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Le fils de Dieu / Victor

Mauroy

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Mauroy, Victor (1848-19..?). Auteur du texte. Le fils de Dieu /
Victor Mauroy. 1897.

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VICTOR M AU ROY

Le Fils de Dieu

PAÇIS
BIBLIOTHÈQUE ARTISTIQUE & LITTÉRAIRE
SOCIÉTÉ ANONYME LA PLUME
3Ix.rue Bonaparte, 31
1897
Le Fils de Dieu
1,'OEUVRK COMPREND :

ire Partie : DIEU.


I. Le Suprême Testament.
II. Dieu.
ni. Les Universaux,
En un volume paru.

2me Partie :

iv. LE FILS DE DIEU, 1 vol.

3me Partie LE PUR ESPRIT.


:

v. In extremis.
VI. Un étrange Jour de l'An.
vil\ La fin du Monde Sensible.
Trois volumes pour paraître prochainement
et successivement.

Tous droits réserves pour tous pa\s, y compris la Suède


et la Norwège.
VICTOR M AU ROY

Le Fils de Dieu

PARIS
HUiLlOTIlkori: ARTJSTHjl'F. «"• LITTÉRAIRE
SOCIÉTÉ ANONYME LA PLUME

31, rue Bonaparte, 31


1897
LE FILS DE DIEU

\<Dans l'illustre et grand siècle


oit nous sommes, de n'avoir pas
reculé, dès le premier jour, devant
la laborieuse mission de l'écrivain,
c'est s'être imposé la loi de ne
reculer jamais. »
VICTOR HUGO.

à Monsieur l'Abbé G.. N.-., cuvé à P...


MONSIEUR I/ABUB,

125. — (*) J'ai eu l'honneur de recevoir, le mois


dernier, la lettre en laquelle, m'apprenant que vous
avez lu mon livre: Dieu et les Univevsaux, vous
prolestez, dans des termes qu'un peu de modération
eût, certainement, plutôt embellis que déparés,
contre mes notes 22 et 27.
Aux arguments que vous dirigez contre moi,
s'ajoute le reproche de n'avoir pas suffisamment

(i) Le présent livre fait suite ali livre : Dieu. De plu?, l'oeuvre
totale constitue un seul ouvrage en 3 parties. De là, un numé-
rotage unique pour les paragraphes s'impose et s'explique. Mais,
que le lecteur n'en prenne point souci, car chaque livre peut se
lire séparément.
pris connaissance du Nouveau Testament, des
oeuvres des Pères de l'Eglise, des Docteurs et des
Théologiens; d'avoir, en un mot, commis, et plus
gravement encore, les négligences que l'abbé Gratry
relevait, jadis, si vertement,au passif de M.Vacherot.
J'ai, Monsieur l'Abbé, repris et relu les Evangiles
et les écrits des Apôtres ; j'ai pu, en outre, me
procurer la brochure qui fit tant de bruit, en son
temps, de l'abbé Gratry, et je suis prêt à discuter-,
tout décidé, je vous en avertis, à m'escrimer de
mon mieux.
D'abord, je rapporterai, ici, un court et prompt
résumé du problème christologique, lequel a, pour
o"bjet, la personne et la mission de Jésus, ses relations
avec Dieu et l'Humanité,
La Dogmatique, proprement dite, se divisant en
deux principales parties : l'Ontologie et la Christolo-
gie, il est convenu que c'est de cette seconde que
nous nous occuperons exclusivement.
La christologie orthodoxe, celle de la première
communauté chrétienne, fut formée de l'application,
au Christ, de l'idée messianique juive; de la
croyance à la résurrection des morts, au futur et
dernier jugement de tous les hommes, à laconception
surnaturelle; enfin, à l'ascension, de Jésus.
Cette christologie populaire a été formulée dans
le symbole des Apôtres (Le Credo).
Avec Saint Paul, la christologie devint théologique.
Elle s'augmenta d'une ingénieuse et féconde théorie
de la Rédemption, qui eut pour conséquence
l'abrogation de la loi judaïque et la suppression de
toute barrière entre les Hébreux et les Païens. Selon
Saint Paul, Jésus est le Fils de Dieu et, par son sacri-
fice, sa passion, et sa mort, il a réconcilié le ciel et la
terre. Le rapport de servitude des hommes à Dieu,
tel qu'il existait sous l'ancienne loi, a cessé ; l'amour
a pris la place de la terreur. Dorénavant, l'Homme
n'est plus astreint à l'impossible, soit à accomplir
toutes les exigences de la loi, obligation à laquelle
l'expérience établit que nul de nous ne satisfait;
mais, celui qui a foi dans le Christ, qui se fie en la
vertu expiatrice de sa mort, celui-là est reçu en la
miséricorde de Dieu. Ce n'est pas par ses actes, ni
par ses propres efforts, autrement dit, par lesoeuvres%
c'est gratuitement et par la grâce bénévole et
spontanée de Dieu, que l'Homme devient juste devant
l'Eternel, ce qui exclut toute élévation imputable à
l'individu.
Mais avant d'aller plus loin il serait bon,je crois,
que nous prissions le soin de fixer ici la chronologie
théologique. Cela nous servirait pour l'entente du
surplus de mon travail.
On s'accorde à donner la priorité à l'Evangile de
SaintMatthieu, composé en Palestine avant la disper-
sion des Apôtres, (Eusèbe) qui eut lieu vers l'an 44.
A la vérité, cette date est contredite par un texte de
Saint Irénée qui recule la publication de cet Evangile
jusqu'en 61 et au-delà, et jusque môme en 67. Mais
l'opinion d'Eusèbe a prévalu.
Le Symbole des Apôtres, qui a dû précéder la
dispersion, appartient, dit-on, à la môme époque
(an 44.)
Ce Symbole fut refait à Nicée (concile de 325.) et
retouché à Constantinople en 381. Ce qui concerne le
—8—
Saint-Esprit (simplement nommé dans le symbole de
Nicée) est du concile de Constantinople et même, le
Filioque catholique n'a été introduit dans le sym-
bole que par un ôynode de Tolède (589.) et assez
subrepticement même.

Pour l'évangile de Saint Marc on n'est sûr ni du
temps ni du lieu. (Hist. Ecclés. ni. 24. M. Glaire, t.
5.) On pense qu'il serait postérieur à la mort de
Saint Pierre.

L'Evangile selon Saint Luc serait de l'an 63. Mais
on ne sait rien du lieu où il fufcomposé.
Enfin, d'un avisunanimeles Historiens et les Pères
rfeculent jusqu'en l'année 99, la composition de
l'Evangile selon Saint Jean.
Suivons, maintenant, notre récit.
Par sa théorie du Verbe incarné, l'auteur de ce
quatrième et dernier Evangile jeta les fondements
de la christologie métaphysique, qui se développa
ultérieurement.
Et, de là, découlent deux thèses : celle de l'Incar-
nation ou de la personne du Christ; et celle de la
Rédemption, ou de l'oeuvre du Christ.
Saint Anselme mit ces deux théories dans l'union
la plus étroite. II déduisit l'idée de la Substitution,
déjà incluse au Nouveau Testament, et il en fit la
célèbre doctrine dénommée : la satisfaction vicaire.
D'après ce système, l'homme doit à Dieu une
complète obéissance ; mais, le pécheur, — (et tous
les hommes le sont,) — dérobe à Dieu le devoir dont
il est tenu envers lui. Or, Dieu, en raison de sa
justice, ne peut supporter cette offense. Mais, voici
l'embarras: -1 un côté, Dieu ne peut se procurer
— 9 —
satisfaction en condamnant le pécheur à des peines
sans fin, à cause de son immuable bonté ; et d'autre
part, l'homme coupable est hors d'état d'apporter à
Dieu une compensation de son outrage, car celui-ci,
appréciable à la mesure de celui qui l'a subi, est
infini. C'est alors que le Fils de Dieu est intervenu ;
lui seul a pu se dévouer et apporter la rançon de la
faute humaine ; l'être sans péché pouvait, seul,
payer le salaire du péché. Ainsi, la satisfaction pour
le péché des hommes consiste dans la mort de
l'Homme-Dieu, dont l'efficacité profite à l'Humanité.
La christologie orthodoxe a passé dans les confes-
sions de l'Eglise luthérienne. Les théologiens du
Protestantisme maintinrent l'union des natures
divine et humaine en une seule personne. Ils
reçurent que cette communication des natures se
manifeste par la communication de leurs propriétés,
en vertu de quoi la nature humaine participe au
privilège de la divine, et celle-ci au rôle de la nature
.
humaine, dans la Rédemption. Le Christ, en par-
courant avec sa personne et ses deux natures, les
phases de l'oeuvre de rédemption, a passé par un
double état ; l'état d'abaissement, et l'état d'exalta-
tion. Sa nature humaine, dans son union avec la
divine, entra, lors de la conception, dans la co-
posscssion des propriétés divines, mais, durant sa
vie terrestre, elle n'en fit point un usage continu.
En conséquence, cette vie terrestre d3 Jésus est
l'état d'abaissement. C'est à partir de la résurrec-
tion, que commence l'état d'exaltation, et celui-ci
atteignit sa plénitude par le siège pris à la droite
du Père.
— 10 —
Quant à l'oeuvre du Christ, la dogmatique luthé-
rienne la considère sous un triple aspect : comme
prophète, il a révélé aux hommes, sous la sanction
des miracles, la Vérité suprême, soit le décret divin
de rédemption ; comme grand-Prêtre il a rempli la
loi à notre place ; en outre, il a satisfait par sa
passion et sa mort à la peine qui était notre rétribu-
tion, et il continue d'intercéder pour nous auprès du
Père; enfin, comme roi, il régit le Monde et,.en
particulier, l'Eglise, qu'il conduira, des luttes de la
terre, à la gloire des cieux.
Les Réformés n'allèrent pa's aussi loin que les Lu-
thériens, dans la doctrine de la personne du Christ ;
>.ils n'accordèrent pas la dernière conséquence, et la
plus hardie, que les«utres avaient tirée de la réunion
de la divinité et de l'humanité, à savoir: la commu-
nication des propriétés,
Les Sociniens rejetèrent, comme une impossibi-
lité logique, le mystère de l'union, en une seule
personne, de deux natures dont chacune est, déjà,
une personne par elle-même. Ils alléguèrent l'oppo-
sition de leurs propriétés respectives, car, l'une est
immorcelle, et l'autre, mortelle ; car l'une est
sans commencement, et l'autre a commencé dans
le temps.
Par là, les Sociniens avaient frayé la voie aux
Rationalistes, et les dogmes de l'incarnalion et de
la rédemption ne tardèrent pas à être atteints par
une critique qui n'épargna rien de l'ancienne
christologie, et que les représentants les plus
éclairés du Protestantismen'hésitèrent pas à adopter.
Schleiermacher montra que l'hypothèse d'une
-- 11 —

double volonté dans le Christ, renfermait une


contradiction. Celte double volonté, en effet, ne se
conçoit pas sans un double entendement ; or, comme
l'entendement et la volonté constituent la personna-
lité, ou identité, il faudra que la dualité personnelle
résulte nécessairement de la double volonté. Vaine-
ment, allègue-t-on que les deux volontés veulent
toujours la même chose ; on arrive ainsi à une unité
morale, mais non à une unité personnelle. D'autre
part, il est impossible d'admettre l'identité de
manifestation de deux volontés dont l'une est divine
et dont l'autre st humaine, par cette raison qu'une
volonté humaine qui, essentiellement, ne veut que
des choses particulières, ne peut pas plus vouloir ce
que veut une volonté divine, qu'un entendement
humain — qui procède d'un objet à un autre — ne
peut penser ce que pense l'entendement divin, lequel
embrasse, à la fois, tout, par intuition.
Des objections, non moins fortes, furent opposées
à l'idée fondamentale de la rédemption, soit à la
satisfaction vicaire (ubi suprà).
On sentait que c'était transporter, grossièrement,
les conditions d'un ordre inférieur dans un plus
élevé que d'admettre, en une personne, la
,
faculté d'assumer la peine qu'une autre avait méritée
par son péché ; que des transgressions morales
étaient rigoureusement personnelles et ne consti-
tuaient point des obligations transmissibles ; qu'on
ne pouvait assimiler ces faits à des dettes d'argent,
dont le créancier poursuit et accepte le rembourse-
ment sans se soucier de qui les acquitte ; qu'au
— 12 —
contraire, la peine du péché a cela d'essentiel qu'elle
ne peut être infligée qu'à celui qui l'a encourue.
Le Christ, prophète, révélateur, thaumaturge, ne
fut pas plus ménagé que le Christ incarné, el que le
Christ rédempteur.
Et la christologie orthodoxe, ou mythologique,
fut, à son tour, convaincue d'être incompatible:
objectivement, avec l'ordre de Dieu et du Monde;
subjectivement, avec les lois de notre faculté- de
connaître.
On fit remarquer que le Dieu Parfait ne pouvait
avoir créé une nature qui, de temps en temps, avait
besoin d'une intervention extraordinaire du créateur
et, en particulier, une nature incapable d'atteindre
sa destination par le jeu de ses dispositions innées;
que l'Etre immuable ne pouvait agir sur le Monde,
tantôt, d'une façon et tantôt, d'une autre ; tantôt,
médiatement, tantôt, immédiatement; qu'admettre
une interruption — par l'intervention de Dieu —
dans l'enchaînement de la Nature et le processus
de l'Humanité, c'était renoncer à tout usage ration-
nel de la pensée ; qu'on ne peut pas, même, recon-
naître avec certitude le caractère de révélation et
de miracle, parce que, pour être assuré que certains
phénomènes ne sont pas simplement provenus des
forces naturelles et des puissances de l'esprit
humain, il faudrait avoir de celles-ci une connais-
sance absolue, et savoir jusqu'où ces forces et ces
facultés s'étendent, et la limite où elles s'arrêtent ;
connaissance que l'homme ne peut pas se flatter de
posséder.
Le Christ surnaturel, le Christ de la mythologie
— 13 -
chrétienne, une fois supprimé, il n'y avait plus, ce
semble, de christologie possible, et l'on ne voit pas
comment, sans une christologie, le Protestantisme
a pu conserver le nom de christianisme,, le Protes-
tantisme, cette poule de marbre qui a pondu des
oeufs de pierre, et dont notre Chateaubriand a dit
« qu'il pouvait, à bon droit, revendiquer des vertus,
mais qu'il n'était pas aussi heureux dans ses fonda-
teurs; Luther, moine apostat, approbateur du mas-
sacre des paysans ; Calvin, docteur aigre qui brûla
Servet ; Henri VIII, réviseur du Missel, qui fit périr
soixante-douze mille hommes dans les supplices,
voilà ses trois Christs. »
Aussi, les théologiens allemands se sont-ils mis à
la recherche de systèmes christologiques propres à
combler, pour le sentiment religieux, le vide causé
par l'évanouissement de la christologie surnatu-
raliste.
Strauss, chrisfomaque éminent, a exposé, à la fin
de sa Vie de Jésus, plusieurs de ces systèmes et il
n'a pas cru devoir terminer son ouvrage sans pro-
duire, lui aussi, sa christologie, dont les éléments
dérivent du panthéisme Hégélien. Le caractère
commun de ces spéculations est de réduire, à des
symboles d'idées générales, les prétendues réalités
surnaturelles des récits évangéliques.
« L'histoire de la conception miraculeuse
de Jésus,
dit, à son tour, deWette, représente l'origine divine
de la Religion ; les récits de ses miracles figurent la
force indépendante que possède l'esprit humain et
la doctrine sublime de la confiance spirituelle que
l'homme prend en lui-même. La résurrection est le
— 14 —
type de la victoire de la Vérité, le signe avant-
coureur du triomphe qui s'accomplira, un jour, du
Bien sur le Mal. L'ascension est le symbole de la
splendeur éternelle de la Religion. Le Christ, sur la
Croix, est l'image de l'humanité purifiée par le
sacrifice »
« Tout ce qu'on raconte du Christ, reprend Horst,
est-ce histoire véridique ? Cette question peut,
maintenant, nous être passablement indi^ê^nte,
et, d'ailleurs, nous rte sommes plus en él;t de la
résoudre. Il y a plus ; si nous voulons être francs
avec nous-mêmes, nous avouerons que la partie
éclairée de nos contemporains ne voit plus que des
> fables, dans ce qui était de l'histoire sacrée pour
l'antique piété des Chrétiens. Les récits de la nais-
sance surnaturelle du Christ, de ses miracles, de sa
résurrection, de son ascension, doivent être rejetés
comme étant en contradiction avec notre faculté de
connaître. Mais, si on les conçoit, non avec l'enten-
dement seul, comme de l'histoire, mais comme de
la poésie, avec le sentiment et l'imagination, on
trouvera que rien n'est arbitraire en ces récits et
que tout y a ses attaches dans les profondeurs de
l'esprit humain et dans les points par lesquels il
touche à la divinité. Vue sous ce jour, l'histoire du
Christ permet qu'on y relie tout ce qui est important
pour la conscience religieuse, vivifiant pour une
âme pure, attrayant pour un sentiment délicat.
Cette histoire est une belle et sainte poésie de l'Hu-
manité générale, où se réunissent tous les besoins
de notre instinct religieux. Au fond, c'est l'histoire
— 15 -
de la Nature humaine ramenée à une conception
idéale. »
Feuerbach a écrit son livre : Essence du Christia-
nisme, dans le but d'établir que le contenu de la
Religion n'est pas autre chose que l'Homme ; que le
secret de la Théologie est dans l'anthropologie ; le
mystère de l'Etre divin, dans l'être humain. L'Hom-
me adore son propre être, sans le savoir. Dieu,
c'est la révélation de l'homme intérieur.
Passant en revue les mystères du Christianisme,
F'euerbach en montre le caractère et le sens anthro-
pologiques ; l'homme est le contenu, le Coeur même
de Dieu ; son bonheur est, pour Dieu, l'affaire la
plus impoi tante, etc.
Rosenkranz a dit : « Le Dieu-Homme, de la reli-
gion chrétienne, représente l'identité philosophique
de l'Infini et du Fini; (voir mes universaux.) ; le
mouvement éternel par lequel l'Infini pénètre le
Fini, puis, en ressort, pour rentrer dans l'unité avec
soi-même. La vraie et réelle existence de l'Esprit
n'est, ni Dieu en soi, ni l'Homme en soi, elle est le
Dieu-Homme. Elle n'est, ni son infinité seule, ni sa
nature finie seule, mais elle est le mouvement par
lequel il se donne et se retire de l'une à l'autre ;
mouvement, qui, du côté divin, est la Révélation,
et, du côté humain, la Religion. Si Dieu et l'Homme
sont un en soi, et si la Religion est le côté humain
de cette unité, cette unité doit naître, pour l'homme,
dans la religion et tomber dans sa conscience. Sans,
doute, aussi longtemps que l'homme ne sait pas
encore qu'il est esprit, il ne peut pas, non plus,
savoir que Dieu est homme. Tant que l'homme sera
- 16 —

•encore esprit naturel, il déifiera la Nature. Quand il


sera devenu esprit sujet à la loi, époque où il ne
maitrise sa naturalité que par le dehors, il posera,
•en face de lui, Dieu comme Législateur. Mais quand,
une fois, dans les frottements de l'histoire du
Monde, celte naturalité et cette loi auront compris :
la première, sa corruption : la seconde, son malheur,
celle-ci sentira le besoin d'avoir un Dieu qui l'élève
au-dessus d'elle-même, et celle-là d'en avoir un qui
descende jusqu'à elle. Du moment que l'humanité
est assez mûre pour faire sa religion de celte vérité :
que Dieu est homme et que l'homme est de race
^divine, il faut — comme la religion est la forme sous
laquelle la Vérité devient la propriété de la cons-
cience commune — que cette vérité, apparaissant
comme une certitude sensible, apparaisse aussi
d'une manière intelligible à tous, c'est-à-dire, il
faut qu'il surgisse un individu humain que l'on
sache être le dieu présent. Ce Dieu-Homme renfer-
mant en un seul être, l'essence divine qui réside du
•côté de l'Infini, et la personnalité humaine qui réside
du côté du Fini, on peut dire de lui qu'il a l'esprit
divin pour père, et une mère humaine. Sa person-
nalité, se réfléchissant, non en elle-même, mais
dans la substance absolue, ne voulant rien être par
•elle-même, mais ne voulant être que pour Dieu, il
est sans péché et parfait. Mais, étant Dieu dans une
manifestation humaine, il estdépendant de la Nature,
soumis aux besoinset aux souffrances qu'elleimpose;
il se trouve dans l'état d'abaissement. Faudra-t-il
aussi qu'il paye à la Nature le suprême tribut? La
nécessité où'est la nature humaine de.subir la mort*
— 17 —
n'empêche-t-elle p?s d'admettre qu'elle soit une, en.
soi avec la nature divine? Non. — L'Homme-Dieu
meurt ; il montre par là, que s'incarner a été, pour-
Dieu, une chose sérieuse, et qu'il n'a pas dédaigné de
descendre jusqu'aux profondeurs les plus infimes,
de la nature finie, parce qu'il sait le moyen de sortir,
même de cet abhne, et de reprendre le chemin vers,
lui-même ; parce qu'il peut, même après s'être
aliéné le plus complètement, rester identique avec,
lui-même. Il y a plus; l'Homme-Dieu étant l'esprit
qui s'est réfléchi dans son infinité, est opposé aux.
hommes, qui sont renfermés dans cette nature finie.
Il en résulte une opposition et une lutte qui déter-
minent que la mort.de l'Homme-Dieu sera violente-
et donnée par la main des pécheurs; de sorte qu'à
la souffrance physique se. joindra la souffrance-
morale, que causent l'ignominie et l'imputation du
crime. La mort de l'Homme-Dieu n'étant que la
suppression de son aliénation, est, dans le fait, élé-
vation et retour vers Dieu ; par conséquent, la mort
est essentiellement suivie de la Résurrection et de
l'Ascension. »
Je devrais, ici, produire le Portrait historique de
Jésus, du docteur Schenkel, professeur à la faculté
de Théologie de Heidelberg, mais ce livre important
échappe à l'analyse. Je me bornerai à mentionner
que le dieu s'y efface, et que l'homme, fondateur du
christianisme, débarrassé de tout le mensonger'
appareil du surnaturel, y acquiert sa réelle grandeur •

et sa touchante et, vraie beauté.


Je termine par Strauss, déjà nommé :
« Le sujet des attributs que l'Eglise donne au..
— 18 -
Christ, dit-il, n'est pas un individu ; ce n'est pas,
non plus, une idée sans réalité ; c'est une idée que
réalise progressivement l'espèce humaine. Ces attri-
buts, qui se contredisent dans un individu, concor-
dent dans l'humanité. L'Humanité est la réunion de
deux natures : le Dieu fait homme, c'est-à-dire
l'Esprit infini qui s'est aliéné soi-même jusqu'à la
nature finie, et l'esprit fini, qui se souvient de son
infinité. L'humanité est l'enfant de la mère visible
et du père invisible, de la Nature et de l'Esprit.
L'humanité est celui qui (ait des mirac'es, car,
dans le cours de l'histoire humaine, l'esprit maîtri-
se, de plus en plus complètement, la Nature, au-
> dedans comme au dehors de l'homme, et celle-ci, en
face de lui, descend au rôle de Matière inerte, sur
laquelle son action s'exerce. L'humanité est l'impec-
cable, car, la marche de son développement est
irréprochable ; la souillure ne s'attache jamais qu'à
l'individu ; elle n'atteint pas l'espèce ni son histoire.
— L'humanité est celui qui meurt, ressuscite, et
monte au ciel, car, pour elle, du rejet de sa natura-
lité (animalité) procède une vie spirituelle, de plus
en plus haute ; et du rejet du Fini, qui la borne
comme esprit individuel, national, et planétaire,
procède son union (unité) avec l'esprit infini du
Ciel. Par la foi à ce Christ, particulièrement à sa
mort et à sa résurrection, l'homme se justifie devant
Dieu, c'est-à-dire que l'individu lui-même, en vivi-
fiant dans lui l'idée de l'humanité, participe à là vie
divinement humaine de l'Epèce. Voilà le fond
absolu de la Christologie. L'esprit trouve, dans les
•données extérieures de l'histoire évangélique, l.'oc-
— 19 -,
casion de faire tomber sous sa conscience, l'idée de
l'humanité une avec Dieu, et il contemple, dans
cette histoire, le mouvement de cette idée. Dès lors,
l'objet est complètement transformé. D'empirique et
sensible, il est devenu spirituel et divin, et l'esprit
prend sa raison d'y croire, non dans l'histoire,
mais dans la philosophie. En cessant d'être histoire
sensible, pour passer dans le domaine de l'absolu,
cette histoire cesse, en même temps, d'être essen-
tielle ; elle descend à une place secondaire, au-des-
sus de laquelle est le terrain propre de la vérité
spirituelle ; elle devient un rêve lointain qui, n'ayant
d'existence que dans le passé, ne participe pas,
comme l'idée y participe, à la perpétuité de l'esprit,
toujours présenta lui-même. Déjà, Luther a mis les
miracles corporels au-dessous des miracles spiri-
tuels qui, suivant lui, sont les grands et vrais mira-
cles. Eh quoi ! nous prendrions, à quelques guéri-
sons opérées en Galilée, un plus haut intérêt qu'aux
miracles de la vie morale et de l'histoire du monde,
qu'à la puissance irrésistible de l'idée, à laquelle les
masses de substance inerte et sans idée, quelque
vastes qu'elles soient, ne peuvent pas opposer une
résistance durable Si nous concevons l'incarnation,
1

la mort, et la résurrection, comme la circulation


(circuhisj éternelle, comme la pulsation, à jamais
renouvelée, de la vie divine, quel intérêt particu-
lier peut s'attacher à un fait isolé, qui n'a d'autre
valeur que de représenter, symboliquement, ce
mouvement éternel ? »
***
126. — Monsieur l'Abbé, il ne m'a pas, malgré
— 20 —
tout, paru qu'aucun des puissants et éloquents
christologues de l'Allemagne et de la Franco ait,
jusqu'ici, eu la bonne fortune de mettre la question
à son juste point.
Certes, des trésors de science et d'érudition,
ayant été dépensés, nous ont valu des monuments
d'une imposante étendue et d'une grandiose ordon-
nance.
N'importe; le problème n'est toujours pas résolu.
Ces oeuvres sont des sortes de poèmes philosophi-
ques ; ils contredisent peu ce qui est l'objet de la foi
publique, et se contentent de dire autrement. Il
s'ensuit qu'un certain doute s'étend bien, désormais,
autour de l'édifice et, comme un brouillard d'hiver,
commence à en dissoudre les formes, les contours,
et les aspects ; mais que, néanmoins, je le répète, la
légende persiste. Et le flottement de ses lignes,
pour beaucoup, n'aboutit même à rien de moins,
qu'à lui apporter un surcroit d'altraits.
L'histoire chrétienne est des plus touchantes et
répand, en effet, un grand charme, je le reconnais;
toutefois, ce n'est que l'histoire d'un mythe, peut-
être ; au plus, que la biographie d'un grand homme;
et il ne faut pas la creuser bien profondément pour
mettre à nu sa fragilité.
Or, cela n'a point été (à ma connaissance) tenté
d'une manière nette, formelle, précise, exempte de
tout artifice de langage, dépourvue d'enjolivements,
sans plus d'inclination à ces tournures pathétiques
et onctueuses; à ces accents languides, à ces virtuo-
sités brillantes, plutôt littéraires, par lesquelles,
délaissant l'objet principal du débat, on ne s'attache
— 21 —
qu'à séduire le lecteur et qu'à verser dans son àme
la morbidesse énervante et l'intense mélancolie,
chaude, aride, et violàtre de l'Orient.
Pour surmonter, définitivement, la difficulté, il
faut, pièces en mains, se sentant libre de préjugés
enlaçants, d'idées préconçues, de passions aveu-
glantes, procéder à l'examen calme de l'affaire
dans la clarté d'une raison froide et affranchie ; tel
un juriste qui fait, d'un dossier, l'étude sévère et
impartiale.
C'est de la sorte, et pour ces motifs, que j'écris ces
pagos. Elles m'attireront, je le prévois, des ennuis,
des épreuves pénibles ; j'aurai, s'il plait à Dieu, la
force de les endurer, et pour compensation insigne,
je goûterai la joie haute et sereine d'avoir témoigné
en faveur de la Vérité.
Et maintenant, ce sera, je pense, vous répondre à
tous deux, à la fois, à vous, Monsieur, et à l'abbé
Gratry, que de justifier, en les maintenant, les
assertions contenues en mes paragraphes 22 et 27.
Je les condense ici :
1° Jésus-Christ n'est point le Fils unique de
Dieu.
2° Jésus-Christ n'est point davantage le fils
unique de Marie.
3" La théodicèe de l'Eglise Apostolique n'est pas
le fait d'une Révélation spéciale et divine ; elle
est le fruit de toute la philosophie humaine et
antérieure.
Il se pourra que je ne procède point par ordre et
que je ne distingue pas, soigneusement, ces trois
points l'un de l'autre, sous des chapitres séparés.
2
— 22 —

Tout ceci, se tenant de très.près, mo semble pouvoir


et devoir être l'objet d'un seul contexte ; je m'effor-
cerai d'y éviter, cependant, toute confusion, toute
obscurité, tout oubli.

