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Société Burkinabè de Droit

Constitutionnel
(SBDC)

« Une expertise sincère pour une démocratie prospère »

RRC
Revue des Réflexions Constitutionnelles
REVUE MENSUELLE DE PUBLICATION EN DROIT
CONSTITUTIONNEL

N° 042 – Février 2024

N° ISSN : 2756-7478

03 BP. 7104 Ouagadougou / Burkina Faso


associationsbdc@gmail.com
Tél. : (+226) 25 40 86 05 / 70 10 04 27

I
II
COMITE SCIENTIFIQUE
Professeur Abdoulaye SOMA
Professeure Valérie Edwige SOMA/KABORE
Juge Larba YARGA
Professeur Ousseni ILLY
Professeur Mathieu NAMOUTOUGOU
Professeur Frédéric Joël AÏVO
Professeur Gérard AÏVO
Professeur Godefroy MOYEN
Professeur Maya Hertig RANDALL
Professeur Michel HOTTELIER
Professeur Giorgio MALINVERNI
Professeur Ferdinand MELIN-SOUCRANAMIEN
Professeur Yédoh Sébastien LATH
Professeur Cheick Amala TOURE
Professeur Eric SANDJE
Professeur Makhtar CAMARA
Professeur Jean-Louis ESAMBO KANGASHE
Professeur Eric Marcel NGANGO YOUMBI
Professeur Bernard-Raymond GUIMDO DONGMO
Serge François SOBZE

COMITE DE LECTURE
Professeur Abdoulaye SOMA
Professeur Valérie Edwige SOMA/KABORE
Professeur Vincent ZAKANE
Docteur Liliane SANOU/NIKIEMA
Docteur Martial ZONGO
Docteur Aziz OUANDAOGO
Docteur Wendpanga Bienvenu Wenceslas OUEDRAOGO
Docteur Yann Marius SOMA
Docteur Samson DABIRE
Docteur Aristide BERE

III
Docteur Idrissa BALBONE
Maître Samuel GUITANGA
Drs Kélguingalé ILLY
Drs Marie-Charles Dorcasse SANOU
Drs Fouré Akim Alpha Daouda HEMA
Drs Alain Clovis SANON
Monsieur Désiré SAWADOGO
Monsieur Nicolas ZEMANE
Monsieur Olivier SOME
Madame Lidwine Ines OUATTARA

COMITE DE DIRECTION
Directeur de publication
Professeur Abdoulaye SOMA

Secrétariat de publication
Drs Alain Clovis SANON
Madame Lidwine Ines OUATTARA

Maquettiste
Monsieur Alassane W. ILBOUDO

IV
DIRECTIVES DE REDACTION EN VUE DE PUBLICATION
DANS LA REVUE DES REFLEXIONS
CONSTITUTIONNELLES (RRC) DE LA SBDC

Conformément à l’article 6 du règlement intérieur de la revue des réflexions constitutionnelles


(RRC) modifié, par arrêté n°2022-001/SBDC/CS/PRES du 04 janvier 2022 portant règlement
intérieur de la revue des réflexions constitutionnelles (RRC) de la Société Burkinabè de Droit
Constitutionnel (SBDC), les auteurs souhaitant publier leurs articles dans la RRC doivent se
conformer aux directives suivantes :

1. Les auteurs acceptent de respecter les règles de forme édictées ci-après. La RRC se
réserve le droit de refuser toute contribution qui ne respecterait pas ces spécifications.
2. La RRC accepte les contributions de constitutionnalistes - auteurs confirmés, praticiens
ou jeunes chercheurs - qui souhaitent analyser ou simplement donner leur opinion
argumentée sur un point du droit constitutionnel ou sur une de ses branches.
3. Si la RRC peut exceptionnellement accepter des textes déjà publiés par ailleurs, toutes
les autorisations nécessaires à la publication dans la RRC devront lui être fournies.
4. Les contributions soumises à la RRC doivent être relatives au droit constitutionnel en
général, et rédigées en français ou en anglais dans un style rigoureux, concis, clair et
avant tout accessible.
5. Le nombre de pages du texte ne doit pas excéder 30 avec comme police, times new
roman, 12, interligne 1,15.
6. La RRC se charge de la mise en forme des contributions, selon le format de la RRC.
7. Les noms d'auteur (en majuscules) doivent être accompagnés du prénom (en
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accompagnées de leur traduction.
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12. Le renvoi à des sites Internet est accepté, avec mention de la date de consultation.
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utilisé ensuite entre parenthèses.

V
NB : La politique éditoriale de la Revue tient compte de ce qu’une diversité d’auteurs d’une
pluralité de systèmes d’évaluation scientifique y sollicitent la publication de leur réflexion. La
Revue n’instruit, ni ne publie les articles en fonction des critères et standards d’évaluation de
tel ou tel système d’évaluation ou d’appréciation scientifique. La Revue évalue et accrédite la
publicabilité des articles soumis en fonction de leur charge cognitive et de leur teneur en
données scientifiques appropriées. La mission fondamentale de la Revue est de contribuer au
développement et au rayonnement progressive de la doctrine juridique en Afrique. Chaque
auteur d’article soumis est donc personnellement responsable de la conformité du fond et de la
forme de sa contribution à son système d’évaluation scientifique propre, dès lors qu’il entend
soumettre ladite à ce système d’évaluation précis. La Revue se dispose à soutenir les auteurs
qui lui précisent la prédestination de leur article.

Professeur Abdoulaye SOMA


Professeur Titulaire de droit public
Président Emérite de la SBDC
Président du Conseil scientifique de la SBDC
Directeur de publication de la RRC
Avocat

VI
SOMMAIRE

DOCTRINE

LES VISAS DE LA LOI EN DROIT PARLEMENTAIRE


Abdoulaye SOMA, (Université Thomas Sankara. / Burkina Faso)………………………..………............1

L’EVOLUTION DU CONTENTIEUX DES NORMES DEVANT LE CONSEIL


CONSTITUTIONNEL SENEGALAIS : REFLEXION A PARTIR DE LA DECISION
N°1/C/2024 DU 15 FEVRIER 2024
Charles TUEKAM TATCHUM, (Université de Ngaoundéré / Cameroun) ……................................11

LE PARLEMENT DANS LE NOUVEAU CONSTITUTIONNALISME AFRICAIN :


ESSAI D’ANALYSE A PARTIR DE LA NOUVELLE CONSTITUTION DE LA Vème
REPUBLIQUE AU TCHAD
DERLEM DEOUNANG, (Université de Sarh /Tchad)…………………………………………………....33

« L’INGENIERIE CONSTITUTIONNELLE DES TRANSITIONS POLITIQUES :


REFLEXION A PARTIR DES CAS DU BURKINA FASO, DU GABON, DE LA
GUINEE, DU MALI ET DU TCHAD »
PALE Sié, (Université Thomas Sankara. / Burkina Faso) …….............................................................61

LES INCIDENTS DE PROCEDURE DANS LE PROCES CONSTITUTIONNEL : LE


CAS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE GABONAISE
Avouzoa Thierry Bertin, (Université de Yaoundé II / Cameroun) ……................................................91

LA DEMISSION DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE EN DROIT


CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS
François D’assise ASSIGUENA MBARGA, (Université de Douala / Cameroun) ……....................105

ADDENDA IN EXTRA

REFLEXIONS SUR LA JURIDICTIONNALISATION DES AUTORITES


ADMINISTRATIVES INDEPENDANTES IVOIRIENNES : L’ANRMP ET L’ARTCI
COMME PRETEXTE
NENE BI ARSENE DESIRE, (Université Alassane Ouattara / Côte d’Ivoire) ……………………...133

PARENTALITE ET POLITIQUE : LA PARENTALITE


COMME DISPOSITIF DE GOUVERNEMENT DES CONDUITES ET DE MISE EN
ORDRE DE LA SOCIETE
Jean Pierre NGONZO, (Université de Yaoundé II / Cameroun)………………………………………...161

VII
L’EXTINCTION NEGOCIEE DE L’ACTION PUBLIQUE AU CAMEROUN : LA
TRANSACTION PENALE
Martin Bertrand NKOA KONO, (Université de Bertoua / Cameroun)………………….……...…....179

L’INDEPENDANCE SOCIALE ET ECONOMIQUE DES ETATS PAUVRES : ETUDE


CRITIQUE D’UNE SOCIETE AFRICAINE EN PROIE A DE NOMBREUSES
DIFFICULTES INTERNES
Christelle Michelle NWOUOTSO, (Cameroun)…………………………...…………………………......203

LE REPRÉSENTANT DE L’ETAT ET LA MISE EN ŒUVRE DE LA


DÉCENTRALISATION AU CAMEROUN
TCHOUBAN TCHANGA Deville, (Université de Yaoundé II / Cameroun)……………………....219

LA DEMOCRATIE AU SEIN DES PARLEMENTS DES ORGANISATIONS


D’INTEGRATION ECONOMIQUE EN AFRIQUE : LE CAS DE LA CEMAC
NANGA EBANGA Yannick, (Université de Dschang / Cameroun)……………………………….… 239

LA QUESTION DE LA PROTECTION DES ENFANTS EN LIGNE EN DROIT


CAMEROUNAIS
OKONO EBANGA Serge Dimitri, (Université de Yaoundé II-SOA / Cameroun)………………….. 261

LES POUVOIRS DE L’AUTORITE PREFECTORALE ET LA GARANTIE DE


L’UNITE DE L’ETAT EN MATIERE DE POLICE MUNICIPALE AU CAMEROUN
ENGAMBA Maurice Ronsard, (Université de Douala / Cameroun)…………………….……...…....291

ESSAI SUR L’APPROCHE CONSOCIATIVE EN DROIT CAMEROUNAIS DE LA


DECENTRALISATION
NKONO II Jean Philippe, (Université de Douala / Cameroun)……………….……….……...…....311

RECHERCHES SUR LES BIENS PUBLICS DES COLLECTIVITÉS


TERRITORIALES DÉCENTRALISÉES AU CAMEROUN
ELLA ABONGTOM Eric Aimé, (Université de Yaoundé II / Cameroun)………………….…...…....325

LA DISTINCTION ENTRE L’AUTORISATION D’ENGAGEMENT ET LE CREDIT


DE PAIEMENT EN DROIT PUBLIC FINANCIER CAMEROUNAIS
Martial BILE, (Université de Douala / Cameroun)………………….……………………………...…....355

JURISPRUDENCE

DECISION N°5/E/2024 DU 06 MARS 2024 DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DE LA


REPUBLIQUE DU SENEGAL....................................................................................................381

VIII
LEGISLATION

Décret n° 2024-690 du 06 mars 2024 fixant la date de l'élection présidentielle, Journal


Officiel de la République du Sénégal, Numéro spécial du jeudi 07 mars 2024, 169e ANNEE
- N° 7707……………………………………………………………………………………………389

Décret n° 2024-691 du 06 mars 2024 portant convocation du corps électoral pour l'élection
présidentielle du 24 mars 2024, Journal Officiel de la République du Sénégal, Numéro
spécial du jeudi 07 mars 2024, 169e ANNEE - N° 7707. …………………………………390

IX
DOCTRINE
LES VISAS DE LA LOI EN DROIT PARLEMENTAIRE

Par

Abdoulaye SOMA
Agrégé des Facultés de droit, Professeur des universités. Président du Conseil scientifique de la
Société Africaine pour le Droit International (SADI). Président du Conseil scientifique de la Société
Burkinabè pour le Droit International (SBDI). Président du Conseil scientifique de la Société
Burkinabè de Droit Constitutionnel (SBDC). Officier de l’Ordre International des Palmes
Académiques. Jurisconsulte-Conseil. Avocat. Université Thomas Sankara. Burkina Faso.

INTRODUCTION

Le laissez-passer dans l’ordonnancement juridique. C’est ainsi qu’on pourrait qualifier le


visa, notamment celui en entête de la loi. Tout comme le laissez-passer, qui autorise une
personne à entrer dans l’espace territorial d’un État1, le visa de la loi symbolise la carte d’entrée
de la loi dans l’ordre juridique de l’État. Pour traditionnel et habituel qu’ils soient, les visas de
la loi ne recouvrent pas moins de mysticisme et de mystère. Le fétichisme des visas de la loi,
dans la pratique législative des institutions parlementaires, attire l’intelligence
constitutionnelle. On cherche à mieux en appréhender les tenants et aboutissants fondamentaux
dans cette réflexion sur les visas de la loi en droit parlementaire.
Le droit parlementaire est « le droit qui intéresse les assemblées politiques délibérantes »,
pour Marcel Prélot2. Celui-ci entend lato sensu le droit parlementaire au sens matériel comme
comprenant l’ensemble des règles applicables aux assemblées parlementaires, quelles que
soient leur nature et leur valeur3. Le droit parlementaire peut être entendu stricto sensu au sens
formel comme le droit spécial des assemblées parlementaires exprimant leur traditionnel
pouvoir d’auto-organisation4. Même si cette dernière définition laisse penser à l’existence d’un
droit constitutionnel parlementaire et d’un droit administratif parlementaire, le droit
parlementaire est entendu comme partie intégrante du droit constitutionnel ; « cette partie du
droit constitutionnel qui traite des règles suivies dans l’organisation, la composition, les
pouvoirs et le fonctionnement des assemblées politiques »5. Le droit parlementaire est le droit
de l’organisation et du fonctionnement des organes parlementaires. C’est l’ensemble des règles
et des pratiques qui régissent les parlements en tant qu’organes politiques de l’État moderne,
tout autant que le droit constitutionnel est le droit de l’organisation et du fonctionnement de


Mode de citation : Abdoulaye SOMA, « Les visas de la loi en droit parlementaire », Revue RRC, n° 042 / Février
2024, p. 1-10.
1
Luca Scholz, Borders and freedom of Movement in the Holy Roman Empire, Oxford, Oxford university Press,
2020, pp. 7 et s.
2
Marcel Prélot, « Introduction au droit parlementaire », Politique, n°21/24, 1963, p. 11.
3
Marcel Prélot, Droit parlementaire français, Paris, Les cours de droit, 1953, pp. 5.
4
Pierre Avril, Jean-Gicquel et Jean-Éric Gicquel, Droit parlementaire, Paris, LGDJ, 2021, pp. 21.
5
Marcel Prélot, Droit parlementaire français : les pouvoirs et les procédures parlementaires, Paris, cours de droit,
1958, p. 5.

1
l’État comme corps politique6. En s’inspirant des brillantes et pionnières réflexions de Thomas
Jefferson, on précisera que les sources du droit parlementaire sont essentiellement la
Constitution, les règlements des assemblées, les coutumes comme règles non écrites des
pratiques parlementaires7. Dans la coutume des délibérations et des productions parlementaires,
les actes législatifs comportent des visas. Le terme visa est polysémique et multifonctionnel en
droit. Il peut désigner le visa de circulation, comme celui apposé sur le passeport d’un voyageur
autorisant le titulaire à entrer dans le pays dont l’autorité compétente agit8. Il peut désigner le
visa de procédure, apposé sur un acte pour attester qu’une formalité exigée par le droit pour sa
régularité a été bien accomplie9. Il peut désigner le visa bancaire, apposé sur un chèque ou un
instrument de paiement pour attester l’existence et la disponibilité de la provision à la date
indiquée10. Il peut s’agir du visa financier, qui est l’attestation par le contrôleur financier de la
régularité budgétaire d’un engagement ou d’un ordonnancement de dépense publique11. Il peut
s’agir du visa juridictionnel, qui est l’indication, dans la décision d’une juridiction, de la loi ou
de l’acte de procédure auquel elle se réfère12. Il peut s’agir du visa règlementaire, désignant la
partie de l’acte administratif où sont mentionnées les références aux textes dont l’acte
administratif concerné constitue l’exécution et, le cas échéant, les formalités qui sont suivies
pour son édiction 13 , etc. 14 . Pour normatif qu’il soit, ce visa règlementaire s’approche
matériellement du visa législatif ou visa de la loi. Je l’entends comme la partie liminaire de la
loi indiquant les textes qui lui servent de fondement15. Les visas de la loi sont les « vu » dans la
loi 16 . Les visas de la loi sont des constatations préliminaires qui indiquent les fondements
matériels et formels, substantiels et processuels de la loi. La loi ici est entendue strictement au
sens formel comme la loi votée par l’organe du pouvoir législatif de l’État17 ; toute délibération
normative dans le domaine législatif par l’organe compétent suivant la procédure prescrite18.
Dans cette étude sur les textes de références que vise ou devrait viser la loi, on est démuni
de texte de référence. On ne trouvera que rarement, s’il en est, pour ne pas dire nullement, dans
les Constitutions d’États ou dans les règlements des organes parlementaires des dispositions
précisant les textes à inclure dans les visas de la loi.

6
Abdoulaye Soma, Traité de droit constitutionnel général, Ouagadougou, LIBES, 2022, pp. 17 et s. ; Augustin
Loada et Luc Marius Ibriga, Droit constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou, PADEG, 2007, pp. 5 et
s.
7
Thomas Jefferson, Manuel de droit parlementaire ou précis des règles suivies dans le Parlement d’Angleterre et
le Congrès des États-Unis, pour l’introduction, la discussion et la décision des Affaires », traduit par L.A. Pichon,
Paris, L.A. Pichon, 1814, pp. 12 et s.
8
Serge Guinchard et Thierry Debard (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2012, pp. 890 et s.
9
Ibidem.
10
Ibidem.
11
Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1997, pp.1077 et s.
12
Ibidem.
13
Ibidem.
14
On peut trouver encore d’autres usages ou applications du visa en droit, en droit constitutionnel. V° Olivier
Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUD, 1992, pp. 1071 et s.
15
Inspirée de la définition générique du visa dans Henry Roland, Lexique juridique des expressions latines, Paris,
LexisNexis, 2014, p. 386.
16
V° Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, op.cit., p. 1072.
17
Bertrand Mathieu, La loi, Paris, Dalloz, 1996, pp. 17 et s. ; Themistoklis Raptopoulos, L’entrée en vigueur de
la loi : contribution à l’étude de la loi, Paris, Dalloz, 2020, pp. 24 et s.
18
Abdoulaye Soma, Traité de droit constitutionnel général, op.cit., p. 294.

2
C’est pourquoi, à propos des visas de la Loi, j’ai parlé de fétichisme. En l’absence même
de textes juridiques les lui indiquant et l’y obligeant, rarement, pour ne pas dire nullement, le
parlement n’adopte de loi en la forme sans y mentionner préliminairement de « Vu ». C’est dire
que le principe des visas de la loi résulte historiquement de pratiques parlementaires constantes
et concordantes. Il y a comme un culte spirituel, traditionnel et institutionnel des visas dans la
formation et l’édiction de la loi. C’est pourquoi, même si pour certains auteurs les visas
semblent ne pas être obligatoires pour les actes administratifs, en raison de la règle générale de
la liberté des formes en droit administratif19, je pense que pour la loi, le principe des visas est
devenu obligatoire, sur le fondement des pratiques parlementaires et des coutumes
constitutionnelles. L’histoire des pratiques parlementaires et constitutionnelles de différents
États semble avoir structuré et systématisé le principe que la loi comporte des visas. On y en a
quasiment toujours recours.
C’est pourquoi j’ai parlé de mysticisme des visas de la loi. Dans la philosophie des
délibérations des assemblées parlementaires, la pratique des visas de la loi s’approche d’un
dogmatisme. On y défère sans repère, non sans donner l’impression et le sentiment que toutes
les références citées sont réellement vues et sues par le parlement délibérant. Tout se passe
comme si le parlement a vérifié la compatibilité et la régularité de chaque disposition de la loi
en cause avec chaque disposition de chaque texte référencé dans les visas. Cette croyance
ajoute au mystère de la culture parlementaire et au symbolisme docte de l’infaillibilité des
assemblées législatives.
Le fétichisme, le mysticisme, le symbolisme et le traditionalisme de cette pratique
parlementaire attire et attise la réflexion sur les visas la loi. Y réfléchir, ce peut être de chercher
leur origine historique ou leur ontologie philosophique ; leur valeur juridique ou leur pratique
systématique ; leur logique ou leur dynamique.
En tout état de cause, le champ de l’étude est assez vierge et longtemps laissé en jachère.
Pour s’y engager, peut-être convient-il de commencer par cerner l’épistémologique et la
typologie des visas de la loi. C’est pourquoi la question fondamentale que je pose se réfère à
leur systématique dans les pratiques législatives des assemblées parlementaires. Quelles sont
les fonctionnalités des visas de la loi ? Quelles sont les modalités des visas de la loi ?
Le questionnement est d’intérêt à la fois juridique, épistémologique et philosophique dans
la mesure où il permet de savoir, dans l’intelligence et la science constitutionnelles, la raison
d’être des visas de la loi. Plus pragmatiquement, il permet aux organes législatifs de savoir quoi
mettre dans les visas de la loi. Cela est d’une importance fondamentale pour l’éclairage du droit
parlementaire et des pratiques parlementaires, tant l’adoption des lois est une activité courante
et fréquente dans le fonctionnement de l’État moderne actuellement impacté par le phénomène
de l’hyperactivité et de l’inflation législative20.

19
Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, op.cit., p. 1072.
20
Michel Troper, Francis Hamon et Pierre Brunet, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2024, pp. 778 et s. ; Manel
Benzerafa-Alilat et Patrick Gilbert, « De l’inflation normative à l’amplification des lois dans le processus
parlementaire : pistes pour une analyse avancée des facteurs inflationnistes », RFDA, n°182, 2022, pp. 541-563 ;
Piotr Zwiersykowski, « L’inflation législative. Quelques repères méthodologiques sur l’exemple de la législation
polonaise », RIDC, n°57, 2005, pp. 735-765 ; Rachel Vanneuville, « Les enjeux politico-juridiques du discours
sur l’inflation normative », Parlement, Revue d’histoire politique, n°11, 2009, pp. 80-91.

3
L’objectif de cette étude est de justifier et de systématiser les visas de la loi. Pour ce faire,
il faut faire venir à l’esprit que les visas de la loi sont solidement ancrés dans les pratiques
législatives des assemblées parlementaires, en raison de leurs fonctionnalités dans l’ordre
constitutionnel. Il faut aussi tenter d’indiquer, dans un État, les types de visas qu’une loi
comporte nécessairement au minimum.
C’est ainsi que je commencerai par étudier les fonctionnalités des visas législatifs (I). Je
réfléchirai ensuite sur les modalités des visas législatifs (II).

I- LES FONCTIONNALITES DES VISAS LEGISLATIFS

Si les visas de la loi ont été systématisés dans la formation, la production et l’adoption
des normes législatives, c’est qu’ils ont des fonctionnalités et comblent des attentes précises.
De l’historique et de la dynamique des pratiques parlementaires en droit constitutionnel
comparé de différents États, on peut tirer que les visas de la loi ont au moins une double
fonctionnalité. D’une part, ils indiquent le fondement de la validité matérielle de la loi (A).
D’autre part, ils justifient du fondement de la régularité formelle de la loi (B).

A- Fondement de la validité matérielle de la loi

La première fonctionnalité fondamentale des visas de la loi est d’indiquer le fondement


de la validité matérielle de la loi. Les visas de la loi ont pour fonction et pour vocation
d’instruire sur les assises juridiques de la validité de la loi concernée dans le contenu substantiel
et le sens intellectuel de ses dispositions. On pourrait les appeler visas de fond. C’est pourquoi
les visas citent les textes de référence de la loi dans l’État. Ils impliquent que la loi n’est pas la
norme suprême dans l’ordonnancement juridique de l’État.
Les visas de la loi citent les textes de référence de la loi dans l’État. Ils ont pour
fonctionnalité de justifier du fondement juridique de la validité de la loi adoptée dans
l’ordonnancement juridique de l’État. Cette fonctionnalité des visas de la loi ressort de leur
définition et de leur signification technique dans l’esprit de la plupart des États et des auteurs.
On est unanime à intégrer dans la définition des visas de la loi leur vocation à récapituler les
textes fondamentaux auxquels le législateur entend se référer pour assurer et rassurer que la
norme qu’il adopte est valide dans l’ordonnancement juridique de l’État. En effet, certains
voient dans chaque élément des visas contenus dans le texte de loi la désignation du « texte sur
lequel il s’appuie »21 . Pour d’autres, les visas sur le texte de loi visent à montrer qu’il est
« régulier et valable »22. Certains autres y voient « les textes qui lui servent de fondement »23,
ou le « fondement juridique (« la base légale ») » sur lequel il repose24. En somme, nul n’ignore,
ni nul ne conteste que les visas de la loi structurent le bloc juridique des textes sur lesquels les
organes parlementaires entendent fonder la validité de la loi.

21
Serge Guinchard et Thierry Debard (dir.), Lexique des termes juridiques, op.cit., pp. 890 et s.
22
Henri Capitant (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1936, p. 495.
23
Henry Roland, Lexique juridique des expressions latines, op.cit., p. 386.
24
Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, op.cit., p. 1071.

4
Les visas de la loi impliquent alors que la loi n’est pas la norme suprême dans
l’ordonnancement juridique de l’État25. Si on a besoin de montrer et démontrer, par les visas,
que la loi s’appuie sur d’autres textes juridiques pour justifier de sa validité juridique dans
l’ordre juridique, c’est que la loi n’est pas la Loi fondamentale du pays 26 . Il fut certes un
moment dans la vie juridique de l’État où la loi était la norme suprême de l’État. Elle était
réputée exprimer éminemment la volonté générale27. Elle imposait absolument le principe de
la légalité dans tout l’ordre juridique interne de l’État28. On imagine qu’en ces temps, point
n’était besoin de visas de la loi, en tout cas pas dans le sens d’indiquer les normes qui
commandent sur elle et sa validité dans l’ordre juridique. On sait que maintenant la loi
n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution29, notamment. La loi n’est
donc plus la norme suprême de l’État. Elle est soumise au respect de la Constitution30, par les
vertus du principe de constitutionnalité 31 , et de ce que j’ai appelé par ailleurs principe
d’internationalité32. On comprend dès lors la nécessité de principe, ainsi que la diversité de
nature, des visas de la loi.
Les visas de la loi constituent le bloc de textes juridiques référentiels de formation et
d’adoption de la loi, qui est à la fois par nature une norme juridique de fond et de forme. Dans
cette fonctionnalité, les visas de la loi indiquent le fondement de la validité matérielle de la loi,
mais aussi le fondement de la régularité formelle de la loi.

B- Fondement de la régularité formelle de la loi

La seconde fonctionnalité fondamentale des visas de la loi est d’indiquer le fondement de


la régularité formelle de la loi. Les visas de la loi ont pour fonction et pour vocation d’instruire
sur les assises processuelles de la loi votée. C’est une fonctionnalité essentielle des visas que
de montrer que l’acte qu’ils chapotent a été adopté suivant la procédure indiquée pour son
édiction. On pourrait les appeler visas de forme ou visas de procédure. Il en va ainsi, parce
qu’on peut dire que la loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la
procédure indiquée. Les visas de forme laissent entendre le respect par le parlement de la
procédure indiquée pour la formation, la délibération, la discussion et l’adoption de la loi.

25
Hans Kelsen, Théorie pure du droit, traduction française de la 2e éd. de la « Reine Rechtslehre » par Charles
Eisenmann, Paris, Dalloz, 1977, pp. 299 et s.
26
Maurice Ahanhanzo Glèlè, « La Constitution ou Loi fondamentale », in Encyclopédie juridique de l’Afrique,
Abidjan, Dakar, Lomé, Les nouvelles éd. Africaines, pp. 52 et s.
27
Raymond Carré De Malberg, La loi, expression de la volonté générale, Paris, Economica, 1984, pp. 25 et s.
28
Jacques Chevallier, « la dimension symbolique du principe de légalité », Figures de la légalité, 1992, pp. 55-
90 ; Pierre Delvolvé, « Le principe de légalité en droit comparé : essai de synthèse », RFDA, n°2, 2022, p. 247.
29
Conseil constitutionnel français, décision du 23 août 1985, Nouvelle Calédonie ; Philippe Blachèr, Contrôle de
constitutionnalité et volonté générale : La loi votée… n’exprime la volonté générale que dans le respect de la
Constitution, Paris, PUF, 2001, pp. 12 et s.
30
Guy Carcassonne, La Constitution, Paris, Seuil, 1996, pp. 7 et s. ; Michel Verpeaux, La Constitution, Paris,
Dalloz, 2016, pp. 17 et s. ; Andrea Auer, « De la suprématie et de la dépendance de la Constitution : un essai »,
Présence et actualité de la constitution dans l'ordre juridique, 1991, pp. 15-33.
31
Louis Favoreu, « Le principe de constitutionnalité », Mélanges Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, pp.33 et s.
32
Abdoulaye Soma, « Le principe d’internationalité », Revue des Réflexions Constitutionnelles RRC, n°41, 2026,
pp. 1-16.

5
D’une part, on peut concevoir que la loi votée n’exprime véritablement la volonté
générale que dans le respect de la procédure indiquée. Cela signifie qu’il existe une procédure
spécifique d’édiction de la loi, ou des différents types de lois, qu’on appelle couramment
« procédure législative ordinaire »33, pour la distinguer par exemple de la procédure spéciale
d’édiction des normes de révision constitutionnelle,34 qui lui est dérogatoire. Cette procédure
législative ordinaire est souvent évoquée, parfois précisée, préliminairement par la
Constitution, dans des dispositions similaires à celles des articles 97 et 98 de la Constitution du
Burkina Faso 35 . Pour l’amplitude de sa connaissance, la procédure législative ordinaire est
mieux indiquée et mieux précisée par le règlement des assemblées parlementaires. La vocation
du règlement d’un organe parlementaire monocaméral ou d’une chambre parlementaire d’une
assemblée bicamérale est de préciser, avec davantage de détails que la Constitution, les phases
de procédure à suivre pour délibérer et voter valablement sur une loi 36 . La loi votée n’est
régulière que dans le respect des formes procédurales dues.
D’autre part, les visas de forme ont pour fonction de laisser entendre le respect par le
parlement de la procédure de formation, de délibération, de discussion et d’adoption de la loi.
L’indication de la régularité de forme de l’acte est un but essentiel des visas en entête de l’acte.
C’est une considération quasi-unanime pour les États et les auteurs. C’est ainsi que pour
certains, les visas attestent que la « formalité exigée par les textes a bien été accomplie » dans
l’édiction de l’acte concerné37. Pour d’autres, les visas rassurent sur « l’accomplissement d’une
formalité » codifiée dans l’édiction régulière de l’acte concerné38. Pour certains autres encore,
les visas cités par un organe sont des éléments « mentionnant les formalités qui ont été suivies,
le cas échéant, l’acte de procédure auquel il se réfère » pour l’acte juridique qu’il émet39.
Comme on le voit, dans leur double fonctionnalité, on peut distinguer deux types de visas.
Il y a d’abord ce que j’appelle visas de fond, qui ont pour fonction d’attester de la validité
matérielle de l’acte, c’est-à-dire de la compatibilité du contenu substantiel de ses dispositions
avec les textes juridiques qui lui servent de fondement et qu’il doit respecter pour être valable
et applicable dans l’ordre juridique. Il y a ensuite ce que j’appelle visas de forme, qui ont pour
vocation d’attester de la régularité formelle de l’acte, c’est-à-dire de la conformité de la
procédure de son édiction avec les textes juridiques qui indiquent les phases du processus de
son édiction. Ainsi, si par les visas de fond on entend rassurer contre l’invalidité matérielle de
l’acte, par les visas de forme on entend assurer contre l’irrégularité processuelle de l’acte, ou
les vices de procédure dans la formation de l’acte. On est ainsi déjà engagé dans la réflexion
sur les modalités des visas législatifs.

33
Basile Ridard, L’encadrement du temps parlementaire dans la procédure législative : Etude comparée :
Allemagne, Espagne, France Royaume-Uni, Paris, Université Panthéon-Sorbonne-Paris I, 2016, pp. 12 et s.
34
Marc Uyttendaele, « La procédure de révision de la Constitution belge-procédure à réviser… », Anuario
Iberoamericano de Justicia constitucional, n°9, 2005, pp. 515-527.
35
Abdoulaye Soma, La Constitution du Burkina Faso, Ouagadougou, ERT, 2016, pp. 152 et s.
36
Jean-François Kerléo, Règlement de l’Assemblée nationale commentée, Paris, LGDJ, 2022, pp 15 et s.
37
Serge Guinchard et Thierry Debard (dir.), Lexique des termes juridiques, op.cit., pp. 890 et s.
38
Henri Capitant (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 495.
39
Henry Roland, Lexique juridique des expressions latines, op.cit., p. 386 ; Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire
juridique, op.cit., pp.1077 et s.

6
II- LES MODALITES DES VISAS LEGISLATIFS

Dans la diversité des pratiques parlementaires, il semble important de dégager des sortes
de constantes à propos des visas de la loi. Par modalités des visas de la loi, j’entends les aspects
systématiques des visas de la loi, c’est-à-dire le substrat de règles dans la pratique des visas de
la loi en droit parlementaire.
Si l’on rapproche la diversité des pratiques des visas de la loi avec la fonctionnalité des
visas de la loi, on peut dégager deux types de visas de la loi, selon le critère de la possibilité
pour tels ou tel élément de figurer dans les visas de la loi. Dans cette tentative de systématisation
des visas de la loi sur ce critère, on peut distinguer les visas obligatoires pour la loi (A), des
visas facultatifs pour la loi (B).

A- Les visas obligatoires pour la loi

Les visas obligatoires pour la loi sont les textes de normes juridiques que doivent
comporter nécessairement les visas de la loi. Ce sont les actes normatifs valables et applicables
dans le pays que les lois du pays doivent viser pour justifier qu’elles sont également valables et
applicables dans le pays. Je voudrais discuter d’abord le principe de l’obligation des visas de la
loi. Je préciserai ensuite les normes qu’il est obligatoire d’inclure dans les visas de la loi.
Le principe de l’obligation des visas de la loi pose la question et le problème juridiques
de savoir s’il y a obligation que la loi comporte des visas. En l’occurrence, le parlement est-il
tenu de mettre des visas en entête des lois qu’il adopte ? Pour répondre à une telle question, il
faut commencer par constater que normativement, il n’est nullement inscrit dans les textes de
référence des délibérations législatives une règle prescrivant une obligation de visas de la loi,
ni même une faculté de visas de la loi, encore moins une interdiction de visas de la loi. C’est
dire que les normes de référence qui encadrent les délibérations législatives des assemblées
parlementaires sont en silence normatif sur la prescription de l’obligation, de l’interdiction ou
de la faculté des visas de la loi. Si l’on se tourne vers la formation ou l’existence de coutumes
constitutionnelles pouvant être tirées des pratiques parlementaires des visas de la loi, on peut,
au minimum et unanimement pour certains États comme le Burkina Faso, constater l’existence
de pratiques concordantes et constantes systématisant l’insertion et l’apposition de visas en
entête des lois40. Si jamais loi n’a été adoptée sans visas, c’est qu’on a pensé que jamais loi ne
devrait être adoptée sans visas ou encore qu’une loi doive être adoptée avec nécessairement des
visas. De ces pratiques législatives ostensibles et ostentatoires, on peut tirer l’existence d’une
règle de coutume constitutionnelle ou de coutume parlementaire instituant le principe de
l’obligation de visas de la loi. Cela implique que le parlement est obligé d’avoir des visas dans
les lois qu’il vote. Le principe de l’obligation des visas de la loi est davantage coutumier que
codifié. S’il en est ainsi, les questions subséquentes qui se posent sont celles de savoir si une
loi est invalide sans visas. La juridiction constitutionnelle peut-elle, à l’occasion d’un contrôle
de constitutionnalité de la loi, censurer et invalider une loi pour défaut de visas, s’il en est ? Le
Président de la République peut-il refuser de promulguer une loi votée par le parlement pour

40
Par exemple, Assemblée nationale, Recueil des lois, Tome I & Tome II, Ouagadougou, AN, 2016, pp. 7 et s.

7
défaut de visas ? On penserait que c’est exagéré dans la pratique institutionnelle d’une bonne
République, mais dans la rigueur du droit et des conclusions qui ressortent de l’étude, la réponse
est nécessairement positive. De coutume, les visas de la loi sont obligatoires dans leur principe.
Obligatoires qu’ils soient dans leur principe, certains visas sont obligatoires dans leur
systématique, c’est-à-dire qu’il y a des textes de normes juridiques qui doivent figurer dans les
visas de la loi. En matière de visas de fond, la logique étant de justifier du fondement matériel
de la loi au regard des textes de normes juridiques qui lui sont supérieurs et qu’elle doit respecter
pour être valable et applicable41, toutes les catégories de normes supérieures à la loi dans l’ordre
constitutionnel doivent en principe figurer dans les visas de la loi. A défaut de viser chacun de
ces textes, on peut viser chaque catégorie de ces textes. Ainsi, la Constitution doit être visée
dans la loi. Par « Vu la Constitution », on entend viser l’ensemble des normes du bloc de
constitutionnalité dans l’ordre constitutionnel. On peut se limiter à viser la catégorie unique, au
lieu de verser dans la litanie de l’énumération de tous les instruments de valeur constitutionnelle
dans le pays, sauf s’il n’y en a qu’un nombre très limité. C’est l’exemple des lois visant la
Constitution et la Charte de la transition dans les pays en période de transition politique et en
dualité constitutionnelle 42 . Toujours en matière de visas de fond, la catégorie juridique
comportant « les traités et accords internationaux régulièrement acceptés » doit être visée, dès
lors que la Constitution précise que ceux-ci sont supérieurs à la loi, dans des dispositions
constitutionnelles similaires à celles de l’article 151 de la Constitution du Burkina Faso43. Cette
catégorie doit être littéralement visée, par « Vu les traités et accords internationaux ». Dans la
pratique, elle ne l’est que rarement. On pourra y comprendre qu’il en va ainsi, en raison du visa
de la Constitution qui comporte déjà le principe de l’obligation de conformité de la loi aux
traités et accords internationaux. En matière de visa de forme, la logique étant de justifier de la
régularité formelle de la loi au regard des textes de normes juridiques qui encadrent sa
procédure d’édiction, qu’elle doit respecter pour être valable et applicable, en sus de la
Constitution, le Règlement du parlement ou de la Chambre parlementaire délibérant doit être
visé, par « Vu le Règlement ». Le règlement doit être respecté dans les délibérations
parlementaires, à peine d’invalidation44. Le Règlement est pour le Parlement, en quelque sorte,
« l’acte de procédure auquel il se réfère » quand il fabrique la loi 45 . Le Règlement de
l’Assemblée parlementaire fait partie des visas obligatoires, car une loi n’est pas régulièrement
votée en violation de ce Règlement46. Une loi est invalidée, en contrôle de constitutionnalité, si
sa procédure d’adoption viole la procédure indiquée dans ce Règlement47. La preuve est que les
juridictions constitutionnelles invalident une loi votée, pour manquement aux règles fixées dans

41
Serge Guinchard et Thierry Debard (dir.), Lexique des termes juridiques, op.cit., pp. 890 et s. ; Henri Capitant
(dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 495 ; Henry Roland, Lexique juridique des expressions latines, op.cit., p.
386 ; Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, op.cit., p. 1071.
42
C’est le cas notamment du Burkina Faso, du Mali, du Niger et de la Guinée en 2022, 2023 et 2024. V° Abdoulaye
Soma, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », RRC, n°40, 2023, pp. 1-10.
43
Abdoulaye Soma, La Constitution du Burkina Faso, op.cit., p. 188.
44
Cour constitutionnelle du Bénin, Arrêt du 7 mai 2003, AKOBI et autres. ; arrêt du 4 juin 2003, QUENUM
Epiphane et autre ; Arrêt du 29 octobre 2008, Ismaël TIDJANI-SERPOS.
45
Henry Roland, Lexique juridique des expressions latines, op.cit., p. 386 ; Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire
juridique, op.cit., pp.1077 et s.
46
Cour constitutionnelle du Bénin, Arrêt du 24 juin 2022, Noël Olivier KOKO.
47
Cour constitutionnelle du Bénin, Arrêt du 8 juillet 2006, AHOSSI Jean Iréné et consorts.

8
le Règlement de la chambre parlementaire48. Le Règlement doit être visé, d’autant plus qu’à
strictement parler le Règlement est la Constitution du Parlement. Aucun organe ne légifère, ni
ne délibère décisivement sans viser l’acte qui lui sert de Constitution, c’est-à-dire de fondement
normatif à la matière ou à la manière d’exercice de ses compétences décisionnelles. C’est le cas
notamment des juridictions constitutionnelles, qui, en sus de viser la Constitution du pays,
visent dans leurs décisions le texte qui leur sert de Constitution, à savoir la loi organique qui
les régule49.
En somme, pour les États, les visas obligatoires pour la loi concernent la catégorie
juridique « Constitution » et la catégorie juridique « Règlement », même si rien ne s’oppose à
l’insertion de la catégorie juridique « traités et accords internationaux », en raison des exigences
de conformité réelle à ces textes juridiques de référence fondant la validité matérielle et la
régularité formelle de la loi pour être validée et appliquée comme loi de la République. C’est
donc dire que tous autres éléments que l’on peut trouver dans les visas de la loi, dans la diversité
des pratiques parlementaires d’États modernes, font partie des visas facultatifs pour la loi.

B- Les visas facultatifs pour la loi

Les visas facultatifs pour la loi sont les textes de normes juridiques que peuvent comporter
les visas de la loi. Ce sont les actes normatifs valables et applicables dans le pays que les lois
du pays peuvent viser pour justifier qu’elles sont également valables et applicables dans le pays.
En quelques sorte, les visas facultatifs sont les instruments juridiques que l’on retrouve dans les
visas de la loi, mais qu’il ne parait pas obligatoire de viser. Il peut s’agir de lois antérieures. Il
peut aussi s’agir de textes particuliers.
S’agissant des lois antérieures, elles sont parfois inclues dans les visas de la loi votée.
C’est dire qu’en entête d’une loi qu’il vote, le parlement peut viser les lois antérieures au vu et
au su desquelles la loi en cause est délibérée. Il peut s’agir de viser les lois antérieures que la
loi en cause tend à modifier. Il peut également s’agir de viser les lois antérieures avec lesquelles
on veut justifier de la cohérence de la loi en cause50. Je pense que le visa des lois antérieures
est facultatif pour la loi votée, parce que ces lois antérieures ne fondent pas la validité et
l’applicabilité de la loi votée, à moins que ce ne soit des lois qui appartiennent à une catégorie
juridique, qui dans l’ordre constitutionnel de l’État concerné, est supérieure à celle de la loi en
cause. Sinon, pour des lois de même nature, de même valeur et de même rang, point besoin de
les viser. De toutes façons, en cas de contrariété entre la loi votée et des dispositions législatives
antérieures dans des matières identiques ou connexes se pose un conflit de lois51. D’après les
règles applicables en la matière, ce type de conflit se règle essentiellement en faveur de la loi

48
Cour constitutionnelle du Mali, Arrêt du 13 octobre 2016 ; Cour constitutionnelle du Bénin, Arrêt du 8 juillet
2006, AHOSSI Jean Iréné et consorts.
49
Par exemple, Augustin Loada et Abdoulaye Soma, Avis et décisions commentées de la justice constitutionnelle
burkinabè de 1960 à 2007, Ouagadougou, CGD, 2009, pp. 20 et s. ; Ariane Vidal-Naquet, « Les visas dans les
décisions du Conseil constitutionnel », RFDC, n°67, 2006, pp. 535-570.
50
Olivier Duhamel et Yves Mény, Dictionnaire constitutionnel, op.cit., p. 1071.
51
Elie Lenglart, La théorie générale des conflits de lois à l’épreuve de l’individualisme, Paris, LGDJ, 2023, pp. 2
et s. ; Elise Ralser et Fabienne Jault-Seseke, « Conflits de loi », Revue critique de droit international privé, Vol.
3, 2015, pp. 594-631 ; Paul Roubier, « Les conflits de lois dans le temps », Annales sociologiques, n°1, 1935, pp.
154 et s.

9
nouvellement votée 52 . D’ailleurs, pour beaucoup de lois, le législateur prend souvent la
précaution d’insérer une disposition dans la loi nouvellement votée, qui annule ou abroge toutes
dispositions antérieures contraires.
S’agissant des textes particuliers, ils sont parfois inclus dans les visas de la loi votée.
C’est dire qu’en entête d’une loi qu’il vote, le parlement peut viser des textes spécifiques. Cette
spécificité n’est pas à exclure, en raison des particularismes constitutionnels et parlementaires
nationaux. Le principe de l’autonomie parlementaire des assemblées législatives, ainsi que le
principe de l’autonomie constitutionnelle des États modernes, dictent de laisser ouverte la
possibilité de visas spécifiques dans la loi. La matière est donc difficile à la systématisation
absolue et générale. On ne peut que donner une analyse dans des illustrations concrètes du
caractère superfétatoire de tel ou tel texte que le parlement fait figurer dans les visas de la loi.
Par exemple pour la loi au Burkina Faso, le parlement a pris l’habitude de viser
systématiquement sa propre « résolution portant validation du mandat des députés » en entête
des lois qu’il vote53. Ce visa de la résolution portant validation du mandat des députés dans
l’ordre constitutionnel et le droit parlementaire du Burkina Faso me semble facultatif. Dans la
réalité du droit, cette résolution ne fonde, ni ne valide en rien le mandat des députés. En effet,
en vertu de l’article de 152 de la Constitution, « le Conseil constitutionnel est l’Institution
compétente en matière constitutionnelle et électorale… Il contrôle la régularité, la transparence
et la sincérité… des élections législatives et est juge du contentieux électoral. Il proclame les
résultats définitifs des élections …législatives »54. Il apparait ainsi clairement qu’en matière
d’élections des députés, la juridiction constitutionnelle vide le contentieux électoral affectant
les résultats provisoires proclamés par l’administration électorale. Par suite, il proclame les
résultats définitifs des élections des députés. Cette proclamation définitive valide
constitutionnellement le mandat de tout député sur la liste des députés définitivement proclamés
élus par le juge constitutionnel. Si l’on tient compte de l’article 159 de la même Constitution
qui dispose que « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours.
Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles »55, on peut dire qu’il est inutile d’adopter une résolution parlementaire pour
valider ou même pour constater la validité du mandat des députés, définitivement et
suprêmement validé par la juridiction constitutionnelle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que
le visa d’une telle résolution en entête des lois votées par les députés est inutile. Il est facultatif.
S’il n’enlève rien à la validité et à l’applicabilité de la loi votée, il n’y ajoute absolument rien
du tout.
En somme, les visas de la loi sont une matière vierge en droit parlementaire et un sujet
aride en droit constitutionnel. Les normes, la jurisprudence et la doctrine y sont quasiment
inexistantes. Dans cette étude, j’ai voulu donner les fonctionnalités et les modalités minimales
des visas de la loi, espérant jeter un peu de lumière sur une matière aussi obscure que les arcanes
du Parlement.

52
Edmond Picard et Léon Hennebloq, « La solution des conflits de lois dans le temps et le droit transitoire dans le
code judiciaire », Journal des Tribunaux, n°84, 1969, pp. 1-7.
53
Assemblée nationale, Recueil des lois, Tome I & Tome II, op.cit., pp. 7 et s.
54
Abdoulaye Soma, La Constitution du Burkina Faso, op.cit., pp. 189 et s.
55
Ibidem, p. 195.

10
L’EVOLUTION DU CONTENTIEUX DES NORMES DEVANT LE CONSEIL
CONSTITUTIONNEL SENEGALAIS : REFLEXION A PARTIR DE LA DECISION
N°1/C/2024 DU 15 FEVRIER 2024

Par

Charles TUEKAM TATCHUM


Docteur/Ph.D en Droit public
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Ngaoundéré (Cameroun)
BP : 454
Tel : 00237695878406
Courriel : charlestuekam@yahoo.fr

Résumé
Gardien infaillible de la Constitution et co-contituant avisé. Ainsi pourrait-on résumer la
décision n°1/C/2024 rendue par le Conseil constitutionnel sénégalais le 15 février 2024. Le report de
l’élection présidentielle après le 2 avril 2024, c’est-à-dire au-delà de la limite du mandat présidentiel
en cours est-il conforme à la Constitution ? Le Conseil a profité de cette occasion pour faire évoluer le
contentieux des normes soumis à son appréciation en étendant prudemment son office à deux
principaux égards. D’une part, il va élargir la catégorie des normes contrôlés aux lois de révision
d’origine parlementaire et aux actes administratifs rattachables aux élections soumises à sa juridiction.
D’autre part, il va enrichir le bloc de constitutionnalité en y intégrant de nouveaux principes et
exigences à valeur constitutionnelle.
Mots clés : Constitution ; principes à valeur constitutionnelle ; loi constitutionnelle ; acte
administratif ; Conseil constitutionnel.

Summary
Infallible guardian of the Constitution and wise co-constituent. Thus, we could summarize
decision n°1/C/2024 rendered by the Senegalese Constitutional Council on February 15, 2024. The
postponement of the presidential election after April 2, 2024, that is to say beyond the limit of the
current presidential term compliant with the Constitution? The Council took advantage of this
opportunity to develop the standards dispute submitted to its assessment by prudently extending its
office in two main respects. On the one hand, it will expand the category of controlled standards to
revision laws of parliamentary origin and administrative acts relating to elections subject to its
jurisdiction. On the other hand, it will enrich the block of constitutionality by integrating new
principles and requirements with constitutional value.
Keywords: Constitution; principles with constitutional value; constitutional law; administrative
act; Constitutional Council.


Mode de citation : Charles TUEKAM TATCHUM, « L’évolution du contentieux des normes devant le conseil
constitutionnel sénégalais : réflexion à partir de la décision n°1/c/2024 du 15 février 2024 », Revue RRC, n° 042
/ Février 2024, p. 11-32.

11
INTRODUCTION

Alors que le temple sacré de la Constitution en Afrique continue d’être hanté par les
vieux démons de l’autoritarisme, profané par la recrudescence des pratiques
constitutionnelles1 d’un autre âge2, le juge constitutionnel sénégalais vient de montrer, par une
décision qui fera probablement date, qu’il entend bien protéger le sanctuaire constitutionnel3.
Il confirme, contrairement à certains de ses homologues africains 4, l’importance de la justice
constitutionnelle dans l’édification de l’Etat de droit démocratique5 et la régulation des
phénomènes de pouvoir6. La décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 qui sert de prétexte à la
présente étude renforce à n’en point douter le prestige, la noblesse et l’autorité de la
juridiction constitutionnelle au Sénégal7.
En effet, depuis la tentative du Président Macky SALL de briguer un troisième mandat à
la présidence de la République et le feuilleton judiciaire Ousmane SONKO8, principale figure
de l’opposition, les signaux de la vitalité de la démocratie sénégalaise semblaient « au
rouge ». Craignant que ce pays, réputé pour son exemplarité démocratique en Afrique noire
francophone ne bascule dans l’instabilité et le non droit comme certains de ses voisins dans la

1
K. DOSSO, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone : cohérences et
incohérences », RFDC, 2012/2, n°90, pp. 57-85.
2
On observe sur le continent une recrudescence des coups d’Etat et autres formes de changement
anticonstitutionnels de gouvernement. Lire à ce propos E. M. NGANGO YOUMBI et B. CISSE, « Chronique de
32 ans de coups d’Etat en Afrique (1990-2022) », RFDC, 2023/1, n° 133, pp. E25-E52 ; M.-A. BOISVERT
(Dir.), Coups d’Etat en Afrique : le retour de l’uniforme en politique, Bulletin Francopaix, Vol. 7, n° 1-2, Jan.-
Fév. 2022, 24p. ; P. JACQUEMOT, « En Afrique, des coups d’Etat, signe de l’épuisement prématuré de la
démocratie importée », in Policy Paper, n°15/23, octobre 2023, 19p. ; B. BIANCH et B. SANGARE, « Le coup
d’Etat au Niger, entre réformisme civil et conservatisme militaire », Politique Africaine, n°171-172, 2023, pp.
241-260 ; L. R. AWA NOA, « L’armée est-elle un « pouvoir constitutionnel » en Afrique ? », Revue RRC, n°
040, décembre 2023, pp. 109-133.J.-C. TCHEUWA, « L’Union africaine et les changements anticonstitutionnels
de gouvernement », RRJ-Droit Prospectif, 2009, n° 2, pp. 995-1022 ; J. KAZADI MPIANA, « L’union africaine
face à la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernement », Revue québécoise de droit
international, 25(2), 2012, pp. 101–141 ; S. MAHAMADOU OUEDRAOGO, La lutte contre la fraude à la
constitution en Afrique francophone, thèse de Doctorat en droit, Université Montesquieu-Bordeaux IV, 2011,
p. 137
3
H. KELSEN, La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle), Paris, Giard, 1928,
p. 8 ; A. SOMA, « Insurrection juridictionnelle au Sénégal », Afrilex, février 2024, 11p.
4
E. NGANGO YOUMBI, « Le nouveau Conseil constitutionnel camerounais : la grande désillusion », RDP, n°
5, 2019, p. 1379-1419.
5
G. CONAC, « Le juge et la construction de l’Etat de droit en Afrique francophone », in L’Etat de droit,
Mélanges en l’honneur de Guy BRAIBANT, Paris, Dalloz, 1996, p.105 ; S. MILACIC, « L’Etat de droit, pour
quoi faire ? L’Etat de droit comme logistique d’une bonne gouvernance démocratique », in Le nouveau
constitutionnalisme, Mélanges en l’honneur de Gérard CONAC, Paris, Economica, 2006, p. 375.
6
B. KANTE, « Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en Afrique », in
Constitutions et pouvoirs, Mélanges en l’honneur de Jean GICQUEL, Paris, Montchrestien, 2008, p. 266.
7
M. DIAGNE, « Le renouveau de la justice constitutionnelle en Afrique. L’exemple du conseil constitutionnel
du Sénégal », Annuaire internationale de justice constitutionnelle, 1996, Vol. XII, p. 99.
8
OUSMANE SONKO était poursuivi par le ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang, pour diffamation,
injures et faux. Il avait été condamné en mars 2023, en première instance, à deux mois de prison avec sursis et
200 millions de francs CFA (305 000 euros) de dommages-intérêts. En appel au mois de mai, et en l’absence de
M. SONKO, la justice avait durci la peine de prison en la portant à six mois de prison avec sursis. La Cour
suprême sénégalaise a confirmé, jeudi 4 janvier 2024, juste avant minuit cette condamnation de l’opposant
emprisonné après un bras de fer de plus de deux ans avec l’Etat qui a donné lieu à plusieurs épisodes de troubles
meurtriers.

12
sous-région9, l’intervention du Conseil constitutionnel, dans un contexte marqué par les
soupçons de corruption10, à l’occasion du report inattendu par le Président de la République
Macky SALL de la date de la prochaine élection présidentielle au-delà de la limite de son
mandat était vivement attendue.
Conformément au corpus normatif encadrant la tenue de l’élection présidentielle au
Sénégal, le mandat du Président de la République en fonction devrait s’achever le 2 avril
2024. En date du 3 février 2024, le Président de la République avait pris un décret qui
abrogeait celui du 29 novembre 2023 convoquant le corps électoral pour le 25 février 2024.
Le 5 février 2024, l’Assemblée nationale adoptait dans la foulée une loi constitutionnelle qui
modifiait l’article 31 de la Constitution fixant la tenue de l’élection présidentielle à «
quarante-cinq jours francs au plus et trente jours francs au moins avant la date de
l’expiration du mandat du Président de la République en fonction ». Cette loi
constitutionnelle, qui permettait au Président de la République de rester en fonction au-delà de
la limite constitutionnelle de son mandat, souleva une indignation quasi générale au sein de la
classe politique et dans le milieu universitaire sénégalais.
Face à cette situation, certains acteurs politiques11 vont saisir le Conseil constitutionnel
pour solliciter l’invalidation de la loi portant révision de l’article 31 de le Constitution et du
décret n° 2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps
électoral pour l'élection présidentielle du 25 février 2024. De plus, ils invitaient le Conseil à «
ajuster, si besoin, la date de l’élection présidentielle pour tenir compte des jours de
campagne perdus ». La haute juridiction sénégalaise, en répondant favorablement à toutes les
demandes12, profitera de l’occasion pour rendre une décision novatrice en ce qu’elle fait
évoluer le contentieux des normes devant la juridiction constitutionnelle dans ce pays.

9
Nous faisons référence ici au Mali, au Burkina Faso, au Niger et à la Guinée Conakry qui ont tous basculé
récemment dans les régimes militaires. Lire F. J. AIVO, « L’ordre constitutionnel d’urgence dans les régimes
militaires. A la lumière des coups d’Etat au Mali, au Tchad, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon »,
RDP, mars 2024, pp. 155-166.
10
Le média BBC News Afrique révèle que le 31 janvier, une demande tendant à la mise sur pied d’une
Commission d'enquête parlementaire en vue de faire la lumière sur des soupçons de corruption contre deux
membres du Conseil constitutionnel après le rejet de la candidature de Karim Wade pour cause de double
nationalité a été formulée par le groupe parlementaire du PDS, appuyée par les députés de la coalition Benno
Bokk Yaakar au pouvoir et votée à la majorité des députés présents : 120 pour et 24 contre. Pendant que le
Conseil dénonce à travers un communiqué publié le lundi 29 janvier, des « accusations graves et infondées de
corruption, conflits d’intérêt et connexions douteuses » contre certains de ses membres et appelle à l’éclatement
de la vérité tout en mettent en garde contre une déstabilisation des institutions et une menace sur la paix
publique, l’un des juges constitutionnels mis en cause dans ces accusations de corruption, Cheikh Ndiaye, a
déposé une plainte au parquet du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Dakar contre
cette « accusation grossière ». Sur son compte Twitter, Karim Wade se félicite d’une « victoire décisive contre
un coup d’état électoral » et exige « l’instauration d’une Cour constitutionnelle véritablement indépendante ».
Lire « Pourquoi le Conseil constitutionnel fait-il l'objet d'une commission d'enquête au Sénégal ? », article
consultable sur https://www.bbc.com/afrique/articles/c1vywrx3xx9o, consulté le 15 mars 2024 à 09 heures 03
minutes.
11
En l’espèce, il s’agit des députés Mouhamed Ayib salim DAFFÉ et Samba DANG, agissant en leur nom et au
nom de 38 autres députés, du député Babacar MBAYE, agissant en son nom et au nom de 16 autres députés, et
de El Hadji Malick GAKOU, Cheikh Tidiane DIÈYE, Habib Sy, Bassirou Diomaye Diakhar FAYE, El Hadji
Mamadou DIAO, Thierno Alassane SALL et Daouda NDIAYE, candidats à l’élection présidentielle initialement
prévue pour 25 février 2024.
12
Rappelons que dans sa Décision n°60/E/2024 du 05 mars 2024, le Conseil constitutionnel sénégalais a émis un
avis défavorable à la proposition issue du Dialogue national de reporter l’élection présidentielle au 02 juin 2024

13
En instituant un Conseil constitutionnel défini par Louis FAVOREU comme une «
juridiction créée pour connaître spécialement et exclusivement du contentieux constitutionnel
(…) »13, le Sénégal comme la quasi-totalité des Etats d’Afrique noire francophone a marqué
son adhésion au modèle européen ou concentré de justice constitutionnelle14. Ce modèle, dont
on attribue la paternité aux travaux de Hans KELSEN15 s’oppose au système américain du
judicial review16. Le maître de vienne postule qu’il faut confier le monopole de l’appréciation
de la constitutionnalité à un organe unique, spécialisé en la matière qui rendrait des décisions
produisant des effets erga omnes. Le Conseil constitutionnel apparaît ainsi comme l’organe
au service de la justice constitutionnelle. Sa fonction est « d’assurer, sans restriction, la
suprématie de la Constitution »17. C’est à ce titre qu’il statue sur le contentieux de certaines
normes juridiques.
Par norme18 juridique, il faut considérer la signification prescriptive d’un acte de
volonté19 qui s’insère dans un ordre juridiquement valide et globalement efficace20. Cet acte

(Considérant 7). Lire sur la fonction consultative des juridictions constitutionnelles J. M. BIKORO, La fonction
consultative des juridictions constitutionnelles en Afrique noire francophone, Paris, l’Harmattan, coll. Etudes
africaines, 2021, 244p. ; R. ARSAC, « La fonction consultative du Conseil constitutionnel », RFDC, 2006/4
n°68 pp.783-789. Dans la continuité de sa démarche, il va prescrire la date 31 mars 2024 comme valant
convocation du corps électoral. Le Conseil fonde sa démarche sur l’urgence née du constat de la carence du
Président de la République à convoquer de nouveau le corps électoral dans les « meilleurs délais », c’est-à-dire
avant le 2 avril 2024, date d’expiration du mandat présidentiel en cours. (Décision n°5/E/2024 du 06 mars 2024,
Considérants 12, 13 et 14). Toutefois, dans le communiqué daté du 7 mars 2024, le Conseil va, par l’entremise
de son Président, se rétracter motif pris de ce que, par « décrets n°2024-690 et 2024-691 du 6 mars 2024 notifiés
le même jour auprès de sa juridiction, le Président de la République a fixé la date de l’élection présidentielle au
dimanche 24 mars 2024 et convoqué le corps électoral à cet effet ». Rappelant qu’il s’agit « d’une prérogative
légale du Président de la République » et que cette date est conforme « à l’exigence constitutionnelle de la
reprise du processus électoral interrompu en vue de la tenue du scrutin avant la fin du mandat présidentiel », le
Président de la haute juridiction va expliquer dans le même communiqué que dans sa Décision n°5/E/2024 du 06
mars 2024, le Conseil « n’a exercé cette prérogative que par substitution (…) afin de pallier l’inertie de
l’administration ».
13
L. FAVOREU, « Cours constitutionnelles », in, O. DUHAMEL et Y. MENY (Dir.), Dictionnaire
constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 255 ; L. FAVOREU, « Modèle américain et modèle européen de justice
constitutionnelle », AIJC, Vol IV, 1988, pp. 51-66
14
M. FROMONT, La justice constitutionnelle dans le monde, Paris, Dalloz, 1996, pp. 2-3 ; D. ROUSSEAU, La
justice constitutionnelle en Europe, Paris, Montchrestien, 3e éd., 1998, pp. 13-29 ; F. HAMON et C. WIENER,
La justice constitutionnelle : Présentation générale, France, Etats –Unis, Paris, La documentation française, n°
1.15, 2006, pp. 37-60.
15
H. KELSEN, « La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle) », RDP, 1928, pp.
197- 257 ; du même auteur, « Le contrôle de constitutionnalité des lois. Une étude comparative des constitutions
autrichienne et américaine », RFDC, 1990, I, pp. 17-30.
16
Le système américain est une création jurisprudentielle du Chief Justice Marschall dans sa décision Marbury
v/ Madison de 1803. V. F. HAMON et C. WIENER, La justice constitutionnelle : Présentation générale,
France, Etats –Unis, op. cit., pp. 37-60 ; E. ZOLLER, « Présentation de la Cour suprême des Etats Unis »,
Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 5, pp. 40-52. Précisons que dans le modèle américain, tout juge, fédéral
ou étatique, saisi d’une affaire même en première instance dispose d’une plénitude de juridiction pour se
prononcer sur une question de constitutionnalité soulevée à l’occasion d’un litige pour lequel il est saisi. Pour
Hans KELSEN, le modèle diffus ou décentralisé manque d’unité et peut être source d’insécurité juridique en
raison de l’éventualité des divergences de jurisprudence du au caractère relatif de l’autorité de la chose jugée qui
se limite aux parties.
17
L. FAVOREU, « Justice constitutionnelle », op. cit., pp. 556 et 557.
18
En effet, tiré du latin norma, qui exprime l’idée de « règle », le terme « norme » peut être rapproché d’un
ordre, d’une prescription.
19
H. KELSEN, Théorie générale des normes, Paris, PUF, coll. Léviathan, 1996, p. 10.
20
Cette définition de la norme semble recueillir l’accord du courant normativiste comme de celui réaliste. V. E.
MILLARD, « Qu’est-ce qu’une norme juridique ? », CCC, n° 21, 2006, p. 59. Pour le normativisme, norme

14
est celui « par lequel une conduite est ou prescrite, ou permise et en particulier habilitée »21.
La norme est ainsi envisagée comme l’expression d’un « devoir être »22. Si la notion de
contentieux est difficile à saisir en raison de son rattachement à l’idée de juridiction ou à celle
de litige, de contestation ou de réclamations, on convient avec le Doyen HAURIOU que le
contentieux se rapporte à une « contestation que les parties ont accepté de soumettre à un
juge public, afin que celui-ci y trouve une solution pacifique »23. Cette contestation peut
porter sur un droit subjectif (contentieux subjectif) comme il peut concerner le droit objectif
(contentieux objectif). A cet égard, même si la dichotomie contentieux objectif/contentieux
subjectif est parfois contestée24, il faut considérer le contentieux des normes devant la
juridiction constitutionnelle comme objectif au sens d’« un moyen de redressement du droit
objectif, et ceci par le biais d'un ''procès fait à un acte'' dans l'intérêt premier de
l'ordonnancement juridique […] »25.
Dans sa décision n°1/C/2024 du 15 février 2024, le Conseil constitutionnel sénégalais
est bien resté dans ce schéma du contentieux objectif. Il s’est en effet abstenu, malgré le
revirement effectué quelques jours plus tard26, de fixer une date précise pour la tenue de la
prochaine élection présidentielle. Une telle démarche se serait incontestablement apparentée à
une injonction dénaturant le caractère objectif du recours27 dont il a été saisi.
Dès lors, comment peut-on caractériser l’évolution du contentieux des normes devant le
Conseil constitutionnel sénégalais sous le prisme de la décision n°1/C/2024 du 15 février
2024 ?
En effet, la décision rendue peut être à juste titre rangée au panthéon des « grandes
décisions »28. Elle a permis de restaurer l’autorité de la loi fondamentale tout en empêchant

renvoie à un « « énoncé impératif ou prescriptif appartenant à un ordre ou système normatif, et obligatoire dans
ce système ». La validité de la norme implique ici nécessairement son caractère obligatoire, ce qui n’est pas le
cas pour les réalistes. De plus, norme et énoncé sont confondus. Dans une optique réaliste, elle est la «
signification prescriptive d’un énoncé, quelle que soit sa forme, et en général de tout acte humain, au regard
d’un certain ordre ou système normatif ». La norme est ici distinguée de l’énoncé qui n’en est que le support.
Seule constitue une norme la signification de cet énoncé, laquelle résulte de la volonté de l’interprète. V. A.-J.
ARNAUD (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1ère éd., 1988, p.
267
21
H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Paris, LGDJ, 2e éd., 1999, p. 13.
22
O. PFERSMANN, Entrée « norme », in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique,
Paris, PUF, 2003, p. 1080 et s. ; E. MILLARD, « Qu’est-ce qu’une norme juridique ? », op. cit., p. 59 et s..
23
M. HAURIOU, « Les éléments du contentieux », Rec. de législation de Toulouse, 1905, pp. 1-98.
24
Lire à cet effet M. FROMONT, La justice constitutionnelle dans le monde, Paris, Dalloz, Coll. Connaissance
du droit, 1996, p. 41 ; T. SANTOLINI, « Les parties dans le procès constitutionnel en droit comparé », Cahiers
du Conseil constitutionnel, n°24, 2008, p. 122.
25
T. DI MANNO, Le Conseil constitutionnel et les moyens et conclusions soulevés d'office, Paris, Economica-
PUAM, 1997, p. 41.
26
Considérants 12, 13 et 14 de la décision n°5/E/2024 du 06 mars 2024 précités.
27
P. BRUNET, « Le juge constitutionnel est-il un juge comme les autres ? Réflexions méthodologiques sur la
justice constitutionnelle », La notion de justice constitutionnelle, O. JOUANJAN, C. GREWE, E. MAULIN et P.
WACHSMANN (dir.), Paris, LGDJ, 2005, pp. 115-135 ; E.-W. BÖCKENFÖRDE, « Les méthodes
d’interprétation de la Constitution : un bilan critique », in Le droit l’État et la Constitution démocratique, Paris,
LGDJ, pp. 223-252 ; B. KANTE, « Les méthodes et techniques d’interprétation de la Constitution : l’exemple
des pays d’Afrique occidentale francophone », in Actes de la table ronde de l’Association internationale de droit
constitutionnel, organisée les 15 et 16 octobre 2004 à Bordeaux par le CERCCLE, Paris, Dalloz, 2005 p. 155.
28
L. SINDJOUN, Les Grandes décisions de la justice constitutionnelle africaine, Bruxelles, Bruylant, 2009, p.
311

15
l’Etat de basculer dans une instabilité sociopolitique29 liée aux élections30 qui aurait
définitivement acté la faillite de la prestigieuse institution. Le Conseil constitutionnel
sénégalais opère le choix audacieux d’étendre, avec beaucoup de circonspection, son office en
matière de vérification de la constitutionnalité. En appuyant notre réflexion essentiellement
sur la casuistique et la dogmatique, il apparait qu’à rebours d’une conception restrictive de
son pouvoir, le juge constitutionnel sénégalais a décidé non seulement d’élargir avec
beaucoup de maîtrise le champ des normes contrôlées (I), mais aussi d’enrichir de façon
mesurée le contenu des normes de contrôle (II).

I. L’ELARGISSEMENT MAITRISEE DES NORMES CONTROLEES

Les normes contrôlées dans le rapport de constitutionnalité sont par hypothèse, des
normes dérivées dont la validité dépend de leur conformité à la Constitution. Les
normativistes nous enseignent que, la validité d’une norme juridique c’est la conformité de
celle-ci à une norme supérieure31. La norme n’est valide et n’intègre l’ordre juridique que si
une autre norme de valeur supérieure a réglé sa production32. En ce sens, le constituant
sénégalais a déterminé la nomenclature des normes susceptibles de faire l’objet d’une
vérification de constitutionnalité sans mentionner expressément les lois constitutionnelles
dans leurs différentes figures (A) et les actes administratifs33 (B) que le Conseil
constitutionnel vient d’inclure dans la catégorie des normes contrôlées.

A. L’admission inachevée du contrôle des lois constitutionnelles

Conformément aux prescriptions du constituant sénégalais, les normes susceptibles de


faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité sont : les lois inconstitutionnelles (sans autres
précisions)34, les textes de forme législative intervenus dans les matières qui ne sont pas du
domaine de la loi35, les lois organiques36, les propositions ou amendement au cours de la

29
J. MEUNIER, « Les décisions du Conseil constitutionnel et le jeu politique », Pouvoirs, n°105, 2003, p. 29-40.
30
A. B. FALL, « Le processus de démocratisation en Afrique francophone : le juge de l’élection dans l’impasse
? (Essai de prospective) », in Démocratie et élections dans l’espace francophone, Prévention des crises et
promotion de la paix, Volume II, éd. Bruylant, 2010, Chapitre XIV.
31
Lire J.-P. DEROSIER, « Qu’est-ce qu’une révolution juridique ? Le point de vue de la théorie générale du
droit », RFDC, 2015/2, n° 102, pp. 391-404 ; M. TROPER, « Ross, Kelsen et la validité », Droit et société
2002/1, n°50, p. 44.
32
O. PFERSMANN, « Hiérarchie des normes », in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture
juridique, op. cit., p. 779 ; R. CARRÉ DE MALBERG, Confrontation de la théorie de la formation du droit par
degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, Paris,
Sirey, 1933, p. 2.
33
Selon l’article 92 de la loi n°2001-03 du 22 janvier 2001 portant Constitution du Sénégal révisée par la loi
constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016, « Le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité des
lois et des engagements internationaux (…), ainsi que des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la
Cour d’Appel ou la Cour suprême ». Cette disposition est reprise par l’article premier de la loi organique
n°2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.
34
« Le Conseil constitutionnel peut être saisi d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle par
le Président de la République dans les six jours francs qui suivent la transmission à lui faite de la loi
définitivement adoptée ; par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée
nationale, dans les six jours francs qui suivent son adoption définitive » (article 74 de la Constitution
sénégalaise).
35
Article 76 de la Constitution de 2001 précitée.

16
procédure législative qui ne sont pas du domaine de la loi37 et les engagements
internationaux38.
Nulle part dans cette nomenclature il n’est fait explicitement référence aux lois
constitutionnelles ou de révision. A propos d’ailleurs de cette catégorie normative, le Conseil
constitutionnel sénégalais s’était prononcé en 2005, contre la vérification de la
constitutionnalité d’une loi de révision. Il déclarait avec fermeté et sans ambiguïté ce qui suit :
« Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel est strictement délimitée par la
Constitution et la loi organique sur le Conseil constitutionnel ; que le Conseil ne saurait être
appelé à se prononcer dans d’autres cas que ceux limitativement prévus par ces textes ; que
le Conseil constitutionnel ne tient ni des articles 74 et 103 de la Constitution ni d’aucune
disposition de la loi organique le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle »39.
La décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 qui vient d’être rendue sonne comme un
coup de tonnerre puisqu’elle procède à un revirement, un « dédit » selon l’heureuse
expression du Professeur SOMA40. En se déclarant compétent « pour statuer sur les recours
dirigés contre les lois constitutionnelles »41, les sages du Conseil affirment « que le périmètre
de compétence du Conseil constitutionnel dans le contrôle de constitutionnalité des lois, est
circonscrit, en matière de révision constitutionnelle, à la vérification du respect des
conditions d'adoption, d'approbation et des limites temporelles et matérielles que la
Constitution elle-même fixe à l'exercice des pouvoirs du constituant dérivé »42.
Ce changement de cap ne devrait pas surprendre si l’on privilégie la logique formelle et
non matérielle dans l’appréhension de la notion de Constitution. Du point de vue matériel, il
n’y aurait pas de différence entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant
dérivé en raison de l’identité et de l’indivisibilité des matières constitutionnelles réglées43. Le
Professeur RABAULT parle de « l’unité du pouvoir constituant »44. En effet, les lois

36
« Les lois qualifiées organiques par la Constitution sont votées et modifiées à la majorité absolue des
membres composant l’Assemblée nationale. Elles ne peuvent être promulguées si le Conseil constitutionnel,
obligatoirement saisi par le Président de la République, ne les a déclarées conformes à la Constitution » (article
78 de la Constitution sénégalaise).
37
« S’il apparaît, au cours de la procédure législative, qu’une proposition ou un amendement n’est pas du
domaine de la loi, le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement peuvent opposer l’irrecevabilité.
En cas de désaccord, le Conseil constitutionnel, à la demande du Président de la République, du Président de
l’Assemblée nationale ou du Premier Ministre, statue dans les huit jours » (article 83 de la Constitution
sénégalaise).
38
« Si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution, l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après la révision de la
Constitution » (article 97 de la Constitution sénégalaise).
39
Décision n° 3/C/2005. Cette position semblait d’ailleurs bien établie au regard des espèces du Conseil
constitutionnel du Sénégal, Décision du 9 octobre 1998, considérant 12 ; Décision du 11 juin 2003, considérants
2 et 3 ; Décision du 18 janvier 2006, considérant 3 ; Décision du 18 juin 2009, considérant 1 ; Décision du 12
février 2016, considérants 4 et 5 ; Décision du 9 mai 2018, considérants 6 et 7 ; Conseil constitutionnel du
Sénégal, Décision du 11 juin 2003, considérant 3 ; Décision du 9 mai 2018, considérant 6.
40
A. SOMA, « Insurrection juridictionnelle au Sénégal », op. cit., p. 2
41
Considérant 8 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.
42
Considérant 6 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.
43
Lire que la question L. FAVOREU, « L'injusticiabilité des lois constitutionnelles », RFDA, n° 4, 2003, pp.
794-795 ; J.-E. SCHOETTL, « Le Conseil constitutionnel peut-il contrôler une loi constitutionnelle ? », Les
Petites affiches, 8 avril 2003, n° 70, pp. 21-22.
44
H. RABAULT, « La clause d’éternité : la recevabilité des recours contre les lois de révision
constitutionnelle », Les Petites affiches, 30 août 2004, n° 173, p. 2.

17
constitutionnelles ayant un objet constitutionnel, ne sauraient se situer à un degré hiérarchique
inférieur à celui de la Constitution45. En revanche, l’approche formelle considère qu’à partir
du moment où la Constitution définit les conditions de production des lois constitutionnelles
en déterminant sa procédure et ses limites, la violation de ces prescriptions justifie
l’annulation de la loi de révision ainsi réputée inconstitutionnelle46. Dès lors, le pouvoir de
révision est incontestablement subordonné au pouvoir constituant47. Rien de surprenant car le
pouvoir de révision constitutionnelle est créé par le pouvoir constituant originaire et exercé
dans le cadre défini par celui-ci. Parce que le pouvoir de révision constitutionnelle tient de la
Constitution son existence ou son fondement, il doit respecter les dispositions de cette
dernière qui l'organisent et parfois qui lui imposent des limites. Le pouvoir de révision
constitutionnelle ne saurait donc détruire sans conséquence son propre fondement.
A cet égard, le juge constitutionnel béninois fait office de pionnier. Il a déclaré nulle
une loi constitutionnelle pour violation de la Constitution dans une décision historique48. A
travers un raisonnement subtil et audacieux dont la Cour constitutionnelle béninoise a seule le
secret, elle a jugé que la révision constitutionnelle du 23 juin 2006 est invalide, car elle viole
non seulement certaines dispositions spécifiques de la Constitution, mais aussi le consensus
national qui émerge comme un principe à valeur constitutionnelle. En admettant ainsi que les
lois constitutionnelles sur la forme comme sur le fond doivent être conformes à la
Constitution, le juge constitutionnel béninois était soucieux de protéger la normativité de
l’acte fondamental de la nation qui constitue un ordre de valeurs dont la lettre et l’esprit ne
sauraient être altérés49.

45
Selon le doyen VEDEL, « Le pouvoir constituant dérivé n’est pas un pouvoir d’une autre nature que le
pouvoir constituant initial : la Constitution lui donne sa procédure…, elle ne borne point son étendue », G.
VEDEL, « Schengen et Maastricht », RFDA, 1992, p. 179 ; B. M. METOU, « Existe- t- il une hiérarchie entre
les normes constitutionnelles des Etats africains ? », Afrilex, 2021/3, 32p.
46
Lire avec intérêt K. GÖZLER, Le pouvoir de révision constitutionnelle, Thèse de Doctorat en droit, Université
de Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997, 2 volumes, 774p.
47
M.LUCIANI, « Le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles en Italie », Les Cahiers du Conseil
Constitutionnel, n°27 – 2009, pp. 27-31 ; B. COULIBALEY, « La neutralisation du parlement constituant. À
propos de la décision n° DCC 06-074 du 8 juillet 2006 », RDP, n°5-2009, pp. 1493-1515.
48
En effet, le 23 juin 2006 les députés procédaient à l’adoption d’une loi constitutionnelle tendant à réviser
l’article 80 de la Constitution portant de 4 à 5 ans, la durée du mandat parlementaire, avec une application à la
législature en cours dont le terme devait donc être prorogé d’une année supplémentaire. Les controverses et les
débats houleux qui ont émaillé l’adoption parlementaire de la loi constitutionnelle au sein de l’hémicycle vont se
déporter devant le juge constitutionnel. Certains députés et acteurs politiques demandent à la Cour
constitutionnelle de valider la loi de révision de la Constitution adoptée par le parlement, dans la mesure où ils y
trouvent une résolution du problème de la révision de la Constitution du 11 décembre 1990. D’autres, encore
plus nombreux, y compris le président de la République, demandent à la Cour constitutionnelle d’invalider la loi
querellée, dans la mesure où ils y voient une violation de plusieurs dispositions aussi bien du règlement intérieur
de l’Assemblée nationale, que de la Loi suprême du 11 décembre 1990. Lire A. SOMA, « Le contrôle de
constitutionnalité des normes supra-législatives : note sous Cour Constitutionnelle, décision DCC 06-074 du 8
juillet 2006, loi constitutionnelle de prorogation du mandat des députés », Annuaire Béninois de Justice
Constitutionnelle, Dossier spécial 21 ans de jurisprudence de la Cour Constitutionnelle du Bénin (1991-2012),
Presses Universitaire du Bénin, 2013, pp. 97 et ss. ; du même auteur, « Le contrôle de constitutionnalité des lois
constitutionnelles en Afrique noire francophone », Pratique Juridique Actuelle (PJA), n°5, 2011, pp. 619 à 640 ;
« La souveraineté du pouvoir constituant et le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles », Annales
de l’Université de Ouagadougou, vol. 004, 2012, pp. 225 à 273.
49
L. KLEIN, « Démocratie constitutionnelle et constitutionnalisme démocratique : essai de classification des
théories juridiques de la démocratie », consultable sur http://www.cairn.info.ressources.univ-
poitiers.fr/article_p.php?ID_ARTICLE=RFDC_109_0121, 24 pages.

18
Sur le principe de la justiciabilité des lois de révision, le Sénégal emboîte le pas à son
voisin béninois50. En effet, la loi votée le 5 février 2024 par l’Assemblée nationale portait
dérogation à l’article 31 de la Constitution encadrant la période de tenue de l’élection
présidentielle. Elle était donc incontestablement une loi constitutionnelle dans la mesure où
elle « visait à modifier les dispositions constitutionnelles (…), même sans en changer
l’écriture »51. La modification constitutionnelle consistait ici à proroger l’échéance de
l’élection présidentielle et par ricochet le mandat du Président de la République en exercice52.
Une inquiétude demeure cependant quant à la position du juge sur cette question53.
Souvenons-nous qu’en fonction de leur processus d’adoption, les lois de révision
constitutionnelles peuvent être de nature législative quand elles sont votées par le Parlement,
représentant du peuple ou référendaire lorsqu’elles sont soumises à référendum pour
validation populaire. La distinction est importante puisqu’on se situe au niveau du contrôle de
la volonté souveraine exprimée directement ou par l’intermédiaire de ses représentants. La
décision étudiée confirme bien la possibilité de contrôler cette volonté, lorsqu’elle s’exprime
par l’intermédiation parlementaire. Rien d’anormal dans la mesure où cette volonté, souvent
tributaire de la dictature de la majorité, doit désormais se conformer à la Constitution. La
formule est bien connue : « la loi n’est l’expression de la volonté générale que dans le respect
de la Constitution »54.
Le raisonnement du juge constitutionnel sénégalais aurait-il été le même s’il lui était
soumis une loi de révision d’origine référendaire ? En attendant que sa position soit établie
sur ce point, on peut rappeler que le Conseil constitutionnel français s’est toujours déclaré
incompétent pour contrôler la constitutionnalité des lois référendaires55. Selon lui, « il résulte
de l'esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de
l'activité des pouvoirs publics que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article
61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le
peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté

50
M. MOUSTAPHA AÏDARA « Le juge constitutionnel africain et le contrôle des lois portant révision de la
Constitution : contribution à un débat », Annales de la Faculté de droit, 2012-2013, pp. 97-140 ; I. DIALLO,
« Pour un examen minutieux de la question des révisions de la constitution dans les Etats africains
francophones », Afrilex, 33p. ; du même auteur « A la recherche d’un modèle africain de justice constitutionnelle
», Annuaire International de Justice Constitutionnelle, Paris, Economica, PUAM, 2004, pp. 93-120.
51
A. SOMA, « Insurrection juridictionnelle au Sénégal », op. cit., p. 4.
52
Lire les articles 1 et 2 de la loi constitutionnelle du 5 février 2024. « Article 1er : par dérogation à l’alinéa
premier de l’article 31 de la Constitution aux termes duquel « le scrutin pour l'élection du président de la
République a lieu 45 jours francs au plus et 30 jours francs au moins avant la date de l'expiration du mandat du
Président de la République en fonction », le scrutin pour l’élection présidentielle du 25 février 2024 est décalé
au l5 décembre 2024. Article 2 - le Président de la République en exercice poursuit ses fonctions jusqu’à
l'installation de son successeur ».
53
C. TUEKAM TATCHUM, « Le conseil constitutionnel camerounais, juge du contentieux des lois
constitutionnelles ? », RADSP, Vol VIII, n° spécial 2020, 2ème semestre, pp. 261-282.
54
Conseil constitutionnel français, Décision n°85–197/DC Nouvelle-Calédonie du 23 août 1985. Lire aussi M.
GAUCHET, La Révolution des pouvoirs. La souveraineté, le peuple et la représentation 1789-1799, Paris,
Gallimard, 1995, p. 277 ; J. HUMMEL, « A qui appartient la volonté générale ? », Jus Politicum, n° 10, 2013,
17p. ; P. BRUNET, « Que reste-t-il de la volonté générale ? : Sur les nouvelles fictions du droit constitutionnel
Français », Revue Française d’Etudes Constitutionnelles et Politiques, 2005, 114, pp.5-20.
55
F. LUCHAIRE « La loi constitutionnelle en question. Commentaire de la décision du Conseil Constitutionnel
469 DC du 26 mars 2003 », in L’Etat et le Droit d’Est en Ouest, Mélanges en l’honneur de Michel LESAGE, éd.
Société Française de Législation comparée, 2006, p.75

19
nationale »56. Cette position de principe a d’ailleurs été réaffirmée dans la sa décision n°92-
313/D.C., Maastricht III, du 23 septembre 199257.
Comme on peut le constater, la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 rendue par le
Conseil constitutionnel sénégalais marque une évolution certaine dans l’office de la
juridiction en matière de contentieux des normes. Sa compétence s’étend désormais
indiscutablement aux lois de révision issues exclusivement du processus législatif. Sa position
sur les lois de révision d’origine référendaire reste donc vivement attendue, même s’il a élargi
aussi son domaine d’intervention à certains actes administratifs.

B. L’affirmation limitée du contrôle des actes administratifs règlementaires

La doctrine africaine ne s’est jamais offusquée de ce que certaines juridictions


constitutionnelles statuent sur la constitutionnalité des actes administratifs règlementaires58,
en l’occurrence ceux portant atteinte aux droits fondamentaux comme c’est le cas au Bénin et
au Gabon59. La Sénégal n’avait pas encore franchi ce cap pour deux raisons. Primo, les actes
administratifs n’entrent pas expressément dans le périmètre des normes contrôlées par le juge
constitutionnel sénégalais. Secundo, la vérification de la juridicité des actes règlementaires est
une compétence traditionnellement dévolue au juge administratif. L’article 92 de la
Constitution sénégalaise introduit néanmoins une ambiguïté en disposant que « le Conseil
constitutionnel connaît (…) des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour
d’Appel ou la Cour suprême ». Cette technique qui se rapproche de la question prioritaire de

56
Décision 62-20 D.C., Loi référendaire du 6 novembre 1962 sur la réforme par la voie de l'article 11 du mode
de désignation du Président de la République.
57
O. BEAUD, « En conclusion. Le Traité de Maastricht et le pouvoir constituant », Puissance de l’Etat, 1994,
pp. 457-491 ; du même auteur, « La souveraineté de l’Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht »,
RFDA, n°6, 1993, pp. 1056-1064 ; B. GENEVOIS, « Les limites de l’ordre juridique à l’intervention du pouvoir
constituant », RFDA, n°5, 1998, pp. 909-921 ; G. VEDEL, « Schengen et Maastricht (A propos de la décision
n°91-294 DC du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1991 », RFDA, n°2, 1992, pp. 177-180.
58
P. MOUDOUDOU, « Réflexions sur le contrôle des actes règlementaires par le juge constitutionnel africain :
cas du Bénin et du Gabon », Annales de l’Université Marien NGOUABI, 2011-2012, 12-13 (3), pp. 65-91 ; C.
KEUTCHA TCHAPNGA, « Le juge constitutionnel, juge administratif au Bénin et au Gabon ? », RFDC,
2008/3, n°75, pp. 551-583 ; J. Z. ONDOUA, « La répartition du contentieux des actes juridiques entre les juges
constitutionnel et administratif au Gabon », Afrique Juridique et Politique, La Revue du CRDIP, Vol.3, n°1 et 2,
Janvier-Décembre 2008, p. 93 ; P. DELVOLVE, « Le Conseil constitutionnel, juge administratif », in Les
mutations contemporaines du droit public. Mélanges Benoît Jeannot, Paris, Dalloz, 2002, p. 55-75.
59
L’article 3 al. 3 de la loi n° 90/32 du 11 décembre 1990 portant Constitution du Bénin est, à cet égard, très
explicite : « tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes
présumés inconstitutionnels ». Cet article doit être combiné avec l’article 117 alinéa 3 qui précise que la Cour
constitutionnelle statue obligatoirement sur : « la constitutionnalité des […] actes réglementaires censés porter
atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et, en général, sur la
violation des droits de la personne humaine » et l’article 121 alinéa 2 qui prévoit : « Elle se prononce d’office
sur la constitutionnalité […] de tout texte réglementaire censé porter atteinte aux droits fondamentaux de la
personne humaine et aux libertés publiques. Elle statue plus généralement sur les violations des droits de la
personne humaine et sa décision doit intervenir dans un délai de 8 jours ». La loi n° 3/91 du 26 mars 1991
(plusieurs fois modifiée) portant Constitution de la République du Gabon contient des dispositions d’inspiration
similaire. L’article 84 est ainsi rédigé : « La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la
constitutionnalité […] des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fonda mentaux de la personne
humaine et aux libertés publiques » ; selon l’article 85 : « les actes réglementaires peuvent être déférés à la
Cour constitutionnelle […] par tout citoyen ou toute personne lésée par […] l’acte querellé ». Enfin, aux termes
de l’article 86, « tout justiciable peut, à l’occasion d’un procès devant un tribunal ordinaire, soulever une
exception d’inconstitutionnalité à l’encontre […] d’un acte qui méconnaîtrait ses droits fondamentaux… ».

20
constitutionnalité en France60 a le défaut de ne pas préciser la nature du texte qui fait l’objet
de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée.
Quoiqu’il en soit, ce n’est pas sur le fondement de cette disposition que le Conseil
constitutionnel du Sénégal a récemment reconnu sa compétence pour statuer sur un acte
administratif, en l’occurrence le décret n°2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du
décret convoquant le corps électoral pour l'élection présidentielle du 25 février 2024. Saisi par
certains candidats pour ladite élection d’un recours tendant à contester la juridicité du décret
précité, le Conseil affirme clairement qu’il est compétent61 dans une motivation sans
équivoque62. Il considère à juste titre que le décret contesté manque de base légale. Non
seulement la loi constitutionnelle du 5 février 2024 qui lui aurait servi de fondement est
déclarée invalide, mais aussi, il n’est pas possible pour une proposition de loi notifiée au
Président de la République de servir de base légale à un décret présidentiel63.
Les sages du Conseil viennent ainsi d’innover à nouveau. L’extension de la catégorie
des normes contrôlées en matière de contrôle de constitutionnalité à certains actes
administratifs en est la parfaite illustration. En acceptant de se prononcer sur la juridicité du
décret n°2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps
électoral pour l'élection présidentielle du 25 février 2024, le Conseil constitutionnel donne le
sentiment de ne pas vouloir s’aligner derrière la position du juge administratif. Ce dernier
considère que le décret portant convocation du corps électoral est un acte de gouvernement64
insusceptible de recours65. Il y a incontestablement une absence de dialogue entre le juge

60
D. ROUSSEAU, « La question prioritaire de constitutionnalité : un big-bang juridictionnel ? », RDP,
n°3,2009, pp. 631 ; T. SANTOLINI, « La question prioritaire de constitutionnalité au regard du droit comparé »,
RFDC, n°93, 2013, pp. 83 ; J. BONNET et P.-Y. GAHDOUN, La question prioritaire de constitutionnalité,
Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? », 2014, pp. 106-107 ; M. HAULBERT, L’interprétation normative par les
juges de la QPC, Thèse de Doctorat en Droit public, Université Montpellier, 2018, 1261p.
61
Considérant n°8 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.
62
« Considérant que s'il est vrai que la Cour suprême est juge de l’excès de pouvoir des autorités exécutives, le
Conseil constitutionnel, juge de la régularité des élections nationales, dispose d'une plénitude de juridiction en
matière électorale, sur le fondement de l’article 92 de la constitution ; que cette plénitude de juridiction lui
confère compétence pour connaître de la contestation des actes administratifs participant directement à la
régularité d’une élection nationale, lorsque ces actes sont propres à ce scrutin », Considérant n°7 de la décision
n°1/C/2024 du 15 février 2024.
63
Considérants 22 et 23 de la Décision du 15 février 2024.
64
Bien que la notion soit rarement utilisée, on en trouve mention expresse au 19 e siècle en France dans la
jurisprudence du Conseil d’Etat et du Tribunal des Conflits. V. CE, 5 décembre 1838, Duchesse de Saint-Leu et
autres ; CE, 18 juin 1852, Héritiers d’Orléans ; TC, 25 mai 1889, Dufeuille. Elle disparait ensuite du
contentieux avant de connaitre un regain de faveur par le truchement de quelques décisions suivantes : TC, 12
février 1953, Secrétaire du comité d’entreprise de la SNCACE ; TC, 25 juin 1954, Barbaran et autres ; CE, 2
mars 1962, Rubin de Servens et autres. Lire M. VIRALLY, « L’introuvable acte de gouvernement », RDP, 1952,
p. 324 ; P.-H. CHALVIDAN, « Doctrine et acte de gouvernement », AJDA, 1982, p.5 ; M. KAMTO, « Actes de
gouvernements et droits de l’homme au Cameroun », Lex lata, N° 026, mai, 1996, p. 9 ; P. DUEZ, Les actes de
gouvernement, Paris, Sirey, 1934 ; R. CAPITANT, « De la nature des actes de gouvernement », in Mélanges
Julliot de la Morandière, Paris, Dalloz, 1964, p. 99 ; R. CHAPUS, « L’acte de gouvernement: monstre ou
victime », D. 1958, chron. 5.
65
« Constituent des actes de gouvernement insusceptibles de recours pour excès de pouvoir, le décret portant
fixation de la date du référendum et convocation du corps électoral qui a été pris dans le cadre des pouvoirs
constitutionnels du Président de la République, le décret portant organisation du référendum et celui portant
publication du projet de loi portant révision constitutionnelle », CS/CA, Arrêt n°19 du 17 mars 2016 Ousmane
SONKO c/ État du Sénégal, in Cour suprême, Service de Documentation et D’études, Bulletin des Arrêts n° 11-
12, Année judiciaire 2016, mai 2018, p. 205. Lire aussi S. BILONG, « Le déclin de l’État de droit au Cameroun :
le développement des immunités juridictionnelles » Juridis périodique n° 62, avril-mai-juin 2005, p. 55.

21
administratif et le juge constitutionnel sur cette question précise66. La Cour suprême du
Sénégal, saisie d’un recours en référé en date du 15 mars 2024 va d’ailleurs rendre une
ordonnance qui confirme sa position à propos l’injusticiabilité du décret de convocation du
corps électoral67. Cette concurrence apparente pourrait s’avérer dangereuse pour la sécurité
juridique et préjudiciable à la bonne administration de la justice. Il serait donc souhaitable
que, face à des jurisprudences manifestement discordantes ou contradictoires68 à propos de la
juridicité du décret convoquant ou annulant la convocation du corps électoral, les juges
sénégalais puissent réussir à établir une certaine cohérence jurisprudentielle69.
La position du juge constitutionnel sénégalais concernant le contrôle de cet acte
administratif spécifique est néanmoins compréhensible. Refuser de se prononcer sur la
juridicité du décret n°2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le
corps électoral pour l'élection présidentielle du 25 février 2024 aurait implicitement validé le
report de l’élection alors même que, celui-ci constituait la pomme de discorde au sein de la
classe politique. Il n’aurait pas été opportun pour le juge constitutionnel, saisi de cette cause,
d’opérer un déclinatoire de compétence et un renvoi à la Cour suprême qui aurait pour
conséquence de rallonger la durée du procès constitutionnel, désormais suspendu à une prise
de position de la Cour suprême sur la question. A supposer qu’il y ait un tel renvoi à la
juridiction compétente pour statuer sur les actes administratifs, le risque d’un revirement de
jurisprudence est limité dans la mesure où, cette dernière considère que, les actes
administratifs en rapport avec la convocation du corps électoral sont insusceptibles de
recours.
En annulant le décret querellé, les sages du Conseil ont voulu manifestement envoyer
un message fort aux acteurs politiques : refuser de se faire complice de la tentative de
forfaiture du Président sortant en raison d’une modification du calendrier électoral et de la
prorogation subséquente de son mandat au mépris des dispositions pertinentes et intangibles

66
Sur cette question lire Le dialogue des juges, Actes du colloque organisé le 28 avril 2006 à l’Université libre
de Bruxelles, Bruylant 2007 ; J. du BOIS de GAUDUSSON, « La complexité de la participation des Cours
suprêmes des pays en voie de développement au dialogue des juges », Petites affiches, 4 juin 2008, n°112, p. 22 ;
L. BURGORGUE-LARSEN, « De l’internationalisation du dialogue des juges, Missive doctrinale à l’attention
de Bruno Genevois », in Le dialogue des juges, Mélanges en l’honneur de Bruno GENEVOIS, Paris, Dalloz,
2009, p. 95 ; J-P COSTA, « Le dialogue du juge avec lui-même », in Le dialogue des juges, Mélanges en
l’honneur de Bruno GENEVOIS, op. cit., p. 195.
67
Dans cette espèce, les requérants ont saisi la Cour suprême d’un recours en contestation de la légalité des
décrets n°2024-690 du 06 mars 2024 fixant la date du prochain scrutin pour l’élection du Président de la
République au 24 mars 2024 et n°2024-690 du 06 mars 2024 convoquant les électeurs sénégalais. Le juge
administratif de l’urgence va déclarer irrecevable leurs demandes subséquentes en suspension de ces actes
administratifs motif pris de ce « qu’ils constituent par leur nature, une manifestation de la fonction
gouvernementale dans son expression purement politique et échappent au contrôle du juge de l’excès de pouvoir
dont l’intervention risquerait de compromettre gravement l’efficacité du contrôle des opérations électorales (…)
et porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics » (CS, Ord. n°8 du 15 mars 2024, Mamadou
DIOP, Mamadou Lamine THIAM et autres c/ Etat du Sénégal).
68
T. DI MANNO, « Les divergences de jurisprudence entre le Conseil constitutionnel et les juridictions
ordinaires suprêmes », in P. Ancel et M.-Cl. Rivier, Les divergences de jurisprudence, Publications de
l’Université de Saint-Étienne, 2003, p. 204.
69
C. KEUTCHA TCHAPNGA, « L’émergence d’une entente conceptuelle en matière électorale entre les
juridictions constitutionnelle et administrative au Cameroun », in M. KAMTO, S. DOUMBE-BILLE, B. M.
METOU (dir.), Regards sur le droit public en Afrique, Mélanges en l’honneur du Doyen Joseph Marie BIPOUN
WOUM, Paris, L’Harmattan, 2016, p. 27.

22
de la Constitution. En tout état de cause, la démarche parait judicieuse, tant le juge
administratif a très souvent utilisé la technique de l’écran législatif pour refuser de contrôler la
constitutionnalité d’un acte règlementaire lorsque ce dernier est conforme à une loi
inconstitutionnelle. De même, les requérants, en attaquant le décret n°2024-106 du 03 février
2024 portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l'élection présidentielle
du 25 février 2024 devant le Conseil constitutionnel ont voulu trouver refuge auprès du juge
constitutionnel dans le cadre d’une procédure moins coûteuse, plus rapide et plus efficace.
En tout état de cause, la motivation qui permet au juge constitutionnel sénégalais
d’annuler le décret querellé appelle deux remarques. D’une part, le juge considère que l’acte
administratif contesté s’inscrit dans le cadre des opérations non détachables du processus
électoral dont il est le censeur de la régularité70. Sa conception de la régularité du processus
électoral paraît dans cette veine extensive en ce qu’elle intègre les opérations normatives et
matérielles nécessaires à la bonne tenue du scrutin. Le Professeur SOMA s’en offusque
d’ailleurs car selon lui, être juge de la régularité des élections nationales et des consultations
référendaires et en proclamer les résultats, « c’est être juge du contentieux des actes définitifs
du scrutin et des résultats provisoires des votations concernées, pour en vider le contentieux
et pouvoir en certifier les résultats définitifs, avec l’autorité du jugement en dernier ressort
sans recours possible »71.
Par un tel mécanisme d’attraction qui s’éloigne de la position de certaines juridictions
constitutionnelles africaines72, les mesures de police administrative prises dans le cadre de la
gestion du scrutin seraient-elles justiciables au même titre devant le Conseil constitutionnel ?
On serait tenté de répondre par l’affirmative, car le Conseil affirme qu’il jouit « d'une
plénitude de juridiction en matière électorale, sur le fondement de l’article 92 de la
constitution ; que cette plénitude de juridiction lui confère compétence pour connaître de la
contestation des actes administratifs participant directement à la régularité d’une élection
nationale, lorsque ces actes sont propres à ce scrutin »73. Le risque est cependant que la
juridiction soit saisie d’une avalanche de recours qui engorgeraient inutilement son prétoire.
D’autre part, l’innovation que constitue le contrôle des actes administratifs devant la
juridiction constitutionnelle sénégalaise reste bien mesurée. En effet, il semble qu’il ne s’agit
pour l’instant que du contrôle des actes administratifs rattachables aux élections et notamment
aux élections nationales. Quelle serait la position du juge concernant la vérification de la
constitutionnalité du décret de convocation du corps électoral pour les élections locales ou
encore des actes administratifs non électoraux ne passant pas par le truchement de l’exception
d’inconstitutionnalité ? Quoiqu’il en soit, cette innovation jurisprudentielle consistant pour le
Conseil constitutionnel sénégalais à étendre le champ des normes contrôlées confirme qu’on
est bien loin de l’époque des juges frileux qui, par des décisions peu audacieuses, refusaient
d’entrer dans l’histoire par la grande porte. Le juge constitutionnel sénégalais dans le cadre de

70
« Le Conseil constitutionnel juge de la régularité des élections nationales et des consultations référendaires et
en proclame les résultats » (article 92 de la Constitution du Sénégal).
71
A. SOMA, « Insurrection juridictionnelle au Sénégal », op. cit., p. 10.
72
L. DIE KASSABO, « Le contentieux de l’élection présidentielle en Afrique », Afrilex, 2014, 32p. ; R.
THAMBA THAMBA, « Contentieux de l’élection présidentielle devant la Cour constitutionnelle : Esquisse de
questions d’ordre procédural », Librairie Africaine d’Études Juridiques, n°4, 2017, pp. 614-633.
73
Considérant n°7 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.

23
cette affaire ne s’est pas contenté d’élargir le champ des normes contrôlés. Il a également
profité de cette décision pour faire œuvre constituante en enrichissant le bloc de
constitutionnalité.

II. L’ENRICHISSEMENT MESURE DES NORMES DE REFERENCE

Le rapport de constitutionnalité repose sur la vérification de la conformité au bloc de


constitutionnalité des normes à valeur infra constitutionnelles. Il s’agit concrètement d’un
rapport de conformité entre une norme supérieure en ce qu’elle engendre ou habilite74 et une
norme inférieure en ce qu’elle concrétise la première soit par simple reproduction, soit par
réalisation concrète75. Encore appelées normes de contrôle et plus connues sous le nom de
bloc de constitutionnalité76, les normes de référence sont des dispositions, principes et
exigences ayant une valeur constitutionnelle et dont la méconnaissance est sanctionnée par le
juge constitutionnel dans le cadre de l’exercice de son contrôle de constitutionnalité77. La
décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 qui vient d’être rendue par le Conseil constitutionnel
sénégalais confirme que ce bloc de constitutionnalité est dynamique. Il a été enrichi à travers
l’invocation des principes à valeur constitutionnelle qu’il ne définit malheureusement pas (A)
et l’introduction de l’exigence constitutionnelle controversée du « meilleur délai » (B).

A. L’invocation indéfinie des principes à valeur constitutionnelle

Limité pendant longtemps au préambule et au corpus constitutionnel, le bloc de


constitutionnalité « suggère l’idée que le référentiel pour le contrôle de constitutionnalité ne
se limite pas aux articles numérotés de la Constitution »78. Les juges constitutionnels africains
tendent au fil de leurs jurisprudences, à enrichir la consistance des normes et principes qui lui
servent de référence en reconnaissant à ceux-ci une valeur constitutionnelle alors même qu’ils
n’ont pas été en tant que tels, affirmés par le constituant79. Ces principes constituent la
manifestation d’une ingénierie constitutionnelle inventive portée de plus en plus par les

74
G. TIMSIT, « L’ordre juridique comme métaphore », Droits, 2001/1, n° 33, p. 3 ; O. PFERSMANN, «
Hiérarchie des normes », in D. ALLAND et S. RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 779 ; R.
CARRÉ DE MALBERG, Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les
institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, op. cit., p. 2.
75
C. EINSENMANN, « Le droit administratif et le principe de légalité », EDCE, 1957-11, p. 25.
76
Lire avec intérêt sur cette notion C. ÉMERI, « Bloc de constitutionnalité », RDP, 1970, p. 608 ; E.
SOHOUNOU, « Les catégories du bloc de constitutionnalité », RCC, N°2 et 3, 2020, pp. 7-32 ; H.
AKEREKORO, « La Cour constitutionnelle et le bloc de constitutionnalité du Bénin », Afrilex, 2016, 44p. ; D.
BARANGER, « Comprendre le bloc de constitutionnalité », Jus Politicum, n°21, 2018, pp. 103-128 ; J. M.
BLANQUER, « Le bloc de constitutionnalité ou ordre constitutionnel ? », in Libertés, Mélanges Jacques
ROBERT, Paris, Montchrestien, 1998, p. 227.
77
Le bloc de constitutionnalité ne désigne que « l’ensemble des principes et règles à valeur constitutionnelle
dont le respect s’impose au pouvoir législatif comme au pouvoir exécutif, et d’une manière générale à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles ainsi […] qu’aux particuliers », L. FAVOREU, « Bloc de
constitutionnalité », in O. DUHAMEL et Y. MÉNY (dir.), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1ère éd.,
1992, p. 87.
78
E. SOHOUNOU, « Les catégories du bloc de constitutionnalité », op. cit., p. 8.
79
N. MEDE, Les grandes décisions de la Cour Constitutionnelle du Bénin, Saarbrücken, Editions Universitaires
Européennes, 2012, p. 133.

24
juridictions constitutionnelles africaines. Les principes à valeur constitutionnelle révèlent
ainsi la volonté de construire une identité constitutionnelle adaptée aux réalités africaines80.
Les principes découverts par l’activité interprétatrice du juge constitutionnel ne résulte
pas d’un choix hasardeux. Ils sont la conséquence d’une compréhension profonde des
contraintes sociopolitiques africaines et des difficultés récurrentes dans la gestion du pouvoir
nonobstant l’existence d’un cadre constitutionnel. Les principes à valeur constitutionnelle
servent donc de référence et permettent au juge de prévenir les multiples crises et conflits
politiques qui fragilisent les Etats africains. Le juge constitutionnel sénégalais a opéré le choix
audacieux de convoquer deux principes sur lesquels il s’est appuyé pour invalider la loi
constitutionnelle soumise à son appréciation. Il s’agit du principe à valeur constitutionnelle de
sécurité juridique et de stabilité des institutions81 d’une part, et du principe de la nécessaire
continuité du fonctionnement des institutions82 d’autre part.
Rappelons que du point de vue conceptuel, les principes « constituent une gamme de
standards autres que les règles qui doivent être observés »83. Ils font référence à des normes
qu’on regarde comme « fondamentales », c’est-à-dire particulièrement importantes du point
de vue axiologique84. Les principes seraient donc à la fois des normes fondamentales mais
structurellement indéterminées85. Il existe une interpénétration entre les principes à valeur
constitutionnelle et d’autres catégories du bloc de constitutionnalité comme les règles de
valeur constitutionnelle, les objectifs de valeur constitutionnelle, les exigences
constitutionnelles ou encore les principes généraux du droit86. Sous cet angle, le juge
constitutionnel sénégalais a manqué l’occasion d’être précis sur la teneur ou la consistance
des principes à valeur constitutionnelle auxquels il fait référence dans sa décision.
Les principes de sécurité juridique, de stabilité et de continuité institutionnelles
invoqués en l’espèce ne peuvent être saisis que du point de vue de leur finalité à savoir la
prévention d’une crise sociopolitique, la protection de l’ordre constitutionnel et de la

80
E. NGANGO YOUMBI et R. NGANDO SANDJE, « Existe-t-il une identité constitutionnelle africaine »,
RDP, n°5, 2021, pp. 1315-1350.
81
Le juge constitutionnel sénégalais considère « que la loi attaquée est contraire aux dispositions des articles 27
et 103 de la Constitution et au principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des
institutions », Considérant 17 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024. Il va le réitérer dans sa décision
n°60/E2024 du 5 mars 2023 lorsque des requérants vont solliciter son avis à propos de la date du 2 juin 2024
proposé par le dialogue national pour la tenue de l’élection présidentielle. Le juge va considérer que cette date,
qui va au-delà de la fin du mandat prévue pour le 2 avril 2014, est non seulement contraire aux dispositions
constitutionnelles intangibles sur la durée du mandat présidentiel mais aussi aurait pour effet de créer un vide
institutionnel non prévu par la Constitution. Il conclut que la date du 2 juin 2024 proposé est « contraire au
principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions » Considérant 6.
82
Le Conseil constitutionnel ajoute « qu'au regard de l‘esprit et de la lettre de la Constitution (…), le conseil
constitutionnel doit toujours être en mesure d'exercer son pouvoir régulateur et de remplir ses missions au nom
de l’intérêt général, de l'ordre public, de la paix, de la stabilité des institutions et du principe de la nécessaire
continuité de leur fonctionnement », Considérant 19 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.
83
R. DWORKING, « Le positivisme », Droit et société, n° 1, 1985, pp. 42.
84
C. TUEKAM TATCHUM, « Les principes directeurs de passation des contrats publics au Cameroun : la
difficile gestation d’un code de la commande publique », RDIDC, 2017, n° 4, p. 604.
85
Lire avec attention R. GUASTINI, « Les principes de droit en tant que source de perplexité théorique »,
Analisi e diritto, 2007, p. 2.
86
E. NGANGO YOUMBI, « Les normes non écrites dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin
», RDP, n° 6, 2018, p. 1712.

25
démocratie87. A l’analyse, les hauts magistrats du Constitutionnel sénégalais n’ont pas créé
ces principes ; ils les ont découverts puisque, ceux-ci préexistent au contrôle de
constitutionnalité88. Cette thèse de l’interprétation-découverte suppose que les principes
formulés par le juge constitutionnel même s’ils ne sont pas expressément écrits dans le texte
constitutionnel, pourraient lui être rattachés.
Par un tel raisonnement, le Conseil constitutionnel du Sénégal montre qu’il peut
s’appuyer sur des normes et des principes qui ne figurent pas directement dans la
Constitution, mais dont il peut se servir « par renvoi »89 pour élargir la gamme des normes de
référence et donc des sources du droit constitutionnel. Il a d’ailleurs rappelé que « (...) ni le
silence de la loi ni l’insuffisance de ses dispositions, n'autorisent le Conseil constitutionnel
(...) à s'abstenir de régler le différend porté devant lui ; qu'il doit se prononcer par une
décision en recourant, au besoin, aux principes généraux du droit, à la pratique, à l’équité et
à toute autre règle compatible avec la sauvegarde de l'État de droit et avec l'intérêt commun
»90.
Cela est d’autant plus vrai qu’il rattache les principes invoqués à la fonction régulatrice
que lui confère la Constitution en ces termes : « considérant qu'au regard de l‘esprit et de la
lettre de la Constitution (…), le conseil constitutionnel doit toujours être en mesure d'exercer
son pouvoir régulateur et de remplir ses missions au nom de l’intérêt général, de l'ordre
public, de la paix, de la stabilité des institutions et du principe de la nécessaire continuité de
leur fonctionnement »91. Cette approche tend à contenir le Conseil constitutionnel sénégalais à
son rôle de gardien de la Constitution. Il faut alors saluer la circonspection de ce juge qui a
privilégié l’interprétation-découverte à l’interprétation-création.
Il y a cependant que, cet « inédit juridictionnel »92 au Sénégal ne laisse pas la doctrine
indifférente. S’interrogeant sur la nomenclature syntaxique du considérant qui énonce « que
la loi attaquée est contraire aux dispositions des articles 27 et 103 de la Constitution et au
principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions »93, le
Professeur SOMA note, d’une part, que le juge a fait le choix de ne plus séparer la sécurité
juridique et la stabilité des institutions94, consacrant ainsi un principe nouveau qu’il ne définit
malheureusement pas. D’autre part, il relève que « le principe à valeur constitutionnelle de

87
El H. O. DIOP, La justice constitutionnelle au Sénégal. Essai sur l’évolution, les enjeux et les réformes d’un
contre-pouvoir juridictionnel, Dakar, CREDILA/OVIPA, 2013, 333 p.
88
A. ESSONO OVONO, « Les normes et techniques de contrôle de constitutionnalité des lois au Gabon. Cour
Constitutionnelle gabonaise, Décision n° 3/CC du 27 février 2004 », Afrique Juridique et Politique, Revue du
CERDIP, volume 2, n° 2, juillet-décembre 2006, p. 148-181.
89
9 A. ROBLOT-TROIZIER, « Réflexions sur la constitutionnalité par renvoi », Les Cahiers du Conseil
constitutionnel, n° 22, juin 2007, consultable sur www.conseil-constitutionnel.fr, consulté le 27 février 2024 à 08
heures, p. 2.
90
Décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024, Considérant 17.
91
Considérant 19 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.
92
A. SOMA, « Insurrection juridictionnelle au Sénégal », op. cit., p. 5.
93
Conseil constitutionnel du Sénégal, décision n°1/C/2024 du 15 février 2024, considérant 17.
94
L’auteur note que « dans une décision précédente, le Conseil constitutionnel avait évoqué la sécurité juridique
et la stabilité des institutions comme deux différents « objectifs à valeur constitutionnelle ». V° Conseil
constitutionnel du Sénégal, Décision du 12 février 2016, considérants 19-32, précisément 25, 26 et 32. C’est
véritablement la première fois, dans cette décision du 15 février 2024, que le Conseil consacre la formule
compacte de « principe à valeur constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions », A.
SOMA, « Insurrection juridictionnelle au Sénégal », op. cit., p. 5.

26
sécurité juridique et de stabilité des institutions est indépendant de la violation des articles 27
et 103 de la Constitution en tant que motif d’inconstitutionnalité de la loi constitutionnelle du
5 février 2024 »95. Recherchant la signification du principe, l’auteur estime à juste titre que
« le Conseil constitutionnel a voulu tirer de ce nouvellement consacré principe à valeur
constitutionnelle de sécurité juridique et de stabilité des institutions un motif de s’ériger
contre la double prorogation de la date de l’élection présidentielle et du mandat du Président
de la République. Aussi, pu-t-il avoir pensé que de telles prorogations, si elles étaient
acceptées et validées cette fois-ci, pourraient faire doctrine présidentielle, puis jurisprudence
constitutionnelle et encourager de futurs Chefs d’État ou formations de la juridiction
constitutionnelle à les systématiser et à les réitérer »96. Il poursuit en affirmant qu’une telle
démarche « pourrait créer une sorte d’incertitude permanente sur la sécurité des dispositions
juridiques encadrant le mandat présidentiel et l’élection présidentielle et provoquer des aléas
sur la stabilité de l’alternance à la fonction de Président de la République »97.
Le principe de la nécessaire continuité du fonctionnement des institutions que le juge
constitutionnel sénégalais invoque dans cette décision, s’inscrit dans une tradition inaugurée
par son homologue gabonais98. Alors que les principes de continuité du service public99 et de
continuité de l’État100 semblent familiers, le Conseil ne dit pas à quoi il rattache exactement
« le principe de la nécessaire continuité du fonctionnement des institutions ». On peut avancer
que les juges en l’espèce ont voulu éviter une situation de blocage ou alors que, prenant en
considération le contexte politique ambiant chez ses voisins, ils ont voulu signifier qu’ils
n’entendent pas créer un environnement favorable à une éventuelle rupture brutale de l’ordre
constitutionnel. Sa pédagogie est en ce sens bien maturée et surtout responsable en ce sens
qu’il fait le choix « de délibérer dans le sens d’éviter une interruption dans l’occupation de la
fonction de Président de la République si l’élection présidentielle ne se tenait pas en sorte à
permettre l’entrée en fonction du nouveau Président de la République avant la fin du mandat
du Président de la République en exercice »101.
En somme, les principes à valeur constitutionnelle sont des normes qui, sans être
contenues dans le corps même de la Constitution, ont un rang constitutionnel. Ces principes
« qui s’imposent au législateur tendent à assurer la pérennité et la stabilité de l’ordre
constitutionnel »102. Ils « font partie du bloc de constitutionnalité et constituent, non

95
Idem, pp. 5-6.
96
Idem.
97
Idem.
98
A titre d’illustration, nous avons la décision controversée de la Cour constitutionnelle gabonaise n° 219/CC du
14 novembre 2018 qui a pour origine la requête du Premier Ministre tendant à l’interprétation des dispositions
des articles 13 et 16 de la Constitution. Le juge constitutionnel gabonais a dû user de son pouvoir
d’interprétation pour créer deux normes non écrites à savoir le principe de l’indisponibilité provisoire (du
Président de la République) contenu dans l’alinéa 2 qu’elle a ajouté à l’article 13 de la Constitution, et le
principe de continuité de l’Etat. Cf. Décision n° 219/CC du 14 novembre 2018 relative à la requête du Premier
Ministre tendant à l’interprétation des dispositions des articles 13 et 16 de la Constitution.
99
S. PINON, « Le principe de continuité des services publics : du renforcement de la puissance étatique à la
sauvegarde de l’expression démocratique », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, n°2, vol.51, 2003, pp.
69-109.
100
J.-M. SAUVE et autres, « Assurer la continuité et l’impartialité de l’État », RFAP, 2019, Vol.171, pp.727-
743.
101
A. SOMA, « Insurrection juridictionnelle au Sénégal », op. cit., p. 6.
102
H. AKEREKORO, « La Cour constitutionnelle et le bloc de constitutionnalité du Bénin », op. cit. p. 18.

27
seulement, des normes de référence du juge constitutionnel, mais aussi, de nouvelles sources
jurisprudentielles et plus précisément interprétatives du droit constitutionnel »103. La stratégie
novatrice du Conseil constitutionnel sénégalais se révèle aussi à travers l’introduction dans sa
décision de la notion controversée de « meilleurs délais ».

B. L’introduction controversée de l’exigence constitutionnelle du « meilleur délai »

La décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 rendue par le Conseil constitutionnel du


Sénégal est assez riche en enseignements. Sollicitant la poursuite du processus électoral après
l’invalidation de la loi n°4/2024 portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la
Constitution, les requérants soutiennent « que l’article 34 de la Constitution ne prévoit le
report du scrutin qu'en cas de décès, d'empêchement définitif ou de retrait d’un candidat »104.
De leur point de vue, « ni le Président de la République, ni le Parlement ne peuvent reporter
une élection présidentielle »105. Ils considèrent que « seul le Conseil constitutionnel, juge de
la régularité des élections nationales, y est habilité »106 et souhaitent « si besoin est,
l'ajustement de la date de l'élection présidentielle pour tenir compte des jours de campagne
perdus »107.
L’objet de cette demande était de nature à confronter le juge à un véritable dilemme. Le
recours en déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi étant un recours objectif, l’annulation
de la loi inconstitutionnelle qui en résulte a pour effet de faire retourner les parties au statu
quo ante conformément au principe de l’effet rétroactif des annulations. Or le corps électoral
étant initialement convoqué pour le 25 février, le juge a sans doute estimé qu’il n’était plus
matériellement possible de faire respecter cette date. Du 15 février au 25 février il n’y a plus
que 10 jours, délai insuffisant pour conduire en toute sérénité le scrutin au regard du climat de
fortes tensions qui prévaut dans le pays. Si l’on peut subodorer que ce raisonnement est de
nature à satisfaire le camp du Président sortant, le juge a entendu leur faire savoir qu’il n’est
pas favorable à un report de l’élection pour le 15 décembre 2024 et encore moins pour le 2
juin 2024 comme proposé par le dialogue national. Toutefois, le Conseil constitutionnel
refuse, dans la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024, de prescrire une date et se contente
« d’inviter les autorités compétentes à tenir les élections dans les meilleurs délais »108 en
raison « l’impossibilité d’organiser l'élection présidentielle à la date initialement prévue »109.
Dans sa décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024, le Conseil précise sa position au sujet de
l’exigence constitutionnelle d’organiser les élections dans les « meilleurs délais », mais aussi,
prescrit finalement la date du 31 mars 2024 pour la tenue de l’élection présidentielle avant de
se rétracter dans un communiqué du 7 mars 2024 où il prend acte de la date du 24 mars 2024
décidée par décret présidentiel. Le moins que l’on peut dire c’est que sa démarche se fondait à
juste titre sur l’impératif constitutionnel d’organiser les élections avant la fin du mandat du

103
Idem.
104
Considérant 18 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.
105
Idem.
106
Idem.
107
Idem.
108
Considérant 20 de la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024.
109
Idem.

28
Président de la République prévue le 2 avril 2024110 ainsi que sur l’urgence née du constat de
la carence de celui-ci à respecter sa décision n°1/C/2024 du 15 février 2024111 recommandant
d’organiser le scrutin dans les « meilleurs délais ».
Cette prescription de la date du 31 mars 2024 pour la tenue de l’élection présidentielle
par le Conseil constitutionnel apparaissait, de notre point de vue, comme une forte propension
de la haute juridiction à accroitre ses pouvoirs en exerçant une compétence que la
Constitution ne lui attribue pas à savoir convoquer le corps électoral. Son communiqué du 7
mars 2024 dont on peut questionner la nature juridique en ce qu’il remet en question le
dispositif de la décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024112 convoquant le corps électoral pour le
31 mars confirme bien que le Conseil s’est ravisé. Comment par un simple communiqué qui
ne s’apparente pas à un acte juridictionnel car ne relevant pas de la fonction contentieuse de la
juridiction constitutionnelle, le Président du Conseil constitutionnel sénégalais a réussi à
réviser un aspect d’une décision de justice prise en collégialité ? Que vaut ce communiqué
dans l’architecture des normes prises par le Conseil ? Un document interne ou une mesure
d’ordre intérieure peut-elle modifier le dispositif d’une décision de justice ?
Cette rétractation donne l’impression que la date du 31 mars 2024 fixé par décision du
Conseil pour la tenue de l’élection visait simplement à contraindre les autorités compétentes à
agir dans les « meilleurs délais ». On pouvait pourtant saluer la subtilité dont il a fait montre
dans la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 au détours de la formule selon laquelle il
« invite les autorités compétentes à la dans les meilleurs délais ». Les termes utilisés étaient
de notre point de vue assez évocateurs et trois remarques mériteraient d’être soulevées.
La première est tirée du verbe « inviter ». Celui-ci subodore que le Conseil n’entend
exercer aucun commandement absolu. En « invitant » les autorités compétentes à tenir les
élections dans les meilleurs délais au lieu de leur « ordonner » ou de leur « prescrire » le
respect du calendrier, le juge constitutionnel refuse très clairement de mettre en mouvement
un pouvoir d’injonction contre les autorités compétentes. Cette réticence nous conforte dans
l’idée selon laquelle, le contentieux de la constitutionnalité reste devant la juridiction
constitutionnelle sénégalaise un contentieux objectif. Le juge ne saurait de ce fait, aller au-
delà de l’annulation pour ordonner une injonction113.
En effet, devant le juge administratif de l’excès de pouvoir114, le Doyen RIVERO a
plaidé pour cette évolution vers l’annulation injonctive115. Sa consécration en France a permis

110
« Considérant que l'élection présidentielle ne peut être fixée à une date postérieure à l'expiration du mandat
en cours sous peine d'en prolonger la durée au-delà de ses limites constitutionnelles », Considérant 6 de la
décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024 ; « Considérant que par décision n°1/C/2024 du 15 février 2024, le Conseil
constitutionnel a jugé que la date de l'élection du Président de la République ne peut être reportée au-delà de la
durée du mandat qui arrive à terme le 2 avril2024 », considérant 8 de la décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024.
111
Considérant 7 de la décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024.
112
Le dispositif de sa décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024 est très claire : « Article premier. -La date du scrutin
de l'élection présidentielle est fixée au 31 mars 2024. Article 2.-La présente décision emporte convocation du
corps électoral au Sénégal et à l'étranger, pour le scrutin du 31 mars 2024 ».
113
F. MODERNE, « Etrangère au pouvoir du juge, l'injonction, pourquoi le serait-elle ? », RFDA, 1990, p.802.
114
R. DEBBASCH, « Le juge administratif et l’injonction : la fin d’un tabou », La Semaine Juridique, Edition
Générale, n°16, 17 avril 1996, I, 3924, p. 160 ; Quel avenir pour le recours pour excès de pouvoir ?, RFDA, n°6,
2023 ; A. DIEYE, « L’excès de pouvoir et le juge au Sénégal et en France », Revue Africaine de Science
Politique et Sociale, n°40, janvier 2023, pp. 370-396 ; Lire aussi F. MELLEREY, Essai sur la structure du

29
d’atténuer le caractère objectif du recours pour excès de pouvoir en décloisonnant la
classification historique des contentieux116. Le Conseil constitutionnel du Sénégal a
finalement franchi la ligne consistant pour lui à fixer la date du 31 mars pour le scrutin avant
de rétropédaler alors qu’il aurait pu simplement formuler une réserve d’interprétation117
directive. Ce type de réserve à pour caractéristique de formuler une prescription à l’égard
d’une autorité de l’Etat chargée de l’application de la loi qui devra veiller au respect des
exigences constitutionnelles. Autrement dit, la réserve directive indique comment la loi doit
être appliquée par les destinataires de la décision du Conseil constitutionnel. Le choix qu’il a
fait de fixer dans un premier temps la date du scrutin pouvait légitimement être perçu comme
une extrapolation dangereuse pouvant déboucher sur un gouvernement des juges.
S’agissant de la deuxième remarque qui s’inscrit dans le sillage de la première,
rappelons que le constituant sénégalais ne donne aucune compétence au juge constitutionnel
pour fixer la date d’une élection. La compétence pour convoquer le corps électoral étant
exclusivement dévolue au Président de la République, il faut dire que c’est à bon droit que le
juge, dans la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 étudiée n’a pas souhaité l’a lui
déposséder. Le fait pour le Conseil d’inviter « les autorités compétentes » à tenir les élections
dans les meilleurs délais signifie a contrario qu’il n’a aucune compétence en la matière
contrairement aux prétentions des requérants. A partir du moment où le mandat du Président
sortant n’est pas encore arrivé à son terme, ce dernier demeure la seule autorité habilitée à agir
dans le cadre des pouvoirs que la Constitution lui attribue. Le Conseil devrait pouvoir en tirer
les conséquences en lui demandant de façon itérative de convoquer le corps électoral avant
l’expiration de son mandat.
Enfin, quelle était la date correspondante aux « meilleurs délais » dès lors que,
l’élection ne pouvait plus se tenir le 25 février 2024 comme initialement prévue, le 15
décembre 2024 conformément au report contesté et encore moins le 2 juin 2024 proposé par
le Dialogue national puisque le Conseil s’y est opposé ? En effet, prenant en considération le
fait qu’il n’a reçu aucune compétence constitutionnelle pour déterminer la date d’une élection,
les magistrats du Conseil constitutionnel sénégalais, dans la décision analysée, ont
simplement invité les autorités compétentes à tenir les élections « dans les meilleurs délais ».
L’obligation faite aux autorités compétentes d’agir « dans les meilleurs délais » constitue une

contentieux administratif français, Paris, LGDJ, 2001, 466p ; D. BAILLEUL, L'efficacité comparée du recours
pour excès de pouvoir et de plein contentieux objectif français, Paris, LGDJ, 2002, 428p. ; J.-F. Brisson, Le
recours pour excès de pouvoir, Paris, Ellispses, 2004, p. 4.
115
A travers la figure du Huron au Palais-Royal, le professeur Rivero conçoit un dialogue fictif entre un Huron
juriste et lui-même, où il démontre à quel point le recours pour excès de pouvoir est perçu comme le fleuron du
contentieux administratif. Alors que le Huron juriste le conçoit comme « la plus merveilleuse création des
juristes », Jean Rivero essaie tout au long de la réflexion de le convaincre du contraire. Pour lui, l'idéalisation de
ce recours mérite d’être tempérée pour deux raisons. Le premier tient à l'absence du caractère suspensif et le
second au refus par le juge de se reconnaître un pouvoir d'injonction face à l'administration. Au crépuscule de
son analyse, le Doyen préconisait implicitement et de façon humoristique des réformes pour mettre fin à une
sorte d'arbitraire de l'administration. L’avenir lui donnera raison car 38 ans après, cette réforme verra le jour en
France avec l’adoption de la loi du 30 juin 2000. Lire J. RIVERO, « Le Huron au Palais-Royal, ou réflexions
naïves sur le recours pour excès de pouvoir », Dalloz, 1962, pp. 37-40.
116
D. TRUCHET, « Office du juge et distinction des contentieux : renoncer aux « branches » », RFDA, n°4,
2015, p. 657.
117
A. VIALA, Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Paris, LGDJ.
1999.

30
contrainte que ces derniers ont bien acté. Le Président sortant a d’ailleurs déclaré à l’ouverture
du Dialogue national organisé qu’il quitterait ses fonctions au terme échu pour son mandat,
c’est-à-dire le 2 avril 2024. A partir de ce moment, il était possible de se poser plusieurs
questions.
Le Président de la République ferait-il alors l’effort d’organiser les élections avant cette
date pour faciliter la transition ? Cette option était la plus indiquée dans la mesure où la
Constitution prévoit que « le Président de la République élu entre en fonction après la
proclamation définitive de son élection et l’expiration du mandat de son prédécesseur »118. Le
mandat du Président en exercice étant échu le 2 avril 2024, l’investiture de son successeur
devrait logiquement se faire avant cette date. C’est d’ailleurs dans ce sens que le Conseil a
finalement abondé en considérant que, la date du 24 mars 2024 définitivement arrêtée par le
Président de la République est convenante dans la mesure où, l’expression « meilleurs
délais » « renvoie nécessairement à une date pouvant permettre la tenue du scrutin avant la
fin du mandat »119.
Le Président de la République devrait-il quitter ses fonctions à l’expiration de son
mandat le 2 avril 2024 alors que son successeur n’est pas investi ? Les juges ne souhaitent pas
qu’un tel scénario se produise car cette éventualité présente le risque de plonger le pays dans
une période d’incertitude politique. Le fait pour le Président en exercice de se retirer à
l’expiration normale de son mandat alors que son successeur n’est pas connu, est de nature à
créer inévitablement un vide au sommet de l’Etat. Cette situation n’a pas été prévue par le
constituant sénégalais dans le cadre des dispositions sur la suppléance à la présidence de la
République. Le régime de la vacance se limite à la démission, au décès ou à l’empêchement
d’un Président régulièrement en fonction120. Il faudrait alors prévoir le cas de la non-élection
du successeur à l’expiration normale du mandat du Président en exercice comme motif de la
vacance de pouvoir. Le Conseil anticipe en soulignant que, fort de sa capacité à recourir « aux
principes généraux du droit, à la pratique, à l’équité et à toute autre règle compatible avec la
sauvegarde de l'État de droit et avec l'intérêt commun »121 pour combler les lacunes
constitutionnelles122, le Président de l'Assemblée nationale devrait poursuivre le processus
électoral déjà engagé123 dans cette occurrence.
Le Président sortant accepterait-il de libérer son fauteuil à l’échéance de son mandat
prévue le 2 avril sans que son successeur ne soit investi ? La réponse peut être négative car la
Constitution indique que « le Président de la République en exercice reste en fonction jusqu’à
l’installation de son successeur »124 ? Ces multiples questionnements confirment s’il en était

118
Article 36 de la Constitution sénégalaise.
119
Considérant 3 de la décision n°60/E2024 du 5 mars 2023. ; considérant 8 de la décision n°5/E/2024 du 6 mars
2024.
120
« En cas de démission, d’empêchement ou de décès, le Président de la République est suppléé par le
Président de l’Assemblée nationale. Au cas où celui-ci serait lui-même dans l’un des cas ci-dessus, la
suppléance est assurée par l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale dans l’ordre de préséance »,
Article 39 de la Constitution sénégalaise.
121
Considérant 17 de la décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024.
122
J. JEANNENEY, Les lacunes constitutionnelles, Paris, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, Volume 154,
2016, 802p.
123
Considérant 19 de la décision n°5/E/2024 du 6 mars 2024.
124
Article 36 de la Constitution sénégalaise.

31
encore besoin que la situation politique au Sénégal reste incertaine. Les autorités doivent
avoir la pleine mesure des conséquences d’un éventuel dérapage et agir de manière à éviter
toute dérive incontrôlable. Le peuple n’aspire portant qu’à vivre dans une démocratie
paisible où les institutions et la Constitutions sont scrupuleusement respectées.
Le Conseil constitutionnel sénégalais a rendu le 15 février 2024, une décision dont la
renommée défiera très certainement les contraintes du temps. On pourrait même dire sans
risque de se tromper qu’il faut célébrer le renouveau du droit constitutionnel jurisprudentiel
en Afrique ! Résolu à étendre son office dans le cadre de l’évolution du contentieux des
normes déférées devant sa juridiction, le juge constitutionnel sénégalais était appelé à se
prononcer sur deux questions principales. L’une relative à la constitutionnalité d’une loi de
révision et d’un décret ouvrant la voie au report de la prochaine élection présidentielle, l’autre
concernant la prescription d’une éventuelle date pour la tenue du scrutin.
La première préoccupation a donné l’occasion au juge de changer radicalement sa
politique jurisprudentielle au sujet des normes contrôlés dans le rapport de constitutionnalité.
Fort de l’ambiguïté du constituant sur la nomenclature des normes contrôlées, le juge a admis
la justiciabilité des lois constitutionnelles adoptées par voie parlementaire. Il est allé plus loin
en invalidant, dans le cadre d’un recours direct et non d’une exception d’inconstitutionnalité,
un acte administratif règlementaire à caractère électoral. Une innovation qui lui a permis
d’étendre de manière prétorienne la catégorie des normes contrôlés à certaines lois de révision
et actes administratifs règlementaires rattachables aux élections soumises à sa juridiction.
Faisant preuve d’une ingénierie créatrice à saluer, le Conseil constitutionnel sénégalais
en a profité pour enrichir le bloc de constitutionnalité. Il a également découvert deux principes
à valeur constitutionnelle et s’est fondé sur eux pour invalider les actes querellés. Le principe
de la sécurité juridique et de stabilité des institutions ainsi que le principe de la nécessaire
continuité du fonctionnement des institutions intègrent ainsi le domaine prestigieux des
normes de référence en matière de constitutionnalité.
A la seconde préoccupation où il est demandé au Conseil de fixer une date pour le
scrutin compte tenu de l’impossibilité de respecter le calendrier, le juge fait preuve d’une
pédagogie équilibriste. Il estime dans la décision étudiée qu’il n’est pas de son ressort de
déterminer une date pour le scrutin et invite les autorités compétentes à travailler dans le sens
de la tenue des élections présidentielles dans les meilleurs délais c’est-à-dire avant
l’expiration de la durée du mandat en cours. C’est ainsi qu’après avoir lui-même fixé la date
du 31 mars 2024, il va s’aligner à celle du 24 mars 2024 arrêtée par décret présidentiel daté du
6 mars 2014.
La décision étudiée a, pour l’instant, a permis au Conseil constitutionnel sénégalais de
sauvegarder l’héritage de la démocratie et de l’Etat de droit dans le pays. Le juge a réussi à
s’ériger en gardien infaillible de la Constitution d’une part et co-contituant assez prudent
d’autre part. Il convient aussi de souligner la dimension téléologique de cette décision du
Conseil constitutionnel sénégalais. En effet, les principes et exigences à valeur
constitutionnelle convoqués s’appuient sur la capacité de la haute juridiction à prévenir les
situations conflictogènes via la découverte de l’intention du constituant.

32
LE PARLEMENT DANS LE NOUVEAU CONSTITUTIONNALISME AFRICAIN :
ESSAI D’ANALYSE A PARTIR DE LA NOUVELLE CONSTITUTION DE LA Vème
REPUBLIQUE AU TCHAD

Par

DERLEM DEOUNANG
Docteur PhD en Droit Public
Chargé de cours, Faculté de droit et sciences économiques, Université de Sarh (Tchad)
Email : olivier.deurlem@yahoo.com

Résumé
Quelle place occupe le parlement dans la nouvelle constitution de la Vème République
tchadienne ? « Tribune privilégiée » ou « chambre d’enregistrement » comme l’affirment nombre
doctrines ? Limitée au Tchad, cet article envisage de répondre à cette double interrogation en abordant
sans a priori la vraie réalité du parlement tchadien. A travers une analyse de la nouvelle constitution, on
décèle un accroissement formel des compétences du parlement dans l’élaboration des normes et dans le
contrôle du gouvernement. Il ressort de cet article que le parlement issu de la nouvelle constitution est
encore malheureusement réduit à un rôle de pure forme. Il ne pas toujours pas devenu un instrument de
dialogue et de participation auquel aspire la population. Des facteurs multiples aussi bien endogènes
qu’exogènes, liés essentiellement à la rationalisation excessive du parlementarisme empruntée aux
régimes politiques occidentaux, au recours par les exécutifs à des moyens de pression variés pour
confiner le parlement dans son rôle de soutien et de consultation expliquent pourquoi les réformes
entreprises en 2023 n’a pas entraîné une véritable réhabilitation du parlement au Tchad.
Mots-clés : constitution, parlementarisme, procédure législative, responsabilité.

Abstract
What place does parliament occupy in the new constitution of the Fifth Republic of Chad ? Is it a
"privileged forum" or a "recording chamber", as a number of doctrines claim ? Limited to Chad, this
article seeks to answer these two questions by taking an unprejudiced look at the true reality of the
Chadian parliament. An analysis of the new constitution reveals a formal increase in parliament's powers
to draw up standards and oversee the government. It emerges from this article that the parliament created
by the new constitution is unfortunately still reduced to a purely formal role. It has still not become the
instrument of dialogue and participation to which the population aspires. Multiple factors, both
endogenous and exogenous, essentially linked to the excessive rationalisation of parliamentarianism
borrowed from Western political regimes, and to the executive's use of various means of pressure to
confine parliament to its role of support and consultation, explain why the reforms undertaken in 2023
have not led to a genuine rehabilitation of parliament in Chad.
Key words : constitution, parliamentarism, legislative procedure, accountability.


Mode de citation : DERLEM DEOUNANG, « Le parlement dans le nouveau constitutionnalisme africain : essai
d’analyse à partir de la nouvelle constitution de la Vème république au Tchad », Revue RRC, n° 042 / Février 2024,
p. 33-59.

33
INTRODUCTION

Les constitutions africaines deviennent selon le Professeur Jean du Bois de Gaudusson,


un élément important de la vie politique en Afrique qu’on ne peut plus négliger. Elles en
viennent même selon cet auteur, à remplir des fonctions de prévention et de règlement des
conflits1. Cette réalité du nouveau constitutionnalisme, tranche nettement avec la désinvolture
que les dirigeants affichaient jusque-là à l’égard des textes constitutionnels, considérés au
mieux comme des concessions faites au discours sur la légalité constitutionnelle attendu par les
bailleurs de fonds internationaux, au pire comme des chiffons de papier ou de simples faire
valoir juridiques2.
Longtemps ignoré et asservi relégué dans une position d’infériorité, le pouvoir législatif
serait-il appelé à assumer dans le cadre des nouvelles règles constitutionnelles élaborées au
début des années 1990, son rôle pour devenir un véritable centre du pouvoir politique en
Afrique ? A l’évidence, la réponse est négative au regard des nombreuses prises de position
doctrinales sur le déclin du parlement dans le monde3. Même dans les pays de longue tradition
parlementaire, la représentation nationale, ne peut plus se targuer d’être la détentrice réelle du
pouvoir politique. Aux Etats-Unis, où le principe de la séparation des pouvoirs érige le Congrès
en unique législateur, plus de 80% des lois votées sont suscitées par la Maison Blanche4.
Pourtant, aussi paradoxale que cela puisse paraître, les jugements sur l’institution parlementaire
dans les Etats d’Afrique, notamment ceux d’Afrique noire francophone dont le Tchad fait partie
restent partagés. Certains auteurs assimilent volontiers les nouveaux parlements africains à des
caisses de résonances, comparables aux chambres d’enregistrement bien dociles aux exécutifs
de plus en plus puissants5.
Au Tchad, trois ans seulement après les indépendances, une instabilité chronique des
institutions nouvellement créées s’installé6, une militarisation inquiétante des régimes
politiques établis, l’émergence des partis uniques ou des partis dominants7. Le nouveau système
constitutionnel basé sur le multipartisme politique, sera rapidement abandonné au profit d’un
présidentialisme mono partisan. De toute façon, le président, chef du parti unique ou dominant,

1
Jean du Bois DE GAUDUSSON, Les solutions constitutionnelles des conflits politiques, Actualités
Contemporaines, Numéro spécial, 1996, p. 251.
2
Albert BOURGI, L’évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l’effectivité, RFDC, 2002, p.
726.
3
Nombre de colloques et de publications soulignent à l’envi le déclin du parlement en occident. V. dans ce sens,
André CHANDERNAGOR, Un parlement pour quoi faire ? Gallimard, 1967, 183 p., Pierre AVRIL, Les français
et leur parlement, Casterman, 1972, 145 p ; Jean-Pierre DUPRAT, La crise des assemblées parlementaires
françaises, Etudes offertes à Jean-Marie AUBY, Dalloz, 1992, p. 493 ; Pierre BIRNBAUM, Francise HAMON,
Michel TROPER, Réinventer le parlement, Flammarion, 1977, 223 p., Jacques VIGNAUD, Quel avenir pour le
parlement ? RPP, 1966, p. 65 ; Monica CHARLOT, Le pouvoir politique en Grande Bretagne, 2ème édition, 1998,
361 p., Marie -France TOINET, Le système politique des Etats Unis, PUF, 1990, p.117.
4
Jean-Pierre LASSALE, La démocratie américaine. Anatomie d’un marché politique, Armand Colin, 1991, p. 280.
5
André CABANIS, Michel-Louis MARTIN, Les constitutions africaines, évolutions récentes, Karthala, p.113 ;
Mathias HOUNKPE, Le parlement, cet inconnu, Façon de Voir, Mensuel béninois d’analyse politique et socio-
économique, n°6, 15 avril 2001, p. 2.
6
Marcelin ABDELKERIM, « Etat de droit et droits de l’homme », Annale de la Faculté de droit, des sciences
économiques et de gestion, Université de N’Djamena, Série B, n°4, 2016, pp. 49-86
7
Marcelin ABDELKERIM, La poursuite pénale internationale des chefs d’état en fonction, éditions universitaires
européennes, 2015, p.123.

