dans la presente
Lettre.
51. Voir supra, note 23.
52. Saint Gregoire dit : « Il ne nous plaît pas de leser la bonté des maîtres. »

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Stavros Perentidis

Un autre document qui nous intéresse ici est la novelle ď Alexis


Comnène de 1095 sur le statut des esclaves 53. Une des sources qui,
entre autres, a conservé son texte est le commentaire de Théodore
Balsamon sur le 85e canon du concile Quinisexte ou in Trullo 54, où
cet auteur ne manque pas de préciser qu' « aujourd'hui toutes les lois
et les canons encouragent la liberté » 55. Cette novelle, nous dit tou-
jours Balsamon, a été promulguée, ďune part pour que l'on ne puisse
pas contester la preuve qu'un esclave est devenu libre quand c'est lui
qui présente des témoins, et d'autre part pour que les eclaves qui parti-
cipent au sacrement nuptial ne deviennent pas libres. Sur ce deuxième
point, la novelle précise textuellement que « certains maîtres hésitaient
à autoriser leurs esclaves à s'unir avec la bénédiction du sacrement du
mariage, afin qu'ils n'accèdent pas de ce fait à la liberté » 56. Et le
texte continue dans le même sens : « Que les maîtres puissent doréna-
vant marier leurs esclaves devant Dieu et selon la loi, et conserver aussi
leur pouvoir sur eux. » Malgré l'affirmation de Balsamon, que nous
avons citée plus haut 57, cette novelle s'attache plutôt au courant
conservateur, puisque son auteur reconnaît expressément : « Notre poli-
tique est obligée de respecter les traditions qu'elle a reçues. »
Mais le point le plus important pour notre exposé est bien ce qu'Alexis
précise sur le rapport entre la participation d'un esclave aux sacrements
de l'Eglise et l'affranchissement : « 11 est absurde d'admettre », pour-
suit littéralement le même texte, « que seuls les hommes libres puissent
s'unir en mariage avec la bénédiction d'une célébration sacrée, et que
les esclaves ne puissent pas recevoir la Grâce Divine, mais qu'ils
doivent plutôt être écartés, comme si leurs maîtres devraient être lésés
et dépourvus de leur pouvoir sur eux, au cas où les esclaves rece-
vraient cette bénédiction. De même, si cela est vrai, ils devraient aussi
être écartés du saint baptême, pour qu'ils ne soient pas ainsi libérés
de l'autorité de leurs maîtres; mais aussi de la communion des saints
sacrements, pour qu'ils ne deviennent pas par elle libres » 58.
La novelle d'Alexis vient démentir que la participation d'un esclave
au sacrement nuptial, au baptême, à la communion entraîne son affran-

53. Pour l'identification de cet acte impérial, cf. F. Dölger, Regesten der
Kaiserurkunden des oströmischen Reiches , München-Berlin, 1924-1932, acte réper-
torié sous le numéro 1177. Sur cette novelle voir, H. Köpstein, « Zur Novelle
des Alexios Komnenos zum Sklavenstatus (1095) », Actes du XV 9 Congrès inter-
national d'Etudes byzantines (Athènes, septembre 1976), Athènes, 1980, t. 4 (His-
toire), p. 160 sq., avec la bibliographie proposée. Voir également notre note 59.
54. Migne, P. G. 137, 799 sq. avec la trad, latine de G. Beveregius. Voir ©gaie-
ment les indications bibliographiques de F. Dölger, loc. cit.y acte 1177.
55. Migne, P.G. 137, 800. A. Hadjinicolaou-Màrava, op. cit., p. 27.
56. « Ina me enteuthen pros eleutherian synelthosin » (trad, de nous-meme).
57. C'est-à-dire que « toutes les lois et les canons encouragent la liberte ».
58. Trad, de nous-même.