M. Vacherot, dans son superbe ouvrage sur l'é-


cole d'Alexandrie, avait dit, en substance, que le
Dogme chrétien s'était progressivement formé sous
l'influence de la philosophie grecque et, plus parti-
culièrement, de l'école néo-platonicienne d'Alexan-
drie. C'est aussi l'opinion rapportée en ma note 27.
Selon M. Vacherot, les lacunes de la doctrine pri-
mitive sont évidentes chez les Apôtres ; puis, chez
les premiers Pères, au point que les Pères grecs,
jusqu'à Origène inclusivement, n'avaient encore
affirmé de façon positive, ni le dogme de la divinité
de Jésus, ni celui de la Trinité.
Avec Saint Pierre, la doctrine n'était encore que
,
la Loi ; avec Saint Paul, elle devient la Foi ; avec
Saint Jean, elle devient l'Amour. Le Christ aurait
été, successivement : pour le premier de ces écri-
vains sacrés, le type uv: Peuple Juif ; de l'Huma-
nité, pour le second ; ae la Vie universelle, enfin,
pour l'apôtre d'Ephôse.
L'abbé Gratry oppose à M. Vacherot : d'abord les
Actes des Apôtres (Chap. xi et xv.) où Saint Pierre
exalte, avant Saint Paul, les mérites de la Foi et où
il brise le joug de la loi moïsiaque. Il montre ensuite
Saint Paul, employant le mot Amour, deux fois plus
souvent, de compte fait, que Saint Jean. (Rom. xm,
10, 8 ; = 1 Tim. 1, 5 ; = 1 Cor. xm, 13 ; = Galat.
— 23 -
v, 14 ; = Cor, xm, 2 ; =) et Saint Pierre, lui-
1
môme, l'enseignant (1 Pet. iv, 8). Le véhément abbé
prouve, en outre, que Saint Paul a dit, de Jésus,
qu'il était Dieu, et que les dix-huit siècles de chris-
tianisme n'ont pas ajouté un iota à la doctrine de
Saint Paul, sur la divinité de Jésus-Christ.
Pour le dogme du Saint-Esprit, — et M. Vacherot
ayant dit que Saint Jean n'en avait pas eu connais-
sance comme personne divine, distincte des deux
autres et égale à chacune d'elles ; — l'abbé Gratry
s'arme de ce verset de Saint Jean : '« il y en a trois
qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le
Fils, le Saint-Esprit, et ces trois sont une même
chose. »
Et, de là, celte polémique continue sur les textes
des Pères : Saint Justin, Saint Clément, Saint Paul,
Tertullien, Origène, etc. J'aurais ici, pour mon
compte, une foule de détails à soulever et à repro-
duire, si, pour abréger, je n'avais, la ressource d'un
preste expédient, celui de m'emparer du propre
aveu de l'abbé Gratry.
Qu'il y ait eu, ou non, progrès d'Apôtre à Apôtre,
de Père à Père, une fois l'Eglise chrétienne consti-
tuée, c'est plus ou moins exact, et plus ou moins
facile à démontrer. Mais c'est, là, un point secon-
daire, du moins à mes yeux. Ce qui est d'importance
majeure, c'est de décider si la philosophie chré-
tienne a, tout-à-coup, paru sur terre, entière, com-
plète, et sans que rien, auparavant, ait pu présen-
ter, avec elle, quelque ressemblance, ou offrir
quelque point de commun.
Vous me comprenez bien, Monsieur l'Abbé, ou la
— 24 —
métaphysique chrétienne vient du Christ, vient du
Ciel, est tout entière l'objet, lumineux et subit, d'une
surnaturelle révélation ; ou elle vient de la terre,
des hommes, des anciens. Dans le premier cas, il
lui faut une originalité supérieure, transcendante ;
dans le second cas, elle procédera simplement, de
la science antérieure et la reflétera.
Cette originalité n'existe pas, Monsieur l'Abbé, et,
inversement ces similitudes existent, multiples et
indéniables. (V° ma note 55, au livre Dieu.) Or, ce
qui vous est antérieur ne saurait être votre ouvrage ;
et n'importe quelle déférence ne peut souffrir que
vous osiez, à l'égard de telles choses, prétendre au
v
mérite de l'invention.
Sur votre invitation, j'ai relu attentivement les
Evangiles, et je n'y ai pas vu davantage, celte fois,
la moindre trace d'un enseignement métaphysique.
Le Christ fut, à cet égard, absolument muet. On in-
sinuera, peut-être, — (c'est d'une telle commodité)
— qu'une initiation secrète fut dispensée par Jésus
à ses principaux disciples ; mais cela, on l'imagine-
rait pour les besoins de la cause ; je veux dire qu'or*
ne pourrait pas prendre cette explication au texte
même des biographies sacrées. Et puis, si cela
était, voilà que les Evangiles ne serviraient plus à
rien ; nous n'aurions plus en eux qu'une façade ar-
tificielle ; la vérité serait au-delà, inconnue, mysté-
rieuse et dissimulée.
Conséquemment, si les Apôtres ont eu quelque
teinte de Philosophie, si les Pères ont admirable-
ment parlé le langage de cette science, ils ne sont,
sur ce chapitre, redevables de quoi que ce soit au
- 25-
Chrlst ; ils ont développé et prêché leur doctrine
dans des termes et sous des figures, dont est pleine
la masse d'oeuvres philosophiques que l'antiquité
avait amoncelées ; cela deviendra évident dans mon
prochain livre, où sera montrée la provenance rîf.
chacun des dogmes chrétiens.
D'ailleurs, à la page 92 de sa brochure, une phrase
pesante, qui me dispense pour l'instant, d'un plus
grand effort, échappe à l'abbé Gratry, celle-ci :
« Voici la théologie catholique, c'est-à-dire le point
que l'esprit humain a le plus travaillé ; — je ne
parle ici que de l'esprit humain, humanum dico —
voici le courant principal de la vie intellectuelle du
monde ; c'est une doctrine manifestement magnifi-
que, aussi prodigieuse d'unité que d'étendue, qui a
fondu et résumé en elle le Judaïsme et la Philoso-
phie ancienne entière, orientale et grecque ; ceci se
voit et n'est pas contesté. »
Moi aussi, Monsieur, j'ai éprouvé le besoin de me
frotter les yeux (à l'instar de l'abbé Gratry, devant
les pages de Vacherot) pour bien m'assurer que je
n'étais point le jouet d'une hallucination. Car, c'est
cela même, si je ne me trompe, qu'avait soutenu M.
Vacherot ! C'est, en tout cas, ce que j'ai voulu dire
en ma note 27. Et, voici que l'abbé Gratry, lui-
même, déclare que la chose est manifeste et indis-
cutable.
Vous ne sauriez vous retenir d'estimer, avec moi,
que c'est une curieuse réfutation que celle dont la
conclusion, pleine d'énergie, s'ajuste bord à bord
avec celle de l'antagonisle ! Mais, dès lors, il est
avéré que, de celte théologie, Jésus rie peut être
-TT
f;6—
l'auteur ; tant il est peu vraisemblable, et moins
encore apparent, qu'il ait pratiqué Platon, et Aris-
tote, et la métaphysique orientale, dont le Chiistia-
nisme est tout saturé. Cette théologie catholique est-
donc le fruit, non d'une révélation octroyée aux hom-
mes par le soi-disant Verbe incarné, mais, tout
bonnement, de la raison terrestre, du labeur hu-
main, de la Spéculation séculaire amenée, suivant
le mot de M. Gratry lui-même, à l'état de «philoso-
phie oecuménique » ; unique monument commun,
ajoute-t-il, « qu'ait élevé l'intelligence humaine ».
En ce qui me concerne, je suis porté à croire que
Jles paroles de l'abbé Gratry autorisent amplement
' ma note 27. Au surplus, après la lecture de l'ou-
vrage de ce célèbre prêtre, je suis, plus que jamais,
dans la conviction que le Verbe, dont parlaient les
Pères de l'Eglise, notamment, Saint Paul., Saint
Clément, Orîgène, etc., est la Vérité en soi, la Sa-
gesse divine, la Raison suprême, mais, prise au
sens de son Activité éternelle, substance une et
multiple de l'Etre des êtres, donc, en lui et lui-
même, et non pas une seconde personne divine, ca-
pable de revêtir l'exclusive et chétive forme d'un
rabbi juif ; et qu'ainsi nous sortons du précis étri-
qué du catéchisme pour, sous l'impulsion de ces
virils et ardents génies, entrer dans une métaphy-
sique transcendante, dans l'Abstraction à son plus
immense et plus fécond degré.
Oui, tout l'effort des premiers Pères de l'Eglise
fut d'appliquer au christianisme les richesses théo-
log'ques du passé, de le faire bénéficier des spé-
culations précédentes, et de concentrer sur Jésus-
- 27 —

tout ce que les penseurs avaient, jusqu'alors dit du


Verbe ; ils personnifiaient celui-ci, pour agir plus
aisément sur l'esprit de la multitude; au surplus,
Je n'entends point discuter la conviction en laquelle
pouvaient, quant à ce, certains d'eux, se trouver ;
ceci est un point secondaire.
" Mais, pour réussir à établir que Verbe, que Pa-
role, veulent signifier Jésus-Christ, alors que les
philosophes, en leur temps, n'avaient guère en vue
le futur enfant de Nazareth, il a fallu, à la concep-
tion primitive, faire subir un véritable travail d'é-
cartèlement. Cela disait, pour les Anciens, non
point un individu, né ou à naître ; mais, sublime-
ment, cela signifiait la Sagesse, la Sagesse éternelle
et toujours active de l'Incréé ; toute autre interpré-
tation est plus mesquine encore, qu'audacieuse et
osée.
M. l'abbé Gratry s'est flatté, selon toute appa-
rence, dans sa lutte contre M. Vacherot, de tirer
une grande victoire de l'accumulation des textes et
des citations. Or, quand même Saint Pierre, Saint
Paul, Saint Jean, Saint Jacques, et tous les Apôtres,
et, après eux, tous les Docteurs et Théologiens de
l'Eglise auraient, à l'envi, proclamé et affirmé que
Jésus-Christ était le Fils de Dieu, quelles consé-
quences pensez-vous, dites, Monsieur l'Abbé, que
cela puisse avoir ? Et voulez vous bien, en passant,
me laisser lestement noter que, sauf Saint Jean, ils
ont tous dit : Fils de Dieu; et que c'est le concile de
Nicée qui, plus tard, a précisé ; FWsunique de Dieu.
Quoi qu'il en soit, c'est bien dans ce sens, au sens
— 28 —
du Symbole de Nicôe, que j'accepte la controverse,
et que je la poursuis.
Oui, Monsieur l'Abbé, qu'imaginez-vousque puis-
sent valoir toutes ces attestations des Apôtres et des
Docteurs? Mais, rien de plus que ceci : ils croyaient
à la divinité du Christ. Nous recueillons, là, leur
sentiment ; je ne veux point, une minute môme, ré-
sister à en admettre la sincérité ; mais, sincère ou
non, ce n'est qu'une opinion ; c'est bien loin d'être
une preuve.
Vous ne manquerez pas d'évoquer, aussi, le sou-
venir des Confesseurs et des Martyrs! Eh, mon
Dieu, l'Homme meurt, à toute époque et partout,
sous l'influence de toutes sortes de faits, d'idées, ou
•v de passions ; il fait aisément le sacrifice de sa vie ;
cela, non plus, n'a guère de portée ; sinon, les mil-
liers et les milliers de victimes qui périrent, sur vos
chevalets et sur vos bûchers, donneraient, Monsieur
l'Abbé, par leur nombre, et leur courage, une singu-
lière et imprévue autorité aux hérésies que vous
teniez pour fausses et détestables. Il serait donc
oiseux de vouloir attribuer à ces crises de fanatisme,
n'importe où nous les pouvons connaître, une valeur
démonstrative, si minime qu'elle puisse être.
Quelque grande que soit la foule de ceux qui l'ont
soutenue, une telle assertion ne s'accorde point,
d'emblée, avec la raison ; au contraire, en principe,
celle-ci la repousse, et à bon droit.
N'est-ce pas, en effet, une chose extraordinaire,
la plus extraordinaire qui se puisse concevoir, que
la venue, sur terre, du Fils unique de Dieu, en to-
lérant, momentanément, cette idée inqualifiable que
- -29

Dieu puisse en avoir un I Dès lors, ceux qui en pro-


pagent la nouvelle seraient, et devraient être, les
premiers surpris, si l'Humanité y acquiesçait, sans
difficulté et presque avec nonchalance.
L'unanimité se produit généralement sur les cho-
ses les plus élémentaires et les plus habituelles ;
mais, ce qui sort du commun, sort usuellement, de
l'intelligence commune. Par ,uite, la Raison est,
ici, essentiellement et sagement rebelle; sa résis-
tance est saine ; elle exige, fort justement, pour se
rendre, autre chose que de pures et simples allé-
gations. Toutes ces affirmations sont complètement
dénuées d'efficacité : encore une fois, elles n'équi-
valent nullement à une preuve.
Quand dix, cent, mille, et plus, de personnes
s'uniraient pour une déclaration, cela ne fonderait
pas invinciblement la véracité de cette déclaration ;
ne serait pas du tout une garantie, si cette chose,
surtout, ne relevait pas, le moins du monde, de la
preuve par témoignage, de la preuve testimoniale.
Ce moyen de preuve est, en soi, et en n'importe
quels cas, des plus faibles, des plus mauvais. La
Justice humaine y recourt, mais, c'est toujours à
défaut de mieux, et avec une répugnance marquée,
et en entourant son emploi de précautions variées
et méticuleuses. Pourtant, il ne s'agit, devant elle,
que de faits vulgaires. N'aurez-vous pas, de votre
côté, quelque scrupule à la faire servir à une dé-
monstration si disproportionnée ? La divinité du
Christ est une question d'un ordre si élevé, une
question si spéciale et subtile, qu'elle est infiniment
au-dessus de l'entendement de la plupart et, par
- 30 —

suite, fort au-dessus de la médiocre preuve par


témoins. Cela est évident ; cela tombe irrésistible-
ment sous le sens commun.
Et puis, la conception est un fait insondable.
Je pourrais, sur le chapitre physiologique, assem-
bler une série de considérations scientifiques, et
montrer que la femme elle-même ne sait, que par
des signes ultérieurs et progressivement, les pro-
messes de maternité qui lui sont faites. Mais,* ce
genre de discussion serait, ici, déplacé, inconvenant.
Je me bornerai donc à vous prier de reconnaître,
Monsieur l'Abbé, que c'est un secret, un secret in-
time, et que la Nature le cache et le dérobe assez
> longtemps, même à l'égard de l'intéressée. Dans de
semblables conditions, qui pourrait dire que, mieux
que celle-ci, des Tiers en seront ihslruits et assu-
rés ? Pour des Tiers de la même heure et voisins du
fait, la proposition serait déjà absurde ; a fortiori
l'est-elle, pour des tiers appartenant à des époques
subséquentes. Où donc, alors, en un tel domaine,
trouver place pour la preuve testitnoniale ?
Mais, voici un trait meilleur et décisif. Ne posez-
vous pas, en principe, que le dogme de l'incarna-
tion est un mystère, soit un événement prodigieux
qui excède, totalement, la capacité de l'esprit hu-
main ? Cela étant, n'est-ce pas une flagrante incon-
séquence que d'ensuite invoquer, à son sujet, le
témoignage et l'attestation des hommes, quels qu'ils
soient ?
Mon opposition, vous me rendrez cette justice,
.

n'est ni gratuite, ni frivole, et j'attends, sans trop


l'espérer, que vous parveniez à rattacher ensemble
— 31'— '
le Principe et le Procédé. Mais, alors et, dans ce
cas, quelles preuves, medlrez-vous, faudra-t-il donc
vous administrer ?
Je réponds : une chose extraordinaire comporte
des preuves extraordinaires. En attendant, fermez,
vos Livres saints, ils sont pour moi non avenus, du
moment que vous n'en extrayez que des assertions,
que des opinions, comme celles que nous venons,
d'examiner.
J'exigerais que, s'il est descendu parmi nous,
réellement, et sous la forme que vous dites, le Fils,
unique de Dieu, par je ne sais quoi d'inouï, — ce
n'est pas à moi d'en tracer le cadre — se fût pleine-
ment caractérisé. Et j'ai beau chercher, je n'aper-
çois, dans son histoire, rien qui soit de taille à me
satisfaire.
Vous me citerez les merveilles qui ont accompa-
gné sa naissance, et je secouerai la tête. Vous me
montrerez sa précocité étonnante lorsque, à l'âge de
douze ans, il disserte, dans le Temple, au milieu des
docteurs de la loi ; et je penserai qu'au cours des.
siècles les enfants-prodiges n'ont pas été si rares, -
ni de si pauvre mine, qu'il n'y en ait eu, et beau-
coup, pour faire mieux que d'aller, vers dès vieil-
lards, causer avec eux, les écouter, et les interroger ;
et je vous rappellerai, en outre, le « il croissait èn-
âge et en liaison » pour rapprocher Jésus des hom-
mes, car, à la plupart, il advient de même, et com-
munément, d'acquérir, à mesure des années, plus
d'expérience et de sagesse. Or, cette marche devrait
être étrangère à un Dieu.
Et je répéterai que rien, dans la vie de Jésus, ne-
— 32 —

me convainc de son origine surnaturelle; que sa


stature est, à peu près, la nôtre, inférieure même,
par certains côtés, à celle de plusieurs qui l'ont pré-
cédé ou suivi ; qu'il n'est, nulle part, visible qu'il
ait été un savant, car, pas un mot de science exacte
n'émaille ses discours. Sans la moindre hésita-
tion, j'accorderai qu'il ne s'y rencontre pas, non
plus, beaucoup d'erreurs scientifiques ; mais, ce
dernier résultat est, peut-être tout entier dû à
l'extrême prudence qu'il observa vis-à-vis de ces
matières épineuses. Une abstention formelle ne
permet point de conclure le haut savoir de celui qui
^se tait, et il est naturel que, d'une semblable réserve,
Aucune faute ne puisse jaillir. Notre indulgence
réclamerait, d'ailleurs, pour couvrir totalement les
faiblesses imputables, de ce chef, à Jésus, qu'il nous
fût possible de négliger maints passages où il parle,
avec une naïve conviction, de Satan, des démons,
de l'Enfer, du Paradis, des trônes du ciel, du Juge-
ment dernier, etc ; ils ne sont pas pour dissiper nos
indécisions à l'endroit de sa science, et nous jettent
plutôt, quant à elle, dans une grande perplexité.
Voyez, entre autres, ce v. 6, chap. x, de l'Evangile
selon Saint Marc, où Jésus s'exprime, sur la création
de l'homme et de la femme, en des termes qui,
•aujourd'hui, seraient àprement censurés en Sor-
bonne : « Mais, au commencement de la création,
'Dieu ne fit qu'un homme et qu'une femme. »
Une autre chose est, semblablement, pour moi, la
raison d'un grand trouble ; c'est que Jésus, fils de
Dieu, et Dieu lui-même, n'ait pas nettement instruit
les Apôtres sur les devoirs des fidèles ; ne les ait
— 33 —
'
point, par exemple, éclairés sur l'efficace de la Foi,,
avec, ou sans, les oeuvres. Cette omission, qui serait
regrettable de la part d'un homme, est plus que
coupable de la part d'un Dieu; elle enfanta une
interminable dispute entre les théologiens et, bien
avant d'être l'une des issues par où la Réforme
sertit du christianisme, elle divisa, déjà, à la pre-
mière aube de celui-ci, les Apôtres, et provoqua,
entre Saint Paul et Saint Jacques, un dissentiment,
dont, même, nos jours actuels, attendent encore
l'apaisement. (Voir leurs Epilres respectives.;
Donc, sur tous ces points, lesquels, sinon, eussent
pu être concluants, la Vie de Jésus est d'une, telle
insignifiance que je n'y peux acquérir la persuasion
de sa divinité. Jésus, tout simplement, homme, fut
de son temps et de son milieu, de son époque et de
sa race.
Pardon, répliquerez-vous, vous ne tenez point,
compte des rniraclesaccomplis par Jésus Ils corres-
!

pondent, cependant, à une puissance vraiment


surhumaine et, ainsi, ils rentrent bien dans l'ordre
de vos exigences, dans la catégorie des preuves.
extraordinaires.
Ma foi, non. Et je prends les choses à leur racine.
Je ne voulais pas, tout à l'heure, et de but en blanc,
vous dire désobligeamment que les Ecritures saintes,
et que la majorité de vos Apôtres me sont suspectes.
Cela vous eût froissé, Monsieur l'Abbé, à l'égal
d'une impertinence. Et cependant, il est une
fâcheuse constatation à faire, c'est que l'un de ces.
derniers a douté de Jésus ; qu'un autre l'a renié,
qu'un troisième l'a trahi ; c'est, de plus, que le Pré-
- 34 —