34
contrôlait tous les mécanismes électoraux non seulement ceux qui garantissaient sa pérennité à
la tête de l’Etat, mais aussi commandaient le choix des députés. L’assemblée nationale sous
l’ère du monopartisme, se voit reconnaître des compétences nécessaires à la production des
normes et au contrôle du pouvoir exécutif. Elle possède l’initiative des lois tant ordinaires que
constitutionnelles8, celle-ci s’accompagnant naturellement du droit d’amendement. Elle vote la
loi et le budget9, autorise la guerre10, la ratification de certains traités et accords
internationaux11. S’agissant du contrôle de l’action du gouvernement, les députés peuvent poser
des questions écrites ou orales12 aux ministres qui sont tenus d’y répondre.
Dans cette perspective, il est clair que malgré les déclarations d’intention, l’histoire du
parlement tchadien depuis les premières années des indépendances en 1960 jusqu’en 2024, n’a
été qu’un déploiement successif de négation des pouvoirs des assemblées législatives. On
assiste également au triomphe du principe de la double assemblée. Deux situations se présentent
ici selon que le bicamérisme a été retenu dès l’élaboration de la nouvelle constitution ou,
postérieurement dans le cadre d’une révision constitutionnelle, dont relève de la première
catégorie le Tchad13. Le débat qui agite aujourd’hui la doctrine publiciste tchadienne, est bien
celui de l’utilité même des secondes chambres. Le Tchad économiquement exsangue et
socialement démuni, a-t-il vraiment besoin d’une deuxième assemblée parlementaire qui
viendrait encore une fois alourdir inutilement les finances publiques ?
Jadis champion africain de l’instabilité et des coups d’Etats, le Tchad a connu de 1971 à
1990 une période révolutionnaire, sous la direction de militaires. Ce pays est reconnu
aujourd’hui, suivant la formule de Gérard CONAC comme « l’exemple d’une mutation
complète acquise de manière consensuelle » ou encore « d’une révolution pacifique » pour avoir
fait tourner le vent de l’histoire, et réussi sa transition démocratique par une conférence
nationale souveraine en 199314. Le Président de la République, détenteur exclusif de l’exécutif
constitue l’axe essentiel du régime, il nomme seul les membres du gouvernement dont il
détermine les attributions et la politique. L’Assemblée nationale, deuxième organe
constitutionnel dispose du pouvoir législatif et contrôle l’action du gouvernement.
Mais si le législatif ne pouvait mettre en cause la responsabilité politique du
gouvernement15, qui ne dispose pas à son tour du droit de dissolution de l’Assemblée, il y a lieu
de souligner tout de même que le régime tchadien utilise, certaines techniques du
parlementarisme rationalisé notamment, la faculté pour le Président de la République de
proposer des textes de lois à la délibération de l’Assemblée, ou la possibilité reconnue au
gouvernement de prendre des ordonnances, sur autorisation de l’assemblée pendant un délai
limité des mesures qui sont normalement du domaine de la loi pour l’exécution de son
programme. Toutes ces différentes réalités politiques et constitutionnelles que nous venons

8
Article 132 de la constitution tchadienne
9
Article 133 de la constitution précitée
10
Article 134 de la constitution précitée
11
Article 138 de la constitution précitée
12
Article 143 de la constitution précitée
13
Le Tchad utilise l’appellation assemblée nationale et sénat pour désigner leurs premières et secondes chambres.
14
Gérard CONAC, Le processus de démocratisation en Afrique, Parlements et Francophonie, n°83-84, 4ème
trimestre, 1991, p. 91.
15
Par la motion de censure

35
d’évoquer au Tchad, justifient l’étude du système politique et l’analyse de l’expérience
parlementaire. Toujours est-il qu’au-delà des caractéristiques propres de ce pays, on notera dans
le cadre de ce nouveau constitutionnalisme, une identité de situation et des problèmes communs
qui donnent à ce Etat objet de notre étude, son unité et sa spécificité16.
Dans cet article, nous essayerons d’appliquer la méthode juridique, qui passera par la
combinaison du droit parlementaire, du droit budgétaire, des finances publiques, du droit
constitutionnel et des sciences politiques. En effet, l’approche exclusivement juridique ne
permet pas de donner une idée précise de la réalité parlementaire. Aussi, nous l’avons complétée
par la pratique parlementaire des autres assemblées, qui permettra d’évaluer la portée réelle de
la volonté de revalorisation du pouvoir législatif, proclamée par le constituant tchadien lors de
l’élaboration de la nouvelle constitution. A vrai dire, étudier le parlement dans le nouveau
constitutionnalisme au Tchad, revient à trouver une réponse à la problématique suivante : en
quoi et dans quelle mesure, au Tchad, le développement textuel de la nouvelle constitution a-t-
elle conforté un réel renouveau de l’institution parlementaire ? La réponse à cette question nous
permettra de jeter un regard neuf sur le parlement dans la nouvelle constitution tchadienne, en
s’appuyant sur l’actualité l’exemplarité positive ou négative. Le constat a priori de l’échec du
parlementarisme renaissant au Tchad, mérite ainsi d’être fortement nuancé sous peine
d’instruire un faux procès.
La faiblesse des assemblées parlementaires nées de la nouvelle constitution au Tchad, qui
sera abordée dans cet article, ne fait que confirmer cette tendance universelle du déclin du rôle
des parlements17. Les fondements du phénomène résultent d’abord, tout comme en occident, de
l’emploi de procédés formels pour confiner les assemblées dans un rôle de soutien au
gouvernement18. Dans cette optique, les textes juridiques qui fondent le nouveau
constitutionnalisme au Tchad, montrent que tous le constituant a introduit dans les textes
constitutionnels et dans le droit parlementaire, des techniques du parlementarisme rationalisé
empruntées aux régimes politiques occidentaux et plus particulièrement à la France19. La
faiblesse des assemblées parlementaires nées du nouveau constitutionnalisme en Afrique qui
sera abordée dans cette partie, ne fait que confirmer cette tendance universelle qui prône le
déclin du rôle des parlements20.
Ils résultent aussi du recours par les exécutifs des moyens de pression variés pour
cantonner le parlement dans son rôle de soutien et de consultation21. On s’attachera à ce stade
de la réflexion, à démontrer l’ampleur de la limitation des fonctions parlementaires. Cette
limitation se manifeste d’abord au niveau de la procédure législative et budgétaire. La
délimitation du domaine de la loi, l’emprise du gouvernement sur la procédure d’élaboration et

16
Marcelin ABDELKERIM, op.cit., p.92.
17
V. entre autres, André CABANIS, Michel-Louis MARTIN, Les constitutions africaines, évolutions récentes,
Karthala, p. 113 ; Mathias HOUNKPE, Le parlement, cet inconnu, Façon de Voir, Mensuel béninois d’analyse
politique et socio-économique, n°6, 15 avril 2001, p. 2.
18
Janvier OWONA, Droit constitutionnel et régimes politiques africains, Berger-Levrault, 1985, pp. 263-265
19
V. Felix-François LISSOUCK, Pluralisme politique et droit en Afrique noire, p. 360 ; SALAMI (Ibrahim),
La protection de l’Etat de droit par les cours constitutionnelles, p. 321.
20
Maurice BOUCHET, Les parlements aujourd’hui, « Coll. Cahiers français », n°174, La Documentation française,
Paris, 2006, p.124.
21
Marcel PRELOT, Droit parlementaire français, Cours IEP, p.103.

36
d’adoption des lois ordinaires et des lois de finances, ont réduit les assemblées à de simples
organes d’enregistrement (I). Cette diminution des pouvoirs du parlement est également
perceptible au niveau de la faiblesse de la fonction de contrôle. Les procédures d’information
et de contrôle mis en place, sont dans la pratique déformées ainsi que le contrôle des lois de
finances est rendu extrêmement difficile (II)

I. LA REORGANISATION DES PROCEDURES LEGISLATIVE ET


BUDGETAIRE

Rendue nécessaire par le processus de démocratisation, la restauration des assemblées


parlementaires tchadiennes s’est traduite par un remodelage des assemblées marqués
d’une part par la diversification politique et sociologique des nouveaux parlements, et d’autre
part par un renforcement théorique de leurs pouvoirs. En effet, à partir de 1990, avec la prise
du pouvoir par le président Idriss Deby et son parti le MPS, les assemblées vont recouvrer dans
les textes, les prérogatives dont elles avaient été dépouillées sous le parti unique UNIR du
président déchu Hissein Habré : c’est à l’Assemblée elle-même que revient à nouveau le soin
d’élaborer son propre règlement intérieur, de désigner ses propres responsables et de gérer les
fonds qui lui sont alloués pour son fonctionnement. Bien plus, l’Assemblée tchadienne a
retrouvé le pouvoir d’accorder ou de refuser l’investiture du Premier Ministre22, de contrôler
l’action du gouvernement par la technique des questions orales et écrites ou par le biais des
commissions d’enquêtes.
L’assemblée vote la loi23, tel est le principe affirmé par toutes les constitutions
tchadiennes. Certes une telle proclamation n’est pas une nouveauté au Tchad, dans la mesure
où les anciens textes constitutionnels qui régissaient le parti unique, instituaient déjà
formellement au profit des assemblées la prérogative législative24. Elle marque une rupture
radicale et met fin à la tradition de la confiscation des pouvoirs entre les mains d’une seule
personne25. Ainsi, pour la première fois depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, la loi ne sera
plus l’expression de la volonté exclusive du Chef de l’Etat, mais bien plus de l’émanation de la
volonté générale exprimée au travers des représentants élus à la suite des élections législatives
concurrentielles, libres et démocratiques. Légiférer devient donc une des missions à part entière
du parlement tchadien26. Toutefois, cet enthousiasme est contredit par un certain nombre de
dispositions constitutionnelles, et des pratiques politiques qui enlèvent à la représentation
nationale le monopole de la fonction législative27. Complètement disparu dans la procédure
législative ordinaire (A), le parlement tchadien, l’a aussi dans le cadre de l’adoption des lois de

22
Il s’agit notamment du Tchad par la constitution de 1996 révisée en 2002. Toutefois, la pratique politique depuis
le retour de Idriss Deby au pouvoir en 1995, consacre l’existence d’un super ministre chargé de coordination de
l’action gouvernementale, qui joue en fait ici le rôle de Premier Ministre
23
Article 132 de la constitution tchadienne
24
Pierre-François GONIDEC, Les systèmes politiques d’Afrique, LGDJ, Paris, 1978, p.123.
25
Ibidem.
26
Les discours politiques aussi appellent à la réhabilitation des institutions parlementaires. Nagoum
YAMASOSUM, lors de la rédaction de la constitution tchadienne déclarait : « il est maintenant temps de rendre
au parlement l’autonomie, la capacité d’initiative et de contrôle qu’il a perdue depuis plus d’un quart de siècle ».
27
Albert BOURGI, Le domaine de la loi et du règlement dans la constitution de la Cote d’Ivoire, Penant 1961,
p.23.

37
finances où la grande technicité du débat budgétaire contraint les députés, à s’en remettre au
gouvernement. La préparation et l’adoption du projet de loi de finances, laissent très peu de
place aux interventions parlementaires et rarement d’incidence directe sur le vote final (B).

A. La disparition du parlement dans la procédure législative ordinaire

Le parlement légifère librement dans le respect de la constitution, voilà le fondement de


la nouvelle constitution tchadienne de la Vème République. Cette souveraineté fonctionnelle de
principe de la représentation nationale, est largement entamée aujourd’hui par le recours à des
techniques empruntées au « parlementarisme rationalisé ». L’effacement du parlement dans la
procédure législative ordinaire va se manifester dans plusieurs domaines : d’abord le principe
de la définition matérielle restrictive de la loi, les députés ne sauraient donc désormais
constitutionnellement intervenir que dans certaines matières limitativement énumérées28.
Ensuite, le gouvernement est maître de la procédure d’élaboration et d’adoption des lois. On
estime au Tchad que le régime parlementaire institué n’étant pas un régime de séparation
tranchée des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, tel qu’on l’énonce habituellement mais la
collaboration et la participation de l’un au pouvoir de l’autre. La fonction législative ne peut
donc plus être une prérogative exclusive du parlement (1), elle est partagée entre le parlement
et le gouvernement avec une prééminence pour ce dernier29(2).

1. La non maitrise du domaine de la loi par le parlement


Calqués sur l’article 34 de la constitution française, l’article 132 de la constitution
tchadienne de la Vème République, délimite le domaine de la loi à partir d’une énumération
limitative des objets sur lesquels peuvent porter les normes votées par les députés. Mais on
verra très vite que si la notion de délimitation du domaine de la loi est restée très figée au Tchad
du fait, peut-être de l’absence d’une expérience parlementaire bien ancrée ou d’une abondante
jurisprudence constitutionnelle en la matière, la règle a profondément évolué en France depuis
lors, au point que certains auteurs ont pu écrire que « la révolution annoncée en 1958 n’a pas
eu lieu30 ». La constitution de 1958 en assignant à la loi un domaine déterminé, reconnaît que
« la force de la loi ne s’attache plus à sa seule forme législative31 », ce qui constitue sans nul
doute une atteinte au critère organique de la loi, une limitation de la volonté et des pouvoirs du
parlement, autrefois seul et unique dépositaire de la souveraineté nationale32.

28
Article 132 de la constitution précitée.
29
Certains auteurs justifient cette situation par le fait que le gouvernement est mieux informé que quiconque des
besoins du pays et compte tenu de la complexité des problèmes à résoudre, il est mieux outillé que les
parlementaires pour préparer des projets de lois qui puissent offrir toutes les garanties d’efficacité. Le
gouvernement sera ainsi responsable des succès et des échecs rencontrés. Et pour que cette responsabilité puisse
produire tous ces effets, il faut que le gouvernement se situe à l’amont et à l’aval de la procédure législative. V.
Daniel BOURMAUD, Le processus démocratique en Afrique : le cas du Cameroun, L’Harmattan, Paris, 1992,
p.253, Zouhir FARES, L’Afrique et démocratie : espoirs et illusions, L’Harmattan, Paris, 1993, p.198.
30
Jean RIVERO, Rapport de synthèse, Colloque sur le domaine de la loi et du règlement, Presse Universitaire
d’Aix-Marseille, 2ème édition, 1981, p. 261.
31
François VINCENT, De l’inutilité de l’article 34 de la constitution du 4 octobre 1958, AJDA, 1965, Doctrine,
p.564.
32
Louis FAVOREU, Rapport introductif, Colloque sur le domaine de la loi et du règlement, op.cit, p.30.

38
Au Tchad l’article 132 cité ci-dessus, est alors apparu comme une véritable révolution
juridique car mettant fin à la toute-puissance de la loi, et faisant fi de la vieille tradition héritée
des anciens textes constitutionnels qui consacrent « l’intouchabilité de la loi ». Par cet article,
le parlement tchadien faisait figure d’exception en délimitant le domaine d’intervention du
parlement. « N’étant plus maîtresses de la compétence de leurs compétences, les assemblées ne
pourront accomplir que les actes correspondant aux pouvoirs que leur ont été attribués par la
constitution et selon les formes qu’elle prescrit33 ». La constitution tchadienne adoptée au
lendemain de la période de transition de 2024, distingue « les questions pour lesquelles le
législateur fixe les règles » et celles pour lesquelles il « détermine des principes fondamentaux
». Sur le plan rédactionnel, l’article constitutionnel limitant les domaines de la loi au Tchad,
reste très identique et confirme la tendance générale du constitutionnalisme africain
contemporain, dont l’un des objectifs est de soustraire certaines compétences normalement
normatives des griffes du pouvoir exécutif. La constitution tchadienne délimite le domaine de
la loi, à partir d’une énumération limitative des objets sur lesquels peuvent porter les normes
votées par l’Assemblée nationale34. Après avoir dressé la liste des matières réservées aux
parlements, elle indique que toutes les autres matières sont du domaine du règlement. Cette
restriction constitutionnelle du domaine des lois normatives et des lois d’autorisation, distingue
les questions pour lesquelles le législateur fixe les règles et celles pour lesquels il détermine des
principes fondamentaux.
Sur le plan parlementaire, pour permettre à l’exécutif de faire face aux besoins sans cesse
croissants d’un Etat moderne, le parlement a commencé par consentir de timides abandons de
souveraineté comme le montre la pratique des lois dites de « pleins pouvoirs35 » envisagées
pour permettre au gouvernement d’intervenir par décret avec l’autorisation du parlement, dans
des domaines réputés législatifs pour atteindre certains objectifs pendant une durée limitée.
Cette technique, utilisée en 2019 pour réaliser des économies, et en 2022 pour faire face aux
nécessités de la défense nationale. La pratique des lois de pleins pouvoirs n’ayant pas fait
l’unanimité au sein de la classe politique, la constitution de 2024 l’a définitivement condamnée.
C’est l’esprit de l’article 130 qui est clair et sans ambages : « le parlement vote les lois, contrôle
l’action du gouvernement, évalue les politiques publiques et contrôle l’exécution des lois36 ».
La délimitation du domaine de la loi et du règlement entre le parlement et le
gouvernement, soulève nécessairement des conflits de compétence entre ces deux pouvoirs. Les
frontières entre la loi et le règlement ne sont pas toujours précises. Les efforts faits par les
nouveaux constituants pour préciser les attributions de chacun des deux pouvoirs de manière à
éviter des conflits n’ont pas mis fin à toutes les ambiguïtés que les articles peuvent contenir et
il est pratiquement impossible de prétendre déterminer sans interprétation contentieuse si tel ou
tel problème s’inscrit dans le domaine de la loi ou dans celui du règlement. La liste des matières
ainsi attribuées aux assemblées paraît définitive. Celles-ci ne peuvent ni préciser, ni compléter
le domaine réservé à la loi. Les députés sont enfermés pour ainsi dire dans un domaine

33
Pierre AVRIL et Jean GICQUEL, Droit parlementaire, Montchrestien, Paris, 3ème édition, 2004, p.146.
34
Article 133 de la constitution précitée.
35
Stéphan BEAUGE, La réforme parlementaire Séguin (1993-1994), Droit prospectif, 1995, pp. 951-964.
36
Article 130 de la constitution précitée.

39
strictement limité37, seule une intervention d’une loi organique est toujours nécessaire pour
préciser le domaine de la loi. Or, l’expérience parlementaire tchadienne a démontré que la
possibilité accordée aux assemblées de compléter leur domaine d’intervention par des lois
organiques reste illusoire, car une telle éventualité suppose non seulement une majorité
constructive et homogène qui fait souvent défaut aux parlement tchadien, mais aussi un exécutif
consentant qui serait disposé à laisser passer sans difficulté une loi organique.
Au Tchad, quel que soit le degré de précision par lequel les constituants ont délimité le
domaine de la loi, celui-ci reste mal protégé, compte tenu du manque les moyens et même de
la volonté des assemblées de protéger leurs compétences contre les empiètements du
gouvernement.

2. La supériorité du gouvernement dans le processus d’élaboration et d’adoption des


lois

Compte tenu de la prépondérance de l’exécutif dans le processus d’élaboration et


d’adoption des lois, nombreux sont les auteurs38 qui reconnaissent que l’apport des assemblées
dans l’exercice de la fonction législative ordinaire reste très lacunaire au Tchad. Si les textes
constitutionnels établissent à ce stade du jeu législatif un savant équilibre entre le parlement et
le gouvernement, la pratique se charge de le démentir, car c’est le gouvernement et lui seul qui
alimente dans la quasi-totalité des cas les assemblées de textes législatifs, et met à leur
disposition tous les documents nécessaires à l’examen de la loi. La détérioration de l’initiative
parlementaire au bénéfice du gouvernement s’explique aussi par le fait que, celui-ci dispose
d’un impressionnant dispositif à la fois légal et illégal39, lui permettant de briser les réticences
des députés à l’égard de ses textes de lois.
A l’évidence, face à la toute-puissance de l’exécutif, les assemblées se trouvent désarmées
et affaiblies. Mal outillées techniquement du fait de leur connaissance très limitée de la pratique
du droit parlementaire, et ne disposant pas d’assistance juridique nécessaire pour préparer les
textes législatifs, les députés tchadiens sont battus sur leur propre terrain : ils ne sont pas en
mesure de concurrencer le gouvernement ni de mettre mal sa suprématie. De ce fait,
l’effacement du rôle des assemblées se manifeste dans plusieurs domaines, d’abord au niveau
de l’initiative des lois, ensuite lors du processus de délibération et d’adoption des textes qui leur
sont soumis. Au Tchad, « l’initiative des lois appartient concurremment au Président de la
République et aux membres du parlement40». Dans la pratique cependant, une analyse
statistique des textes adoptés depuis le début du renouveau démocratique, montre clairement

37
Joseph OWONA, L’essai du constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire : études de quelques constitutions
Janus, in Mélanges à Jean-François Gonidec, 1985, pp. 235-243.
38
Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 2ème édition, Sirey, Paris, 1929, p. 352
39
Nous verrons dans le développement que le pouvoir exécutif utilise souvent des moyens de pression de toute
nature et d’achat de votes de certains députés de l’opposition pour faire passer des textes de lois que le
gouvernement juge politiquement indispensable pour sa survie. Au Tchad, lors de la première législature (1996-
2022), le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), a procédé à l’achat de deux députés de l’opposition pour non
seulement faire basculer la majorité dans son camp mais aussi pour faire passer une série de lois organiques que
le MPS juge important notamment la loi organique sur le conseil constitutionnel.
40
Article 136 de la constitution précitée.

40
un écart considérable entre les projets et les propositions de lois, même s’il faut reconnaître
qu’à l’évidence, la règle n’établit aucune égalité mathématique entre les deux organes.
La prééminence du gouvernement en matière d’initiative législative, est confortée par une
série d’irrecevabilités qui pénalise lourdement les propositions de lois déposées par les députés.
Comme le souligne Georges Burdeau : « un gouvernement dépourvu de la faculté de légiférer
serait aussi désarmé qu’un pilote privé de gouvernail41». Maurice Hauriou ajoutait que «
l’initiative du projet de loi sera prise normalement par le pouvoir exécutif, parce que c’est au
pouvoir responsable du passage à l’exécution que revient l’initiative de la mise en train d’une
procédure qui doit aboutir à une décision exécutive42 »
La pratique parlementaire lors des deux dernières législatures au Tchad, atteste un net
désistement des députés en matière d’initiative parlementaire au profit du gouvernement. Le
nombre des textes d’origine parlementaire, reste considérablement réduit par rapport à la
pratique sous la première législature où la présence de l’opposition, dans sa volonté de
participer à la mise en place des institutions de régulation du jeu démocratique, a contribué à
accroître substantiellement le nombre de propositions de lois enregistré par le bureau de
l’Assemblée. Mais depuis lors, le gouvernement dispose pratiquement d’un monopole43. A
notre sens, deux principales raisons peuvent être évoquées : d’abord, la configuration politique
de l’assemblée n’incite pas les députés à être actifs. Le monolithisme qui est réapparu à partir
de 2002 du fait de la gourmandise politique du Mouvement Patriote du Salut44, qui a voulu
reprendre tous les leviers de l’exercice du pouvoir politique par des manœuvres d’exclusion de
l’opposition, étouffe tout esprit d’initiative de la part des députés, qui ne doivent leur élection
que grâce au Président de la République, seul Chef de l’Etat, maître absolu du jeu politique
national. En résumé, l’initiative parlementaire reste pratiquement nulle au Tchad, mais ici aussi,
la question qui se pose est de savoir à quoi sert des propositions de lois si à l’origine, elles sont
condamnées à ne jamais aboutir dans le cadre du débat parlementaire45.
Toutefois, ce nombre relativement important ne doit pas cacher une réalité : les
propositions de lois faites par les députés, n’arrivent presque jamais en discussion en séance
plénière à cause des manœuvres dilatoires que, le gouvernement met en œuvre pour empêcher
tout aboutissement de la loi. Nous en voulons pour preuve que la troisième législature où sur
les vingt-sept (27) propositions de lois déposées par les députés, seulement trois (3) ont pu être
inscrites à l’ordre du jour du parlement et adoptées46. Cette dichotomie entre les propositions
de lois adoptées et l’effort d’initiative des députés frappe particulièrement les députés de
l’opposition, dont les textes restent souvent au stade d’information sur le bureau de l’assemblée.
Mais d’une manière générale, le gouvernement utilise plusieurs manœuvres pour empêcher ou
en tout cas retarder l’initiative parlementaire de prendre corps. Deux moyens retiennent
particulièrement notre attention : d’abord, il arrive au gouvernement de déposer un projet de loi
en même temps qu’une proposition de loi, dans le seul but d’empêcher celle-ci d’aboutir. Ainsi

41
Georges BURDEAU, La fonction gouvernementale, RPP, décembre, 1946, p. 212.
42
Georges BURDEAU, La fonction gouvernementale, RPP, décembre, 1946, p. 212.
43
Marcelin ABDELKERIM, op.cit., p.102.
44
Le mouvement patriotique du salut en abrégé (MPS) est le parti au pouvoir depuis 1990 et ayant une majorité
parlementaire et alliés consistant.
45
Marcelin ABDELKERIM, op.cit., p.104.
46
Ibidem .

41
par exemple, le gouvernement après avoir reconnu le bien-fondé de la proposition de loi portant
amnistie de certains faits commis le 20 octobre 202247, a aussi déposé dans la hâte un projet de
loi portant sur le même objet.

Au total, il résulte de tout ce qui précède que l’institution parlementaire au Tchad se


développe et s’adapte à l’évolution générale des institutions politiques et juridiques amorcée il
y a quelques années. De simples chambres d’enregistrement avant 1990, les assemblées sont
devenues des chambres pluralistes et légiférantes. Mais du fait de la transposition dans la
constitution des techniques du parlementarisme rationalisé, la fonction législative ordinaire des
parlements est enserrée dans d’étroites limites : les assemblées ne maîtrisent plus le domaine
de la loi, pas plus que tout le processus d’élaboration et d’adoption des lois. La pratique
politique en cours au Tchad limite davantage ses fonctions. Le refus d’ouverture démocratique
dans ce pays et la volonté de plus en plus affirmée des autorités en place d’instrumentaliser la
représentation nationale ainsi que toutes les autres institutions en vue de se maintenir au pouvoir
participent aussi à ce processus de dilution des pouvoirs du parlement48.
L’initiative des députés reste très formelle, et leur liberté de vote bien réduite de sorte que
l’on peut affirmer sans forcément tomber dans la situation d’abdication, qui caractérisait le
parlement qu’un transfert de fait de la fonction législative ordinaire s’est opéré au profit du
gouvernement et du Président de la République, véritable maître du jeu politique49. Loin de
compenser cette faiblesse, l’exercice du pouvoir financier du parlement ne fait que l’accentuer.
Tous les textes constitutionnels ainsi que les lois organiques relatives aux lois de finances
consacrent ici aussi, l’emprise du gouvernement aussi bien dans la phase de préparation, de
discussion que du vote final des projets de lois de finances.

B- La dépossession des députés dans l’adoption des lois de finances

La théorie financière classique héritée du constitutionnalisme occidental, attribuait le


pouvoir de décision en matière financière aux assemblées élues au suffrage direct des
citoyens50. Ce principe de consentement à l’impôt, qui pose la règle de l’exigence du peuple à
ne payer l’impôt qu’après l’avoir consenti au travers de ses représentants, reste l’affirmation la
plus nette des libertés politiques et le fondement le plus essentiel des démocraties
représentatives51. La nouvelle constitution tchadienne rétien également le principe du
consentement populaire à l’impôt. L’article 141 dispose que : « l’assemblée nationale vote le
projet de loi de finances dans les conditions prévues par la loi organique52 ». C’est aux

47
Le 20 octobre 2002, l’opposant Succès MASRA, du parti les transformateurs a lancé une marche qui a été
suspendu par l’administration. Malgré la suspension, cette a eu lieu et l’administration en riposte pour trouble à
l’ordre public et acte de rébellion a procédé aux arrestations massives. Les leaders se sont exilés et ont exigé une
amnistie comme garantie pour leur retour.
48
Louis BERTRAND, Le contrôle parlementaire des finances publiques, Paris, imprimerie Montlouis, 1963, p.38.
49
Marcelin ABDELKERIM, La présidentialisation du système parlementaire du Tchad, Edilivre, Paris, 2018,
pp.231-234.
50
Ibidem.
51
Bernard CHANTEBOUT, Le contrôle parlementaire, la documentation française, Paris : 1998, p.55.
52
Article 141 de la constitution précitée.

42
représentants du peuple et à eux seuls, que revient le pouvoir de donner au gouvernement
l’autorisation pour percevoir des recettes et effectuer des dépenses nécessaires pour le bon
fonctionnement de l’Etat et de ses services.
Tout le problème est de savoir si le parlement dispose de marge de manœuvre suffisante
dans la production du consentement, et le cas échéant, dans la possibilité à lui reconnu de
réformer le texte du gouvernement. On peut en douter car, comme on le verra, même si la
majorité le voulait, et si l’opposition le pouvait, ni l’une, ni l’autre n’a en réalité le pouvoir
constitutionnel, la volonté politique et surtout la connaissance technique pour influer sur les
choix budgétaires du gouvernement dans le sens de la défense des intérêts globaux des
populations dont ils sont les représentants53. Bien souvent, face aux argumentations denses et
solides ponctuées de références chiffrées tirées de l’environnement économique national et
international présentées par les ministres qui défilent devant le parlement pour soutenir leurs
enveloppes budgétaires, les députés sont contraints à la « démission intellectuelle », les seules
observations parlementaires possibles ont généralement trait à l’orthographe de tel ou tel mot,
au pourquoi ou au comment de telle ou telle ligne budgétaire54.
A tout point de vue, ce « pugilat intellectuel et politique » entre membres du
gouvernement et membres du parlement est déséquilibré et est à l’avantage des premiers. Ce
déséquilibre est perceptible dès la phase administrative de l’élaboration des lois de finances (1)
jusqu’à leur examen et adoption (2).

1. La prééminence de l’exécutif dans la préparation administrative du projet de loi


de finances
Les Etats africains d’expression française ont tous hérité après les indépendances, du
système financier et budgétaire mis en place en France par la constitution de 1958 et
l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances55. Ces textes consacrent
l’emprise du gouvernement aussi bien dans la phase de préparation, que de la discussion et du
vote du projet de budget en ne laissant aucune place aux interventions parlementaires. L’article
39 de la loi de 2024 relative aux lois de finances au Tchad précise que : « sous l’autorité du
chef du gouvernement, le Ministre des finances prépare en liaison avec les autres ministres, les
projets de loi de finances qui sont arrêtés en conseil des ministres ». Les seules limitations
restent aujourd’hui pour le gouvernement, le respect des délais constitutionnels pour le dépôt
du projet de loi de finances, mais aussi une déférence à tous égards aux grands principes
budgétaires, expression de la tradition libérale et démocratique en France, dont tous les Etats
d’Afrique noire francophone se réclament aujourd’hui.
Au Tchad, la préparation du projet de loi de finances incombe toujours au pouvoir
exécutif. La nouvelle constitution adoptée en 2024, conforte cette interprétation dans la mesure
où, elles ne font référence qu’aux projets de lois et ne parlent jamais de propositions de lois
pour désigner l’origine des lois de finances. Ensuite, des éléments jurisprudentiels sont venus

53
Jacques CHABRUN, Denis SOUBEYRAN, Paul DE PUYLAROQUE, Le principe de l’annualité budgétaire :
réflexions et inflexions, RFFP, n°26, 1989, pp.139-154.
54
Rapport d’étude du projet de loi de finances gestion 2024, examen de fond de la commission des finances de
l’Assemblée nationale du Tchad, p.18 et s.
55
Jean-Michel BELORGEY, Le parlement à refaire, Paris : Gallimard, 1991, p.201.

43
corroborer la mainmise du gouvernement sur la préparation des lois de finances. Les lois de
finances sont la traduction financière de la politique du gouvernement qui, par ailleurs, assume
seul la responsabilité de son exécution. Bien plus qu’un simple instrument technique de
présentation des recettes et des dépenses de l’Etat, le budget est le plus important texte
d’orientation annuel du gouvernement. Il reflète les valeurs fondamentales sur lesquelles
reposent les grands choix politiques du gouvernement, et traduit les vues de celui-ci sur la
situation socio-économique de la nation. Il est donc légitime qu’il élabore ce texte. Ainsi, le
gouvernement grâce à sa technostructure et avec l’appui décisionnel du Chef de l’Etat, écrase
toute la procédure d’élaboration des lois de finances depuis la phase des évaluations
administratives jusqu’au calendrier budgétaire56.
Les lois de finances sont la traduction financière de la politique du gouvernement qui, par
ailleurs, assume seul la responsabilité de son exécution. Bien plus qu'un simple instrument
technique de présentation des recettes et des dépenses de l'Etat, le budget est le plus important
texte d'orientation annuel du gouvernement. Il reflète les valeurs fondamentales sur lesquelles
reposent les grands choix politiques du gouvernement, et traduit les vues de celui-ci sur la
situation socio-économique de la nation. Il est une véritable déclaration des objectifs du
gouvernement en matière budgétaire, financière et économique. Il est donc légitime qu’il
élabore ce texte. Ainsi, le gouvernement grâce à sa « technostructure » et avec l’appui
décisionnel du Chef de l’Etat, écrase toute la procédure d’élaboration des lois de finances depuis
la phase des évaluations administratives jusqu’au calendrier budgétaire57.
L’évaluation des ressources poserait théoriquement moins de problèmes administratifs et
techniques que l’évaluation des dépenses58. D’abord parce qu’un seul organe administratif, la
direction du budget procède unilatéralement aux évaluations, ce qui évite par conséquent les
négociations et les confrontations avec les ministères dépensiers. Le processus de préparation
de la loi de finances au Tchad reste identique aux autre Etats francophones d’Afrique. Le
calendrier budgétaire se déroule en plusieurs étapes : la première ouvre le cycle budgétaire par
le travail de la direction du budget qui élabore les premières estimations. Ensuite, les ministères
dépensiers sont invités à envoyer au ministère de l’Economie et des finances leurs demandes
de crédits. Ces demandes sont étudiées et analysées par les services du budget, après quoi

56
C’est sans nul doute le souci d’élargir les compétences du parlement dans le processus d’adoption des lois de
finances qui a guidé les parlementaires français a abandonné la vieille ordonnance de 1959 dont la directive de la
CEMAC s’est largement inspirée pour adopter la nouvelle loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de
finances. Selon ses promoteurs, la nouvelle constitution financière a un double objectif : moderniser l’Etat et
approfondir la démocratie. Le contenu même des dispositions de la nouvelle loi organique témoigne de profonds
changements. Le chapitre, unité d’exécution des crédits et cadre de la compétence financière des ministres depuis
la restauration, disparaît. Les taxes parafiscales ne sont plus évoquées et les services votés sont exclus du
mécanisme de répartition des crédits. Bien plus, la nouvelle loi organique du 1er août 2001 fait délibérément entrer
le droit budgétaire tchadien dans la modernité en optant pour un vocabulaire managérial qui lui était jusqu’alors
étranger ou exclusivement réservé aux annexes d’information. Dès l’article 1er, il est demandé aux lois de finances
de déterminer les « objectifs et les résultats de programmes qu’elles déterminent ». A l’article 7, les subdivisions
de crédits sont désormais dans le cadre des « politiques publiques », « les missions », « programmes », qui, eux-
mêmes regroupent des actions associées à des objectifs précis. Les résultats attendus sont l’objet « d’évaluation ».
Plus loin, aux articles 51 et 54, sont mentionnés « les projets et rapports de performances et les indicateurs de
résultats ».
57
Jean-Claude MARTINEZ et Pierre DI MALTA, Droit budgétaire, 3ème édition, 1999, p.37.
58
Marcelin ABDELKERIM, Le parlement tchadien, du bicaméralisme au monocaméralisme : la lecture des textes
constitutionnels de 1958 à 2005, Editions Al-Mouna et Union Européenne, 2015, p.78.

44
s’engagent des conférences budgétaires afin de déterminer, en fonction des orientations du chef
de l’Etat, la répartition finale des crédits entre les différents départements ministériels. Ces
différentes étapes qui vont du 1er janvier au 31 décembre de chaque année, peuvent être
regroupées en deux grandes phases. La première est consacrée à la préparation des esquisses
budgétaires et la seconde aux négociations budgétaires.
La procédure est faite de négociation, de compromis et de jeu d’influence dans l’appareil
du parti au pouvoir. Les ministres les plus influents du parti et les proches du Président de la
République, peuvent espérer à la fin des tractations budgétaires obtenir tous les crédits dont ils
ont besoin pour le fonctionnement de leurs départements ministériels. Le projet de loi de
finances ainsi que, l’ensemble des documents l’accompagnant seront déposés sur le bureau de
l’Assemblée nationale qui engagera après coup l’ultime étape de la procédure d’élaboration,
celle de l’adoption finale de la loi de finances.

2. Le vote de la loi de finances : substrat de l’autorisation parlementaire


L’essentiel de la deuxième session parlementaire de l’année est consacré à la discussion
du projet de loi de finances59. Le débat budgétaire, en raison de son importance politique,
reste donc un des temps forts de la vie des assemblées. Mais la question que l’on se pose dans
la nouvelle architecture constitutionnelle en application au Tchad, est de savoir si les députés
disposent des moyens leur permettant de concourir efficacement à la prise des décisions
financières ? On peut en douter de par la rationalisation de la procédure d’élaboration,
d’adoption et de contrôle des lois de finances, la grande technicité des budgets d’Etat et les
compétences intellectuelles relativement limitées de nombreux députés en matière économique
et financière. Le député Beral MBAIKOUBOU, a fait remarquer que « la discussion budgétaire
est un vaste marché de dupe où seul le gouvernement mène de bout en bout le débat60». Le
pouvoir de réformation du parlement étant pratiquement nul, on en conclut donc que le vote du
budget dans le parlement tchadien reste une pure formalité.
Même en France, ce constat désabusé reste largement partagé61, en premier lieu par les
députés eux-mêmes. « La discussion budgétaire, écrivait le Président Edgar Faure en 1975 est
devenue, au fil des années, un acte de routine qui se déroule selon une procédure désuète62 ».
C’est également à cet unilatéralisme gouvernemental que fait allusion Jean Pierre Fourcade
quand il déclarait en 1989 que « nous devons à la vérité de dire que la discussion budgétaire est
devenue un rite annuel63 ». Jean Claude Martinez et Pierre Di Malta pour leur part estimaient
dans leur manuel commun de droit budgétaire que « la discussion budgétaire tient plus du
sacrifice à une mystique que d’une institution ayant une réelle portée pratique64 ». L’exécutif,
de part sa technostructure et sa maîtrise des questions économiques et financières nationales et

59
Article 106 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale tchadien.
60
Extrait de sa déclaration, après le vote de la loi de finances pour 2004, La voix du Parlement, n°54, décembre
2003, p.9.
61
Roger CHINAUD constatait pour sa part que même le parlement français n’est plus la mère adoptive des lois de
finances. In Loi de finances : quelle marge de manœuvre pour le parlement ? Pouvoirs n°64, 1993, p.99.
62
Cité par Michel BOUVIER, Marie-Christine ESCLASSAN, Jean-Pierre LASSALE, Finances publiques, LGDJ,
6ème édition, 2002, p.309.
63
Ibidem.
64
Jean-Claude MARTINEZ et Pierre DI MALTA, Droit budgétaire, op.cit., p. 254.

45
internationales, dispose d’une force de persuasion impressionnante qui place d’emblée le
parlement dans une situation d’infériorité constitutionnelle et de subalternisation acceptée. Le
pouvoir de réformation du parlement étant pratiquement nul, on en conclut donc que le vote du
budget dans les assemblées africaines reste une pure formalité.
Le vote est la phase finale. Il se fait article par article, titre par titre et partie par partie.
Les autres commissions législatives interviennent au niveau de leurs attributions
respectives qui correspondent aux différents départements ministériels. Chaque commission
étudie dans le détail, le projet du budget sectoriel correspondant à ses compétences, discute les
amendements et procède au vote du texte. Elle établit, enfin, un rapport final qui comprend ses
conclusions et propositions. Dès que la commission des finances a achevé son travail d’examen
du projet de loi de finances, son texte, à la différence de la pratique parlementaire française de
la Cinquième
République65, est soumis à la discussion des assemblées. Ce débat a pour objet de
permettre aux différentes parties en présence à savoir le gouvernement, les présidents et
rapporteurs de commissions saisies au fond et pour avis, groupes politiques, de faire connaître
leurs positions et arguments respectifs, et d’éclairer ainsi le futur vote des parlementaires.
Ce dispositif juridique, dans le processus d’examen et d’adoption de la loi de finances,
fait d’abord appel aux commissions législatives permanentes, qui constitue une phase
essentielle de l’examen par les assemblées du projet de loi de finances. Le projet mobilise toutes
les commissions de l’Assemblée, les unes saisies au fond, les autres pour avis. Mais lorsque le
Président de l’Assemblée doit saisir une commission du projet de loi de finances, celui-ci sait
que la question de la compétence ne se posera pas. Il sait aussi que le gouvernement ne
demandera pas la constitution d’une commission spéciale pour l’examen du projet de loi de
finances en particulier aux commissions des finances pour un travail technique66.
Dès que la commission des finances a achevé son travail d’examen du projet de loi de
finances, son texte, est soumis à la discussion des assemblées. Ce débat a pour objet de
permettre aux différentes parties en présence, de faire connaître leurs positions et arguments
respectifs, et d’éclairer ainsi le futur vote des parlementaires. Au Tchad, le débat budgétaire
bien plus que le débat législatif classique, reste le plus contesté de tous les débats
parlementaires. Sa longueur, sa concentration sur une courte période, sa monotonie, le
désemparèrent des députés face à ce grand document fait de tableaux chiffrés et de termes
économiques et financiers difficilement maîtrisables, font chaque année et d’une façon tout
aussi rituelle que son déroulement, l’objet de critiques répétées qui, à défaut de renouveler

65
En France, c’est le texte du gouvernement qui est soumis à la délibération des assemblées (article 42 de la
constitution française du 4 octobre 1958). Cet article s’inscrit aussi dans la logique du parlementarisme rationalisé
et est destiné à éviter cette anomalie qui a caractérisé les Républiques précédentes, où la commission des finances
de l’Assemblée nationale concurrence le gouvernement et substitue à son texte une mouture entièrement reformée,
qui n’a absolument rien à voir avec le texte gouvernemental d’origine.
66
L’importance accordée aux travaux en commissions est toutefois relativisée par la pratique parlementaire
quotidienne et ce pour plusieurs raisons : l’absentéisme des commissaires qui n’est jamais sanctionné, l’absence
de moyens d’information pour permettre au parlement d’exercer réellement son pouvoir financier. A cela s’ajoute
le déplacement du centre de gravité du débat budgétaire qui se déroule ailleurs que dans les réunions formelles de
la commission des finances. Les compromis budgétaires sont souvent obtenus entre le cabinet du Chef de l’Etat et
les ministres concernés.

46
l’analyse, confortent ses détracteurs. Le déroulement de la discussion budgétaire est strictement
organisé par les parlements eux-mêmes.
Aux termes de ce développement, il est clair que l’exécutif s’est bien emparé du pouvoir
financier que la constitution confère au pouvoir législatif. Le centre de gravité des décisions
budgétaires et économiques s’est déplacé, du fait des techniques du parlementarisme rationalisé
et des comportements politiques des députés eux-mêmes67, vers le ministère des finances et du
budget, la primature et plus fortement vers la présidence de la république. Les orientations
fondamentales sont dégagées par la technostructure exécutive, qui fait abstraction de toute
revendication interne. Et lorsque le projet de loi de finances arrive devant le parlement pour
discussion, les marchandages essentiels ont déjà eu lieu et ont fait l’objet d’arbitrages définitifs
de la part du Président de la République qui reste, au-delà des volontés ministérielles ou primo-
ministérielles à imprimer leurs marques au budget national, la seule autorité qui oriente
véritablement la politique financière de l’Etat à travers les circulaires budgétaires68. Au total,
en matière financière et budgétaire, les députés restent encore des chambres d’enregistrement,
bien plus que dans le processus législatif normal.

II. LA RATIONALISATION DE LA FONCTION DE CONTROLE

A priori, on peut penser que la fonction de contrôle est de nos jours, la fonction essentielle
des assemblées parlementaires pour deux raisons principales. D’abord, sur un plan
général, il est de plus en plus admis que la fonction principale du parlement moderne ne
consiste plus essentiellement à légiférer, mais plutôt à contrôler et à orienter le gouvernement
car ni ses structures, ni encore moins ses moyens très réduits ne répondent plus aux exigences
d’une législation moderne, complexe et rapide69. Ensuite, la fonction de contrôle peut apparaître
importante pour une raison spécifique au Tchad, en particulier ceux qui font ici objet de notre
étude. En effet, les premières années des indépendances ont révélé qu’en l’absence de tout
contrôle, la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul individu s’est avérée
dangereuse et explique, les dérives dictatoriales qui ont secoué le Tchad pendant longtemps.
L’établissement d’un mécanisme de contrôle s’impose donc dans le contexte dans la nouvelle
constitution afin de tempérer d’une part, les excès de la concentration des pouvoirs, d’autre part
de s’assurer d’une gestion saine et efficace des finances publiques70.
L’importance du parlement réside, écrit Roger-Gérard Schwartzenberg que « dans sa
capacité à recevoir et à diffuser un flux d’information, de la société et vers la société. Un
système parlementaire efficace, est un système perméable au corps social, un système à la fois
récepteur aux impulsions populaires et émetteur des informations, des messages vers le peuple
71
». Ensuite, la fonction de contrôle peut apparaître importante pour une raison spécifique au

67
Mohamed EL KACEM, Loi de finances au Maroc, thèse droit public, Université Paris II, 1998, p.86.
68
V. par exemple la circulaire n°96/PR/SGG du 9 mai 1996 par laquelle le Président du Tchad, donne des directives
aux ministres dans le cadre de l’élaboration du budget pour 1997.
69
Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, op.cit., p.72.
70
Bruno BAUFUME, « Le contrôle de l’action de l’exécutif », Séminaire parlementaire pour l’A frique de l’Ouest
et du Centre, Ouagadougou, Burkina Faso, 12-15 mars 1996, fonctionnement du parlement dans un contexte
démocratique, union interparlementaire, Genève, 1996, p.23.
71
Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Sociologie politique : éléments de science politique, p.56.

47
Tchad, objet de notre étude. En effet, les premières années des indépendances ont révélé qu’en
l’absence de tout contrôle, la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul individu s’est
avérée dangereuse pour la plupart des Etats africains. Elle explique, dans une large mesure, les
dérives dictatoriales et les crises économiques qui ont secoué le continent pendant près d’un
quart de siècle72.
Mais en réalité, sa portée réelle est considérablement réduite du fait d’une rationalisation
excessive ainsi qu’une absence totale de volonté politique qui trouve sa source dans une culture
politique qui accorde plus d’importance au pouvoir exécutif qu’aux représentants du peuple.
C’est ainsi que l’exercice du contrôle de l’exécution des finances publiques est complètement
annihilé (A), que la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement rendue difficile
par des entraves politiques, psychologiques et techniques (B).

A. L’impossible mission de contrôle-information et la mise en jeu de la


responsabilité politique du gouvernement

Le parlement tchadien dispose théoriquement de procédures de contrôle très importantes


qui lui permet non seulement d’obtenir sur tous les problèmes relatifs à la vie du pays, des
informations utiles mais aussi et surtout de sanctionner le gouvernement73. Mais dans la réalité
ou dans la pratique politico-constitutionnelle, ces procédures subissent une telle limitation que
l’on assiste à un véritable dévoiement des mécanismes du « contrôle-sanction » et à
l’annihilation des moyens d’information de la représentation nationale, due aux incidences du
présidentialisme toujours très présent et le phénomène de la rationalisation parlementaire hérité
de la France 74. La nouvelle constitution, n’a pas remis en cause toutes les prérogatives
exorbitantes du chef de l’Etat, ce qui le maintien comme avant dans une position hégémonique
pérennisant ainsi le déséquilibre d’antan. Dès lors, on peut donner raison au Professeur Pierre-
François Gonidec lorsqu’il écrit : « la démocratie n’a pas changé les pouvoirs des présidents
africains.
Si l’on ajoute à ce facteur juridique de déséquilibre des pouvoirs, d’autres éléments de
même nature, la rationalisation du parlementarisme, la prépondérance toujours croissante des
anciens partis uniques malgré le pluralisme démocratique, l’instrumentalisation des techniques
de contrôle présenté comme une agression contre le pouvoir en place et l’absence de volonté
politique de la part des parlementaires eux-mêmes de soumettre l’appareil gouvernemental à un
contrôle permanent et dédramatisé, on ne peut arriver qu’à la domestication des mécanismes de
contrôle information et de la mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement. Les
pouvoirs du président n’ont guère été entamés et sa position s’est même renforcée à la suite des

72
On retiendra au cours de cette période un pillage systématique des ressources des Etats par les dirigeants sans
crainte de poursuite. Chaque responsable politique utilise à des fins personnelles les fonds dont il a le maniement
: le Président de la République se sert des comptes de l’Etat, les ministres utilisent les ressources de leurs
départements, les maires et autres élus locaux, des ressources des collectivités dont ils ont la charge.
73
Pierre-François GONIDEC, Constitutionnalismes africains, RJP, janvier-avril 1996, p.23.
74
Maurice KAMTO, Pouvoir et Droit en Afrique noire, Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les
Etats d’Afrique noire francophone, 1987, p.244.

48
élections remportées75 ». Cela entraine la neutralisation par le gouvernement (1) et les avatars
de la responsabilité ministérielles (2)

1. L’inopération par le gouvernement des moyens d’information du parlement


L’efficacité du contrôle parlementaire n’est pas liée nécessairement à la possibilité de
renverser le gouvernement. Comme l’a écrit Emile Blamont : « le contrôle est désormais orienté
vers l’information réciproque plus que vers la mise en jeu de la responsabilité
gouvernementale76 ». De fait, le contrôle efficace du gouvernement par le parlement présuppose
la communication rapide des informations, mais le gouvernement peut être tenté par la rétention
de l’information. Parce qu’il dirige les services publics, dispose de l’administration et conduit
les négociations internationales, le gouvernement bénéficie d’un avantage considérable dans
ses relations avec le parlement, car il recueille directement les informations et constitue les
dossiers dont la connaissance est indispensable à la préparation de toute décision importante.
De fait, le contrôle efficace du gouvernement par le parlement présuppose la
communication rapide des informations, mais le gouvernement peut être tenté par la rétention
de l’information. Parce qu’il dirige les services publics, dispose de l’administration et conduit
les négociations internationales, le gouvernement bénéficie d’un avantage considérable dans
ses relations avec le parlement, car il recueille directement les informations et constitue les
dossiers dont la connaissance est indispensable à la préparation de toute décision importante.
Seul un système d’information efficace permet au parlement de tenir le gouvernement en
haleine et de le pousser à se justifier ou à infléchir sa politique dans le sens voulu. En effet,
même dans le cas où les députés n’arrivent pas à changer la politique du gouvernement par leurs
interventions, leurs actions peuvent tout de même influencer l’électorat. Dans ces conditions,
les critiques de l’opposition si elle existe, peuvent conduire l’électorat à refuser la confiance au
gouvernement lors des prochaines élections.
En réalité, au Tchad, l’information parlementaire est largement insuffisante puisque d’une
part le gouvernement répond aux demandes d’information quand il veut et, d’autre part le
processus des commissions d’enquête et de contrôle se déroule sous le poids de « l’impérialisme
majoritaire77 » qui cherche à étouffer tout ce qui pourrait nuire à l’action du pouvoir exécutif.
Selon Michel Ameller, les questions se définissent « comme l’acte par lequel un membre d’une
assemblée demande à un ministre des explications sur un point déterminé de sa politique78 ».
Ecrit ou oral, cet acte est dépourvu de sanction politique immédiate et, dans cette mesure, il se
distingue nettement d’autres procédures de contrôle, telles que la motion de censure ou
l’interpellation qui visent également à provoquer des explications du gouvernement, mais
aboutissent à une sanction sous la forme d’un vote mettant en jeu la responsabilité ministérielle.
si les questions orales et écrites permettent d’obtenir les résultats souhaités79.

75
V. Taha OUDGHIRI, Corruption et finances publiques : le cas du Maroc, RFFP, mars 2000, p.135.
76
Claude BIDEGARAY et Claude EMERI, Le contrôle parlementaire, RDP, 1973, p.719.
77
Georges BURDEAU, Manuel de droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ,1984, p.205.
78
Michel AMELLER, Les questions instrument du contrôle parlementaire, 1964, p.9.
79
Les questions orales et écrites sont prévues aux articles 129 à 135 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale
du Tchad.

49
On peut en douter car l’usage que l’on fait de ce procédé ne permet pas l’établissement
d’un dialogue satisfaisant entre le gouvernement et le parlement. Selon Michel Ameller, les
questions se définissent « comme l’acte par lequel un membre d’une assemblée demande à un
ministre des explications sur un point déterminé de sa politique80 ». Ecrit ou oral, cet acte est
dépourvu de sanction politique immédiate et, dans cette mesure, il se distingue nettement
d’autres procédures de contrôle du régime parlementaire, telles que la motion de censure ou
l’interpellation qui visent également à provoquer des explications du gouvernement, mais
aboutissent à une sanction sous la forme d’un vote mettant en jeu la responsabilité ministérielle.
Procédé commun aux trois pays qui font objet de notre étude, la question qui se pose ici est de
savoir si les questions orales et écrites permettent d’obtenir les résultats souhaités81.
Alors qu’en France, le nombre des questions écrites dépasse largement celui des questions
orales en raison de la simplicité de la procédure et de sa rapidité82, nous constatons un
phénomène différent au Tchad. Les statistiques tirées des documents des différentes directions
de services législatifs montrent que le député tchadien manifeste très peu d’intérêt à l’égard des
questions écrites. La négligence des questions écrites est plus nette chez les députés de la
majorité. En effet, le dépouillement des statistiques fournies par la direction des services
législatifs du Tchad, montre que le Mouvement Patriotique du Salut majorité parlementaire n’a
posé que 3 questions sur les 15 questions allant de la période du 5 juillet 2002 au 30 avril 2003.
Il a lieu de rappeler ici que l’impact des questions écrites qui ont reçu des réponses ministérielles
reste très limité en raison de la déviation de la procédure et du mauvais usage de ce procédé
d’information. Mal informés par le gouvernement et ne fournissant pas eux-mêmes d’efforts
supplémentaires pour traquer la vérité, les députés tchadiens ne sont pas en mesure de jouer le
rôle d’agent de liaison entre le gouvernement et les électeurs.
Cette défaillance de la fonction d’information ne prépare pas à mettre en cause la
responsabilité politique du gouvernement.

2. Les métamorphoses de la responsabilité ministérielle


Afin de rétablir l’équilibre recherché, les constituants tchadiens ont pensé, face à l’arme
redoutable dont dispose le gouvernement pour faire taire l’Assemblée, créé une arme
techniquement équivalente. C’est alors que l’on pensa à la responsabilité politique du
gouvernement comme élément d’équilibre. L’on a pu donc dire, et cela à juste titre que « cette
arme braquée à bout portant sur le gouvernement n’est que le contrepoids nécessaire à la
menace d’une dissolution83 ». La responsabilité ministérielle au Tchad prend sa source, dans le
cadre du mimétisme constitutionnel à l’article 49 de la constitution française, qui n’est lui-
même pour résoudre l’instabilité ministérielle résultant du déséquilibre entre le pouvoir exécutif

80
Michel AMELLER, op.cit., p.56.
81
Claude BIDEGARAY et Claude EMERI, Le contrôle parlementaire, RDP, 1973, p.119.
82
Ibidem.
83
Cette responsabilité devant la chambre élue au suffrage universel s’est empiriquement développée au parlement
anglais de Westminster permettant au régime parlementaire de trouver son point d’équilibre dans un dialogue
permanent entre pouvoir gouvernemental et contre-pouvoir parlementaire placés sous l’arbitrage du corps
électoral. Sur l’histoire de l’invention de la responsabilité ministérielle, V. Christian BIDEGARAY et Claude
EMERI, La responsabilité politique, Dalloz, 1998, p.137.

50
et le parlement de l’époque84. Selon l’article 101 de la constitution le gouvernement est
responsable devant l’Assemblée nationale au travers de la question de confiance et de la motion
de censure.
De tous les procédés de contrôle, la motion de censure constitue l’arme la plus redoutable
d’action du législatif sur l’exécutif puisqu’elle entraîne la démission immédiate du
gouvernement. La constitution tchadienne a prévu ce mécanisme parlementaire de contrôle de
l’activité gouvernementale85. Cependant, si cette technique a exceptionnellement abouti une
seule fois au Tchad86, elle est loin de constituer de manière générale une machine infernale
destinée à faire sauter le gouvernement dès lors que celui-ci n’a plus la confiance du parlement.
Les précautions sont prises par le constituant pour rendre difficile sinon impossible la mise en
œuvre de la procédure de la censure. Une simple lecture des textes constitutionnels,
réglementaires régissant les conditions de recevabilité et d’adoption de la motion de censure
montre qu’il y a une véritable volonté du constituant d’en faire une technique de façade,
davantage théorique que réelle87.
La rigueur de la procédure se manifeste à un double niveau : elle apparaît d’abord au
moment de l’initiative, elle s’étend ensuite à l’adoption du texte de la censure. La rationalisation
des procédures de contrôle du gouvernement a produit des effets assignés par le constituant, à
savoir la stabilité gouvernementale. Elle a aussi engendré dans le cadre de la nouvelle
constitution, l’irresponsabilité politique des ministres. Politiquement irresponsables du fait de
la protection du chef de l’Etat, les ministres n’ont plus à s’inquiéter d’une possible
responsabilité pénale, car tant qu’ils auront la confiance du président, ils peuvent être reconnus
responsables sans jamais être coupables88.
Toutes les précautions sont prises par les constituants dans les deux pays pour rendre
difficile sinon impossible la mise en œuvre de la procédure de la censure. Une simple
d’adoption de la motion de censure montre qu’il y a une véritable volonté des constituants d’en
faire une technique de façade, davantage théorique que réelle. La rigueur de la procédure se

84
Philippe CHRESTIA, Responsabilité politique et responsabilité pénale entre fléau de la balance et fléau de
société, RDP, 2000, p.740.
85
Les constitutions tchadiennes des Première et Troisième Républiques et toutes les constitutions burkinabés
depuis les indépendances ont opté pour le principe de la responsabilité politique du gouvernement et la possibilité
pour les chambres de recourir à la motion de censure ou au rejet de la question de confiance pour renverser le
gouvernement. De même, les constitutions sénégalaises, dahoméennes, nigériennes, tchadiennes etc. des années
d’indépendance retiennent également ces mécanismes ; V. Lansanna KEITA, Les attributions des assemblées
législatives dans les pays d’Afrique noire d’expression française, Thèse droit public, Paris 1, 1978, p. 173.
86
Il s’agit de la motion de censure votée le 24 août 2000 contre le gouvernement d’Eugène ADOBOLI. Mis à part
le cas du Tchad, on citera à titre indicatif la motion de censure au Sénégal en 1962 contre le gouvernement de
Mamadou Dia, celle de 1993 contre le gouvernement du Général YHOMBI au Congo Brazzaville sous la
présidence de Pascal LISSOUBA et de mai 1996 contre le gouvernement de Francisque RAVONY au Madagascar
pour obtenir la démission du Président Albert ZAFY accusé par l’opposition de haute trahison. Le 31 mai 2007,
une motion de censure a emporté aussi le gouvernement du premier ministre Hama AMADOU au Niger. Cette
motion de censure déposée par l’opposition dénonçait « la gestion des affaires publiques marquée par la corruption
». Le texte protestait contre l’affaire MEBA : le détournement de plus d’un milliard de francs CFA au ministère
de l’Education, de l’argent donné par les bailleurs de fonds pour financer le développement de l’éducation au
Niger. Rappelons aussi que depuis sa reconduction à la tête du gouvernement nigérien après la réélection du
Président Mamadou TANDJA, e Premier ministre Hama AMADOU a déjà échappé à quatre motions de censure.
87
Pierre-François GONIDEC, op.cit., p.83.
88
Marcelin ABDELKERIM, Les régimes politiques du Tchad 1960-1990 : esquisse d’une analyse juridico-
politique, Edilivres, Paris, 2015, p.145.

51
manifeste à un double niveau : elle apparaît d’abord au moment de l’initiative, elle s’étend
ensuite à l’adoption du texte de la censure. Au Tchad, le gouvernement ne dispose pas
seulement d’un soutien majoritaire au parlement. Bien plus, celui-ci est en situation
d’allégeance par rapport à l’exécutif. Ce phénomène qui s’explique en grande partie par la
réapparition du présidentialisme, rend aléatoire tout recours à la motion de censure et garantit
au besoin la stabilité gouvernementale en dehors même de toute rationalisation de la motion de
censure.
On pourrait donc croire au regard du contrôle parlementaire, que le Tchad est dirigé par
des irréprochables, fondamentalement mus par l’intérêt général de leurs populations. En réalité,
il n’en est rien car les fautes des ministres, leurs erreurs sont couvertes par l’irresponsabilité
présidentielle. L’irresponsabilité politique et pénale qui est attachée à la fonction de leur patron,
leur échoit d’office et il est impensable, sauf trahison du chef, que celui-ci puisse accepter de
livrer ses collaborateurs aux parlementaires ou à la justice. Les parlementaires eux-mêmes
savent qu’ils n’ont aucun intérêt à entrer en conflit avec le chef de l’Etat, leur prochaine
investiture en dépend largement. Ainsi décrit, on est bien sûr très loin des pratiques couramment
admises et du fonctionnement de la vie démocratique pratiqué en Occident89. Soutenir le
gouvernement ne signifie en rien qu’il faut faire économie des critiques constructives ou
renoncer aux exigences d’information, de transparence et d’imputabilité qui constituent les
principes cardinaux de la bonne gouvernance.
La rationalisation des procédures de contrôle du gouvernement a produit des effets
assignés par le constituant, à savoir la stabilité gouvernementale. Elle a aussi engendré dans le
cadre du nouveau constitutionnalisme tchadien, l’irresponsabilité politique des ministres même
si cette question était déjà au centre de la pratique politique dans le cadre des partis uniques. A
cet excès de rationalisation, s’ajoute le fait ultra majoritaire. Sans doute, le rôle de la majorité
est avant tout de soutenir le gouvernement qui est issu de son sein90. Le gouvernement a besoin
d’être soutenu par sa majorité pour mener à bien la politique pour laquelle il est élu. Mais si
cette majorité parlementaire devient mécanique, en raison du lien trop fort avec le
gouvernement et le Président de la République91, et si la seule ambition des parlementaires est
de plaire à l’Exécutif dans la perspective d’une rétribution politique, ou d’un renouvellement
de sa candidature sur les listes électorales du parti, alors l’impuissance et le déclin des
assemblées resteront toujours les caractéristiques fondamentales du parlementarisme tchadien.
Le parlement tchadien doit faire sienne cette maxime selon laquelle « la confiance
n’exclut pas le contrôle ».

B- les faiblesses du contrôle de l’exécution de la loi de finances

La longue procédure budgétaire, commencée depuis la préparation s’achève par le


contrôle. Ce dernier maillon de la chaîne est la fonction essentielle de l’Etat, faute de quoi, la
contribution des citoyens, ou si l’on préfère de manière large les deniers publics, seront sans

89
Marcelin ABDELKERIM (Marcelin), Démocratie, démocrature ou démopédie des élections politiques ? Cas de
l’Afrique Centrale, EUE, 2015, p.212.
90
Pierre-François GONIDEC, op.cit., p.99.
91
Ibidem.

52
suivi et courent le risque de devenir un don pour certains dirigeants ayant la charge la gestion
de la chose publique92. Le contrôle a pour but, selon l’orthodoxie financière, de prévenir et
éventuellement de sanctionner les irrégularités et malversations qui risquent d’être commises
au cours du déroulement des opérations financières ou encore, comme le rappelle Kanda
Mathias Aimé,« de veiller à ce que l’exécution budgétaire se conformât à l’autorisation
parlementaire93». Le contrôle des finances publiques reste toutefois multiple, en raison de la
diversification des interventions de l’Etat dans la vie administrative, économique et sociale.
Ceci implique la distinction de plusieurs types de contrôle qui se recoupent et se complètent94.
On distingue ainsi des organes d’endocontrôle des organes d’exocontrôle95. Les premiers
exercent un contrôle interne et font partie des services du ministère des Finances, leur
préoccupation n’est pas de sanctionner, mais de relever les irrégularités dans les opérations
financières et les imperfections dans le fonctionnement des services contrôlés. Les seconds
exercent un contrôle externe qui porte à la fois sur la gestion et la régularité des opérations
financières de l’Etat. C’est cette dernière classification que nous retiendrons ici du fait
essentiellement de sa clarté, sans pour autant perdre de vue sa complémentarité avec les autres
classifications exposées ci-dessus en essayant de mettre à nu ses insuffisances et ses
imperfections par le parlement Tchadien.

1. Le contrôle interne, un contrôle insuffisant


Aujourd’hui au Tchad comme dans bien d’autres pays en voie de développement, la
nécessité est établie d’une action rapide et efficace des pouvoirs publics face à l’ampleur des
problèmes de développement à résoudre96. Il en résulte que le pouvoir exécutif doit rechercher
une plus grande liberté dans la gestion des crédits, mais avec le risque d’abus et de corruption,
toutes choses contraires à l’idée de bonne gouvernance dans un contexte de démocratisation.
Or, les bailleurs de fonds à l’instar du Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale et
même le simple citoyen, ont le regard constamment braqué sur la gestion des ressources et
exigent une bonne gestion du bien public. Pour y parvenir, un contrôle permanent est nécessaire,
notamment le contrôle interne composé de l’ensemble des vérifications exercées par les organes
propres à l’administration, en général et en particulier au pouvoir exécutif, en vue d’assurer le
respect des normes financières97. Ce contrôle, dont l’objet est d’assurer la protection des deniers

92
Cité par Joseph BARTHELEMY, Le contrôle préventif des finances publiques, 1899, p.17.
93
Droit budgétaire en Afrique noire francophone, Thèse Droit public, Paris 2, 1991, p.446.
94
Ibidem
95
Rapport général de l’atelier entre les députés de la commission budgétaire et les conseillers de la chambre des
comptes sur le contrôle parlementaire des finances publiques, unité d’Analyse, de contrôle et d’évaluation du
budget de l’Etat (UNACEB), Tchad, 2023.
96
Le N’Djamena bi-hebdo, journal indépendant du Tchad, 23 mars 2003, p.4.
97
Il n’est pas sans intérêt de noter que même en France, la rationalisation du parlementarisme opérée par la
constitution de la Cinquième République pour assurer la stabilité et l’efficacité de l’action gouvernementale est
aujourd’hui contestée dans tous ces aspects car consacrant un déséquilibre évident entre l’exécutif et le législatif.
Avec la constitution de 1958, le parlement est plus au service de l’exécutif qu’il semble plus obéir que légiférer et
contrôler. La réforme de 1995 a du reste été présentée comme gommant pour partie les excès des règles originelles
de rationalisation. D’avoir peut-être, trop réussie, la rationalisation du parlementarisme est présentée ainsi en
France comme un handicap au développement harmonieux de la pratique institutionnelle. V. entre autres Michel
LASCOMBE ; Vladimir CONSTANTINESCO et Stéphane PIERRE-CAPS, Droit constitutionnel, PUF, 2ème
édition, 2006, p.357 ; Boris MIRKINE-GUETZEVITCH, Les nouvelles tendances du droit constitutionnel, les
problèmes de rationalisation du pouvoir dans les constitutions de l’Europe d’après-guerre, RDP, 1928, p.5.

53
publics contre les détournements illicites et la recherche introspective sur l’organisation et le
fonctionnement des services publics, est assuré tantôt par les fonctionnaires chargés de
responsabilité dans l’administration active, tantôt par des fonctionnaires spécialisés dans la
vérification et les enquêtes.
Mais les objectifs assignés à ces formes et modalités de contrôles sont loin d’être atteints
dans la république tchadienne qui fait objet de notre article, en raison des facteurs à la fois
objectifs et subjectifs. En matière financière, le terme de « contrôle interne », évoque tous les
contrôles qui s’effectuent au sein de l’administration, que la doctrine appelle également «
contrôles administratifs » de « contrôles endogènes98 » ou encore « endocontrôles99 ». Dans ce
type de contrôle, deux systèmes sont possibles et souvent utilisés au Tchad : le contrôle a priori
et le contrôle a posteriori. Et pour mener à bien ces deux contrôles, le Tchad a mis en place des
organes dont les uns, relevant du ministre des Finances, s’occupent de l’aspect préventif et les
autres dépendant directement du Chef de l’Etat, interviennent en aval. Les premiers ont surtout
pour but d’éviter des éventuelles irrégularités et d’appliquer la légalité budgétaire. Les seconds
tout en complétant les premiers, participent à l’action administrative et informent le chef de
l’Etat de l’exécution du budget.
Les limites du contrôle interne des finances publiques concernent les deux principaux
organes de contrôle à savoir les contrôleurs financiers et les inspections générales des finances.
L’organisation du contrôle financier n’est pas satisfaisante au Tchad, les principaux problèmes
de ce contrôle, ont généralement trait à la compétence des contrôleurs mais aussi dépend de
leur rapport avec le ministre des finances et du budget. Le contrôle des dépenses engagées est
sans doute le meilleur moyen de prévoir les dépassements de crédits, puisqu’il permet de saisir
les irrégularités à leur origine, d’arrêter avant qu’ils ne soient formés des droits qui engagent
définitivement l’Etat. Pour cette raison et bien d’autres encore que nous avons essayé d’analyser
plus haut, l’Etat recrute des contrôleurs financiers.
Le Tchad, en dépit des exigences de transparence économique et financière des
institutions de Brettons Wood, fait souvent appel à des fonctionnaires inexpérimentés ou à des
agents n’ayant aucune formation financière et comptable leur permettant de mener à bien cette
tâche de contrôle. Un contrôleur financier incompétent, ne pourra naturellement pas répondre
aux questions de procédure ou de modalités à adopter parmi les possibilités qu’offrent les règles
comptables. Il doit être capable de donner des conseils concernant la rédaction des projets de
décret à incidence financière, et donner des orientations valables au sujet des passations des
contrats, leur forme et les clauses à y insérer. Pour toutes ces raisons, il est souhaitable que les
contrôleurs financiers possèdent une connaissance du marché intérieur voire du marché
international car dans certains pays, les contrôleurs financiers sont appelés à formuler des avis

98
Gérard CONAC parle lui « d’intense activité volcanique », Parlement et Francophonie, Revue de l’Assemblée
internationale des parlements de langue française, 1991, n°83-84, p.34. Dans une analyse parue au journal Le
Monde du jeudi 20 juin 1991, Mme Edwige AVICE ancienne ministre française de la Coopération et du
Développement a comparé le vent de démocratisation qui secoue l’Afrique de part son ampleur et ses motivations
« aux grandes mutations qui ont conduit l’Afrique aux indépendances dans les années 1960 », Le Monde, 20 juin
1991.
99
Abou Charoucou-Abal ANRABE, Le contrôle des finances publiques aux Comores, L’Harmattan, 1992, p.121.

54
motivés sur les clauses financières des projets de traités, accords ou conventions passés avec
les Etats étrangers ou avec des organismes internationaux.
En plus du problème de la compétence des contrôleurs, une autre question demeure : celle
du statut de ceux-ci. Les textes tchadiens ne donnent pas suffisamment de garanties
d’indépendance, de stabilité et d’impartialité aux contrôleurs financiers qui sont largement sous
la coupe du seul ministre des Finances100. Pour que le contrôle préventif des engagements des
dépenses fonctionne de manière efficiente, il faut qu’il soit exercé par une autorité offrant toutes
les garanties d’indépendance et d’impartialité. Les contrôleurs tchadiens dépendent
hiérarchiquement des caprices et du bon vouloir du ministre des finances et sont sous son
emprise. Dans la pratique, les contrôleurs financiers sont des inférieurs des collaborateurs les
plus proches du ministre des finances, dont ils redoutent constamment la sanction et
l’éventualité d’un blocage et l’évolution de leur carrière101. Leur avancement et la crainte de
mécontenter le ministre ou ses proches sont la source de leur effacement.
Il serait alors préférable que toute sanction à l’égard d’un contrôleur financier soit avalisée
par la cour des comptes ou la juridiction qui y tient lieu pour être appliquée. Cela donnerait plus
d’indépendance aux contrôleurs qui oseraient plus qu’ils ne le font actuellement. Dans
l’exercice de ses fonctions, l’inspecteur doit se faire fournir tous les moyens nécessaires pour
reconnaître si le comptable ou le service vérifié remplit les obligations prescrites par les lois et
les règlements en vigueur. Il vérifiera par exemple si la gestion a été régulière, s’il n’y a pas eu
de lacunes102. Tout ce travail, faut-il le rappeler, exige de l’inspecteur des connaissances
techniques approfondies largement supérieures à celles des agents contrôlés pour pouvoir
déceler les jeux d’écriture comptable et autres. Pour ce faire, les conditions de recrutement ou
de nomination des inspecteurs généraux doivent être repensées de façon rigoureuse sur le
continent.

2. Le contrôle externe, un contrôle à construire


Le seul contrôle interne, est sans doute insuffisant pour pouvoir rétablir les torts souvent
causés au trésor public du fait de l’indélicatesse ou de l’absence de vigilance des agents chargés
de l’exécution budgétaire, puisqu’à l’évidence, la logique de ces contrôles s’arrête à une simple
sanction disciplinaire. Ainsi, à côté des contrôles administratifs, le Tchad a organisé chacun en
ce qui le concerne, des contrôles externes dont la logique aboutit à des responsabilités pénales
ou politiques selon les cas. Il s’agit notamment des contrôles juridictionnel et parlementaire.
Dans le cadre juridictionnel, s’inspirant du modèle français de la Cour des comptes, le
Tchad a choisi, à la sortie des indépendances, de faire contrôler ses comptes par une institution
semblable. Mais comme on pouvait s’y attendre, l’exercice de ce contrôle reste largement
tributaire de l’évolution politique et constitutionnelle du pays ; les missions assignées aux
contrôles juridictionnels ont subi au fil des années, des restrictions avec à la clé des suppressions

100
Rapport général de l’atelier entre les députés de la commission budgétaire et les conseillers de la chambre des
comptes sur le contrôle parlementaire des finances publiques, Unité d’Analyse, de Contrôle et d’Evaluation du
budget de l’Etat (UNACEB), Tchad, 2004, supra.
101
Ibidem.
102
Roger CHINAUD, Loi de finances : quelle marge de manœuvre pour le parlement ? Pouvoirs, n°64, 1993, pp.
99-108.

55
pures et simples de certaines cours des comptes, ou la transformation de celles qui ont survécu
en objets d’ornement destinés à calmer les partenaires en développement. Les nouveaux
pouvoirs issus des premiers coups d’Etat et du parti unique, supportent très mal d’être contrôlés
par des organes juridictionnels et surtout pour des raisons financières103. En 1996, le Tchad a
été amené pour des raisons à la fois juridiques et politiques à changer d’orientation du moins
dans les textes la manière de gérer les deniers publics, et à accepter de nouveau la création de
juridictions chargées de contrôler l’exécution des finances publiques. Il confié le contrôle
juridictionnel de ses finances publiques à la section des comptes de la Cour suprême104.
Au Tchad, les comptes des comptables publics sont jugés par la Cour des comptes ou les
chambres des comptes rattachées aux cours suprêmes. Ces cours jugent non seulement les
comptes des comptables, mais prononcent également des sanctions à l’égard des ordonnateurs
auteurs d’irrégularités. Il a préféré attribuer cette dernière compétence à une juridiction
spécialisée : la cour de discipline financière, qui a pour mission de vérifier la régularité des
recettes et des dépenses dans les comptabilités publiques et s’assurer, à partir de ces dernières,
du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l’Etat ou par les autres
personnes morales de droit public, assurer également la vérification des comptes et de la gestion
des entreprises publiques et organismes à participation financière publique, juger les comptes
des comptables publics, déclarer et apurer les gestions de fait et enfin, sanctionner au besoin,
les fautes de gestion commises à l’égard de l’Etat, des collectivités locales et des organismes
soumis à leur contrôle105.
A côté de ses attributions juridictionnelles, la Cour des comptes est investie d’une
compétence de nature non juridictionnelle qui se résume en deux grandes missions
administrative et informative. Suivant l’article 67 de la loi organique du 17 février 1999 sur la
Cour des comptes au Tchad dispose que : le contrôle administratif des comptes « vise à
apprécier la qualité de la gestion et à formuler, éventuellement, des suggestions sur les moyens
susceptibles d’en améliorer les méthodes et d’en accroître l’efficacité et le rendement106 ». Ce
contrôle englobe tous les aspects de la gestion. La cour apprécie la réalisation des objectifs
assignés à l’organisme public, l’adéquation des moyens utilisés, les coûts des biens et services
produits, les prix pratiqués et les résultats financiers obtenus.
Quant à la mission informative de la Cour des comptes, elle est acquittée dans le cadre de
l’élaboration tous les ans d’un rapport sur l’exécution des lois de finances accompagnant la
déclaration générale de conformité adressé à l’Assemblée nationale en même temps que le
projet de loi de règlement. La cour des comptes établit également au moins tous les deux ans, à
l’intention du Président de la République, un rapport d’ensemble sur l’activité, la gestion et les

103
Ainsi au Tchad où la chambre des comptes était chargée par l’article 1er de la loi n°61 du 4 avril 1986 de juger
les comptes, les recettes et les dépenses des comptables patents et de toute autre personne qui se serait ingéré dans
le maniement des deniers publics a été supprimée à partir de 1990, année de l’accession de Idriss Deby Itno au
pouvoir.
104
Loi n°90 du 8 avril 1990 portant réforme de la cour suprême.
105
Au Tchad, les chambres permanentes sont aussi au nombre de trois. Il s’agit de la chambre chargée du contrôle
des opérations de l’Etat, la chambre chargée du contrôle des opérations des collectivités locales et la chambre
chargée du contrôle des entreprises publiques et des institutions de la sécurité sociale.
106
Article 67 de la loi organique du 17 février 1999.

56
résultats des entreprises contrôlées par elle107. Ces rapports produits par la cour sont en théorie
d’une grande utilité non seulement pour le Chef de l’Etat dans l’orientation de la politique
générale du gouvernement, mais aussi de la représentation nationale qui exerce un contrôle
politique sur la gestion des finances publiques.
L’instance dont nous venons de décrire l’organisation et la compétence est une juridiction
ayant pour fonctions d’instruire les affaires pour lesquelles elle est saisie et de les juger. Au
Tchad, la saisine peut être faite par le commissaire du droit qui exerce les fonctions de ministère
public et ne peut agir que sur ordre du Président de la République, du président de l’Assemblée
nationale, du président du Sénat, du premier ministre, du ministre des Finances, du président
de la Cour des comptes et du président de la commission de vérification des comptes et de
contrôle des entreprises publiques108.
Le commissaire du droit informe l’intéressé des poursuites dirigées contre lui par lettre
recommandée avec accusé de réception puis transfère le dossier au président de la chambre de
discipline financière qui désigne un rapporteur pour l’instruction de l’affaire. Lorsque
l’instruction est terminée, le rapporteur transmet le dossier au président de la chambre qui le
communique au commissaire du droit. Si celui-ci estime que l’affaire doit être classée sans
suite, l’instruction n’ayant pas apporté de charges suffisantes, il communique le dossier, avec
ses conclusions, à l’autorité qui l’a saisi. Cette autorité doit dans un délai d’un mois, requérir
de poursuivre, classer ou demander un supplément d’information. Et en l’absence de réponse
dans ce délai, l’autorité saisie est présumée avoir acquiescé aux conclusions du commissaire du
droit qui classe sans suite.

CONCLUSION

Les années 1990-2024 resteront pour le Tchad, celles des grandes transformations
politiques majeures109. Ce vaste mouvement historique, contre-coup des événements sismiques
qui ont secoué les systèmes sociaux et politiques. L’évolution de cette situation inespérée pour
des peuples qui ployaient sous les jougs de ces dictatures civiles et militaires, s’est traduite, par
la convocation de la conférence nationale, la rédaction de nouvelles constitutions110 ou une
révision de celles qui existaient déjà et dont les contenus tranchaient nettement avec les
précédentes111. Comme nous avons essayé de le montrer tout au long de ce article, ces nouvelles
chartes fondamentales ont eu pour vocation de garantir l’exercice des libertés publiques, le
respect des droits des citoyens et surtout la définition de nouvelles règles du jeu démocratique

107
Rapport général de l’atelier entre les députés de la commission budgétaire et les conseillers de la chambre des
comptes sur le contrôle parlementaire des finances publiques, Unité d’Analyse, de Contrôle et d’Evaluation du
budget de l’Etat (UNACEB), Tchad, 2004, supra.
108
Ibidem.
109
Gérard CONAC parle lui « d’intense activité volcanique », Parlement et Francophonie, Revue de l’Assemblée
internationale des parlements de langue française, 1991, n°83-84, p. 34. Dans une analyse parue au journal Le
Monde du jeudi 20 juin 1991, Mme AVICE Edwige ancienne ministre française de la Coopération et du
Développement a comparé le vent de démocratisation qui secoue l’Afrique de part son ampleur et ses motivations
« aux grandes mutations qui ont conduit l’Afrique aux indépendances dans les années 1960 », Le Monde, 20 juin
1991.
110
Il s’agit de la constitution du Bénin de décembre 1990, du Burkina Faso de juin 1991, de la Centrafrique de
décembre 1994, du Gabon de mars 1991, du Niger de décembre 1992 et du Togo d’octobre 1992.
111
Ce sont les textes tchadiens de juin 1972 plusieurs fois modifiés et plus profondément en 1996.

57
: multipartisme, consécration du principe d’imputabilité des dirigeants, arbitrage des conflits
politiques par une juridiction constitutionnelle, libre expression du suffrage populaire.
Sur un plan pratique, il ressort de cette étude que les assemblées issues du nouveau
constitutionnalisme sont malheureusement réduites à des rôles de pure forme. Leur travail s’est
limité à entériner les initiatives gouvernementales. Toutes les réformes constitutionnelles,
législatives et réglementaires entreprises dans les années 1990-2024 n’ont pas pu modifier
substantiellement cette situation. Les assemblées ne sont toujours pas devenues les instruments
de dialogue et de participation auxquels aspirent les populations. Des facteurs multiples aussi
bien endogènes qu’exogènes, structurels que conjoncturels expliquent pourquoi les réformes
entreprises n’ont pas entraîné un réel accroissement du rôle du parlement tchadien. A cet égard,
nous avons essayé de démontrer dans cet article que l’obstacle majeur reste l’emprise de
l’exécutif dans le fonctionnement du parlement. Devons-nous pour autant conclure que tous les
efforts déployés depuis 1990 tendant à la revalorisation du rôle du parlement sont voués à
l’échec et que la meilleure réforme consisterait comme certains auteurs l’ont préconisé à
supprimer purement et simplement « cette coque vide, dépourvue d’efficacité et d’influence112»
L’efficacité du contrôle parlementaire, qu’elle soit en matière de contrôle des finances
publiques, de l’information parlementaire ou de la mise en jeu de la responsabilité politique du
gouvernement dans le cadre du nouveau constitutionnalisme, reste encore une simple
construction théorique au point qu’ « il n’y a aucun excès de plume à écrire que le maintien du
parlement dans les Etats africains ne constitue plus alors qu’une caution démocratique tout à
fait artificielle113 ». Le régime que nous avons étudié dans le cadre de cet article, continue à se
doter en apparence des instruments et des institutions de la démocratie, mais sans que les uns
et les autres ne jouent un rôle effectif ou déterminant dans le processus de démocratisation en
cours. Le décalage est alors important entre les institutions prévues par les textes
constitutionnels élaborés en 1990 à la faveur des déverrouillages autoritaires et la réalité
politique114.
Au moment où l’on assiste à l’universalisation de la démocratie libérale occidentale
comme forme définitive du gouvernement, nous pensons qu’il est temps pour les dirigeants
politiques tchadiens de remettre réellement le parlement à sa vraie place, une place centrale
permettant de restaurer les liens entre les citoyens et les dirigeants. Le parlement doit redevenir
le lieu privilégié des débats publics et le cœur battant de la démocratie. Le concours du
parlement et plus particulièrement son pouvoir de contrôle, doivent être considérés par
l’exécutif non comme une attaque, mais comme une chance pour mieux répondre aux
aspirations légitimes des citoyens, ou encore comme une manière de se perfectionner dans la
gestion des affaires publiques car, comme l’affirme Yves Madiot, « le contrôle parlementaire
est perfectible de l’exécutif115 ».

112
Ainsi par exemple, en 1985, plusieurs députés de l’opposition tchadien ont été arrêtés pour avoir participé à une
marche contre la mauvaise politique de Hissein Habré dans un pays considéré pourtant comme l’un des rares où
les libertés individuelles et collectives sont respectées, voir le quotidien « Le Soleil », 29 août 1985, p.11.
113
Jean-Marie BRETON, « Les contrôles », in Encyclopédie Juridique de l’Afrique, Vol. 1, L’Etat de droit.
Abidjan, Dakar, Lomé, 1982, p.203.
114
Pierre CORNILLON, « Le rôle du parlement dans la protection des droits de l’Homme », in Séminaire
parlementaire pour l’Afrique de l’ouest et du centre, op.cit., p.104.
115
Yves MADIOT, Institutions politiques de la France, Dalloz, 1995, p.84.

58
En effet, l’expérience a prouvé au Tchad que la suppression de l’Assemblée nationale ne
peut que freiner le processus de démocratisation et renforcer davantage la dictature. En
l’absence d’un parlement élu, servant le contre-pouvoir, l’exécutif devient rapidement puissant,
isolé et liberticide. Tous ces faits tendent à démontrer que le parlement issu de la nouvelle
constitution a fait, sur la base des éléments d’appréciation apportés tout au long de cet article,
du chemin non négligeable du moins sur le plan textuel. Aujourd’hui, le Président de la
République n’est plus formellement l’autorité qui détermine l’organisation et le fonctionnement
du parlement. Aussi, si l’on doit accepter que le gouvernement reste l’auteur principal de la
législation, il faut veiller en même temps à ce que le parlement puisse continuer à exercer
pleinement le droit qu’elle a de discuter, voire d’amender sans réécrire les textes du
gouvernement.
Un véritable dialogue institutionnel doit se développer entre le gouvernement et le
parlement à l’occasion de l’exercice de la fonction législative. Une nouvelle éthique doit
accompagner l’exercice de la fonction législative et dans ce cadre, l’assemblée est appelée à
faire preuve de plus de courage et de perspicacité.

59
« L’INGENIERIE CONSTITUTIONNELLE DES TRANSITIONS POLITIQUES :
REFLEXION A PARTIR DES CAS DU BURKINA FASO, DU GABON, DE LA
GUINEE, DU MALI ET DU TCHAD »

Par

PALE Sié
Université Thomas Sankara
E-mail : palesie495@icloud.com

Résumé
Depuis 2020, l'armée est intervenue politiquement dans des pays comme le Burkina Faso, le
Gabon, la Guinée, le Mali, et le Tchad, destituant les présidents et s'emparant du pouvoir, instaurant des
périodes de transition politique. Pour légitimer leur gouvernance, des instruments tels que l'Acte
fondamental et la Charte de transition ont été adoptés, introduisant des prérogatives pour l'exercice du
pouvoir. Toutefois, ces documents coexistent parfois avec les constitutions formelles, créant des
incohérences et des défis normatifs. Ces imperfections, résultant de la difficile qualification juridique
de ces actes et de leur intégration avec la Constitution formelle, soulignent la nécessité de peaufiner
l'ingénierie constitutionnelle. Il est essentiel de développer un cadre juridique approprié et un pouvoir
constituant adapté pour solidifier la stabilité et la légitimité des régimes de transition.
Mots-clés : Ingénierie constitutionnel – Droit constitutionnel de crise – Charte de transition –
Acte fondamental – Transition politique

Abstract
Since 2020, the military has intervened politically in countries such as Burkina Faso, Gabon,
Guinea, Mali, and Chad, overthrowing presidents and seizing power, thereby initiating periods of
political transition. To legitimize their governance, instruments such as the fundamental act and the
Transition Charter have been adopted, granting prerogatives for the exercise of power. However, these
documents sometimes coexist with formal constitutions, creating inconsistencies and normative
challenges. These imperfections, stemming from the difficult legal qualification and integration of these
acts with the Constitution, highlight the need to refine constitutional engineering. It is crucial to develop
an appropriate legal framework and an adapted constituent power to strengthen the stability and
legitimacy of the transition regimes.
Keywords: Constitutional Engineering – Crisis Constitutional Law – Transition Charter –
Fundamental Act – Political Transition


Mode de citation : PALE Sié, « L’ingénierie constitutionnelle des transitions politiques : réflexion à partir des
cas du Burkina Faso, du Gabon, de la Guinée, du Mali et du Tchad », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 61-90.

61
INTRODUCTION

La Constitution, le phare à recalibrer ! Cette métaphore sert d'illustration aux défis


inhérents aux déséquilibres constitutionnels. Elle dépeint la Constitution comme un phare
essentiel, éclairant le chemin pour l'organisation et le fonctionnement efficace de l'État. Au
cœur de cette vision, la fabrique de la Constitution1 des transitions politiques devrait être
calibrée pour tenir compte de la situation exceptionnelle et temporelle dans laquelle les
institutions publiques se trouvent. Cette fabrique constitutionnelle, telle que conçue lors des
transitions politiques, est perçue de manières diverses2, mais sa nature controversée3 est une
constante dans le domaine de la science et de la technique constitutionnelles4. Face à cette
situation, une réflexion est requise pour établir un ajustement rationnel, un recalibrage dans
l'approche de l'ingénierie constitutionnelle appliquée aux périodes de transition politique.
La transition politique représente un moment clé dans l'évolution d'une société, marquant
le passage d'un « régime politique à un autre »5, avec pour but principal de faciliter et de gérer
cette mutation entre les régimes6. Elle constitue une période exceptionnelle, une « parenthèse
dans l’organisation politique et le fonctionnement normal de l’État »7, pendant laquelle les
structures institutionnelles et les pratiques politiques subissent une transformation profonde8.
Ce processus est caractérisé par une rupture significative dans l'histoire d'une société, entraînant
un changement fondamental de régime politique et la création d'un nouvel ordre politique9. La
transition politique est donc à la fois un défi et une opportunité10, un temps de réévaluation et
de réorganisation visant à instaurer des fondements solides pour l'avenir politique, juridique et
social de la société.

1
Mouldi RIAHI, « La constitution : élaboration et contenu », Pouvoirs, vol. 156, no. 1, 2016, p. 32.
2
Lire à ce propos Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », Revue RRC, N° 031,
Mars 2023, pp. 1-10 ; Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition
politique au Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », Afrilex, février 2015, pp. 1-28 ;
Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Propos inquiets sur la dissémination des régimes de
transition constitutionnelle en Afrique », Afrilex, 2021, pp. 1-25 ; Hadj MBODJ El, « La constitution de transition
et la résolution des conflits en Afrique. L'exemple de la République démocratique du Congo », RDP, 2010, N° 2,
pp. 144-167 ; Aziz ENHAILI, « Constitution transitionnelle et réconciliation nationale », Confluences
Méditerranée, vol. 62, N° 3, 2007, pp. 61-70 ; Xavier PHILIPPE et Natasa DANELCIUC-COLODROVOSCHI
(dir.), Transitions constitutionnelles et constitutions transitionnelles, Institut Universitaire Varenne, 2014, pp. 197-
232.
3
Marcelin ABDELKERIM, « La charte de transition et la mort des démocraties en Afrique : cas du Tchad »,
Collection recherches et regards d’Afrique, Vol., 1, N°2, Juillet 2022, pp. 11-38.
4
Elina LEMAIRE, Droit constitutionnel - Les grands concepts de la science du droit constitutionnel - Histoire
constitutionnelle française (1870-1958), UNJF, Janvier 2024, p.1 et s
5
Guillmermo O’DONNELL, Philippe SCHMITTER and Laurence WHITEHEAD (Ed.), Transitions from
Authoritarian Rule: Prospects for Democracy. Baltimore (Md), The Johns Hopkins University Press, 1986,
Londres, p. 7.
6
Guy-Fabrice HOLO, Les régimes de transition en Afrique subsaharienne francophone, Volume I. L'Harmattan,
2022, p. 21.
7
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p. 1.
8
Jean-François BAYART, L'État en Afrique, Fayard, 2006, p. 23.
9
Bertrand BADIE, Le monde en transition, Presses universitaires de France, 2012, p. 15.
10
Pour Vincent ZAKANE « Il faut reconnaître que, bien que les coups d’État soient généralement considérés
comme des moyens illégaux et anticonstitutionnels d’accession au pouvoir et comme une manifestation éclatante
du non-droit, ils peuvent se révéler, dans certains cas exceptionnels, comme un facteur de construction de la
démocratie et de l’État de droit », Voy. Vincent ZAKANE, « Le droit et le non-droit dans l’État de droit en
construction en Afrique », Afrilex, 2020, p.33.

62
L'ingénierie constitutionnelle se déploie comme un champ multidisciplinaire, marqué par
les contributions de plusieurs penseurs. Michel TROPER la définit comme « l'ensemble des
techniques juridiques et politiques qui visent à améliorer le fonctionnement des institutions
politiques »11, mettant en avant son objectif d'optimisation institutionnelle. Bernard
EDELMAN, quant à lui, la conceptualise comme « une activité qui consiste à concevoir et à
mettre en place des institutions politiques, en s'inspirant des principes du droit
constitutionnel »12, soulignant l'importance de s'appuyer sur les fondements du droit
constitutionnel pour l'édification institutionnelle. Olivier DUHAMEL, de son côté, la perçoit
comme « une discipline qui vise à trouver des solutions aux problèmes politiques par le biais
du droit constitutionnel »13, évoquant son rôle dans la résolution des dilemmes politiques à
travers le prisme juridique. Dans cette veine, l'ingénierie constitutionnelle appliquée aux
transitions politiques s'avère être le processus de création d'un cadre juridique adapté à la
gestion de ces transitions14. Elle s'articule autour de l'objectif primordial de maintenir une
continuité dans la juridicisation de l'État au cours de ces périodes cruciales, assurant ainsi une
transition douce et structurée vers un nouvel ordre politique et juridique15.
L'ingénierie constitutionnelle des transitions politiques s'est imposée comme un pilier
fondamental de la réflexion constitutionnelle moderne, en particulier au vu des développements
et expériences récents sur le continent africain. Son examen peut embrasser des questions
essentielles telles que sa nécessité, sa légitimité, sa juridicité, sa validité et sa cohérence. Alors
que ces sujets offrent une richesse cognitive et intellectuelle, leur exploration se doit de céder
le pas à l'urgence de recalibrer, de rationaliser l'ingénierie constitutionnelle. Ce pivot vers la
pratique vise à optimiser l'application des principes constitutionnels dans les transitions
politiques, alliant pragmatisme dans l'articulation de la théorie et de la philosophie du droit
constitutionnel.
Au vu des transitions politiques récentes au Burkina Faso16, au Gabon17, en Guinée18, au
Mali19, et au Tchad20, ainsi que des défis constitutionnels qu'elles incarnent, une question
essentielle se pose : quelle direction pourrait prendre l'ingénierie constitutionnelle pour être
véritablement pertinente dans de tels contextes ? Il est d'abord impératif de cerner les faiblesses
qui émergent dans l'ingénierie constitutionnelle lors de ces transitions. Quelles sont les
insuffisances observées ? Ensuite, la démarche à envisager pour affiner cette ingénierie devient
primordiale. Comment peut-on effectivement améliorer ce processus pour qu'il réponde de
manière optimale aux besoins spécifiques des transitions politiques ?
Ce questionnement s'ancre dans une perspective à la fois fondamentalement théorique et
utilitariste. Les transitions politiques et leur encadrement constitutionnel suscitent

11
Michel TROPER, Droit constitutionnel, PUF, 2022, p. 45.
12
Bernard EDELMAN, Le droit constitutionnel, Dalloz, 2021, p. 32.
13
Olivier DUHAMEL, Les constitutions de la France, Presses universitaires de France, 2020.
14
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p.2.
15
Ibid.
16
Depuis le 24 janvier 2022
17
Depuis le 30 août 2023
18
Depuis le 05 septembre 2021
19
Depuis le 18 août 2020
20
Depuis le 20 avril 2021

63
invariablement des débats au sein de l'État21, du fait de leur nature intrinsèquement
controversée22. Cette polarisation découle de la dynamique de changement de pouvoir, souvent
tumultueuse23, qui caractérise ces périodes, attirant à la fois des soutiens fervents24 et des
critiques virulents25. La racine des transitions politiques, marquée par le remplacement
conflictuel des autorités, alimente une dispute inévitable, touchant autant à des questions de de
légalité, de légitimité ainsi qu'à des enjeux émotionnels. Néanmoins, parmi les divers sujets de
discorde, la question de l'optimisation de l'ingénierie constitutionnelle durant une transition déjà
en cours se distingue. Elle a le potentiel d'unir les experts constitutionnels autour d'un objectif
commun : assurer une gestion constitutionnelle efficace et appropriée de la transition26. Cette
préoccupation est d'autant intéressante que la Constitution27, par essence, est destinée à
orchestrer les affaires de l'État et à influencer le destin des individus durant ces moments
critiques. Ainsi, la capacité de bien articuler et d'appliquer l'ingénierie constitutionnelle pendant
les transitions politiques est primordiale, reflétant la nécessité de naviguer ces périodes avec
sagesse et prévoyance.
Ce questionnement revêt également une acuité particulière dans le contexte actuel,
caractérisé depuis l'année 2020 par une recrudescence des transitions politiques à la suite de

21
Lire à ce propos, Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition
politique au Burkina Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », Revue électronique Afrilex, février
2015, pp. 1-28 ; Séni M. Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Propos inquiets sur la
dissémination des régimes de transition constitutionnelle en Afrique », Afrilex, 2021, pp. 1-25 ; Abdoulaye SOMA,
« Le droit constitutionnel des transitions politiques », Revue RRC, n° 031 / Mars 2023, p. 1-10 ; Abdoulaye SOMA,
« Les effets juridiques de la suspension de la constitution », Revue RRC, n°027 / Novembre 2022, p. 1-8 ; Francine
Sorelle Magne FONKOU, « Recherche sur le régime juridique des accords politiques de sortie de crise en droit
constitutionnel africain », Revue RRC, n° 032 / Avril 2023, p. 55-70 ; Dié Léon KASSABO, « Contribution à
l’analyse de la réappropriation de certaines catégories constitutionnelles en droit constitutionnel africain », Afrilex,
2019, pp. 1-35 ; Dié Léon KASSABO, « Réflexion sur quelques singularités du Constitutionnalisme africain »,
RBD, N61, 2ème Semestre 2020, pp. 165-198 ; Adama KPODAR, « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme
en Afrique noire », Afrilex, 2020, pp. 1-34 ; Jean-François AKANDJI-KOMBÉ, « Contrôle de constitutionnalité
et actes politiques de règlement des crises institutionnelles », Afrilex, 2019, pp. 1-18 ; Christian Gérard ANGUE,
« le constitutionnalisme démocratique à l’épreuve des coups d’état dans les états d’Afrique noire francophone :
entre décadence et résilience », Revue RRC, n° 026 / Octobre 2022, p. 97- 118 ; El Hadji Omar DIOP, « le
rétablissement de l'ordre constitutionnel dans les états africains en crise », Revue RRC, n° 024 / Août 2022, p. 19-
65 ; Matthieu FAU-NOUGARE, « Manipulations constitutionnelles et coup d’État constitutionnel en Afrique
francophone », Afrilex, 2015, pp. 1-18 ; Brahima FOMBA, « le coup d’état militaire au Mali entre prohibition
constitutionnelle et accommodements anticonstitutionnels », Revue RRC, n°017 / Janvier 2022, p. 29-55 ; Éric
HOUTONDJI, « Le droit constitutionnel institutionnel de crise », RBD, N52, 1ème Semestre 2017, pp. 145-172 ;
Abdourahmane IDRISSA, « Éléments du dilemme malien », Codesria Bulletin, Nos 5&6, 2020, pp. 13-14 ; Séni
M. OUEDRAOGO, La lutte contre la fraude à la constitution dans les États africains francophones, Thèse
Université Montesquieu Bordeaux IV, 2011 ; Jean Du Bois DE GAUDUSSON et Dodzi KOKOROKO, « Les
tabous du constitutionnalisme en Afrique : Prélude autour du colloque de Lomé », Afrique Contemporaine, vol.
242, no. 2, 2012, pp. 47-51 ; Augustin LOADA, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique
Francophone », Afrilex, no. 3, 2003, pp. 1-36.
22
Dominique BANGOURA, « Le coup d’État de décembre 2008 et la Transition controversée en Guinée », Les
Champs de Mars, vol. 28, N° 3, 2015, p. 18 et s.
23
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p.2
24
Joseph SIEGLE et Daniel EIZENGA, « Attention au coup d’État « populaire », Centre d'étude stratégique de
l'Afrique, Publié le 1er septembre 2020, https://africacenter.org/fr/spotlight/attention-au-coup-detat-populaire/
, Consulté le 03 mars 2024.
25
Palouki MASSINA, « Le coup d’État, entre déshonneur et bienveillance », Afrilex, 2017, p. 3 et s.
26
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p.2.
27
Maurice DUVERGER, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF, 1980, p.244.

64
l'intervention des forces armées sur la scène politique28. Pour légitimer29 et formaliser leur prise
de pouvoir, des instruments juridiques tels que l'acte fondamental et/ou la Charte de transition
sont mis en place, octroyant aux militaires les prérogatives nécessaires à l'exercice du pouvoir
politique30. Notamment, au Mali en 2020 et au Burkina Faso en 2022, la suspension initiale de
la Constitution formelle a été levée grâce à l'adoption d'un acte fondamental31, engendrant une
période de cohabitation avec la Constitution32. Cette coexistence a été conservée par
l'introduction d'une Charte de transition33 en remplacement de l’acte fondamental34. Au Gabon,
la suspension de la Constitution par les forces armées a été levée par l’adoption d'une Charte
de Transition35, permettant la coexistence de la Constitution avec cette nouvelle norme. En
revanche, en Guinée et au Tchad, la suspension de la Constitution par les forces militaires n'a
pas été contrebalancée par l'adoption d'une Charte de transition36, positionnant ainsi la charte
de transition comme l'unique cadre juridique constitutionnel prééminent dans ces États.
Face aux défis normatifs posés par les cadres constitutionnels des transitions politiques,
il apparaît clairement que des incohérences fondamentales marquent les approches d'ingénierie
constitutionnelle adoptées durant ces périodes. Ces incohérences, que l'on pourrait qualifier
d'imperfections inhérentes à l'ingénierie constitutionnelle des transitions politiques, soulèvent
des questions critiques tant pour l'épistémologie constitutionnelle que pour la gestion pratique
de ces transitions. Ainsi, il devient impératif d'affiner l'ingénierie constitutionnelle des
transitions pour renforcer la stabilité, la légitimité, et la vitalité des régimes de transition une
fois établis. Ce processus d'amélioration nécessite, dans un premier temps, d'identifier et de
comprendre ces imperfections de l'ingénierie constitutionnelle des transitions politiques (I).
Dans un second temps, il s'agira d’envisager le perfectionnement de l'ingénierie
constitutionnelle des transitions politiques (II).

I. UNE INGENIERIE CONSTITUTIONNELLE IMPARFAITE

L’analyse de l'ingénierie constitutionnelle des transitions politiques actuelles et récentes


dans des pays tels que le Burkina Faso, le Gabon, la Guinée, le Mali, et le Tchad, met en

28
Les militaires ont fait irruption sur la scène politique au Mali le 18 Août 2020 et le 24 Mai 202, Burkina Faso le
24 janvier 2020 et le 30 Septembre 2020, au Tchad le 20 Avril 2021, en Guinée le 05 Septembre 2021, au Niger
le 26 Juillet 2023 et Gabon le 30 Août 2023.
29
Siaka COULIBALY, Coups d'État : légitimation et démocraties en Afrique, Paris, L'Harmattan, 2013, p.7 et s.
30
Charles Tuekan TATCHUM, « Les chartes de transition dans l’ordre constitutionnel des états d’Afrique noire
francophone : étude à partir des exemples du Burkina Faso et de la république centrafricaine », Revue CAMES/SJP,
n°001/2016, p. 25
31
Voy. L’Acte fondamental du Mali du 24 Aout 2020 et l’Acte fondamental du Burkina du 05 Octobre 2022.
32
L’article 11 de l’Acte fondamental du Burkina du 05 Octobre 2022 dispose : « Dès la signature de l’acte
fondamental, la suspension de la constitution du 02 juin 1991 est levée […]» ; L’article 41, al. 1er de l’Acte
fondamental du Mali du 24 Août 2020 dispose : « Avant l'adoption d'une Charte pour la transition, les dispositions
du présent Acte qui s'appliquent comme dispositions constitutionnelles, complètent, modifient ou suppléent celles
de la Constitution du 25 février 1992. »
33
Voy. La Charte de transition du Mali du 12 Septembre 2020 et la Charte de transition du Burkina Faso du 14
Octobre 2022.
34
L’article 26 de la Charte de Transition du Burkina dispose : « Dès son entrée en vigueur, la présente Charte
abroge l'Acte fondamental du 05 octobre 2022. »
35
Voy. La Charte de transition de la Gabon du 02 Septembre 2023.
36
Voy. La Charte de transition de la Guinée du 21 Septembre 2021 et Charte de transition du Tchad du 08 Octobre
2022

65
évidence certaines imperfections. Ces imperfections émergent principalement de deux sources
: d'une part, la difficulté à qualifier juridiquement les actes constitutionnels supplétifs (A) de
ces transitions, qui sont des instruments destinés à compléter ou à préciser les dispositions
constitutionnelles existantes, voire à les remplacer de manière temporaire, sans pour autant jouir
de la pleine autorité juridique d'une Constitution formelle37 ; et d'autre part, leur assemblage
délicat avec la Constitution formelle (B).

A. La difficile qualification juridique des actes constitutionnels supplétifs

La qualification juridique, pierre angulaire de l'analyse juridique, implique une démarche


intellectuelle visant à catégoriser un élément - qu'il s'agisse d'un fait, d'un acte, ou d'une règle -
dans un cadre juridique préétabli, en identifiant ses attributs essentiels pour lui appliquer un
régime juridique spécifique38. Cette méthode est cruciale pour déterminer la validité et la nature
juridique d'un acte, en le positionnant au sein d'une catégorie juridique préexistante 39.
Lorsqu'appliquée aux chartes de transition et aux actes fondamentaux, cette opération révèle
des obstacles majeurs. Ces embûches émanent principalement de deux aspects : d'une part, la
validité souvent contestée de ces documents (1), et d'autre part, la recherche complexe de leur
nature juridique (2).

1. La validité contestée de ces actes


Dans le paysage juridique, la validité d'un acte découle de sa conformité aux normes
légales, essentielle pour son efficacité juridique40. Plusieurs théories41, notamment le
positivisme juridique, le jusnaturalisme, et la souveraineté ontologique, ont exploré ce concept.
L'analyse des chartes de transition et des actes fondamentaux révèle leur invalidité selon le
positivisme normativiste et le jusnaturalisme, mais leur validité selon le positivisme juridique
réaliste et la souveraineté ontologique.
De nombreux théoriciens ont exploré le domaine du positivisme juridique, parmi lesquels
figurent John AUSTIN42, Herbert HART43, Joseph RAZ44, Hans KELSEN45, Jeremy

37
Séni M. Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Propos inquiets sur la dissémination des
régimes de transition constitutionnelle en Afrique », op.cit., p.3.
38
Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 12ème éd, Paris, PUF, 2018, p.1768.
39
Filiga Michel SAWADOGO et Dominique KABRE, Théorie générale des obligations (TGO), Ouagadougou,
Éditions Maison du Droit, 2015, p.37.
40
Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD, (dir.), Lexique des termes juridiques. 25e éd., Dalloz, 2017, p. 2086.
41
Christophe BEAL, Philosophie du droit : norme, validité et interprétation, France, Librairie Philosophique J.
Vrin, 2015, p.17 et s.
42
Lire à ce propos John AUSTIN, The Province of Jurisprudence Determined, Introduction par Herbert HART,
London, Weidenfeld & Nicolson, 1954.
43
Lire à ce propos, Herbert HART, « Positivism and the Separation of Law and Morals », Harvard Law Review,
71 (4), 1958, pp. 593 – 629.
44
Lire à ce propos, Jean-François KERVEGAN, « Joseph RAZ, The roots of normativity, édité par Ulrike Heuer,
Oxford, Oxford University Press, 2022. », Revue de métaphysique et de morale, vol. 117, no. 1, 2023, pp. 148-
150.
45
Lire à ce propos, Hans KELSEN, Théorie pure du droit, traduction française de la 2° éd. de la « Reine
Rechtslehre » par Charles EISENMANN, Paris, Dalloz, 1977, p.77 et s.

66
BENTHAM46, Alf ROSS47 et Norberto BOBBIO48. Dans l'étude du positivisme juridique, on
distingue principalement deux courants : le normativisme et le réalisme. Le courant
normativiste, est indissociable de Hans KELSEN49, illustre juriste du XXe siècle. Selon lui,
une règle acquiert sa nature juridique lorsqu'elle est instituée par l'autorité étatique en
conformité avec les normes en vigueur50. La perspective kelsénienne est caractérisée par un
rapport hiérarchique entre les normes, fondamental pour établir leur validité51. Cette hiérarchie
est bidirectionnelle52 : d'une part, un rapport de conformité nécessitant la mise en œuvre de la
norme supérieure par la subordonnée53, et d'autre part, un rapport de production où la norme
supérieure détermine les mécanismes de création de la norme inférieure, tout en lui laissant une
certaine latitude quant à son contenu54. Cette vision confronte un paradoxe : « comment la
première norme du droit positif, la norme constitutionnelle, peut-elle être considérée comme
juridique alors qu'elle précède la formation de l'État en droit ? »55. Pour résoudre cette énigme,
KELSEN introduit le concept de Grundnorm56, une norme fondamentale hypothétique qui
confère la légitimité au droit positif57. A partir de cette logique, la validité des Chartes de
transition au Burkina Faso58, Mali59, Guinée60, Gabon61 et au Tchad62, ainsi que les actes
fondamentaux du Burkina63 et du Mali64 est mise en doute. Selon cette théorie, ces normes
semblent orphelines de légitimité juridique, n'étant sous-tendues par aucune norme positive
prééminente qui dicterait leurs modalités d'émanation. Les Constitutions, expressions du
pouvoir souverain originel, ne prévoient pas les conditions de création de ces normes atypiques
qui introduisent une discontinuité, qu'elle soit totale ou partielle, avec le régime constitutionnel
existant. La relation entre les Chartes de transition et les Constitutions est enchevêtrée de

46
Lire à ce propos, Jérémie BENTHAM, Œuvres complètes, Bruxelles, Hauman, 1834. Ces volumes comprennent
essentiellement des traductions de Dumont, 345 p.
47
Lire à ce propos Alf ROSS, The United Nations: Peace and Progress, Totowa, N.J. Bedminster Press, 1966,
p.3 1 et s.
48
Lire à ce propos, Norberto BOBBIO, « Intorno a un giudizio su Giovanni Gentile », in Id., Studi in onore di
Gustavo Bontadini, Milan : Vita e pensiero, 1975, vol. II, p. 213-233.
49
L’Autrichien KELSEN (1881-1973) est le fondateur de l'école normativiste et est à l'origine de la théorie dite
de la pyramide des normes ou théorie pure du droit. Cette théorie, fondatrice de l'école positiviste qui s'oppose
au jusnaturalisme, vise à expliquer de façon objective tout système juridique en fonction de l'ordonnancement des
différentes normes et sources du droit, assurant ainsi une explication rationnelle et fonctionnelle au principe
de hiérarchie des normes et du droit international public.
50
HANS KELSEN, Théorie pure du droit, op.cit., p. 148.
51
HANS KELSEN, Théorie générale des normes, Paris, PUF, 1996, p. 345
52
Charles Tuekan TATCHUM, « Les chartes de transition dans l’ordre constitutionnel des états d’Afrique noire
francophone : étude à partir des exemples du Burkina Faso et de la république centrafricaine », Revue
CAMES/SJP, n°001/2016, p. 25.
53
Charles EISENMANN, « Le droit administratif et le principe de légalité », EDCE, 1957-11, p. 25.
54
HANS KELSEN, Théorie générale du droit et de l’Etat, Bruxelles-Paris, Bruylant, LGDJ, 1997, p.55.
55
Abdoulaye SOMA, Traité de droit constitutionnel General : Philosophie - Théorie - Lus positivum, Tome 1,
Ouagadougou, éd. LIBES, Février 2022, p. 246.
56
Hans KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Charles EISENMANN, Paris, Sirey, 1962, p. 148
57
Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou,
PADEG, 2007, p. 24.
58
Charte de Transition du Burkina Faso du 14 Octobre 2022
59
Charte de transition du Mali du 12 Septembre 2020
60
Charte de transition de la Guinée du 21 Septembre 2021
61
Charte de transition de la Gabon du 02 Septembre 2023
62
Charte de transition du Tchad du 08 Octobre 2022
63
Acte fondamental du Burkina du 05 Octobre 2022
64
Acte fondamental du Mali du 24 Aout 2020

67
complexités65. Dans des pays comme le Burkina, le Mali et la Gabon, ces normes cohabitaient
simultanément au sein du paysage juridique transitoire. La même symbiose normative
s'observait entre les actes fondamentaux du Burkina et du Mali et leurs Constitutions
respectives. Il est paradoxal que les différentes Chartes et actes fondamentaux, qui surclassent
la Constitution, puissent puiser leur légitimité d'une norme à laquelle ils sont supposément
supérieurs66. Dans des États tels que le Tchad et la Guinée, l'ancrage de la légitimité de la Charte
à une norme dominante relève également du défi. Surtout après un coup d'État, où la
Constitution a été mise hors-jeu, laissant derrière elle un hiatus juridique, une espèce de terra
nullius normatif. Excepté le recours à l'idée de la Grundnorm, il semble que la validité des
Chartes de transition s'ancre plus dans un acte de force que dans une norme juridique
préétablie67. Quant au jusnaturalisme, il se présente comme la quête des normes inscrites
dans l'ordre naturel des choses, signifiant que les règles de droit de facon générale et la
Constitution de façon spécifique trouvent leur essence même dans l'universelle condition
humaine68. Nombre de luminaires intellectuels, à l'instar d'ARISTOTE, PLATON, Hugo
GROTIUS, Thomas HOBBES, John LOCKE, Emmanuel KANT, Saint Thomas D’AQUIN et
Réné DESCARTES ont nourri cette conception. À leur lumière, contrairement au positivisme
juridique dans sa conception normativiste qui ancre la validité du droit dans un cadre hiérarchisé
de normes, le jusnaturalisme élève l'idée d'un droit universel, stable à travers les âges, façonné
par la raison humaine et les impératifs moraux. Dans ce vaste tableau, les chartes de transition
et les actes fondamentaux seraient évalués non à l'aune de leur origine institutionnelle, mais
plutôt de leur harmonie avec ces principes intemporels. Cependant, la question se pose avec
acuité : qui détermine ce qui relève de ce droit naturel, notamment dans le contexte
multiconfessionnel d'un État moderne qui se veut laïc ? Les distinctions entre ce qui est
divinement ordonné et ce qui ne l'est pas s'avèrent délicates. Les normes issues de la volonté
divine sont-elles universelles, ou sont-elles sujettes à interprétation au gré des contextes
culturels et religieux69? Face à ces interrogations, le jusnaturalisme, malgré son attrait
théorique, semble présenter des lacunes quand il s'agit de définir la validité des chartes de
transition et des actes fondamentaux.
Contrairement au positivisme normativiste et au jusnaturalisme, le réalisme juridique et
la souveraineté ontologique confèrent validité aux chartes de transition et aux actes
fondamentaux. Conceptualisé par Alf ROSS, le réalisme juridique articule la notion de validité
à des repères sociaux. Dans son optique, la validité, au sens large, se caractérise comme un fait
social, incarné par l'effectivité70 de la norme. Au sens restreint, elle exprime une obligation, qui

65
Charles Tuekan TATCHUM, « Les chartes de transition dans l’ordre constitutionnel des états d’Afrique noire
francophone : étude à partir des exemples du Burkina Faso et de la république centrafricaine », Revue
CAMES/SJP, n°001/2016, p. 25.
66
Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition politique au Burkina
Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », op.cit., p. 1.
67
Abdoulaye SOMA, « Les effets juridiques de la suspension de la constitution », op.cit., p. 1.
68
Djédjero Francisco MELEDJE, Droit Constitutionnel : Théorie Générale et institutions politiques, Abidjan,
ABC, 2022, p.72.
69
Alf Niels Christian ROSS (10 juin 1899 – 17 août 1979) fut un juriste et philosophe de droit danois. Il est
notamment connu comme représentant du réalisme juridique scandinave.
70
Alfred ROSS, Introduction à l’empirisme juridique, trad. Par Éric MILLARD et Elsa MATZNER et présentation
par Éric MILLARD, Paris, LGDJ, 2004, p. 27.

68
outrepasse la simple sphère juridique pour revêtir une dimension morale71. Les normes qui
répondent à ces critères d'obligation sont celles mises en application, car perçues comme des
impératifs sociaux72. En l'absence d'un fondement de validité des Chartes de transition et des
actes fondamentaux sur une conformité à une norme supérieure préexistante, c'est
indubitablement leur effectivité qui prévaut73. En d'autres termes, leur pertinence et leur
reconnaissance découlent de leur application réelle et tangible dans le paysage juridique 74.
Ainsi, au Burkina Faso et au Mali, l’Acte fondamental n'est pas une simple norme théorique
mais bien l'acte75 qui a servi de pierre angulaire pour l'établissement de la charte de transition,
acte qui a par ailleurs été ratifié par le pouvoir judiciaire constitutionnel pour consacrer la
vacance du pouvoir. Il est de même pour les chartes de transition du Burkina Faso, de la Guinée,
du Gabon, du Mali et du Tchad. Loin d'être de simples énoncés formels, elles guident, façonnent
et structurent le fonctionnement des institutions nationales76. Quant à la théorie de la
« souveraineté ontologique du corps constituant génésique »77, telle que conceptualisée par le
Professeur Abdoulaye SOMA, elle suggère que la validité d'une Constitution repose
essentiellement sur son origine, c'est-à-dire qu'elle « émane du titulaire de la souveraineté ou
du souverain »78. Dans une mosaïque démocratique, c'est indubitablement le peuple - ou plus
précisément, la nation ou la collectivité des citoyens - qui incarne cette souveraineté, formant
ainsi les fondations de l'entité étatique. Cependant, dans d'autres formes de gouvernance, la
détention de la souveraineté varie. Par exemple, dans une monarchie absolue, c'est le
monarque79 qui est le souverain80. Dans un régime autoritaire, un individu, un parti ou un
groupe restreint détient ce titre. Dans le contexte d'un régime totalitaire, la souveraineté est plus
intrusive81, car elle s'étend à presque tous les aspects de la vie des citoyens. De même, lors d'un
coup d'État aboutissant à la mise en place d'une junte militaire, la souveraineté est détenue par
l'élite militaire82. Enfin, dans une théocratie, elle est le fait des dirigeants religieux. Ainsi, à
travers le prisme de cette théorie, il est plausible d'affirmer que les chartes de transition tirent

71
Herbert HART, Le réalisme scandinave. Trad. fr. Eric Millard. Annales de la faculté de droit de Strasbourg,
2000, p.62.
72
Henrik Palmer Olsen, « Ross ou la validité comme pratique sociale efficace », Revus, 24 | 2014, p.35.
73
Charles Tuekan TATCHUM, « Les chartes de transition dans l’ordre constitutionnel des états d’Afrique noire
francophone : étude à partir des exemples du Burkina Faso et de la république centrafricaine », Revue CAMES/SJP,
n°001/2016, p. 25.
74
Abdoulaye SOMA, « Les effectivités en droit constitutionnel », Revue RRC, n° 040 / Décembre 2023, p. 1-11
75
« Acte fondamental/MPSR du 05 octobre 2022 », Journal officiel Burkina Faso, Spécial n° 21, 7 octobre 2022,
p. 2 ; « Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 », Journal officiel Mali, no. 2020-15, p. 3.
76
Les institutions dans ces États ont été mis en place et fonctionne principalement sur la base de ces chartes de
transition.
77
Abdoulaye SOMA, Traité de droit constitutionnel Général: Philosophie - Théorie - Lus positivum, op.cit., p.
246.
78
Ibid.
79
Dominique LE PAGE et Jérôme LOISEAU, « Souveraineté et puissance. La grande monarchie
de France », Pouvoir royal et institutions dans la France moderne, sous la direction de Dominique LE PAGE et
al., 2019, p. 9.
80
Dardot PIERRE, « Souveraineté de l’État ou souveraineté du peuple ? », La Pensée, vol. 394, no. 2, 2018, pp.
29-
81
Nestor CAPDEVILA, « Totalitarisme, idéologie et démocratie », Actuel Marx, vol. 33, no. 1, 2003, pp. 167-
187.
82
Roberto Nigro, « Quelques considérations sur la fonction et la théorie du coup d'État », Rue Réné DESCARTES,
vol. 77, no. 1, 2013, p. 69.

69
leur validité intrinsèque de leur source : « Dialogue National Inclusif et Souverain »83 au Tchad,
ou des « Forces vives de la Nation »84 au Burkina, en Guinée, au Gabon, ou encore au Mali.
Les actes fondamentaux, par leur genèse au sein du MPSR au Burkina et du CNPS au Mali, ne
font que confirmer cette hypothèse, ces entités représentant le fer de lance des mouvements
militaires ayant pris les rênes du pouvoir dans ces pays respectifs.
Si l'on questionne la validité des actes constitutionnels supplétifs, alors explorer leur
nature juridique s'avère nécessairement complexe.

2. La quête complexe de leur nature juridique


La démarche de détermination de la nature juridique d’un acte implique de classer l'acte
dans une catégorie juridique ce qui détermine les règles et principes applicables85. L'ambition
prima facie est de loger les chartes de la transition et les actes fondamentaux dans une des
catégories suivantes : accords politiques, Constitutions expéditives ou Constitutions parallèles.
Ces documents transcendent les accords politiques standards, naviguant dans la zone
intermédiaire entre Constitutions expéditives et parallèles.
Les chartes de transition et les actes fondamentaux vont au-delà de la sphère des accords
politiques ordinaires. En effet, les accords politiques sont des actes constitutionnels négociés
par les figures clés d'une conjoncture conflictuelle en vue de pallier une crise manifeste86. Ils
sont donc définis par trois critères selon le Professeur DE GAUDUSSON : finaliste, matériel
et formel. Il s'impose donc a posteriori d'analyser de manière séquentielle ces critères pour
déterminer s'il existe une congruence ou une dichotomie entre, d'une part, la charte de transition
et les accords politiques et, d'autre part, l'acte fondamental et ces mêmes accords. En ce qui
concerne le critère finaliste, le Professeur DE GAUDUSSON postule ex cathedra que les
accords politiques ont une vocation intrinsèquement politique visant à « surmonter une
crise »87. Frédéric Joël AIVO, les considère comme « l'incarnation parfaite du compromis que
les belligérants d'un conflit armé ou d'une crise politique s'efforcent de mettre en œuvre pour
restaurer la paix ou l'ordre constitutionnel »88. Ils se présentent, en dernier ressort, comme des
mécanismes de rapprochement entre diverses figures politiques, destinés à apaiser des tensions
ou à instaurer des structures gouvernementales89. Tous comme les accords politiques, les
Chartes de transition et les actes fondamentaux aspirent à colmater la brèche entre factions
adverses ou entre le pouvoir en place et les oppositions90. Ces accords témoignent d'une
discordance sur des préceptes fondamentaux, d'un écart de perspectives, d'une lacune ou d'un
manque de dialogue, voire d'une allocation déséquilibrée des statuts, distinctions ou bénéfices

83
Les premières énonciations du préambule de la charte de transition du Tchad : « Nous, Représentants du peuple
Tchadien, réunis au Dialogue National Inclusif et souverain »
84
Lire à ce propos, les préambules des chartes de transition burkinabè, gabonaise, guinéenne et malienne.
85
Filiga Michel SAWADOGO et Dominique KABRE, Théorie générale des obligations (TGO), Ouagadougou,
Éditions Maison du Droit, 2015, p.37
86
Jean du Bois de GAUDUSSON, « L'accord de Marcoussis, entre droit et politique », Afrique contemporaine,
2003/2, n°206, p.415.
87
Ibid.
88
Frédéric Joël AIVO, « Crise de la normativité des Constitutions en Afrique », RDP, 2012, n° 1, p. 141.
89
Djédjero Francisco MELEDJE, Droit Constitutionnel : Théorie Générale et institutions politiques, op.cit., p.453.
90
Keutcha TCHAPNGA, « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les États francophones d'Afrique noire
», RFDC, 2005/3, n° 63, p. 451.

70
prodigués par l'État91. Quant au critère matériel, il postule que les accords politiques ont une
vocation constitutionnelle92. Ainsi, bien que les accords politiques et les Chartes de transition
ne soient pas des Constitutions au sens classique93, ils revêtent, de facto, une nature
matériellement constitutionnelle94. Ces instruments s’inscrivent dans ce que le Professeur
SINDJOUN décrit comme « des Constitutions rédigées sous l'égide de la nécessité de codifier
le passage transitoire »95. Quant au critère formaliste, il postule que les accords politiques sont
classiquement reconnus pour leur vocation internationale96. Les Chartes de transition se
démarquent par leur essence intrinsèquement interne97. Pour Babacar GUEYE et Martin Pascal
TINE, il est notoire que, bien que la plupart de ces accords soient orchestrés sous l'égide d'un
tiers intervenant, qu'il s'agisse d'une force étrangère ou d'une institution internationale 98, la
Charte, quant à elle, émane purement de l'initiative des entités nationales, sans l'ombre d'une
intervention extérieure. Dans le même sens, l’acte fondamental reste en retrait, n'égalant pas le
même degré de consensus national99 incarné par la Charte de Transition. Il est, ipso facto,
l'expression des aspirations du contingent militaire ayant orchestré la prise de pouvoir100. En
définitive, les Chartes de transition, malgré leurs similitudes apparentes avec les accords
politiques - en ce qu'elles visent toutes deux à encadrer des situations de crises
constitutionnelles et politiques et qu'elles s'apparentent matériellement à des actes
constitutionnels - ne peuvent être assimilées sans distinction101. En réalité, là où la Charte de
transition est le produit d'un consensus entre uniquement des acteurs internes, les accords
politiques émergent d'un compromis négocié entre ces acteurs et la scène internationale102.
Parallèlement, l'acte fondamental, bien qu'il partage certains traits avec les accords politiques,
ne saurait être amalgamé avec ces derniers. Il présente des similitudes et divergences avec la

91
Luc SINDJOUN, « Le gouvernement de transition : éléments pour une théorie politico-constitutionnelle de l’État
en crise ou en reconstruction », in Démocratie et liberté : tension, dialogue et confrontation, Mélanges Slobodan
Milacic, p. 994.
92
Jean du Bois de GAUDUSSON, « L'accord de Marcoussis, entre droit et politique », op.cit.,, p.415
93
Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition politique au Burkina
Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », op.cit., p. 19.
94
Fabrice HOURQUEBIE, « La construction de l’avenir : données contextuelles et cahier des charges
constitutionnel », in Xavier PHILIPPE, Natasa DANELCIUC-COLODROVOSCHI (sous dir.), Transitions
constitutionnelles et constitutions transitionnelles, Institut Universitaire Varenne, Collection transition et justice,
2014, p.53.
95
Luc SINDJOUN, « Le gouvernement de transition : éléments pour une théorie politico-constitutionnelle de
l‟État en crise ou en reconstruction », in Démocratie et liberté : tension, dialogue et confrontation, Mélanges
Slobodan MILACIC, Paris, p. 994
96
Aline AKA-LAMARCHE, « De l’exercice des pouvoirs exceptionnels dans la gestion de la crise ivoirienne »,
Afrilex, Décembre 2016, p. 1.
97
Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition politique au Burkina
Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition, op.cit., p. 22.
98
Babacar GUEYE et Martin Pascal TINE, « La légitimité et la légitimation de la transition constitutionnelle par
les élections en Afrique », in Xavier PHILIPPE, Natasa DANELCIUC-COLODROVOSCHI (sous dir.),
Transitions constitutionnelles et constitutions transitionnelles, Institut Universitaire Varenne, Collection
transition et justice, 2014, p.197.
99
Abdoulaye SOMA, « Réflexion sur le changement insurrectionnel au Burkina Faso », op.cit., p. 3.
100
Lire à ce propos, l’Acte fondamental du Burkina du 05 Octobre 2022 et celui du Mali du 24 Aout 2020.
101
Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition politique au Burkina
Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », op.cit., p. 3 et s.
102
Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, « L'accord de Marcoussis, entre droit et politique », Afrique contemporaine,
no. 206, 2003, p. 41 et s.

71
Charte de transition, mais contrairement à cette Charte, il n'est pas le fruit d'une entente entre
divers acteurs. Il est plutôt la conséquence directe d'une initiative d'un groupe militaire précis.
Absents du registre des accords politiques, la Charte de transition et l'acte fondamental
oscillent entre Constitutions expéditives ou des Constitutions parallèles. Les « Constitutions
expéditives » sont appelées différemment selon les auteurs : « petites constitutions »103 ,
« constitutions de crise »104, « constitutions d'urgence ou de nécessité »105, ou « constitutions
provisoires »106. En évoquant les bouleversements politiques au Burkina Faso, Gabon, Guinée,
Mali et Tchad, où ils ont abouti à l'adoption de chartes de transition, il est tentant de d’assimiler
les chartes de transition du Burkina Faso, du Gabon, de la Guinée, du Mali et du Tchad à des
Constitutions expéditives. Toutefois, cette assimilation doit être faite avec prudence et
discernement. Une mise en garde similaire est de mise pour l'acte fondamental observé au
Burkina Faso et au Mali. En effet, Emmanuel CARTIER107, révèle que les Constitutions
expéditives sont le reflet d'un triptyque temporel. Elles reconnaissent une rupture avec l'ordre
précédent tout en établissant des relations institutionnelles provisoires, jouant ainsi le rôle de
passerelle. De surcroît, elles anticipent et préfigurent la future constitution en traçant les
modalités de sa conception. Conformément à la première exigence déterministe élaborée par le
Professeur Emmanuel CARTIER, la Constitution expéditive se doit d'émerger à la faveur d'une
rupture d'un ordre juridique antérieur108, naitre d’une situation exceptionnelle. Dans cette
optique, La charte de la transition tchadienne du 22 avril 2021 et celle guinéenne du 26
septembre 2022 se sont établies durant l'interlude où leurs Constitutions étaient en sommeil.
Néanmoins, une dissemblance se dessine concernant avec, la charte de transition du Burkina
datées d'octobre 2022, la charte malienne du 12 septembre 2020 et de celle gabonaise du 4
septembre 2023. Ces textes ont, en effet, vu le jour alors que les constitutions préalablement
suspendues avaient retrouvé leur vigueur109. De plus, l'acte fondamental du Burkina et celui du
Mali ont acté la levée de cette suspension constitutionnelle110. Ainsi, seule les Charte de
transition guinéenne et tchadienne semblent satisfaire pleinement cette exigence, consacrant

103
Emmanuel CARTIER, La transition constitutionnelle en France (1940-1945) : la reconstruction révolutionnaire
d’un ordre juridique « républicain », Paris, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 2005,
tome 126, p. 2.
104
Djédjero Francisco MELEDJE, « Les arrangements politiques et la constitution : le droit constitutionnel de
crise », in Droit constitutionnel, 9e édition, ABC, Abidjan, 2012, p. 237 et s.
105
Marcelin ABDELKERIM, « La charte de transition et la mort des démocraties en Afrique : cas du Tchad »,
Collection recherches et regards d’Afrique, VOL 1 no. 2 / Juillet 2022, p. 11.
106
Perlo NICOLLOTA, « Les constitutions provisoires, une catégorie normative au cœur des transitions
constitutionnelles », AFDC, 2014, Atelier F « Transitions constitutionnelles », p. 33.
107
EMMANUEL CARTIER, La transition constitutionnelle en France (1940-1945) : la reconstruction
révolutionnaire d’un ordre juridique « républicain », Paris, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle et de science
politique, 2005, tome 126, p. 3
108
Emmanuel CARTIER, La transition constitutionnelle en France (1940-1945) : la reconstruction révolutionnaire
d’un ordre juridique « républicain », op.cit., p. 3
109
La Constitution, dont la suspension avait été prononcée par la Déclaration N°1 du groupe militaire burkinabè a
été rétablie par l'Acte fondamental burkinabè du 5 octobre 2022. De même, la Constitution malienne, mise en
suspens par la déclaration du 22 août 2020, a été remise en vigueur par l'Acte fondamental du 24 août 2020.
Cependant, au Gabon, bien que les militaires aient pris le pouvoir, ils n'ont pas procédé à la suspension de la
Constitution. Seules les institutions ont été mises en pause, laissant la Constitution toujours active.
110
Les Actes fondamentaux du Burkina Faso et du Mali ont consacré le rétablissement des Constitutions
précédemment suspendues de ces pays. Ainsi, ces Actes fondamentaux coexistent avec les Constitutions originales,
instaurant une dualité normative unique dans le paysage juridique de ces États.

72
l'abolition irrévocable de leurs Constitutions respectives 111. Toutefois, pour les chartes de
transition burkinabè, gabonaise, et malienne, ainsi que les actes fondamentaux précités du
Burkina et du Mali, il est plausible d'interpréter la restauration de leurs Constitutions respectives
non pas comme une rupture, mais plutôt comme la continuité de l'ordre constitutionnel
antérieur, après une parenthèse, un interrègne constitutionnel temporaire. En s'immisçant au
cœur de la seconde condition énoncée par le distingué Emmanuel CARTIER, la Constitution
expéditive définit et règlemente les pouvoirs publics au sein de l'ordre juridique transitoire112.
Cette danse constitutionnelle se manifeste clairement à travers les différentes Chartes de la
transition qui ont su établir un schéma organisateur de ces pouvoirs113. Cependant, un point
mérite d'être évoqué avec une certaine subtilité : bien que les organes de transition aient été
créés spécifiquement pour ces périodes éphémères, il est notable que les juridictions
constitutionnelles du Burkina et du Mali demeurent telles des phares inébranlables, puisant leur
légitimité et leurs prérogatives directement des sables sacrés de leurs constitutions mères114.
Ainsi, l'on pourrait aisément conclure que cette condition, dans sa quintessence, est
magnifiquement incarnée par les chartes de transition du Gabon, de la Guinée et du Tchad.
Néanmoins, pour les chartes de transition du Burkina et du Mali, cette conclusion nécessite une
nuance, un léger ombrage, témoignant de la complexité et de la richesse de leurs contextes
constitutionnels respectifs. L'ultime critère exposé par le Professeur Emmanuel CARTIER nous
guide à l'essence même de la Constitution expéditive : une clé pré-constituante115 déverrouillant
les fondements d'un ordre constitutionnel en devenir. Elle se dessine par une dualité intrinsèque
: elle est à la fois éphémère par sa durée et interstitielle car elles incarnent le corridor entre deux
Constitutions, matérialisant la mutation de deux ordres juridiques distincts. Mais, lorsque l'on
épluche ce critère, il s'avère que les Chartes de transition du Burkina, de la Guinée et du Mali
restent silencieuses, voire énigmatiques, sur l'émergence d'un nouvel échafaudage
constitutionnel. Seule la Charte gabonaise, avec une clarté louable, évoque explicitement cette

111
Quant aux chartes de transition de la Guinée et du Tchad, elles ont opéré comme des substituts incontestables
à leurs Constitutions respectives. En effet, les dispositions sans équivoque des articles 84 et 119 énoncent : « La
présente Charte de la Transition, une fois promulguée, sera consignée au Journal Officiel pour servir de loi
fondamentale de la République ».
112
Emmanuel CARTIER, La transition constitutionnelle en France (1940-1945) : la reconstruction révolutionnaire
d’un ordre juridique « républicain », op.cit., p. 3
113
Les diverses chartes, conjointement aux actes fondamentaux, abordent la structuration et l'opérabilité de l'État.
Ceci est manifeste notamment dans le Titre II des chartes du Burkina, du Gabon et de la Guinée, le Titre III pour
celle du Mali, et le Titre IV pour celle du Tchad. Parallèlement, les stipulations des articles 11 et 41 des actes
fondamentaux du Burkina et du Mali attestent de leur qualité intrinsèque, conférant ainsi une valeur
constitutionnelle matérielle à ces actes.
114
Selon l'Art. 3 des chartes de transition burkinabè et malienne : « Les organes de la transition sont : le Président
de la Transition ; le gouvernement de la Transition ; l’Assemblée législative de Transition [Conseil national de la
transition] ». Ces chartes n'évoquent aucun « conseil constitutionnel ». En revanche, l'Art. 34 de la charte gabonaise
énonce : « Les organes de la Transition sont : le Président de la Transition ; le Conseil national de la Transition ;
le Gouvernement de la Transition ; le Parlement de la Transition ; la Cour Constitutionnelle de la Transition ».
L'Art. 79 de la charte guinéenne dispose : « Les attributions de la Cour constitutionnelle sont transférées à la Cour
suprême, durant la période de transition ». Tandis qu'au Tchad, l'Art. 103 de la charte précise : « Le pouvoir
judiciaire est exercé pendant la période de transition par la Cour Supreme, les Cours d’appel et les Tribunaux
réguliers »
115
Emmanuel CARTIER, La transition constitutionnelle en France (1940-1945) : la reconstruction révolutionnaire
d’un ordre juridique « républicain », op.cit., p. 4

73
genèse constitutionnelle116. Toutefois, une dissection de la Charte guinéenne117 et tchadienne118
nous laisse entrevoir, en filigrane, la quête d'un nouvel ordre constitutionnel. Ces documents
restent muets sur les objectifs précis de la transition, tout en ayant relégué la Constitution
précédente aux abîmes de l'histoire. En fin de compte, dans cette danse constitutionnelle où
chaque pas est crucial, seules les Charte gabonaise, guinéenne et tchadienne parviennent à
esquisser avec élégance la troisième pirouette exigée par CARTIER. En tenant compte de la
triade de critères énoncée par le Pr Emmanuel CARTIER, il apparait que les charte de transition
guinéenne et tchadienne revêtent toutes les caractéristiques d'une Constitution expéditive. En
revanche, les chartes de transition du Burkina, du Gabon et du Mali, tout comme les actes
fondamentaux du Burkina et du Mali, ne sauraient prétendre à cette appellation de Constitution
expéditive. En effet, non seulement elles ne procèdent pas à une dislocation manifeste de
l'ancien édifice constitutionnel, mais elles demeurent également évasives, ne formulant ni a
fortiori, ni a minima, les modalités de conception d'une constitution définitive.
Excluant leur classification en tant qu'accords politiques et Constitution d’exception, les
chartes de transitions burkinabè, gabonaise et malienne, ainsi que les actes fondamentaux du
Burkina et du Mali, revendiquent le titre de Constitutions parallèles. La notion de Constitutions
parallèles ou para-Constitutions oscille entre le juridique et le politique, et se dessine par sa
proximité avec la constitution formelle tout en s'en distinguant par son origine et sa finalité119.
Il se dévoile comme une forme alternative, voire complémentaire, à la constitution
traditionnelle120. La para-constitution, telle que conceptualisée par Luc SINDJOUN, se
distingue par un triple caractère121. Elle vise d'abord à établir un cadre normatif relatif à
l'organisation et au fonctionnement de l'État, en particulier en périodes de bouleversements ou
de transition. Ensuite, contrairement à une constitution traditionnelle, la Constitution parallèle
ne se veut pas le reflet direct de la volonté populaire, mais s'élabore davantage comme une
expression concertée du consensus politique. Enfin, elle n'efface ni ne supplante la constitution
formelle, mais cohabite avec elle, comblant souvent des lacunes ou répondant à des impératifs
spécifiques. L'une des caractéristiques fondamentales d'une Constitution parallèle repose sur
sa composition essentiellement de normes ayant une nature matériellement constitutionnelle. À
cet égard, les chartes de transition adoptées par le Burkina, le Mali, le Gabon, la Guinée et le
Tchad, ainsi que les actes fondamentaux du Burkina Faso, se placent résolument dans cette
sphère constitutionnelle122. En effet, ces documents abordent de manière détaillée les
mécanismes d'organisation et les modalités de fonctionnement de l'État. Par exemple, le Titre
II éclaire ce prisme pour les chartes du Burkina, du Gabon et de la Guinée, tandis que cela est
traité dans le Titre III pour le Mali et le Titre IV pour le Tchad. S'agissant des actes

116
Article 2 de la Charte dispose : « Les missions de la Transition consacrées par la présente Charte sont
notamment […] : L’élaboration d’une nouvelle Constitution et son adoption par référendum ; […] ».
117
Voir à ce propos la charte de la transition guinéenne du 21 Septembre 2021.
118
Voir à ce propos la charte de la transition tchadienne du 08 Octobre 2022.
119
Babacar GUEYE et Martin Pascal TINE, « La légitimité et la légitimation de la transition constitutionnelle par
les élections en Afrique », op.cit., p.200.
120
Ibid.
121
Luc SINDJOUN, « Les pratiques sociales dans les régimes politiques africaines en voie de démocratisation :
hypothèses théoriques et empiriques sur la paraconstitution », Revue canadienne de science politique, juin 2007,
n°40 :2, p.467
122
Guy-Fabrice HOLO, Les régimes de transition en Afrique subsaharienne francophone, op.cit., p. 267.

74
fondamentaux, il est manifeste que leur teneur est également constitutionnelle. L'acte
fondamental du Mali, en son article 41, dispose clairement que, « Avant l’adoption d’une
Charte pour la transition, les dispositions du présent Acte, revêtant un caractère
constitutionnel, viennent compléter, altérer ou remplacer celles de la Constitution du 25 février
1992 ». Dans la même lignée, l'article 11 de l'acte fondamental du Burkina précise que, « à la
signature de cet acte, la suspension de la constitution du 02 juin 1991 prend fin, tout en laissant
prévaloir ses dispositions non contraires à ce dernier ». Secundo, la Constitution parallèle ne
s'ancre pas dans la sollicitation directe de la volonté générale, mais plutôt dans une
matérialisation des équilibres politiques. À la différence d'une constitution classique, souvent
adoubée par le peuple ou via ses représentants légitimes, la para-constitution se dessine
davantage par le jeu des tractations politiques, illustrant un modus operandi fondé sur le
consensus entre différentes factions. Un examen des chartes de transition du Burkina, du Mali,
du Gabon, de la Guinée, et du Tchad confirme ce postulat. Ces dernières, loin d'être une
émanation spontanée, découlent de délibérations entre acteurs politiques, regroupés sous des
vocables tels que « Dialogue National Inclusif et Souverain »123 au Tchad ou « Forces vives de
la Nation » pour le Burkina124, la Guinée125, le Gabon126 et le Mali127. Toutefois, il convient de
nuancer lorsqu'on aborde les actes fondamentaux du Burkina et du Mali. Ces instruments, en
porte-à-faux avec les chartes évoquées, ne traduisent pas un consensus large mais s'apparentent,
de facto, à la volonté unilatérale128 d'un groupe militaire, s'étant emparée du pouvoir par la
force. En dernier lieu, la para-constitution ne saurait éclipser la constitution formelle129. Bien
au contraire, elle se présente comme un complément, souvent destiné à pallier des carences ou
à traiter de situations d'exception. Les chartes de transition du Burkina, du Mali, et du Gabon
témoignent clairement de cette cohabitation harmonieuse. En parallèle de ces chartes, les
constitutions propres à ces États demeurent en vigueur. Ainsi, les articles 24, 25, et 61 des
chartes de transition du Burkina, du Mali, et du Gabon disposent clairement que, face à un
désaccord entre la charte et la constitution, c'est la première qui prévaut 130. Toutefois, une

123
Les premières énonciations du préambule de la charte de transition du Tchad : « Nous, Représentants du peuple
Tchadien, réunis au Dialogue National Inclusif et souverain »
124
Les termes introductifs du préambule de la charte de transition du Burkina : « Nous, Forces vives de la nation ».
125
Les expressions inaugurales du préambule de la charte de transition de la Guinée : « Nous, membres des forces
de défense et de sécurité de la République de Guinée, regroupés au sein du Comité National du Rassemblement
pour le Développement en concertation avec les forces vives de la Nation Guinéenne » in….
126
Les formulations initiales du préambule de la charte du Gabon : « Nous, membres des forces de défense et de
sécurité de la République Gabonaise, regroupés au sein du Comité pour la Transition et la Restauration des
Institutions, en abrégé CTRI, avec les forces vives de la Nation Gabonaise »
127
Les premières énonciations du préambule de la charte de transition du Mali : « Nous, Forces Vives de la Nation
représentées au sein du Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP), du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement
des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP), des Partis et Regroupements politiques, des Organisations de la Société
civile et des Maliens établis à l’extérieur, des Mouvements signataires de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation
au Mali, issu du processus d’Alger et des Mouvements de l’inclusivité »
128
Par le biais d'annonces officielles diffusées à la télévision nationale par les porte-parole du MPSR et du CNPS,
Farouk SORGHO et Ismaël WAGUE, l'opinion publique a été informée de l'existence des actes fondamentaux de
ces pays. Ces actes ont été apposés des signatures du Capitaine Ibrahim TRAORE et du Colonel Assimi GOITA,
qui sont respectivement présidents du MPSR au Burkina et du CNSP au Mali.
129
Luc SINDJOUN, « Les pratiques sociales dans les régimes politiques africaines en voie de démocratisation :
hypothèses théoriques et empiriques sur la para-constitution », Revue canadienne de science politique, juin 2007,
n°40 :2, p.467
130
Article 24 de la Charte du Burkina Faso « en cas de contrariété entre la charte de la transition avec la constitution
du 02 Juin 1991, les dispositions de la présente charte s’appliquent » ; Article 25 de la Charte du Mali « En cas de

75
nuance est à apporter concernant les chartes de transition de la Guinée et du Tchad. Ces
dernières n'entendent pas cohabiter, mais plutôt remplacer la Constitution en place, se posant
en tant que nouvelle norme cardinale, comme l'attestent leurs formules explicites : « La présente
Charte de la Transition [...] sera [...] publiée au Journal Officiel et exécutée comme loi
fondamentale de la République[...] »131. En ce qui concerne les actes fondamentaux du Burkina
et du Mali, ces textes adhèrent parfaitement à cette idée de complémentarité chère à la para-
constitutionnalité. Ils ne font pas abstraction des constitutions en vigueur, mais s'y juxtaposent.
Ceci est manifeste à la lecture de l’article 11 de l’acte fondamental du Burkina, qui évoque la
levée de la suspension de la constitution, et de l’article 41 de celui du Mali, précisant que ses
dispositions, en tant que principes constitutionnels, viennent en complément, voire en
modification, de la Constitution du 25 février 1992. En somme, à l'aune des critères énoncés
pour définir la para-constitutionnalité, les chartes de Transition du Burkina, du Gabon et du
Mali s'y conforment avec aisance et méritent, de ce fait, le label de Constitution parallèle. En
revanche, les chartes de la Guinée et du Tchad dérogent à l'une des conditions essentielles, celle
de la cohabitation avec la constitution formelle. Au lieu de cela, elles s'érigent en remplacement
de ces textes fondamentaux. Quant aux actes fondamentaux du Burkina et du Mali, leur
adéquation avec la para-constitutionnalité est moins tranchée. Si le second critère, qui postule
l'émanation d'un consensus politique, les désavoue clairement — ces actes étant plutôt le reflet
d'une prise de décision unilatérale de groupes militaires —, un examen nuancé pourrait les
inclure dans cette catégorie. Il serait en effet judicieux de considérer le contexte tumultueux de
leur adoption, où la réalité politique éclipse souvent les préceptes juridiques. Si l'on accepte
d'atténuer la rigueur de ce critère, prenant en compte cette réalité du terrain, il devient alors
concevable – et sans doute judicieux – d'accorder à ces actes fondamentaux la qualité de para-
constitution.
En synthèse, à la lumière des critères énoncés, les chartes de transition du Burkina, du
Gabon et du Mali peuvent légitimement être qualifiées de constitution parallèle ou para-
constitution. Les chartes de la Guinée et du Tchad, pour leur part, peuvent être considérées
comme des constitutions expéditives, souvent désignées sous les termes de constitutions
provisoires, « d'urgence ou de nécessité ». Concernant les actes fondamentaux du Burkina et
du Mali, ils peuvent être classés parmi les constitutions parallèles, notamment si l'on se limite
à une interprétation minimaliste du second critère de la para-constitutionalité. Dans tous les cas,
ces divers documents peuvent être regroupés sous l'appellation de Constitution de crise. Il est
à noter qu'ils se distinguent des accords politiques tels qu'on les entend traditionnellement.
Étant donné la complexité de qualifier juridiquement les actes constitutionnels supplétifs,
leur coexistence avec la Constitution est inévitablement délicate.

contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution du 25 février 1992, les dispositions de la présente
Charte s’appliquent. La Cour constitutionnelle statue en cas de litige » ; Article 61 de la Charte du Gabon : « En
cas de contrariété entre la Charte de la Transition et la Constitution du 26 mars 1991, les dispositions de la présente
Charte s’appliquent. La Cour Constitutionnelle de la Transition statue en cas de litige ».
131
Article 84 de la Charte de transition de la Guinée : « La présente Charte de la Transition qui prend effet à partir
de sa date de signature, sera enregistrée, publiée au Journal Officiel et exécutée comme loi fondamentale de la
République de Guinée durant la période de la Transition » ; Article 119 de la Charte de transition du Tchad : «La
présente Charte de Transition qui abroge toutes dispositions antérieures contraires, sera promulguée par
Ordonnance du Président de Transition, Président de la République, Chef de l'État, publiée au Journal Officiel de
la République et exécutée comme loi fondamentale de la République ».

