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de Besançon
Le déluge de Deucalion
Rêve d 'Immortalité ou nostalgie de la Mère
Anne Main
Main Anne. Le déluge de Deucalion. Rêve d 'Immortalité ou nostalgie de la Mère . In: Les grandes figures religieuses :
fonctionnement pratique et symbolique dans l'Antiquité. Actes du Colloque international (Besançon, 25-26 avril 1984)
Besançon : Université de Franche-Comté, 1986. pp. 277-282. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 329) ;
https://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1986_act_329_1_1677
1.1. En 1899, Hermann Usener publie un ouvrage resté célèbre sur les récits
relatifs au déluge dans l'Antiquité (2), en particulier le déluge de Deucalion auquel
il consacre un certain nombre de pages (3).
Ce qui semble essentiellement retenir l'attention d'Usener dans ce mythe,
c'est la présence du coffre, dans lequel vogue le héros. Coffre qui lui permet de
rapprocher l'histoire de Deucalion d'autres mythes grecs, notamment ceux de
Persée, Télèphe, Dionysos et Oedipe, c'est-à-dire de toute une série de héros dans
lesquels il voit le souvenir d'enfants exposés. Dans la mesure où selon lui les
expositions d'enfants sont la transcription mythique de l'épiphanie d'un dieu solaire,
il considère Deucalion comme un Zeucalion, c'est-à-dire un «petit Zeus» ou un
«fils de Zeus».
Quant au déluge, il est le signe d'un déchaînement des eaux, condition sine
qua non de l'épiphanie du Lichtgott. Usener démontre en effet que l'apparition
du dieu solaire s'accompagne toujours d'un déferlement, d'un bouillonnement
des eaux. Il compare à cet effet le mythe de Deucalion à plusieurs récits, entre
autres à l'épiphanie d'Apollon à Delphes, accompagnée d'une montée et d'un
déchaînement des eaux du Céphise.
1.3. Marie Delcourt, quant à elle, procède à une étude plus détaillée du mythe.
On le retrouve cité ou commenté dans plusieurs de ses ouvrages (4) et notamment
dans son étude sur Oedipe, où tout un chapitre porte sur l'exposition d'enfants
nouveau-nés. Son raisonnement est le suivant :
1.3.1. Le thème de l'immersion dans un coffre — qui alterne souvent avec celui
de l'exposition en montagne, comme c'est le cas pour Oedipe — doit être
considéré comme un rite d'habilitation à une haute destinée. C'est une épreuve, par
conséquent, qui sert moins à prouver la chasteté de la mère et la légitimité de
l'enfant qu'à montrer celui-ci digne de la royauté. Ainsi, les éprouvés dont le grand-
père est généralement un roi qui n'a pas de fils, sont souvent persécutés par un
oncle jaloux et malveillant.
1.3.2. En outre, l'immersion dans un coffre est une épreuve qui à elle seule
n'équivaut pas à une investiture; pour qu'elle prenne ce sens il a fallu qu'elle attire
à elle les images dont est chargé le plongeon rituel (5). Ce dernier comporte en
effet autre chose qu'une simple vertu cathartique, à savoir la volonté de faire
tomber dans l'oubli toute existence antérieure. Ainsi, l'immersion dans un coffre serait
la traduction mythique du rite du plongeon. Il est intéressant de noter ici qu'une
variante du mythe de Deucalion a été conservée par Ovide dans la XVe Héroïde,
qui rapporte un plongeon de Deucalion à Leucade (v. 166-170).
2.1.1. Si l'inclusion dans un coffre permet d'accéder à une haute destinée elle
aboutit ainsi - et surtout - à une ère nouvelle : «l'inclusion dans le coffre
implique une nouvelle naissance, une vie recommencée souvent sous un nouveau nom,
une transplantation et, dans une patrie nouvelle, un accroissement du pouvoir»
(8). Et M. Delcourt de citer les cas de Thoas, Tennès, Deucalion enfin, pour qui
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l'inclusion dans le coffre et son heureuse issue ont marqué le début d'une vie
nouvelle. Ce raisonnement suppose que toute vie antérieure devait alors être effacée.