.curseur a fini par ne plus croire: c'est, enfin, que,


parmi les Pères de l'Eglise, un bon tiers, pour le
moins, est dans l'Hérésie, et ce sont les plus
iameux I Voilà des assises qui rassurent peu.
Et encore, ce Saint Paul qui tombe de cheval et
qui, dans l'ébranlement que lui cause sa chute, croit
-entendre une voix, et se convertit; tout cela me
rebute.
Quelles singulières manières on prête à Dieu pour
se faire des amis, de lancer les gens rudement sur
le sol et de les objurguer dans le temps qu'ils sont
tout étourdis I
Et ces autres narrateurs qui, à tout propos, pla-
cent, à côté du Fils unique de Dieu, des Anges qui
le servent, l'assistent, et, mieux encore, le Diable,
qui le touche, le tente, le transporte à travers les
airs, l'entretient de façon hautaine et dégagée Ceci
1

a pu, en d'autres âges, servir la cause de la religion


chrétienne ; mais il y a longtemps que ces extrava-
gances l'ont déconsidérée ; et ce n'est pas à notre
-époque que l'intervention de prétendues créatures
célestes, ou infernales, rencontrera créance, ni
qu'on s'abstiendra de sourire devant les surprenan-
tes familiarités que Satan se permettait, là, avec le
Fils de Dieu I Je suppose, môme, que personne de
sensé ne croit plus, de nos jours, aux anges ni aux
diables, et je souhaite, du fond du coeur, que tout ce
qu'on leur retire revienne à Dieu, que tout le crédit
qu'on ôte à l'Erreur, accroisse à celui que mérite la
Vérité.
Au tour des Ecritures.
Voilà, après les Actes des Apôtres, les épltres.de
r- 35 - '
Saint Paul, de Saint Pierre, de Saint. Jacques, de
Saint Jude, de Saint Jean. Ce serait à croire qu'il
ne s'est jamais trouvé un homme de quelque pers-
picacité, ayant assez de temps à lui, pour les lire et
les scruter I
Le clergé n'aimait pas qu'on pratiquât ces docu-
ments ; il les éloignait des fidèles, autant qu'il lui
était possible. Les prêches, les paroissiens revus et
dûment corrigés par Nos Seigneurs les Evoques, les
sermons, voilà ce qui devait suffire à nourrir leur
piété. Je le comprends ; car, ces épttres ont, entre
elles, de si saillantes ressemblances, de si étonnan-
tes similitudes, tant sur les points étudiés, que sur
l'ordre des sujets, sur la forme et la méthode et, ce
qui est, du coup, phénoménal, même sur les images
de style et sur les mots, qu'on en vient à ne plus
pouvoir croire que ce soient, là, des oeuvres sponta-
nées, écrites par des hommes différents, éloignés
les uns des autres.
Chaque homme, ici-bas, esl un original ; chacun
.
a sa manière d'être, de faire, et de penser ; per-
sonne n'écrit de la même façon qu'autrui ; de là, et,
surtout, des Apôtres en voyage, en mission, aux
prises avec les périls de l'apostolat, tourmentés,
traqués, jetés en prison, à dos distances énormes les
uns des autres, n'auraient pu, semble-t-il, par sim-
ple hasard, se rencontrer dans une identité complète
de formules, do figures,, de vocables, d'exposition,
etc. Une telle et si parfaite concordance est en dehors
du train de la vie. Or, cette identité est là, patente,
et indéniable I J'en infère que toutes ces ôpîtres n'ont
pas les Apôtres pour auteurs ; qu'elles sont le résul-
— 36 —
tat d'un travail de commission, de groupe, que c'est
une oeuvre habile, étrangère aux gens, pour la pin-
part simples et frustes, à qui on les attribue.-Cette
impression est si violemment entrée en moi, à la
comparaison attentive de ce? pages, que je n'ai pu
la repousser, et tout ce que je sais par ailleurs
m'ancre solidement, dans cette pensée : que c'est là
un travail d'Eglise.
Mais, n'oublions point les Miracles, car je me
persuade que vous y tenez fort, Monsieur l'Abbé.
Discutons-les donc.
J'observerai, en premier lieu, que l'antiquité
était toute pleine de miracles et que nos temps mo-
dernes en sont singulièrement vides ! A mon avis,
cela conseille beaucoup de circonspection et incline
à une sage méfiance.
Non pas, prenez-en acte, que je me refuse, systé-
matiquement., à accepter la possibilité des miracles.
On le verra bien dans mon prochain livre où, inci-
demment, j'apporterai l'explication des faits mer-
veilleux, des phénomènes supramatériels, qui se
produisent parfois ; de ceux, par exemple, dont une
commune de France (Tilly-sur-Seules) a été récem-
ment le théâtre, et à l'occasion desquels une com-
mission d'ecclésiastiques et d'occultistes, a vaine-
ment délibéré et fonctionné.
Mais, ce qui, sur ce plan, me suggère ma critique,
c'est que !es miracles de Jésus-Christ sont tout
minimes, devant ceux qu'on rapporte de Moise, des
Prophètes, de Josué, même des Fakirs, des Magi-
ciens, tels que Simon le Gnostique, des Apôtres, et
— 37 —
de certains ascètes, comme Saint François d'Assi-'
ses, etc.
Ainsi, le Créateur de tous les Univers se serait
tenu, en fait de miracles, au-dessous de ses minus-
cules et frêles créatures Qu'on n'arguë pas de sa réso-
!

lution de ne point devoir, à de semblables moyens, la


reconnaissance de sa nature divine ; car, en ce cas,
il lui aurait fallu radicalement s'abstenir. Par
contre, du moment que cette méthode ne lui répu-
gnait pas, que les miracles lui paraissaient conve-
nables et opportuns, il s'imposait à lui d'en faire qui
défiassent toute comparaison. Il devait, logiquement,
s'élever, dans cette voie, à une hauteur sans secon-
de, et frapper, par des actes hors de pair, éclatants,
l'esprit des pauvres mortels. Il venait, en effet,
j'aime à le croire, pour les convaincre et il n'aurait
pas été, de sa part, honnête de leur présenter une
situation fausse, douteuse, plus capable de les main-
tenir dans leur ignorance, que de leur révéler la
présence du Tout-Puissant lui-même ; et de les châ-
tier ensuite, pour n'avoir pas triomphé de l'obscu-
rité et de l'ambiguité du cas.
Or, les plus fameux des miracles de Jésus-Christ
sont peu susceptibles de traduire et de manifester
l'omnipotence et la majesté du Maître des cieux et
de la terre, de la vie et de la mort.
Ils paraissent même, et c'est bien décevant, vous
le direz avec moi, Monsieur l'Abbé, n'avoir étonné
personne, ni ceux qui en furent les témoins immé-
diats, ni ceux qui purent en être avertis, ni la foule
qui recherchait avidement les occasions d'entendre
3
— 38 —

Jésus, ni ces êtres bons, dociles et complaisants


qu'étaient ses disciples.
Les textes en font foi ; voyez :
i° Evangile selon Saint Matthieu.
Chap. iv. v. 23 et s. — « Et Jésus allait par toute
la Galilée, enseignant dans les synagogues, prê-
chant l'évangile du règne de Dieu, et guérissant
toutes sortes de maladies et de langueurs parmi le
peuple. »
« El sa renommée se répandit par toute la Syrie
et on lui présentait tous ceux qui étaient malades et
#vdétenus de divers maux et de divers tourments : les
démoniaques, les lunatiques, les paralytiques, et il
les guérissait. »
Chap. vin. v. 2 et 3.— « Et voici, un lépreux vint
se prosterner devant lui et lui dit : « Seigneur, si
tu veux, tu peux me' nettoyer. »
« Et Jésus, étendant la main, le toucha et lui dit :
Je le veux, sois nettoyé ; et incontinent, il fut net-
toyé de sa lèpre. »
« Puis, Jésus lui dit: garde-toi de le dire à per-
sonne, mais va-t'en, montre-toi au sacrificateur et
offre le don que Moïse a ordonné, afin que cela serve
de témoignage. »
Nous nous étonnerons Je compagnie, Monsieur
l'Abbé, que Jésus veuille et désire un témoignage, et
qu'en même temps, il prescrive à ce lépreux de ne
rien dire de sa guôrison miraculeuse. La raison
n'est point contente devant cette contradiction, et
cette double conduite l'indispose. Si les miracles ne
— 39 -
constituent plus de preuves ; s'ils n'ont plus un but,
unique et dominant, celui d'établir, avec force, avec
éclat, le pouvoir surhumain d'un être surhumain,
ils choient, aussitôt au niveau des actions critiqua-
bles, car ils ne sont plus que de simples et fâcheu-
ses injustices. Ce n'est plus qu'un gaspillage de
grâce et de puissance, sans motif, sans urgence,
sans portée !
Chap. vin v. 13-16. — « Alors, Jésus dit au cen-
tenier : va et qu'il te soit fait selon que tu as cru ;
et à l'heure môme son serviteur fut guéri. »
« Puis, Jésus, étant venu à la maison de Pierre,
vit sa belle-mère couchée au lit et ayant la fièvre. »
« Et il lui toucha la main, et la fièvre la quitta ;
puis, elle se leva et les servit. »
« Sur le soir, on lui présenta plusieurs démonia-
ques dont il chassa les mauvais esprits par sa pa-
role ; il guérit aussi tous ceux qui étaient malades. »
V. 24-26. — « Et il s'éleva, tout à coup, une
grande tourmente sur la mer, en sorte que la bar-
que était couverte des flots ; mais il dormait. »
« Et ses disciples, s'approchant de lui, le réveil-
lèrent et lui dirent : Seigneur, sauve-nous, nous
périssons. »
« Et il leur dit : Pourquoi avez-vous peur, gens
de peu de foi ? Et s'étant levé, il parla avec autorité
aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme. »
On fait une grande consommation de démoniaques
dans les Evangiles, Monsieur l'Abbé. Or, de notre
temps, la parole d'un Dieu est devenue tout-à-fait
— 40 -
superflue ; il n'y a plus de possédés ; ce qui nous
reste, ce sont de vrais malades, pour lesquels les
cliniques suffisent.
Puis, ne serez-vous point d'avis que voilà un lan-
gage peu louable et qui n'est pas pour faire honneur
au Christ ? Comment ; il ose reprocher à des hom-
mes, timides et faibles, leur effroi devant une tem-
pête, qui est l'une des plus épouvantables convul-
sions de la nature il se moque d'eux, lui qui est
!

Dieu il rit de leur peur, si légitime ; et, se sachant,


!

au-dessus de tout danger, il manque assez de géné-


rosité pour persifler ceux envers qui le péril est
sans ménagement I De plus, il les reprend, avec
' autant d'injustice que de rudesse, sur l'article de
leur foi ! Mais, n'avaient-ils pas la foi, ceux qui
avaient tout quitté pour le suivre, ceux qui lui obéis-
saient, l'imploraient !

Enfin, il se leva, dit-on, et commanda, avec au-


torité, aux vents et à la mer Vous souriez, j'en suis
!

sûr, Monsieur l'Abbé? les vents ont-ils des oreilles?


la mer entend-elle la voix? C'est enfantin ; cela ne
nécessitait, de la part de Dieu, ni geste, ni phrase.
De le mettre, en cette attitude théâtrale, c'est l'expo-
ser au ridicule et le transformer en... ; je retiens le
mot, ne voulant pas l'écrire; mais l'ironie sera sur
toutes les lèvres, après avoir, en premier lieu, vol-
tigé sur les vôtres, sur les nôtres.
V. 28-32. — a Quand il fut arrivé à l'autre bord,
dans le pays des Gergéséniens, deux démoniaques,
étant sortis des sépulcres, vinrent à lui ; ils étaient
si furieux que personne n'osait passer par ce che-
min-là.
._ 41 —

« Et ils se mirent à crier : qu'y a-t-il entre nous et


toi, Jésus, Fils de Dieu ? Es-tu venu ici pour nous
tourmenter avant le temps ?
« Or, il y avait, assez loin d'eux, un grand trou-
peau de pourceaux, qui paissaient. »
« Et les démons le prièrent et lui dirent : si tu
nous chasses, permets-nous d'entrer dans ce trou-
peau de pourceaux. »
« Et il leur dit : Allez. Et étant sortis, ils allèrent
dans ce troupeau de pourceaux, et aussitôt, tout ce
troupeau de pourceaux se précipita avec impétuo-
sité dans la mer, et ils moururent dans les eaux. »
« Aussitôt, toute la ville sortit au-devant de Jésus,
et dès qu'ils le virent, ils le prièrent de se retirer de
leurs quartiers. »

Que dites-vous, Monsieur l'Abbé, de ce miracle ?


Est-ce m'aventurer que d'espérer que sa bizarrerie
vous sautera aux yeux et que vous jugerez, comme
plus que surprenant, que des possédés, des fous
furieux, de prime saut, appellent Jésus : Fils de
Dieu, et, ce, non avec respect, mais irrévérencieu-
sement, insolemment? Cela a-t-il le sens commun?
Et ces démons, qui parlementent, qui négocient
avec le Fils du Très-Haut et Jésus qui condescend
!

à leur demande, plein de nonchalance et presque


amicalement! Il leur sacrifie ce troupeau de bonnes
bêtes paisibles, et voilà ces inoffensifs et pauvres
animaux noyés! Or, c'est une mauvaise action, je
le dis tout net ; une vilaine fantaisie. Aussi, le
peuple survenant, sévèrement lui enjoint-il de tour-
ner les talons. On procède de la sorte envers les
- 42 —

malfaiteurs. Vous constatez, dès lors, Monsieur


l'Abbé, le faible enthousiasme qu'a provoqué le
miracle, et le peu d'estime qu'il éveille en nous,
comme en ceux qui en furent les témoins.
Chap. ix. v. 2 — « Et on lui présenta un paraly-
tique couché sur un lit ; et Jésus voyant la foi de ces
gens-là, dit au paralytique : Prends courage, mon
fils, tes péchés te sont pardonnes. »
V. 6. — « Or, afin que vous sachiez que le Fils de
l'Homme a l'autorité sur la terre de pardonner les
péchés : Lève-toi, dit-il alors au paralytique ; char-
ge-toi de ton lit et t'en va dans ta maison. »
V. 7. — « Et il se leva et s'en alla dans sa
maison. «
V. 8. — « Ce que le peuple ayant vu, il fut rempli
d'admiration ; et il glorifiait Dieu d'avoir donné un
tel pouvoir aux hommes. »
Le peuple, malgré ce fait merveilleux, ne confond
pas le Christ avec Dieu ; il bénit celui-ci, mais, il ne
voit dans celui-là, qu'un homme, qu'un médecin,
qu'un guérisseur ; et non pas une personne divine,
père ou fils. Le miracle, donc, était de médiocre
importance ; il suffisait d'un mire habile pour
l'accomplir ; point n'était besoin d'être le fils unique
de Dieu C'est la foule des assistants qui nous le
!

certifie. Cette preuve testimoniale en vaut bien une


autre.
Je passe sous silence les versets 10 et 11 qui,
dans un autre ordre, sont, eux aussi, bien curieux,
et suggèrent de singulières réflexions.
V. 23-25. — « Quand Jésus fut arrivé à la maison
— 43 —
du chef de la synagogue et qu'il eut vu les joueurs
de flûte et une troupe de gens qui faisaient grand
bruit »
« Il leur dit: Retirez-vous, car cette jeune fille
n'est pas morte, mais elle dort. Et ils se moquaient
de lui. »
« Et après qu'on eut fait sortir tout le monde, il
entra et prit par la main cette jeune fille, et elle se
leva. »
Pourquoi chercher plus loin, Monsieur l'Abbé, et
voir la mort, où il n'y avait, selon Jésus lui-môme,
que le sommeil ou la léthargie ? De quel droit suren-
chéririons-nous sur les données évangéliques et
nous obstinerions-nous à pousser la chose vers le
fantastique, quand il ne nous faut qu'un peu de
calme dans notre lecture, pour demeurer sur le
terrain du naturel Rayons ce miracle, dont les
!

proportions, de la sorte, se réduisent à celles de la


clairvoyance. Jésus n'a point ressuscité la fille de
Jaïrus, il l'a simplement tirée de sa catalepsie; et
c'est vraisemblablement ce qui se passa, de même,
pour Lazare, le frère de Marthe et de Marie.
Il y a plus, Monsieur l'Abbé : tous ces trépassés
que vous faites ressusciter à la voix de Jésus et, plus
tard, à celle des Saints, auraient appris à la Terre
le secret d'outre-tombe, s'ils étaient réellement
remontés du fond de la Mort. Or, non ; ce secret est
toujours inconnu. Je sais bien que vous allez dire
que Dieu a pu mettre un sceau sur leurs lèvres ;
mais je connais trop l'Homme et la Femme pour ne
pas croire que l'un et l'autre, la seconde surtout,
— 44 —
auraient parlé quand même. Enfin, point de vue
plus grave : ces êtres, à leur premier décès, avaient
mérité un sort, ou bon, ou mauvais : le cie!, ou
l'enfer. Or, leur résurrection ies replaçait dans
l'alea de l'existence, au milieu des pièges et des
fondrières de la vie. Cela n'avait rien de fâcheux
pour ceux qui avaient d'abord encouru les éternels
châtiments, j'en conviens; mais, il n'en allait pas
de même pour les autres. A ceux-ci, Dieu, garantis-
sait-il, donc, implicitement, leur retour au Ciel ? Et
cette garantie blanchissait-eUe, d'avance, tous les
actes repréhensibles de la seconde partie de leur
séjour ici-bas? Et puis, en dernier ressort, que dire
*vde cette flagrante partialité au regard de la grande
masse des mortels, soustraits, eux, au bénéfice et
aux avantages de ce recommencement, de ce
recommencement de la vie, avec, en soi, le savoir
de l'au-delà? Monsieur l'Abbé, Dieu, le Dieu Juste
et Fort, ne s'exposerait pas à tous ces reproches !

et je conclus que toutes ces résurrections sont de


pures fariboles.
Chap. xu. v. 15. — « Mais, Jésus, connaissant
cela, partit de là ; et une grande multitude le suivit,
et il les guérit tous. »
V. 16. — « Et il leur défendit fortement de le faire
connaître. »
Même observation que pour le lépreux (voir plus
haut) ; et, de plus, à qui faire croire que toute une
foule est composée de malades ! Et dans ce cas, il
est, d'abord, contre toute vraisemblance que tous
ces infirmes aient pu suivre et accompagner Jésus ;
— 45 —

en second lieu, quel espoir qu'un tel fait ne s'ébruite


pas? Recommande-t-on sérieusement la discrétion
a toute une populace ? Et, surtout, pense t-on qu'une
Ville qui, vomissant tout-à-l'heure une armée
d'éclopés, voit lui revenir, soudain, tous ces boiteux,
alertes ; tous ces estropiés, guéris ; tous ces malin-
gres, pleins de santé, ne soit pas, du coup, portée au
comble de l'enthousiasme et ne jette point ses accla-
mations à tous les échos?
Il vous viendra peut-être à l'idée d'insinuer que
tous ces malheureux n'étaient que des égarés que
Jésus-Christ guérissait, en les tirant de leur
ignorance et de leur nuit morale Votre fines-
!

se serait, ici, manifestement, exagérée et reste-


rait sans fruit. Car, d'éclairer et d'instruire les gens
n'a jamais été un fait qualifié, n'importe où, de
prodigieux, et le mot : Miracle, ne s'y applique pas.
Tandis que c'est vraiment un miracle que de faire
subitement disparaître les infirmités du corps. D'où
si ceci n'est pas l'exacte version, c'est alors moins
que rien.
V. 22. — « Alors, on présenta à Jésus un démo-
niaque aveugle et muet; lequel il guérit ; de sorte
que celui qui avait été aveugle et muet, parlait et
voyait. »
V. 23. — « De quoi, tout le peuple fut étonné, et
ils disaient : cet homme ne serait-il point le fils de
David ? »

Même observation que, ci-dessus, pour le paraly-


tique. En outre, que vient faire, là, ce titre de fils
de David? On ne comprend point; aucun lien
— 46 —
logique n'existe entre le prodige et celte qualité. Ce
récit est décousu, n'a point de sons ; en tout cas, le
fait rapporté ne signale pas un dieu ; le peuple,
simplement, laissé l'opérateur au rang des hommes.
Enfin, j'arrive aux retentissants miracles de la
multiplication des pains et des poissons.
Le premier est raconté au chap. xix de l'Evangile
selon Saint Matthieu. Les Apôtres n'ont que cinq
pains et deux poissons. La foule mange, se rassasie,
et : « on emporta douze paniers pleins des morceaux
qui restèrent ; et ceux qui avaient mangé étaient
environ cinq mille hommes, sans compter les
femmes et les petits enfants »
*v El, c'est tout; nulle
marque de suprise, d'effa-
rement. Concluez.
Le second est mentionné au chap. xv. (Evang.
Saint Matth.). Les Apôtres, cette fois, avaient sept
pains et quelque peu de petits poissons. Tous en
mangèrent, furent rassasiés, et : « on emporta sept
corbeilles pleines des morceaux qui restèrent ; or,
ceux qui en avaient mangé étaient quatre mille
hommes, sans compter les femmes et les petits
enfants. »
Remarquons que la première, fois, cinq pains et
deux poissons, après avoir rassasié cinq mille
hommes, laissent douze corbeilles de restes ; et que,
la seconde fois, deux pains de plus, pour mille
hommes de moins, ne laissent que sept corbeilles de
restes. Cette: arithmétique irrationnelle me laisse
rêveur ! Dieu, sans doute, avait compté sans l'excessif
appétit de ce dernier contingent. Quoi qu'il en soit,
— 47 -
et de la part des milliers de convives, toujours
môme placidité. Or, écoutez :
Au chap. xvi (Saint Matlh.) Jésus parle à ses
disciples, et leur dit:
V. 9-10. — o N'avez-vous point encore d'intelli-
gence, et ne vous souvenez-vous plus des cinq pains
des cinq mille hommes et combien vous en rappor-
tâtes de paniers? »
« Ni des sept pains des quatre mille hommes, et
combien vous en rapportâtes de corbeilles? »
Et au chap. vi (Saint Marc.)
V. 52. — « Car, ils n'avaient pas fait assez d'atten-
tion au miracle des pains, parce que leur esprit
était appesanti. •»
Voyez-vous cela, Monsieur l'Abbé? Les disciples,
oublieux, à l'endroit du miracle le plus vanté de
Jésus ! Un tel document est caractéristique, et d'une
éloquence extrême. Les prodiges de Jésus ne demeu-
raient point dans la mémoire de ses disciples Ah, !

le piteux résultat ; ou les piètres miracles ! Oui,


Monsieur l'Abbé, les desseins de Dieu sont insonda-
bles. Vous avez pu, pendant des siècles et des
siècles, grouper l'humanité autour de ces contes que
vous récitiez, commentiez, et détailliez avec un art
consommé. Mais, Dieu y avait voulu et glissé
nombre de hiatus qu'il devait suffire un jour de
chercher et de mettre en pleine lumière pour que lé
charme cessât. Cette heure est venue ; elle sonne au
cadran du destin: iie missa est ; allez, votre rôle
est fini.
- 48 —

2Pnl Evangile selon Saint Marc


Chap. iv. y. 4 — 6. — « Mais Jésus leur dit : un
prophète n'est méprisé que dans son pays, parmi
ses parents et ceux de sa famille. »
« Et il ne put faire, là, aucun miracle, si ce n'est
qu'il guérit quelque peu de malades en leur imposant
les mains. »
« Et il s'étonnait de leur incrédulité, et il parcou-
rut les bourgades des environs, en enseignant. »
Idem. Saint Matth. chap. xni, v 58. — a Et, il ne fit
là que peu de miracles, à cause de leur incrédulité. »
Il appert, clairement, de ces versets, que Jésus
.essayait, à Nazareth, en sa propre patrie, de faire
des miracles, mais qu'il ne pouvait pas y parvenir ;
l'incrédulité des gens paralysait son savoir-faire 1

Tout commentaire serait superflu. Les prodiges de


Jésus exigeaient, donc, pour leur réussite, que les
spectateurs fussent crédules ? La mauvaise volonté
des gens intimidait, tenait en échec le Souverain
maître du Monde, le privait de tons ses moyens I
Mais, non, dira-t-on, il se bornait à se détourner de
ces méchantes gens et il leur cachait son pouvoir.
Non ; à voir la chose au vrai c'était, pour un Dieu,
le moment, justement, de faire de grands miracles ;
de forcer cette humeur rebelle par d'écrasants
prodiges. J'ai peut-être tort dans mon sentiment,
mais je veux soutenir que si le miracle est néces-
saire quelque, part, c'est en face de l'incrédule, et
que s'il est, quelque part, inutile, c'est à l'adresse
de celui qui a, de suite, la foi sans exiger l'influence
de telles marques. Or, s'abstenir, précisément, en
- 49 —

l'occurrence où l'incrédulité lui faisait un devoir de


s'affirmer par dos actes étincelants, ce serait, de la
part de Dieu, une faute contre la logique et, peut-
être aussi, un manquement à la droiture.
Quelle pitié, Monsieur l'Abbé ! Comme toutos ces.
calembredaines, de la sorte passées au crible, tom-
bent à plat, et quelle tristesse on ressent à voir que,,
pendant dix-huit siècles, on y ,\ promené et berné la
candeur humaine Ces miracles, autour desquels on
!

a mené si grand tapage, n'ont, donc, à leur date,


stupéfié qui que ce soit. Comment voudriez-vous,
qu'aujourd'hui nous en prissions une si haute idée,
que nous en pussions demeurer éblouis et boulever-
sés ? Nous ne pouvons pas, nous qui n'avons rien
vu, mon lier plus d'enthousiasme que ceux qui
virent, et, qui cependant, ne bronchèrent pas. Les
disciples n'ont pas l'air d'y avoir pris garde ; la
multitude, qui avait été si merveilleusement nourrie,
s'en retournait et s'écoulait, sans se prosterner,.
sans proclamer le Fils de Dieu, sans plus de céré-
monie, en un mot, que si rien d'extraordinaire ne
s'était passé. Pauvres miracles, que ceux qui font,
ainsi, long feu, et qui réclament la somptueuse et
adroite rhétorique de la chaire et le reculement de
tant de siècles, pour acquérir une importance, qui
leur fit complètement défaut à l'heure même où le
Christ les accomplissait.
Alors??
.
Alors, Monsieur l'Abbé, vous voilà bien gêné,
bien à court, pour nous faire croire à la divinité du
Christ.
— 50 —
Je récuse les témoignages des Apôtres, des Théo-
logiens, et des Docteurs ; je veux mieux, et plus.
Vous m'offrez les Miracles. Je ne les tiens pas
pour certains ; au pis aller, je ne les juge pas de la
mesure qu'il faudrait pour attester un Dieu.
Et, tandis que vous demeurez décontenancé et
dépourvu, je me vois en meilleure position. Les
textes qui fondent dans vos mains, je les veux, moi,
produire à l'appui de ma thèse ; j'y peux, moi, cher-
cher et prendre mes meilleurs arguments. Ils ne
sont point bons, au droit de vos affirmations, car,
on n'est pas reçu à se donner, soi-même, des titres
avantageux. Il convient, en effet, d'observer que
tous les documents que le christianisme peut invo-
quer, émanent exclusivement des gens qui l'ont
fondé ou propagé. Or, ils n'ont, par là même,
aucune puissance probante ; l'inventeur, plein de
complaisance envers son idée, peut multiplier ses
affirmations autant qu'il lui plaît, sans arriver à les
mettre à l'abri des suspicions et des doutes. Il
aurait fallu, voyez-vous, des preuves extérieures,
des écrits d'individus désintéressés, qui eussent
attesté les faits, non par esprit de secte, mais par un
mouvement de franchise et pour rendre un paisible
et probe hommage à la vérité. Malheureusement
pour vous, les documents de ce genre, les documents
historiques proprement dits, font complètement
défaut. Vous n'avez donc que les Evangiles, rien
que les Evangiles.
Eh bien, insuffisants pour vous, ces saints livres,
au contraire, sont pleins de valeur contre vous : la
défense, la thèse négative a toute liberté d'y recourir
avec force.
— 51 —
C'est ce que je vais faire, et le plus brièvement,
avec le plus de simplicité que je pourrai. Une jolie
main n'a point coutume de rechercher un gant trop
large ; de môme, une idée claire doit se loger en une
phrase robre et fuir les développements oiseux.
Et, surtout, Monsieur l'Abbé, n'allons point ôpilo-
guer, discuter le Nouveau Testament et, tantôt, en
admettre tels passages et, tantôt, en rejeter tels
autres. Ce serait désastreux, autant qu'incorrect. Si
tout, en effet, n'y est point parole d'Evangile, si tout
n'y est pas radicalement vrai, au pied de la lettre,
si des mots, ou des phrases n'y sont que des méta-
phores ou des hyperboles, comportant des réduc-
tions ou des interprétations, alors, le Nouveau
Testament ne tient plus debout ; il faut cesser d'en
parler ; ce ne serait plus un document sérieux, du
moment que chacun aurait loisir de l'entendre
comme il lui sièerait.
Donc, je pose , comme condition première et
inflexible, que nous ouvrirons devant nous les
Evangiles, tels qu'ils sont, sans leur faire subir
aucune contraction, ni dilatation, d'aucune espèce.
Cela dit, j'entre en matière ; il est grand temps,
voyez-vous, de restituer Jésus à l'humanité et de
rendre au' vrai Dieu sa stature et sa majesté
infinies. (')
***
127. — La conception miraculeuse de Jésus-Christ
est le dogme fondamental du christianisme.