76
B. L’assemblage délicat des actes constitutionnel de transition

Considérée comme le lex supremus d'un État, la Constitution est « la pierre angulaire
d'où découlent la légitimité et la validité de toutes autres normes juridiques »132. Toutefois, la
cohabitation entre la Constitution formelle et les actes constitutionnels supplétifs de transition
tel que les Charte de transition et les actes fondamentaux est délicate. Cette situation se
manifeste notamment par la discréditation manifeste de la constitution (1) et une organisation
institutionnelle parfois incohérente (2).

1. La discréditation manifeste de la Constitution formelle


La mise en parallèle de la charte de transition avec la Constitution formelle, et leur
interaction avec les actes fondamentaux, tend à ébranler la légitimité de la Constitution
formelle. Cette situation, due à la coexistence problématique de ces éléments, menace non
seulement la suprématie de la Constitution formelle mais introduit également une incertitude
quant au rôle du juge constitutionnel.
La charte de transition, dans une disposition audacieuse, dispose clairement qu'en cas de
« contrariété »133 avec les dispositions de la Constitution, ce sont ses propres dispositions qui
doivent être suivies. De façon analogue, l'acte fondamental postule que la Constitution sera
respectée sauf en ce qui concerne ses dispositions qui viendraient contredire cet acte 134. Ces
dispositions ne visent pas à instaurer un rapport d'égalité entre la Constitution formelle et ces
documents transitoires. Au contraire, elles définissent, de façon résolue et sans équivoque, une
hiérarchie claire, accordant la prééminence à ces textes sur la Constitution formelle135. Cette
orientation suscite un profond paradoxe juridique : alors que la Constitution est censée
représenter la volonté universelle, elle se voit dépassée et éclipsée par la volonté temporaire des
acteurs de la transition136. Cela amène à une interrogation fondamentale : « comment un
instrument, se prévalant de la légitimité constitutionnelle, peut-il s'arroger la prérogative de la
supplanter ? »137. Cette situation, flirtant avec l'oxymore juridique, provoque d'intenses
réflexions sur la pérennité et l'intégrité du socle constitutionnel face aux exigences et aux
particularités des périodes de transition. Cette ambivalence juridique révèle les tensions entre
la nécessité de répondre de manière flexible et pragmatique aux circonstances exceptionnelles

132
Abdoulaye SOMA, « Du contractualisme constitutionnelle dans les démocraties africaines », in Koffi Ahadzi-
NONOU et al., Démocratie en question. Mélanges en l'honneur du Professeur Théodore HOLO, Toulouse, Presses
de l'Université de Toulouse, 2017, p. 323.
133
Lire à ce propos l’article 24 de la Charte de Transition du Burkina Faso du 14 Octobre 2022 ; l’article 61 de la
Charte de transition du Gabon du 02 Septembre 2023 ; l’article 25 de la Charte de transition du Mali du 12
Septembre 2020.
134
L’article 41, al. 2 de l’Acte fondamental du Mali du 24 Août 2020 dispose : « Toutefois, les dispositions de la
Constitution du 25 février 1992 s’appliquent tant qu’elles ne sont pas contraires ou incompatibles avec celles du
présent Acte » ; L’article 11 de l’Acte fondamental du Burkina du 05 Octobre 2022 dispose : « Dès la signature de
l’acte fondamental, la suspension de la constitution du 02 juin 1991 est levée. Celle-ci s’applique à l’exception de
ses dispositions non contraires au présent acte fondamental ».
135
Séni M. OUEDRAOGO et Djibrihina OUEDRAOGO, « Libres propos sur la transition politique au Burkina
Faso : du contexte au texte de la Charte de la transition », op.cit., p.6
136
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p. 6
137
Djibrihina OUEDRAOGO, « Constitution, Acte fondamental et Charte de la transition: quel attelage pour
garantir l’État de droit? », BF1 Télévision, 31 octobre 2023, https://youtu.be/o-Dkl0Ql3rU?t=114 , Consulté le
08 Octobre 2023

77
de la transition, et l'impératif de maintenir les principes constitutionnels comme fondement de
l'ordre juridique et politique. Elle met en exergue le défi de concilier la stabilité institutionnelle
avec l'adaptabilité requise en temps de changement politique significatif, questionnant la
capacité des structures constitutionnelles existantes à encadrer efficacement les périodes de
transition sans compromettre leur essence et leur légitimité. En définitive, elle soulève des
questions cruciales sur la nature de la démocratie, la souveraineté du peuple et la légitimité des
processus de transition dans la construction et la préservation d'un ordre constitutionnel
cohérent et respectueux des valeurs fondamentales.
L'insertion des Chartes de Transition et des Actes fondamentaux dans le paysage
constitutionnel, à côté des Constitutions formelles, introduit une complexité notable dans
l'interprétation et l'application du droit constitutionnel, mettant particulièrement en exergue le
rôle délicat du juge constitutionnel138. Ces documents, en vigueur dans des pays tels que le
Burkina Faso, le Gabon et le Mali, proclament leur supériorité sur les Constitutions existantes,
posant ainsi un défi majeur à la primauté de ces dernières. Le juge constitutionnel, dont le
mandat et la légitimité sont directement issus de la Constitution139, se retrouve au centre d'une
situation paradoxale. En effet, « si le juge constitutionnel est confronté à une divergence entre
les actes constitutionnels de transition, pourrait-il trahir la Constitution, source même de sa
légitimité ? »140 Cette interrogation fondamentale soulève la problématique de la fidélité à la
Constitution dans un contexte où des documents transitoires, bien que légitimés par des
circonstances exceptionnelles141, semblent remettre en question les fondements mêmes du droit
constitutionnel142. Face à cette configuration, le juge constitutionnel est désigné comme l'arbitre
des conflits normatifs entre la Constitution et ces actes supplétifs143, une position qui révèle les
tensions entre la stabilité juridique et la nécessité d'adaptation aux réalités politiques de la
transition. Cette dualité met en relief la complexité de maintenir l'ordre constitutionnel tout en
répondant aux exigences immédiates de la transition, interrogeant profondément sur la capacité
des structures constitutionnelles à absorber et à réguler ces dynamiques sans éroder leur
substance et leur autorité.
Dans le cas où la Constitution formelle est discréditée par la charte de transition et l'acte
fondamental, cela ne peut qu’entraîner souvent une certaine incohérence au sein de
l'organisation institutionnelle.

2. L’organisation institutionnelle parfois incohérente


La superposition complexe des actes constitutionnels de transition crée une architecture
institutionnelle qui, par moments, révèle des incohérences concernant le régime politique, la

138
Abdoulaye HAMADOU, « L’office du juge constitutionnel en circonstances exceptionnelles : réflexion à partir
des exemples du Burkina Faso et du Mali », Revue Afrilex, Mai 2023, p. 1.
139
Louis FAVOREU, « La légitimité du juge constitutionnel », Revue internationale de droit comparé. Vol. 46
N°2, Avril-juin 1994. p. 557.
140
Djibrihina OUEDRAOGO, « Constitution, Acte fondamental et Charte de la transition : quel attelage pour
garantir l'État de droit ? », op.cit.
141
Abdoulaye SOMA, « Les effectivités en droit constitutionnel », op.cit., p. 8.
142
Ekelle NGONDI, « Le droit constitutionnel en dehors du droit constitutionnel : réflexion sur le
constitutionalisme en Afrique noire », Revue Africaine de Droit Public, vol. VII, N° 14, 2018, p. 229 et s.
143
Abdoulaye HAMADOU, « L’office du juge constitutionnel en circonstances exceptionnelles : réflexion à partir
des exemples du Burkina Faso et du Mali », op.cit., p. 2.

78
gestion des périodes de vacance du pouvoir, ainsi que la définition et le fonctionnement des
organes de transition.
Au niveau des régimes politique, les « différentes Constitutions d'États en phase de
transition constitutionnelle prévoient des régimes politiques que les chartes de transition et les
actes fondamentaux modifient par l'introduction de régimes distincts »144. À titre illustratif, au
Burkina Faso, au Mali et au Gabon, les textes constitutionnels mettent en place un régime
politique que l'on pourrait qualifier de semi-parlementaire ou semi-présidentiel. Ce dernier est
un « régime hybride qui incorpore des caractéristiques des régimes parlementaires et
présidentiels, fusionnant ainsi un chef de l'État élu au suffrage universel direct avec un exécutif
qui demeure responsable devant le législatif »145. Cependant, en opposition à cette
configuration, les chartes de transition et les actes fondamentaux introduisent des régimes dont
la nature s'avère être énigmatique. Une première hypothèse pourrait nous orienter vers la
conception d'un régime présidentiel146. Néanmoins, après une analyse juridique minutieuse,
cette qualification est réfutée. En effet, le régime présidentiel, par sa définition intrinsèque, se
caractérise par un « président élu au suffrage universel, et par l'absence de mécanismes
juridiques permettant de remettre en question la responsabilité politique des détenteurs du
pouvoir »147. Ce critère est fondamental et constitutif du régime présidentiel, qui se définit par
« l'inamovibilité politique des pouvoirs politiques »148. En examinant les actes constitutionnels
supplétifs à la lumière de cette définition il ressort que le président de transition n'est pas élu
par la voie démocratique, mais désigné, souvent par une entité militaire ayant pris le pouvoir149,
puis validé par divers mécanismes. Au Burkina Faso, il est validé par les « forces vives de la
nation »150 ; au Mali151 et au Gabon152, par des comités spécifiquement établis pour cette tâche.
Sur la question de l'inamovibilité politique des pouvoirs politiques, critère du régime
présidentiel, dans des pays tels que le Tchad, la charte de transition autorise le président à

144
Djibrihina OUEDRAOGO, « Constitution, Acte fondamental et Charte de la transition : quel attelage pour
garantir l’État de droit ? », op.cit., p. 1.
145
Djédjro Francisco MELEDJE, Droit constitutionnel : Théorie général et institutions politiques, op.cit., p.83.
146
Mathide TARIF et Thierry VIRCOULON, « Transitions politiques : les déboires du modèle de sortie de crise
en Afrique », op.cit., p .09.
147
Jean-Louis THIEBAULT, « Les périls du régime présidentiel », Revue internationale de politique comparée,
vol. 13, no. 1, 2006, p. 95.
148
Abdoulaye SOMA, Traité de droit constitutionnel Général, op.cit., p. 143
149
L’article 5 de la Charte du Burkina Faso du 14 octobre 2022 dispose : « Le Président du Mouvement Patriotique
pour la Sauvegarde et la Restauration assure les fonctions de Président de la transition, Chef de l'État, Chef suprême
des Forces armées nationales » ; Article 4, al. 1er de l’Acte fondamental du Burkina du 05 Octobre 2022 dispose :
« Le Président du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration
Assure la fonction de chef de l’État, chef suprême des armées nationales » ; l’Article 32, al. 1er de l’Acte
fondamental du Mali du 24 Août 2020 dispose « Le Comité national pour le Salut du Peuple désigne en son sein
un Président qui assure les fonctions de Chef de l’État ».
150
A ce propos, l’acte de Confirmation du 14 Octobre 2022 de la désignation du Président du Faso est sans
ambiguïté : « Nous, Forces Vives de la Nation, Confirmons que le Président du Mouvement Patriotique pour la
Sauvegarde et la Restauration, désigné à l'article 5 de la Charte de la Transition du 14 octobre 2022, Président de
la Transition, est le Capitaine Ibrahim TRAORE, né le 14 mars 1988 à Kera, province du Mouhoun - Burkina
Faso ».
151
L’Article 4, al.2 de la Charte de transition du Mali du 12 Septembre 2020 dispose : « Il [Le Président] est choisi
par un collège de désignation mis en place par le Comité national pour le Salut du Peuple ».
152
L’article 35, al.2 de la Charte de transition du Gabon du 02 Septembre 2023 dispose : « Il [Le Président] est
choisi par un collège de désignation mis en place par le Comité pour la Transition et la Restauration des
Institutions ».

79
dissoudre l'organe législatif153. Dans d'autres cas, comme au Burkina Faso, au Gabon et au Mali,
cette inamovibilité n'est pas clairement définie154. Cependant, les dispositions afférentes
précisent que le président et le Premier ministre exercent leurs fonctions en accord 155 avec la
Constitution, qui elle, prévoit la responsabilité du Premier ministre devant le parlement156 et la
possible dissolution de ce dernier par le président157. En Guinée, la charte de transition est
muette sur la responsabilité du gouvernement devant le Parlement et la possibilité de dissolution
du Parlement par le Président de la République158. Il est donc ardu de classifier avec certitude
ces régimes politiques au sein des catégories conventionnelles des régimes démocratiques, à
savoir parlementaire, présidentiel ou semi-présidentiel. Ces régimes peuvent être considère
comme des régimes politiques non identifiés car n’entrant dans aucune catégorie préétablie.
Quand on examine la question de l'organisation institutionnelle, notamment les modalités
de remplacement du Président en cas d'empêchement, une certaine incohérence se dégage. En
effet les Constitutions en vigueur au Burkina Faso, au Mali et au Gabon, disposent qu'en cas
« d'empêchement temporaire » du Président de la République, le Premier Ministre prend le
relais159. Dans des circonstances plus graves, « d'empêchement absolu ou définitif », la
responsabilité revient au Président du Parlement160 ou du Sénat161. En revanche, la charte de
transition du Burkina Faso dispose qu’en cas de « vacance » du pouvoir de quelque nature que
ce soit du Président du Faso, c'est le Premier Ministre162 qui assure ses fonctions jusqu'à la
désignation d'un nouveau Président - par le Mouvement Pour la Sauvegarde et la Restauration.
Quant aux chartes de transition du Mali163 et du Gabon164, elles demeurent muettes sur cette
question épineuse. Face à une telle dualité de textes, une question juridique se pose : quel texte
prévaut en cas de conflit entre la Constitution et la charte de transition ? Si, selon la charte, elle
a primauté sur la Constitution, cela génère une lacune juridique préoccupante. Aussi, la charte
de transition de la Guinée, qui a abrogé la Constitution, ne donne aucune indication sur la
manière de gérer une vacance présidentielle. Une omission qui, à l'évidence, pourrait créer des
tensions politiques. Au Tchad, néanmoins, la situation est plus claire. La charte de transition
tchadienne prévoit qu'en cas « d'empêchement », qu'il soit « temporel ou définitif », c'est le

153
Cf. l’article 56 de la Charte de Transition du Tchad.
154
Cf. les chartes de transition de ces États.
155
Cf. les articles 4 et 8 al. 3 de la Charte de transition du Burkina Faso du 14 octobre 2022 ; l’articles 36 de la
Charte de transition du Gabon du 02 Septembre 2023 ; Les articles 5 et 11 de la Charte de transition du Mali du
12 septembre 2020.
156
Cf. l’article 62 de la Constitution Burkinabè du 02 juin 1991 ; l’article 28 al.3 de la Constitution Gabonaise du
26 mars 1991 ; l’article 54 de la Constitution Malienne du 25 février 1992.
157
Cf. l’article 50 al. 1er de la Constitution Burkinabè du 02 juin 1991 ; L’article 19 al. 1er de la Constitution
Gabonaise du 26 mars 1991 ; L’article 42, al.1er de la Constitution Malienne 25 février 1992.
158
Cf. la charte de transition de la Guinée
159
Lire à ce propos l’article 43, al. 1er de la Constitution burkinabè du 02 juin 1991 ; L’article 36, al.1er de la
Constitution Malienne du 25 février 1992. ;
160
Cas au Burkina Faso et au Mali : cf. l’article 43, al. 2 de la Constitution burkinabè du 02 juin 1991 ; L’article
36, al. 2 de la Constitution Malienne du 25 février 1992.
161
Cas au Gabon : cf. l’article 13 de la Constitution Gabonaise du 26 mars 1991.
162
L’article 5, al. 2 de la Charte de transition burkinabè du 14 Octobre 2022 dispose : « En cas de vacance de la
présidence de la transition, les fonctions du Président de la transition sont exercées par le Premier ministre en
attendant la désignation d'un nouveau Président de la transition ».
163
Cf. la Charte de transition du Mali du 12 septembre 2020.
164
Cf. la Charte de transition du Gabon du 02 Septembre 2023.

80
Président du Conseil national de transition, l'organe législatif transitoire, qui assure les
fonctions présidentielles165.
Toujours au cœur des régimes de transition, l'organisation institutionnelle révèle des
incohérences qui ébranlent la confiance en leur fonctionnement. Les lacunes inhérentes à la
définition et à l'opérationnalité de certains organes transitoires sont flagrantes166. Les chartes de
transition et les actes fondamentaux, bien que reconnaissant la légitimité des groupements
militaires ayant accédé au pouvoir par des voies non conventionnelles, demeurent évasifs quant
à leurs structures internes et leurs modes opératoires. Au Burkina Faso et au Mali, les textes
régissant les périodes transitoires mentionnent respectivement le Comité national pour le Salut
du Peuple (CNSP)167 et le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration
(MPSR)168. Ces entités, structurées autour d'un Président, d'un ou plusieurs Vice-Présidents, de
membres et de commissions, devraient théoriquement être régies par un règlement intérieur169
ou une ordonnance170. Cependant, ces documents essentiels restent introuvables dans le
domaine public. De ce fait, l'opacité entoure le nombre précis de vice-présidents ou de
membres, laissant une place prépondérante au seul président de ces regroupements, qui endosse
par ailleurs le rôle de « Chef de l’État ».171 La situation tchadienne, quant à elle, est tout aussi
préoccupante. Bien que la charte de transition tchadienne reconnaisse le « Président du Conseil
Militaire de Transition » comme chef de l’État172, elle reste muette sur les modalités et les
acteurs de sa désignation173. Au Gabon, le flou persiste également : le « Conseil National de la
Transition (CNT) » est décrit comme un conglomérat de forces de défense et de sécurité, mais
les contours précis de sa mise en place et de son fonctionnement demeurent inexplorés174. En
Guinée, le « Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) », bien que
désigné comme l'organe pivot de la stratégie politique et économique, est vaguement défini
comme composé d'éléments des forces de défense et de sécurité175. Les chartes de transition et

165
Article 53 de la Charte de transition tchadienne dispose : « En cas de vacance de la Présidence de la Transition
pour quelque cause que ce soit ou d'empêchement définitif constaté par la Cour Suprême, saisie par le
Gouvernement, les attributions du Président de Transition ».
166
Djibrihina OUEDRAOGO, « Constitution, Acte fondamental et Charte de la transition : quel attelage pour
garantir l'État de droit ? », op.cit.
167
Le titre III de l’Acte Fondamental malien du 24 Aout 2020 ainsi que les articles 4, 23 et 26 de la Charte de
transition malienne du 02 septembre 2020 mentionne le CNSP.
168
Le titre II de l’Acte Fondamental burkinabè du 05 Octobre 2022 ainsi que les articles 5 et 25 de la Charte de
transition burkinabè du 14 octobre 2022 mentionne le CNSP.
169
Article 29 de l’Acte fondamental du Mali dispose : « Le Comité national pour le Salut du Peuple dénommé
CNSP est composé ainsi qu’il suit : un Président ; des Vice‐Présidents ; des Membres. Un règlement intérieur fixe
l’organisation et les modalités de fonctionnement du Comité ».
170
Article 3 de l’Acte Fondamental burkinabè du 05 Octobre 2022 dispose : « Le Mouvement Patriotique pour
la Sauvegarde et la Restauration est composé ainsi qu’il suit : un président, un premier vice-président, un deuxième
vice-président, un coordonnateur, deux commissions. Une ordonnance du président fixe l’organisation et les
modalités de fonctionnement du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration ».
171
Cf. les article 4 et 5, respectivement des Chartes de transition du Mali et du Burkina Faso.
172
L’article 39 de la Charte de Transition Tchadienne dispose : « Conformément à la Résolution du Dialogue
National Inclusif et Souverain (DNIS) portant concomitamment dissolution du Conseil Militaire de Transition et
désignation du Président de Transition, le Président du Conseil Militaire de Transition devient Président de
Transition ».
173
Aucune disposition de la Charte de transition ne traite de cette question.
174
Cf. l’article 36, al. 2 de Charte de transition gabonaise du 02 septembre 2023.
175
L’Article 37 de la Charte de Transition guinéenne du 27 Septembre 2021dispose : « Le Comité National du
Rassemblement pour le Développement est l'organe central de définition et d'orientation stratégique de la politique
économique, sociale, culturelle et de développement du pays. Il est garant de la sécurité et de la cohésion

81
les actes fondamentaux, en légitimant ces groupements militaires, semblent tolérer leur
fonctionnement obscur, s'apparentant à celui d'une milice privée plutôt qu'à une institution
transparente et redevable envers la population.
Au vu des éléments présentés, il apparaît clairement que l'ingénierie constitutionnelle
comporte des imperfections. Un processus de recalibrage pour l'améliorer semble donc
indispensable.

II. UNE INGENIERIE CONSTITUTIONNELLE PERFECTIBLE

À la suite de l'identification et à la compréhension des imperfections de l'ingénierie


constitutionnelle des transitions politiques, il devient crucial de tracer des pistes pour son
amélioration. Cette amélioration nécessite une mise en place d'un cadre juridico-institutionnel
adéquat (A) ainsi qu'une définition et une mise en œuvre efficaces du pouvoir constituant adapté
(B).

A. L’attelage juridico-institutionnel adéquat

Le droit constitutionnel de crise176, tel qu'il est mis en œuvre par les régimes de transition
constitutionnelle, met en lumière des problématiques majeures quant à la consolidation177 de
l'État de droit et de la démocratie. Sur le plan juridique178, il est manifeste que des ambiguïtés
subsistent entre divers actes constitutionnels de transition, tels que la charte de transition, l'acte
fondamental et la Constitution formelle. De surcroît, la nature et la valeur juridique des actes
constitutionnels supplétifs font l'objet de débats179. Sur le plan institutionnel180, l'analyse des
structures établies au sein de ces régimes de transition met en exergue que la configuration
actuelle entrave non seulement la préservation des acquis de l’État de droit, mais aussi sa pleine
réalisation. Face à ce panorama, l'avenir commande l'instauration d'un dispositif juridico-
institutionnel revisité pour défendre et renforcer l'État de droit181. Cette entreprise repose sur
deux piliers essentiels : d'une part, l'élaboration d'un acte constitutionnel de transition
distinct182, que l'on pourrait désigner sous l'appellation de « Constitution expéditive » (1) ; et
d'autre part, la substitution du parlement traditionnel par la mise place d'un « Conseil de
Sages »183 (2).

nationales, de la stabilité et de la paix. Il est composé des éléments des forces de défense et de sécurité de la
République de Guinée (armée, gendarmerie, police, protection civile, douane et conservateurs de la nature) ».
176
Éric HOUTONDJI, « Le droit constitutionnel institutionnel de crise », op.cit., p. 145.
177
Abdoul Karim SAIDOU, « Modes d’alternances et consolidation démocratique en Afrique », op.cit., p. 40.
178
Supra., p. 15 et s.
179
Ibid.
180
Ibid.
181
Claire PARJOUET, « La crise de la démocratie constitutionnelle en Afrique, quelle implication du droit
constitutionnel de transition ? Crises sociopolitiques en contexte de démocratisation en Afrique », op.cit. Note, no.
102
182
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p. 21
183
Vincent PASCALE, « Le conseil des sages », Gérontologie et société, vol. 30/120, no. 1, 2007, p. 221.

82
1. La mise en place d’une Constitution expéditive
Une Constitution expéditive, dans le cadre d'une démocratie, est un document
constitutionnel temporaire, rédigé et adopté en urgence pour gérer aisément une situation
spécifique telle que les transitions politique. Sa principale caractéristique est sa nature
provisoire184, suggérant qu'elle est en vigueur pour une période limitée ou jusqu'à ce qu'une
nouvelle constitution soit adoptée. Elle se distingue par sa focalisation sur les questions
immédiates et essentielles. Elle rompt avec l’ordre constitutionnel antérieur, elle aménage de
façon provisoire un nouvel ordre constitutionnel et elle définit les grandes lignes de l’ordre
constitutionnel futur185. La nécessité, la portée et le contenu de cette Constitution
expéditive seront minutieusement scrutées.
De la nécessité d’abord ! Envisager une Constitution expéditive découle de diverses
raisons impérieuses. Premièrement, elle répond à « la particularité de la situation
constitutionnelle lors des transitions politiques »186. En effet, ces transitions s'opèrent
typiquement lors de crises, qui déstabilisent l'organisation et les mécanismes institutionnelles
classiques187. Qu'elle soit consécutive à un coup d'État188 ou à une insurrection populaire,189 ou
découlant d'une décision de mettre en place une transition politique190, cette crise nécessite une
réponse adaptée. Deuxièmement, il s'agit de l'ajustabilité du droit constitutionnel191 aux
fluctuations contextuelles de l'État pour le cerner et le moduler de manière appropriée.
De l’implication ensuite ! L’édification d’une Constitution expéditive implique une
suspension totale de la constitution en vigueur durant la phase de transition192, contrairement à
ce qui se fait ordinairement, sauf dans le cas actuellement de la Guinée, du Niger et du Tchad193.
Une telle réactivation conduit à une dualité conflictuelle, entrainant une dissonance
constitutionnelle194. La simultanéité de la Constitution standard et des actes constitutionnels
supplétifs engendre des incongruités majeures et suscite des situations inextricables en termes
de théorie constitutionnelle195. Il s'agit de ce qu’a été qualifié « d’assemblage délicat »196 entre
l'Acte fondamental et la Constitution, ou entre la Charte de transition et la Constitution.

184
Nicoletta PERLO, « Les constitutions provisoires, une catégorie normative au cœur des transitions
constitutionnelles », op.cit., p. 71.
185
Emmanuel CARTIER, La transition constitutionnelle en France (1940-1945) : la reconstruction
révolutionnaire d’un ordre juridique « républicain », op.cit., p. 43.
186
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit. p. 3.
187
Cheick Beldh’or SIGUE, Démocratie, liberté et fracas des armes, Ouagadougou, Les Éditions Le Pays, Juin
2023, p. 23 et s.
188
Atiana Serge OULON, Atiana Serge OULON, Les secrets de deux putschs, Ouagadougou, Mercury, Juillet
2023, p.15 et s.
189
Lila CHOULI, Sur l'insurrection populaire et ses suites au Burkina Faso, Paris, L'Harmattan, 2018, p.7 et s.
190
Augustin LOADA, Jonathan WHEATLEY, Transitions démocratiques en Afrique de L’Ouest : Processus
constitutionnels, société civile et institutions démocratiques, Paris, L'Harmattan, 2014, p.12 et s.
191
Abdelaziz LAMGHARI, Droit Constitutionnel et Situation de Crise, Paris, Kekabooks, 2022, p. 27 et s.
192
Abdoulaye SOMA, « Les effets juridiques de la suspension de la constitution », op.cit., p. 5.
193
En Guinée et au Tchad la suspension de la Constitution n’a pas été levée. La Charte de transition leur sert de
loi fondamentale de transition. Au Niger, la suspension de la Constitution à la suite du Coup d’État du 26 Juillet
n’a pas ètè levée. Contrairement à la Guinée et du Tchad le Niger n’a toujours pas de charte de transition (à la date
du 18 Octobre 2023)
194
Supra., p. 15 et s.
195
Riccardo GUASTINI, Leçons de théorie constitutionnelle, Paris, Dalloz, Janvier 2010, p.22 et s.
196
Supra., p. 15 et s.

83
Du contenu enfin ! Le préambule197 devrait énoncer clairement les fondements et
l'objectif primordial de cette Constitution. Il manifestera la conscience collective de l'impératif
de construire un État à la fois démocratique et florissant. Il pourra affirmer l’engagement sans
faille envers l'établissement d'un État de droit, la volonté de favoriser la bonne gouvernance,
tout en témoignant de la gratitude envers les autorités traditionnelles et religieuses pour leur
rôle majeur dans la promotion de la paix et de la bonne gouvernance198. Ensuite, une section
consacrée aux droits, aux libertés et aux devoirs, tant au niveau individuel que collectif,
permettra d'ancrer ces principes fondamentaux au cœur de cette Constitution expéditive199. Une
autre section, dédiée à la souveraineté nationale200, renforcera le statut et l'indépendance de
l'État. Les institutions administratives indépendantes201, telles que le Conseil Supérieur de la
Communication, la Commission nationale des droits humains, ou encore l'Autorité Supérieure
de contrôle de l'État, seront mise en avant dans une section à part entière202. « Les traités et
accords internationaux »203 méritent également une attention particulière, soulignant ainsi
l'importance des relations et engagements extérieurs de l'État. En matière de « révision
constitutionnelle »204, il sera essentiel de prévoir des modalités strictes205. Ainsi, ceux qui auront
ratifié cette Constitution expéditive devraient être les seules habilités à la modifier, garantissant
une cohérence et une continuité206. L'organisation des pouvoirs publics207, comprenant
l'exécutif, avec à sa tête le président épaulé par un vice-président208, ainsi que le gouvernement,
sera détaillée. En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, il conviendra de conserver les structures
actuelles des États, y compris la juridiction constitutionnelle209. Notons l'absence délibérée d'un
parlement210, tout en octroyant au gouvernement le pouvoir de légiférer par ordonnance211. Il

197
Abdoul Karim DEME, « Le préambule de la constitution au Burkina Faso », Revue RRC, n° 032 / Avril 2023,
p. 71.
198
Jean-Sébastien BODA, « Retour sur l’élaboration du Préambule de la Constitution de 1958 », Revue française
de droit constitutionnel, vol. 106, no. 2, 2016, p. 283.
199
Bernard-Raymond Guimdo DONGMO, « La constitutionalisation des droits et libertés dans les États d’Afrique
noire francophone », Afrilex, 2020, p. 38.
200
Didier MAUS et al., « Écrire une Constitution », Revue française de droit constitutionnel, vol. 79, no. 3, 2009,
p. 557.
201
Jacques CHEVALLIER, « Autorités administratives indépendantes et État de droit », Civitas Europa, vol. 37,
no. 2, 2016, p. 143.
202
Didier MAUS et al., « Écrire une Constitution », op.cit., p.51.
203
Les traités internationaux dans la Constitution des Etats-Unis et la proposition d'amendement du sénateur
Bricker, Revue internationale de droit comparé. Vol. 7 N°1, Janvier - mars 1955, p. 132.
204
Jean Paul KABORE, « L’État des révisions constitutionnelles en Afrique : Quelle analyse pour justifier leur
harmonisation », RBD, no. 55, Spécial 2018, p. 167.
205
Abdoulaye SOMA, « réflexions sur une standardisation des processus de révisions constitutionnelles », Revue
RRC, n° 028 / Décembre 2022, p. 3.
206
Léon Dié KASSABO, « Réflexion sur quelques singularités du Constitutionnalisme africain », op.cit., p.165.
207
Yann COATANLEM, « Repenser le rôle des pouvoirs publics », Le gouvernement des citoyens, sous la
direction de Coatanlem YANN, Presses Universitaires de France, 2017, p. 55.
208
Lire à ce propos Sylvain OUEDRAOGO, « Le statut constitutionnel du Vice-Président en Afrique noire
francophone », RBD, N61, 2ème Semestre 2020, pp. 385-416 ; Djibrihina OUEDRAOGO, « Fidèles
parlementaires ! Acclamons le président de la République ! Nous approuvons le vice-président choisi », Afrilex,
2021, p. 1.
209
Djibrihina OUEDRAOGO, « Constitution, Acte fondamental et Charte de la transition : quel attelage pour
garantir l'État de droit ? », op.cit., p. 4
210
Valérie Edwige SOMA, « La perfectibilité du contrôle parlementaire du pouvoir exécutif en Afrique noire
francophone », RBD, no.53, 2ème Semestre 2017, p. 229.
211
Djibrihina OUEDRAOGO, « Constitution, Acte fondamental et Charte de la transition : quel attelage pour
garantir l'État de droit ? », op.cit. p. 3.

84
pourrait être remplacé par un Conseil de Sage. Il important expressément de prévoir le retour à
l’ordre constitutionnel avec l’adoption d’une nouvelle constitution définitive212. Enfin, l'ajout
de clauses intangibles213, garantissant l'intégrité de certaines dispositions de la constitution
contre toute modification214, sera essentiel pour assurer la pérennité de cette charte
fondamentale.
Outre l'élaboration d'une Constitution expéditive, il apparaît nécessaire de substituer le
parlement par un Conseil de Sages.

2. La substitution du parlement par un Conseil de Sages


Dans les contextes de transition constitutionnel, le parlement dans sa version classique
semble être inutile215. Par conséquent, la suggestion serait d'envisager sa dissolution temporaire
pendant la période transitoire. Les prérogatives législatives seraient alors transférées à
l'exécutif, qui légiférerait via des ordonnances216. Mais « pour qu’on ne puisse abuser du
pouvoir, il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir »217. D’où la
nécessité de mettre en place un « Conseil de Sages »218.
Ce Conseil de Sages ne remplacera pas le parlement au sens organique. Il ne s'agira ni
d'une Assemblée Nationale, ni d'un Sénat, et encore moins d'un organe juridictionnel. Il se
positionnera comme une entité constitutionnelle autonome, prévue par la Constitution
expéditive. Il est un organe de contrôle219 des actions et des missions de l’exécutif.
Relativement à la composition du « Conseil de Sage », elle pourra être composée des
autorités coutumières220 et religieuses221 de l’État. Le choix de composition tire ses fondements
dans la mosaïque ethnique, culturelle et spirituelle de l’Afrique222. Historiquement, l'Afrique a
été le théâtre de nombreux conflits découlant de tensions ethniques223, culturelles224 et
religieuses225. Dans plusieurs pays du continent, l'ethnie et la religion sont non seulement

212
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p. 6.
213
Valérie Edwige SOMA, « La forme républicaine de l’État comme clause d’éternité Constitutionnelle », RBD,
N58, 2ème Semestre 2019, p. 72.
214
Danelciuc-Colodrovschi NATASA, « Retour sur la question des limites aux révisions constitutionnelles. De la
portée de leur contrôle durant la période de reconstruction étatique (l'exemple de la Moldavie et de
l'Ukraine) », Revue française de droit constitutionnel, vol. 92, no. 4, 2012, p. 757.
215
Djibrihina OUEDRAOGO, « Constitution, Acte fondamental et Charte de la transition : quel attelage pour
garantir l'État de droit ? », op.cit., p. 3
216
Gabriela CONDURACHE, « La procédure de recours aux ordonnances : de la lettre constitutionnelle à la
pratique politique. Regards comparés entre la France et la Roumanie », Revue française de droit constitutionnel,
vol. 121, no. 1, 2020, p. 115.
217
Montesquieu, De l'esprit des lois, 1748, Paris, Garnier Flammarion, 1871, Livre XI, chap. IV.
218
Vincent PASCALE, « Le conseil des sages », op.cit., p. 22.
219
Clémence QUIBEL, « Pouvoir d'agir sur les décisions locales : le cas des conseils des sages », Gérontologie et
société, vol. 35/143, no. 4, 2012, p. 77.
220
Ousseni ILLY, « La chefferie traditionnelle dans les constitutions des États d’Afrique noire francophone »,
RBD, no. 53, 2017, p.159.
221
Tikonimbé KOUPOKPA, « La religion et le droit constitutionnel en Afrique », RBD, no. 52, 2017, p.173.
222
Cheikh Anta DIOP, Nations nègres et culture, Présence Africaine, juillet 2000, p.3.
223
Clément Mweyang AAPENGNUO, « La mauvaise interprétation des conflits ethniques en Afrique », Bulletins
de la sécurité africaine, no. 4, Mai 2010, p. 2.
224
Abrahams PETER. « Le conflit de cultures en Afrique », Présence Africaine, vol. xiv-xv, no. 3-4, 1957, p. 107.
225
Jean-François BAYART, État et religion en Afrique, Paris, Éditions Karthala, 2018, p. 8.

85
déterminantes lors des scrutins, mais influencent aussi significativement la stabilité politique226.
Ces éléments ont parfois été source de tensions, mais également de résolutions227. L'exemple
de l'île Maurice228 illustre parfaitement comment une nation peut tirer parti de sa riche
diversité229 pour établir une démocratie230 robuste et harmonieuse. Dans sa mission, le
« Conseil de sage » sera épaulé par l’autorité de contrôle de l’État et la lutte contre la corruption.
Le « Conseil des Sages » est instauré comme mécanisme de surveillance et de contrôle
de l'action gouvernementale au cours de la période de transition. Pour garantir la bonne marche
de cette transition, le Conseil veillera à ce que toutes les actions entreprises soient en adéquation
avec la mission et l'agenda préalablement définis. Pour assurer ce suivi rigoureux, le Conseil
disposera de plusieurs leviers231. Il pourra interroger232 le gouvernement, soit oralement, soit
par écrit, afin d'obtenir des clarifications ou des informations sur les décisions prises. De plus,
afin d'assurer une transparence optimale, le Chef du gouvernement pourra être tenu de rendre
compte de ses actions au Conseil de manière mensuelle, tandis que le Chef de l'État le fera de
manière trimestrielle. La responsabilité politique du gouvernement233 pourrait être engagé
collégialement ou individuellement. La mise en œuvre de ces mécanismes pourra être détaillée
dans un règlement dédié à l'organisation et au fonctionnement du Conseil des Sages. Ce
règlement sera adopté avec la Constitution expéditive.
Pour l’adoption de cette Constitution expéditive, il sera judicieux de définir un pouvoir
constituant adapté au contexte de transition politique.

226
Tikonombé KOUPOKPA, « La religion et le droit constitutionnel en Afrique », RBD, no. 52, 1ème Semestre
2017, p. 173.
227
Mamadou BADJI, Olivier DEVAUX et Babacar GUEYE (dir.), Droit, politique et religion, Droit sénégalais,
n° 8, 2009, PUT, p. 207.
228
Arthur SILVE, « Botswana et Maurice, deux miracles africains. Profiter de ses rentes sans hypothéquer son
développement », Afrique contemporaine, vol. 242, no. 2, 2012, p. 29.
229
L'ile Maurice se rapproche de la situation de l'Afrique par le pluralisme ethnique mais s'en différentie par un
contexte culturel où se croisent les cultures : hindoue, européenne, créole... L'ile compte en effet, plus de 50%
d'hindous arrivés vers le 19° siècle, plus de 16% de musulmans venant de l'immigration indienne, près de 3% de
sino-mauriciens et environ 28% de blancs et de créoles qui constituent la première vague d'immigration de colons
français avec leurs esclaves venus d'Afrique. Loin d'occulter cette diversité ethnique, le système politique retenu
à l'approche de l'indépendance la reproduit à travers le système électoral : les communautés ethniques sont classées
en 4 catégories lors des élections ; chaque électeur doit déclarer appartenir à une des catégories ; hindoue,
musulmane, sino-mauricienne, ou population générale (anciens colons français et leurs esclaves venus d'Afrique
et de Madagascar qui sont en fait les premiers immigrants). Le système politique reproduit la diversité ethnique
en se basant sur la recherche de l'équilibre ethnique. Voy. Moctar TALL, Institutions politiques comparées,
Ouagadougou, Passeport, 2016, p.50.
230
Selon le classement des pays les plus démocratiques d'Afrique en 2022, selon l’EIU, Sur l’ensemble du
continent Il Maurice reste l’unique pays figurant dans la catégorie « pleine démocratie ». Il est le premier sur la
liste. V. Agence Ecofin, Classement des pays les plus démocratiques d'Afrique en 2022, selon l'EIU, Publié le 06
février 2023, https://www.agenceecofin.com/gouvernance/0602-105217-classement-des-pays-les-plus-
democratiques-dafrique-en-2022-selon-leiu
231
Norton PHILIP, « La nature du contrôle parlementaire », Pouvoirs, vol. 134, no. 3, 2010, p. 5.
232
Nguyen Huu PATRICK, L'évolution des questions parlementaires depuis 1958. In : Revue française de science
politique, 31ᵉ année, n°1, 1981. p. 172.
233
Ouro-Gnaou OURO-BODI, « La responsabilité des titulaires du pouvoir politique dans les pays d’Afrique noire
francophone », Afrilex, Avril 2021, p. 1-26

86
B. Le pouvoir constituant de transition (PCT)

De l’analyse faite des actes constitutionnels supplétifs de transition tels que la charte de
transition et l’acte fondamental des État sous transition en Afrique, il ressort que « la légitimité
de ces actes est discutée »234. Dans une perspective, il est impératif de renforcer la légitimité de
la « Constitution expéditive ». Pour ce faire, il faut repenser le pouvoir constituant qui est la
capacité de formuler, de modifier ou de supprimer une constitution235. Ce pouvoir peut être
originaire ou dérivé. Dans le cadre de la transition il s’agit du pouvoir d’adopter ou de modifier
la « Constitution expéditive » ains que l’adoption ou la modification des autres actes
constitutionnel. Qui est le titulaire de ce pouvoir constituant ? (1) Comment l’exercer (2).

1. Les titulaires du pouvoir constituant de transition (PCT)


Dans toute démocratie, le pouvoir constituant repose indubitablement entre les mains du
peuple, soit directement, soit à travers ses représentants élus236. Toutefois, face à des situations
extraordinaires et imprévisibles qui engendrent une transition, il devient impératif d'ajuster les
principes constitutionnels aux réalités du moment237. Il y a la nécessité d'un droit constitutionnel
adapté aux crises238. Cela implique une redéfinition de la notion du détenteur du pouvoir
constituant. L'enjeu n'est pas de déposséder le peuple de ce pouvoir, mais de trouver un
mécanisme permettant une intervention rapide et efficace. Ainsi, durant la phase transitoire, le
pouvoir constituant sera confié aux représentants des « forces vives de la nation »239, c'est-à-
dire à ceux qui incarnent le dynamisme et la vitalité de l'État, et qui jouent un rôle déterminant
dans son développement et son progrès.
Lors de la transition, la composition du pouvoir constituant se présentera de manière
exhaustive et inclusive possible240. Elle pourra regrouper des représentants des opérateurs
économiques ; de tous les présidents des partis politiques légalement constitués ; ainsi que des
représentants de chaque faitière d'association et d'organisation non gouvernementale. Les
communautés traditionnelles et coutumières, ainsi que les communautés religieuses, pourront
être représentées. Les syndicats des travailleurs, du public ou du privé, pourront également être
représentés, tout comme les organisations syndicales d'étudiants et d'élèves. Les associations
féminines ainsi que les travailleurs non syndiqués des ministères pourront être représentés.
Chaque université publique pourra être représentée par des enseignants-chercheurs et du
personnel administratif de ces universités. Les centres de recherches pourront être représentés.
Les commerçants des marchés ne devront pas être oubliés. Les associations de personnes vivant

234
Supra., p.15 et s.
235
Abdoulaye SOMA, Traité de droit constitutionnel, op.cit., p.148
236
Michel TROPER et Dominique CHAGNOLLAND, Traité international de droit constitutionnel, Paris, Palloz,
2012, p. 72.
237
Abdoulaye SOMA, « Le droit constitutionnel des transitions politiques », op.cit., p.26.
238
Paterne MAMBO, « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les états africains :
Réflexion sur la légalité constitutionnelle En période de crise », Revue de droit de McGil, juin 2012, p. 921.
239
Berstein SERGE, et al, « À la recherche des « forces vives » », Serge Berstein éd., De Gaulle et les élites. La
Découverte, 2008, p. 219.
240
Michels ANK, « Les innovations dans la gouvernance démocratique – En quoi la participation citoyenne
contribue-t-elle à l'amélioration de la démocratie ? », Revue Internationale des Sciences Administratives, vol. 77,
no. 2, 2011, p. 275.

87
avec un handicap pourront être également représenté ainsi que la diaspora de l'État. Tous les
maires et présidents de conseil régional en exercice au début de la transition, tous les ministres
du dernier gouvernement, tous les députés de la dernière législature, tous les anciens Chefs de
l’État, premiers ministres, et présidents du Parlement pourront être membres, ainsi que les
présidents des institutions administratives indépendantes constitutionnelles de l'État. Chaque
village, province, et région du pays pourra être représenté. Les acteurs du monde culturel et
sportif pourront être représentés ainsi que la communauté journalistique. Cette composition
vise à représenter241 tous les secteurs et groupes importants de la société.
Une telle composition a plusieurs avantages. D’abord, elle garantit une représentation
exhaustive de l'ensemble des acteurs de la société, assurant que toutes les voix, qu'elles soient
majoritaires ou minoritaires, sont entendues lors de décisions cruciales de la transition. Cette
approche sous-entend une volonté manifeste de traiter tous les citoyens de manière égale, qu'ils
appartiennent à l'élite politique, au secteur économique ou à un groupe souvent marginalisé
comme les personnes vivant avec un handicap. Ensuite, elle garantit une représentation
inclusive qui renforce la cohésion sociale et suscite un sentiment d'appartenance et d'unité
nationale pour une transition réussie. Par ailleurs, l'implication des anciens dirigeants et des
élus dans le processus confère une légitimité supplémentaire, témoignant d'une reconnaissance
des figures légitimes passées et présentes. Cette diversité de participants garantit également que
les décisions prises reflèteront une multitude de perspectives, enrichissant les débats et
conduisant à des solutions plus complètes et adaptées à la transition. De plus, en veillant à ce
que personne ne soit omis, le risque de mécontentement ou de sentiments d'exclusion, qui
pourraient conduire à des conflits ou des tensions lors de la transition politique, peut-être
minimisé. Cette composition promeut, en son cœur, une véritable démarche démocratique où
chaque voix a son importance. Enfin, en mettant un accent spécifique sur des groupes tels que
les personnes vivant avec un handicap ou les acteurs culturels, les régimes de transition
reconnaissent et valorisent la contribution de groupes souvent négligés dans les débats
politiques. Cette vision met en avant une approche concertée de la gouvernance où chaque
individu, quelles que soient sa position ou son origine, participe activement à la définition de
l'avenir de son pays.
Somme toutes, ces représentants des forces vives seront détenteur à la fois du pouvoir
constituant originaire et du pouvoir constituant dérivé. Mais comment vont-ils exercer ces
pouvoirs ?

2. Les modalités adaptées d’exercice du pouvoir constituant de transition


Dans une démocratie constitutionnelle, c'est le peuple qui exerce le pouvoir constituant242.
Il le fait par divers moyens tels que le référendum, la pétition ou encore l'assemblée
constituante243. En période de transition, l'outil privilégié devrait être une assemblée

241
Hanna F. PITKIN, « La représentation politique », Raisons politiques, vol. 50, no. 2, 2013, p. 35.
242
Marcel PRELOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1980.
243
Djédjro Francisco MELEDJE, Droit constitutionnel : Théorie général et institutions politiques, op.cit. p.132 et
s.

88
constituante244, que l'on pourrait appeler les Assises de la refondation de l'État. Pour garantir un
reflet fidèle de la volonté du peuple à travers les représentants de ses forces vives et pour assurer
une véritable appropriation de cette Constitution expéditive, il serait judicieux de mettre en
place des Assises locales de refondation de l'État, suivies d'une Assise nationale de refondation.
Ces étapes successives permettraient d'ancrer profondément le processus dans la volonté
populaire et d'assurer sa légitimité245 à tous les niveaux de la nation.
Dans chaque région, les Assises locales de refondation pourront être orchestrées par les
représentants des forces vives de la région. Ces assises se pencheront sur le contenu de la
Constitution expéditive et les textes annexes, en se concentrant sur les axes principaux
préétablis246 pour définir les missions de la transition. Ces sessions se dérouleront
simultanément dans l'ensemble des régions du pays. À l'issue, un rapport de synthèse pourra
être établi pour chaque région. Par la suite, les représentants des forces vives de la nation
pourront se réunir pour les Assises nationales de refondation de l'État. Cet événement, aura pour
mission d'analyser les recommandations issues des Assises locales. L'objectif sera d'élaborer et
d'adopter la Constitution expéditive247 finale, ainsi que les documents annexes.
Cette approche vise à mettre en évidence la quintessence d'une démocratie
constitutionnelle : l'ancrage du pouvoir dans la volonté populaire248. Elle met en avant plusieurs
aspects cruciaux pour une transition démocratique réussie. Premièrement, le choix d'une
assemblée constituante, dénommée « Assises de la refondation de l'État », n’est pas anodin. En
effet, ce type d'assemblée est conçu pour refléter fidèlement la volonté du peuple, en
garantissant une représentation équilibrée des diverses couches de la société249. Elle devient
alors le véhicule de la souveraineté populaire, permettant au peuple d'exercer pleinement son
pouvoir constituant. Deuxièmement, la stratégie en deux étapes - d'abord les Assises locales,
puis l'Assise nationale - est habile. Elle vise à reconnaître et valoriser la diversité et la spécificité
des régions, tout en veillant à ce que chaque voix soit entendue au niveau local avant de
fusionner ces perspectives au niveau national250. Cette démarche permet non seulement une
représentativité maximale, mais également une réelle implication des citoyens dans le processus
constitutionnel de la transition. Troisièmement, cette approche, met en exergue l'importance de
l'adhésion populaire. Une constitution, quelle que soit sa forme, n'est pas qu'un simple
document juridique ; c'est l'expression de l'identité d'une nation, de ses valeurs et de ses
aspirations. En la faisant émerger d'un processus aussi inclusif, on s'assure qu'elle soit le reflet
fidèle de la volonté populaire.

244
Eboussi BOULAGA, Les conférences nationales en Afrique noire - une affaire à suivre, Paris, Karthala, 2009,
p. 12 et s.
245
Dogan MATTEI. « La légitimité politique : nouveauté des critères, anachronisme des théories
classiques », Revue internationale des sciences sociales, vol. 196, no. 2, 2010, p. 21.
246
Supra. pp.100 -103
247
Didier MAUS et al., « Écrire une Constitution », op.cit., p. 22.
248
Marie GUIMEZANES, « Les transitions constitutionnelles « internationalisées » : étude de droit
interne », Revue française de droit constitutionnel, vol. 104, no. 4, 2015, p. 801.
249
Mar GUEYE, « Les Assises nationales du Sénégal : un exemple de sociogenèse », Politique africaine, vol. 116,
no. 4, 2009, p. 163.
250
Talla KAMATE, « La pratique des assises nationales en Afrique : entre légitimation et légitimité », Revue
française de science politique, vol. 60, no. 1, 2010, p. 95.

89
Dans l'ensemble, cette méthode participative et graduelle garantit une transition
démocratique qui non seulement respecte, mais valorise et renforce la volonté du peuple. Elle
illustre une compréhension approfondie des principes fondamentaux d'une démocratie
constitutionnelle, tout en proposant des solutions innovantes pour gérer les défis d'une période
de transition. Cette démarche confèrera à la Constitution expéditive une légitimité robuste251.
Elle jettera également les bases d'une gestion inclusive de la transition, réduisant ainsi
significativement les risques d'instabilité politique durant cette période constitutionnelle
cruciale.

251
Denis BARANGER, « Les fondements de la légitimité », Denis Baranger éd., Le droit constitutionnel. Presses
Universitaires de France, 2013, p. 71.

90
LES INCIDENTS DE PROCEDURE DANS LE PROCES CONSTITUTIONNEL : LE
CAS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE GABONAISE

Par

Avouzoa Thierry Bertin


Doctorant à l’Université de Yaoundé II (Cameroun)

Résumé
Depuis plus de trois décennies, le contentieux constitutionnel gabonais connait une dynamique
qui incite à la curiosité scientifique au regard de la législation en vigueur et de la jurisprudence
constitutionnelle sécrétée. La cour constitutionnelle gabonaise rend de nombreuses décisions dont
certaines trouvent des issues favorables et d’autres n’en trouvent pas. L’on pourrait dont juridiquement
se demander ce qui pourrait empêcher l’aboutissement normal d’un procès constitutionnel. Une telle
interrogation amène à s’intéresser à la question des incidents de procédures d’avantage connus dans
les procès de droit privé. Mais qui l’avènement du nouveau constitutionnalisme n’est pas étranger au
procès constitutionnel. Il s’agit d’une question dont l’essor est lié au regain constitutionnel et qui n’est
pas méconnu en procès constitutionnel gabonais. Ces derniers ont pour effet de modifier le cours
normal d’un procès. Ainsi, en interrogeant ce qui les caractérise, il s’en suit de faire le constat, d’un
côté de l’existence d’une dualité des figures parmi lesquelles se trouvent le désistement et le non-lieu,
et de l’autre côté à relever une pluralité d’effets gravitant entre interruptions du procès et neutralisation
de l’interruption juridictionnelle.
Mots clés : Incidents de procédures ; procès constitutionnel ; désistement ; non-lieu ;
interruption du procès ; neutralisation de l’intervention juridictionnelle.

Summary:
For more than three decades, Gabonese constitutional litigation has experienced a dynamic that
incites scientific curiosity with regard to the legislation in force and secret constitutional
jurisprudence. The Gabonese constitutional court issues numerous decisions, some of which find
favorable outcomes and others which do not. We could therefore legally ask ourselves what could
prevent the normal outcome of a constitutional trial. Such a question leads us to be interested in the
question of procedural incidents of advantage known in private law trials. But the advent of the new
constitutionalism is not foreign to the constitutional process. This is a question whose rise is linked to
the constitutional revival and which is not overlooked in Gabonese constitutional proceedings. These
have the effect of modifying the normal course of a trial. Thus, by questioning what characterizes
them, it follows to make the observation, on the one hand of the existence of a duality of figures
among which are the withdrawal and the non-place, and on the other side to note a plurality of effects
revolving between interruptions of the trial and neutralization of the jurisdictional interruption.
Keywords: Procedural incidents; constitutional trial; withdrawal; dismissal; interruption of trial;
neutralization of judicial intervention.


Mode de citation : Avouzoa Thierry Bertin, « Les incidents de procédure dans le procès constitutionnel : le cas
de la cour constitutionnelle gabonaise », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 91-104.

91
INTRODUCTION

Depuis le renouveau constitutionnel, il se fait constater une émergence et une


dynamique de la justice constitutionnelle en Afrique francophone1. Ce dynamisme a conduit
les cours constitutionnelles à intensifier l’activité juridictionnelle en vue de garantir la
protection de la Constitution. Dans ce sillage, les procès constitutionnels deviennent des
moments où tout est entrepris pour parvenir à rendre la justice constitutionnelle. Ils
apparaissent ainsi par extension comme un processus émergeant2. Dans le contentieux
constitutionnel, il ne suffit pas qu’il y ait un recours pour que le procès se tienne. En effet, les
juridictions constitutionnelles, chargées de veiller au respect de la Constitution doivent
s’assurer au cours de l’exercice de leurs fonctions, que la norme fondamentale ne soit pas
violée. Ainsi, un procès peut être ouvert en vue de contrôler si la constitution est respectée ou
pas. Bien plus, entre le moment où elles sont saisies, celui de l’instruction et de l’instance, de
nombreux évènements sont susceptibles d’entrainer son interruption. De manière générique
en procès, plusieurs éléments justifient l’interruption du procès, les plus récurrents sont
connus sous le vocable « incidents de procédure ». Il s’agit des incidents de procédures liées
à la forme et la procédure dans laquelle l’on intègre les irrecevabilités et les exceptions de
procédure d’un côté, et de l’autre les incidents liés au fond dans laquelle on retrouve les
incidents d’instruction lié à la preuve parmi lesquels on retrouve le désistement et
l’acquiescement3. En procès constitutionnelle en particulier, ceux généralement admis et qui
peuvent conduire à son interruption, sont le désistement et le non-lieu4.
Les incidents de procédure ne sont pas spécifiques au contentieux constitutionnel5. En
droit constitutionnel, il est admis que « le juge constitutionnel peut être confronté à la
disparition de la demande en cours d’instance »6. Ces propos de Jan Pascal soulignent
fortement la place qu’ont les incidents de procédure dans le procès constitutionnel. Il importe
donc avant de déblayer sur la thématique retenue de poser des préalables définitionnels sur les
notions qui jalonnent le sujet. Cette mouvance conduit à s’intéresser tout d’abord à la notion
d’incidents, ensuite procédure et enfin, celle de procès constitutionnel.
En ce qui concerne la notion d’incidents, dans son étymologie, le terme vient du latin
incidere qui signifie interrompre, couper7. Le Dictionnaire Larousse en ligne le définit comme
un « fait ou un évènement de caractère secondaire (…), qui survient au cours d’une action et
qui peut perturber le déroulement normal d’une chose.»8. En droit processuel l’incidence
renvoie génériquement à un fait survenu en cours d’instance et qui peut influencer sur son

1
Voir dans ce sens, Diompy Hervé Abraham, « les dynamiques récentes de la justice constitutionnelle en
Afrique noire francophone », Revue électronique Afrilex, février 2014, Afrilex.u-Bordeaux4.fr/les dynamiques-
récentes-de-la.html, dernière consultation mercredi 12mai 2014, p.2. Et Holo theodore , « L’émergence de la
justice constitutionnelle », Pouvoir 2009/3 n° 129, p.102.
2
Memono Chistian Jean -Jacques, Les incidents de procédure en contentieux administratif, thèse de Doctorat en
droit public, 2015, p.30
3
Ibid, p4.
4
Bikoro Jean, Mermoz et Essombe Emile, Le procès constitutionnel au Cameroun, Editions Connaissances et
savoirs 2022, P.258.
5
Ibid, p.40.
6
Jan pascal, Le procès constitutionnel, 2ᵉ édition, LGDJ, 2010, p.177.
7
Gaffiot Felix, Dictionnaire Abrégé Latin-Français illustré, Librairie Hachette 1936, p.311.
8
Larousse en ligne consulté dans Larousse.fr à 3h00.

92
déroulement9. Le rapprochement entre ces définitions se situe dans le fait que ce qui est à
l’origine de l’incident c’est un fait ou encore un acte qui va produire des effets juridiques
conduisant à influencer le cours normal du procès.
Pour ce qui est de la notion de procédure, il est important de souligner qu’il découle du
latin procéderer qui signifie, « aller en avant »10 ou encore « s’avancer »11. Les lexiques
usuels, l’appréhendent comme une série de formalités qui doivent être remplies12. C’est ce qui
en résulte également du dictionnaire du droit constitutionnel, qui le définit comme une
succession d’actes à accomplir pour parvenir à une décision13. En droit processuel le terme
renvoie à « l’ensemble des actes et des formalités, destinés à établir des droits ou des
situations juridiques »14.Ces définitions cantonnent la procédure à une série d’actes à
accomplir juridiquement en vue d’atteindre un objet précis dans un champ spécifique. Il en est
ainsi à titre d’exemples, de la procédure pénale, de la procédure civile etc. Le procès regorge
en général deux phases. D’un côté une phase préalable à la recherche connue sous le vocable
d’instruction et une autre au cours de laquelle le juge est appelé à trancher le litige. On les
retrouve dans différents procès en droit y compris en procès constitutionnel.
Quant au procès constitutionnel, il est important de souligner que ce dernier est rattaché
à la justice constitutionnelle. En effet le but recherché lors d’un procès constitutionnel est de
rendre justice15. Pour y parvenir, il faut nécessairement passer par un ensemble de
mécanismes et de procédures. Par là nous pouvons avec le professeur Hilaire Akerekoro
définir le procès constitutionnel comme « l’ensemble procédural et des mécanismes visant à
permettre au juge constitutionnel de rendre la justice constitutionnelle »16.
Les incidents de procédure reviennent à être globalement envisagés comme
l’ensemble des actes procéduraux formels susceptibles lorsqu’ils sont posés, d’entrainer la
modification ou la suspension normale de l’instance17. Le droit constitutionnel gabonais
n’ignore pas les questions d’incidents de procédure. Seulement, il convient au regard de la
multiplicité des causes susceptibles d’occasionner les incidents de procédure, d’interroger
celles retenues dans la législation Gabonaise. Car le paysage juridique laisse entrevoir une
dynamique du contentieux constitutionnel dans cet Etat depuis plus de trois décennies.
L’illustration la plus parfaite de cette évolution est la dimension qualitative et quantitative de
la jurisprudence constitutionnelle. Seulement, autant de nombreuses décisions sont rendues
par la cour constitutionnelle, autant certains recours ne parviennent pas à trouver une issue
favorable du fait des incidents de procédure. C’est dans cette perspective qu’il convient de se
poser la question suivante : qu’est ce qui caractérise les incidents de procédure dans le
procès constitutionnel gabonais ? Une telle interrogation n’est pas fortuite puisque la

9
Puigelier Cathérine, Dictionnaire Juridique, Collection Paradigme, 2015, p. 562.
10
Gaffiot Felix, Dictionnaire Abrégé Latin-Français illustré, op.cit. p.502.
11
De Villiers Michel et Le Divellec Armel, Dictionnaire du droit constitutionnel, 10ᵉ édition, Sirey 2015,
p.295.
12
Le Robert Dico en ligne, consulté le 31/07/2023 à 3h00.
13
Idem.
14
Puigelier Catherine, Dictionnaire juridique, Collection Paradigme, Lacier 2015, P.880.
15
Jan Pascal, Le procès constitutionnel Op.cit. p.37.
16
Akérékoro Hilaire, « le procès constitutionnel au bénin » Annuaire béninoise de justice constitutionnelle,
2013, p.64.
17
Jan Pascal , Le procès constitutionnel, Op.cit. p.235.

93
thématique traitée, amène à examiner une question qui se situe au cœur du procès, en ce sens
que lorsque ces actes procéduraux sont posés, ils conduisent à interrompre, ou à mettre
définitivement fin au procès. Il s’agit d’une question cruciale qui influence ou affecte la
procédure juridictionnelle18. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il convient de situer l’intérêt
de ce sujet dans la dualité. Cette dualité est liée tout d’abord à la facilitation de l’appréhension
de la procédure devant la cour constitutionnelle. Puis à l’analyse de l’impact des incidents de
procédure sur l’office du juge constitutionnel Gabonais. Pour parvenir à répondre à la
problématique qui guide la présente réflexion, il sied in liminé de rappeler que cela ne saurait
se concevoir sans la mobilisation d’une méthode.
Toute étude imposant une méthode, Celle qui guidera la présente étude, fera usage du
positivisme méthodologie qui considère le droit posé comme le seul en même d’être étudié19.
Dans son déploiement, le positivisme juridique conduira dans à mobiliser le droit Gabonais
en vigueur, qui ne tiendra pas compte des données extérieures comme fondement du droit20.Il
convient au passage de différencier dans l’étude du positivisme méthodologique, le
positivisme formaliste ou encore juridique qui analyse la règle de droit considérée, du
positivisme pragmatique ou factualiste qui va au-delà de la règle de droit pour s’intéresser à la
pratique sociale21. L’analyse de ce sujet se cantonnera dans à interprétation des textes en
vigueurs. Il s’agit d’analyser les textes gabonais qui régissent les incidents de procédure et
dans une certaine mesure ceux du droit étranger. La seconde tiendra compte de la
jurisprudence constitutionnelle gabonaise et même étrangère. Lesquelles feront l’objet
d’analyse. Ce choix méthodologique ainsi précisé conduira à s’intéresser à la dualité des
figures en matière d’incidents de procédure (I). Cette dualité une fois analysée, donnera de
constater l’existence de plusieurs effets (II) qui seront déterminés.

I- LA DUALITE DES FIGURES

Le terme dualité vient du Latin dualitas qui signifie le caractère de ce qui est double. Le
terme permet de rendre compte de la composition duale d’une chose. Il permet au regard du
procès constitutionnel gabonais de faire le constat selon lequel, les incidents de procédures
régulièrement appréhendés et consacrés sont binaires. Cette dualité oscille entre le
désistement (A) et le non-lieu (B).

A- Le désistement.

Le désistement selon le professeur Joseph Owona, est l’acte par lequel, un requérant,
introduit par voie de requête, au cours d’un procès ou alors avant ce dernier, une demande à

18
Bikoro Jean Mermoz et Essombe Emile, Le procès constitutionnel au Cameroun, Editions Connaissances et
savoirs 2022, P.235. Ou encore Bikoro (Jean Mermoz, « la fonction constituante du peuple dans le nouveau
constitutionnalisme des états d’Afrique noire francophone », Civitas Europa 2021/1, p.6.
19
Waline Marcel, « Positivisme philosophique, juridique et sociologique », Mélanges offerts à Raymond Carré
de Malberg, Librairie Edouard Duchemin, 1997, p.523.
20
Bikoro (Jean Mermoz), « la fonction constituante du peuple dans le nouveau constitutionnalisme des états
d’Afrique noire francophone », op.cit. p.6.
21
Idem.

94
l’effet de renoncer à une action en justice22. En parcourant la législation Gabonaise, il apparait
à l’analyse que le législateur n’en a clairement pas fait mention. En effet, à la lecture de de la
décision n˚035/CC/ Du 10 novembre 2006 portant règlement de procédure de la Cour
Constitutionnelle, il s’en suit un silence sur l’évocation du désistement. Seulement souligner
ce constat, ne revient pas à dire que le désistement ne figure pas dans le contentieux
constitutionnel gabonais.
À l’examen de la décision précitée, il apparait tout de même une admission implicite du
désistement. Cette décision en son article 47, mentionne que « la cour constitutionnelle est
saisie par requête, écrite et motivée (…) »23. Non loin, de cette dernière, l’article 48, précise le
contenu de la requête. Il s’en suit globalement à l’examen de ces dispositions une
consécration implicite du désistement en ce sens que le désistement en lui-même se fait sous
forme d’une requête, et si aucune précision n’a été faite sur la nature de la requête, cela
signifie que l’hypothèse d’une requête en désistement n’est pas à écarter. D’ailleurs le juge
constitutionnel gabonais dans sa Décision n˚010/CC/DU 6 mars 2006, relative à une requête
en désistement d’action présentée par le Sieur Antoine Mabouama, a finalement donné acte
à sa prétention. D’autres cas illustrateurs du désistement en contentieux constitutionnel
gabonais sont fortement perceptibles en matière électorale c’est le cas avec la décision N°
020/CC du 08 mars 1997 sur l’Election à l’Assemblée Nationale, Territoire National, la
Décision N° 022/CC du 11 mars 1997 sur l’Election à l’Assemblée Nationale, BASSE-BANIO
1er et 2ème siège ou encore la Décision N° 024/CC du 11 mars 1997 sur l’Election à
l’Assemblée Nationale, LASTOURVILLE.
Ces décisions concourent à consolider l’admission du désistement dans le procès
constitutionnel gabonais. En parcourant la jurisprudence sécrétée par cette instance, il sied de
relever que les cas de désistement sont légion en matière de de contentieux électoral. Au
demeurant bien que faisant objet d’une admission, il important de préciser que pour y
parvenir tout un régime juridique doit être respecté. Ce dernier conduit à faire remarquer au
requérant que le désistement a des causes (1) dont l’examen est nécessaire tout comme la
validité du consentement (2).

1- Les causes du désistement.


Plusieurs causes sont susceptibles de conduire au désistement. Le désistement dans sa
finalité, relève plus de l’abandon ou la renonciation24. Ces actions ne sont pas posées ex-
nihilo. Le dire c’est souligner avec vigueur qu’elles ont des causes. Lesquelles peuvent varier
en fonction des cas présentés au juge constitutionnel ou en fonction des matières.
Pour ce qui est des causes du désistement dans le contentieux électoral, il faut souligner
qu’elles sont nombreuses à conduire au désistement. D’un côté, l’expression de la volonté du
requérant à ne plus poursuivre l’affaire. Il s’agit d’une décision libre et volontaire du
requérant qu’il formule dans l’optique de renoncer définitivement aux prétentions de sa

22
Owona Joseph, le contentieux administratif de la République du Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2011, p.104.
23
Article 47 de la Décision n˚035/CC/ Du 10 novembre 2006 portant règlement de procédure de la Cour
Constitutionnelle
24
Memono Chistian , Jean -Jacques, Les incidents de procédure en contentieux administratif, Thèse de Doctorat
Ph.D de droit public, soutenue à université de Yaoundé II-Soa , p.388.

95
requête. Cet Acte conduit à l’extinction de son droit25. Il appartient personnellement au
requérant. Car il constitue une la renonciation volontaire d’une prétention26. Et cette volonté
se veut à la fois réelle et exempte de tout vice27. Cette dernière s’exprime à travers une
requête en désistement déposée et enregistrée aux greffes ou encore par une déclaration de
désistement au cours d’une audience28. La volonté apparait dans cette articulation comme le
mobile susceptible d’estomper la poursuite du procès.
De l’autre côté, il existe d’autres causes notamment dans le contentieux des normes. Il
en est ainsi de la fraude, de l’erreur matérielle et du vice de consentement. Pour la première,
habituellement défini comme tout acte commis sachant que ce dernier est contraire à la loi ou
au règlement29. Elle survient généralement en matière électorale et résulte de l’inobservation
des règles de procédure. Tantôt, cela peut être lié à la méconnaissance des textes, au manque
d’attention ou encore à la mauvaise volonté30. Cette hypothèse envisagée en France31 sous la
dénomination de désistement d’office, n’est pas consacrée au Gabon. Mais en pratique, elle
pourrait être envisagée puisqu’après épuisement des délais de présentation des documents
complémentaires, le juge constitutionnel est appelé à statuer. Le défaut de présentation des
documents dans les délais, peut conduire le juge à considérer que le requérant à désister.
A titre de rappel, il y a désistement d’office lorsqu’après manifestation de l’intention de
présenter un mémoire complémentaire, le requérant finit par ne pas l’apporter dans les délais
prévus32. Relativement à l’erreur matérielle, elle peut être due, à une erreur de calcul, d’un
texte incomplet ou encore erroné, d’une omission involontaire. Le juge constitutionnel
gabonais dans l’affaire GUY Lin gombe a, à la suite de l’instruction relever qu’« au moment
des dossiers de candidature par la commission électorale nationale autonome et permanente
le 09 mai 2010 le dossier du requérant était incomplet ; qu’en effet outre l’absence du signe
distinctif, était relevé le défaut de versement du cautionnement »33. Ce qui a conduit au rejet
de son dossier de candidature. Il faut aussi dans le contentieux des normes en dehors de
l’erreur matérielle et la fraude, intégrer les vices de consentement34. Au total et de manière
récurrente le consentement refait surface que l’on soit dans l’hypothèse de contentieux des
normes ou électoral. Ce consentement doit en conséquence faire l’objet de validité.

25
Madeng Diane, la procédure contentieuse en matière électorale : Recherche sur le contentieux des élections
au Cameroun, Thèse de doctorat en droit public, Université de Poitier, 2017, p.234.
26
Idem.
27
Voir, Bikoro Jean, Mermoz et Essombe Emile., Le procès constitutionnel au Cameroun, Editions
Connaissances et savoirs 2022, p.260. Ou encore Tawembe Daniel, L’extension de l’instance, Mémoire Master II
en droit public soutenu publiquement à l’Université de Yaoundé II, 2005, p.25.
28
Bikoro Jean, Mermoz et Essombe Emile, Le procès constitutionnel au Cameroun, op.cit. Ibid.
29
Puigelier Cathérine, Dictionnaire juridique, Collection Paradigme, Op.cit. p.487.
30
Scanvic Frederic, « La non-présentation d’un mémoire complémentaire le requérant dans un délai qui lui est
imparti emporte désistement d’office, lequel prime sur la compétence », ADJA, 2014, p.4.
31
Voire le Décret n˚81-29 du 16 janvier 1981.
32
Bikoro Jean Mermoz et Essombe Emile , Le procès constitutionnel au Cameroun, Op.cit. p.261.
33
Décision N˚ 016/CC du 11 mai 2010 relative à la requête de Monsieur GUY-Jonas Lin Gombe tendant à
l’invalidation à l’élection partielle des sénateurs du 6 juin 2010 dans la commune de Lastour ville province de
l’Ogoué –Lol.
34
Ibid. p.259.

96
2- La validité du consentement.
Le désistement est de manière générale un acte de volonté. A ce titre pour qu’il soit
valide, il faut qu’il soit exempt de tout vice. Appréhender la question de la validité du
consentement, entraine à analyser l’intégrité du consentement du requérant « désisteur ».
Allant dans cette perspective, le régime qui l’encadre, conduit à relever les vices de
consentement qui peuvent heurter sa validité. Les vices de consentement en question sont
l’erreur, le dol et la violence. Le président du conseil constitutionnel français pierre
Mazeaud, au cours de son intervention lors du colloque à l’institut de France qui portait sur
l’erreur, relevait déjà que la notion d’erreur n’est pas ignorée du droit constitutionnel 35au
regard des occurrences. En droit en général, l’erreur se conçoit comme l’action de se tromper,
ou encore la représentation inexacte de la réalité36.
En procès constitutionnel, la validité du consentement du requérant doit se réaliser en
dehors de toute erreur. Une telle exigence se prolonge aussi sur le dol et la violence. La
validité du consentement apparait ainsi comme un mobile nécessaire pour donner acte à la
volonté du requérant. Sa volonté à désister ne doit donc souffrir d’un vice de consentement
qui viendrait compromettre son intégrité. Le consentement a ainsi, comme portée d’exprimer
le choix réel, libre et éclairé du requérant. Il permet ainsi de parvenir à une décision intègre.
Outre les vices de consentement, d’autres éléments doivent être prises en compte pour
la validité du consentement à désister. Il s’agit en réalité du temps de pourvoir en désistement.
L’aspect temps joue également un rôle important dans la validité du consentement. En effet
quand bien même le consentement n’est pas vicié, il importe pour le requérant d’exprimer son
consentement dans le strict respect des délais qui sont très souvent brefs. Un tel retard peut
aboutir à une forclusion et entrainer l’irrecevabilité37.
Au total cette articulation met en exergue une figure constante dans le traitement des
incidents de procédure. Si cette figure est fondée sur le consentement du requérant à désister,
par des moyens consacrés, il n’est pas sans utilité de préciser que d’autres figures à l’instar du
non-lieu peuvent aussi constituer des mobiles qui impactent la procédure dans le procès
constitutionnel Gabonais.

B- Le non-lieu.

Le non-lieu est un autre incident de procédure qui peut impacter significativement le


cours du procès. Il « désigne un incident de procédure conduisant le juge à mettre fin au litige
sans pour autant y statuer »38. Les causes peuvent d’un côté être des éléments de fait et de
l’autre, des éléments de droit. Le non-lieu apparait comme une succession de transformations
subies en cours d’instance et qui conduisent inexorablement à ne plus statuer car en réalité,
comme le souligne fortement le professeur PEISER, « il ne reste plus rien à juger ou encore
que le juge n’a pas les éléments essentiels pour statuer »39. Ces considérations

35
Mazeaud Pierre, « L’erreur en droit constitutionnel », colloque à l’institut de France : « l’erreur », les mercredi
25 et jeudi 26 octobre 2006, p.1.
36
Puigelier Cathérine, Dictionnaire Juridique, Collection Paradigme, op.cit. p. 417.
37
Bikoro Jean Mermoz et Essombe Emile , Le procès constitutionnel au Cameroun, Op.cit. p.261
38
Ibid. p.262.
39
Peiser Gustave, « incidents de procédure » op.cit., p. 23.

97
définitionnelles établies, se prolongent et invitent à examiner la typologie des non-lieux en
contentieux constitutionnel puisqu’en procès constitutionnel Gabonais, il s’en suit une
admission du non-lieu partiel (1) d’une part, et d’autre part, du non-lieu total (2).

1- Le non-lieu partiel.
Le non-lieu partiel est un incident de procédure qui touche à une partie de la procédure.
Il s’agit d’une hypothèse que le juge constitutionnel gabonais n’ignore pas. Elle a très souvent
lieu lorsqu’à la suite d’une première requête, la cour constitutionnelle reçoit encore d’autres
requêtes ayant en commun un même objet. Dans cette optique, le juge constitutionnel procède
à une jonction qui lui permet d’appréhender in Goblo toutes ces requêtes. Au demeurant, le
juge constitutionnel peut décider de ne pas procéder à la jonction. Cela arrive très souvent
lorsque, l’une des requêtes a le défaut de ne pas avoir les éléments de preuves suffisants. Dans
ce cas comme le souligne Jan pascal, certaines requêtes seront frappées de non-lieu partiel
pour la simple raison que la cour ne peut rendre une même décision plusieurs fois40. De telles
normes sont consacrées dans la loi n˚043/2018/ du 05juillet 2019 portant code de procédure
pénal gabonais. Cette dernière dispose en son article 163 dispose que : « les ordonnances de
non-lieu partiel peuvent intervenir en cours d’information et au terme de celle-ci »
Bien plus en passant, sa devancière c’est-à-dire la loi n˚ 35/61/du 05 juin 1961 en faisait
déjà mention en son article 91-C. Ces précisions sont faites puisqu’en l’état actuelle, certains
textes à l’instar de la loi portant règlement intérieur du conseil constitutionnel Gabonais ne
sont pas encore effectifs. On retrouve une disposition similaire dans de le code de procédure
pénal centrafricain qui dispose en son article 116 que : « les ordonnances de non-lieu partiel
peuvent intervenir en cours d’information suivant la procédure prévue ci-dessus ». Il convient
de préciser que cette typologie tire sa portée du fait qu’elle permet au juge d’instruction non
seulement de statuer en faisant une jonction de plusieurs demandes ayant en commun un
même objet, mais aussi de gagner en temps. Par ailleurs, cet incident de procédure n’est pas le
seul. Le juge constitutionnel Gabonais pourrait lorsque les circonstances sont réunies
interrompre l’instance.

2- Le non-lieu total.
Le non-lieu total est « consécutif à une circonstance de fait ou de droit »41. Il est la
résultante d’une action du juge d’instruction ayant constaté une carence dans les charges et
qui constitue un obstacle à la poursuite de l’instance. Le non-lieu apparait ainsi comme une
autre option qui vient mettre un terme au procès.
On retrouve les hypothèses de non-lieu total à statuer dans certains domaines qui
ressortent de la compétence du juge constitutionnel Gabonais. Il en est ainsi en matière
électorale, le non-lieu peut être prononcé en cas de démission ou de décès du candidat élu ou
encore celui dont l’élection est querellée42, ou encore lorsque le requérant décède ; plus
encore dans le cas des élections politiques plus précisément en matière d’élections nationales,

40
Jan Pascal, Le procès constitutionnel, op.cit.p.30.
41
Bikoro Jean Mermoz et Essombe Emile , Le procès constitutionnel au Cameroun, Op.cit. p.263.
42
Idem.

98
lorsqu’à la suite d’une élection sujette à contestation, de nouvelles élections se sont déroulées.
D’autres hypothèses peuvent constituer des circonstances au cours desquelles le juge peut
prononcer le non-lieu total, parmi celles-ci, l’incompétence de la cour constitutionnelle, qui a
un domaine de compétence bien déterminé43même si ces dernières années elle s’est montrée
audacieuse.
A cela, il faut ajouter « la disparition de l’objet de la demande suite à la modification
ou à l’abrogation du texte la prétention »44. Par ailleurs, comme souligner plus haut
concernant le non-lieu partiel notamment l’absence d’un règlement intérieur de la cour
constitutionnelle du Gabon, il est important de noter qu’en tout état de cause, que les
ordonnances de non-lieu peuvent intervenir au regard de la loi n˚043/2018/ du 05juillet 2019
portant code de procédure pénal gabonais. Le législateur centrafricain est assez expressif sur
la question lorsqu’il affirme que : « le juge d’instruction sur réquisition du procureur de la
République rendra l’une des ordonnances de règlements suivantes : soit une Ordonnance de
non-lieu (…)». Bien que n’ayant pas trait à une Ordonnance de non-lieu issue d’une
juridiction constitutionnelle, l’on a encore en mémoire la décision de non-lieu du parquet de
Paris sur les soldats français accusés de viol en Centrafrique. Le parquet avait estimé que
l’hypothèse des abus ne pouvait être écartée mais que l’ensemble d’éléments recueillis, lors
des investigations ou encore des témoignages ne permettaient pas d’établir les faits
circonstanciés et étayés à l’encontre des militaires. A cela, il faut ajouter dans le cadre
spécifique de l’Afrique noire francophone, et plus précisément en matière électorale, une
décision de la cour constitutionnelle du Bénin. Dans sa décision EL 07-037, en matière des
élections législatives, à la suite de la requête déposée par Messieurs Nestor, Agoli-Agbo,
André Zinzindohoue, et autres, en vue de contester la candidature de Monsieur Désiré
Vodonou, Escro de renommée internationale, condamné en France pour escroquerie. La cour
après audition de ce dernier a dans son dernier considérant, établi que : « les investigations de
menées par la cour en l’état actuel du dossier ne lui permettent pas d’établir que la
condamnation de monsieur Désiré Vodonou est définitive ». Elle a décidé qu’il n’y avait pas
lieu de statuer.
Des développements qui précèdent, il s’ensuit que le désistement tout comme le non-
lieu sont des incidents de procédure qui changent le cours du procès. Ces derniers ont donc
des incidences sur le procès et peuvent produire des effets dont il convient d’examiner.

II- LA PLURALITE DES EFFETS.

Le désistement et le non-lieu sont des incidents de procédure qui peuvent impacter sur
le cours du procès constitutionnel. Une fois intervenue, ils peuvent avoir une incidence sur le
déroulement du procès. Les effets qui en découlent peuvent changer le cours normal du
procès. C’est pourquoi leurs effets devraient faire l’objet d’une analyse sérieuse. Ainsi elle
conduira d’un côté à focaliser, notre attention sur l’interruption du procès (A) et de l’autre, sur
la neutralisation de l’intervention juridictionnelle (B).

43
Article 84 de la Constitution gabonaise révisée du 26 mars 1991.
44
Bikoro Jean Mermoz et Essombe Emile, Le procès constitutionnel au Cameroun, Op.cit. p.265.

99
A- L’interruption du procès.

Le procès constitutionnel se conçoit comme l’ensemble d’opérations formelles qui


conduisent le juge à atteindre la vérité juridique. Pour parvenir à cette vérité, il s’appuie sur
deux articulations importantes qui meublent le procès. Il s’agit de l’instruction et l’instance.
Ces phases importantes peuvent lorsque, les incidents de procédure se posent être
interrompues. C’est pourquoi, il importe dans un premier temps d’analyser l’interruption de
l’instruction (1) et dans un second, l’interruption de l’instance (2).

1- L’interruption de l’instruction.

Dans le langage courant, l’instruction renvoie à l’ensemble d’actions qui concourent, à


donner de nouvelles connaissances et plus loin, un ordre de service donné par un supérieur à
son subordonné45. En droit, tel un caméléon, la notion varie selon les disciplines juridiques.
Ainsi d’après le vocabulaire juridique de Gérard Cornu, que l’on soit en procédure civile ou
encore en procédure pénale, le terme recouvre des significations différentes46.
Dans le procès constitutionnel, l’instruction est essentiellement tournée vers le
contentieux des normes qui fait sa singularité47. Cette singularité ne signifie pas qu’elle n’est
pas aussi prévue dans d’autres matières à l’instar des matières électorales. Il s’agit d’une
phase au cours de laquelle, le juge instructeur désigné, se charge d’apporter les éléments de
preuves nécessaires à éclairer la décision de la juridiction constitutionnelle. L’instruction
apparait ainsi comme une phase incontournable pour parvenir à la résolution des conflits
normatifs. Cette phase n’est pas ignorée de la cour constitutionnelle du Gabon. En effet, la
charge de cette phase est assurée par les juges rapporteurs. Ces derniers sont instruits dans
leurs cabinets48. C’est ce qui résulte de la Décision n°035/CC/du 10 décembre 2006 portant
règlement de procédure de la Cour constitutionnelle en son article 38. Ce dernier dispose en
effet que : « aucune décision ne peut être rendue, aucun avis ne peut être émis si la requête
ou la demande n’a fait au préalable l’objet d’une instruction diligentée par un rapporteur
désigné par ordonnance du Président de la cour constitutionnelle parmi les membres de cette
cour ». Partant de là, il apparait après analyse que l’instruction est une phase préalable voire
incontournable à la suite de laquelle, un rapport est dressé pour servir à la cour dans l’optique
de rendre une décision. Ce pendant cette phase préalable peut faire l’objet d’une interruption.
Cette dernière prend corps lorsque les incidents de procédure sont manifestés. Ainsi, le juge
désigné pour mener l’instruction, lorsque les conditions conduisant à cette interruption sont
réunies et fondées, prend une ordonnance ou encore donne acte au désistement du requérant.

45
Dictionnaire le petit Larousse Illustré, paris, Cedex, p.555.
46
En procédure pénale, l’instruction renvoie aux opérations de recherche menée par le magistrat instructeur dans
l’optique d’identifier l’auteur de l’infraction, sa personnalité les circonstances de la commission de ces
infractions, les conséquences qui en découleront afin de donner suite à l’action publique. En procédure civile, il
s’agit de l’ensemble d’opérations préalables qui visent à éclairer le juge. Le contenu de ces opérations concerne à
titre d’exemple, la communication des pièces, les mesures d’instruction, l’échange des conclusions, les
plaidoiries et les débats.
47
Bikoro Jean, Mermoz et Essombe Emile, Le procès constitutionnel au Cameroun, Op.cit. p.202.
48
Voir Association des Cours Constitutionnelles ayant en Partage l’Usage du Français (ACCPUF), Bulletin n˚
13-Avril 2019, p299.

100
Ces actions ont pour incidences d’arrêter toutes les mesures entreprises en phase d’instruction
dans l’optique de parvenir à la vérité.
La phase d’instruction est donc interrompue et le procès ne peut plus se poursuivre
puisque l’instruction est une phase préparatoire à laquelle le juge rapporteur analyse les
éléments de preuve qui vont éclairer la décision finale. Lorsque qu’une telle phase est
interrompue par les incidents de procédures, cela conduit à empêcher la réalisation optimale
de la décision finale de la cour constitutionnelle. Ainsi dans l’affaire Antoine Mabouana, au
cours de laquelle la cour constitutionnelle gabonaise avait été saisie par ce dernier aux fins de
procéder au remplacement de Madame Honorine Mbenga Conseillère municipale de la
Commune de Bakoumba, il faut dire que ce procès encore en phase d’instruction a
finalement été interrompu par une requête en désistement il est venu mettre un terme au
procès obligeant le juge à ne plus statuer sur l’objet de la première requête. On retrouve
également des cas similaires en matière du contentieux électoral gabonais sans prétendre à
une exhaustivité à travers les Décisions N° 012/CC du 08 mars 1997 relatif à l’élection à l’
Assemblée Nationale, WOULEU, 3ème ; N° 013/CC du 08 mars 1997, relatif à Election à l’
Assamblée National BENDJE, 1er siège ; Décision N°015/CC du 08 mars 1997 au sujet de l’
Election à l’Assemblée Nationale, OGOUE et Lacs 2ème siège, lesquelles illustrent que la
cours constitutionnelle du Gabon n’est pas étrangère à l’interruption du procès en phase
d’instruction. Cette abondance jurisprudence pour la plupart des premières années de la cour
constitutionnelle, renseigne à suffisance que les questions d’interruption du procès, sont
connues.
Au demeurant, il ne faut pas prétendre que lorsque ces effets ne se sont pas produits en
phase d’instruction, le cours normal du procès peut se poursuivre sans incidents. Le procès
renfermant deux phases, ces derniers peuvent se produire à l’instance.

2- L’interruption de l’instance.
L’instance est un moment au cours duquel la juridiction constitutionnelle se tourne vers
l’objet pour lequel elle a été saisie49. Elle est une phase cruciale du procès car c’est à ce
niveau que le juge constitutionnel est appelé à trancher le litige50. Elle diffère de l’instruction
en ce sens qu’elle constitue « la phase ultime et décisive pour faire taire le conflit qui oppose
les parties ». Il s’agit comme le souligne Christophe Albiges de la phase au cours de laquelle
la décision du juge interviendra51. Ces clarifications soulignent fortement la place de
l’instance dans le procès constitutionnel. Seulement cette phase peut faire l’objet d’une
interruption. C’est le cas lorsqu’il y ‘a non-lieu ou désistement.
Ces incidents de procédure conduisent la cour constitutionnelle gabonaise à interrompre
l’instance. C’est à dire interrompre l’action qui la conduira à statuer sur l’objet pour lequel
elle a été saisie. Au-delà de tout, une fois interrompue, le requérant à la possibilité d’engager
une nouvelle action ayant un objet tout autre. Ce droit doit tout de même se réaliser en tenant
compte des délais qui dans la majeure partie des cas sont très courts au point de conduire à
une forclusion ou à la déclaration d’irrecevabilité. C’est ce qui résulte en matière de
49
Tusseau Guillaume, contentieux constitutionnel comparé. Une introduction critique au droit processuel
constitutionnel, Paris, LGDJ, 2021, p.1026.
50
Cornu Gerard, Vocabulaire juridique, op.cit. p.552.
51
AlbigesChristophe, Introduction au droit, Bruxelles, Paradigmes, 2014, p.291.

101
désistement d’instance. Cette hypothèse n’est pas possible en matière de désistement d’action
au cours de laquelle, il y a extinction de ce droit d’agir. L’appréciation des délais et la
maîtrise de la procédure sont donc indispensables en ce sens qu’elles permettent d’un côté en
ce qui concerne le requérant d’introduire ou non une nouvelle requête intuitu la
règlementation en vigueur qui encadre les questions de procédures en procès constitutionnel
Gabonais et de l’autre côté pour la cours constitutionnelle dont les délais en matière de
contentieux constitutionnel sont pour la plupart du temps très bref, d’en tenir compte en
recevant ou non la requête. Des cas d’interruption d’instance se retrouvent en matière
électoral. La Décision n° 2022-5777AN du 22 septembre 2022.
Dans cette récente décision, le conseil constitutionnel français a été saisi par requête à
l’effet d’annuler les opérations électorales. Se fondant sur le décès du requérant en date du 17
Aout 2022, et précisant par ailleurs que « eu égard au caractère personnel de l’action en
matière électorale, ce dernier rend sans objet sa requête », le conseil constitutionnel décidé
de ne pas statuer sur la question.
Par ailleurs comme cela vient d’être démontré, l’un des effets qui provoquent les
incidents de procédure est l’interruption du procès qui s’articule autour de deux points
importants à savoir l’interruption de l’instruction, phase préalable et l’instance, phase
décisive. Cependant il ne faut pas croire que ces effets se limitent uniquement à l’interruption.
Ce serait une perception partielle des incidents de procédure. Ses effets vont au-delà de
l’interruption de l’instruction et de l’instance. Ils recouvrent la juridiction elle-même en le
neutralisant.

B- La neutralisation de l’intervention juridictionnelle.

Dans le procès constitutionnel gabonais, les incidents de procédure peuvent aussi


conduire à neutraliser l’intervention de la cour constitutionnelle gabonaise. Dans sa définition
la neutralisation se conçoit comme le fait empêcher d’agir, par une action contraire qui tend à
annuler les efforts ou les effets. Allant dans ce sens, il convient de faire remarquer que des
incidents de procédure produisent des effets susceptibles d’empêcher l’intervention de la cour
constitutionnelle gabonaise. C’est pourquoi il sied en fin de compte de laisser transparaitre
que la neutralisation de l’intervention juridictionnelle est avérée (1) d’un côté et de l’autre
côté reconnaître que cette neutralisation n’est pas sans justification. C’est à juste titre qu’il
sera question de la justifier (2).

1- Une neutralisation avérée.


Les incidents de procédure ci-dessus évoqués, entrainent après leur manifestation, la
neutralisation avérée de l’intervention juridictionnelle. Cette neutralisation part du fait que les
actes qui provoquent les incidents de procédure, empêchent les juges constitutionnels de
statuer sur la question faisant grief et qui a été portée à son attention. Ainsi une fois
l’intervention des incidents de procédure, les actes entrepris au sein de la juridiction pour le
déroulement du procès constitutionnelle peuvent à un niveau de la procédure s’arrêter. Tout
dépend du moment où l’incident de procédure s’est manifesté. Allant dans ce sens, la
neutralisation peut se faire à deux niveaux.

102
Le premier peut se faire à la phase d’instruction et conduit le juge rapporteur,
généralement désigné par le président de la cour constitutionnelle à l’effet d’instruire
l’affaire52 de l’interrompre. Par cet acte le juge met fin à l’instruction et ainsi, arrête la
poursuite vers l’instance.
Le second peut arriver au stade de l’instance. Ce qui conduit les juges à ne plus statuer
sur le fond mais simplement donner droit à la volonté du requérant. À quelques niveaux où ils
interviennent, les incidents de procédure vont neutraliser d’un côté l’intervention
juridictionnelle, en donnant suite à la volonté de désistement du requérant ou encore
lorsqu’il y ‘ a non-lieu à se prononcer par une ordonnance. De l’autre empêcher la cour de se
pencher à nouveau sur la nouvelle requête du requérant, avec un objet similaire ou identique.
Car les requêtes ont donné lieu à désistement ou encore qu’une ordonnance de non-lieu. Cela
a pour effet, d’empêcher la poursuite de l’affaire soumise au juge, et sa réalisation comme
jurisprudence. Car la neutralisation induit l’arrêt du procès, qui implique à son tour que le
juge ne tranche plus sur le fond de la requête. D’ailleurs le juge constitutionnel béninois que
ce soit dans la Décision EL 07- 037 ou encore français avec la Décision n°2009-21 D du
29juillet 2010 du conseil Constitutionnel français, ont conclu à un non-lieu à statuer. Ce qui a
conduit à la non-poursuite du procès.

2- Une neutralisation justifiée.


La neutralisation de l’intervention juridictionnelle ne se conçoit pas sans une
justification. Le dire c’est exprimer le fait que la neutralisation de cette instance
constitutionnelle à la suite du désistement ou d’une ordonnance de non-lieu trouve des
fondements, lesquelles justifient cette neutralisation. Cette justification est liée d’une part, par
la prise en compte de la volonté du requérant, et d’autre part, en tenant compte de certains
éléments cruciaux qui peuvent freiner le déroulement du procès.
En ce qui concerne le premier cas c’est-à-dire, la prise en compte de la volonté du
requérant, il convient de souligner qu’elle se justifie par le fait que la juridiction consciente du
fait que le requérant, peut revenir en de meilleurs sentiments ou encore que l’intérêt pour
lequel elle a été saisie a disparu, finie par donner suite à sa volonté. En outre, il s’agit pour
elle, de donner suite à l’abandon volontaire de son droit. Dans une telle circonstance cette
perte d’intérêt conduit la juridiction à ne plus poursuivre le procès et le cas échéant, à donner
suite favorable à sa volonté de désister53 à condition qu’elle soit exempte de vices. Bien plus,
il s’agit aussi pour la juridiction constitutionnelle de sanctionner la mauvaise foi du requérant
qui s’est abstenu à produire des éléments complémentaires à son mémoire pendant la période

52
Voir dans ce sens l’article 43 de la Décision n°035/CC/du 10 Novembre 2006 portant Règlement de procédure
de la Cour constitutionnelle qui dispose que : « le président de la cour constitutionnelle désigne les rapporteurs
chargés d’instruire le dossier n conformément aux dispositions de l’article 26 de la Loi organique sur la cour
constitutionnelle. Il ne s’agit pas d’une disposition propre ou spécifique à la cour constitutionnelle gabonaise.
Des dispositions analogues se retrouvent dans l’article 60 de la loi portant organisation et fonctionnement du
conseil constitutionnel camerounais ou encore de l’article 59 de la loi portant organisation et fonctionnement de
la cour constitutionnelle du Benin.
53
Bikoro Jean, Mermoz et Essombe Emile, Le procès constitutionnel au Cameroun, Op.cit. p.260.

103
légale.54 Dans cette hypothèse, la juridiction interprète simplement cet acte comme une
abstention ou encore une négligence et conclu que le requérant a implicitement voulu désister.
Relativement aux éléments cruciaux, le juge constitutionnel peut apprécier comme
volonté implicite de désistement, le fait d’avoir modifié un élément de droit le plus souvent
observable en matière électorale55, ou encore lorsqu’il y’ a démission d’un l’élu. Ce cas
s’observe aussi en cas de décès du requérant ou d’incompétence du juge. Ces éléments étant
des éléments qui ne permettent plus de continuer sereinement le procès, le juge va donc
donner non-lieu à la requête à travers une ordonnance. Laquelle une fois la procédure
terminée fait est classée.

CONCLUSION

Au terme des développements qui précèdent et dont la thématique portait sur les
incidents de procédure dans le procès constitutionnel : le cas de la cour constitutionnelle du
Gabon, il s’est agi en procédant à l’analyse de se demander ce qui caractérise les incidents de
procédure dans le procès constitutionnel gabonais. Suivant cette interrogation, il en résulte
dans le procès constitutionnel gabonais deux caractéristiques majeures : d’un côté une dualité
de figures et de l’autre, une pluralité d’effets. Pour ce qui est de la dualité de figure, il faut
dire qu’elle par du fait qu’en parcourant la législation et la jurisprudence constitutionnelle
gabonaise, le désistement et non-lieu sont les incidents de procédure consacrés. En ce qui
concerne l’autre aspect caractéristique, il convient de dire qu’il est lié au premier et produit
plusieurs effets qui peuvent changer le cours du procès constitutionnel gabonais. Allant dans
cette mouvance, les principaux relevés sont l’interruption du procès au niveau de l’instruction
et de l’instance d’une part et d’autre part, la neutralisation de l’intervention juridictionnelle
qui apparait avérée et justifiée. L’on pourrait se demander si cette caractérisation est
commune aux autres Etats africains ?

54
Ibid. p.261.
55
Ibid.p.264.

104
LA DEMISSION DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE EN DROIT
CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS

Par

François D’assise ASSIGUENA MBARGA


Doctorant en droit public
Université de Douala (Cameroun)

Résumé
Conformément aux dispositions de l’article 6 (4) de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996,
reprise par l’article 142 de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et
complétée par la loi n° 2012/017 du 21 décembre 2012, la démission est un mobile de la vacance du
pouvoir. En droit constitutionnel camerounais, l’idée de démission du Président de le République a
toujours été considérée comme un tabou, car les dirigeants de ce pays se sont inscrits dans la logique
de se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir. Cependant, le constituant a aménagé la
possibilité pour le chef de l’Etat de démission de ses fonctions. Seulement le régime qui aménage ces
fonctions est assez ambivalent dans la mesure où d’une part il est peu précis sur La procédure de
démission, notamment en ce qui concerne les mobiles et la mise en œuvre de la démission. Par contre
il est assez explicite quant aux effets que peut produire un tel acte d’autre part, notamment avec
l’investiture d’un Président Intérimaire et la dévolution du pouvoir au successeur du Président
démissionnaire. Il n’est donc pas exagéré de considérer la question de la démission du Président de la
République au Cameroun comme une situation constitutionnelle insuffisamment aménagée et pourtant
il s’agit bien d’une situation constitutionnelle convenablement envisageable.
Mots-clés : Démission, Président de la République, Droit constitutionnel, Intérimaire,
transition, affaires courantes, alternance.

INTRODUCTION

« Camerounaises, Camerounais, mes chers compatriotes, J’ai décidé de démissionner


de mes fonctions de Président de la République du Cameroun »1. Il est 20h30 lorsque, par ces
mots, le Président Ahmadou AHIDJO, s’adressant à la nation, annonce sa démission de sa
fonction de Président de la République du Cameroun. Premier Président de cet Etat, et
considéré comme le père de l’indépendance, AHIDJO devient ainsi le deuxième Président
noir africain en exercice, après Léopold Sédar SENGHOR du Sénégal 2 à quitter le pouvoir
alors que rien ne l’y contraint si ce n’est sa propre conscience.
Il est constant que les démissions intervenues en Afrique au lendemain des
indépendances, étaient le résultat de calculs politiques savamment pensés par les chefs d’Etat


Mode de citation : François D’assise ASSIGUENA MBARGA, « La démission du président de la république
en droit constitutionnel camerounais », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 105-129.

1
Extrait du discours prononcé par Ahmadou AHIDJO le 4 novembre 1982.
2
Léopold Sédar SENGHOR, premier Président de la République du Sénégal va démission en décembre 1980, et
va céder sa place à son Premier Ministre Abdou DIOUF conformément à l’article 35 de la constitution alors en
vigueur.

105
de cette époque. Certains observateurs avisés de la vie politique africaine ont ailleurs
considéré ces démissions comme une « technique de gouvernement et de transfert d’un
pouvoir néo-patrimonial »3. En effet, la personnification du pouvoir politique dans les
régimes africains postindépendances a permis à certains chefs d’Etat d’utiliser la démission
comme « une technique de ressourcement (leur) permettant de tester (leur) popularité au sein
des masses »4. Elle s’analysait comme une stratégie de perpétuation du pouvoir personnifié. À
travers la menace de démission, le chef d’Etat cultivait une sorte d’hystérie collective
favorable à un regroupement de masse en sa faveur5. Il s’agissait pour lui de renforcer sa
légitimité et d’évaluer le poids de ses soutiens dans le régime. En fait elle était une technique
latente de renforcement du pouvoir présidentiel.
Par ailleurs, le chef de l’Etat et du parti unique intervenait « non pas en spectateur, mais
en acteur (du) déroulement de sa succession (pouvant) même arrêter les opérations
successorales s’il estime que ces dernières ne se déroulent pas conformément à ses vœux »6 ;
ceci faisait de la démission une « cause de vacance du pouvoir présidentiel entraînant la
transmission automatique du pouvoir au successeur désigné »7. Grâce à la technique de
dauphinat constitutionnel, la démission a donc permis à certains chefs d’État, à l’instar du
Président AHIDJO, de « fabriquer de leur vivant un successeur socialisé dans les valeurs du
régime et apte à prendre en charge la continuité de l’œuvre du père-fondateur »8.
Cette approche de la démission volontaire et calculée contraste avec celle observée
aujourd’hui où, dans de nombreux pays africains, la démission du chef de l’Etat est le plus
souvent le fait de contraintes populaires ou militaires. Le contraste naissant entre cette
démission d’antan volontaire et calculée et celles observées ces dernières années sur le
continent noir, laisse éventuellement transparaitre un changement de paradigme dans la
conception du pouvoir politique en Afrique et dans la perception de celui qui incarne ce
pouvoir. Cela pourrait aussi traduire un défaut d’encadrement suffisant de la démission d’un
chef d’Etat en exercice. En effet, le constat selon lequel les constitutions africaines
escamotent un certain nombre de questions n’est pas nouveau9. L’analyse de ces constitutions

3
Lire avec intérêt sur la question, El Hadj MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel
africain (Analyse juridique et impact politique, Thèse de Doctorat d’Etat, Université CHEIKH ANTA DIOP de
Dakar, Faculté de Sciences Juridiques et Economiques, 1991, pp. 242-247 et M. KAMTO, « Le dauphin
constitutionnel dans les régimes politiques africain (les cas du Cameroun et du Sénégal», Penant, 1983, pp. 256-
283.
4
El Hadj MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain (Analyse juridique et impact
politique, Op.Cit., p. 243.
5
Cette technique de gouvernement a été mise en application pour la première fois par le Président BOIGNY qui
avait envisagé publiquement pour la première fois les conséquences d’un changement à la tête de l’Etat ...au
cours du l’IVè congrès du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire en Septembre 1965. Les menaces pesant sur
l'unité nationale encore fragile, la peur des incertitudes devaient créer un mouvement en faveur de son maintien à
la tête de l’Etat. Cf. BAKARY (T. D.), « Logiques du recrutement politique et éventuels changements à la tête
de l’Etat », Revue française d’études politiques africaines, 1985, p.3.
6
ABIABAG (I.), Le Premier Ministre en droit constitutionnel camerounais, Thèse de Doctorat d’Etat en droit,
Université de Paris X-Nanterre, 1978, 410 pages.
7
Idem.
8
Voir EL HADJ MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain : Analyse juridique
et impact politique, Op.Cit., p.82.
9
On en veut pour preuve la pluralité d’étude sur les tabous et les silences des Constitutions en Afrique. Lire dans
ce sens : BIKORO Jean Mermoz, « Réflexions sur un tabou du constitutionnalisme africain : la sante du
Président de la République », in Afrilex, 2020, 32 p. ; On peut aussi citer l’étude du professeur AHADZI-

106
conduit souvent au constat selon lequel les constituants jettent un voile sur un certain nombre
de matières comme s’il s’agissait des maladies honteuses10. Face à cette pluralité de matières
qui sont peu ou pas prises en compte par les normes constitutionnelles, malgré le fait que
celle-ci soit présentée comme un système ayant des réponses à toutes les questions11, la
doctrine constitutionnelle12 tente globalement d’y apporter des compléments et des éclairages.
L’une de ces matières peu prise en compte par la norme constitutionnelle est la
démission du Président de la République. Il serait dès lors tout à fait logique de s’intéresser au
régime de la démission du Président de la République dans le contexte constitutionnel
Camerounais, car dans de nombreux Etats voisins du Cameroun, le Président de la
République à été contraint à la démission. Pour mieux cerner la portée d’une telle thématique,
il importe de préciser au préalable les contours des notions de démission, Président de la
République et enfin droit constitutionnel camerounais dont la clarification conditionne la
compréhension de la présente thématique.
La démission est une notion généralement utilisée en droit de la fonction publique ou
encore en droit du travail pour faire allusion à l’aptitude d’un agent ou d’un fonctionnaire à
rompre sa relation de travail avec la collectivité territoriale ou l’établissement public et de
quitter définitivement son emploi. Cette notion est abondamment définit par des dictionnaires
et lexiques spécialisés. Le Robert la considère comme « l'acte par lequel on se démet d'une
fonction, d'une charge, d'une dignité »13. D’autres dictionnaires spécialisés la définissent
tantôt comme « [l’] acte par lequel on renonce à une fonction ou à un mandat »14, tantôt
comme « [l’] acte par lequel le titulaire d’un mandat ou d’une fonction signifie qu’il ne veut
plus, ou ne peut plus, l’exercer »15 et qui se traduit « par une renonciation, une abdication, un
abandon d'une charge publique ou privée »16. Sur le plan juridique La démission est
considérée comme étant d’une cessation anticipée pour convenance personnelle, cas
d’incompatibilité, péripétie électorale ou désaccord politique d’une fonction. Ces causes
précitées ne sont pas exhaustives17. La jurisprudence en matière sociale en France la considère
comme « un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque

NONOU Koffi intitulée : « Réflexion sur un tabou du constitutionnalisme négro-africain : le tribalisme », in, Les
voyages du Droit, Mélanges en l’honneur de Dominique Breillat, Paris, LGDJ, 2011, pp. 19-26. Enfin, le
professeur Marcelin NGUELE ABADA a fait une communication au colloque de Lomé intitulé « continuité de
la fonction présidentielle et santé du chef de l’Etat », inédit.
10
AHADZI-NONOU (K.) : « Réflexion sur un tabou du constitutionnalisme négro-africain : le tribalisme », Op.
cit. p. 20.
11
ROUSSEAU (D.), « Questions de Constitution », Politique et Sociétés, Vol.19, n°2-3, 2000, p.9.
12
Sur la doctrine constitutionnelle et son apport dans la production, l’interprétation et la systématisation du droit,
lire utilement : JAMIN (Ch.) et JESTAZ (Ph.), La doctrine, Paris, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 2004, 314p ;
Chevallier (J.), « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, n°50, 2002, pp.103-119 ; Picard (E.),
« Science du droit et doctrine juridique », in, L’unité du droit, Mélanges en l’honneur de Roland Drago. Paris,
Economica, 1996, p.122 ; POIRMEUR (Y.) et ROSENBERG (D.), « La doctrine constitutionnelle et le
constitutionnalisme français », in Les usages sociaux du droit, Paris, PUF, 1989, pp. 230-251.
13
Le Robert, Dictionnaire de la langue française, Vol. No.3, p.325.
14
GUINCHARD (S.) et DEBARD (Th.) (dir.), Lexique des termes juridiques, Op. Cit., p. 715
15
M. De VILLIERS, Dictionnaire de droit constitutionnel, 4ème édition, Paris, Armand Colin, 1998-2003, p.
85.
16
El Hadj MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain : Analyse juridique et
impact politique, Op.Cit., p. 239.
17
Jean GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 10e édition, 874p. p.698.

107
sa volonté de mettre fin au contrat de travail »18. Abondant dans le même sens, le Professeur
El Hadj MBODJ soutient que la démission est « un acte librement consenti (…) par lequel le
titulaire d'une compétence manifeste clairement sa volonté de ne plus exercer les prérogatives
qui lui avaient été confiées »19. La définition qui retiendra notre attention ici celle qui
appréhende la démission comme « un acte librement consenti ou imposé par des
circonstances particulières par lequel le titulaire d’une compétence manifeste clairement sa
volonté de ne plus exercer les prérogatives qui lui avaient été confiées »20.
La précision terminologique du terme Président de la République pour sa part
commande qu’il soit appréhendé au préalable celui de Président et ensuite celui de
République. Le terme Président vient du latin « Preasidens »21, et désigne « celui qui préside
une assemblée, un tribunal, une société »22. Le Président est dès lors le titulaire du pouvoir
politique dans la tradition républicaine. La doctrine propose plusieurs sens à cette
terminologie. Au Cameroun, il est perçu comme « le mandataire du peuple »23 et « le chef de
l’Etat »24. Le terme république pour sa part vient du latin « Res publica (c’est-à-dire) la
chose publique »25. « C’est un Etat où le gouvernement est exercé par les représentants de la
nation, élu pour un temps et responsable »26. Il désigne également « un construit juridique
hétérogène au plan formel et matériel »27 à travers les caractères indivisible, démocratique,
laïc et social. Dans le cadre de la présente étude, nous retiendrons, que le Président de la
République est une autorité élue au suffrage universel direct ou indirect, jouissant de pouvoirs
dont l’importance varie suivant les régimes et placée à la tête d’un Etat.
Enfin, le recours à l’expression « droit constitutionnel Camerounais », n’a pas pour but
de réfuter l’idée de l’existence d’un patrimoine constitutionnel commun aux sociétés
démocratiques28 car, la tendance contemporaine du droit constitutionnel est celle de
l’universalisation des valeurs et non celle du relativisme culturel29. Toutefois, il est possible
de distinguer à côté d’un modèle constitutionnel commun à tous les Etats, « l’existence des

18
Cour de cass, soc, 9 mai 2007, n° 05/41944 et Cour de cass, soc, 12 décembre 1991, Bull. civ., n°576. Cité par
TUEKAM TATCHUM (C.), L’intérim du Président de la République dans le nouveau constitutionnalisme des
Etats d’Afrique d’expression française, Thèse de Doctorat/PhD en droit public, Université de Dschang, juin
2015, PP. 53-54.
19
El Hadj MBODJ, La succession du Chef de l’Etat en droit constitutionnel africain : Analyse juridique et
impact politique, Op.Cit., p. 239.
20
ELAT NDAMA (Didier Patrice), La perte du mandat politique en droit constitutionnel Camerounais, thèse de
doctorat PhD en Droit public, université de Douala, février 2024, p.203.
21
Lire à ce propos le dictionnaire encyclopédie, Quillet, nouvelle édition entièrement remaniée, d’après l’édition
original publiée (s/Dir) Raoul MORTIER, Paris, Librairie Aristide Quillet, 278, Boulevard Saint-Germain 1962,
p.4709.
22
Ibid, p.4984.
23
MBPILLE (P-E), Le Président de la République en droit constitutionnel camerounais, thèse de doctorat en
droit public, 2015, FSJP-UYII-SOA Cameroun, p.196.
24
Idem.
25
Idem.
26
Idem.
27
MVAEBEME (E.-S.), La République en droit public Camerounais, thèse de doctorat en droit public, UYII,
FSJP, février 2017, p.41.
28
SINDJOUN (L.), La formation du patrimoine constitutionnel commun des sociétés politiques. Eléments pour
une théorie de la civilisation politique internationale. Série des monographies, Codesria, Dakar, 1998, 72p.
29
SINDJOUN (L.), « Les nouvelles constitutions africaines et la politique internationale : contribution à une
économie internationale des biens politico-constitutionnels », Etudes internationales, vol.26, n°2, 1995, p. 334.

108
modèles constitutionnels qui témoignent à la fois de l’adaptation ou de la tropicalisation des
principes constitutionnels »30. De ce fait, l’expression « droit constitutionnel camerounais »
renvoie à l’idée d’un droit constitutionnel sécrété par le Cameroun et adapté à ses réalités
sociopolitiques. En effet, la lecture du texte constitutionnel camerounais démontre une
certaine originalité, une autonomisation des courants de pensée constitutionnelle31, qui permet
de dénombrer des dispositions atypiques32.
L’étude de la démission du Président de la République en droit constitutionnel
Camerounaise sera ainsi abordée dans une perspective historique et comparative en
s’intéressant aux institutions constitutionnelles et aux normes qui régissent cette situation.
Ainsi, pour mener à bien cette réflexion, la question que nous allons tenter de répondre tout au
long de notre analyse est la suivante : qu’est ce qui caractérise le régime de la démission du
Président de la République en droit constitutionnel Camerounais ?
D’un point de vue théorique, ce sujet renferme un intérêt lié à l’autorité qui incarne la
fonction présidentielle et de ses aptitudes être à la hauteur de la mission qui lui a été confiée
par la nation dont il est l’élu, sous réserve de démissionner sous l’effet de la contrainte. Du
point de vue pratique, au regard de la multiplication des coups d’Etat en Afrique entrainant
généralement une rupture de l’ordre constitutionnel et une situation de crise sociopolitique, la
démission du Président de la République pourrait permettre une transition pacifique du
pouvoir et ouvrir la voie à des élections libres et transparentes offrant ainsi aux citoyens la
possibilité de choisir leur dirigeants de manière démocratique tout en évitant les situations
dramatiques de coup d’Etat ou de révolution populaire. En effet, une démission consécutive à
l’échec d’une politique, à un désaveu populaire ou à des accusations de mal gouvernance
pourrait éviter des manifestations massives, des troubles civiles ou même des tentatives de
coup d’Etat pour renverser le régime en place.
Etant donné que toute approche scientifique d’une thématique requiert une méthode, il
sera fait usage ici du positivisme méthodologique33, c’est-à-dire une méthode qui voit dans le
droit posé, le seul droit susceptible d’être étudié34. Mais il s’agit ici plus précisément de sa
dimension pragmatique35, renvoyant au positivisme sociologique en ce sens que « le
phénomène juridique ne peut être saisi sans que soit prise en compte sa dimension sociale et
politique »36 car, « l’analyse des usages du droit constitutionnel présuppose que les rapports

30
BIKORO (J.M.), Le temps en droit constitutionnel africain: le cas des Etats africains d’expression français,
thèses Ph.D., Université de Yaoundé II, 2017, P. 28.
31
AÏVO (F-J), « La fracture constitutionnelle. Critique pure du procès en mimétisme », in Frédéric Joël AÏVO
(dir.), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ?, Mélanges en l’honneur de
Maurice AHANHANZO GLELE, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 34.
32
SY (D.), « De quelques dispositions atypiques dans les Constitutions africaines », in Frédéric Joël AÏVO (dir.),
La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur à Maurice
AHANHANZO GLELE, Op.Cit., pp. 273-283.
33
CHAMPEIL-DESPLATS (V.), Méthodologies du droit et des sciences du droit, Paris, Dalloz, coll. Méthodes
du droit, 2014, p.11.
34
WALINE (M.), « Positivisme philosophique, juridique et sociologique », Mélanges offerts à Raymond Carré
De Malberg, Librairie Edouard DUCHEMIN, 1977, p. 523.
35
OPPETIT (B.), Philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1999, p. 57.
36
CHEVALLIER (J.), « Pour une sociologie du droit constitutionnel », in L’architecture du droit, Mélanges en
l’honneur de Michel Troper, Paris, Economica, 2006, p. 281.

109
entre pratiques et règles ne sont pas posés en termes d’adhérence »37. Il sera également fait
usage de la méthode comparative car la « connaissance de l’autre, mise en perspective de soi
est leçon de relativité »38.
L’hypothèse retenue dans ce travail est l’ambivalence du régime de la démission du
Président de la République au Cameroun. Cette ambivalence se perçoit à travers la vacuité des
modalités de démission du Président de la République au Cameroun (I) et la définition des
effets cette démission (II).

I. L’AMBIGÜITE DE LA PROCEDURE DE DEMISSION DU PRESIDENT DE


LA REPUBLIQUE EN DROIT CONSTITUTIONNEL CAMEROUNAIS

La démission peut être considérée comme une libération pour certains et un constat
d’échec pour d’autres. De ce fait, elle peut être d’une part positive, quand elle intervient pour
l’honneur ou pour éviter de fragiliser une institution et négative d’autre part si elle est
intéressée ou forcée. Cependant, celle-ci est une véritable hantise pour les dirigeants africains,
ce qui se justifie, « non pas toujours (pour) la sauvegarde de l’institution que ces derniers
incarnent, mais (par) une volonté affirmée de personnaliser le pouvoir en vue de s’y
pérenniser ». Malgré que la démission fasse l’objet d’une consécration par les textes, l’on
observe une sorte de viduité quant aux modalités de mise en œuvre de celle-ci, notamment en
ce qui concerne l’imprécision des mobiles de démission (A) et l’ambigüité de la procédure de
démission (B).

A. L’imprécision des mobiles de démission du Président de la République

En l’état actuel du droit positif camerounais, aucun texte ne précise les mobiles pouvant
entrainer la démission du chef de l’Etat. Il faut donc se référer à la logique, mais surtout à la
pratique pour en déduire. Quoi qu’il en soit, la démission du Président de la République de
façon consciente et éclairée. Cependant, il est des hypothèses où cette démission intervient à
la suite d’une contrainte ; on parle de démission involontaire, parce que le consentement du
chef de l’Etat n’est librement exprimé. En tout état de cause, qu’ils soient volontaire ou non,
l’histoire constitutionnelle du Cameroun et l’actualité africaine ces dernières années nous
enseigne que la démission du chef de l’Etat peut résulter de facteurs à caractère personnel (1)
ou à caractère sociopolitique (2).

1. Les mobiles personnels de démission du Président de la République


Les facteurs personnels sont des éléments essentiels à prendre en compte dans l’analyse
d’une situation, car ils sont susceptibles d’influencer profondément la perception et la réaction
des individus face au droit. Ces facteurs sont donc une composante essentielle pouvant
justifier la démission d’un chef d’Etat en exercice. Ils sont dit personnels parce qu’ils relèvent

37
Ibid., p. 294.
38
KOSSI (S.), Le Parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Essai d’analyse comparée à partir
des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse pour le Doctorat en Droit Public, Université de Lille
2-Droit et Santé, 2008, p. 33.

110
de l’individu dans sa spécificité. En l’absence d’une précision textuelle, l’on va se référer à la
pratique et à la doctrine pour identifier ces facteurs. Il s’agit entre autre de la santé du
Président de la République ou d’un épuisement professionnel.
La santé du Président de la République peut être un facteur déterminant dans sa décision
de démissionner. Des problèmes de santé graves ou des conditions médicales qui affectent sa
capacité à exercer ses fonctions peuvent le pousser à renoncer à son mandat. Cependant, l’on
remarque que la question de la santé du Président de la République participe de ce qu’il est
convenu de nommer « tabou »39 du constitutionnalisme africain. Il ne s’agit pas à proprement
parler d’une spécificité africaine tout comme il ne s’agit pas d’une question récente. L’histoire
nous enseigne qu’en France, le Président de la République Paul DESCHANEL a démissionné
de ses fonctions du fait de la détérioration de son état de santé40. Plus tard, les présidents
Georges POMPIDOU41 et François MITTERAND42 ont été atteints de maladies irréversibles
durant l’exercice de leurs fonctions sans qu’il ne soit mis fin à leur mandat soit par démission
soit par empêchement définitif pour incapacité permanente.
Le terme « santé » renvoie, selon dictionnaire le Robert au « bon état physiologique
d’un être vivant »43 ou encore au « fonctionnement régulier et harmonieux de l’organisme »44.
Il s’agit stricto sensu, de la dimension physique et mentale. Dans un raisonnement a
contrario, on peut considérer qu’il y a détérioration de la santé dès lors que « l’organisme ne
fonctionne pas de manière harmonieuse ou du moins, à partir du moment où une personne
physique n’est pas en bon état du point de vue physiologique »45.
Au Cameroun comme un peu partout en Afrique noire, la question de la santé du
Président de la République a toujours soulevé des difficultés particulières. En effet, les
différents textes constitutionnels camerounais ne font aucunement allusion à l’exigence de
critères de bonne santé à l’instar de l’âge46, de la lucidité ou de la capacité physique. Ainsi,
dans la définition des conditions d’éligibilité à la Présidence de la République, les lois
fondamentales successives du Cameroun sont restées muettes au sujet de l’âge limite d’accès

39
JEANNENEY (J.), Les lacunes constitutionnelles, Paris, Dalloz, Coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses »,
2016, p. 193.
40
Le Président français Paul Deschanel a démissionné de la Présidence de la République le 20 septembre 1920
pour raison de santé soit quelques mois après son élection à la Présidence de la République. Ce dernier souffrait
de dépression c’est la raison pour laquelle la doctrine évoque l’hypothèse de la santé mentale. Lire dans ce sens :
GUGLIELMI (G-J), « Malaise dans la Constitution : l’empêchement du Président de la République », in
www.guglielmi.fr cité par BIKORO Jean Mermoz, Op.Cit. p.4.
41
Les premiers signes de la maladie s’extériorisent au début de son mandat. Mais, c’est en 1972 qu’est établi, le
diagnostic de la maladie de Waldenström qui est une forme de leucémie avancée. C’est cette maladie qui va
ronger le Président Pompidou jusqu’à sa mort le 02 avril 1974.
42
L’ancien Président français souffrait du cancer de la prostate détecté dès 1981. Mais, ce n’est qu’en 1992 qu’il
a décidé de rendre public son état de santé. Avant cette date, il avait ordonné à son médecin Claude GUBLER de
falsifier son bulletin de santé, question d’en faire, un secret d’Etat. Toujours est-il que ce dernier est resté en
fonction quand bien même son état ne le lui permettait plus. Lire dans ce sens : GUBLER (C.), Le grand secret,
Paris, Plon, 1996, 189p.
43
Dictionnaire le Robert, 2005, p. 406.
44
Idem.
45
BIKORO Jean Mermoz, « Réflexions sur un tabou du constitutionnalisme africain : la sante du Président de la
République », Op.Cit., p.7.
46
Le lien qu’on peut établir entre l’âge et la santé du Président de la République est que plus l’âge est avancé
plus les immunités de défense s’affaiblissent. C’est la raison pour laquelle les personnes du troisième âge sont
vulnérables du point de vue de leur état de santé.

111
à la fonction présidentielle ou de l’exigence de bonne santé du candidat à la Présidence de la
République47. De ce fait, au soir de sa présidence, « (AHIDJO) souffre de maux de tête et
d’insomnies. Les cigarettes, l’alcool, les somnifères et les noix de kola émoussent sa mémoire
et son ardeur au travail. Parfois, entendant battre son pouls lors d’une angoisse nocturne, il
craint une crise cardiaque qui le rendrait incapable d’exercer le pouvoir, avant de l’avoir
quitté et sans avoir préparé sa succession »48. Simulation de maladie ou réalité, le Président
estime que le seul argument, qui puisse laisser sans réplique son entourage tétanisé à l’idée de
sa démission est l’évocation d’une maladie grave. Apres un bref séjour en France pour des
raisons sanitaires, le Président va à son retour annoncer sa démission. Aujourd’hui encore,
certains acteurs de la société civile et des partis politiques de l’opposition n’ont pas manqué à
chaque fois d’appeler à la démission du Président Paul BIYA du fait de son âge avancé et des
multiples soupçons de maladie dont il est l’objet et qui sont de nature à altérer ses capacités à
diriger le pays. Tous ces appels ont toujours été battus en brèche par les apparitions du Chef
de l’Etat aux apparences reluisantes.
L’autre facteur personnel de démission peut être un épuisement professionnel. Les
exigences du poste de Président peuvent être extrêmement stressantes et épuisantes. Un
Président peut décider de démissionner en raison d’un épuisement professionnel ou d’une
fatigue mentale dus aux pressions constantes et au poids des responsabilités de sa fonction,
qui rendent difficile pour lui de continuer à assumer ses tâches. Durant son dernier séjour en
France en qualité de chef d’Etat, AHIDJO va avaler une dizaine de pilules devant Guy Penne,
le « monsieur Afrique » de François Mitterrand au cours du repas, se disant surmené, par
l’exorbitance de la tâche49. Tout ceci pourrait avoir contribué à sa décision de démissionner.
A côté de ces facteurs dits personnels, d’autres facteurs ayant un caractère sociopolitique
peuvent entrainer la démission du chef de l’Etat.

2. Les facteurs sociopolitiques de démission du Président de la République


L’actualité politique et constitutionnelle des Etats noirs africains ces dernières années,
laisse transparaitre de nombreuses tensions sociopolitiques qui ont très souvent contraint les
chefs d’Etat en exercice à la démission de façon volontaire ou non. Il peut être question d’un
mécontentement populaire ou encore d’une intervention militaire.
La démission du Président de la République suite à une révolution populaire est un
événement majeur qui témoigne de l’ampleur du mécontentement et de la contestation
populaire. Elle peut être le résultat de l’expression d’une frustration populaire face à des
années de mauvaise gouvernance, de corruption, d’injustice sociale ou de violations des droits
humains. Elle peut également résulter de l’incapacité du Président de la République et de son
équipe gouvernementale à gérer efficacement les problèmes économiques du pays, manifestés
par une récession, une inflation galopante, une mauvaise gestion des ressources publiques ou
des politiques économiques inadaptées. Face à ces situations qui mettent en lumière un
profond malaise social, politique et économique, qui ne peut être ignoré, les citoyens peuvent

47
On peut le démontrer à partir de l’article 6 de la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 modifiée
48
Ahmadou Ahidjo, JA Livres, collection « Destins », Paris, 1994, in www.jeuneafrique.com consulté le 05
février 2024.
49
Idem.

112
exprimer leur mécontentement à travers des manifestations massives, des grèves généralisées
des soulèvements populaires et d’autres formes de contestation. Le Président, en tant que chef
de l’État et responsable de la politique de la nation50, peut se retrouve politiquement isolé,
confronté à une crise de légitimité et incapable de maintenir l’ordre public dont il est le
garant51. Lorsque le mécontentement populaire atteint un niveau critique52, il peut, dans un
geste historique, prendre la décision de démissionner pour permettre l’émergence d’un
nouveau leadership capable de mettre en œuvre des réformes nécessaires pour sortir le pays
de la crise. Cette démission qui symbolise la victoire de la volonté populaire sur un régime
autoritaire ou corrompu, peut être perçue comme un acte de responsabilité politique visant à
restaurer la confiance des citoyens et ouvrir la voie à un processus de transition politique.
L’autre facteur sociopolitique de démission du Président de la République est
l’intervention militaire plus précisément le coup d’Etat militaire. Dans une démocratie, la
désignation du Président de la République par la voie électorale signifie en principe qu’il est
impossible de mettre fin à son mandat avant terme en dehors des cas prévus par la
constitution. Cependant l’actualité en Afrique nous montre que la tendance est à une fin
militairement provoquée du mandat du Président. En effet, s’il est constant que « les fonctions
du président prennent fin par l’arrivée du terme de son mandat »53, force est de constater que
cette règle semble difficilement s’appliquer aujourd’hui en Afrique noire au regard de la
prolifération des changements inconstitutionnels de régimes qui se traduisent le plus souvent
par la prise illégale du pouvoir54, entrainant la démission forcée du Président
démocratiquement élus55. L’Afrique noire semble être le théâtre des opérations 56 de
démissions forcées de Présidents de la République élus démocratiquement à la suite d’un
coup d’Etat militaire. Le coup d’état militaire intervenu au Gabon courant Août 2023 suite à
des soupçons de corruption et de fraude électorale le démontre suffisamment. Il en est de
même au Burkina Faso avec pas moins de deux (02) coups d’Etat57, tout comme au Mali58, en

50
Voir. Article 5 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
51
Article 8 (3) du texte précité.
52
Malgré deux septennats (1992-2005) et deux quinquennats (2005-2015), le Président Blaise COMPAORE qui
souhaitait se maintenir à la tête du Burkina Faso après la fin de sons mandat en décembre 2015 en révisant la
constitution, sera contraint à la démission le 31 octobre 2014 à la suite d’un vaste mouvement de contestation
populaire.
53
Pierre PACTET, Ferdinand MELIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Paris, SIREY, 32ème édition,
2013, p.415.
54
Lire. Ahmed Sidwaouga OUEDRAOGO, « La démission du Président de la République en cas de prise
Illégale pouvoir par les forces armées au Burkina Faso, au Mali, au Niger et en Guinée Conakry » in RRC,
décembre 2023, pp. 13-36.
55
Gabon, Burkina Faso, Mali, Niger, Guinée Conakry etc…
56
« On vit chez les fous ! » Voilà l’analyse profonde qu’Emmanuel MACRON a partagée avec les ambassadeurs,
réunis en conférence annuelle, à propos de ce qu’il nomme une « épidémie de putschs » en Afrique. Et ce, avant
même que ne survienne un nouveau coup au Gabon. https://www.alternatives-economiques.fr/jean-francois-
bayart/afrique-coups-detat-se-suivent-ne-se-ressemblentcompletement/00107972.
57
Le coup d’état militaire du 24 janvier 20200 perpétré par le Mouvement Pour la Patrie, la Sauvegarde et la
Restauration (MPSR 1) et le coup d’état militaire du 30 septembre 2022 par le MPSR 2.
https://www.bbc.com/afrique/region-60125992
58
Le coup d’état militaire du 18 août 2020 par le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) avec à sa tête
Assimi GOÏTA et celui du 24 mai 2021 toujours par Assimi GOÏTA alors Vice-président de la transition.
https://www.courrierinternational.com/article/democratie-au-mali-le-troisieme-coup-detat-dassimi-goita ;

113
Guinée Conakry ou encore au Niger59. Dans tous ces pays, le Président a été contraint par les
militaires à la démission.
La question qui se pose ici est celle de la validité de ces démissions qui ne sont pas la
manifestation d’une volonté, mais le fruit d’une contrainte car avant la démission, il y a
d’abord une privation de liberté du Président de la République élu de sorte à neutraliser toute
forme de résistance. Si l’on constate que les différentes démissions du Président de la
République en Afrique interviennent dans un contexte où ceux-ci ont non seulement perdu la
confiance de leurs populations respectives mais aussi de celle de l’armée, il demeure que
« toute forme d’intimidation ou de contrainte exercée sur le Président pour obtenir sa
démission est illégale »60. Un président déchu à la suite d’un coup d’état et qui a rendu sa
démission peut-il saisi le juge d’un recours contentieux pour contester la régularité de cet acte
de démission ? À ce jour, seul le Président BAZOUM du Niger a saisi les juridictions internes
et communautaires à propos d’atteintes à sa liberté ainsi qu’à celle de ses proches. Le juge
affirmera qu’:« …à l’issue des élections présidentielles qui se sont déroulées au Niger, c’est
le requérant Mohamed BAZOUM qui a été élu démocratiquement Président de la République
comme l’atteste l’arrêt du Conseil Constitutionnel du 21 mars 2021. Il est donc la seule
personne habilitée à se prévaloir de cette qualité…malgré la survenance du coup d’état qui
l’a donc illégalement et donc injustement dépossédé de ses attributions »61. Cependant, face
au succès du coup d’état, la seule alternative au bain de sang est de la démission du Président
qui peut permettre un retour de la paix et à la cohésion sociale. De ce fait, quelque soit le
degré d’illégalité de ces démissions, elles sont pratiquement toutes validées aussi bien par les
instances nationales qu’internationales.
La démission du Président de la République peut enfin résulter de l’échec d’une
politique pour laquelle celui-ci a engagé son avenir dans la fonction. C’est le cas du Général
de Gaulle, premier Président de la Ve République en Français qui avait dû démissionner de ses
fonction le 28 avril 1969, à la suite de l’échec de sa réforme du Sénat et la régionalisation
consécutif au référendum sur le « projet de loi relatif à la création de régions et à la
rénovation du Sénat » tenu le 27 avril 1969. Au Cameroun aucune hypothèse de démission du
Président de la République pour des raisons sociopolitiques n’est enregistrée à ce jour, bien
que, l’on assisté à des manifestations comme en 2008 sur le coût de la vie qui aurait pu
entrainer la démission du Président. Ces dernières années, des membres de l’opposition et de
la société civile estiment que le Président BIYA, au pouvoir depuis plus de 40 ans incarne un
régime autoritaire et corrompu qui entrave le développement du pays. L’on observe donc un
mécontentement croissant des citoyens face à la gestion du pouvoir et aux inégalités sociales
persistantes. En tout état de cause, peu importe le mobile, la démission doit respecter un
certains processus.

59
« Ces dernières années, plusieurs pays du Sahel, déstabilisés par l’insurrection djihadiste dans la région, ont
connu des putschs ayant conduit à l’instauration de juntes militaires : c’est le cas du Niger, mais aussi du
Burkina Faso (deux en 2022), de la Guinée (2021) et du Mali (2020 et 2021) ».
https://www.lemonde.fr/lesdecodeurs/article/2023/09/09/les-coups-d-etat-en-afrique-se-succedent-depuis-2019-
mali-soudanniger_6188565_4355770.html
60
Ahmed Sidwaouga OUEDRAOGO, « La démission du Président de la République en cas de prise Illégale
pouvoir par les forces armées au Burkina Faso, au Mali, au Niger et en Guinée Conakry » Op.Cit., p.
61
Lire l’Arrêt N°. ECW/CCJ/JUD/57/23, affaire Mohamed BAZOUM et deux autres contre Etat du Niger

114
B. L’aménagement approximatif du processus de mise en œuvre de la démission
du Président de la République

L’analyse du processus de mise en œuvre de la démission du Président de la République


nous commande résoudre une double équation : la première est relative à la nature de l’acte de
démission (1) et la seconde porte sur l’entrée en vigueur de la démission (2).

1. La problématique de la nature de l’acte de démission


Il est constant, qu’en matière de démission, le recours à l’écrit est une exigence en
raison de la nécessité de protéger la volonté individuelle du démissionnaire. L’écrit apparait
alors comme une véritable exigence de forme nécessaire pour permettre l’appréciation de la
sincérité de l’acte de démission.
La question qui se pose ici est celle de savoir : quelle est la nature de cet acte ? Une
lettre ou un message ? Le constituant camerounais, à l’instar de ses homologues Africains ne
s’est explicitement pas prononcé sur la question. Pour avoir une réponse à cette interrogation,
il est nécessaire de recourir à la doctrine et à la loi. En effet, pour Adhémar ESMEIN, « le
message, est un acte que le Président accomplit en vertu des pouvoirs qu’il détient de la
Constitution ; il constitue un exercice même de ces pouvoirs. La démission au contraire est un
acte éminemment personnel par lequel le citoyen investi de la présidence l’abdique, dépose
les pouvoirs qu’elle entraine »62. Par conséquent, l’auteur opte, à l’instar des Professeurs
BARTHELEMY et DUEZ63, pour une lettre de démission.
Cependant, le message demeure important, car il permet au Président de la République,
en vertu de la prérogative qui lui est reconnu d’adresser des messages à la nation, de porter à
la connaissance du peuple qui l’a élu sa décision de démissionner. Ainsi, la lettre de
démission doit être précédée par un message du chef de l’Etat annonçant à la nation sa
démission. Le code électoral camerounais dispose d’ailleurs à cet égard que « En cas de
vacance de la Présidence de la République pour cause de démission, le Président
démissionnaire en informe la Nation par voie de message.»64.
Ce message, est d’une importance singulière en démocratie à partir du moment où le
chef de l’Etat est l’élu de la nation. Cette dernière est en droit d’être officiellement informée
sur les raisons qui ont amené son représentant suprême à quitter le pouvoir afin d’assurer la
transparence et la légitimité du processus. Bien qu’il s’agit plus d’une exigence politique que
juridique, elle demeure fondamentale pour garantir une transition politique pacifique et
légitime. En somme, On parlera de démission lorsque la volonté de démissionner a été
manifestée de manière claire, certaine et sans équivoque par le biais d’un message adressé à la
nation et d’une lettre remit aux autorités compétentes.

62
ESMEIN (A.), Traité de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1928, p. 244
63
BARTHELEMY (J.) et DUEZ (P.), Traité de droit constitutionnel, (édition de 1933), Paris, Economica, 1985,
p. 615 cité par El Hadj MBODJ, op. cit., p. 239.
64
Article 143 de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral, modifiée et complétée par la loi n°
2012/017 du 21 décembre 2012

115
Cette conception de la forme de l’acte de démission exclut l’idée même d’une
démission verbale ou orale du chef de l’Etat. Le constituant l’a d’ailleurs implicitement
évincé puisqu’il exige qu’une lettre de démission soit remise au juge constitutionnel pour
constater et ouvrir la période d’intérim, ce qui suppose un écrit et par conséquent la nullité de
la démission orale.

2. L’entrée en vigueur de la démission du Président de la République


L’entrée en vigueur de la démission du chef de l’Etat pose le problème de l’autorité
adressataire (a) et de l’effectivité de l’acte de démission (b).
a. L’autorité adressataire de l’acte de démission
L’autorité adressataire est celle qui est juridiquement compétente pour recevoir la lettre
de démission. En règle générale, la démission est adressée à une autorité supérieure. Cette
formalité conditionne d’ailleurs la validité d’une démission. Or, dans les régimes africains, le
chef d’Etat est l’autorité suprême. A qui adressera t-il alors sa lettre de démission ? Qui est
destinataire de l’acte de démission ? Le corps électoral tout entier, le juge constitutionnel, le
Chef du Gouvernement ou alors un autre organe constitutionnel ? Logiquement, La solution
serait que le destinataire de la démission soit l’autorité dont émane le pouvoir, c’est-à-dire le
peuple. C’est certainement dans cette logique que le message de démission est agressé à la
nation conformément à l’article 143 (1) du code électoral du Cameroun qui dispose qu’ « En
cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de démission, le Président
démissionnaire en informe la Nation par voie de message ». C’est, semble-t-il cette logique
qui a prévalue lors de la démission de Ahmadou AHIDJO. Seulement, ce message, comme
souligner plus haut n’est pas la formalité qui valide une démission, il doit être suivi d’une
lettre.
Plusieurs hypothèses peuvent être émises. Dans un premier temps, l’on pourrait
logiquement penser que la lettre de démission du Président de la République peut être
adressée au président de l’Assemblée Nationale. En effet, conformément à la loi
constitutionnelle Camerounaise, « le serment (du Président de la République) est reçu par le
Président de l’Assemblée Nationale »65. Le serment, étant l’acte par lequel le Président prend
officiellement fonction, le principe de parallélisme de forme pourrait amener à penser que
l’autorité par qui le Président a pris fonction soit également la même par qui il quitte ses
fonctions en cas de cessation prématurée, notamment de démission.
Une autre hypothèse pourrait nous amener à reconnaitre en le Président du conseil
constitutionnel l’autorité adressataire de la lettre démission du chef de l’Etat. Le conseil
constitutionnel est l’instance compétente en matière constitutionnelle66. Les questions liées à
la démission du Président de la République étant des questions éminemment
constitutionnelles, l’on pourrait déduire du silence de la constitution que l’autorité
adressataire de la démission serait le juge constitutionnel. C’est d’ailleurs la position adoptée

65
Art. 7 al 2. De la loi constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996, modifié et complétée par la révision
du 14 Avril 2008.
66
Voir art. 46 de la loi constitutionnelle précitée ; lire également Loi N° 2004_004 du 21 avril 2004 portant
organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel.

