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la Grèce Archaïque
Nikolsky Boris. La philia dionysiaque dans le Cyclope d'Euripide. In: Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque,
numéro 12, 2009. pp. 123-131;
doi : https://doi.org/10.3406/gaia.2009.1532
https://www.persee.fr/doc/gaia_1287-3349_2009_num_12_1_1532
Résumé
L'article examine un des motifs principaux du Cyclope d'Euripide, le motif de la philia. La philia
rationnelle des hommes (d'Ulysse et de ses camarades) coexiste ici avec une autre philia, la philia
naturelle et spontanée dionysiaque manifestée par l'affection de Silène et des satyres envers Dionysos
et le vin. Quoique ces deux espèces de philia soient très différentes, la première étant particulièrement
humaine et la deuxième étant de nature sauvage et bestiale, elles sont unies par leur opposition
commune à Pinsociabilité et l'autarcie extrême de Polyphème. Cette opposition est exprimée autant
par des motifs sociaux que gastronomiques : la philia dionysiaque est associée au vin, tandis que
l'absence de philia est liée à l'anthropophagie. Avec une telle combinaison de motifs sociaux et
gastronomiques, Euripide modifie le modèle homérique en l'introduisant dans le contexte dionysiaque.
La philia dionysiaque dans
le Cyclope d'Euripide
Université russeBoris
des sciences
Nikolsky
humaines, Moscou
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La philia dans le Cyclope d'Euripide
ώ φίλος·
ώ φίλε ΒακχεΤε, ποί ο'ιοπολεϊς;
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comme l'envie du vin dont ils sont longtemps privés. Quand Ulysse
annonce à Silène qu'il veut lui vendre du vin (πώμα Διονύσου φέρω),
Silène répond (140) : ώ φίλτατ'εΐπών, ou σπανίζομεν πάλαι.
Donc, si l'émotion de la φιλία rapproche Silène et les satyres des
hommes, le contenu gastronomique de cette émotion les fait similaires à
Polyphème. En effet, le parallèle entre le cyclope et les compagnons de
Dionysos est évident dans certains passages. Premièrement, le lait joue le
rôle du vin dans la vie du cyclope. Il le mélange dans ses cratères (216), le
conserve dans ses amphores (326), le boit après le repas, tournant ensuite
aux plaisirs sexuels (327-328). La phrase où le chœur parle du lait préparé
pour Polyphème ώστ' έκπιεϊν γε σ', ην θέλης, όλον πίθον (217) répond
aux mots de Silène sur le vin ως έκπιεΐν y' αν κύλικα μαινοίμην μίαν (164).
Puis, le plaisir que prend le cyclope à la viande humaine, est comparable
au plaisir dionysiaque de Silène et des satyres. Ils ont tous été longtemps
privés de leurs aliments favoris, et ils en jouissent d'autant plus - cf. les
mots de Silène à propos du vin ώ φίλτατ' ειπών, ou σπανίζομεν πάλαι
(140) avec la phrase du cyclope χρόνιος δ' εϊμ' άπ' ανθρώπων βοράς
(249). La saturation de Silène qui est pénétré par le vin jusqu'au bout de
ses ongles (159 : ώστ' εις άκρους γε τους όνυχας άφίκετο) ressemble à la
saturation du cyclope après son repas (εταίρων των έμών πλησθεις βοράς
409, νηδυν πλήσαι 244, 303). Si les attributs essentiels de Polyphème sont
ses mâchoires et sa gorge qui dévorent la viande humaine (Κυκλωπίαν
γνάθον την άνδροβρώτα 92-93, cf. 289, 303, 310, 395, φάρυγξ 215,
356, 410), le rôle des mâchoires et des gorges des satyres et de Silène est
aussi très important (γνάθος 146 et 629, λάρυγξ 158).
D'autre part, quoique les sentiments des compagnons de Dionysos
soient aussi bien gastronomiques que ceux du cyclope, il y a une
différence essentielle entre eux. Le vin se montre l'aliment pouvant exciter
les sentiments, de quelque façon similaires à la φιλία humaine, tandis
que le régime du cyclope est contraire à la φιλία. Si Silène et les satyres
personnifient l'aliment et tournent vers lui les sentiments qui
normalement sont portés vers les hommes, le cyclope tout au contraire tourne les
hommes en aliment. Autrement dit, les compagnons de Dionysos
ressentent l'amour pour le vin, tandis que le cyclope ressent l'appétit pour
les hommes. Les satyres peuvent dire avec tendresse «les sources chéries
des grappes» (496 : βοτρύων φίλαισι πηγοΐς) employant le mot φίλος
pour le vin, tandis que le cyclope d'une façon en même temps similaire
et opposée pervertit la notion φιλόξενοι en l'interprétant dans le sens
gastronomique (γλυκύτατα φασι τα κρέα τους ξένους φορείν 126) et en
mangeant ses hôtes au lieu de les faire festoyer - cf. les mots ξενοδαίτης
(658) et ξενοδαιτυμών (610) avec Poxymoron entre ses composants.
L'attitude de Silène et des satyres envers Dionysos dans laquelle se
mêlent l'amour et l'appétit est semblable au sentiment du nourrisson
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αυ θηρεύων πετόμαν
Βάκχαις συν λευκόποσιν.
Ainsi, on voit que dans son Cyclope Euripide montre l'aspect positif
de l'amour dionysiaque - son naturalisme, similaire au naturalisme de
la liaison entre la mère et le nourrisson. Ce n'est pas au hasard que ces
deux formes de l'amour se répondent par un motif commun, le motif de
la mamelle qui est à la fois l'attribut de la mère nourricière (55, 207) et
l'objet du désir sexuel (170).