(i) Ce dernier point fait l'objet de mon prochain et dernier


livre.
— 52 -
De voir, en Jésus-Christ la seconde personne do
l'auguste Trinité, le Fils unique de Dieu, le Verbe
éternel fait chair, conçu par la vierge Marie sur
l'opération du Saint-Esprit et dans l'ombre du Très-
Haut, tel est le premier article de la Foi chrétienne.
Et c'est par ce dogme essentiel que doit, en
conséquence, commencer la critique de cette foi.
Si Jésus est vraiment le Fils unique de Dieu,
revêtu de la forme humaine, la religion apostolique
repose sur une base indestructible.
Si, au contraire, Jésus-Christ n'est qu'un homme,
quelle que soit la beauté de son caractère, l'excel-
lence de sa charité, et de sa vertu, peu importe, le
christianisme perd le fondement dont nous venons
de parler. Le clergé n'a plus le droit de se targuer
d'une investiture surnaturelle ; et, comme, d'autre
part, la doctrine de désintéressement, de tolérance,
de douceur tt de modestie, qui fut celle du Christ,
est mieux enseignée que pratiquée par elle, l'Eglise
voit, avec son autorité, s'évanouir son utilité et sa
raison d'être.
Or, il ne faut pas, pour démontrer la divinité du
Christ, s'appuyer sur des faits postérieurs à sa nais-
sance Les témoignages des Apôtres et des Pères de
l'Eglise ne servent à rien. Tout cela peut procéder
d'un calcul intéressé, ou d'une imagination surexci-
tée, d'une foi exaltée, d'une auto-suggestion intense,
qu'auraient dirigée deux instincts fréquents : celui
du merveilleux, et celui de la domination. Les
fondateurs du christianisme ont pu nous faire des
récits ayant un fond de vérité (la vie superbe et
exemplaire de Jésus.), mais, amplifiés, grossis,
— 53 —
enjolivés, jusqu'à donner à celui-ci le caractère
divin. Il nous faut, de ce point capital, d'autres
preuves, moins fragiles, moins suspectes.
N'ai-je pas mille fois raison de récuser tout témoi-
gnage sur ce dogme essentiel ? Qu'est-ce qu'un
témoin? C'est celui qui peut attester une chose pour
l'avoir, lui-môme, vue, ou entendue. Des certifica-
teurs de ce genre sont les testes ex scientià, qui
rapportent une connaissance qu'ils ont acquise
directement, par la voie de leurs propressens. Mais,
les Apôtres et les Pères, assurément, ne sont pas de
cette espèce sérieuse de témoins. Car, de quoi ont-
ils pu être témoins, oculaires ou auriculaires ? De
quel fait concluant ont-ils pu être les spectateurs?
Cela frise l'incongruité. Ont-ils été présents lors de
l'opération du Saint-Esprit ? Ont-ils, à une date
quelconque, vérifié l'état de virgo intacta, de Marie ?
Ont-ils, constamment, de ce moment, ve'llé près
d'elle et pu s'assurer, sans aucune interrupt m, que
rien n'avait lieu entre elle et Joseph qui pi. faire
rentrer la survenance de l'enfant Jésus dans 1 rdre
des choses les plus naturelles du monde? Vo ns,
qu'on me réponde ; qu'on me prouve la valeur de 'es
témoignages, la sûreté de ces attestations, la vi. i-
lance de ces témoins, même en ne reculant poii t
devant la nature scabreuse du débat. Mais, non
cela est impossible, par ce surabondant motif que
les Apôtres n'avaient aucune relation intime et
étroite avec Joseph, et Marie, au temps dont il
s'agit ; et qu'ils n'entrèrent en scène, qu'à l'époque
très postérieure où Jésus commença sa Prédication.
Ainsi, ces Apôtres ne sont pas de vrais témoins; ils
4
— 54 -
ne sont que les testes ex credulitaie, qui seulement
disent ce qu'ils ont recueilli indirectement, qui ne
font que de répéter ce que d'autres leur ont dit. De
tels témoignages ne valent rien, Monsieur l'Abbé,
il nous en faut de meilleurs.
Eh bien, trois personnes, SEULES, étaient, et
devaient être, parfaitement édifiées à ce sujet. Seules,
ces trois personnes devaient savoir et savaient à
quoi s'en tenir sur la divinité de Jésus; et c'est, le
témoignage de ces trois personnes qu'il nous
incombe de rechercher et d'entendre. Ces trois per-
sonnes sont :
1° Jésus-Christ lui-même ;
2° Saint Joseph, époux de sa mère ;
#v
3° La Vierge Marie, mère.de Jésus.
Or, nous allons voir ce que ces trois personnes
ont dit, elles-mêmes, à l'égard de la céleste origine
de Jésus.
Mais, avant, méditons nous-mêmes.
Au moment de cette conception, Marie était-elle
mariée, ou, seulement, fiancée ?
Saint Marc et Saint Jean sont muets sur ce point,
aussi bien qu'ils le sont sur le miracle de l'enfan-
tement.
Saint Matthieu et Saint Luc nous donnent Marie
comme seulement fiancée; mais, aussitôt, ils se
servent, à l'égard de Joseph, du titre d'époux et l'on
ne fait, nulle part, mention du mariage subséquent
de Joseph et de Marie. Ce détail, cependant, aurait
eu son prix. :

Ainsi, la position de fiancée reste douteuse ; et


l'état de conjoints, de gens mariés, est, par contre,
— 55 —
probable. En effet, s'ils n'avaient pas été mariés et
ensemble, le v. 19 du chap. i de Saint Matthieu
(a alors, Joseph, son époux, étant un homme de
bien, et ne voulant pas la diffamer, voulut la quitter
secrètement. ») serait incompréhensible et Joseph
n'aurait pas eu la velléité de quitter celle dont
l'Evangéliste le qualifie d'époux.
Il est vrai que le v. 34 du ch. i de Saint Luc, donne
à réfléchir ; car, Marie réplique à l'Ange : « mais,
comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais
point d'homme ?» Il faut en déduire que Marie
n'était point encore mariée. Toutefois, cela n'est pas
aussi probant qu'on le pourrait, a priori, soutenir,
puisque, selon Saint Matthieu, môme une fois le
mariage effectué, Joseph, l'époux de Marie, ne la
connut point, (ch. i. v. 25. Saint Matth.). En défini-
tive, tous ces préambules, si graves, sont extrême-
ment alambiqués, comme à dessein.
N'importe, dans l'un comme dans l'autre cas,
Marie conçut, dit-on, par l'opération du Saint-Esprit.
Or, et selon la théologie, le Fils procède du Père;
.
et le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Alors,
cette interversion qui amène le Saint-Esprit à pro-
créer le Fils, dont, au ciel, il procède, est pour
offusquer notre délicatesse.
Mais, voici où, selon moi, l'inconvenance atteint
le plus haut point. En admettant, je ne sais comment,
que Dieu ait eu besoin de. recourir à une femme,
pour incarner son fils unique, n'était-il pas d'une
stricte décence, qu'aussitôt après le résultat, Dieu
retirât Marie de la terre? Il y aurait quelque chose
de grossièrement malséant, à voir cette élue de
— 50 —
Dieu, après avoir enfanté virginalement le fils.du
Très-Haut, retomber au prosaïsme du réel mariage.
Dieu aurait dû la rappeler à lui, dès la naissance de
Jésus, et ne point tolérer que ses flancs portassent
les fruits ordinaires du commerce charnd, après
qu'ils avaient chastement porté l'Eternel lui-même.
Sans conteste, cette suite est fort laide au point de
vue esthétique et moral. Le v. 25 du chap. i de Saint
Matthieu est, cependant, très précis et, si on l'en
croit, la mère de Dieu, l'instrument du Saint-Esprit,
fut ultérieurement abandonnée à la vulgarité de la
vie en commun avec un rustique ouvrier, avec un
homme !
.v « Mais, il ne la connut point jusqu'à ce qu'elle eût
enfanté son fils, premier-né, et il lui donna le nom
de Jésus. »
Ou, plutôt, quelle habileté n'a-t-il pas fallu pour
accréditer une histoire aussi audacieuse, que celle
de la divine conception, de l'Incarnation extrana-
turelle !
Faisons, toutefois, violence à notre raison ;Jrece-
vons provisoirement le récit de l'Eglise et recueillons
ce que ces trois personnes ont dit, elles-mêmes, sur
ce que, elles seules, pouvaient savoir et connaître.
I. SAINT JOSEPH
128. — On est porté à croire que Saint Joseph
mourut avant que Jésus n'emplit la Galilée du bruit
de son nom.
Aucun des quatre Evangélistes ne lui accorde une
grande attention. C'est un être sans relief, et, de
plus, il est fort gênant.
— 57 -
Pauvre figure ! comparse minime entre deux
acteurs brillants qui l'éclipsent ! personnage effacé
sur le front de qui, en manière de réparation, on a
cru devoir poser le rayonnement de l'auréole des
Saints. Pourquoi a-t-il mérité ce suprême honneur?
On ne le dit point. Quelle vertu héroïque et précieuse
nous apprend-on sur le compte de cet honnête et
laborieux Israélite, dont la vie est tout-à-fait igno-
rée? Mais cela s'imposait; il était impossible,
qu'auprès do la vierge Marie et de l'Homme-Dieu,
se pût voir moins qu'un grand saint, si peu mar-
quants qu'aient pu être son caractère et son rôle.
Et, encore, le peu de cas, qu'au fond, l'Eglise fait de
lui, devient évident par ceci : que les premiers
emplois du Ciel, dans l'organisation qu'elle en ima-
gine, sont loins de lui être dévolus et qu'il y est, au
contraire, reculé dans un rang modeste et subal-
terne. On le voit moins avantagé par le clergé, que
ce Comte de Chàtillon à qui, par acte authentique,
Saint Bernard promettait autant d'arpents, dans le
Paradis, que ce Seigneur lui en donnerait sur terre
pour bâtir son abbaye. Et, cependant, le Messie,
selon les prophéties, devait sortir de la tige de
David. Or, si Joseph n'est pas le vrai père de Jésus,
celui-ci n'est plus de la race de David, car, c'est
Joseph, et non point Marie, qui procède de cette
race. Et voilà les prophéties en déroute. (Voir chap.
i, v. 16, Saint Matth ; et chap. m, v. 23, Saint Luc.)
Mais, ne nous attardons pas à des bagatelles.

129. — Si Marie mit au monde Jésus avant le


- 58 —

délai naturel, ' 'ut y avoir scandale. En aucun


endroit, il n'en est cependant, fait mention. Cela
serait pour renforcer nos doutes sur l'événement, et
pour nous ramener à cette croyance que Joseph et
Marie étaient unis ; que la naissanee de Jésus n'offrit
rien de particulier, ni d'anormal ; qu'elle eut lieu
dans le délai régulier, et je ne dislingue plus, alors,
comment on parvient à retirer à Joseph la qualité
qu'une pareille concordance parait lui réserver ex-
clusivement. Pater is est quem nuptioe demonstrant.
Et, en maints endroits, effectivement, Joseph est
bien appelé le père de Jésus, non-seulement par les
Evangélistes, mais par Marie, elle-même, qui
'tlevait, mieux que personne, savoir la vérité, et qui
n'était pas allée confier ses secrets à qui que ce soit,
et moins encore, j'imagine, à ces historiens éloignés,
qu'à tout autre. Donc, Joseph est, nettement dit
le père de Jésus, dans :
Saint Matth, chap. xm, v. 55. — « N'est-ce pas le
fils du charpentier ? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas
Marie, et ses frères : Jacques, Joses, Simon, et
Jude?»
Saint Luc ; chap. n. v. 27. — « Il vint au temple
par un mouvement de l'esprit, et comme le père et
la mère apportaient le pelit enfant Jésus, pour faire,
à son égard, ce qui était en usage selon la loi. »
V. 41. — a Or, son père et sa mère allaient tous
les ans à Jérusalem, à la fêle de Pàque »
(Voir versets suivants : 48, 49 et 50 ; et chap. m.
v. 23. — « Et Jésus était alors âgé d'environ trente
ans; et il était, comme'on le croyait, fils de Joseph,
filsd'Héli, etc. » ••- . .
— 59 -
Et Saint Jean, Chap, i, v. 45. — « Et Philippe ren-
contra Nathanaël et lui dit : nous avons trouvé celui
de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes
ont parlé : c'est Jésus de Nazareth, le fils de Joseph. »

130. — Si Joseph el Marie avaient eu les visites


qu'on nous dit, des messagers de Dieu, pour leur
annoncer le dépôt que celui-ci allait faire, entre leurs
mains, de son Fils unique, ils n'auraient pas eu :
1° A l'endroit de l'Enfant-Dieu la négligence
inexcusable qui ressort du chap. n. v. 43, 44, 45, 46
de l'Evang. selon Saint Luc ;
« Lorsque les jours de la fête furent achevés,
comme ils s'en retournaient, l'enfant Jésus demeura
dans Jérusalem, et Joseph et sa mère ne s'en aper-
çurent point. »
« Mais, pensant qu'il était en la compagnie de
ceux qui faisaient le voyage avec eux, ils marchèrent
une journée, et ils le cherchèrent parmi leurs parents
et ceux de leur connaissance. »
« Et ne le trouvant point, ils retournèrent à Jéru-
salem pour l^y chercher. »
« Et au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans
le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant,
el leur faisant des questions. »
2° A l'endroit de ses actions, l'étonnement que
signale Saint Luc, en ce chap. n, v. 19, 33, et 50.
« Et Marie conservait toutes ces choses et les
repassait dans son coeur. »
« Et Joseph et sa mère étaient dans l'admiration
des choses qu'on disait de lui. »
— 60 -
« Mais, ils ne comprirent point ce qu'il leur
disait. »
3' Ni, en fin de compte, l'espèce de réprobation
sur laquelle nous aurons, plus loin, sujet de nous
étendre.
Ce qu'il importe, pour le moment, de retenir, c'est
que nulle part, Joseph ne proclame que Jésus est le
Fils de Dieu.
Et, à l'égard de ce nom de Jésus, il y a daûs
Saint Matthieu, chap. i trois versets qui sont d'une
conciliation assez malaisée çt qui présentent un
aspect fort plaisant :
V. 21. — « Et elle enfantera un fils, et tu lui don-
neras le nom de Jésus ; car, c'est lui qui sauvera
son peuple d'3 leurs péchés. »
V. 22. — « Or, tout cela arriva, afin que s'ac-
complit ce que le Seigneur avait dit par le pro-
phète : >.

V. 23. — Voici ; une vierge sera enceinte, et elle


«
enfantera un fils, et on le nommera Emmanuel, ce
qui signifie : Dieu avec nous. »
D'ailleurs, Saint Matthieu nous relate des choses
plus que naïves ;.entre autres :
1° Cette étoile qui marche, qui. s'arrête et qui, à
des distances comme celle où sont les étoiles, réussit
à désigner, sur la terre, non-seulement un pauvre
village, mais encore une étable, dans ce village.
,(chap. ii, v. 9 ; Saint Matth.;
2° Et cet Ange qui se trompe et qui se contredit I
ai Saint Joseph qui n'en fait qu'à sa tète I (Saint
Matth. chap. H. v. 19-20-22)
— 61 —

« Mais après qu'Hérode fut mort, l'Ange du Sei-


gneur apparut à Joseph, en songe, en Egypte »
« Et il lui dit : Lève-toi, prends le petit enfant et
sa mère et retourne au pays d'Israël ; car ceux qui
en voulaient à la vie du petit enfant, sont morts. »
« Mais, ayant appris qu'Archélaûs régnait en
Judée, en la place d'Hérode son père, Joseph crai-
gnit d'y aller, et, ayant été averti divinement, en
songe, il se retira dans les quartiers de la Galilée. »
Tout ceci donne à penser! Et puis, les Anges
(qui, entre parenthèses, parlent du petit enfant avec
une aisance très déplacée, si ce petit enfant est
Dieu lui-même) n'apparaissent jamais à Joseph
qu'en songe ! On voit bien des choses illusoires au
cours des nuits. Monsieur l'Abbé, et ce sont, là, des
sources qu'il ne faut citer qu'avec une grande cir-
conspection ; les rêves sont si peu sûrs, du moins de
notre temps.
II. LA VIERGE MARIE

131. — Et d'abord, Marie a-t-elle eu, de son


union avec Joseph, plusieurs enfants?
Je ne sais comment l'on peut essayer de soutenir
le contraire. C'est en dénaturant le sens du mot
Frères, du mot Soeurs, et en leur donnant une
signification bien inattendue. Or, j'imagine que
ceux qui ont écrit el traduit les Evangiles eussent
employé un autre terme, si cela avait été nécessaire
et que nos commentateurs récalcitrants s'accrochent
à une mauvaise branche, en contestant la précision
des mots en question. Les Evangélistes, par leurs
— 62 —
paroles, ne laissent place à aucun doute, et il en
ressort bien, que Marie a eu plusieurs enfants, et
que Jésus-Christ avait des frères et des soeurs.
1° Evangile selon Saint Matthieu

Chap. xii, v. 46-47. — « Et comme Jésus parlait


encore au peuple, sa mère et ses frères qui étaient
dehors demandèrent à lui parler.
« Et quelqu'un lui dit : Voilà, ta mère et les frères
sont là, dehors, qui demandent à te parler. »
Chap. xm. v. 55. — « N'est-ce pas le fils du char-
pentier ? Sa mère ne s'appelfe-t-elle pas Marie, et
ses frères : Jacques, Joses, Simon, et Jude. »
V. 56. — « Et ses soeurs ne sont-elles pas toutes,
#v
parmi nous? D'où lui viennent donc toutes ces
choses ? »
2° Evangile selon Saint Marc

Chap. ni ; v. 31. — Ses frères et sa mère arrivè-


rent donc, et se tenant dehors ils l'envoyèrent
appeler ; et la multitude était assise autour de lui. »
Chap. vi, v. 3. — N'est-ce pas le charpentier ? le
fils de Marie? le frère de Jacques, de Joses, de Jude,
et de Simon ? Ses soeurs ne sont-elles pas ici parmi
nous? Et ils se scandalisaient à son sujet. »
3° Evangile selon Saint Luc
Chap. vin. v. 19. — « Alors, sa mère et ses frères
vinrent le trouver ; mais ils ne pouvaient l'aborder
à cause de la foule. »
Notez, Monsieur l'Abbé, que si le mot frères ne
veut rien dire, le mot mère doit être traité de môme
— 63 —
façon, Jésus, ainsi, n'aurait plus ni frères, ni père,
ni rnère !

132. — Marie, qui, par l'Ange Gabriel, avait été


instruite du rôle prodigieux que le Très-Haut lui
réservait, d'être la mère de son Fils unique, a-t-elle
eu, au regard de ce fils du miracle, de ce fils du
ciel, la conduite et l'attitude qje ce choix lui com-
mandait?
A-t-elle, quelque, part, fermement proclamé la
divinité de son fils ? A-t-elle, pendant sa vie, entouré
de son adoration, les pas de ce Dieu incarné, de ce
Dieu qu'avaient allaité ses mamelles? A-t-elle, à la
mort de cet être divin donnant son sang et sa vie
(comme toutes ces expressions sont bizarres à l'en-
droit d'un Dieu !) pour le rachat des pécheurs et le
salut du monde, a-t-elle, dis-je, eu la contenance
qu'un tel et si grand drame lui imposait ?
C'est ce que nous allons résoudre.
Il faut d'abord profondément tracer et formuler la
condition liminaire ; elle est que Marie a été préve-
nue, par l'Ange Gabriel, du rôle glorieux entre
tous, que lui départissait Dieu, d'être la mère selon
la chair, de son Fils unique.
Ceci, pour les chrétiens, ne peut être, une minute,
discuté.
1° Evangile selon- Saint Matthieu
Chap. i. v. 18-25 — « Or, la naissance de Jésus-
Christ arriva ainsi : Marie, sa mère, ayant été fiancée
à Joseph, elle se trouva enceinte par la vertu du
Saint-Esprit, avant qu'ils fussent ensemble. »
— 64 —

« Alors, Joseph, son époux, étant un homme de


bien, et ne voulant pas la diffamer, voulut la quitter
secrètement »
« Mais, comme il pensait à cela, un ange du Sei-
gneur lui apparut, en songe, et lui dit : Joseph, Fils
de David, ne crains point de prendre Marie pour ta
femme, car ce qu'elle a conçu est du Saint-Esprit. »
« Et, elle enfantera un fils ; et tu lui donneras le
nom de Jésus ; car c'est lui qui sauvera son peuple
de leurs péchés. »
« Or, tout cela arriva, afin que s'accomplit ce que
le Seigneur avait dit par le Prophète. »
« Voici ; une vierge sera enceinte, et elle enfante-
ra un fils, et on le nommera Emmanuel, ce qui
signifie : Dieu avec nous. »
« Joseph donc, étant réveillé de son sommeil, fit
comme l'ange du Seigneur lui avait commandé, et il
prit sa femme. »
« Mais, il ne la connut point jusqu'à ce qu'elle eût
enfanté son fils, premier-né, et il lui donna le nom
de Jésus. »
Je pourrais souligner ce mot : premier-né ; mais,
vous le ferez bien sans moi.
2° Evangile selon Saint Luc
Chap. i, v. 26-38. — Or, au sixième mois, Dieu
envoya l'Ange Gabriel dans une ville de Galilée,
appelée Nazareth. »
« A une vierge, fiancée à un homme nommé
Joseph, de la maison de David ; et cette vierge s'ap-
pelait Marie. »
a Et l'Ange, étant entré dans le lieu où elle était,
- - 65

lui dit: Je te salue, toi qui es reçue en grâce; le


Seigneur est avec toi ; tu es bénie entre les femmes. »
« Et ayant vu l'Ange, elle fut troublée de son
discours, et elle pensait en elle-même ce que pou-
vait être cette salutation. »
« Alors, l'Ange lui dit Marie, ne crains point, car
tu as trouvé grâce devant Dieu. »
« Et tu concevras et enfanteras un fils, à qui tu
donneras le nom de Jésus. »
« Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très-
Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de
David, son père. »
« Il régnera éternellement sur la maison de Jacob,
et il n'y aura point de fin à son règne. »
« Alors, Marie dit à l'Ange : Comment cela se
fera-t-il, puisque je ne connais point d'homme? »
« Et l'Ange lui répondit : Le Saint-Esprit survien-
dra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de
son ombre ; c'est pourquoi aussi le saint enfant qui
naîtra de toi sera appelé le Fils de Dieu.
« Et voilà, Elisabeth ta cousine a aussi conçu un
fils en sa vieillesse ; et c'est ici le sixième mois de
la grossesse de celle qui était appelée stérile. »
« Car, rien n'est impossible à Dieu. »
t Et Marie répondit : voici la servante du Sei-
gneur; qu'il m'arrive selon que tu m'as dit. Alor.%
l'Ange se retira d'avec elle. »
(V° en outre, môme chapitre, verset 42 ; — v. 56)
Chap. II. v. 4 à 7. — « Joseph, aussi monta de
Galilée, en Judée, savoir : de la ville de Nazareth, à
la ville de David, nommée Bethléhem, parce qu'il
était de la maison et de la famille de David ; »
— 66 —

<t Pour être enregistré, avec Marie, son épouse,


qui était enceinte. »
« Et, pendant qu'ils étaient là, le temps auquel
elle devait accoucher arriva. »
« Et elle mit au monde son fils, premier-né; et
elle l'emmaillota, et le coucha dans une crèche,
parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans
l'Hôtellerie. »
Sans l'Annonciation, en effet, tout le Christianisme
s'en irait en fumée. C'est la clef de voûte de la Doc-
trine, dont le dogme de l'Incarnation est, à son
lour, l'arceau fondamental. Mais, Monsieur l'Abbé,
combien cela est banal, peu joli, et inférieur, soit
dit.en passant, aux splendides fictions de la mytho-
logie païenne 1

Il conviendrait d'observer, en allant, que ni Saint


Marc, ni Saint Jean, ne disent un seul mot touchant
la miraculeuse conception de Jésus. Vraiment, cela,
de la part de Saint Jean, est impardonnable ; car
(voir plus loin.) c'est lui. si les Ecritures sacrées ne
sont point controuvées, qui se montrera le plus
affirmatif à l'égard de la divinité de Jésus, et voilà
qu'il oublie l'élément de preuve le plus substantiel II
Enfin ; poursuivons. De par Saint Matthieu et
Saint Luc, c'est maintenant, et sous l'autorité des
Docteurs de la Foi, entre autres du grand Saint
Augustin, un dogme solennellement établi, et un
article formel de la croyance des fidèles : l'Ange
Gabriel serait venu annoncer â Marie que, par
l'opération du Saint-Esprit, elle concevrait et, ainsi,
deviendrait la mère du Fils de Dieu.
Un tel et si prodigieux événement, de concevoir,
— 67 — '

en dehors de l'oeuvre de chair, et de devenir la mère


du Seigneur, créateur des Mondes, devait mériter au
Fils, de la part de sa mère, un religieux et craintif
respect, une obéissance mêlée de terreur. D'ordi-
naire, les mères sont portées envers leurs fils, à une
complaisance extrême ; quelle n'aurait pas dû être
l'admiration tremblante et pleine d'adoration de
Marie pour son fils divin, de cette douce et sainte
créature pour le Créateur son Maître, et le suprême
Roi des univers I
Or, non ; Marie, et Joseph, sont bien un papa et
une maman selon l'humanité.
Conformément à la loi Hébraïque, Marie se pu-
rifie; cela est singulier (Saint Luc, ch. n, v. 22.).
1

Marie et Joseph consacrent l'enfant au Seigneur !