116
par le législateur Camerounais, lorsqu’il dispose que « En cas de vacance de la Présidence de
la République pour cause de démission, le Président démissionnaire (…) remet (…) sa
démission au Président du Conseil Constitutionnel qui en adresse copie au Président du
Sénat »67.

b. L’indétermination textuelle de l’effectivité de la démission du Président de la


République
Le second problème que pose l’entrée en vigueur de la démission porte sur l’effectivité
de celle-ci, plus précisément le moment exact où la décision commence à s’appliquer. Il faut
noter d’entrée de jeu que tant que la démission n’a pas été communiquée au conseil
constitutionnel, elle est réputée n’être pas intervenue. La problématique liée à l’effectivité de
la démission du Président est très fluctuante au Cameroun. En effet, Jusqu’en 1969 la réponse
est précise, dans le sens où l’ordonnance de 1962 ne laissait subsister aucun doute sur
l’interruption de la fonction présidentielle du fait de la démission de son titulaire. Cette
interruption intervenait immédiatement après la déclaration de démission. La révision
constitutionnelle de 1969 va apporter une sorte d’ambigüité sur la question. Elle a créée une
incertitude sur la notion même de démission, et par voie de conséquence sur ses effets.
L’article 10 (b) nouveau de cette constitution affirme clairement qu’« en cas de vacance de la
Présidence par démission, la démission ne devient effective que le jour de la prestation du
serment du nouveau Président ». En d’autres termes, le président de la République
démissionne mais reste en fonction, il continue d’assumer les fonctions présidentielles. En
réalité, cette disposition vient ôter la démission des mobiles de la vacance, pour en faire une
cause d’extinction du mandat68. Cette ambigüité, qui sera réaffirmée par la constitution du 2
juin 197269, va néanmoins être levée par la révision constitutionnelle du 29 juin 1979 70. Ce
retour à « l’orthodoxie constitutionnelle »71 sera confirmé et maintenu par les différentes
révisions constitutionnelles72.
La question qui demeure ici est celle de savoir si un Président de la République
démissionnaire peut fixer le délai, la date d’entrée en vigueur de sa démission ? La pratique
camerounaise semble aller dans ce sens. En effet, la lettre de démission du président Ahidjo
lue par ce dernier sur les ondes de la radio nationale le 04 novembre 1982 précisait qu’elle
sera effective le 06 novembre à 10heures, soit un délai de 48 heures. Cependant, si la
procédure de démission se caractérise par son extrême souplesse, et qu’aucune exigence
juridique ne s’impose en matière de délais de démission, fort est de reconnaitre qu’en toute

67
Art 143 de la loi N° 2012/001 Du 19 Avril 2012 Portant Code Electoral.
68
KENFACK TEMFACK (E.), « La vacance de la Présidence de la République en droit constitutionnel
camerounais », in afrilex, novembre 2018, pp.1-29.
69
Article 7 al. c : En cas de la vacance de la présidence par démission, celle-ci ne devient effective que le jour de
la prestation du serment du nouveau Président élu. Le scrutin pour l’élection du nouveau Président a lieu vingt
jours au moins et cinquante jours au plus après l’ouverture de la vacance. Le Président de la République prête
serment dans les formes fixées par la loi.
70
En cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d'empêchement
définitif constaté par la Cour Suprême, le premier ministre est immédiatement investi des fonctions de Président
de la République pour la période qui reste du mandat présidentiel en cours.
71
Ibidem.
72
Cf. art. 6 al.4 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, modifiée le 14 avril 2008.

117
logique, la démission à terme, c’est-à-dire celle qui fixe sa date d’entrée en vigueur devrait
être interdite afin d’éviter les risques de rétractation ou alors qu’une autorité annonce
officiellement qu’elle démissionne et se donne un délai pour quitter le pouvoir73. Ainsi, la
date d’entrée en vigueur de la démission devrait être celle de la publication car même un délai
bref de quelques heures pour plier bagages peut laisser planer une incertitude malsaine.

II. LA DEFINITION DES EFFETS DE LA DEMISSION DU PRESIDENT DE LA


REPUBLIQUE AU CAMEROUN

Dès lors qu’elle devient effective, la démission du Président de la République va


entrainer automatiquement la vacance de la fonction présidentielle. Cette vacance va donner
lieu à l’ouverture d’une période de transition (A), qui va déboucher sur l’organisation
anticipée de l’alternance au sommet de l’Etat (B).

A. L’ouverture d’une période de transition

La transition désigne un moment intermédiaire entre l’ancien régime déclaré caduque en


raison d’une situation de vacance, en l’occurrence la démission, et un nouveau régime à
élaborer. Elle peut donc être considérée comme « l’intervalle entre un régime politique et un
autre »74, ou encore comme « un laps de temps délimité à chaque intervalle par l’existence
d’un régime politique présumé stable »75. Pour que cette transition soit une réussite et
débouche sur une stabilisation des institutions et de la vie nationale, il est requis l’intervention
d’un Président de transition nommé intérimaire (1) dont la mission consiste à garantir la
continuité de l’Etat (2).

1. L’investiture d’un Président de transition : l’intérimaire


Par la réforme constitutionnelle de 1996, le constituant camerounais a rompu avec
l’ordre constitutionnel antérieur, marqué par le choix du président de l’Assemblée nationale
comme président de la République par intérim en cas de vacance. L’article 6 al.4 (a) proclame
à cet effet que « L’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu'à
l'élection du nouveau Président de la République, par le président du Sénat ».
En effet, en affirmant que « la seconde chambre parlementaire se présente en fait
comme un lieu d’élaboration pacifique des compromis politiques (…) »76, Le Professeur
KEUTCHA TCHAPNGA manifeste déjà le rôle centrale que cette institution et plus encore
son Président doit jouer en temps de crise. En effet, le faible engagement politique du Sénat
qui se perçoit à travers sa fonction « régulatrice, pondératrice et stabilisante »77, favorise
grandement la neutralité de l’institution et, par conséquent, celle de son Président. Grâce à

73
Même si c’est ce qu’a fait le Général DE GAULLE lorsque le 28 avril 1969 il fait la Déclaration suivante : «
Je cesse d’exercer mes fonctions de Président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ».
74
Idem.
75
Idem.
76
KEUTCHA TCHAPNGA (C.), « Droit constitutionnel et conflits politiques dans les États francophones
d’Afrique noire », RFDC, 2005/3, n° 63, p. 462.
77
MOUANGUE KOBILA (J.), op. cit., p. 298.

118
cette neutralité, le Président du Sénat, à la différence du président de l’Assemblé Nationale,
est l’autorité la plus indiquée pour mieux gérer l’intérim présidentiel. Par ailleurs,
l’impossibilité de dissoudre le Sénat est une garantie supplémentaire fréquemment utilisée
pour assurer la stabilité et permet à son président d’assurer en toutes circonstances la
continuité de la fonction présidentielle et par ricochet de l’Etat. In fine l’expérience, la
neutralité et la stabilité dont bénéficie le président du Sénat, font de lui l’autorité la mieux
outillé pour gérer les situations de vacance du pouvoir. L’ancien Président du Sénat français,
Alain POHER, notait alors que « si l’Assemblée Nationale reflète les frémissements du pays,
le Sénat représente la durée, la sagesse stable, la modération, la liaison nécessaire entre les
générations et les styles »78.
Cependant, La démission du Président de la République, intervenue sous l’action d’une
contrainte militaire, n’obéit pas à cette logique constitutionnelle d’investiture de l’intérimaire.
Elle engendre plutôt un « intérim pathologique »79 dans la mesure elle constitue un mode
aconstitutionnel de changement de gouvernement80 D’entrée de jeu, il faut relever que la prise
illégale du pouvoir s’accompagne généralement de la dissolution des institutions qui doivent
naturellement assurer la vacance du pouvoir. La constitution pour sa part est généralement
reléguée au second rang de la hiérarchie normative de l’Etat, car l’accession au pouvoir de
« Putschistes » est souvent suivie de l’adoption d’une Charte de transition qui implique que la
loi fondamentale existante s’applique tant qu’elle n’est pas contraire à ladite Charte 81. Au
préalable, les « putschistes » vont choisir parmi eux celui qui va présider la transition. Ainsi,
au Mali la gestion de la vacance du pouvoir est revenue au Comité National pour le Salut du
Peuple (CNSP), dont le président est le colonel Assimi GOÏTA et au Niger, il sera confié
Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) présidé par Abdourahamane TIANI.
Quoi qu’il en soit peu importe la forme par laquelle il accède à la magistrature suprême,
l’intérimaire, pour entrer en fonction doit prêter serment. Le serment correspond à l’
« Engagement solennel de comportement d’une personne, lors de la prise de ses fonctions »82.
En effet, Dans sa décision du 9 juin 2009 relative à la constatation de la vacance de la
Présidence de la République suite au décès du Président Omar BONGO, la Cour
constitutionnelle gabonaise déclare que : « l’exercice des fonctions du Président de la
République étant assujetti à la prestation préalable du serment prévu à l’article 12 de la
Constitution, le Président du Sénat Madame Rose Francine ROGOMBE, prêtera serment le
10 juin 2009, en présence du Parlement et de la Cour constitutionnelle ». Le serment se
présente dès lors comme une formalité préalable et substantielle à l’exercice de la fonction
présidentielle et qui parachève le rituel d’investiture. Il confère à l’intérimaire la posture d’un
véritable chef d’Etat. Suivant l’avis de Stéphane BOLLE, le serment présidentiel a une valeur

78
POHER (A.), Discours sur le centenaire de la République, 1970.
79
SALAMI (D.I.), « Le Chef d’Etat de transition en Afrique », in RBSP, 2017, pp.1-47.
80
TCHEUWA Jean-Claude, « L’union africaine et les changements anti constitutionnel de gouvernement »,
RRJ, Droit prospectif, PUAM, 2009, n°2, pp.995-1022.
81
Ainsi, l’article 25 du Décret n°2020‐0072/PT‐RM du 1er octobre 2020 proclame que ; « En cas de contrariété
entre la Charte de la Transition et la Constitution du 25 février 1992, les dispositions de la présente Charte
s’appliquent ».
82
AVRIL (P.) GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, Op.Cit. P.136

119
préventive83. Il se présente comme « une exigence du droit qui réalise l’investiture du
nouveau détenteur de la fonction présidentielle et manifeste l’acceptation de la fonction et des
devoirs qu’elle comporte »84. Cette investiture confère au Président intérimaire des
prérogatives qui vont lui permettre de garantir la continuité de l’Etat à travers la gestion des
affaires courantes.

2. La mise en œuvre par le Président intérimaire des mécanismes de continuité de


l’Etat
La continuité de l’État, fait référence à la capacité d’un État à maintenir le
fonctionnement normal de ses institutions et ses services essentiels en cas de crises, de
catastrophes naturelles, de conflits ou de changements politiques majeurs. Elle renvoie à
l’« Ensemble des moyens juridiques destinés à préserver la permanence de la vie
nationale »85. C’est sans doute la raison pour laquelle le doyen Roger BONNARD pense que
la continuité consiste en ce que ; « malgré les changements dans les institutions de l’Etat et
les changements de personnes, malgré une transformation complète de l’organisation de
l’Etat, l’Etat survivrait sans interruption, ni même de novation, restant toujours identique à
lui-même »86. Ainsi, la continuité de l’Etat renvoie à « l’absence d’interruption »87 dans son
fonctionnement et implique « la continuité de la vie nationale »88. Dès lors, pour garantir la
continuité de l’Etat à la suite de la démission du Président de la République, la loi
constitutionnelle donne compétence au Président intérimaire d’expédier les affaires courantes.
Les affaires courantes désignent les activités et décisions administratives nécessaires au
fonctionnement régulier de l’État pendant une période transitoire, notamment en cas de
vacance de la Présidence de la République. Il s’agit de la « Compétence limitée d’un
gouvernement démissionnaire, en attendant qu’il ait été pourvu à son remplacement »89. Cette
notion renvoie encore aux « Questions auxquelles doit se limiter un gouvernement
démissionnaire après le vote d’une motion de censure ou le rejet d’une question de confiance.
Il expédie les affaires courantes et ne peut engager des actions nouvelles »90. Il est question
ici des tâches et responsabilités habituelles qui doivent être assurées pour garantir la
continuité des services publics et la gestion quotidienne des affaires de l’État. Dans ses
conclusions relatives à l’arrêt Syndicat National des quotidiens d’Algérie, le Commissaire du
gouvernement Jean DELVOLVE soutient que parler d’affaires courantes, revient à
caractériser « la compétence exceptionnelle d’un gouvernement dont les pouvoirs ne reposent
plus que sur les nécessités de l’Etat »91. Le conseil d’Etat belge92 va classifier les actes

83
BOLLE (S.), Le nouveau régime constitutionnel du Bénin. Essai sur la construction d’une démocratie
africaine par la Constitution, thèse de doctorat en droit, Montpellier I, 13 décembre 1997.
84
TUEKAM TATCHUM (C.), thèse précitée, p.166.
85
AVRIL (P.) GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, Op.cit, p.35.
86
BONNARD (R.), « les actes constitutionnels de 1940 », Op.Cit. p56.
87
DE VILLIERS (M.), LE DIVELLEC (A.), Dictionnaire de droit constitutionnel, Op.Cit., p.85.
88
Idem.
89
AVRIL (P.) GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, 4e éd, PUF, 14e mille, P.6.
90
GUINCHARD (S.) DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, 25e éd, Dalloz, 2017-2018, p. 120.
91
CE, Ass, 4 février 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, S., 1952, III, p. 49, conclusions
DELVOLVE.

120
relevant des affaires courantes en deux catégories : les affaires ordinaires et les affaires
urgentes.
Les affaires ordinaires renvoient non seulement aux « affaires qui affluent
régulièrement et dont le règlement, encore qu’il puisse laisser place à l’exercice d’un certain
pouvoir discrétionnaire, n’implique pas de décision sur la ligne politique à suivre »93 ; mais
également aux affaires « à propos desquelles la décision constitue le prolongement et
l’aboutissement de procédures entamées antérieurement »94. Elles sont entamées in tempore
non suspecto, et réglées sans précipitation particulière95.Les affaires urgentes quant-à-elles
désignent les affaires « pour lesquelles un retard dans leur solution serait générateur de
nuisances pour tout ou partie de la collectivité »96, voire « risqueraient de causer un
préjudice irréparable à la collectivité »97. Dans cette hypothèse, le Président intérimaire peut
aller jusqu’à traiter des « affaires de Gouvernements »98, littéralement des « [affaires] de
gouvernement qui [impliquent] des options dont l’importance sur le plan de la politique
générale est par essence telle que [ces affaires] ne [peuvent] être décidée[s] que par un
Gouvernement dont il faut admettre qu’il gouverne avec l’appui d’une majorité au Parlement
»99.
Cependant, il convient de relever que cette classification des actes accomplis en période
de transition ne s’applique pas lorsqu’il y a rupture de l’ordre constitutionnel, notamment en
cas de démission contraignante du chef de l’Etat du fait des forces armées. Le Président de
transition désigné en marge de la constitution exerce la quasi-totalité des pouvoirs reconnus à
un chef d’Etat normal. Bien plus, il exerce les autres pouvoirs dont la charte de transition lui
donne compétence. Il va donc bien au-delà de la simple gestion des affaires courantes, pour
prendre des actes d’envergure politique qui peuvent engager l’Etat. Il peut entre autre,
nommer des ambassadeurs, des officiers supérieurs des forces armées, y compris les officiers
généraux, il peut également nommer aux emplois civils. La raison qui peut être avancée pour
justifier l’exercice de ces pouvoirs est qu’il doit maintenir ou rétablir l’ordre public et parfois
la souveraineté de l’Etat, et atteindre les objectifs de sortie de crise. En période de crise, ses
pouvoirs sont quasi-illimités, il exerce une sorte de « dictature de salut public ».

92
Le Conseil d’Etat a admis la limitation des pouvoirs d’un gouvernement démissionnaire. C.E., 21 juin 1974,
associations des industries chimiques de Belgique, n° 16.490; C.E., 14 juillet 1975, association du personnel
wallon et francophone des services publics, n° 17.131. Il a par la suite présenté plusieurs catégories d’actes
pouvant être adoptés en période d’affaires courantes : C.E., 9 juillet 1975, Berckx, n° 18.291.
93
C.E., arrêt Ory, n° 47.691 du 31 mai 1994. Voire aussi WIRTGEN (A.), « Réflexions sur la notion d’affaires
courantes. Obs. sous C.E., a.s.b.l. Syndicat des Avocats pour la Démocratie, n° 214.911,
94
WEERTS (S.), « La notion d’affaires courantes dans la jurisprudence du Conseil d’Etat », Op. cit., p. 114.
Voir aussi C.E., arrêt Berckx, n° 17.128 du 9 juillet 1975.
95
WIRTGEN (A.), « Réflexions sur la notion d’affaires courantes. Obs. sous C.E., a.s.b.l. Syndicat des Avocats
pour la Démocratie, n° 214.911, 31 août 2011 », op. cit., p. 295.
96
WEERTS (S.), « La notion d’affaires courantes dans la jurisprudence du Conseil d’Etat », op. cit., p. 114.
Voire aussi C.E., arrêt Ville de Bruxelles, n° 20.933 du 5 février 1981.
97
UYTTENDAELE (M.), Trente leçons de droit constitutionnel, 2e éd., Op. cit., p. 470 ; A. Wirtgen, «
Réflexions sur la notion d’affaires courantes. Obs. sous C.E., a.s.b.l. Syndicat des Avocats pour la Démocratie,
n° 214.911, 31 août 2011 », op. cit., p. 295. Voy. aussi C.E., arrêt Rijmenans, n° 220.717 du 24 septembre 2012 ;
C.E., arrêt Leclercq, A/46.028 du 31 mai 1994.
98
UYTTENDAELE (M.), Trente leçons de droit constitutionnel, 2e éd., Op. cit., p. 471.
99
Idem.

121
Somme toute, qu’il soit désigné conformément à la constitution ou en marge de celle-ci,
le Président intérimaire doit garantir le fonctionnement ininterrompu de l’Etat en assurant
l’intégrité du territoire, l’indépendance, la souveraineté et l’unité nationale, et en garantissant
aux citoyens les services de base. Il doit également aménager tous les moyens nécessaires à
l’organisation des élections et à la dévolution du pouvoir.

B. L’organisation de l’alternance au sommet de l’Etat

« Quelle que soit la stature d’un homme, il est néfaste pour la démocratie qu’il reste au
pouvoir trop longtemps et qu’il finisse par s’identifier à l’État aux yeux des citoyens »100. Ce
propos du Professeur Bernard CHANTEBOUT rend compte de la nécessité de l’alternance
dans les processus démocratiques. Malheureusement en Afrique, « la plupart des présidents
ont considéré qu’une fois au pouvoir, ils avaient vocation à le conserver indéfiniment »101. Il
faut donc l’intervention de facteur facteurs naturels et/ou sociopolitiques pour interrompre le
mandat du chef de l’Etat et procéder à une alternance. La notion d’alternance est un concept
qui vient du latin « alternare » qui signifie faire tour à tour une chose puis une autre. Le
Dictionnaire Robert définit l’alternance comme la « succession répétée dans l’espace ou dans
le temps qui fait réapparaître tour à tour, dans un ordre régulier, les éléments d’une série…
»102. Elle désigne donc « le chassé-croisé entre l’opposition et la majorité au pouvoir dans le
respect des règles constitutionnelles en vigueur. Se manifeste de façon claire, la capacité
d’intervention du corps électoral dans le choix des gouvernants et, par là même atteste le
choix des libertés publiques et politiques. De même, l’acceptation de cette règle par les
partis, en cas d’échec électoral, signale leur acquiescement au crédo démocratique »103. Elle
renvoie encore à « la faculté juridiquement organisée pour des partis politiques ayant des
projets de société différents de se succéder au pouvoir par le jeu des règles démocratiques de
dévolution et d’exercice du pouvoir fondé sur la souveraineté du peuple »104. L’histoire
constitutionnelle africaine en générale et camerounaise en particulier nous révèle que, pour
parvenir à une alternance politique au sommet de l’Etat, la démission très souvent été le
moyen utilisé. Pour que cette alternance soit donc effective dans le contexte démocratique, il
est requis l’organisation des élections anticipées (1) et une dévolution du pouvoir au
vainqueur de cette élection (2).

1. l’organisation d’élections anticipées


L’élection anticipée désigne une élection provoquée par une personne ou un corps légal
institué par les normes internes avant la fin du terme d’un mandat, c’est-à-dire avant la fin de
la période devant normalement séparer deux élections pour les mêmes postes. Plus

100
CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel et science politique, Paris, Armand Colin, 1988, p. 617.
101
CONAC (G.), « Quelques réflexions sur le nouveau constitutionnalisme africain », disponible sur
http://www.la- constitution-en- afrique.org.
102
Voir la revue « Pouvoirs », 3ème éd. 1984, article de Leo HAMON p.19. Il faut préciser que les dictionnaires
empruntent des exemples à la botanique et à l’agriculture pour illustrer le concept d’alternance.
103
BADIE (B.), BIRNBAUM (P.), BRAUD (PH.), HERMET (G.), Dictionnaire de science politique et
institutions politiques, 7ème édition, revue et augmentée parue aux éditions Armand Colin, 2010.
104
FALL (I.), Sous-développement et démocratie multipartisane. L’expérience sénégalaise, N.E.A, Dakar,
Abidjan, 1977, P.71.

122
précisément, l’élection est anticipée en raison de la déclaration de la vacance au poste de
Président de la République. Dans ce cas, l’élection ainsi programmée déroge au principe de
renouvellement du mandat qui devrait intervenir à la fin prévue par le calendrier électoral. La
démission du Président de la République de ses fonctions étant un mobile de vacance ouvrant
une période de parenthèse au cours de laquelle l’on observe des dysfonctionnements
politiques et institutionnels, il semble opportun d’anticiper l’organisation des élections pour
combler ce vide. La démission étant susceptible d’entrainer une crise sociopolitique pour le
positionnement en vue de la conquête du pouvoir, il semble dès lors important pour le
président intérimaire de pacifier la scène politique à travers la mise en œuvre d’un consensus
(a) avant la tenue des opérations électorales (b) afin d’éviter des contestations sur la
crédibilité des résultats, pouvant entrainer une crise postélectorale.
a. L’établissement d’un consensus politique
Le consensus, en tant que procédé démocratique de décision apparaît comme un facteur
d’émergence de l’alternance démocratique. D’ailleurs, Adeltif MENOUNI s’intéressant à
l’alternance, relevait qu’elle est avant tout fille du consensus politique105. Présenté comme «
un accord au sein d’un groupe, d’un parti, d’une nation…qui se fait entre la plupart des
membres, expressément ou tacitement, sur l’action à mener, la politique à suivre, l’échelle
des valeurs admises… »106, le consensus politique réalisé a pour conséquence principale
d’introduire de nouveaux modes de dévolution et d’exercice de pouvoir, fondés sur le respect
des règles constitutionnelles. Le Professeur Luc SINDJOUN, le percevait comme
l’acceptation d’un changement politique, d’une transition qui marque le passage de
l’autoritarisme à la démocratie par l’adoption soit d’une nouvelle Constitution, soit la
réécriture de l’ancienne Constitution prenant en compte les aspirations nouvelles des sociétés
politiques et civiles africaines francophones107.
Le choix opéré en faveur de la démocratie pluraliste a fait du consensus politique un
critère fondamental permettant aux acteurs politiques de parvenir à un accord sur
l’établissement des institutions et du droit tout en excluant l’usage de la violence108. Ainsi, « à
partir du moment où les acteurs du jeu politique, tous ensemble, ont accepté de s’ouvrir au
pluralisme et à la démocratie libérale, le consensus devient le cadre fondateur des pouvoirs

105
MENOUNI (A.), « L’alternance et la continuité de la politique de l’État. Cas des États-Unis, de la Grande-
Bretagne et de la France », RFSP, volume 36, n° 1, février 1986, p. 96. Ce qui à l’évidence sous-entend que
l’alternance en tant que critère déterminant d’un système politique démocratique ne peut que s’inscrire dans la
nouvelle dynamique institutionnelle. Elle ne saurait ébranler, ni même remettre nullement en cause les
fondements d’un système politique.
106
Voir Le Lexique de politique, op.cit. p.106. Voir aussi DE VILLIERS (M.) et LE DIVELEC (A.),
Dictionnaire de droit constitutionnel, Sirey, 8è édition, 2011. Selon ces auteurs, le consensus est une procédure
qui consiste à dégager un accord sans procéder à un vote formel, ce qui évite de faire apparaitre les objections et
les abstentions.
107
SINDJOUN (L.), « Les pratiques sociales dans les régimes politiques africains en voie de démocratisation :
hypothèses théoriques et empiriques sur la « paraconstitution » », in Massimillano MONDELLI, (sous la
direction de), Les défis de l’État en Afrique : Édition internationale, Paris, L’Harmattan, 2007, Centre de
Recherche et de Formation sur l’État en Afrique, p. 59.
108
RIVERO (J.), « Consensus et légitimité », Pouvoirs, n° 5, 1978, p. 660 et suivantes ; PACTET (P.), MÉLIN-
SOUCRAMANIEN (F.), Droit constitutionnel, op. cit., p. 31 et 32

123
institutionnels »109. Perçu comme le fruit d’un exorcisme110, il traduit la volonté de
transcender les oppositions et les clivages dans une perspective de coexistence consistant à
préserver les principes de liberté et d’égalité.
En créant un cadre propice au dialogue, le consensus politique est devenu non
seulement un instrument de valorisation de la tolérance, mais plus encore une arme, un moyen
qui rassemble les différents groupes sociaux autour des fondements de la société
démocratique. Jacques LAGROYE, Bastien FRANÇOIS et Frédéric SAWICKI remarquent à
cet effet que la volonté des forces politiques émergentes de construire un État démocratique a
favorisé un cadre de discussion faisant du consensus politique une arme de conciliation et de
promotion de valeurs111. Il est d’autant plus nécessaire en période d’intérim qui est une
période de crise, dans la mesure où il crée un espace politique au sein duquel les intérêts et les
convictions des formations politiques et groupes sociaux s’expriment dans le respect d’un
cadre institutionnel préétabli. C’est dire que le consensus en tant que processus aboutissant au
fondement de l’ordre social, a pour objectif de « parvenir à un pacte, à un contrat social
capable de préserver l’intérêt commun exprimé par la volonté générale »112.
Favorable à une reconstruction, le consensus politique apparaît clairement donc comme
le seul élément à même de promouvoir, sur la base de règles de jeu politique, la Constitution
comme la norme juridique de référence dans l’Etat. Les gouvernants, dès lors, issus d’un
processus voulu et accepté par tous, jouissent d’une autorité que leur accorde la norme
fondamentale en tant que norme suprême. Elle fonde par conséquent, au-delà de leur
légitimité, leur autorité. Cela suppose donc que la majorité au pouvoir a un droit de
gouverner, un droit qui implique la soumission des toutes les institutions de toutes les forces
politiques et civiles au pouvoir. Cependant, ce droit reconnu aux autorités de gouverner leur
impose « une obligation (…) de se conformer, dans une perspective de stabilité
institutionnelle et de consolidation du processus démocratique, au consensus politique »113.
Dans l’hypothèse d’une démission du chef de l’Etat consécutive à un coup d’Etat ou
même une révolution populaire, le consensus politique entre les différentes forces en présence
revêt une importance capitale, car il est essentiel pour pacifier la scène politique, trouver un
compromis entre les putschistes et les autres forces politiques et sociale afin de garantir la
légitimité et la transparence du processus électoral. Ce compromis en cette période
d’instabilité institutionnel et même sociopolitique va permettre de surmonter les tensions

109
ETEKOU BEDI (Y. S.), l’alternance démocratique dans les Etats d’Afrique francophone, thèse de doctorat
en droit public, cotutelle, université Paris-Est/ université de Cocody-Abidjan, 2013, p.51.
110
Voir VELLEY (S.), Histoire constitutionnelle française de 1789 à nos jours, 3ème édition, Paris, Ellipses,
2009, 210 p.
111
Voir LAGROYE (Jacques), FRANÇOIS (Bastien) et SAWICKI (Frédéric), Sociologie politique, 5ème
édition, Paris, Presses de Science po et Dalloz, 6ème édition revue et augmentée, 2012, p. 454 et suivantes. Ces
auteurs soutiennent que l’institutionnalisation de formes de relation, à la fois conflictuelles impose, pour la
codification des dispositifs et règles, l’adoption d’un nouveau vocabulaire faisant de la concertation la base de
tout compromis politique qui assure la légitimité de tout système politique et le changement de régime politique
institutionnalisant un nouveau style d’action politique et de gouvernement, p. 554 et suivantes ;
112
ETEKOU BEDI (Y. S.) l’alternance démocratique dans les états d’Afrique francophone, thèse docteur en
droit public, Université Paris-Est /Université De Cocody-Abidjan décembre 2013. P. 62.
113
Ibid. p.67.

124
inhérentes à cette situation et de rétablir progressivement la stabilité institutionnelle et sociale
de l’Etat.
b. Les opérations électorales
L’opération électorale renvoie à l’ensemble des activités et processus impliqués dans la
tenue d’une élection. Suivant cette approche, les opérations électorales englobent toutes les
étapes depuis l’inscription des électeurs sur les listes, jusqu’à l’annonce des résultats, en
passant par la convocation du corps électorale, la nomination des candidats, la campagne
électorale le vote et même le contentieux.
Les opérations électorales de façon stricte commencent avec la convocation du corps
électoral. La convocation du corps électoral114 est un mécanisme permettant de faire appel au
peuple115, pour l’élection d’une nouvelle personne, en vue de combler un poste vacant de
président de la République. L’acte de convocation du corps électoral pris par l’intérimaire doit
se conformer aux exigences en la matière. Ceci implique que le scrutin doit avoir lieu un
dimanche ou un jour qui est déclaré férié et chômé. Il ne peut durer qu’un jour, les heures
d’ouverture et de fermeture des bureaux de vote étant fixées par l’acte convoquant les
électeurs pour le rendez-vous des urnes afin de départager les différents candidats.
La deuxième opération électorale est la campagne électorale qui désigne l’ensemble des
opérations de propagande précédant une élection et visant à amener les électeurs à soutenir les
candidats en compétition. Il s’agit précisément d’« un espace-temps aménagé et contraignant
dont le maître mot et la finalité résident dans l’égalité des candidats pour l’expression des
idées politiques »116. Ainsi, aux termes de l’article 87 (1) du code électoral, « La campagne
électorale est ouverte à partir du quinzième jour précédant le scrutin. Elle prend fin la veille
du scrutin à minuit ». Elle est la phase qui précède directement le déroulement du scrutin.
Le déroulement du scrutin constitue le cœur, l’étape la plus sensible de l’ensemble des
opérations électorales. Il correspond clairement à l’opérationnalisation du scrutin, c’est-à-dire
à l’« ensemble des actes constituant l’opération de vote (dépôt du bulletin dans l’urne,
dépouillement et proclamation des élus) »117. Ainsi, le déroulement du scrutin comporte une
phase électorale correspondant à l’opération de vote, c’est-à-dire le dépôt du bulletin dans
l’urne, ou plus précisément « la phase du processus électoral au cours de laquelle les
électeurs se rendent aux urnes afin d’exprimer leur choix sur la personne des
gouvernants »118. Et une phase post-électorale comprend le contentieux électoral qui désigne
« l’ensemble des contestations ou de litiges liés à l’organisation, au déroulement, et aux
résultats des élections, ainsi que de l'ensemble des règles régissant la solution de ces litiges
par le juge »119 ; et la proclamation des résultats. Sur ce dernier point, la cnstitution proclame

114
L’article 86 (1) du code électoral
115
Lire minutieusement, LAFFINEUR (E.), Constitution et appel au peuple, Armand le Chevalier, Paris, 1873,
pp. 1-32.
116
BIOY (X.), « La liberté de faire campagne », in Faut-il adopter le droit des campagnes électorales ? Sous la
dir. de P. ESPLUGAS-LABATUT et X. BIOY, édition Montchrestien, Lextenso éditions, 2012, 205 p., p.69-86,
p. 71.
117
AVRIL (P.) GICQUEL (J.), Lexique de droit constitutionnel, Op.Cit, p.132.
118
POUT (C.) ATEBA EYONG (R.), Éléments de référence pour un dialogue participatif sur les élections au
Cameroun, Op.Cit. p.69.
119
KAMTO (M.), «Le contentieux électoral au Cameroun », in Lex Lata, n°20, novembre 1995, p. 3.

125
dans son article 48 que « Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité de l’élection
présidentielle, (et) en proclame les résultats ». Le code électoral se montre plus précis sur la
question et dispose en son article 137 que « Le Conseil Constitutionnel arrête et proclame
les résultats de l’élection présidentielle dans un délai maximum de quinze (15) jours à
compter de la date de clôture du scrutin ». Au terme de ces opérations électorales, il est
procédé à la dévolution du pouvoir au candidat élu.

2. La dévolution du pouvoir politique


La transition politique s’achève avec la dévolution du pouvoir au Président élu. Définit
comme la « transmission d’un bien ou d’un pouvoir d’une personne à une autre »120, la
dévolution est une technique de transfert de pouvoir d’un gouvernant à un autre. Cette
dévolution du pouvoir doit en principe entrainer, dans un régime démocratique un véritable
changement de système (a). Cependant, dans le contexte africain elle débouche généralement
sur un simple changement de personne (b).
a. Le changement de système : une dévolution démocratique
Au terme d’une trentaine d’années d’ « élections sans choix »121, le vent de
démocratisation qui a soufflé sur les pays africains au tournant de la décennie 90 a apporté
avec lui, sous la pression politique « du dedans » et « du dehors »122, l’exigence d’une
restauration des mécanismes de la libre compétition politique. Cette situation a soulevé le
problème de l’alternance démocratique en Afrique qui irrigue bien des débats sur le
continent123 dans un contexte où les stigmates d’une gestion autoritaire et néo-patrimoniale du

120
El Hadj MBODJ, thèse précité, p.8.
121
Pour parler comme HERMET (G.), « Les élections sans choix », RFSP, vol. 27, 1977, pp. 30-33
122
Allusion à SAVONNET–GUYOT (Claudette), « Le « dedans » et le « dehors », le « haut » et le « bas ».
Réflexions sur les sites d’observation du « politique africain », RFSP, vol. 31, n° 4, pp. 799-804
123
Lire sur cette question KANTÉ (B.), « Alternance politique et alternative démocratique en Afrique », in
Mélanges offerts à Thomas FLEINER, L’homme et l’État, Genève, Éditions Universitaires de Fribourg, 2003, p.
489 ; HOLO (T.), « Les défis de l(alternance démocratique en Afrique », Actes de la conférence internationale
de Cotonou du 23 au 25 février 2009, Fonds des Nations Unies pour la démocratie et Institut des droits de
l‘homme et promotion de la démocratie, p. 1 ; MANGA (P.), « Réflexions sur la dynamique constitutionnelle en
Afrique », RJPIC, 1994, pp. 46-69 ; YEDOH LATH (S.), Les évolutions des systèmes constitutionnels africains
à l’ère de la démocratisation, Thèse de Doctorat en Droit, Abidjan, Université d’Abidjan-Cocody, novembre
2008 ; BOLLE (S.),« Obligations constitutionnelles et légales des gouvernants et autres responsables politiques
nationaux : Gouvernement, Assemblée nationale et institutions de l’État », Communication prononcée lors de la
Conférence internationale sur les défis de l’alternance démocratique, Cotonou, 23 au 25 février 2009 ;
FOUCHER (V.), « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et reconstruction du pouvoir
personnel », Pouvoirs, n°129, avril 2009, pp. 127-137 ; MILHAT (Cédric), « Le constitutionnalisme en Afrique
francophone. Variations hétérodoxes sur un requiem », Politeia, n° 7, printemps 2005, pp. 677 et suiv. ;
KAMTO (M.), « Quelques réflexions sur la transition vers le pluralisme au Cameroun », in Gérard CONAC
(dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, op. cit., pp. 209-236 ; A. BOURGI, « Les chemins
difficiles de la démocratie en Afrique de l’Ouest », La Revue Socialiste, n° 35, L’Afrique en question, 3ème
trimestre 2009, pp. 27-32 ; AHADZI NONOU (Koffi), « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain
: le cas des États d’Afrique noire francophone », La Revue du CERDIP, volume 1, n° 2, juillet-décembre 2002 ;
ALLOGNON (Mahoussi Gabriel), « L’alternance politique en Afrique », RID, n° 43, 2012, p. 13 ; J.-L.
QUERMONNE, « Existe-t-il des solutions de rechanges à l‘alternance ? », in Mélanges en hommage à M.
DUVERGER, Droit, institutions et systèmes politiques, Paris, PUF, 1987, p. 382 ; du même auteur L’alternance
au pouvoir, Paris, Montchrestien, 2003, p. 49 ; MELEDJE (F. D.), « Principe majoritaire et démocratie en
Afrique », Revue Ivoirienne de Droit, n° 39, 2008, pp. 30 et suiv. ; MOMO (Claude), « L’alternance au pouvoir
en Afrique subsaharienne francophone », RRJ2011-2, p. 923 ; FALL (Alioune Badara), « La démocratie
sénégalaise à l‘épreuve de l’alternance », Revue électronique Afrilex, n° 5, 2006, pp. 5 et suiv. ; HAMON (Léo),

126
pouvoir présidentiel sont encore perceptibles. La dévolution démocratique du pouvoir c’est
alors imposé comme un élément clé de la démocratisation de la société. Elle renvoie à une
véritable alternance démocratique, c’est-à-dire la faculté juridiquement organisée pour des
partis politiques ayant des projets de sociétés différents de se succéder au pouvoir par le jeu
des règles démocratiques de dévolution et d’exercice du pouvoir fondé sur la souveraineté du
peuple124. Elle « favorise une rotation des idéologies politiques et permet de renforcer la
légitimité, voire la crédibilité d’un système politique »125.
En effet, la dévolution démocratique du pouvoir permet d’assurer successivement le
changement de majorité après l’organisation d’élections présidentielles 126. De ce fait, deux
critères semblent la caractériser : le critère du moyen et celui de la fin. Le critère du moyen
renvoie à l’intervention d’un processus électoral sincère, et le critère de la fin, pour sa part fait
référence au fait que les partis politiques d’obédience différentes se succèdent à la tête de
l’Etat. Au Cameroun, la loi constitutionnelle proclame en son article 2 que « Les autorités
chargés de diriger l’Etat tiennent leurs pouvoirs du peuple par voie d’élections au suffrage
universel ». Cette disposition, en marquant la rupture d’avec toute forme de dévolution
successorale du pouvoir telle qu’il a été observé d’antan, s’inscrit dans une démarche de
démocratisation de la dévolution du pouvoir politique. Le Professeur Luc SINDJOUN écrit
fort opportunément à ce sujet que : « Le régime de l’élection présidentielle concurrentielle
inscrit l’alternance dans l’agenda politique. Et pourtant, le Président Paul BIYA ne semble
pas pour l’instant impliqué dans une stratégie successorale. L’alternance néo-patrimoniale,
au terme de laquelle un Premier Ministre dauphin par exemple devient Président de la
République en cas de vacance de pouvoir, n’est plus possible au Cameroun (…)»127.
b. Le changement de personne : une dévolution néo-patrimoniale
S’il est constant que dans les régimes démocratiques, la dévolution du pouvoir consiste
en une succession périodique des gouvernants en conformité avec la volonté du peuple
exprimée par les élections128, la réalité en Afrique est tout autre. Ici la dévolution du pouvoir

« Nécessité et condition de l’alternance », Pouvoirs, n° 1, 1977, pp. 31 et suiv. ; DUHAMEL (Olivier) et MÉNY
(Yves), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p.26 ; ABDOURHAMANE (Boubacar Issa), « Alternances
militaires au Niger », Politique africaine, n° 74, pp. 85-94 ; ISSA (Saïbou), « Les militaires et l‘alternance
démocratique en Afrique : permanences et ambivalences », Actes de l’Atelier surla promotion des transitions
démocratiques pacifiques en Afrique, Bamako, novembre 2008, pp. 44 et suiv. ; QUANTIN (Patrick), « La
démocratie en Afrique à la recherche d‘un modèle », Pouvoirs, n° 129, 2009/2, p. 67 ; ROUQUIÉ (Alain), «
Changement politique et transformation des régimes », in Madeleine GRAWTIZ et Jean LECA (dir.), Traité de
Science politique, Les régimes politiques contemporains, Paris, PUF, 1985, p. 601 ; HAURIOU (Maurice),
Précis de droit constitutionnel, 2ème édition, Paris, Sirey, 1929, p. 70 ; DABEZIES (Pierre), « L’alternance dans
les dictatures militaires du tiers-monde », Pouvoirs, n° 1, 1977, pp. 113 et suiv. ; L’alternance et les règles du
jeu démocratique au Burkina Faso, Rapport du Centre pour la Gouvernance Démocratique au Burkina Faso,
2008, 89 pages.
124
FALL (Ibrahima), Sous-développement et démocratie multipartisane. L’expérience sénégalaise, Dakar,
Abidjan, N.E.A., 1977, p. 71.
125
ETEKOU (Bédis Yves Stanislas), L’alternance démocratique dans les Etats d’Afrique francophone, Thèse
pour le doctorat en Droit Public, Université Paris-Est et Université Cocody-Abidjan, 2013, p. 27.
126
Idem, p. 32.
127
SINDJOUN (L.): « Le Président de la République au Cameroun (1982-1996) : Les acteurs et leur rôle dans le
jeu politique », GRAPS, n°50, 1996, p.18.
128
SEURIN (J.L.), « Pour une analyse conflictuelle du rapport majorité opposition en démocratie pluraliste », in
" La Démocratie Pluraliste", textes réunis et présentés par Seurin (J.L.), Paris, Economica, 1981, pp.-102-137.

127
est généralement influencée par les rapports de force au niveau interne et international qui
instrumentalisent la volonté du peuple.
En effet, la dévolution du pouvoir a souvent été perçue en Afrique comme un « test de
stabilité des régimes en développement »129. Le Professeur MBODJ note à ce sujet que « la
fonction manifeste des mécanismes successoraux en Afrique est de permettre aux pères-
fondateurs de mettre en place une équipe chargée de veiller à la survie du régime »130. La
notion de succession elle-même, perçue sous l’angle constitutionnel et politique, met l’accent
sur le transfert ordonné du pouvoir de l’Etat. COAKEY la considère comme « un transfert
pacifique du pouvoir effectué d’une portion de l’élite à une autre ou, dépendant des
circonstances de matières et de définitions, d’une élite à une autre, à l’intérieur d’une
structure de règles autoritaires établies »131. De ce fait, la transition politique à l’issue d’une
vacance du pouvoir ne s’arrête pas au simple transfert du pouvoir. La continuité juridique
s’accompagne le plus souvent d’une continuité politique, comme ce fut le cas en 1982 au
Cameroun. La dévolution du pouvoir politique ici n’a pas entrainé une rupture radicale avec
l’ordre dirigeant précédent, malgré le changement de personnage. Il était plutôt question
d’une succession constitutionnelle. Le Professeur Maurice KAMTO dira à cet égard que « Si,
au plan du droit constitutionnel, l’empêchement du Chef de l’État pose le problème de la
garantie de la continuité du pouvoir, il semble que dans les États africains actuels il pose
surtout celui de la continuité ou de la survie du régime politique. Le problème se pose en
termes de succession, et non en termes d’intérim. Les cas du Cameroun et du Sénégal
obéissent rigoureusement à la préoccupation d’assurer par une transmission du pouvoir
politiquement préparée et juridiquement garantie, la sauvegarde d’un héritage politique »132.

CONCLUSION

L’étude de la démission du Président de la République en droit constitutionnel


camerounais met en lumière les mécanismes juridiques et les implications politiques de cet
acte. L’examen approfondi de cet acte soulève deux aspects essentiels : la vacuité des
modalités entourant ce processus et l'ambivalence des effets qu'elle peut engendrer. L’absence
de dispositions claires et précises concernant la démission présidentielle soulève des
interrogations quant à la légitimité et à la stabilité du régime politique en place. En effet, à
travers une analyse approfondie des dispositions constitutionnelles et des pratiques
institutionnelles, il apparaît que la démission du Président de la République est un acte d’une
importance capitale qui peut avoir des répercussions significatives sur la stabilité de l’Etat.
L’imprécision des modalités de mise en œuvre de la démission à travers l’absence de
clarté quant-aux facteurs pouvant entrainer une démission et le caractère vague de la

129
Voir TARMAN « The Roots of Political Stability in Kenya », African Affairs, Volume 77, n°308, july 1978,
p.319, cité par, EL HADJ MBODJ, thèse précitée, p.5.
130
El Hadj MBODJ, thèse précitée, p. 319.
131
COAKEY (J.), « Political Succession During The Transition to Independance: Evidence from Europe »; in
Peter CALVERT, The Process of Political Succession, Mac Millan Press, 1987, p.59 et s. Cité par El Hadj
MBODJ, thèse précitée, p.11.
132
Voir KAMTO (M.): « Le dauphin constitutionnel dans les régimes politiques africains : les cas du Cameroun
et du Sénégal », Revue Penant, Volume 93, n°781/782, 1983, Résumé.

128
procédure de mise en œuvre de cette démission, peut favoriser des démissions manifestement
involontaires notamment obtenues sous le coup de contraintes, généralement militaires. La
prestation de serment d’une autorité issue de cette démission involontaire, qui va entrainer un
changement inconstitutionnel est généralement interprété comme une validation de la
démission malgré la contrainte exercée sur le Président élu. Cela soulève donc le problème de
la protection de la volonté du chef de l’Etat dans l’édiction des actes, mais plus encore de la
sécurité juridique des institutions dans l’exercice de leur fonction
Ainsi, il est impératif pour le système constitutionnel camerounais de combler les
lacunes juridiques entourant la démission présidentielle afin d’éviter toute ambiguïté et de
garantir la continuité démocratique. Quoi qu’il en soit, la principale préoccupation que
soulève la démission du chef de l’Etat est celle portant sur la continuité de l’Etat. Il s’agit
d’une préoccupation donc la résolution est vitale pour la pérennisation de l’Etat car, cette
situation de vide au sommet de l’Etat est généralement un moment de conflit de
positionnement entre des forces politiques, ethniques et militaires et peut déboucher sur une
crise sociopolitique ou sur des revendiques ethniques de rotation du pouvoir politique.

129
ADDENDA IN EXTRA
REFLEXIONS SUR LA JURIDICTIONNALISATION DES AUTORITES
ADMINISTRATIVES INDEPENDANTES IVOIRIENNES : L’ANRMP ET L’ARTCI
COMME PRETEXTE

*ANRMP : l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics


* ARTCI : l’Autorité de Régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire

Par

NENE BI ARSENE DESIRE


Docteur en droit public
Assistant à l’Université Alassane Ouattara

Résumé
L’étude de la juridictionnalisation des Autorités administratives indépendantes (AAI) ivoiriennes
menée à travers l’ARNMP et l’ARTCI nous amène à dresser un constat en demi-teinte. Les textes
instituant ces organismes leur ont octroyé une nature administrative absolue refoulant ainsi toute idée
de juridictionnalisation. En effet, la grammaire de ces textes rappelle presqu’inlassablement le caractère
administratif et donc non juridictionnel de ces AAI. D’ailleurs, cette administrativité dont les écorces
législatives et règlementaires recouvrent peut-être les vieux bois d’une coutume reçoit un accueil
chaleureux auprès de la jurisprudence. La juridictionnalisation des AAI est ainsi dit farouchement
refoulée par le juge. A l’évidence, ce refoulement semble être justifié par les effets déviants qu’une telle
opération serait de nature à susciter. Toutefois, l’étude a relevé une bribe dans la démarche du législateur
car la logique juridictionnelle irrigue le fonctionnement de ces organes. Ce qui nous invite à aller au-
delà des clauses de style et des pétitions de principe en déconstruisant les idées communément
répandues. Il est notable que les AAI sous étude sont dotées de prérogatives juridictionnelles et
constituent de véritables juridictions. Elles auraient donc à la fois une nature administrative et
juridictionnelle sans constituer pour autant un phénomène déviant. Tout de même, la
juridictionnalisation est certes une réalité mais cette réalité est tout à fait inavouée en droit ivoirien. Le
législateur semble officiellement éviter la juridictionnalisation de ces instances mais il leur confère
paradoxalement voire insidieusement des pouvoirs juridictionnels. Partant, l’horoscope de La Fontaine
résume éloquemment la réalité qui prévaut : « on rencontre sa destinée souvent par des chemins qu’on
prend pour l’éviter ».

SUMMARY
The study of the jurisdictionalization of the Ivorian Independent Administrative Authorities
(IAA) conducted through the ARNMP and the ARTCI leads us to draw a half-tinged observation. The
texts establishing these bodies have granted them an absolute administrative nature, thus repressing any
idea of jurisdictionalization. Indeed, the grammar of these texts almost tirelessly recalls the
administrative and therefore non-jurisdictional nature of these IAA. Moreover, this administrativeness,
whose legislative and regulatory barks perhaps cover the old woods of a custom, receives a warm
welcome from the jurisprudence. The jurisdictionalization of IAA is thus fiercely repressed by the judge.
Obviously, this pushback seems to be justified by the deviant effects that such an operation would be
likely to arouse. However, the study noted a gap in the legislator's approach because the jurisdictional


Mode de citation : François D’assise ASSIGUENA MBARGA, « La démission du président de la république en
droit constitutionnel camerounais », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 133-159.

133
logic irrigates the functioning of these bodies. Which invites us to go beyond style clauses and principle
petitions by deconstructing commonly held ideas. It is noteworthy that the IAA under study are endowed
with jurisdictional prerogatives and constitute real courts. They would therefore have both an
administrative and jurisdictional nature without constituting a deviant phenomenon. All the same,
jurisdictionalization is certainly a reality, but this reality is completely unacknowledged in Ivorian law.
The legislator officially seems to avoid the jurisdictionalization of these bodies but paradoxically, even
insidiously, it gives them jurisdictional powers. Therefore, La Fontaine's horoscope eloquently
summarizes the prevailing reality: "we often meet our destiny by paths that we take to avoid it".

INTRODUCTION

« Les organismes de régulation pensent être, dans la pratique, de véritables juridictions


et n’hésitent pas à se comporter conformément à cette croyance »1. Ces propos du Professeur
Paterne MAMBO décrivent, sans médiation, l’attitude « mystérieuse »2 des autorités de
régulation et d’une manière spécifique, celle des Autorités administratives indépendantes
(AAI). Mystérieuse car conformément à l’épure de l’architecture institutionnelle, les AAI sont
des organismes administratifs « relevant »3 de l’Administration et non du pouvoir judiciaire.
Pourtant, une lecture attentive donne de constater leur intérêt pour la nature
juridictionnelle « comme s’ils étaient à la recherche de leur identité véritable »4. Les mots et
expressions résonnent pour amplifier et attester cet état de fait : « quasi-juridictions »5,
« pseudo-juridictions »6, « para-juridictions »7. En réalité, l’ouverture à la concurrence des
grands services publics a amené une innovation puisque le législateur a doté les AAI du pouvoir
de résoudre des litiges privés et d’infliger des sanctions. À cet effet, certaines d’entre elles
« concurrencent [même] les juridictions »8. Cette constatation curieuse, frôlant manifestement
l’atypisme, ne saurait avirer l’attention du chercheur et l’interpelle à un effort de Réflexions sur
la juridictionnalisation des autorités administratives indépendantes. Les lignes qui suivent ont
pour ancrage l’État ivoirien et un échantillon d’AAI9 à propos desquelles, même s’il est vrai
que l’activité ne se situe pas au même niveau, l’observation donne de voir des convergences
relativement au champ matériel de l’étude.

1
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de régulation
des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », in Le transformations contemporaines du
droit public en Afrique, Magloire ONDOA et Patrick ABANE ENGOLO (dir.), Actes du colloque organisé à
l’université de Yaoundé-II du 19 au 20 janvier 2017, L’Harmattan, 2018, Paris, p. 201.
2
Patrice GÉLARD, « Autorités administratives indépendantes », in Rapport d’information n° 616 (2013-2014),
au nom de la commission des lois, - 2006- 2014 : un bilan, 11 juin 2014.
3
René DÉGNI-SÉGUI, Droit administratif général, Tome 1 : L’organisation administrative, 4ème édition, p. 171.
4
« Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié (Tome 2 :
Annexes) », consulté sur https://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404-213.html à 22h37min le 20/12/2022.
5
Delphine COSTA, « L’Autorité des marchés financiers : juridiction ? Quasi-juridiction ? Pseudo-juridiction ? À
propos de l’arrêt du Conseil d’État du 4 février 2005, Société GSD et M. YX », RFDA 2005, p. 217.
6
Idem, p. 217.
7
Serge GUINCHARD, « Petit à petit, l’effectivité du droit à un juge s’effrite », in La création du droit
jurisprudentiel, Mélanges en l’honneur de Jacques BORÉ, Dalloz, Paris, 2007, p. 279.
8
Michel DEGOFFE, Droit administratif, Paris, Ellipses, 3ème édition, 2016, p. 153.
9
En raison du manque d’homogénéité de leur statut et pour éviter la démesure seules l’ANRMP et l’ARTCI ont
été retenues pour mener la réflexion. Il en est ainsi car une analyse objective donne de constater qu’en raison de la
diversité de leurs prérogatives, elles sont celles qui se rapprochent le mieux, dans leur fonctionnement, des
juridictions.

134
En tout état de cause, la lisibilité et la cohérence de ces lignes nécessite, au préalable et
à titre principal, de procéder à une clarification conceptuelle. Mais il faut avancer prudemment,
car pour qui veut mener une étude sur les AAI se heurte, dès le départ, à l’obstacle de définition.
En fait, les pouvoirs publics qui créent ces Autorités ne les définissent pas dans un texte à portée
générale ou législative10. Il n’existe donc pas une définition textuelle11. D’ailleurs, même le
législateur français à qui revient « la paternité de la notion12 », élude la définition. La
jurisprudence quant à elle tente de combler ce vide législatif. En ce sens, le Conseil d’État
français appréhende les AAI comme des organes qui agissent « en pleine autonomie sans que
leur action puisse être orientée, si ce n’est par le juge13 ». Quoiqu’il en soit, c’est à la doctrine
qu’il faut se référer pour allouer un contenu étoffé à la notion.
Partant, le Doyen Charles DEBBASCH saisit ces instances comme des « organismes
administratifs qui agissent (...) et disposent d’un réel pouvoir sans pour autant relever de
l’autorité du Gouvernement »14. En effet, les AAI résultent d’une méthode « liée à la
recherche de nouvelles formules visant à isoler dans l’administration de l’État, des organes
disposant d’une réelle autonomie par rapport au Gouvernement et aux départements
ministériels pour l’exercice d’attributions concernant des domaines sensibles comme les
libertés publiques ou les activités économiques »15. Sur ce schéma, nous retiendrons dans le
cadre de cette étude la définition proposée par le Professeur René DÉGNI-SÉGUI qui voit dans
ces organismes des « autorités relevant de l’administration centrale d’État et affranchie de la
hiérarchie administrative »16. Des administrations, donc, mais détachées du tronc étatique, et
vouées à la régulation d’un certain type d’activité ainsi qu’à la défense des droits des
administrés et des administratifs. Ce qui est certain, renchérit le Professeur KOBO, c’est que
les AAI « ne sont pas soumises aux principes de la subordination, de la hiérarchie et du
contrôle de tutelle qui caractérisent l’administration et les organismes qui la composent »17.
Historiquement, cette idée de soustraire, dans certains cas, le pouvoir de décision de
l’activité normale de l’Administration hiérarchique, soumise aux pressions gouvernementales
et de le confier dans certains domaines à d’autres organes, est expérimentée en France depuis

10
Nadjombé GBEOU-KPAYILE, Réflexions sur les autorités administratives indépendantes dans les États
d'Afrique noire francophone : le cas du Bénin, du Niger et du Togo, Thèse de doctorat, université de Poitiers, 2011,
p. 21.
11
Ibid.
12
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », RTSJ, p. 113.
Kasséré AFO SABI souligne que pour ce qui concerne le droit français, le Rapport du Conseil d’État français
retrace clairement la genèse des AAI. En effet, selon ce Rapport, « La paternité (en droit français) de la notion
d’autorité administrative indépendante revient […] au législateur : c’est en effet au Parlement, en 1978, qu’une
institution publique reçoit pour la première fois cette qualification juridique, lors de la création de la Commission
nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ». Voir. Conseil d’État, Les autorités administratives
indépendantes. Rapport public 2001, EDCE, n° 52, La Documentation française, Paris, 2001, p. 261.
13
Rapport précité publié sur les AAI par la Section Études et Rapports du Conseil d’État. Voir Conseil d’État, «
Les autorités administratives indépendantes. », p. 305. Cité par l’auteur précité Kasséré AFO SABI, « La
juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique noire francophone », op.cit,
p. 114.
14
Charles DEBBASCH, Droit administratif, Economica, Paris, 2002, p. 171.
15
Georges VEDEL et Pierre DELVOLVE, Droit administratif, Puf, Paris, 1992, p. 459.
16
René DÉGNI-SÉGUI, Droit administratif général, op.cit, p. 171.
17
Pierre Claver KOBO, « De la régulation », in La tribune de la Chambre Administrative, n°08 -Juin 2017 –
Trimestriel, p. 4.

135
les années 197018. Afin d’atténuer, sinon d’éliminer les « ombres » de l’Etat de droit 19, la
juridiction administrative20 fut relayée, par des organes atypiques incarnés par les autorités
administratives indépendantes21. Elles s’inscrivent ainsi dans une dynamique de protection des
administrés contre les menaces du pouvoir administratif. Pour ce faire, le législateur leur a
octroyé des « pouvoirs plus ou moins étendus qui dans certains cas combinent à la fois un
pouvoir de réglementation, d’autorisation individuelle, de contrôle, d’injonction, de sanction
voire de nomination, et se limitent dans d’autres cas à un simple pouvoir d’influence »22. Ce
qui semble certain, c’est qu’elles ont toutes reçues la nature administrative à l’exception de
l’ancienne Commission Bancaire qui a explicitement été qualifiée par le législateur français de
« juridiction lorsqu’elle fait usage de son pouvoir répressif »23.
En Côte d’Ivoire, cette expérimentation a quant à elle été amorcée depuis les années 1990
sans qu’aucune de ces Autorités ne reçoivent la qualité de juridiction. D’ailleurs, ce constat
n’est pas propre à la Côte d’Ivoire. En effet, « les AAI qui ont essaimé à travers l’Afrique sont
des organismes administratifs et donc nécessairement un prolongement de l’administration
publique ou pour être exact un démembrement de l’administration d’État »24. Ces instances
semblent simplement exprimer une métamorphose de l’État, en tant que personne morale,
traduisant un nouveau mode d’intervention de la puissance publique25. À cet effet, ce mode
d’intervention introduit dans la gestion des affaires publiques les notions d’impartialité et de
neutralité qui doivent caractériser l’action des pouvoirs publics lorsque, sur l’espace politique
et économique ouvert à la concurrence, les nouveaux acteurs sont en concurrence avec l’ancien
monopole26. L’État étant présent sur l’espace politique par le biais des gouvernants et sur
l’espace économique par celui d’entreprises publiques souvent en position dominante, les AAI
deviennent alors un « mur » entre l’État, acteur politique et/ou opérateur économique et l’État
régulateur27. Une régulation indépendante s’impose donc lorsqu’il s’agit d’organiser le retrait
de l’État d’un secteur qu’il a initialement organisé et dominé. Elle s’impose aussi pour la
protection des droits des administrés face à l’Administration et au pouvoir politique. Cet enjeu

18
Les trois lois les plus emblématiques de cette période, sont la loi du 3 janvier 1973, celles du 6 janvier 1978 et
du 17 juillet 1978, qui instituent respectivement l’ex Médiateur de la République (Défenseur des droits), la
Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) et la Commission d’Accès aux Documents
Administratifs (CADA).
19
Jacques CHEVALLIER, L’État de droit, Montchrestien, coll. Clefs, Paris, 1992, p. 34.
20
Michel DEGOFFE, Droit administratif, op.cit., p. 31.
21
Jacqueline MORAND-DEVILLER, Pierre BOURDON et Florian POULET, Droit administratif, LGDJ, 17eme
édition, 2023, pp.129-160
22
« Les autorités administratives indépendantes » Rapport public du Conseil d’Etat français 2001, EDCE, n° 52,
La Documentation française, Paris, 2001, p. 261.
23
Taibi ACHOUR, « La justification du pouvoir de sanction des AAI de régulation est-elle toujours pertinente ? »,
RIDP, 2013/3 (Vol.84), p. 468. L’auteur précise qu’ « au moment où il traitait les différentes AAIR d’organismes
administratifs, le législateur français a qualifié explicitement l’ancienne Commission bancaire de juridiction
lorsqu’elle faisait usage de son pouvoir répressif ». Il renchérit « d’après l’ancien art. L.613-23-I du C.mon.fin., «
lorsque la commission bancaire statue en application de l’article L.613-21, elle est une juridiction administrative
».
24
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 115.
25
Nadjombé GBEOU-KPAYILE, Réflexions sur les autorités administratives indépendantes dans les États
d'Afrique noire francophone: le cas du Bénin, du Niger et du Togo, op.cit, p. 18.
26
Ibid.
27
Jacques CHEVALLIER, « L’État régulateur », RFAP, n°111, ENA, 2004, pp. 473-482.

136
a nécessité d’octroyer aux AAI un ensemble de prérogatives hétérogènes au rang desquelles les
attributions essentielles imbibant traditionnellement les juridictions sont fortement prégnantes.
Cela a clairement « ouvert la voie à de nouvelles pratiques, tendant vers la juridictionnalisation
de ces autorités »28.
À l’évidence, le terme juridictionnalisation, maitre-mot de cette étude, est caractérisé
par une certaine polysémie. Tantôt, il est appréhendé comme désignant la soumission
progressive d’une situation donnée au contrôle des juridictions. Tantôt, comme « un processus
de transformation, c’est-à-dire un « procédé consistant à attribuer à des actes qui ne le
comporteraient normalement pas la qualification d’acte juridictionnel, afin de leur étendre le
régime de ce dernier (autorité de la chose jugée)29 ». Encore comme le « résultat d’un processus
conduisant à faire d’un organe, qui ne l’était pas, une juridiction30 ». C’est cette dernière
acception qui sera retenue dans le cadre de cette étude. Il s’agit en l’occurrence d’ « un
phénomène qui voit d’abord dans la multiplication des instances désignées pour dire quel est
le droit »31. Cela dit, l’idée de juridictionnalisation n’est pas en elle-même nouvelle ; elle a déjà
retenu, dans d’autres systèmes juridiques, l’attention notamment de la doctrine32. Il s’agit d’une
« question ancienne qui n’est pas propre au droit administratif, même si elle se pose en la
matière avec une acuité particulière33 ». Il n’en demeure pas moins que depuis quelques années
la question connaît un regain d’intérêt et l’apparition d’AAI aux pouvoirs encore renforcés
renouvelle la réflexion34.
Quoiqu’il en soit, l’idée de juridictionnalisation en véhicule une autre : celle de juridiction
qui s’avère complexe à définir.35 En l’absence d’une définition textuelle36, le juge ivoirien
aborde la question dans l’arrêt SANTUCCI sans réellement poser les critères de définition37.

28
Laure MILANO, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La question a-t-elle encore une utilité ? », RFDA, 2014, p.
1119 et s.
29
Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 12ème édition, Paris, 2016, p. 262.
30
Laure MILANO, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La question a-t-elle encore une utilité ? », op.cit.
31
Vincent COUSSIRAT-COUSTERE, La juridictionnalisation du droit international : Colloque de Lille, Société
Française pour le Droit International, Paris : Editions Pedone, 2003, p. 3. Cité par Mamadou SÈNE, La
juridictionnalisation des élections nationales en Afrique noire francophone : les exemples du Bénin, de la Côte
d’Ivoire et du Sénégal. Analyse politico-juridique, Thèse de doctorat, Université Toulouse 1, 20 mars 2017, p. 17.
32
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 114.
33
Il faut expliquer, avec Laure MILANO, que « la notion de juridiction a retenu l’attention de la doctrine de droit
public à partir de l’émergence de la juridiction administrative dans le dernier quart du XIXe siècle. […] Ce débat
a ensuite resurgi à partir du milieu des années 70 ».
34
Kasséré AFO SABI, op.cit, p. 115.
35
René CHAPUS, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La réponse de la jurisprudence administrative ». In, Mélanges
en l’honneur de Charles EISENMANN, Cujas, 1975, pp. 265-298.
36
En réalité, bien qu’usant du terme, ni la Constitution, ni les textes d’origine législative ne donnent un aperçu de
la juridiction.
37
Doumbia ABOUDRAMANE, L’exécution des décisions des juridictions administratives par l’Administration
dans les Etats d’Afrique francophone : Les cas du Benin, de la Cote d’Ivoire et du Sénégal, Thèse de doctorat,
Université Alassane Ouattara (Bouake), 8 mars 2023, p. 18. L’auteur indique que « Dans l’arrêt François Xavier
SANTUCCI, rendu par la Chambre administrative de Cour Suprême en date du 28 avril 1976, le juge était invité
à se prononcer d’abord sur l’administrativité des actes pris par la Commission disciplinaire de l’Université
d’Abidjan confirmée par la Commission Permanente des Enseignements supérieurs de Côte d’Ivoire. Il s’agissait
de savoir si les décisions querellées au moyen du recours pour excès de pouvoir étaient des actes administratifs
ou plutôt des actes juridictionnels ? Autrement dit, les Commissions précitées étaient-elles des organes
administratifs ou des juridictions ? La Chambre administrative de la Cour Suprême n’a pas frontalement abordé
la question des critères d’une juridiction »,

137
Toutefois, en ayant recours au droit comparé, particulièrement à la jurisprudence administrative
française, il est possible d’y déceler des critères satisfaisants 38. Ainsi, dans l’arrêt Syndicat
normand de la filature et du coton39, le juge retient qu’une juridiction est d’abord reconnue par
sa création qui est nécessairement législative40 de même que par la procédure suivie devant elle.
De toute évidence, d’un point de vue matériel, la matière41 et la nature42 de l’affaire sont des
conditions couramment retenues. Pour l’essentiel, il est nécessaire de se référer aux qualités
intrinsèques43 de l’acte et qui définit l’acte juridictionnel comme un acte destiné à trancher
définitivement un litige conformément au droit44. Ensuite, à la nature de l’organe qui exerce la
fonction juridictionnelle45 ainsi qu’aux formes et procédures appliquées46. Partant, on peut être
tenté de cerner la juridiction comme une instance ayant vocation à trancher définitivement des
litiges en se basant sur le Droit et ce, dans le respect des droits et garanties procéduraux.
En substance, réfléchir sur la juridictionnalisation des AAI ne nécessite pas moins de
percevoir leur transformation en juridictions, que de serrer de près et de questionner la réalité
de ce phénomène. Il s’agit ainsi de marginaliser toute réflexion descriptive, tendant à exhiber
les pôles d’oppositions, afin de fournir une réponse éclairée. En effet, d’aucuns perçoivent les
AAI comme des organismes purement administratifs47, tandis que pour d’autres ces instances
sont de véritables juridictions48. Ainsi, face à leur administrativité affirmée mais débattue 49 en
raison de leur nature juridictionnelle avancée50, il semble opportun de mener une réflexion
objective, en marge de toute considération corporatiste, afin de saisir la réalité à l’aune du droit
ivoirien.
Dans ce cas de figure, la présente contribution n’est pas dénuée d’intérêts car elle met
en évidence un changement majeur dans la manière dont un système social choisit de régler ses
problèmes. La fonction contentieuse s’est essentiellement vue attribuée à une branche
particulière de l’État, l’organe juridictionnel51. En Côte d’Ivoire, l’on assiste éloquemment à

38
Idem, p. 18.
39
CE, sect, 6 février 1931.
40
Cette unanimité dans les divers ordres juridiques résulte des prescriptions constitutionnelles. En général, la
Constitution transfère cette compétence au législateur.
41
CE, 12 décembre 1953, De Bayo, Lebon, 544.
42
CE, Ass 7 février 1947, d’Arllières.
43
Laure MILANO, « Qu'est-ce qu'une juridiction ? La question a-t-elle encore une utilité ? », op.cit, p. 1132.
44
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit, p. 194.
45
Ibid.
46
Ibidem.
47
Thomas PERROUD, La fonction contentieuse des autorités de régulation en France et au Royaume-Uni, Thèse
de doctorat, université Panthéon-Sorbonne-Paris I, 6 décembre 2011, 1208 p. L’auteur démontre tout le long de sa
thèse que les AAI n’ont qu’une seule nature : administrative.
48
Taibi ACHOUR, « La justification du pouvoir de sanction des AAI de régulation est-elle toujours pertinente ? »,
op.cit, p. 466.
49
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », in Le transformations
contemporaines du droit public en Afrique, op.cit, p. 193.
50
Emmanuel JEULAND, « Régulation et théorie générale du procès », p. 260. in Les risques de régulation, ss. la
dir. De Marie-Anne Frison-Roche, Paris, Presses de Sciences Po, Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, Droit et
économie de la régulation, vol. 3, 2005. Cité par Thomas PERROUD, La fonction contentieuse des autorités de
régulation en France et au Royaume-Uni, op.cit, p. 46.
51
Thomas PERROUD, La fonction contentieuse des autorités de régulation en France et au Royaume-Uni, op.cit,
p. 46.

138
une évolution notable dans la mesure où certaines AAI, à l’instar de l’ARTCI, rendent des
décisions juridictionnelles52. Cela conduit manifestement à un éclatement de la fonction
juridictionnelle, si ce n’est, une « bizarrerie juridique »53. Ce sujet se trouve également au cœur
d’une controverse en raison de la distinction périlleuse des fonctions contentieuse et
juridictionnelle et de son approche fragmentée en doctrine. De même, il exhume les émois
légitimes relatifs aux violations des libertés des administrés mais surtout de la séparation
triadique des pouvoirs. De manière beaucoup plus pratique, ce sujet nécessite d’appréhender
comment ces autorités se meuvent dans l’enceinte de la sphère contentieuse à l’effet de ne pas
susciter « l’inquiétude des juges54 » et quelle est la position de ces derniers vis-à-vis de l’activité
de celles-là. L’intérêt social n’est pas non plus absent, car il s’agira d’apprécier les attentes des
administrés à l’égard de ces AAI, dans un État où les citoyens en raison de la lourdeur des frais
de justice et de la lenteur des procédures judiciaires, n’ont pas la culture de saisir les tribunaux.
De toute évidence, les AAI sont présentées comme ayant une nature administrative.
Toutefois, ces instances, « alors même qu’il ne s’agit que d’autorités administratives, se
comportent désormais comme des tribunaux »55. Il en est ainsi, alors même que dans un arrêt
de principe, Société Dragon Côte d’Ivoire dit DRACI c/ l’Autorité Nationale de Régulation des
Marchés Publics (ANRMP), la Chambre Administrative de la Cour Suprême a sans ambiguïté
rappelé que l’ANRMP, est « un organe administratif »56. Pourtant, le doute sur leur nature
demeure. L’ordonnance précitée sur l’ARTCI dispose que cette autorité rend des « décisions de
nature juridictionnelle ». Tirant les conclusions de ce qui prévaut, le Professeur Paterne
MAMBO a pu dire qu’« on assiste aujourd’hui à une juridictionnalisation des autorités
administratives indépendantes dotées d’un pouvoir de sanction, dans l’exercice de leurs
fonctions contentieuses»57. Au regard de ce qui précède, une interrogation mérite d’être
soulevée : Les autorités administratives indépendantes ivoiriennes sous étude peuvent-elles
véritablement être estampillées de juridictions, alors même qu’elles sont conçues comme un
démembrement de l’Administration ?
Le problème tel que posé invite à adopter une approche fonctionnelle, comparative et
casuistique en examinant le fonctionnement et l’activité de ces Autorités au cas par cas. Au-
delà de la précision méthodologique, l’analyse donne de constater que les AAI sont présentées
par les textes les instituant ainsi que par le juge comme des organismes administratifs, elles le
sont. Le juge administratif s’oppose farouchement à leur juridictionnalisation. Cette posture
puise sa source dans la loi car « la juridictionnalisation (…) semble être contraire aux vœux du

52
Article 113 de l’ordonnance n°2012-293 du 21 mars 2012 relative aux Télécommunications et aux Technologies
de l’Information et de la Communication.
53
Jean-Louis AUTIN, « Du juge administratif aux autorités administratives indépendantes : un autre mode de
régulation », RDP, 1988, n°5, p. 1221.
54
Delphine COSTA, « Les autorités administratives indépendantes », 1492. Cité par Kasséré AFO SABI, « La
juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique noire francophone », op.cit,
p. 129.
55
Marie-Anne FRISON ROCHE, « Les 100 mots de la régulation », Presses Universitaires de France, 2011, p. 5.
56
C.S.C.A, Arrêt n°17 du 27 février 2013, Société Dragon Côte d’Ivoire dite DRACI c/ Autorité Nationale de
Régulation des Marchés Publics (ANRMP).
57
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit, p. 193.

139
législateur lorsqu’il crée de telles autorités »58. C’est justement pourquoi elle est refoulée (I).
Toutefois, « l’originalité des autorités de régulation, l’hétérogénéité ou la dynamique des
fonctions qu’elles exercent, la distance entre le formalisme juridique et la pratique
institutionnelle invitent à questionner les évidences et les idées communément répandues »59.
Les AAI sans être reconnues comme des juridictions, jouissent des prérogatives ou pouvoirs et
sont soumises aux principes cardinaux de l’activité juridictionnelle. Ainsi, si officiellement
elles ne sont perçues que comme des instances administratives, une réflexion plus poussée
donne de constater qu’une nature juridictionnelle vient, d’une manière inavouée, se greffer à
leur administrativité. En cela, la juridictionnalisation s’avère sous-jacente (II).

I. UNE JURIDICTIONNALISATION REFOULÉE

L’ANRMP et l’ARTCI ont incontestablement de larges pouvoirs impliquant même « des


pouvoirs juridictionnels »60. C’est nul doute ce qui nourrit l’idée de leur potentielle nature
juridictionnelle, conduisant certains auteurs à voir dans ces organes des « quasi-juridictions »61.
Mais comme le défend radicalement le Professeur Emmanuel DECAUX, il n’existe pas de
quasi-juridictions car un organe est soit juridictionnel, soit il ne l’est pas62. À cet effet, en droit
ivoirien, la possibilité d’appréhender ces Autorités comme des juridictions semble être
totalement refoulée. En ce sens, il ne paraît pas inutile de s’intéresser au Comment et au
Pourquoi de ce refoulement. Autrement dit, il est question de saisir les manifestations voire les
termes du refoulement (A) avant d’assimiler et de questionner les raisons qui justifient une telle
position (B).

A. Les termes du refoulement

Le refoulement de la juridictionnalisation des AAI est affiché de manière fulgurante à


travers la consécration exclusive de leur nature administrative. Ces instances sont en ce sens
vues et appréhendées comme n’étant pas des juridictions mais des seules instances
administratives. Cela est clairement visible tant dans la consécration de leur nature juridique
(1) que dans la nature des décisions rendues (2).

58
Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié (Tome 2 :
Annexes) », consulté sur https://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404-222.html, le 11/01/2024 à 16h01 min.
59
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit, p. 198.
60
Lydie KIKI-NEME, « Le contentieux de la résiliation unilatérale des contrats administratifs en droit ivoirien »,
Revue Ivoirienne des Sciences Juridiques et Politiques, ISSN : 2664-1925, N°7, p. 161.
61
Delphine COSTA, « L’Autorité des marchés financiers : juridiction ? Quasi-juridiction ? Pseudo-juridiction ? À
propos de l’arrêt du Conseil d’État du 4 février 2005, Société GSD et M. YX , op.cit , p. 217. Voir également
KONRAD ADENAUER STIFTUNG, Les institutions de la République et les Autorités Administratives
Indépendantes (AAI) de la Côte d’Ivoire, Dialogue Politique en Afrique de l’Ouest, 3ème édition revue en Août
2020, 196 p.
62
Emmanuel DÉCAUX, « Que manque-t-il aux quasi-juridictions internationales pour dire le droit ? », in Le
dialogue des juges, André ROUX, Pierre DELVOLVÉ, al (dir.), Mélanges en l’honneur de Bruno GENEVOIS,
Dalloz, Paris, 2009, pp. 217-232.

140
1. Un refoulement visible à travers la nature juridique des AAI
Dans son brillant Rapport63 sous l’affaire Société Dragon64, le Professeur KOBO
(Président de l’ex-Chambre Administrative de la Cour Suprême ivoirienne) démontrait
magistralement que l’ANRMP, nonobstant son rapprochement fonctionnel aux instances
juridictionnelles ne pouvait être estampillée de juridiction. Une immixtion dans la sphère
textuelle et dans l’activité du juge donne de constater que le rejet de cette qualité juridictionnelle
ne concerne pas que l’ANRMP mais s’étend également à l’ARTCI.
En effet, le législateur ainsi que l’exécutif affirment presqu’en chœur la nature
administrative de ces autorités. À titre illustratif, l’ordonnance du 21 mars 2012 relative aux
télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication en son article
71 affirme la nature « administrative » de l’ARTCI. La position est nettement plus tranchée en
ce qui concerne la Cellule Recours et Sanction de l’ANRMP qui, aux termes d’un arrêté du 14
septembre 2010, est appréhendée comme « un organe non juridictionnel »65.
De plus, comme pour insister, la grammaire des textes refoule toute quelconque idée de
juridictionnalisation en rappelant la nature du règlement confié à ces organismes. En ce sens,
l’intitulé du Chapitre 1 du Titre IX de l’Ordonnance du 24 juillet 2019 portant Code des
Marchés publics est assez expressif sur la nature du règlement de litiges portée devant
l’ANRMP. La formule est posée comme suit « Recours préalables non juridictionnels ». C’est
dire que l’ANRMP n’est pas une juridiction, autrement elle serait en charge du règlement
« juridictionnel » et non chargé de la résolution « non juridictionnel » des différends. D’ailleurs,
dans ses décisions elle prend le soin de préciser la nature du recours exercée devant elle. Il en
a été ainsi dans l’affaire Société Ivoirienne de Prestation de Service Divers (SIPSD) ayant
suscité la reddition de la décision de l’ANRMP du 12 mai 201666. Le régulateur précise :
« Qu’en exerçant le recours non juridictionnel devant l’ANRMP le 13 avril 2016 avant de saisir
le 18 avril 2016, le CROU A1, d’un recours gracieux, sans avoir procédé dans les délais
réglementaires à la régularisation de son recours, la SIPSD a violé les articles 167 et 168.1 du
Code des marchés publics ». Il en va de même de l’affaire Yzas Baker Tilly67 du 15 juillet 2022.
Le règlement non-juridictionnel est donc, tautologiquement, celui confié à une autorité non-
juridictionnelle68.

63
Rapport du Président Pierre Claver KOBO, dossier n°2012-055 REP du 05 juillet 2012, affaire Société DRAGON
de Côte d’Ivoire dite DRACI C/ l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP), Audience du
28novembre 2012, Disponible sur http://www.consetat.ciiapplwebroot/imÿfiles/pdfs/RAPPORT_n2012-
055_REP.pdfl. Consulté le 17/01/2024 à 10h30 min.
64
C.S.C.A, Arrêt n°17 du 27 février 2013, Société Dragon Côte d’Ivoire dite DRACI c/ Autorité Nationale de
Régulation des Marchés Publics (ANRMP).
65
Arrêté n66/mef/anrmp du 14 septembre 2010 fixant les modalités de saisine, les procédures d’instruction et de
décision de la cellule recours et sanctions de l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics.
66
Décision n°013/2016/ANRMP/crs du 12 mai 2016 sur le recours de la Société Ivoirienne de Prestations de
Services Divers (SIPSD) contestant les résultats de l’appel d’offres national n°p199/2015 organisé par le centre
régional des œuvres universitaires d’Abidjan 1 (CROU-A1).
67
Décision n°088/2022/ANRMP/crs du 15 juillet 2022 sur le recours du cabinet Yzas Baker Tilly contestant le
processus de finalisation de l’attribution du marché relatif à l’audit comptable et financier du projet des chaînes de
valeur compétitives pour l’emploi et la transformation économique (PCCET) au titre des exercices 2022, 2023 et
2024.
68
Cyr Marie Euloge BOKA, Le principe de transparence dans les procédures concurrentielles de passation de
marchés publics en Côte d’Ivoire, Thèse de doctorat, Université Alassane Ouattara, 2020, p. 220.

141
En parallèle, le juge ivoirien n’est pas resté en hibernation et s’est aligné à la
qualification prévue par les textes législatifs et réglementaires. Ainsi, dans un arrêt de principe,
affaire Société-Dragon Côte d’Ivoire contre l’ANRMP rendue le 27 février 2013 par la
Chambre Administrative de la Cour Suprême, la plus Haute juridiction administrative
ivoirienne affirme sans ambiguïté que « (…) l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés
Publics est un organe administratif ». D’ailleurs, cette administrativité dont les écorces
législatives et règlementaires recouvrent peut-être les vieux bois d’une coutume, reçoit un
accueil chaleureux auprès d’une partie importante de la doctrine. Sous cette veine, il n’est pas
utile de multiplier les exemples. Laurence Calandri, dans une étude digne d’intérêt, appréhende
les autorités de régulation comme des « organismes administratifs particuliers »69, qui exercent
« une activité administrative spécifique »70. Cette particularité est tirée de l’hétérogénéité de
leurs pouvoirs ainsi que de la spécificité des missions qu’elles sont amenées à remplir. Le
professeur Pierre Claver KOBO ne dit substantiellement pas autre chose. En effet, en sa qualité
de rapporteur sous l’arrêt société Dragon précité, il s’est attelé à démontrer majestueusement
que nonobstant les doutes affichés et les idées préconçues, l’ANRMP est un organisme
administratif.
Au surplus, l’une des réalités qui illustre à suffisance la nature administrative des AAI et
qui refoule par conséquent leur juridictionnalisation est l’impossibilité de soulever l’exception
d’inconstitutionnalité devant elles. Pour rappel, l’inconstitutionnalité d’une loi par la voie
d’exception ne peut être soulevée que devant « toute juridiction ». Or, une telle possibilité ne
peut, au regard du droit en vigueur, être reconnu au « justiciable » d’une AAI. En fait,
l’impossibilité pour un administré de soulever l’exception d’inconstitutionnalité devant ces
autorités corrobore l’idée selon laquelle ces dernières ne sont pas des juridictions. En tout cas,
elles ne sont pas considérées comme telles à l’aune du droit positif ivoirien. Mais cet état de
fait n’est pas propre à la Côte d’Ivoire. En France par exemple, comme le souligne Laure
Milano, « la notion de juridiction est devenue l’objet d’un nouvel enjeu dans le cadre de la
question prioritaire de constitutionnalité »71. La faculté de poser une QPC n’est reconnue
qu’aux juridictions. Et « La possibilité pour une AAI disposant de pouvoirs de sanction de poser
une telle question a été évoquée mais immédiatement écartée »72. Le fondement d’une telle
réaction est que ces organismes sont administratifs et non juridictionnels. En Côte d’Ivoire,
nous n’avions pas encore eu écho qu’une question préjudicielle ait été soulevée devant une
AAI. Leur nature juridique fait obstacle à ce qu’une telle action procédurale soit intentée. La
juridictionnalisation des AAI est visiblement refoulé à travers la nature juridique de ces organes.
Cette position « est, d’ailleurs, confortée par des arguments relatifs à la nature des décisions
que rendent ces autorités »73.

69
Laurence CALANDRI, Recherches sur la notion de régulation en droit administratif français, Paris, Librairie
générale de droit et de jurisprudence, 2008, p. 385.
70
Idem, p. 383.
71
Laure MILANO « Qu'est-ce qu'une juridiction ? La question a-t-elle encore une utilité ? », op.cit. p. 1120.
72
Idem, p. 1120.
73
Paterne Yapi MAMBO, « Du contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics : cas des États francophones d’Afrique de l’ouest », in La tribune de la Chambre
Administrative, n°08 -Juin 2017 – Trimestriel, p. 25.

142
2. Un refoulement affiché à travers la nature des décisions rendues
La nature juridique des AAI imprime logiquement celle des décisions qu’elles sécrètent.
À l’évidence, ces organismes ne sont pas des juridictions, ce qui suppose qu’elles ne rendraient
que des décisions administratives et non juridictionnelles. L’article 112 de l’ordonnance
précitée sur l’ARTCI indique la nature administrative de certaines de ses décisions. Dans cette
veine, le juge prend le soin de le rappeler. En effet, dans l’affaire Société Orange Côte d’Ivoire
c/ l’Autorité de Régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire (ARTCI) en date du 25
février 201574, la Haute juridiction administrative rappelle clairement la nature des décisions
du régulateur. Dans un considérant digne d’intérêt, le juge fait observer que « les décisions des
autorités administratives indépendantes, notamment celles des autorités de régulation, dans le
cadre de la mission à elles confiées, ont le caractère de décisions administratives faisant
grief ». Puis il renchérit en indiquant qu’« il ne s’agit pas d’une décision juridictionnelle, mais
d’une décision administrative ».
Le fait pour les AAI de rendre des décisions de nature non juridictionnelle alimente l’idée
selon laquelle elles ne sont pas des juridictions. Mais à ce propos, il y a lieu d’y apporter une
précision qui ne doit pas passer inaperçue. L’ordonnance précitée sur l’ARTCI prévoit expressis
verbis que ce régulateur peut prendre à la fois des décisions de nature juridictionnelle75et des
décisions administratives. Cette possibilité de rendre des décisions de nature différente selon
les cas attise la curiosité. Il convient impérieusement, dans le souci de garantir la sécurité
juridique des administrés, d’examiner les matières dans lesquelles l’autorité de régulation est
amenée à prendre des décisions administrative et juridictionnelle. Pour l’heure notons que
nonobstant cette hybridité, le juge administratif affiche sans ambiguïté son refus de considérer
ces organes comme des organismes juridictionnels. C’est ce qui justifie qu’il insiste sur la
nature non juridictionnelle de leurs décisions. Mais s’agit-il d’une obstination ? Le juge
administratif afficherait-il cette position étanche car les décisions autres qu’administratives de
l’ARTCI relèveraient de la compétence de la Cour d’Appel d’Abidjan et non de son office ?
Nous y apporterons plus de précisions dans nos développements ultérieurs. Pour l’heure, s’il
est une vérité qu’on peut avancer avec véhémence c’est que le rejet de la juridictionnalisation
des AAI passe inéluctablement par la consolidation du rappel de la nature administrative des
décisions qu’elles rendent au contentieux. Ces décisions parce qu’également dépourvues de
l’autorité de la chose jugée devraient achever de convaincre que les organismes émetteurs ne
sont pas des juridictions.
En fait, les décisions de l’ARTCI (autres que juridictionnelles) ainsi que celles de
l’ANRMP ont une nature administrative et sont par conséquent, dépourvues de l’autorité de la
chose jugée. Sous cette lancée, une plume autorisée éclaire la notion par la systématisation de
ses effets. Selon elle, l’autorité de la chose jugée suppose d’abord que ce qui a été jugé ne peut
être jugé à nouveau (si ce n’est en conséquence de l’exercice d’une voie de recours contre la
décision juridictionnelle). Ensuite, ce qui a été jugé ne peut être contredit. Enfin, ce qui a été

74
C.S.C.A, Arrêt n°54 du 25 février 2015, Société Orange Côte d’Ivoire c/ Autorité de Régulation des
Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire (ARTCI).
75
Article 113 alinéa 1 de l’ordonnance. Nous apporterons plus de détails dans nos développements ultérieurs.

143
jugé doit être exécuté76. Parallèlement, la tonalité dominante en doctrine souscrit à l’idée selon
laquelle « l’autorité de la chose jugée suffit à caractériser l’activité juridictionnelle »77. On
peut considérer avec le professeur Paterne MAMBO qu’à partir du moment où les décisions
rendues au contentieux par les autorités de régulation n’ont pas valeur de vérité légale, elles ne
sauraient être regardées comme des décisions définitives. Et dans ces conditions, « elles ne sont
pas inattaquables »78. Il va sans dire que, seules les décisions rendues par le juge, généralement
par le juge suprême, sont teintées de l’autorité de la chose jugée. Le professeur KOBO ne
manque pas de le signifier lorsqu’il avance que « l’autorité de la chose jugée est un attribut de
la décision juridictionnelle »79. Toutefois, cela ne suppose pas pour autant que les décisions des
AAI soient dépourvues de toute autorité. En réalité, elles revêtent une autorité non négligeable
d’autant plus qu’elles sont obligatoires et doivent s’appliquer. Cependant, l’autorité dont elles
sont revêtues est d’une tout autre nature. On dit qu’elles sont dotées de l’autorité de la chose
décidée qui est complétement différente de la chose jugée. Celle-là s’attache aux décisions
rendues par les autorités administratives. Elles supposent que ces décisions sont certes
contraignantes, mais précaires en ce sens qu’elles ne bénéficient pas de la présomption de vérité
légale dont jouissent les décisions de justice.
Sous cet aspect, l’avenir des décisions du régulateur dépend du sort que lui réserve le juge
de la légalité, le censeur des décisions de l’autorité de régulation prises en matière contentieuse.
Ce constat dénote sans ambiguïté que les AAI ne sont pas des juridictions, à défaut leurs
décisions auraient fait l’objet de voies de recours juridictionnelles à savoir entre autres l’appel
et la cassation. Pour preuve, il a été rappelé que les décisions de l’ANRMP sont des actes
administratifs80 et ne peuvent ainsi faire l’objet d’un recours en cassation81 mais plutôt d’un
recours en annulation pour excès de pouvoir82. Sous cet angle, « la messe semble dite »83.
L’administrativité des AAI est embrassée et célébrée alors que la juridictionnalisation est
refoulée et condamnée. La vérité est que le rejet de la juridictionnalisation n’est pas neutre. Il
semble reposer sur des justifications résolument affirmées.

B. Les justifications du refoulement

Le refus de reconnaître la qualité de juridiction aux AAI semble visiblement être justifié,
en doctrine, par les effets déviants qui pourraient résulter d’une telle reconnaissance. La

76
Pierre Claver KOBO, « Du respect de l’autorité de la chose jugée », in La tribune de la Chambre Administrative,
n°4-Avril 2015-Trimestriel, p. 3.
77
Idem, p. 221.
78
Paterne Yapi MAMBO, « Du contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics : cas des États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit. p. 27.
79
Pierre Claver KOBO, « Du respect de l’autorité de la chose jugée », op.cit. p. 3.
80
C.S.C.A. Arrêt n°169, 19 octobre 2016, Société Abidjanaise de dépannage dite SOAD c/ Autorité Nationale de
Régulation des Marchés Publics (ANRMP).
81
Rapport du Président Pierre Claver KOBO, dossier n°2012-055 REP du 05 juillet 2012, op.cit.
82
C.S.C.A, Arrêt n° 188 du 30 décembre 2014, Société Jan De Nul SA c/ Autorité Nationale de Régulation des
Marchés Publics (ANRMP).
83
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit, p. 186.

144
juridictionnalisation de ces organismes serait à la fois inappropriée aux exigences de la
régulation (1) et perçue comme un phénomène brouillant l’ordre institutionnel (2).

1. La juridictionnalisation, un phénomène inapproprié aux exigences de la


régulation
On justifie la création des autorités administratives indépendantes de régulation et le
pouvoir de sanction dont elles disposent, « par la volonté de pallier les limites des pouvoirs
classiques, en particulier le pouvoir judiciaire inadéquat, du fait de la lourdeur de sa procédure
et jugé incapable de maîtriser la technicité prévalant en matière économique »84. C’est
pourquoi il est clair que « le législateur a entendu mettre en place une autorité administrative
indépendante et non une juridiction »85. L’objectif est donc de trancher avec le formalisme
pesant qui caractérise l’activité des juridictions. Le législateur ivoirien a tiré les conséquences
de cet état de fait en conférant à des organismes non juridictionnels la prise en charge des
secteurs sensibles tout en les exemptant d’une inflexibilité fonctionnelle afin de répondre aux
exigences d’efficacité et de souplesse dont a besoin la sphère économique. Or,
« juridictionnaliser » ces autorités en charge de la régulation reviendrait inéluctablement à les
judiciariser. Ce mécanisme se fait en inscrivant l’essentiel des règles qui caractérisent le
régulateur dans le même moule procédural qu’une juridiction. La judiciarisation des AAI
impliquerait ainsi « un alourdissement considérable de leurs règles procédurales »86. La
conséquence directe d’une telle opération serait logiquement l’inefficacité de l’activité de
régulation. C’est assurément ce qui justifie et « écarte d’office une juridictionnalisation»87.
En effet, les AAI ont été créées dans le but d’agir avec efficacité et rapidité. C’est «
justement la recherche de cette rapidité de réaction qui (…) a poussé le législateur à les doter
d’un pouvoir de sanction, permettant ainsi d’échapper aux lenteurs juridictionnelles »88. Ainsi,
elles sont « préservées d’un excès de formalisme qui serait de nature à diminuer l’efficacité de
leur activité de régulation »89. Toutefois, la conversion d’une AAI en juridiction impliquerait
que celle-là respecte les règles minimalistes qui jaugent celle-ci. Règles qui apparaissent
manifestement pesantes à l’aune des impératifs de la régulation. En fait, autant les AAI
juridictionnalisées devront respecter les règles escarpées, qui constituent la matière grise du
formalisme judiciaire, dans le prononcé des sanctions, autant les administrés devront se
conformer à un véritable rituel judiciaire.

84
Taibi ACHOUR, « La justification du pouvoir de sanction des AAI de régulation est-elle toujours pertinente ? »,
op.cit, p. 463.
85
Laurent RICHER, « Le règlement des différends par la Commission de régulation de l’énergie », in Mouvement
du droit public, Mélanges en l’honneur de Franck MODERNE, Dalloz, Paris, 2004, p. 402.
86
Mathias GUYOMAR, « Les sanctions administratives », Petites affiches, 12 janvier 2006, n° 9, p. 9.
87
« Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié (Tome 2 :
Annexes) », consulté sur https://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404-222.html, le 11/01/2024 à 16h01 min.
88
Brynjolf BLAIS, « Les AAI et l’émergence du droit au procès équitable dans la procédure de sanction d’objet
juridiques non-identifiés », in Regard sur le droit au procès équitable, Actes de colloques l’IFR, sous la direction
de Benjamin LAVERGNE et Mehdi MEZAGUER, pp. 117-136, disponible sur
https://books.openedition.org/putc/587?lang=fr ,p. 6. Consulté le 12/01/2024.
89
Mattias GUYOMAR et Pierre COLLIN, « La frontière entre le retrait d'agrément prononcé par la Commission
des opérations de Bourse au titre de ses pouvoirs de police et celui prononcé au titre de son pouvoir de sanction
est précisée », chronique sous CE, 22 juin 2001, Sté Athis, n° 193392, AJDA, n° 7 du 20 juill. 2001, p. 634.

145
Plus concrètement, et à titre illustratif, l’on observe en l’état actuel une simplification du
droit de saisine de l’ANRMP. Car non seulement le régulateur peut s’autosaisir, prérogative
dont ne jouit pas les juridictions ivoiriennes, mais de plus le droit d’action devant lui est reconnu
à « toute personne physique ou morale de droit privé ou de droit public, partie ou non à un
marché public ou à une convention de délégation de service public, qui a connaissance de faits
ou qui a intérêt à voir prononcer des sanctions pour atteinte à la réglementation »90. Au
surplus, la recevabilité de la dénonciation n’est pas soumise au paiement de frais de recours ni
à l’exercice d’un RAP91. Celle-ci est directement faite devant l’autorité de régulation « par tout
moyen laissant trace écrite ou par appel téléphonique effectué sur une ligne verte prévue à cet
effet »92.
La grande flexibilité de cette procédure est ainsi dictée par l’impératif de souplesse dont
a besoin la sphère économique. Cette logique tranche avec l’archaïsme du formalisme
juridictionnel. Mais les choses pourraient être quelque peu différentes, si par les effets de la
juridictionnalisation, l’ANRMP devenait une véritable ou une totale juridiction. Partant, elle
devra se conformer à la conditionnalité pesante qui prévaut en matière judiciaire. Même muer
en juridictions spéciales à l’instar des juridictions commerciales, le formalisme serait sans doute
modulable (car des règles spéciales de saisine peuvent être aménagées), mais ce formalisme
sera un peu plus strict que celui qui transparaît devant les AAI. D’ailleurs, il serait de nature à
décourager les opérateurs qui n’ont visiblement pas la maîtrise des procédures judiciaires93.
C’est pourquoi un auteur estime qu’on « ne saurait raisonnablement soumettre les AAI aux
mêmes exigences que les juridictions classiques »94. En fait, la juridictionnalisation de
l’ANRMP reviendrait à la transformer en juridiction et à effacer le recours de nature non
juridictionnelle exercée devant elle. Ce qui ne va pas forcément de soi avec les intérêts des
administrés qui rechignent le recours au juge. Alors si le justiciable trouve gain de cause dans
les procédés non juridictionnels, incombe-t-il dans ce cas de promouvoir ces recours et non de
transformer leur nature.

90
Article 10 alinéa 1 de l’arrêté précité.
91
Adjé Houssou Yao KONAN, « Note sous arrêt n° 188 du 30 décembre 2014, Société Jan De Nul SA c/ Autorité
Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP), in La tribune de la Chambre Administrative n°4-Avril
2015-Trimestriel, p. 18.
92
Article 11 alinéa 1 de l’arrêté précité.
93
À ce propos, madame AMBEU explique que, les opérateurs en matière des télécommunications ne manquent
pas d’attaquer les décisions du régulateur en usant des procédures d’urgence à l’instar du sursis à exécution.
Toutefois, vertigineux est le nombre de requêtes rejeté par la Chambre Administrative en raison d’une ignorance
criarde dans le maniement de ces procédés. Pour plus de détails, voir Patricia AMBEU, « La chambre
administrative, juge de la régulation », op.cit., p. 12 et suivants.
94
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 134.
En réalité, nonobstant les efforts consentis pour assurer l’accès gratuit à la justice à travers l’assistance judiciaire,
la réalité donne de constater que la saisine des juridictions impose une contrepartie pécuniaire. Or la saisine
notamment de l’ARTCI est gratuite. La saisine de l’ANRMP en matière de recours en litiges est soumise au
paiement des frais qui s’élèvent à 25.000 franc CFA94. Toutefois, la saisine en matière de dénonciation est gratuite.
Et même en matière de règlement des différends, lorsque les dossiers nécessaires à la saisine de la Cellule Recours
et Sanctions ne sont pas complétement réunis, le Secrétariat fixe un délai de quarante-huit (48) heures au requérant
aux fins de régularisation du recours. En serait-il de même si l’ANRMP devenait une véritable juridiction ? La
saisine serait-elle gratuite ? Les administrés pourront-ils la saisir par le truchement d’un simple appel
téléphonique ? Le rêve est permis. En l’état actuel du droit ivoirien, les juridictions sont à cheval sur le formalisme.
Qu’il suffise de scruter les conditions prévues en matière de recevabilité du REP par exemple.

146
La juridictionnalisation des AAI serait ainsi porteuse, d’un certain point de vue, d’une
réelle incongruité. L’accumulation de juridictions serait quelque peu vide de sens. Si le
règlement non juridictionnel des litiges a été confié à des organismes non juridictionnels, c’est
justement à des fins techniques et d’opportunité. Ces instances contribuent à n’en point douter
au désengorgement des juridictions qui sont souvent saisies de manière volatile. Il est vrai
qu’avec la nouvelle loi sur le Conseil d’État ivoirien, le juge a désormais le pouvoir de
condamner le requérant pour recours abusif, mais la fonction contentieuse des AAI permet
réellement de tamiser les litiges devant être portés à la connaissance du diseur de loi. De toute
façon, comme le note Pascale IDOUX, « une juridictionnalisation totale des AAI n’aurait pas
de sens »95. En effet, « à quoi bon confier à une autorité particulière plutôt qu’au juge pénal le
soin de conduire une mission répressive en certaines matières, si c’est pour exiger de cette
autorité qu’elle se comporte exactement comme un juge pénal ? »96. Quoiqu’il en soit, la
juridictionnalisation des AAI brouillerait apparemment, au surplus, l’ordre institutionnel.

2. La juridictionnalisation, un phénomène brouillant l’ordre institutionnel


Pour rappel, malgré la diversité de leurs pouvoirs, l’action des AAI n’est pas extérieure à
l’Administration dont elle constitue le prolongement nécessaire. Pourtant, « l’absence d’une
place spécifique de l’administration et son rattachement au pouvoir exécutif »97 est une réalité.
Ainsi, parce que lié au pouvoir exécutif, les AAI bouleverseraient le « principe de séparation
des pouvoirs »98 s’il advenait qu’elles soient muées en de véritables et totales juridictions. De
même, le résultat du processus tendant à les métamorphoser en juridictions pourrait conduire
celles-là à supplanter celles-ci. Sous ce vocable, la stabilité de l’ordre institutionnel se trouvera
ébranlée.
En réalité, la régulation nécessite le transfert d’un ensemble de pouvoirs hétérogènes à
une seule autorité « dans un domaine restreint et d’une manière qui les uniformise et les place
tous au même niveau »99. De ce fait, les AAI exercent un pouvoir qui est fondamentalement
administratif. Ce qui rend compte de leur positionnement dans l’architecture institutionnelle car
l’administration est le « bras séculier » du gouvernement. Le doyen VEDEL s’intéressant à la
question faisait un constat encore plus poussé en considérant que « l’administration n’est
qu’une des activités gouvernementales »100. Les AAI relèvent en tant que tel de l’exécutif car
administration et gouvernement appartiennent au pouvoir exécutif101.
Au demeurant, transformer les AAI en juridictions serait un affront au principe de la
séparation des pouvoirs. En fait, « dans la logique institutionnelle classique, il revient en effet

95
Pascale IDOUX, « Autorités administratives indépendantes et garanties procédurales », « Autorités
administratives indépendantes et garanties procédurales », Revue française de droit administratif, 2010, p. 929.
96
Martin COLLET, « Autorité de régulation et procès équitable », AJDA, 2007, p. 80.
97
Georges VEDEL, « Les bases constitutionnelles du droit administratif », EDCE, 1954, n°8, pp. 21-53.
98
Jacques CHEVALLIER, « Autorités administratives indépendantes et État de droit », Civitas Europa, 2016/2,
n°37, p. 148.
99
Quentin EPRON, « Le statut des autorités de régulation et la séparation des pouvoirs », Revue française de droit
administratif, 2011, p. 3.
100
Prosper WEIL, Que sais-je ? n°1152, Le droit administratif, p. 6. Cité par DEGNI-SEGUI (René), Introduction
au droit, EDUCI, 2ème trimestre, 2009, p. 166.
101
René DEGNI-SEGUI, Introduction au droit, EDUCI, 2ème trimestre, 2009, p. 167.

147
au juge […] de sanctionner les atteintes au droit »102. De même, il appartient à l’exécutif
« d’exécuter » et non de « juger ». La juridictionnalisation brouillerait cette logique. En effet,
nous assisterons à un juge qui administre, et à un administrateur qui juge. Ce qui est clairement
non souhaitable en droit en ce sens qu’elle provoque une sorte de déclin de la séparation entre
le juge et l’administration active, jadis érigée en principe103. Il serait irréfutablement vain de
chercher à repérer la séparation des pouvoirs telle que conceptualisée et diffusée. La
juridictionnalisation des AAI se heurterait, du moins formellement, à la séparation triadique des
pouvoirs. Cette séparation horizontale dans sa conception initiale et dans sa traduction
institutionnelle habituelle sera pour le moins « inhibée » et cela est « irréfutable »104.
De plus, il est incontestable que l’institution du recours non juridictionnel devant les AAI
est d’une utilité certaine. En réalité, par les avis qu’elles donnent aux autorités judiciaires, les
AAI les éclairent dans leurs prises de décisions. Rappelons-le, l’instauration d’une AAI en
matière économique est plus ou moins justifiée par l’incapacité supposée du juge à maîtriser la
technicité prévalant en matière économique. En fait, « une juridiction (…) ne pourrait avoir
une information détaillée et de qualité qu’après consultation de ces autorités »105. Dans ce cas,
lorsqu’elle est saisie d’un recours sur lequel une AAI s’est préalablement prononcé dans le
cadre d’un recours non juridictionnel, les développements de l’autorité servent ou pourraient
incontestablement servir le juge. En ce sens, l’AAI participe à la fabrique de la décision
juridictionnelle. Elles ont vocation à aider les juridictions plutôt qu’à les concurrencer. De
même, notons qu’avec le recours à la procédure de l’amicus curiae prévue par la loi de 2020
sur le Conseil d’État, le Conseil peut recourir à un expert pour l’éclairer sur les affaires
pendantes devant lui en raison de leur complexité. En ce sens, les AAI pourront jouer ce rôle
dans la mesure où la composition des membres les étoffant est principalement basée sur le
critère de l’expertise.
Toutefois, il n’en sera probablement pas ainsi s’il advenait que ces organismes chargés
de se prononcer sur des questions de droit avant toute saisine du juge soient, sous l’impulsion
de la juridictionnalisation, mués en de véritables juridictions. À dire vrai, tout porte à croire que
la juridictionnalisation des AAI aura les mêmes conséquences que celles des M.A.R.C106, à
savoir la « marginalisation des juridictions »107. Les AAI muées en juridictions se prononceront
sur les affaires sur lesquelles elles sont saisies en conséquence. La possibilité d’enrichissement
à travers un dialogue mutuel entre AAI et juridictions ne sera plus d’actualité. Les juridictions
ne connaîtraient des recours contre les affaires portées devant les AAI qu’en Appel ou en
Cassation. C’est sûrement la raison pour laquelle le professeur KOBO a estimé qu’il n’était pas

102
François BRUNET, « De la procédure au procès : le pouvoir de sanction des autorités administratives
indépendantes », cité par Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives
indépendantes en Afrique noire francophone », op.cit, p. 123.
103
Kasséré AFO SABI, précité, p. 123.
104
Idem, p. 123.
105
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 128.
106
Charles JARROSSON, « Les modes alternatifs de règlement des conflits. Présentation générale », Revue
internationale de droit comparé, 1997, 49-2, pp. 325-345.
107
Pierre Claver KOBO, « Le juge ivoirien et le contentieux des contrats administratifs », op.cit. p. 10. Le
professeur KOBO fait allusion à aux M.A.R.C.

148
« nécessaire de créer, à l’exemple du contentieux commercial, des juridictions spéciales »108.
En tout état de cause, quoiqu’étant refoulée et malgré les arguments avancés, ce tableau semble
reposer sur des assises fragiles. Il est pour le moins « une vue d’optique »109 et relèverait « des
musées de contemplation »110. Une lecture plus poussée des textes créant ces organes donne
de constater une nature juridictionnelle sous-jacente.

II. UNE JURIDICTIONNALISATION SOUS-JACENTE

Les AAI sont vues et appréhendées, en droit ivoirien, comme des organismes
administratifs, d’ailleurs elles le sont. Et « pourtant, l’analyse permet de constater que les
choses ne sont pas aussi simples, aussi nettes, tant la figure de ces autorités de régulation que
leur morphologie, rendent complexe la détermination de leur nature juridique »111. En fait,
malgré leur administrativité avancée, la diversité de leurs missions et fonctions « bouscule les
certitudes, déconstruit les logiques établies et interpelle le juriste »112 en l’invitant à
s’interroger, à défaut d’affirmer. Sous cette dynamique, l’administrativité absolue des AAI
apparaît comme un beau leurre. En effet, lorsqu’elles tranchent des litiges ou usent de leurs
pouvoirs de sanction, les AAI « touchent » à la fonction juridictionnelle et de ce fait, la
possibilité de les appréhender comme de véritables juridictions « ne paraît plus
inconcevable » . La réflexion permet d’observer les linéaments d’une nature juridictionnelle
113

liée au respect de certains principes du procès équitable (B) ainsi qu’une juridictionnalisation
irréversible au regard de la mission de règlement des litiges (A).

A. Une juridictionnalisation irréversible au regard de la mission de règlement des


litiges

La juridictionnalisation des AAI ivoiriennes est une réalité agissante, consommée,


irréversible qu’il va falloir démontrer en débusquant les différents critères qui attestent de son
existence. Quoiqu’étant le monopole des juridictions, l’on observe que la mission de règlements
des litiges exercée par les AAI dénote un rapprochement de celles-ci des instances
juridictionnelles dans le traitement des différends114 (1). De même, il est à relever leur
immixtion dans la sphère juridictionnelle au regard des décisions sécrétées (2).

108
Idem, p. 9.
109
Jean-François BAYART, « Religion et politique en Afrique : le paradigme de la cité cultuelle », Études
africaines comparées, p. 18.
110
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes… », op.cit, p. 124.
111
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit. p. 193.
112
Idem, p. 201.
113
François BRUNET, « De la procédure au procès : le pouvoir de sanction des autorités administratives
indépendantes », RFDA, n°1, 2013, pp. 112-s. Cité par Jacques CHEVALLIER, « Autorités administratives
indépendantes et État de droit », op.cit. p. 152.
114
Litiges et différends sont utilisés dans le cadre cette étude comme des termes interchangeables.

149
1. Un rapprochement aux instances juridictionnelles dans le traitement des litiges
Dans le traitement de ces litiges, les AAI pastichent incontestablement les juridictions. À
l’instar de ces dernières, elles sont amenées à examiner leur compétence ainsi que la recevabilité
des litiges portés devant elles. De plus, leur activité de résolution des litiges implique
manifestement le maniement par elles, des mêmes prérogatives qu’une juridiction, rendant ainsi
légitime la suspicion à l’égard de leur administrativité absolue avancée.
En effet, l’examen des conditions liées à la recevabilité d’une requête pour la résolution
d’un litige n’est pas connu des AAI et dénote « le danger qui existerait si tout pouvait être
contesté par tous ».115 C’est pourquoi, à l’instar des juridictions, la saisine de ces Autorités
impose des impératifs, certes flexibles mais incontournables, liés à la recevabilité. En vertu du
principe général de droit processuel selon lequel : « nul ne plaide par procureur »116, l’action
tendant à saisir les AAI en vue du règlement des différends doit émaner d’une personne ayant
un intérêt pour agir. Cet intérêt permet au requérant de justifier sa requête tout en accomplissant
les démarches nécessaires à l’introduction de celle-ci. Dans le domaine des télécommunications
par exemple, la saisine de l’ARTCI impose au requérant (personne physique ou morale) le
respect d’un certain « rituel » procédural. Celui-ci doit justifier d’un droit lésé qui se caractérise
notamment par une violation par un opérateur ou fournisseur de services de
télécommunications, de dispositions légales ou réglementaires en matière de TIC ou de clauses
conventionnelles117. Même dans ce cas de figure, la saisine de l’ARTCI est subordonnée à un
recours devant le service clientèle de l’opérateur ou du fournisseur de services118. De même, le
requérant doit justifier qu’il a intérêt à agir. À cet effet, dans l’affaire opposant l’Association
des Consommateurs de Télécommunications de Côte d’Ivoire dite ACOTELCI aux Sociétés
Orange Côte d’Ivoire, MTN Côte d’Ivoire et Atlantique TELECOM Côte d’Ivoire dite MOOV,
l’ARTCI a eu à se prononcer dans ce sens119. Dans cette affaire, l’autorité de régulation a
déclaré l’action en réparation sollicitée par ladite association irrecevable « pour défaut
d’intérêt pour agir ». Elle peut de même déclarer une requête irrecevable pour forclusion120.
De plus, l’on peut remarquer que « l’exercice des pouvoirs de sanction par certaines AAI
leur offre la possibilité d’exercer une fonction qui matériellement, relève de la fonction
juridictionnelle ».121 En fait, même si elles sont considérées comme des autorités
administratives, « le régime juridique des sanctions administratives qu’elles prononcent
comporte des contraintes particulières qui les éloignent des autorités administratives

115
Pascale CAILLE, « Contentieux administratif – Première Partie – Titre II – Chapitre I – Les parties à
l’instance » : Revue générale du droit on line, 2017, numéro 25889, disponible sur www.revuegeneraledudroit.eu
, consulté le 18/12/2023 à 18h 34min, p. 5.
116
Maan BOUSABER, « Les principes généraux de droit et la procédure civile », disponible sur
https//biblioteca.cejamericas.org, consulté le 18/11/2022 à 20h 32min, p. 2.
117
Article 104 alinéa 1 de l’Ordonnance n°2012-293 du 21 mars 2012 relative aux Télécommunications et aux
Technologies de l’Information et de la Communication, JORCI n° 8 du 14 août 2012.
118
Article 176 de l’Ordonnance précitée.
119
Décision juridictionnelle N°001/2021 du 09 février 2021 du Conseil de Régulation de l’ARTCI relative à la
requête en dommages et intérêts de l’ACOTELCI contre ORANGE Côte d’Ivoire, MTN Côte d’Ivoire et
Atlantique TELECOM Côte d’Ivoire.
120
Article 106 de l’Ordonnance précitée.
121
Paule QUILICHINI, « Réguler n’est pas juger – Réflexions sur la nature du pouvoir de sanction des autorités
de régulation économique », op.cit, p. 1060.

150
classiques pour les rapprocher du juge »122. Elles peuvent infliger des amendes, prononcer des
astreintes et adresser des injonctions. À titre de droit comparé, soulignons qu’en France,
l’affaire Télécom c/ART illustre cette tendance. Dans cette affaire, il a été reconnu que l’ART
disposait d’un pouvoir d’injonction, alors même que la loi ne lui avait pas expressément conféré
une telle prérogative. La justification de cette interprétation repose sur la nécessité d’un tel
pouvoir pour que le régulateur soit en mesure de remplir l’objectif de maintien de la
concurrence, tel qu’établi par le législateur.123 En réalité, ce qui est intéressant c’est que « le
pouvoir d’injonction s’apparente à celui d’un juge qui constate et sanctionne la violation des
règles de droit »124. Car tout comme le juge, le régulateur « doit interpréter la règle de droit,
contrôler son application, constater sa violation éventuelle et les conséquences à ce
manquement »125. De ce constat, il appert clairement que ces organismes se comportent comme
un juge ou comme des juridictions, s’ils ne le sont pas déjà, en ‘‘obligeant’’ les opérateurs à
respecter la législation dans le secteur régulé.
À ce sujet, une précision mérite d’être apportée. Notre démarche ne consiste pas à voir
dans les AAI des juridictions « permanentes ». Il serait erroné de procéder ainsi d’autant plus
qu’elles disposent en l’état actuel d’un ensemble de pouvoirs qu’une juridiction ne peut ou ne
doit exercer. Nous souscrivons à l’idée selon laquelle, ces autorités sont à la fois administratives
lorsqu’elles exercent des fonctions non contentieuses, et des autorités juridictionnelles
lorsqu’elles exercent des fonctions contentieuses. Et « le refus de reconnaître la qualité de
juridiction aux autorités de régulation, lorsqu’elles statuent au contentieux, semble
méconnaître une réalité pourtant indiscutable, celle du dédoublement fonctionnel des
juridictions classiques qui exercent à la fois des fonctions administratives ou consultatives et
des fonctions juridictionnelles »126. D’ailleurs, tout comme ces juridictions classiques, les AAI
« exercent des fonctions contentieuses et des fonctions non contentieuses, ou si l’on préfère,
des fonctions administratives et des fonctions juridictionnelles »127. Dans ce cas de figure, « on
peut ainsi les voir ou les appréhender comme des juridictions spécialisées »128. Les AAI
seraient donc comme le Conseil de l’Université129, organisme administratif qui se mue en
juridiction lorsqu’il fait « office de juridiction » sans que cela ne soit contraire au principe de la
séparation des pouvoirs.
En tout état de cause, « si on prend en considération le critère matériel (...) pour
reconnaître la qualité juridictionnelle à un organisme, et selon lequel la qualité de juridiction
se révèle d’après la mission ou la nature de l’activité de l’organisme considéré, on est en
mesure de dire que les AAIR sont des juridictions »130. En effet, tout comme il l’a reconnu pour

122
Nadjombé GBEOU-KPAYILE, Réflexions sur les autorités administratives indépendantes dans les États
d'Afrique noire francophone: le cas du Bénin, du Niger et du Togo, op.cit, p. 322.
123
Idem, p. 296.
124
Idem, p. 337.
125
Ibidem.
126
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit, p. 194.
127
Ibid.
128
Idem, p. 196.
129
C.S.C.A, arrêt François Xavier SANTUCCI précité.
130
Taibi ACHOUR, « La justification du pouvoir de sanction des AAI de régulation est-elle toujours pertinente ? »,
op.cit, p. 466.

151
les autorités dotées d’un pouvoir disciplinaire131, «le juge administratif n’a aucune raison de
refuser cette qualité aux AAIR qui, en sus du pouvoir disciplinaire, bénéficient d’un véritable
pouvoir répressif »132. Un pouvoir qui présuppose le caractère juridictionnel de l’organisme133.
Au surplus, les décisions qu’elles sécrètent forcent d’admettre que les AAI sous étude ont
également une nature juridictionnelle.

2. Une immixtion dans la sphère juridictionnelle au regard des décisions sécrétées


C’est à l’aune des décisions que sécrètent les AAI que l’on constate une bribe de la
logique du législateur. Celui-ci admet que celles-là sont des institutions de nature administrative
et qu’elles rendent par conséquent des décisions purement administratives. Paradoxalement,
c’est à travers une lecture attentive des textes que l’on voit se préciser le raisonnement sur la
juridictionnalisation. Malgré son refoulement, la juridictionnalisation des AAI s’affirme
insidieusement. L’un des arguments corroborant ce propos est celui de la forme des décisions
qu’elles rendent au contentieux. Sous cette dynamique, le Professeur Paterne MAMBO
s’intéressant au cas de l’ANRMP soulignait que, la forme de ses décisions lorsqu’elle tranche
les litiges « n’a rien à envier aux décisions rendues au contentieux par les juridictions
classiques »134. En fait, les décisions du régulateur sont incontestablement similaires à celles
rendues par les juridictions.
Le Professeur KOBO ne dit pas autre chose lorsqu’il indique que « ses décisions
empruntent la forme d’un jugement »135. En effet, tout comme les décisions des juridictions, les
décisions de l’ANRMP prises en matière contentieuse comportent une date, un numéro,
l'identité des parties au litige, des visas, l'exposé des faits, de la procédure suivie et des moyens
de la requête, l'objet du litige, l'examen de la recevabilité de la requête et du fond de l'affaire,
des considérants, les motifs qui fondent ces décisions et un dispositif136. Le Professeur KOBO
admet lui-même que ces fortes similitudes alimentent la suspicion et fait germer l’idée selon
laquelle l’ANRMP pourrait être appréhendée comme « une juridiction spécialisée »137.
De plus, il est fait obligation aux AAI sous étude de motiver leurs décisions. Pourtant
« Le Conseil d’État refuse (…) de dégager un principe général du droit qui l’imposerait (la
motivation) à tous les actes administratifs unilatéraux »138. C’est dire qu’« en la matière, le

131
Nous faisons référence au Conseil de l’université lorsqu’il statue en matière disciplinaire. Arrêt François Xavier
SANTUCCI.
132
Taibi ACHOUR, « La justification du pouvoir… », op.cit, p. 467.
133
René CHAPUS, « Qu’est-ce qu'une juridiction ? La réponse de la juridiction administrative », op. cit, p. 236.
134
Paterne MAMBO, « Du contrôle juridictionnel des décisions … », op.cit, p. 196.
135
Rapport du Président Pierre Claver KOBO, dossier n°2012-055 REP du 05 juillet 2012, affaire Société
DRAGON de Côte d’Ivoire dite DRACI C/ l’Autorité Nationale de Régulation des Marchés Publics (ANRMP),
op.cit, p. 5.
136
Pour des exemples relatifs à l’ANRMP voir : Décision n° 042/201S/ANRMP/CRS du 29 décembre 2015 sur le
recours du cabinet Afric Consulting Group contestant les résultats de l'appel d'offres national n° Pl12l20l5 organisé
par la Poste de Côte d'lvoire; ANRMP, Décision n° 0371201S/ANRMP/CRS du l2 novembre 2015 sur le recours
de la société Borro Frères contestant les résultats de l'appel d'offres n'Fl8/2015 organisé par le Programme national
de développement communautaire; ANRMP, Décision n'001/2016/ANRMP/CRS du l4 janvier 2016 sur le recours
de l'entreprise INCI Construction contestant les résultats de l'appel d'offres n'F4l l/2015 organisé par le Port
autonome d'Abidjan.
137
Rapport du Président Pierre-Claver KOBO précité, p. 5.
138
Gilles LEBRETON, Droit administratif général, Dalloz, 6è édition. Coll. « Cours Dalloz », 2011, p. 242.

152
principe est donc la non motivation des actes administratifs unilatéraux »139. L’obligation de
motivation n’apparait que de manière exceptionnelle pour les actes administratifs unilatéraux
« défavorables ». Or, pour les juridictions, la motivation est bien une obligation générale ; ce
qui permet de distinguer les actes administratifs des actes juridictionnels140. Il se fait que
curieusement, les décisions édictées par les AAI sous étude sont systématiquement soumises à
motivation. Si « tel est le cas, alors que la motivation n’est une obligation générale que pour
les juridictions, de ce point de vue, ces Autorités sont des juridictions lorsqu’elles tranchent
des litiges ou lorsqu’elles prennent des sanctions »141.
À côté de cela, ce qui est tout de même accrocheur, c’est que le législateur a donné la
possibilité à certaines AAI à l’instar de l’ARTCI de rendre des décisions juridictionnelles. En
effet, suivant l’article 113 de l’ordonnance n°2012-293 du 21 mars 2012 relative aux
Télécommunications/TIC, « Les décisions de nature juridictionnelle prises par l’ARTCI,
notamment celles prises en application de la présente ordonnance, sont susceptibles de
recours… ». En effet, l’ARTCI, présentée comme une « Autorité administrative », le fait pour
elle d’édicter des mesures de nature administrative ne surprend nullement car de manière
tautologique, les organismes administratifs prennent en principe des actes administratifs. Cette
évidence axiomatique qui s’inscrit dans une logique juridique et plus globalement dans un
dogmatisme juridique n’a pas vocation à susciter la curiosité. En revanche, la faculté pour ce
régulateur de rendre des décisions juridictionnelles interpelle. En réalité, en droit positif
ivoirien, ce sont les juridictions qui rendent des décisions juridictionnelles. Cependant, il peut
arriver, et il arrive, qu’un organisme administratif prenne de véritables actes juridictionnels.
Lorsqu’il en est ainsi, le juge ne manque pas de qualifier l’organe administratif en question
« d’organisme juridictionnel »142. L’exemple le plus topique est fourni par le Conseil de
l’université.
Nous n’avons pas manqué de souligner dans nos développements antérieurs que le
Conseil de l’université est un organisme administratif. Toutefois, lorsque cet organisme se
prononce en matière disciplinaire, il rend de véritables décisions juridictionnelles et c’est à ce
titre que le juge a été amené à le considérer comme « un organisme juridictionnel ». C’est dire
que pour le juge ivoirien, le Conseil de l’université a une double casquette : un organisme
administratif en principe mais qui se mue exceptionnellement en juridiction, et ce de manière
ponctuelle, lorsqu’il statue en matière disciplinaire. Quoiqu’il en soit, l’étiquette de juridiction
lui est reconnue. Dans ce cas de figure, pourquoi le juge refuse-t-il d’emprunter le même
raisonnement lorsqu’il s’agit des AAI statuant au contentieux ou lorsqu’elles prononcent des
sanctions, sachant que la procédure devant ces dernières comparativement à celle suivie devant
le Conseil précité fait l’objet d’une certaine judiciarisation ? La qualification de l’ARTCI

139
Ibid.
140
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives en Afrique noire
francophone », op.cit, p. 135. En fait, la motivation est « considérée comme l’une des parties les instructives de la
décision de justice ». Voir Meïssa DIAKHATÉ, « La motivation des décisions des juridictions administratives en
Afrique subsaharienne francophone », Afrilex, 2019, p. 2.
141
Ibid.
142
Pour plus de précisions, voir René DẺGNI-SẺGUI, Droit administratif général, Tome 2, « L’action
administrative », Abidjan, NEI-CEDA, 3ème édition, 2003, p. 267.

153
d’organisme administratif devrait-elle être un « effet cliquet » ? La vocation du chercheur s’y
oppose.
De plus, l’ordonnance précitée prévoit que ces décisions juridictionnelles peuvent faire
l’objet « d’appel ». C’est pourquoi les opérateurs téléphoniques ne manquent pas d’user de cette
voie de recours pour contester les décisions du régulateur143. La contestation des décisions de
l’ARTCI par « l’appel » achève de convaincre qu’elle est une juridiction. Soulignons par la
même occasion que l’ARTCI n’est pas le seul régulateur à rendre des décisions juridictionnelles
contestable devant la Cour d’appel. L’Autorité Nationale de Régulation du secteur de
l’Électricité144 (ANARE) ainsi que l’Autorité de la Communication Publicitaire145 (ACP)
rendent également des décisions juridictionnelles. Décisions qui forcent d’admettre que ces
AAI n’ont pas qu’une seule nature mais doivent également être considérées comme des
juridictions spécialisées. Il en est ainsi, car d’un point de vue organique, l’acte juridictionnel
est celui qui émane d’une juridiction146. Il ne semble pas impertinent de relever également le
caractère juridictionnel des AAI découlant de l’observation de certains principes du procès
équitable.

B. Les linéaments d’une nature juridictionnelle liée au respect de certains principes


du procès équitable

L’essentiel du propos consistera à démontrer que certains principes (pas tous) saillants du
procès équitable s’appliquent aux AAI. Parce qu’étant destinés par essence à s’appliquer aux
seules juridictions et non aux organismes administratifs, l’on peut être tenté d’affirmer que leur
observation par ces derniers emporte leur nature juridictionnelle. Ce raisonnement a trouvé écho
en doctrine147 en raison de l’article 7148 de la CADP ainsi que la Résolution de la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples sur le droit à un procès équitable et à l’assistance
judiciaire en Afrique ne s’appliquent pas qu’aux juridictions stricto sensu, mais également à
tous organismes dotés d’un pouvoir de sanction et donc aux AAI. Ainsi dit, les AAI sont des
juridictions au sens des instruments régionaux africains149car étant assujettis à des principes
garantissant les droits des administrés (2) et intéressant la qualité de l’organe (1).

143
Rapport d’activités 2019, Autorité de Régulation des Télécommunications de Côte d’Ivoire, p. 30.
144
Article 41 du décret n°2016-785 du 12 octobre 2016 portant organisation et fonctionnement de l’Autorité
Nationale de Régulation du secteur de l’Électricité de Côte d’Ivoire dénommé ANARE-CI.
145
Article 84 de la loi n°2020-522 du 16 juin 2020 portant régime juridique de la communication publicitaire.
Notons que l’ACP, quoique créée, n’est pas encore fonctionnelle.
146
René CHAPUS, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La réponse de la jurisprudence administrative », op.cit, p. 265.
147
Nadjombé GBEOU-KPAYILE, Réflexions sur les autorités administratives indépendantes dans les États
d'Afrique noire francophone: le cas du Bénin, du Niger et du Togo, op.cit, p. 323.
148
Cet article prévoit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : • le droit
de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus
et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ; • le droit à la présomption d'innocence,
jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ; • le droit à la défense, y compris celui de
se faire assister par un défenseur de son choix ; • le droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction
impartiale ».
149
Nadjombé GBEOU-KPAYILÉ, précité, p. 324.

154
1. Le bénéfice des principes intéressant la qualité de l’organe
La structuration et le fonctionnement des AAI est de plus en plus identiques aux
juridictions. Pour preuve, l’on observe une forte prégnance des principes fondamentaux de
l’activité juridictionnelle dans la sphère contentieuse de ces instances. Ils se greffent à elles au
point de constituer des viatiques intrinsèques. Les principes d’indépendance et de collégialité
constituent des exemples notables.
En ce qui concerne le principe d’indépendance des AAI, même s’il est vrai qu’il est
perpétuellement en questionnement et même parfois introuvable, admettons qu’il est quelque
peu préservé. Cela est cristallisé par l’inexistence du contrôle hiérarchique et le bénéfice des
garanties statutaires. La vérité est que « la régulation se caractérise par l’indépendance du
régulateur vis-à-vis des intérêts en cause y compris ceux de l’État »150. En ce sens, et à titre de
droit comparé, en France sous l’impulsion de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des
droits de l’homme, tout justiciable a le droit d’être entendu devant un tribunal « indépendant ».
L’indépendance de l’instance qui se prononce sur une contestation de nature civile ou pénale
est donc clairement une exigence du procès équitable. En effet, au rang de ces conditions
dégagées par le droit communautaire européen, l’indépendance de l’organisme est un impératif.
L’obligation pour les AAI de respecter ces exigences a conduit à leur juridictionnalisation151.
Pour preuve, la Cour Européenne « considère que les autorités de régulation prononçant des
sanctions sont des juridictions au sens de la Convention »152. C’est dire que l’indépendance
des AAI est assimilée et dans une certaine mesure confondue au principe d’indépendance des
juridictions. Celles-ci sont indépendantes, celles-là aussi. Les AAI jouissent ainsi d’un principe
juridictionnel incontournable aux instances juridictionnelles.
De plus, une lecture des textes instituant ces organes donne de constater qu’elles sont
respectueuses du principe de collégialité qui s’imposent à elles. Il s’agit là d’une obligation
substantielle. Cette obligation interpelle et nous conduit à jauger la nature des AAI d’autant
plus que la collégialité est traditionnellement un principe observé par les juridictions. C’est sans
doute pourquoi, une auteure estimait qu’une instance sera juridictionnelle en raison de sa
composition qui, elle, « joue un rôle réel », du fait de son « caractère collégial »153. En effet,
dès lors « qu’un organe est collégial, la probabilité est forte qu’il s’agisse d’un organe à
caractère juridictionnel »154. Le président ODENT va même plus loin en écrivant fort
opportunément que : « seul un organisme collégial peut être réputé avoir un caractère
juridictionnel »155.

150
Pierre BUACHET, Concentration des multinationales et mutation des pouvoirs de l’État, op.cit, p. 51.
151
Quentin EPRON, « Le statut des autorités de régulation et la séparation des pouvoirs », op.cit, p. 11.
152
Idem, p. 13.
153
Delphine COSTA, « L’Autorité des marchés financiers : juridiction ? Quasi-juridiction ? Pseudo-juridiction ?
À propos de l’arrêt du Conseil d’État du 4 février 2005, Société GSD Gestion et M. YX », op.cit, 1174-1182. Cité
par Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 119.
154
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 119.
155
Raymond ODENT, Contentieux administratif, Cours de l’I.E.P. de Paris, 1970-1971, « Les cours de droit », p.
582, note 1. Cité par Rene CHAPUS, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La réponse de la jurisprudence
administrative ». In, op.cit, p. 269.

155
À cet effet, le Conseil de Régulation de l’ARTCI est présenté comme « un organe
collégial… »156. Ce principe appliqué aux AAI postule donc une composition pluripersonnelle
de ces organismes au délibéré. Ainsi l’article 15 de l’ordonnance du 27 décembre 2018 portant
création de l’ANRMP dispose que « le Conseil de Régulation ne peut valablement délibérer
que si sept au moins de ses membres sont présents ou représentés. Si ce quorum n’est pas
atteint, une autre réunion, convoquée à sept jours d’intervalle, pourra délibérer valablement
quel que soit le nombre des membres présents ». Pour dire vrai, « la collégialité représente
plusieurs vertus comme en témoigne son maintien dans le droit contemporain »157 en ce sens
qu’« elle permet un échange d’opinions propice à une bonne justice »158. Ce qui nécessite pour
chaque membre d’être à l’écoute des autres tout en étant pondéré. L’on note de plus dans la
composition des membres des AAI, la présence obligatoire d’un magistrat professionnel au
délibéré. Cette présence constitue une formalité substantielle159. C’est pourquoi nous
souscrivons aux propos du Professeur MAMBO pour qui « la présence obligatoire d’un
magistrat au sein de l’organe de règlement des différends relatifs aux marchés publics achève
de convaincre que les autorités de régulation des marchés publics n’ont pas qu’une nature
administrative, mais qu’elles doivent être regardées également comme ayant une nature
juridictionnelle »160. Partant, l’on peut appréhender les AAI comme des « organismes
caméléons »161, « insusceptibles d’être rangées dans les catégories classiques, au point
d’apparaître et de faire office de juridictions sui generis »162. C’est justement pourquoi elles
observent les principes assurant la garantie des droits des administrés.

2. L’observation des principes assurant la garantie des droits des administrés


L’observation de la plupart des AAI investies de pouvoirs, notamment de sanction, révèle
qu’elles sont presqu’automatiquement assujetties pour toutes leurs décisions à une exigence
d’impartialité dans toutes ses déclinaisons. Celle afférente aux membres du collège prend forme
par l’instauration d’un régime d’incompatibilité forçant d’admettre que ces Autorités « sont à
la même aune que les juridictions »163.
En effet, « les autorités de régulation ne peuvent exercer de manière impartiale les
compétences contentieuses que leur reconnaît la loi que si elles sont soumises à des règles
strictes d'incompatibilité qui les mettent à l'abri des risques de capture par les intérêts

156
Le décret n°2013-333 du 22 mai 2013 portant nomination des membres du Conseil de Régulation de l’Autorité
de Régulation des Télécommunications/TIC de Côte d’Ivoire, pose clairement cela en son article 6.
157
Jade CHAPUT, La collégialité dans le procès civil, Thèse de doctorat, université de Pau et des Pays de l’Adour,
23 mai 2019, p. 13.
158
Ibid.
159
Pour preuve et à titre de droit comparé, la Chambre Administrative de la Cour Suprême du Sénégal dans l’affaire
Port autonome de Dakar contre Comité de Règlement des différends de l’autorité de régulation des marchés
publics159 a eu à le rappelé. Dans cette affaire, le juge a annulé une décision rendue au contentieux par l’autorité
de régulation pour défaut de présence d’un magistrat au délibéré. C’est dire que nonobstant la composition
hétéroclite de cette Autorité, la participation obligatoire d’un magistrat professionnel (figure emblématique de
l’activité juridictionnelle) est une exigence. Ce qui entretient d’ailleurs le lien entre AAI et juridictions.
160
Paterne MAMBO, « Le contrôle juridictionnel des décisions rendues au contentieux par les autorités de
régulation des marchés publics dans les États francophones d’Afrique de l’ouest », op.cit, p. 196.
161
Idem, p. 198.
162
Idem, p. 196.
163
« Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié (Tome 2 :
Annexes) », op.cit.

156
privés »164. Ainsi, on retrouve un tel régime d’incompatibilité dans les dispositions de la loi
relative aux Télécommunications et aux technologies de l’information et de la communication,
dont l’article 76 précise que « la fonction de membre du Conseil de régulation est incompatible
avec tout emploi public ou privé, tout mandat électif et toute possession directe ou indirecte
d’intérêts dans une entreprise du secteur des Télécommunications/TIC en activité en Côte
d’Ivoire ou opérant avec la Côte d’Ivoire ». Encore, incombe-t-il de préciser que les membres
du personnel de l’ARTCI ne doivent en aucun cas être salariés ou bénéficier de rémunération
sous quelque forme ou à quelque titre que ce soit d’une entreprise de Télécommunications/TIC
établie en CI, ni avoir des intérêts directs ou indirects dans une telle entreprise165.
Aussi, ces organismes sont incontestablement inclinés aux principes incontournables à la
défense imprimant à la procédure suivie devant elle, une coloration juridictionnelle. Or, la
procédure juridictionnelle constitue, à n’en pas douter, un indicateur sérieux et décisif du
caractère juridictionnel d’une instance. Il est vrai que la notion de procédure juridictionnelle
n’est pas vraiment définie166. Cependant, il est possible de s’arrêter, ici aussi, sur un certain
nombre de critères. Bien qu’ils n’existent pas que dans les procédures juridictionnelles, une
procédure ne le sera si ces critères ne sont pas remplis167. Ainsi, au nombre de ces critères, on
peut s’arrêter sur le caractère contradictoire de la procédure et le respect des droits de la défense.
En ce qui concerne le caractère contradictoire de la procédure, il est à préciser que
l’édiction d’un acte administratif, à quelques exceptions près, ne saurait sans perdre sa
caractéristique fondamentale de décision unilatérale, être contradictoire. Non pas que
l’unilatéralité de l’acte administratif interdise l’implication d’un acteur autre que l’autorité
administrative et donc que l’unilatéralité supposerait l’unicité de l’auteur. Néanmoins,
« l’exigence du contradictoire est une singularité de l’édiction des actes à caractère
juridictionnel »168. Assurément, le principe du contradictoire ne doit pas être confondu avec les
droits de la défense qui est une caractéristique fondamentale d’une procédure juridictionnelle169
étendue toutefois de manière spécifique à la matière administrative170.
Pour autant, le caractère contradictoire de la procédure permet de garantir les droits de la
défense, même si certains auteurs opinent dans un sens inverse171. Globalement donc, il est
possible d’affirmer que les AAI se soumettent à une forme incontestable de contradiction. Or,
ainsi que le souligne Gazier, « l’exigence d’une procédure contradictoire apparaît aujourd’hui

164
Rachid ZOUAÏMIA, « Les garanties du procès équitable devant les autorités administratives indépendantes »,
disponible sur https://www.asjp.cerist.dz/en/article/56251 pp. 5-23, p. 6. Consulté le 27/12/2023.
165
Article 85 alinéa 3 de l’ordonnance du 21 mars 2012 relative aux Télécommunications et aux technologies de
l’information et de la communication.
166
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 120.
167
Ibid.
168
Ibidem.
169
En matière juridictionnelle, l’arrêt Téry pose le principe du droit de la défense. CE, 20 juin 1913. Voir Olivia
DANIC, « 1913-2013 : les cent ans de l’arrêt Téry ou un siècle de droits de la défense », RDP, 2014, n° 1, p. 3.
170
En matière administrative les droits de la défense ont, en droit comparé, été annoncés dans l’arrêt de Section
Dame Veuve Trompier Gravier, CE, 5 mai 1944.
171
Pour Monsieur GAZIER, en effet, « l’exigence d’une procédure contradictoire était alors présentée comme
découlant du principe plus général du respect des droits de la défense ». Voir François Gazier « Procédure
administrative contentieuse : principes généraux », Répertoire du contentieux administratif, 1998, n° 101.

157
comme inhérente à toute véritable justice »172. Au surplus, le principe du contradictoire est l’un
des éléments clés du principe du procès équitable, un principe apparaissant « intimement lié à
l’organisation et au fonctionnement des juridictions. (Les) garanties qui lui sont attachées,
donnent effectivement à penser qu’il constitue une règle de procédure opposable aux seuls
organismes juridictionnels »173. Sous cet angle, d’aucuns vont plus loin en estimant qu’« une
instance dont le fonctionnement repose principalement sur l’exigence de contradiction ne
devrait dès lors être que juridictionnelle »174. De ce point de vue, les AAI dont le
fonctionnement ainsi décrit « est statutairement assujetti au respect de la contradiction sont,
dans cette mesure-là, de véritables juridictions »175.
De plus, le fait pour un ‘‘justiciable’’ de se faire assister par un avocat à l’occasion d’une
procédure devant une AAI, est un indicateur qui laisse saisir, sans médiation aucune, la
possibilité d’appréhender ces organismes comme des instances juridictionnelles. Aux dires
confirmatifs de Martin COLLET, « le droit à l’assistance (…) d’un avocat est spécifiquement
attaché à l’exercice de procédures juridictionnelles »176. Très opportunément, un auteur
renchérit. Il estime qu’ « il n’y a jamais eu, dans l’une quelconque des procédures
administratives, un motif déterminé pour impliquer à titre d’obligation les avocats. Seules les
instances juridictionnelles sont normalement ainsi organisées »177. En réalité, il ressort des
textes régissant les AAI sous étude que l’assistance d’avocat n’est pas une obligation mais un
droit, une faculté. Mais cela ne change en rien la coloration juridictionnelle que cette assistance
est de nature à octroyer à la procédure. En ce sens, les AAI semblent respecter la grammaire de
l’article 7 de la CADP qui dispose entre autres que toute personne a le droit « de se faire assister
par un défenseur de son choix ».

CONCLUSION

En définitive, il est à relever que les AAI sous étude ont reçu une consécration
administrative absolue. Cela ressort aussi bien des textes législatifs et règlementaires que de la
casuistique du juge. Cette administrativité absolue est affirmée de façon constante. Leur nature
non juridictionnelle avancée de manière tranchée. Toutefois, la logique juridictionnelle irrigue
leur fonctionnement. Leur administrativité n’est pas contestée. Mais la considération selon
laquelle les AAI n’ont qu’une seule nature est discutable. Ce qui est paradoxale c’est que la
juridictionnalisation est refoulée par les textes mais trouve une bouffée d’oxygène à travers ces
mêmes textes. S’il est vrai qu’il s’agit d’organismes administratifs, une analyse plus poussée
donne de voir qu’ils sont également des instances juridictionnelles. Il s’agirait donc
« d’organisme caméléon », pour pasticher le Professeur Paterne MAMBO. En tout cas, ce qui

172
François GAZIER « Procédure administrative contentieuse : principes généraux », Répertoire du contentieux
administratif, 1998, n° 101, p. 24.
173
Julie CORNU, Droit au procès équitable et autorité administrative, Thèse de doctorat, université Panthéon-
Assas, 3 décembre 2014, p. 122.
174
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes en Afrique
noire francophone », op.cit, p. 121.
175
Ibid.
176
Martin COLLET, « Autorité de régulation et procès équitable », AJDA, 2007, p. 80.
177
Kasséré AFO SABI, « La juridictionnalisation des actes des autorités administratives indépendantes », op.cit,
p. 122.

158
est certain c’est que « le flou du droit nous a appris depuis longtemps qu’il y a des réputations
usurpées »178 tout comme des vérités camouflées sinon refoulées. Dénier la qualité de
juridiction à des organes tout en leur reconnaissant des prérogatives propres aux juridictions,
c’est cela le génie du législateur ivoirien. La juridictionnalisation n’est visiblement qu’une
réalité inavouée. Tout dépendra de l’évolution du droit et de la volonté parlementaire d’octroyer
la nature juridictionnelle aux AAI ou alors au contraire les « déjuridictionnaliser »179. Pour
l’heure, leur administrativité totale résiste dans une certaine incohérence. Mais une incohérence
peut être source d’insécurité juridique. Nous invitons donc le législateur à plus de clarté. En
déposant la plume nous en formulons le vœu.

178
Emmanuel DÉCAUX, « Que manque-t-il aux quasi-juridictions internationales pour dire le droit ? », op.cit, p.
219.
179
Paul QUILICHINI, « Réguler n’est pas juger – Réflexions sur la nature du pouvoir de sanction des autorités de
régulation économique », op.cit, p. 1062.

159
PARENTALITE ET POLITIQUE : LA PARENTALITE
COMME DISPOSITIF DE GOUVERNEMENT DES CONDUITES ET DE MISE EN
ORDRE DE LA SOCIETE

Par

Jean Pierre NGONZO


Docteur en Science Politique, enseignant à l’Université de Yaoundé II, Ecole Supérieure des Sciences
et Techniques de l’Information et de la Communication (ESSTIC); Attaché à la Chaire UNESCO,
Droit Ethique et Société, Université de Yaoundé II / Université de Nantes ; Membre du Centre d’Etude
et de Recherches en Droit, Economie et Politique du Sport (CERDEPS), membre du Groupe de
Recherche et d’Etude en Parlementarisme et Démocratie en Afrique (GREPDA).
E-mail : jpngonzo@yahoo.fr
Cameroun

Résumé
Partant du postulat selon lequel la famille loin d’être au fondement de la société comme une
certaine sociologie l’a souvent laissé penser, serait plutôt son produit le plus sophistiqué, cette
réflexion ancrée dans la sociologie de l’Etat et la sociologie politique et du droit, met en œuvre une
problématique sociopolitique de la production étatique de l'ordre social à travers le gouvernement des
conduites familiales et individuelles; Abordant la parentalité comme le produit d’un travail, voire
d’un processus de « parentalisation », visant à instituer, à normaliser et à naturaliser la fonction de
parent, la présente analyse ouvre sur la problématique de la parentalité en tant que dispositif de
gouvernementalisation et de mise en ordre de la société à travers la catégorie famille. S’interroger sur
la parentalité aujourd’hui, reviendrait à interroger, à travers la forme sociale construite la plus
invisible à force d’évidence, la façon dont on a construit, pensé et assuré l’ordre social ;
problématique qui invite ici à enrichir les études sur l’Etat en repensant la production des univers de
sens et des représentations légitimes du monde social à partir de l'interaction famille/Etat, et à rendre
compte de la parentalité en tant que dispositif par lequel l’Etat structure et modèle la famille moderne
entant que cadre de production et de reproduction de son ordre, et donc, en tant qu’un élément vital et
stratégique de structuration du social et du politique. Au cœur du dispositif de surveillance et de
punition de la société, la parentalité tient une place importante ; elle permet à l’Etat, ce monstre froid
de WEBER, d’assurer un gouvernement de proximité des enfants et acteurs sociaux à travers la figure
chaleureuse et affective des parents. Tel est le propre de la gouvernementalité, à savoir, rendre le
pouvoir et l’autorité de l’Etat réticulaires insoupçonnés et invisibles.

INTRODUCTION

Le gouvernement des conduitesencore appeléDisciplinerenvoie à un ensemble de règles,


de contraintes et de sanctions édictées pour rendre les conduites et les comportements
humains socialement acceptables. Il renvoie à ce que FOUCAULT qualifie de technologies
politiques du corps, c'est-à-dire un ensemble de mécanismes de prise de pouvoir sur le corps
et de fabrication des individus. Il est fondé sur la discipline, entendue comme un art du "bon


Mode de citation : Jean Pierre NGONZO, « Parentalité et politique : la parentalité comme dispositif de
gouvernement des conduites et de mise en ordre de la société », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 161-177.