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L'ordination de l'esclave à Byzance

chissement. Ceci suppose bien entendu l'existence d'une conception


plus ou moins généralisée 59, d'après laquelle la participation d'un esclave
à un de ces sacrements de l'Eglise aurait produit cet effet, ce qui rejoint
l'esprit de la 5e novelle de Justinien, selon laquelle la Divine Grâce
intervient pour rendre la liberté à l'esclave qui entre dans la vie monas-
tique. Une Apokrisis ou Responsum canonique de Nicétas 60, archevê-
que de Salonique au xnc siècle, nous témoigne en parlant de la présente
novelle d'Alexis, qu'une telle législation paraissait incroyable à ses
contemporains : « Et ils répondaient que la législation de l'empereur
défunt [Alexis Comnène] n'était pas ainsi » 61. Comment devons-nous
interpréter cette réaction à l'affirmation invoquée ici? Est-ce que,
même après la promulgation de cette novelle d'Alexis (que nous consi-
dérons comme opposée aux conceptions populaires), on continuait à
croire que la participation d'un esclave aux sacrements de l'Eglise avait
les mêmes conséquences qu'avant, c'est-à-dire son affranchissement?
C'est probablement ainsi que l'on contestait l'affirmation susmentionnée
sur l'existence d'une loi contraire à une conception, et peut-être à une
pratique plus ou moins répandue 62.
Mais la novelle d'Alexis ne parle pas du sacrement de l'ordination.
Il nous semble peu probable que la chancellerie impériale et ses archives
n'aient eu connaissance, ni du 82° canon des Apôtres, ni de la légis-
lation justinienne, ni des Basiliques. Le plus probable c'est que le rédac-
teur de la novelle n'a pas voulu parler de l'ordination (qui pourtant
fait bien partie des sacrements de l'Eglise), du fait que la disposition
justinienne, passée dans les Basiliques, avait été abrogée par les
ļnovelles 9, 10 et 11 de Léon VI le Sage 63, qui, à la demande du

59. Cette novelle d'Alexis a été adressée au patriarche Nicolas III Grammatikos,
à Constantinople. Une seconde version, contenant les mêmes dispositions (F. Döl-
ger, loc. cit., acte 1178, désigné comme « Novelle B » par H. Köpstein, Zur
Novelle des Alexios Komnenos zum Sklavenstatus ) semble avoir été adressée à
l'archevêque de Salonique, en même temps que la précédente. H. Köpstein est
aussi de l'avis que la novelle d'Alexis avait un caractère général (op. cit., p. 163,
note 12), ce qui suppose également une opinion populaire généralisée plutôt
qu'isolée.
60. Voir ce texte edite dans G. Rhalli et M. Potu, op. cit., (supra, note 29),
t. 5, p. 443 sq. Sur les Apokriseis de Nicétas, cf. H. -G. Beck, Kirche und theolo-
gische Literatur im Byzantinischen Reich , München, 1959 (Byzant. Handbuch),
p. 621.
61. « Hoi de apelogounto me einai tauten ten nomothesian tou makaritou basi-
leôs 2> (trad, de nous-même). Ce témoignage date donc d'après 1118, année de la
mort d'Alexis Comnène, de vingt-trois ans postérieure à la promulgation de la
novelle en question.
62. Voir plus haut, note 59. Lidee de la recherche des informations histo-
riques sur les coutumes dans les documents canoniques remonte à A. Van Gennep,
« Note sur la valeur documentaire folklorique des canons des conciles et des
constitutions synodales », Congrès d'histoire du Christianisme (Jubilé Alfred
Loisy), Amsterdam-Paris, 1928, t. 3, p. 94-108.
63. Voir plus haut, I : Les textes juridiques sur l'ordination d'un esclave.

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Stavros Perenlidis

patriarche Etienne 64, a confirmé dans sa vigueur le 82e canon des


Apôtres. A noter également que, dans la novelle d'Alexis de 1095,
il n'est pas question des sacrements 65 en général, mais seulement d
sacrement du mariage, du baptême et de la communion, auxquels peu-
vent s'ajouter implicitement la confirmation ou saint chrême (qui
chez les orthodoxes, se fait juste après le baptême), et la confessio
(qui doit en principe précéder la communion). Nous pensons que
même si la novelle d'Alexis ne se réfère pas au sacrement de l'ordination,
il est bien possible que l'esprit populaire continuait à la considérer
comme entraînant la libération de l'esclave qui recevait les ordres
sacrés 66.