Deuxièmement, le thème religieux. La religion de chaque groupe de
personnages - Polyphème, Silène et les satyres, et Ulysse - correspond
à sa propre variante de la φιλία. Le cyclope dans son autarcie refuse de
reconnaître d'autres dieux que son ventre (335). Silène et les satyres
aspirent à la fusion physique - gastronomique et erotique - avec Dionysos.
Enfin, quant à Ulysse, ses relations avec les dieux ressemblent à l'amitié
avec ses compagnons. Son «vieux copain» Dionysos (519-520 : cbç εγώ
του Βακχίου τούτου τρίβων εϊμ'),) ainsi que Zeus et Athéna (350-355)
deviennent ses camarades dans le combat contre Polyphème.
Maintenant on peut envisager le sens général que porte la structure
thématique du Cyclope. D. Konstan dans son étude, qui me semble du reste
l'étude la plus fine et profonde du drame, suppose qu'au cours de la pièce
« l'opposition originelle entre le cyclope et Silène s'évanouit - ils se
montrent comme deux extrémités contraires de la même essence, tous les deux
s'opposant à Ulysse2». Leurs caractéristiques - Pégoïsme et l'autarcie de
Polyphème et le collectivisme de horde de Silène et ses satyres - sont les
traits propres aux bêtes et également contraires, selon Konstan, à l'amitié
humaine d'Ulysse et de ses compagnons. Une telle représentation des trois
groupes de personnages sert, dit Konstan, à l'affirmation des normes sociales
du monde humain, et précisément, des principes démocratiques3.
Konstan bien sûr a raison de rapprocher Silène et les satyres à
Polyphème et de constater leur caractère bestial. Mais la nature bestiale des
compagnons de Dionysos n'est qu'une convention dramatique obligatoire
pour le drame satyrique. Euripide devait en tenir compte, néanmoins il
était libre de la traiter à sa guise. Par exemple, dans le drame d'Eschyle
les Pêcheurs au filet les satyres sont agressifs et dangereux avec Silène, en
restant toujours amusants. Or, dans le Cyclope c'est le naturalisme de leur
attitude qui est mis en relief; ils sont inoffensifs envers les hommes, et
même peuvent être utiles.
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Ce qui est plus important, à mon avis, c'est une autre qualité des
compagnons de Dionysos. Ils possèdent la φιλία, même si elle n'existe chez
eux que sous forme primitive et physique prenant la forme la plus sublime
chez les hommes4. Dans le drame la φιλία est rattachée particulièrement
à Dionysos. Le pays où habite le cyclope est également privé de la φιλία
et de Dionysos. On dit de ce lieu où τάδε Βρόμιος (63) et ούχι Διόνυσος
τάδε (204); comme le vin lui manque, cette terre ne connaît ni la joie
dionysiaque, ni les danses (άχορον οΐκοΟσι χθόνα 124, cf. où τάδε χοροί
63) - et en même temps le pays des cyclopes est inhospitalier et inamical
(άξενον 91, voir 125^.). A la fin des fins on donne du vin à Polyphème,
mais ce n'est que pour le punir. Malgré son désir apparent d'entrer dans le
komos, on ne le lui laisse pas faire (451-453). Cette séparation du cyclope
de la fête de Dionysos porte un sens presque symbolique et produit la
distribution décisive des forces dans le drame - l'amitié des satyres,
d'Ulysse et de ses camarades s'oppose au cyclope5.
La connexion entre la φιλία rationnelle des hommes et la φιλία
naturelle et spontanée dionysiaque se montre à mon avis comme le problème
principal de la pièce. Ce problème peut être interprété dans le sens
psychologique ou social - comment on peut inclure l'élément dionysiaque
dans l'existence de l'être humain ou de la cité. C'est ce même thème qu'on
trouve dans les Bacchantes; mais si dans cette tragédie Euripide révèle et
met en valeur des conflits insolubles provenant de la confrontation des
forces humaines et dionysiaques, ici dans le Cyclope leur union par la φιλία
se trouve plus heureuse. D'autre part, on peut remarquer l'aspect méta-
poétique, ou plutôt métathéâtral de ce problème. Le drame satyrique
fermait la présentation théâtrale consacrée à Dionysos, et il est bien
possible qu'elle pouvait servir de commentaire, et au surplus de commentaire
joyeux et positif, aux tragédies précédentes. Il y a quelques tragédies chez
Euripide où le motif de la φιλία occupe la place centrale - par exemple,
4. Il est bien remarquable que la φιλία de Silène envers Dionysos possède, quoique dans
une forme parodique, la qualité de la réciprocité qui est la caractéristique importante de
la humaine (sur laquelle voir D. Konstan, «Reciprocity and Friendship», dans Gill. C,
Postlethwaite N., Seaford R., Reciprocity in Ancient Greece, Oxford, 1998, p. 279-301). La
réciprocité de cette φιλία est représentée par les mêmes images erotique et nourricière
que la dionysiaque en général. Premièrement, Silène parle de la réciprocité de son amour
envers le vin quand il décrit sa façon de boire du vin comme les baisers que lui donne le
vin (554-555). Deuxièmement, au moment où Silène va se nourrir de Dionysos, il se
rappelle comment lui-même élevait et nourrissait le dieu (142). Les intérêts gastronomiques
de Polyphème au contraire ne peuvent être qu'unidirectionnels. Ce fait est mis en relief
par la perspective sinistre que reçoivent ses appétits : en plus des cerfs, il mange aussi des
lions, qui sont eux-mêmes carnassiers (248).
5. Konstan lui-même à la fin de son article («An Anthropology of Euripides' Cyclops»,
p. 99) montre comment l'exclusion de Polyphème du komos tire la ligne symbolique qui
sépare le cyclope des satyres et d'Ulysse.
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