161
dressement"1, c'est-à-dire un pouvoir qui au lieu de prélever ou de soutirer, a pour fonction
majeure de "dresser", de formater. Le gouvernement des conduites renvoie aussi à la
production étatique d'un savoir, d'un savoir prospectif et préventif, qui détermine par
anticipation les conduites, en établi les conditions, qualifie les différentes infractions et en
détermine les diverses pénalités : la production de ce savoir à la fois cognitif et pratique
correspond à l'établissement d'un Code, plus exactement d'un Code de conduite destiné à
mouler les manifestations du corps.
Le terme parentalité quant à lui, est un néologisme dérivé du terme parental, ses
origines remontant au XVIème siècle. D’une façon très large, la parentalité désigne la
fonction de parent, en prenant en compte les responsabilités juridiques, morales et éducatives
du père et de la mère.
Ancrée dans la sociologie de l’interaction famille-Etat, et des régulations sociales, cette
réflexion met en œuvre la problématique de l’interdépendance des ordres domestiques-
familiaux et politiques. En effet utilisée comme instrument de légitimation, manipulée sans
aucun doute, notamment pour servir des intérêts politiciens, la famille reflète aussi, dans la
relation qu'elle instaure entre ses membres, un ordre politique existant2. L'application du
concept de gouvernement des conduites dans cette étude permet à la fois d'analyser les
mécanismes étatiques de production, de structuration et de promotion d'un ordre familial
préalable à la production de l’ordre social, et les méthodes punitives associées aux violations
de cet ordre, non point comme de simples conséquences des règles de droit, encore moins
comme des indicateurs de structures sociales, mais comme des techniques ayant leur
spécificité dans le champ plus général des autres procédés de pouvoir. Or, structurer un
espace renvoie à l'exercice du pouvoir, c'est-à-dire un ensemble d'actions sur des actions
possibles ; c'est opérer sur le champs des possibilités où vient s'inscrire le comportement des
sujets agissants, en incitant, en interdisant, en facilitant, en élargissant ou en limitant. En effet,
l’Etat n’a pas nécessairement besoin de donner des ordres, et d’exercer une coercition
physique, pour produire un ordre social ordonné : cela aussi longtemps qu’il est en mesure de
produire des structures cognitives incorporées qui soient accordées aux structures objectives
et d’assurer ainsi la croyance dont parlait HUME, c'est-à-dire la soumission doxique à l’ordre
établi. Il s'agira donc dans une perspective foucaldienne, de voir dans le code (norme et
pénalité) comme une matérialisation de la tactique politique.
La parentalité telle que organisée par la loi correspond à une institution de l’Etat, par
laquelle ce dernier se donne à gouverner l’administration, l’éducation et les soins apportés à
l’enfant. Elle correspond à une sorte de délégation aux parents des responsabilités de l’Etat à
l’égard des enfants. A la suite de la parentalité, l'on peut énumérer un certain nombre
d’institutions telles que l'Ecole, l'Eglise, l'Administration, la famille etc, qui encadrent
l'émergence d'un sujet moral dont les pratiques corporelles et éthiques sont devenues
constitutives de la cité. Pour cela, elles apparaissent comme étant des institutions
pourvoyeuses de discipline, comme étant des rouages de contrôle d'une société disciplinaire

1
WALHAUSEN (J.J), l'Art militaire pour l'infanterie, 1615, p.23.
2
COMMAILLE (J) et MARTIN (C), Les enjeux politiques de la famille, Paris, Bayard, 1998.

162
plus ou moins totalitaire3.A ce titre, la parentalité s’apparente à un dispositif de sous-traitance
du gouvernement des conduites familiales et individuelles, les uns (les enfants) tenant des
autres (les parents), l’Etat tient les fils par les parents. Les responsabilités parentales
correspondent alors à un transfert micro local des responsabilités familiales de l’Etat, donnant
à voir la parentalité comme une fonction publique déléguée de l’Etat (I), en même temps
qu’un dispositif d’incorporation et d’omniprésence de l’Etat dans la société (II).

I- LA PARENTALITE COMME FONCTION PUBLIQUE DELEGUEE DE


L’ETAT : DU DROIT-POUVOIR AU DROIT-FONCTION

Pour rendre compte de la fonction parentale comme fonction publique déléguée, nous
partirons de la conception du Pater familiasdu droit romain, (car la conception romaine de la
famille, qui repose essentiellement sur l’autorité du pater familias, a longtemps dominé le
droit français duquel le nôtre découle) à l’analyser des mécanismes par lesquels l’ordre
judiciaires, en s’articulant convenablement au droit de la famille, arrive à produire la
parentalité en tant que dispositif indissoluble.

A- Du droit-pouvoir du Pater familias romain au droit-fonction du bon père de


famille :

La famille romaine est à l’origine comme la cellule de base de la société, qui est formée
d’une juxtaposition des familles, et chaque famille est sous l’autorité d’un pater familias
(ancêtre de l’autorité parentale), cette autorité lui est conférée par la religion comme un
devoir, et par l’Etat comme une délégation d’une fonction publique4.
Le pater familias exerce tous les pouvoirs : religieux, domestique, personnel et
patrimonial. Dans la rigueur du droit, il est maitre absolu des biens et des personnes (sa
femmes, ses enfants et leurs conjoints, ses petits-enfants) qui sont soumis à sa puissance tant
que dure sa vie. Il assure les rôles de chef religieux, de magistrat et de police au sein de son
territoire domestique.
En tant que pontife et chef religieux, il est libre de composer la famille à son gré. Ainsi,
a-t-il le droit d’accepter ou de refuser un nouveau-né ; s’il ne l’accepte pas, il peut le faire
tuer : c’est le droit d’infanticide qui ne disparaitra qu’au IVème siècle après J.C. Il peut aussi
répudier sa femme et les femmes de ses fils, de même qu’il donne son consentement pour le
mariage de ses enfants et petits enfants. Il peut restreindre la famille en donnant ses enfants en
adoption ; il peut exclure ses enfants insoumis en les émancipant.
En tant que magistrat, le pater familias exerce un droit de juridiction supérieure au nom
de l’Etat, dans son territoire domestique, où il est chargé d’y maintenir la paix : aussi a-t-il le
devoir de punir les délits domestiques commis par les membres de la famille, dont il est tenu
responsable5. Pour faire régner l’ordre, il dispose d’un droit de correction rigoureux. En vertu

3
FOUCAULT (M), Histoire de la sexualité III – Le souci de soi-, Paris, Gallimard, 1984.
4
IHERING, L’Esprit du droit romain, Tome II, livre II, Paragraphe 35.
5
SENN, « La famille antique et les principales assises de la famille moderne » in Le maintient de la famille par
le droit, Paris, Sirey, 1930, p.7.

163
du « jus vitae necisque », ses punitions corporelles peuvent aller jusqu’à la mort. L’enfant
peut être vendu comme esclave, ce qui l’exclut à la fois de sa famille et de la cité6.
Ce prestige de la fonction parentale –alors paternelle exclusivement- est d’autant plus
rayonnant qu’il le tient du souverain lui-même. Pour que la fonction parentale, et paternelle
singulièrement ait tout ce prestige, il fallut la considérer comme l’exercice d’une mission pour
et au nom du Roi, et donc comme une fonction royale déléguée. C’est dire que la parentalité
en tant que fonction publique déléguée est un héritage de l’ordre monarchique et
aristocratique, en ce sens que dans ces sociétés, les hommes tenant les uns aux autres, on se
bornait à conduire les premiers et le reste suivait. Ceci s’applique à la famille, comme à toutes
les associations qui ont un chef. Chez les peuples aristocratiques, la société ne connait, à vrai
dire, que le père. Elle ne tient les fils que par les mains du père ; elle le gouverne et il les
gouverne. Le père n’a donc pas seulement un droit naturel. On lui donne un droit politique à
commander. Il est l’auteur et le soutien de la famille ; il en est aussi le magistrat pour et au
nom du souverain dont il tient son pouvoir. Le souverain se présentant comme le père de tous
les citoyens, et l’Etat ayant depuis les Antonins7 des devoirs paternels envers tous les
citoyens, la paternité devient une fonction de l’Etat donc l’exercice est attribué aux parents, et
en premier chef au père. Elle correspond alors à un droit-pouvoir.
Si à l’époque monarchique cette délégation était expresse et clairement exprimée dans
les édits royaux, dans les Etats modernes elle prend des formes implicites, tout en conservant
sa nature. Le prouvent toutes les dispositions des Codes civils modernes relatives au retrait et
ou à la déchéance de l’autorité parentale.
En effet, pendant son exercice, l’autorité parentale peut faire l’objet de limitations. Il
existe des hypothèses où le pouvoir ainsi conféré aux titulaires de l’autorité parentale n’est
pas exercé conformément à sa finalité, c'est-à-dire dans le meilleur intérêt de l’enfant. Une
intervention de l’autorité publique se justifie alors et peut prendre plusieurs formes,
notamment la déchéance partielle et la déchéance totale de parentalité. Dans un cas comme
dans l’autre, ce qui est recherché et sanctionné, c’est un manquement grave des titulaires dans
l’exercice de l’autorité parentale. Ce manquement est établi d’une part, lorsque les père et
mère ou toute autre personne exerçant l’autorité parentale, sont condamnés pour crime ou
délit commis sur la personne de leur enfant dont ils ont la charge ; d’autre part, et en dehors
de toute condamnation pénale, lorsque les père et mère ou toute autre personne en ayant
qualité, risquent de compromettre la sécurité, la santé, ou la moralité de l’enfant, soit par de
mauvais traitements, par la consommation abusive de boissons alcooliques ou l’usage de
stupéfiants, soit par défaut de soins ou par manque de direction, soit par l’appartenance à des
groupes idéologiques, ou se livrant à des pratiques manifestement néfastes 8. Cette
intervention de l’Etat à travers la figure du juge, laisse apparaitre l’autorité parentale

6
BARTHELET (B), « Le père, un souverain déchu ? », EID (G) (Dir), La famille, le lien et la norme, Paris,
Harmattan, 1997, p. 25.
7
Ce sont les Antonins, empereurs stoïciens, qui proclamèrent pour la première fois que l’Etat avait des devoirs
paternels envers ses membres. Sur ce point, cf. DRUCKER, De la protection de l’enfant contre les abus de la
puissance paternelle en droit romain et en droit français, Thèse en Droit, Paris, 1894, p. 97.
8
Article 427 du Projet de Code op cit.

164
d’avantage comme un droit fonction exercé en bon père de famille dans le strict intérêt de
l’enfant placé sous la responsabilité du titulaire.
Dans cette perspective, il faut préciser que l’autorité parentale n’est pas une prérogative
privée, même si son exercice se fait prioritairement dans le cadre privé de la vie domestique.
L’autorité parentale est une fonction d’ordre public dont l’Etat est le garant. On passe ainsi du
droit-pouvoir au droit-fonction. C’est pour cette raison qu’il ne s’agit pas d’une prérogative
cessible au même titre que les autres, c'est-à-dire contractuellement. N’appartenant aux
parents en propre, il ne s’agit même pas d’une prérogative cessible pouvant faire l’objet d’une
transaction de gré à gré, même entre les gens de la même parenté. Elle peut tout au plus et
suivant les conditions garantissant l’intérêt de l’enfant, être déléguée par ses titulaires. A cet
effet, les père et mère saisissent le juge en tant que figure de l’Etat, en vue de sa délégation,
en tout ou partie. La loi énumère les personnes pouvant exercer cette délégation. Il s’agit
limitativement des membres de la famille proche, d’une famille d’accueil digne de confiance,
d’une institution publique ou privée de protection de l’enfance9. L’affaire YONKEU
Emmanuel suffit à illustrer ce point de vue. En effet, dans cette espèce introduite au Tribunal
de Première Instance de Yaoundé-Centre Administratif en décembre 2007, YONKEU
Emmanuel avait saisi le Tribunal de céans statuant en matière civil de droit local aux fins
d’obtention de la délégation à sa fille ainée YONKEU Carole de l’autorité parentale sur ses
deux sœur cadette YONKEU BIDOUN Claudia et YONKEU NGA Clémence Michèle 10. La
délégation de l’autorité parentale ne peut se faire que par voie judiciaire, aussi bien pour les
familles légitimes que pour les familles naturelles. Ainsi, l’affaire MENGATA Martin
Thierry11 révèle que l’autorité parentale n’est pas cessible, même entre parents, lorsque la
garde était déjà exercée par l’un. Par requête introduite au TGI en octobre 2008, MENGATA,
père naturel de NDZIE NTOLO Clarence Yvanna, avait saisi le Tribunal de céans aux fins de
délégation d’autorité parentale à sa mère NTOLO Virginie Sidonie résidant en France. Etant
donné que la mère biologique de l’enfant offrait de bonnes chances pour l’éducation et
l’entretien de l’enfant en France, le tribunal a fait droit à la demande du père et confié la
puissance paternelle de l’enfant NDZIE NTOLO Clarence à sa mère biologique NTOLO
Virginie.
La délégation de l’autorité parentale confère au parent délégué les prérogatives de
l’autorité parentale sur l’enfant à l’exclusion du droit de consentir à l’adoption et à
l’émancipation de l’enfant. La fonction parentale est donc orientée vers un seul objectif : la
protection de l’enfant dans toutes les composantes de sa personne : sa santé, sa sécurité et sa
moralité, aussi bien sur le plan physique qu’affectif12. Cette protection traduite par sa prise en
soins correspond à la gouvernementalisation de sa vie, c’est-à-dire son inscription dans un
modèle préconçu, visant à faire de lui le citoyen que l’on veut. Ce souci de l’Etat pour
l’enfant, correspond en réalité et en dernier ressort au souci de soi13 de l’Etat dont parle

9
Cf. article 424 du projet de Codedes personnes et de la famille du Cameroun.
10
Voir l’Affaire YONKEU Emmanuel.
11
Voir l’Affaire MENGATA Martin Thierry.
12
ATANGANA MALONGUE (T), La protection de la personne de l’enfant, Thèse de Doctorat en Droit,
Université Jean MOULIN, Lyon III, 2001, p.94.
13
FOUCAULT (M), Histoire de la sexualité III : Le souci de soi, Paris Gallimard, 1984.

165
FOUCAULT, et ce souci de soi de l’Etat est complété par sa maitrise des opérations juridico-
judiciaires visant à produire la parentalité en tant dispositif indissoluble.

B- La construction juridico judiciaire de la parentalité comme fonction de l’Etat


déléguée aux parents

Le fait que la délégation de l’autorité parentale ne résulte pas d’un acte unilatéral des
parents (même si leur volonté est manifeste), mais bien plus, d’une décision de justice,
suggère que l’autorité parentale est un titre qui, ressortissant des formes de l’Etat, fait de
celui-ci, à travers la figure du juge, le véritable maître d’en disposer légitimement. La
limitation de son exercice dans le temps, tout comme la possibilité de son retrait avant
échéance (la majorité), de même que la possibilité d’adoption, confortent cette lecture.
Dans ce cas, l’action en retrait de l’autorité parentale est portée devant la juridiction
compétente, soit par le Ministère public, soit par un membre de la famille, le tuteur de l’enfant
ou toute autre personne ayant connaissance des faits. A cet égard, il convient de souligner
que, bien que cette possibilité soit ignorée de beaucoup, n’importe qui ayant eu connaissance
d’un traitement « peu approprié » infligé à un enfant, peut avertir un assistant social
localement compétent pour déclencher ainsi de sa part une mesure de visite qui pourra
éventuellement déboucher sur des mesures plus importantes. Ce trait de caractère suggère
bien que l’autorité parentale est un dispositif d’ordre public dont la surveillance de l’exercice
échoit à toute la société.
Lorsque les faits sont établis, le retrait de l’autorité parentale peut d’une part être
prononcé par une juridiction pénale qui porte une condamnation à l’endroit des coupables
condamnés comme auteurs ou complices d’un crime ou délit commis sur la personne de leur
enfant ou commis par celui-ci, et d’autre part, par la juridiction civile statuant sur les mêmes
faits, qui porte sur tous les attributs s’y rattachant, et à défaut de précision expressément
portée, elle s’étend sur tous les enfants déjà nés au moment du jugement14. La déchéance de
l’autorité parentale conduit le plus souvent à l’adoption, et le fait qu’elle permette de se passer
du consentement des parents déchus est révélatrice de la nature réelle de la parentalité, qui est
légale, c'est-à-dire construite, et non naturelle-biologique. La judiciarisation de l’adoption,
qu’elle soit sous forme simple ou plénière révèle la place forte de l’Etat dans l’attribution et la
distribution des charges de parentalité ou le transfert de son exercice. En effet, à la volonté
des parents d’adopter ou de faire adopter un enfant, doit correspondre une décision de justice
autorisant ladite adoption. C’est ainsi que les époux NGBWA, dans l’affaire qui porte leur
nom15, avaient saisi le Tribunal de Première Instance de Yaoundé-Centre Administratif aux
fins d’obtenir une décision les autorisant à adopter sous forme plénière l’enfant TCHETGNIA
Armelle, œuvre de PAKAM NGAMGA Henriette et d’un père non identifié. Le Tribunal de
céans, en autorisant ladite adoption sous forme plénière avait également ordonné l’adjonction
du nom NGBWA au nom initial de l’adoptée, de sorte qu’elle puisse à l’avenir se nommer

14
A cet effet, le juge peut prononcer un retrait partiel de l’autorité parentale limité à certains attributs seulement,
tout comme il peut décider, selon que l’intérêt des enfants le commande, que le retrait total ou partiel n’aura
d’effets qu’à l’égard de certains seulement des enfants déjà nés.
15
Voir l’Affaire des époux NGBWA.

166
NGBWA TCHETGNIA Armelle Carole. Dans une autre affaire soumise à la même
juridiction en mars 2005, Dame MONGO née NGO GWODOG avait saisi le Tribunal aux
fins d’adoption plénière des enfants GWODOC Hans, NGO NYOBE Margueritte et NGO
NYOBE Françoise issus respectivement des œuvres de son petit frère NYOBE Marc Fabrice,
et de ses sœur cadettes NGO GWODOG Yvette et NGO GWODOG Elisabeth, lesquels ont
des revenus modestes et sont chacun auteur d’une progéniture abondante. Le Tribunal de
céans avait fait droit à la demande et ordonné les transcriptions au registre d’état civil du
Centre conformément aux dispositions de l’article 363 du Code civil16. La même attitude avait
été observée dans l’affaire BABA BOUM Louise Angèle dont voici les faits. Par requête
datée du 24 mars 2005, BABA BOUM Louise Angèle épouse GROSSRIEDER résidant en
Suisse avait saisi le Tribunal de Premier Degré de Yaoundé-Centre Administratif aux fins
d’adoption des enfants Jonathan Maxime Fred NONGA et Hermine Angèle Audrey NONGA,
enfants des époux NONGA domiciliés au Cameroun. Le tribunal avait fait droit à la demande
et autorisé l’adoption desdits enfants par le couple GROSSRIEDER.
L’analyse des minutes de ces différentes affaires montre que la judiciarisation de
l’adoption participe des modes de protection de l’intérêt de l’enfant à adopter. En effet,
l’adoption ne vise pas tant à donner des enfants à un couple qui n’en a pas, mais bien plus à
donner des bons parents à des enfants qui n’en ont pas. C’est pour cette raison que
l’autorisation d’adoption délivrée par le Tribunal est toujours commandée par l’intérêt de
l’enfant. C’est dans cette perspective que la situation professionnelle et salariale de l’adoptant
fait l’objet de beaucoup d’attention. Ainsi, doit-il justifier d’un revenu conséquent lui
permettant d’assumer la charge qu’il revendique et manifester l’intérêt qu’il accorde à l’enfant
objet d’adoption par sa présence physique à l’audience. Le défaut d’une ou de ces deux
exigences rend l’adoption impossible. Ainsi, dans un jugement en date du 19 janvier 2009
(Affaire TCHATCHET Arlette), le Tribunal de Première Instance de Yaoundé-Centre
Administratif avait débouté TCHATCHET Arlette de sa demande d’adoption de l’enfant
NJIKI YOMBA Stéphanie (sa sœur cadette), compte tenu de la situation précaire que
traversaient leurs parents YOMBA et KENDO KWAYEP Denise. Bien que la requérante ait
produit les pièces exigées, notamment une copie certifiée conforme de l’acte de naissance de
NJIKI YOMBA Stéphanie, les autorisations écrites de ses parents, les bulletins de
rémunération de décembre 2007 et de janvier 2008, elle a été déboutée de sa demande pour
défaut de comparution pendant l’audience, la comparution personnelle du demandeur étant
indispensable en matière d’adoption. La substitution de la demanderesse à l’audience de
même que la procuration17 n’étant d’aucune valeur en matière d’adoption, il n’était plus
besoin pour le tribunal dans la présente espèce de rechercher si cette demande remplissait
toutes les conditions y relatives18.
A partir des mécanismes de l’adoption, l’autorité parentale se révèle être un pouvoir que
l’Etat délègue entre les mains des individus qui de ce fait acquièrent le titre de parents, pour
qu’ils éduquent l’enfant conformément à l’ordre et à la morale publique. Cette délégation

16
Voir l’Affaire Dame MONGO née NGO GWODOG Margueritte.
17
Il est à noter que la requérante avait par procuration en date du 27 juin 2008 autorisé Dame KOUAYEB
YOMBA Line à la représenter.
18
Voir les Affaires TCHATCHET Arlette et BABA BOUM.

167
correspond à une opération de parentalisation, qui révèle la parentalité, non pas comme un
donné, mais comme un produit social objet de multiples manipulations aux nombreux enjeux.
La parentalité est donc une forme de matérialisation d’un type de contrat social par
lequel les parents naturels renoncent à l’exercice de leur pouvoir au profit d’un père souverain
qu’est l’Etat ; ce dernier en retour les investi chacun d’une part de sa souveraineté (la qualité
de parent), pour qu’ils assurent en ses lieu et place et en son nom, le gouvernement des
membres de la famille. Ce faisant, l’Etat a légitimé les pouvoirs des parents, et ceux-ci en
retour travaillent à légitimer le sien, sous peine de sanction19. Ainsi, faut-il cesser
d’appréhender la parentalité comme une donnée immédiate de la réalité sociale résultant d’un
ordre naturel, mais plutôt, comme un instrument de construction et de production continue de
cette réalité. Une telle relation, en se renouvellent de façon continue, prend les apparences du
normal et du naturel. Ceci permet d’envisager la parentalité, et plus exactement le parent,
comme la présence personnifiée de l’Etat au sein de la société.

II- LA PARENTALITE COMME DISPOSITIF D’INCORPORATION ET


D’OMNIPRESENCE DE L’ETAT DANS LA SOCIETE

Partant du constat que la parentalité correspond à un ensemble de droits, devoirs et


obligation incessibles de gré à gré, et dès lors que les lois peuvent limiter les interventions des
parents voire même leur retirer leur enfant, l’on peut se rendre à l’évidence que c’est l’Etat
qui en dernière analyse, possède les enfants dont il confie, dans les conditions les plus
ordinaires, la responsabilité à leurs parents biologiques20. C’est dans cette perspective que
DURKHEIM désignait les parents comme des « fonctionnaires de la vie domestique ». Tout
se passe suivant un schéma décrit par Gilles DELEUZE : l’Etat contrôle les parents, ceux-ci à
leur tour contrôlent les membres de leur famille21. L’idée d’une autorité politique légitimant
l’autorité parentale au sens du pater familias ne constitue plus un renforcement de l’autorité
familiale, comme c’était le cas avec les lettres de cachet qui, dans le contexte occidental
autorisaient le père de famille à faire emprisonner son enfant s’il l’estimait nécessaire 22. Elle
la contrôle jusqu’à la désavouer si nécessaire. C’est bien le sens qu’il convient de donner à
l’ensemble des dispositions législatives relatives à la protection des enfants, à l’adoption, et
plus généralement à la coparentalité, qui opère aussi bien pour les familles naturelles que pour
les famille légitimes, en situation de cohabitation ou de rupture de conjugalité. A ce sujet, si la
coparentalité en situation de cohabitation des conjoints semble aller de soi, il faut relever
qu’en situation de rupture, elle fait l’objet d’un traitement particulier s’articulant entre une
coparentalité à distance et une coparentalité de recomposition, le tout ordonné à s’assurer de
la permanence du dispositif parental en tant que dispositif de surveillance et de guidage. La
coparentalité de recomposition qui advient post rupture en cas de remariage du parent gardien,

19
BENABEND (A) n’hésite pas à cet effet à considérer la déchéance de l’autorité parentale comme une sanction
à l’encontre de ses titulaires fautifs. Cf. BENABEND (A), Droit civil : la famille, op cit, p. 516.
20
De SINGLY (F). et MAUNAYE (E)., « Le rôle et sa délégation », in KAUFMANN (J.C), (Dir), Faire ou faire
faire ? Presses Universitaires de Rennes, 1995, p.93.
21
DELEUZE (G), Postface à l’ouvrage La police des familles de DONZELOT (J), Paris, Editions de Minuit,
2004.
22
FARGE (A) et FOUCAULT (M), Le désordre des familles. Lettres de cachet des Archives de la Bastille,
Paris, Gallimard-Julliard, 1982.

168
s’avère alors être un cadre intéressant d’observation de la manière dont l’Etat fabrique,
manipule, voire, bricole (au moyen du droit) le lien parental, pour le faire exister malgré tout
et par-delà tout, laissant apparaitre la famille finalement comme un dispositif de sous-
traitance du travail d’étatisation et de mise en ordre de la société.

A- La promotion de la coparentalité post divorce et hors mariage, entre


indissolubilité de la parentalité et permanence de la surveillance de l’Etat

Les conjoints sont liés entre eux par les devoirs conjugaux. Lorsque survient l’enfant, il
nait à leur charge et à l’égard de ce dernier, un nouveau type de devoirs : les devoirs
parentaux, qu’ils sont tenus d’exercer conjointement. Plus que des conjoints, ils deviennent
des coparents. L’obligation de co-résidence des époux instituée par l'article 215 du Code civil
avait pour fonction latente dans la politique du mariage, de favoriser une coparentalité
spontanée en cas de fécondité de l'union. C'est dire que la co-résidence apparaît comme le
ferment de la coparentalité et comme le cadre idéal de son exercice. Le problème se pose alors
dans les suites du divorce, en tant que celui-ci met fin aux droits et obligations réciproques
des époux, notamment les obligations de fidélité, de cohabitation, de secours et d'assistance.
Dès lors, comment assurer la coparentalité aux enfants des couples féconds après dissolution
du lien matrimonial ? Autrement dit, comment rester co-parents lorsqu’on a cessé de co-
résider ? Une formule ingénieuse est alors trouvée et consiste à marquer la suprématie de la
parentalité sur la conjugalité matérialisée par la continuation des devoirs parentaux à la suite
de l'effondrement des devoirs conjugaux.
A la lecture de ce qui précède, il apparait que la privatisation de la famille est une
illusion d’optique. En effet, si plusieurs manières d’être en couple sont possibles, s’agissant
de la manière d’être parent, il n’y a plus qu’un seul modèle. A la liberté des couples qui
s’organisent comme ils l’entendent, s’oppose un choix unique, donc un choix forcé de
parentalité. La fonction de parent étant une institution d’ordre public23, celui qui la détient ne
peut y renoncer, la céder en totalité, ou dans tel ou tel de ses attributs. Seule la loi peut opérer
un dessaisissement de la fonction en vertu d’une délégation volontaire des parents 24 ou d’une
déchéance.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la crise du couple n’implique pas la mort de la
famille. Au contraire, elle semble renforcer les réseaux de parenté et, même dans les cas de
séparation du couple parental, on voit s’affirmer les rôles parentaux. La parentalité est ce qui
survit à la conjugalité dans les cas de rupture d’unions fécondes. On pourrait de ce fait dire
que la parentalité fonde la famille, car par-delà la diversité et la pluralité des modes de
conjugalité, elle est ce qui lie de façon indissoluble parents et enfants. Ainsi, à la suite d’une
séparation ou du divorce d’un couple fécond, la loi institue la continuation des liens et devoirs
parentaux. La dislocation du couple ne correspond donc pas à la dislocation ou à la fin de la
famille, mais à une mutation de sa structure et de son mode de fonctionnement.

23
ATANGANA MALONGUE (T), La protection de la personne de l’enfant, Thèse de Doctorat en Droit Privé,
Université Jean MOULIN, Lyon III, 2001, p. 52.
24
HAUSER( J) et HUET WEILLER (D), Traité de droit civil, la famille, fondement et vie de la famille, Paris,
LGDJ, 1993, p.774.

169
Les devoirs associés à la coparentalité post-divorce opèrent ici comme une contrainte
devant amener les ex-conjoints à accepter et exercer leur rôle de père et ou de mère, en n’étant
plus époux. On passe ainsi du couple conjugal au couple parental, les devoir parentaux ayant
survécus aux devoirs conjugaux dissolus par le divorce. Sur ce point, le couple de parents
divorcés se rapproche du couple de parents non mariés, seul le statut faisant la différence :
Dans un cas on a à faire à deux ex-conjoints légitimes divorcés, et dans l’autre, à deux
célibataires, mais tous soumis aux mêmes obligations associées à leur statut de parents.
La parentalité est une réalité indissoluble qui à elle seule fonde la famille, que ce soit
dans les situations de conjugalité sans papiers, ou de divorce. L’indissolubilité de la
parentalité corollaire de l’ancienne indissolubilité du mariage consacrée par le droit canon,
participe de la fiction de la famille et d’une fixation des liens familiaux entant que données
pérennes et immuables.
L'article 296 (1) du Projet de Code des personnes et de la famille du Cameroun, en
disposant que les droits et devoirs des pères et des mères à l'égard de leurs enfants subsistent à
la dissolution du mariage, opère une hiérarchisation entre l'ordre parental et l'ordre conjugal
au profit du premier. L'idée de base ici est sinon le maintien du lien familial au profit de
l'enfant du divorce, du moins la constitution autour de lui d'un réseau familial malgré tout25.
C'est cette idée de la permanence de la famille, de la famille malgré tout, qui fonde l'exercice
conjoint des devoirs et obligations parentales des ex-époux désormais co-parents.
Il s’agit d’une forme de régulation socio-légale et socio-judiciaire de la famille post-
divorce, qui rentre en cohérence avec la politique judiciaire de la famille suivant laquelle la
liberté de vivre ensemble ou ne plus vivre ensemble ne permet pas de s’affranchir de la
responsabilité l’un envers l’autre, et surtout conjointement envers l’enfant. La rupture de
l’engagement de vivre ensemble ne saurait comporter rupture du lien parental. On divorce de
son conjoint ; on ne divorce pas de ses enfants. La filiation entraine des obligations
parentales. La liberté individuelle des adultes ne peut à cet égard concurrencer le droit de
l’enfant d’avoir un père et une mère. Tel semble être l’objectif de la politique camerounaise
du divorce pour les couples féconds à savoir, le maintien de la famille malgré tout.
Si la famille et tout ce qui lui est lié, est considérée comme sacrée aujourd’hui, ce n’est
pas seulement parce qu’il en a toujours été ainsi, c’est aussi suivant REMI Lenoir, parce
qu’elle est perçue et vécue aujourd’hui comme un ilot autonome et singulier, englobé dans un
ensemble d’institutions qui se sont multipliées et qui contribuent également selon leur logique
propre (juridico-administrative ou économique, voire les deux à la fois), à la perpétuation de
l’ordre social26.
En effet, le fait que la famille continue à s’imposer avec tant de force comme une
matrice de schèmes structurant la vision du monde social, ce n’est nullement par l’effet de
nécessitésanthropologiques, mais grâce à ce qui est au principe de cette vision, l’adéquation
socialement prédéterminée entre les catégories politiques et les catégories familiales de
perception du monde social. Les structures familiales apparaissent comme le fondement
naturel de toutes choses, notamment de la chose publique, et cela, d’autant plus qu’elles sont
25
Ce principe vaut également pour l’enfant naturel.
26
LENOIR (R), Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil, 2003, p19.

170
elles mêmes habituellement perçuessuivant les catégories selon lesquelles l’ordre politique est
lui aussi construit27. Cette adéquation circulaire est le résultat de stratégies d’investissements
symboliques des classes dominantes qui, en imposant les schèmes d’évaluation qui leurs sont
les plus favorables et en facilitant les pratiques susceptibles d’être appréciées en leur faveur,
contribuent à faire apparaitre comme naturels les fondements économiques, culturels et
politiques de leur domination. Les représentations de la famille participent ainsi très
directement des stratégies qui concourent à la reproduction des structures et de l’ordre social.
On en a un exemple en Europe dans la formation sinon de deux sciences, du moins, de
deux savoirs d’Etat qui ont pour objet la famille, son fondement, sa définition et sa finalité.
D’une part la Généalogie qui, dans la formation et le fonctionnement de l’Etat dynastique,
participe à l’imposition d’un mode de gestion légitime du pouvoir politique, notamment de
son maintien et de sa perpétuation. D’autre part la Démographie, qui dans un Etat
bureaucratique, s’intègre en continuité immédiate avec le mode de gestion et d’encadrement
rationnalisé des populations, typique des Etats modernes. Ces deux formes de savoirs relèvent
du système d’instruments grâce auxquels une unité sociale s’objective dans les objets
impersonnels qui la symbolisent, notamment l’Etat, et s’incorpore à des structures mentales
qui la pensent et la représentent28. Ce n’est nullement un hasard si au cœur même de ces deux
disciplines qui ont pour objet une des dimensions essentielles de la reproduction de la
structure sociale, se retrouve dans des configurations historiques des facteurs sociaux pourtant
fort différents, la problématique de l’héritage et de l’hérédité, bref, celle de la succession.
Elles contribuent chacune à sa manière, à consolider l’unité collective et à en assurer la
continuité, une des médiations étant le recours qu’elles ont toutes deux aux technologies
juridiques et du droit (et aux structures étatiques auxquelles ces technologies sont liées), dont
elles utilisent, réifient et éternisent les catégories.

B- Parentalité et famille comme dispositifs de sous-traitance du gouvernement des


conduites et de mise en ordre de la société

En tant que dispositif de sous-traitance du gouvernement des conduites et de mise en


ordre de la société, l’exercice de la parentalité est générateur de ce que BOURDIEU qualifie
d’Habitus. Structures structurées disposées à fonctionner comme structures structurantes,
l’habitus est cette incorporation des valeurs et des attentes du milieu ou de la classe sociale à
laquelle on appartient et qui fait en sorte que le comportement de l'individu soit analysé
comme résultant d'une programmation. Comme le dit BOURDIEU, l’habitus, c’est "tout le
social incorporé".
Pour Marc MONTOUSSE et Gilles RENOUARD, l'habitus désigne l'ensemble des
goûts et des aptitudes acquis par l'individu tout au cours du processus de socialisation: il est

27
GRANET (M) ,La civilisation chinoise. La vie publique, la vie privée, Paris, Albin Michel, 1968. Cet auteur
établit que c’est « au terme d’une longue évolution que le fils et le père se sont considérés comme parents. Le
premier lien qui les unit est un lien d’inféodation, lien juridique et non pas naturel, et, de plus, de nature extra
familiale. Le fils n’a vu un parent dans le père qu’après l’avoir reconnu pour son seigneur ». Granet (M), op cit,
p340.
28
LENOIR (R), op cit, p33.

171
non seulement un système de référence, mais également un système générateur de pratiques 29.
Conformément à ses goûts, chaque individu a un comportement cohérent qui lui semble
naturel, mais qui est le produit de ses expériences sociales. L'habitus est donc l'impression,
voire, l’injection dans nos têtes et dans nos corps des structures (valeurs et normes) sociales
par un processus d’intériorisation des attentes sociales, par lequel nous reproduisons ces
mêmes valeurs et au sein duquel l’autorité parentale tient une place prépondérante.
En effet, il n’est désormais plus un seul devoir domestique qui ne préfigure d’un devoir
citoyen, qui ne prépare à la micro échelle domestique, le citoyen de l’espace public. Dès lors,
comme le constate Evelyne SULLEROT, entre le pouvoir des parents et singulièrement du
père dans la « petite patrie » qu’est la famille et le pouvoir du chef de la grande famille qu’est
la Nation30, il n’y a qu’un pas, qui correspond moins à une différence de nature qu’à une
différence de degré. La parentalité correspond donc à l’exercice d’un pouvoir et d’une
fonction politique dans le plus petit des territoires politiques qu’est la famille.
C’est de cette différence de degré que parle Ernest KANTOROVITCZ lorsqu’il décrit le
processus au terme duquel la notion de « patrie », qui au Moyen Age, était toujours assimilée
à celle de quasi pater, a fini par transcender les anciennes limites de la cité ou de la cité-Etat
pour désigner un royaume. Cette évolution a impliqué une transformation des bases sociales
du sentiment d’appartenance nationale et du fondement des obligations qui étaient liées31. Il
ne s’agit plus seulement de dévouement personnel à l’égard du prince mais d’un service dû à
l’Etat, ou tout au moins à son Chef, défini en tant que tel. Les devoirs patriotiques conçus à
l’origine comme homologues à ceux de la filiation le sont peu à peu au titre de la sujétion au
Prince et à l’entité qu’il incarne désormais, c'est-à-dire l’Etat.
Il faudrait dans cette perspective cesser d’appréhender l’histoire de la famille dans les
faits, comme l’histoire d’une dissociation d’avec le politique. En effet, l’ordre politique
traditionnel, hiérarchisé, est consubstantiel à un modèle de famille patriarcale. Il importe de
noter que ce modèle s’est particulièrement épanoui au cours de cet « âge d’or de la monarchie
paternelle 32» qu’aura véhiculé le XVIIIe siècle avec cette filiation « naturelle » entre le père
de famille, le souverain et Dieu. La nostalgie qui transparait souvent de certains discours
politiques n’est peut-être pas celle de la famille traditionnelle en soi, mais bien celle d’une
société politique bâtie sur l’idée et l’illusion de famille. C’est cette approche du familial
comme producteur du politique qui permet de mieux comprendre aujourd’hui dans le contexte
français par exemple, le sens de cette ancienne revendication en faveur d’un « vote
familial »33 reprise aujourd’hui en France dans les programmes du Front National. Au-delà
des préoccupations d’ordre populationnistes, il s’agit bien de retrouver cette osmose entre
l’ordre familial et un ordre politique traditionnel par l’institution d’une « famille citoyenne »
comme force structurante du social et du politique34. Suivant la conception de Louis de

29
MONTOUSSE (M) et RENOUARD (G), 100 fiches pour comprendre la sociologie, Rosny-Bréal, 1997
30
SULLEROT (E), Quels pères ? Quels fils ?, Paris, Fayard, 1992, p.67.
31
KANTOROVICZ (E), « Mourir pour la patrie pro patriamori dans la pensée politique médiévale », in Mourir
pour la patrie, Paris, PUF, 1984.
32
DELIMEAU (J) et ROCHE (D), Histoire des pères et de la paternité, Paris, Larousse, 1990.
33
Le vote familial implique que pour toute élection, au nom de la famille, le chef de famille dispose
d’autant de votes que de membres qui composent sa famille.
34
BREILLAT(D) et ASTIE (P), « La famille et le droit électoral », in Le droit non civil de la famille,

172
BONALD, « la nation apparait comme une grande famille hiérarchisée dont le Roi est le
père, le Chef de l’Etat, le père de famille et toutes les autorités intermédiaires, chacune dans
son rang, représentant l’image du Père céleste ; le pouvoir paternel émane de la suprême
paternité divine médiatisée par celle du Roi 35». Dans cette perspective, les membres de la
famille (père, mère, enfants) n’appartiendraient à la société domestique que comme acteurs
d’une société politique « naturellement » inégale et hiérarchisée36. C’est pourquoi pour Louis
de BONALD, aux dénominations physiques et particulières de père, de mère, d’enfant, il
convenait de substituer les expressions morales et générales de pouvoir, telles que, ministre,
sujet.
L’ordre familial et l’ordre politique seraient donc homologues. Ainsi, de l’obéissance
aux parents à la soumission à l’autorité publique, de l’interdiction du parricide et de
l’infanticide à la prohibition de l’homicide, etc, il n’existe pas un devoir domestique (parental
ou infantile), qui ne soit le point de départ d’une attente ou d’une exigence de l’ordre public
lui-même. Plus que jamais, la famille, (FARGE et FOUCAULT en avaient déjà eu
l’intuition37), apparait comme ce lieu privilégié où la tranquillité privée permet la fabrication
et la production douce et insoupçonnée de l’ordre public. C’est à ce niveau, fait remarquer
Gilles DELEUZE, que « l’hybridation des deux secteurs, public et privé, prend une valeur
positive pour former le social »38. En fait, une conception se profile à l’horizon, inspirée de la
tradition catholique et de l’idée républicaine selon laquelle, les devoirs de citoyen prennent la
forme d’un engagement total dans sa famille, dans sa commune, dans sa région, dans son pays
en suivant un système de cercles concentriques dans lequel la famille est au centre39.
L’indifférenciation du familial et du politique dans les représentations de la citoyenneté
ordinaire est patente dans la mesure où la conception des rôles familiaux et les qualités qui
leur sont attachées se confondent avec les devoirs de citoyen.
Dès lors, le rapport citoyen apparait comme étant le reflet dans l’espace public des
rapports domestiques, et inversement, les rapports domestiques véhiculent dans l’espace privé
les logiques et la morale publique, faisant apparaitre la figure du père chef de la famille
comme un transfert domestique de celle du Chef de l’Etat père de la Nation. On le voit bien,
la sociologie de la famille, finalement, s’impose comme une dimension complémentaire de la
sociologie de l’Etat.
En effet, la parentalité en tant que mécanisme d’incorporation, de dissémination
biologique et micro local de l’Etat (l’Etat faisant corps avec le parent), renvoie dans la
perspective de la discipline et de la gouvernementalité à la réalisation de l’objectif d’un Etat
qui se voudrait présent partout, à tout moment et en toute circonstance. C’est le paradigme de

ouvrage collectif, Paris, PUF, 1983.


35
De BONALD (L), Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, Paris, Vrin, 1995.
36
DENIEL (R), Une image de la famille et de la société sous la Restauration, Paris, Editions ouvrières, 1965.
37
FARGE (A) et FOUCAULT (M), Le désordre des familles, Lettres de cachet des archives de la Bastille, Paris,
Gallimard-Julliard, 1982, p.15.
38
DELEUZE (G), Postface à l’ouvrage de DONZELOT ( J), La police des familles op cit.
39
DUCHESNE (S), « Quelle famille pour quelle citoyenneté ? Diversité des représentations françaises en
matière de famille et de citoyenneté », in Famille et citoyenneté. Concepts et stratégies pour une nouvelle
politique sociale, Forum international des sciences humaines, Université de Grenade, Octobre 1997. Voir
également du même auteur, Citoyenneté à la française, Paris, Presses de Science Po, 1997.

173
l’Etat partout et du tout-Etat. L’autorité parentale découlant de la loi, la parentalité correspond
alors à la traduction naturalisée de l’autorité de l’Etat. A travers les yeux des parents l’Etat
observe la famille, de même que les parents la regardent avec les yeux de l’Etat 40. La
parentalité renvoie à l’un de ces dispositifs par lesquels l’Etat et plus exactement sa force et
son autorité, se rendent invisibles, insoupçonnées, naturelles. Sous le couvert de l’amour et de
l’affection parentale, c’est tout un travail de dressage et de formatage de l’individu qui se
joue. La parentalité étant indissoluble et l’Etat ainsi invisibilisé dans la figure du parent, c’est
la présence continue de l’institution (malgré les crises et ruptures conjugales) qui se trouve
assurée. La parentalité est alors une institution qui surplombe le mariage et ou se substitue à
lui pour garantir la permanence, la stabilité et l’indissolubilité du lien familial, et en même
temps, la permanence et l’indissolubilité de la surveillance étatique. A travers la figure
parentale, l’Etat se fait omniprésent, omniscient et omnipotent. Les analyses du pouvoir telles
que développées par Michel FOUCAULT ont une influence durable sur la manière
d’envisager les techniques institutionnelles et extra-institutionnelles de contrôle social. Ces
exercices de pouvoir immanents se manifestent sous des formes subtiles et diverses que
l’auteur analyse notamment à travers les pratiques d’auto-gouvernance des individus et des
populations.
Les outils conceptuels que développe FOUCAULT (savoir/pouvoir, discipline,
biopolitique, gouvernementalité, etc.) permettent de rendre compte de ces nouveaux modes de
contrôle et de pouvoir qui répondent à une logique inédite de décentralisation et de
délocalisation des pouvoirs étatiques en affectant en même temps toutes les conditions
d’organisation de la vie en société (législation, médicalisation, criminalisation, judiciarisation,
urbanisation, etc)41. Dans cette perspective, la parentalité se révèle ainsi comme une micro
catégorie d’étatisation au travers de laquelle l’Etat fabrique les individus par le travail de
socialisation et de disciplinarisation, fait penser comme il pense, fait voir avec son regard et
fait faire comme il souhaite. A ce titre, la parentalité (et partant, les parents) se présente
comme un dispositif de production et de reproduction sociale, de production et de
reproduction de l’ordre sans mot d’ordre. La parentalité est incorporation, somation et
humanisation de l’Etat dans la personne du parent ; elle est la parfaite manifestation de
« l’Etat fait corps » de « l’Etat fait chair ». L’Etat dans cette perspective, cesse d’être un
Léviathan, ce monstre froid sorti de l’imaginaire de WEBER, pour s’hominiser dans la
chaleur de l’affection parentale et de l’amour filial, toutes choses apparemment naturelles et
immédiates, alors qu’en réalité elles sont construites, proposées ou imposées, mais suivant des
procédés et des technologies42 si subtiles, si discrets, si infimes, qu’on en arrive à oublier
qu’elles sont objectives, c’est à dire au sens de LUKMANN et BERGER43, proposées et
imposées de l’extérieur. Une telle entreprise vise à réaliser deux défis : d’abord celui de faire

40
Sur cette question, lire utilement SCOTT (J.C), Seeing like a State : how schemes to improve the human
condition have failed, New haven, Yale University Press, 1998.
41
MACHIKOU NGAMENI (N), Les chemins d’un Etat observateur, Thèse de Doctorat en Science Politique,
Université de Picardie Jules Verne, 2010, p. 29.
42
A cet effet, FOUCAULT (M), parle des technologies politiques du corps.
43
Voir LUCKMAN (T) et BERGER (P), The social construction of réality, Paris, Meridian klingksieck, 1986.
.

174
exister réellement la famille, ensuite, celui de faire en sorte que cette réalité n’apparaisse pas
comme le produit de ce travail.

CONCLUSION

En tout point de vue gouvernée par l’Etat, la famille apparait comme un instrument au
travers duquel l’Etat impose un certain type de rapports sociaux et imprime un certain ordre.
Il apparait que ce travail politique de construction de la famille correspond à un double
enjeu : d’abord celui de faire exister réellement la famille, ensuite, celui de faire en sorte que
cette réalité, cette « catégorie réalisée », n’apparaisse pas comme le produit de ce travail,
c'est-à-dire la faire apparaitre aux acteurs sociaux comme une essence qui trouve dans la
nature le principe de son existence sociale, alors qu’elle n’est en réalité que le produit
contingent d’une construction ininterrompue. Ainsi, l’Etat, à travers les codes et les lois, sous
apparence de dire ce qu’est la famille, fait être la famille en disant ce qu’elle doit être et
comment elle doit être.
Ce qui ressort essentiellement de ce processus de constitution de la famille en catégorie
de l’Etat, c’est la construction d’un modèle de famille dont les vertus cardinales sont la
permanence et l’ordre, toujours assurés au moyen du droit ; deux attributs qui ne sont pas sans
analogie avec ceux exigés des Etats modernes, la stabilité et l’autorité établies juridiquement.
Ici, la souveraineté du Prince ne s’exerce plus sur un territoire mais sur des hommes, sur des
corps. Autrement dit, une rupture dans la rationalité politique intervient à partir du moment où
le contrôle et la maitrise de l’individu deviennent des éléments plusimportants dans la
stratégie politique. Dans cette perspective, FOUCAULT étudie une nouvelle technologie de
pouvoir dont l’objet est la population et qui cherche à la gérer à partir de sa naturalité. Ainsi,
un nouveau type de pouvoir émerge et se greffe sur le pouvoir souverain : Il s’agit du bio-
pouvoir, qui consiste à proposer et orienter les comportements des individus, à structurer et à
conduire leurs conduites. Dès lors, Gouverner consistera aussi à orienter la conduite des
hommes à partir de données qui leur « semblent » naturelles, c'est-à-dire à partir des structures
structurées et disposées à fonctionner comme étant des structures structurantes. La parentalité
en est une des plus fortes. Loin d'être une évidence biologique, elle serait le résultat le plus
sophistiqué d’un processus de construction, d’institutionnalisation, de normalisation et de
naturalisation d’une forme de domination d’Etat à travers la figure du parent. On le voit bien,
privé et public se mêlent ici à travers la nécessité de l’ordre. Dès lors, la sociologie de la
famille révèle une dimension importante de la sociologie de l’Etat.La famille apparait ainsi
comme un terrain fécond à partir duquel l’on peut engager une réflexion sur l’Etat et à partir
duquel, l’on peut appréhender le succès et les limites de l’étatisation de la société, c'est-à-dire
de la manière dont l'Etat gouverne les individus et la société dans son ensemble à partir des
noyaux familiaux travaillés en profondeur par les dynamiques du dehors et du dedans, celles
du haut et celles du bas.

175
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ARCHIVES JUDICIAIRES :
- Affaire YONKEU Emmanuel.
- Affaire MENGATA Martin Thierry.
- Affaire des époux NGBWA.
- Affaire Dame MONGO née NGO GWODOG Margueritte.
- Affaire TCHATCHET Arlette.
- Affaire BABA BOUM.
.

177
L’EXTINCTION NEGOCIEE DE L’ACTION PUBLIQUE AU CAMEROUN : LA
TRANSACTION PENALE

Par

Martin Bertrand NKOA KONO


Chargé de cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de
Bertoua/Cameroun, email : martinbertrandnkoakono@yahoo.fr
Cameroun

Résumé
La transaction pénale est entendue comme une procédure par laquelle certaines administrations
peuvent proposer aux délinquants l’abandon des poursuites en contrepartie de l’aveu de l’infraction et
du versement d’une somme d’argent dont elles fixent elles-mêmes le montant. Au Cameroun, cette
procédure a été étendue au Ministère public avec la création d’un Tribunal Criminel Spécial. De là,
l’on s’est interrogé sur la nature et le régime juridique de la transaction. Ainsi, il s’est avéré que la
transaction pénale est apparentée non seulement à un contrat de droit commun mais aussi à un contrat
administratif selon la forme et les conditions requises par la loi. En plus, les règles qui s’y appliquent
diffèrent selon que l’on se trouve avant ou après le jugement définitif. Cependant, malgré cet
encadrement juridique, il serait encore mieux voire souhaitable de repenser les lois régissant la
transaction pénale puisque celle-ci semble faire l’affaire de la classe bourgeoise.

Abstract
Penal compromise is understood as a means through which some authorities can influence
delinquents to hat proceedings, by compensation for the admission of a crime and the payment of a
sum of money fixed by them. In Cameroon, this procedure was extended to public Ministries with the
caution on the special criminal tribunal. Thus, compromise in penal matters is similar not only to a
contract of Common saw but also to an administrative contract in the form and conditions/terms
required by the law. Moreover, the rules that apply to it depend on whether one examines it before or
after a final judgment. Meanwhile, not withstanding this legal framework, it would be better, indeed
desirable, to rethink the laws governing/restricted to the upper class.

INTRODUCTION

Il existe une tendance qui a l’ambition de faire du juge le véritable régulateur des
conflits en société. Cette conception semble parfois très prétentieuse. Or, toutes les tensions
de la vie en société ne peuvent et ne doivent pas avoir une solution contentieuse fondée sur
l’application stricte de la règle de droit. Il faut ménager une place importante à d’autres modes
de règlement des litiges où l’équité puisse tenir une place plus grande que dans le procès1. La
sagesse populaire affirme d’ailleurs qu’« un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon
procès ». Il faut donc combattre l’acharnement judicaire qui existe incontestablement chez


Mode de citation : Martin Bertrand NKOA KONO, « L’extinction négociée de l’action publique au Cameroun :
la transaction pénale », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 179-202.
1
Guyomar (M.), « les conditions de la transaction pénale », RFDA, conclusions sur conseil d’Etat, Assemblée, 7
juillet 2006, France Nature Environnement, p. 1261.

179
certains juristes comme l’acharnement thérapeutique qu’on rencontre chez certains médecins.
Le développement de la transaction pénale répond à ce souhait. C’est justement dans ce sens
que les personnes indexées du détournement des biens publics au Cameroun avaient été
autorisées à restituer le corps du délit moyennant l’abandon des poursuites pénales engagées
contre elles2. Ainsi, l’on comprend aisément que la transaction pénale peut donner lieu à des
mesures de restitution ou de réparation lesquelles peuvent se traduire par le paiement d’une
somme d’argent ou l’accomplissement d’une obligation civile. Ceci étant, les notions de
transaction, de restitution et même de remboursement ont toujours fait l’objet de controverse
puisque les uns et les autres ne comprennent pas qu’après la commission d’une infraction, le
délinquant soit encore admis à transiger soit avec une juridiction compétente, soit avec une
administration bien désignée par la loi afin que les poursuites soient arrêtées, alors même que
le droit pénal est entendu comme la réaction de l’Etat face à un comportement antisocial 3.
Malgré cette conception, la loi elle-même prévoit néanmoins que lorsque l’action publique est
mise en mouvement à la suite d’une infraction commise, elle peut se heurter à des obstacles
permanents4 parmi lesquels, la transaction. Elle constitue à cet effet, une cause d’extinction de
l’action publique lorsque la loi le prévoit expressément et le parquet en a fait un large usage
de droit qui lui est ainsi reconnu5. Pour mieux cerner cette étude portant sur la transaction
pénale, certains concepts méritent d’être étayés. Le Code Civil définit la transaction comme
étant un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une
contestation à naître6. De même, elle est considérée comme un mode de règlement amiable
d’un litige à l’initiative de deux parties qui décident de mettre fin à leur problème en trouvant
un accord ou en prévenant le différend par un contrat7. En matière pénale, la transaction est
entendue comme une procédure par laquelle certaines administrations peuvent proposer aux
délinquants l’abandon des poursuites en contrepartie de l’aveu de l’infraction et du versement
d’une somme d’argent dont elles fixent elles-mêmes le montant. Cette procédure
d’application restrictive entraîne l’extinction de l’action publique8. En clair, la transaction est
une possibilité qui est laissée à l’autorité chargée des poursuites de mettre un terme à l’action
publique, si elle peut obtenir de la personne mise en cause, l’accomplissement d’un certain

2
L’article 18 (nouveau) de la loi n°2012/028 du 14 décembre 2012 modifiant et complétant certaines
dispositions de la loi N°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal Criminel Spécial dispose
à cet effet : « En cas de restitution du corps du délits, le procureur général près le tribunal peut sur autorisation
écrite du ministre chargé de la justice, arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction du
jugement.
3
Lire à propos, NLEM MVA (P.), Cours polycopié de droit pénal général, Université de Yaoundé II, 2004-2005
4
Les obstacles permanents sont énumérés par l’article 62 alinéas 1 et 2 du Code de procédure pénale
camerounais. Entre autres, nous avons : la mort du suspect, de l’inculpé, du prévenu ou de l’inculpé, du prévenu
ou de l’accusé », la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi, la chose jugée, la transaction lorsque la loi le
prévoit expressément, le retrait de la plainte. Les obstacles temporaires quant à eux sont : le défaut de la plainte
de la victime, l’existence d’une question préjudicielle à l’exercice de l’action publique, le défaut d’autorisation
de l’administration… cf aussi sur la question, AMBASSA (L-C.), « la prescription de l’action publique », RASJ,
Vol. 6, N°1, 2009, p.165.
5
JANSSENS (CH.) et VERVAELE (J.), Le ministère public et la politique de classement sans suite, Bruylant
1990, 408p.
6
L’article 2044 du code civil.
7
TANCH-DDRE (H.), La transaction pénale sur l’action publique en droit ivoirien : exemples des transactions
forestières et du ministère public, Mémoire de Maîtrise, Université catholique de l’Afrique de l’Ouest, Février
2007, p.1
8
GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), Dir., Lexique des termes juridiques, Dalloz, 13e éd., 2001, p.548.

180
nombre d’obligations civiles dont le paiement d’une amende forfaitaire. Présentée ainsi, la
transaction pénale doit cependant être distinguée des notions voisines pour éviter toute
confusion. Il s’agit de l’acquiescement, de la remise en liberté sous-caution, du
remboursement et de la restitution. La transaction est différente de l’acquiescement en ce sens
que l’acquiescement est un fait de la part du plaideur, de se soumettre aux prétentions de
l’autre. L’acquiescement à la demande emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions
de l’adversaire et renonciation à l’action. L’acquiescement au jugement emporte soumission
aux chefs de celui-ci et renonciation aux voies de recours9. Pour ce qui est de la distinction
transaction et remise en liberté sous-caution, il faut souligner que la remise en liberté sous-
caution, telle que prévue par le Code de procédure pénale camerounais, est une mesure
destinée à assurer la représentation d’une personne légalement détenue à titre provisoire
devant un Officier de police judiciaire ou une autorité judiciaire moyennant l’une des
garanties visées à l’article 246 (g) du même Code. Toutefois, ces dispositions ne s’appliquent
pas aux personnes poursuivies pour crime passible de l’emprisonnement à vie ou de la peine
de mort10. Les conditions de la mise en liberté ne sont donc aucunement similaires à celles de
la transaction. Il faudrait également dissocier la notion de transaction à celle de
remboursement, celui-ci étant une notion impropre en matière pénale. Il est beaucoup plus
entendu dans le sens du droit civil, puisqu’il consiste pour le débiteur à payer ou à s’acquitter
de sa dette envers le créancier. Il importe enfin d’opérer un distinguo entre la transaction et la
restitution. La restitution en matière civile, est une conséquence normale de l’annulation d’un
contrat (lorsqu’elle est certes possible), de la réparation en nature d’un dommage. Dans ce
cas, l’on parle de la restitutio in integrum qui, en d’autres termes, est considérée comme une
sanction prononcée par le juge. En matière pénale par contre, il est dit qu’après la commission
d’une infraction, la victime peut engager une action pénale à l’issue de laquelle, elle peut
obtenir réparation. Le délinquant est donc invité à remettre si possible les choses en l’état où
elles étaient avant le délit et par la suite, est condamné à payer les dommages-intérêts pour
compenser le reste du préjudice subi11.
Il se pose dès lors la question de savoir quelle est l’entité propre de la transaction
pénale ? Quelles sont les règles juridiques qui lui sont applicables ? Cette « extinction
négociée de l’action publique »12 revêt à notre sens, un intérêt pluridimensionnel. Sur le plan
théorique, la transaction est présentée comme une tierce voie entre la poursuite pénale et le
classement sans suite. Elle apparaît comme la réponse appropriée à un certain nombre de
contraventions, de délits ou de crimes économiques. Seulement, elle doit être réservée à toutes
catégories de citoyens puisqu’en effet, la préservation de la paix sociale passe entre autres par
le règlement des différends devant une justice qui garantit à tous les citoyens un procès
équitable, qui est l’une des garanties fondamentales du respect des droits de l’Homme13. La

9
Ibid., p.8.
10
Cf. article 224 du Code de procédure pénale camerounais
11
DOUCET (J-P.), Dictionnaire de droit criminel, douzième partie, 3éd.noIII.242 cf. la lettre R.
12
GHERARDI (E.), « réflexion sur la nature juridique des transactions pénales », RFDA 1999, p.905.
13
NGONO (S.), « L’application par le juge judicaire des règles internationales du procès équitable », in juridis
périodique N°63, éd. Spéciale, Juillet-Août-Septembre 2005, pp.34-45, du même auteur, le procès pénal
camerounais au regard des exigences de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Thèse de
doctorat, Paris XIII, avril 2000, lire aussi MINKOA SHE (A.), Droits de l’homme et droit pénal au Cameroun,
Paris, économica, 1999, p.1.

181
transaction devrait également s’effectuer dans un domaine précis à l’instar de celui des
infractions économiques, car, cette faculté admise risquerait d’entraîner la dangerosité de
laisser les individus commettre des infractions et se retrancher derrière la transaction et le
droit pénal perdrait certainement sa force et son utilité. Sur les plans économique et pratique,
la transaction pénale semble rapide et confidentielle. C’est dans ce sens qu’un auteur14
suggère que « la transaction n’a pas pour objet de remédier à la sévérité de la législation,
mais elle est considérée tant par l’administration que par le ministère public comme un mode
de gestion efficace de l’action publique en raison de l’économie de temps et de moyens
qu’elle permet ». Au-delà de ce qui précède, il est à noter que les domaines de prédilection de
la transaction pénale correspondent aux matières relevant du patrimoine de l’Etat : les impôts,
les douanes, la forêt, la faune, l’environnement et l’eau15. Le législateur pénal camerounais l’a
à cet effet consacré dans le Code de procédure pénale16, ainsi que dans des textes spécifiques
notamment la loi portant création d’un Tribunal Criminel Spécial17. Dans le même ordre
d’idées, le gouvernement camerounais a sollicité l’aide de la Banque Mondiale dans son
initiative « Star »18 pour récupérer l’argent déposé à l’étranger par les prévaricateurs19. Dans
ces matières énumérées et relatives à la transaction pénale, sont en cause, des violations de
l’ordre social et surtout les atteintes au patrimoine de l’Etat. La transaction pénale a à cet
égard plus de lien avec l’administration. Pourtant, il s’avère que dans la sphère de la
protection de la fortune publique, elle était inenvisageable20. Mais de nos jours, la politique
criminelle du législateur camerounais se veut pragmatique et est de ce fait axé sur le
recouvrement des sommes ou des avoirs volés. De cet argumentaire, il appert que la
transaction pénale admet une ambivalente nature juridique (I) et un flexible régime juridique
qu’il sied de minutieusement examiner (II).

I-L’AMBIVALENTE NATURE JURIDIQUE DE LA TRANSACTION PENALE

L’interrogation sur la nature exacte de la transaction pénale est préoccupante21. Il


s’avère plus facile de dire ce qu’elle n’est pas que ce qu’elle est. La transaction répressive
n’est pas une transaction civile, dès lors qu’il n’y a pas à proprement parler des « concessions
réciproques » caractéristiques de ce type de transaction22. Le fait pour une personne de payer

14
DOBKINE (M.), « La transaction pénale », D. 1994, chron. P.137.
15
Lire dans ce sens, TABOULACK (C.), La transaction en matière pénale, Mémoire de D.E.A, Université de
Yaoundé II, 2005-2006.
16
Cf. article 62 alinéas 1 et 2 du Code de procédure pénale camerounais, op. cit.
17
Cf. article 18 (nouveau), op. cit. de la loi N°2012/011 du 16 juillet 2012 modifiant et complétant certaines
dispositions de la loi N°2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal Criminel Spécial au
Cameroun.
18
L’initiative pour la restitution des avoirs volés, en abrégé STAR (stolen Assit Recovery Initiative) a été lancée
en 2007 par la Banque Mondiale et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Sont donc
considérés comme avoirs volés des actifs transférés à l’étranger à titre de biens personnels par les Chefs d’Etats
ou de hauts fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions.
19
NTONGA BOMBA (S-V.), « La protection de la fortune publique camerounaise : une efficacité relative ? »,
RASJ, Vol. 7, N°1, 2010, p.245.
20
MBOUYOM (F-X.), La répression des atteintes à la fortune publique au Cameroun, SODEAM, Yaoundé,
1970
21
FETTWEISS (A.), « Transaction sur l’action publique ou condamnation sans débats », ann. Dr. Lg. 1958, pp.
341-344, Bruxelles, 22 janv. 1970, R.C.J.B, p.53 et s.
22
FRANCHIMONT (M.), JOCBS (A.), Manuel de procédure pénale, 2009, 1472p.

182
à travers une transaction ne constitue un accord dans le but de former un contrat au sens du
droit civil, mais atteste simplement que la décision unilatérale du ministère public n’a pu lui
être imposée23. La transaction n’est pas non plus une peine puisque seuls les tribunaux
peuvent prononcer des condamnations en vertu de la Constitution. « A défaut d’intervention
du juge, il n’y a ni condamnation ni chose jugée, ni peine prononcée. La transaction est même
le contraire d’une condamnation puisqu’elle est prononcée et acceptée pour éviter un procès
pénal »24. Si donc la transaction pénale n’est pas comparable à la transaction civile, si elle
n’est ni une peine ni une condamnation, est-elle à tout le moins une sanction ? FETTWEIS y
voit « une sanction atténuée ou dégradée de nature administrative, dépouillée de tout
caractère pénal » et MESSINE, une sanction25. L’on peut dès lors avancer que la transaction
en matière pénale au Cameroun revêt un caractère contractuel26 puisqu’elle ne peut produire
les effets qui sont les siens qu’en raison de ce caractère-là. De même, la procédure
transactionnelle qui vise la rencontre de deux volontés est contractuelle ainsi que la définition
de son dispositif. La transaction pénale suppose donc le consentement du transigeant et n’est
pas exécutoire. Certes, ce dispositif ne comporte pas d’engagements réciproques puisque les
mesures prévues sont à la seule charge de l’auteur des faits répréhensibles. La transaction
pénale n’est donc pas un contrat synallagmatique, elle s’apparente plutôt à un contrat
unilatéral27 (A). Elle peut aussi s’analyser comme un moyen administratif bilatéral
d’extinction des poursuites »28. C’est un classement sans suite devenu irrévocable dans les
conditions légales. En somme, la transaction pénale est également une mesure administrative
(B).

A- Une procédure apparentée à un contrat unilatéral de droit commun

La transaction pénale s’apparente à un contrat unilatéral en ce sens qu’elle ne fait naître


les prestations qu’à la charge d’une seule partie29. Elle a également les caractéristiques d’un
contrat d’adhésion parce que l’intéressé ou mieux encore la personne poursuivie ne peut en
fait discuter les différentes clauses, il n’a que la liberté d’accepter ou de refuser le contenu
global de la proposition de transaction30. Celle-ci émane donc soit directement du ministère
public, soit de l’administration autorisée à transiger. Comme tout bon contrat, la transaction
nécessite aussi une formation et une conclusion pour qu’elle soit valide (1). En plus les règles
relatives à sa constitution doivent être respectées, au cas contraire, les sanctions peuvent
découler (2).

23
DEGAVRE (J.), Le contrat de transaction en droit civil et en droit judiciaire privé, t., Bruylant, 1967,
N°s164-165, citant de VERSEE, A.P.R.
24
FETTWEISS (A.), « Procédure sommaire en matière répressive, transaction sur l’action publique ou
condamnation sans débats », ann. Dr. Lg. 1958, p.357.
25
Rev. Sc. Crim., 1972, p.69, 22 janv. 1976.
26
Ainsi que le relevait le Commissaire du gouvernement Bissara, dans les conclusions sur la décision société
Etablissements Prévost (sect., 28 sept. 1983, Lebon p376.)
27
GUYOMAR (M.), op. cit., p.9.
28
MERLE (R.) et VITU (A.), Traité de droit criminel, t. II, 5e éd., N°65, Paris Cujas, 2001, p.84
29
Cf. article 1103 du Code civil.
30
Lire à propos, GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), Dir., op. cit., p.151.

183
1-La formation et à la conclusion de la transaction pénale
Pour qu’on parle de transaction pénale, cela suppose la commission d’une infraction.
Ses conditions varient alors selon la disposition légale qui la consacre. Il nécessite donc de se
reporter à l’examen des dispositions spéciales des lois particulières qui l’organisent. Ainsi, la
législation camerounaise portant régime de l’eau31 prévoit la responsabilité et les sanctions
pénales à l’endroit des contrevenants. Il est dit par exemple que toute personne qui pollue et
altère la qualité des eaux est punie d’un emprisonnement de cinq à quinze ans et d’une
amende de dix millions à vingt millions32. A cet égard, l’administration chargée de l’eau a
pleins pouvoirs pour transiger. Elle doit, pour ce faire, être dûment saisie par l’auteur de
l’infraction. Le montant de la transaction est fixé en concertation avec l’administration
chargée des finances. Ce montant ne peut être inférieur au minimum de l’amende pénale
correspondante33.
Les infractions à la législation et à la réglementation sur les forêts, la faune et la pêche
peuvent donner lieu à transaction, sans préjudice du droit de poursuite du ministère public. La
transaction sollicitée par le contrevenant éteint l’action publique, sous réserve de son
exécution effective dans les délais impartis34. Le Code Général des Impôts35 prévoit la remise
des pénalités tandis que le décret d’application de la loi de 1994 sur le régime forestier du
Cameroun indique en son article 136 que les infractions à la règlementation et/ou législation
forestière peuvent donner lieu à transaction.
Dans la même optique, les administrations chargées de l’environnement36 et des
douanes ont pleins pouvoirs pour transiger. Elles doivent, pour ce faire, être dûment saisies
par l’auteur de l’infraction. En dehors de ces administrations, il est aussi prévu au Cameroun
qu’en cas de restitution du corps du délit, le Procureur Général près le Tribunal peut, sur
autorisation écrite du Ministre chargé de la justice, arrêter les poursuites engagées avant la
saisine de la juridiction de jugement37. Au total, on peut retenir qu’au Cameroun, il requiert
un certain nombre de conditions sans lesquelles, la transaction pénale n’aurait jamais lieu.
Cela suppose donc qu’il y ait une infraction à propos de laquelle l’action publique aurait déjà
été intentée. En plus, l’indemnisation de la victime ne doit avoir été effectuée à tout le moins
à concurrence des sommes incontestablement dues et l’auteur doit avoir reconnu sa
responsabilité. L’intéressé doit avoir versé une somme d’argent fixée par la loi dans les délais
impartis. La contrepartie ne serait autre que l’arrêt des poursuites. La transaction pénale ne
génère donc pas une peine38. Son principe va à l’encontre de tout objet d’intimidation et elle
n’a aucun caractère afflictif ou infamant. Elle se substitue à la peine et se doit d’être librement
acceptée.

31
Cf article 22 de la Loi N°98-005 du 14 avril 1998 portant régime de l’eau
32
Cf. article 16 de la Loi précitée.
33
Cf. article 22 de la Loi portant régime de l’eau
34
Cf. article 146 de la Loi N°94/01 du 20 Janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche
35
Journal Officiel du Cameroun portant Code Général des Impôts N°2002/003 du 19 Avril 2002, voir article 331
et 410.
36
Loi N°96/12 du 5 Août 1996 portant loi-cadre relative à la gestion de l’environnement, voir article 91.
37
Cf. article 18 (nouveau) de la loi portant création d’un Tribunal Criminel Spécial au Cameroun, op. cit.
38
La réalité matérielle de la transaction peut, il est vrai, introduire une confusion. Ainsi, une transaction
douanière est susceptible de prévoir une confiscation. Celle-ci est considérée par le Code pénal camerounais
comme une peine accessoire (article 19 dudit Code) et une mesure de sûreté) article 45 du même code).

184
La transaction pénale a deux sujets : actif et passif. Le sujet actif est le Ministère public
tel qu’il est prévu par la loi portant création d’un Tribunal Criminel Spécial. L’administration
autorisée à transiger est également un sujet actif selon les législations spéciales abondamment
citées. Le sujet actif n’est donc compétent que pour formuler la proposition et non pour mettre
en place la transaction qui doit être acceptée par le délinquant. Le sujet passif par contre, est le
délinquant, c'est-à-dire, la personne qui a commis l’infraction. Dans la majeure partie des cas,
c’est le délinquant qui doit saisir l’administration afin de transiger. Il est important de
souligner ici que dans la plupart des textes spécifiques à la transaction, les termes du contrat
sont déjà arrêtés39. Le délinquant est donc libre de les accepter ou de les rejeter.
Pour ce qui est de la forme, elle est un principe juridique en vertu duquel une formalité
par exemple la rédaction d’un écrit est exigée par la loi pour la validité d’un acte. La
transaction pénale étant apparentée à un contrat, elle nécessite une forme et une procédure de
conclusion. La transaction pénale doit émaner d’une rédaction spécifique, inhérente à son
objet. Elle donne lieu à un écrit signé par les parties40 dans lequel celles-ci consignent leurs
engagements respectifs. La transaction pénale peut également faire l’objet d’un contrat
verbal41. La jurisprudence42 l’assimile au droit comme un contrat d’adhésion. Si le terme de
contrat n’apparaît jamais formellement et si les mesures concernées ne correspondent à
aucune catégorie contractuelle usuelle, le contenu matériel de ces actes, en tant qu’échange de
volontés, doit conduire à les assimiler à des contrats innomés43. A la lecture des textes
spécifiques à la transaction pénale au Cameroun, il est prévu que c’est le délinquant qui, dans
la plupart des cas, doit saisir l’administration victime de l’infraction afin de transiger. En
effet, le particulier s’engage à exécuter les actes exigés par la transaction en échange de
l’abandon des poursuites44. Celles-ci ne redeviennent possibles que si l’exécution cesse ou en
cas de réitération45. En retour, le Ministère public est bien lié par les termes de la transaction
par laquelle il renonce à poursuivre. Il y a bien échange de volontés en dépit de la situation
très spécifique de l’intéressé face à l’administration. Les parties ne sont d’ailleurs liées
qu’après la signature de l’acte puisque le Ministère public semble pouvoir à tout moment
retirer une proposition de transaction s’il estime que l’intérêt public l’exige 46, sans que
l’intéressé puisse s’en prévaloir. La transaction est alors bien un acte destiné à régir les
rapports de ceux dont les volontés se sont rencontrées, générateur d’obligations réciproques.
Ce contrat peut-on le dire, conclu entre le Ministère public et un intéressé va relever, selon les
modalités de chaque forme de transaction pénale, du contrat de droit privé ou du contrat de

39
Cf. Les textes spécifiques précités.
40
La signature de l’intéressé peut apparaître, dans la forme, comme un visa. Toutefois, le contenu de l’acte ne
constitue toujours pas une rencontre de volontés des deux signataires qui s’engagent par leur signature
41
CA Limoges, 6 fev. 1845, DP1846, 4-458. Sur l’analyse du contrat d’adhésion comme un “acte règle », V.
Hauriou, note S. 1908, 317. Lire aussi BERLIOZ (G.), Le contrat d’adhésion, Th., LGDJ, 2e éd., 1976.
42
Cass. Com., 31 janv. 1950, Biardeau c/ Cie d’assurances. La protectrice, Gaz. Pal. 1950, 1, 241.
43
MALAURIE (Ph.), AYNES (L.), Les obligations, éd. Cujas, 1996, pp.176-177.
44
L’article 62 du Code de procédure pénale camerounais dispose que « l’action publique s’éteint par la
transaction lorsque la loi le prévoit expressément ».
45
L’action pénale peut encore être engagée si le délinquant reprend son activité illicite.
46
L’arrêt des poursuites pénales est admis à tout stade de la procédure avant l’intervention d’une décision au
fond, lorsque ces poursuites sont de nature à compromettre l’intérêt social ou la paix publique voir art. 64 du
Code de procédure pénale camerounais ; sur la même question, lire NDJERE (E.), Le ministère public ou
parquet, Tome I, presses de l’UCAC, Février 2012, pp.259 et s.

185
droit public. Il faut ajouter à ceci que la procédure transactionnelle doit être antérieure à toute
procédure judiciaire éventuelle sous peine de nullité.

2. La sanction de l’inobservation des règles de formation de la transaction pénale


La transaction pénale doit être librement consentie pour ne pas encourir de nullité
contractuelle, ni mettre en cause les droits individuels de l’intéressé. A l’inverse, le contrat de
transaction pénale devient nul et nécessite que l’action en nullité soit mise en œuvre. On note
les causes communes et les causes particulières de nullité. La transaction pénale, de par sa
nature contractuelle, est soumise aux règles habituelles de nullité. Le consentement du
contrevenant ne doit pas être affecté par l’erreur, le dol ou la violence. A cet égard, la menace
des poursuites pénales exprimée par l’administration ne paraît pas constituer un motif de
nullité pour violence puisque les poursuites sont la conséquence normale de l’infraction s’il
n’y a pas de transaction47. Par contre, l’évocation d’une sanction supérieure à celle que
prévoit la loi pour conduire la transaction serait constitutive d’une manœuvre dolosive.
L’erreur de fait est aussi susceptible d’entraîner la nullité, à l’exclusion de l’erreur de droit
puisque la logique transactionnelle même est de clore une contestation en droit48.
La transaction pénale doit être librement consentie pour ne pas mettre en cause les
droits individuels conventionnellement et constitutionnels reconnus49. Selon les textes
internationaux ratifiés par le Cameroun et intégrés dans la Constitution50, il est admis que
toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial,
établi par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée
contre elle51. Afin de ne pas enfreindre ce principe, un intéressé ne doit pas conclure de
transaction « sous une pression si contraignante que l’on ne saurait s’étonner qu’il y ait
cédé »52. Dans le même ordre d’idées, le Conseil constitutionnel français s’est, quant à lui,
référé, dans sa décision du 2 février 1995 à l’article 9 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen garantissant la présomption d’innocence, au respect des droits de la
défense, pour déclarer non-conformes à la Constitution, les formes nouvelles de transaction
susceptibles de priver un individu « d’une procédure juste et équitable garantissant
l’équilibre des droits des parties ». Il affirme que seules constituent une procédure
respectueuse des droits individuels, les transactions librement consenties53. L’action en nullité
ici peut être intentée par la partie qui prétend que ses droits ont été lésés dans la convention.

47
Ainsi par exemple, la loi portant régime de l’eau au Cameroun prévoit en son article 22 alinéa 2 que « le
montant de la transaction est fixé en concertation avec l’administration chargée des finances. Ce montant ne peut
être inférieur au minimum de l’amende pénale correspondante voir également l’article 91 alinéa 2 de la loi cadre
sur la gestion de l’environnement de 1996, lire aussi ALLIX et ROUX, Les droits de douane, t. II, « la
transaction en matière douanière », cité in DUPRE (J-F.), La transaction en matière pénale, librairies techniques,
1977, p.165
48
Cass. Req., 4 fév. 1931, cité par Allix et ROUX, op. cit., p. 351
49
DELVOLVE (P.), La justice hors du juge, JCP, éd. E 1984, cah. Dr. Entr., N°4, p.16
50
Voir préambule de la Constitution camerounaise.
51
Pour de plus amples développements, cf. NGONO (S.), le procès pénal camerounais au regard des exigences
de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Thèse de doctorat, Paris XIII, avril 2000 ; aussi
ENGO’O ASSOUMOU (C.), les garanties d’impartialité du juge dans le Code de procédure pénale, Mémoire de
D.E.A, Université de Yaoundé II, 2005-2006
52
CEDH, 27 fév. 1980, Deweer c/ Belgique, 99
53
MODERNE (F.), Sanctions administratives et justice constitutionnelle, Economica, 1993.

186
Le contrevenant pourrait exercer cette action s’il estime que l’administration n’a pas respecté
les clauses du contrat54 ou alors ses droits individuels ont été violés. Le Ministère public a la
possibilité d’annuler la transaction lorsque l’intérêt public l’exige. Il peut s’agir soit de la
nullité relative55, soit de la nullité absolue56. Lorsque l’action en nullité est constituée ou
reçue, le contrevenant pourra bénéficier du non paiement de la somme due. Qu’à cela ne
tienne, il importe de relever que pour avoir commis l’infraction, le délinquant reste et
demeure sous le coup de l’action publique57. Le Ministère public ou l’administration autorisée
à transiger peut ainsi continuer avec l’œuvre des poursuites pénales.
La transaction pénale dépend donc des modalités qui lui sont attribuées. En dehors de la
forme contractuelle de droit commun, elle peut aussi avoir un caractère principalement
administratif du contrat.

B- Une procédure assimilée à un contrat administratif

Le caractère contractuel de l’acte transactionnel est une caractéristique commune à


toutes les formes de transaction pénale. En revanche, selon les spécificités de chaque
procédure, les caractères de ce contrat permettent de l’assimiler à un contrat administratif. La
transaction pénale peut être un contrat administratif58, parce qu’une personne publique
notamment le Ministère public ou une administration autorisée à transiger sont parties à ce
contrat. Mais, un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée ne relève
effectivement de ce régime que s’il apparaît comme un acte de gestion publique en raison de
ses clauses, de son objet ou de son régime59. La transaction pénale est donc dans la quasi-
totalité de ses formes, un contrat classiquement administratif par son objet. Malgré ces
caractéristiques, la transaction pénale en matière administrative présente de nombreuses
défaillances au regard des principes fondamentaux du droit pénal et de la procédure pénale, au
point qu’un contrôle juridictionnel semble nécessaire.

1- Un contrat administratif de par ses clauses, son régime et son objet


L’objet de la transaction pénale ne semble pas un critère exploitable sur le principe.
Celle-ci, à l’évidence, ne relève pas des grandes catégories classiques telles que l’exécution de
travaux publics ou l’occupation du domaine public.
L’exécution même de la transaction pénale par les services publics, en l’occurrence le
service public de la justice et les services publics d’autres administrations60 autorisées à
transiger, serait éventuellement un critère utilisable si l’on considère que la transaction pénale
permet, sous le contrôle du Ministère public et des administrations évoquées, de réagir contre
54
Notamment le montant exigé dans la transaction.
55
La nullité est dite relative lorsqu’elle sanctionne une règle destinée à protéger une partie de l’acte
56
La nullité est absolue lorsque les conditions imposées par la loi sont essentielles et tendent à protéger l’intérêt
général, ou l’ordre public, ou les bonnes mœurs
57
LARGUIER (J.), Procédure pénale, Dalloz, 18e éd., 2001, p.144.
58
DE LAUBADERE, MONDERNE (F.), DELVOLVE (P.), Traité des contrats administratifs, LGDJ, 1983, 2e
éd. T.1, p.15 et s., lire aussi RICHER (L.), les contrats administratifs, Dalloz, 1991.
59
T. Confl., 20 janv. 1986, coopérative agricole de l’Arne, Rec. P.446 ; DA 1986, N°155.
60
Les administrations autorisées à transiger au Cameroun ne sont autres que : les impôts, les douanes, les
services de l’eau, de l’environnement, des forêts et de la faune

187
une infraction à l’ordre social. Les clauses exorbitantes61 de droit commun de la plupart des
transactions pénales et leur régime légal permettent d’affirmer le caractère administratif de
ces procédures. Les clauses de la transaction pénale figurent manifestement parmi « celles qui
ne pourraient pas être insérées dans un contrat entre particuliers et celles ayant pour effet de
conférer aux parties des droits ou de mettre à leur charge des obligations, étrangers par leur
nature à ceux qui sont susceptibles d’être librement consentis par quiconque dans le cadre des
lois civiles et commerciales »62. De manière générale, toutes les prérogatives de puissance
publique qui confèrent à l’administration des moyens de contrainte sont manifestement
exorbitantes au regard des compétences de droit commun et sont, à l’évidence, exclues dans
les relations privées. En matière d’infraction douanière, l’administration des douanes peut
proposer une transaction prévoyant la contrainte pour paiement63. L’administration fiscale a
également la possibilité, par voie contractuelle, de saisir et confisquer certains matériels,
véhicules…
A cet égard, la transaction pénale a pu être qualifiée de « décision administrative à
caractère répressif »64. L’ensemble de ces clauses sont exorbitantes de droit commun en
raison de leur caractère inégalitaire puisqu’elles placent l’intéressé sous le contrôle et
l’autorité de la puissance publique. Le Ministère public est ainsi autorisé à vérifier la bonne
exécution du contrat afin de préserver son droit d’exercice des poursuites en cas de
défaillance du cocontractant65. A notre avis, la clause exorbitante suffit pour qualifier la
transaction pénale de contrat administratif. Les prérogatives de puissance publique prévues
dans cette procédure et les spécificités du contrat dérogatoires au droit commun sont arrêtées
par les textes. Le régime ne découle donc pas de la qualification donnée mais plutôt, il
s’impose dès que leur existence est prévue par la loi. Pour ce faire, à la lecture des
transactions en matière d’eau et de pêche par exemple, la somme versée par l’intéressé
s’analyse comme une indemnité réparatrice du préjudice causé à la propriété de l’Etat, plutôt
que comme la réparation d’une infraction à l’ordre social66. Dans la même optique, un
auteur67 souligne que « les transactions fiscales et douanières ne constitueraient pas à
proprement parler des transactions pénales dans la mesure où les infractions fiscales et
douanières répriment plus des atteintes au patrimoine de l’Etat que des violations de l’ordre
social ». Le parquet n’est donc pas signataire d’un tel acte. Cependant, le régime légal de la
transaction impose de la qualifier de contrat administratif puisque le parquet doit autoriser
cette procédure et peut la rejeter, voire l’accepter à la condition suspensive que la somme à
payer sera plus importante. L’administration détient en effet, un pouvoir de contrôle et de
direction de l’exécution du contrat de transaction pénale. Mais, elle ne dispose pas d’un

61
Sur cette notion, V° VEDEL (G.), Remarques sur la notion de clause exorbitante, Mélanges Mestre, p.527 et
s. lire aussi CHARLERY (C.), « Réflexion sur la notion de clause exorbitante de droit commun », petites
affiches, Avril 1998, N°41
62
CE, 31 juillet 1912, société des granits porphyroïdes des Vosges, Rec. P.909, concl. L. Blum.
63
Lire dans le même sens DREN (R.), poursuites et sanctions en droit pénal douanier, Thèse de doctorat,
Université panthéon-Assas, Nov. 2011.
64
DUPRE (J-F.), op. cit. p.,15
65
GHERARDI (E.), op. cit., p.6.
66
Cf. les lois camerounaises portant sur l’eau, la pêche.
67
DOBKINE (M.), « La transaction en matière pénale », D. 1994, p.137

188
pouvoir d’imposer à son cocontractant des charges supplémentaires68 puisqu’il est reconnu
que pour toute forme de contrat administratif, lorsque celui-ci a un contenu entièrement défini
par voie législative ou règlementaire comme c’est le cas des transactions, la modification de
son contenu ne peut résulter que d’une modification législative ou règlementaire. En plus, la
résiliation unilatérale dans l’intérêt du service dont dispose l’administration69 ne saurait être
invoquée. La transaction pénale ne peut donc intervenir, en principe, que pour des infractions
qui ne menacent pas gravement l’ordre public. Il importe de préciser à la suite de ceci que
certaines caractéristiques du contrat administratif sont exclues en l’occurrence le recours pour
excès de pouvoir. La transaction pénale est ainsi un contrat administratif auquel le délinquant
est tenu d’adhérer s’il souhaite en bénéficier. Si la transaction pénale n’est pas une peine, elle
est néanmoins une sanction infligée par l’administration. La transaction présente bien un
caractère répressif puisqu’elle intervint à la suite d’un acte répréhensible, mettant fin à toute
possibilité de poursuites70. Elle se traduit pour l’administré, par le paiement d’une indemnité
réparatrice liée à l’infraction constatée. Cette sanction reste une sanction administrative
puisque la répression pénale éventuellement encourue devient impossible71. Les transactions
ainsi réalisées peuvent être inscrites dans une forme de mémoire administrative soit pour
réclamer une sanction pécuniaire, soit pour être transmises au parquet, à titre d’information, si
des poursuites sont engagées. Le paiement des sommes forfaitaires demandées par
l’administration, ou des mesures comme la confiscation, font partie des peines susceptibles
d’être infligées par un tribunal lesquelles constituent des sanctions pénales72.
Les transactions de par leur objet, offrent pour l’essentiel au cocontractant une
protection classiquement reconnue en matière de sanction administrative. Les principes
constitutionnels73 encadrant l’activité du législateur en matière de sanctions administratives
s’appliquent pour presque toutes les transactions pénales. L’avocat a donc implicitement
accès à cette phase transactionnelle puisqu’il peut être rémunéré s’il assiste son client. La
transaction pénale doit être librement consentie pour ne pas encourir de nullité contractuelle.
Le consentement du contrevenant comme en matière de droit commun des contrats, ne doit
pas être effacé par l’erreur, le dol ou la violence et l’évocation d’une sanction supérieure à
celle prévue par la loi pour conduire la transaction est constitutive d’une manœuvre
dolosive74. De même, les droits individuels ne doivent pas être remis en cause lors de la
transaction. La transaction pénale, par l’ensemble de ces critères et dans la plupart de ses
versions, est une « sanction administrative librement acceptée »75. Les transactions posent des
questions relatives au respect des principes destinés à la protection des justiciables. L’égalité
entre ces derniers, qui doit subsister quelle que soit l’autorité chargée de l’affaire, ne semble

68
CE, 30 oct. 1974, Commune de Saint-Pierre-Les-Bois, Rec. P.525.
69
Il est à rappeler que c’est un pouvoir qui s’exerce en vertu des règles générales applicables aux contrats
administratifs.
70
Mais la possibilité de poursuite d’éventuels coauteurs ou complices subsiste V° cass., 26 Août 1829, cité in
DUPRE (J-F.), op. cit., p.165.
71
CE, 11 janv. 1950, Epoux Moray, RD publ. 1950.727.
72
GHERARDI (E.), op. cit.
73
Il s’agit du principe de la légalité, du principe de la proportionnalité qui garantit l’impossibilité pour
l’administration d’imposer une sanction transactionnelle supérieure à celle prévue par la loi. Le principe de non-
cumul de la transaction avec une sanction pénale.
74
ALLIX et ROUX, op. cit.
75
BOITARD (M.), « la transaction pénale en droit français », Rev. Sc. Crim., 1941.

189
toujours pas garantie. Pourtant, l’égalité des parties à la transaction pénale est conçue sur le
modèle de l’égalité des parties au procès et qui induit les droits de la défense 76. Que la
transaction ait lieu avec l’administration, ou avec le Ministère public, l’accusé est toujours en
état d’infériorité, même si la possibilité de se faire assister par un avocat existe. En matière de
transactions administratives, le principe de séparation des pouvoirs judicaire, exécutif et
législatif ne se trouve-t-il pas réduit ? A cette interrogation, il est à noter que l’administration
applique sa propre sanction au lieu de se subordonner aux décisions du juge, et même, définit
la norme puisque les textes règlementaires la lui reconnaissent. L’existence de ces
« infractions administratives », qui font encourir des sanctions à caractères indéniablement
punitifs, pose le problème de leur origine légale : leur création revient au pouvoir
règlementaire. Elles sortent de façon contestable du champ des crimes et des délits dont la
définition revient au parlement.
L’une des prérogatives du parquet est l’opportunité des poursuites77. Le Procureur
décide seul si la machine judiciaire doit être saisie d’une infraction pénale dont il a
connaissance. Il a la maîtrise de l’action publique et du sort du litige. Le parquet est par contre
délesté par les transactions de son pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites puisque
celles-ci sont laissées à l’initiative d’autorités administratives78. Au lieu de seconder la justice
dans la poursuite des infractions, l’administration s’en sert comme ultime recours. Il faut
relever qu’avec le règlement des litiges par le mode contractuel, la loi des parties prime par
rapport à la loi pénale et permet parfois d’éviter les dispositions répressives.
Quant aux transactions douanières, elles ont un objectif essentiellement financier.
L’administration des douanes « est principalement jugée sur ses performances en ce
domaine »79. Selon certains, « la douane doit cesser d’être administrative pour devenir
commerciale »80. Pour ce faire, on admet avec cette doctrine que sans aucune harmonisation
de procédure de transaction, les pouvoirs répressifs croissants des autorités administratives,
doivent être « canalisés »81.

2-La nécessité d’un contrôle juridictionnel


Le non-respect des principes protecteurs du justiciable est une fatalité. C’est pour cela
que les juges acceptent la transaction en subordonnant toutefois la validité des décisions
administratives à un contrôle juridictionnel82. Le contrôle du juge pénal sur les transactions
des autorités administratives se doit d’être développé dans des proportions inattendues,
puisque ces autorités ont été créées pour éviter l’existence d’un contentieux juridictionnel.
Ces contrôles de grande ampleur sont justifiés par les mécanismes de sanctions qui ne
respectent pas suffisamment l’équité. Les administrations autorisées à transiger sont tenues en

76
FOSSIER (T), « Droits de la défense et personnes vulnérables », Rev. Sc. Crim. 1998, p.57, N°19.
77
Lire à propos, NDJERE (E.), Le ministère public ou parquet, PUCAC, Tome I, 2e éd.
78
BARBERGER (C.), De la criminalité apparente, Thèse, Lyon III, 1981, p.188
79
SERVERIN (E.), LASCOUMES (P.) et LAMBERT (T.), Transactions et pratiques transactionnelles,
Economica, 1987, p.202.
80
GOBAEUT (G.), « Code des douanes : rigueur juridique ou laxisme administratif », Actes N°52, 1985, pp.21-
26
81
TEITGEN-COLLY (C.), op.cit., p.25.
82
Lire la décision de la Cour d’Appel de Paris du 26 Avril 1994.

190
vue des dispositions spécifiques, de dénoncer les infractions dont elles ont connaissance et
d’en informer le parquet83. On peut envisager des recours contre leurs décisions si celles-ci
s’avèrent excessives84. Cette perspective pourrait réjouir en ce sens que la crainte de voir leurs
décisions critiquées poussera certainement les autorités administratives à respecter strictement
les règles procédurales calquées sur les garanties offertes par les procédures classiques.

II-Le flexible régime juridique de la transaction pénale

Le souci d’alléger la charge des juridictions répressives des procédures complexes a


conduit le législateur à ériger la transaction en mode de gestion de l’action publique85. Ce
droit reconnu à certaines administrations a donc été étendu au Ministère public. La transaction
qui devient alors un privilège pour certaines administrations et du Ministère public, constitue
la cause d’extinction des poursuites. Le régime juridique de la transaction consistera que
soient examinées les règles juridiques qui s’appliquent à cette procédure avant le jugement
définitif (A) et après le jugement définitif (B).

A- Les règles applicables à la transaction avant le jugement

Dans son principe, la transaction suppose que deux parties puissent chacune faire valoir
des prétentions à l’égard de l’autre. Le litige sera éteint ou prévenu au prix d’un abandon
mutuel d’une partie de ces prétentions formalisées dans un acte signé par les intéressés86. La
transaction intervient donc bel et bien lorsqu’une instance n’est pas encore engagée devant un
juge pour éviter la naissance d’un procès. Dans la même lancée, la Cour de cassation française
considère qu’une transaction peut valablement intervenir tant qu’aucune décision ayant
autorité de chose n’a été rendue. Sa jurisprudence est d’ailleurs constante : « la transaction
intervenue avant que les poursuites aient abouti à une condamnation définitive a pour effet
d’éteindre l’action publique et s’oppose à l’exécution des peines prononcées quelle qu’en soit
la nature »87. La transaction pénale est considérée ici comme un substitut à la répression
pénale. La faculté d’y recourir ne saurait être limitée aux seuls cas où l’action publique n’a
pas encore été mise en mouvement. Dans tous les cas, il sera question pour nous de jeter un
regard sur la situation de l’auteur de l’infraction avant le jugement définitif (1) et de scruter
aussi sur les effets de la transaction après sa conclusion (2).

1- La situation de l’auteur de l’infraction avant le jugement définitif


Le jugement définitif ou encore le jugement sur le fond est entendu comme celui-là qui
statue en principe sur tout ou partie de la question litigieuse, objet du procès. De même, un

83
Il est admis que toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses
fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au Procureur de
la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs
84
Ces recours peuvent se faire devant l’autorité compétente en l’occurrence les juridictions pénales, V° GASSIN
(R.), Répertoire pénal, Dalloz, V° transaction, N°41, également DOBKINE (M.), op. cit, p.139.
85
CREN (R.), Thèse op. cit., p.249.
86
GNAKRI KOUASSI (S-E.), La règlementation du prix en droit ivoirien, Mémoire de D.E.A, Université
Catholique d’Afrique de l’Ouest, 2008.
87
Cass. Crim., 14 fév. 1956, Bull. crim., n°154; 3 oct. 1957, Bull. Crim., N°606

191
jugement sur le fond peut trancher aussi l’incident consécutif à une exception ou à une fin de
non-recevoir. Un tel jugement dessaisit le juge quand il statue sur le fond du procès, il a
l’autorité de la chose jugée à la différence du jugement avant dire droit88. Ceci dit, le
jugement n’étant pas encore définitif, la transaction produit des effets relativement à la
poursuite de l’infraction. D’entrée de jeu, la transaction est vue sous l’angle du sacrifice de
l’accusé car, la décision obtenue à son terme, peut être considérée comme un substitut de la
peine encourue en cas de procédure judicaire. La transaction évite alors les sanctions, ce qui
explique d’ailleurs le consentement de l’accusé. Elle constitue une forme de « grâce
administrative »89, en particulier lorsque la peine prévue par le texte est si sévère qu’un juge y
répugnerait peut-être. Cependant, on ne peut nier le caractère répressif de la transaction, au
point qu’un auteur a pu écrire en matière de fiscalité : « la transaction apparaît comme une
institution à finalité hybride. Elle adoucit les règles du droit pénal dans la plupart des cas. Elle
conduit à l’application inflexible de celles-ci dans les cas les plus graves. L’autonomie du
droit fiscal éclate ici à l’évidence »90. En pratique, la sanction encourue a un caractère
dissuasif et est vécue comme une répression à laquelle l’absence de procès pénal enlève peu.
L’administration représente un pouvoir contre lequel il paraît aussi difficile de résister que
contre la décision d’un juge. Au plan juridique, si la transaction ne donne, bien entendu, pas
lieu à une inscription au casier judiciaire, une doctrine explique que l’on a affaire à un
véritable « casier administratif »91 puisque les administrations gardent une trace de chaque
litige, et ce casier est d’autant plus complet que l’amnistie et l’effacement qui, en
conséquence, sont impossibles. Il convient de préciser que tant que l’action publique n’a pas
été engagée, seule l’intervention d’un magistrat du parquet, qui dispose du libre exercice de
celle-ci, est requise pour que la transaction comporte un effet extinctif, réserve faite des rares
hypothèses où la mise en mouvement de l’action publique relève de l’administration92. En
revanche, l’effet pénal attaché à la transaction est subordonné à l’intervention d’un magistrat
du siège si celle-ci est conclue après la mise en mouvement de l’action publique93. Dans une
telle hypothèse, la seule intervention du Procureur de la République serait attentatoire aux
prérogatives de la juridiction saisie compte tenu des effets qui s’attachent à la transaction. En
résumé, il est à noter que si l’affaire est entre les mains du juge d’instruction, celui-ci doit
rendre un non-lieu, motif pris de la transaction intervenue. S’il s’agit de la juridiction de
jugement, celle-ci doit prononcer la relaxe au motif que l’action publique est éteinte du fait de
la transaction94. L’action publique est éteinte et a pour effet de dessaisir le juge. En matière
transactionnelle, elle peut également dessaisir la victime de l’infraction ceci, en fonction des
termes retenus par les parties. C’est essentiellement par son effet extinctif que la transaction
s’apparente à la décision judiciaire. Toutes les deux ont pour effet de mettre fin au litige par
épuisement du droit d’action des parties, l’instance étant quant à elle éteinte accessoirement95,

88
GUILLIEN (R.) et VINCENT (J.), op. cit., p.326.
89
GASSIN (R.), Répertoire pénal, Dalloz, V° transaction, N°29.
90
SFEZ (L.), « La nature juridique des sanctions fiscales non pécuniaires », Revue de science financière, 1966,
p.361
91
GASSIN (R.), Répertoire pénal, Dalloz, V° Transaction, n°29
92
Par exemple, voir en matière douanière, le cas particulier de l’article 356 du Code des douanes en France.
93
Voir art. L.350 du Code des douanes précité.
94
Cass. Crim., 11 fév.1941
95
Tribunal de Travail de Ouagadougou, jugement n°144 du 28 Nov. 2000.

192
puisqu’elle devient sans objet. La transaction fait naître une fin de non-recevoir que l’on
appelle exception de transaction ou exception litis finitae per transsectionem qui s’oppose,
dans un cas, que l’instance soit continuée. Bien que n’ayant pas à être relevée d’office par le
juge en raison de son caractère privé, elle peut être invoquée en tout état de cause, sauf devant
la Cour suprême pour la première fois, car elle est mélangée de droit et de fait96. La
transaction qui intervient en cours de procès a pour effet de dessaisir le juge devant lequel se
déroulait celui-ci. Ceci se justifie par le fait que le juge n’étant plus appelé à connaître du fond
du litige, il n’y a plus matière à ce qu’évolue la procédure, et celle-ci doit normalement se
clore par une radiation du rôle97. Ce qui donne lieu à des solutions selon lesquelles, l’action
sur laquelle la transaction est intervenue, ne peut plus donner lieu à une exception de
litispendance98 et que le juge n’ayant plus à se prononcer sur le bien-fondé des thèses
antagonistes, chaque partie doit, sauf clause contraire99, supporter ses propres frais, la
distraction des dépens ne pouvant plus en principe être ordonnée100. Par ailleurs, l’exception
de transaction ne peut être utilement invoquée que par celui qui a lui-même exécuté ses
engagements, ou au cas contraire, une nouvelle action tendant à ranimer le même litige est
recevable101.
Il convient de souligner que la transaction conclue sur les conséquences civiles d’une
infraction n’a aucune incidence sur l’action publique102. Ceci s’explique par le fait que l’on
peut disposer de l’action civile sur laquelle il est possible de transiger. Mais faudrait-il que la
convention intervienne entre l’auteur de l’infraction, ses garants et la victime, et non entre des
coauteurs ou complices de l’infraction désireux de régler entre eux par ce moyen les intérêts
civils les opposants103. Une fois consentie par la victime, la transaction enlève à celle-ci le
droit de se constituer partie civile. De même, la victime peut prendre un engagement de ne pas
déposer une plainte ou de retirer celle déjà déposée. A cet effet, si l’action publique est
subordonnée à une plainte de la victime, cette action publique est éteinte lorsque celle-ci vient
à transiger sur l’action civile104. La transaction pourrait donc entraîner la disparition de
l’action ou l’extinction de l’instance en justice105. L’extinction de l’action publique est le
sacrifice de l’administration ou du Ministère public. Lorsque la loi le leur autorise, ils peuvent
transiger et l’action publique s’éteint106. La jurisprudence a dans ce cas affirmé qu’en cas de
transaction autorisée par la loi, et menée à bien, il y a automatiquement extinction de l’action
publique107. Cependant, la transaction n’éteint l’action publique que si elle est accomplie

96
Cass. Req. 2 fév. 1910, DP 1910.1.141 ; cass. 2e civ., 24 mai 1971, préc.
97
NDE TAWEMBE (D-P.), L’extinction de l’instance en justice, Mémoire de DEA en droit privé, Université de
Yaoundé II-Soa, 2005
98
C.A Colmar, 4 Nov. 1925, Gaz.Pal. 1926.1.118
99
C.A Nancy, 12 fév. 1898, DP. 1899.2.86.
100
C.A Paris, 15 nov. 1951, JCP, éd. A, 1953.IV.2.118
101
Cass. Com., 25 oct. 1965, Bull civ. III, n°523
102
Lire sur la question, HELIE (F.), la transaction sur l’action civile et sur l’action publique, Extrait du Traité
de l’instruction criminelle, 2e éd., T.II, Paris 1866, P.50 et s., p.727 et s. voir aussi, l’article 2046 alinéa 2 du
Code civil.
103
C.A Paris, 3 déc. 1925, Gaz.pal. 1926.1.212.
104
Cass. Crim., 28 octobre.1965, D. 1965.803, Rapp. Combaldieu
105
NDE TAWEMBE (D-P.), op.cit.
106
Cf. art. 62(2) du Code de Procédure Pénale camerounais et les lois spécifiques inhérentes aux différentes
administrations autorisées à transiger
107
Cass. Crim., 10 oct. 1962, Bull. crim. N°270.

193
avant tout procès pénal108. Après ce procès pénal, elle n’aura d’effet que sur les peines
pécuniaires, c’est-à-dire, sur le recouvrement des créances109. Dans le cas où l’infraction est
commise par un groupe de personnes, l’extinction de l’action publique par la transaction est
limitée à celui des accusés ayant participé à la transaction. Elle peut être mise en œuvre à
l’encontre des coauteurs ou complices qui n’y ont pas participé110. Si l’action publique est
classiquement exercée par le Ministère public, l’administration s’est vue parfois attribuer des
pouvoirs similaires. Face à une infraction, l’administration victime a le choix entre l’exercice
de l’action publique et la transaction. Ce choix, lorsqu’il existe, confère une nature bien
particulière à l’action publique alors détenue par l’administration victime. En principe, le
Ministère public ne peut exercer l’action publique que parce qu’il représente la société. Il n’en
dispose pas et ne peut pas théoriquement transiger avec le prévenu111. Pourtant, il n’en est rien
au Cameroun puisqu’il est permis au Ministère public de transiger avec le délinquant112 tout
en respectant les modalités113 de l’accord. Lorsque l’administration peut choisir entre
l’exercice de l’action publique et la transaction, elle dispose de cette action publique, ce qui
lui confère des pouvoirs aussi importants que ceux octroyés au parquet, en particulier, lorsque
l’accord préalable du Ministère public à la transaction n’est pas requis.

2-Les effets de la transaction après la conclusion du contrat


La transaction comme tout contrat, a une force obligatoire et un effet relatif à l’égard
des parties et non aux tiers. Toutefois, elle est opposable aux tiers.
A l’égard des parties contractantes, la transaction est régie par l’article 2052 du Code
civil. Elle acquiert autorité de la chose jugée en dernier ressort et lie irrévocablement les
parties. Elle ne peut être attaquée pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion. Les
seules causes de rescision sont celles prévues par des articles 2053, 2054, 2055 du Code civil.
Qu’à cela ne tienne, les deux parties doivent remplir leurs obligations. A cet effet, on
distingue d’une part, les obligations du délinquant et d’autre part, les obligations de
l’administration ou du Ministère public. La conclusion de la transaction vaut reconnaissance
de la commission de l’infraction par l’auteur. Celui-ci doit reconnaître par exemple qu’il a
effectivement détourné les biens publics dont on lui réclame114 ou encore qu’il a réalisé, sans
étude d’impact, un projet nécessitant une étude d’impact115. De même, la personne poursuivie
peut reconnaître qu’elle a pollué et altéré la qualité des eaux116. Cette reconnaissance de la
commission de l’infraction par l’auteur soulève un questionnement au regard des principes
généraux de la procédure pénale. En effet, il est fait obstacle à ce qu’une personne puisse être
considérée comme coupable d’une infraction alors qu’elle n’a pas été condamnée par un
tribunal impartial et indépendant117. En plus, les principes constitutionnels, notamment la

108
NDJERE (E.), op.cit., p.255
109
NDJERE (E.), ibid.
110
Cass. Crim., 26 nov. 1964, Bull. crim., n°314.
111
TERRE (F.), « L’action publique disponible ? La vie judiciaire », n°2532, 17/23 octobre 1994.
112
Cf. art. 18 de la loi camerounaise portant création du Tribunal Criminel Spécial
113
Ces modalités sont fixées par voie réglementaire
114
Lire le protocole d’accord transactionnel entre Yves Michel Fotso et l’Etat du Cameroun précité
115
Art. 79 de la loi-cadre sur la gestion du l’environnement de 1996.
116
Art.16. de la loi portant régime de l’eau au Cameroun.
117
Lire sur la question, NGONO (S.), « La présomption d’innocence » in RASJ, Vol.2, n°1, 2001, PP. 151-162

194
séparation des pouvoirs, le principe de la légalité des délits e des peines et le respect des droits
de la défense « ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions
répressives mais s’étendent à toutes sanctions ayant le caractère d’une punition, même si le
législateur a laissé le soin de la prononcer par une autorité de nature non judiciaire »118. Dès
lors, on pourrait par exemple contester l’autorité de la chose jugée aux transactions douanières
ou fiscales puisque leurs décisions n’émanent pas d’une juridiction indépendante et
impartiale. L’amende forfaitaire pourrait aussi être critiquée sur ce fondement. L’auteur de
l’infraction est tenu par conséquent de verser la somme prévue au contrat. C’est ainsi que
Monsieur Yves Michel FOTSO, ex-Administrateur-Directeur Général de la société Cameroon
airlines s’était engagé à régler suivant les modalités définies dans le protocole d’accord avec
l’Etat du Cameroun la somme de 14,5 millions$ Us pour solde de tous comptes vis-à-vis de
toutes les parties civiles. Ce paiement constitue une reconnaissance de responsabilité et non
de culpabilité. Cette somme devra être réglée dans un délai de quatre dix jours à compter de la
signature des présentes, et pour lui permettre de réunir les fonds et d’effectuer toutes les
démarches en ce sens119. Ladite somme sera repartie entre les parties civiles à la diligence de
l’Etat du Cameroun et dès le règlement effectué, il sera mis fin aux procédures d’instruction
engagées120. Chacune des parties se désistera immédiatement, sans autres conditions, de ses
actions pénales121. L’administration dispose à l’encontre du délinquant soit l’action en
exécution, soit l’action en résolution telle qu’elle est prévue par l’article 1184 du Code civil.
L’exécution pourra alors être poursuivie par la voie de l’avis de mise en recouvrement.
L’exécution de la transaction comporte à cet égard une double obligation, non seulement pour
l’administration mais également pour le Ministère Public :
1- La première obligation consiste à donner main levée des objets saisis sous condition
de l’acquittement des droits et taxes exigibles.
2- Dès que le montant de la transaction a été versé, l’exercice de l’action publique doit
être interrompu122.
Historiquement, la question ne s’est guère posée dans la mesure où les régimes de
transaction pénale ont d’abord été mis en place pour traiter des hypothèses dans lesquelles
l’autorité habilitée à transiger est aussi la victime de l’infraction. On peut penser à l’Etat dans
le cas des transactions fiscales et douanières. Mais il faut noter que les régimes de transaction
se sont développés dans des hypothèses où l’infraction commise est susceptible de faire des
victimes. C’est d’ailleurs le cas en matière environnementale où le tiers peut disposer de la
possibilité de la citation directe et d’engager même l’action publique. Il va de soi qu’un
régime de transaction pénale peut préjudicier aux droits d’un tiers et donner lieu à réparation
civile. Or, selon certains textes, l’extinction de l’action publique laisse la possibilité d’une
citation directe, par les victimes, devant le Tribunal Pénal statuant sur les intérêts civils123.
L’action civile jointe à l’action publique ne demeure de la compétence des juridictions

118
DC du 17 janv. 1989, déc. N°88-248.
119
Cf. art.2 du protocole d’accord Transactionnel entre Yves Michel Fotso et l’Etat du Cameroun, Yzaoundé, 05
sept. 2012.
120
Art. 3 du Protocole précité
121
Art.4 du même protocole.
122
Cass. Crim. 5 fév. 1998, Bull. crim., n°47
123
C’est par exemple le cas du dispositif HALDE en France

195
répressives après l’extinction de la première que si une décision au fond a été rendue avant
cette extinction124 ou avant la saisine de la juridiction125. Le législateur pénal camerounais
doit alors instituer cette faculté de citation directe pour les victimes tenant à une bonne
administration de la justice. L’action publique est engagée au nom de la société et non dans
l’intérêt des victimes. Selon nous, aucune exigence constitutionnelle n’impose que soit
réservée aux victimes une place particulière dans la procédure de transaction, y compris dans
l’hypothèse où elle intervient postérieurement à une saisine de la juridiction à la suite d’une
plainte avec constitution de partie civile. En tout cas, il peut s’agir d’une faculté et non d’une
obligation. Les victimes peuvent rester étrangères à la procédure de transaction. Il en va de
même des associations agrées auxquelles est pourtant reconnu l’usage du pouvoir de poursuite
indépendamment d’une demande de réparation civile, en raison d’infractions spécifiques qui
ne leur causent qu’un préjudice collectif, et indirect. Il importe néanmoins de rappeler que la
transaction pénale a pour objet d’éviter le procès pénal. Imposer alors d’y réintroduire les
tierces victimes irait à rebours de cet objectif126. En cas de pluralité d’auteurs de l’infraction
douanière ou fiscale, la transaction conclue avec un prévenu est sans effet à l’égard des autres
prévenus. Dès lors, l’existence d’une transaction accordée à un co-prévenu ne dispense pas la
juridiction de prononcer contre les autres co-prévenus, l’intégralité des sanctions légalement
encourues. En revanche, la solution est différente pour ce qui est du règlement des droits et
taxes ou lorsque la solidarité a été prononcée, de même pour les transactions conclues entre
une administration et une personne morale. L’article 1285 du Code civil prévoit que
l’exécution partielle d’un contrat libère les codébiteurs solidaires à hauteur de la part déjà
versée. Le montant des droits et taxes dus partiellement ou totalement et versé par le
bénéficiaire de la transaction, libère les autres prévenus de cette dette. A l’égard des cautions
et des personnes civilement responsables, la transaction accordée au prévenu dont elles sont
les garants, leur bénéficie et éteint à leur encontre l’action administrative notamment fiscale.
Quant aux propriétaires d’objets dont l’abandon a été suscrit par transaction, le
règlement intervenu s’impose à eux lorsque l’abandon porte sur des objets saisis et que la
transaction a été accordée au transporteur ou au déclarant127. Ceci laisse supposer l’existence
d’une responsabilité dans la commission de l’infraction par exemple douanière même si elle
n’a pas été établie, l’administration ayant fait le choix de la transaction. La jurisprudence a
déterminé que les effets de la transaction accordée à une personne morale s’étendent à son
représentant légal poursuivi en cette qualité pour le même fait128. De la même façon, la
transaction accordée à la personne morale civilement responsable de son préposé, met fin aux
poursuites judicaires contre celui-ci. Il est donc question non pas d’une dérogation au principe
de la responsabilité pénale personnelle, mais bel et bien des règles de responsabilité civile du
commettant envers son préposé129. Cependant, il est à noter que bien que la transaction soit
revêtue de l’autorité de la chose jugée et puisse comme telle être invoquée en tant que cause

124
Cass. Crim. 11 fév. 1980, Bull. crim., n°54
125
Cass.crim., 12 mai 1959.
126
GUYOMAR (M.), op.cit.
127
Art. 374, 1 du Code français des douanes : « la confiscation des marchandises saisies peut être poursuivie
contre les conducteurs ou déclarants sans que l’administration des douanes soit tenue de mettre en cause les
propriétaires quand même ils lui seraient indiqués »
128
Cass. Crim., 20 janv. 1992, Bull. crim. N°18
129
Cass. crim., 13 déc. 1993, Bull. crim. N°384.

196
d’extinction de la poursuite, la transaction demeure révisable. Le juge judiciaire pourra
prononcer la résolution pour inexécution et elle peut également être annulée par voie
judiciaire. En plus, la transaction peut aussi produire des effets après le jugement définitif.

B- Les règles applicables à la transaction après le jugement définitif

La transaction pénale qui intervient avant le jugement définitif éteint l’action


administrative et l’action publique. Cependant, il peut arriver que les parties à la procédure de
transaction ne se soient pas tombées d’accord sur un certain nombre de points, dans ce cas-là,
la juridiction de jugement peut être saisie. De même, lorsqu’une infraction est commise,
l’ordre public130 est troublé et la paix sociale est en péril. A ce moment-là, une action
publique naît dont l’exercice est dévolu au Ministère public. Celui-ci défère le délinquant
devant les tribunaux pour requérir l’application de la loi. La conduite du Ministère public se
voit alors dictée selon qu’il s’agit du principe de la légalité des poursuites ou de l’opportunité
des poursuites131. Si la juridiction compétente est saisie soit par le Ministère public, soit par
l’administration victime, elle aura à statuer sur la culpabilité ou non du mis en cause par
conséquent, une décision de justice sera prononcée. Par la suite, il est à noter que la personne
poursuivie peut reconnaître la commission de l’infraction après le jugement définitif 132 et la
transaction peut aussi être sollicitée en ce temps là. Ce qui va d’ailleurs produire des effets
relativement à l’objet et aux parties à la transaction. Toutefois, la transaction peut également
entraîner des effets à l’égard des tiers et avoir une portée générale.

1-Les effets de la transaction


Si la transaction intervient après le jugement définitif, elle ne peut porter que sur le
recouvrement de l’amende, l’emprisonnement ne pouvant être remis en cause que par voie de
grâce133. L’amende est une peine privilégiée lorsque la transaction intervient après le
jugement définitif. Elle nécessite donc que l’on intervienne ou s’attarde sur sa nature qui
réside dans le fait que son montant fixe au proportionnel, peut ne pas dépendre de l’atteinte
causée à l’ordre public mais de la valeur du corps du délit. Les règles relatives à son mode
d’exécution ainsi que son régime juridique donnent une physionomie atypique. Pour la
jurisprudence, l’amende présente le double caractère de réparation civile de sanction
pénale134. Elle a une nature mixte relevant à la fois de la peine et de la réparation civile.
Pendant longtemps, la Cour de cassation française donnait la priorité du caractère
indemnitaire de l’amende douanière, simple réparation du préjudice subi par le Trésor
Public135. Cependant, une telle conception trouvait sa limite dans le fait que subsistait à côté
du versement de l’amende, la condamnation aux paiements des droits et taxes éludés, censés

130
L’ordre public est un caractère des règles juridiques qui s’imposent pour des raisons de moralité ou de
sécurité impératives dans les rapports sociaux. Les parties ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public.
131
MOPONGO MOLIBENGA (E.), principe de l’opportunité des poursuites vecteur des abus en droit judiciaire
congolais, Mémoire de Licence de Droit, 2007, Université de Kinshasa, op.cit.
132
Ceci renvoie au repentir actif qui est un fait pour un délinquant, qui a commis une infraction, d’en réparer
dans la mesure du possible, les conséquences dommageables.
133
NDJERE (E), op.cit., P.255
134
Cass. Crim., 7 avril 1992, Bull. crim., n°145.
135
Cass. Crim., 11 juin 1949, Bull. crim., n°208 et Cass.crim., 2 oct. 1975, Bull. Crim., n°220

197
indemniser le Trésor Public de ce qui lui était normalement dû. Le décret fixant les modalités
d’application du régime des forêts prévoit à cet effet que le montant de la transaction ne peut,
en aucun cas être inférieur au minimum de l’amende prévue, augmenté éventuellement des
sommes dues au titre des dommages et intérêts136. En clair, il est bon à savoir qu’en plus des
pénalités fiscales, les tribunaux ordonnent aussi le paiement des sommes fraudées ou
indûment obtenues. Par dérogation aux règles applicables à la matière des sanctions pénales
de droit commun, il est admis par exemple en droit douanier que chaque infraction ne donne
lieu qu’au prononcé d’une amende unique, quel que soit le nombre de participants à la
commission de l’infraction137. Cela diffère néanmoins lorsque l’amende douanière perd tout à
fait son caractère réparateur. A la différence du droit commun, pour qui les sanctions
pécuniaires sont fixées, l’amende douanière par exemple est calculée selon le montant de la
fraude. Elle est proportionnelle à l’importance de la fraude. L’assiette de l’amende est
calculée non pas en fonction de la gravité de l’infraction avec une échelle des peines
d’amende comme en matière pénale, mais en considération de la marchandise de fraude,
c’est-à-dire, soit du montant des droits et taxes éludés, soit de la valeur de la marchandise,
objet de fraude.
Toutefois, les contraventions douanières des première, troisième et cinquième classes,
sont notamment sanctionnées par des amendes dont le montant est fixé. Les autres infractions
douanières sont sanctionnées par des amendes proportionnelles au montant de la fraude138. En
revanche, le Code Général des Impôts prévoit que le montant de l’amende peut être soit
fixe139 soit prononcé par le tribunal140 selon les cas. La loi-cadre relative à la gestion de
l’environnement prévoit aussi des montants d’amende fixes141. Le critère prépondérant de la
fixation légale des amendes dépend donc en général de la valeur du corps du délit, ou
exceptionnellement du montant des droits éludés. Une fois le jugement définitif
intervenu, le délinquant doit purger sa peine d’emprisonnement. Toutefois, celle-ci peut être
remise en cause par la voie de grâce lorsque l’auteur a sollicité la transaction. La grâce est
donc une cause d’extinction de la sanction sans disparition de la condamnation. Au cas où elle
est décidée, elle laisse intacte la condamnation. Elle est une mesure de clémence décidée par
le Chef de l’Etat en vertu de laquelle un condamné est dispensé de subir sa peine en totalité ou
en partie ou par l’effet duquel une peine plus douce est substituée à la peine normalement
exécutoire. La grâce encourage donc l’amendement des délinquants frappés de peines
privatives de liberté142.
Cependant, ce moyen d’indulgence doit être employé à bon escient si l’on ne veut pas
ruiner l’effet intimidant de la loi criminelle. Sinon, elle constitue un indispensable moyen
d’individualisation et d’humanisation de la répression. Pour s’exécuter aux fins de produire

136
Cf. art. 136 alinéa 3 du Décret N°95/531/PM du 23 Août 1995 fixant les modalités d’application du régime
des forêts au Cameroun.
137
Cass. Crim., 6 mai 1971, Bull. crim., n°139
138
CREN (R.), Thèse op.cit, P.282.
139
Voir art. 84 du Code Général des Impôts de la République du Cameroun N°2002/003 du 19 avril 2002, J.O de
la République du Cameroun
140
L’amende est prononcée par le Tribunal chargé de l’apurement des comptes, Cf. art. 534 du Code Général des
Impôts.
141
Voir les articles 79 et 80 de la loi-cadre N°96/12 du 05 août 1996 portant sur la gestion de l’environnement.
142
MERLE (R.) et VITU (A.), op.cit., p.1012

198
des effets, la grâce doit remplir les conditions de fond et de forme et ne peut intervenir qu’à
propos des condamnations exécutoires donc prononcées et devenues définitives. La grâce
accordée laisse intacte la condamnation. Cela veut dire en d’autres termes qu’elle ne porte pas
atteinte à l’autorité de la chose jugée, ni à la séparation des pouvoirs puisque l’irrévocabilité
de la condamnation demeure inscrite au casier judiciaire. Les condamnations civiles de
l’auteur de l’infraction restent valables143. Toutefois, s’il s’agit de la grâce amnistiante, celle-
ci efface la condamnation car, elle fait disparaître la peine du casier judicaire. En clair, il
importe de noter que la transaction qui intervient après un jugement définitif laisse subsister
les amendes pénales ainsi que les dépens. De même, la condamnation est maintenue en ce
sens qu’elle est inscrite au casier judicaire même si le condamné pourra bénéficier de la grâce.
Le jugement est alors dit définitif lorsque la juridiction qui l’a rendue est définitivement
dessaisie. Le terme définitif ne signifie pas attaquable ou irrévocable144 et c’est effectivement
dans ce sens qu’une transaction demeure révisable par les parties. Le juge judiciaire pourra
même prononcer la résolution pour exécution et enfin la transaction peut se voir annulée. Une
transaction demeure révisable par les parties lorsqu’elle n’est pas revêtue de l’autorité de la
chose jugée. La révision de ses clauses ne peut faire l’objet que d’un recours gracieux porté
par une partie donc l’intéressé devant l’autorité administrative. Ainsi par exemple, l’auteur
d’une infraction douanière peut demander la révision d’une transaction relativement à son
montant. L’autorité qui a pris la décision ou une autorité supérieure peut réviser les clauses de
cette transaction145 et ceci dépendra de son appréciation. En revanche, l’action en résolution
pour inexécution de la transaction n’est recevable que si elle est intentée par le souscripteur de
la transaction dans le délai requis à compter de la conclusion et si la demande est fondée sur
l’une des causes de rescision prévues par la loi146. La résolution judiciaire de la transaction
peut à cet effet être obtenue en cas d’inexécution des engagements prévus, que l’inexécution
soit totale ou partielle. L’administration victime peut alors soit poursuivre l’exécution forcée,
soit demander la résolution devant le juge judiciaire147. De même, elle peut solliciter la
condamnation du prévenu aux pénalités fiscales sanctionnant l’infraction. Elle peut être
obtenue dans trois cas : en cas d’erreur sur la personne ou sur l’objet de la contestation et en
cas de dol ou de violence148. Il y a dol en cas de manœuvre du prévenu tendant à tromper
l’administration sur sa solvabilité149. L’annulation judicaire de la transaction peut aussi être
obtenue lorsque la transaction a été souscrite à partir des pièces reconnues fausses 150.
Cependant, l’annulation semble ne pas pouvoir être prononcée pour cause d’erreur de droit ou
de lésion, lorsque le demandeur allègue que la contravention n’existait pas, ou qu’il invoque
que la pénalité exigée est supérieure à celle légalement encourue151. Au regard de ce qui
précède, on peut dire qu’en restituant à l’autorité judiciaire un certain pouvoir de contrôle, le
législateur a voulu réduire l’arbitraire de l’administration. Toutefois, si les actes

143
Ibid.
144
LARGUIER (J.), CONTE (P.), Procédure civile Droit Judiciaire privé, Dalloz, 19 éd. P.100
145
CREN (R.), op.cit., p.274
146
Cf. les articles 1165 et 1304 du Code civil.
147
Cf. art. 1184 du Code Civil.
148
Cf. L’article 2053 alinéas 1 et 2 du Code civil.
149
Cass. Crim., 19 janv. 1959, doc. Cont. n°1294.
150
Cf. art. 2052, alinéa 2 du Code civil camerounais
151
Cass.req. 20 décembre 1881, Bull. crim., n°228.

199
transactionnels peuvent être remis en cause par les parties lorsque le jugement n’a pas encore
acquis autorité de la chose jugée, tel n’est pas le cas lorsqu’il devient insusceptible d’aucune
voie de recours. L’autorité de la chose jugée se définit comme l’ensemble des effets attachés à
la décision juridictionnelle. En application du principe" non bis in idem", les faits déjà jugés
ne peuvent plus faire l’objet d’une nouvelle poursuite. Cependant, il convient de se pencher
sur la question du même fait poursuivi sous des qualifications différentes. Une décision
devenue définitive rendue par une juridiction répressive, quel qu’en soit le contenu, interdit à
l’encontre de la personne déjà jugée toute nouvelle poursuite pour les mêmes faits à condition
qu’il y ait, comme en droit civil, identité d’objet, de cause et de parties. Ainsi, des faits
distincts même connexes, peuvent faire l’objet de poursuites successives. De même, la relaxe
ou la condamnation de l’auteur principal n’interdit pas la poursuite du complice ou du
coauteur152. En revanche, rien n’interdit de nouvelles poursuites si des faits nouveaux
aggravant venaient à être découverts153. Cette question des faits révélés postérieurement à la
décision de jugement définitive rendant possibles de nouvelles poursuites trouve à s’illustrer
par exemple en matière douanière, dans le cas où, la douane aurait transigé avec un individu
pour un volume déterminé de marchandises ou d’infractions identiques successives et
qu’ultérieurement soient découvertes de nombreuses infractions identiques commises
simultanément, et devant permettre l’engagement de nouvelles poursuites. Le même fait par
contre, s’entend comme un acte matériel unique. La Cour de cassation a rappelé à propos qu’il
« est de principe qu’un même fait ne peut donner lieu contre le prévenu à deux actions pénales
distinctes, même sous une qualification différente »154. Néanmoins, une question demeure
celle de savoir qu’en est-il lorsque les faits sont susceptibles à la fois d’une qualification
fiscale ou douanière et d’une qualification pénale, comme c’est le cas par exemple des
stupéfiants. La solution semble être transposée dans la transaction155. En effet, la Cour de
cassation semble avoir précisé la portée du principe "non bis in idem" concernant la poursuite
douanière par un arrêt du 11 mars 2009156. Cette décision autorise l’administration des
douanes à exercer l’action fiscale du chef d’importation illégale de produits stupéfiants alors
même que le prévenu avait déjà fait l’objet d’une condamnation définitive sur le fondement
de la violation des dispositions du Code de santé publique. L’action fiscale serait alors
irrecevable si un premier jugement définitif était rendu sur saisine du parquet exerçant
conjointement les actions fiscale et pénale. En revanche, l’action fiscale échappe à la règle
"non bis in idem" parce que le demandeur n’est pas le Ministère public, qui a exercé la
première poursuite devant un autre tribunal et que l’objet de son action n’est pas l’application
des peines, mais plutôt celui des amendes fiscales qui ont une nature mixte, répressive et
réparatrice. Ceci étant, les décisions de justice une fois rendues et revêtues d’une autorité de
chose jugée, ont une force obligatoire et s’imposent aux parties d’où le caractère extinctif de
la transaction. Toutefois, elles sont opposables aux tiers.

152
Cass. Crim., 19 nov. 1958, D. 1959, somm. P.67 ; Cass.crim., 6 juin 1978, Bull. Crim., n°181
153
Cass. Crim., 19 mai 1983, Bull.crim., n°121
154
Cass. Crim., 13 déc. 1990, Bull. crim. N°433
155
Cass.crim., 12 fév. 1990, Bull. crim., n°72
156
Cass. Crim., 11 mars 2009, Dr. Pén. 2009, comm.79.

200
2- La transaction pénale après le jugement définitif.
La transaction n’a, en principe, d’effet qu’entre les parties contractantes. La transaction
faite par l’un des intéressés ne lie donc point les autres et ne peut être opposée par eux.
Toutefois, la transaction conclue par l’un des codébiteurs solidaires produit les effets
similaires autres. Or, la circonstance paraît différente lorsqu’une transaction est conclue avant
jugement avec l’un des auteurs de l’infraction. La transaction conclue avec l’un des
codébiteurs solidaires profite aux autres. Il n’en est autrement que si le créancier a
expressément réservé ses droits contre ces derniers. Lorsqu’elle entend ne transiger qu’avec
l’un des codébiteurs solidaires, l’administration doit donc réserver expressément ses droits
contre les autres codébiteurs. Cette solution s’explique par l’idée d’unicité de la dette157.
Considérant que « la chose jugée avec l’un des codébiteurs solidaires est opposable à tous les
autres »158. Cependant, en raison des risques que fait courir cette solution aux codébiteurs, la
jurisprudence l’écarte s’il en résulte une aggravation de leur situation, spécialement en cas de
collusion frauduleuse159 ou dans l’hypothèse où un codébiteur peut faire valoir une exception
qui lui est personnelle160. Celle-ci ne met pas obstacle à l’exercice de l’action fiscale contre
les autres en ce sens que l’administration a expressément réservé ses droits contre ces
derniers. L’administration est donc un droit de faire prononcer contre un coauteur laissé hors
de la transaction, la totalité des peines prévues par la loi.
Dans l’exécution de la condamnation, il appartient toutefois à l’administration de tenir
compte au condamné des sommes déjà reçues au titre de la transaction. La clause de
transaction devrait à cet effet être notifiée au comptable chargé du recouvrement et aux agents
ayant participé à l’instruction ceci après la signature de la transaction par les parties. La
transaction comme tout contrat a une force obligatoire mais, en matière pénale, toutes les
transactions ne sont pas autorisées. Les parties qui ont chacune renoncé à une partie de la
transaction s’engageant à des obligations, en matière transactionnelle, l’on distingue deux
obligations à savoir : l’obligation de faire et de ne pas faire ainsi que l’obligation de donner.
Pour ce qui est de l’obligation de faire et de ne pas faire, elle consiste pour les parties qui ont
conclu une transaction à se désister ou à renoncer à toute action en justice dès lors que cette
transaction a été conclue. Quant à l’obligation de donner, elle consiste pour la personne
poursuivie à payer à l’autre partie notamment l’administration victime ou le Trésor public,
une certaine somme d’argent. Si une partie ne respecte pas ses engagements découlant de la
transaction, sa responsabilité pourrait se mettre en jeu161. La résolution du contrat peut même
être demandée mais il est à préciser qu’elle est toujours judicaire162. La transaction est par
conséquent opposable aux tiers, surtout dans le cas de la solidarité des codébiteurs à la
transaction. Au cas où les termes du contrat sont alors respectés, la transaction éteint le droit
d’agir et a pour effet de dessaisir le juge. Concernant l’effet déclaratif, la transaction ne
modifie pas l’état de droit antérieur à la transaction. Grosso modo en matière pénale, il existe
deux types de transaction, celle intervenant entre la victime et le prévenu, et l’autre

157
TERRE (F.), SIMLER (P.), LEQUETTTE (Y), Droit Civil Les obligations, Dalloz, 9e éd. 2005, P.1194
158
Civ., 1er déc. 1885 et soc., 13 déc.1951
159
Civ., 1er déc. 1885 et com., 6 juin 1961.
160
Civ., 28 déc. 1881 ; civ., 11 fév. 1947, JCP 1948, II, 4127
161
Cf. art. 1147 du Code Civil.
162
Cf. art. 1184 du Code Civil.

201
s’interposant entre le prévenu et le Ministère public. En ce qui concerne la première
transaction en l’occurrence celle qui existe entre la victime et le prévenu, il est à relever dans
ce cas qu’elle n’empêche nullement la poursuite du prévenu par le Ministère public163. Elle
n’a d’effet sur la poursuite de l’action publique sauf dans la situation où l’action publique
serait subordonnée à une plainte de la victime.
Pour ce qui est de la deuxième transaction c’est-à-dire celle qui lie le prévenu au
Ministère public, l’on ne peut transiger dans une telle situation, sauf disposition contraire de
la loi.
Au terme de cette étude portant sur l’extinction négociée de l’action de l’action
publique qu’est la transaction pénale, l’analyse objective de cette procédure nous a permis de
constater que celle-ci peut être apparentée soit à un contrat de droit commun, soit à un contrat
administratif et les règles qui lui sont applicables diffèrent selon que l’on se trouve avant ou
après le jugement définitif. La procédure de transaction pénale a donc pour objet de soustraire
l’auteur des faits répréhensibles à la main de la justice. Elle ne saurait avoir pour effet de le
placer dans celle de l’administration. L’essence même de cette procédure repose sur le
caractère consenti de son dispositif. Mais ces garanties inhérentes à la logique du régime, ne
suffisent pas à assurer le respect de l’ensemble des exigences qui découlent de la déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen164. La transaction pénale entre une autorité
administrative habilitée à la conclure et une personne susceptible d’être poursuivie pour la
commission d’une infraction pénale résulte bel et bien d’un accord qui détermine les suites à
donner à la commission de cette infraction et, en particulier les réparations en nature ou en
espèces que devra assurer l’intéressé. A notre sens, cet accord devrait être donné librement et
de manière non équivoque par l’auteur des faits litigieux, éventuellement assisté de son
avocat. L’homologation de cet accord par l’autorité judiciaire compétente éteint l’action
publique dès lors que les engagements pris ont été tenus. La transaction pénale assimilée à un
contrat administratif touche aussi aux modes d’exercice de l’action publique et affecte la
séparation des pouvoirs et la garantie des droits consacrés par les textes internationaux ratifiés
par le Cameroun. Il appartient alors au législateur camerounais lorsqu’il crée un régime de
transaction pénale, de déterminer les règles qui permettent d’en assurer le respect. Qu’au
nombre de ces règles, devraient figurer le champ d’application de la transaction pénale, la
désignation de l’autorité habilitée à transiger. Lorsque ce n’est pas une autorité étatique, la
nature des mesures doit être prévue et ne saurait en tout état de cause, toucher à la liberté
individuelle, de même les conditions de l’homologation de la transaction pénale doivent être
envisagées, une fois conclue. Ce repentir semble tardif et mérite selon le droit pénal classique,
des poursuites. Tout compte fait, le législateur camerounais gagnerait à prévoir des
dispositions équitables, notamment en reconnaissant le droit de chaque citoyen et à faire parts
égales165.

163
Cf. Art. 2046 du Code civil.
164
Lire l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
165
Lire dans ce sens, LALANDE (A.), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 3e éd., Vol., PUF,
1993 ; aussi THIEBERGE GUELFUCC (C.), « Libres propos sur la transformation du droit des contrats » in
Rev. Trim. Droit civil, 1997, PP. 357-385.

202
L’INDEPENDANCE SOCIALE ET ECONOMIQUE DES ETATS PAUVRES : ETUDE
CRITIQUE D’UNE SOCIETE AFRICAINE EN PROIE A DE NOMBREUSES
DIFFICULTES INTERNES

Par

Christelle Michelle NWOUOTSO


Docteur en Science politique et enseignante d’Histoire.
Cameroun

Résumé
Prenant une posture d’analyse historique de la trajectoire des Etats africains au lendemain de leurs
indépendances, cette étude analyse les différentes options et stratégies envisagées par ces Etats pour
garantir leur progrès et leur développement. Le postulat de départ qu’elle établit est que la fin de la
colonisation en Afrique amorcée dans les années 1960 avec les indépendances en cascade n’a pas
garantie un développement politique, économique et social des jeunes Etats africains. C’est ainsi qu’on
a pu observer des Etats fébriles ou sévissent exclusion et pauvreté, des Etats en crise à cause d’une part,
de la remise en cause de leur « monopole de la violence légitime » tel que théorisé par Weber, et d’autre
part, de leur incapacité à satisfaire les besoins sociaux de tous ordres de leurs populations. C’est
pourquoi, ces Etats se sont trouvés dans l’obligation de trouver des solutions à ces différents problèmes ;
solutions à la fois étatiques, régionales et internationales. Au niveau étatique, ces solutions se sont
avérées quasiment inefficaces, obligeant ceux-ci à trouver des solutions hors de leurs frontières. Les
solutions apportées par l’UA à travers le NEPAD en sont une illustration, au même titre que celles de
l’ONU à travers les OMD et par la suite les ODD. Cette option de sortir de ses frontières pour trouver
des solutions aux problèmes qui persistent à l’interne, a pu être interprétée comme l’expression d’une
crise de la souveraineté, la souveraineté ne renvoyant pas seulement à une proclamation d’indépendance,
mais bien plus, à une capacité à assumer cette indépendance. Le fait est que la souveraineté dans le
champ des relations internationales renvoie davantage à est prérogative inscrite dans le sillage de
l’interdépendance constante entre les Etats.

INTRODUCTION

L’entrée au troisième millénaire est marquée par la généralisation du sous-développement


tant au Nord qu’au Sud. La faim, le chômage, la violence, l’exploitation, le gaspillage, les
conflits armés …ne sont que l’expression multiforme de ce déséquilibre mondial. La
mondialisation qui s’impose à tous pèse sur l’élaboration des politiques publiques, mais surtout
accroit les interdépendances entre Etats, et suscite alors de leur part des réponses collectives et
coopératives à des problèmes données.
L’Afrique dans cette sorte de turbulence, apparait comme le continent le plus pauvre du
monde, la vie quotidienne de plusieurs africains étant jalonnée d’innombrables difficultés
(insuffisance de nourriture, chômage croissant, précarité de la condition salariale, manque de
soins médicaux de base …). Cette pauvreté peut tirer ses origines en partie des difficultés


Mode de citation : Christelle Michelle NWOUOTSO, « L’indépendance sociale et économique des états
pauvres : étude critique d’une société africaine en proie à de nombreuses difficultés internes », Revue RRC, n° 042
/ Février 2024, p. 203-217.

203
rencontrées par les agriculteurs (qui constituent la majorité de la population) et ce du fait des
contraintes bioclimatiques défavorables dans de nombreuses régions. S’y ajoute une
exploitation des richesses qui ne profite pas à la majorité des africains. Les guerres civiles qui
sont fréquentes provoquent une instabilité permanente dans de nombreux pays. De même, la
représentativité de l’Afrique dans l’économie mondiale est insignifiante, car avec ses 832
millions d’habitants soit 13% de la population mondiale, l’Afrique n’accueille que 1% des
investissements directs étrangers dans le monde, assure 1% du PIB mondial et environ 2% du
commerce mondial (soit 1% pour l’Afrique du Sud seule). La conséquence de tous ces écarts
est que le continent Africain est celui où l’on retrouve le plus grand nombre de pays les moins
avancés (PMA) soit 33 des 48 dans le monde (Nwouotso 2013 : 21). Et selon le rapport de la
Banque Mondiale de 2000, 28 des 34 pays classés comme très endettés se trouvaient en Afrique.
Ainsi, en quoi est ce que les difficultés auxquelles font face les pays africains sont à l’origine
de la remise en cause de leur indépendance sociale et économique ? en encore par quels
mécanismes les nombreux problèmes rencontrés par les pays africains sont à l’origine de la
nécessité qu’ils ont de bénéficier d’une aide extérieure pour sortir du marasme social et
économique aux quels ces pays font face ? pour répondre à ces interrogations, il conviendrait
de présenter d’une part le contexte social et économique de l’Afrique en question (1ère partie),
et d’autres parts les solutions africaines et mondiales aux problèmes des africains (2ème partie).

I- LA FEBRILITE DES ETATS AFRICAINS

Les Etats africains depuis les indépendances font face à des situations d’exclusion et de
pauvreté (I), et sont également en crise ce qui accentue les problèmes sociaux (II).

A- Un contexte social africain marqué par l’exclusion et la pauvreté

Les populations africaines sont, au quotidien, confrontées à des situations d’exclusion (A)
de même qu’à une pauvreté criarde (B)

1- Un contexte d’exclusion
D’un point de vue sociologique, l’exclusion est « un processus par lequel un individu
occupe progressivement une position socialement reconnue comme extérieure par rapport à
celle des autres membres de la collectivité » (Beitone 2004 ; 409). Depuis l’ouvrage fondateur
d’Emile Durkheim De la division du travail social (1983), plusieurs travaux montrent comment
les sociétés occidentales passent à partir du 19eme siècle d’une intégration principalement
communautaire fondée sur la proximité familiale et géographique à une intégration par le
travail. En fait, ici une personne est dans un état d’exclusion si elle est au chômage ou si elle
est pauvre. Les Etats africains constituent en majorité les plus pauvres du monde, le chômage
y avance de manière galopante. A cet effet, les pays occidentaux qui sont les plus riches ont
créé une division dans le monde laissant apparaitre les pays dits du Nord qui sont les plus riches
et ceux dits du Sud qui sont les plus pauvres. Des expressions telles que « tiers monde » ou
encore « quart monde » ont fait leur apparition pour désigner les pays dits pauvres. De plus, les
politiques de développement mises sur pied rendent les pays riches encore plus riches et les

204
pays pauvres plus pauvres. De même, ce sont les pays riches qui prennent les décisions les plus
importantes du monde et les autres pays ne peuvent que subir ces décisions.
Aussi, après les indépendances, les jeunes Etats africains allaient concéder une part
important de leurs ressources dans le cadre des partenariats avec les puissances étrangères dans
le cadre des accords signés avec les anciens colons à qui ils abandonnaient des dimensions
importante de leur souveraineté à savoir la sécurité, les politiques économiques ou la politique
étrangère, lesquels en ont usé à des fins de réalisation de leurs objectifs géostratégiques. Cette
situation a entrainé le pillage des richesses africaines par les occidentaux, au détriment des
populations locales, laissant dire à Alice Sindzingre dans le cadre du public choice que « l’Etat
(ici, les puissances métropolitaines) est une bureaucratie qui cherche toujours à préserver ses
intérêts propres avant et contre ceux de ses administrés ». (Sindzingre 2001 :2003).

2- Un contexte de pauvreté
Selon la commission de l’UE, « peuvent être considérés comme pauvres les individus ou
les familles dont les revenus (matériels, culturels, et sociaux) sont si faibles qu’ils sont exclus
des modes de vie minimaux acceptables dans l'Etat membre dans lequel ils vivent ». Ainsi, la
pauvreté peut être présentée sous plusieurs facettes : on a par exemple la pauvreté absolue qui
est la situation d’un individu qui dispose d’un revenu inférieur à un minimum conventionnel
exprimé en termes réels, dans la plus part des cas ce minimum correspond à un seuil en deçà
duquel l’existence biologique serait menacée ; on a aussi la pauvreté relative qui est la situation
des individus ou des ménages qui se trouvent en deçà d’un seuil fixé en fonction du revenu
moyen de la population à laquelle ils appartiennent. De plus, la pauvreté est une construction
sociale dans la mesure où celle-ci ne se définit pas seulement en termes de revenu, mais aussi
en termes de perception d’un rapport aux autres par rapport à une situation spécifique. La
variable de pauvreté qui sied mieux à l’Afrique est celle absolue car la famine et les disettes
font des centaines de milliers de victimes chaque année.
Selon un rapport de la Banque Mondiale effectué en 2000, de nombreux Etats africains
ont des insuffisances de la gestion gouvernementale causées par les politiques de la Guerre
Froide. Ces insuffisances sont caractérisées par le découragement de l’investissement privé et
de la croissance. Ces Etats ont mis en œuvre des politiques qui ont découragé les exportations
et l’investissement étranger direct, et ils n’ont pas réussi à faire respecter les contrats, la
conséquence directe de cette situation étant la fuite des capitaux financiers (fuite plus intense
en Afrique que dans toutes les autres régions du monde. Exemple : en 1990, près de 40% des
avoirs privés ont quitté l’Afrique par rapport à 10% en Amérique Latine et 6% en Asie de l’Est),
et la perte du capital humain (quelque 23000 cadres hautement qualifiés émigrent chaque année
et sont remplacés par des conseillers expatriés financés par l’assistance technique étrangère)
(Banque Mondiale 2000). En plus de l’exclusion et de la pauvreté que subissent les africains,
l’Etat en Afrique est également en crise.