Sans pouvoir approfondir ici, essayons toutefois de voir comment


pourrait-on expliquer ce concept, selon lequel l'esclave qui recevait les
ordres sacrés (ou qui participait aux sacrements de l'Eglise) devenait
de ce fait libre. A. van Gennep 67 considère bien l'ordination comme
un rite d'appropriation par la divinité; de toute façon c'est un rite de
passage . Ces rites, outre leur effet principal, qui est le passage ďun
statut à un autre, peuvent également produire d'autres effets 68. Rappe-
lons nous d'un autre « rite de passage » qui produisait à Byzance d'autres
effets, en plus de ceux pour lesquels la cérémonie se célébrait : il
s'agit bien du rite du sacre impérial et de la consécration episcopale.
Nous savons par Théodore Balsamon 69 et par Demétrius Chomatia-

64. Cf. « Regestes des actes du patriarcat de Constantinople » : il s'agit de


l'acte répertorié sous le numéro 590.
65. Le numerus clausus des sacrements de l'Eglise orthodoxe n'est pas anteneur
au xiii® siècle : voir P. Trempelas, s.v. « Mystèrion », Thrêsk. kai Eih. Egkyklop.
Plus amplement, A. Michel, s.v. « Sacrements », Dictionn. de Theoiģ cathol.
C'est ainsi que l'on pourrait considérer, avant cette date, la tonsure du moine
comme un sacrement.
66. G. Michaélidès-Nouaros, Dikaion kai Koinônikè Syneidêsis (p. 90 de
son recueil publié sous le même titre à Athènes, en 1972), considère que si une
œuvre législative cesse de correspondre (après un certain temps) avec la cons-
cience collective, ou bien elle devient inapplicable et sera contournée par la
fraude, ou bien elle tombe en désuétude. Il en est de même si le législateur pro-
mulgue une nouvelle loi, contraire aux conceptions populaires.
67. Cf. A. Van Gennep, Les rites de passage, Paris, 1909 (réimpr. Paris, 1969),
p. 15. Un autre mode d'affranchissement a été examiné du point de vue sym-
bolique dans S. Tondo, Aspetti simbolici e magici nella struttura giuridica della
manumissio vindicta , Milan, 1967. Pour des indications bibliographiques sur
l'ethnologie et l'anthropologie grecque à l'époque byzantine, voir D. Loukatos,
Eisagôgè stèn hellênikè Laographia, Athènes, 19782, p. 33 sq.
68. A. Van Gennep, Les rites de passage , p. 15 sq.
69. Dans son commentaire sur le 12e canon du concile d'Ancyre (Migne,
P.G. 137, 1156). Un extrait de ce commentaire figure aussi dans une édition
augmentée (xv® s.) de YEpitomè des Saints Canons de Constantin Harménopoulos
(datant de 1345), telle que l'on la trouve composée dans les manuscrits Parsinus
Gr. 1386, Parisinus Gr. 1388 et Venetus Marcianus Gr. 182. Au sujet de YEpitomè
des Saints Canons , voir aussi infra, note 84.

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L'ordination de l'esclave à Byzance

nos 70, que ces deux rites produisaient, outre le « passage », un second
effet qui était l'absolution des péchés du récipiendaire 71. Ainsi l'ordi-
nation d'un esclave pourrait également avoir comme second effet l'affran-
chissement de l'esclave qui recevait les ordres sacrés. L'Eglise officielle
ne semble pourtant pas vouloir reconnaître ce caractère du sacrement
de l'ordination, mais ceci ne peut pas exclure l'existence d'une telle
conception populaire. Rappelons-nous également que Yadelphopoiïa (ou
fraternisation) 72 avait été condamnée par l'Eglise officielle 73, mais
nous connaissons pourtant l'existence d'une cérémonie religieuse spéciale
pour la fraternisation, dont le rituel nous a été conservé dans YEucho -
logion de J. Goar 74.
¡Le dernier document invoqué est une Lettre patriarcale et synodale ,
que l'on date de mai 1228, signée par Germain II, rédigée donc à
Nicée 75. 'Elle est adressée au métropolite de Russie Cyrille et à tous les
évêques; elle proteste contre le fait que la règle canonique n'est pas
respectée et exige que les évêques ne doivent autoriser aucune ordi-
nation d'esclave, si les maîtres n'avaient pas octroyé auparavant par
écrit la liberté au candidat. Dans la version russe du document (seule