(id. v. 22 et 23.) C'est encore un sujet d'étonnement.
Et Joseph et Marie sont ravis de ce que prononça
Siméon, en voyant Jésus (id. o. 19, 33, 51.). On sent,
partout, leur suprise. Ceci ne saurait se concilier
avec l'avis céleste qu'ils avaient, l'un et l'autre,
reçu préalablement et qui devait les mettre, pour
toujours, au-dessus de tout ébahissement et de tout
émoi. D'autre part, Joseph et Marie paraissent avoir
.fait montre de la plus incompréhensible des insou-
ciances lorsque, pendant une journée, ils ne se
préoccupent pas de PEnfant-Dieu qu'ils n'avaient
plus avec eux. (id. v. 43, 44, 45.). Et quand, après
trois jours de recherches, ils le retrouvent dans le
temple, ils sont fâchés et ils le réprimandent !
(id. v. 48.)
Et Marie, dans cette occasion, prononce celte
déconcertante parole : « Voilà ton père et moi qui te
.— 68 —
cherchions. » et ce disant, elle désigne Joseph, son
mari. Hum I elle en savait plus long sur ce sujet que
Saint Luc ; et Jésus, s'il eût été le fils de Dieu, ne se
serait pas laissé, ainsi, attribuer à un beau-père !
Voici, enfin, ce verset terrible : (50). — « Mais, ils
ne comprenaient point ce qu'il leur disait. » alors
qu'il invoquait l'obligation de s'occuper des affaires
de son Père I
Ainsi, cet enfant et ses actions étaient des énigmes
pour ses parents ! C'était bien la peine qu'un des
principaux anges du Ciel se fût dérangé pour les
instruire! Joseph, Marie,Meurs autres enfants,
regardent Jésus comme un songeur et un exalté, et,
vloin d'applaudir à ses tendances, tous sont hostiles
' aux vues de Jésus, essaient d'entraver son Aposto-
lat. (V° chap. m, v. 35 Saint Marc, chap. vm, v. 21,
Saint Luc).
La prétendue Annonciation ne peut se raccorder
avec une pareille attitude des membres de la fa-
mille de Jésus. Or, effacez l'Annonciation, et Jésus
n'est plus, conime, d'ailleurs, le déclare Saint Luc,
que le fils de Joseph, et dès lors, tout le Christia-
nisme s'écroule, sinon le Christianisme que fonda le
grand Moraliste Galiléen, du moins le Christianisme
matérialiste, hiérarchique, et aristocratique qu'ont
développé les prêtres, qui ont recommencé les si-
magrées bigotes, les menées ambitieuses, et les
arrogances, du Pharisaïsme, de la Loi, et de la
Théocratie ; qu'ont construit des clergés successifs,
bien plus près du rituel mosaïque et plus imprégnés
des instincts du Judaïsme, que du véritable et Saint
esprit de Dieu.
— 69 —
Et, je reviens, pour y appuyer, sur ce fait, que 16
second évangéliste : Saint Marc, qui fut le compa-
gnon et comme le secrétaire de Saint Pierre, ne
parle en rien de la naissance miraculeuse de Jésus ;
or, Saint Marc est l'auteur de l'Evangile qui serait
dit-on, le plus digne de foi, le plus véridique (ubi
infrà.J

133. — La foi du charbonnier peut, seule, persis-


ter devant ces choses. On nous le donne toujours
pour modèle, ce brave homme, mais sa foi .est-elle
la meilleure, est-elle la foi éclairée et intelligente ?
J'en doute, Monsieur l'Abbé, et Dieu ne serait point
difficile, s'il s'en contentait. Et si le paradis n'est
réservé qu'à ce genre de croyants, le milieu céleste,
qu'en dites-vous, ne sera point très relevé ; un peu
commun, plutôt. Puis, enfin ; ce charbonnier, cette
bonne pâte molle, cette cervelle noire, ouverte à
tous les vents, ce pauvre être, veule et obtus, n'est-
ce pas lui qui eut, toujours, en tout lieu, en tout
temps, sa bonne et robuste foi, aveugle et sotte, à
la disposition de tout ce que proposèrent, à son
adoration affamée, des gens forts et supérieurs ?
N'est-ce pas lui, toujours lui, qui, selon qu'il fut
charbonnier : à Rome, en Grèce, en Perse, ou aux
Indes, crut, tour à tour, avec la même admirable
simplicité, à Jupiter, à Amoun, à Baal, à Orzmud, à
Brahma, à Allah, à Jehovah, etc. ? Voyez-vous,
Monsieur l'Abbé, ce bon charbonnier que vous van-
tez tant, s'il vous avait connu, aux jours de Néron,
il n'eût pas hésité, tant sa foi était solide el réfrac-
5
— 70 —
-taire aux sbphismes des novateurs et des impies, à
vous enduire de bitume et de poix, et à fournir la
résine nécessaire pour vous faire flamber, le soir,
dans les jardins de l'Empereur à la barbe d'or ! De
ce point de vue, le brave et fidèle charbonnier vous
paraîtra, peut-être, un tantinet moins beau que vous
ne trouviez votre joie à le dire ? Enfin, lorsque Pi-
late, cherchant sa délivrance, l'offrait à la foule, en
parallèle avec Barabbas, eh bien, Monsieur l'Abbé,
Jésus-Christ eut contre lui tous les charbonniers de
son temps 1

Ah, le croyant, c'est, souvent, une espèce de Col-


légien qui endosse une Foi, comme un uniforme !
> Et si vous me le permettiez, Monsieur l'Abbé, je
transcrirais ici ce passage de Victor Hugo, où, dans
son livre « le Rhin », il décrit la cuisine de l'Hôtel
de Metz, à Sainte-Menehould : « Si j'étais Homère ou
Rabelais, je dirais : cette cuisine est un monde dont
cette cheminée est le soleil. C'est un monde, en effet ;
un monde où se meut toute une république d'hom-
mes, de femmes et d'animaux. Des garçons, des
servantes, des marmitons, des rouliers attablés, des
poêles sur des réchauds, des marmites qui gloussent,
des fritures qui glapissent, des pipes, des cartes, des
enfants qui jouent, et des chats, el des chiens, et le
le maître qui surveille. Mens agitât molem.
« Dans un angle, une grande horloge, à gaine et à
poids, dit gravement l'heure à tous ces gens occu-
pés. Parmi les choses innombrables qui pendent au
plafond, j'en ai admiré une, surtout le soir de mon
arrivée. C'est une petite cage où dormait un petit
oiseau. Cet oiseau m'a paru être le plus admirable
- 71 —

emblème de la confiance. Cet antre, celte forge à in-


digestion, cette cuisine effrayante est, jour et nuit,
pleine de vacarme ; l'oiseau dort. On a beau faire
rage autour de lui ; les hommes jurent, les femmes'
querellent, les enfants crient, les chiens aboient, les
chats miaulent, l'horloge sonne, le couperet cogne;
la lèchefrite piaille, le tourne-broche grince, la fon-
taine pleure, les bouteilles sanglotent, les vitres fris-
sonnent, les diligences passent sous la voûte comme
le tonnerre ; la petite boule de plume ne bouge pas.
Dieu est adorable ; il donne la foi aux petits oi-
seaux. »
Monsieur l'Abbé, ce petit oiseau impassible et
dormeur, ressemble fort à votre flegmatique char-
bonnier ; mais, prenez-y garde, Victor Hugo n'a
point précisé sa couleur et, tout compte fait, ce
gentil petit oiseau pourrait bien être un serin.

134. —
Jésus-Christ, ai-je écrit plus haut, fut un
grand moraliste. Or, cela môme, Monsieur l'Abbé,
n'est point si sûr, qu'on n'en puisse disputer.
Sur l'article de l'originalité, d'abord, cette morale
a-t-elle donc un caractère qui la soustraie à toute
comparaison ? et, sur celui de la qualité, ne fau-
drait-il point un peu.en rabattre, si nous exercions,
à son endroit, un contrôle indépendant et rigoureux ?
Il vous plaît, sans doute, que nous nous y livrions.
Eh bien, nous allons faire cette vérification, tou-
jours en ayant sous les yeux les Evangiles, eux seu-
lement, rien qu'eux.
— 72 —
Peut-être, de débuter par une définition de la
Morale, nous serait-il une nécessité? Mais cela
nous entraînerait loin; car, encore qu'il semble que
rien ne soit plus facile, il n'en va pas moins que,
comme toute chose, la Morale même n'est ni fixe, ni
stable, ni immuable, ni universelle (1) Elle est va-
riable comme la vie, et aussi fluctuante que le cours
des choses. Vous vous récriez ! je vous entends.
D'une proposition pareille et passablement scanda-
leuse, vous exigez, dites-vous, la démonstration, en
admettant qu'il ne soit pas impossible de la faire.
Or, non ; cela n'est pas impossible, et pour vous la
>procurer, je n'aurai pas besoin de recourir à de vi-
lains écrivains, à Helvétius par exemple: je ne
quitterai pas le coeur des Ecritures saintes : voyez
les 10 Commandements, soif dans l'Exode au chap.
xx, soit dans le Deutéronome, au chap. v.
« Verset 13. — Tu ne tueras point. »

« Verset 15. — Tu ne déroberas point. »

« Verset 17. — Tu ne convoiteras point la maison


de ton prochain ; tu ne convoiteras point la femme
de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni
son boeuf, ni son âne, ni aucune chose qui soit à ton
prochain. »
Puis, reportez-vous au chapitre m de l'Exode,
alors que, à l'occasion de la fuite des Israélites hors
de l'Egypte Dieu donne des instructions à Moïse
avec lequel,décidément, ilcausait bien souvent,«face
à face, comme un homme parle à son intime ami. »

(i) Lire Helvétius, Locke, Pascal.


-73-
(Èxodechap. xxxm, verset 11, démenti cependant
par les deux versets 20 et 23 du même chapitre).
Vous y lirez ceci ;
« V. 21 et il arrivera que, quand vous partirez,
vous ne vous en irez point à vide. »
o V. 22. — Mais, chaque femme
doit demander à
sa voisine et à l'hôtesse de sa maison, des vaisseaux
d'argent et des vaisseaux d'or, et des vêtements,
que vous mettrez sur vos fils et sur vos filles ; ainsi
vous dépouillerez les Egyptiens. »
Devant une telle conduite, je comprends, mon-
sieur l'Abbé, que les troupes du Pharaon aient
poursuivi ce peuple de larrons, mais beaucoup
moins, que Dieu ait séparé les eaux de la mer pour
laisser filer les fripons, et qu'il les ait rapprochées
pour submerger les gendarmes.
La Bible, l'Ecriture sainte, est fertile et me tend
une abondante collection de choses étonnantes : je
signale, en courant, ce Lévitique d'une lecture plus
qu'amusante, et aussi, les chap. xix v. 16,19 ; chap.
xx, w. 18, où il est question d'un cornet, à pistons
sans doute, qui accompagnait Dieu dans ses dépla-
cements! (Exode.)
Mon assertion est déjà assise sur sa preuve ; or,
si je voulais être prolixe et abondant, j'élargirais
celle-ci. En grapillant aux premiers chapitres de
l'Exode, et aux chapitres.du Deutéronome (m et
vu.); j'en rapporterais des passages peu édifiants
et surtout absolument inconciliables avec les maxi-
mes de ce beau et sage Décalogue ; quand co ne
seraient que les versets terribles et féroces, 23, 24,
— 74 —
25, 28 du chap. xxi de l'Exode où Dieu commande
de prendre vie pour vie ; oeil pour oeil ; dent pour
dent; pied pour pied ; brûlure pour brûlure ; plaie
pour plaie ; meurtrissure pour meurtrissure.
Je relèverais, en outre, que Dieu dans le Paradis
terrestre, loin de fonder la morale par des indica-
tions formelles, comme il le fit plus tard sur les Ta-
bles Sinaïques, prescrit à Adam et Eve l'ignorance
et l'insouciance morales. Il leur défend de se préoc-
cuper du Bien et du Mal ; il leur interdit de chercher
à les connaître et à les distinguer. C'est plus qu'é-
tonnant, mais cela est ainsi, à tel point, que c'est
son ordre unique, et que ce sera de le transgresser,
'vqui constituera la Faute humaine. Et d'ailleurs,
Adam et Eve, ancêtres des hommes des cavernes,
des troglodytes, ne devaient pas être bien brillants
à aucun point de vue ; Dieu n'aurait donc pas pu
exiger grand chose de ces deux êtres vilains et stu-
pides. Aussi ce qu'il commande, au couple créé, de
respecter, c'est sa volonté, rien de plus. Telle est
la seule Loi qu'il leur impose.
Or, Monsieur l'Abbé, n'est-ce pas dire clairement :
qu'il faut se résigner à ce que Dieu veut, sans se
mêler do savoir ce qui est bien, ou ce qui est mal,
sans s'empêtrer dans cette recherche et dans cette
analyse interminables? qu'il faut simplement vivre
selon ies données naturelles, et ne pas s'aviser d'al-
ler toucher à cet Arbre mystérieux qui confond le
Bien et le Mal dans son essence ? qu'il faut s'abste-
nir de vouloir pénétrer cet élément du Jardin divin,
car il est le secret de Dieu ?
De cette fiction poétique, fort instructive et fort
— 75 — »

profonde, croyez-le, je peux donc, sous réserve d'une


plus ample discussion ultérieure, déduire que la
Morale n'est rien en soi ; que Dieu ne l'a ni promul-
guée ni formulée, et que son unique décret fut que
l'Homme se tint courbé sous sa volonté, et se con-
formât, muettement et sans rébellion, à l'ordre de
choses par lui établi.
Réclamez-vous, Monsieur l'Abbé, contre l'exiguïté
de mes exemples ? En voici un de plus.
La Genèse ; chap. xn ;
V. 11. — « Et il arriva, comme Abraham était
près d'entrer en Egypte, qu'il ditàSaraï,sa femme :
voici, je sais que tu es une belle femme ; »
V. 12. — a Et il arrivera que lorsque les Egyp-
tiens t'auront vue, ils diront : C'est la femme de cet
homme-là ; et ils me tueront, mais ils te laisseront
vivre ; »
V. 13. — « Dis donc, je te prie, que tu es ma soeur,
afin que je sois bien traité à cause de toi, et qu'ils
me sauvent la vie à ta considération. »
V. 14. — « 11 arriva donc, sitôt qu'Abraham fut
venu en Egypte, que les Egyptiens virent que celte
femme était belle. »
V. 15. — « Les principaux de la Cour du Pharaon
la virent aussi, et la louèrent devant le Roi ; et elle
fut enlevée pour être menée dans la maison du Pha-
raon. »
V. 16. — « Lequel fit do bien à Abraham à cause
d'elle ; de sorte qu'il en eut des brebis, des boeufs,
des ânes, des serviteurs, des servantes, des ànesses,
et des chameaux. »
— 76 —
V. 17. — «Mais l'Eternel frappa de grandes plaies
Pharaon et sa maison, à cause de Saraï, femme
d'Abraham. »
V. 18.
— « Alors, Pharaon appela Abraham et lui
dit : qu'est-ce que tu m'as fait ? que ne m'as-tu averti
qu'elle était ta femme? »
V. 19. — « Pourquoi as-tu dit: c'est ma soeur?
Et je l'avais prise pour être ma femme ; mais, main-
tenant, voici ta femme, prends-la, et t'en va. »
V. 20.
— « Et il donna charge à ses gens d'aller
reconduire Abraham, sa femme, et tout ce qui lui
appartenait. »
>Nous nous apercevons là, Monsieur l'Abbé,
qu'Abraham l'ami de Dieu, n'avait pas sur la Mo-
rale, des principes bien sévères, ni sa femme non
plus ; que les petits, ou plutôt, grands profits qu'ils
retiraient de leur combinaison assoupissaient forte-
ment leurs scrupules et leur honte ; et enfin, que
Dieu lui-même ne se montrait point juste, en frap-
pant ce pauvre Pharaon, qui avait été de bonne foi
et dupé. Il vous paraîtra, sans doute, comme à moi,
que Dieu aurait dû faire tomber ses rigueurs sur le
fourbe Abraham et sur l'indélicate Saraï, plutôt que
sur le Roi qui, en tout ceci, avait, été bénin, géné-
reux et clément.
Je n'irai pas plus loin estimant que ce que j'ai
transcrit est suffisant, et que nous sommes, doréna-
vant, d'accord sur l'instabilité et l'imprécision de
la Morale, en ce bas monde.
Ah, si nous visions l'Idéal, nous constaterions,
vraisemblablement, de concert, que sont synonymes
- - 77

le Bien et le Beau, le Laid et le Mal lesquels sont,


chacun, divisés en trois catégories ou qualités, se-
lon qu'on envisage : l'état physique, ou l'état moral,
ou l'état intellectuel ; en d'autres termes, que l'Es-
thétique et l'Ethique, au fond, ne font qu'une seule
et même chose.
Quanta la Vérité, c'est différent et, soit dit ac-
cessoirement, quand je nomme la Vérité et que
j'entends bien dire la Vérité intégrale, je nomme,
du même trait, la Religion finale et suprême. N'é-
tant point exclusive, elle comprend, confusément,
tout : la laideur et le vice, aussi bien que leurs op-
posites. De la sorte, la Vérité englobe tous les Pos-
sibles, et tous les Imaginables ; elle se montre douée,
à leur égard, de cette fameuse liberté d'indifférence
qui lui sied, au point d'en être inséparable.
Tandis que, de par cô qu'elles sont, l'Esthétique
et l'Ethique ne peuvent avoir, par une série de pro-
grès continus, qu'une inflexible tendance à une Per-
fection infinie, qui soit leur égale et commune
satisfaction.
Mats, laissons ce souci, Monsieur l'Abbé, et con-
tentons-nous présentement, de chercher, à l'aide de
la mesure courante, si la Morale de Jésus est à l'abri
de tout reproche. La matière est encore, môme, à ce
point restreinte, d'une considérable importance.
Car, ce que nous demanderons au Christ, ce sera
d'avoir répudié les coutumes étroites, haineuses et
blâmables par où d'ordinaire, se trahit l'imperfec-
tion humaine, et de leur avoir substitué une équité,
une mansuétude, si vastes et si complètes, qu'on y
puisse sentir bien, l'immense et illimitée sagesse de
Dieu.
— 78 -
Or, voici, Monsieur l'Abbé, ce que fournit la lec-
ture des Ecritures sacrées ; et vous allez juger com-
bien peu, le Dieu universel y est sensible. Je copie:
Evangile selon Saint Matthieu.
Chap. x. v. 5 — « Jésus envoya ces douze-là et il
leur donna ses ordres, en disant : n'allez point vers
les Gentils et n'entrez dans aucune ville des Sama-
ritains. »
V. G. — « Mais allez plutôt aux brebis de la
Maison d'Israël qui sont perdues. »
Chap. xv. v. 22 et suiv. — « El une femme Cana-
néenne, qui venait de ces quartiers-là, s'écria et lui
dit : Seigneur, fils de David, aie pitié de moi, ma
fille est misérablement tourmentée par le démon. »
« Mais, il ne lui répondit rien. Sur quoi, ses dis-
ciples s'étant approchés le prièrent, disant: Ren-
voie-la, car elle crie après nous. »
«
Et il répondit : je ne suis envoyé qu'aux brebis
perdues de la Maison d'Israël. »
« Et elle vint et se prosterna en disant : Seigneur,
aide-moi. »
« Il lui répondit : il n'est pas juste de prendre le
pain des enfants pour le jeter aux chiens. »
Vous seriez mal venu, Monsieur l'Abbé, à contes-
ter que cette partialité, qui réserve les faveurs et les
dons du ciel à la seule maison d'Israël et qui los re-
fuse aux Gentils, aux autres humains, ravalés au
niveau des chiens, odore bien plus un Sémite, un
Hébreu chauvin et méprisant, que le tout-puissant
Créateur des Mondes, envers qui, tous les hommes,
— 79 —
sans exception, doivent être placés dans des condi-
tions égales, et qui ne pput, décemment, leur impu-
ter à crime : ou leur race, ou leur ignorance, ou
leur pays, leur heure et leur milieu ! Ont-ils été, sur
ces points, libres de se ménager un sort différent et
préférable ?
.le continue :
Chap. x, v. 14 et suiv. Evang. Saint Matth. —>
« Partout où l'on ne vous recevra pas et où l'on n'é-
coutera pas vos paroles, en sortant de celte maison,
ou de cette ville, secouez la poussière de vos pieds. »
« Et je vous dis en vérité que Sodome et Gomor-
rhe seront traitées moins rigoureusement, au jour
du Jugement, que cette ville-là. »
« Ne pensez pas que je sois venu apporter la Paix
sur la terre ; je suis venu apporter, non la paix, mais
l'épée. » (Id. Saint.Luc, chap. xn, v. 49 à 53.)
« Car, je suis venu mettre la division entre le fils
et le père, entre la fille et la mère, entre la belle-fille
et la belle-mère. »
« Et on aura pour ennemis ses propres domesti-
ques. »
Chap. xxi. v. 19. — « Et voyant un figuier sur le
chemin, il y alla ; mais il n'y trouva que des feuil-
les, et il lui dit: qu'il ne naisse, à jamais, aucun
fruit de toi ; et incontinent, le figuier sécha. »
Ev. selon Saint Luc ; chap. x. v. 10 et suiv. (mê-
me texte que, ci-dessus, en Saint Matthieu, chap. x,
v. 14 et 15. — puis chap. xn, loc. cit.)
Que vous semble, Monsieur l'Abbé, d'une telle et
si sombre fureur ? que le Christ fut un bon prophète,
— 80 -
hélas, cela n'est point douteux, et les prédictions des
versets 34 et suiv. du chap. x de Saint Matthieu, ne
se sont, en effet, que trop abominablement réali-
sées ! Mais, sont-ce, là, des paroles charitables et
divines? qui plus est, la justice, même banale et
vulgaire, celle qui procède du simple bon sens,
trouve-t-elle son compte aux versets 14 et suivants,
où nous voyons que des maisons, des villes entières,
sont menacées et maudites, alors qu'il se pourrait;
qu'en ces maisons, qu'en ces cités, il ne se fût ren-
contré qu'une minorité de récalcitrants! Les au-
tres, innocents de toute faute, étrangers à toute
résistance, n'en subiront pas moins, et quand mê-
rfïe, la vengeance de Dieu Mais, c'est affreux, cela !
!

C'est l'équivalent, le pendant, de la malédiction qui


irappa, ab ovo, toutes les générations humaines, en
Adam. Si celle-ci ne vous a jamais révolté, Mon-
sieur l'Abbé, je ne dois pas espérer que celle du
Christ vous indignera davantage ; mais, je doute que
vous comptiez beaucoup d'hommes disposés à louer,
avec vous, des décrets aussi barbares, et tant con-
traires à toute équité.
Je poursuis :
Evang. selon Saint Matthieu. Chap. xm, v. 10
et suivant.
« Alors, les disciples s'étanl approchés lui di-
rent : Pourquoi leur parles-tu pardes similitudes? »
« Il répondit et leur dit : Parce qu'il vous est
donné de connaître les mystères du royaume des
cieux ; mais cela ne leur est point donné. »
« Car, on donnera à celui qui a déjà, et il aura
— 81 -
encore davantage ; mais, pour celui qui n'a pas, on
lui ôtera même ce qu'il a. »
a C'est à cause
de cela que je leur parle en simi-
litudes, pour qu'en voyant, ils ne voient point, et
qu'en entendant, ils n'entendent ni ne comprennent
point. »
Chap. xv. v. 15. — « Alors, Pierre prenant la
parole, lui dit : Explique-nous cette parabole. »
Evang. selon Saint Luc. chap. vin, v. 10. (même
texte qu'en Saint Matthieu, chap. xm, y. 10 et suiv.)
En ces passages, Monsieur l'Abbé, la perfidie
éclate. Eh quoi, Jésus vient pour sauver les Hom-
mes et il commence par envelopper ses exhorta-
tions, d'obscurités, calculées de telle manière, que
la plupart « ne se convertissent pas et qu'ils ne gué-
rissent pas. » (Saint Matth. chap. xm, v. 15). Il
assemble la foule, il la prêche, mais ses parolesl
sont incompréhensibles ; alors, il renvoie cette
multitude ahurie (Saint Matt. chap. xm. v. 36.), il
rentre en sa maison avec ses disciples el c'est à
eux seuls, qu'il donne l'explication de ses rébus,
explication si nécessaire que, sans elle, l'enseigne-
ment demeurerait, pour eux-mêmes, non avenu,
inintelligible
1

C'est vraiment pitoyable, Monsieur l'Abbé, et je


vois difficilement que Jésus ait pu, ensuite, oser
dire : « Or, je vous dis que les Hommes rendront
compte au jour du Jugement, de toutes les paroles,
vaines qu'ils auront dites. » (Saint Matt, chap.-xn,
v. 36.) et aussi prononcer la belle maxime contenue
au y. 22, chap. v. Saint Matthieu: « Mais moi,je
— 82 —

vous dis que quiconque se met en colère contre


son frère, sans cause, sera puni par le jugement ;
et celui qui dira à son frère, Raca, sera puni par
le conseil ; et celui qui lui dira : Fou, sera puni
par la géhenne du feu. »
Les paraboles du Christ étaient plus que vaines ;
la ruse, la duplicité, la malignité, les entachaient.
Est-ce être bon, que de tendre une coupe d'eau
fraiche à des lèvres altérées, et de la renverser sur
l'instant où ces lèvres s'apprêtent à boire ? Est-ce
être loyal que de s'exprimer de façon à n'être point
entendu ?
.vRelisez la parabole du semeur et constatez le
dédain moqueur et choquant de Jésus, qui gouaille,
pour ainsi dire, les foules accourues sur ses pas !