On peut par conséquent déceler dans une telle épreuve un processus de mort
symbolique suivie d'une nouvelle naissance, semblable à celui qu'implique le plongeon
rituel, dont l'immersion dans un coffre serait - faut-il le rappeler - la transcription
légendaire.
L'ambivalence des différentes significations attachées à la larnax vient d'ailleurs
corroborer une telle hypothèse : il s'agit d'un coffre fermé semblable à un cercueil.
A ce propos, Glotz est le premier à avoir insisté sur l'importance symbolique que
revêtait le coffre aux yeux des Grecs, et notamment sur l'idée de mort et
d'immortalité qu'évoquait irrésistiblement la larnax (9). «On soumet aux dieux dans
l'attirail de la mort, ceux qu'on expose à leur jugement et l'acquittement équivaut à
une résurrection glorieuse» (10).
En outre, si l'on compare les verbes teleutan (mourir) et teleîsthai (être
initié), on comprend pouquoi les Grecs assimilaient l'initiation aux mystères à
l'entrée dans une vie nouvelle (11). D'ailleurs, la mort simulée joue chez de nombreux
peuples un rôle important dans les initiations d'adolescents (12).
L'inclusion de Deucalion dans un coffre ne peut-elle par conséquent être
considérée comme la transposition d'un rituel initiatique, symbole de mort/
renaissance ?
Anne MAIN
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NOTES
1. Les recherches sur le mythe de Deucalion étant actuellement en cours, la présente communication
n'a d'autre prétention que de soumettre quelques hypothèses.
2. Sintfluthsagen, Bonn 1899.
3. Op. cit., p. 65-79, 230-234, 244-245, 253-256.
4. Légendes et cultes de héros en Grèce, Paris 1942; Oedipe ou la légende du conquérant, Paris 1944/
1981 \Pyrrhos et Pyrrha, Liège 1965.
5. Le plus illustre est sans conteste le plongeon de Leucade. Le promontoire de Leucade était la
Λεύκας ΠέτρΤΊ P^ excellence, la plus célèbre des Pierres Blanches, que les Grecs assimilaient à la
porte du royaume des morts, endroit choisi pour pénétrer dans l'au-delà et en ressortir aussitôt comme par une
seconde naissance. Différents types de plongeon étaient pratiqués à Leucade : plongeons d'oubli (ex. Sappho)
ou plongeons expiatoires, qui révèlent un rituel relativement complexe, où se manifestent différentes intentions
étudiées entre autres par Gustave GLOTZ, op. cit., p. 34-35; Jean HUBAUX, Le Plongeon rituel, MB, XXVII,
1923, p. 5-81 ; Henri JEANMAIRE, Couroi et Courètes, Lille 1939, p. 324-337.
6. Les mythes grecs relatifs à l'instauration du sacrifice : les rôles corrélatifs de Prométhée et de son fils
Deucalion, MH, 27, 1970, 1, p. 1-15.
7. Selon une méthode qui lui est chère, J. RUDHARDT estime en effet qu'un mythe ne peut être pris
isolément, qu'il est lié à d'autres mythes par rapport auxquels son sens se précise ou se définit.
8. M. DELCOURT, Oedipe..., p. 50.
9. M. GLOTZ, op. cit., p. 25.
10. M. DELCOURT, Oedipe..., p. 54.
1 1. M. DELCOURT, Oedipe, p. 54. Voir également PLUTARQUE, Fragments, 178 et J.E. HARRISSON,
The meaning of the word TEAETH, CR 1914, p. 36-38.
12. C. LÉVI-STRAUSS, La Pensée Sauvage, Paris, 1962, p. 350.
13. Ce qualificatif fait référence, dans le contexte présent, non pas à l'Univers au sens large du terme,
mais à l'humanité, ou plus précisément encore à l'ensemble des être animés.
14. L'utilisation de ce terme, suggérant des connotations freudiennes très précises peut sembler
inadéquate. Dans le contexte présent, une approche psycho-analytique serait peut-être préférable.
15. Dans la mesure où la navigation de Deucalion dure neu/jours et neuf nuits, il est possible d'attribuer
à ce nombre une valeur symbolique.
16. M. EUADE, Aspects du mythe, p. 100-101.
17. Expression empruntée à M. DELCOURT, Pyrrhos et Pyrrha, p. 54.
18. E. MOR1N, L'homme et la mort, Paris 1970.