205
B- La crise de l’Etat en Afrique et l’accentuation des problèmes sociaux

La crise de l’Etat en Afrique est marquée par la crise de l’autoritarisme (A) et la crise de
l’Etat providence (B).

1- La crise de l’autoritarisme en Afrique


La crise de l’Etat en Afrique est concomitante aux défaillances que rencontrent les Etats
les plus développés du monde. Il serait judicieux pour nous ici d’identifier le rôle de l’Etat selon
quelques écoles de pensée, avant d’en identifier les conditions de crise.
Ainsi, pour les réalistes comme Hans Morgenthau, l’Etat est le principal et même l’unique
acteur des relations internationales. Si l’on applique cette approche au contexte africain, on peut
dire que l’Etat est de plus en plus dépassé par des groupes bien organisés comme les
Organisations Non Gouvernementales (ONG) et des organisations Inter Gouvernementales
(OIG), et au niveau interne par de mouvements armées rebelles, qui remettent en cause le
« monopole de la violence légitime » que Weber accorde exclusivement à l’Etat. Pour la pensée
libérale en générale, la société internationale est constituée d’Etats indépendants qui rivalisent
pour la défense de leurs intérêts propres. Transposé au contexte africain, il faut dire que les
Etats africains sur la scène internationale défendent leurs intérêts de plus en plus au travers des
regroupements régionaux qu’ils ont constitués. Enfin, pour les marxistes, le système
international est un produit du capitalisme où les Etats capitalistes sont dominateurs et agressifs.
Dans le contexte africain, il est vrai que les Etats comme la Lybie ont eu des visées
hégémoniques sur certains de leurs voisins, mais il n’en demeure pas moins que la crise de
l’autoritarisme en Afrique est d’abord le fruit des antagonismes à l’intérieur des Etats. Ainsi, la
crise de l’autoritarisme en Afrique se manifeste sous plusieurs formes : génocides, guerres
civiles, violences internes, coup d’Etats militaire ou civil etc.
La fin de la Guerre Froide et la dislocation du bloc communiste au début des années
1990 marquent un tournant décisif dans les politiques des gouvernements africains. La fin de la
Guerre Froide marque aussi la fin du mouvement des non-alignés qui regroupait la majorité des
Etats africains et constituait une ressource tant économique que diplomatique pour ceux-ci.
Cette Guerre Froide a consacré en Afrique les régimes autoritaires, car les dirigeants autoritaires
bénéficiaient du soutien de l’un ou de l’autre camp qui se « gardaient d’exercer des sanctions,
mais à l’occasion, apportaient un soutien décisif, en matière financière, militaire ou policière
à ces régimes » (Quantin 1997 : 11). Ainsi donc, au début des années 1990 avec la victoire du
bloc capitaliste, un vent de démocratie souffle sur l’Afrique, des idées libérales se propagent un
peu partout, et on assiste progressivement à une remise en cause des régimes autoritaires en
présence. Des mouvements rebelles qui jadis opéraient dans la clandestinité, se révèlent au
grand jour et vont à la conquête du pouvoir par les armes ; l’illustrent fort bien le coup de force
de Laurent Désiré Kabila à l’ex Zaïre en 1996 et l’exil forcé du Maréchal Mobutu au Maroc ;
la crise politique au Cameroun caractérisée par des soulèvements populaires appelés « villes
mortes », qui aurait paralysé le pays durant des semaines en 1992 ; cette crise est amortie par la
tripartite de 1993 (réunion à laquelle assistaient des membres du gouvernement, des
représentants de l’opposition et de la société civile), et la révision constitutionnelle du 18 janvier
1996. En plus, les coups d’Etats militaires ou « constitutionnels » sont devenus des opérations

206
« normales » au sens de Durkheim en Afrique et ce, du fait de leur régularité. Ceci est dû dans
la plupart des cas à la « confiscation/sacralisation du pouvoir » par certains groupes ou
individus.
Cette situation qui sévit en Afrique, consécutive à la mondialisation, fera apparaitre une
pluralité de concepts (déterritorialisation, monde sans souveraineté) pour désigner ce
dépérissement de l’Etat (Sindjoun 2002 B : 2). Onze des vingt Etats effondrés dans le monde
identifiés en 2006 par The fund for peace sont africains, ce qui révèle l’Afrique privilégié
d’expression de la crise de l’Etat (Sindjoun 2007 : 12). Cette faillite de l’Etat selon Luc
Sindjoun va alors « constituer dans une certaine mesure une circonstance favorable à
l’institution des gouvernements de transition notamment lorsque les mouvements armés
contestent avec succès l’autorité du pouvoir et l’universalité du territoire » (Sindjoun 2007 :
12). De façon plus globale, Bertrand Badie part du postulat selon lequel le phénomène de
mondialisation entraine dans le monde la « fin des territoires » étatiques, construisant ainsi un
« monde sans souveraineté », et conclut que les faiblesses de l’Etat ne s’observent pas
seulement en Afrique, mais dans le monde entier.
Les situations de crise en Afrique sont différentes selon les pays, et ce, du fait de la
particularité et de l’histoire propre à chaque pays, il est aussi vrai que la faillite de l’Etat est
observable dans bon nombre d’Etats africains au début des années 1990, faillite caractérisée par
des crises économiques, sociales et politiques. En plus de la remise en cause de l’Etat en
Afrique, la crise de l’Etat providence est aussi caractéristique de la crise de l’Etat en Afrique.

2- La crise de l’Etat providence en Afrique


Les crises des années 1980 et 1990 ont été selon certains analystes comme Gilles
Massardier, celle d’un constat désenchanté sur l’Etat et ses « défaillances », défaillances dues
à l’incapacité de l’Etat de faire face à ses compétences. Cette incapacité peut être observée soit
lorsqu’un Etat ne parvient pas à faire respecter les règlementations qu’il prescrit lui-même, ou
lorsqu’un Etat ne peut pas faire face aux compétences grandissantes qu’il s’assigne parce que
ses ressources sont limitées, ou encore lorsque les relations deviennent de plus en plus
complexes entre les groupes mobilisés dans les politiques, ces groupes ayant des intérêts
divergents (Massardier 2003 : pp 166-167). De même, la globalisation et ses implications
entrainent un décalage entre d’un côté les ressources traditionnelles de l’Etat (les rationalités
légales rationnelles, les objectifs souverains et les territoires d’action des Etats) et de l’autre
côté les ressources ; les rationalités, les objectifs et les territoires globaux et macro-régionaux
des acteurs économiques. Ce décalage tend à se combler au détriment des Etats qui se replient
progressivement vers des politiques de compétitivité y compris dans les services publics
(Nwouotso 2009 : 22). C’est bien la fin du « nationalisme économique » et le début des « Etats
sans souveraineté » qui font leur logique de marché (Massardier 2003 : 68). De plus, on observe
« l’érosion des frontières entre public/ privé » lié au « rôle croissant d’acteurs privés dans
l’action publique » qui perturbe le jeu classique de l’intervention des autorités publiques dans
la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.
L’Etat providence est chargé de réaliser l’égalité réelle et non plus seulement formelle
des individus, il est censé être investi de la capacité de satisfaire les besoins sociaux de tous

207
ordres. Cet Etat providence va entrer en crise dans le dernier quart du 20ème siècle par le jeu de
deux dynamiques, l’une interne et l’autre externe. D’une part, des contraintes diverses vont
peser dans le sens d’une réévaluation du rapport Etat/ société, d’autres parts,
l’internationalisation va prendre au cours de la décennie 1990 des formes nouvelles, contribuant
à saper certaines dispositions conquises par l’Etat.
Cette crise a touché à la fois les pays occidentaux et ceux en développement. Dans les
seconds notamment en Afrique, on a assisté au cours des années 1980 à la remise en cause de
l’hégémonie exercée par l’Etat sur l’économie et la société, les difficultés économiques nées de
l’effondrement des cours des matières premières et du poids de la dette vont conduire ces pays
dans le cadre des Programme d’Ajustement Structurel (PAS) imposés par les institutions
financières internationales, à adopter des mesures drastiques de rigueur passant par l’allègement
des dépenses publiques, la réduction du nombre de fonctionnaires, la privatisation d’entreprises
publiques etc.
En somme, comme Gilles Massardier, parler du « dépérissement de l’Etat » ou d’ « Etat
défaillant ou décalé » ne signifie en rien la disparition de celui-ci, il ne faudrait donc pas
conclure pour autant à son effacement. En effet, malgré ces « défaillances » rencontrées par
l’Etat contemporain, celui-ci prend des dispositions pour y faire face et rester présent dans les
relations internationales. C’est ainsi que les dirigeants africains ont « pensé » des institutions et
programmes qui les aideront tant individuellement que collectivement à faire face à leurs
problèmes.

II- LES REPONSES AFRICAINES ET INTERNATIONALES


POUR « SOLIDIFIER » LES ETATS AFRICAINS

En Afrique, les mesures sont prises par les Etats eux-mêmes mais aussi par l’UA (I), et
au niveau international on note l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD) et plus tard des Objectifs de Développement Durable (ODD) (II).

A- Des mesures étatiques et continentales inadaptées et inefficaces

Au niveau africain, les Etats entreprennent des réformes pour résoudre leurs problèmes
(A), lesdites réformes sont complétées par les réponses de l’UA et du NEPAD (B)

1-Les réformes étatiques


La fin du 20ème siècle est marquée par une accentuation de la fracture économique et la
montée des conflits internationaux, nationaux et inter ethniques à caractère génocidaires. Après
les indépendances, les économies africaines sont relativement stables. L’installation des
régimes autoritaires dans plusieurs pays a constitué une entorse à ce développement et ceci dans
la mesure où progressivement le phénomène de la corruption s’est installé dans les
administrations publiques africaines, amoindrissant la crédibilité du gouvernement et des
institutions publiques, ce qui va entamer la confiance des investisseurs étrangers et accentuer
les inégalités économiques et sociales dans la population (Fouda 2002 : 162). En plus, les
différents chocs pétroliers qui ont secoué le monde n’ont pas épargné l’Afrique, contribuant de

208
ce fait à son appauvrissement progressif. La crise économique des années 1980 n’est pas en
reste à ce sujet. Ainsi, au courant de ces années, « la plupart des Etats d’Afrique subsaharienne
sont contraints de mettre en œuvre des programmes de stabilisation et d’ajustement, dont les
réformes de la fonction publique ont souvent été une composante importante. Répondant à des
déséquilibres budgétaires excessifs, et à des bailleurs de fonds, ces réformes ont consisté en
une réduction des masses salariales et des effectifs des administrations, et ont consisté en une
réduction des masses salariales et des effectifs des administrations, en cherchant à en améliorer
l’efficacité » (Sindzingre 2001 :201). Les programmes d’Ajustement Structurels (PAS) avaient
pour but de rendre les Etats africains attrayants aux investissements étrangers, en vue de pallier
à la pauvreté. Ces réformes s’étendent sur plusieurs dimensions : le secteur public, la gestion
des dépenses publiques, les privatisations et les réformes des services publics marchands et des
entités publiques telles que les Caisses de Stabilisation et ou les Offices de Commercialisation.
Ces réformes n’ont malheureusement pas eu le résultat escompté. En effet, selon le
rapport de l’audit de l’UA réalisé en 2007, les Programmes d’Ajustement Structurel ont
accentué plutôt qu’améliorer les conditions de vie économiques et sociales auxquelles la
majorité des pays africains faisaient face, ouvrant sur l’effondrement du système de production
intérieure, du tissu social, de la balance des paiements, et les problèmes relatifs à la dette
extérieure. Les réformes entreprises par les différents gouvernements africains ont fait baisser
le pouvoir d’achat des consommateurs les plus solvables, et par effet induit la réduction dans la
même proportion de la demande aux entreprises synonymes d’une chute en terme de production
et par conséquent augmentation du chômage, et ceci même si « l’appui des bailleurs de fonds
aux programmes d’ajustement s’est accompagné de la formulation des conditionnalités
destinées à améliorer l’efficacité des mesures de réformes économiques et politiques » (Fouda
2002 : 156). Le niveau de réduction des revenus est si important qu’il s’avère impossible de
vivre sans recourir à des substituts, d’où la naissance d’un phénomène nouveau à savoir, la
« privatisation des postes » caractérisé par un monnayage de tous les services censés être
gratuits (Fokam 2003 : 171). Jean François Bayard à ce sujet n’hésite pas de parler de
« politique du ventre », ou à identifier l’adage camerounais « les chèvres broutent là où elles
sont attachées » à ce fléau qu’est la corruption. Ces réformes visent aussi à réduire l’emploi
public et à rationaliser la structure salariale et l’organisation des administrations (Sindzingre
2001 : 204). Ces réformes sont difficilement digérées par les africains et surtout les emplois de
la fonction publique, qui, pour combler le déficit salarial imposé par les réformes vont
développer le système de corruption qui « détourne les ressources des secteurs auxquels elles
étaient destinées et fausse la politique publique. Elle met à mal le principe de primauté du droit
et sape les fondements des institutions nationales dont dépend le développement » (Fouda
2002 : 162), et l’africain moyen en est la principale victime.
En dépit des progrès réalisés pendant la seconde moitié des années 1990, l’Afrique
subsaharienne aborde le 21ème siècle dans la catégorie des nombreux pays les moins avancés du
monde. En outre, de nombreux problèmes de développement sont devenus en grande partie le
lot exclusif de l’Afrique ; Notamment la précarité de la condition salariale, la baisse des taux
de scolarisation à l’école primaire, la forte mortalité infantile et les maladies endémiques,
comme le paludisme et le VIH /SIDA, la montée de la criminalité et de l’insécurité, etc. À ce

209
sujet, l’Afrique subit deux fois plus de perte de main d’œuvre active due au SIDA, ceci
entrainant une pénurie de personnel qualifié (Banque Mondiale, 2000).

2-Les réponses de l’UA et du NEPAD


L’UA met en place un certain nombre de programme pour booster le développement
économique de l’Afrique (1), parmi ces programmes le NEPAD (Nouveau partenariat pour le
développement de l’Afrique)) a eu un impact assez important (2).

a- Les réponses de l’UA


L’avènement de l’Union Africaine peut être considéré comme un évènement majeur dans
l’évolution institutionnelle du continent. Le 9 septembre 1999, les chefs d’Etat et de
gouvernement de l’OUA ont adopté la Déclaration de Syrte, demandant la création de l’Union
Africaine en vue d’accélérer le processus d’intégration sur le continent en vue de permettre à
l’Afrique de jouer le rôle significatif dans l’économie mondiale, tout en déployant des efforts
pour résoudre les problèmes sociaux, économiques et politiques multiformes auxquels elle est
confrontée.
Dans leur quête pour l’unité et le développement économique et social ; sous l’égide de
l’OUA, les pays africains ont pris un certain nombre d’initiatives et réalisés des progrès
substantiels dans de nombreux domaines. Au nombre de ces initiatives, il convient de citer :
- Le Plan de Lagos et l’Acte final de Lagos, adopté en 1980, qui définissent les
programmes et les stratégies visant à promouvoir un développement auto entretenu et la
coopération entre les pays africains.
- La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, adoptés en 1981 à Nairobi,
qui a conduit à la création de la commission des droits de l’homme et des peuples, ainsi que la
déclaration et le plan d’action de la grande baie, deux instruments adoptés par l’OUA pour
promouvoir les droits de l’homme et des peuples sur le continent.
- Le Programme Prioritaire de Redressement en Afrique (PPREA) adopté en 1985. C’est
un programme d’urgence visant à faire face à la crise des années 80 dans le domaine du
développement, à la suite d’une longue période de sècheresse et de famine qui a sévie sur le
continent et de l’effet paralysant de la dette extérieure africaine.
- La Déclaration de LOUA sur la situation politique et socio-économique en Afrique et
les changements fondamentaux qui se produisent dans le monde, adopté en 1990. Il souligne la
détermination de l’Afrique à prendre l’initiative, à façonner son propre destin et à relever les
défis de la paix, de la démocratie et de la sécurité.
- La Charte africaine de la participation populaire, adoptée en 1999, qui témoigne de la
détermination renouvelée de l’OUA à tout mettre en œuvre pour placer le citoyen africain au
centre des processus de développement et de prise des décisions.
- Le Traité instituant la communauté Economique Africaine (AEC) adopté en 1991 et
plus précisément connu comme le Traité d’Abuja. Il vise à mettre en place l’AEC en six étapes
devant aboutir au marché commun africain dont les piliers sont les communautés économiques
régionales (CER). Le traité est en vigueur depuis 1994.

210
- Le Mécanisme pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits, adopté en
1993. C’est l’expression concrète de la détermination des dirigeants à trouver des solutions au
fléau des conflits et à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent.
- La Position africaine commune sur la crise de la dette extérieure de l’Afrique, adopté en
1997. C’est une stratégie visant à faire face à la crise de la dette extérieure du continent.
- La Déclaration Solennelle sur la conférence, la stabilité, le développement et la
coopération en Afrique (CSSDCA). Elle établit les principes fondamentaux pour promouvoir
la démocratie et la bonne gouvernance sur le continent.
- La Décision d’Alger sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement, adopté
en 1999, et la déclaration de Lomé sur le cadre pour une réaction face aux changements
anticonstitutionnels de gouvernement adopté en 2000.
- Les réponses face aux autres défis : l’Afrique a pris un certain nombre d’initiatives
collectives sous l’égide de l’OUA, dans le domaine de la protection de l’environnement, de la
lutte contre le terrorisme international ; de la lutte contre la pandémie du VIH/SIDA, le
paludisme et la tuberculose, de la gestion des questions humanitaires telles que l’afflux des
réfugiés et des personnes déplacées, les mines terrestres, les armes légères et de petit calibre
etc.
- L’Acte constitutif de l’Union Africaine, adopté en 2000 lors du sommet de Lomé (Togo)
- Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) ; adopté lors du
sommet de Lusaka (Zambie) en tant que programme de l’UA.
Ces instruments se sont présentés comme des repères pour galvaniser le processus
d’intégration face aux défis politiques et économiques de l’Afrique. Ces initiatives prises par
l’OUA ont ouvert la voie à la naissance de l’UA en 2002. L’UA est l’institution fondamentale
et la principale organisation du continent dans le domaine de la promotion de l’intégration
socio-économique accélérée du continent en vue du renforcement de l’unité et de la solidarité
entre les pays et les peuples africains. Elle est basée sur la vision partagée d’une Afrique unie
et forte, et sur la nécessité de bâtir un partenariat entre les gouvernements et toutes les couches
de la société civile, en particulier les femmes, les jeunes et le secteur privé, afin de renforcer la
solidarité et la cohésion entre les peuples africains. Organisation à vocation continentale en tant
que préalables à la mise en œuvre de son programme dans le domaine du développement et de
l’intégration.
b- Les réponses du NEPAD
Adopté le 11 juillet 2001 à Lusaka par le sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement
comme programme de développement du continent africain, le NEPAD se définit comme « une
vision et un cadre stratégique pour le renouveau de l’Afrique ». Son avènement est l’œuvre
principale de quelques Chefs d’Etas africains, et son objectif principal est d’éradiquer la
pauvreté. (Nwouotso 2009 : 33).
Entre le 1er et le 2 mars 2001, au cours du 5ème sommet extraordinaire de l’OUA pendant
lequel l’UA a été proclamée, les dernières dispositions étaient prises pour la finalisation du
volet économique de la grande entreprise continentale de la renaissance africaine enclenchée le
9 septembre 1999. Lors du 36ème sommet de l’OUA à Lomé en 2000, il avait été donné mandat
aux Présidents Thabo Mbéki (Afrique du Sud), Oluségun Obasanjo (Nigéria) et Abdelaziz

211
Bouteflika (Algérie) de préparer un projet dans le cadre du « programme du millénaire pour la
renaissance de l’Afrique », ce à quoi ils se sont attelés en associant le Président Hosni
Moubarak (Egypte) et ont présenté une mouture sous les termes « millenium partnership for
the african recovery program » (MAP). Au cours de la même occasion, le président Abdoulaye
Wade (Sénégal) a fait pratiquement office de singleton en présentant à son tour le « plan oméga
pour l’Afrique ».
Le plan MAP est un programme qui prend sa source dans la thématique de la
« renaissance africaine » réactivée et approfondie par Thabo Mbéki dans son discours
d’investiture. Ce discours pose les grands axes stratégiques du repositionnement de l’Afrique
du Sud dans ses relations avec le reste de l’Afrique. Le pays cherche à se donner les moyens de
ses ambitions de locomotive du continent dans une vision non moins panafricaniste. Le MAP
donne le ton dès son introduction avec solennité « … une promesse faite par les dirigeants
africains basée sur une vision commune ainsi que leur conviction ferme de partager qu’ils ont
un devoir urgent d’éradiquer la pauvreté et de placer leur pays, à la fois individuellement que
collectivement, sur la voie d’un développement durable et de participer activement à
l’économie mondiale et au corps social ». Il souligne ainsi le paradoxal contraste entre la
pauvreté de l’Afrique et la richesse du monde industrialisé et l’urgence de remembrer cette
fracture qui nie la dignité humaine. Le plan MAP se décline en 107 articles, et ses priorités sont
énoncées en son chapitre 5. Ces priorités sont les suivantes :
- La paix, la sécurité et la gouvernance ;
- L’investissement dans les peuples de l’Afrique ;
- La diversification de la production et des exportations de l’Afrique ;
- L’investissement dans les technologies de l’information et de la communication (TIC)
et autres infrastructures de base ;
- Le développement des mécanismes de fonctionnement.
Le plan Oméga du président Wade rendu public en 2001 prolonge et amplifie les idées
développées dans son ouvrage « Un destin pour l’Afrique ». Conçu à l’origine pour le Sénégal,
ce plan part du principe selon lequel l’option de l’aide et de l’endettement est un échec et qu’il
faut une autre philosophie fondée sur l’accroissement des investissements pour parvenir au
développement des infrastructures dans un seul pays afin de réaliser les projets et programmes
économiques du « sopi » (ce mot signifie changement en Wolof et a été le slogan politique du
Président Wade à l’élection présidentielle de 2000). Ainsi, après son investiture, le leader
s’emploie à promouvoir « le modèle démocratique sénégalais » auprès de ses pairs africains
dans ses interventions publiques. De ce fait, il montre très vite sa volonté de faire du « sopi »
un changement autant sénégalais qu’africain, le plan Oméga pour le Sénégal devenant ainsi le
plan Oméga pour l’Afrique. L’introduction du plan Oméga dans la construction du NEPAD a
construit l’image du Président Wade comme le « père fondateur » de cette nouvelle
« institution ». Ce plan a donc été d’un apport certain pour l’élaboration du NEPAD, mais a
aussi servi les stratégies politiques du Président Wade, car le NEPAD est très vite devenu une
composante de la politique de son image, et un moyen de faire face aux insuffisances du « sopi »
(Nwouotso 2009 : 34).

212
Ces deux initiatives furent fusionnées et les travaux d’une commission d’experts des pays
initiateurs, de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Commission des Nations
Unies pour l’Afrique (CEA) ont abouti un an plus tard à la « Nouvelle Initiative Africaine »
(NIA). La NIA a été officiellement adoptée par l’OUA le 9 juillet 2001 lors du 37ème sommet
de l’OUA à Lusaka en Zambie, puis intégré dans le processus de création de l’Union Africaine.
Cette insertion de la nouvelle initiative dans le processus d’institutionnalisation de l’Union
Africaine, alors en élaboration ne pouvait que profiter à l’implantation et la promotion du
NEPAD sur le continent.
Le NEPAD qui est un cadre global de développement pour l’Afrique, a été créé pour entre
autres contribuer utilement à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement
(OMD), et se présente donc comme un partenariat entre les gouvernements africains et la
communauté internationale basée sur un respect mutuel et un intérêt réciproque. Il a pour
ambition de jouer un rôle majeur dans l’intégration politique et économique de l’Afrique, il
repose sur trois piliers : la paix et la sécurité, la gouvernance et le développement économique
et social, les deux premier formant en quelque sorte un préalable au 3ème. Le pilier relatif à la
gouvernance s’appuie sur un instrument original : le Mécanisme Africain d’Evaluation par les
Pairs (MAEP) qui fonctionne non pas sur un mode coercitif, mais persuasif (les notes du jeudi
n° 46, 2005). Ces réponses africaines ne permettent malheureusement pas aux pays africains de
sortir de leur marasme économique, et les contraintes liées à la mondialisation les amène à
adopter d’autres programmes plus ambitieux à l’échelle internationale notamment les OMD et
par la suite les ODD.

B- Les contraintes de la mondialisation et l’adoption des OMD par les Etats africains

En 2000 sont mis sur pied à l’ONU les OMD avec pour but de sortir les Etats de la
pauvreté en 2015 au plus tard (A), malheureusement cet objectif n’étant pas atteint à la date
butoir, ils vont être prolongés mais cette fois sous la forme des ODD (B).

1- Ambitions des OMD


Avec la naissance de l’ONU en 1945, la communauté internationale s’est donnée pour
objectif de construire un monde solidaire et pacifique, et surtout un monde où les problèmes
des uns et des autres sont gérés de manière collégiale. Grace au développement de la
mondialisation qui a transformé le monde en un « village planétaire », il est difficile pour les
pays riches et développés, de rester indifférents à la grande précarité dans laquelle vit près d’un
tiers de la population mondiale. Les différentes crises économiques qui ont frappé les grandes
économies occidentales ont eu des répercussions fortes sur les économies faibles, entrainant
ainsi un appauvrissement progressif de ceux-ci. La mauvaise gouvernance également n’a pas
aidé à résoudre ce problème qui au fil des années s’est cristallisé.
Ainsi, une grande partie de la population mondiale vit dans une situation préoccupante,
caractérisée par une pauvreté observable tant au niveau des populations qu’au niveau des
gouvernements. Le calcul de ce degré de pauvreté peut être fait suivant les estimations de la
Banque Mondiale ou du PNUD, et selon ces deux Institutions la situation de la pauvreté dans
le monde avant 2000 est presque la même. Selon le seuil de pauvreté d’un dollar US par jour

213
fixé par la Banque Mondiale, 1,9 milliards de personne dans le monde en 1981 sont victimes
de la pauvreté (Banque Mondiale 2000). En 1985, la majorité de ces pays se trouvent en Asie
du Sud, en Asie de l’Est et en Afrique Subsaharienne
C’est pour réduire ces inégalités et cette pauvreté que des initiatives ont été mises en
œuvre par tous les acteurs internationaux et ont pris la forme des Objectifs du Millénaire pour
le Développement (OMD) en 2000. En fait les OMD sont l’aboutissement d’un long processus
et constituent des politiques publiques multilatérales, car formés par les Nations Unies suivant
ses activités normatives (Nwouotso 2013 : 2). Ce sont des normes internationales de
développement produites par l’ONU, qui de ce fait accroissent « les interdépendances entre
Etats et suscitent alors de leur part des réponses collectives et coopératives » (Petite ville et
Smith, 2006 : 363) à un problème donné, problème qui dans ce cas est la pauvreté qui sévit dans
plusieurs pays à travers le monde.

2- Stratégies internationales et nationales de réduction de la pauvreté :


matérialisation des OMD
Les OMD sont la matérialisation de la Déclaration du Millénaire, ils sont au nombre de
huit, assortis de cibles et d’indicateurs. Ces objectifs sont les suivant :
- Objectif 1 : éliminer l’extrême pauvreté et la faim
- Objectif 2 : assurer l’éducation primaire pour tous
- Objectif 3 : promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes
- Objectifs 4 : réduire la mortalité infantile
- Objectif 5 : améliorer la santé maternelle
- Objectif 6 : combattre le VIH /SIDA, le paludisme et d’autres maladies
- Objectif 7 : assurer un environnement durable
- Objectif 8 : mettre en place un partenariat mondial pour le développement
Elaboré à la suite d’un constat simple (la pauvreté dans laquelle vit une bonne partie de
la population mondiale), les OMD sur le terrain bénéficient de mécanismes concrets pour leur
mise en œuvre, ces mécanismes sont pilotés tant sur le plan national qu’international, et créant
une nouvelle forme de clivage dans les Relations Internationales entre les pays riches et les pays
pauvres.
Dans le cadre de la réalisation des OMD, les pays riches contribuent à travers la mise à
disposition des moyens nécessaires, et les pays pauvres s’engagent à mettre en place des
politiques adéquates pour sortir leur population de cet état de misère. En fait, l’objectif de part
et d’autre est de réduire au maximum les inégalités qui existent entre les Etats, et de redonner
à tous les hommes la dignité humaine qui leur est due.

3- Année 2015 : Fin des OMD et début des ODD


La mission des OMD des 15 années démontrent qu’un changement progressif est possible
grâce aux objectifs mondiaux. Les OMD ont aidé à sortir plus d’un milliard de personnes de
l’extrême pauvreté. Grâce à des cibles claires et mesurables, la solidarité s’est renforcée.
Toutefois, ces avancées sont encore insuffisantes, car l’humanité continue de se heurter à un

214
nombre écrasant de difficultés, du creusement des inégalités et de la pauvreté chronique, aux
conflits persistants, aux maladies contagieuses, aux changements climatiques et à la dégradation
de l’environnement.
C’est pourquoi les Chefs d’Etat et de gouvernement du monde, réunis au siège de l’ONU
à New York du 25 au 27 septembre 2015 ont arrêté de nouveaux objectifs mondiaux de
développement durable. A ce titre, ils s’engagent à œuvrer sans relâche pour que ce programme
soit appliqué dans son intégralité d’ici à 2030. Ceci considérant que l’élimination de la pauvreté
sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, y compris l’extrême pauvreté constitue le
plus grand défi auquel l’humanité doit faire face. Ces nouveaux objectifs s’inscrivent dans le
prolongement des OMD. Ces ODD comprennent 17 objectifs et 169 cibles et doivent être atteint
au plus tard en 2030. Ceux-ci se veulent :
- Universels : l’ensemble des pays est concerné et non plus uniquement les pays ciblés
par l’APD
- Transversaux : de nouveaux secteurs sont concernés (la réduction des inégalités, la ville,
les modes de production durables etc.)
- Transformatifs : au-delà d’une simple lutte contre la pauvreté, les ODD visent un
changement de modèle de société et une modification des comportements
Les ODD couvrent un large spectre de domaines et devraient s’ils sont atteints ouvrir la
voie vers un monde relativement meilleur avec moins d’inégalités, moins de disparités et de
discriminations et basé sur un système d’équilibre fonctionnelle durable.

CONCLUSION

L’Afrique a fait son entrée dans le nouveau millénaire armée d’un certain optimisme et
d’un carnet de route, défini en commun et largement accepté sur la manière de surmonter les
défis de développement des dernières décennies qui ont été exacerbés par toute une série de
facteurs. Des conflits en déclin institutionnel, en passant par le déficit de leadership et de
gestion, une corruption endémique et une mauvaise gestion économique. Le programme de
l’Afrique pour se renouveler et pour combler ces déficits de développement passe par l’avancée
des valeurs élémentaires de démocratisation et de bonne gouvernance qui, ensemble,
constituent une condition préalable indispensable du développement durable. C’est suite à tout
ceci que des mesures sont prises au niveau des Etats africains, mesures qui sont palpables à
travers la mise en œuvre du NEPAD, mais aussi à travers la réalisation des OMD qui sont la
matérialisation d’un véritable consensus international autour de la question de développement
des plus pauvres, et depuis 2015 à travers l’introduction des ODD qui doivent être achevés en
2030. Toutefois, un scepticisme plane quant au financement de ce programme (les estimations
sont de l’ordre de 1000 milliards de dollars US par an) en sachant que l’Aide Publique au
Développement supposé financer les OMD n’a jamais dépassé les 150 milliards de dollars US
par an. Avec les ODD il n’est non plus question d’annulation de la dette qui libérerait pourtant
des moyens énormes, les Nations Unies s’obstinent à vouloir « aider les pays en développement
à rendre leur dette viable à long terme ». Pourtant les « fausses solutions » (voir l’initiative Pays
Pauvres et Très Endettés) qu’elles ont mises en place avant n’ont pas empêché la dette des pays
du sud de poursuivre leur hausse.

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- ONU 2015, Déclaration adoptée par les chefs d’Etat et de gouvernement du 25 au 27
septembre 2015.

217
LE REPRÉSENTANT DE L’ETAT ET LA MISE EN ŒUVRE DE LA
DÉCENTRALISATION AU CAMEROUN

Par

TCHOUBAN TCHANGA Deville


Chargé de cours
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Yaoundé II - Soa
tchangadeville@gmail.com

Résumé
La décentralisation apparaît au Cameroun comme l’une des modalités de gestion de l’État. Cette
forme d’aménagement du territoire demeure encadrée. Dans l’optique de pérenniser et améliorer, cette
forme de gestion de l’État unitaire, la notion du représentant de l’État fait son apparition dans le langage
administratif. Vis-à-vis de l’État, les populations expriment diversement leurs préoccupations, en vue
d’embellir leur mode de vie. En guise de réponse, aux revendications mémorables des collectivités
territoriales décentralisées, voulant gérer elles-mêmes leurs propres affaires, le constituant a consacré la
décentralisation. Celle-ci s’apparente à une technique de gestion des entités territoriales et des
institutions spécialisées, afin de promouvoir le développement harmonieux de la nation. Pour y
parvenir, le droit positif en vigueur, a doté le représentant de l’État de diverses compétences.
Toutefois, ses actes restent soumis au principe de juridicité qui, commande les activités
administratives. Aujourd’hui, la vitalité de la décentralisation participe du dynamisme du représentant
de l’Etat, au sein des collectivités territoriales décentralisées.
Mots-clés : Activités administratives ; collectivités territoriales, décentralisation, principe de
juridicité, représentant de l’État.

INTRODUCTION

Au XXe siècle, la plupart des pays d’Afrique au Sud du Sahara, accèdent à


l’indépendance. Quant au Cameroun, c’est le premier (1er) janvier mil neuf cent soixante (1960)
qu’il accède à la souveraineté internationale. Pour affermir l’unité nationale, si chère aux États
en Afrique au lendemain des indépendances en général et au Cameroun en particulier, les
pouvoirs publics vont pratiquer la centralisation1 et font apparaître sur l’échiquier juridique, le
vocable de représentant de l'État. Depuis l'accession du pays à la souveraineté internationale,
dans le cadre de l'aménagement du territoire, les Gouvernants ont opté pour la mise en œuvre
de la décentralisation2 qui apparaît comme un levier de la démocratie locale.


Mode de citation : TCHOUBAN TCHANGA Deville, « Le représentant de l’état et la mise en œuvre de la
décentralisation au Cameroun », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 219-238.
1
HAURIOU (M), « Étude sur la décentralisation », éd. P. Dupont, Paris, 1982, p.8. Voir également, EISENMANN
(Ch), Centralisation et décentralisation Esquisse d’une théorie générale, LGDJ, Paris, 1948, pp. 155-161
2
TCHEUWA (J.C) « la décentralisation territoriale au Cameroun » in https://www.der.org/, visité le 04 janvier
2024. Voir également, GUIMDO DONGMO (B.R), « Les bases constitutionnelles de la décentralisation au
Cameroun (contribution à l’étude de l’émergence d’un droit constitutionnel des collectivités territoriales

219
Dans une approche générale, le vocable représentant est, « celui qui désigne ou incarne
une autre personne, qui a des pouvoirs pour agir en son nom. Il s’agit donc d’un délégué ou
mandataire voire porte-parole »3, entre autres. Dans son sens technique, c’est « celui qui agit
par présentation, au nom, à la place et pour le compte du représenté (avec le pouvoir de
l'obliger), en vertu d'un pouvoir conféré par la convention (représentant conventionnel), par une
décision de justice (représentant judiciaire) ou par la loi (représentant légal) » 4 . Pour les
professeurs Serge Guinchard et Thierry Debard, le représentant est « La situation d’une
personne qui agit au nom, pour le compte d’une autre en particulier d’un État ou d’une
Organisation internationale qui lui a attribué un pouvoir à cet effet »5. La loi n°96/06 du 18
janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, en son article 58 alinéa 1
dispose : « dans la région, un délégué nommé par le Président de la République représente l’État
(…) ». Il s'agit clairement du représentant de l’État au niveau régional. Dans le cadre de la
décentralisation, il peut également être appelé délégué. Au plan législatif, la loi n°2019/024 du
24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées évoque
en son article 72 alinéa 1, le vocable « représentant » sans aucune précision. Cependant, cette
évocation est faite dans le cadre général de la décentralisation. Avec plus de clarté, l’article 73
en ses alinéas 1, 3 et 5 du même texte, précise la personne du représentant de l’État dans les
collectivités territoriales. La notion du représentant de l’État désigne, la personne qui représente
des intérêts de l’État, dans ses rapports avec les collectivités territoriales. En droit français, « le
représentant de l’État renvoie surtout au préfet dans les départements et les régions de métropole
et d’Outre-mer ».6 Au Cameroun, l’on s’aperçoit que la constitution7, la loi8 et le décret9 ont
déterminé le représentant de l’État dans ses rapports avec les collectivités territoriales
décentralisées. L’État peut s’entendre d’une personne morale titulaire de la souveraineté.10
La mise en œuvre est le fait de mettre en place un projet, c’est donc une implémentation,
une réalisation, l’exécution ou la mise en pratique d’une spécification voire d’une règle dans
un but précis.11 Mettre en œuvre la décentralisation, c'est mettre en place, réaliser celle-ci. Ainsi,
« par le processus de décentralisation, l’État transfère certaines de ses compétences aux

décentralisées ) », Erudit, vol.29, n°1, 1998, pp.83-85. Voir également TOBIE HOND (J), « État des lieux de la
décentralisation territoriale au Cameroun » in ONDOA (M), L’Administration camerounaise à l’heure des
réformes, L'Harmattan, Paris, 2010, p.93. KADA (N), Décentralisation, dictionnaire d’administration publique,
2014, pp.131-132. Voir également, loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin
1972 modifié et complété par la loi n° 2008/ 001 du 14 avril 2008, article 1 alinéa 2. Voir MONEMBOU (C), « le
pouvoir réglementaire des collectivités locales dans les États d’Afrique noire francophone (les cas du Cameroun,
du Gabon et du Sénégal » in https://publication.lecames.org/, visité le 17 janvier 2024.
3
GUINCHARD (S) et DEBARD (T) (dir), Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris, 2017-2018
4
PUIGELIER (C), Dictionnaire juridique, Larcier, coll. Paradigme, 2015.
5
GUINCHARD (S) et DEBARD (T) (dir),, Lexique des termes juridiques, op.cit.
6
Voir https://www.le politiste.com/, visité le 18 janvier 2024
7
Voir loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant en révision de la Constitution du 2 juin 1972 modifié et complété par
la loi n°2008/001 du 14 janvier 2008 article 58 alinéa 1.
8
Voir loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées,
article 72 alinéa 1, article 73 alinéas 3 et 5.
9
Voir décret n° 2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives
et portant article 36 alinéa 1.
10
GUINCHARD (S) et DEBARD (T) (dir), Lexique des termes juridiques, op.cit.
11
Voir https://www.lemagit.fr//, consulté le 18 janvier 2024

220
collectivités territoriales et leur confère ainsi une certaine autonomie. D’autres entités peuvent
se voir confier, transférer des attributions de service public, on parle de décentralisation
fonctionnelle ».12 Selon le lexique des termes juridiques, la décentralisation est un « système
d'administration consistant à permettre à une collectivité humaine (décentralisation territoriale)
ou à un service (décentralisation technique) de s’administrer eux-mêmes sous le contrôle de
l’État, en les dotant de la personnalité juridique, d’autorités propres et de ressources ».13 La
décentralisation apparaît comme un modèle de gestion de l’État unitaire par les pouvoirs publics
qui, est en réalité un aménagement technique du territoire permettant aux gouvernants,
d’assurer le développement du pays, à côté d’autres instruments de gestion étatique telle que la
déconcentration. Lorsque Hyacinthe Camille Odilon Barrot dit que « c’est le même marteau qui
frappe mais on en a raccourci le manche », 14 il fait allusion au pouvoir d'organisation
administrative qui apparaît comme exorbitant. Ce pouvoir est exercé par les autorités centrales
sur celles déconcentrées. On constate à cet effet que, la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant
révisant de la constitution du 2 juin 1972, a consacré la décentralisation tout en maintenant la
centralisation. C’est ainsi que l’article 1 alinéa 2 dudit texte dispose que « la République du
Cameroun est un État unitaire décentralisé ». La décentralisation n’est pas un concept facile à
cerner. Comme le reconnaît André De Laubadère, tantôt ce vocable vise une institution ou une
personne morale (établissement public ou collectivités publiques locales),15 dans ce cas on parle
de collectivité décentralisée. Tantôt, ce terme « décentralisation » s'entend d'un système
d'administration consistant à permettre à une collectivité humaine (décentralisation territoriale)
ou à un service (décentralisation techniques) de s’administrer eux-mêmes sous le contrôle de
l’État, en les dotant de la personnalité juridique, des personnes propres et des ressources »16.
Au regard de cette définition, il appert que la décentralisation est complexe. Ceci tient au
fait qu’il apparaît difficile de cerner le critère essentiel, déterminant d’une véritable
décentralisation. Toutefois, l’unanimité tend à se réaliser autour d’un faisceau de critères dont
la rencontre donne naissance à la décentralisation.17
Pour Maurice Hauriou, la décentralisation « consiste en la création de centres
d’administration publique autonomes où la nomination des agents provient du corps électoral
de la circonscription et où ces agents forment des agences collectives ou des assemblées ».18
cette définition de la décentralisation paraît, plus détaillée par opposition, à une autre définition

12
Voir https://www.vie-publique.fr/, consulté le 18 janvier 2024
13
GUINCHARD (S) et DEBARD (T) (dir), Lexique des termes juridiques, op.cit
14
L’on attribue couramment cette phrase mémorable à l’homme d’État français, à la suite du décret du 25 mars
1852 sur la décentralisation administrative. In https://www.fr.m.wikipedia.org/, visité le 19 janvier 2024.
15
DE LAUBADÈRE (A), Manuel de droit administratif , LGDJ, coll. Manuels, 2000, pp 83-84.
16
Ibid. Voir également DE LAUBADÈRE (A), VENEZIA (J.C) et GAUDEMET (Y), traité de droit administratif
, X.1, 9e éd. Revue internationale de droit comparé,1986, 38-1, pp. 286-287. JM Pontier, La décentralisation
française, collection systèmes, 2016, pp. 21-30
17
L’on peut évoquer à cet effet la reconnaissance d’une personnalité juridique propre la participation des autorités
locales à la gestion des affaires locales.
18
HAURIOU (M), « Etude sur la décentralisation », op.cit.

221
du même auteur deux décennies plutôt, lorsqu’il soutient que « la décentralisation est une
manière d’être de l’État ».19
Selon le professeur Jacques Viguier, cette définition de la décentralisation, proposée par
le célèbre maître de Toulouse, signifie que « la décentralisation n’est pas tournée contre l’État,
mais qu’elle est voulue et organisée par lui, donc qu’il n’a rien à craindre d’elle, dans la mesure
où il maîtrise ».20 Pour Eric Sales, « la décentralisation relève de l’organisation administrative
du territoire. Elle constitue l’une des modalités de gestion de l’administration au sein d’un État
unitaire dont les collectivités locales, disposant de la personnalité morale, d’organes
représentatifs élus, de pouvoirs, de ressources et de personnels, des compétences qui, jusque-
là, relevaient de l’appareil d’État ».21 Un autre auteur contemporain insiste sur le fait que « la
décentralisation a une valeur démocratique puisqu’elle se ramène à faire gérer le maximum
d’affaires par les intéressés eux-mêmes ou par leurs représentants ».22
Aux termes de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général des
Collectivités Territoriales Décentralisés, « la décentralisation consiste en un transfert par l’État
aux collectivités territoriales, de compétences particulières et de moyens appropriés ».23 En
vertu de l’article 55 de la loi constitutionnelle précitée, les collectivités territoriales
décentralisées de la République sont « les régions et les communes ». 24 Celles-ci ont deux
statuts juridiques : celles qui bénéficient d’une constitutionnalité directe car créée par la
constitution « commune et régions », et celles dont la constitutionnalité est indirecte car créées
par la loi.
Relativement à la présentation du Cameroun, c’est un « pays d’Afrique centrale situé au
fond du Golfe de Guinée, qui s’étend sur une superficie de 475650 kilomètres carrés. Il présente
une forme triangulaire, qui s’étire au sud jusqu’au lac Tchad, sur près de 1200 kilomètres, tandis
que la base s’étale d’ouest en est sur 800 km. Il possède au Sud-Ouest une frontière maritime
de 420 kilomètres le long de l’océan atlantique. Il est limité à l’Ouest par le Nigeria, au Sud par
le Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale, à l’Est par la République centrafricaine et au Nord-
Est par le Tchad ».25 Parfois appelé « Afrique en miniature à cause de sa diversité géologique.
C’est un milieu composé de forêts, savanes, déserts, plateaux, plaines et de hauts volcans
d’Afrique ».26 C’est au sein de ce vaste ensemble luxuriant, qu’il sied d’appréhender, l’œuvre
du représentant de l’État dans la décentralisation.
Dans un contexte de bonne gouvernance, l’État accorde aux collectivités territoriales, la
possibilité de s'administrer elles-mêmes, d'avoir des autorités propres voire des ressources

19
HAURIOU (M), Précis de droit administratif et de droit public, 9e éd., paris, Sirey, 1919, p.175.
20
VIGUIER (J), « la décentralisation territoriale est-elle encore au XXIe siècle une "manière d’être" de l’État?
« in https://www.books.openedition.org/, publié le 19 janvier 2024.
21
SALES (S), « une République décentralisée », in https : //www.caim.info/, visité le 19 Janvier 2024.
22
VEDEL (G), Droit Administratif, Paris, PUF, 1961, p.460.
23
Voir article 5 alinéa 1 de la loi n°2019/024 susmentionné.
24
Voir loi n° 2019/024 précité qui reprend les mêmes dispositions en son Article 2 alinéa 1.
25
Voir LIBITE (P.R) et JAZET (A.), « caractéristiques du pays et présentation de l’enquête », in
https://www.fichiers de Phoenix/, consulté le 19 janvier 2024.
26
Ibid. Voir également « Découverte de l’Afrique en miniature » in https://www.discover.cameroon.com/, visité
le 19 janvier 2024

222
propres. Toutefois, tout ceci se fait sous son contrôle. Ainsi, dans un souci de réaction aux
attentes des populations de prendre part à la vie politique du pays, de participer à la prise des
décisions les concernant entre autres, les Gouvernants ont codifié des réponses à ces
revendications dans des textes sous l’appellation de décentralisation.27 Celle-ci peut concerner
tant les collectivités territoriales décentralisées, que les services publics et établissements
publics. Que l'on soit dans le cadre de la décentralisation territoriale ou géographique, ou dans
celui de la décentralisation par services encore appelée décentralisation fonctionnelle, la
présence de l’État y est remarquable à travers son représentant. Sans fioritures, un lien reste
maintenu entre les populations et l’État pour assurer en commun le destin des entités
territoriales, des services publics et établissements publics.
Dans un pays, en l’occurrence le Cameroun, il s’avère indispensable que l’État veille à la
bonne marche de ses institutions.28 C’est dans une telle perspective de regain de l’État de droit,
que les pouvoirs publics doivent s’assurer du respect des normes en vigueur et éventuellement
réagir, face aux difficultés que peuvent connaître, ces institutions dans leurs interactions avec
les populations. La prise en compte des besoins de développement, l’apparition et la stabilité
de la mondialisation qui s'impose aux populations, voire à l’État, n’inhibent pas pour autant les
fonctions de la Puissance Publique. Ainsi, la désignation par l’État de ses représentants au sein
des collectivités territoriales décentralisées ou dans diverses structures telles que les
établissements publics témoignent, en filigrane, une volonté étatique inlassable de veiller sans
cesse à la bonne gestion des affaires.29 Aucun État soucieux de son développement, ne saurait,
créer des structures ou entités nécessaires à sa gestion et ne point y opérer un contrôle
permanent. L’institutionnalisation du représentant de l’État apparaît, comme une logique
administrative dans le fonctionnement de toute société organisée. Cela étant, la réflexion
pourrait s’articuler autour de la question de savoir quelles sont les attributions du
représentant de l’État dans le cadre de la mise en œuvre de la décentralisation au
Cameroun?
Pour mieux aborder cette préoccupation, il apparaît opportun d’examiner tour à tour les
attributions à vocation générale (I) et celles à vocation spécifique (II).

I- LES ATTRIBUTIONS À VOCATION GÉNÉRALE

Généralement, le vocable « attributions » s’emploie au pluriel pour désigner la


compétence d’un organisme ou d’un titulaire de fonction ou de charge.30 Le représentant de
l’État, dans le département ou la région, est chargé de la mise ne place de la politique nationale

27
Voir article 73 alinéa 1 de la loi n°2019/ 024 du 24 décembre 2019, op.cit. Voir également loi n°2017/011 de 12
juillet 2017 portant statut général des établissements publics « Le Conseil d’administration d’établissement public
est composé de 5 membres au minimum et 12 au maximum, (…). Il comprend obligatoirement un représentant de
la Présidence de la République, … ».
28
VEDEL (G), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Revue internationale de droit comparé, 1949, p.390.
voir également VEDEL (G) et DELVOLUÉ (P), Droit administratif, 12e éd., tomes 1 et 2, coll. « Thémis », Paris,
PUF, 1992, pp.317-319.
29
PONTIER (J-M), « Les affaires locales » in REGOURD (S), CARLES (J), GUINCHARD (D). (dir), La
décentralisation, LGDJ, PUF, in http://fr.droit.ut-capitole.fr/, visité le 22 janvier 2024
30
Voir Dictionnaire Le Robert.

223
définit par le Président de la république. Dans le cadre de la décentralisation, il veille à
l’exécution des règlements et des décisions gouvernementales. Il dirige les services
déconcentrés des administrations civiles de l’État. Le représentant de l’État exerce ses
attributions à vocation générale (A) ainsi que la garantie de la légalité (B).

A- La protection des intérêts nationaux

La notion de représentant de l’État est familière dans les textes31 en vigueur au Cameroun.
Quand on examine l'article 73 de la Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général
des Collectivités Territoriales Décentralisées entre ses alinéas 3 et 5, il apparaît que le
Gouverneur dans la région et le Préfet dans le département sont les représentants de l’État dans
la décentralisation.32 À ce titre, ils ont en commun, entre autres, la charge des intérêts nationaux,
du respect des lois et règlements, et du maintien de l’ordre public. Selon Andrew Linklater et
Scott Burchill, l’intérêt national « consiste dans la préservation de l’identité politique et
culturelle d'une nation et doit être le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité
territoriale, de l’ordre public et de l’équilibre interne ».33 Dans le cadre de la décentralisation
au Cameroun, le représentant de l’État est amplement appelé à veiller sur les aspects d’intérêt
nationaux tels que notamment :

1- Le maintien de l’ordre public.


La notion de l’ordre public n’est pas généralement aisée à définir. Il s’agit de « l’ensemble
des règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la nation, à l’économie, la morale, la
santé, la sécurité, la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu »34.
Ce sont ces règles obligatoires qui favorisent la vie en société. Sans elles, la vie ne saurait être
possible dans chaque société organisée. Ce faisant, c’est dans l’intérêt général que les règles
constitutives de l’ordre public sont élaborées par l’État et contiennent des notions telles que la
sécurité, la morale, la salubrité, la tranquillité, la paix publique, a minima.
Le représentant de l’État, dans le cadre de la décentralisation territoriale, assure le
maintien de l'ordre public de jure. Ainsi, l'attribution juridique 35 de cette qualité fait du

31
Voir loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 272, modifiée et complétée par
la loi n°2008/001 du 14 avril 2008, article 58 alinéa 1; Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Général
des Collectivités Territoriales Décentralisées, article 72 alinéa 1; article 73 alinéas 1, 5, 6 ; Décret n°2008/377 du
12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives et portant organisation et
fonctionnement de leurs services, article 3 alinéa 1, article 4 alinéa 1, article 36 alinéa 1.
32
Voir EISENMANN (Ch) « Centralisation et décentralisation. Principes d’une théorie juridique », Revue du droit
public et de la science politique, 1947. Voir également par le même auteur : Centralisation et décentralisation.
Paris. LGDJ, 1948.
33
VICTO (J), SAVEA (D), CAROLINA, « L’intérêt national, facteur déterminant des priorités stratégiques de la
République de Moldova » in https://nbn-resolving.org/, consulté le 05 février 2024
34
ARFAZADEH (H), « ordre public et arbitrage international à l’épreuve de la mondialisation », 2e édition, éd.
Schulthess, Bruylant, LGDJ, 2007 pp. 18-20.
35
Voir Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972 op.cit., article 58 alinéa
1. Voir également loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées, article 72 alinéa 1, article 73 alinéa 3. Voir également Décret n°2008/377 du 12 novembre 2008
op.cit., article 2 alinéa 1, article 3 alinéa 1.

224
représentant de l’État, l'autorité chargé du maintien de l'ordre public. L’on ne saurait ignorer
les intérêts nationaux dont fait partie l’ordre public. Sans l'effectivité du maintien de l'ordre
public l’on peut assister à une disparition d'un pan de l’État. C’est le représentant de l’État qui
doit veiller prioritairement au maintien de l'ordre public dans la région. Comme l'indique la
constitution à cet effet, « dans la région, le Gouverneur nommé par décret du Président de la
République est le représentant de l’État. A ce titre, il est chargé des intérêts nationaux … »36.
La charge de ces intérêts nationaux signifie la défense desdits intérêts, la protection de ceux-ci
au rang desquels figure le maintien de l’ordre public. Garanti par l’État, l’ordre public relève
de la police administrative, c’est-à-dire qu’il s’agit de l’action de l’administration, du
gouverneur dans ce cadre qui vise à assurer l'ordre et la sécurité publics, par la promulgation de
réglementations (mesures légales, règles, textes juridiques) et la mise en place de contrôles.
Cette police administrative exercée par le Gouverneur a un rôle préventif. Toutefois, il ne s'agit
pas là d'une fiction, car le trouble à l'ordre public apparaît de plus en plus, comme toute situation
courante où la paix publique est atteinte considérablement tels que les attroupements, les
tapages nocturnes, entre autres.
La « Région et la Commune », 37 sont des collectivités territoriales juridiquement
consacrées. La décentralisation territoriale ne crée pas, en réalité, une collectivité territoriale
sui generis à propos de la région. En effet, lorsque la constitution du 18 janvier 1996 institue la
région comme collectivité territoriale décentralisée, il faut relever qu’au plan historique, la
région a déjà existé au Cameroun, en tant que circonscription administrative. Ainsi, depuis
1935, elle regroupait plusieurs départements, jusqu’à l’avènement du décret n°72/349 du 24
juillet 1972 portant organisation administrative de la République Unie du Cameroun, qui
institue la province en lieu et place de la région administrative. Derechef, l'apparition de la
région a lieu en vertu du décret n°2008/376 du 12 novembre 2008 portant organisation
administrative de la République du Cameroun. La région apparaît, désormais comme une entité
qui revêt à la fois la qualité de collectivité territoriale et celle de circonscription administrative.
Ce faisant, la constitution laisse la possibilité au législateur de créer d'autres types de
collectivités territoriales décentralisées, ainsi que dispose l'article 55 alinéa 1 de la constitution
du 18 janvier 1996 en des termes clairs : « les collectivités territoriales décentralisées de la
République sont les régions et les communes. Tout autre type de collectivité territoriale
décentralisée est créée par la loi »
En tant que représentant de l’État dans le cadre de la décentralisation territoriale, le
Gouverneur apparaît comme un instrument de base, de sauvegarde de l’ordre social, acteur
déterminant dans le maintien de l’ordre public continu au sein de la collectivité territoriale.
Selon Roger Gabriel Nlep Adimé, « ni la constitution camerounaise, ni les différentes
textes législatifs ou réglementaires relatifs à la décentralisation ne définissent abstraitement la

36
Voir Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972 op.cit., article 58 alinéa
1.
37
Voir article 55 alinéa 1 de la Loi n°96/16 du 18 janvier 1996 précitée. Voir article 73 alinéas 3, 5, 6 de la Loi
n°2019/024 du 24 décembre 2019, op.cit.

225
notion de collectivité locale »38. C’est Jacques Moreau qui énonce les conditions39 constitutives
de cette notion.
Le Gouverneur dans la région, en tant que représentant de l’État, exerce concomitamment
les pouvoirs de maintien de l’ordre public de direction 40 et ceux de l’ordre public de
protection41.
La décentralisation technique, encore appelée décentralisation fonctionnelle ou
décentralisation par services, consiste à transférer des compétences de l’État vers une personne
morale de droit public spécialisée. Ce type de décentralisation concerne particulièrement les
entreprises publiques. La loi du 12 juillet 2017 au Cameroun améliore sensiblement le régime
des entreprises publiques en l’arrimant à celui de l’Organisation pour l’Harmonisation en
Afrique du Droit des Affaires (OHADA) des sociétés commerciales. Aux termes de ladite loi,
« l’établissement public est une personne morale de droit public dotée de la personnalité
juridique et de l’autonomie financière, chargée de la gestion d’un service public ou de la
réalisation d’une mission spéciale d’intérêt général pour le compte de l’État ou d’une
collectivité territoire décentralisée »42.
Les organes de gestion d’un établissement public sont constitués d’un conseil
d’administration ou organe tenant lieu, et d’une direction générale ou tout autre organe tenant
lieu. Le Conseil d’administration d’un établissement public est composé de 5 membres au
minimum et 12 au maximum. En outre, quelle que soit la composition des représentants des
administrations concernées par l’exécution des missions assignées à l’établissement public, on
note obligatoirement « un représentant de la Présidence de la République, un représentant des
services du Premier ministre, un représentant du ministère de tutelle technique, un représentant
du ministère de tutelle financière, un représentant du personnel élu ».43
Le rôle du représentant de la présidence de la République qui peut être appréhendé comme
la réplique du représentant de l’État au niveau de la décentralisation par services, consiste de
manière générale à veiller à la protection des intérêts nationaux. Pour ce faire, il s’assure de la
bonne marche des activités de l’établissement public en cause, dont il examine les rapports au

38
NLEP ADIME (R.G), L’administration publique camerounaise, contribution à l’étude des systèmes africains
d’administration publique, Paris, LGDJ, 1986, p. 88.
39
MOREAU (J), Administration régionale, local et municipal, Memento Dalloz, 1975, p. 5. Ce sont « une portion
du territoire géographiquement limitée, l’octroi de la personnalité morale ; la détermination d’organes propres ; la
soumission au contrôle de tutelle ; la vocation à gérer tous les intérêts propres à la collectivité ».
40
Il s’agit pour le représentant de l’État de promouvoir une direction politique ou économique déterminée à
l'avance
41
L'ordre public de protection a pour but principal de protéger l'individu dans la sphère, société où il vit.
42
Voir Loi n°2017/010 du 12 juillet 2017 portant statut général des actions publiques article 4. Aux titres de l’article
2 alinéa 1 de la loi susvisée, les formes des établissements publics sont variées.
On a notamment l’établissement public à caractère administratif (telle la société de développement du coton du
Cameroun (SODECOTON); l’établissement public à caractère social telle la Caisse Nationale de prévoyance
sociale (CNPS); l’établissement public à caractère hospitalier (le centre Hospitalier Universitaire (CHU);
l’établissement public à caractère culturel (université de Yaoundé 2); établissements publics à caractère
scientifique (institut de recherche géologique et minière IRGM) placé sous la tutelle du ministère de recherche
scientifique et de l'innovation (MINRESI) ; l’établissement public à caractère technique (Institut de Recherche
Agricole pour le Développement IRAD)
43
Voir article 17 alinéa 1 de la loi numéro 2017/010 du 12 juillet 2017 précitée.

226
sein du Conseil d’administration où il siège. En outre, il veille à la promotion et au suivi des
projets de développement y afférents.44
S’agissant des autorités déconcentrées, au niveau du département, on a le préfet. Il est
souvent perçu comme le symbole du pouvoir central, l’incarnation du Président de la
République à l’échelon local. Aux termes de la loi n°2019 portant code général des collectivités
territoriales décentralisées, « le préfet est le représentant de l’État dans la commune ».45
En tant que représentant de l’État dans la commune, c'est l’autorité qui représente les
intérêts de l’État dans ses rapports avec les collectivités territoriales. Il a la charge, c’est-à-dire
la responsabilité de l’application, de la loi et la conservation de l'ordre public. Le représentant
de l’État dans la commune a la charge également de préserver les intérêts nationaux : le préfet
est le dépositaire de l’autorité de l’État dans le département. Il dirige à cet effet, au Cameroun
de nombreux services de l’État de sa circonscription.
Son rôle apparaît accru en France où, le Conseil constitutionnel lui donne vocation à
diriger tous les services de l’État de sa circonscription.46 En tant que représentant direct du
Premier ministre et de chaque ministre dans le département, il met en œuvre la politique décidée
par le gouvernement en matière de développement et d’aménagement du territoire sur sa
circonscription.47 Son rôle s’étend en dehors du maintien de l’ordre public.

2- La sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel


Les autorités déconcentrées tels que le gouverneur et le préfet, sont également des
représentants de l’État dans le cadre de la décentralisation territoriale, chargés au regard de leurs
missions, de veiller à la sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel. Le patrimoine
culturel s’entend de « l’ensemble des biens matériels ou immatériels ayant une importance
artistique et/ou historique certains, et qui appartient soit à une entité privée (personne,
entreprise, association, …), soit à une entité publique (commune, département, région, pays,
…) »48. Le patrimoine dit matériel est constitué de paysages construits, de l'architecture et de
l'urbanisme, des sites archéologiques et géologiques, de certains aménagements de l'espace
agricole ou forestier, d'objets d'art et mobiliers, du patrimoine industriel (outils, instrument,
machine, bâti, …) ». 49 Quant au patrimoine dit « immatériel », il peut revêtir différentes
formes : chants, coutumes, danses, traditions gastronomie, jeux, contes et légendes, documents
écrits et d’archives,50 entre autres.

44
On remarque à cet effet que « la stratégie nationale du développement du gouvernement ambitionne de procéder
à la transformation structurelle de l’économie en opérant des changements fondamentaux dans les structures
économiques et sociales, afin de favoriser un développement durable in https://cduss.minsante.cm/ consulté le 05
février 2024. Ce type de projet relatif au développement du pays interpelle sans doute la décentralisation
fonctionnelle.
45
Voir article 73 alinéa 5 de la loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019, op.cit.
46
CC, 1992, Loi relative aux droits de liberté des communes des départements et des régions.
47
FILLOUX (J-C), « De l’État et du politique » in Durkheim et le socialisme, 1977, pp. 216-219
48
Voir http://www.fr.m.wikipedia.org/, consulté le 07 février 2024.
49
Ibid.
50
Ibid.

227
Le patrimoine culturel est l'identité de nos régions et de nos communes.51 Il est l’emblème
de la culture et des valeurs au Cameroun. Chaque collectivité territoriale décentralisée a son
patrimoine culturel, qui la caractérise et l’a fait connaître au sein du pays, ou au monde. Le
patrimoine culturel ne comprend pas seulement les monuments historiques, les musées, les
théâtres. Le patrimoine immatériel fait aussi partie du patrimoine culturel. Pour pérenniser ce
patrimoine culturel, on constate que l'Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la
Science et la Culture (UNESCO) 52 , peut venir en aide aux pays. Toutefois la compétence
attribuée aux pouvoirs publics, aux autorités investies du pouvoir de commander, en
l’occurrence les représentants de l’État dans le cadre de la décentralisation, consiste en partie à
protéger le patrimoine culturel du lieu où ils sont en exercice. C’est une fonction étatique de
sauvegarde, voire de protection. À ce titre, ils ont l’obligation de prendre des mesures pour
protéger le patrimoine, ainsi que celle d'intervenir dans ce domaine pour assurer leur
préservation.
La sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel concourent, à la réalisation des
objectifs du développement économique et social des collectivités territoriales décentralisées53,
dont les représentants de l’État, sont également chargés d'assurer leur matérialisation.
La protection des intérêts nationaux passe notamment par la garantie de la légalité.

B- La garantie de la légalité

Dans un État de droit, il est usuel d'entendre parler du concept de la légalité ; du principe
de légalité, qui est un « principe fondamental de l’action administrative, déduit du libéralisme
politique, à titre de garantie élémentaire des administrés, et selon lequel l'administration ne peut
agir qu'en conformité avec le droit, dont la loi écrite n'est qu'un élément ».54
En droit, la garantie de la légalité s’opère généralement par la voie du contrôle. Il s’agit
d’un contrôle de la légalité. Quelle que soit la variante55 de la décentralisation en cause, le
contrôle de la légalité des actes des collectivités territoriales, constitue une procédure, confiée
par les textes56 aux représentants de l’État, visant à vérifier la conformité des actes pris par les
collectivités territoriales et leurs établissements publics. Ce faisant, quelle est la nature de la
collectivité territoriale dans laquelle s’exerce cette garantie de la légalité?

51
« Qu'est-ce que la valorisation du patrimoine ? » http://www.iesa.fr/, consulté le 07 février 2024.
52
Le Cameroun a ratifié depuis 1982 la convention du patrimoine mondial de l’UNESCO pour la protection des
biens culturels et naturels, et en avril 2008 la convention de 2003 de l’UNESCO sur la sauvegarde du patrimoine
culturel immatériel.
53
Voir article 8 du code général des collectivités territoriales décentralisées du 24 décembre 2019.
54
GUINCHARD (S) et DÉBARD (T) (dir), Lexique des termes juridiques, op.cit, p. 1114.
55
Les variantes de la décentralisation, du point de vue formel, sont de deux types. D'une part, celle qui concerne
les collectivités territoriales décentralisées, c'est la décentralisation territoriale ou géographique, et d'autre part,
celle qui concerne les institutions administratives spécialisées, c’est la décentralisation fonctionnelle ou technique
ou par services.
56
Notamment la loi n°2019/ 024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées, par le décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscription
administrative et portant organisations et fonctionnement de leurs services

228
1- Le représentant de l’État : garant de la légalité dans la commune
Au Cameroun, le préfet est le symbole du pouvoir central dans le cadre de la
déconcentration. Il est également, le représentant de de l’État dans la commune. Sur un plan
purement technique, il cumule ces deux fonctions. L’ancrage juridique du contrôle de légalité
et du respect des lois, dans les collectivités territoriales, ainsi confèré aux représentants de
l’État, lui assure une légitimité indéniable. L'article 73 alinéa 5 de la loi n°2019/024 du 24
décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales décentralisées lui confie « …
la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect, des lois et règlements et
du maintien de l’ordre public ». Cette garantie de la légalité reconnue, au représentant de l’État
dans la commune,57 apparaît conforme aux dispositions de la loi de 2019 précitée. Ainsi, l'article
39 de ladite loi en son alinéa 1 dispose « les collectivités territoriales exercent leurs missions
dans le respect de la Constitution des lois et des règlements en vigueur ». Le représentant de
l’État paraît bien placé pour s’assurer de la bonne marche des institutions, voire du respect des
textes de l’État en vigueur. Quant à l’alinéa 2 du même article, l'on constate que « aucune
collectivité territoriale ne peut délibérer en dehors de ses réunions légales, ni sur un objet
étranger à ses compétences ou portant atteinte à la sécurité de l’État, à l'ordre public, à l'unité
nationale ou à l'intégrité du territoire ». Il apparaît clairement que, le représentant de l’État est
appelé à effectuer, un contrôle permanent sur les actes des collectivités territoriales dont il se
trouve à leur tête. En outre, le représentant de l’État dispose d’un pouvoir de sanction dans le
cadre de cette garantie de la légalité. C’est ainsi que l’article 39 en son alinéa 3 de la même loi,
dispose :« en cas de violation par une collectivité territoriale des dispositions de l’alinéa 1 ci-
dessus, la nullité absolue de la délibération ou de l’acte incriminé est constaté par arrêté du
représentant de l’État sans préjudice de toute autre sanction prévue par la législation et la
réglementation en vigueur ».
Le représentant de l’État dans le cadre de la décentralisation exerce un dédoublement
fonctionnel en matière de garanties ou de contrôle de la légalité. C’est ainsi qu’on remarque,
que la fonction de représentant de l’État coïncide avec celle d’autorité administrative qui est le
préfet. Le représentant de l’État aurait pu être distinct du préfet, comme c’est le cas dans la
décentralisation technique. Toutefois, cette volonté étatique d’unir en la même personne, d’une
part l’autorité politique qui est le préfet, et d’autre part, de désigner celui-ci comme représentant
de l’État au niveau communal, tend à traduire l'idée d'efficacité dans l'élaboration et l'exécution
des décisions administratives. Il n'y a pas d’antagonisme entre l'autonomie d'une collectivité
territoriale décentralisée58 et l'exigence de contrôle exercé par le représentant de l’État.
En France, le juge constitutionnel valide, un tel rapprochement entre la collectivité
territoriale et l'exigence de contrôle administratif. 59 C'est dire qu'en posant « le principe le
principe de la libre administration des collectivités territoriales par des organes élus, dans la
condition fixée par la loi »,60 celles-ci ne doivent être ni restreintes, ni privées d’effets, même

57
Voir article 73 de la loi précitée.
58
Voir article 6 alinéa 1 de la loi précitée.
59
Décision n° 82-137 DC du Conseil constitutionnel du 25 février 1982, sur la constitutionnalité de certaines
dispositions de la loi n°82/ 213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, les départements et
des régions
60
Voir article 6 alinéa 1 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 précitée.

229
partiellement. Le contrôle de la légalité prévu par l’article 73 alinéa 5 de la loi n°2019 précitée,
permet d’assurer le respect des lois et règlements, voire la sauvegarde des intérêts nationaux.
Cette disposition traduit une grande marge de manœuvre que détient le représentant de l’État
au niveau communal, dans le cadre du contrôle de la légalité des actes et de la collectivité
territoriale.
L'examen par le représentant de l’État d'un acte pris par une collectivité territoriale peut
révéler un vice manifeste d'illégalité interne (erreur de droit, qualification juridique des faits)
ou externe (vice de forme, incompétence de l'auteur de l’acte); dans cette phase
« inquisitoriale »61 du contrôle administratif, le représentant de l’État adresse à la collectivité
concernée une note d'observation valant recours gracieux. Dès lors, la réaction positive ou non,
de la collectivité territoriale aux observations du représentant de l’État, déterminera l'issue du
contrôle de la légalité.
L’affermissement de la protection des intérêts nationaux passe particulièrement, par la
garantie du contrôle de la légalité, exercé par le représentant de l’État.

2- Le représentant de l’État : gage de la légalité dans la région


La garantie de la légalité constitue une obligation légale qui engage le garant c'est-à-dire
le représentant de l’État envers les citoyens de la collectivité territoriale en cause. Cette garantie
s’exerce dans le cadre rapports d'activités existant entre la collectivité territoriale et les citoyens
du contrôle des actes pris par l’Administration dans le cadre de la décentralisation. Aux termes
de l’article 58 alinéa 1 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996, « dans la région, un délégué nommé
par le Président de la République représente l’État. À ce titre, il a la charge des intérêts
nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois et règlements et du maintien de l'ordre
public; il supervise et coordonne sous l'autorité du gouverneur les services des administrations
civiles de l’État dans la région »62. Cet énoncé de compétences confiées par la constitution et
les autres textes63 au gouverneur qui est ipso facto le représentant de l’État au niveau de la
région, fait de lui le dépositaire de la garantie de la légalité. L’administration lorsqu’elle agit
est soumise64 au respect des règles juridiques qui s’impose à elle. En ce sens, il peut s’agir
notamment de la Constitution, des traités, de la loi, des principes généraux du droit. In fine, il
s’agit de l’ensemble des règles de l’ordre juridique. Ainsi, l'acte des agents des collectivités
territoriales décentralisées ne doit pas être contraire aux normes qui lui sont supérieures. C’est
dire que la garantie de la légalité est une véritable protection pour les citoyens. Elle empêche
l’administration d’agir de manière arbitraire sans aucun contrôle.

61
AUBIN (E), « Contrôle administratif de légalité, différents types de contrôles », in Jurisclasseur collectivités
territoriales, Fascicule n° 911 du 30 avril 2010, paragraphe n°105
62
Loi N°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972, article 58 alinéa 1. Voir
également loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales décentralisées,
article 73 alinéa 3.
63
Voir loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 op.cit. Voir aussi décret n° 2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les
attributions des chefs de circonscriptions administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs
services, article 3 alinéa 1, article 4 alinéa 1 et article 36 alinéa 1.
64
« Le principe de légalité ou la soumission de l'administration au droit » in https://www.doc-du-juriste.com/,
visité le 4 février 2024. « L'administration et le respect du droit in http://www.ddeeas.fru.fr/, visité le 4 février
2024.

230
La garantie de la légalité du représentant de l’État dans la région s'étend aussi bien aux
fonctions disciplinaires des fonctionnaires et agents de l’État installés dans la collectivité
territoriale considérée à l’exception de ceux de la justice, des forces armées. Ainsi, au regard
du décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs des circonscriptions
administratives et portant organisation et fonctionnement de leurs services, le représentant de
l’État dispose de larges pouvoirs. À ce titre l’article 7 alinéa 2 dudit texte souligne qu' « il
dispose des pouvoirs disciplinaires étendus sur l'ensemble des personnels en poste dans les
services déconcentrés de l’État dans la région. À cet égard, et sans préjudice des dispositions
des textes particuliers, il inflige toutes les sanctions prévues par la réglementation au personnel
décisionnaire des services du gouverneur. Il inflige au personnel contractuel en poste dans les
services déconcentrés de l’État, les sanctions prévues par la réglementation en vigueur. Il inflige
les sanctions de retard à l'avancement, d'abaissement d'échelon et de licenciement au personnel
décisionnel des services déconcentrés de l’État. Il inflige les sanctions d'avertissement et de
blâme aux fonctionnaires de ses propres services ou des services déconcentrés de l’État, titulaire
ou non des postes de responsabilité ».
Le représentant de l’État, pour assurer un contrôle de la légalité de bonne facture, « peut
demander à tous les services publics installés dans la région, les informations nécessaires à
l'accomplissement de sa mission ».65 C'est dans cette optique, d'affermissement du contrôle de
la légalité et du respect de l’État de droit, qu'il « dispose des forces de police, de la gendarmerie
et de l'armée dans le cadre des lois et règlements fixant les modalités d'emploi de ses forces »66.
C’est d'une manière analogue qu'il « supervise et contrôle la gestion des crédits alloués à ses
services, aux autorités administratives ainsi qu'aux services déconcentrés de l’État dans la
région ».67
Exerçant de jure des attributions à vocation générale sur les collectivités territoriales,
qu’en est-il de ses attributions à vocation particulière?

II- LES ATTRIBUTIONS À VOCATION SPÉCIFIQUE

Les attributions ou prérogatives, sont des tâches caractéristiques conférées par un ou des
textes, au représentant de l’État, dans le cadre de la mise en place de la décentralisation. Une
attribution spécifique peut s’entendre d’une compétence caractéristique, typique de la puissance
publique, dans un domaine précis. S’agissant de la décentralisation, le représentant de l’État
exerce des compétences propres dans le cadre de la tutelle. Ce faisant, c’est au moyen de
contrôles que s’effectue essentiellement l’exercice de la tutelle dans la décentralisation. Cet
exercice est incontournable, en ce qui concerne la gestion de l’État unitaire. Le représentant de
l’État va ainsi exercer, un contrôle propre de tutelle qui, est orienté sur les actes des autorités
de collectivités territoriales décentralisées. La substance de cette surveillance repose, tant sur
le contrôle a priori que sur le contrôle a posteriori. L’exercice de la tutelle sur les collectivités
territoriales (A) n’empêche cependant pas, l’accompagnement de celles-ci (B).

65
Voir article 9 alinéa 1 du décret n°2008/377 du 12 novembre 2008 susvisé.
66
Voir article 10 alinéa 1 du décret numéro 2008/377 du 12 novembre 2008 précité.
67
Voir article 13 alinéa 1 du décret numéro 2008/377 du 12 novembre 2008 sus mentionné

231
A- L’exercice de la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées
Selon la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, l’article 58 alinéa 1 dispose :
« dans la région un délégué nommé par le Président de la République représente l’État. À ce
titre, il a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif, du respect des lois et
règlements et du maintien de l'ordre public (…) ». L’alinéa 2 de l’article 58 de la loi
fondamentale dispose : « il assure la tutelle de l’État sur la région ». Cette constitutionnalisation
de la tutelle est, assurée par le représentant de l’État, au niveau de la région et de la commune.68
Le pouvoir de tutelle désigne l’ensemble des moyens de contrôles réglementaires dont dispose
cette autorité sur l’entité sous tutelle en vue de la maintenir dans le respect de la loi, et de faire
prévaloir un intérêt public prépondérant.
D’une manière analogue, au sens administratif, cette notion s’entend « d’un régime
d’autorisation à obtenir pour permettre à une collectivité de décider de son administration. Elle
vise donc toutes les décisions prises à la place ou pour le compte des collectivités territoriales,
ainsi que tous les pouvoirs d’annulation dont dispose, une autorité supérieure à l’égard des
décisions d’une autorité, alors nécessairement inférieure ».69 Au Cameroun, le gouverneur et le
préfet sont les représentants de l’État70 sur les collectivités territoriales décentralisées. À ce
titre, ils exercent la tutelle sur les entités territoriales.
Bien qu’elles s’administrent librement par des conseils élus71, les collectivités territoriales
décentralisées font l’objet de contrôles (1), du fait de l'institution de la tutelle (2).

1- Les contrôles a priori et a postériori du représentant de l’État

Le représentant de l’État a un pouvoir de contrôle étendu 72 vis-à-vis des actes des


collectivités territoriales décentralisées. En effet, il s’agit d’un double contrôle qu’effectue le
représentant de l’État à l’égard des collectivités territoriales. On a ainsi le contrôle a priori et le
contrôle a posteriori.
S’agissant du contrôle a priori, il faut relever que sa raison d’être, est de préserver l’ordre
juridique d’un texte qui, ne respecte pas la norme avant que celui-ci ne soit appliqué. Le contrôle
a priori s’effectue, avant l’entrée en vigueur des actes pris, par les autorités des collectivités
territoriales décentralisées. Le principe de l’approbation préalable permet, à l’autorité
règlementaire nationale d’autoriser l’entrée en vigueur des actes des autorités locales. À cet
effet, l’article 76 alinéa 1 de la loi de 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées dispose : « (…) demeurent soumis à l’approbation préalable du représentant de
l’État (…), les actes pris dans les domaines suivants : les budgets, les comptes et les
autorisations spéciales de dépenses, les emprunts et garanties d’emprunts; les conventions de

68
Voir article 73 alinéas 1, 5 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019, op.cit.
69
LUCHAIRE (Y), La persistance de la tutelle dans le droit des collectivités territoriales, AJDA, 2019, p.1134.
70
Voir articles 72 alinéa 1, 73 alinéas 3 et 4 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019, op.cit.
71
Voir article 55 alinéa 1 de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996, op.cit. Voir également articles 72 alinéa 1 et 73
alinéas 3 et 5 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 op.cit.
72
BRACONNIER (S), Les contrôles de l’État sur les collectivités territoriales aujourd’hui », l’Harmattan, 2008,
328p.

232
coopération internationale ; les affaires domaniales, les délégations de services publics au-delà
du mandat en cours de l’organe délibérant de la collectivité territoriale; les conventions
relatives à l’exécution et au contrôle des marchés publics, sous réserve des seuils de
compétence prévus par la réglementation en vigueur; le recrutement du personnel (…) ». En
réalité, le représentant de l’État exerce un contrôle a priori sur la quasi-totalité des actes des
collectivités territoriales décentralisées. En filigrane, il apparaît comme un arbitre de la
régularité et de la conformité des actes des collectivités dans la décentralisation.
Quant au contrôle a posteriori, il permet au représentant de l’État de vérifier la légalité
des actes de la collectivité territoriale décentralisée en cause, après son entrée en vigueur. Ce
contrôle a posteriori est codifié par la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général
des collectivités territoriales décentralisées, en son article 74 alinéa 1. Cet article indique
clairement que « les actes pris par la collectivité territoriale décentralisée sont transmis au
représentant de l’État auprès de la collectivité territoriale concernée, par courrier recommandé
ou par dépôt auprès du service compétent, contre accusé de réception ». La non transmission
peut entraîner la suspension de l’acte, que ce soit le cas des délibérations des assemblées locales
ou même, des arrêtés des exécutifs locaux.
L’une des innovations significatives de la loi n°2019 portant code général des collectivités
décentralisées au Cameroun, est que le représentant de l’État dispose du pouvoir de déféré
administratif. Il s’agit là, d’une attribution importante qu’il exerce dans le cadre de la
décentralisation. Avant le recours au déféré administratif à proprement parler, le représentant
de l’État peur décider d’annuler les actes des collectivités territoriales décentralisées teintés
d’illégalités. Ainsi, sont susceptibles d’une telle annulation, les actes des collectivités
territoriales qui sont illégaux car, ne se rattachant à aucun régime administratif dans un contexte
de juridicité. On peut ainsi relever notamment les actes de l’exécutif, l’emprise, la voie de fait.
Le représentant de l’État peut ainsi, décider de les annuler. Toutefois, il peut également surseoir
de les annuler et, les déférer devant le juge administratif. C’est alors que la saisine de la
juridiction administrative a lieu dans les délais 73 de droit commun. Dès lors, le juge
administratif est appelé à se prononcer, sur l’éventuelle irrégularité ou illégalité de l’acte ou du
texte querellé, attrait devant lui.
On observe que les actes attraits par le représentant de l’État devant le juge administratif,
peuvent ainsi faire l’objet d’une annulation. Il s’agit d’une annulation qui opère erga omnes,
c’est dire que l’acte annulé disparaît rétroactivement à l’égard de tous les justiciables, sans
exception. L’illégalité ainsi constatée est, d’une manière rétroactive, effacée erga omnes74
À l’observation, les actes transmis au représentant de l’État, peuvent faire l’objet, en cas
de vices d’illégalités constatés d’un déféré d’office devant le juge administratif. Le représentant
de l’État peut, communiquer les irrégularités relevées de l’acte administratif querellé, aux

73
Voir Loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux
administratifs au Cameroun. Voir également, OWONA (J), le contentieux administratif de la république du
Cameroun, L’Harmattan, coll. Droits africains et malgache, 2011, 230p. STABL (J.H), « La saisine du juge
administratif : procédure préalable et conditions de recevabilité », La Revue administrative, Presses universitaires
de France, 1999.
74
Voir « L’actio popularis au regard du droit de la responsabilité » in https : //www.books.openedition.org/,
consulté le 10 février 2024.

233
autorités locales. Celles-ci ont alors la possibilité d’intégrer les observations faites par le
représentant de l’État, d’où la compréhension de cette seconde lecture qu’il peut évoquer. Ainsi,
« le représentant de l’État peut, dans le délai de quinze (15) jours à compter de la date de
réception, demander une seconde lecture de l’acte concerné. La demande correspondante revêt
un caractère suspensif, aussi bien pour l’exécution de l’acte que pour la computation des délais
applicables en cas de procédure contentieuse (…) ».75 L’exercice du contrôle, qu’il soit a priori
ou a posteriori, est une contrainte pour l’action administrative, car le représentant de l’État doit
veiller au respect de la loi.

2- La tutelle : un pouvoir de contrôle limité sur les collectivités territoriales


décentralisées
La tutelle n’existe pas sans texte.76 D’après l’adage « pas de tutelle sans texte, pas de texte
au-delà du texte » 77 , le représentant de l’État n'exerce ses attributions ou compétence que
conformément à un texte. Il peut s'agir d'un texte spécial qui attribue ses compétences aux
représentants de l’État d'exercer celles-ci au sein d'une collectivité territoriale. Il n'y a pas au
profit de l’État une compétence générale de tutelle sur les collectivités territoriales
décentralisées. Des textes spéciaux peuvent confier un pouvoir de tutelle au représentant de
l’État dans le cadre de la décentralisation. Ainsi, le pouvoir de tutelle se distingue du pouvoir
hiérarchique, institué en contrepoids de la déconcentration. Le pouvoir hiérarchique est
l’ensemble des prérogatives dont dispose une autorité sur ses subordonnés, dans le respect de
la loi, pour imposer sa volonté. Le pouvoir hiérarchique existe de droit et son fondement réside
dans les responsabilités particulières donnant son investi les autorités étatiques. Tandis que le
pouvoir hiérarchique 78 s’exerce au sein d'une même personne publique, on observe que la
tutelle est exercée de l’extérieur par l’État, c’est-à-dire son représentant, à l’égard de l’activité
d’une autre personne publique. De ce fait, les structures placées sous tutelle n’appartiennent pas
au service de l’organe de tutelle, mais constituent des entités autonomes. Par ailleurs, l'autorité
de tutelle est responsable de la mise en œuvre de la politique définie par le Président de la
République dans l’ensemble des structures placées sous sa tutelle. En filigrane, cette tâche est
exécutée par le représentant de l’État dans la collectivité territoriale.
Dans la pratique, la tutelle tend à exprimer constamment le rapport entre l’État et les
collectivités locales dans la décentralisation. On note la substitution de l’État par son
représentant vis-à-vis des collectivités territoriales décentralisées. De ce fait, le représentant de
l’État exerce des prérogatives notables dans l’exercice de ses fonctions. À cet effet, il peut en
dehors de l’annulation d’un acte illégal, réformer79 l’acte de l’autorité décentralisée. Le pouvoir

75
Article 74 alinéa 5 de la loi N°2019/024 du 24 décembre 2019, op.cit.
76
Voir « la tutelle dans le changement » in Le Monde, https://www.lemonde.fr/, visité le 10 février 2024. « Du
sens et de la portée de la tutelle exercée par l’État sur les structures administratives » in https://www.ceracle.com/,
visité le 10 février 2024
77
Ibid. Voir également « Le contrôle de tutelle est une main de fer dans un gang de velours in
https://www.touslescours.info/, visité le 10 février 2024
78
Voir « Pouvoir hiérarchique et pouvoir des tutelles » in https://www.doc-du-juriste.com/, visité le 10 février
2024. « la hiérarchie et la tutelle » in https://www.fr.scribd.com/, consulté le 10 février 2024.
79
« Le pouvoir de réformation du juge administratif » in https://www.labase-lextenso.fr/, consulté le 10 février
2024.

234
de tutelle permet, ainsi au représentant de l’État, de modifier la décision de l’autorité inférieure.
Ainsi, le Préfet peut, en tant que représentant de l’État, réformer l’acte pris par le maire. Il
exerce alors la tutelle sur la collectivité territoriale décentralisée en présence, sur leurs actes
particulièrement. La dimension du pouvoir de tutelle80 lie une personne morale, l’État ou son
représentant, et une autre personne morale telle qu’une collectivité territoriale décentralisée. Le
représentant de l’État, en exerçant la tutelle sur les actes des collectivités territoriales, apparaît
ainsi comme le dépositaire de l’application de la législation en vigueur. Dans le cas d’un État
unitaire décentralisé à l’instar du Cameroun, l’affirmation de l’État de droit passe entre autres,
par l’institution de la tutelle qui concourt, à affermir le socle juridique de l’État.

B- L’accompagnement des collectivités territoriales décentralisées.

Étymologiquement accompagner, signifie « aller avec », c’est une composante du travail


social, une modalité d’intervention se caractérisant par une relation individuelle ou collective,
entre un accompagnant et un ou plusieurs accompagnés, avec pour finalité l'amélioration de la
situation de la ou des personnes accompagnées.81 L'accompagnement82 introduit une dimension
existentielle à l'écoute des collectivités territoriales décentralisées, de la reconnaissance de ses
besoins et de ses ressources, de la même manière, de ses difficultés pour accepter sa condition.
Les collectivités territoriales décentralisées sont accompagnées au Cameroun à travers le prisme
de « l’appui-conseil ».83 L’État et ses démembrements tels que les services déconcentrés ont la
responsabilité de fournir l'appui-conseil aux collectivités territoriales décentralisées.
C’est dans la perspective d’une appréhension, des attributions à vocation particulière du
représentant de l’État, qu’il sied d’examiner tout à tour, le contenu de l’appui-conseil (1) ainsi
que sa matérialisation (2).

1- Le contenu de l’appui-conseil
La teneur de l’appui-conseil s’articule, autour du représentant de l’État parce que,
regroupant les démembrements qui sont soit sous l’autorité du gouverneur dans la région, soit
sous l’autorité du Préfet dans la commune. Les délégués régionaux, se regroupent autour du
gouverneur, et les délégués départementaux se regroupant autour du préfet. Le gouverneur et le
préfet étant des représentants de l’État dans les collectivités territoriales, peuvent être
appréhendés comme des personnes ressources dans la décentralisation. Comme l’indique la loi
portant code général sur les collectivités territoriales décentralisées, en son article 72 alinéa 2
« À travers ses représentants, l’État fournit un appui-conseil pour l’exercice efficace des
compétences transférées et veille à leur développement harmonieux sur la base de la solidarité

80
FANDJIP (O), « Le recours de tutelle dans le contentieux des actes des autorités municipales au Cameroun :
entre consécration législative et incertitudes jurisprudentielles », Les Annales du droit, in
https://www.journales.opendition.org/, visité le 10 février 2024.
81
Voir https://www.comme les autres.org/, visité le 13 février 2024.
82
Voir, « accompagner les collectivités dans la définition des enjeux d’aménagement et de développement local »
in https://www.aides-territoires.beba.gouv.fr/,; visité le 14 février 2024. Voir également « l’accompagnement des
collectivités » in https://www.cave44.com/, visité le 14 février 2024.
83
Voir articles 84, 85 de la loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019, op.cit.

235
nationale, des potentialités régionales et communales et de l’équilibre interrégional et
intercommunal ».
En consacrant les communes et les régions, comme collectivités territoriales
décentralisées,84 sur lesquelles repose la décentralisation, le constituant camerounais indique
par-là, que c’est l’une des modalités de gestion de l’État. Malgré la proclamation de divers
principes déterminants tels que la décentralisation territoriale ou géographique, la personnalité
morale des collectivités territoriales décentralisées, la libre administration des conseils élus, il
reste constant que leurs autonomies administratives et financières est toujours plus ou moins en
débat. L’entendement de l’autonomie, qu’elle soit administrative ou financière, doit être
distincte de l’indépendance. En principe, les collectivités territoriales décentralisées bénéficient
des ressources dont elles peuvent disposer librement, dans les conditions fixées par la loi.
L’autonomie financière suppose un certain pouvoir budgétaire. C'est reconnaître que, les
collectivités territoriales décentralisées disposent, d’un minimum d’autonomie financière,
c’est-à-dire d’un budget et de la libre disposition de ressources suffisantes. Mais en réalité, la
complexité des difficultés sociales et économiques des collectivités territoriales décentralisées
impacte sur leurs moyens et ressources. Dès lors, lesdites collectivités territoriales ont
notamment besoin de soutiens financiers, pour pallier aux difficultés de divers ordres. Entre
autres, les ressources affectées auxdites collectivités ne permettent pas toujours de satisfaire les
désidérata des populations vivant dans ces entités territoriales en matière d’emploi, d’éducation,
de formation, de santé, de développement. L’appui financier du pouvoir central demeure, de ce
point de vue indispensable. Il peut particulièrement consister en des subventions. À cet effet, le
Fonds Spécial d’Équipement et d’Intervention Intercommunales (FEICOM)85 a pour missions
principales, entre autres : « l’accompagnement des communes dans leur quête de
développement et d’amélioration des conditions de vie des populations ; ceci à travers l’appui
technique et financière qui se traduit par : l’entraide entre les communes par les contributions
de solidarité et les avances de trésorerie; le financement des travaux d’investissements
communaux ou intercommunaux ; la centralisation et la redistribution des centimes additionnels
communaux et autres impôts communaux soumis à péréquation notamment, la redevance
forestière annuelle, les droits de timbre automobile et la taxe de développement local. La
couverture des frais relatifs à la formation du personnel communal et du personnel d’état-civil.
La mise à la disposition des communes, communautés urbaines et syndicats des communes des
fonds issus de la dotation générale de la décentralisation »86. Ce faisant le FEICOM contribue
au développement des collectivités territoriales sur la base de la solidarité nationale et de
l’équilibre interrégional et intercommunal en liaison avec les administrations concernées.87 Le
FEICOM est ainsi perçu comme la banque des collectivités territoriales décentralisées au
Cameroun.

84
Voir article 55 alinéa 1 de la loi n°96/066 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972
modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008.
85
Fonds Spécial d’Équipement et d’Intervention Intercommunale (FEICOM) est un établissement public
administratif doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Créé en 1974 et opérationnel depuis
1977
86
Voir les missions du FEICOM in http://www.osidimba.cm/, visité le 14 février 2024.
87
Ibid

236
Dans le cadre d’appui aux collectivités territoriales des centralisées, il existe des
partenaires au développement qui sont également appelés structures d'appui au développement
local. À ce titre, « la facilité d'appui à la décentralisation et au développement local (FADDEL)
vise à accompagner la mise en service des conseils régionaux au Cameroun, à travers la
mobilisation d’expertise française et camerounaise sur des chantiers prioritaires de la
régionalisation : la planification du développement régional, la fonction publique locale,
l’autonomie financière des collectivités territoriales décentralisées »88.

2- La matérialisation de l’appui-conseil
La matérialisation, c’est le fait de prendre forme, se concrétiser. La matérialisation
désigne l’action de rendre réelle, concrète, une chose jusqu’ici virtuelle ou théorique.89 Il s’agit
de rendre concret la décentralisation. Cette concrétisation peut se faire à travers le mécanisme
de recours aux avis, conseils ou suggestions formulés par le représentant de l’État à l’endroit
des collectivités territoriales décentralisées, de façon bénévole. Les avis, les conseils et
suggestions sont des éléments qui concourent à favoriser l’assise de la décentralisation.
Le représentant de l’État est habilité 90 à adresser aux collectivités territoriales
décentralisées des avis ou suggestions dans le but d'améliorer la gestion des affaires locales,
d’améliorer ainsi le sort de la décentralisation. Comme le rappelle le Doyen Charles Debbasch
« l’administration, bras séculier du pouvoir exécutif, est soumise à la philosophie dont s’inspire
le régime constitutionnel et au droit qui en est issu »91 ; c’est dire que dans un système juridique,
la recherche de l’efficacité administrative, peut permettre à mieux défendre l’intérêt général.
À l’épreuve de la décentralisation, il est indispensable qu’il y ait une coopération continue
entre l’État et les collectivités territoriales décentralisées. Cette relation de coopération peut se
faire au moyen des avis conseils ou suggestions que peuvent prodiguer le représentant de l’État
pour la bonne marche, voire l’évolution des entités territoriales.
Les conseils des représentants de l’État aux collectivités territoriales décentralisées
permettent, en toile de fond, de maintenir un dialogue entre l’État et ces entités territoriales. Un
tel dialogue doit être permanent, au-delà du fait qu’ils ont un caractère gracieux.

CONCLUSION

À coup sûr, pour affermir la décentralisation au Cameroun, l’État a besoin de leviers


efficients. Parmi ceux-ci, la place du représentant de l’État est incontournable car, il est chargé
de mettre en place cette forme d’autonomie des collectivités territoriales décentralisées. Pour y
parvenir, il doit disposer d'un certain nombre de pouvoirs que lui assignent des textes juridiques.
La décentralisation en tant que modalité de gestion de l’État unitaire, du moins l’un des
mécanismes visant au bon fonctionnement du pays, constitue un choix d’aménagement, qui

88
Voir les missions du FEICOM in http://www.osidimba.cm/, visité le 14 février 2024.
89
Dictionnaire français https://www.internaute.fr/, consulté le 14 février 2024.
90
Voir article 72 alinéa 2 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019, op.cit,
91
DEBBASCH (Ch), « le droit administratif, droit dérogatoire au droit commun? », Mélanges Rene Chapus, Droit
administratif, Paris, Montchrestien, 1992, pp.128-130.

237
reste encadré afin d’éviter des amalgames. La seule disposition des textes juridiques ne suffit
pas toujours, pour qu'on assiste à cette concrétisation de la décentralisation. Il est indispensable
d'adjoindre, aux fonctions du représentant de l’État, dans la décentralisation, les forces de
l'ordre pour l'accompagnement tout azimut du mandataire de l’État dans la collectivité
territoriale. Les textes en vigueur prévoient déjà cette possibilité, et il est avantageux que sur le
plan sociologique, l'on assiste à un renforcement. Ainsi, la création récente de la police
municipale participe de la volonté de l’État de consolider l’assise de la décentralisation au sein
de la collectivité territoriale. De surcroît, le représentant de l’État apparaît comme un acteur
déterminant dans la matérialisation, et le contrôle de la décentralisation. La vitalité de la
décentralisation est, ainsi tributaire, de l’engagement, de l’entregent du porte-parole de l’État
dans la collectivité territoire décentralisée. De la sorte il devient possible de parfaire la mise en
œuvre de la décentralisation grâce, notamment à l’implication du représentant de l’État, au
respect des textes en vigueur et aux réformes qui, peuvent être décidées par l’État.

238
LA DEMOCRATIE AU SEIN DES PARLEMENTS DES ORGANISATIONS
D’INTEGRATION ECONOMIQUE EN AFRIQUE : LE CAS DE LA CEMAC

Par

NANGA EBANGA Yannick


Docteur/Ph.D en Droit Public
Chargé de Cours au Département de Droit International et Communautaire
Chercheur à l’Unité de Recherche en Droits de l’Homme, Droit International
Humanitaire et Libertés Publiques (U.R.D.H.D.I.H.L.P)
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
Université de Dschang (Cameroun)

Résumé
Ainsi que le souligne Philippe BRAUD : « Il faut peut-être une certaine inconscience pour
écrire sur la démocratie ». Le facteur qui devrait décourager toute tentative est, bien-sûr,
l’extraordinaire profusion de la littérature qui lui est consacrée. Il y’a vingt-cinq siècles, elle se
trouvait au cœur des discussions politiques dans le monde grec. Elle l’est encore de nos jours, et même
bien davantage. Mais de quelle démocratie parle-t-on ? L’étymologie grecque renvoie à l’idée de
gouvernement par le peuple (demos). Il est donc tout à fait exceptionnel que le peuple gouverne ou se
gouverne. Ainsi, on se demande à partir du cas de la CEMAC, si la démocratie est suffisamment
ancrée au sein des Parlements Communautaires des organisations d’intégration économique en
Afrique. De fait, le regard clinique porté sur ces derniers à travers notamment celui de la CEMAC, est
révélateur d’un faible ancrage de la démocratie en leur sein. Pour preuve, alors que la légitimité
parlementaire reste introuvable, on observe une représentativité imparfaite du Parlement
Communautaire de la CEMAC. Or, les rédacteurs des traités constitutifs demeurent convaincus que :
« Le Parlement Communautaire, représentant de l’ensemble des populations des Etats membres de la
Communauté, constitue un instrument de promotion de la démocratie ».
Mots-clés : démocratie - Parlement Communautaire - Organisation d’intégration économique -
légitimité parlementaire - représentation.

Abstract
As well as underscores Philippe BRAUD: “It may be necessary some unconsciousness to write
about democracy”. The factor that should discourage any attempt is, of course, the extraordinary
profusion of the literature devoted to it. Twenty-five centuries ago, she was at the heart of political
discussions in the Greek world. But what democracy are we talking about? Greek etymology refers to
the idea of government by the people (demos). So it is quite exceptional that the people governs and
rules. Thus, one wonders from the CEMAC case, if democracy is enough anchored within the
Communities Parliaments of Economic Integration Organizations in Africa. In fact, the clinical look
on these as part of the CEMAC is revealing a small anchor of democracy within them. For proof,
while parliamentary legitimacy remains not found, we observe an imperfect representative of the
Community Parliament of the CEMAC. Now, writers of constitutive treaties remain convinced that:
“The Community Parliament, representing the entire populations of member states in the community,
constitutes an instrument for promoting democracy”.


Mode de citation : NANGA EBANGA Yannick, « La démocratie au sein des parlements des organisations
d’intégration économique en Afrique : le cas de la CEMAC », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 239-260.

239
Key-words: democracy, -community parliament, economic integration organization,-
parliamentary legitimacy,- representation.

INTRODUCTION

Quelle que soit la théorie1 qui le sous-tend, tout processus d’intégration2 régionale qui
conduit à la mise en place d’un ordre juridique3 et d’un droit spécifique4 n’est en aucun cas
autorégulé mais procède de la volonté collective des Etats aux moyens de Traités et
Conventions. On peut prendre appui sur la construction de l’Union européenne (« UE »)5
considérée de nos jours comme « l’archétype »6 des systèmes d’intégration dans le monde qui
peuvent sans ambages être présentés comme étant des « vecteurs de recomposition du système
international »7. Ainsi, outre l’Europe, l’Afrique se trouve également prise dans des processus
d’intégration depuis la fin des années 1980 en raison du nombre d’accords d’intégration
régionale conclus qui dépasse de loin celui enregistré pendant les vagues de régionalisation
des années 60-708.
De fait, l’idée communautaire a pris racine en Afrique Centrale francophone dans la
création le 15 janvier 1910 de l’Afrique Equatoriale Française (« AEF ») qui a dessiné les
contours d’un ensemble économique viable9. Sa première manifestation économique a été
l’Union Douanière Equatoriale (« UDE »)10. Mais par un traité signé le 8 décembre 1964,
l’UDE céda la place à l’Union Douanière et Economique de l’Afrique Centrale (« UDEAC »),
devenue Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (« CEMAC ») par un
traité du 16 mars 1994, révisé en 2009. Ainsi, dans la poursuite de l’institutionnalisation de la
CEMAC, les rédacteurs du Traité de N’Djamena révisé en juin 2008, lequel a fait l’objet

1
Des auteurs, sans procéder à une quelconque classification, distinguent les théories fonctionnalistes et néo-
fonctionnalistes, l’inter gouvernementalisme et le fédéralisme. (Lire à propos SAURUGGER (S.), Théories et
concepts de l’intégration européenne, Paris, Presses de Sciences Politiques, coll. Références gouvernances,
2010, 488p.)
2
L’intégration peut être envisagée comme la « fonction d’une organisation internationale qui vise à unifier
progressivement par des mécanismes appropriés, l’économie, voire le système politique des Etats membres ».
(SALMON (J.), Dictionnaire de Droit International Public, Bruxelles, Bruylant, 2001 p. 591.
3
Sur cette notion, v. not. CHEVALLIER (J.), « L’ordre juridique », in Chevallier (J.), et al. Le droit en procès,
1983, PUF-CURAPP, pp. 7-49. Soulignons que le juge communautaire européen l’a, dans un premier temps,
qualifié d’un « ordre juridique international » (CJCE., 5 févr. 1963, n°26/62, Van Gend en Loos : Rec. CJCE, p.
1.) avant de dépasser cette assimilation en le considérant désormais comme un « ordre juridique propre »
(CJCE., 15 juill., 1964, n°6/64, Costa c/.Enel : Rec. CJCE, p. 1161).
4
MEGRET (J.), « La spécificité du droit communautaire », RIDC, juill.-sept. 1967, vol 19, n°3, pp. 566-577.
5
Sur la question de la construction de l’Union européenne lire utilement RIDEAU (J.), Droit institutionnel de
l’Union et des Communautés européennes, 4ème éd., Paris, LGDJ, 2002, pp. 25- 54.
6
LEFEVRE (F.), Communauté Européenne 1996-1997, 9ème éd., Paris, Francis Lefèvre, « Mémento pratique »,
1996, p. 1.
7
Cf. PETITEVILLE (F.), « Les processus d’intégration régionale, vecteurs de recomposition du système
international ? », volume 28, numéro 3, 1997, pp. 511-533.
8
Id., p. 511.
9
N’KODIA (C.), L’intégration économique : les enjeux pour l’Afrique centrale, L’Harmattan, Paris, 1999, pp.
34 et suiv.
10
Elle a été instituée par un décret du 27 décembre 1941 du ministère français des colonies mais n’a pris corps
qu’avec la Convention de Brazzaville du 07 décembre 1959. A l’origine, l’Union réunissait le Moyen-Congo,
l’Oubangui-Chari, le Gabon et le Tchad. Le Cameroun l’a intégré définitivement le 27 juin 21962 après avoir
signé le 23 juin 1961 une Convention portant règlementation de ses relations économiques et commerciales avec
l’Union Douanière.

240
d’une importante révision en janvier 2009, ont prévu un Parlement communautaire11 censé
impulser une intégration démocratique au sein de la CEMAC. En effet, selon Marcelle
LENTZ-CORNETTE12 : « (…) De telles structures (les communautés) doivent
nécessairement comporter une assemblée qui assure la légitimité démocratique d’un tel
ensemble en contrôlant les faits et gestes de son Exécutif. Un argument d’ordre
psychologique justifie par ailleurs la création de ce type d’assemblée en ce que le citoyen
accepte mieux l’existence d’une superstructure étatique s’il peut intervenir directement à
travers les élus du peuple ». Dans la CEMAC, la création d’un Parlement Communautaire par
la Convention du 25 juin 2008 doit être perçue comme l’aboutissement d’une dynamique
institutionnelle sous régionale13. Tout bien considéré, sa mise en place s’est presque traduite
comme le résultat d’une concordance d’intérêts conjoncturels, pratiques, idéologiques voire
culturels convenables à la CEMAC. Sur ce postulat, on peut dire que seule l’histoire
constitutive de chaque organisation d’intégration économique en Afrique, tout comme celle
relative à la conjoncture de conception de chaque Parlement communautaire africain, peuvent
justifier leur réalité variée.
Mais, malgré qu’on puisse déplorer le fait d’avoir des institutions parlementaires aux
multiples visages alors même que l’Afrique14 se trouve engagée dans un processus
d’intégration continentale reposant sur les piliers que sont les organisations régionales ou sous
régionales15, l’on ne peut s’empêcher de faire constater avec l’ancien Président malien Alpha
OUMAR KONARE16 que : « Pour l’enracinement de la démocratie dans nos pays,
l’institution parlementaire doit jouir de la considération requise, ainsi que de tout l’appui
nécessaire à l’accomplissement de sa mission législative et de contrôle de l’exécutif » dans
une sphère où la démocratie parlementaire sert plus de couverture à la corruption

11
Cf. Art. 10 du traité révisé de la CEMAC du 25 juin 2008 et art. 2, troisième tiret du Traité du 16 mars 1994
instituant la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
12
Cité par ZOGBELEMOU (T.), Droit des organisations d’intégration économique en Afrique (CEDEAO-
CEMAC-UEMOA-ZMAO), Etudes Africaines, L’Harmattan, Paris, 2014, p. 114.
13
OKOYA (O.) et CARSON (G.), « Le Parlement de la CEMAC ou l’aboutissement d’une dynamique
institutionnelle sous régionale », Revue Juridique et Politique des états francophones, vol. 64, 2010, pp. 505-
515.
14
En effet, située entre l’Océan Atlantique et l’Océan indien, « l’Afrique se présente sous la forme d’un point
d’interrogation qui ponctuerait le questionnement d’un continent que ses potentialités économiques, culturelles
et diplomatiques ainsi que la richesse de son passé prédestinent aux premiers rôles dans le monde, mais que la
réalité présente sous un visage moins resplendissant : celui d’une terre déchirée par de nombreux conflits »
(SADY (S.), La résolution des conflits en Afrique, Thèse de Doctorat d’Etat en Sciences Politiques, Université
Cheik Anta Diop, Dakar 2003, p. 281.
15
Il en existe une bonne quinzaine : CEDEAO, CEEAC, SADC, COMESA, UMA, CEN-SAD, EAC, IGAD,
UEMOA, SACU, CEPGL, UFM, CEMAC, ALG, G5 du Sahel) qui crée l’effet « bol de spaghetti »
(chevauchement et complexification des actions de coordination). En tout état de cause, « au-delà des études
présentant les différentes organisations internationales, l’analyse de leurs actions est riche d’intérêts » (MVE
ELLA (L.), « Le rôle des organisations africaines dans la crise malienne », Dans Civitas Europa, 2013/2, N°31,
pp. 123-144, article disponible sur le site internet suivant : www.cairn.info, consulté le 8 septembre 2023,
02 :07.
16
Extrait de l’allocution d’ouverture à l’occasion du Séminaire régional pour les Parlements francophones
d’Afrique tenu à Bamako du 1er au 3 novembre 2001, sur le thème : « Le Parlement et le processus budgétaire,
notamment dans une perspective d’équité entre hommes et femmes », accessible en ligne sur :
http://www.ipu.org, consulté le 26 août 2023 à 23 :28.

241
démocratique et à la dépossession du peuple qu’elle s’affirme par sa compétence de
légitimation17.
Toutefois, « parce que la science a horreur des contresens et des imprécisions »18, il est
nécessaire de « fixer un contenu acceptable »19 aux notions de démocratie, de Parlement et
d’Organisation d’intégration économique.
S’agissant de la notion de « démocratie », dans son discours du 19 novembre 1963 à
Gettysburg, Abraham LINCOLN l’a défini comme : « Government of the people, by the
people, for the people »20, c’est-à-dire, « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le
peuple ». La simplicité de cette définition ouvre les portes de l’universalité à la démocratie,
car elle la rend susceptible de s’appliquer à tous les peuples de la terre 21. Seulement, « (…)
elle est, pour tout dire, une réalité, une expérience particulière à chaque pays et à chaque
nation »22. A ce titre, nous pouvons en effet considérer que la démocratie qui est, le régime
dans lequel chaque citoyen, comme l’écrit ARISTOTE23, est capable tout à la fois de
gouverner et d’être gouverné, selon sa propre détermination, « n’est pas un monolithe
univoque »24. Ainsi, pour certains auteurs, la démocratie est « un système de gouvernement
qui tend à inclure la liberté dans les rapports politiques »25. Elle n’est en fin de compte
qu’une « auto-fondation de la société dans laquelle chaque citoyen, au nom de sa
souveraineté est impliqué. Mais cette implication n’est pas seulement procédurale :
participation aux élections, exercice de certaines libertés. Elle relève aussi d’une intention
qui s’inspire d’un sens, animée d’une volonté qui poursuit un but »26. Mieux encore, « un
régime institutionnel dans lequel la désignation des gouvernants est résolue pacifiquement,
au terme d’élections régulièrement disputées »27.Elle est constitutionnelle aujourd’hui28 en ce
qu’elle s’identifie au pluralisme et à l’Etat de droit avec la garantie des droits des individus.
Dans le cadre de cette étude, la démocratie renvoie à « l’action d’associer l’ensemble des
populations des Etats membres de la Communauté à la gestion de leurs propres affaires, soit

17
OKOYA (O.) et CARSON (G.), op.cit., p. 505.
18
SOBZE (S.-F.), « Autochtonie et gouvernance locale : Réflexion à partir de l’exemple du Cameroun », Revue
Internationale de Droit Comparé, n°3, 2022, p. 6.
19
Cf. GUIMDO DONGMO (R.-B.), « Constitution et démocratie dans les Etats francophones d’Afrique », in La
Constitution, Actes du Séminaire Scientifique, tenu à Niamey du 24 au 26 octobre 2018, Sous la direction de
Oumarou NAREY, p. 160.
20
Cité par SAUR (L.), La démocratie en Afrique subsaharienne : dépasser les certitudes occidentales, 2015,
43p. Article accessible en ligne sur le site suivant: www.https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01508805,
consulté le 27 août 2023, 01 :00.
21
Ibid.
22
NGONGA LOKENGO ANTSHUKA, Consensus politique et gestion démocratique du pouvoir en Afrique,
Louvain-la-Neuve : Académia/L’Harmattan, 2015, p. 55.
23
La politique, VII. 14.1332. b, vrin, 1970, p. 524.
24
SAUR (L.), op.cit., p. 8.
25
BURDEAU (G.), La démocratie, 1956, coll. « Politiques », Seuil, 1966, cité par CHEVALLIER (J.), « La
crise de la démocratie : Mythe ou réalité ? », in Mélanges en l’honneur de Jeanneau Benoit, Les mutations
contemporaines du droit public, Dalloz, 2002, pp. 361-381.
26
MONCONDUIT (F.), « Pour une éthique de la démocratie », in Mélanges à Jeanneau Benoit, Les mutations
contemporaines du droit public, Dalloz, 2002, pp. 399-400.
27
LAUVAUX (Ph.) et LE DIVELLEC (A.), Les grandes démocraties contemporaines, 4e édition mise à jour,
P.U.F., Paris, 2015, p. 14.
28
GUIMDO DONGMO (R.-B.), op. cit., p. 162.

242
directement, soit par l’intermédiaire des représentants choisis par elles par la voie élective
»29.
Pour ce qui est du « Parlement », il s’agit d’un concept à caractère immuable. Pour
preuve, dans le discours des années 1100, il a successivement désigné une « conversation 30»
et une « assemblée délibérante »31. Il est donc par essence un « sanctuaire de la parole »32.
Or, pour une certaine franche de la doctrine publiciste contemporaine, le Parlement est
la principale institution publique qui représente toutes les couches de la société 33 et dont le
rôle essentiel n’est plus de légiférer, mais de porter une appréciation éclairée sur les
conditions mêmes de mise en œuvre des politiques déterminées par le gouvernement34. Si
donc en droit interne, le Parlement est le « nom donné à l’assemblée ou aux assemblées
délibérantes de l’Etat, issues au moins partiellement de l’élection, et ayant pour mission
principale de voter les lois et le budget souvent aussi de contrôler les ministres »35, en droit
des communautés européennes par contre, il désigne une « institution non dotée du pouvoir
législatif »36. Au regard de ce qui précède, nous retenons dans le cadre de cette étude que le
Parlement désigne une « assemblée à caractère non représentatif et non encore dotée du
pouvoir législatif dont ses membres sont désignés par l’Organe législatif de chaque Etat
membre »37.
Enfin, l’expression « Organisation d’intégration économique » s’appréhende dans le
cadre de ce travail comme une association d’Etats d’une région donnée établie sur la base
d’un accord instituant un appareil permanent d’organes à qui des compétences ont été
transférées38en vue de réaliser « le fédéralisme économique dans lequel la création d’un
marché unique entre Etats membres exige une véritable harmonisation de l’ensemble des
conditions de la production et de la circulation des personnes, des biens et des services »39.
Ainsi, elle constitue le relais de la mondialisation à l’échelle globale et tend à en devenir des
acteurs privilégiés au détriment des Etats40.
Au demeurant, le choix de la CEMAC comme cadre d’étude s’explique par le fait que
dans cette zone, « la citoyenneté est une construction inachevée »41. Or, en tant qu’ « un jalon

29
C’est nous qui le disons.
30
Lire BARANGER (D.), Le parlementarisme des origines : essai sur les conditions de formation d’un exécutif
responsable en Angleterre (des années 1740 au début de l’âge victorien), PUF, coll. Léviathan, Paris, 2002, 436
p.
31
Sur la question lire De VILLIERS (M.) et Le DIVELLEC (A.), Dictionnaire du droit constitutionnel, 9ème éd.,
Sirey, Paris, 2013, p. 116 ; AVRIL (P.) et GICQUEL (J.), Le droit parlementaire, 3e éd., Monchrestien, EJA,
Paris, 2004, p. 1.
32
ABELES (M.), Un ethnologue à l’assemblée, Paris, 2000, p. 267.
33
MOINDZE (M.), « Le Parlement et le processus budgétaire dans les pays en développement », s. éd, juillet
2011, p. 3.
34
VANDENDRIESSCHE (X.), « Le Parlement entre déclin et modernité », revue Pouvoirs, 2001/4 n°99, pp.
59-70.
35
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, 8ème éd., Paris, PUF/Association Henri Capitant, 2000, p. 616.
36
Ibid.
37
C’est nous qui le disons.
38
ZOGBELEMOU (T.), op. cit., p. 40.
39
CARREAU (D.) et JUILLARD (P.), Droit international économique, 3e éd., Précis Dalloz, Paris, 2007, p. 27.
40
Informations disponibles en ligne sur le site suivant : www.vie-publique.fr, consulté le 05/02/2024, 04 :20.
41
EFFAGUE (S.-D.), « La citoyenneté communautaire dans l’espace juridique de la CEMAC », Afrilex, 2024, p.
3.

243
essentiel pour la participation de tous »42, la citoyenneté43 se présente dans nos démocraties
comme le principe de la légitimité politique44. Le citoyen communautaire n’est pas seulement
un individu doté de droits lui permettant de faire valoir ses prérogatives sociales et politiques.
Il est titulaire en sus d’une part de la souveraineté politique. L’ensemble des citoyens
communautaires constitue la communauté politique. C’est au nom de cet ensemble que les
Députés au Parlement communautaire ont un titre à gouverner. Et c’est cet ensemble qui est
censé les choisir, contrôler leur action et les sanctionner.
De ce qui précède, on peut alors se poser la question suivante : à partir du cas de la
CEMAC, peut-on dire que la démocratie est suffisamment ancrée dans des Parlements des
organisations d’intégration économique en Afrique? Une telle question revêt un double
intérêt : théorique et pratique. Au plan théorique, la présente étude permet de passer au peigne
fin l’état de la doctrine communautariste en rapport avec la question démocratique au sein des
organes et institutions des organisations d’intégration économique en Afrique. Au plan
pratique, elle permet d’inscrire la problématique de la démocratie à l’échelle supranationale
au cœur de la conscience des citoyens communautaires « qui ne laissent plus faire et ne se
laissent plus faire » 45, comme d’ailleurs en attestent un certains éléments d’actualité46.
La réponse à la question fondamentale susvisée a nécessité le recours, tant à la méthode
exégétique qu’à la méthode inductive. La première a permis d’interpréter et de comprendre
les textes de base47 qui fondent les organisations d’intégration économique en Afrique certes,
mais davantage ceux qui régissent les Parlements communautaires. La seconde a plutôt
permis d’avoir une idée globale du degré d’implantation voire de fixation de la démocratie
dans les Parlements des Organisations d’intégration économique en Afrique à partir de celui
de la CEMAC.
Cette démarche méthodologique a conduit à constater que la démocratie est faiblement
ancrée au sein desdits Parlements. Cet état de chose se traduit aussi bien par une légitimité
parlementaire introuvable (I) que, par une représentativité imparfaite du Parlement
Communautaire de la CEMAC (II)

I- UNE LEGITIMITE PARLEMENTAIRE INTROUVABLE

Le principe démocratique suppose que la source de tout pouvoir, le fondement de toute


autorité réside dans la collectivité des citoyens48: « Il n’y a de pouvoir légitime qu’émanant du

42
PITSEYS (J.), « Démocratie et citoyenneté », in Dossiers du CRISP, N°88, 2017/1, pp. 9-113, disponible en
ligne sur le site suivant : www.cairn.info, consulté le 7 mars 2024, 22 :01.
43
Elle désigne le « statut juridique, politique et social permettant à un individu d’être reconnu comme membre
d’une communauté politique et de participer à la vie politique de celle-ci » (Ibid.)
44
Ibid.
45
GUIMDO DONGMO (R.-B.), op.cit., p. 164.
46
Notamment au Gabon et au Tchad pour ne citer que ces cas.
47
Sur cette question notamment, lire NGUENA DJOUFACK (A.-L.), « Le droit international public et les
processus d’intégration en Afrique occidentale et centrale », Revue du Droit public, N°6, 2022, p. 1728.
48
S’il existe une citoyenneté de l’Union, le droit communautaire ne prévoit pas de système d’attribution de celle-
ci au niveau communautaire. Selon le prescrit de l’article 17 CE notamment, la citoyenneté découle
automatiquement de la jouissance de la nationalité d’un Etat membre. Le traité d’Amsterdam précise que cette

244
peuple (…)»49. En effet, comme le souligne Lionel JOSPIN : « Le peuple est un principe de la
démocratie. Il est le fondement de la légitimité politique, il se fait entendre à l’occasion des
élections intermédiaires et tranche souverainement au terme des mandats nationaux »50. Le
« traité-constitution, ou à portée constitutionnelle »51 de la CEMAC52 et la Convention
régissant le Parlement Communautaire du 25 juin 2008, font de ce dernier une condition
essentielle de l’exercice de la représentation politique. Paradoxalement, c’est de manière
aristocratique que s’opère la sélection des Députés au Parlement Communautaire de la
CEMAC (A), puisque ces derniers ne sont toujours pas élus sur la base du suffrage universel
direct53. Par ailleurs, l’on observe une minoration par les textes des compétences des membres
du Parlement (B) parce qu’ils ne sont pas « porteur de la légitimité que leur confère
l’élection »54.

A- Une sélection aristocratique des Députés au Parlement Communautaire

La question de la légitimité n’est vraiment pas nouvelle. « Qui t’a fait roi ? »,
demandait Adalbert de PERIGORD à Hugues CAPET55. « Qui t’a fait Député au Parlement
Communautaire de la CEMAC ? », pourrait-on dire de nos jours, comme en écho. A vrai dire,
la réponse paraît couler de source, puisque la légitimité procède en ligne directe, et même
exclusive, des élections libres et concurrentielles. C’est là « une caractéristique très
importante de la démocratie »56. Mais, de quelle démocratie parle-t-on au sein du Parlement
Communautaire de la CEMAC si tant est que, ses membres continuent d’être désignés par
l’Assemblée Nationale de chaque Etat membre (1) et le Député à la fonction présidentielle
investi par les plus hautes autorités de son Etat (2).

1. La désignation des Députés par l’Assemblée Nationale de chaque Etat membre


Selon le prescrit de l’article 32 de la Convention régissant le Parlement Communautaire
du 25 juin 2008 : « Dans l’attente de l’élection des Députés de la CEMAC au suffrage
universel direct et par dérogation aux articles 5 et 13 de la présente Convention : - les

citoyenneté « complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». (Voir JACQUE (J.-P.), Droit
institutionnel de l’Union européenne, 4e éd., Dalloz, 2006, p. 117.
49
CHEVALLIER (J.), « La crise de la démocratie : Mythe ou réalité ? », in Mélanges en l’honneur de
JEANNEAU (B.), Les mutations contemporaines du droit public, Dalloz, 2002, p. 362.
50
JOSPIN (L.), in Le monde comme je le vois, 2005. En ligne sur: www.toupie.org, consulté le 8/02/2024,
07 :43.
51
MARTINEZ LUIZ (L.-F.), « De la force obligatoire des traités dans l’ordre juridique interne. Des conflits
entre dispositions conventionnelles et dispositions législatives internes », RGD, vol., 3, N°1, 1972, p. 107.
52
Voir par exemple, le paragraphe sixième du traité du 16 mars 1994 et le paragraphe troisième du Traité révisé
de la CEMAC du 25 juin 2008.
53
Art. 32 de la Convention régissant le Parlement communautaire de la CEMAC du 25 juin 2008 et l’article 31
du Traité portant création du Parlement de l’Union économique et monétaire ouest africaine du 29 janvier 2003.
54
DELPEREE (F.), « La légitimité parlementaire aujourd’hui », in Biblioteca Juridica Virtual del Instituto de
Investigaciones Juridicas de la UNAM, 2016, pp. 163-172. Article accessible en ligne à l’adresse suivante :
https://www.juridicas.unam.mx, consulté le 8/02/2024, 02 :03.
55
Id., p. 165.
56
SOMALI (K.), Le parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Essai d’analyse comparée à
partir des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo. Thèse. Droit public en vue de l’obtention du
doctorat, nouveau régime, spécialité droit constitutionnel, Université Lille 2-Droit et Santé, Ecole doctorale
N°74, Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales, 27 mai 2008, p. 26.

245
Députés au Parlement sont désignés par l’Assemblée nationale de chaque Etat membre… ».
Sur ce postulat, on peut dire que les députés nationaux sont investis d’un pouvoir
discrétionnaire de désignation en leur sein des membres au Parlement Communautaire. Ce qui
emmène à présenter cette assemblée parlementaire supranationale comme une « chambre
aristocratique »57du temps des monarchies constitutionnelles, où les membres de la chambre
haute étaient héréditaires ou nommés par le roi58. Il faut dès lors préciser que la désignation
est un mode de recrutement dérogatoire. Il a d’abord existé en Europe59, avant d’être ensuite
incorporé dans les ordres juridiques communautaires africains60.
Bien que le juge communautaire ne puisse exercer un contrôle sur l’organisation interne
de la désignation des Députés au Parlement communautaire61, la désignation des Députés au
Parlement Communautaire de la CEMAC obéit tant aux conditions dites substantielles que
procédurales.
Au rang des « formalités substantielles » requises, d’abord « le respect la configuration
politique de chaque Assemblée Nationale »62. Celle-ci, intègre pour son appréhension aussi
bien l’approche multipartite63 qui demeure un « pilier indispensable de la gouvernance
démocratique »64 et genre65, que des critères linguistiques66 et d’obédience religieuse. C’est
sans conteste un principe directeur d’attribution des places soit de façon égalitaire 67 bien

57
BURDEAU (G.), HAMON (F.) et TROPER (M.), Manuel de Droit constitutionnel, 24e éd., LGDJ, EJA, 1995,
Paris, p. 131.
58
Ibid.
59
L’article 138 du traité CEE, dans sa version initiale, prévoyait que l’Assemblée serait composée de
représentants désignés en leur sein par les Parlements nationaux.
60
A titre d’illustration, art. 7, A/P2/8/94 Protocole relative au Parlement de la CEDEAO, art. 31 du traité portant
création du Parlement de l’UEMOA, art. 50 du traité pour l’établissement de la Communauté d’Afrique de l’Est,
tel que modifié en date du 14 décembre 2006 et du 20 août 2007, art. 4 et 5de l’Acte constitutif de l’Union
Africaine relatif au Parlement Panafricain et l’article 32 de la Convention régissant le Parlement de la CEMAC.
61
Voir décision du juge UEMOA dans l’affaire Adamou Moumouni Djermakoye c/.Comité Interparlementaire
de l’UEMOA du 27 mars 2002. Sur les faits de l’espèce : « Adamou Moumouni DJERMAKOYE, ressortissant du
Niger était député du CIP-UEMOA en 1997 ? Après la dissolution de l’Assemblée Nationale du Niger en 1998, il
a été réélu député en décembre 1999. Estimant qu’il devait être reconduit dans ses fonctions de député du CIP-
UEMOA, il a saisi de sa demande le Président du VIP-UEMOA qui l’a invité en 2001 à s’adresser à
l’Assemblée Nationale du Niger, ce qu’il fit en décembre 2001 sans succès, d’où la saisine de la CJ-UEMOA en
2001 ».
62
Art. 4(3) du Règlement intérieur du Parlement de la CEMAC.
63
Selon cette approche, il faut former les délégations parlementaires voire les groupes d’amitié avec les Députés
issus de chaque parti politique représenté au sein desdites chambres.
64
MOUICHE (I.), « La gouvernance électorale et la consolidation démocratique en Afrique : défis et
perspectives », R.A.D.E.P.S., N°1/2015, Université de Yaoundé II, L’Harmattan, 2015, p. 7.
65
Bien que les textes régissant les parlements de la CEMAC et de l’UEMOA sont silencieux en la matière, il
constitue une condition sine qua none de la constitution d’une délégation parlementaire au Parlement Panafricain
ainsi que l’indique l’article 4 (2) et (3) du Protocole à l’Acte constitutif de l’Union Africaine relatif au Parlement
panafricain qui prévoit que : « 2. La représentation au Parlement panafricain doit comprendre cinq (5) membres
élus par chaque Etat partie. Sur la question du genre lire SOBZE (S.-F.), « Le genre en droit constitutionnel :
Réflexion sur un objet du constitutionnalisme africain », RADP, vol. XI, N° 28, spécial 2022, pp. 7-49.
3. Au moins deux (2) des membres élus doivent être des femmes. La délégation qui ne répond pas à cette
condition n’aura pas droit d’être accréditée pour représentation au Parlement ».
66
Voir par exemple l’art. 59 du traité révisé de la CEMAC qui dispose en effet que : « Les langues de travail de
la Communauté sont le français, l’anglais, l’espagnol et l’arabe ». Or à l’UEMOA, selon le prescrit de l’article
105 du Traité révisé du 29 janvier 2003, « la langue de travail de l’Union est le français (…) ».
67
Cf. Art. 4 (1) du traité instituant le Parlement panafricain.

246
qu’« une égalité absolue est contraire à la notion de représentativité »68 soit de façon
proportionnelle au sein des délégations parlementaires. C’est en effet cette dernière modalité
qui est retenue pour la répartition des places au sein des délégations parlementaires formées
en zone CEMAC. Rien de surprenant en tout cas dans la mesure où, « l’idée
proportionnaliste s’insère dans l’idéologie de la démocratie (…) »69. Ensuite, « la
justification de la qualité de député national du membre au Parlement Communautaire ».
Dans le contexte camerounais et centrafricain par exemple, il s’agit du Député dont le mandat
a été validé par l’ « Assemblée Nationale, seule juge de l’éligibilité de ses membres après la
proclamation des résultats des élections législatives par le Conseil constitutionnel » 70.
Pour ce qui est des « exigences procédurales », il faut d’ores et déjà dire que la
désignation est mise en œuvre par l’Assemblée Nationale de chaque Etat membre de la
CEMAC71. En effet, en tant qu’« incarnation démocratique de la nation »72 voire « organe
privilégié de la représentation de la nation »73, l’Assemblée Nationale préside aux destinées
du peuple. Alors, retenir la prérogative de l’Assemblée Nationale en la matière, revient à
attribuer cette compétence au bureau74 et aux groupes parlementaires de l’Assemblée
Nationale comme cela a cours en République du Gabon75. En outre, en dépit du silence du
droit des organisations d’intégration économique au sujet des mécanismes de désignation, la
pratique parlementaire au sein des Etats membres de la Communauté est édifiante. En effet,
ces derniers optent librement soit pour la concertation76 soit pour la consultation77 pour
désigner les membres au Parlement Communautaire.
In fine, avant de passer au peigne fin l’investiture du Député à la fonction présidentielle,
il importe de préciser que la désignation est une élection « à deux (…) degrés »78 qui
véritablement, ne permet pas au Parlement Communautaire d’acquérir une notoriété avivée si
tant est que, la démocratie est : « Le régime politique où ni un individu ni un groupe ne

68
VALLEE (C.), Le droit des Communautés européennes, Que sais-je ? 2e édition, PUF, 1983, p. 43.
69
KELSEN (H.), La démocratie, sa nature, sa valeur, trad. EISENMANN, 1932, cité par ZARKA (J.-C.), Les
systèmes électoraux, Ellipses, Paris, 1996, p. 22.
70
Art. 3 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale du Gabon.
71
Article 32, premier paragraphe de la Convention régissant le Parlement communautaire du 25 juin 2008.
72
FOILLARD (Ph.), Droit constitutionnel et institutions politiques, 20e éd., Larcier, Paris, 2014, p. 275.
73
AVAREZ (B.), « Faut-il allonger les sessions parlementaires ? », RDP, 1994, p. 1454.
74
Au Cameroun par exemple, aux termes de l’article 11 (1) Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, le
Bureau est composé de 24 membres dont les 9/10 e de sa composante sont élus par l’Assemblée plénière selon
les termes de l’article 12 dudit Règlement.
75
Cf. Art. 20, 25 du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale du Gabon.
76
Au Cameroun notamment, l’examen des procès-verbaux de réunions du Bureau de l’Assemblée Nationale
renseigne sur le choix de la concertation. L’emploi récurrent par le Président de cet organe collégial de certaines
expressions du genre : « Je proposerai à l’appréciation des membres du Bureau… » ; « C’est pour nous
entendre… » ; « Je propose… » ; « Que vous puissiez donner votre point de vue… », etc. Ces expressions
attestent que la concertation est le mécanisme de prise de décision au sein du Bureau de l’Assemblée Nationale
du Cameroun. Même son de cloche au Gabon : « Le Président de l’Assemblée Nationale, après concertation
avec les présidents des différents groupes parlementaires, désigne les membres des organismes nationaux et des
sections locales des institutions interparlementaires auxquelles l’Assemblée Nationale est affiliée » (Art. 38 (1)
du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale du Gabon).
77
Conformément aux prescrit de l’article 169 du Règlement intérieur de l’Assemblé Nationale de la République
Démocratique du Congo, « Le Président de l’Assemblée Nationale, par voie de décision, définit, après
consultation de la plénière, les modalités d’organisation et de fonctionnement des groupes d’amitié ».
78
ARDANT (Ph.) et MATHIEU (B.), Institutions politiques et droit constitutionnel, 20e Paris, LGDJ, 2008, p.
198.

247
s’approprie le pouvoir, ses titulaires sont désignés par le peuple, par voie d’élections
périodiques et sont contrôlés par lui »79. A la rigueur, pour reprendre Jacques CHIRAC :
« Nous avons besoin de députés qui soient vraiment élus par leurs électeurs (…)80 » et, « seul
le corps législatif élu pouvait être qualifié de représentant »81.

2. L’investiture du Député à la fonction présidentielle


D’après Gérard CORNU, l’investiture peut renvoyer à « la décision d’une formation
politique par laquelle celle-ci désigne son candidat en vue d’une élection »82. Déjà sous la IVe
République en France, on l’appréhendait comme le vote par lequel l’Assemblée nationale
accordait sa confiance à un candidat à la présidence du Conseil et permettait ainsi sa
nomination83. Mais de cet éclairage fait sur l’investiture, il ressort une attention particulière
accordée à son caractère dictatorial, caporaliste voire despotique. Cela ressort en filigrane
dans cette déclaration de l’Honorable Hilarion ETONG député du Rassemblement
Démocratique du Peuple Camerounais (« RDPC »), parti au pouvoir au Cameroun et par
ailleurs Vice-président de l’Assemblée Nationale après son élection comme Président du
Parlement de la CEMAC: « (…) Je voudrais réserver mes premiers mots à son Excellence
Monsieur Paul Biya (…) Depuis 1992, il a bien voulu m’accorder son investiture et la très
haute confiance pour être député à l’Assemblée nationale du Cameroun (…) il m’a donné la
possibilité entre autres de conduire la délégation des parlementaires camerounais à la
CEMAC depuis cette époque-là et aujourd’hui, il m’a accordé son investiture pour me
permettre d’être élu à la présidence du parlement de la CEMAC (...)»84.
Au chapitre des plus hautes autorités du pays qui accordent leur investiture au Député à
la fonction présidentielle du Parlement de la CEMAC, l’Honorable Hilarion ETONG, cite le
Président de l’Assemblée Nationale du Cameroun notamment, en la personne de Monsieur
CAVAYE YEGUIE Djibril, lui-même membre du RDPC85 pour avoir rendu son élection
possible, en inscrivant son dossier de candidature dans son agenda et en suivant ses missions à
Malabo (Guinée Equatoriale)86, siège du Parlement de la CEMAC87. Au demeurant, cette

79
Ibid., p. 145.
80
CHIRAC (J.), L’express, 22 mars 1985, cité par ZARKA (J.-C.), op.cit., p. 65.
81
ROBESPIERRE et ROEDERER cité par BURDEAU (G.), HAMON (F.) et TROPER (M.), Droit
constitutionnel, 24e éd., LGDJ, EJA, Paris, 1995, p. 176.
82
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 2e édition revue et augmentée, PUF, 1990,
p. 444.
83
Art. 45 (a) de la Constitution française de 1946.
84
Interview disponible en ligne à l’adresse internet suivante : https://www.ocamer.org, consulté le 18 septembre
2023, 08 :55.
85
Le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC, en anglais : « Cameroon People’s
Democratic Movement, CPDM) est le parti au pouvoir du Cameroun. Son ancien nom (1960-1984) était « Union
Nationale Camerounaise », ancien parti unique fondé par Ahmadou Ahidjo, ancien Président de la République
du Cameroun, qui a dominé la vie politique camerounaise depuis l’indépendance en 1960. Il est fondé le 24 mars
1985 et a pour emblème une flamme ardente sur fond bleu. L’objectif fondamental de cette organisation
politique de masse est de travailler à l’avènement d’une nation camerounaise rénovée, fondée sur les principes de
rigueur, de moralisation, sur la liberté et la démocratie, pour assurer le plein épanouissement des populations.
86
Interview disponible en ligne à l’adresse internet suivante : https://www.ocamer.org, consulté le 18 septembre
2023, 08 :55.
87
Art. 3 de la Convention régissant le Parlement Communautaire du 25 juin 2008.

248
« désignation par le sommet »88 est une constance au sein de chaque Etat membre de la
CEMAC. Seulement, il faut dire que son élection à la tête de cette institution répond aux
dispositions de l’article 41 (3) du Règlement intérieur du Parlement Communautaire 89 ; ainsi
qu’aux dispositions combinées des articles 14 du traité révisé de la CEMAC et 32 (3) de la
Convention régissant le Parlement communautaire de Yaoundé du 25 juin 2008 qui précise en
effet que : « La présidence du Parlement de la CEMAC est exercée par un député
ressortissant de l’Etat qui assure la Présidence de la Conférence des chefs d’Etat ».
Seulement, ce « choix stratégique du chef »90 n’est pas sans effets. D’abord,
l’investiture se rapporte au « copinage »91. En règle générale, les dirigeants des partis
politiques investissent le plus souvent leurs amis, copains, membres de leurs familles, des
personnes qu’ils considèrent, des membres éminents voire des hautes personnalités qui ont
exercé de hautes fonctions d’Etat92. C’est donc dire qu’« on n’y arrive pas par hasard. On
n’y arrive pas parce qu’on est compétent (…) à la présidence du Parlement de la CEMAC.
On y arrive parce que les plus hautes autorités du pays vous accordent leur investiture » 93.
Malheureusement, ces derniers ignorent parfois les réalités des populations des Etats membres
de la Communauté en raison de leurs lourdes responsabilités qui, parfois, les empêchent d’être
proches d’elles. Ainsi, on ne peut s’empêcher de dire que : « L’investiture est un procédé
moins démocratique et généralement attire les déchirements au sein du parti »94. Bien plus,
de ce qui précède, un candidat à la fonction présidentielle qui n’a pas été investi par les plus
hautes autorités de son pays peut-il saisir le juge national ou communautaire pour contester sa
non investiture ? Assurément non. En effet, les juges national et communautaire ne disposent
d’aucunes compétences en la matière95. Dans cet ordre d’idées, il faut souligner que les

88
TOBE A MOUNYOKON (J.), La candidature en droit électoral camerounais, Thèse de Doctorat droit public,
Université de Yaoundé II, 2020, p. 68.
89
« En application des dispositions combinées des articles 14 et 32 (3 ème tiret) du Traité révisé et de la
Convention régissant le Parlement Communautaire, une session extraordinaire est convoquée dans un délai de
trente (30) jours suivant la tenue de la Conférence des Chefs d’Etat de la CEMAC, à l’effet de procéder à
l’élection du nouveau Président du Parlement Communautaire (RI du 09 mars 2011) ».
90
FAME NDONGO (J.), « Investiture ne veut pas dire dictature », 8/07/2013, article disponible en ligne sur le
site suivant : www.Journal.rdpcpdm.cm, consulté le 8/2/2024, 6 :14.
91
TOBE A MOUNYOKON (J.), op. cit., p. 69.
92
Nous pouvons entre autres à l’honorable MBAH NDAM Joseph de regretté mémoire qui était vice-président
de l’Assemblée Nationale du Cameroun ; l’honorable Santiago NSOBEYA EFUMAN NCHAMA, ancien
Ministre et qui était premier vice-président de la CAMARA (Chambre des Représentants du Peuple de Guinée
Equatoriale) ; Evariste NGAMANA, vice-président de l’Assemblée nationale de la République centrafricaine ;
Vincent MAVOUNGOU BOUYOU qui a occupé plusieurs hautes fonctions dont celles de directeur général du
cabinet civil de la Présidence de la République, Maire de la ville de Lambarémé dont il est originaire, vice-
président de la commission des affaires sociales et culturelles, professeur à l’école d’administration du Gabon
(ENA) et à l’Université Oumar Bongo. Informations disponibles sur le site internet suivant :
www.bdpmodwoam.fr, consulté le 21/09/2023 à 20 :40.
93
Cette interview est disponible en ligne à l’adresse internet suivante : https://www.ocamer.org, consulté le 18
septembre 2023 à 08 :55.
94
TOBE A MOUNYOKON (J.), op. cit., p. 70.
95
Par exemple au Cameroun, nous avons la Décision n°1/CE/CC/ 2018, du 15 mars 2018, affaire Sarki
Laminec/. Elections Cameroon et Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). En l’espèce,
le requérant avait saisi le Conseil constitutionnel pour sa non investiture par le parti RDPC. En fait, sieur SARKI
Lamine était sénateur sortant de la région de l’Adamaoua. Contre toute attente, il ne s’est pas vu de nouveau
investi par son parti qui avait par la même occasion reconduit tous ses compères de la liste, excepté lui. Pour
dont être rétabli dans ce qu’il croyait être son droit, il saisira le Conseil Constitutionnel. Malheureusement pour
lui, sa requête ne va pas prospérer pour la simple raison qu’à la lecture de l’article 129 du Code électoral

249
organes de contrôle politique créés au sein des O.I.E., en Afrique sont pour emprunter à la
terminologie d’Olivier Beau des « commissions d’intérêts privés »96. C’est ce qui pourrait
expliquer la minoration textuelle de leurs compétences.

B- Une minoration textuelle des compétences des Députés au Parlement

L’absence actuelle des élections des Députés au Parlement Communautaire sur la base
du suffrage universel direct, ne garantit pas la légitimité fonctionnelle aux membres siégeant
en ce moment au Parlement de la CEMAC. Pourtant, selon Francis DELPEREE : « l’élection
confère une fonction déterminée »97. A la lecture de l’article 47 du Traité révisé de la CEMAC
du 25 juin 2008, il ressort très clairement que, « le Parlement Communautaire (…) légifère
par voie de directives. Il est chargé du contrôle démocratique des Institutions, Organes et
Institutions Spécialisées de la Communauté participant au processus décisionnel de la
Communauté (…) ».
Seulement, une lecture combinée et minutieuse des traités survenus ultérieurement qui
ont modifié et/ou complété les traités originaires98 de la CEMAC avec la Convention
régissant le Parlement Communautaire permet de faire simultanément le constat d’une
fonction de contrôle démocratique fragilisée (1) et la participation infime du Parlement
Communautaire au processus décisionnel (2).

1. Une fonction de contrôle démocratique fragilisée


En 1964, Michel AMELLER estimait que : « C’est à l’étendue de leurs moyens de
contrôle que se mesure aujourd’hui la force des assemblées parlementaires »99. Toutefois,
dans le contexte de la CEMAC, on ne peut à proprement pas se laisser aller à de belles
espérance pour le Parlement Communautaire après l’adoption en juin 2008 de la Convention
la régissant. Pourtant, par le contrôle, le Parlement peut montrer que, loin de toujours faire
prévaloir des considérations d’ordre politique, il participe aussi au respect des strictes
exigences de l’Etat de droit100. Pierre AVRIL dira d’ailleurs que, c’est une nécessité, car « le
contrôle parlementaire est l’un des piliers de l’Etat de droit »101. Les organes
communautaires doivent demeurer sous le regard des citoyens de la Communauté pour éviter
la dictature du guichet dénoncée par Péguy en son temps102.

camerounais, le juge électoral n’est pas juge des affaires internes des partis politiques. Lesquels partis et
associations sont libres dans leur gestion et fonctionnement.
96
BEAU (O.), « Reprasentation » et « stellvertretung » : sur une distinction de Carl Schmitt », in Droits, Revue
Française de Théorie Juridique, N°6, 1985, p. 17.
97
DELPEREE (F.), op. cit., p. 171.
98
LECLERC (S.), Droit de l’Union européenne. Sources-caractères-contentieux, Mémentos LMD, 2e éd.,
Lextenso, 2011, p. 22.
99
AMELLER (M.), Les questions, instruments du contrôle parlementaire, LGDJ, 1964, p. 9.
100
THIERS (E.), « Le contrôle parlementaire et ses limites juridiques : un pouvoir presque sans entraves »,
Pouvoirs, n°134, 2010, p. 72.
101
Cité par THIERS (E.), op.cit., p. 71.
102
Ibid.