70. Dans sa 14e Apokrisis (Responsum canonique ) qu'il a adressé à Constantin


Cabasilas, archevêque de Dyrrachion. Voir ce texte dans J. B. Pitra, Iuris Eccle-
siastici Graecorum selecta paralipomena (Analecta sacra et classica Spicilegio
Solesmensi parata, 6), Paris-Rome, 1891, col. 645 sq. Sur Chomatianos, voir
G. Marcou, « Demetrio Chomatianos nel quadro della cultura bizantina del
secolo XIII - Correzioni al codice Monac. Gr. 62 edito dal Cardinale Pitra »,
Annuaire scientifique de la Faculté autonome de Sciences politiques , Panteios,
Athènes, 1976-1977, p. 435 sq., avec la bibliographie proposée.
71. D'après cette conception, l'onction du sacre imperial et de la consecration
episcopale s'entendait également comme l'absolution de tous les péchés. A l'ori-
gine de cette idée se trouve probablement le Discours IX de saint Grégoire de
Nazianze prononcé le jour de sa consécration episcopale (Migne, P. G. 35,
col. 819 sq.), discours auquel se réfèrent expressément Balsamon et Choma-
tianos. Se conformant à cette conception, le patriarche Polyeucte a finalement
admis à la Grande Eglise l'empereur Jean I Tzimiskès, à qui il avait refusé
l'entrée, puisque ce dernier avait assassiné son prédécesseur, l'empereur Nicé-
phore II Phocas, en 966. Voir « Regestes des actes du patriarcat de Constanti-
nople », actes 793 et 794.
72. Sur la fraternisation à Byzance, cf. G. Mich aélidès-Nou aros, « Peri tês
adelphopoiias en tê archaia Helladi hai en tô Byzantiô » (supra, note 3). Autres
indications bibliographiques, dans D. Loukatos, loc. cit. (supra, note 67), p. 188.
73. Ainsi G. Michaélidès-Nouaros, « Peri tês adelphoponas... ».^ Voir éga-
lement J. Goar, Euchologion, sive rituale Graecorum , p. 706, qui précise : « A
savoir au sujet de cet office [de la fraternisation], que même si la règle ecclésias-
tique et la loi impériale l'ont interdit, nous l'avons fait imprimer ici, car nous
l'avons trouvé dans plusieurs manuscrits » (trad, de nous-même). Voir aussi les
commentaires latins de J. Goar (ibid., p. 709).
74. J. Goar, op. cit., p. 706 sq. 11 est interessant de constater, ici aussi, la pre-
sence d'une légende hagiographique, invoquée par le rituel de l'office de la fra-
ternisation : il s'agit de la légende des saints Serge et Bacchus (F. Halkin, op.
cit., t. 2, p. 238), qui étaient également attachés par les liens de la fraternisation.
75. Voir « Regestes des actes du patriarcat de Constantinople », acte 1247.

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disponible, puisque l'original grec a disparu) 76, le 82e canon des Apôtres
n'est pas désigné par son nom, mais, comme la Lettre cite bien le pré-
cédent de YEpître à Philemon , il est certain que les « lois sacrées et
divines » dont parle la Lettre plus ou moins vaguement, ne désignent
que le 82* canon des Apôtres, dont l'Eglise exige ici de nouveau
l'application 77.

III. - Conclusion.

Nous avons donc constaté que le 82e canon des Apôtres


ce que l'on appelle en termes de sociologie juridique l
books 78 : malgré son interdiction formelle, la 123e novel
nien autorisa implicitement les ordinations avant l'affranchi
l'Eglise a essayé à plusieurs reprises (depuis les nouvelles
Léon VI jusqu'à la Lettre patriarcale de 1228) de maintenir
cette disposition canonique, qui ne semble pas avoir été co
l'esprit et aux conceptions populaires des périodes tardives 79
blent avoir admis et reconnu les ordinations d'esclaves.