Rapprochez cela de sa réponse, sèche et hautaine,


à sa mère, au festin'de Cana. — Pour ma part, à y
réfléchir, je tombe en une surprise aiguë et qui fait
mal, car votre Fils de Dieu n'apparatt plus exempt
de graves défauts, tant s'en faul.
Et, que dirons-nous, enfin, Monsieur l'Abbé, de
la parabole de l'Econome infidèle, consignée au
chap. xvi de l'Ev. selon Saint Luc ?
« Jésus disait, aussi, à ses disciples ; un homme
riche avait un économe qui fut accusé devant lui de
lui dissiper son bien. »
« Et, l'ayant fait venir, il lui dit : qu'est-ce que
j'entends dire de toi? Rends compte de ton admi-
nistration, car, tu ne pourras plus désormais ad-
ministrer mon bien. »
« Alors cet économe dit en lui-même : que ferai-
— 83 —
je puisque mon maître m'ôte l'administration de
son bien ? Je ne saurais travailler à la 'erre et j'au-
rais honte de mendier. »
« Je sais ce que je ferai, afin que, quand on m'aura
ôté mon administration, il y ait des gens qui me
reçoivent dans leurs maisons. »
« Alors, il fil venir séparément chacun des débi-
teurs de son maître et il dit au premier : combien
dois-tu à mon maître ? »
a
II répondit: cent mesures d'huiles. Et l'économe
lui dit : Reprends ton billet ; assieds-toi là, et écris-
en promptement un autre de cinquante. »
« Il dit, ensuite, à un autre : Et toi,
combien
dois-tu ? Il dit : ceht mesures de froment. Et l'éco-
nome lui dit : Reprends ton billet, et écris-en un
autre de quatre-vingts. »
«
Et le maître loua cet économe infidèle, de ce
qu'il avait agi avec habileté. »
« Et moi, je vous dis aussi : Faites-vous des
amis
avec les richesses injustes, afin que, quand vous
viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les ta-
bernacles éternels. »
N'est-ce pas l'apologie de l'improbité, de l'abus
de confiance, du vol ? De deux choses, l'une : ou je
n'en perce point le vrai sens et, alors, je vous sup-
plie d'avoir la charité de me le révéler ; ou je la
reçois sans faute, comme elle est donnée ; et dans
ce cas, celte morale étrange me plonge en une stu-
péfaction sans borne.
Or, ce ne sont, là, que les traits les plus saillants.
Je pourrais continuer, et passer en revue presque
— 84 -
tous les versets ; et je n'arrêterais pas d'y relever
des choses malséantes, incohérentes, on ridicules;
Elles y foisonnent, et, dès lors, il est sûr que, vus
au plein jour du libre examen, les Evangiles ces-
sent d'être l'oeuvre radieuse et belle qu'on disait,
et qu'ils se dressent, au contraire, et tout du long;
comme un monument de hâblerie, de superstition
fabuleuse, et, souvent, de scandaleuse et criante in-
justice.
Mais, revenons, Monsieur l'Abbé, n'est-ce pas, à
notre objet principal.
Cette rapide incursion au domaine de la Morale,
n'aura pas été, au surplus, lout-à-fâit stérile. Loin
de là ; elle joindra ses fruits à ceux que j'entends
récolter de ma dissertation essentielle ; elle aidera,
de concert avec le surplus de mon travail, à dissi-
per une erreur qui n'a que trop duré ; elle contri-
buera à rétablir la vérité sur la question de la réelle
nature de Jésus-Christ, purement humaine et im-
parfaite, nullement divine et impeccable dans le
sens adopté par l'Eglise Catholique, Apostolique et
Romaine, avec une constance qui lui valut, dans
le Temps, des faveurs qu'elle aurait dû et pu dédai-
gner, devant les grâces impérissables qui l'atten-
dent dans l'Eternité. Mais, on dit, en Droit, que ce
qui abonde ne vicie pas.

135. — La preuve que Jésus n'avait rencontré, de


la part de Joseph, de Marie, et de ses frères, que des
obstacles et des contrariétés, résulte clairement des
trois premiers Evangiles :
- 85 —

Saint Matthieu. Chap. xn v. 47. et suivants. — Et


quelqu'un lui dit : Voilà, ta mère et tes frères sont
là, dehors, qui demandent à te parler. »
« Mais, il répondit à celui qui lui avait dit cela :
qui est ma mère, et qui sont mes frères ? »
« Et étendant sa main sur ses disciples, il dit :
voici ma mère et mes frères. »
« Car, quiconque fera la volonté de mon Père,
qui est aux cieux. c'est celui-là qui est mon frère et
ma soeur et ma mère. »
Chap. xm, v. 57. — Mais Jésus leur dit : « Un pro-
phète n'est méprisé que dans son pays et dans sa
maison. »
(Idem. Saint Marc ; chap. m ; v. 31 et suivants ;
chap. vi. v. 4 ; Saint Luc ; chap. vin, v. 21 ; chap.
xi, v. 27 et 28.)
Ces résistances, d'ailleurs, étaient des plus natu-
relles, du moment qu'on efface l'Annonciation. La
famille de Jésus ne pouvait, qu'avec regret, voir
celui-ci s'engager dans une voie insolite et dange-
reuse ; elle avait, sans aucun doute, peine à consta-
ter en lui ces tendances révolutionnaires, et ils
auraient, tous, voulu, les parents de Jésus, le rame-
ner au foyer paternel, au modeste labeur de l'ate-
lier, à la sécurité de la vie paisible d'un calme et
bon artisan. Jésus ne céda point, il quitta sa maison,
sa famille, sa mère, ses frères, pour se donner tout
entier à sa mission, à-1'idéedont il sentait en lui
la force et la lumière. Ces humbles gens avaient,
sans le savoir, couvé un aigle I or, sur celui-ci
6
- -86

s'exerça l'irrésistible attirance des cimes et, dût


l'essor lui être funeste, il s'envola vers elles.
Et de ce jour, ce fut une rupture complète entre
lui et les siens. Les passages précités des Evangiles
en rendent témoignage, cette rupture fut si décisive,
et la répugnance des proches de Jésus, à l'endroit
de ses théories subversives et de sa rébellion contre
la religion nationale, s'accentua tellement, qu'à
aucun moment de ses prédications, on ne voit plus
paraître, auprès de lui, ni sa mère Marie, ni ses
frères. Or, cette abstention^ de leur part serait
inconcevable, si Marie avait eu, du Ciel, les commu-
nications dont, au point de départ de la légende, on
•\ hardiment, arboré le prestige merveilleux et
indispensable.
Mais, il y a plus. Ni Marie, ni les frères, ne
surviennent aux heures lamentables de la Passion.
Pour la mère du Christ, — l'Annonciation étant
maintenue — un tel reniement serait monstrueux.
Marie laisse son fils aux insultes de la populace ;
aux outrages de la soldatesque, aux angoisses des
préludes du supplice ! Elle n'est pas là pour verser
dans son coeur et dans son âme, ces souveraines et
incomparables consolations qu'une mère, seule,
peut apporter, et qu'elle aurait faites si efficaces en
lui rappelant son origine ; en agenouillant devant
lui, sa foi, en môme temps que sa tendresse Elle I

n'est pas là, quand les gardes de Pilate le couron-


nent d'épines, le flagellent, le frappent et l'injurient !
Elle n'est pas là, quand il marche, écrasé sous le
poids de sa croix, vers le Golgotha ! Ce n'est pas
elle qui vient essuyer, d'une main pieuse el mater-
— 87 —
nelle, le visage trempé de sueurs et de larmes, du
divin Martyr ; non, c'est une inconnue, c'est une
femme du peuple qui compatit ainsi, aux souffrances
de l'ami des pauvres et des humbles. La mère de
Jésus n'est pas venue soutenir celui-ci dans ces
horribles épreuves. Quoi, elle sait que c'est Dieu,
son fils, qui va mourir pour le salut du monde, et la
mère de Jésus est ailleurs 1! Elle n'est pas auprès de
celui que le Dieu Tout-puissant lui a confié, lui a
donné la gloire d'engendrer et d'allaiter !
Ce n'est pas tout. La sombre colline est gravie;
le bois infâme est placé sur le sol ; Jésus, dépouillé
de ses vêtements, est saisi, ajusté à la croix ; la vue
de son corps amaigri, meurtri, déchiré, apitoie la
foule. Des coups retentissent ; c'est le marteau qui
enfonce, dans les mains et dans les pieds du Sei-
gneur, des clous énormes. Enfin, des cordes se
tendent; la Croix portant Jésus, rayé de sang,
s'élève, retombe dans un trou, se balance, se fixe,
et devient immobile, dressant, sur l'horizon livide,
la pantelante et formidable agonie du Sauveur des
Hommes !
Et, sa mère, Marie, la Vierge que Dieu avait élue,
que l'Ange était venue saluer, en qui le Saint-Esprit
avait apporté, sous la forme d'un doux petit enfant,
le souverain Maître des deux et de la Terre, Marie
n'est pas là!!
Jésus-Christ meurt, abandonné de ses disciples,
abandonné de ses apôtres — abandonné de sa mère !
Ceci est navrant, mais, c'est incontestable.
Sur quatre Evangélistes, trois sont d'accord. Selon
leur récit, la mère de Jésus n'est pas au pied de la
croix.
— 88 —
Evangile selon Saint MaUhieu. Chap. xxvti, u.
55, 56, 61.
« Il y avait aussi, là, plusieurs femmes qui regar-
daient de loin et qui avaient suivi Jésus depuis la
Galilée, en le servant. »
« Entre elles, étaient Marie
Magdelaine et Marie,
mère de Jacques et de Joses, et là mère des fils de
Zôbédée.
« Et Marie Magdelaine, et
l'autre Marie étaient
là, assises vis-à-vis du sépulcre. »
Chap. xxviu, v. 1. — Apres que le sabbat fut
passé, comme le premier jour de la semaine com-
mençait à luire, Marie Magdelaine et l'autre Marie
vinrent pour voir le sépulcre. »
Si cette dernière, mère de Jacques et de Joses,
était la mère du Christ, il faudrait en conclure
d'abord, que la Vierge était multipare et que
mes déductions précédentes, touchant la pluralité
des enfants issus de son union avec Joseph, sont
exactes. Mais, vraiment, est-il permis de croire
qu'un Evangéliste la nommerait au dernier rang,
après Marie Magdelaine, el de cette façon, moins
que respectueuse, l'autre Marie?
Evangile selon Saint-Marc. Chap. xv, v. 40, 47.
c II y avait aussi des Femmes qui regardaient de
loin, entre lesquelles étaient Marie Magdelaine, et
Marie, mère de Jacques le petit et de Joses, et
Salomé.
« Et Marie Magdelaine et Marie, mère de Joseph,
regardaient où on le mettait. »
— 89 —
Voilà qui écarte de nous toute pensée que ce
puisse être la mère du Christ ; car, d'abord, plutôt
que de dire, mère de tel ou de tel, on aurait simple-
ment dit : la mère de Jésus. De plus, cette seconde
Marie devient assez vague ; elle est mère de Jacques,
puis de Jacques le petit, puis de Joseph ; mais, plus
elle est vague et secondaire, et moins on peut la
confondre avec Marie, mère de Jésus.
En outre, le frère de Jésus était nommé Jacques,
et ce Jacques-lc-Petit, doit être noté comme un sur-
nom propre à distinguer deux individus; ce qui,
implicitement, conduit à distinguer aussi les deux
femmes qui sont, respectivement, la mère de l'un,
et la mère de l'autre.
Chap. xvi, v. let suivants.—« Après que le sabbat
fut passé, Marie Magdelaine, Marie mère de Jacques,
et Salomô, achetèrent des drogues aromatiques pour
venir embaumer le corps de Jésus. »
évangile selon Saint Luc. Chap. xxiv, v. 10. —
« C'étaient Marie Magdelaine, Jeanne et Marie,
mère de Jacques, et les autres qui étaient avec elles,
qui dirent ces choses aux Apôtres. »
Un seul Eyangélisté, Saint Jean, prétend le
contraire et signale la présence de Marie, mère de
Jésus, au pied de la Croix.
Saint Jean. Chap. xix, t;. 25, 26 et 27. — « Or, la
mère de Jésus, et la soeur de sa mère Marie, femme
de Cléopas, et Marie Magdelaine, se tenaient près de
sa croix. »
« Jésus, donc,, voyant sa mère, et près d'elle le
— 90 —

disciple qu'il aimait, dit à sa mère : Femme, voilà


ton fils. »
« Puis, il dit au disciple: voilà ta mère; et dès
cette heure-là, ce disciple la prit chez lui. »
Mes observations précédentes prennent, ici, toute
leur force; l'autre Marie, c'est assurément, celle
femme de Cléopas, soeur de la mère de la Vierge, et
par suite, grand'tanledu Chrisl ; car, ici, Saint Jean,
voulant désigner la vraie Marie, prend bien la voie
qui s'impose, et l'appelle carrément, simplement, la
mère de Jésus. Mais, outre que celte scène est des
plus singulières, et des moins compréhensibles,
#.£st-ce que ce récit suffit à anéantir notre thèse ?
Non, certes. Si Marie avait été au pied de la croix,
les trois autres Evangélistes, qui ont bien su nom-
mer les autres saintes femmes, accourues sur le
Golgotha auraient-ils pu oublier de mentionner,
parmi elles, la mère du Sauveur ? Cela est insou-
tenable.
Mais. Alors?? Saint Jean ne dit pas la vérité ?
Il n'y a pas de milieu, en effet, ou il la dit, ou il
ne la dit pas.
Et voici un Evangile entaché de supercherie.
C'est déplorable ; mais, qu'y faire ?
Si Saint Jean dit vrai, il y en a, alors, trois, et non
plus seulement un, qui manquent à la vérité. Ce
serait pire.
Votre option sera promptement faite, Monsieur
l'Abbé, et vous aurez raison.
Car, on a de forts motifs de supposer que le qua-
trième Evangile, celui de Saint Jean, serait une
oeuvre gnostique, parue non en 99, mais plutôt-vers
— 91 -
l'an 110 ou 120, après Jésus Christ et que l'apôtre
Saint Jean n'en serait pas l'auteur! 11 est à peu près
évident que celui qui a écrit ce quatrième Evangile,
si différent des autres, n'était point originaire de la
Palestine, donc, n'était pas Juif. Ainsi, le témoignage
du quatrième Evangile esta supprimer, et seuls, les
trois autres Evangiles doivent être consultés, lors-
qu'il n'y a point concordance entre tous.
Je reprends : Marie n'était pas au pied de la croix,
lorsque son fils y rendit l'âme. Elle ne vint pas davan-
tage au sépulcre s'incliner sur la dépouille san-
glante de la divine Victime, ni lui rendre les funè-
bres devoirs.
Bref, Marie n'a, nulle part, ni par ses paroles, ni
par ses actes, attesté la divinité de son fils, et son
origine céleste.
Je vous laisse, Monsieur l'Abbé, le soin de déci-
der si une telle conduite peut se comprendre avec
le miracle de l'Annonciation et avec le mystère de
l'Incarnation. Pour ma part, cela me semble tout-à-
fait impossible.
III. JÉSUS-CHRIST
136. — Et lui-même, Jésus, a-t-il affirmé sa nature
divine?
On ne peut le soutenir qu'en s'appuyant sur ce qui
suit :
Saint Matthieu ; chap. xxvi. v. 63 et 64. — « Mais
Jésus se tut. Alors le souverain sacrificateur, pre-
nant la parole, lui dit: Je t'adjure, par le Dieu
vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de
Dieu.
- 92 —

« Jésus lui répondit: Tu l'as dit, et môme je vous


dis que vous verrez ci-après le Fils de l'Homme,
assis à la droite dé la puissance de Dieu et venant
sur les nuées du ciel. »
Saint Luc ; chap. xxn, v. 70. — « Alors, ils dirent
tous: Es-tu donc le Fils de Dieu? Et il leur dit :
Vous le dites vous-mêmes, je le suis. »
Or, la réponse de Jésus, dans Saint Matthieu,
n'a rien de décisif, de catégorique, ni de probant.
C'est une sorte de rébus encore, de faux-fuyant.
« Tu l'as dit. » que signifie cela ? Cela peut tout
aussi bien signifier : « Tu dis vrai » ou bien « c'est
iqj qui le dis, et non pas moi. »
Une telle ambiguïté ne peut servir de fondement
ni de preuve à une telle et si colossale chose.
Le récit de Saint Luc semble plus vigoureux, à
première vue. Mais, qu'on lise donc, d'abord, le
verset 69 du même chapitre, et encore et surtout le
o. 67. Et l'on verra si vraiment Jésus s'est donné, non
pour le Fils de Dieu, ce qui après tout, serait rece-
vable, puisque Dieu est le créateur, donc, le père de
toutes les créatures, mais, s'il s'est donné pour le
Fils unique de Dieu, comme l'a osé dire le concile
deNicée.
V. 69. — Désormais, le Fils de l'Homme sera
assis à la droite de la puissance de Dieu. »
V. 67. — Et ils lui dirent : Si lu es le Christ, dis-le
nous. Et il leur répondit, si je vous le dis. vous ne
le croirez point. »
Nulle part, on ne recueillera, de sa bouche, une
pareille parole. Qu'on se reporte au chapitre x de
— 93 —
Saint Jean v 30, 31 etc. et l'on constatera que Jésus,
quant à ce titre, s'exprime en des termes bien peu
faits pour autoriser l'audace avec laquelle les régents
du culte officiel ont soutenu que le fils de Joseph
était l'Incarnation d'une prétendue deuxième per-
sonne divine !

En cent occasions diverses, parlant de lui-même,


il s'est, au contraire, nommé le Fils de l'Homme.
Evangile selon Saint Matthieu : Chap. ix, ». 6 —
« Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme
a l'autorité sur la terre de pardonner les péchés.
Lève-toi, dit-il, alors, au paralytique, charge-toi
de ton lit el t'en va dans ta maison. »
Chap. x. r. 23. « Or, quand ils vous persécuteront
dans une ville, fuyez dans une autre ; je vous dis en
vérité que vous n'aurez pas achevé d'aller par toutes
les villes d'Israël, que le Fils de l'homme ne soit
venu. »
Chap. xi. ». 19. — « Le Fils de l'homme est venu,
mangeant et buvant, et ils disent : voilà un mangeur
et un buveur, un ami des péagers et des gens de
mauvaise vie ; mais la sagesse a été justifiée par ses
enfants. »
Chap. xn, ». 8, 32, 40, 41. — « Car, le Fils de
l'homme est maître, même, du sabbat. »
« Et si quelqu'un a parlé contre le Fils de
l'hom-
me, il pourra lui être pardonné ; mais celui qui aura
parlé contre le Saint-Esprit n'en obtiendra le pardon,
ni dans ce siècle, ni dans celui qui est à venir. »
Si le Christ avait été le Fils unique de Dieu,
— 94 —
aurait-il ainsi parlé ? aurait-il mis au-dessus de lui,
le Saint-Esprit, et jugé plus irréparables les offenses
à l'adresse de celui-ci, que celles qui l'auraient, lui-
même, atteint ? Incidemment, en observant la théorie
chrétienne, sur la Trinité divine, est-il bien logique
de ne prêter à Dieu qu'un Fils unique, alors que, du
Père et du Fils, procède, en dernier ressort, le
Saint-Esprit, lequel, devient, ainsi, fils du fils, et
deuxième fils du Père ? quelle puérilité au fond de
cetle doctrine, si longtemps acceptée comme venue
du ciel ! Car, si un fait un ; un et un font deux, au
ciel, comme sur la terre.
« Car, comme Jouas fut
dans le ventre d'un grand
poisson, trois jours et trois nuits, ainsi, le Fils de
l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et
trois nuits.
« Les Ninivites s'élèveront au jour
du jugement
contre cetle nation et la condamneront, parce qu'ils
s'amendèrent à la prédication de Jonas ; et, il y a, ici,
plus que Jonas. »
Chap. xvi, v. 13,27, 28. — « Et Jésus, étant arrivé
dans le territoire de Césarée de Philippe, demanda
à ses disciples : qui disent les hommes que je suis,
moi, le Fils de l'homme ? »
« Car, le Fils de l'homme doit venir dans
la gloire
de son Père, avec ses anges, et, alors, il rendra à
chacun selon ses oeuvres. »
« Je vous dis en vérité qu'il y a quelques-uns de
ceux qui sont ici présents qui ne mourront point
qu'ils n'aient vu le Fils de l'homme venir en son
règne. »
— 95 —
Chap. xvn ; ». 9, 12, 22. — « Et comme ils descen-
daient de la montagne, Jésus leur fit celte défense :
Ne dites à personne ce que vous avez vu, jusqu'à ce
que le Fils de l'homme soit ressuscité des morts. »
« Mais, je vous dis qu'Elieest déjà venu, et ils ne
l'ont point reconnu, mais, ils lui ont fait tout ce
qu'ils ont voulu ; c'est ainsi aussi qu'ils feront
souffrir le Fils de l'homme. »
« Et comme
ils étaient dans la Galilée, Jésus leur
dit : Le Fils de l'homme doit être livré entre les
mains des hommes. »
Chap. xviu, ». 11. — « Car le Fils de l'homme est
venu pour sauver ce qui était perdu. »
Chap. xix, ». 28. — « Et Jésus leur dit: Je vous
dis en vérité, à vous qui m'avez suivi, que lorsque
le Fils de l'homme sera assis sur le trône de sa
gloire, dans le renouvellement qui doit arriver,
vous aussi serez assis sur douze trônes, jugeant
les douze tribus d'Israël. »
Chap. xx, v. 18, 28. « Nous montons à Jôrusahm,
et le Fils de l'homme sera livré aux principaux
sacrificateurs et aux scribes, et ils le condamneront
à la mort. »
« Comme le Fils de l'homme est venu, non pour
être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la
rançon de plusieurs. »
Chap. xxiv, ». 30 et suivants. — « Alors, le signe
du Fils de l'homme paraîtra dans le Ciel ; alors,
aussi, toutes les tribus de la terre se lamenteront,
en se frappant la poitrine, et elles verront le Fils de
— 96 -
l'homme venir sur les nuées du ciel, avec une
grande puissance et une grande gloire. »
« Vous aussi quand vous verrez toutes ces choses,
sachez que le Fils de l'homme est proche et à
la porte. »
« C'est pourquoi vous aussi tenez-vous prêts;
car, le Fils de l'homme viendra à l'heure que vous
ne penserez pas. »
Chap. xxi, v. 2. — « Vous savez que la Pàque se
tera dans deux jours et que le Fils de l'homme sera
livré pour être crucifié. »
(Voir dans le même sens : Evangile selon Saint
Marc : chap. H, ». 28 ; chap. vin, ». 38 ; chap. ix,
v. 31 ; chap. x, », 33 et 45 ; chap. xiv, ». 21. — Idem
Ev. Saint Luc : chap. vi, ». 5 ; chap. vu, ». 34 ;
chap. ix, ». 22 ; 26 ; 44 ; 56 ; chap. xn, v. 8 et 10 ;
chap. xxn, ». 22.)
Quant à la qualité de Père donnée à Dieu, Jésus
l'emploie à tout instant, qu'il parle à ses disciples
et d'eux, ou qu'il parle de soi-même. Pour lui, Dieu
est le Père, le Père au regard de chacun, le père
commun et suprême.
Evangile selon Saint Matthieu. — Chap. v, ». 16 ;
45; 48. — « Que votre lumière luise ainsi devant les
hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et
qu'ils glorifient votre père qui est dans les cieux. »
« Afin que vous soyez enfants de votre Père qui
est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les
méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les
justes et sur les injustes. »
— 97 -
« Soyez donc parfaits comme Votre Père, qui est
dans les cieux, est parfait. »
Chap. vi, ». 1, 4, 6, 8, 9, 14, 18, 26, 32. — « Pre-
nez garde de ne pas fai.*e votre aumône devant les.
hommes afin d'en être vus; autrement, vous n'en
aurez point de récompense de Votre Père qui est
aux cieux. »
« Afin que ton aumône se fasse en secret, et ton
Père qui te voit dans le secret, te le rendra publi-
quement. »
« Mais toi, quand tu pries, entre dans ton cabinet,
et ayant fermé la porte, prie ton Père qui est dans,
ce lieu secret ; et ton Père qui te voit dans le secret,
te le rendra publiquement. »
« Ne leur ressemblez donc pas ; car votre Père
sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui
demandiez. »
« Vous, donc, priez ainsi: Notre Père qui es aux
cieux ; ton nom soit sanctifié. »
« Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses,.
Votre Père céleste vous pardonnera aussi les
vôtres. »
«
Afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que tu
jeûnes, mais seulement à Ton Père qui est en secret ;,
et ton Père qui te voit dans le secret, te récompen-
sera publiquement. »
« Regardez les oiseaux de l'air ; car ils ne sèment,
ni ne moissonnent, ni n'amassent rien dans des,
greniers, el Votre Père céleste les nourrit. »
« Car ce sont les païens qui recherchent toutes ces.
choses, et Votre Père céleste sait que vous avez,
besoin de toutes ces choses-là. »
— 98 -
Chap. vu, ». 11, 21. — « Si donc vous, qui êtes
mauvais, savez bien donner à vos enfants de bonnes
choses, combien plus votre Père qui est dans les
cieux donnera-t-il des biens à ceux qui les lui
demandent »
« Tous ceux qui médisent: Seigneur, Seigneur,
n'entreront pas tous -au royaume des cieux ; mais
celui-là seulement qui fait la volonté de mon Père,
qui est dans les cieux. »
Chap. x, ». 20, 29, 32, 33. — « Car, ce n'est pas
vous qui parlerez, mais c'est k'esprit de votre Père
qui parlera par vous. »
« Deux passereaux ne se
vendent-ils pas une pite ?
Et néanmoins, il n'en tombera pas un seulà terre,
sans la permission de votre Père. »
« Quiconque donc me confessera
devant les hom-
mes, je le confesserai aussi devant mon Père, qui est
aux cieux.
« Mais, quiconque me reniera devant les hommes,
je le renierai aussi devant mon Père, qui est aux
cieux. »
Chap. xi, u. 25 26, et 27. — « En ce temps-là,
Jésus, prenant la parole, dit : Je te loue, ô Père,
Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as
caché ces choses aux sages et aux intelligents, et
que tu les as révélées aux enfants. »
« Oui, mon Père, cela est ainsi parce que tu l'as
trouvé bon. »
« Toutes choses m'ont été données par mon Père,
et nul ne connaît le Fils que le Père, et nul ne con-
naît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils aura
voulu le faire connaître. »
- 99 —