250
De fait, la fonction de contrôle a un caractère englobant 103. Elle rend effective la
mission de représentation du Parlement en permettant de vérifier que les organes
communautaires agissent conformément aux objectifs qui lui sont assignés par l’ensemble des
populations des Etats membres de la Communauté. Mais ce contrôle démocratique demeure
fragilisé. Deux raisons permettent en effet de le justifier à la lumière de la Convention du 25
juin 2008 régissant le Parlement Communautaire: D’une part, le contrôle démocratique
s’exerce tour à tour sur la Commission de la CEMAC, le Conseil des Ministres de l’UEAC et
le Comité Ministériel de l’UMAC, sur les Institutions Spécialisées de la CEMAC listées par
un Acte Additionnel de la Conférence des Chefs d’Etat (« CCE ») adopté le 14 décembre
2000. Au rang des Institutions Spécialisées de la CEMAC nous pouvons citer : celles de
l’UEAC104 et celles de l’UMAC105.
Un éventail de moyens de contrôle existe : les auditions106, les débats sur le programme
d’actions de la Commission107, l’examen du rapport général sur le fonctionnement et
l’évolution de la Communauté108, l’appréciation du processus décisionnel au sein de la
Commission109, les questions écrites ou orales, etc. Sauf que le contrôle démocratique ne
s’exerce pas sur la Conférence des Chefs d’Etat de la CEMAC. Cet état de chose atteste à
suffire de « l’incomplétude de l’aménagement juridique du contrôle politique et d’une
restriction du contrôle démocratique »110.
D’autre part, le rétrécissement qui s’opère au niveau de la prise des décisions en matière
de contrôle démocratique est indicatif de la fragilisation dudit contrôle. Pour preuve, le
Parlement dans le cadre de l’exercice de ce contrôle exprime ses vues sous forme de
résolutions, c’est-à-dire « une motion votée par l’une seulement des deux chambres et non
promulguée, à condition qu’elle ne soit pas une simple mesure d’application du règlement
intérieur »111 ou de rapports112 qui sont en effet des « actes non législatifs des
Parlements »113. A ce titre, ils sont non contraignants, sans portée générale et sans force
exécutoire puisqu’ils ne créent pas d’obligations juridiques114. Ils sont publiés au Bulletin
Officiel de la Communauté115. Hormis le fait que le contrôle démocratique des activités

103
Ibid., p. 72.
104
Nous pouvons donc citer : l’Institut sous régional multisectoriel de technologie appliquée, de planification et
d’évaluation de projets (ISTA), l’école Inter-Etats des douanes (EIED), la Communauté Economique de Viandes
et de Ressources Halieutiques (CEBEVIRHA), etc.
105
La Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale (COSUMAF) et du Groupe
d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique Centrale (GABAC), la BEAC, la COBAC.
106
Cf. Art. 36 du Traité révisé de la CEMAC.
107
Cf. Art. 15 de la Convention régissant le Parlement Communautaire de la CEMAC.
108
Cf. Art. 16, ibidem.
109
Cf. Art. 28 du Traité révisé de la CEMAC.
110
TSAFFO (U.-G.-P.), Le contrôle politique des activités communautaires en Afrique noire francophone : les
cas de la CEMAC et de l’UEMOA. Thèse Droit public, spécialité : Droit International et Communautaire,
Université de Dschang, 2020-2021, p. 68.
111
NIQUEGE (S.), « Les résolutions parlementaires de l’article 34-1 de la Constitution », Revue Française de
Droit Constitutionnel, 2010/4 (n°84), pp. 865-890.
112
Art. 24 de la Convention régissant le Parlement Communautaire de la CEMAC.
113
TSAFFO (U.-G.-P.), op. cit., p. 72.
114
Art. 41 du Traité révisé de la CEMAC.
115
Art. 41 du Règlement Intérieur de la Commission Interparlementaire délibérée et adoptée le 21 juin 2000 à
Malabo (Guinée Equatoriale).

251
communautaires soit fragilisé, on s’aperçoit également d’une participation infime des Députés
au processus décisionnel.

2. Une participation infime des Députés au processus décisionnel


Les Députés ne sont pas au centre de l’activité législative au sein de la CEMAC. En
effet, ces derniers sont dépouillés du droit d’initiative pourtant important, puisqu’il est « un
droit institutionnel de proposer, un pouvoir juridique de proposition, indépendamment du sort
final qui sera réservé à l’objet proposé »116. D’après Eugène PIERRE, « le droit d’initiative
n’est pas moins important que le droit de vote, et l’histoire démontre que la politique fondée
sur la peur ou la haine des libertés publiques s’est toujours traduite par une restriction de
l’initiative parlementaire »117. En fait, en zone CEMAC, seule « la Commission dispose du
droit d’initiative en matière normative »118. Une telle initiative doit être perçue comme
« l’expression d’une politique arrêtée par elle dans la seule considération de l’intérêt
commun de l’ensemble de la Communauté »119. Seulement, aucune initiative de cette dernière
ne peut porter sur les matières non définies par les Traités et textes subséquents à peine
d’irrecevabilité120.
Les titulaires de ce droit peuvent être soit son Président121, le vice-président qui le
seconde en cas d’absence ou d’empêchement122 et, les autres membres de la Commission
parce qu’ils sont investis d’une « responsabilité particulière pour un ou plusieurs des grands
secteurs d’activité de la Communauté »123 et agissent de façon collégiale124.
En tout état de cause, les Députés au Parlement de la CEMAC ne décide ni seul, ni
conjointement125. En réalité, on ne peut être que sceptique au sujet de la volonté des
rédacteurs de la Convention du 25 juin 2008 de conférer au Parlement de la CEMAC ce droit
d’initiative. Pour preuve, alors que le Traité révisé du 25 juin 2008 en son article 47 (1)
prévoit que le Parlement de la CEMAC : « (…) légifère par voie de directives », la
Convention régissant la même institution de contrôle politique adoptée la même année,
indique de façon curieuse en son article 26 que : « Dans le cadre de la participation au
processus décisionnel, le Parlement exprime ses vues sous forme de recommandations, d’avis
simples ou conformes ou de propositions d’amendements ». Soulignons avec Samuel-Jacques
PRISO ESSAWE que les « directives » qui représentent selon la formule de Guy ISAAC,

116
OLINGA (A.-D.), La Constitution de la République du Cameroun, Les Presses de l’Université Catholique de
l’Afrique Centrale, Yaoundé, 2006, p. 128.
117
EUGENE (P.), Traité de droit politique, Electoral et Parlementaire, les 2 tomes, Ed., Loysel, Presses de
l’imprimerie CHIRAT, novembre 1989, n°58, p. 63.
118
Article 82 (1) de la Convention régissant l’Union Economique de l’Afrique Centrale (« UEAC »), révisée à
Yaoundé le 25 juin 2005.
119
ISAAC (G.), Droit communautaire général, 5e éd., Armand-Colin, Paris, 1983, 1996, p. 62.
120
NANGA EBANGA (Y.), Les Parlements communautaires africains. Réflexion à partir du cas de la CEMAC,
Thèse Droit public, Université de Yaoundé II, 2020, p. 397.
121
Art. 85, Convention UEAC.
122
Art. 86, Convention UEAC.
123
VAN MIERT (K.), « La répartition des portefeuilles au sein de la Commission et le problème de la
collégialité », Mélanges Dehousse, 175, cité par ISAAC (G.), op.cit., p. 60.
124
Art. 76, Convention UEAC.
125
PRISO-ESSAWE (S.-J.), « Institutions parlementaires régionales en Afrique : une approche critique », Dans
La parlementarisation des processus d’intégration régionale, Presses universitaires de Rennes, 2020, p. 162.

252
« une méthode de législation à deux étages qui s’apparente à la technique de loi-cadre
complétée par des décrets d’application »126, n’ont pas la même appréhension que celles
définies par l’article 41 (3) du traité127, directives qui ne peuvent d’ailleurs être adoptées ,
selon l’article 40 (2), que par le Conseil des Ministres de l’UEAC128. Il est ainsi plus évident
que le Parlement Communautaire n’a de pouvoir décisionnel ni propre, ni partagé, si ce n’est
par le biais des amendements qu’il ne peut d’ailleurs proposer que sur le projet de budget 129
arrêté par le Conseil des Ministres130.
Au total, avant que le Parlement de la CEMAC n’acquiert un véritable pouvoir
législatif, « l’essentiel de la participation parlementaire à la décision est donc
consultatif »131, sous forme simple132 ou conforme133. Ainsi, le Parlement Communautaire n’a
qu’un rôle de collaborateur au processus décisionnel dans la sous-région. Il est tout à fait
incapable de répondre aux buts de la CEMAC, parce qu’il n’est pas investi du droit de
proposer directement les mesures que lui semble commander l’intérêt communautaire. Bien
plus, même à l’intérieur du Parlement la représentativité de l’ensemble de la population des
Etats membres de la Communauté demeure imparfaite.

II- UNE REPRESENTATIVITE IMPARFAITE DU PARLEMENT


COMMUNAUTAIRE DE LA CEMAC

« Pour être représentatif, le Parlement doit inclure tous les milieux et tous les groupes
sociaux ; sa composition doit refléter la diversité sociale dans ses opinions, ses
caractéristiques, ses intérêts (…) »134. Ainsi, dans le contexte de la CEMAC, les rédacteurs de
la Convention régissant le Parlement Communautaire du 25 juin 2008 sont d’ailleurs
« convaincus que le Parlement Communautaire, représentant de l’ensemble des populations
des Etats membres de la Communauté constitue un instrument de promotion de la
démocratie ». Mais, la qualité de représentant du Parlement Communautaire, attestée par la
Convention qui la régit135, n’a pas encore trouvé de traduction institutionnelle stable. Ceci en
raison aussi bien, d’une représentativité territoriale inappropriée (A) que, d’une
représentativité sociale dérisoire du Parlement Communautaire (B).

126
ISAAC (G.), op. cit., p. 127.
127
Aux termes de cet alinéa, « les directives lient tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre tout
en laissant aux instances nationales leur compétence en ce qui concerne la forme et les moyens ».
128
« Le Conseil des Ministres et le Comité Ministériel adoptent des règlements, règlements cadres, des
directives (…) ».
129
Art. 29, Convention régissant le Parlement de la CEMAC.
130
Conformément aux dispositions de l’article 28 de la Convention régissant le Parlement Communautaire de la
CEMAC du 25 juin 2008 : « Chaque année, la Commission transmet le projet de budget de la Communauté
arrêté par le Conseil des Ministres au Parlement, au plus tard trente (30) jours avant le début de la deuxième
session ordinaire visée à l’article 9 de la présente Convention ».
131
PRISO-ESSAWE (S.-J.), « Institutions parlementaires régionales en Afrique : une approche critique », Dans
La parlementarisation des processus d’intégration régionale, Presses universitaires de Rennes, 2020, p. 163.
132
Cf. Art. 25 (2), Convention régissant le Parlement Communautaire.
133
Cf. Art. 45, Convention ibidem.
134
TREMBLAY (M.) et PELLETIER (R.), « Les femmes et la représentation politique vues par des députés du
Québec. Recherches féministes », vol. 6, numéro 2, 1993, p. 92.
135
Cf. Quatrième paragraphe du Préambule de la Convention régissant le Parlement Communautaire.

253
A- Une représentativité territoriale inappropriée

D’après Bernard CHANTEBOUT136, c’est le territoire qui fixe le cadre à l’intérieur


duquel l’Etat exerce son pouvoir de commandement à titre exclusif. En tout état de cause,
attribut et garantie de l’idée de nation, le « territoire de l’Etat »137 est, par excellence, le
facteur de l’unité de la collectivité permettant de prendre conscience de soi par la
différenciation avec les communautés voisines138. Seulement, la composition du Parlement de
la CEMAC en termes de répartition géographique par rapport à la population représentée139
est inappropriée. Assurément, les autorités de la CEMAC ont fait le choix d’une répartition
égalitaire des sièges entre Etats membres (1). Il serait sans doute primordial d’opter pour une
répartition des sièges entre Etats membres sur une base proportionnelle dégressive (2) comme
cela a cours dans l’Union européenne.

1. Une représentativité fondée sur une répartition égalitaire des sièges entre Etats
membres
La configuration actuelle du Parlement Communautaire ne ressemble guère à celle
d’une assemblée représentative des Etats membres de la CEMAC, qui est pour certains une
« communauté micro régionale »140 qui a 29 millions d’habitants141. En effet, ce Parlement
n’est encore jusqu’à nos jours qu’un simple « Conseil législatif »142. Ainsi, il est
essentiellement constitué des membres désignés par l’Assemblée Nationale de chaque Etat
membre. En fait, chaque Assemblée Nationale désigne cinq (05) Députés143 soit trois (03) du
parti majoritaire et deux (02) de l’opposition144 parmi ses membres et, le Parlement
Communautaire est par conséquent constitué de trente (30) membres. C’est tout le sens de
l’article 32 de la Convention de 2008 qui stipule en effet que: « (…) - Les Députés au

136
CHANTEBOUT (B.), Droit constitutionnel et Science Politique, onzième édition mise à jour et enrichie,
Armand Colin, Editeur, Paris, 1991, 1994, p. 13.
137
BARBERIS (J.-A.), « Les liens juridiques entre l’Etat et son territoire : perspectives théoriques et évolution
du droit international », Annuaire Français de Droit International, XLV, 1999, n° 45, CNRS Ed. Paris, p. 132.
138
NANGA EBANGA (Y.), Les Parlements Communautaires africains. Réflexion à partir du cas de la CEMAC,
op.cit., p. 89.
139
COSTA (O.), Qui représentent les députés européens ? Socialisation et représentation territoriale au
Parlement européen, op.cit., p. 12.
140
L’action, n°252 du 11 au 17 décembre 2001, p. 7.
141
ALIYOU (S.), L’attitude des Etats de la CEMAC face au conflit de Bakassi et ses effets sur l’institution,
Mémoire DEA, Université de Dschang, 2008, en ligne sur le site suivant : www.memoireonline.com, consulté le
13 février 2024, 17 :05.
142
PIERRE (E.), Traité de Droit politique, Electoral et Parlementaire, Editions Loysel, Paris, 1989, p. 53. A la
réalité, il s’agit des « institutions non dotées du pouvoir législatif (…) mais principalement consultatif »
(CORNU (G.), Vocabulaire Juridique, 8ème éd., Paris, PUF/Association Henri CAPITANT, 2000, pp. 615-616).
Mais qui se comportent en « instances majeures de délibérations capables de proposer des stratégies concrètes
pour faire avancer pays et régions » (WAWERU NDINDIRI (S.), « Développements/Dimensions récents des
Parlements régionaux en Afrique : le Parlement panafricain et les Assemblées régionales, rôles et défis », in Inf.
Const. Parl.57 (2007), 194, p. 29.
143
Article 32, Convention régissant le Parlement Communautaire.
144
Voir GOMINA PAMPALI (L.), « Le Parlement Communautaire de la CEMAC et les enjeux de l’intégration
sous régionale en Afrique centrale : pouvoirs et limitent d’un Parlement dans une Communauté économique
régionale », Communication au Séminaire sous régional de sensibilisation au droit communautaire CEMAC,
N’Djamena du 07-12 février 2011, p. 8.

254
Parlement sont désignés par l’Assemblée nationale de chaque Etat membre ; - le nombre de
Députés est fixé à cinq (5) par Etat membre (…) ».
En clair, d’après les rédacteurs de ce texte, la proportion nationale est fixée selon une
règle égalitaire. Ainsi selon cette règle posée, les Etats les plus peuplés comme le Cameroun
et le Tchad, lesquels ont environ 25 millions d’habitants et ont la plus forte densité (20
habitants /km2)145, ont le même nombre de Députés au Parlement de la CEMAC que les pays
les moins peuplés comme la Guinée Equatoriale qui compte environ 1.014.999 d’habitants
répartit sur une superficie de 28.057 km2 ayant une densité de 36 habitants au km2 et, la
République Centrafricaine qui a quatre (4) millions d’habitants pour une superficie de
623.000km2.
Néanmoins, pour avoir un Parlement Communautaire qui représente effectivement les
citoyens de la communauté, il est capital que les Députés soient élus au suffrage universel
direct comme le prévoit les textes146. Il est également important que la Conférence des Chefs
d’État détermine par un Acte Additionnel après consultation du Parlement, la procédure de
cette élection147. Il en va de même pour le nombre de Députés qui mérite d’être vu à la hausse.
Dans ce sens, les États membres devraient avoir un nombre égal de Députés à la base et
pondéré à la hausse en fonction de la population de chaque État membre. Sur ce, l’exemple de
l’Union européenne qui depuis lors applique le principe de la répartition des sièges entre Etats
membres sur une base de proportionnalité dégressive peut être une source d’inspiration pour
les rédacteurs des textes de la CEMAC.

2. Une application nécessaire de la « proportionnelle dégressive » au sein de la


CEMAC
Il est presqu’urgent pour une meilleure représentativité des territoires au sein du
Parlement de la CEMAC, que soit appliqué le principe de la « proportionnelle dégressive »
lors de la répartition des sièges entre Etats membres. Le cas de l’Union européenne peut à cet
effet, inspirer les rédacteurs des textes de la CEMAC. Au demeurant, le Parlement européen
est composé de 751 députés représentant les citoyens de l’Union. Avec le Traité sur l’Union
européenne (« TUE »), signé à Maastricht en 1992, « la citoyenneté européenne est devenue
le symbole de la légitimité démocratique de l’Union et l’instrument politique d’une volonté de
rapprochement avec les nationaux des Etats membres »148.
En fait, le traité sur l’Union européenne prévoit que le nombre des députés ne peut
dépasser 750, plus le président149. La répartition du nombre de député par Etat membre suit le
principe de la « proportionnalité dégressive » qui prend en compte la population de chaque
Etat membre. D’après Jean-Paul JACQUE150, ce principe implique « une sur-représentation
des Etats les moins peuplés. Elle peut donc apparaître comme une compensation au choix fait
145
AWOUMOU COME (D.-G.), « Le Golfe de Guinée face aux convoitises », Yaoundé, septembre 2005,
disponible en ligne sur le site suivant : http://www.google.fr.search, consulté le 13/02/2024, 17 :23.
146
V. Art. 32, Convention régissant le Parlement Communautaire
147
Art.5, Convention ibidem.
148
JEAN (C.), « La citoyenneté européenne : signification et perspectives dans le cadre du traité d’Amsterdam
(Note) », Etudes internationales, Volume 28, numéro 4, 1997, p. 735.
149
Art. 14, TUE.
150
JACQUE (J.-P.), Cours Droit institutionnel de l’Union européenne, 4e éd., Dalloz, Paris, 2006, pp. 241-242.

255
en ce qui concerne le vote au Conseil d’un système fondé sur la population ». Il existe un
seuil minimum de six (6) députés par Etat, le seuil maximum de députés pour un Etat est fixé
à 96151.
La décision de répartition du nombre de députés par Etat est adoptée par le Conseil
européen à l’unanimité sur initiative du Parlement européen et avec son approbation. Rien de
surprenant en tout cas, puisque le Conseil de l’Union, composé de représentants des
gouvernements des Etats membres exerce, dans le cadre communautaire, le pouvoir législatif
et le pouvoir budgétaire, soit seul, soit avec le Parlement152. Il est le « titulaire du pouvoir
exécutif »153.
En fin de compte, afin de répondre au concept de « proportionnalité dégressive », Alain
LAMASSOURE et Adrian SEVERIN154 proposent d’appliquer à la répartition des sièges du
Parlement européen les principes de « solidarité »155, de « flexibilité justifiée »156 et de
« représentation nationale »157. Mais, il ne faut pas manquer de souligner que la
représentativité sociale dérisoire du Parlement Communautaire, vient davantage conforter
l’idée d’une « dévaluation du Parlement et de son prestige amoindri »158.

B- Une représentativité sociale dérisoire du Parlement Communautaire

La composition du Parlement Communautaire en termes de sexe, de catégorie


socioprofessionnelle ou de sensibilité politique par rapport à la population représentée
demeure dérisoire. Pourtant, les rédacteurs de la Convention régissant le Parlement de la
CEMAC de 2008 sont convaincus que cette institution est la représentante de l’ensemble des
populations des Etats membres de la Communauté159. Malheureusement, le constat qui est
fait, est celui d’une une crise de ce que Monsieur Bernard-Raymond GUIMDO DONGMO
qualifie de la « démocratie à visage humain »160. Cela est perceptible à travers non seulement
une sous-représentation politique des femmes (1), mais également d’une méconnaissance des
minorités (2) au sein des délégations parlementaires au Parlement de la CEMAC.

151
Art. 14, TUE.
152
JACQUE (J.-P.), op.cit., p. 275.
153
Ibid.
154
« Vers une nouvelle distribution des sièges au Parlement européen », article disponible en ligne sur le site
internet suivant : www.touteleurope.eu, consulté le 12 février 2024 à 09 :06.
155
Selon ledit principe, les Etats les plus peuplés acceptent d’être sous-représentés pour permettre une meilleure
représentation des Etats les moins peuplés.
156
Ce principe permet une légère modification du nombre de sièges afin de réduire les désaccords sur la
représentation entre Etats membres.
157
Il garantit que chaque Etat membre de l’Union dispose de suffisamment de sièges pour représenter tous les
courants politiques nationaux.
158
LASKI (H.-J.) et al., « L’évolution actuelle du régime représentatif, Lausanne/Genève, Payot, 1928 en ligne
sur : www.cairn.info, consulté le 17/11/2023, 10 :00.
159
Cf. Quatrième paragraphe du préambule de la Convention du 25 juin 2008 régissant le Parlement
Communautaire.
160
GUIMDO DONGMO (B.-R.), « Reconnaissance des minorités et démocratie : duel ou duo ? », Annales de la
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang, T.1, vol. 1, 1997, p. 122.

256
1. Une sous-représentativité politique des femmes
Le Parlement Communautaire est visiblement un « rassemblement d’hommes et de
femmes »161. Sauf que, le nombre des femmes au sein des délégations parlementaires au
Parlement Communautaire de la CEMAC reste très insuffisant, comme pour dire que « la
représentation politique ne concerne pas les femmes »162 en Afrique. Pour preuve, le silence
de la Convention régissant le Parlement Communautaire au sujet du nombre de femmes que
doit comporter chaque délégation parlementaire des Etats membres de la Communauté au
Parlement Communautaire163. Par conséquent, les Etats membres optent pour des quotas
volontaires. Ceux-ci, varient entre une (01) et deux (02) femmes par délégation parlementaire,
soit 0,1% des femmes sont représentées au sein des délégations parlementaires. Un taux
encore très faible. On comprend juste que ce Parlement n’est pas en passe de devenir une
institution plus sensible au genre164 et compatible avec la vie de famille. Il demeure comme
d’ailleurs l’ensemble des Parlements régionaux en Afrique à prédominance masculine.
Pourtant, « la seule façon d’accomplir des progrès tangibles en matière d’égalité des sexes
dans les parlements est de partager les responsabilités entre les hommes et les femmes »165.
Malheureusement ce qui manque, c’est une volonté politique à l’échelle supranationale.
En tout état de cause, la sous-représentation politique des femmes au Parlement de la
CEMAC suppose non seulement une discrimination, mais également contribue à délégitimer
les décisions parce que leurs préférences n’ont pas été prises en compte. Bien plus, cette sous-
représentation des femmes au Parlement « limite la politisation de questions qui intéressent
au premier plan les femmes dans leur quotidien »166. En tout état de cause, les femmes
politiques sont plus promptes que les hommes à endosser l’idée de représenter les femmes167,
mais aussi de répondre plus favorablement aux demandes des féministes que les hommes168.
Somme toute, dans un esprit tout libéral, on argue que la présence massive des femmes
au Parlement Communautaire, instrument de promotion de la démocratie est « gage de justice
et d’égalité sociale, qu’elle permet une pleine utilisation des ressources humaines d’une
société et qu’elle donne aux femmes une voix au chapitre des politiques publiques, lesquelles
s’enrichissent par ailleurs du point de vue de la moitié de la population »169. En outre cette

161
MAUS (D.), Le Parlement sous la Ve République, Que sais-je ? Troisième édition mise à jour, PUF, 1985, p.
29.
162
TREMBLAY (M.) et PELLETIER (R.), « Les femmes et la représentation politique vues par des députés du
Québec. Recherches féministes », op. cit., pp. 89.
163
Question pourtant résolue par le Protocole à l’Acte constitutif de l’Union Africaine relatif au Parlement
Panafricain163. En effet selon le prescrit de son article 4 : « 1. Jusqu’à décision contraire de la Conférence,
chaque Etat partie est représenté au Parlement panafricain par un nombre égal de députés. 2. La représentation
au Parlement panafricain doit comprendre cinq (5) membres élus par chaque Etat partie. 3. Au moins deux (2)
des membres élus doivent être femmes. La délégation qui ne répond à cette condition n’aura pas le droit d’être
accréditée pour représentation au Parlement ».
164
Sur la question du genre lire SOBZE (S.-F.), « Le genre en droit constitutionnel : Réflexion sur un objet du
constitutionnalisme africain », Revue africaine de droit public (RADP), vol. XI, N°28, Spécial 2022, pp. 7- 49.
165
Les propos sont ceux de Duarte PACHECO, Président de l’UIP, en ligne sur : www.news.un.org, consulté le
22/09/2023, 21 :53.
166
TREMBLAY (M.) et PELLETIER (R.), « Les femmes et la représentation politique vues par des députés du
Québec. Recherches féministes », op.cit., p. 90.
167
Ibid., p. 91.
168
Ibid.
169
Ibid., p. 94

257
place plus manifeste des femmes en politique à l’échelle supranationale contribuera à « la
légitimité des institutions démocratiques »170 : le Parlement Communautaire.
Un examen minutieux de la composition des différentes délégations parlementaires de
chaque Etat membre, permet de constater pour le déplorer, une récusation des minorités à
l’intérieur des Etats membres au Parlement Communautaire de la CEMAC.

2. Une récusation des « minorités à l’intérieur des Etats » membres au Parlement


« Il n’y a guère de légitimité démocratique sans justice sociale »171. Ainsi, parler de
Parlement Communautaire démocratique, c’est reconnaître en leur sein les minorités à
l’intérieur des Etats membres de la CEMAC. Mais, ce qu’on constate malheureusement est
que, cette composante sociologique importante est récusée au sein des différentes délégations
parlementaires de chaque Etat membre au Parlement Communautaire. Cet état de chose
constitue une source d’inquiétude si tant est que, les organisations d’intégration économique
en Afrique à l’unisson proclament leur attachement au respect de la démocratie, des droits de
l’Homme, de l’Etat de droit, de la bonne gouvernance, du dialogue social et des questions de
genre172.
Au demeurant, la récusation des minorités dans la composition des délégations
parlementaires de chaque Etat membre au Parlement Communautaire constitue une atteinte
grave à la nature inclusive de la CEMAC. Alors même que, conformément à l’esprit et la
lettre du deuxième paragraphe du Préambule du Traité révisé du 25 juin 2008, ses membres
disent être « conscients de la nécessité de développer ensemble toutes les ressources
humaines (…) de leurs Etats membres et de mettre celles-ci au service du bien-être général de
leurs peuples dans tous les domaines ». Ce qui n’est nullement le cas au sein de la CEMAC
qui, pourtant se nourrit d’une pluralisation culturelle de ses Etats membres. Sauf que, quand la
majorité de puissance devient tyrannique, les minoritaires seront tentés par le recourir à la
violence. C’est dans ce sens que se comprennent ces propos d’Alexis de TOCQUEVILLE173 :
« Si jamais la liberté se perd en Amérique, il faudra s’en prendre à l’omnipotence de la
majorité qui aura porté les minorités au désespoir et les aura forcées de faire appel à la force
matérielle ».
Dans la CEMAC, même comme l’article 27 du Pacte de 1996 vise les minorités à
l’intérieur d’Etats, et que le vocable "Etats" doit être considéré comme ceux qui ratifient le
Pacte, les minorités sont portées au désespoir. Certainement parce qu’ « il n’a pas été possible
jusqu’ici d’arriver à définir de manière satisfaisante pour tous ce qu’on entend par
"minorité" » 174. Tout compte fait, il est du moins curieux qu’elles n’en fassent pas partie des

170
Ibid.
171
HABERMAS (J.), Après l’Etat-nation, Une nouvelle constellation politique, trad. ROCHLITZ (R.), Paris,
Fayard, 1998, p. 10
172
Voir huitième paragraphe du préambule du Traité révisé de la CEMAC du 25 juin 2008.
173
Cité par COUTEL (C.), « Tyrannie de la majorité » selon Tocqueville et « droit des minorités », Dans
L’Enseignement Philosophique, 2010/6/60e Année, en ligne sur le site suivant : www.cairn.info, consulté le
17/11/2023, 15 :16.
174
GUIMDO DONGMO (B.-R.), « Reconnaissance des minorités et démocratie : duel ou duo ? », op.cit., p. 123.
En effet souligne l’auteur, Différentes tentatives ont été faites aux Nations Unies pour donner une définition à
cette notion'. Toutes ont échoué en raison, d'une part, de l'impossibilité de s'entendre sur les expressions à

258
délégations parlementaires au Parlement Communautaire : cas des pygmées175 et des
Mbororos au Cameroun qui sont pourtant « (…) inférieures en nombre au reste de la
population constituant la majorité »176.
Malgré tout, l’on ne devrait pas perdre de vue que, toutes ces minorités en vertu de
l’article 2§2 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, (« DUDH »)
jouissent de la liberté de participer pleinement à la vie culturelle, religieuse, sociale,
économique et politique du pays où, ils vivent, et partant, de la Communauté. Il s’agit d’un
droit individuel reconnu aux membres des minorités pour leur permettre de prendre part à la
vie publique à l’égalité avec les autres ressortissants de l’Etat177.

CONCLUSION

A partir du cas de la CEMAC, peut-on dire que la démocratie est suffisamment ancrée
dans les Parlements des organisations d’intégration économique en Afrique ? Telle était la
question qui a aiguillé notre démarche dans cette réflexion sur : La démocratie au sein des
Parlements des organisations d’intégration économique en Afrique : le cas de la CEMAC.
Aux termes de cette étude qui visait à démontrer le faible ancrage de la démocratie au sein de
cette institution parlementaire qui n’est encore qu’un simple « Conseil législatif »178, il
convient de tirer quelques enseignements dont deux principaux :
D’abord, cette étude a révélé que la légitimité parlementaire est introuvable. Ceci en
raison non seulement d’une sélection aristocratique des Députés au Parlement
Communautaire ; puisque ces derniers, dans l’attente des élections au suffrage universel
direct, sont désignés par l’Assemblée Nationale de chaque Etat membre179. Mais également,
du fait de la minoration textuelle des compétences des Députés de la CEMAC : la fonction de
contrôle démocratique et la participation au processus décisionnel.

utilisées et les catégories de groupes à inclure dans ce concept", et, d'autre part, de la difficulté tenant à la
diversité des situations dans lesquelles se trouvent les minorités. Certaines vivent ensemble dans des zones bien
définies, séparées de la majorité de la population, d'autres sont éparpillées au sein de la collectivité nationale.
Certaines minorités ont une identité collective très forte que perpétue une histoire ancrée dans les mémoires ou
écrite, tandis que d'autres n'ont qu'un souvenir fragmentaire de leur patrimoine commun.
175
En Afrique, les Pygmées sont un peuple marginalisé qu’o retrouve au Cameroun, au Gabon, au Congo
(RDC), en République centrafricaine, au Rwanda, au Burundi et en Ouganda. On rencontre diversement dans ces
pays les groupes pygmées tels que les Mumbuti, les Mbuti de la forêt de d’Ituri, les Tumandwa, les Batwa, les
Bakunda (Bazimba), les Baka, les Bagyeli, etc. Le sens étymologique du mot « Pygmée » le renvoie au grec
« Pygmaios » pour désigner une peronne appartenent à un groupe d’individus spécifiquement caractérisés par
leur petite taille, en général inférieur à 1,50 m. Mais, un Pygmée n’est pas un nain. En Afrique, la population
totale des Pygmées est estimée à près de 150000 voire 20000 personnes. (DEHOUMON (M.), « Droits des
minorités », CERDHAP, 2011, en ligne sur www.shs.hal.science, consulté le 17/11/2023, 14 :07.
176
GUIMDO DONGMO (B.-R.), « Reconnaissance des minorités et démocratie : duel ou duo ? », op.cit., p. 130.
177
BOKATOLA (O.-I.), « La Déclaration des Nations unies sur les droits des personnes appartenant à des
minorités nationales ou ethniques », RGDIP, 1993, p. 753.
178
PIERRE (E.), Traité de Droit politique, Electoral et Parlementaire, Editions Loysel, Paris, 1989, p. 53. A la
réalité, il s’agit des « institutions non dotées du pouvoir législatif (…) mais principalement consultatif »
(CORNU (G.), Vocabulaire Juridique, 8ème éd., Paris, PUF/Association Henri CAPITANT, 2000, pp. 615-616).
Mais qui se comportent en « instances majeures de délibérations capables de proposer des stratégies concrètes
pour faire avancer pays et régions » (WAWERU NDINDIRI (S.), « Développements/Dimensions récents des
Parlements régionaux en Afrique : le Parlement panafricain et les Assemblées régionales, rôles et défis », in Inf.
Const. Parl.57 (2007), 194, p. 29.
179
Art. 32, Convention régissant le Parlement Communautaire du 25 juin 2008.

259
Ensuite, cette étude a permis de faire montre d’une représentativité imparfaite du
Parlement Communautaire. Pour preuve, alors que les rédacteurs de la Convention régissant
le Parlement de la CEMAC sont convaincus que le Parlement Communautaire est le
représentant de l’ensemble des populations des Etats membres, ce travail démontre plutôt une
représentativité territoriale inappropriée d’une part, et une représentativité sociale dérisoire du
Parlement d’autre part. C’est l’occasion de dire que dans la CEMAC, « nous discourons sur
la démocratie, mais nous ne la vivons pas. Nous pensons un concept sans en faire
l’expérience. La démocratie est le plus beau et le pire des gouvernements car, dans toutes les
typologies, c’est le seul qui n’existe pas effectivement. La démocratie n’existe pas : c’est une
merveilleuse idée rencontrée nulle part »180.
Au demeurant, ces enseignements majeures susvisés, ne soulèvent-il pas la
problématique générale de la correction de la Convention régissant le Parlement
Communautaire (« CEMAC ») du 25 juin 2008 et d’autre part, de l’organisation des élections
des Députés au suffrage universel direct, car « les élections sont l’élément-clef de la bonne
gouvernance »181 ?

180
ETCHEGOYEN (A.), Les figures du pouvoir, Nathan, Paris 1994, p. 131.
181
MOUICHE (I.), « La gouvernance électorale et la consolidation démocratique en Afrique : défis et
perspectives », Revue africaine d’études politiques et stratégiques (RADEPS), N°1/2015, L’Harmattan, p. 9.

260
LA QUESTION DE LA PROTECTION DES ENFANTS EN LIGNE EN DROIT
CAMEROUNAIS

Par

OKONO EBANGA Serge Dimitri


Doctorant en droit public interne/FSJP
Université de Yaoundé II-SOA (Cameroun)

Résumé
La loi n°2023/009 du 25 juillet 2023 portant charte de protection des enfants en ligne au
Cameroun, marque une évolution significative du cadre juridique de protection de l’enfant internaute.
Elle matérialise, à travers des dispositions normatives et une architecture institutionnelle innovantes,
l’ambition de garantir un accès sécurisé à l’Internet pour les enfants de moins de 18 ans. En créant une
synergie d’obligations à l’endroit du secteur public et du secteur privé, elle prévoit par ailleurs des
sanctions administratives et pénales et met en place une régulation triangulaire à vocation préventive et
curative. Nonobstant ces avancées qui viennent améliorer un cadre juridique déficient, cette Charte n’est
pas exempte de faiblesses. L’effectivité de la protection de l’enfant en ligne reste en conséquence
tributaire de diverses mesures normatives et institutionnelles complémentaires dont la matérialisation
cohérente n’est pas un moindre défi.
Mots clefs : Charte, protection, enfant internaute, accès sécurisé.

Abstract
Law No. 2023/009 of July 25, 2023 on the charter for the protection of children online in
Cameroon is a significant development in the legal framework for the protection of Internet children. It
embodies, through innovative provisions and institutional framework, the ambition to guarantee secure
access to the Internet for children under the age of 18. While assigning obligations to the public and
private sectors, it also provides for administrative and criminal sanctions and sets up a triangular
regulation with a preventive and curative vocation. Notwithstanding these developments, which improve
a deficient legal framework, this Charter has weaknesses. As a result, the effectiveness of child
protection online therefore remains dependent on a variety of complementary normative and
institutional measures, the coherent implementation of which is no less challenging.
Keywords: Charter, protection, child Internet user, secure access.

INTRODUCTION

La protection de la dignité, de la vie privée et de l’intégrité morale des internautes les plus
vulnérables fait l’objet d’un intérêt croissant du droit à l’ère de l’expansion de l’Internet. Il en
va ainsi de l’enfant, que le droit international définit comme l’« être humain âgé de moins de
dix-huit ans » 1, en lui reconnaissant par ailleurs des droits en ligne, en plus de ceux qui lui sont


Mode de citation : OKONO EBANGA Serge Dimitri, « La question de la protection des enfants en ligne en droit
camerounais », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 261-289.

1
Il s’agit particulièrement des articles 1er de la Convention relative aux Droits de l’Enfant et 2 de la Charte
Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant. Cette définition est internalisée dans la législation nationale à

261
garantis hors ligne. A diverses échelles géographiques, l’on observe une montée en charge du
traitement juridique de la protection de l’enfant. A titre exemplaire, l'article 24 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union Européenne élève cette protection au rang de droit
fondamental. C’est que la consommation de l’Internet par les enfants n’a de cesse de s’accroitre,
autant que les risques auxquels ces derniers s’exposent. L’UNICEF2 relève que plus de 175 000
enfants se connectent à Internet pour la première fois chaque jour, soit un enfant toutes les demi-
secondes et qu’un internaute sur trois dans le monde est un enfant 3. Cette organisation prévient
cependant que « s'il offre de nombreux avantages et perspectives, l'accès au numérique expose
également ces enfants à toute une palette de risques et de dangers et plus particulièrement à
des contenus inappropriés, à l'exploitation et aux atteintes sexuelles, à l'intimidation en ligne
et à l'utilisation à mauvais escient de leurs données personnelles »4.
C’est en réponse à ces risques et dans le droit fil des conventions internationales relatives
à la protection des enfants, que la plupart des législations nationales reconnaissant à l’enfant un
ensemble de droits numériques, parmi lesquels : le droit à la protection contre les abus et
l'exploitation en ligne, le droit à la vie privée et le droit à l’information qui lui garantit l’accès
à des informations adaptées à son âge et à ses besoins. La mise en œuvre de ces droits constitue,
pour tous les Etats, le défi actuel de la protection de l’enfant sur Internet. Le Cameroun n’y
déroge guère, lui qui s’est inscrit dans cette démarche à la faveur de la mise à jour de la
législation pénale à l’orée des années 2010, en prévoyant l’incrimination spécifique de certains
comportements, principalement à connotation sexuelle, attentatoires à la dignité et à l’intégrité
de l’enfant, notamment à travers la loi n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la
cybersécurité et à la cybercriminalité au Cameroun. Cette amorce de saisie juridique de la
protection de l’enfant en ligne s’est cependant avérée insuffisante du fait non seulement de son
incomplétude, en l’absence d’une législation dédiée, mais aussi de la dispersion des dispositions
normatives traitant de la question, ainsi que de l’absence d’un dispositif institutionnel
approprié.
Pour corriger ces lacunes, le Cameroun s’est doté de la loi n°2023/009 du 25 juillet 2023
portant Charte de protection des enfants en ligne au Cameroun, que GAORANG WANGKARI
WAIROU, l’un des pionniers de son exégèse, a qualifié d’« avancée significative dans la lutte
contre la cybercriminalité contre les enfants »5, après avoir procédé à une analyse descriptive
succincte des mesures préventives et répressives aménagées par cette nouvelle loi. Cette
approche descriptive ne suffit cependant pas à étayer l’effectivité de la protection juridique et
institutionnelle de l’enfant. En effet, en considérant qu’un énoncé juridique ne devient une

travers l’article 3 de la loi n°2023/009 du 25 juillet 2023 portant Charte de protection des enfants en ligne au
Cameroun qui définit l’enfant comme « toute personne âgée de moins de dix-huit ».
2
United Nations International Children’s Emergency Fund (Fonds des Nations Unies pour l’enfance). L’UNICEF
est l’organisme du système des Nations Unies chargé de protéger les droits de l’enfant, partout dans le monde et
en particulier les droits des enfants les plus désavantagés.
3
https://www.unicef.org/fr/communiqu%C3%A9s-de-presse/plus-de-175-000-enfants-se-connectent-%C3%A0-
internet-pour-la-premi%C3%A8re-fois-chaque , consulté le 22.1.2024.
4
Idem.
5
GAORANG WANGKARI WAIROU, « Regard sur la loi n° 2023/009 du 25 juillet 2023 portant charte de
protection des enfants en ligne au Cameroun », La Revue des droits de l’homme [Online], Actualités Droits-
Libertés, Online since 16 October 2023, connection on 18 October 2023. URL: http://
journals.openedition.org/revdh/18563 ; DOI: https://doi.org/10.4000/revdh.18563, pp.5-6

262
norme que « s’il est perçu comme obligatoire par son destinataire »6, l’effectivité ne s’entend
pas que de l’existence de la règle posée par l’autorité légitime mais nécessite qu’elle soit, en
sus, apte à produire les effets recherchés par son édiction. C’est en cela que Jean TOUSCOZ
l’assimile à « la qualité d’un titre juridique qui remplit objectivement sa fonction sociale7 » et
que Yann LEROY y voit « la production, par la norme juridique, d’effets compatibles avec les
finalités que celle-ci poursuit, qu’il s’agisse d’effets concrets ou symboliques, d’effets
juridiques ou extra-juridiques, d’effets prévus ou non, désirés ou non, immédiats ou différés »8.
L’effectivité, qui s’apparente ainsi à l’efficacité, entendue comme la capacité à produire les
résultats escomptés, est alors la condition de validité de la norme, cette validité étant « la fin
principale recherchée par la hiérarchie des normes et, plus généralement, par le droit »9. Ainsi,
« Dire d’une norme se rapportant à la conduite d’êtres humains qu’elle est valable, c’est
affirmer qu’elle est obligatoire, que ces individus doivent se conduire de la façon qu’elle
prévoit »10.
La règlementation et le contrôle étant les deux composantes indissociables de la
régulation11, la problématique sous-jacente à la présente étude, qui lève un pan de voile sur
l’applicabilité et l’impact potentiel de la loi du 25 juillet 2023, est celle de la capacité du cadre
juridique et institutionnel de régulation de l’Internet, tel qu’aménagé par ladite loi, à assurer
une protection effective de l’enfant en ligne. Elle induit le questionnement ainsi formulé : le
cadre normatif et institutionnel érigé par la loi du 25 juillet 2023 portant Charte de protection
des enfants en ligne au Cameroun garantit-il l’effectivité de la protection de l’enfant en ligne?
Pour y répondre en recourant à la dogmatique juridique qui, comme le suggère Michel
TROPER, « ne peut pas se limiter à décrire des normes en vigueur »12, l’exégèse systématique
de la nouvelle loi sera complétée par son examen critique, y compris sous l’angle de la
légistique13 dont l’intérêt a pu être souligné ainsi qu’il suit par Jacques CHEVALIER : « La

6
BARRAUD, Boris), Repenser la pyramide des normes à l’ère des réseaux. Pour une conception pragmatique
du droit, Paris, L’Harmattan, 2012p. 28
7
TOUSCOZ (Jean), Le principe d’effectivité dans l’ordre international, Paris, LGDJ, Coll. Bibliothèque de Droit
Public, 1962, p. 1
8
LEROY (Yann), « La notion d’effectivité du droit », Editions juridiques associées/Droit et société, 2011/3 n°79,
p.715. Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2011-3-page-
715.htm.
9
BARRAUD (Boris), Repenser la pyramide des normes à l’ère des réseaux. Pour une conception pragmatique
du droit, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 25
10
KELSEN (Hans), Théorie pure du droit, trad. Par Charles EISENMANN, Dalloz, 2e ed., Paris, 1962, p. 255,
cité par BARRAUD (Boris), in Repenser la pyramide des normes à l’ère des réseaux. Pour une conception
pragmatique du droit, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 25.
11
BIKORO (Jean Mermoz), « Régulation des télécommunications et état de droit au Cameroun », in BIAKAN
(Jacques) (dir.), La régulation dans le secteur des télécommunications au Cameroun, Yaoundé, Afrédit, 2022, pp.
275-307
12
TROPER (Michel), La philosophie du droit, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ? 2018, p.62
13
Le Conseil d’Etat, dans son Guide de légistique, édition 2017, définit la légistique comme « l’ensemble des
règles, principes et méthodes qui doivent être observés dans la préparation des textes normatifs : lois, décrets,
ordonnances, arrêtés ». Le Dictionnaire Larousse offre une définition plus élaborée, en suggérant que la légistique
est l’« ensemble des règles, principes et méthodes utiles à la conception et à la rédaction des textes législatifs et
règlementaires, visant, du point de vue de la forme et du fond, à assurer la cohérence et l’efficacité de ceux-ci »
(www.larousse.fr consulté le 27.01.2024 à 12h01). Pour Jacques CHEVALIER, la legistique est « une science
appliquée de la législation, qui cherche à déterminer les meilleures modalités d’élaboration, de rédaction,
d’édiction et d’application des normes » (CHEVALLIER, Jacques, « L’évaluation législative : un enjeu politique
», in DELCAMP, Alain et al., Contrôle parlementaire et évaluation, La Documentation française, 1995, p. 15

263
qualité du droit suppose l’amélioration de ses conditions de production. Cet objectif est au
centre d’une nouvelle discipline : la légistique, qui vise à étudier l’activité de production
normative et à définir les techniques adaptées à la gestion de cette production »14. L’étude ne
mobilisera pas que le dispositif de la loi du 25 juillet 2023, mais également l’analyse systémique
des contraintes liées à l’environnement juridique et institutionnel des communications
électroniques en général, ainsi que d’éléments tirés du droit comparé. Il importe, dès lors,
d’exposer d’emblée les avancées du régime de protection de l’enfant internaute (I) avant d’en
scruter les limites et les perspectives d’évolutions souhaitables (II).

I- UNE EVOLUTION AVERÉE DU RÉGIME DE PROTECTION DE L’ENFANT


INTERNAUTE

Faiblement protégés par un socle juridique éparpillé, généraliste et incomplet, les droits
de l’enfant en ligne font désormais l’objet d’une consécration normative explicite à travers une
législation dédiée (A) qui instaure un régime de responsabilités conjuguées du secteur public et
du secteur privé pour la prévention et la correction des atteintes aux droits de l’enfant internaute.
Ce faisant, la Charte aménage des incriminations et sanctions spécifiques visant les
manquements aux obligations assignées aux intervenants dans le cyberespace et les atteintes
aux droits des enfants en ligne, d’une manière générale (B).

A- La formalisation législative des droits de l’enfant en ligne

La formalisation des droits de l’enfant en ligne (3) donne suite aux principes consacrés
par le droit international (1) et qui faisaient, jusqu’à la récente loi du 25 juillet 2023, l’objet
d’une internalisation disparate et inachevée (2).

1. Une évolution dans l’internalisation du droit international


Le Cameroun a ratifié les principaux instruments internationaux de protection des droits
de l’enfant. Il s’agit, au niveau onusien, de la Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE),
adoptée en 1989 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. La CDE garantie la protection
des droits de l’enfant à tous égards, reconnaît le rôle des enfants en tant qu’acteurs sociaux,
économiques, politiques, civils et culturels et fixe des normes minimales relativement à leur
protection. Elle œuvre au respect de la dignité de l’enfant et protège ses droits fondamentaux en
l’occurrence : le droit à l’égal traitement, le droit au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant,
le droit à l’éducation. La CDE s’accompagne d’instruments normatifs et institutionnels. Dans
le volet juridique, il y a lieu de relever le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits
de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant
en scène des enfants, adopté à New York le 25 mai 2000 et ratifié par le Cameroun en 201915.
Sur le plan institutionnel, le bras séculier de la CDE est le Comité sur les droits de l'enfant qui
a pour rôle de contrôler l’application de la Convention, de déterminer les progrès accomplis et
d’accompagner les Etats parties dans la mise en œuvre des objectifs prévus par la Convention.

14
CHEVALIER (Jacques), L’Etat post-moderne, 3e ed., LGDJ, coll. Droit et société, 2008, p. 152
15
Ce Protocole a été ratifié à travers la loi n°2019/017 du 24 décembre 2019

264
En 2011, l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté un Protocole facultatif à la
Convention relative aux droits de l’enfant, concernant une procédure de présentation de
communications. Il permet au Comité des droits de l’enfant d’examiner des plaintes concernant
des violations des droits de l’enfant et de mener des enquêtes.
Au niveau régional africain, le Cameroun a ratifié la Charte Africaine des Droits et du
Bien-être de l’Enfant (CADBE)16. L’article 1er alinéa 1 de ladite Charte énonce que les
engagements qui en découlent doivent être introduits dans l’ordre juridique interne : « Les Etats
membres de l’Organisation de l’Unité Africaine, parties à la présente Charte, reconnaissent les
droits, libertés et devoirs consacrés dans la présente Charte et s’engagent à prendre toutes les
mesures nécessaires conformément à leurs procédures constitutionnelles et aux dispositions de
la présente Charte, pour adopter toutes mesures législatives ou autres nécessaires pour donner
effet aux dispositions de la présente Charte ». Cet article reprend, « en des termes relativement
identiques dans une formule plus explicite » 17, l’article 4 de la CDE18.

2. L’harmonisation d’un cadre juridique jusqu’alors éparpillé et disparate


Jusqu’à l’avènement de la Charte du 25 juillet 2023, la protection des enfants en ligne au
Cameroun, ainsi que le relevait un rapport d’étude du Ministère des Postes et
Télécommunications en 2021, était caractérisé par l’absence d’un cadre normatif uniforme, les
dispositions y relatives étant alors éparpillées entre plusieurs textes19. En effet, le régime de
protection de l’enfant en ligne était construit autour de quelques dispositions, majoritairement
à caractère pénal, de textes généraux et spécialisés. Les textes généraux dont s’agit sont : la loi
n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal, en ses dispositions relatives, entre autres,
aux infractions de corruption de la jeunesse, d’outrage à la pudeur en présence d’une personne
mineure de seize (16) ans, d’outrage à la pudeur sur une personne mineure de seize à vingt-ans,
d’accès interdit aux jeux et loteries ; la loi n°2006/018 du 29 décembre 2008 régissant la
publicité au Cameroun qui proscrit et réprime toute publicité présentant les mineurs en situation
dangereuse, exploitant l’inexpérience ou la naïveté des enfants, tendant à compromettre
l’éducation des enfants, à leur causer un dommage ou à ruiner la confiance que ces derniers ont
envers leurs parents ou éducateurs20 ; la loi n°2015/012 du 16 juillet 2015 fixant le régime des

16
Cette Charte adoptée par la 26ème Assemblée des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité
Africaine (aujourd’hui Union Africaine) à Addis-Abeba en juillet 1990 et entrée en vigueur le 29 novembre 1999,
a été ratifiée par le Cameroun le 5 septembre 1997.
17
MBANDJI MBÉNA (Étienne), Les droits fondamentaux de l’enfant en droit camerounais, Thèse de Doctorat,
Université de Toulouse 1 Capitole - Université de Douala, année académique 2012-2013, p.27
18
L’article 4 de la CDE énonce : « les Etats parties s’engagent à prendre toutes les mesures législatives,
administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention.
Dans le cas des droits économiques, sociaux et culturels, ils prennent ces mesures dans toutes les limites des
ressources dont ils disposent et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale ».
19
Ministère des Postes et Télécommunications, Rapport d’étude en vue de l’élaboration d’une Charte nationale
de protection des enfants en ligne, élaboré par Mme SCHLICK Aurélie, Consultant Individuel, assistée de M.
AFA’A Spécial Valère, Yaoundé, janvier 2021, p.43 et suivantes
20
Articles 26, 27 et 54 notamment, de loi n°2006/018 du 29 décembre 2008 régissant la publicité au Cameroun

265
jeux de divertissement, d’argent et de hasard21 et son décret d’application n°2019/2300/PM du
18 juillet 201922.
Les textes spécialisés sont principalement : la loi n°2010/012 du 21 décembre 2010
relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité au Cameroun qui prévoit des mesures
préventives23 pour la protection des enfants en ligne contre les contenus inappropriés, ainsi que
diverses incriminations et sanctions24, notamment en rapport avec la pornographie infantile,
l’enregistrement, le stockage, la diffusion en ligne de contenus à caractère pédopornographique
et pédophile ou portant atteinte à la dignité de l’enfant, ainsi que les propositions sexuelles à
des mineurs de moins de quinze (15) ans ; la loi n°2015/007 du 21 avril 2015 régissant l’activité
audiovisuelle au Cameroun25 et le décret n°2012/1637/PM du 14 juin 2012 fixant les modalités
d’identification des abonnés et des terminaux26.
Au-delà de la dissémination des dispositions normatives dans une pléthore de textes, le
cadre juridique antérieur à la loi du 25 juillet 2023 souffrait de diverses lacunes dont les
principales portaient, selon le rapport d’étude sus évoqué27, sur l’absence de textes d’application
des lois susmentionnées, leur incomplétude, du fait de l’occultation de plusieurs
comportements transgressifs émergeant en ligne et portant atteinte à la dignité et à l’intégrité
des enfants. Il importe cependant de relever que les dispositions des textes généraux et
particuliers ci-dessus relevées sans prétention d’exhaustivité, ne sont pas systématiquement
sorties de vigueur à la faveur de la loi du 25 juillet 2023. Elles demeurent, tant qu’elles ne sont
pas contraires à celles de ladite loi, en vigueur et complémentaires à cette dernière. En effet,
tout en énonçant en son article 47 que « sont abrogées toutes les dispositions antérieures
contraires », la loi du 25 juillet 2023 n’abroge explicitement aucun texte en particulier. Cela
induit que seules les dispositions contraires des textes antérieurs ne pourraient plus être
mobilisées au titre du cadre juridique général de protection des enfants en ligne qui ne résume
donc pas à la loi du 25 juillet 2023, y trouve néanmoins son principal ancrage à travers les droits
et garanties qui y sont substantiellement aménagés.

3. La formalisation des droits assortie de garanties institutionnelles


Les droits de l’enfant en ligne sont désormais ancrés en droit positif dans la loi du 25
juillet 2023. Essentiellement tacite, cette formalisation des droits se déduit des obligations
assignées aux pouvoirs public et au secteur privé, ainsi que du régime de responsabilité des
intervenants dans le cyberespace. Sous ce prisme, le premier droit qui transparaît des articles 4
et 11 est le droit d’accès aux communications électroniques et, en particulier, le droit à une

21
Articles 1er, 7, 8, 9, 11, 26, 40, 64, 65
22
Articles 16, 38 et 39 du décret n°2019/2300/PM du 18 juillet 2019 précisant les modalités d'application de la loi
n°2015/012 du 16 juillet 2015 fixant le régime des jeux de divertissement, d'argent et de hasard
23
Articles 27 et 33
24
Articles 33, 76, 80, 81 et 82
25
Articles 4, 57, 58 et 59 consacrant l’obligation pour les opérateurs audiovisuels de veiller à la protection des
mineurs dans les programmes mis à la disposition du public
26
Obligation pour les opérateurs d’exiger, en cas de souscription d’un abonnement par un mineur non titulaire
d’une Carte Nationale d’Identité, l’identification du parent ou du tuteur (article 4)
27
Ministère des Postes et Télécommunications, Rapport d’étude en vue de l’élaboration d’une Charte nationale
de protection des enfants en ligne, op.cit., pp. 49-54

266
utilisation sécurisée de l’Internet ou le droit d’accéder à un cyberespace sécurisé. Ce droit n’est
pas sans intérêt, dès lors qu’il repose sur la liberté d’expression et les droits corollaires, y
compris le droit à l’éducation. Soulignant la légitimité de ces droits et de la protection dont leur
exercice doit s’accompagner, Stéphane HOEBEKE remarque : « La liberté d’expression vaut
aussi pour un enfant : il a le droit de s’exprimer notamment sur toute question qui le concerne
(…) selon son âge et son discernement, il a le droit, à travers Internet, de chercher, de recevoir
et de répandre des informations ou des idées. Mais en même temps, précisément parce qu’il est
un enfant dont le développement n’est pas encore pleinement achevé, il a le droit à une
protection particulière de son intégrité physique et psychique, en ce compris vis-à-vis des
contenus diffusés par les médias. »28.
Parmi les autres droits protégés par la Charte du 25 juillet 2023, l’on peut relever que
l’enfant bénéficie de la protection contre les incidences négatives sur ses droits, des produits et
services mis en ligne, des activités des intervenants dans le cyberespace, en général, ainsi que
du comportement des autres internautes. Le législateur lui garantit la protection contre les
contenus portant atteinte à sa dignité et à son intégrité : pédopornographie ; exposition à la
pornographie ; propositions sexuelles ; activités ludiques inappropriés et paris en ligne ;
outrages à sa pudeur ; contenus publicitaires inappropriés ; exploitation de son inexpérience
dans le cadre des publicités. L’enfant se voit par ailleurs reconnaître explicitement le droit à
l’image, le droit à l’anonymat lorsque la divulgation de son identité dans le traitement des sujets
induit un risque de stigmatisation après diffusion, ainsi que le droit à la vie privée.
La protection des droits ainsi affirmés par la Charte est dévolue aux pouvoirs publics et
au secteur privé. Ce dernier y contribue par les obligations que la Charte met à sa charge pour
prévenir et corriger les atteintes aux droits de l’enfant en ligne, sous peine de sanctions. Quant
aux pouvoirs publics, la Charte consacre comme chef de fil de la régulation opérationnelle,
l’organe chargé de la régulation des Technologies de l'Information et de la Communication
(TIC). C’est à cet acteur institutionnel qu’incombe principalement la prévention des atteintes
aux droits de l’enfant en ligne. La Charte met également en place, pour les besoins de la
régulation corrective, une architecture institutionnelle collaborative intégrant deux acteurs
secondaires. Il s’agit de l’organe chargé de la régulation des médias et de l’organe chargé de la
régulation des télécommunications. Cette régulation collaborative est prévue par l’article 27 de
la Charte qui dispose : « Lorsque les atteintes aux droits des enfants en ligne ne constituent pas
des infractions pénales, l’organe chargé de la régulation des TIC prend des mesures pour y
mettre fin, en collaboration avec l’organe chargé de la régulation des télécommunications et
celui chargé de la régulation des médias. »
Il sied de relever que la Charte a pris soin, en son article 3, d’identifier l’organe chargé
de la régulation des Technologies de l'Information et de la Communication comme
« organisme public chargé de la régulation, du contrôle et du suivi des activités liées à la
sécurisation des réseaux des communications électroniques et des systèmes d'information ». De
par le profil et les attributions ainsi précisées, cet organe correspond à l’Agence Nationale des
Technologies de l’Information et des Communications (ANTIC), instituée et organisée par
divers textes dont le plus récent est le décret n°2019/150 du 22 mars 2019. L’article 10(2) de la

28
HOEBEKE (Stéphane), La Liberté d’expression pour qui, pour quoi, jusqu’où ? Anthemis, 2015, p. 90

267
Charte énonce qu’« un texte particulier précise le rôle de l’organe chargé de la régulation des
TIC en matière de protection des enfants en ligne ». Ce texte particulier devrait permettre de
clarifier le champ d’intervention de cet organe et, opportunément, de préciser les modalités de
la collaboration prévue par l’article 27, afin de la rendre effective29.

B- Un régime de responsabilité étendu

La Charte distingue le « rôle » qu’elle confère au secteur public et au secteur privé en son
chapitre II (1) des obligations (2), assorties de sanctions, qu’elle met à la charge des intervenants
dans le cyberespace, dans le chapitre III (3).

1. La responsabilisation des pouvoirs publics et du secteur privé


Les articles 4 à 10 de la Charte de protection des enfants en ligne confèrent des attributions
à un certain nombre d’acteurs publics sur des matières spécifiques. Il s’agit du Ministère en
charge des télécommunications, des Ministères en charge de l’éducation et de la jeunesse, du
Ministère en charge de la femme et de la famille, du Ministère en charge des affaires sociales,
du Ministère en charge de la communication et de l’organe chargé de la régulation des TIC. Ces
attributions sont, pour certaines matières, exercées de manière collaborative. Les matières objet
des interventions des acteurs sus évoqués, dont le fil d’Ariane est la mise en place d’un cadre
adéquat pour l’utilisation sécurisée d’Internet par les enfants, couvrent quatre champs d’action.
Le premier a trait à l’élaboration et la mise en œuvre d’un Plan d'Action National de Protection
des Enfants en Ligne. Cette action incombe au Ministère en charge des télécommunications, en
collaboration avec les autres administrations concernées. Le deuxième concerne l’éducation et
la formation, à travers : la mise en place des curricula de formation sur l’utilisation d’Internet
et des réseaux sociaux, à la diligence des Ministères en charge de l'éducation et de la jeunesse,
en collaboration avec le Ministère en charge des télécommunications; l’élaboration des
modules de formation des parents à l’utilisation d’Internet, par le Ministère en charge de la
femme et de la famille, en collaboration avec le Ministère en charge des télécommunications et
la formation par le Ministère en charge des affaires sociales, du personnel intervenant dans la

29
L’instauration d’une collaboration entre organes de régulation n’est pas inédite et il y a lieu d’œuvrer à ce que
celle prévue par l’article 27 de la Charte ait plus de bonheur que les schémas de collaboration aménagés
antérieurement par les textes et qui demeurent ineffectifs. A titre d’exemples, (i) la loi de 2010 relative à la
cybersécurité et à la cybercriminalité prévoit une collaboration de l’ART avec l’ANTIC sur la sécurité des réseaux
de communications électroniques. Cette collaboration, non encore implémentée, est prévue par l’article 7(1) de la
loi relative à la cybersécurité qui dispose : « L’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la
Communication, ci-après désignée l’Agence, instituée par la loi régissant les communications électroniques au
Cameroun, est chargée de la régulation des activités de sécurité électronique, en collaboration avec l’Agence de
Régulation des Télécommunications ». Elle est ensuite reprise par l’article 5(5) décret n°2020/727 du 3 décembre
2020 portant réorganisation de l’Agence de régulation des télécommunications, en ces termes : « l’Agence
collabore avec l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication, dans le cadre de la
Régulation des activités liées à la sécurité des réseaux de communications électroniques et des systèmes
d’information » ; (ii) L’article 5(6) du décret du 3 décembre 2020 portant réorganisation de l’ART prévoit une
collaboration entre l’ART et l’organe chargé de la régulation de l’audiovisuel dans le cadre de la régulation des
activités audiovisuelles. Diverses dispositions de la loi du 20 avril 2015 régissant l’activité audiovisuelle prévoient
également des attributions partagées et des sphères de co-régulation entre l’organe de régulation de l’audiovisuel
et l’organe chargé de la régulation des communications électroniques. Ces dispositions règlementaires et
législatives ne sont pas implémentées, d’autant plus que la forme à donner à l’organe de régulation de l’audiovisuel
suscite des débats.

268
prise en charge des enfants sur la prévention, la détection et la prise en charge des abus dont
peuvent être victimes les enfants en ligne. Le troisième champ d’action a trait à la
communication qui engage le Ministère en charge de la communication à sensibiliser les médias
et à assurer la police des contenus mis à la disposition des enfants par les médias. Le quatrième
concerne la mise en place de moyens préventifs et répressifs nécessaires à la protection des
enfants dans le cyberespace national, une mission dévolue à l’organe chargé de la régulation
des TIC dont les attributions conséquentes seront précisées par un texte particulier.
Quant au secteur privé, les missions qui lui sont dévolues sont déclinées par les articles
11 à 13 de la Charte. A la différence des dispositions portant sur le rôle des pouvoirs publics,
qui identifient clairement les acteurs ciblés, celles afférentes au rôle du secteur privé restent
génériques quant à la désignation de cette catégorie d’intervenants30. A ces acteurs, la loi
prescrit : d’aider leurs utilisateurs à comprendre le fonctionnement et l'usage approprié des
nouveaux produits et services technologiques proposés ; de concourir, avec les pouvoirs
publics, à rendre le cyberespace national plus sécurisé pour les enfants ; de respecter les droits
des enfants et prévenir ou remédier aux incidences négatives sur ces droits directement liées à
leurs opérations, leurs produits et leurs services ; de participer à la sensibilisation et à la
formation des enfants, des familles et des communautés, en donnant notamment des
informations précises sur les sites non éligibles aux enfants et prendre des mesures, lors de
leurs offres de service, pour réduire la disponibilité et l'accès aux contenus portant atteinte à
la dignité et à l'intégrité des enfants.
En résumant le rôle dévolu au secteur privé, GAORANG WANGKARI note que la loi
appelle ces acteurs à: « respecter les droits de l’enfant et à prévenir les incidences négatives
sur ces droits de leurs opérations, leurs produits et leurs services » et à « participer à la
sensibilisation et à la formation des enfants, des familles et des communautés en donnant
notamment des informations précises sur les sites non éligibles aux enfants et en aidant les
enfants à comprendre le fonctionnement et la maitrise des services technologiques »31. L’on
peut ajouter à ce commentaire que la Charte vise, même si elle ne le dit pas explicitement – et
cela peut être regretté – tous les acteurs du numérique offrant leurs services au Cameroun. Au-
delà du rôle qui leur est ainsi dévolu, les acteurs du secteur privé sont assujettis à des obligations
générales et spécifiques.

2. L’assignation d’obligations aux intervenants dans le cyberespace


La loi du 25 juillet 2023 aménage des obligations générales et spécifiques à l’endroit des
entreprises du cyberespace qu’elle désigne sous le terme « intervenants dans le cyberespace ».
Les obligations générales sont énoncées au travers des articles 14 à 19. Elles concernent, de
manière transversale dans la plupart des cas et individuelle, huit (8) catégories d’intervenants32.
En substance, la loi prescrit aux intervenants concernés : de suspendre, à la demande des

30
L’exception à cette tendance réside dans l’article 13 qui désigne explicitement « les entreprises qui développent
ou proposent de nouveaux produits et services technologiques »
31
GAORANG WANGKARI WAIROU, loc. cit., p.2.
32
Ces intervenants sont : les fournisseurs d'accès à Internet ; les fournisseurs de contenu numérique ; les
fournisseurs de moteurs de recherche ; les promoteurs de réseau social ; les exploitants des systèmes
d'information ; les gérants de cybercafé ; les responsables du traitement des données ou leurs sous-traitants et les
professionnels de la publicité en ligne.

269
autorités compétentes, l’accès à l’Internet, à leur contenu numérique ou réseau social à un
consommateur qui est à l'origine de la publication d'un contenu portant atteinte à la dignité
et à l'intégrité des enfants33 ; de mettre fin, à la demande des autorités compétentes, à
l'indexation des contenus portant atteinte à la dignité et à l'intégrité des enfants34 ; de dénoncer
les actes constitutifs de pédopornographie et suspendre les sites identifiés comme portant
atteinte à la dignité et à l’intégrité des enfants35 ; de respecter la légalité en matière de
protection des droits des enfants, dans le cadre du traitement des données36. Des obligations
sont également énoncées par les articles 18 et 19 relativement à la publicité en ligne37. En
reprenant, en la matière, les dispositions pertinentes de la loi régissant la publicité, la Charte
fait interdiction de présenter les enfants en situation de vulnérabilité, d’exploiter leur naïveté,
de compromettre leur éducation, de diffuser un contenu susceptible de leur causer un dommage
physique ou moral, d’altérer le respect qu’ils ont envers leurs parents, éducateurs ou des
personnes ayant en charge leur formation morale ou intellectuelle.
À côté des obligations à caractère général et transversal, la Charte aménage des
obligations spécifiques à l’endroit des six (6) intervenants suivants : les fournisseurs d’accès à
l’Internet, les fournisseurs de contenus en ligne, les fournisseurs de services en ligne, les
opérateurs de réseaux de communications électroniques, les exploitants de systèmes
d’information et les opérateurs de communication audiovisuelle. A l’analyse, il incombe
spécifiquement aux fournisseurs d’accès à l’Internet d’informer et sensibiliser les usagers sur
les bonnes pratiques dans le cyberespace et les activités portant atteinte à la dignité et à
l’intégrité des enfants38, de mettre à la disposition des utilisateurs, des mécanismes de
signalement et de blocage d’accès à des contenus ou de suppression39, de signaler les contenus
illicites à l’organe chargé de la régulation des TIC et aux services de sécurité et de mettre à la
disposition des utilisateurs des procédures et des moyens techniques facilitant le contrôle de
l'accès des enfants à Internet40.
En ce qui concerne les fournisseurs de contenus, ils doivent, aux termes de l’article 2 de
la Charte, répondre des contenus véhiculés par les réseaux de communications électroniques ou
les systèmes d'information, notamment lorsque ces contenus portent atteinte à la dignité et à
l'intégrité des enfants. Il pèse également sur eux une obligation d’information. Les obligations
concernant à la fois, les fournisseurs de contenus en ligne et les fournisseurs de services en ligne
sont consacrées par l’article 23 de la Charte. La loi leur impose de décrire la nature des contenus
ou des services qu’ils offrent et les groupes d’âge auxquels ceux-ci sont destinés ; de mettre en

33
Art. 14. Sont concernés : les fournisseurs d’accès à l’Internet ; les fournisseurs de contenus ; les exploitants des
systèmes d’information ; les promoteurs de réseau social
34
Art. 15. Obligation concernant les fournisseurs de moteurs de recherche
35
Art. 16. Sont concernés : les fournisseurs d'accès à Internet, les fournisseurs de contenu numérique ; les
fournisseurs de moteurs de recherche ; les promoteurs de réseau social ; les exploitants des systèmes
d'information ; les gérants de cybercafé
36
Art. 17. Cette obligation concerne les responsables du traitement des données ou leurs sous-traitants.
37
Il est important de noter que la Charte est muette sur les destinataires de ces obligations. Toutefois, il semble
évident qu’elles s’adressent principalement aux professionnels de la publicité en ligne et, à titre secondaire, aux
autres intervenants dans la chaine de diffusion des contenus, en tant qu’obligation positive de prévenir ou mettre
fin, d’ordre public, à la diffusion d’un contenu publicitaire inapproprié.
38
Art. 20(1)
39
Art. 20(2) et 20(4)
40
Art. 21

270
place un système de paramétrage en vue du respect de la vie privée dans les systèmes qui
recueillent, traitent, stockent, commercialisent et publient des données personnelles ; de mettre
en place des mécanismes permettant de retirer immédiatement les publications portant atteinte
à la dignité et à l’intégrité des enfants ou de bloquer l’accès à ces publications.
Les articles 24 et 25 consacrent des obligations propres aux opérateurs de réseaux de
communications électroniques et aux exploitants de systèmes d’information. Ceux-ci doivent
promouvoir les mécanismes de signalement des publications portant atteinte à la dignité et à
l’intégrité des enfants ; de faciliter le déploiement, par l’organe chargé de la régulation des TIC,
de tout dispositif visant à protéger la dignité et l'intégrité des enfants au sein de leur réseau ou
de leur système d'information ; de faciliter les opérations de collecte des données nécessaires
aux investigations numériques et judiciaires. Enfin, l’article 26 s’adresse aux opérateurs de
communication audiovisuelle. Ils sont tenus de veiller à la protection des enfants dans les
programmes mis en ligne et doivent, à cette fin, aménager, dans leur catalogue, en tant que de
besoin, un espace de confiance qui offre un ensemble constitué uniquement de programmes
appropriés pour les enfants. Il leur est également fait obligation de recueillir le consentement
des parents ou tuteurs avant toute prise de vue ou de son des enfants, de veiller à la protection
des enfants dans les programmes audiovisuels diffusés en ligne et de respecter leur droit à
l’image. La violation des obligations générales et spécifiques expose les contrevenants à
diverses sanctions.

3. L’aménagement de procédures et sanctions adaptées


La Charte prévoit des sanctions administratives et mesures correctives en cas d’atteinte
aux droits de l’enfant et aménage des sanctions pénales ainsi que des dispositions processuelles.
S’agissant de l’administration des sanctions administratives et des mesures correctives, il se
dégage de l’article 27 que lorsque les atteintes aux droits de l’enfant en ligne ne constituent pas
des infractions pénales, leur traitement est du ressort de l’organe chargé de la régulation des
TIC qui, en collaboration avec l’organe chargé de la régulation des télécommunications et celui
chargé de la régulation des médias, prend des mesures pour y mettre fin.
En cas de manquement à leurs obligations, les intervenants dans le cyberespace peuvent
être mis en demeure par l’organe chargé de la régulation des TIC, de se conformer dans un délai
de quinze (15) jours. Les intervenants concernés sont, selon l’article 28 de la loi : les
fournisseurs d'accès à Internet, les fournisseurs de contenus, les opérateurs des réseaux de
communications électroniques, les exploitants des systèmes d'information, les professionnels
de la publicité en ligne et les opérateurs de communication audiovisuelle. Faute de se conformer
à cette mise en demeure, ces derniers peuvent se voir infliger, par l’organe chargé de la
régulation des TIC, une pénalité comprise entre un million (1 000 000) et dix millions (10 000
000) de francs CFA41. Des sanctions pénales et règles processuelles spécifiques y relatives
sont également prévues par la Charte.
Les dispositions processuelles portent sur la preuve et la constatation des infractions. La
preuve numérique de l’atteinte à un droit de l’enfant en ligne peut être administrée au moyen

41
Art. 29 de la Charte

271
d’enregistrements audio, vidéo ou par tout autre moyen de conservation électronique peuvent
être recevables comme moyen de preuve. L'écrit sous forme électronique est également
recevable comme preuve au même titre que l'écrit sur support papier et a la même force probante
que celui-ci, dès lors que la personne dont il émane est dûment identifiée et qu’il est établi et
conservé dans des conditions de nature à garantir son intégrité. La constatation des infractions
aux dispositions de la loi incombe aux officiers de police judiciaire à compétence générale, aux
agents assermentés de l'organe chargé de la régulation des TIC ou des Ministères en charge des
télécommunications et de la publicité, conformément aux conditions prévues par les textes
législatifs et réglementaires en vigueur42. Les procès-verbaux constatant les infractions, ainsi
que les objets et documents saisis, sont transmis au Procureur de la République compétent dans
un délai maximum de huit (08) jours.
Quant aux sanctions pénales, qui sont aménagées par les articles 33 à 46 de la Charte,
elles peuvent être regroupées en quatre principales catégories. La première, objet des articles
33 et 34, concerne les sanctions à l’encontre des intervenants du cyberespace contrevenant aux
obligations inhérentes à la protection des enfants contre les contenus inappropriés, notamment :
le manquement aux obligations de signalement, de blocage, de suppression et de retrait de
contenus et publications inappropriés après en avoir pris connaissance ; l’opposition au
déploiement par l'organe chargé de la régulation des TIC, d'un dispositif visant à protéger la
dignité et l'intégrité des enfants au sein de son réseau ou de son système d'information, ou à
la collecte de données nécessaires aux investigations numériques et judiciaires ; la participation
des enfants dans une communication électronique sans une autorisation écrite de leurs parents
ou tuteurs.
La deuxième catégorie de sanctions concerne les professionnels de la publicité et toute
personne exposant l’enfant à des messages publicitaires inappropriés. Lesdites sanctions sont
énoncées aux articles 33(2) et 34(2) de la Charte. La troisième catégorie de sanctions, objet de
l’article 36, regroupe les sanctions à l’encontre des promoteurs de jeux et paris en ligne
lorsqu’ils ne prennent pas les mesures nécessaires pour empêcher l'accès des enfants aux jeux
et paris en ligne. La quatrième catégorie de sanctions, qui couvre les articles 37 à 46, a trait aux
infractions à caractère pédopornographique et pédophile. Ces sanctions visent toute personne
susceptible de commettre les faits incriminés. Les sanctions encourues au titre des atteintes à
caractère pédopornographique et pédophile commises à travers les communications
électroniques sont constituées d’une peine d’emprisonnement et d’une amende, la possibilité
étant, dans la plupart des cas, laissée au juge d’appliquer l’une des deux peines seulement. Si
ce régime de sanctions paraît dissuasif, le régime de protection de l’enfant en ligne n’en
demeure pas moins perfectible.

42
Art. 32 de la Charte

272
II- LA RÉMANENCE DES FRAGILITÉS DU RÉGIME DE PROTECTION DE
L’ENFANT EN LIGNE

Nonobstant les obligations mises à la charge des pouvoirs publics et des intervenants dans
le cyberespace, la protection des enfants en ligne trahit encore des fragilités plus ou moins
surmontables, inhérentes au cadre juridique (A) et institutionnel (B).

A- Les limites persistantes du cadre juridique de protection des enfants en ligne

Le cadre juridique de protection de l’enfant internaute présente des limites sur le plan
formel (1) et des imperfections matérielles tenant notamment à de substantielles omissions (2).
Il pâtît en outre d’insuffisances extrinsèques, en particulier des tares du régime de protection
des données à caractère personnel (3).

1. Les limites formelles de la Charte de protection des enfants en ligne


La légistique formelle43 s’attache aux règles de la rédaction des textes normatifs, à leur
structure, à leur organisation interne, à leur composition et au style normatif. Elle se penche sur
les principes et les mécanismes de la technique rédactionnelle qui déterminent la qualité et la
sécurité juridiques de la législation et de la réglementation. On a pu la définir comme « la
recherche de procédés, de règles et de formules destinés à une rédaction correcte et à une
meilleure appréhension des textes normatifs, et s’efforçant de parvenir à cette fin par
l’harmonie, la clarté et le rejet des différences non fondées »44. Sous ce prisme, la Charte du 25
juillet 2023 suscite quelques observations, notamment sur les définitions et la normativité de
certaines dispositions.
S’agissant des définitions, celle relative au « contenu inapproprié » mérite une attention
particulière. La Charte définit cette notion en son article 3 comme un « contenu qui favorise
l’abus de substances psychoactives, la discrimination et l'exclusion, les comportements à risque,
le suicide ou la violence ». Porteuse d’une bonne intention, cette définition trahit cependant
deux lacunes. La première tient en ce que le vocable « contenu inapproprié » ainsi créé
n’apparait qu’une seule fois dans le texte, en l’occurrence, à l’article 33. En revanche, le terme
« contenu(s) portant atteinte à la dignité et à l'intégrité des enfants », non consacré dans les
définitions, comporte dix (10) occurrences dans le texte45. C’est peut-être cette dernière formule
qui aurait mérité de figurer dans les définitions pour autant qu’il fût opportun d’envisager de

43
Qui se distingue de la légistique matérielle ou substantielle, laquelle s’attache à la procédure normative, à la
méthodologie normative, à la théorie de la législation, à la sociologie législative et a pour objet les questions
diverses portant sur les normes et sur les valeurs établies par l’énoncé de la règle de droit, sur la philosophie du
droit, sur le respect des compétences, l’harmonie des textes avec le droit positif existant, sur l’inflation législative,
l’adaptation du droit, la motivation des actes administratifs, la codification, la consolidation, la refonte des textes,
leur interprétation et leur réception. Cf. notamment BARRAUD (Boris), « La légistique », in La recherche
juridique, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016, p.213 et suivantes ; MORAND (Charles-Albert),
Légistique formelle et matérielle, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1999
44
LAMBOTTE (Christian), Technique législative et codification, Story Scientia (Bruxelles), 1988, p.10 (cité par
Karine GILBERT, La légistique au concret- Les processus de rationalisation de la loi, thèse, Uiniversité Paris II-
Panthéon-sorbonne, 2007)
45
Articles 12, 14, 15, 16, 20(1), 20(2), 21(2), 23(3), 24, 33(1)

273
définir une notion sur laquelle repose en réalité toute la consistance des comportements interdits
en ligne au bénéfice de la sécurité des mineurs. Et c’est en cela que réside la seconde lacune qui
tient à l’incomplétude de la définition du « contenu inapproprié ». En enfermant ce vocable
dans sept (7) catégories de conséquences de l’exposition des enfants aux contenus proscrits
(abus de substances psychoactives, discrimination, exclusion, comportements à risque, suicide,
violence), alors qu’il aurait été réaliste de saisir d’abord lesdits contenus par natures, la
définition court le risque de rendre tacitement excusables, des contenus qui ne donneraient pas
lieu aux conséquences ainsi énumérées.
La seconde observation inhérente aux éléments conceptuels, concerne l’appréhension
incomplète des acteurs du cyberespace, la définition partielle desdits acteurs et leur désignation
parfois disharmonieuse. Sur la première considération, l’on peut observer que l’identification
des acteurs du cyberespace procède tantôt d’une une approche générique (par exemple, les
fournisseurs de services en ligne), tantôt d’une approche corporative (par exemple, les
promoteurs de réseau social) entraînant la mise en évidence de certains acteurs et l’occultation
de divers autres. Ne sont ainsi pas explicitement mentionnés – ce qui peut avoir pour
conséquence de les exonérer de responsabilité – les fournisseurs de services de référencement
(alors que les fournisseurs de moteurs de recherche sont explicitement retenus), les fournisseurs
d’hébergement et les bloggeurs, la liste étant extensible. Il est constant qu’en tant
qu’intermédiaire technique, la responsabilité du fournisseur d’hébergement peut être engagée46
et qu’il n’en sera exonéré que dans les cas il n'avait pas effectivement connaissance du caractère
illicite du contenu ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère, ou dans le cas où,
dès le moment où elles ont eu connaissance des faits, il a agi promptement pour retirer les
données en cause ou en rendre l'accès impossible. La responsabilité de l’hébergeur est reconnue
par des juridictions étrangères dans plusieurs espèces47.
Concernant la deuxième considération, qui est corrélée à la première, il y a lieu de relever
que les dispositions consacrées aux obligations générales et spécifiques font ressortir une
douzaine d’acteurs du cyberespace relevant du secteur privé, que la Charte désigne sous le
vocable « intervenants dans le cyberespace ». Cependant, la moitié seulement desdits
intervenants sont définis à l’article 3 de la Charte48, sans que l’on puisse justifier l’occultation
qui est faite des autres intervenants dans ce cadre49. Par ailleurs, il se dégage une disharmonie
dans la désignation d’une même catégorie d’intervenants, ce qui génère une ambigüité dans la

46
Articles 34, 40 et suivants de la loi du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité
47
Condamnation d’un hébergeur à des dommages et intérêts pour publication, diffusion et non retrait de contenus
« illicites » et « incitant à la haine raciale » (Tribunal de Grande Instance de Paris, 13 avril 2010), condamnation
d’un hébergeur de sites pour mise en ligne d’un site internet au contenu illicite, non retrait de propos illicites et
non blocage d’accès au public du site (Tribunal de grande instance de Versailles, 1ère chambre, jugement du 26
février 2019, affaire Association des Juristes pour l’Enfance contre OVH et Subrogalia SL.) ; condamnation d’un
hébergeur d’un blog en même temps que le bloggeur auteur du blog, pour non suppression de contenus
manifestement illicites (Tribunal de Grande Instance de Brest, chambre correctionnelle, 11 juin 2013) etc.
48
Il s’agit des intervenants suivants : fournisseur d'accès à Internet ; fournisseur des contenus ; fournisseur de
moteurs de recherche ; gérant de cybercafé ; opérateur des communications électroniques ; promoteur de réseau
social.
49
Ne sont notamment pas définis : les fournisseurs de services en ligne, les opérateurs de communication
audiovisuelle, les opérateurs de réseaux de communications électroniques, les exploitants de systèmes
d’information, les responsables de traitement des données, les professionnels de la publicité

274
saisie desdits acteurs. Il en est ainsi par exemple des « fournisseurs des contenus »50,
« fournisseurs de contenu numérique »51 et des « fournisseurs des contenus en ligne »52, trois
termes changeant d’une occurrence à l’autre, alors que la définition consacre simplement le
terme « fournisseur des contenus ». L’on peut relever, dans le même registre, que le terme
« opérateur des communications électroniques » défini à l’article 3 n’est finalement utilisé
qu’une seule fois à l’article 34 et que l’on semble lui avoir substitué le terme « opérateurs de
réseaux de communications électroniques » 53 qui a cinq (5) occurrences dans le texte54.
La troisième observation formelle a trait à la faible normativité des dispositions du
chapitre II de la Charte qui peut en altérer l’applicabilité et l’effectivité. Ces dispositions
relatives au rôle des pouvoirs publics et du secteur privé présentent les traits de ce que Jean
FOYER a pu qualifier de « neutrons législatifs » 55 pour signifier des dispositions sans contenu
obligatoire et qui ne sont vouées à aucun effet en pratique. D’emblée, le choix du terme « rôle »
pour désigner l’ensemble des devoirs assignés aux pouvoirs publics et au secteur privé,
respectivement dans les sections I et II dudit chapitre, ne semble pas heureux. Le dictionnaire
Larousse56 prête au mot « rôle » le sens suivant : « fonction remplie par quelqu’un, attribution
assignée à une institution », tandis que Le Robert définit ce même mot comme la « conduite
sociale de quelqu’un qui joue un personnage ». Si le rôle peut, dès lors, être appréhendé comme
la fonction, ou l’attribution, il est à supposer que le législateur a voulu atténuer la contrainte
qu’il aurait pu faire peser sur les deux catégories d’acteurs saisis par le chapitre II. On peut
subodorer qu’il n’a pas souhaité assigner explicitement des « obligations » aux pouvoirs publics
qui ne sont pas concernés par les obligations générales et spécifiques aménagées
subséquemment au chapitre III.
Une autre illustration de cette faible normativité se trouve dans les choix lexicaux à faible
teneur de contrainte, opérés dans les articles 9 et 11. C’est le cas du mot sensibiliser qui apparaît
dans l’article 9 où l’on peut lire que : « Le Ministère en charge de la communication sensibilise
les médias... » et des termes « concourir », « respecter » et « participer », utilisés à l’article 11
qui dispose que le secteur privé « concourt à rendre le cyberespace national plus sécurisé »,
« respecte les droits des enfants... », « participe à la sensibilisation et à la formation des
enfants...».

50
Art. 3 et 14
51
Art. 16
52
Art. 23 et suivants.
53
Non défini par la Charte mais défini par la loi du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques
au Cameroun
54
Articles 24, 25, 28, 29 et 33.
55
Ce terme est apparu dans le propos suivant tenu en 1982 par Jean FOYER au Parlement français : « [...] Cette
semaine, le ministre d’Etat, ministre d la recherche et de la technologie, nous présente un projet dont je dirai, ne
parlant pas latin pour une fois (sourires), mais empruntant ma terminologie à la langue des physiciens, qu’il est
pour l’essentiel un assemblage de neutrons législatifs, je veux dire de textes dont la charge juridique est nulle »
(Assemblée Nationale, 3e séance du 21 juin 1982, compte rendu intégral, orientation de la recherche et du
développement technologique. Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat après déclaration
d’urgence, p. 3667)
56
www.Larousse.fr, consulté le 23.9.2023 à 17h35

275
Le syndrome des dispositions à faible charge normative n’est pas tout à fait nouveau. Le
Professeur Alain Didier OLINGA57 a évoqué, à ce propos l’émergence, dans la pratique
législative camerounaise, d’une double tendance : celle de l’adoption de lois d’orientation ou
des chartes « dont la caractéristique principale est d’énoncer des principes directeurs et des
objectifs qui seraient poursuivis et réalisés progressivement ». Ce sont, poursuit-il, « des
programmes politiques qui, en réalité, ont besoin probablement d’autres lois pour descendre
vers le seuil d’effectivité et d’applicabilité ». Mettant en exergue les inconvénients de cette
pratique législative courante, le Professeur OLINGA fustige une « politique législative
rédhibitoire, avec l’adoption de lois dont le législateur a parfaitement conscience qu’elles n’ont
pas vocation à déployer immédiatement de potentiel régulateur quelconque » et rappelle que
« la loi […]est faite pour prescrire ou proscrire et non pour définir des objectifs politiques ou
pour exprimer des professions de foi idéologiques »58. Le Juge constitutionnel français s’est
attaqué à cette pratique59. C’est dans cet ordre d’idée que le 21 avril 2005, le Conseil
constitutionnel a déclaré pour la première fois contraire à la Constitution, une disposition
législative qu’il a jugée « manifestement dépourvue de toute portée normative »60. Les
insuffisances de la Charte porte aussi sur des aspects matériels.

2. Les limites matérielles intrinsèques de la Charte de protection des enfants en ligne


Les imperfections de la Charte sur le plan matériel ont essentiellement trait au traitement
parcellaire d’un certain nombre de problématiques et au mutisme de la loi sur divers autres
enjeux déterminants de la sécurité de l’enfant en ligne. Dans le registre des problématiques
insuffisamment ou faiblement traitées par la Charte, figurent la majorité numérique et la
prévention des pathologies liées à la surconsommation de l’Internet. Concernant le premier
enjeu, la loi ne détermine pas de manière explicite une majorité numérique, entendue comme
l’âge à partir duquel l’enfant peut, par son seul consentement, accéder à Internet en général et
à un réseau social, en particulier. 61 Le mutisme de la loi induirait-il que cette majorité est fixée

57
OLINGA (Alain Didier), La constitution de la République du Cameroun, troisième édition revue et augmentée,
Yaoundé, Presses de l’Université Catholique d’Afrique Centrale, juillet 2023, pp. 138-139
58
Idem
59
Dans un discours prononcé le 3 janvier 2005 (à l’occasion de ses vœux au Président de la République) M. Pierre
MAZEAUD, alors Président du Conseil Constitutionnel, avait rappelé que « la loi n’est pas faite pour affirmer
des évidences, émettre des vœux ou dessiner l’état idéal du monde (en espérant sans doute le transformer par la
seule grâce du verbe législatif ?). La loi ne doit pas être un rite incantatoire. Elle est faite pour fixer des obligations
et ouvrir des droits », cf. Les Cahiers du Conseil Constitutionnel, 18/2005
60
Décision n°2005-512 DC, 21 avril 2005, JO 24 avril 2005 p.7173. L’article 12 de la loi « d’orientation et de
programme pour l’avenir de l’école », dite Loi Fillon, « fait référence à un texte de portée politique mélangeant
les souhaits, les pétitions de principe et des objectifs [...]. Cet article dépourvu de portée normative ne peut
qu’encourir la censure ». Cité par Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Cahiers du Conseil Constitutionnel n°21
(Dossier : La normativité), janvier 2007. Consulté sur www.conseil-constitutionnel.fr le 24.9.2023 à 23h42
61
En France, cette question est réglée par la Loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité
numérique et à lutter contre la haine en ligne qui a pour objectif de renforcer la protection des enfants à l’ère des
réseaux sociaux. Cette loi instaure une majorité numérique à 15 ans pour s’inscrire seul sur lesdits réseaux et oblige
les plateformes numériques à : refuser l'inscription à leurs services des enfants de moins de 15 ans, sauf si un des
parents a donné son accord ; vérifier l'âge de leurs utilisateurs et l'autorisation parentale, à l’aide d’une solution
technique à mettre en place, conformément à un référentiel que doit élaborer l’Autorité de régulation de la
communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), après consultation de la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) ; informer, lors de l'inscription, les enfants de moins de 15 ans et leurs parents
sur "les risques liés aux usages numériques et les moyens de prévention" et sur les conditions d'utilisation de leurs
données personnelles ; permettre aux parents, ou à l'un des deux, de demander la suspension du compte de leur

276
à 18 ans ? Ce silence est, en tout état de cause, préjudiciable à la détermination du périmètre
de responsabilité des plateformes numériques, des parents ou des tuteurs, quand on sait que la
majorité des enfants se connectent régulièrement à un âge en dessous de 18 ans 62, y compris
pour les besoins du télé-enseignement qu’impose le système éducatif moderne.
Dans cette même veine, le fait que la loi n’ait pas posé le principe de la possible limitation
du temps de consommation de l’Internet est préjudiciable à la prévention de la surexposition en
ligne des enfants. La problématique de santé publique inhérente à la consommation (abusive
voire addictive) de l’Internet est ignorée par la Charte, à l’image du droit positif national qui
continue à l’esquiver, alors que l’utilisation des plateformes en ligne, la surinformation et
l’exposition aux fausses informations ne sont pas sans conséquences sur la santé physique et
mentale des enfants. Entre autres mesures correctives, cet enjeu pourrait déjà être pris en compte
dans le cadre de l’élaboration du Plan d'Action National de Protection des Enfants en Ligne
Plan d’Action, dans la mesure où cette question peut s’insérer dans la vocation assez ouverte63
de cet instrument de politique publique, prévu par l’article 4 de la Charte.
S’agissant des omissions substantielles, elles concernent principalement le régime de
responsabilité et le périmètre des incriminations. La Charte ne fait pas cas des infractions
numériques commises par des mineurs en général et à l’encontre d’autres mineurs, en
particulier. La responsabilité du mineur et les dispositifs disciplinaires adossés aux infractions
commises par des mineurs sur Internet64 sont jusqu’ici ignorés par le droit positif qui,
conséquemment, les soumet au régime de droit commun, avec le risque et l’inconvénient de
leur inadaptation. Or, au-delà de la croissance de la délinquance en ligne et de la nécessité
d’encadrer le régime des sanctions applicables, il est aisé de constater que l’internaute mineur
est bien souvent victime de la délinquance de ses congénères en ligne. Corrélativement, l’on
peut regretter que la Charte n’ait pas davantage légiféré sur la responsabilité des parents ou
tuteurs du mineur en situation d’infracteur en ligne. Légiférer sur cet objet aurait répondu au
double objectif de protéger la société contre la délinquance du mineur en ligne mais aussi, de
protéger le mineur contre la défaillance parentale et ses conséquences sur la santé, la sécurité,
la moralité ou l’éducation du mineur. Dans cette même veine, il ne serait pas excessif de prévoir
que la responsabilité pénale des parents et tuteurs puisse être engagée du fait de l’exposition
inappropriée de l’image ou de l’identité des enfants65, la parenté et la tutelle ne pouvant conférer

enfant de moins de 15 ans ; activer, lors de l'inscription d'un mineur, un dispositif de contrôle du temps passé en
ligne. Le jeune devra être informé régulièrement par des notifications
62
Au Cameroun comme ailleurs, les enfants sont massivement connectés aux réseaux sociaux et s'y inscrivent de
plus en plus tôt. En France, et d’après une enquête de la Commission nationale de l'informatique et des libertés
(CNIL) de 2021, la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne vers l'âge de 8 ans et
demi et plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur ces plateformes. Source : https://www.vie-
publique.fr/loi/288274-majorite-numerique-15-ans-reseaux-sociaux-loi-7-juillet-2023 consulté le 9.11.2023
63
Aux termes de l’article 5 de la Charte, « Le Plan d'Action National de Protection des Enfants en Ligne vise
notamment à : garantir à l'enfant un accès sécurisé à l'Internet pour son apprentissage, le développement de ses
potentiels et son épanouissement ; sensibiliser les acteurs de la chaîne de protection des enfants contre les
effets pervers de l'internet ; prendre en compte la protection des enfants dans le traitement et la diffusion des
informations par les professionnels de l'audiovisuel ».
64
Pour une analyse comparée sur la question, voir POTIN (Emilie), HENAFF (Gaël), MEIGNEN (Laura) et
SEZNEC (Aurélie), « Quel traitement de l’indiscipline en ligne des mineurs ? », Open Edition Journals, 29/2023,
(article disponible en ligne à l’adresse https://journals.openedition.org/champpenal/15143) ; EYIKE-VIEUX
(Dieudonné), Le mineur et la Loi Pénale Camerounaise, Presses Universitaires d’Afrique, 2004.
65
A l’instar des cinéastes amateurs qui enrôlent des enfants dans des vidéogrammes.

277
le droit d’écorner l’image de l’enfant d’aujourd’hui et de compromettre, par ce fait, la réputation
et les chances d’épanouissement de l’adulte de demain.
Le législateur a également ignoré plusieurs comportements transgressifs émergents en
ligne et qui constituent de potentielles sources de préjudice aux droits des enfants, exigeant une
politique pénale plus dissuasive que le droit pénal commun. Il en est ainsi par exemple du cyber-
harcèlement ; du lynchage médiatique ou « bashing » ; du cyber-chantage ; de l’exposition des
enfants aux dérives sectaires66 ; de la provocation d’un mineur à commettre un crime ou un
délit67 ; de la provocation d’un mineur à consommer des stupéfiants ou à commettre un délit
relatif aux stupéfiants68 ou encore de la provocation d’un mineur à consommer de l’alcool69.
Fait également l’objet d’un traitement perfectible, le régime des obligations des
intervenants dans le cyberespace. En constitue une illustration, le périmètre insuffisant des
assujettis à l’obligation de recueillir le consentement des parents ou tuteurs avant toute prise de
vue ou de son des enfants. Cette obligation prévue à l’article 26(2) de la Charte, est assignée
uniquement aux opérateurs de communication audiovisuelle, alors que les atteintes au droit à
l’image de l’enfant ne sont pas que le fait des opérateurs (autrement dit, des professionnels), de
la communication audiovisuelle. Au moyen d’un terminal mobile, l’entrepreneur numérique et
l’internaute lambda en quête de retentissement médiatique sur les réseaux sociaux, portent
régulièrement atteinte au droit à l’image de l’enfant. L’article 35 de la Charte70 ne semble pas
saisir entièrement cet enjeu, dès lors qu’il n’incrimine que la divulgation de l’identité de l’enfant
en situation de vulnérabilité, sans pour autant sanctionner l’exposition de son image en situation
dévalorisante ou, à tout le moins, sans un consentement éclairé, d’une manière générale. Au-
delà des imperfections de la Charte, l’effectivité de la protection des enfants en ligne pourrait
souffrir des insuffisances du régime de protection des données à caractère personnel.

3. Les contraintes extrinsèques du cadre juridique : les tares du régime de


protection des données à caractère personnel
Le commerce des informations personnelles des enfants n'a pas été clairement prohibé
dans la loi du 25 juillet 2023, alors que les enfants sont particulièrement vulnérables à ces
pratiques de collecte d’informations sur eux ou de l’emploi potentiel de ces informations. La
question des données personnelles n’est abordée, de manière rapide, qu’à l’article 23(2) de la
Charte qui instaure à l’égard des fournisseurs des contenus et de services en ligne, l’obligation
de mettre en place « un système de paramétrage en vue du respect de la vie privée dans les

66
En France, la loi n°2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements
sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, protège les mineurs des messages
promouvant les mouvants sectaires.
67
Art. 227-21 du Code pénal français
68
Il importe de relever que la définition, à l’article 3 de la Charte, du « contenu inapproprié » y inclut les contenus
favorisant « l’abus de substances psychoactives ». Pourtant, cet objet n’est traité dans aucune disposition
subséquente de la Charte dans le sens de la proscription de contenu exposant ou incitant l’enfant à la consommation
de telles substances.
69
Art. 227-19 du Code pénal français
70
Aux termes de cet article, est puni d'un emprisonnement d'un (01) mois à deux (02) ans et d'une amende de cinq
mille (5 000) à cinq cent mille (500 000) francs CFA, toute personne qui divulgue l’identité de l’enfant en situation
de vulnérabilité dans le traitement des sujets susceptibles de lui porter préjudice notamment lorsqu’il existe un
risque de stigmatisation après diffusion.

278
systèmes qui recueillent, traitent, stockent, commercialisent et publient des données
personnelles, y compris des informations sur la localisation de l'utilisateur et ses habitudes de
navigation sur internet lorsque ces données concernent les enfants ». Le législateur a-t-il voulu
réserver au droit commun le régime de protection des données de l’enfant en ligne ? Un tel
choix fragilise la protection des enfants en la matière, au regard des carences du cadre juridique
et institutionnel y afférent.
La protection des données personnelles fait l’objet d’un traitement épars en droit positif
camerounais. Elle est abordée principalement par la loi de 2010 relative à la cybersécurité dont
diverses dispositions71 aménagent des obligations en matière de protection de la vie privée, de
la confidentialité, de la sécurité et de l’intégrité des données à caractère personnel, assorties
d’un régime de responsabilités et de sanctions. Elle est aussi abordée accessoirement par divers
autres textes, notamment, sans que cette énumération soit exhaustive, la loi du 21 décembre
2010 régissant les communications électroniques72, la loi n°2010/021 du 21 décembre 2010
régissant le commerce électronique au Cameroun73 ; le décret n°2013/0399/PM du 27 février
2013 fixant les modalités de protection des consommateurs des services de communications
électroniques, le décret n°2015/3759 du 16 septembre 2015 fixant les modalités d'identification
des abonnés et des équipements terminaux des réseaux de communications électroniques74, le
Code électoral et le Code pénal, notamment en ce qui concerne la gestion des données du fichier
électoral etc. Si des principes protecteurs sont énoncés par ces textes, ceux-ci n’occultent pas
l’incomplétude normative et l’absence préjudiciable d’un cadre institutionnel idoine.
Sur le plan normatif, les insuffisances ont trait à l’absence d’un cadre juridique
spécifiquement dédié à la protection des données à caractère personnel. Il en résulte, comme le
relève une étude du Groupement Inter-patronal du Cameroun (GICAM)75, plusieurs carences
normatives, notamment : l’absence d’une définition de données à caractère personnel76 qui pose
des difficultés quant à sa compréhension par les responsables de traitement desdites données ;
l’absence d’une détermination du contenu et des éléments constitutifs des données à
caractère personnel ; l’absence de définition d’un cadre approprié pour la collecte, le
traitement, la transmission, le stockage ou toute autre utilisation des données à caractère

71
Notamment les articles 25, 26, 31, 34, 35, 42, 55, 65, 66, 67, 68, 69, 71 et 74
72
Le principe de la protection des données à caractère personnel en tant que droit au respect de la vie privée garanti
à l’utilisateur des communications électroniques, est posé par les articles 3(2) et 54 de la loi régissant les
communications électroniques. L’article 3(2) fait de la protection des données personnelles une exigence
essentielle dans le cadre de l’établissement et de l’exploitation des réseaux ainsi que de la fourniture des services
de communications électroniques. L’article 54, quant à lui, fixe aux opérateurs une obligation générale de
protection de la vie privée.
73
L’art.45 de cette loi instaure une obligation de confidentialité et de secret professionnel, en punissant des peines
prévues à l’article 310 du code pénal, l’autorité de certification et/ou ses agents qui divulguent, incitent ou
participent à la divulgation des informations qui leur sont confiées dans le cadre de l’exercice de leurs activités
74
Ce texte aménage en ses articles 17 à 20, des garanties de confidentialité des données d’identification.
75
« L'urgence d'un cadre juridique spécifique à la protection des données à caractère personnel au Cameroun »,
une production de la Commission Economique Numérique du Groupement inter-patronal du Cameroun (GICAM),
avec les contributions de Inna IBERI (Evolving Consulting) et Frank NZOUETOM (Mazars Cameroun).
76
En droit comparé, la question de la définition de la donnée personnelle n’est pas davantage tranchée. Le
Professeur Pascal MBONGO constate que cette définition est « hésitante », comme le montre la question de savoir
si toute adresse IP est assimilable à une donnée à caractère personnel, sur laquelle la CNIL, la Cour de Cassation,
le Conseil constitutionnel et la Cour de Justice de l’Union européenne ont exprimé des approches et analyses
différenciées (in MOURON (Philippe) et PICCIO (Carine) (dir.), L’ordre public numérique. Libertés,
propriétés, identités, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, « préface », p.14

279
personnel ; la limitation du champ d'application de la loi de 2010 relative à la cybersécurité
aux données traitées par les opérateurs de réseaux, les fournisseurs de contenus et les
hébergeurs ; l’insuffisante détermination des obligations des responsables de traitement des
données ; l’absence d’une énonciation des droits des personnes dont les données sont sujettes à
collecte ; l’absence d’une détermination explicite des recours disponibles en cas de traitement
illicite des données.
Bien plus, le régime de protection des données n’a pas encore intégré les principes
consacrés en la matière sur le plan régional, le Cameroun n’ayant pas encore ratifié la
Convention de l’Union Africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère
personnel77. Adoptée le 27 juin 2014 à Malabo (Guinée Equatoriale), cette convention (dite
« Convention de Malabo »), énonce des principes fondamentaux régissant le traitement des
données à caractère personnel, ainsi que les principaux droits de la personne concernée par le
traitement des données78. Son champ d’application couvre un spectre large incluant le
traitement des données concernant la sécurité publique, la défense, la recherche et la poursuite
d’infractions pénales ou la sûreté de l’Etat, sous réserve des dérogations définies par des
dispositions spécifiques fixées par d’autres textes de loi en vigueur. Même si la convention de
Malabo reste perfectible par rapport aux instruments européens analogues - en particulier la
Convention de Budapest sur la cybercriminalité dont elle a pu s’inspirer dans une moindre
mesure - , sa ratification œuvrerait à l’effectivité de la protection des données à caractère
personnel et à l’avènement d’une meilleure coopération régionale en la matière79.
S’agissant des leçons tirées de la coopération régionale dans le cadre, plus évolué, de
l’Union Européenne (U.E), il faut relever que règlementation des données personnelles a été
régionalisée en Europe à la faveur du Règlement Général de Protection des Données (RGPD),
adopté en 2016 par le Parlement européen et entrée en vigueur le 25 mai 2018. Il encadre le
traitement des données de manière égalitaire sur tout le territoire de l'U.E et s'applique
également aux entreprises et ressortissant européens établis hors du territoire européen « mais
dans un lieu où le droit d'un État membre s'applique en vertu du droit international public »80.
Le RGDP fait l’objet d’une application étendue, confirmée par la jurisprudence européenne81.
Il « a vocation à s’appliquer à l’ensemble des traitements qui concernent les citoyens de
l’Union, même ceux qui sont effectués hors de l’Union par des sociétés établies hors de l’Union,

77
L’entrée en vigueur de ladite convention court trente jours après la réception, par le Président de la Commission
de l’Union Africaine, du quinzième instrument de ratification (art. 36). Or, sur les 55 pays de l’Afrique, l’on ne
dénombre, au 11 avril 2023, que 18 signataires et 14 ratifications. Ce qui ne permet pas l’entrée en vigueur de
ladite convention. Source : site de l’UA : https://au.int/sites, consulté le 12.12.2023 à 20h15.
78
Il s’agit des quatre principaux droits suivants : le droit à l’information sur les données ; le droit d’accès ; le droit
d’opposition et le droit de rectification ou de suppression, souvent qualifié de « droit à l’oubli » (art. 16 à 19 de la
convention de Malabo).
79
La Convention engage chaque Etat à « mettre en place un cadre juridique ayant pour objet de renforcer les droits
fondamentaux et les libertés publiques, notamment la protection des données physiques et de réprimer toute
infraction relative à toute atteinte à la vie privée sans préjudice du principe de la liberté de circulation des données
à caractère personnel » (art. 8)
80
Art. 3 et 27 du RGPD
81
CJUE (Grde Chbre), 13 mai 2014, Google Spain SL et Google Inc. Contre Agencia Espanola de Proteccion de
Datos (AEPD) et Mario Costeja Gonzalez, C-131/12)

280
créant un lien juridique dans le cadre des contrats de sous-traitance »82. Le RGPD encadre les
droits de la personne concernée par le traitement des données et fixe les obligations qui
incombent aux responsables du traitement des données, suivant un certain nombre de principes
fondamentaux83.
En mobilisant un exemple de prise en charge nationale de la problématique de la
protection des données personnelles, l’on peut relever qu’en France, à titre d’exemple, la loi
relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978, communément désignée
« loi Informatique et Libertés » constitue le fondement de la protection des données à caractère
personnel dans les traitements informatiques mis en œuvre sur le territoire français. Elle a été
actualisée le 6 août 2004 à la faveur de la transposition de la directive européenne du 24 octobre
1995 sur la protection des données à caractère personnel (directive 95/46/CE)84. C’est cette loi
qui a institué et organisé la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL),
régulateur des données personnelles. La CNIL est une autorité administrative indépendante
chargée de veiller à ce que l’informatique soit au service du citoyen et qu’elle ne porte atteinte
ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles
ou publiques. Un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 13 mai 2014 a renforcé
l’autorité de la CNIL en affirmant l’assujettissement des plateformes numériques globales à la
règlementation européenne sur la protection des données85, ce qui a abouti, selon un auteur, à
« mettre au pas les géants américains de l’Internet 86».
Autant que l’analyse comparée, la doctrine abondante en la matière87 établit que le cadre
institutionnel constitue, au Cameroun, un facteur de faiblesse du régime de protection des
données à caractère personnel. Si le système judiciaire88, qui est l’une des deux branches de ce

82
FAVRO (Karine), Droit de la régulation des communications numériques, LGDJ, Lextenso éditions, 2018,
pp.57-58
83
Le principe de finalité ; le principe de proportionnalité et de pertinence ; le principe d'une durée de conservation
limitée ; le principe de sécurité et de confidentialité ; les droits des personnes
84
En termes d’évolution plus récente du cadre normatif, il convient de relever que le règlement général sur la
protection des données ainsi que la directive relative à la protection des données à caractère personnel à des fins
répressives ont été adoptés le 14 avril 2016 par le Parlement européen. Ce règlement est directement applicable
dans l'ensemble des 28 États membres de l'Union Européenne depuis 2018.
85
CJUE (Grde Chbre), 13 mai 2014, Google Spain SL et Google Inc. Contre Agencia Espanola de Proteccion de
Datos (AEPD) et Mario Costeja Gonzalez, C-131/12. Dans cette décision, la Cour a accordé la possibilité à une
personne – sous certaines conditions – de s’adresser à un moteur de recherche pour obtenir la suppression des liens
vers des pages web contenant des informations portant atteinte à sa vie privée. Après quoi, Google a ouvert un
formulaire en ligne permettant aux internautes européens de demander le retrait des informations personnelles
dans les résultats du moteur de recherche.
86
FOREY (Elsa), Propos introductif in L’Internet et la démocratie numérique, Presses Universitaires de
Perpignan, 2016, p.18.
87
Au sujet de cette problématique, lire entre autres : FONGANG (Henri), La protection de la vie privée à
l’épreuve des réseaux sociaux numériques en droit camerounais, Thèse de Doctorat PhD, Université de Yaoundé
II, FSJP, année académique 2022-2023 ; YOUMSSI EYA (Yvan Lionnel), La protection des données
informatiques à caractère personnel au Cameroun, Mémoire en vue de l’obtention du diplôme de Master en Droits
de l’Homme et Action Humanitaire, Université Catholique d’Afrique Centrale, 2017-2018 ; KAMENI (Guy
Marcel), La vie privée en droit camerounais, Thèse en vue de l’obtention du Doctorat de l’Université de Toulouse,
Université de Toulouse 1 Capitole, en cotutelle internationale avec l’Université de Douala, 2012-2013 ; TINA
(Lesly Clarence), Droits de l’homme et numérique au Cameroun, Mémoire de Master, droit public, Université de
Yaoundé II, FSJP, 2020-2021 etc.
88
Les acteurs du système judiciaire sont notamment les officiers de police judiciaire à compétence générale et les
agents habilités de l’ANTIC, ainsi que le Procureur de la République, respectivement compétent pour constater et
rechercher pour les uns, et engager des poursuites en cas d’infraction cybernétique pour l’autre, conformément

281
cadre institutionnel, ne suscite pas de contraintes majeures, il n’en va pas autant des organes
non juridictionnels. Ici, l’architecture institutionnelle consacre le rôle infime de l’ART, qui
collabore avec l’ANTIC en matière de sécurisation des réseaux de communication électronique
et de régulation de l’Internet, et le rôle prépondérant de l’ANTIC. En effet, l’article 4 du décret
n°2019/150 du 22 mars 2019 portant réorganisation et fonctionnement de l’Agence Nationale
des Technologies de l’Information et de la Communication, confère à l’ANTIC des attributions
générales en matière de protection de la vie privée89. Pour l’accomplissement de ces missions,
l’ANTIC dispose des pouvoirs de surveillance, d’investigation, d’injonction, de coercition et
de sanction. Cependant, la configuration actuelle de cet établissement public administratif
n’obéit pas au profil organique prescrit par l’article 11 de la convention de Malabo qui prévoit
entre autres que « L’autorité nationale de protection est une autorité administrative
indépendante chargée de veiller à ce que les traitements des données à caractère personnel
soient mis en œuvre conformément aux dispositions de la présente convention »90. La
convention engage par ailleurs les Etats partie à « doter les autorités nationales de protection
des moyens humains, techniques et financiers nécessaires à l’accomplissement de leur
mission »91. Au demeurant, le cadre institutionnel pourrait être le talon d’Achille de la
protection des enfants en ligne.

B- Les pesanteurs liées au cadre institutionnel de protection des enfants en ligne

Malgré son caractère innovant, le cadre institutionnel non juridictionnel de protection des
enfants en ligne est obéré par les difficultés structurelles de l’organe chargé de la régulation des
TIC (1) et, de manière systémique, de celles des autres autorités de régulation convoquées par
la Charte (2). Le volet institutionnel mériterait en conséquence d’être adressé en profondeur
dans la réflexion sur les modalités d’opérationnalisation de la Charte de protection des enfants
en ligne (3).

1. Les contraintes structurelles de l’organe chargé de la régulation des TIC


L’article 10(1) de la Charte de protection des enfants en ligne prévoit que « L'organe
chargé de la régulation des TIC déploie des moyens préventifs et répressifs nécessaires à la
protection des enfants dans le cyberespace national ». Pour ce faire, la Charte nantit l’ANTIC
de prérogatives spécifiques en ses articles 27 (pouvoir de prendre des mesures pour mettre fin
aux atteintes aux droits des enfants en ligne lorsque celles-ci ne constituent pas des infractions),
28 (pouvoir de mettre en demeure les intervenants dans le cyberespace), 29 (pouvoirs de
sanction) et 32 (pouvoir de constatation des infractions). Ces dispositions érigent l’ANTIC en
gardien de la sécurité des enfants en ligne. La mise en œuvre de cette mission peut cependant

aux dispositions des articles 36, 41, 52 à 59 de la loi relative à la cybersécurité. La coopération internationale et
l’entraide judiciaire internationales, régies par les articles 90 à 94 de la loi du 21 décembre 2010 relative à la
cybersécurité, constituent aussi des moyens d’action dans ce cadre.
89
Cet article dispose : « Dans le cadre des missions de promotion et du suivi de l’action des pouvoirs publics en
matière des technologies de l’information et de la communication, l’Agence est notamment chargée : […] de
veiller, dans l’usage des TIC, au respect de l’éthique, ainsi qu’à la protection de la propriété intellectuelle, des
consommateurs, des bonnes mœurs et de la vie privée ».
90
Art. 11(1) b
91
Art. 11(8)

282
s’avérer laborieuse au regard des pesanteurs structurelles qui limitent l’efficacité de l’ANTIC
sous sa forme actuelle.
Instituée par l’article 96(1) de la Loi n°2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les
communications électroniques92, en tant qu’organisme chargé de la promotion et du suivi de
l’action des pouvoirs publics en matière des technologies de l’information et de la
communication, les missions de l’ANTIC sont également issues de l’article 7(2) de la loi
n°2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité. Ces
missions ont été reprises de manière plus ou moins fidèle par le décret n°2019/150 du 22 mars
2019 portant réorganisation de l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la
Communication qui fait de l’ANTIC un établissement public administratif doté de la
personnalité juridique et de l’autonomie financière, placé sous la tutelle technique du Ministère
en charge des télécommunications et financière, du Ministère en charge des finances. En dehors
de la cybersécurité et de la promotion des TIC, l’ANTIC est chargée de veiller, dans l’usage
des TIC, au respect de l’éthique, ainsi qu’à la protection de la propriété intellectuelle, des
consommateurs, des bonnes mœurs et de la vie privée. Ces missions demeurent partiellement
assurées, d’autres, à l’instar de la protection de la vie privée, ne l’étant que de manière infime.
Bien que doté de pouvoirs de surveillance, d’investigation, d’injonction, de coercition et
de sanction, l’ANTIC souffre de contrainte structurelles, la première étant la consistance peu
viable, ni soutenable ni réaliste de ses attributions93. De plus, sur le plan juridique, les
insuffisances de la législation en vigueur94, notamment en matière de saisie catégorielle des
acteurs du numérique, de définition du champ de leurs obligations et responsabilités et de
périmètre des incriminations, affaiblissent la régulation. Par ailleurs, divers textes d’application
de ces lois n’ont toujours pas été édictés. Sur le plan technique, l’ANTIC dispose d’un Centre
de Réponse aux Incidents de Sécurité Informatique qui a une mission préventive et réactive en
matière de sécurisation du cyberespace et de protection des usagers. Mais au-delà d’un déficit
en ressources humaines qualifiées, l’ANTIC ne dispose pas des infrastructures matérielles et
logicielles suffisantes pour réaliser pleinement ses missions de veille sécuritaire et le
renforcement de ses capacités logistiques exige des moyens financiers conséquents.95 Ces
contraintes structurelles faisant perdurer des angles morts de la régulation, le réalisme
suggèrerait de recentrer l’ANTIC sur son cœur de métier, à savoir à sécurisation des réseaux et
systèmes de communication électronique et de la délester des missions qui ne peuvent être

92
L’ANTIC est néanmoins antérieure à la loi régissant les communications électroniques, puisqu’elle a été créée
par décret n°2002/092 du 08 avril 2002. Elle est entrée dans sa phase opérationnelle en 2009. Les lois n°2010/021
et 2010/013 du 21 décembre 2010 (régissant respectivement le commerce électronique et les communications
électroniques) et n°2010/012 du 21 décembre 2010 (relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité au
Cameroun), lui ont conféré la mission de sécurisation des réseaux de communications électroniques et des
systèmes d’Information, qui est venue s’ajouter à celle, initiale, de promotion et de suivi de l’action des pouvoirs
publics en matière de développement des TIC.
93
A elle seule, l’ANTIC assure les missions dévolues à trois autorités françaises : l’ANSSI, l’ARCOM (pan de
mission hérité de l’HADOPI, à savoir, la protection de la propriété intellectuelle) et la CNIL
94
Principalement, les lois n°2010/021, n°2010/013 et 2010/012 du 21 décembre 2010 régissant respectivement le
commerce électronique, les communications électroniques et la cybersécurité, ainsi que la loi de 1990 relative à la
communication sociale au Cameroun.
95
Les ressources de l’ANTIC sont principalement constituées de la quote-part des contributions des opérateurs de
communications électroniques à son fonctionnement et de la quote-part des recettes relatives à la redevance sur
l’assignation et l’utilisation des fréquences radioélectriques et des subventions de l’Etat

283
adéquatement mises en œuvre sous son égide, à l’instar la protection de la vie privée et des
données à caractère personnel et de la protection de la propriété intellectuelle.
Dans cette perspective, le cadre organique de l’Agence Nationale de la Sécurité des
Systèmes d’Information (ANSSI)96, organisme français analogue, pourrait être inspirant.
Monsieur BOUNOUNG ESSONO milite en faveur de cette option, en soulignant : « les
missions de l’ANTIC pourraient être fondamentalement revues aux fins que cette structure se
concentre uniquement sur les missions relatives à la mise en œuvre de la politique nationale en
matière de sécurité des réseaux de communications électroniques et de certification
électronique, suivant le modèle de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information
en France (ANSSI). Cette mutation aurait pour principal avantage de supprimer les
chevauchements et querelles de compétences ainsi que les insuffisances de collaboration
relevées entre l’ART et l’ANTIC »97. Dans le même temps, afin de s’arrimer à la Convention de
Malabo, une entité indépendante distincte pourrait être créée pour la protection des données à
caractère personnel, éventuellement sur le modèle de la CNIL qui a inspiré des pays tels que le
Bénin. La réforme de l’ANTIC ne suffirait cependant pas à affiner le cadre institutionnel si les
autres segments de la régulation ne sont pas ajustés.

2. Les autres contraintes systémiques du cadre institutionnel de régulation du


cyberespace
L’article 27 de la Charte de protection des enfants en ligne dispose que « Lorsque les
atteintes aux droits des enfants en ligne ne constituent pas des infractions pénales, l’organe
chargé de la régulation des TIC prend des mesures pour y mettre fin, en collaboration avec
l’organe chargé de la régulation des télécommunications et celui chargé de la régulation des
médias ». Le trio des organismes ainsi missionnés pour la régulation corrective du cyberespace
au profit de la sauvegarde des droits des enfants, renvoie, en l’état actuel du paysage
institutionnel, respectivement à l’ANTIC, à l’Agence de Régulation des Télécommunications
(ART) et au Conseil National de la Communication (CNC), les deux derniers venant en soutien
du premier. Il y a lieu de craindre que les pesanteurs qui obèrent aussi le fonctionnement de
ces deux autres organismes ne soient de nature à retarder l’effectivité de la régulation projetée.
Ayant initialement existé sous l’empire de la loi de 1998 régissant les
télécommunications, l’ART est à nouveau été instituée, avec des missions renouvelées, par la
loi de 2010 régissant les communications électroniques. Son organisation sous la forme d’un
établissement public à caractère spécial, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie
financière, est issue du décret n°2020/727 du 3 décembre 2020 portant réorganisation et
fonctionnement de l’Agence de Régulation des Télécommunications. Les missions de
régulation de l’ART peuvent être subdivisées en quatre blocs : le contrôle du respect de la
règlementation des communications électroniques ; la régulation des titres d’exploitation et des
tarifs ; la régulation du marché des communications électroniques et la protection des

96
Créé par décret en 2009, l’ANSSI est l’autorité chargée d’assister le Premier Ministre dans l’exercice de ses
responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale. Cet organisme à compétence nationale est rattaché
au Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale.
97
BOUNOUNG ESSONO (Sosthène), La régulation des communications électroniques à l’épreuve de la
convergence : le cas du Cameroun, Mémoire de Master, Télécoms Paris Tech, 2014, p.107.

284
consommateurs. A la différence de l’ANTIC dont les contraintes sont structurelles, celles de
l’ART sont davantage fonctionnelles.
Investi des pouvoirs de régulation, de contrôle, d’investigation98, d’injonction, de
coercition et de sanction, l’ART présente pourtant une performance discutée, comme en ont
témoigné les mouvements de boycotts orchestrés en 2023 par les organisations des
consommateurs pour protester contre la mauvaise qualité des services de téléphonie mobile.
Pour cause, le contrôle des activités des opérateurs de ce segment de marché se caractérise par
une faible proactivité de la régulation, la résistance des opérateurs à la loi et la lenteur du
régulateur dans le traitement des différends, une mission qui lui est dévolue par la loi. Ces
bémols résultent pour partie de l’omniprésence de la tutelle dans le fonctionnement de l’ART,
symptôme d’une application perfectible des dispositions qui encadrent les rapports entre la
tutelle et les organes dirigeants des organismes publics99. Un analyste souligne à ce sujet : « En
créant L’Autorité de régulation avec le statut d’établissement public de l’Etat à caractère
administratif, placée sous la tutelle du ministère en charge des télécommunications, l’Etat [sic]
n’a pas voulu lui donner l’indépendance requise au regard pourtant des importantes missions
qui lui ont été confiées. La subordination de l’Autorité de régulation au ministre chargé des
télécommunications a comme conséquences, le droit reconnu au ministre d’user de son pouvoir
de censure des décisions du régulateur. »100.
Quant au CNC, il été institué par l’article 88 de la loi n°90/052 du 19 décembre 1990
relative à la liberté de communication sociale, modifiée et complétée par la loi n°96/04 du 04
janvier 1996. Il a ensuite été aménagé par le décret n°91/287 portant organisation et
fonctionnement du Conseil National de la Communication, puis le décret n°2012/038 du 23
janvier 2012 portant réorganisation du Conseil National de la Communication. Aux termes du
décret n°2012/038, le CNC est un organe de régulation et de consultation placé sous l’autorité
du Premier Ministre et chargé de veiller, par des décisions et avis, au respect, entre autres : des
lois et règlements en matière de communication sociale ; de l'éthique et de la déontologie
professionnelles ; de la protection de la dignité des personnes, dans les médias ; de la liberté et
de la responsabilité des médias ; de la transparence, du pluralisme et de l'équilibre dans les
programmes des entreprises de communication. Dans l'exercice de ses attributions, le CNC peut
donner des avertissements et/ou infliger des sanctions à l'encontre des opérateurs publics et
privés ainsi que des professionnels du secteur de la communication sociale. Ces sanctions sont
: la suspension temporaire d'activités pour une période n'excédant pas six (06) mois et
l'interdiction définitive d'activités.

98
Elle intervient, à travers ses Agents assermentés, dans la recherche, la constatation et les poursuites en répression
des infractions commises en matière de communications électroniques.
99
Aux termes de l’article 3(1) du décret n°2019/320 du 19 juin 2019 précisant les modalités d’application de
certaines dispositions des lois n°2017/010 et 2017/011 du 12 juillet 2017 portant statut général des établissements
public et des entreprises publiques : « La tutelle a pour objet de s’assurer que les activités menées par
l’établissement ou l’entreprise publique sont conformes aux orientations des politiques publiques du
Gouvernement dans le secteur d’activité concerné. » Et l’alinéa 2 d’ajouter que « La tutelle n’a pas vocation à
s’ingérer dans la gestion quotidienne des entreprises publiques et des établissements publics ».
100
METO Richard Deffouey FOUMAN, « L’hétérogénéité des organes de régulation au Cameroun », in Revue
de la recherche juridique et politique, n°2, novembre-décembre 2022, pp. 18-45, p.26.

285
Créé dans un contexte antérieur à l’expansion de l’Internet, le CNC exerce ses missions
sur la base d’un cadre juridique suranné au regard du nouveau paysage technologique,
médiatique et institutionnel. L’article 3(1) du décret du 23 janvier 2012 précité énonce que « le
Conseil est chargé d’assister les pouvoirs publics dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi
de la politique nationale de communication sociale ». Sur cette base, le CNC revendique une
compétence de régulation des contenus des plateformes numériques. Mais il est confronté au
manque d’outils juridiques et structurels nécessaires. Mais autant le régime d’autorisation et le
cadre d’exercice des activités des médias, aménagés par la loi n°90-052 du 19 décembre 1990
relative à la liberté de communication sociale n’est plus totalement opérant dans
l’environnement numérique actuel, autant les mesures de police et de sanctions prévues par
cette législation sont surannées à l’épreuve de l’émergence de nouveaux supports et activités
médiatiques. Dans ce registre, l’on peut évoquer le journalisme fonctionnel exercé hors du cadre
professionnel par le bloggeur et socionaute101 lambda, à la faveur de l’Internet et des réseaux
sociaux qui sont de nouveaux défis de régulation.
La régulation des activités audiovisuelles et la mission du CNC sont par ailleurs fragilisés
par la quasi inapplicabilité de la loi n°2015/007 du 20 avril 2015 régissant l’activité
audiovisuelle au Cameroun, dont aucun texte d’application n’a jusqu’ici abouti. En somme, la
réorganisation du CNC s’avère indispensable et pourrait être l’occasion d’une mise en
cohérence normative et institutionnelle de la régulation des activités médiatiques de
communication. L’organisme réformé prendrait la forme d’une autorité indépendance ayant
pour missions d’assurer la régulation de la presse, des entreprises de communication
traditionnelles, des médias sociaux et des plateformes de communication en ligne et hors ligne.
C’est dire que la réforme institutionnelle devrait constituer la pierre angulaire des modalités
d’opérationnalisation du régime de protection des enfants en ligne.

3. La nécessité d’intégrer la mise en cohérence du cadre institutionnel dans les


modalités d’application de la Charte
La mise en œuvre de la Charte de protection des enfants en ligne appelle, d’une part,
l’édiction d’un ensemble de textes complémentaire d’application ainsi qu’une mise à jour de
ladite Charte, à moyen terme et, d’autre part, la réforme du cadre institutionnel de régulation
du cyberespace. Concernant le volet juridique, la loi du 25 juillet 2023 comporte des
dispositions directement applicables qui n’exigent pas de textes complémentaires. Figurent
dans cette famille de dispositions, celles relatives aux procédures et aux sanctions. La loi
comporte également des dispositions tributaires de textes à prendre pour en préciser les
modalités d’application. Certaines de ces matières font l’objet de renvois explicites, tandis que
d’autres nécessitent, même en l’absence de renvois explicites, des mesures d’ordre
règlementaire pour recevoir leur plein effet.
La Charte comporte deux renvois explicites. Le premier apparait à l’article 10(2) qui
énonce qu’un texte particulier précise le rôle de l’organe chargé de la régulation des TIC en
matière de protection des enfants en ligne. L’édiction ponctuelle d’un texte règlementaire en
application de cet article permettrait de faire œuvre utile pour rendre exécutoire les missions de

101
Néologisme créé pour désigner les utilisateurs des réseaux sociaux.

286
l’ANTIC en matière de protection de l’enfant en ligne. Le texte dont s’agit pourrait être soit un
décret modifiant le décret portant réorganisation de l’ANTIC, soit un texte dédié, cette
deuxième option étant plus réaliste dans la mesure où elle permettrait d’adresser la question du
rôle de l’ANTIC mais également celui des autres acteurs. Ces perspectives règlementaires de
court terme n’oblitèrent pas la nécessité, à moyen terme, d’une réorganisation de l’ANTIC, en
tenant compte de la problématique de protection des données à caractère personnel.
Le second renvoi explicite est d’ordre général et figure dans les dispositions diverses et
finales. Il s’agit de l’article 48, qui prévoit que « Des textes particuliers précisent, en tant que
de besoin, les modalités d'application de la présente loi. » Ce renvoi offre la possibilité
d’adresser, dans le cadre des textes d’application, les problèmes de cohérence formelle et les
carences matérielles relevées plus haut. En s’appuyant sur ce renvoi, un arsenal de textes
réglementaires pourrait être pris sur : la formulation en termes concrets du rôle dévolu aux
acteurs du secteur public et du secteur privé ; la détermination du cadre d’élaboration du Plan
d’Action National de Protection des Enfants en Ligne, ainsi que des problématiques à y
développer et des résultats à atteindre ; l’encadrement des publications destinées à la
jeunesse102.
Parallèlement, si les pesanteurs inhérentes à la gestion de l’ART sont surmontables par
une meilleure observance des textes en vigueur, il conviendrait, pour que l’intervention de cet
acteur soit efficace, qu’une réforme de la loi régissant les communications électroniques et de
celle relative à la cybersécurité soit envisagée aux fins, entre autres : d’harmoniser la
nomenclature des intervenants dans le cyberespace (la Charte ayant consacré de nouveaux
acteurs) ; de régler, à cette occasion, le problème du nécessaire assujettissement à la loi
nationale (y compris en termes de régime d’autorisation) des acteurs du numérique établis à
l’étranger et offrant des services au Cameroun, ceci devant permettre de formaliser l’autorité
des organes de régulation sur ces acteurs ; de mettre à jour le régime des obligations, des
responsabilités et sanctions ; de réformer l’architecture et le profil institutionnel de la
régulation.
Cette réforme législative devrait être concomitante et corrélée à celle visant à mettre en
cohérence les législations relatives à la liberté de communication sociale et aux activités
audiovisuelles, afin d’harmoniser le cadre juridique et institutionnel de régulation du secteur de
la communication, en tenant compte de la convergence technologique qui s’entend de « l’union
entre les télécommunications, les TIC et l’Internet et l’audiovisuel »103. En tant que phénomène
majeur impactant les secteurs des télécommunications, la convergence des réseaux,
technologies et services, induit des politiques de règlementation et de régulation fusionnelles.
Monsieur BOUNOUNG ESSONO note à ce propos que « le Cameroun devrait mettre à jour
son écosystème juridique et règlementaire et bâtir une nouvelle régulation des communications
électroniques incluant les télécommunications, les TIC et l’Internet, et l’audiovisuel qui
s’emploierait à résorber les barrières à l’essor de la convergence »104. Hermine KEMBO

102
Un tel encadrement fait l’objet d’un aménagement législatif en France. Il s’agit de la loi n°49-956 du 16 juillet
1949 sur les publications destinées à la jeunesse.
103
BOUNOUNG ESSONO (Sosthène), op.cit., pp.7-9
104
BOUNOUNG ESSONO (Sosthène), La régulation des communications électroniques à l’épreuve de la
convergence : le cas du Cameroun, Mémoire de Master, Télécoms Paris Tech, 2014, p.105.

287
TAKAM et Henri ENOTI prônent, dans le même sens, l’adoption d’une « approche unitaire,
associant tous ces secteurs connexes et interpénétrés, « à l’heure où ces trois secteurs sont
désormais imbriqués dans un réseau unique à la faveur d’une technologie convergente, avec
Internet pour fil d’Ariane »105.

CONCLUSION

Au total, la loi du 25 juillet 2023 portant Charte de protection des enfants en ligne apporte
des évolutions significatives dans la prise en charge normative de l’enjeu de sécurisation de
l’accès à l’Internet pour les enfants. Cette réforme mérite cependant d’être poursuivie par
l’édiction de textes complémentaires devant : préciser le cahier des charges assignées aux
pouvoirs publics et au secteur privé, adresser les omissions concernant entre autres : les
éléments définitionnels, les acteurs du cyberespace, leurs obligations et responsabilité, le
périmètre de la protection des enfants, le périmètre des incriminations, la responsabilité des
parents ou tuteurs et celle des mineurs. Parallèlement, la ratification de la convention de Malabo
et la mise en place d’une législation dédiée à la protection des données à caractère personnel
pourraient concourir à l’effectivité recherchée. Par ailleurs, s’il y a lieu de de se féliciter de la
régulation collaborative que la Charte instaure sur le plan institutionnel, l’effectivité de cette
dernière reste tributaire de la mise en cohérence du cadre institutionnel dont une réforme
holistique est souhaitable pour assurer une régulatiuoin cohérence des TIC, de l’Internet et de
l’audiovisuel. Toutefois, la réorganisation de l’ANTIC s’avère plus urgente, dans l’optique de
délester cet organe de la mission de régulation des données à caractère personnel qu’il
conviendrait de confier à une autorité administrative indépendant et de renforcer ses moyens
d’action pour les missions de cybersécurité.
Les difficultés de l’Etat à réguler les plateformes numériques, qui constituent un enjeu
majeur de la protection de l’enfant en ligne, étant en partie liées à l’absence d’un organe de
régulation éfficient des médias, il y aurait lieu d’envisager une réorganisation conséquente du
CNC pour en faire une autorité indépendante, capable de veiller à la préservation de l’ordre
public et des droits fondamentaux sur l’ensemble des supports communication, traditionnels et
nouveaux.
A l’agenda juridique et institutionnel interne, la sécurisation du cyberespace commande
d’ajoindre le levier de la coopération juridique, judiciaire et policière internationale. Pour ce
faire, l’optimisation des opportunités ouvertes à l’échelle internationale invite à tenir la main à
la finalisation du processus d’adhésion du Cameroun à la Convention de Budapest sur la
cybercriminalité. Il est tout aussi indispensable d’œuvrer à l’émergence d’un cadre régional
commun de sécurisation du cyberespace à travers la co-régulation des plateformes numériques.
La co-régulation, entendue comme une régulation collaborative entre les pouvoirs publics et les
acteurs du secteur privé, promoteurs des plateformes numériques, se revèle comme une option
irreversible à implémenter à l’échelle régionale pour renforcer la souveraineté numérique des
Etats africains et garantir la sauvegarde de l’ordre public et des droits fondamentaux en ligne,

105
KEMBO TAKAM GATSNG (Hermine), ENOTI Fils (Henri), « La liberté d’expression et la régulation des
activités numériques en Afrique », in ABDOU-HASSAN (Adam) et NORODOM (Anne-Thida) (dir.), Droit du
numérique en Afrique - Enjeux internationaux, éditions Bruylant, 2023, p. 409

288
y compris ceux de l’enfant. Dans ce chantier, l’Afrique pourrait s’inspirer du modèle de
régulation offensive vers lequel a migré l’U.E en adoptant deux textes visant à mieux réguler
Internet pour en faire un espace plus sûr pour les utilisateurs, à savoir : le règlement sur les
marchés numériques (Digital Market Act) et le règlement sur les services numériques (Digital
Services Acts).
Par-delà ces différentes idées de perspectives à explorer, le levier éducatif devrait être
priorisé. L’éducation aux médias est une solution pérenne et urgente qui mériterait une
inscription dans les politiques publiques des acteurs gouvernementaux concernés. C’est dire,
enfin de compte, que l’effectivité de la protection des enfants en ligne renferme de nombreux
chantiers et défis. /-

289
LES POUVOIRS DE L’AUTORITE PREFECTORALE ET LA GARANTIE DE
L’UNITE DE L’ETAT EN MATIERE DE POLICE MUNICIPALE AU CAMEROUN

Par

ENGAMBA Maurice Ronsard


Doctorant en Droit public interne à l’Université de Douala

Résumé
Constitutif de l’acte 2 de la décentralisation, la loi portant Code Général des Collectivités
Territoriales Décentralisées de 2019 a posé les jalons d’une autonomie accrue des collectivités locales
en général, et des communes en particulier en consacrant la police municipale dont les modalités
d’exercice ont été fixées par le décret n° 2022/354 du 09 Aout 2022. Ledit décret, en précisant que la
police municipale est exercée sous le contrôle du représentant de l’Etat a consacré les pouvoirs de ce
dernier en la matière dans le but d’assurer l’unité de l’Etat. Il en ressort clairement que le représentant
de l’Etat en tant que garant par excellence de l’ordre public dans son unité administrative, exerce
cumulativement les pouvoirs de contrôle et de sanction en matière de police municipale bien que la
garantie de l’unité soit relative. Mais cette relativité est loin d’être une fatalité. En clair, si la
décentralisation pour se construire n’a pas eu besoin de la police municipale, elle en a grand besoin pour
ne pas se déconstruire afin d’atteindre le développement local sous un contrôle très bienveillant de
l’autorité préfectorale au nom de l’unité de l’Etat.
Mots clés : Autorité préfectorale ; Unité de l’Etat ; Police municipale.

Abstract
Constitutive of act two of decentralization, the law establishing the general code of decentralized
local authorities of 2019 laid the foundations for increased autonomy of local authorities in general and
municipalities in particular by establishing the municipal police, the terms of which were set by decree
number 2022/354 of 9th august 2022. The said decree, specifying that the municipal police are exercised
under the control of the state representative. It clearly emerges that the representative of the state, as the
excellence guarantor of public order in his administrative unit, cumulatively exercises the powers of
control and sanction in matters of municipal police although the guarantee is relative. But this relativity
is far from being inevitable. Clearly, if decentralization dit not need municipal police to build itself, it
greatly needed it to avoid being deconstructed in order to achive local development under very
benevolent control of the prefectural authority in the name of state unity.
Keywords : Prefectural authority ; State unity ; municipal police.


Mode de citation : ENGAMBA Maurice Ronsard, « Les pouvoirs de l’autorité préfectorale et la garantie de
l’unité de l’état en matière de police municipale au Cameroun », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 291-310.

291
INTRODUCTION

« Une fois acquis que l’Etat est un ordre de la conduite humaine, et par conséquent un
système de normes qui ont une validité spatiale comme ils ont une validité temporelle, le
problème d’une division territoriale de cet Etat en Provinces ou en Etats-membres apparait
comme un problème particulier relatif au domaine de validité spatial des normes de l’ordre
juridique étatique »1. Depuis la construction de l’Etat2, le dualisme centralisation et
décentralisation ne cesse de faire parler de lui en divisant la doctrine juridique depuis 20043
avec un regain assez important en 20194. Si aujourd’hui ces deux concepts ne coïncident pas
mais cohabitent tout de même, la décentralisation s’émancipe davantage. C’est d’ailleurs ce qui
a justifié l’adoption du décret fixant les modalités d’exercice de la police municipale5. La loi
portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées (CGCTD) quant à elle,
constitue un atout majeur pour la promotion du développement, de la bonne gouvernance et la
démocratie au niveau local. Mais compte tenu des menaces à l’unité de l’Etat que la
décentralisation présente, le pouvoir central se doit d’y garder un œil bienveillant. C’est ce qui
justifie la permanence de la tutelle de l’Etat sur les collectivités locales. En ce qui concerne les
communes, elles sont placées sous la tutelle du Préfet. L’importance des enjeux de la
décentralisation explique l’intérêt que lui portent les politiques et l’écho qu’elle suscite dans
l’opinion publique. Mais, la diversité des conceptions qui justifie l’adhésion à l’idée
décentralisatrice en explique en même temps, les ambiguïtés6. Le pavillon recouvre une
marchandise diverse et le courant décentralisateur tient du capharnaüm ou de l’auberge
espagnole. Chacun donne aux mots et aux concepts une signification singulière7, propre à lui
conférer le titre enviable de décentralisateur. De sérieuses études ont été menées par des

1
KELSEN Hans, Théorie pure du droit, Traduction par EISENMANN (C), Paris, Dalloz, 1962, p.412.
2
Lire utilement CARRE DE MALBERG Raymond, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Ed CNRS, Paris,
1920, 1530p ; BODIN Jean, Les six livres de la République, DU PUYS Jacques, Paris, 1576, 861p.
3
L’année 2004 constitue un temps fort de la décentralisation au Cameroun en ce sens qu’elle a marqué l’adoption
de ce qu’il est convenu d’appeler « l’acte 1 de la décentralisation » : les lois de 2004. Cf. Loi n°2004/017 du 22
juillet 2004 d’orientation de la décentralisation ; loi n°2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux
communes ; loi n°2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux régions.
4
Au lendemain du Grand dialogue national dont l’objectif était de réconcilier les camerounais de tous bords, la loi
n° 2019/029 du 29 décembre 2019 portant Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées.
5
Le décret n° 2022/354 du 09 Aout 2022 fixant les modalités d’exercice de la police municipale.
6
MANGA ZAMBO Eleuthère Joseph, « Décentralisation et le temps : Réflexion sur le cas Cameroun » in Regard
sur le Droit public en Afrique, L’Harmattan, 2016, pp.267-296
7
Le Professeur ABANE ENGOLO Patrick Edgard perçoit la décentralisation comme « cette technique par
laquelle l’État cède en partie ou en totalité certaines de ses attributions administratives (le service public et/ou la
police administrative) à des collectivités publiques qui existent dans l’État et sont autonomes. Ce dernier aspect
est matérialisé par le fait que les collectivités décentralisées se détachent de l’État parce qu’elles ont chacune leur
propre personnalité juridique qui leur confère la possibilité d’agir en leur propre nom. Seulement, l’État reste
garant de l’ordre normatif et contrôle donc les agissements des collectivités décentralisées par le moyen du
pouvoir de tutelle qui diffère du contrôle hiérarchique », Lire ABANE ENGOLO Patrick Edgard, Traité de droit
administratif du Cameroun, L’Harmattan, 2019, p. 169. Selon DE TOCQUEVILLE Alexis, « c’est pourtant
dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les
écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible
et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais
elle n’a pas l’esprit de liberté ». Lire DE TOCQUEVILLE Alexis, De la démocratie en Amérique, Paris :
Gallimard (coll. Idées), 1968, p. 72.