Dans le domaine du droit canonique byzantin, nous avons plusieurs


exemples de dispositions qui n'ont pas été appliquées dans la prati-
que 80, même si elles n'avaient pas été formellement abrogées. Le pro-
blème de l'épuration des règles et des dispositions canoniques désuètes
et contradictoires n'a pas été officiellement tranché. L'Eglise grecque
ne s'est pas prononcée d'une façon systématique et définitive sur la

76. La version russe de ce document est éditée dans Métropolite Makarii,


€ Histoire de l'Eglise russe » (en russe), Saint-Petersbourg, 1880-1910, 320 sq.,
et dans Pamiatniki drevne-russkago kanotiiceskago prava (1, Pamiatniki XI-XV),
Saint-Petersbourig, 1880, p. 79 są. Un résumé en français est donné par V. Laurent,
« Regestes des actes du patriarcat de Constantinople », acte 1247.
77. Nous précisons ici que, d'après ce document, les esclaves qui recevaient les
ordres sacrés continuaient à rester esclaves après l'ordination : n'oublions pas
que ceci se passe en Russie, loin de Byzance. Il ne faut donc retenir de ce témoi-
gnage, que l'Eglise byzantine revient de nouveau dans sa position ancienne, et
confirme le 82e canon des Apôtres dans sa vigueur juridique.
78. Sur l'opposition entre le droit théorique (ou law in the books) et le droit
vivant dans le domaine du droit ecclésiastique byzantin, voir G. Michaélidès-
Nouaros, Quelques remarques sur le pluralisme juridique à Byzance (cité supraT
note 3), p. 434 sq., avec quelques exemples concrets et des indications biblio-
graphiques. Voir aussi, A. Christophilopoulos, Themata Byzant. Ekklês. Dikaiou ,
cité aussi dans la note 3).
79. A. Christophilopoulos reconnaît généralement aux règles ecclésiastiques
une certaine flexibilité : « L'Eglise orthodoxe, comme un organisme vigoureux et
flexible, n'hésite pas, quand elle le juge nécessaire, & transformer dans de nom-
breux cas son état des choses » (loc. cit., p. 3 : passage traduit en français par
nous-même).
80. G. Michaelides-Nouaros, Quelques remarques sur le pluralisme juridique à
Byzance, p. 434 et note 39; qui cite A. Christophilopoulos, Themata Byzant.
Ekkl. Dikaiou.

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L'ordination de l'esclave à Byzance

vigueur juridique des saints canons 81, en préparant une compilation


officielle à jour, à l'exemple du Codex Juris Canonici de 1917. Quant
aux collections canoniques connues, chacune n'est due qu'à l'initiative
privée de son auteur, et n'a pas de caractère officiel. Souvent les juris-
consultes byzantins ne savent pas comment traiter la question des dispo-
sitions canoniques contradictoires; de toute façon ils ne tiennent pas
compte des conceptions de leur époque, et leurs recherches jouent
plutôt sur des interprétations exégétiques et doctrinales. Prenons l'exem-
ple de Jean Zonaras (xiie s.) 82, qui, pour juger quel canon serait appli-
cable, oriente ses interprétations vers la nature des sources, pour statuer
qu'un canon décrété en synode par un concile doit prévaloir sur un
autre canon tiré d'un Responsum d'un Père. Au xiv6 siècle Constantin
Harménopoulos 83, encore plus hésitant, préfère citer dans sa compi-
lation canonique intitulée Epitomé des Saints Canons 84, toutes les
dispositions contradictoires, l'une après l'autre, en ajoutant simplement
une particule disjonctive en tête de chaque canon qui contredit son
précédent 85. H semble, enfin, que l'abrogation explicite de certaines
dispositions canoniques par Léon VI se réalise divino iure et à la demande
de l'Eglise 86. Mais cette question importante ne peut pas être traitée
ici.
*
**