Chap. xu. ». 50. — « Car, quiconque fera la vo-


lonté de mon Père, qui est aux cieux, c'est celui-là
qui est mon frère, et ma soeur, et ma mère. »
Jésus l'emploie, ce mot de Père môme quand il
parle à la foule.
V° Saint Matthieu, chap. vu, ». 28.
Saint Marc, chap. xi, ». 25 et 26.
Saint Luc, chap. vi, ». 30. — « Soyez donc misé-
ricordieux comme aussi votre Père est miséricor-
dieux. »
Chap. xi, ». 2 ; — « Et li leur dit : quand vous
priez, dites : Notre Père qui es aux cieux, ton nom
soit sanctifié ; ton règne vienne, ta volonté soit faite
sur la terre comme au ciel. »
C'est que, pour Jésus Christ, Dieu est le Père
universel, et qu'ainsi tous les êtres humains sont
ses enfants, tous frères entre eux.
Aussi, quand Jésus parle à des inconnus, gens de
rencontre, leur donne-t-il volontiers, sans hésiter,
des titres exprimant des relations de famille ; il dit :
Mon fils et ma fille. C'est la même facilité que celle
avec laquelle on le voit se servir du mot Père, en-
vers Dieu.
Ev. selon Saint Marc :
Chap. n. ». 5. — « Alors, Jésus, voyant leur foi,
dit au paralytique : Mon fils, tes péchés te sont
pardonnes. »
Saint Luc. chap. vin, ». 54. — « Mais, les ayant
tous fait sortir, il la prit par la main, et il cria :
Ma fille, lève-toi. »
— 100 —

D'où, il faut conclure que si l'appellation de Fils


et de Fille, appliquée aux passants, n'est qu'une
expression d'affection générale et n'emporte aucune
conséquence, il en est de même en ce qui concerne
le titre de Père, appliqué à Dieu.
Le titre de Fils de Dieu, Jésus ne se l'est donc
point décerné. Quand il lui fut donné, ce fut par
des étrangers, des malades ; assez souvent, par des
déments et des épilepliques, ou démoniaques.
Evangile selon Saint Matthieu. — Voyez chap.
xix, ». 33; ch. xvi, ». 16, 20, ; ch. xxvn, v. 54 ;
Evang. Saint Marc; chap. i, ». 1,24; chap. m, y.
11 et 12; chap. v, u. 7 et 34.
Saint Luc, chap. i. ». 32, 35.
« Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut,
et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David,
son père. »
Abondance de pères ne nuit pas !
« Et l'Ange lui répondit : Le Saint-Esprit sur-
viendra en toi, et la vertu du Tr^s-Haut te couvrira
de son ombre ; c'est pourquoi aussi le saint enfant
qui naîtra de toi sera appelé le Fils de Dieu. »
Chap. iv, ». 41. — « Les démons sortaient aussi
du corps de plusieurs, criant: Tu es le Christ, le
Fils de Dieu ; mais, il les censurait et il ne leur per-
mettait pas de dire qu'ils sussent qu'il était le
Christ.- »
Chap. vin, y. 28. — « Dès qu'il vit Jésus, il fit un
grand cri, et se jetant à ses pieds, il dit à haute
voix : Qu'y a-t-il entre toi et moi, Jésus, Fils du
— 101 —
Dieu Très-Haut ? Je te prie, ne me tourmente point. »
Chap. ix, ». 20 et 21.
« Et vous leur dit-il, qui dites-vous que je suis?
Et Pierre répondit : Tu es le Christ de Dieu. »
« Et il leur défendit avec menaces de le dire à
personne. »
Chap. XXII, ». 67. — • Et ils lui dirent : Si tu es
le Christ, dis-le nous. Et il leur répondit : si je vous
le dis, vous ne le croirez point. »
Chap. XXIII, u. 17. — « Le centenier, voyant ce
qui était arrivé, donna gloire à Dieu et dit : Certai-
nement, cet homme était juste. »
(V° encore Evang. selon Saint Jean ; chap. x. ».
31 et suiv.)
Le litre de Fils unique de Dieu ne lui est appli-
qué, avant le Concile de Nicée, que par Saint Jean
(chap. m u. 16, 17, 18 ; chap. iv, ». 26, 42; chap
vi, ». 38, 44, etc.). Mais, nous avons vu les réser-
ves qu'il faut faire sur la sincérité et sur l'histori-
cité de ce quatrième Evangile.
Or, qui plus est, on y voit que Dieu est Esprit,
n'est que Pur Esprit ! Voilà qui n'est pas fait pour
faire voir en Jésus-Christ, qui est corporel et maté-
riel, le fils unique de Dieu, lequel n'est que pur
esprit.
Je sais bien tout ce que l'on a dit, ensuite, à l'en-
droit des âmes, des essences, etc., bref, de la dua-
lité de l'incarnation. Mais, sans reprendre, ici, ce
débat, effleuré au commencement du présent livre,
je vous laisse, Monsieur l'Abbé, devant toutes ces
constatations, (»° Saint Jean, chap. iv, ». 21, 23,
24.) et j'apporte un dernier et définitif argument.
7
— '102 —
Jjsus-Christ, loin de se confondre avec Dieu, s'est,
en toutes les circonstances qui se sont offertes à
lui, constamment, honnêtement, et énergiquement,
soustrait à une pareille outrecuidance. Voyez, en
effet :
Saint Matthieu. — Chap. xx, u. 23. — « Et il leur
dit : Il est vrai que vous boirez ma coupe et que
vous serez baptisés du même baptême dont je serai
baptisé ; mais, d'être assis à ma droite, ou à 'ma
gauche, ce n'est pas à moi de l'accorder ; cela ne
sera donné qu'à ceux à qui mon Père l'a destiné. »
Chap. xxvi, ». 39, 42, 53.
> « Et étant allé un peu plus avant, il se jeta le vi-
sage contre terre, priant et disant : Mon Père, que
cette coupe passe loin de moi, s'il est possible ; tou-
tefois, qu'il en soit, non comme je le voudrais, mais
comme tu le veux. »
« Il s'en alla encore, pour la seconde fois, et
pria, disant: Mon Père, s'il n'est pas possible que
cette coupe passe loin de moi, sans que je la boive,
que la volonté soit faite. »
« Penses-tu que je ne pusse pas, maintenant prier
mon Père, qui me donnerait aussitôt plus de douze
légions d'anges »
Chap. xxvn, ». 46. — « Et, environ la neuvième
heure, Jésus s'écria à haute voix, disant : Eli, Eli,
làmma sabachthani ? c'est-à-dire : Mon Dieu, Mon
Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? »
Saint Marc, chap. x, u. 18 et 40. — « Mais Jésus
lui répondit : Pourquoi m'appelles-tu bon ? Il n'y a
qu'un seul bon, c'est Dieu. » (sic)
— 103 —

« Mais, d'être assis à ma droite ou à ma gauche, '


ce n'est pas à moi de l'accorder ; cela ne sera donné
qu'à ceux à qui il est destiné. »
Chap. xiv, y. 36. — « Et il disait : Mon Père,
toutes choses te sont possibles : détourne cette
coupe de moi ; toutefois, qu'il en soit, non ce que
je voudrais, mais ce que tu veux. »
Chap. xv, ». 34, etc.
Saint Luc, chap. x, ». 21 et 22.
Chap. xviu, u. 19. — « Jésus lui dit : Pourquoi
m'appelles-tu bon? il n'y a qu'un seul bon, c'est
Dieu. » (sic.)
Ce verset, à lui seul, ne termine-t-il pas toute
discussion ?
Chap. xxn, ». 42. — « En disant : Mon Père, si
tu voulais éloigner cette coupe de moi ! Toutefois,
que ma volonté ne se fasse pas, mais la Tienne. »
Chap. XXIII, ». 46. — « Alors, Jésus, criant à
haute voix, dit : Mon Père, je remets mon esprit
entre tes mains. Et ayant dit cela, il expira. »
Enfin, quand on lui prête cette réponse : Tu l'as
dit, en ce qui est du titre de Fils de Dieu, on lui
prête, aussi, semblable réponse en ce qui est du
titre de Roi des Juifs. Et ici, en principe, je le de-
mande, ce que Jésus a dit, qui donc, l'a répété aux
Evangélistes ?
Saint Matthieu, chap. xxvn, ». 11. — « Or, Jésus
parut devant le Gouverneur, et le Gouverneur l'in-
terrogea, disant : Es-tu le roi des Juifs ? Et Jésus
lui dit : Tu le dis. »
- 104 —

Saint Marc, chap. xv, ». 2. — « Et Pilate l'in-


terrogea et lui dit : Es-tu le roi des Juifs ? Jésus lui
répondit : Tu le dis. »
Saint Luc, chap. xxm, u. 3. — « Alors, Pilate
l'interrogea, et lui dit : 'Es-tu le roi des Juifs ? Et
Jésus lui répondit : Tu le dis. »
Or, Jésus était-il le Roi des Juifs?
Non.
Si donc, sa réponse, à cet égard, est semblable à
celle qui concerne le titre de Fils de Dieu, il faut
que les deux faits s'équivalent, qu'ils aient même
consistance, ou même inconsistance.
Jésus-Christ n'était pas plus le Fils de Dieu, qu'il
n'était le Roi des Juifs ; ou s'il était le Fils de Dieu,
'Il était aussi le Roi des Juifs. C'est un dilemme in-
franchissable. Les deux titres survivent et s'affir-
ment ensemble, ou tombent à la fois.
En d'autres termes, si les Evangiles sont des
récits sacrés, par conséquent, sérieux ; s'ils forment
des preuves littérales, il faut les envisager dans
leur texte, étroitement, et les prendre au pied de la
lettre. Alors, de deux choses, l'une :.
La formule équivoque dont s'est servi Jésus, est
affirmative, ou négative.
1° Elle ne peut pas être affirmative. Ce serait, à
l'égard du titre de : Roi des Juifs, imputer au Christ
une effronterie contre laquelle toute la belle sincé-
rité modeste de sa vie proteste et s'élève. D'où,
tenue pour affirmative, cette réponse est indiscu-
tablement fausse sur un point, et, ainsi, ne peut
rien valoir sur l'autre ; elle est inexacte et contraire
à la vérité ; donc, non recevable.
— 105 -
2° Prise dans le sens de la négative, elle a, au
contraire, pleine valeur. Elle dément, honnêtement,
le double titre de : Fils de Dieu et de Roi des Juifs.
Et ceci s'accorde avec toute l'existence de Jésus,
qui avait pitié des chimériques espoirs de ses dis-
ciples, quand il les voyait attendre bassement la
restauration du Royaume temporel d'Israël et l'ap-
parition d'un vrai Roi conquérant, qui eût refoulé
les Romains et relevé le trône de Salomon Donc,
1

la réponse de Jésus avait, pour l'un et l'autre cas,


un sens négatif.
Mais, alors, voici, encore, un Evangile, le troi-
sième, convaincu de mensonge, ou" d'erreur.
Saint Luc, chap. xxn, ». 70. — « Alors, ils di-
rent tous : Es-tu donc le Fils de Dieu? Et il leur
dit : Vous le dites vous-mêmes ; je le suis. »
Je le regrette ; mais je n'y peux rien.
Ah ! la pensée rêveuse et profonde de Jésus était
bien au-delà de ces orgueils, vils et grossiers de la
Terre. « Mon royaume n'est pas de ce Monde. »
Elle planait dans une région pure, dans une limpide
spiritualité, où tout s'harmonise et se confond, où
il n'y a ni roi, ni sujet, ni sceptre, ni couronne, où
Dieu, seul, est; engendrant tout, et contenant tout.
Jésus-Christ, l'ennemi des théocraties, des rituels,
des fades cérémonies, des hypocrisies, des turpitu-
des cléricales, ne saurait contenir son indignation,
s'il voyait aujourd'hui l'ambition cupide et l'autorité
despotique qu'on a osé asseoir sur les blanches
dalles de son sépulcre.
Saint Luc ne dit pas vrai.
— 106 —

Pour soutenir qu'en la bouche de Jésus, la for-


mule : « tu l'as dit » n'est pas équivoque, mais for-
mellement affirmative, on m'opposera la trahison
de Judas :
Evangile selon Saint Matthieu, chap. xxvi. ». 14,
15, 16.
V. 14. — « Alors l'un des douze, appelé Judas
Iscariot, s'en alla vers les principaux sacrificateurs »
« Et
leur dit : que voulez-vous me donner ? et' je
vous le livrerai. Et ils convinrent de lui donner
trente pièces d'argent »
« Et, depuis ce temps-là, il cherchait une occasion
propre pour le livrer »
'v. V. 21 et suivants même chapitre, môme Evan-
gile :
« Et comme ils mangeaient, il dit: Je vous dis
en vérité que l'un de vous me trahira. »
« Et, Judas, qui le trahissait, répondit : Maître,
est-ce moi? Jésus lui dit ; tu l'as dit. »
Or, la trahison de Judas était consommée dès le
marché conclu avec les sacrificateurs; elle est
donc antérieure au fameux repas, à la Pàque, où se
place l'incident relaté dans les u. 21 et suivants.
Dès lors, il est insoutenable que Judas ail eu
l'audace d'interroger Jésus, et celui-ci : ou la
cruauté de lui jeter son infamie à la face — ou que
lui el les autres n'aient pas eu l'énergie de pousser
sur le champ Judas dehors. Un traître baisse les
yeux, ne dit mot, et n'a pas ni la sottise, ni l'effron-
terie, d'attirer l'attention sur soi et de se mettre en
évidence.
— J07 —
Donc, question et réponse, je tiens le tout, pour
imaginaire et chimérique : d'autant plus que :
Saint Marc ne les mentionne nullement (Chap.
xiv, u. 17 et suivants .
Saint Luc, non plus (chap. xxu, ». 21 et suivants).
Quant à Saint Jean, comme toujours, il raconte
la chose d'une façon toute différente. (Chap. xm, ».
21 et suivants).
Remarquez, en outre, qu'on ne comprend rien à
l'action, rien à la trahison de Judas.
Jésus-Christ était connu de tous, des sacrifica-
teurs, des prêtres, des docteurs de la loi, des mem-
bres du Sanhédrin, du Peuple de Jérusalem tout
entier. Sa vie avait été publique. (Saint Luc; chap.
xxu, ». 53). Ce n'était pas un conspirateur téné-
breux, tapi dans le secret et l'ombre des lieux ca-
chés ; c'était un hardi el franc prédicateur de plein
jour. Alors? en quoi était-il nécessaire qu'un traî-
tre se trouvât pour le dénoncer, pour le vendre,
pour le livrer?
Judas n'avait pas à révéler la doctrine, ni les
théories, ni la retraite, ni la figure et la personne
de Jésus ; tout cela était archi-noloire. Alors, en-
core une fois, à quoi pouvait bien se réduire son
forfait ? Livre-t-on quelqu'un qui va et vient par les
chemins? qui est tous les jours dans les jambes de
ses propres adversaires ? qui les provoque sans
cesse ? (Saint Luc chap/xxi, ». 37.)
Aussi, à quoi peut bien rimer le verset 48, même
chapitre de Saint Matthieu?
a Et celui qui le trahissait leur avait donné ce
108 —

signal : celui que je baiserai, c'est lui ; saisissez-
le. »
Encore une fois, tout le monde connaissait Jésus,
et ceux de la synagogue, mieux que personne.
D'où, cette mise en scène à la Ponson du Terrail,
est contre tout bon sens ; et je n'y crois pas. Judas
est un personnage, à effet, de mélodrame; mais,
le livret est écrit sans art, et la situation n'est pas
justifiée ; on s'y reprendra et, j'estime pouvoir le
prédire, le dernier refuge de la Légende sera sur
les tréteaux du Théâtre.

137. — Je veux, Monsieur l'Abbé, vous soumettre


<v
une dernière réflexion. Je le ferai, sans citer des
distances, des poids, des vouimes, des densités, des
vitesses de rotation et de translation, tous détails
cosmologiques assurément superflus, devant un
homme de votre éducation.
Pas davantage, je ne m'engagerai dans l'exposé,
môme succinct, de mes conceptions finales sur
l'universel Mystère, que je publierai et ferai, pro-
chainement, connaître. Elles seraient, cependant,
pour couper court au débat ; mais, je préfère vous
en ménager la surprise et, provisoirement, ne point
sortir du cercle des théories acceptées.
Et je me maintiendrai, en outre, dans les bornes
que prescrivent à ma prudence l'Hypothèse cosmo-
gonique de M. Faye et l'opinion émise par lui que
notre petit groupe solaire n'appartiendrait pas,
comme les autres formations de l'infini, à un type
fréquemment réalisé dans l'univers; qu'il serait au
— 109 -
contraire un cas très particulier. Cela veut dire qu'à
l'estime de M. Faye les étoiles, en général, seraient
dépourvues de système planétaire, et que notre so-
leil, seul, aurait un cortège d'astres.
Celte vue n'est point pour me déplaire, car je
crois fortement que Dieu n'a jamais reproduit deux
choses pareilles et que sa divine fécondité a tou-
jours créé du nouveau, et de l'inédit. Mais, il y
aurait incidemment, à objecter, peut-être, à M. Faye
qu'il n'est pas démontré que les Etoiles soient si
étrangères que cela à la Nébuleuse initiale dont le
soleil est le noyau, progressivement dégagé.
Quoi qu'il en soit; en admettant que les autres
soleils ou étoiles ne s'accompagnent d'aucun satel-
lite, il ne nous en reste pas moins les centaines de
planètes qui composent la royale suite du nôtre, et
c'est à leur sujet que je veux ici philosopher.
Si nous considérons ces mondes solaires, nous
constatons que la Terre y occupe un rang infime ;
qu'elle ne se distingue point des autres globes ;
qu'elle n'offre aucune particularité qui lui permette
de prétendre à un privilège quelconque ; au con-
traire!

Cela étant, ou vous soutiendrez que, cependant,


la Terre est seule habitable, et habitée ; ou vous
admettrez que la vie est universelle, s'étend au
groupe solaire tout entier, et qu'ainsi tous les glo-
bes sont habitables et habités.
Dans le premier cas, vous affirmerez, implicite-
ment, que le Créateur a fait tous les autres astres
pour notre unique satisfaction. Mais, comme en
dehors de la Lune et du Soleil, tout le reste ne
— 110 —

nous sert à rien, voici Dieu convaincu d'avoir fait


des choses, une infinité de choses, inutiles, pure-
ment voluptuaires ! C'est une thèse enfantine et
irrespectueuse.
Il faut, en outre, réfléchir qu'antérieurement
à l'Homme, la Terre existait et que, avant que la
Terre existât, les étoiles et les gros globes exté-
rieurs peuplaient l'Espace. Il est, dès lors, visible
qu'on ne peut pas dire que le Ciel astronomique
n'a été fait que pour les chélifs habitants du globe
terrestre.
Et, si, néanmoins, il vous plaisait de persister
dans cette croyance et de nous engager à la par-
Mager, il vous faudrait, pour le moins, nous démon-
trer que l'Homme, à qui vous faites l'honneur de cet
exorbitant et magnifique monopole, a. sur la Terre
même, une situation si pleinement favorisée, qu'on
en peut tirer l'induction que vous souhaitez.
Mais, hélas, non ; ici-bas, dans sa propre de-
meure, l'Homme est traité rigoureusement, la Na-
ture agit envers lui en marâtre ; elle ne lui donne
aucune chose gratuitement ; elle fournit aux ani-
maux l'habit, la nourriture, souvent l'abri, et ne
leur réclame rien en retour. Mais elle n.», pour
l'Homme, que des malveillances et des duretés ;
non-seulement, elle ne lui prêle aucune complai-
sante assistance, mais, en outre, elle multiplie au-
tour de lui les difficultés, et semble prendre plaisir
à contrarier ses efforts, à démentir ses labeurs et
ses espoirs !
Pensez-vous, Monsieur l'Abbé, que devant un tel
et si immédiat spectacle, il soit encore permis d'in-
— 111 —
férer que tout l'univers n'a été fait que pour l'en-
chantement de ce paria, saturé de tristesse et
chargé de maux ?
Reste l'autre cas : la pluralité des mondes habités.
Celte hypothèse, vous le savez, a recueilli l'as-
.

sentiment de la plupart des philosophes passés et


présents. L'Eglise presque seule, est réfractaire ;
mais, il ne faut pas être grand clerc pour démêler
les motifs de sa résistance. Il ne servirait à rien
d'objecter que la composition des autres globes so-
laires, les différences de pression et de tempéra-
ture, l'absence: ou d'atmosphère, ou de liquides,
etc., sont autant de raisons qui s'opposent à ce qu'il
puisse s'y trouver des Hommes vivants. On répon-
drait qu'il est, en ceci, une faute qu'il convient
d'éviter : celle de toujours parler d'Humanités, à
propos de ces mondes lointains, et d'y vouloir des.
habitants et des êtres pareils aux hommes, animaux,
et végétaux, que nous observons autour de nous.
Je le répète, Dieu n'est point si à court d'idées
qu'il n'ait pu varier aisément ses oeuvres; il a dû,
au contraire, jeter constamment, et à pleines mains,
de l'original.
L'Homme se dit le Roi de la Création. Hélas,
c'est une vanité insensé; ! Nous avons poussé cette
manie si loin, que nous n'en avons point fait grâce
à Dieu, et que, lui-même, nous l'avons, fait à notre
image. N us anthropomorphisons tout ce que nous,
imaginons. Or, il faut, en concédant aux autres
globes solaires, la possibilité d'avoir des habitants,
allouer à ceux-ci le droit et la faculté de ne nous-
ressembler en rien.
— 112 —
Qui plus est, il est rationnel et scientifique de
-croire que les temps à venir verront, ici-bas, des
êtres qui seront supérieurs à l'Homme, dans la
même proportion que lui-même est, aujourd'hui,
élevé au dessus des échinodermes, des polypes, des
pro'/'ïoaires, etc.
Contrairement à ce qu'il vous a paru bon de dire,
Dieu n'a pas fini, n'aura jamais fini de créer ; il ne
se repose pas et ne se reposera jamais. Comment
l'Activité infinie pourrait-elle devenir l'éternelle
Oisiveté ?
Parvenus à l'Homme, vous avez cru que vous
~é\\ez devant le dernier mot de Dieu, devant son
objet définitif, devant son chef-d'oeuvre ! C'était trop
•limiter, Monsieur, la Puissance divine et faire in-
jure au goût du Très-Haut. Il y aura mieux, soyez-
en sûr! L'Homme, c'est le premier et le plus bas
échelon de la série qui fait apparaître la Raison sur
terre, et la Parole, et la Conscience. La série débute
par lui, mais le commencement n'est point le terme.
En-deçà de la série, il y a tout ce que vous montre
-l'Histoire Naturelle ; au-delà, il y a l'Infini et tout
ce que renferme la puissance sans borne et éternel-
lement active de Dieu.
Maintenant, si les autres globes, sont, comme le
nôtre, habitables et habités, voici, Monsieur l'Abbé,
•le dilemme où, à l'instar d'un célèbre politicien, je
suis obligé de vous enfermer :
Le fils unique de Dieu est-il allé, partout, opérer
le rachat des créatures ?
Ou n'est-il venu que sur Terre, pour ne sauver
>que les Hommes?
— 113 -
Et cette tentative de rénovation Morale, combien*
elle fut inefficace? Ecoutez un poëte :

Toi dont la face pâle el toute renversée,


Trahit èperdument les horribles douleurs,
Toi dont les yeux baignés par le sang et les pleurs
Reflètent une amère et poignante pensée ;

Toi qui demeures seul sous ce grand ciel plombé,


Que semble interroger ton désespoir suprême,
Toi qu'une âpre agonie a, déjà, rendu blême,
Du haut di quel beau rêve, ô Christ, es-tu tombé ?

Sens-tu, soudainement, que ton Père Céleste


N'était rien qu'un fantôme èclos dans ton amour
Et qu'à ton héroïsme impeccable, il ne reste
Que la Nuit sans aurore et la mort sans retour 1

Tedis-tu que les Cieux n'ont jamais eu de maître,


Que l'âme n'est qu'un souffle et que ton oeuvre est vain,.
Que ton esprit mortel, tout prêt à disparaître,
Par ses illusions, seulement, fut divin ?
Vois-tu l'impérissable et fatale injustice
Te survivre en riant de tes accents sacrés,
lit l'innombrable essaim des maux invétérés,
Pulluler après toi, malgré ton beau supplice ?