A partir du dualisme qui caractérisait la position de l'Eg


tine face à l'esclavage, nous avons essayé de voir comment c

81. G. Michaélidès-Nouaros, op. cit. (note précédente). Nous pens


la valeur juridique et la vigueur des saints canons, la position de l'
cielle a été plus rigide, qu'elle a été avec les simples règles ecclésia
rappelons également qu'en Orient, on n'avait pas contesté le caract
tolique » des 85 canons des Apôtres, ce qui justifie cette position d
elle ne pouvait pas considérer comme inapplicable une dispositi
croyait décrétée par les saints Apôtres.
82. Sur Jean Zonaras comme canoniste et sur ses commentaires , cf. H.-G. Beck,
op. cit., p. 656 sq., et J. A. B. Mortreuil, loc. laud., t. 3, p. 423 sq.
83. Sur la vie et les écrits de Constantin Harménopoulos, le dernier des juristes
byzantins, cf. C. Pitsakis, Kônstantinou Harmenopoulou Procheiron Nomon ê
Hexabiblos, Athènes, 1971; Idem, « Grêgoriou Akindynou anekdote pragmateiu
peri i Konstantinou ?) Harmenopoulou », Epetêris tou Kentrou Ereunês tês historias
tou hellênikou dikaiou tês Akadêmias A the non, 19, 1972 (publié en 1974),
p. 111 sq.
84. Voir ce texte dans Migne, P. G. 150, col. 45 sq. Nous en préparons une
édition critique, actuellement en voie d'achèvement. Voir également, S. Perentidis,
« L'emploi du duel dans un texte grec du xiv* siècle », Revue des Etudes grecques ,
93, 1980, p. 529 sq.
85. Voir, par exemple, comment Harménopoulos presente les dispositions cano-
niques concernant les réunions conciliaires et synodales dans Migne, P. G. 150,
col. 71/72; les dispositions sur la pénitence du meurtrier, ibid., col. 145 sq., sur
la pénitence du parjure, ibid., col. 147/148; sur la pénitence du violeur de tombes,
ibidę, col. 149/150, etc.
86. Sur la législation de Léon VI, cf. supra , note 32.

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se manifestait dans le domaine propre de l'ordination d'un esclave.


Nous y avons retrouvé la présence des deux courants : celui qui consi-
dérait que l'intervention de la Grâce Divine au moment de l'ordination
de l'esclave modifiait son statut et lui rendait sa liberté; nous avons
également constaté que la législation justienne se conformait à ce cou-
rant. L'autre courant, celui qui s'oppose aux conceptions populaires,
est caractérisé par un esprit attaché à l'enseignement de saint Paul et à
l'esprit de YEpître à Philemon : il n'admet pas qu'un esclave reçoive les
ordres sacrés, mais seulement un affranchi.
Nous avons également essayé de donner un aperçu de l'opposition des
deux courants 87, et ceci à la lumière des textes législatifs et d'autres
documents de l'époque. En l'absence de données sur la pratique judi-
ciaire, nous ne pouvons pas nous prononcer sur l'existence ou non d'une
règle coutumière (source formelle du droit), conforme au courant 88
qui s'opposait depuis le VIe siècle au 82e canon des Apôtres et aux
dispositions qui l'ont suivi dans le même sens, comme les novelles
susmentionnées de Léon VI, et à l'esprit de la Lettre patriarcale de
1228.

Mais il n'est pas enfin impossible que des ordinations d'esclaves aient
fonctionné dans ce sens, c'est-à-dire pour rendre la liberté aux ordonnés,
et que leurs maîtres, inspirés par les conceptions populaires sus-énoncées,
n'aient pas contesté la validité de l'affranchissement réalisé ainsi, ni
saisi les instances judiciaires.
Stavros Perentidis.

87. N. Pantazopoulos, Apo tês " logias " paradoseôs eis ton Astikon
Kôdika (supra, note 3), essaie d'expliquer révolution du droit grec depuis
146 av. J.-C., à travers l'opposition de deux courants, à savoir celui qui s'attache
à la tradition « puriste » ou savante, et celui qui émane de la tradition populaire.
Voir la critique de G. Michaélidès-Nouaros, « Läikon kai episêmon dikaion
cis tèn nornikèn zoèn », Dikaion kai koinônikè syneidêsis (recueil cité supra ,
note 3), p. 27 sq.
88. Plusieurs auteurs considèrent la conscience collective (ou consensus populi )
comme la source primordiale du droit. Sans vouloir nous prononcer sur cette
thèse, nous citons, entre autres, G. Del Vecchio, Philosophie du droit , Paris,
1952; H. Coing, Grundzüge der Rechtsphilosophie , München, 19622, p. 291 sq.
Voir aussi les diverses thèses des philosophes du droit sur le pluralisme juridique,
résumées et commentées dans L. Ingber, « Le pluralisme juridique dans l'œuvre
des philosophes du droit », Le Pluralisme juridique (études publiées sous la
direction de John Gilissen), Bruxelles, 1972, p. 72 sq.

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