Oui, les maux pullulèrent après^lui, et, de plus,


c'est à partir de Jésus-Christ que le sang va couler-
à flots pour la seule cause religieuse.
Vous essaierez, peut-être, d'échapper à l'embar-
ras que vous cause ma question, en disant qu'à,
— 114 -
l'extrême, si l'habitabilité des autres globes est inévi-
table, il se pourrait qu'ils fussent les séjours, outre-
tombe, des âmes humaines ; mais, là, vous
tomberiez dans une doctrine de métamorphoses
successives et de transmigrations qui n'aurait pas,
tout à-fait, odeur d'orthodoxie.
Revenons donc à notre point.
Vous verrai-je, Monsieur l'Abbé, au risque d'un
conflit avec la logique, prétendre que le Fils unique
de Dieu n'est venu que sur la Terre ; qu'il a dédai-
gné les autres inondes, pour descendre sur celui-ci :
petit, minuscule, insignifiant, s'y faire crucifier, et,
élifin et par ce moyen, apaiser le courroux inextin-
guible de son terrible Père? Ne sentez vous pas,
Monsieur l'Abbé, le courage vous manquer devant
une pareille version : que Dieu, l'Eternel Tout-
Puissant, aurait ressenti comme un inexpiable ou-
trage la prétendue désobéissance de deux êtres,
auxquels en tenant compte des proportions, selon
la masse des astres, on ne saurait assigner une di-
mension perceptible dans le regard du Très-Haut ?
Qu'il n'y aurait eu, ensuite, qu'une seule façon de
sortir celui-ci de son incessante fureur et de son
ressentiment, à savoir : que son fils unique et bien-
aimé; se dévouât, qu'il vînt, ici-bas, revêtir l'igno-
minie de la chair, et fût traîné au supplice, par
une multitude bestiale et ignoble ?
Vraiment, Monsieur l'Abbé, j'y verrais, pour mon
compte, d'étranges choses : notamment, qu'une
vétille aurait suffi pour jeter Dieu le Père, dans les
pires excès de la rancune, et presque empoisonner
son existence ; tant, il ne parvenait pas à digérer
— 115 —
son dépit; à décolérer; et. que, ce qui le calma,
m'eût porté, moi, si j'avais été à sa place, au com-
ble de l'exaspération.
Comment il envoie son fils, Dieu comme lui,
!

donner de bons conseils et de bons exemples à ces


misérables, et ils le lui clouent sur un gibet, entre
deux voleurs Et Dieu, aussitôt, déclare que rien
!

ne pouvait lui ôtre plus agréable ; que désormais,


son indulgence est acquise à la race humaine !
Quel peu de miséricorde et d'indulgence au re-
gard d'une vénielle désobéissance ; quelle extraor-
dinaire longanimité à l'endroit d'un crime !

Avouez, Monsieur l'Abbé, que c'est déconcertant!


11 paraîtrait bien plus raisonnable que Dieu eût,
autrefois, pardonné à Adam et Eve, d'avoir croqué
une pauvre pomme en cachette, et. plus tard, fou-
droyé, brûlé calciné, réduit en cendres, la Terre et
ses vauriens d'habitants, au moment où ils tortu-
raient son divin Fils! C'est à n'y rien comprendre,
autrement.
Heureusement, et grâce au christianisme, la ta-
che originelle ne tient plus beaucoup à l'étoffe de
notre âme. Il faut s'applaudir d'un si magnifique
résultat, car, ce qui, autrefois, exigea l'incarnation
et la mort d'un Dieu, ne réclame plus, aujourd'hui,
qu'un peu de sel sur le coin de la bouche, un peu
d'eau sur le sommet du crâne, et une pièce de vingt
francs au fond d'une boite de dragées.
Mais, voyons la deuxième supposition.
Tous les globes sont habités, et par des créatures
nécessairement imparfaites, puisque créatures. Le
Fils unique de Dieu est-il donc obligé de les par-
— 116 —
courir, les uns après les autres, et de passer son
temps à aller, partout, se faire pendre, écarteler,
crucifier, décapiter, brûler, étrangler, ou empaler,
selon les lieux el les usages? S'il en est ainsi, son
sort est triste et lamentable, et je gage qu'il aurait
préféré que son terrible Père ne créât rien, ou bien
qu'il s'efforçât, peu à peu, à plus de vertu, à plus
de patience, à plus de mansuétude, à moins d'irri-
tabilité et de susceptibilité ! Les créatures sont des
créatures, après tout; il faut bien leur en passer ;
d'autant qu'on lésa soi-même,façonnées de la sorte,
et c'est une exigence folle, tout compte fait, que do
les vouloir aussi parfaites que des divinités, qui ne
seraient ni coléreuses, ni vindicatives !
i.l-nsieur l'Abbé, j'ai grand-peine à tenir, plus
longtemps, mon sérieux. J'ai voulu, devant vous,
arborer une digne et sombre gravité, irais, en al-
lant, la gaieté me gagne ; je n'en serais plus maître,
si je continuais. Heureusement, qu'entre Français,
cela se pardonne, d'autant mieux que la plus sé-
vère analyse ne vous ferait point découvrir au fond
de la mienne le plus léger vestige de méchanceté.
N'importe, et comme il est, au surplus grand
temps que je prenne congé de vous, je vais me
borner à effleurer deux autres versions qui ont été
produites sur le cas qui nous occupe, à savoir :
1° Le Christ serait né, aurait souffert, et serait
mort, en même temps, sur tous les Mondes.
C'est toujours l'enfant martyr dont j'ai plus haut
parlé, el mes réflexions précédentes conservent une
égale valeur devant, même, cette variante.
- 117 —

2' Le Christ ne serait descendu que sur la Terre


et ne serait mort qu'une fois, sur le Golgotha, mais
la vertu rédemptrice de son trépas, se serait éten-
due, ipso facto, à tous les autres inondes coupables
de l'Espace.
Cela fut l'interprétation proposée par le savant
David Rrewster. Elle aboutit toujours à mener le
Fils de Dieu, chez les plus petits, les plus incultes,
et les plus grossiers des êtres de l'Univers; or,
nous nous refusons, comme devant, à admettre que
le privilège de cette visite divine, ait pu être pré-
cisément réservé au coin le plus obscur de la créa-
lion. Cela semble plutôt dicté par l'enflure de la
vanité, que par la saine raison. Enfin, que la Terre
soit dite le seul monde habitable, ou que l'on dise
qu'à travers tous les mondes habités, la Terre fut,
seule, visitée, il n'empêche que, ici comme là, le
bon sens s'insurge et refuse d'attribuer à Dieu, la
férocité de cette exigence, et la petitesse de ce tra-
vail.
Enfin, ne dirons-nous pas que les volumes et les
distances des astres ne sont rien pour Dieu, qui dé-
ploie sa puissance aussi bien dans la création d'un
grain de blé que dans celle d'un soleil ; que sa sim-
ple volonté est, partout, efficace ; qu'il n'a besoin
d'aucun effort pour être présent en tout lieu ? Nous
n'imaginerons donc plus aucun motif qui vaille,
pour soutenir qu'il à eu besoin de se matérialiser,
de s'incarner, de venir sur la Terre, souffrir, et
mourir en croix, pour sauver les hommes ! Rame-
nés, ainsi, tous deux, à la racine même du mystère
de l'Incarnation, nous ne conserverons plus à notre
8

118 —

disposition que la teneur des Evangiles, exclusive-


ment. Or, c'est sur eux, justement, que j'ai concen-
tré toute mon attention, et je me permets de croire
que l'examen sérieux de leur texte, n'a pas été pour
consolider le dogme fondamental qui supporte tout
le mouvement de la doctrine catholique.
Il est maintenant grand temps que je prenne
congé de vous. Mais avant de clore ma lettre, lais-
sez-moi protester qu'à aucun moment, je «ne me
suis proposé l'odieuse et inféconde tâche d'attaquer,
pour le simple plaisir de les détruire, quelqu'une
des croyances qui sont chères, aux bonnes âmes.
De le supposer, serait envers moi une cruelle er-
reur. « Je pense à Dieu depuis que j'existe » a dit
Proudhon ; c'est aussi mon cas, et j'ajoute avec lui :
« la Religion ! elle appartient à l'Humanité ; elle
est le fruit de ses entrailles. A qui serait-elle mé-
prisable? Honorons en toute foi religieuse, hono-
rons jusque dans le Dieu qu'elle adore, la conscience
humaine ; gardons la charité, la paix, avec les per-
sonnes à qui cette croyance est douce ; c'est notre
devoir; mais la piété publique satisfaite, le système
:de la Théologie appartient à ma critique. »
Or, une heure a sonné, où je n'ai plus pu conti-
,
,-nuer d'enfoncer ma tète au buisson de la foi aveu-
gle. J'ai, alors, pris le parti de me lancer à la
.découverte de la Vérité.
J'ai connu l'Ignorance, et j'y étais désolé, car,
j'avais conscience de mon état. Aujourd'hui, une
-divine clarté a illuminé mon esprit; je goûte la
joie dont la Vérité inonde le coeur, et j'ai, de même,
conscience de mon nouvel état,
— 119 -
Vous pouvez, Monsieur l'Abbé conserver de la
méfiance sur ceci, vous, que celte lumière n'a
point visité ; mais votre tort, en cela, tout naturel
qu'il soit, sera grand. Croyez-vous que je me don-
nerais tout ce mal si je n'avais pas en moi la vision
de grandes et sublimes choses ?
Parce que vous ne savez pas, cela vous confère-t-il
le droit de décider que nul n'en sait davantage ?
Non. Or, plutôt, prenez patience et bientôt, je
vous décèlerai le vrai, et la suprême explication, sur
Dieu et sur les êtres, sur la Nature et sur la Vie, sur
le Ciel et sur la Terre. Raillez, si, de railler vous
plaît; mais, j'atteste que je possède l'intégral Secret
que les hommes et les siècles ont vainement pour-
suivi jusqu'ici. Les Mélitus vont se lever en foule
contre moi, c'est possible; mais je ne sais, pour
leur imposer silence, et les empêcher de dire ce
qu'elles sont chargées de dire, de quelle ciguë il
faudrait, à mes lèvres, verser le mortel poison.
Je vais droit devant moi, semper recte, sans me
préoccuper desavoir qui j'offusque ou qui j'enchante.
Ou plutôt, j'ai, jusqu'au fond de l'âme, la persuasion
de plaire et d'obéir à Dieu.
Car, je ne fais pas oeuvre vide ; si j'efface, c'est
pourécrire;si je >\'n verse, c'est pour bâtir ; destruam
et oedificabo.
D'où, libre de toute timidité et de toute crainte, je
poursuis mon chemin,-forti tegente brachio, dérou-
lant et posant mon fil, sans rien dégrader, s'il se
peut ; mais sans hésiter, quand il le faut, à enfoncer
une pointe dans un mur, à combler un fossé, à
— 120 —

couper des arbres, si quelque part, leurs troncs me


gênent et me font obstacle.
Et, d'ailleurs, où sont-elles les religions qui méri-
teraient, par leurs bienfaits, leur noblesse, leur
grandeur, leur magnanimité, le respect absolu du
penseur?
En quel endroit du Monde ont-elles adouci les
instincts ? Voyez, du temps féodal, si pieux et si
dévot, toutes les brutalités et tous les crimes ; voyez
l'Espagne orthodoxe entre toutes, derrière ses
conquistadors bourreaux de peuplades inoffensives,
voyez-la à Cuba, et tous les jours dans ses ignobles
arènes où le régal de la foule est qu'on martyrise
un pauvre animal, qu'on l'ensanglante des pieds à
la tête, avant de le tuer ; que des chevaux piétinent
leurs entrailles et galopent dans leurs boyaux ;
voyez Rome et l'histoire scandaleuse de ses papes,
de ses cardinaux, de ses monsignors et de ses abbés,
plus libertins que des ribauds et des soudrilles;
voyez l'Angleterre et l'Anglo-saxon d'outre-mer, si
amoureux de la Bible et des Cantiques, hurler leur
bestial enthousiasme autour des boxeurs qui se
brisent la figure à coups de poing ; voyez partout,
l'ivrognerie et la débauche crapuleuse, et les guer-
res, et les massacres, et les misères hideuses,
et les infamies du riche insatiable, et les immondes
trafics de chair, de beauté, et d'âmes humaines !
Le coeur ne s'emplit-il pas d'une consternation
indicible, à voir, comme en ce moment, dans le
fond de l'Europe, des hommes s'entr'égorger pour
cause de dissentiment religieux ; des musulmans
sauvages exterminer des populations d'Arméniens ou
— 121 -
dv» Cretois, et. do môme, des chrétiens féroces mas-
sacrer des musulmans, parce que le Dieu des uns,
diffère de celui des autres; moins encore, pour cette
raison stupide et folle que la conception qu'ils en
ont, respectivement, n'est pas la môme! Ils croient,
de part et d'autre, en Dieu ; celte foi devrait les rap-
procher et les unir ; mais non, comme ceux-ci défi-
nissent Dieu d'une manière, et ceux-là d'une autre,
les voilà qui rugissent ; la fureur bouillonne en
eux et, le sabre au poing, le poignard aux dents, ils
se ruent ; ils couvrent les plaines de milliers de
morts et de blessés ; ils obscurcissent le ciel de la
fumée des villes saccagées, et livrées aux flammes !
Quelle horreur, Monsieur l'Abbé ! Ne craignez pas
de moi, que je remonte dans le passé et que je
ravive le souvenir, à jamais exécrable, de toutes les
abominations qu'a entraînées le fanatisme : c'est-à-
dire, le travestissement des pires instincts, l'ébulli-
tion des passions les plus ignobles, sous l'hypocrite
et monstrueux couvert de l'amour de Dieu I Que de
sang, Monsieur l'Abbé, que de sang que de cris,
!

que de tortures, que de gémissements, que de spec-


tacles affreux, au nom du Dieu de paix et de misé-
ricorde, au nom du Père Eternel, infiniment bon !
Ah ! Monsieur l'Abbé, vous qui, sans aucun
doute, et pour le moins autant que Jean-Jacques
Rousseau, croyez à la liberté de l'Homme, au libre-
arbitre, combien vous devez, frémissant d'épouvante
et de sainte indignation, devant ces scènes inferna-
les, joindre ardemment vos voeux aux niièns, pour
que ces botes fauves cessent de placer sous l'invoca-
tion de Dieu, les atrocités qu'ils commettent, cessent
- 122 —

de confondre le paisible, le clair flambeau delà vé-


rité, avec la torche lugubre des pillages et des
tueries ; pour que, ici-bas, les emblèmes de la Foi
ne flottent plus sur des monceaux de cadavres, et
qu'on renonce, enfin, à faire du Dieu du ciel, des.
aurores et des étés, le chef suprême des bourreaux,
des égorgeurs et des assassins.
Et sur ce, vous priant, Monsieur l'Abbé, d'excu-
ser, en souvenir des vôtres, les écarts de langage
que j'ai pu, en ces quelques pages, commettre, je
me résume, au moment de vous dire adieu :
1° Le témoignage des Apôtres est non-recevable ;
2° Les miracles de Jésus ne sont ni incontestables
ni probants ;
3° Joseph n'a point attesté la divinité de Jésus ;
4° Non plus, Marie, la mère de Jésus ;
5° Non plus, Jésus-Christ, lui-même ;
G' Au regard de l'univers, de la science, et de la
dignité de Dieu, celte légende est inadmissible.
Finalement, remarquez, Monsieur l'Abbé, qu'en
prenant Jésus-Christ tel qu'on nous le donne, il lui
manquerait d'avoir personnifié les deux sexes ; de
n'avoir été que masculin, le laisserait hors de la
moitié de l'Humanité et le réduirait à une demi-
nature humaine.
Voilà, l'Incarnation diminuée ! La Divinité est
moins intacte, encore et, franchement, tout ce que
l'Eglise nous enseigne touchant la prétendue deuxiè-
me personne de la Trinité, vis-à-vis de la Première,
est dérisoire.
D'abord, l'Unité divine est, de toute évidence,
rompue ; l'un des trois est en colère ; l'autre non ;
- 123 —

l'un est la vengeance vivante, l'autre la douceur ;


l'un condamne et maudit, l'antre intercède et relève ;
le premier fait l'Ancien Testament; le second y
contredit et fait le Nouveau ; le troisième se croise
les bras, et s'abstient. Si ce n'est pas une cacopho-
nie, con «Ulez, au moins, qu'il y a grande apparen-
ce de cela, car trois personnes et autant de volontés
s'y laissent voir.
J'ajouterai, incidemment, que l'Eglise apostolique
demandait aux Panthéistes, dans sa guerre contre
eux, d'expliquer comment l'Un pouvait, sans cesser
d'être un, devenir plusieurs, devenir multiple.
Disons-le, en passant, une alerte et vaste métaphy-
sique se cache en la science des nombres, notam-
-
ment en celle des fractions 1 = = —->— = -——
a aXx oo
Mais, de ce que les Panthéistes ne réussissaient
guère à résoudre clairement la difficulté, l'Eglise
concluait la fausseté de leur doctrine.
Si le raisonnement est juste, il doit avoir une
force égale et un semblable résultat dans tous les cas
analogues, quelle que soit la division dont il s'a-
gisse de rendre compte, quelle que soit la fraction
qui exprime cette division. D'où, nous prierons
l'Eglise de dire, à son tour, comment Dieu peut être
en trois personnes, réelles et distinctes, sans cesser
d'être un. Or l'Eglise ne donne pas, non plus, de
solution satisfaisante et limpide, à l'endroit de sa
Trinité-Une. Ne nous voilà-t-il pas en droit, par
application, .strictement légitime, de sa manière
même, de conclure aussi la fausseté de son dogme ?
En effet, si Y Un ne peut pas, du tout, se diviser, sans
— 124 —

cesser d'être un, il ne peut pas plus se diviser


en trois, qu'en mille. A contrario, si Dieu peut être
trois, sans cesser d'être un, il n'y a aucune bonne
raison pour qu'il ne se divise pas à l'infini et qu'il
ne soit pas tout. Enfin, si l'Eglise prétend interdire
la discussion, avec le motif auquel elle recourt lors-
qu'elle se sent à toute extrémité, c'est-à-dire en nous
opposant le a Mystère », les Panthéistes ont, tout
autant qu'elle, le droit d'y prendre refuge et d,e dire
aussi : « Mystère ». Mais invoquer le Mystère, après
surtout qu'on a prétendu définir, c'est adroitement
déguiser son impuissance et fuir les conséquences
d'une ignorance qu'on ne veut pas avouer.
Nous aurons, plus tard, Monsieur l'Abbé, le fin
mot de l'affaire, que je veux laisser en l'état, pré-
sentement, en faisant, de plus, observer qu'il y a
non moins évidemment, hiérarchie au sein de la
Trinité, du trithéisme chrétien. (V° Evangile selon
Saint Maie, chap. xui : v. 32.) Or. que signifie, pour
la deuxième Personne, cet état d'abaissement, ce
rôle d'inlercesseur, cette* posture de suppliant ? On
dirait la Reine s'agenouillantdevant Edouard III au
siège de Calais, pour obtenir la grâce des otages.
Mais, Jésus-Christ est-il, oui, ou non, Dieu, Dieu
lui-même, n'ayant, par conséquent, point d'égal, ni
de supérieur? Eh, oui, c'est cela même ipour vous,
Monsieur l'Abbé.) sinon le christianisme ne serait
plus rien. Alors? d'où lui vient cette figure endolorie
de Fils soumis, de Fils docile, quasi tremblant devant
le Père, devant le Maitre, dur, rébarbatif, intransi-
geant? A le voir, à travers vos allégations, le Fils
de Dieu prend la tournure piteuse et humiliée, d'un
— 125 —
prince, héritier présomptif, d'un pauvre et maigre
dauphin, que le Monarque son père courbe aux pires
corvées !
Et, la preuve qu'il y a bien, dans le système
chrétien, trois personnes, trois volontés, donc, trois
dieux, la voici :
Si le Dieu du christianisme n'est qu'ioi, c'est lui-
môme qui est venu mourir sur le Calvaire pour s'a-
paiser soi-même ; ce qui serait absurde.
Donc, il faut qu'il y ait eu, là, une Personne divine
qui donnât satisfaction à une autre Personne divine
disUncte, qu'elle apaisait par ce moyen. D'où, deux
dieux ; ajoutez-y le S^.int-Esprit, et voilà faite, la
preuve du trithéisme chrétien.
Tout cela est burlesque, Monsieur l'Abbé, et les
expressions me manqueraient pour rendre le senti-
ment de vide qui me saisit devant ces contes, si,
esclave des scrupules, j'hésitais à les qualifier de
niaiseries, impertinentes envers Dieu, et à les mettre
au rang des inepties.
Il est de petites impressions qui germent lointai-
nement dans l'âme et qui, comme le grain de sénevé
des pages saintes, néanmoins grandissent insensi-
blement et s'étalent. Celle suivante est du nombre :
,que vraiment si Dieu s'était personnifié, s'il était
descendu en une forme humaine, il n'aurait point,
du Peuple au sein duquel il aurait daigné naitre,
fait ensuite l'éparpillement d'injuriés et de méprisés
que constitue, aujourd'hui, la race Juive; qu'il ne
l'aurait point vouée aux humiliations et aux épreu-
ves de la dispersion immense à travers mille pays,
où leurs tribus, comme au milieu de nouveaux
— 12G -
déserts éternels, recommencent le long et dur exodo
des temps moïsiaques ; qu'il n'aurait point laissé la
Terre de l'Annonciation, de la Prédication et de la
Passion rédemptrice tomber à l'état de désolation et
de misère profondes où elle est abîmée, avec ses
villes éteintes et boueuses, ses chemins dénudés par
les pluies, ses rocs glissants et lavés d'eau, ses
collines décharnées et mornes, ses horizons funèbres
et pleins de tristesse accablante.
Dieu, venu parmi les hommes pour les sauver,
aurait-il ainsi, laissé une trace sauvage de sa
courte apparition, et son soufile, comme un vent des
cimes glacées, n'aurait-il étendu que la dévastation
et la mort? Car, ce dieu d'amour et de miséricorde,
quelles semences a-t-il jetées derrière lui, en Judée
d'abord, et puis encore, partout où les porteurs de
sa loi ont passé ? On n'y voit rien qu'une longue
suite de fumées sinistres montant des vieilles cités,
fumantes comme les encensoirs d'un culte effrayant ;
montant des vastes musées de l'ancien Monde, où
les glorieux écrits des sages et des philosophes
s'anéantirent en de noirs tourbillons, se réduisirent
en des monceaux de cendres que la bise poussa à la
stérilité des sables environnants ; montant des
bûchers, où dans le chant lugubre des psaumes
sacrés, hurlaient les agonies terribles de ceux qui
avaient refusé de recevoir la chape de plomb et de
silence dont on avait voulu écraser leur liberté et
leur raison.
Oh, non, celui-là qui creusa sur le monde un tel et
si affreux sillage n'étajt pas le divin Rédempteur !
- 127 —

Le Christ n'était qu'un homme ; mais, il fut le


meilleur des hommes I
Pauvre Jésus, sincère et tendre ami des humbles ;
radieux apôtre de la charité et de la bonté mutuelles)
de la modestie, et du pardon ; doux consolateur des.
affligés, laisse-moi ôter de ton front la triste cou-
ronne qui le déchire depuis dix-huit cents ans,
et retirer le sceptre d'ironie que des races malfai-
santes ont placé dans tes mains, lesquelles furent,
cependant, si compatissantes et si secourâbles 1

Tu n'as pas besoin d'être le fils de Dieu pour être


adorable et digne d'amour ; fils de Dieu, tu es.
petit ; Homme, tu es sublime !
Si tous les enfants du Peuple savaient enlever de
leurs yeux le bandeau d'ignorance et d'erreur qui
les aveugle, ils viendraient à toi ; ils cesseraient
d'écouter les Docteurs, les Scribes et les Pharisiens,
de toutes sortes ; ils secoueraient le joug dont ceux-
ci les chargent ; ils te prendraient pour modèle et
pour guide, et comme moi, avec ce sourire du coeur
dont parlait Sainte Thérèse, ils entoureraient de
vénération profonde, ta mémoire, pauvre grand
Jésus !
Car, tu voulus, mieux que personne, le salut et
le bonheur de l'Humanité ; mieux et plus que per-
sonne, tu voulus le règne, ici-bas, de la Justice et
de la Paix, et tu mourus, cloué sur une croix, pour
apprendre aux hommes) le chemin : de la Liberté
par le désintéressement ; de la vraie Grandeur par
le mépris des richesses ; de l'Egalité heureuse par
la pratique de l'amour réciproque ; de la Sérénité
puissante et victorieuse par l'acquisition d'une haute-
— 128 —
•spiritualité, affranchie des grossièretés matérielles
et terrestres.
Pauvre et beau Jésus, j'ôto enfin de ton front la
cruelle couronne, et de tes mains le sceptre de
dérision, et je te salue ; et je l'aime, ô toi, enfant
du Peuple, toi, le plus doux et le plus fort de tous
ceux qui rompirent des chaînes et qui brisèrent
<n'l .porte où, les impitoyables et dures tables de
la Loi.
Sur ce, au revoir, Monsieur l'Abbé, et comptez
sur mon prochain et dernier livre, couronnement
de mon oeuvre, pour y voir victorieusement scellées
mes conclusions.
Qu'Usera bon de délivrer, enfin, l'Homme des
sauvageries, des transes, des effrois, des peurs sans
nombre dont les religions ont saturé son imagina-
tion malade ; de l'en guérir ; de le rendre à la se-
reine et pleine santé de la Raison; d'ouvrir son
âme au soleil bienfaisant et pur de la vérité !
Car, c'était bien le plus affreux malheur que de
voir, partout, l'humanité concevoir Dieu comme un
Etre chagrin, un tyran agité, sombre et haineux,
un Maître hargneux et plein de dureté, et ramper à
ses pieds comme une pauvre bête frappée d'épou-
vante !
Quelle tâche plus précieuse que de faire cesser
•ces erreurs, afin que, relevant peu à peu la tête,
nous entrions tous dans la croissante et chaude ad-
miration de l'oeuvre infinie, nous tournions vers
l'Auteur de tout, des regards conscients de sa puis-
sance, des coeurs frémissants d'enthousiasme pour
4es myriades de beautés, de merveilles incompara-
— 129 —
blés et inépuisables, qu'il réalise sur la toile pas-
sante et fuyante du Temps; et qu'aux supplications,
aux litanies oppressées et larmoyantes d'êtres qui
se croyaient maudits, succède enfin le long chant
d'amour et d'adoration d'un peuple d'enfants sen-
tant dans leurs veines couler le sang étemel du Père
Céleste, lequel, ruisselant d'astres, de prodiges et
d'idées, conduit la Vie vers la Joie sans borne et.
sans terme.
En attendant, j'espère que vous daignerez agréer
la très sincère expression des sentiments de profond
respect,
avec lesquels je suis,
Monsieur l'Abbé,
Votre humble et tout dévoué serviteur-

VICTOR MAUROY.

le 5 Février 1807.
Annonay (Ardôche) — Imp. J. UOYER
La P 1 u îti e
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