292
universitaires et des fonctionnaires sur ce thème. Mais, le monde politique n’en a souvent retenu
que quelques thèmes isolés de leur ensemble et par conséquent, déformés8.
Partant de la période coloniale jusqu’à nos jours, on peut relever une profonde évolution
des idées en même temps que la persistance d’un noyau idéologique irréductible visant à
questionner l’idée de décentralisation sans cesse. Même si les aspects économiques supplantent
les analyses exclusivement juridiques et politiques, ils apparaissent comme des épiphénomènes
d’options nouvelles et profondes. C’est le sort de l’État qui est en jeu et qui suscite tant de
passions. Il convient de préciser que la décennie 90 marque le retour au multipartisme au
Cameroun9. Elle est constitutive de l’ère libertaire dans les Etats d’Afrique noire en général et
au Cameroun en particulier. En effet, le vent de démocratisation de 1990 va conduire à
l’adoption de ce que la doctrine a qualifié des « lois libertés »10 L’année 1996 est le terme d’un
long processus qui consacre formellement l’existence des collectivités territoriales
décentralisées11. Qui plus est, elle a fait apparaître au grand jour, la nécessité d’une
régionalisation ignorée par le constituant en 1960 et 1972. Si le débat sur la décentralisation
s’exprime avec tant de force, c’est qu’elle correspond à un besoin de plus en plus pressant des
sociétés modernes et, particulièrement, des sociétés africaines12. La décentralisation n’est pas
seulement garante de la liberté dans la démocratie ainsi que l’écrivait Alexis de Tocqueville au
XIXe siècle13 . Elle est aussi, assurent les managers du XXIe siècle l’une des conditions de la
réussite économique et administrative. Pour d’autres, elle est source de libération de l’homme,
participation de l’individu à son destin14.
L’idée de pouvoirs renvoie à une « prérogative permettant à une personne de gouverner
une autre personne publique ou privée (mandats politiques, autorité parentale, tutelle) ou de
gérer les biens d’une autre personne pour le compte de celle-ci (dirigeants de sociétés,
représentation légale, judiciaire ou contractuel) »15. Cette définition d’essence civiliste, ne
permet pas de mieux cerner le sens accordé à la notion dans la présente contribution
scientifique. C’est ainsi qu’on va se référer à la théorie du droit. Ainsi, du point de vue de la
théorie générale du droit, le concept « pouvoir » peut désigner une institution juridique
comprise comme « un composé de règle de droit qui embrasse une série de relations sociales
tendant aux mêmes fins »16. C’est un ensemble juridique correspondant à une partie de
l’ordonnancement social, approprié à certaines finalités et ayant acquis un développement

8
Ibid.
9
Ibid.
10
Loi n° 90/053 du 19 décembre 1990 relative à la liberté d’association ; La loi n° 90/054 du 19 décembre 1990
relative au maintien de l’ordre ; la loi n° 90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et manifestations
publiques.
11
Lire le Titre X de la constitution du 18 janvier 1996 intitulé « Des Collectivités territoriales décentralisées ».
12
NGUELE ABADA Marcelin, « Du constitutionnalisme de transition en Afrique : Réflexions sur l’évolution
constitutionnelle en République Démocratique du Congo », RRJ, n° 1, 2008, pp. 501-536
13
DE TOCQUEVILLE Alexis, De la démocratie en Amérique, Paris, Gosselin, 1840, p.438 ; GOJAT Georges,
« Les corps intermédiaires et la décentralisation dans l’œuvre de Tocqueville, in libéralisme ; traditionalisme, et
décentralisation », Cahiers de la Fondation nationales des Sciences politiques, n° 31, 1952, p.13
14
MBARGA Emile, « La décentralisation territoriale au Cameroun », Annales de la Faculté de Droit et de
Sciences Économiques, Université de Yaoundé, n° 3, 1972, p.42
15
GUINCHARD Serge, DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 25e éd, 2017-2018,
p.1753
16
CARBONNIER Jean, Droit civil, Introduction au droit des personnes, T.1, PUF, 2002, p.67

293
propre17. Vu sous un autre angle, le pouvoir désigne « la capacité dévolue à une autorité ou à
une personne, d’utiliser les moyens propres à exercer la compétence qui lui est attribuée soit
par la loi (…) »18. Bien qu’il faille distinguer le pouvoir de la compétence, la pratique ne permet
pas toujours d’y voir une cloison étanche parce qu’il est évident que sans pouvoir, la
compétence est quasiment inexistante. Le pouvoir fonde dès la compétence. Les deux notions
se trouvent donc intimement liées. Pour ce qui est de la notion d’autorité administrative, elle
est composée de deux concepts qui, pris séparément, ont chacun un sens particulier. Primo, le
concept d’autorité vient du latin auctoritas qui désigne la « capacité de faire grandir ». Sous
l’angle de la langue française, il s’agit du « pouvoir de commander, d’obliger à quelque chose,
d’être obéi ». Le mot administration quant à lui vient du latin administrare qui signifie « prêter
son ministère, fournir ce qui est utile ». En ce sens, le ministre est le serviteur. C’est ainsi qu’on
parle du ministre d’un culte. Mais au sens juridique, administrer veut dire gérer, avoir en charge
la gestion d’une commune, d’un patrimoine, d’un service public19. Cette approche permet de
voir en l’administration deux conceptions : organique et matérielle. Organiquement, il s’agit
d’un ensemble d’organes ou de personnes publiques relevant soit de l’Etat, entité centrale, soit
des collectivités locales. Matériellement, il s’agit d’organes ou institutions chargés de satisfaire
l’intérêt général. On peut dès lors comprendre que l’autorité administrative est une personne
publique chargée de satisfaire l’intérêt général. Lorsqu’elle émane de la déconcentration
territoriale, on parlera d’autorité préfectorale. L’idée de l’unité de l’Etat est assimilable à l’unité
nationale. A cet effet, relevons que la notion de Nation est malaisée à définir ; plusieurs
acceptions s’affrontent, se complètent et en enrichissent le contenu. D’après le dictionnaire de
Droit constitutionnel, « Une population ne forme une nation que si les individus qui la
composent ont conscience de faire partie d’une communauté ancrée dans l’histoire,
caractérisée par certains traits culturels (langue, religion…) et animée d’un vouloir vivre-
ensemble »20. Ainsi, la garantie de l’unité de l’Etat suppose la possibilité pour l’autorité
préfectorale de prendre toutes les mesures jugées nécessaires dans le respect du droit en vue de
protéger le caractère unitaire de la nation. En l’espèce, cela est demandé à l’autorité préfectorale
en matière de police municipale. Dans le langage courant, le mot « police » est utilisé pour
désigner, d’un point de vue organique, l’ensemble des personnels chargés du service public de
la police21. Conformément au décret n° 2022/354 du 09 Aout 2022, la police municipale a pour
objet d’assurer le bon ordre, ainsi que la sureté, la tranquillité, la sécurité et la salubrité
publiques sur le territoire de la commune ou de la Communauté Urbaine22.
En référence à la constance du duo centralisation-déconcentration, il devient opportun au
plan théorique et pratique de questionner la permanence mieux l’effectivité de la garantie de
l’unité par l’autorité préfectorale en matière de police municipale. D’où la question
sempiternelle suivante : les pouvoirs de l’autorité préfectorale en matière de police
municipale garantissent-ils suffisamment l’unité de l’Etat au Cameroun ?

17
BERGEL Jean-Louis, Théorie Générale du Droit, Paris, Dalloz, 2012, p. 212.
18
Www.dictionnairejuridique.com consulté le 22 janvier 2024 à 23h15.
19
ROUAULT Marie-Christine, Droit administratif et Institutions administratives, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 7
20
DEBARD Thierry, Dictionnaire de Droit Constitutionnel, Ellipses, 2002, p.199
21
Personnels de l’Etat, personnels communaux ou intercommunaux. Lire utilement, ROUAULT Marie-Christine,
Droit administratif et Institutions administratives, op.cit, p.243.
22
Cf Article 2 du décret n° 2022/354 du 09 Aout 2022 précité.

294
Il est question ici d’analyser un rôle et non une fonction. La notion de rôle renvoyant, en
l’occurrence, au caractère dynamique d’un statut, elle désigne l’ensemble des conduites et
attitudes considérées comme normales par la société et auxquelles celle-ci attache certaines
attentes. Dans cette logique, la présente réflexion entend s’arc-bouter sur le cadre juridique avec
une prise en compte du contexte d’application de la norme juridique afin de mieux voir ou
entrevoir le rôle que joue l’autorité préfectorale pour l’unité dans un contexte d’expansion de
la police municipale.
Au reste, il s’agit de mobiliser la méthode juridique à travers la dogmatique et dans une
certaine mesure, l’institutionnalisme23. Au surplus, recours sera fait aux méthodes
sociologiques, à travers notamment l’individualisme méthodologique24 et l’holisme25 en ce
qu’il s’agit d’analyser à la fois les actions d’un acteur sur un système politique et des
interactions entre un acteur et un système sociopolitique institutionnel.
Sur la base de cette démarche interdisciplinaire, signe de la circularité de la recherche
juridique et au regard du dispositif normatif diversifié, l’autorité préfectorale est un garant
avérée de l’unité de l’Etat en matière de police municipale (I). Mais compte tenu de certaines
vicissitudes tant juridiques qu’a-juridiques, sa garantie se trouve parfois éprouvée (II).

I- LA GARANTIE AVEREE DE L’UNITE DE L’ETAT PAR LES POUVOIRS DE


L’AUTORITE PREFECTORALE EN MATIERE DE POLICE MUNICIPALE AU
CAMEROUN

L’unité de l’Etat est une caractéristique de l’Etat unitaire qui se pose en s’opposant aux
Etats dits complexes à savoir la fédération et la confédération. Dans cet Etat, aucune entité autre
que l’Etat central ne détient une marge de manœuvre très élargie lui permettant d’agir comme
un « micro- Etat ». Cependant, c’est un Etat dans lequel on retrouve très souvent une diversité
socio-culturelle très forte qui doit être contrôlée et encadrer pour les pouvoirs publics. Comment
y parvenir ? Au Cameroun, le législateur de 1996 a prévu la décentralisation. C’est ainsi que
l’article 1er alinéa 2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 énonce clairement « le
Cameroun est un Etat unitaire décentralisé ». Par cette disposition constitutionnelle, on
comprend clairement que la décentralisation n’est pas une forme d’Etat. Elle consiste en
technique d’aménagement de l’Etat unitaire. Elle va se décliner dans la loi portant code général
des CTD et très récemment dans le décret de 2022 fixant les modalités d’exercice de la police
municipale. Conscient des dérives éventuelles, l’Etat va garder un droit de regard sur l’exercice
de ladite police. Ce sera le rôle de l’autorité préfectorale. Celle-ci aura ainsi des pouvoirs de
contrôle (A) et de sanction (B).

A- Les pouvoirs de contrôle

23
CHEVALIER Jacques, « L’analyse institutionnelle », in L’institution, Paris, PUF, 1981, pp.3-61
24
LAURENT Alain, L’individualisme méthodologique, Paris, PUF, Que sais-je ? pp.23-52
25
MAGNI-BRETON Raul, « Holisme durkheimien et holisme bourdieusien. Etude sur la polysémie d’un mot »,
L’année sociologique, Vol 58, n°2, 2008, pp.299-318.

295
Mission à vocation constitutionnelle, le pouvoir de contrôle exercé par le représentant de
l’Etat sur les Collectivités locales peut être invoqué comme corollaire du principe de la libre
administration locale26. Il traduit à n’en point douter, le caractère jacobin et unitaire de l’Etat
malgré la constitutionnalisation de la décentralisation27. A la vérité, la tutelle se conçoit comme
l’une des notions qui occupe une place centrale dans le droit des collectivités territoriales.
« Elle est une pièce caractéristique du système administratif local »28. Elle constitue
paradoxalement l’une des notions appelées à étayer les fondations de la décentralisation29
amorcée au Cameroun bien avant les indépendances au travers de l’administration indirecte,
consacrée par la constitution du 18 Janvier 1996 et aménagée par la loi de 2019 portant Code
Général des Collectivités Territoriales Décentralisées.
En matière de police municipale, il faut reconnaitre que les entités décentralisées agissent
sous le regard bienveillant de l’autorité préfectorale. C’est ainsi que le décret de 2022 fixant les
modalités d’exercice de la police municipale va reconnaitre un pouvoir de contrôle à la fois a
priori (1) et a posteriori (2) à l’autorité administrative préfectorale.

1- Le contrôle a priori
Le contrôle a priori suppose un contrôle qui se fait avant l’entrée en vigueur d’un acte. Il
vise à anticiper les violations de la légalité tant interne qu’externe. Dit autrement, le contrôle a
priori est préventif. Il est opéré en vue de permettre à l’autorité administrative préfectorale de
s’assurer de ce que l’acte ou la mesure envisagée par l’autorité locale ne sera pas préjudiciable
à la légalité et ne portera nullement atteinte aux libertés et droits fondamentaux. C’est ainsi que
dans le cadre de la police municipale, le décret présidentielle n° 2022/354 du 09 Aout 2022
fixant les modalités d’exercice de la police municipale précise en son article 7 alinéa 1er que
« la création d’un service chargé de la police municipale est autorisée par une délibération du
conseil municipal qui en fixe les attributions, les moyens et les règles de fonctionnement ». À
la lecture des dispositions qui précèdent, on pourrait croire qu’il suffirait pour le conseil
municipal de délibérer sur l’opportunité d’un service de police municipale pour qu’il soit créé.
Que nenni ! À la vérité, l’action menée mieux le pouvoir reconnu au conseil municipal est limité
par le regard obligatoire ou la place incontournable reconnu au représentant de l’Etat
conformément à alinéa 2 de l’article 7 selon lequel « La délibération mentionnée à l’alinéa 1
ci-dessus, transmise par le représentant de l’Etat est soumise à l’approbation préalable au
Ministre chargé des collectivités territoriales décentralisées ». Quelle peut être la quintessence
d’une telle disposition ?
Primo, l’autorité administrative préfectorale est la courroie de la transmission entre les
collectivités locales et leur tutelle technique que constitue le Ministre de la décentralisation et

26
EL RAMANI Mustapha, Le contrôle de légalité du Préfet sur les actes des collectivités locales : Quelle
efficacité ? , Master en Administration publique, Université de Strasbourg, 2014, p.1
27
La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 en son article 1er alinéa 2 énonce que « Le Cameroun est un
Etat unitaire décentralisé ».
28
DOUENCE Jean-Claude, « La prohibition de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre », Note sous
CE As 12 Décembre 2003, Département des Landes, RFDA, 2004, p.525.
29
WAKOTE Reine, « Principe de libre administration et tutelle implicite dans le cadre de la coopération locale »
in Les nouveaux équilibres de l’action publique locale : retour sur 10 ans de réforme territoriale, Bergel-Levrault,
2019, pp.127-139.

296
du développement local. Ce faisant, les dispositions suscitées du décret obligent l’organe
délibéré à faire une transmission au représentant de l’Etat. Il ne peut donc pas saisir la tutelle
technique de façon directe en galvaudant l’autorité de la tutelle administrative. Par cette
prescription, le processus de création du service public de la police municipale se trouve soumis
à une condition procédurale qui conditionne sa validité et sa légalité. Ainsi, en cas de violation
ou d’inobservation de la transmission à la tutelle administrative, l’acte qui consacre à la création
de la police municipale sera attaquable sur la base de l’existence d’un vice de procédure.
Secundo, l’obligation de transmission des délibérations du conseil municipal à la tutelle
administrative octroie un pouvoir d’appréciation à cette dernière. En effet, dans le cadre de la
création de la police municipale, la transmission des délibérations à la tutelle administrative
consiste implicitement mais certainement en une consultation dont l’avis pourra orienter la
tutelle technique dans la validation ou l’invalidation des délibérations du conseil. Il faut noter
que la portée des avis est fonction de leur nature. Le classicisme administratif distingue trois
avis : facultatif30, obligatoire31 et conforme32. En l’espèce, il s’agit d’un avis obligatoire en ce
sens que le conseil est obligé de faire une transmission à la tutelle administrative, qui à son tour
fera une transmission à la tutelle technique. Mais cette dernière ne sera nullement liée par l’avis
émis par la tutelle administrative. Ainsi, à l’égard du conseil municipal, il s’agit d’un avis
obligatoire mais à l’égard du ministre, cet avis peut s’avérer facultatif.
On peut dès lors se dire que l’autorité administrative est une courroie de transmission aux
pouvoirs voilés dans le cadre de la création de la police municipale. Mais, une fois, créée,
l’autorité préfectorale garde un regard vigilent sur les activités de ladite police, toute chose qui
lui confère un pouvoir de contrôle a posteriori.

2- Le contrôle a posteriori
Le Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées est un creuset
d’innovations dans l’exercice de la tutelle de l’Etat sur les collectivités locales. Les dispositions
y relatives sont regroupées dans le titre V du Livre Premier afin d’éviter une dispersion qui
pourrait à tort ou à raison laisser un sentiment voire une emprise prégnante du représentant de
l’Etat au détriment de l’optimisation de l’autonomie reconnue aux CTD. Il importe de relever
que la décentralisation implique un transfert de compétences et de ressources de l’Etat vers les

30
Dans le cadre de l’avis facultatif, la liberté de décision de l’autorité n’est pas limitée par l’avis émis. L’autorité
peut même prendre sa décision sans recourir à l’avis ou avant que ce dernier ne soit émis. Cf, CE, 28 avril 1967,
Fédération nationale des syndicats pharmaceutiques.
31
En ce qui concerne l’avis obligatoire, l’autorité se trouve dans l’exigence de requérir l’avis de la hiérarchie bien
que n’étant pas tenue d’agir ou de décider dans le sens prescrit par ledit avis. Ainsi, elle peut prendre l’acte dans
son forme initiale soumise à l’avis ou alors édicter l’acte après prise en compte de l’avis émis. C’est ainsi qu’à
titre d’illustration, la consultation du conseil de discipline en matière disciplinaire constitue une formalité
substantielle. On ne saurait exclure un membre d’une organisation sans au préalable le mettre face à ses
responsabilités devant un conseil discipline libre et impartial. C’est ce qui ressort de la décision CS/AP, arrêt du
24 mars 1993, NJIKIAKAM TOWA Maurice C/ Etat du Cameroun. En outre, la réfection d’une sanction issue
d’un conseil disciplinaire oblige une nouvelle consultation de ce dernier. Cf. CS/AP, arrêt n° 02/A du 18 Aout
1994, SEBA NDONGO Jean C/ Etat du Cameroun.
32
L’hypothèse de l’avis conforme subodore que l’autorité consultante ne peut décider que dans le respect de l’avis
de l’organisme consulté. Ainsi, la consultation est obligatoire et l’avis qui en ressort lie l’autorité habilitée à édicter
l’acte. C’est dire que si l’avis est défavorable à l’acte projeté, l’autorité n’aura pas d’autre choix que d’y renoncer.
Cf. CE, 22 février 1957, Société coopérative de construction de Rouen.

297
collectivités locales, avec un droit de regard de ce dernier sur la conduite des affaires locales
découlant desdites compétences transférées. L’exercice de ce droit de regard appelé tutelle
placé sous l’autorité du Président de la République et le Ministre chargé des collectivités
territoriales qui assure la tutelle technique ainsi que par le Gouverneur pour la Région et le
Préfet pour la Commune, tous deux représentants de l’Etats.
Dans le cadre du contrôle a posteriori, la tutelle se présente à n’en point douter comme
« un régime d’autorisation à obtenir pour permettre à une collectivité de décider de son
administration »33. Il s’agit pour le représentant de l’Etat d’opérer un contrôle de légalité sur
les actes relatifs à la police municipale afin de s’assurer de leur régularité et de leur opportunité.
Ainsi, l’autorité préfectorale en matière de contrôle a posteriori, assure un rôle dual en ce
qu’elle est un arbitre et un juge de l’opportunité des actes de police municipale.
Le rôle d’arbitre de l’autorité préfectorale en matière de police municipale tire son
fondement de l’article 10 du décret précité selon lequel « Les conflits entre les services de police
de municipale de la communauté urbaine et des communes d’arrondissement, survenus à
l’occasion de l’accomplissement de leurs missions ou de l’exercice de leurs activités, sont
portés à l’arbitrage du Préfet territorialement compétent (…) ». En effet, l’autorité préfectorale
assure les fonctions de coordinations et d’animation de toutes les activités relatives à
l’amélioration des conditions de vie des populations dans l’unité dont elle a la charge. Pour s’en
convaincre, il suffit de préciser les dispositions pertinentes de l’article 36 alinéa 1er du décret
relatif aux attributions des autorités déconcentrées au terme desquelles « Le Préfet est investi,
pour le compte du gouvernement, d’une mission permanente et générale d’information, et de
coordination en matière sécuritaire, économique, sociale et culturelle à l’échelon du
département. A ce titre, (…), il procède aux arbitrages nécessaires à la préservation de la paix
sociale (…) »34. La garantie de la paix sociale emporte implicitement mais assurément la
garantie de l’intérêt général distinct de l’intérêt particulier35. Le but recherché ici est d’éviter
un risque d’abus de position dominante mais aussi de mieux assurer la transparence et
l’impartialité dans vie politique et économique ainsi que la garantie de la bonne gouvernance36.
De facto, au nom de cette dernière, l’autorité préfectorale assure la permanence de la légitimité
des autorités décentralisées dont la mission centrale est de promouvoir le développement, la
démocratie et la bonne gouvernance au niveau local. A cet effet, en tant qu’arbitre, l’autorité
préfectorale ne doit nullement être juge et partie. Elle doit se caractériser par une impartialité
sans faille au regard de l’exigence d’éthique37 qui s’impose à elle.
Par ailleurs, l’autorité préfectorale en matière de police municipale, peut être considérée
comme un juge de la légalité des actes y relatifs. C’est à ce titre que l’article 3 alinéa 1 er du
décret de 2022 fixant les modalités d’exercice de la police municipale précise que « Le maire

33
LUCHAIRE Yves, La persistance de la tutelle dans le droit des collectivités territoriales, AJDA, 2009, p.1134
34
Lire utilement le Décret n° 200/377 du 12 novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions
administratives et portant organisation et fonctionnement de eurs services.
35
DEGUERGUE Maryse, « L’intérêt général et intérêt particulier : tentative de distinction », Mel. TRUCHET
Didier, L’intérêt général, Dalloz, 2015, p.131 ; BORDIER Delphine, « Les chassées croisés de l’intérêt local et de
l’intérêt national », AJDA, 2007, p.2188
36
CHEVALIER Jacques, « La gouvernance, un nouveau paradigme ? », RFAP, Vol 1, n° 105-106, 2003, p.207
37
MOMO Claude, « L’intérêt général dans les Etats d’Afrique subsaharienne francophone », Afrilex, novembre
2023, pp.1-25

298
est chargé, sous le contrôle du représentant de l’Etat, de la police municipale (…) ». Il s’agit
alors d’un contrôle sur les actes du maire en matière de police municipale. En quelque sorte,
les pouvoirs du maire en matière de police municipale sont assujettis à l’approbation de la
tutelle. Le contrôle est indissociable des activités sociales38 car toute action pour être efficace,
efficiente et légale appelle un contrôle39. Mais le concept de contrôle s’avère regorger quelques
ambigüités compte tenu de ses appréhensions diverses. A ce sujet, le Professeur KEUTCHA
TCHAPNGA opine que « l’imprécision tient au caractère polysémique du mot contrôle et à la
multitude des qualifications qui l’affectent »40. Malgré cette complexité, la notion de contrôle
sous le prisme de la théorie du droit trouve tout de même une approche définitionnelle. Selon
Charles EISENMANN, il s’agit de « l’opération qui consiste à vérifier si des objets concrets
sont conformes ou ne sont pas conformes au schéma idéal, d’un objet correct, tel que le dessine
une norme de contrôle – autrement dit, à confronter les objets aux schémas auxquels ils doivent
être conforme pour établir si effectivement, ils le sont ou non. Un contrôle c’est essentiellement
une vérification de conformité de la conformité »41. Le Professeur Jean-Paul NEGRIN va
abonder dans le même sens lorsqu’il affirme « dans le contrôle de la légalité, trois éléments
sont à prendre en considération : des actes sont à contrôler, il existe des normes de référence,
des contrôles doivent être effectués mettant en rapport l’acte et la norme »42. On peut
clairement comprendre que le contrôle opéré par l’autorité administrative préfectorale est un
gage de performance et de légalité dans l’action des collectivités territoriales décentralisées en
matière de police municipale. Ce contrôle s’illustre par l’usage de la force sur les biens par les
agents de police municipale sous autorisation préalable de l’autorité préfectorale43. Il s’agit
alors d’un pouvoir de contrainte conditionné et limité car non seulement il exige une
autorisation de l’autorité préfectorale, il est restreint et restrictif car s’appliquant uniquement
sur les biens. C’est dire qu’en cas d’usage de la force sur les personnes, les agents de police
municipale s’exposent aux sanctions prévues par la réglementation de leur domaine d’activités.
Au regard de ce qui précède, qu’adviendrait-il en cas de violation de la légalité par les autorités
locales dans le cadre de la police municipale ? Conformément aux dispositions du décret
précité, l’autorité préfectorale détient des pouvoirs de sanction.

38
KEUJDEU DE KEUDJEU John Richard, Recherche sur l’autonomie des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, Thèse de Doctorat, Université de Douala, 2012, p.432
39
Dans une perspective, le Professeur DRAGO Roland soulignait en son temps qu’« omniprésent et multiforme,
le contrôle est indispensable de l’action administrative : selon les cas, il la précède, l’accompagne ou la suit dans
toutes ses manifestations ». Lire utilement DRAGO Roland, (dir), L’administration publique, Recueil de textes,
cité par KEUDJEU DE KEUDJEU John Richard, Recherche sur l’autonomie des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, op.cit., p.432 ; KEUTCHA TCHAPNGA Célestin, Le contrôle de l’Etat sur les
activités privées au Cameroun, Thèse de Doctorat, Marseille, Université de droit, d’économie et de sciences d’Aix-
Marseille, 1992, p.1
40
KEUTCHA TCHAPNGA Célestin, Le contrôle de l’Etat sur les activités privées au Cameroun, op.cit., p. 4
41
EISENMANN cité par NLEP Roger Gabriel, L’administration publique camerounaise : Contribution à l’étude
des systèmes africains d’administration publique, Paris, LGDJ, 1986, p. 235
42
NEGRIN Jean Paul, « Pour un contrôle efficace de la légalité », in Université de Droit, d’Economie et des
Sciences Sociales d’Aix-Marseille, (Dir), Les collectivités locales dix ans après les lois de la décentralisation : de
la tutelle administrative à l’intervention des juges, Marseille, PUAM, 1994, p.19
43
Article 14 du décret précité « Lorsque la nature de leur intervention et les circonstances le justifient, les agents
chargés de la police municipale peuvent, sur demande motivée du maire, adresser à l’autorité administrative
territorialement compétente, être autorisés à exercer la contrainte uniquement sur les biens ».

299
B- Les pouvoirs de sanction

L’autorité administrative préfectorale dans le cadre du pouvoir de tutelle sur les CTD en
matière de police municipale prend des actes administratifs décisoires. Dans ce cadre, il est
généralement admis que l’administration dispose de deux privilèges : le privilège du préalable44
et le privilège de l’exécution d’office45 conformément à la pensée du doyen Maurice
HAURIOU. Ainsi, les décisions de l’autorité préfectorale sont décisoires c’est- à- dire des actes
administratifs qui comportent une décision entrainant des effets de droit et qui sont directement
respectés même en cas de contestation et de résistance46. De la sorte, les actes de tutelle peuvent
être traducteurs du pouvoir de suspension (1) comme ils peuvent induire la délégation spéciale
(2).

1- Le pouvoir de suspension
En règle générale, le pouvoir de suspension est une constance dans les rapports entre le
pouvoir central et les entités décentralisées. Il concerne aussi bien l’exécutif de la commune
que l’organe délibérant. C’est ainsi qu’à juste titre, l’article 186 de la LCGCTD de 2019 dispose
que « le conseil municipal peut être suspendu par arrêté motivé du Ministre chargé des
collectivités territoriales en cas d’accomplissement d’actes contraires à la constitution ;
d’atteinte à la sécurité de l’Etat ou à l’ordre public ; de mise en péril de l’intégrité du territoire
national ; d’impossibilité durable de fonctionner normalement ». En outre, l’article 225 al 1 de
la LCGCTD va renchérir la suspension des exécutifs communaux en ces termes « En cas de
violation des lois et règlements en vigueur ou de faute lourde, les maires et adjoints, après avoir
été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés,
peuvent être suspendus par arrêté du Ministre chargé des collectivités territoriales, pour une
période n’excédant pas trois (03) mois (…) ». On comprend clairement que la suspension est
inhérente à la tutelle de l’Etat sur les collectivités territoriales. En l’espèce, il s’agit de la
suspension en matière de police municipale.
Selon l’article 31 du décret de 2022 relatif à la police municipale, « Le service chargé de
la police municipale peut être suspendu par arrêté du Préfet territorialement compétent pour
une durée d’un (01) mois éventuellement renouvelable en cas : d’abus généralisé commis par
les agents sans qu’aucune mesure ait été prise par le maire pour y mettre fin ; de non-respect

44
Selon ce principe, lorsqu’un acte administratif unilatéral est édicté et publié, il jouit de la présomption de vérité
légale. On présume qu’il est conforme à la légalité car a priori, on ne saurait faire des procès d’intentions à
l’administration en jetant le doute sur la légalité de ses actes. L’acte administratif doit donc être appliqué par les
tiers ou les destinataires avant toute éventuelle contestation. Cf CS/CA, Jugement n° 33 du 28 Septembre 1978,
OWOUNDI Jean-Louis C/ Etat du Cameroun.
45
En droit public, le principe établi est que l’administration ne devrait nullement recourir à la force pour faire
exécuter ses décisions. Cette interdiction d’ordre général, vise à éviter l’absolutisme administratif et à conforter
l’idéologie libérale qui irrigue fortement les règles substantielles du droit public en général, et du droit administratif
en particulier. Toutefois, exceptionnellement, l’administration pourra faire recours à la force mieux, à l’exécution
forcée dans le respect d’un ensemble de conditions préalables (en cas d’autorisation légale comme dans le cas des
réquisitions de personnes et des biens ; en cas d’urgence…etc.).
46
NGANGO YOUMBI Éric Marcel, Les prérogatives de puissance publique au Cameroun. La part respective du
droit et des perceptions psycho-sociales, L’Harmattan, Paris, 2014, p.98

300
des règles de fonctionnement du service et de violation des dispositions du présent décret (…) ».
Cette disposition décrétale est sujette à plusieurs interprétations :
Premièrement, la mise en œuvre du pouvoir de suspension du Préfet est conditionnée. En
effet, le préfet a l’obligation de procéder à une suspension du service chargé de la police
municipale si et seulement si ce dernier s’est rendu coupable de l’une des fautes sus-relevées.
A défaut, un acte de suspension de l’autorité sera attaquable devant le juge administratif pour
excès de pouvoir.
Deuxièmement, il s’agit de la valeur juridique de l’acte de suspension. Etant un acte
exécutoire, il va conduire à la nullité des actes illégaux qui seront postérieur. En effet, l’organe
chargé de la police municipale ne sera plus légalement habilité à agir. Les actes qu’il pourra
poser après sa suspension seront dénués de toute valeur juridique au regard de son incompétence
établie. De même, par la suspension, l’autorité administrative préfectorale va neutraliser les
effets des actes de police antérieurs à l’acte de suspension. Ces actes pourront ainsi faire l’objet
d’une annulation. La suspension permet ainsi de préserver la légalité administrative et de
sauvegarder les droits fondamentaux des administrés et conséquemment, la paix sociale.
Troisièmement, la lecture attentive de l’article supra mentionné suscite une interrogation :
les agents du service de police municipale en cas de procédure de suspension dudit service
bénéficient-ils en amont de la présomption d’innocence et des droits à la défense ? La question
qui précède trouve difficilement une réponse tranchée pour au moins une raison. Contrairement
à la suspension des organes délibérant et exécutif telle que prévue par la loi de 2019 sur les
CTD, le décret de 2022 ne précise pas que les agents seront entendus ou appelés à s’expliquer
sur les faits qui leurs sont reprochés. On peut dès lors se dire, qu’en l’absence de respect des
droits à la défense, en cas de suspension du service avec incidence sur les sanctions
disciplinaires, les agents de police municipale puissent contester l’acte de suspension. Cette
explication pourrait toutefois rencontrer des limites si l’on considère la démarcation entre le
service et l’agent. Selon le décret, c’est le service qui est suspendu et non les agents. Ces
derniers font plutôt l’objet de sanctions conformément à l’alinéa 3 de l’article 31 selon lequel
« Sans préjudice des sanctions pénales, l’agent chargé de la police municipale qui fait usage
de la force ou exerce la contrainte sur les citoyens en violation des dispositions du présent
décret, ou qui ne respecte pas les obligations qui découlent de l’accomplissement de ses
missions, s’expose à des sanctions disciplinaires et à des poursuites judiciaires ». Tout compte
fait, dans l’un ou dans l’autre cas, une fois que les agents sont impliqués, les droits à la défense
doivent être garantis. En plus de la suspension, la tutelle en matière de police municipale peut
constituer le point de départ de la délégation spéciale.

2- La capacité incitative de la délégation spéciale


En prenant en compte les objectifs qui sont assignés à la décentralisation en droit
camerounais47, la constitution des CTD qu’est la loi de 2019 a prévu une solution à
l’indisponibilité des autorités locales à savoir la délégation spéciale48. L’enjeu de la prévision

47
Conformément à l’article 5 alinéa 2 de la LCGCTD, la décentralisation constitue l’axe fondamental de promotion
du développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local.
48
Lire utilement les articles 192, 193, 236 et 238 de la loi précitée.

301
de cet organe est selon le Professeur Jean Mermoz BIKORO, la garantie de « la continuité du
service public au niveau local face à la volonté décentralisatrice » 49 dont la libre
administration est le corollaire50. Cependant, on pourrait questionner la consécration d’une telle
pratique qui semble traduire un élan de « recentralisation »51 dans la décentralisation.
D’ailleurs, à ce propos, l’actualité juridique révèle un caractère un caractère controversé de
l’instauration de la délégation spéciale en raison des suspicions de politisation qui l’entourent52.
Toutefois, la délégation spéciale peut être considérée comme un moyen palliatif à
l’indisponibilité des élus locaux53. La police municipale est placée sous l’autorité du Maire54.
C’est donc lui qui en répond55 bien que l’on puisse établir la responsabilité des agents. Si la
défaillance du maire est avérée et constaté, l’autorité administrative se doit de prendre toutes
les dispositions nécessaires pour s’assurer de la continuité du service compte tenu de l’éminence
des fonctions qui incombent au service de la police municipale notamment « la sureté et la
commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques »56 ; « Le transport des
personnes décédées (…) » ; « la participation en tant que de besoin, aux opérations
d’inspection des appareils et/ou instruments pour les denrées qui se vendent (…) ; « la
démolition des édifices construits sans permis de bâtir » ; « le contrôle et la vérification des
titres et autorisations émis par la commune, la communauté urbaine ou la commune
d’arrondissement » sans prétendre à une exhaustivité57.
De la sorte, lorsque le préfet se sera rendu compte de la défaillance du maire et de toute
son équipe, il pourra saisir les autorités hiérarchiques pour attirer leur attention sur les risques
graves auxquels les populations de la commune en cause seront exposées. Ainsi, on dira alors
que l’autorité préfectorale peut inciter la mise en place d’une délégation spéciale grâce à son
pouvoir de tutelle58. Une fois constituée, la délégation spéciale supprime les pouvoirs autrefois
reconnus à l’exécutif local déchu. La conséquence immédiate devient dès lors l’instauration

49
BIKORO Jean Mermoz, « La délégation spéciale dans le droit de la décentralisation des Etats d’Afrique noire
francophone », Revue Burkinabé de Droit, n° 62, 2021, pp.1-39
50
En droit de la décentralisation, la libre administration est appréhendée par le Professeur André ROUX comme
« la liberté de gestion qui doit être assurée collectivités territoriales décentralisées ». Confère, ROUX (A), « Le
principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées », RFDA, n° 8, 1992,
p.438
51
BIKORO Jean Mermoz, « La délégation spéciale dans le droit de la décentralisation des Etats d’Afrique noire
francophone », op.ci.t, p. 25
52
Ibid, p.12.
53
Ibid.
54
Article 2 alinéa 2 de la Loi de 2019 portant CGCTD ;
55
Lire utilement les articles 3 et suivant du décret de 2022 relatif aux modalités d’exercice de la police municipale.
56
Il s’agit de façon plus succincte de : le nettoiement ; l’éclairage public ; l’enlèvement des encombrements ; la
démolition ou la rénovation des édifices menaçant ruine ; l’enlèvement de tout objet ou substance susceptible de
causer des dommages ou des exhalaisons nuisibles ; la facilitation de la traversée de la route aux élèves et autres
usagers ; la fluidification de la circulation sur la voie publique et aux intersections, sous l’encadrement des forces
de maintien de l’ordre ; la régulation du stationnement des véhicules sur la voie publique.
57
Pour une connaissance intégrale des attributions de la police municipale, lire utilement l’article 2 alinéa 2 du
décret précité.
58
GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, « L’emprise de l’Etat sur l’exécutif communal au Cameroun. Regard
sur la dynamique des rapports entre l’Etat et l’administration communale au Cameroun », Lex Lata, n° 021, 1995,
pp.9-16 ; MONEMBOU Cyrille, « Les paradoxes de la décentralisation camerounaise : de la décentralisation à la
recentralisation », RADSP, vol. 1, n° 1, 2013, pp.161-180

302
d’un rapport hiérarchique entre les délégués spéciaux et le pouvoir central59 malgré le fait que
la décentralisation apparaisse comme « la négation de la centralisation »60. Il faut dire que la
mise en place d’une délégation spéciale place les communes dans une situation paradoxale. S’il
est vrai qu’elle pourrait traduire un moyen de permanence de l’action publique locale, elle
semble plus être un mécanisme d’omniprésence de l’Etat au sein des collectivités territoriales
décentralisées. L’implication serait donc la consolidation mieux le renforcement de l’influence
du pouvoir central et l’étiolement des pouvoirs des organes locaux. C’est également une parfaite
manifestation de la prééminence de la volonté étatique sur la volonté locale61.
Tout compte fait, l’autorité préfectorale joue un rôle déterminant dans la garantie de
l’unité de l’Etat en matière de police municipale. Mais malheureusement, à l’analyse de certains
éléments tant juridiques qu’a-juridiques, on fait le constat d’une garantie éprouvée avec une
amélioration possible et plausible.

II- LA GARANTIE EPROUVEE DE L’UNITE DE L’ETAT PAR LES POUVOIRS


DE L’AUTORITE PREFECTORALE EN MATIERE DE POLICE MUNICIPALE AU
CAMEROUN

L’idéologie de la construction nationale, fondement de l’unité de l’Etat n’est pas morte.


Mais, elle fait face à des difficultés qui tendent à la fragiliser dans un contexte d’expansion de
la police municipale. Pour le doyen Maurice KAMTO, c’est « une idéologie de mobilisation
des énergies physiques, de captation de l’imagination et des pulsions affectives des populations.
Elle vise à mobiliser (l’activité de) celle-ci sur des thèmes ayant une portée globalisante,
totalisante, à façonner une conscience collective nouvelle marquée par le désir de vivre en
commun et la volonté de combler son aspiration au bien-être matériel »62. Il s’agit ainsi d’une
« idéologie de l’Etat et de la construction nationale »63. Plus aisément, il s’agit de « la
mobilisation de l’ensemble du potentiel (humain et économique) national en vue de la
réalisation, d’une part de l’unité nationale, d’autre part du développement national, celle-là
s’affirmant comme une condition de celui-ci »64. Dans le cadre de la police municipale, elle
peut être fragilisée malgré le rôle important joué par l’autorité préfectorale. Sans prétendre à
une exhaustivité, on relève une dualité de limites (A). Ces derniers, bien qu’étant perceptibles
ne sont pas pour autant une fatalité au regard des mesures envisageables (B).

59
BIKORO Jean Mermoz, « La délégation spéciale dans le droit de la décentralisation des Etats d’Afrique noire
francophone », op.cit., p.33
60
EISENMANN Charles, Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1982, p.278
61
BIKORO Jean Mermoz, « La délégation spéciale dans le droit de la décentralisation des Etats d’Afrique noire
francophone », op.cit., p.36
62
KAMTO Maurice, Pouvoir et droit en Afrique, Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les pays
d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p.334
63
Ibid.
64
Ibid., p .329

303
A- Sous la cendre de l’unité de l’Etat, le feu d’une dualité de limites

Le dessin et de dessein65 de l’unité de l’Etat sont clairement énoncés dans l’article 1 alinéa
2 de la constitution du 18 janvier 1996. En vertu de cet article, « le Cameroun est un Etat
unitaire décentralisé »66. L’unité est ainsi conçue comme l’élément incontournable sur lequel
l’organe politique se fonde pour garantir et assurer la permanence de l’idéologie de la
construction nationale. Mais cette unité peut se trouver influencée par l’usage politique du droit
dans un contexte de déploiement de la police municipale.
Du point de vue général, on peut dire que le pouvoir politique et la règle politique qu’il
produit appréhendent les territoires vers lesquels ils orientent leurs actions de deux manières :
comme des ensembles uniformes ou comme des situations diverses67. Que ce soit dans l’un ou
dans l’autre cas, le changement de l’ordre institutionnel que les politiques de décentralisation
cherchent à promouvoir, suppose une inscription juridique68. Cet usage renvoie à la politisation
du droit ; laquelle renvoie à son tour aux « enjeux politiques qui déterminent le champ juridique
autour des acteurs socio-politiques en vue du monopole de la formulation des règles du jeu »69.
C’est ce qui conduit à envisager la fragilisation de l’Etat de droit par les replis identitaires et les
velléités sécessionnistes (1) sans omettre la politisation de l’autorité préfectorale et la
minoration du déféré préfectoral, mécanisme susceptible de participer d’une approche de
rééquilibrage (2).

1- La fragilisation de l’Etat de droit par les replis identitaires et velléités


sécessionnistes
L’État de droit s’est, dans le temps et dans les sphères différentes, traduit à travers des
expressions différentes. C’est ainsi que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de
1948 utilise l’expression « le Régime de droit » pour signifier la soumission du pouvoir au droit.
Elle énonce dans ce sens ce qui suit : « considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme
soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême
recours, à la révolte, contre la tyrannie et l’oppression»70. Dans le même sens, l’Assemblée
Générale des Nations Unies utilise plus tard, pour affirmer à l’occasion de l’adoption de la
Déclaration sur les Relations Amicales entre les Etats l’expression « le règne du droit »71.
L’autre expression qui porte la même signification est « le principe de la prééminence du droit
».

65
MANGA ZAMBO Eleuthère, « La décentralisation dans le paysage administratif au Cameroun » in
L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes, Paris, L’Harmattan, 2010, p.115
66
Article 1er alinéa 2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
67
KEUDJEU DE KEUDJEU John Richard, Recherche sur l’autonomie des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, op.cit., p.604
68
CAILLOSSE (J), Les mises en scènes juridiques de la décentralisation sur la question du territoire français, cité
par KEUDJEU DE KEUDJEU John Richard, Recherche sur l’autonomie des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, op.cit., p.604
69
SINDJOUN Luc, OWONA NGUINI Mathias Éric, « Politisation du droit et juridicisation de la politique :
l’esprit sociopolitique du droit de la transition démocratique au Cameroun », in DARBON Dominique et DU BOIS
DE GAUDUSSON Jean (Dir), La création du droit en Afrique, Paris Karthala, 1997, 1997, pp.217-245
70
Paragraphe 3 du préambule de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948.
71
Lire le 5ème alinéa de ladite Déclaration de 1970.

304
Les États, dans leurs systèmes juridiques respectifs, avaient depuis longtemps senti la
nécessité de mettre en place un système qui oblige le pouvoir à rester soumis au droit, et par
ricochet, à la volonté de ceux qu’il gouverne. Si la doctrine s’accorde globalement sur la
signification de l’Etat de droit, ce n’est pas toujours qu’elle l’écrit de la même manière.
Selon la Professeure MAKOUGOUM Agnès La question de la sémantique de l’État de
droit sépare la doctrine72. Pour les uns, l’État de droit doit s’écrire avec un « E » majuscule et
pour les autres, il doit s’écrire avec un « e » minuscule. Le premier renvoie aux « qualités
requises d’un Etat pour être ainsi qualifié »73. Le second renvoie pour sa part à une situation
où une autorité, n’importe laquelle, est soumise au droit et tenue au respect des droits et libertés.
Dans ce sens, « l’Etat de droit est un vocable qui caractérise avant tout la nature du droit, et
non celle de l’État »74. Docteur MAKOUGOUM poursuit en précisant que la différence dans
l’écriture découle de la distinction entre les expressions « rule of law » qui renvoie globalement
au « règne du droit » d’une part et d’autre part « Rechtsstaat » et « État de droit » qui pour leur
part renvoient à la situation spécifique d’un Etat qui est respectueux du droit. Il va sans dire que
l’écriture de l’état de droit avec un « e » minuscule offre une grande flexibilité et permet de
régler des problèmes pratiques75.
La police municipale dans ses manifestations pourrait refléter des velléités
sécessionnistes et des replis identitaires76, nocifs pour l’état de droit.
Pour ce qui est de la sécession, elle s’entend comme une action pacifique ou violente par
laquelle une partie de la population d’un État se détache volontairement de celui-ci pour
s’intégrer à un autre État ou former un État nouveau77. Il peut s’agir des revendications sur
l’autonomie, l’indépendance, ou le démembrement de territoire.
En convoquant l’histoire, le Cameroun s’est enfoncé dans une crise politique en 2021 qui
a affecté et qui affecte même encore en particulier les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.
Les incursions récurrentes de Boko Haram à l’Extrême-Nord et la contestation ouverte des deux
régions anglophones depuis 2016 ; auxquelles on pourrait ajouter la dangereuse proximité des
milices centrafricaines à l’Est peuvent donner lecture à l’éclatement du Cameroun post colonial,
vers le chaos comme dans d’autres pays de la région.

72
MAKOUGOUM Agnès, Ordre public et libertés publiques en droit public camerounais, Contribution à l’étude
de la construction de l’Etat de droit au Cameroun depuis 1990, thèse de doctorat Ph/D, Université de Yaoundé 2
Soa, 2014, p.37.
73
SANDOZ Yves, « Les situations de conflits armés ou d’occupation : quelle place pour l’Etat de droit ? », in
l’État de droit en droit international, Paris, A. Pedone, 2008, p. 61.
74
Idem.
75 I
bidem.
76
Dans la pratique, l’avènement de la police municipale a eu des élans de repli identitaire dans deux départements
au Cameroun. La première hypothèse concerne le département du NOUN. En effet, le maire de la commune de
FOUMBAN avait pris sur lui de former des agents de police municipale en l’absence d’une délibération du conseil
municipal, d’une transmission du dossier au Préfet et un arrêté de création du Ministre en charge de la
décentralisation. Le second cas a eu lieu dans le département du MFOUNDI où le maire de la commune
d’arrondissement de Yaoundé VI a procédé aux mêmes pratiques au mépris de la réglementation en vigueur en
matière de police municipale. Mais fort heureusement, dans l’un comme dans l’autre cas, ces magistrats
municipaux ont été rattrapés par la rigueur et la vigueur de la tutelle.
77
CORNU Gérard, (dir) Lexique des termes juridiques, 12e édition 2018, p.1998.

305
Ce qu’il est convenu d’appeler la « question anglophone », qui a resurgi dans le débat
camerounais est aussi ancienne que le Cameroun lui-même. Son acuité fluctue au fil du temps,
au gré des évènements avec ses poussées de fièvre récurrentes, mais elle se maintient en toile
de fond, inscrite dans le temps long de l’histoire même du pays.
La Société des Nations78 a confié à la France et au Royaume-Uni l’administration du
protectorat allemand du « Kamerun ». Chacun des deux pays impulsa sa marque79 sur les parties
du territoire dont il avait la charge. La partie francophone80 obtient son indépendance en 1960
et constitue la République du Cameroun. Le devenir de la partie britannique, le Cameroun dit
« occidental », elle-même constituée de deux territoires à savoir le Northern Cameroon et le
Southern Cameroon, est plus compliqué, notamment du fait de l’exclusion par la « communauté
internationale » de l’époque et l’Organisation des nations unies81 de l’hypothèse d’une
indépendance qui avait a priori les faveurs des populations. Alors que le Northern Cameroon
demande son rattachement au Nigéria, lors du référendum de 1961, le Southern Cameroon
choisit de rejoindre la République du Cameroun. Ce dernier territoire correspond aux régions
du Nord-Ouest et du Sud-Ouest actuel.
Depuis cette date, ces origines coloniales différentes n’ont cessé de se traduire en
manifestations et en revendications plus ou moins régulières et émergées d’une identité à part.
Dès le processus de rattachement, les termes du mode d’intégration ont été contestés, certains
groupes élitaires82 plaidant pour l’option nigériane. Alors que les négociateurs anglophones
penchent pour un État fédéral lors des négociations avec le président Ahidjo en juillet 1961, le
vote de la Constitution n’accorde que peu de prérogatives aux deux États fédérés, au bénéfice
de l’État fédéral. La promulgation d’un certain nombre de mesures économiques83, mais aussi
de normes plus ou moins symboliques (le système métrique ou la conduite à droite), met en
évidence la volonté d’effacer le legs colonial britannique porté par les anglophones.
Ramené à la police municipale, les velléités sécessionnistes ont pour conséquence de
créer un État dans l’État. C’est une conjecture d’une hypothèse où les agents de police
municipale pourront éventuellement se confondre à des agents de police nationale.

2- La politisation de l’action des autorités préfectorales et la minoration du déféré


préfectoral
Bien que cela ne soit pas régi par un texte, l’on peut néanmoins s’intéresser au volet
politique du préfet par les analyses quant à certaines de ses fonctions. La démonstration
s’articulera sur l’exercice de la tutelle sur les collectivités territoriales décentralisées en matière
de police municipale.
Prenant enfin le volet de la tutelle, nœud de ce travail de recherche, l’on pourrait voir
aussi le préfet ici comme autorité politique. Le préfet est la tutelle des maires dans les
communes. Or, le maire est d’abord une autorité politique parce que ce dernier est élu par le

78
Connue sous le sigle de SDN.
79
Linguistique, culturelle et institutionnelle.
80
Dite à l’époque du « Cameroun méridional.
81
Connue sous le sigle de l’ONU.
82
Autour de la figure d’ENDELEY, chef du Kamerun National Congress.
83
Comme l’adoption du franc CFA

306
conseil municipal, et ces conseillers municipaux sont issus des élections municipales. Le préfet
assure donc la tutelle sur un organe politique.
Le préfet est par essence une autorité déconcentrée. C’est-à-dire un représentant du
pouvoir central au niveau départemental. D’ailleurs, le décret de 2008 précité fixant les
attributions des chefs des circonscriptions administratives fait de lui le dépositaire de l’autorité
de l’Etat dans le département ainsi que le représentant du Président de la République et de
chacun des ministres. Ce faisant, son pouvoir a une onction politique. Mais cette dernière peut
parfois déteindre sur la qualité de ses actions. Il peut arriver qu’une autorité préfectorale soit en
déphasage avec un élu local. Une telle situation délétère sera peu viable pour l’unité de l’Etat.
Au surplus, on peut également regretter le recours minoré au déféré préfectoral. Consacré
au Cameroun, le déféré préfectoral est peu connu voire même inconnu ainsi que non usité par
les autorités préfectorales. Ce mécanisme permettrait pourtant une sauvegarde optimale de
l’unité à côté d’autres mesures.

B- L’optimisation des pouvoirs de l’autorité préfectorale en matière de police


municipale pour une consolidation de l’unité de l’Etat

L’originalité des mesures envisagées tient dans une attribution de rôles où le représentant
de l’Etat peut mettre en en mouvement le contrôle. Schématiquement, il est l’acteur principal
d’une pièce ou scène dont l’objectif recherché est la consolidation de l’unité de l’Etat.
Ainsi, l’autorité préfectorale doit faire recours au déféré préfectoral de façon très
permanente (1) en vue de réduire optimalement les risques de menaces de l’unité. En outre, il
serait judicieux de réinstaurer le pouvoir de reformation des actes des CTD dans le but de mieux
préserver l’intérêt supérieur de l’Etat sans pour autant compromettre l’idéologie de l’autonomie
amorcée avec l’implémentation de la décentralisation (2).

1- Le recours permanent au déféré préfectoral


Dans sa définition littéraire, le déféré provient du verbe déférer qui lui-même vient du
latin « deferre » qui signifie porter de haut en bas. Il s’agit de porter une affaire, traduire un
accusé devant l’autorité judiciaire compétente84. C’est dans le même sens qu’on peut dire
déférer une affaire à un tribunal, saisir le tribunal85. L’adjectif préfectoral vient de ce qui
provient du préfet.
Dans son appréhension juridique, prenant tout d’abord le dictionnaire juridique de
Catherine PUIGELIER, le verbe déférer désigne « le fait de traduire une personne (un accusé)
devant une juridiction pénale »86. Le déféré préfectoral (procédure administrative), désigne
l’acte par lequel un Préfet défère au tribunal administratif les décisions des collectivités
territoriales ou (locales) qu’il considère comme illégales87. Le Lexique des termes juridiques

84
DIDIER DE Calan, MARIANNE Durand, CAROLINE Leblanc, CATHERINE Lucet et al, Dictionnaire, Paris,
Le robert, 2010, p. 505.
85
Idem.
86
PUIGELIER Cathérine, Dictionnaire juridique, op.cit., p. 356.
87
Idem, p. 356.

307
perçoit le déféré préfectoral dans le cadre du contrôle administratif exercé par l’État sur
l’activité juridique des communes, départements et régions, le déféré est l’acte par lequel le
préfet défère au tribunal administratif les décisions de ces collectivités locales qu’il considère
comme illégales88.
À la réalité, le terme « déféré préfectoral » ne figure ni dans la loi, ni dans un Code. À
cet effet, Le Code Général des Collectivités Territoriales Décentralisées ne définit pas le déféré
préfectoral. L’on peut lire juste que : « Le représentant de l'Etat défère à la juridiction
administrative compétente les actes prévus aux articles 75 et 76 ci-dessus qu'il estime entachés
d'illégalité dans un délai maximal d'un (01) mois à compter de la date de leur réception »89.
Même si « on a pris l’habitude de désigner par le terme déféré préfectoral »90 le recours
institué par les lois de la décentralisation par lequel le préfet peut agir contre les actes des
collectivités locales soumis à transmission, celui-ci est habituellement désigné comme un
recours exercé par le préfet contre les actes des collectivités territoriales soumis ou non à
l’obligation de transmission91. En d’autres termes, le déféré préfectoral peut être entendu
comme un recours contentieux par lequel le préfet conteste la légalité des actes pris par les
collectivités territoriales décentralisées ou leurs établissements publics. Le législateur permet
au préfet d’exercer un déféré par lequel il demande aux Tribunaux administratifs d’annuler,
pour cause d’illégalité, les actes administratifs des collectivités territoriales ainsi que ceux de
leurs établissements publics.
Ce mécanisme devrait être vulgarisé par les autorités administratives préfectorales en vue
de mieux assurer et garantir la légalité républicaine et le caractère unitaire de l’Etat. D’ailleurs,
la loi portant CGCTD dispose que « le représentant de l’Etat défère à la juridiction
administrative compétente les actes (…) qu’il estime entachés d’illégalités ». Cette formule
semble viser spécialement les actes soumis à l’obligation de transmission et assigne à la saisine,
un délai maximal d’un mois à compter de la transmission sous réserve des dérogations qui
jouent au bénéfice de la règle de la transmission. S’agirait-il d’une appréciation discrétionnaire
du représentant de l’Etat ? Que nenni ! On y voit davantage une compétence liée92 du
représentant de l’Etat. Tout d’abord, sa marge de liberté est réduite. Le texte dans sa
formulation explicite cela en ce sens où la nature de son appréciation est limitée en excluant
tout jugement sur l’opportunité de la mesure ou des choix effectués par l’autorité locale.
L’examen de passage de l’acte devant le représentant de l’Etat ne porte rigoureusement et
exclusivement que sur la légalité. L’implication logique est que s’il est établi qu’aucune
illégalité n’a été décelée, l’acte sera purement et simplement classé. Mais si au contraire, le
représentant de l’Etat constate des irrégularités dans l’acte, il est dans l’obligation de saisir le
juge car il est un gardien de l’intérêt supérieur de l’Etat conformément à la constitution ;
l’article 58 alinéa 1 énonce à cet effet que « (…) il a la charge des intérêts nationaux, du
contrôle administratif et du respect des lois (…) ». En l’espèce, le Préfet serait donc le point

88
GUINCHARD Serge, DEBARD Charles, (dir) Lexique des termes juridiques, op.cit., p.766.
89
Art 77 alinéa 2 du Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées.
90
FOUIDI (N), Le déféré préfectoral contractuel, mémoire de master II contrats publics & partenariats, Université
de Montpelier, 2013, p.7.
91
Ibid.
92
MANGA ZAMBO Eleuthère, « La décentralisation dans le paysage administratif au Cameroun », op.cit., p. 139

308
de passage obligatoire des actes locaux : l’obligation de transmission ; le juge de l’appréciation
de la légalité desdits actes : l’obligation de vérification et enfin, le requérant devant le juge en
cas d’acte illégal : l’obligation de sécurité juridique. En outre, on peut également penser à la
résurgence du pouvoir de reformation des actes des CTD par l’autorité préfectorale comme
gage de l’unité face à la police municipale.

2- La résurgence du pouvoir de réformation des actes des CTD


Faire resurgir le pouvoir de reformation des actes des CTD par l’autorité préfectorale en
matière de police municipale peut paraitre comme un pas en arrière dans le cadre de
l’émancipation de la décentralisation. En effet, cette approche parait participer de la
recentralisation du pouvoir. Elle pourrait également renvoyer l’idée selon laquelle le pouvoir
central est encore jacobin et ne serait pas véritablement prêt à décentraliser la gestion des
affaires publiques. Si cette grille d’analyse peut trouver un écho favorable pour certains, on
peut également considérer la résurgence du pouvoir de réformation comme un palliatif aux
défaillances des organes locaux en vue de garantir la performance dans l’exécution du service
public fussent-ils locaux ou nationaux et conséquemment enraciner la gestion axée sur les
résultats.
En effet, S’inspirant depuis longtemps de l’« idéaltype » wébérien93, la gestion des
organisations publiques a subi une profonde transformation, notamment dans le cadre du
développement de la Nouvelle gestion publique (NGP). Les changements mis en œuvre depuis
le début des années 1980 sont tellement importants que les fondements du modèle
bureaucratique sont totalement redéfinis aujourd’hui, ce qui amène nombre d’analystes à parler
de changement de paradigmes. Ledit changement est fortement tributaire des difficultés
plurielles auxquelles les administrations publiques se heurtent de nos jours. En effet, les
administrations publiques connaissent quasiment dans tous les Etats, une remise en question de
leur rôle, de leur mandat, de leurs champs d’intervention et de leur structure organisationnelle94.
L’administration publique camerounaise n’y échappe pas. Ainsi, le passage de la « gestion axée
sur les ressources »95, tout à fait propre au paradigme bureaucratique, à la « gestion axée sur
les résultats »96, où la notion de performance s’avère déterminante devient un impératif.
Le concept de performance peut être défini de plusieurs façons. Selon le Grand
dictionnaire Larousse, la performance est un mot anglais qui signifie « exécution, achèvement ;
par extension, exploit quelconque ». Cette définition met l’accent sur ce qu’on recherche à
réaliser ultimement et correspond à la définition qu’en donne l’OCDE : « le rendement ou les
résultats d’activités effectuées dans le cadre d’objectifs poursuivis. Sa finalité est de multiplier

93
COENEN-HUTHER Jacques, « Le type idéal comme instrument de la recherche sociologique », Revue
française de sociologie, vol.44, n° 8, juillet-septembre 2003, pp 531-547.
94
KERNAGHAN et CHARIH, « La recherche en administration publique : Etat de la situation », in Mohamed
CHARIH et RÉJEAN Landry, La gestion publique sous le microscope, Les presses de l’Université du Québec,
1997, p.4
95
EMERY Yves, WYSER Carole, MARTIN Noémi, SANCHEZ « Joëlle, La perception de la performance par
les agents publics suisses dans un environnement en rapide évolution », Revue Internationale des Sciences
Administratives, vol 74, n° 2, 2008, pp 327-344.
96
Ibid.

309
les cas dans lesquels les pouvoirs publics atteignent leurs objectifs »97. Par ailleurs, le
dictionnaire OXFORD propose une définition de la performance qui met plutôt un accent sur
les moyens : « the accomplishment, execution, carrying out, working out of anything ordered
or undertaken ; the doing of any action or work ; working , action ». Parler de performance
selon ces définitions c’est donc réfléchir tant sur les résultats ultimes que l’on recherche que
sur les moyens appropriés pour y parvenir. C’est d’ailleurs le sens de la définition retenue par
le lexique des termes juridiques « (…) une action publique peut être qualifiée de performante
quand les objectifs ont été atteints (efficacité) en ne mobilisant que les moyens financiers et
matériels nécessaires (économie) »98. En clair, la performance renvoie au rendement, lui-même
compris au sens littéral comme « la production évaluée par rapport à une norme, une unité de
mesure »99. Dans un contexte de gestion axée sur les résultats, la performance va se manifester
au travers des contrats de performance dans la sphère administrative camerounaise. Ainsi, au
nom de la recherche de la performance, il est possible de réinstaurer le pouvoir de réformation
de la tutelle en matière de police municipale.
Ce pouvoir permettra à plus d’un titre au représentant de l’Etat qu’est le préfet, de mettre
un point d’honneur sur la qualité des textes édictés par les organes locaux. Et permettra à ces
derniers de s’assurer du respect scrupuleux et rigoureux de la légalité sans enfreindre les
compétences reconnues à la police municipale.

CONCLUSION

Infine, il a été question de mettre un point d’honneur sur les pouvoirs de l’autorité
préfectorale et la garantie de l’unité de l’Etat en matière de police municipale au Cameroun. A
l’analyse, si l’autorité préfectorale peut garantir de l’unité de l’Etat en matière de police
municipale, il existe tout de même des pesanteurs, limites, bémols qui fragilisent ladite garantie
d’où l’importance établie et avérée d’optimiser les mesures de sauvegarde de l’unité.

97
OCDE, 2005, p.65.
98
GUINCHARD Serge, DEBARD Thierry, Lexique des termes juridiques, 21e édition, Dalloz, 2014, p.688.
99
GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, « L’administration publique à l’épreuve de la résilience : le défi du
management public », Leçon inaugurale, rentrée solennelle, Institut Supérieur de Management Public, 2022, p.17.

310
ESSAI SUR L’APPROCHE CONSOCIATIVE EN DROIT CAMEROUNAIS DE LA
DECENTRALISATION

Par

NKONO II Jean Philippe


Doctorant à l’université de Douala/Cameroun.
Adresse mail : nkonojean47@gmail.com
Contact : +237694974502 ; +237650448111

INTRODUCTION

Les Etats empreints de clivages ethniques, linguistiques et religieux constituent ce qu’il


convient d’appeler les sociétés fragmentées1 de l’expression du politologue Arend Lijpmart
« plural societies »2. Cette fragmentation qui caractérise ces sociétés est difficilement
conciliable avec le modèle Etat-Nation « classique »3. De fait, la perception que l’Etat-Nation
subjective renvoie échoue significativement à apprécier et à prendre en compte la diversité
démotique qui caractérise nombreuses sociétés contemporaines de cette époque. De plus en
plus le modèle Etat nation s’essouffle, même s’il continue de résister. De plus en plus, ce
dernier fait face à des revendications des entités infra-étatiques qui appellent de plus en plus à
un droit à la différence.
En Afrique et pendant longtemps, la question démotique a été reléguée au second plan
des préoccupations des politiques africaines et lorsqu’elle était évoquée, le pluralisme
démotique servait plus les enjeux liés à la conquête du pouvoir. L’ethnie, le clan, la
communauté, étant interpellés aux fins de mobilisation politique ou comme outil de
mobilisation de mouvements en quête de soutien populaire. Du point de vue juridique,
l’attitude pour les constitutions dans de nombreux Etats africains, a été pendant longtemps, un
silence réfractaire à l’expression de la diversité sociologique, jusqu’à ce que, des évènements
sans liens apparents4 avec le constitutionnalisme, viennent mettre sur la table des faits
longtemps occultés et une frustration généralisée. Le problème de fond des modèles
constitutionnels des Etats africains et donc du constitutionnalisme africain, se trouve dans
l’inadéquation des institutions européennes que l’on s’efforce de faire fonctionner depuis les
indépendances, en toute contraction avec les réalités sociétales du continent. L’Afrique n’a


Mode de citation : NKONO II Jean Philippe, « Essai sur l’approche consociative en droit camerounais de la
décentralisation », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 311-323.
1
GUENETTE (D.), L’exercice de la fonction constituante dans les sociétés fragmentées. Contribution à l’étude
des procédures de révisions constitutionnelles de la Belgique, du Canada et de la Suisse à travers le prisme du
fédéralisme consociatif, Université Laval Québec et Université catholique de Louvain-La-Neuve Belgique,
Thèse de Doctorat en Droit, 2020, p.3.
2
LIJPMART (A.), Democracy in plural societies. A comparative exploration, New Haven, Yale University
Press, 1977, p.3
3
GUENETTE (D.), op.cit., p.4
4
Les crises économiques furent l’élément déclencheur sur le continent dans les années 1990 de la vague de
contestation du pouvoir.

311
donc qu’un seul problème, celui de la légitimité de ses institutions et le reste en découle 5 car,
celles-ci semblent être totale désaccord avec les réalités sociologiques africaines.
La question des identités partagées est un fait historique ; comme l’attestent de
nombreuses études socio-anthropologiques, la plupart des Etats dans le monde sont
culturellement hétérogènes ; difficile d’en trouver un où les citoyens parlent tous la même
langue (excepté le fait de la langue officielle) ou appartiennent au même groupe ethno
national6. Cette diversité induit toute une gamme de problèmes graves, source de potentielles
divisions. « Minorités » et « majorité », « autochtones » et allochtones » s’affrontent ainsi de
plus en plus autour des questions linguistiques, à l’autonomie régionale, à la représentation
politique etc.7 Trouver des solutions à de tels problèmes constitue le principal défi auquel
doivent faire face tous les gouvernements du monde entier. L’histoire nous enseigne que la
plupart des sociétés organisées étaient multiculturelles, héritage direct de multiples conquêtes
et du commerce tout au long de l’histoire8. Aujourd’hui encore, les défis du multiculturalisme
se posent avec autant de préoccupations que par le passé. Les sociétés modernes doivent de
plus en plus faire face à des groupes minoritaires exigeant la reconnaissance de leur identité et
la prise en compte de leurs différences culturelles. Cette situation représente le défi du
« multiculturalisme »9 que Norbert Roulant traduit en une question toute simple, mais fort
intéressante : qui sommes-nous 10? En effet, reconnaitre que tous les hommes sont égaux ne
postule pas qu’ils soient partout identiques ; l’assimilation pouvant provoquer des crises
identitaires qu’elles chercheraient à éviter11. C’est à ce défi que la nation camerounaise est
aujourd’hui confrontée, et même, a toujours été confrontée.
La gestion du pluralisme démotique dans la société camerounaise est une question qui
fait très vite son irruption dans le débat politico-juridique. L’on pourrait sans exagération dire
qu’il est aussi vieux que la naissance internationale de l’Etat du Cameroun. Aux lendemains
de l’accession à l’indépendance de la partie du territoire camerounais sous domination
britannique12, les négociations sur les conditions de la réunification dessinaient déjà le souci
pour la partie anglophone de préserver ses acquis culturels hérités des pratiques de Common
Law pendant près d’un demi-siècle à l’école britannique. De ces négociations, il en était
ressorti l’option pour une constitution de type fédérale, seule gage d’équilibre et d’égalité
dans le partage du pouvoir et l’émancipation de la culture anglophone. La structure fédérale
de départ reposait sur une espèce de consociationalisme fédératif. Ce dernier, se dessinait sous
les traits d’un fédéralisme doublement territorial et personnel. De fait, la fédération issue de
la conférence de Foumban respectait non seulement le principe de l’uti possidetis, entre la
partie du territoire camerounais anciennement sous domination française et celle

5
MICHALON (T.), « A la recherche de la légitimité de l’Etat », in DARBON (D.) et De GAUDUSSON (dir.),
La création du droit en Afrique, coll. « Hommes et Sociétés », p.131.
6
KYMLICKA (W), La citoyenneté multiculturelle. Une théorie libérale du droit des minorités, traduit de
l’anglais par Patrick SAVIDAN, Paris, La découverte, 2001, p.9.
7
Idem., p. 9
8
Ibid. p.10.
9
Ibid. P. 10
10
ROULAND (N.) (dir.), Droits des minorités et des peuples autochtones, Paris, PUF, 1996, p. 9.
11
Idem.
12
Lire utilement LEKENE DONFACK (E.C.), L’expérience du fédéralisme camerounais : les causes et les
enseignements d’un échec, t.1, Thèse de Doctorat en droit public, Université de Clermont, 1979. 416p.

312
anciennement sous domination britannique, mais aussi, les limites territoriales des Etats
fédérés coïncidaient avec des aires culturelles distinctes : le bilinguisme constituait donc le
fondement même de la fédération. Toutefois, les mésaventures dues aux violations
successives du pacte fédératif et l’avènement de l’Etat unitaire en 197213, avec leur cortège
d’idéologies dans le seul but de consolider le pouvoir d’une seule institution, celle
présidentielle, vont créer des frustrations latentes lesquelles, saisissant l’occasion des crises
économiques et de la montée des mouvements démocratiques soutenues par les bailleurs de
fonds internationaux, vont permettre à la partie anglophone du pays, de relancer le débat sur le
vivre-ensemble culturelle et le sens même du concept nation. Une fois posé, le problème face
auquel se verra confronté le pouvoir politique sera de savoir comment parvenir à un modèle
d’organisation socio-politique qui garantisse à la fois, l’unité de la nation tout en respectant sa
diversité : d’où la décentralisation camerounaise instituée en 1996, consolidée
continuellement à travers les lois sur la décentralisation, comme réponse à la problématique
démotique.
Le modèle de gestion de la diversité démotique par le Cameroun, s’est fait à travers la
décentralisation, mais une décentralisation dans la veine du consociationisme ou disons le tout
simplement, une « décentralisation consociative ». Il faut entendre par cette formule, une
décentralisation qui applique ou essaie d’appliquer les principes consociatifs. Pour définition,
la consociation consiste en une théorie qui se donne pour objectif de tracer un chemin de
pacification de relations souvent acrimonieuses entre les communautés politiques qui
composent le tissu démotique d’un Etat souverain ou d’une région autonome, en préconisant,
leur représentation et leur participation au sein du système de gouvernance politico-
administrative. C’est un concept qui nous vient du latin Consociatio qui traduit l’action ou
l’art de s’associer. Concrètement, le consociationalisme fait référence à l’art de s’associer
entre élites politiques dans le but de parvenir à une meilleure représentation, à une meilleure
participation des différentes communautés politiques qui cohabitent au sein d’une société
démotique fragmentée ou du moins, très complexe. C’est un mécanisme transactionnel de
partage du pouvoir afin de garantir la paix, l’inclusion sociale, le développement participatif
et inclusif14. De nos jours, la politique consociative prend plusieurs formes et peut se mouvoir
dans toutes les formes d’Etats. On la retrouve que ce soit dans les Etats fédéraux qui ont opté
pour un fédéralisme personnel comme la Belgique ou l’Ethiopie, dans les Etats régionaux
comme l’Espagne et même, dans des Etats unitaires comme l’attestent l’exemple du Burundi.
Si cette politique est facile à mettre en œuvre, dans les sociétés composées de peu de forces
démotiques comme c’est le cas en Belgique, au Canada, en Ethiopie, au Rwanda ou au
Burundi, elle devient très complexe lorsqu’un Etat exponentiellement multiculturel comme le
Cameroun s’essaie à son implémentation.
Si complexe est le paysage démotique du Cameroun, sa régulation n’en est pas moins
impossible. La constitution du 18 janvier 1996 ayant pris l’ampleur des exigences de paix, de
stabilité et de vivre-ensemble, a construit une décentralisation qui est à la fois un modèle

13
LEKENE DONFACK (E.C.), op. cit.
14
McCULLOCH (A.), « Consociational Settlements in Deeply Divided Societies : the liberal-corporate
Distinction », Democratization, vo. 21, 2014, p. 501

313
d’organisation étatique, mais aussi et surtout, un cadre d’émancipation des particularismes
sociologiques. Le tout étant donc de savoir : comment se matérialise l’approche consociative
dans la décentralisation camerounaise ? Très rapidement par une vue d’ensemble, la politique
consociative dans la décentralisatioon camerounaise est imparfaite. Premièrement, elle ne
connait pas tous les principes comme l’atteste l’absence du principe de proportionnalité lequel
lui fait défaut ; deuxièmement, elle ne s’applique pas à l’identique à l’ensemble des régions et
communautés démotiques du Cameroun ; et enfin, elle est restreinte à l’échelle locale.
La question de l’approche consociative dans le constitutionnalisme camerounais et plus
particulièrement dans son système de décentralisation, présente un triple intérêt théorique,
didactique et social. Dans un sens, elle donne à voir dans la décentralisation camerounaise,
une nouvelle dynamique de gestion du fait sociologique après l’échec du fédéralisme ce qui,
permettra au demeurant, de prospecter sur la pertinence ou non d’une telle approche. Dans un
autre sens, l’orientation doctrinale qui tend à concevoir la décentralisation camerounaise et
même la décentralisation en particulier, comme un simple mécanisme d’organisation
administrative, se trouve à travers le cas camerounais, relativisée. Enfin, elle permet de cerner
la vision du politique sur le vivre-ensemble multiculturel au Cameroun. Au reste, après avoir
procédé à une identification des principes consociatifs présents dans la décentralisation
camerounaise (I), il sera analysé la pertinence de ceux-ci (II).

I. L’IDENTIFICATION DES PRINCIPES CONSOCIATIFS DANS LA


DECENTRALISATION CAMEROUNAISE.

Il s’agit ici de principes impliquant l’exigence d’une organisation politico-


administrative sociologiquement inclusive et ceux favorisant, l’expression libre
administration, et la capacité d’un groupe segmentaire à influencer une politique générale ou
particulière ayant un impact sur ses intérêts. Quatre principes gouvernent la théorie
consociative : la grande coalition ou gouvernement de concordance, l’autonomie segmentaire,
la proportionnalité et le droit de véto. La grande coalition implique dans la théorie
consociative, la participation inclusive de tous les segments sociologiques en présence dans la
gestion politico-administrative. Il faut éviter par ce principe qu’un segment gouverne de façon
absolue tout seul. La grande coalition permet de ce fait aux segments identitaires de poids
démographiques différents ou égaux, qu’ils soient ethniques, linguistiques ou religieux de se
partager la gouvernance par la mise sur pied d’institutions sociologiquement inclusive et
représentative. Il s’agit d’une gouvernance partagée qui, loin d’être une simple option de
circonstance, constitue véritablement une philosophie politique, une philosophie de politique
publique administrative. C’est une politique d’inclusion permettant la participation collective
à la prise des décisions dans une société plurielle du point de vue démotique (A).
Le deuxième principe consociatif est l’autonomie segmentaire. Cette compétence
désigne la faculté de gestion de certains domaines intimement liés à l’identité des groupes
démotiques (B). L’autonomie segmentale permet de créer une distinction entre domaines
d’intervention de l’Etat et domaines d’intervention des segments démotiques, des
communautés, des régions. Une politique consociative se matérialise dans le fait qu’elle
accorde toujours une certaine autonomie aux différents segments de la communauté, surtout

314
dans les domaines qui sont étroitement liés à l’identité même de ces segments. Il peut s’agir
des questions culturelles (langues, us et coutumes, religions…), système éducatif, succession,
mariage etc. Pour exemple, l’appartenance religieuse tient une forte influence sur les
questions matrimoniales qui ont été laissées comme prérogatives des différentes
communautés religieuses. Une libanaise ou un libanais qui souhaite contracter mariage ou
demander le divorce se réfère principalement à la loi de sa religion d’appartenance qui est la
charia pour les musulmans, le droit canon pour les chrétiens dont dépendent non seulement la
procédure juridique, mais aussi les effets15.
Enfin, le dernier principe consociatif présent dans la décentralisation camerounaise, est
le droit de veto. Ce dernier s’analyse comme une compétence protectrice accordée à certains
segments de s’opposer à quelques décisions qu’elles estiment préjudiciables. Le droit de véto
consiste en la prérogative reconnue aux segments en présence de s’opposer à des décisions, à
des politiques, à des législations d’ordre générale ou particulière, ayant un impact significatif
sur l’identité intrinsèque de la communauté. Cela passe par l’octroi d’un pouvoir administratif
ou politique (selon que ce dernier s’exerce au sein d’un gouvernement de coalition ou au sein
d’un parlement de coalition), d’empêchement ou d’obstruction ou tout autre mécanisme de
blocage visant, l’échec de la mise en œuvre d’une politique, d’une décision ou d’une
législation qui ne conviendrait pas à l’un quelconque des segments. Ce droit peut se
matérialiser par l’exigence dans certains cas de l’unanimité, dans d’autres l’exigence de
majorités qualifiées. Toujours est-il que, le véto consiste en la détention d’un pouvoir
d’obstruction qui implique que les décisions prises soient celles voulues et acceptées de tous
et non imposées. Il s’agit d’une manifestation de la théorie du droit négocié chère à François
Ost (C).

A. La grande coalition.

La présence de la grande coalition dans la décentralisation camerounaise résulte de


l’exigence de représentativité sociologique faite à tous les organes délibérants et exécutifs tant
communaux16 que régionaux17. Cette exigence assure plusieurs fonctions. D’un point de vue
du jeu électoral, elle assure à tous le droit à l’éligibilité et d’un point de vue démotique, elle
contribue à rendre véritablement opératoire l’un des principes cardinaux de la décentralisation
à savoir, la démocratie participative. Cette obligation dans un contexte camerounais de
multiculturalisme revêt une importance capitale dans la répartition du pouvoir entre
différentes forces démotiques en présence (autochtones et allochtones).
De fait, dans un contexte où la décentralisation fait la part belle à l’autochtonie,
l’impératif d’unité nationale impose la mise sur pied d’une législation qui garantisse les droits
15
LACABANE (J.), La démocratie consociative, (forces e faiblesses du multiculturalisme)¸ Persée, 2016, pp.
184-185.
16
Article 166 al. 3 de la loi N° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées qui impose que le conseil municipal soit sociologiquement représentatif. L’article 199 al. 2 quant
à lui va dans la même lancé en indiquant que la répartition des postes d’adjoints au Maire reflète autant que
possible la configuration du conseil municipal. Cette exigence traduit simplement l’exigence de représentativité
sociologique pour l’exécutif municipal.
17
Article 276 al. 1 de la loi N° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées.

315
des allochtones. Que ce soit au niveau communal18 ou au niveau régional, le principe est celui
du contrôle de l’exécutif local par une personnalité dite autochtone19. Il s’agit là d’un
mécanisme favorisant l’arbitrage des différents intérêts en présence. Ceci est d’autant plus
nécessaire que la constitution camerounaise reconnait à tous les citoyens camerounais, la
garantie de leurs droits civils, politiques, sociaux et économiques peu importe le lieu de
situation sur le territoire de la république. Elle garantit la sécurité des biens et des personnes,
garantie la libre circulation de ceux-ci sur toute l’étendue du territoire nationale. Il s’agit de
garantir l’égalité de tous les citoyens devant les charges et les avantages publics. La grande
coalition instituée dans le contexte de décentralisation camerounaise, se pose comme un
contre-pouvoir en réponse à la place primordiale accordée à l’autochtonie dans le système de
décentralisation camerounais, afin, de réaliser l’unité et la solidarité nationale telles que
sanctifiées par le pacte constitutionnel national.
A défaut d’une politique nationale de partage de pouvoir, la stratégie consiste pour
l’Etat en une échappatoire face à un problème des plus complexes qui soit. L’Etat est en effet
sommé de neutralité, ce qui lui impose deux attitudes : premièrement, il ne favorise aucun
groupe ethnique et secondement, il se doit de corriger les déséquilibres causés soit par la force
majeure, soit de son fait, soit d’un fait quelconque, défavorisant ou pouvant défavoriser un
groupe ethnique. Cette obligation de neutralité présente des difficultés intrinsèques pour l’Etat
qui, à l’évidence, aura d’énormes difficultés à remplir cette mission au regard des arbitrages
complexes à faire dans le domaine. L’intelligence consiste donc pour lui de laisser au
pragmatisme local, la gestion de ce secteur hautement sensible.

B. L’autonomie segmentaire.

Principe le plus présent dans la décentralisation camerounaise, il créé une


différenciation de sphère d’activités entre le pouvoir central et le pouvoir local. C’est en effet,
le principe de base de la décentralisation qui se veut promoteur de l’auto administration et
l’auto-développement des collectivités territoriales décentralisées. Principe
constitutionnellement défini , son renforcement législatif se matérialise par l’énumération de
20

matières et ressources à la disposition des collectivités locales. Mais cette vue est
excessivement générale et ne reflète pas fidèlement l’idée d’autonomie segmentaire telle que
défendue par la politique consociative.
Dans la politique consociative, l’autonomie segmentaire est plus poussée que dans une
simple décentralisation. Elle a quelque chose de plus subjective que ça. Sa raison d’être est la
particularité du segment pris isolément par rapport à la société globale. L’autonomie
segmentaire touche à l’identité même du groupe ; à ce qui fait que ce dernier mérite d’être
considéré et accepté comme étant différent des autres segments ; elle lui accorde des
prérogatives particulières dans les matières étroitement liées à l’onthologie même du groupe.
Donc, même si l’autonomie segmentaire renvoie au premier plan à la question de l’autonomie
18
Il s’agit ici de la communauté urbaine et non des communes simple ou commune d’arrondissement.
19
Article 246 al. 1 et 307 al. 2 qui exigent respectivement que le Maire de ville, conseillé municipale d’une
commune d’arrondissement soit une personnalité autochtone de la région de rattachement de la communauté
urbaine ; tout comme doit l’être aussi le président du conseil régional, une personnalité autochtone de la région.
20
Voir dans ce sens le titre X de la constitution du 18 janvier 1996 qui institue la décentralisation camerounaise.

316
du groupe, son essence véritable se trouve dans la détention par le segment de compétences
particulières, voir exclusive pour régir certains domaines touchant à son identité personnelle
intrinsèque.
Raison pour laquelle, l’autonomie segmentaire se matérialise avec plus de rigueur dans
la décentralisation camerounaise à travers le statut spécial accordé aux régions du Nord-Ouest
et du Sud-Ouest21. Le code général des collectivités territoriales décentralisées consacre au
profit de ces régions, des compétences particulières et spécifiques, absentes du régime général
applicables à toutes les collectivités territoriales décentralisées. Le sens de l’article 328 du
code général des collectivités territoriales décentralisées est assez pertinent sur cette situation.
Il dit en substance « (…). Outre celles dévolues aux régions par la présente loi, les régions du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest exercent les compétences suivantes : la participation à
l’élaboration des politiques publiques relatives au sous-système anglophone ; la création et la
gestion des missions régionales de développement ; la participation à l’élaboration du statut
de la chefferie traditionnelle »22. En outre, « les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest
peuvent être consultées sur les questions liées à l’élaboration de politiques publiques de la
justice dans le sous-système de la Common Law »23. Comme nous l’avons présenté en début
d’analyse, cette affirmation législative, de compétences personnelles au profit unique des
régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, traduit une reconnaissance d’une identité particulière
d’un point de vue culturel fondée sur l’histoire coloniale camerounaise. Le souci ici, est de
préserver cet héritage culturel qui constitue un trait de personnalité de la
« nation anglophone ».
Mais la politique d’autonomie segmentaire trouve son sens véritable dans le droit de
véto accordé à la chambre représentant le commandement traditionnel dans les régions du
Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

C. Le droit de véto.

Le véto consiste en une mesure de protection et de sauvegarde des intérêts d’un segment
sociologique dans une relation de grande coalition. Le(s) groupe(s) détenteurs de ce pouvoir
peuvent s’opposer à une mesure qui leur serait défavorable. Un exemple de véto ayant existé
dans le cadre d’une assemblée au Cameroun, se trouve dans les conditions de modification de
la constitution fédérale de 1961. Pour être votée, toute proposition ou projet de révision
constitutionnelle jugé recevable, devait être votée à la majorité simple des membres de
l’assemblée fédérale, à condition que, cette majorité, comporte la majorité des représentants à
l’assemblée fédérale de chacun des Etats fédérés24. Selon les termes de cette constitution, la
constitution ne pouvait être révisée que par l’assemblée fédérale, à la condition qu’à l’issu de
ce vote, la majorité simple soit constituée des majorités des Etats fédérés. En d’autres termes,
un Etat fédéral pouvait empêcher une modification constitutionnelle en votant

21
Voir dans ce sens titre V de la loi portant code général des collectivités territoriales décentralisées à propos du
statut spécial des régions du nord-ouest et du sud-ouest. Articles 327 et s.
22
Article328 de la loi n°2019/024 du 24 Décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées
23
Ibidem., article 328 al2
24
Article 47 de la constitution fédérale du 1er septembre 1961.

317
majoritairement contre elle, ce qui, aurait pour effet, même si les résultats compilés au niveau
de l’assemblée fédérale donnaient un « oui » en faveur de la modification, d’entraver son
adoption : un droit de véto était ainsi organisé.
Certes, dans le cas de la décentralisation et à propos des régions du Nord-Ouest et du
Sud-Ouest, le droit de véto n’est pas organisé dans le cadre d’une grande coalition, Il est
plutôt organisé verticalement, entre l’Etat et lesdites collectivités à statut spécial. Toutefois, il
n’en demeure pas moins dénué de pertinence. La décentralisation met en place
principalement, un régime général qui traduit la compétence de l’Etat à définir les règles et
politiques publiques applicables à toutes les régions et c’est justement ceci, qui amène à
considérer le droit de véto attribué à la House of Chiefs, comme mécanisme consociatif de
préservation des spécificités anglophones dans ce vaste ensemble institutionnel général.
De fait, à propos de la House of Chiefs et à l’analyse des dispositions pertinentes du
code des collectives locales, le système de décentralisation camerounaise place cette instance
en organe « suprême » dans la l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques de
gestion du patrimoine culturel traditionnel dans ces régions25. La House of Chiefs émet un
avis conforme sur les questions liées au statut de la chefferie traditionnelle ; sur des questions
liées à la gestion et la conservation des sites, vestiges et monuments historiques ; à
l’organisation des manifestations culturelles et traditionnelles dans la région ; la collecte et la
traduction des éléments de tradition orales26.
L’avis conforme est en cela très significatif car, il impose à l’autorité qui doit la requérir
de s’en tenir scrupuleusement à ses orientations, à ses conclusions. L’avis conforme lie
l’autorité qui la requiert et rend ainsi l’autorité donnant l’avis, un juge de dernier ressort. Il y a
comme une sorte de quasi-monopole au profit des collectivités locales sur ces questions
précises. Elles ne les définissent pas en amont, mais elles en conditionnent finalement
l’existence ou la non existence en aval. Elles définissent en aval ce qu’elles seront finalement.
La politique gouvernementale de pacification des relations entre le sommet et la base trouve
toute sa signification ici.
Bien que certainement complexe et difficile, voire même, « audacieux » d’affirmer
l’existence d’une politique consociative dans la décentralisation camerounaise, il n’est pas
non plus inopportun de vouloir ressortir du schéma organisationnel et fonctionnel de la
décentralisation, des mécanismes consociatifs. Toutefois, notons tout aussi avec honnêteté
que celle-ci est balbutiante.

II. LA PERTINENCE DES PRINCIPES CONSOCIATIFS DANS LA


DECENTRALISATION CAMEROUNAISE.

Elle existe, une politique consociative dans le droit camerounais de la décentralisation.


Seulement, il est nécessaire d’affirmer sa plénitude avec beaucoup de prudence. De fait,
certains principes quand ils ne sont pas présents, c’est le cas du principe de proportionnalité
encore appelé, système de quotas, sont tout simplement opératoires à minima. Cette situation

25
Article 337 al. 1 de la loi portant code général des collectivités territoriales décentralisées.
26
Ibid.

318
se justifie eu égard au fait que, l’idée consociative dans le constitutionnalisme camerounais,
est implicite et non explicite. La constitution camerounaise reconnaît, la diversité culturelle de
la nation dont elle invite les pouvoirs publics à prendre toutes les mesures nécessaires à la
préservation et à la promotion de cette identité à la fois une et composite. La forme unitaire et
unitaire décentralisée de l’Etat, l’infinie hétérogénéité des composantes ethniques du
Cameroun, justifient sans doute la difficulté qu’éprouvent les pouvoirs publics à mettre sur
pied une politique consociative telle que décrite originellement. La politique consociative
dans la décentralisation camerounaise présente donc une certaine incomplétude. Celle-ci est
caractéristique non seulement au niveau des principes favorisant l’inclusion démotique (A)
que ceux favorisant l’autonomie segmentaire (B).

A. L’incomplétude des principes consociatifs d’inclusion sociologique dans la


décentralisation camerounaise.

Dans la politique consociative, la grande coalition ou encore gouvernement d’union ne


peut fonctionner de façon efficiente que si elle s’accompagne d’un mécanisme qui permettra
d’assurer de façon optimale la redistribution des sièges entre différents segments
communautaires. Le principe d’inclusion doit donc être soutenu par celui de proportionnalité.
La logique du principe de grande coalition impose que tous les segments ou du moins,
les plus « importants » soient représentés dans les instances dirigeantes de la collectivité. La
grande coalition n’est ni plus ni moins qu’un mécanisme de représentation « égalitaire » ou
« quasi égalitaire » des diversités dans une société. Pour exemple, la constitution burundaise,
précise en son article 169 que : « l’Assemblée nationale est composée d’au moins cent
députés à raison 60% de Hutu et 40% de Tutsi, un minimum de 30% de femmes, élus au
suffrage universel direct pour un mandat et de trois députés issus de l’ethnie Twa cooptés
conformément au code électoral27. L’économie générale de la grande coalition est dans la
recherche d’un certain équilibre des forces entre les segments en présence. Le rôle des quotas
devient primordial pour un partage qui garantisse la participation de tous à la gestion de la
collectivité. Cet aspect des choses est difficile à retrouver en droit camerounais de la
décentralisation.
La grande coalition exigée dans les conseils régionaux et municipaux ne précise aucune
modalité d’effectuation de ce principe. Cela commence avec la loi électorale qui, relativement
à ses dispositions sur les modalités de présentation des listes électorales aux élections
municipales, régionales et législatives, exigent que celles-ci respectent l’état sociologique du
lieu dans lequel la compétition électorale aura lieu28. Certes l’on pourrait rétorquer à ceci que
le juge électoral compétent ici, est garant de cet équilibre, mais son office s’en trouverait plus
simple, si loi électorale s’en était souciée. Les régions et communes sont extrêmement
prolixes sur l’aspect sociologique. Entre minorités de genre (les femmes par exemple) et les
groupes culturels, une nécessaire réglementation notamment en termes de quotas semble
s’imposer au système camerounais de décentralisation dans ses aspects démotiques. Mais cela

27
Article 169 de la constitution burundaise du 7 juin 2018.
28
Articles 151 al. 3 ; article 171 al. 3 et article 246 al. 1 de la loi N° 2012/001 du 19 avril 2012 portant code
électoral camerounais.

319
est-il viable dans le système camerounais ? Il serait difficile d’y répondre de façon
péremptoire par un oui. Des statistiques estiment le nombre de groupes à environ deux-cent-
cinquante.
Pour étayer le propos, prenons le cas du conseil régional. Il est possible de donner un
plein effet au principe de grande coalition. Si l’on s’attarde sur les cas de la présidence du
conseil régional ou du conseil municipal pour ce qui est du cas de la mairie de ville, le
vacillement du principe de la grande coalition dans la décentralisation camerounaise, se
trouve dans la conditionnalité d’autochtonie nécessaire à un élu pour être Maire de Ville ou
Président du conseil régional. L’article 307 du code général des collectivités territoriales
décentralisées al.2 conditionne l’exercice du poste de président du conseil régional à la qualité
d’autochtone de ladite région. Il est dit en substance « le Président du conseil régional est une
personnalité autochtone de la région (…) »29. Dans le même veine, l’article 246 a.1 dispose
que « le Maire de Ville, conseiller municipale d’un commune d’arrondissement de ladite
communauté urbaine est une personnalité autochtone de la région de rattachement de la
communauté urbaine »30.
Le problème avec ces exigences est unique et se traduit en cette simple question : fort
de ce que toutes les régions camerounaises sont culturellement hétérogènes, fort de ce que
cette hétérogénéité est doublement endogène et exogène, fort de ce que cohabitent sur un
territoire régionale plusieurs groupes ethniques autochtones (par exemple les bassa, les Eton,
les Ewondo, les Manguissa, les Mbamoua dans la régions du centre sont autochtones),
comment s’assurer que l’inclusion démotique prônée dans le cadre de la décentralisation soit
respectée ? La question est posée parce que le poste de président du conseil régional ou celui
du maire de ville est unipersonnel et non collégial. L’inclusion démotique ici consiste à mettre
sur pied un mécanisme rotatif à la tête de la présidence fondée sur une connaissance certaine
des groupes autochtones de la région. Il s’agira donc de transposer au système politique
d’administration locale, le principe d’alternance au pouvoir qui passe aujourd’hui, pour être
un des principes cardinaux de la démocratie. Sa réussite nécessitera cumulativement la mise
ne place en place d’une limitation de mandat et l’instauration d’un exercice rotatif ou tournant
de la présidence. Pour que ce fusse simple, il nécessitera que le mandat soit d’une législature
unique et non renouvelable, correspondant à la durée du mandat municipal ou régional.
L’immaturité des principes consociatifs d’autonomie dans la décentralisation
camerounaise, sont tout aussi complexes que les principes consociatifs d’inclusion. Qu’en est-
il du sort des principes caractéristiques de l’autonomie segmentaire ?

B. L’incomplétude des principes caractéristiques de l’autonomie segmentaire.

Excepté le statut spécial des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest Cameroun qui, leur
octroie certaines compétences particulières propres à leur passé colonial en lien avec la
culture Britannique (voir infra), l’autonomie segmentaire est fragile dans la décentralisation
camerounaise pour les autres régions et ceci, pour une seule raison : l’absence d’un droit de

29
Article 307 al.2 du code général des collectivités territoriales décentralisées
30
Ibid., article 246 al.1.

320
véto permettant à celles-ci d’influencer la politique gouvernementale de gestion des éléments
d’identités culturelles. L’autonomie segmentaire, il a été dit plus haut qu’elle constitue la
capacité, voire la liberté donnée aux groupes sociologiques locaux, une liberté d’action dans
la gestion des domaines liés intimement à leur identité propre. Si la loi portant code général
des collectivités territoriales décentralisées reconnait aux collectivités territoriales
décentralisées notamment à la région des compétences particulières en matière de culture et
promotion des langues nationales, reste que, contrairement aux deux régions anglophones, les
huit régions francophones ne disposent pas dans le principe, du droit de révoquer par avis
conforme ou par quelque mécanisme que ce soit, une décision du gouvernement mettant une
politique publique d’enseignement de langue régionale par exemple. Pourquoi ? Peut-être est-
ce en vertu du fait qu’elles appartiennent toutes historiquement au système Romano-
germanique. Toutefois, cette communauté juridique est-elle une communauté culturelle
absolument homogène ? Pas certain. Cette option du constituant camerounais, traduit de fait,
une politique discriminatoire en matière de gestion démotique. Il semble qu’à défaut de
revenir purement et simplement sur le fédéralisme personnel de 1961 à 1972 lequel, était
fondé sur le bilinguisme, le choix a été porté sur une application de l’expression interne du
principe d’autodétermination. Ce choix permet aux autorités politiques de promouvoir
l’identité particulière sans toutefois ouvrir la voie au séparatisme dont est souvent porteur,
parfois, le fédéralisme et qui puis est, dans un contexte où les usages politiques du fait
identitaire constituent une grande menace pour la stabilité du pays.

CONCLUSION

L’avènement de la décentralisation camerounaise en 1996 s’est fait dans un contexte de


revendications identitaires. En effet, l’occasion du large débat national va constituer le
moment de la mise en exergue du choc des légitimités démotiques. Comme le fait si bien
remarquer Luc SINDJOUN, « la libéralisation politique est un moment de constitution de la
communauté anglophone en groupe ethnique dont l’ancêtre fondateur est l’administration
britannique, le territoire, l’Ex-Southern Cameroon et la langue de référence, l’anglais »31. Le
large débat va servir d’instance de mise en scène d’une cohabitation communautaire difficile
entre les différents segments de la population camerounaise. Entre sentiment d’assimilation
des uns et sentiment d’envahissement des autres, le débat national sur la réforme
constitutionnelle lancé en mars 1993, va mettre à jour « l’hypocrisie unitaire » de la nation
camerounaise. Si l’unité de la nation camerounaise est une réalité juridique et politique, cette
proclamation d’un groupe originairement un et indivisible s’éloigne très nettement de la
réalité. Le discours identitaire est porté par des revendications subjectives basées sur l’ethnie
et autres solidarités communautaires. Longtemps étouffée sous les sombres lumières de l’Etat
unitaire et du parti unique comme apparat d’une conscience nationale unique, le cadre du
débat national sur la réforme constitutionnelle va servir de prétexte pour l’expression des

31
SINDJOUN (L.), « Mobilisation politique du pluralisme multiculturel et crise de l’Etat-Nation au
Cameroun », in MENTHONG (L.), « La construction des enjeux locaux dans le débat constitutionnel au
Cameroun », in MELONE (S.) et Alli., La Réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996. Aspects juridiques et
politiques, P.152.

321
particularismes sociologiques. Les nombreuses propositions sur la reconfiguration du
territoire en sont la preuve si besoin est32.
A côté des revendications sur la forme de l’Etat, des questions plus subjectives à l’instar
de l’autochtonie vont voir le jour et avec, des demandes tendant à l’institutionnalisation d’un
statut constitutionnel spécial au profit des minorités autochtones à l’échelle locale33.
Le débat national sur la réforme constitutionnelle, a donc été le théâtre d’expression
d’un « nationalisme identitaire acerbe dérivant vers une méfiance de l’étranger national ».
La mobilisation du discours autochtone et son pendant, l’exclusion des allogènes dans la
conduite des affaires du terroir traduit une « méfiance inter communautaire refoulée et
longtemps niée » traduisant ce que le Professeur Luc SINDJOUN considère comme le
discours du « nous sommes chez nous » et « les envahisseurs » doivent rentrer chez eux34.
C’est dans ce contexte de lutte « d’hégémonie communautaire » que va se renforcer la
nécessité d’une régulation locale du fait social et particulièrement, du fait démotique. Cette
nécessité s’imposait d’autant qu’en dehors du biculturalisme fondée sur la parité anglais et
français, une politique multiculturelle au regard de la complexité ethnique du Cameroun
semblait et semble encore aujourd’hui, un casse-tête du point de vue de la technologie
juridique à mettre en œuvre à l’échelle nationale.
Dans ce contexte, la décentralisation apparait comme la solution du moindre mal, du
contentement, de l’apaisement. En effet, afin de satisfaire, les ambitions autonomistes des
acteurs politiques qui ont fait du facteur démotique, la principale ressource politique des
assises nationales, les pouvoirs publics vont opter pour une décentralisation à la fois
administrative et autonomiste. La seconde est concrétisée avec les lois de la décentralisation
de 2004 qui accorde déjà une place importante à l’autochtonie dans la conduite des affaires
régionales et l’exigence de représentativité des organes délibérants régionaux et communaux.
Cette vision consociative de la décentralisation camerounaise se renforce à l’occasion de la loi
du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales décentralisées qui,
instaure un statut spécial pour les régions du nord-ouest et du sud-ouest. A travers ce statut
spécial, le constituant camerounais tend à satisfaire définitivement les positions formulées sur
la nature de l’Etat par la partie anglophone à l’occasion du large débat national pour qui,
« l’Etat unitaire centralisée est indésirable. Il rompt avec les principes de libre gouvernance

32
Il est proposé une redéfinition des régions du Cameroun à partir un regroupement des populations ayant la
même souche ethnographique, linguistique et naturelle. Cette approche de l’homogénéité culturelle aboutissait
en réalité à un régionalisme communautaire et de fait, la carte régionale du Cameroun serait composée des
régions suivantes : régions du Logone, du Djerem, du Haut Nyong, du Mbam et Ntem, du Wouri, du Moungo et
Ndian, du Noun et de la Mentchoum. D’autres propositions allaient dans le sens d’un découpage fédéral du
Cameroun à partir des aires culturelles, l’on aurait ainsi : le grand Nord, le grand Sud, le grand Centre et le grand
Ouest. Voir dans ce sens SINDJOUN (L.), « L’imagination constitutionnelle de la nation », op.cit., p. 86.
33
Les demandes de prise en compte des questions autochtones dans le cadre de la constitution traduisaient en fait
des ressentis enfouis à propos des questions foncières et étaient particulièrement entre envahisseurs et
autochtones et c’est dans ce sens que les élites du Mfoumdi proposent la consécration du terme autochtone et le
recrutement des membres du conseil régional et de l’exécutif communal parmi les autochtones. Voir SINDJOUN
(L.), ibid., p.87.
34
SINDJOUN (L.), op.cit., p.87.

322
et constituent une tentative d’assimilation de la culture anglophone au sein de la culture
francophone »35.
Suivant ces constations historiques, il est possible d’affirmer sans risque de se tromper
que la décentralisation camerounaise est un mécanisme transactionnel de préservation de la
paix social à travers la revalorisation républicaine des identités socio-culturelles. Son
institution est consécutive aux travaux sur le large débat national de 1993 ayant abouti à la
réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996. Toutefois, cette forme de gestion du pluralisme
sociologique est-elle seulement viable ?

35
Idem.

323
RECHERCHES SUR LES BIENS PUBLICS DES COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES DÉCENTRALISÉES AU CAMEROUN

Par

ELLA ABONGTOM Eric Aimé


Doctorant en Droit Public
Université de Yaoundé II (Cameroun)

Résumé
Dans le souci de parvenir à un développement général, le Cameroun après la réforme
constitutionnelle du 18 janvier 1996, s’est orienté formellement vers la décentralisation. L’orientation
vers cette politique publique est justifiée par l’apparition des Collectivités Territoriales Décentralisées,
acteurs principaux pour la promotion du développement local. Pour y arriver, elles sont propriétaires
des biens qui leur sont propres. Cependant, le retard effectif de la décentralisation a conduit à la
réclamation du fédéralisme qui peut accélérer le développement au Cameroun. Dans cette logique, il
ressort de la présente étude l’adoption du Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées
pour accélérer la décentralisation et éviter le fédéralisme. Par ailleurs, en dehors de présenter les
grandes orientations des Collectivités Territoriales Décentralisées, il présente en outre les différents
biens des collectivités territoriales qui se caractérisent par une dualité aussi bien sur le régime
juridique que sur le régime contentieux.
Mots clés : Biens publics-Domaine public -Domaine Privé-Collectivité-Territoriale
Décentralisées.

INTRODUCTION

Depuis la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, le paysage politique et


administratif camerounais a fait l’objet d’une rénovation. Une rénovation qui se traduit par
l’apparition de nombreux acteurs institutionnels pour la promotion du développement, au rang
desquels on peut citer les Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD). Ces collectivités
sont des personnes morales de Droit Public. Si la Constitution leur attribue une autonomie
administrative et financière1, leur érection au rang de personne publique leur confère une
autonomie patrimoniale2 très proche de celle de l’État. À cet effet, elles sont propriétaires du
domaine qui leur est transféré par l’État3 et de tous les biens qui s’y trouvent. D’ailleurs, la loi
n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des Collectivités Territoriales
Décentralisées4, dispose que « la présente loi portant sur le code général des Collectivités


Mode de citation : ELLA ABONGTOM Eric Aimé, « Recherches sur les biens publics des collectivités
territoriales décentralisées au Cameroun », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 325-353.
1
Article 55 alinéa 2 de la loi constitutionnelle du Cameroun du 18 janvier 1996.
2
L’autonomie patrimoniale renvoie à une autonomie sur le patrimoine des collectivités locales.
3
L’État est défini par HAURIOU Maurice comme « une haute personnalité morale et juridique qui se crée au
sein d’un groupe social et en assume la direction par l’exercice du pouvoir politique ». HAURIOU (Maurice.),
Précis de droit administratif, BnFGallica, 1893, p.5.
4
Loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 juillet 2004 portant orientation de la décentralisation.

325
Territoriales Décentralisées (…)5 », et dans son contenu ," elle définit : le cadre général de la
décentralisation, le statut des élus locaux, les règles d’organisation et de fonctionnement des
Collectivités Territoriales ; le régime spécifique applicable à certaines collectivités
Territoriales ; le régime financier des Collectivités Territoriales6 ».Cette loi fait allusion aux
biens locaux en distinguant ceux du domaine public de ceux du domaine privé7. Par ailleurs,
elle souligne le statut spécial fondé sur la spécificité linguistique et l’héritage historique dont
bénéficient les Collectivités Territoriales du Nord-Ouest et du Sud-Ouest8.
La décentralisation apparait comme la politique publique la plus en vue9. C’est la raison
pour laquelle les réformes juridiques tendent à enraciner cette politique publique au
Cameroun. La Constitution fait ainsi du Cameroun « un État unitaire décentralisé10 » ; un État
où les collectivités locales sont des maillons essentiels pour le développement. Cette politique
est reconnue11 et orientée12 par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
Au Cameroun, il est difficile de promouvoir le développement local13 sans toutefois
passer par la décentralisation14. Cette dernière se définit comme le système d’administration
consistant à permettre à une collectivité humaine ou à un service de s’administrer eux-mêmes
sous le contrôle de l’État en les dotant de la personnalité juridique15, d’autorités propres et de
ressources16. Les collectivités territoriales décentralisées apparaissent ainsi comme les acteurs
locaux permettant de réaliser la décentralisation. Ainsi, la Constitution du Cameroun consacre
le titre X uniquement aux collectivités territoriales décentralisées. De manière précise, dans
son article 55 alinéa 2, la constitution dispose que « les collectivités territoriales
décentralisées (…) s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions fixées
par la loi17 ». Elle va plus loin dans la mesure où elle leur attribue des missions18, et des

5
Article 1 alinéa 1 loi n° 2019 /024 Idem
6
Article 1 alinéa 2, loi n° 2019/O24 du 24 décembre 2019 portant code générale des collectivités territoriales
décentralisées.
7
Article 57 loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées.
8
Article 3 alinéa 1 du CGCTD
9
MONEMBOU (Cyrille), « Les paradoxes de la décentralisation camerounaise : De la décentralisation à la
centralisation », R.A.D.S.P, 2013, n° 1, vol 1, p.161.
10
Article 1 alinéa 2 de la constitution du 18 janvier 1996.
11
Article 55 alinéa 1 la Constitution du Cameroun du 18 janvier1996.
12
Article 55 alinéa 2 de la Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996.
13
VERRIERE (Michel), « La contribution du patrimoine au développement local : enjeux et limites de sa
mesure », Downloads/Verniel_res- colloque_GEMDEV de Paris1-2-3 février 2012 : les productives et sociales
qui permettent une progression cumulative et durable des ressources pour le bien-être de l’ensemble de la
population, consultée le 19 novembre 2019 à 16 h.
14
Article 5 alinéa 2 de la loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019, portant code général des collectivités
territoriales décentralisées, souligne que « La décentralisation constitue l’axe fondamental de promotion du
développement, de la démocratie et de la bonne gouvernance au niveau local ».
15
GUINCHARD (Serge) et BEBARD (Thierry) Lexique des termes juridiques, 25ème édition, Paris, Dalloz,
2017-2018, p. 1522.
16
Idem p. 310.
17
Il s’agit de la loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées

326
objectifs19. Tous ces éléments démontrent avec suffisance la valeur ou encore l’importance
des Collectivités Territoriales Décentralisées au Cameroun. Ainsi, il en ressort que la
décentralisation est encadrée et aménagée par la Constitution.
Cette dernière leur attribue la personnalité morale20 de droit public au même titre que
l’État. Grâce à la décentralisation, la Constitution leur donne également des missions, des
objectifs et des biens publics 21qu’elles doivent gérer de manière autonome22 afin de parvenir
à un développement local.
La notion de bien public fait l’objet d’une pluralité de définitions. Gérard CORNU
définit les biens publics comme ces « biens qui sont affectés soit à l’usage du public, soit au
service du public et soumis en tant que tel à un régime juridique particulier » 23. Toujours
dans la même logique LOGEÂT Catherine pense que les « biens publics pourraient être
qualifiés de chose publique à partir du moment où ils sont affectés à l’utilité publique et que
la personne publique exerce sur elles une influence qui ne peut pas correspondre à sa
propriété »24. Pour ces auteurs, l’affectation des biens à un service public ou à l’usage du
public fait de ces biens la propriété publique. Selon ces auteurs, la domanialité publique fait
de ces biens la propriété publique. Cette opinion semble ne pas être partagée par le professeur
OWONA Joseph pour qui, « les biens publics sont les biens appartenant à l’administration
c’est-à-dire aux personnes morales de droit public25 ». Pour le professeur, seule
l’appartenance des biens à la personne publique fait d’eux des biens publics.Au regard de ces
définitions, on partage celle donnée par le professeur Joseph OWONApour qui, les biens
publics sont les biens qui appartiennent à une personne publique.
À cet effet, dans le cadre de cette étude, les biens publics locaux sont les biens qui
appartiennent aux Collectivités Territoriales Décentralisées, dont certains relèvent du régime
de la domanialité publique et d’autres relèvent de la domanialité privée.Les biens publics des
Collectivités Territoriales Décentralisées sont de différentes natures à savoir, les biens
meubles et immeubles. Par les biens meubles, on entend les biens susceptibles d’être déplacés
par l’action de l’homme et elles les tables de bureau de travail, les véhicules, etc. Quant aux
biens immeubles, on entend les biens qui ne peuvent subir aucun déplacement sous l’effet de
l’action humaine. C’est le cas des immeubles.

18
Il s’agit des missions suivantes : la promotion du développement local, la promotion de la démocratie et de la
gouvernance locale.
19
Article 55 alinéa 2 de la constitution du 18 janvier 1996 du Cameroun
20
GUINCHARD (Serge) et DEBARD (Thierry) Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 1522.
21
Article 8 de la loi n° 2019/024 DU 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées.
22 NGONO TSIMI (Landry), L’autonomie administrative et financière, thèse de doctorat tome 1, Université
PARIS-EST CRETEIL, 2010, p.168 ; HERTZOG (Robert), ¨L’ambiguë constitutionnalisation des finances
locales¨ Actualité juridique-droit administratif, mars 2003, p.548 ; ROUX (André), « L’autonomie financière des
collectivités locales en Europe », Rapport introductif, Annuaire international de justice constitutionnelle, 2006,
p.499 ; BOUVIER (Michel), Les finances locales, 12ème éd., Paris, L.G.D.J, 2008, p.34
23
CORNU (Gérard), vocabulaire juridique, 9e édition, Paris, PUF, 2011, p.367.
24
SCHMALT (Benoit), Les personnes publiques propriétaires, Paris DALLOZ, 2014 p.21.
25
OWONA (Joseph), Droit administratif spécial de la République du Cameroun, paris EDICEF, 1985, p.116.

327
Donner une définition à la notion de Collectivités Territoriales Décentralisées exige
avant toute chose d’écarter la distinction qui hante les esprits entre les notions de collectivités
locales et de collectivités territoriales. Les notions de Collectivités locales et de collectivités
territoriales sont des synonymes. Les collectivités territoriales sont exactement les
collectivités locales26. Dans ce sillage, René CHAPUS27 estime que les Collectivités locales
sont exactement les collectivités territoriales. En France, Le Conseil constitutionnel dans sa
décision du 25 février 1982 a lui aussi montré lors de sa saisine qu’il ne faisait pas de
distinction entre les deux notions. Il en a fait usage l’une pour l’autre dans sa décision sur la
Corse28, où il reconnait la valeur constitutionnelle du principe « de la libre administration des
collectivités locales » comme ce fut le cas pour « la libre administration des collectivités
territoriales » dans sa décision territoire de Nouvelle-Calédonie29 pour reprendre les
expressions de Monsieur KEUDJEU DE KEUDJEU dans sa thèse30.
En outre le professeur Cyrille MONEMBOU à son tour a fait une étude comparative,
pour montrer la synonymie entre les notions de Collectivités locales et de Collectivités
Territoriales. En effet il démontre que les deux expressions renvoient à la même chose, à la
même personne publique lorsqu’il analyse les Collectivités Territoriales dans les pays qui font
l’objet de son étude à savoir le Cameroun le Gabon et le Sénégal31. Ainsi, la définition que
nous retenons des collectivités territoriales décentralisées est celle donnée par GUILLIEN
Raymond et VINCENT Jean pour qui, les Collectivités Territoriales Décentralisées sont : les
« entités de droit public correspondant à des groupements humains géographiquement
localisés sur une portion déterminée du territoire national, auquel l’État a conféré la
personnalité juridique le pouvoir de s’administrer par les autorités élues32 ».La définition que
nous retenons est celle qui figure à l’article 55 alinéa2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier
1996 à savoir que « les collectivités territoriales décentralisées sont les personnes morales de
droit public » jouissant d’une autonomie administrative et financière chargée bénéficiant d’un
transfert de compétence et des moyens de l’État pour assurer l’amélioration à la fois du cadre
de vie et des conditions de vie des populations locales.
On distingue deux types de Collectivités Territoriales Décentralisées à savoir, la région
et la commune 33au Cameroun. Mais il importe de souligner que ces Collectivités Territoriales

26
KEUDJEU DE KEUDJEU (John Richard.), Recherche sur l’autonomie des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun, Thèse de doctorat PH. D, université de Douala, année 2011, p.42.
27
CHAPUS (René.), droit administratif général tome 2,12 ème édition Paris Montchrestien, Aout 1999, p.244.
28
GAIA (P), GHEVONTIAN (R) MELIN-SOUCRAMANIEN (F) OLIVA (E) ROUX (A), Les grandes
décisions du Conseil constitutionnel, 19 éd, Paris, Dalloz 2013, pp. 756-782.
29
Idem pp. 622-651.
30
KEUDJEU DE KEUDJEU (John Richard.) op. cit, p. 40.
31
MONEMBOU (Cyrille.) « Le pouvoir réglementaire en Afrique noire francophone le cas du Cameroun du
Gabon et du Sénégal »op.cit., p. 42.
32
GUILLIEN (Raymond.) et VINCENT (Jean.), Lexique des termes juridiques, Paris Dalloz, 2005, pp.108-109
33
Article 2 alinéa 1 loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées.

328
appartiennent à des catégories différentes. Il y a les Collectivités Territoriales à statut spécial34
et celle à statut non spécial35.
En ce qui concerne la région, elle est une Collectivité Territoriale constituée de
plusieurs départements36. Elle a pour base le chef-lieu de région37.
Quant à la commune, on distingue trois types. D’abord, la commune ordinaire est la
collectivité territoriale décentralisée de base38. Ensuite, la commune d’arrondissement39, et
enfin la communauté urbaine40 qui regroupe plusieurs communes d’arrondissement. La
commune est créée par décret du président de la République41 et aune mission générale de
développement local et d’amélioration du cadre et des conditions de vie de ses habitants42.Il
est nécessaire de souligner que toutes ces collectivités territoriales ont la même mission qui
consiste à promouvoir le développement local43. Le cadre conceptuel étant ainsi achevé il est
nécessaire d’examiner les cadres spatio-temporels et scientifiques.
L’étude sur les biens publics des Collectivités Territoriales Décentralisées a toujours fait
l’objet de plusieurs recherches. Cela démontre à l’évidence l’intérêt que les chercheurs
attachent de près ou de loin à l’étude des biens publics des collectivités locales. N’ayant pas
l’intention de faire une revue de littérature exhaustive sur la question, il importe de souligner
quelques travaux qui traitent des biens publics.Il est constaté, qu’il existe un certain nombre
d’études consacrées aux biens publics avec néanmoins de divergences sur la question. Cela
permet d’ailleurs de classer les auteurs qui traitent des biens publics en deux groupes. Le
premier groupe est composé des auteurs occidentaux. Premièrement, Jean-Marie AUBY,
Pierre BON, Jean Bernard AUBY dans un ouvrage collectif 44abordent la question. Ils
présentent les règles communes des biens à toutes les personnes publiques. La particularité de
leur étude est qu’ils ont généralisé les personnes publiques sans tenir compte des types de
personnes publiques. Or, on sait que les règles varient en fonction des personnes publiques45.
En outre dans certains travaux, une confusion est faite entre la propriété publique et la
domanialité publique46. Secondement, le professeur Yves GAUDEMET, également a poussé
la réflexion sur la question des biens publics. Il présente la propriété publique comme une

34
Article 3 alinéa 1 du CGCTD
35
Les collectivités à statut non spécial sont les Collectivités Territoriales de la zone dite francophone
36
Article 259, loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales
décentralisées.
37
V. Article 61 alinéa 1 de la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 ; V. article 261 loi n° 2019/024 du
24 décembre 2019 portant code général des collectivités territoriales décentralisées.
38
Article 147 loi n° 2019/024 portant CGCTD
39
Article 250 alinéa 1, de la loi 2019 CGCTD
40
Article 240 de la loi de 2019 portant CGCTD
41
Article 148 alinéa 1 de la loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant CGCTD
42
Article 147 loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant CGCTD
43
Le développement local concerne les territoires infraétatiques. Ceux-ci sont un construit social et ils
combinent des éléments de natures diverses : économiques, sociales et politiques. VERNIERE (Michel.),
colloque sur la mesure du développement tenu à Paris en février 2012, p.2.
44
AUBY (Jean-Marie.), BON (Pierre.), et AUBY Jean (Bernard.) Droit administratif des biens, 6 éd, Paris,
Dalloz 2011, 752 p.
45
Idem, pp.16-17.
46
Ibid.

329
propriété reconnue et aménagée par la constitution47 et il donne une définition des biens
publics48. On peut qualifier cette réflexion de restrictive, car, elle se borne à traiter de la
protection de la propriété publique et de la définition des biens publics en minorant les
caractères des biens publics locaux.
Le second groupe concerne les auteurs africains notamment camerounais. Il s’agit du
Professeur Joseph OWONA qui a réfléchi sur la question. Dans son ouvrage intitulé Droit
administratif spécial de la République du Cameroun49. Il appréhende les biens publics en se
limitant sur l’État. Il minore les autres personnes publiques notamment les collectivités
territoriales décentralisées qui sont également des personnes publiques et propriétaires de
biens. On peut également qualifier cette approche de restrictive, car elle se limite à l’État.
On peut donc le constater, les études consacrées aux biens publics des Collectivités
Territoriales Décentralisées sont généralement toutes restrictives parce qu’elles se limitent
très souvent aux biens de l’État tout en minorant ceux des Collectivités Territoriales
Décentralisées. D’où il importe dans le cadre de cette étude d’identifier les biens des
Collectivités Territoriales dont elles sont propriétaires. La revue critique de la littérature ainsi
achevée il est nécessaire à présent de présenter l’intérêt.
La question fondamentale qui est de savoir : qu’est-ce qui caractérise les biens
publics des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun ? Cette problématique
permettra non seulement d’identifier les biens des Collectivités Territoriales Décentralisées
mais aussi leur régime. Il en ressort que les biens publics des collectivités territoriales
décentralisées au Cameroun se caractérisent par la dualité. Car, d’après les analyses menées,
les collectivités territoriales décentralisées ne sont que propriétaires des biens de leur localité.
L’appréhension des biens publics des Collectivités Territoriales Décentralisées au
Cameroun se fera en deux parties. D’un côté nous parlerons de la dualité du régime juridique
(I) et de la dualité du régime contentieux (II) de l’autre.

I- LA DUALITÉ DU RÉGIME JURIDIQUE JUSTIFIÉE PAR


L’AFFECTATION DES BIENS DU DOMAINE PUBLIC

La possession des biens par des collectivités territoriales décentralisées n’est pas une
pure vue de l’esprit au Cameroun. Car, une analyse des textes juridiques qui régissent la
décentralisation permet de constater que ceux-ci font l’objet d’un aménagement législatif.
Cela dit, depuis la Constitution du 18 janvier 1996, on peut désormais étudier les biens
publics locaux. À cet effet, analyser la dualité du régime juridique des biens des collectivités
territoriales décentralisées dans le cadre de la présente étude consiste à les appréhender à
partir d’une double démarche qui consiste à étudier par là une dualité justifiée par
l’affectation (A) et une dualité avérée par les règles qui gouvernent les biens publics locaux
(B).

47
GAUDEMET (Yves.) « Constitution et biens publics », nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2012/4,
n° 37, pp. 65-73
48
GAUDEMET (Yves.), Traité de droit administratif des biens, Tome 2, 14e éd., Paris, LGDJ, 2011, p.4.
49
OWONA (Joseph.), Droit administratif spécial de la République du Cameroun, Paris, EDICEF, 1985, p117.

330
A- L’affectation des biens des collectivités territoriales décentralisées aux services
publics locaux

Le Professeur Gérard CORNU définit l’affectation comme « la détermination d’une


finalité particulière en vue de laquelle un bien sera utilisé »50. Lucien SIORAT quant à lui,
affirme que l’affectation « consiste à destiner et à appliquer une chose à un certain usage51 ».
De ces définitions, il ressort que l’affectation consiste en un emploi direct à l’utilité publique
des biens de toutes sortes52. Dans le contexte actuel des biens, on définit l’affectation comme
une destination réservée à des biens. L’affectation53 est de deux ordres. Elle est en même
temps formelle54 c’est-à-dire, le résultat d’un acte juridique unilatérale attribuant un bien de la
personne publique au domaine public. Elle est aussi matérielle55 en ce qu’elle constate
effectivement l’utilisation des biens par les services publics locaux.
Au Cameroun, la législation56 et l’ordonnance57 déterminent deux types d’affectations.
Et, à cet effet, l’affectation des biens des personnes publiques se passe dans une dualité. Cette
dualité concerne la variabilité de l’affectation des biens du domaine public ainsi que sa
finalité (1) et l’affectation directe des biens à l’usage du public local (2).

1- La variabilité de l’affectation des biens du domaine public


L’affectation des biens du domaine public est double. Au Cameroun, on note
l’affectation des biens du domaine public aux services publics locaux et, l’affectation des
biens à l’usage direct du public local.
Par définition, le service public est une activité d’intérêt général assurée par une
personne publique ou privée et soumise à un régime juridique particulier. La notion de service
public peut être analysée à partir de deux critères à savoir le critère matériel58 et le critère
organique59.
L’expression service public local doit être prise au sens large, celui d’une activité ayant
la vocation d’intérêt général, exercée sous l’autorité d’une collectivité territoriale60.

50
CORNU (Gérard.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris, PUF, édition n° 9, 2011 : entrée
affectation p 41. ; V. GAUDEMET (Yves.), Traité de droit administratif des biens, 14 éd, tome 2 Paris,
L.G.D.J, 2011, p.148.
51
OBAKER BALINAN (Samuel.), Domaine public et Domaine privé en droit camerounais, Thèse de doctorat,
Université de Yaoundé II soutenue le 29 avril 2013 p.41.
52
COLIN (Frédéric), L’Essentiel du droit administratif des biens, Paris, Gualino éditeur, 2007, p.22
53
Au Cameroun, le terme affectation n’a jamais été défini ni par le juge ni par le législateur
54
L’affectation est formelle : elle n’est pas obligatoire
55
L’affectation matérielle est obligatoire dans cette hypothèse voire COLIN Fréderic, op.cit. p.22.
56
Loi portant CGCTD
57
Article 2 ordonnance n° 74/2 du 6 juillet 1974 fixant le régime domanial
58
Par le critère matériel, le service public désigne toute activité destinée à satisfaire à un besoin d’intérêt général
et qui est contrôlée par l’administration.
59
Par le critère organique, le service public désigne un ensemble organisé de moyens matériels et humains mis
en œuvre par les personnes publiques notamment l’État et les Collectivités Territoriales.
60
AUBY (Jean-Marie.), BON (Pierre.), AUBY (Jean-Bernard.), Droit administratif des biens, 6e édition, Paris,
Dalloz, 2011, p.33

331
L’affectation des biens peut être de diverses formes. Elle peut être expresse61, tacite62, et
matérielle63. L’affectation des biens du domaine public aux services publics locaux varie en
fonction des biens publics locaux et de la finalité de l’affectation des biens aux services
publics locaux.
On entend par affectation des biens, la décision d’une soumission des biens à un usage
précis. Les Collectivités Territoriales en tant que personnes publiques ont le libre choix
d’affecter ou non les biens de leur domaine public. Pour mieux appréhender la notion
d’affectation des biens, il convient d’une part d’identifier les services publics locaux
bénéficiaires des biens et d’autre part de présenter l’affectation à un service public.
En premier lieu, il existe des services publics propres à l’administration64 des
Collectivités Territoriales. En d’autres termes, l’administration de la collectivité territoriale
est un service. À cet effet, c’est elle qui bénéficie de l’autonomie administrative, financière65
économique66, Il s’agit des services publics locaux qui sont gérés par les Collectivités
Territoriales en tant que personnes morales de droit public67.
En deuxième lieu, il y a les services publics créés par les collectivités Territoriales
Décentralisées. En fait, les services dont il est question sont ceux que les collectivités utilisent
pour faire leur mission68. C’est le cas des services tels que les services de l’éducation qui sont
créés pour l’entretien et la maintenance des écoles ; le service de la santé qui s’occupe de la
prise en charge du personnel médical, le service de la formation technique et professionnelle
qui s’occupe de l’élaboration du plan prévisionnel local de formation et de recyclage,69 etc.
Et enfin, le service de l’administration des syndicats de communes. Ce service consiste
à gérer les missions des collectivités Territoriales associées en syndicat. Le syndicat de
commune étant doté de la personnalité juridique, elle bénéficie des services qui lui rendent
autonome financièrement70. L’identification ainsi achevée, il convient de présenter la
variabilité de l’affectation à un service public.
Les biens du domaine public sont de diverses natures71. À travers l’expression « nature
des biens », on entend par là, le type de biens ou le caractère des biens72. Tout comme
l’affectation des biens du domaine public varie en fonction de la valeur économique,
l’affectation varie également en fonction de la nature des biens. La différence de nature est à
l’origine de la variabilité de l’affectation aux services publics locaux. Ainsi, l’affectation

61
L’affectation expresse est l’acte qui déclare l’entrée des biens au domaine public des collectivités territoriales ;
elle résulte d’une déclaration du conseil municipal
62
L’affectation tacite résulte d’une déclaration d’utilité publique au regard de l’exécution des travaux publics
63
Op. cit.,
64
Article 37 alinéa 1 du CGCTD
65
Article 8 du CGCTD
66
Article 11 alinéa 1er du CGCTD
67
Idem
68
Article 147 du CGCTD
69
Article 161 du CGCTD
70
Article 105 du CGCTD
71
. Les biens corporels, incorporels, mobiliers, immobiliers
72
Dictionnaire LAROUSSE MAXIPOCHE, édition Larousse 2016, p.932.

332
consistant à destiner et à appliquer les biens à une certaine utilisation n’est possible pour tous
les biens parce qu’elle varie en fonction des biens. À cet effet, à travers la théorie de
l’accessoire 73certains biens du domaine public sont non affectés aux services publics locaux.
Il en est ainsi des murs de soutènement qui protègent les voies publiques communales.
Cependant, d’autres biens locaux du domaine public peuvent faire l’objet d’affectation aux
services publics à condition qu’ils y aient eu un aménagement spécial 74. Cet aménagement
semble indispensable à de l’exécution des missions de service public75 local. Ainsi, lors de
l’application de cette théorie le sort d’un bien donné est lié à sa nature et à celle d’un autre
bien. Ce qui semble démontrer la variabilité de cette affectation. Ainsi, les biens meubles et
les biens immeubles affectés aux services publics ne bénéficieront pas tous de l’affectation à
cause de l’aménagement spécial. L’affectation des biens du domaine public des collectivités
territoriales a une finalité qui consiste à rendre le service performant76 et à satisfaire l’intérêt
général.
La notion d’intérêt général est au cœur des personnes publiques77 qui présentent les
activités publiques. Cette notion commande toute action publique78. Car l’intérêt général est
l’essence même des Collectivités Territoriales. Et il semble inévitable aux Collectivités
Territoriales Décentralisées. L’intérêt général ici n’est pas synonyme de l’intérêt général
national, ou international, mais, de l’intérêt général local, précis, qui répond aux besoins des
habitants d’une collectivité locale. L’intérêt général local n’est pas le résultat de la somme des
intérêts privés locaux, mais de « ce que les autorités publiques ont reconnu comme tels »
comme le souligne le professeur Joseph OWONA79. En effet, il appartient aux autorités des
collectivités territoriales décentralisées de décider qu’il y a intérêt général et comment y
parvenir pour satisfaire les besoins des services publics locaux. Mais, il convient de souligner
que toutes les actions et les missions des collectivités territoriales décentralisées ne sont pas
d’intérêt général et donc ne sont pas des services publics locaux80.
À cet effet, l’affectation des biens aux services publics locaux renforce la satisfaction de
l’intérêt général. Car, comme le souligne certains auteurs que, « la satisfaction d’un besoin
d’intérêt général est l’élément matériel dont la présence est indispensable »81. Et, les
Collectivités Territoriales n’agissent que pour répondre aux attentes des administrés locaux,
pour leur apporter satisfaction dans leur milieu de vie. Cela s’illustre par des services publics

73
GILLET-LORENZI (Emmanuel.) SEYDOU TRAORE Droit administratif des biens 1 ère éd Paris, CNFPT,
2007, p.38.
74
FOULQUIER (Norbert), Droit administratif des biens, Paris, Lexis Nexis, 2011, p.48. ; V. COLIN Frédéric,
L’Essentiel du droit administratif des biens, Gualino éditeur, Paris 2007, p.23.
75
Article L.2111-1 du CGPPP français
76
V. Article 55 alinéa 2 de la Constitution du Cameroun du 18 janvier 1996 ; NEDIC (Thierry.), La performance
dans le secteur public : Outils, acteurs et stratégies. L’expérience de la ville de Paris, mémoire soutenu à
l’université de Paris, en septembre 2009, p.24.
77
AUSTIN Jean-Louis, RIBOT Catherine, Droit administratif général, 4e édition, Paris, Lexis Nexis, 2005,
p.145.
78
Idem
79
OWONA Joseph, L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes, Paris, Harmattan, 2010,
p.228.
80
AUSTIN (Jean-Louis), RIBOT (Catherine.), Droit administratif général, op cit, p.179.
81
Ibid, p.178.

333
locaux qui sont des actions de l’administration locale. De nos jours, avec la décentralisation
effective, l’intérêt général se révèle être « la pierre angulaire de l’action publique »82.
Invoqué toujours comme un instrument de protection des droits fondamentaux et comme une
finalité des collectivités territoriales décentralisées, l’intérêt général se trouve confronté aux
défis de l’ordre concurrentiel communautaire qui fait écrire à certains que l’on est passé de
l’intérêt général à l’intérêt économique général indiquant la possibilité reconnue à la personne
publique de valoriser économiquement les biens publics pour assurer l’intérêt général.
L’affectation des biens du domaine public aux services publics locaux étant ainsi
appréhendée, il est temps d’analyser l’affectation des biens à l’usage direct du public local.

2- L’affectation des biens à l’usage direct du public local et les modalités d’usage
On entend par affectation à l’usage direct du public local, la possibilité donnée aux
populations locales ou administrés locaux d’utiliser les biens affectés83 sans passer par
l’intermédiaire des collectivités territoriales propriétaires. Au XIXe siècle, la doctrine
n’envisageait que l’affectation des biens à l’utilité publique comme seul type d’affectation 84.
C’est à l’aube du XXe siècle que le droit administratif va connaitre également une nouvelle
affectation dédiée au service public85. À cet effet, l’affectation des biens à l’usage direct du
public local semble de manière implicite exclure les autres populations étrangères à la
localité.
La population locale est constituée de trois groupes. Il s’agit tout d’abord des
autochtones86, reconnus par la constitution camerounaise du 18 janvier 1996, sont les natifs de
la circonscription déterminée. Ils sont attachés à la collectivité territoriale par le lien du sol. Il
s’agit ensuite des halogènes qui sont ceux qui appartiennent à d’autres collectivités locales,
mais résidentes dans d’autres collectivités soit pour exercer soit des activités87, soit pour faire
des achats, soit pour le touriste, les vacances, et les études ou la recherche88. Il s’agit enfin des
personnes de nationalités étrangères. Tout comme les halogènes, elles aussi sont originaires
des circonscriptions étrangères, mais, qui exercent des activités dans des collectivités
Territoriales.
Tous ces habitants mélangés bénéficient des mêmes droits et devoirs89 tels que le
souligne la constitution du Cameroun. À cet effet, lorsqu’une collectivité territoriale
décentralisée se décide d’affecter les biens à l’usage du public local, c’est pour tous ceux qui
s’y trouvent dans cette circonscription. En d’autres termes, les biens affectés à l’usage du
public local le sont à l’usage de cette diversité de population locale qui d’ailleurs, fait la fierté
du Cameroun. Voilà pourquoi le préambule de la constitution du Cameroun souligne que « Le

82
Rapport public 1999 du CE, EDCE, Paris, La Documentation française, P.245.
83
GILLET-LORENZIEmmanuelle, SEYDOU Traoré Droit administratif des biens, op.cit., p.29.
84
FOULQUIER (Norbert), Droit administratif des biens, op.cit., p.37.
85
Idem
86
Le préambule de la constitution du Cameroun du 18 janvier 1996 : « L’État (…) préserve les droits des
populations autochtones (…) »
87
Exemple : les travailleurs, les commerçants, etc.
88
Pour ce qui est des collectivités à vocation universitaire
89
Le préambule de la constitution du Cameroun op. cit.,

334
peuple camerounais, fier de sa diversité linguistique (…), constitue une seule et même nation
(…), sur la base de l’idéal de la fraternité, de la justice et de progrès »90. En clair, aucune
discrimination ne serait permise sur l’usage des biens affectés, et la diversité linguistique est
un fait au Cameroun, une force au niveau local. La preuve en est que l’affectation d’une route
communale à l’usage du public en est utilisée par tous sans discrimination.
Concernant les modalités d’usage, dans une collectivité locale, on distingue plusieurs
modalités d’usage direct des biens du domaine public. En fait, l’usage direct signifie que les
usagers utilisent uniquement les biens et non parce qu’il est le support d’un service public.
Ainsi, on peut distinguer, l’usage destiné et, l’usage gratuit91.

B- La dualité du régime juridique justifiée par l’usage des biens du domaine privé

Les biens du domaine privé des collectivités territoriales décentralisées ont une fonction
essentiellement financière. Car ils sont destinés à procurer à des personnes publiques locales
des revenus ou des services92 pour leur fonctionnement. Parler de l’affectation des biens du
domaine privé des Collectivités Territoriales Décentralisées, revient à étudier l’utilisation de
ces biens. Dans cette logique, il sied de souligner que l’analyse portera sur l’étude du principe
(1), et de l’exception (2).

1- Le principe : l’usage à titre privé


Les biens du domaine privé des collectivités territoriales décentralisées sont utilisés de
manière privée par les acteurs locaux et ceci dans un but privé local. L’usage à titre privatif
des biens du domaine privé se fait par les acteurs privés ainsi que ceux du public.
On entend par acteurs privés, les personnes privées qui, d’une manière générale, et
individuelle, exploitent les biens du domaine privé. Cet usage privatif peut avoir un triple
fondement.
Le premier fondement est relatif à l’utilisation fondée sur un acte unilatéral 93. Il peut
s’agir d’une autorisation ou d’une permission d’utilisation accordée à des particuliers par le
maire ou le président du conseil régional. Ces autorisations peuvent revêtir des formes de
permis de stationnement pour les transporteurs, ou des autorisations d’occupation ou
d’exploitation.

90
Idem
91
MPESSA (Aloys.), Essai sur la notion et le régime juridique des biens domaniaux au Cameroun, thèse de
doctorat en droit public, université de Paris 1, soutenue en juin 1998 ; article 9 alinéa 2, 3 et 4 du décret n°
2002/2175/PM du20 décembre 2002, fixant les taux maxima et les modalités de recouvrement des taxes
communales indirectes ; AUBY (Jean-Marie), BON (Pierre), AUBY (Jean-Bernard), Droit administratif des
biens, op.cit. p.169. V. GILLET LORENZI (Emmanuelle.), SEYDOU TRAORE, Droit administratif des biens
op.cit. p.130.
92
AUBY (Jean-Marie), BON (Pierre), AUBY (Jean-Bernard), Droit administratif des biens, op.cit. p.169. V.
GILLET LORENZI (Emmanuelle.), SEYDOU TRAORE, Droit administratif des biens op.cit. p.130.
93
AUBY (Jean-Marie), BON (Pierre), AUBY (Jean-Bernard), TERNEYRE (Philippe), Droit administratif des
biens, 7e édition, Paris, Dalloz, 2016, p.196.

335
Le deuxième fondement quant à lui concerne le contrat. Cette utilisation repose sur le
consentement des parties contractantes. C’est généralement le cas des accords de location
signés entre les Collectivités Territoriales notamment les maires pour ce qui est le cas actuel,
et les particuliers sur les terrains exploités pour des raisons agricoles. De même pour les
contrats d’occupation des immeubles bâtis à vocation commerciale signés par les maires94 et
leurs cocontractants.
Enfin, le troisième renvoie à l’usage privatif fondé sur la concession de logement.
Certes, cette utilisation est teintée d’acte unilatéral, mais il est important de l’analyser
individuellement. Cette utilisation privative se passe lors d’une nécessité absolue d’un service
dans une localité. Autrement dit, la nécessité absolue d’un service est à l’origine de
l’occupation absolument privative des biens du domaine privé d’une collectivité locale. Elle
concerne l’attribution de logement de fonction des collectivités locales. Dans cette logique, la
concession peut être gratuite pour « nécessité absolue d’un service », ou rémunératrice
lorsqu’elle est « utile pour le service »95.
Tout comme des personnes privées, les personnes publiques également utilisent les
biens qui appartiennent à leur domaine privé de manière individuelle. Les raisons peuvent être
dues à des politiques financières. Il peut s’agir d’un bien local hyper rentable à l’exemple des
cimetières, que les personnes privées envisagent d'exploiter exclusivement. Ou bien les
raisons peuvent être non financières. C’est le cas par exemple de l’utilisation des terrains
communaux pour des besoins propres de la commune96. À cet effet, il peut s’agir de l’usage
de terrains communaux pour les constructions de logement du personnel et de bureaux pour le
fonctionnement propre de la collectivité territoriale. Cette utilisation privative tire sa source
dans un acte juridique d’affectation. En somme, les biens du domaine privé ayant fait l’objet
d’affectation sont utilisés privativement par des acteurs locaux et par des acteurs publics.
Outre l’usage privatif par des acteurs locaux, les biens du domaine privé des
collectivités territoriales font également l’objet d’une utilisation privative dans un but privé
local. Cet usage privatif vise le bien être des habitants locaux et, le développement local.
Le bien-être est ici synonyme de l’amélioration du cadre de vie de la population locale.
L’utilisation privative des biens du domaine privé a pour but d’améliorer les conditions de
vies des populations locales et régionales. Cela dit, les biens concernés doivent pouvoir
générer des emplois. A contrario, les biens qui ne sont pas productifs ne peuvent changer les
conditions de vie des habitants de la localité et par ricochet développer la localité.
Certes le développement local est une finalité des collectivités territoriales
décentralisées, mais ce développement ne peut être atteint sans la présence des biens encore
moins sans les revenus que produisent les biens en question. Il est clair que, que les personnes
publiques s’accaparent certains biens du domaine privé et en exploitent pour bénéficier seules

94
Article 2 et 17 du décret du 30 septembre 1953. V.FOULQUIER Norbert Droit administratif des biens, op.cit.
p.115.
95
AUBY (Jean-Marie), BON (Pierre), AUBY (Jean Bernard), TERNEYRE (Philippe), Droit administratif des
biens op.cit. p.19.
96
POUNTOUGNIGNI YEYAP Emmanuel, la gestion du patrimoine communal de Maroua tome 5, Juillet 2007,
p.18.

336
des revenus. Les biens du domaine privé exploités de manière privative par les collectivités
territoriales décentralisées sont des sources financières qui concourent au développement
communal. C’est le cas des baux d’habitation des logements appartenant au domaine privé
des collectivités territoriales décentralisées. Pour tout dire les biens du domaine privé sont
consacrés en principe à l’usage privatif. Mais ce principe connait également une exception.,
cependant, il est impératif d’appréhender l’usage privatif des biens dans un but privé local.

2- L’exception : l’usage des biens du domaine privé dans l’intérêt général des
Collectivités Territoriales
Les biens du domaine privé des Collectivités Territoriales Décentralisées font l’objet
d’un usage à l’intérêt général du public local. L’utilisation des biens du domaine privé pour
l’intérêt général local prend souvent une double forme. Dans ce cadre, les biens dus sont
soumis à l’usage de l’intérêt du public local, et à l’usage des services publics locaux.
Les biens du domaine privé des Collectivités locales sont avant tout des biens
patrimoniaux97. À cet effet, les Collectivités Territoriales les utilisent dans l’optique de
générer des revenus qui permettent à l’amélioration du cadre de vie de ses populations. Ainsi,
les Collectivités Territoriales utilisent les biens de leur domaine privé pour les constructions
des hôpitaux régionaux afin de garantir la santé aux populations locales98 ; les écoles pour
promouvoir l’éducation et l’alphabétisation99 ; les marchés pour encourager l’activité
commerciale dans la circonscription. Ce développement infrastructurel organisé par les
Collectivités locales est bénéfique pour la population locale.
De même, les biens du domaine privé sont des propriétés des collectivités locales. La
propriété revoyant aux de jouir, d’user, et de disposer les biens garantis à chacun. 100 Les
populations locales jouissent à cet effet du droit d’use, de jouir, et de disposer des biens du
domaine privé selon la réglementation. Car l’organe chargé de gérer les biens locaux pour
objectif de promouvoir le développement local et de satisfaire l’intérêt de la population locale.
Et ainsi, le public local est donc le premier bénéficiaire des biens du domaine privé.
Les biens du domaine privé des entités locales en outre d’être utilisé dans l’intérêt
général font également l’objet d’une utilisation à des services publics locaux.
On entend par service public local une activité destinée à satisfaire un besoin d’intérêt
général et qui est assurée par une personne publique ou privée et soumise à un régime
juridique particulier101. Par cette définition, il ressort de cela que les biens du domaine privé
sont utilisés par des personnes publiques ou privées pour la satisfaction de l’intérêt général.
Ainsi les Collectivités locales, utilisent les immeubles de leur domaine privé pour des
services qui permettent la continuité des services publics. C’est le cas des immeubles du
domaine privé qui sont utilisés pour des bureaux et qui servent de siège des services publics.

97
Les biens patrimoniaux sont des biens faisant partis du patrimoine et qui peuvent générer des revenus au profit
du propriétaire.
98
Article 160 du CGCTD
99
Article 161 du CGCTD
100
Définition issue du préambule de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996
101
CORNU (Gérard.) Vocabulaire juridique op.cit. p.958.

337
En plus, les immeubles du domaine privé sont souvent utilisés pour l’hébergement du
personnel exerçant une fonction dans la localité. C’est le cas par exemple des enseignants et le
personnel employé qui peuvent bénéficier des maisons des Collectivités locales par rapport à
leur fonction. Cet usage peut se faire dans un sens économique afin de générer des ressources
financières capables d’augmenter les revenus des services desdites entités locales.
Quant aux biens meubles, ils sont également utilisés dans tous les services publics
locaux. L’on relève le matériel de bureau notamment les ordinateurs, les tables de bureaux, les
téléphones, etc. … qui font objet d’usage dans tous les services publics locaux. Il est logique
qu’aucun service public ne puisse fonctionner sans matériel lui permettant de continuer le
service public. Cela permet de relever la nécessité des biens du domaine privé pour le
fonctionnement des services publics locaux. Par conséquent, il est impératif que les biens du
domaine privé fassent l’objet d’un usage aux services publics locaux. Il en est de même pour
le matériel roulant qui est d’une importance capitale aux services publics locaux.
Le constituant ayant créé les collectivités territoriales décentralisées, le législateur
camerounais n’a pas manqué de leur donner des biens pour leur fonctionnement. L’étude des
biens publics des collectivités territoriales décentralisés a permis d’examiner le caractère dual
du régime juridique desdits biens. Cette dualité se justifie par l’affectation des biens des
collectivités territoriales décentralisés. Cependant, il convient de souligner que les biens des
collectivités territoriales décentralisés sont également caractérisés par la dualité du régime
contentieux.

II- LA DUALITÉ DU RÉGIME CONTENTIEUX DES BIENS PUBLICS DES


CTD

En vérité, l’on ne pourrait parler des biens publics des Collectivités Territoriales
Décentralisées sans évoquer les litiges qui peuvent surgir. En effet, ces biens sont aussi
comme ceux de l’État régi par la dualité de règles. Par cette dernière surgit un dualisme
juridictionnel fondamental où les deux ordres de juridictions coexistent. Ainsi, les biens
publics des collectivités territoriales décentralisées sont soumis à une dualité du régime
contentieux. L’objectif étant de le démontrer, il sied dans cette partie de présenter d’une part
la soumission des biens du domaine public au contentieux administratif (A) et d’autre part la
soumission des biens du domaine privé au contentieux de droit privé (B).

A- La soumission des biens du domaine public a un régime contentieux hybride

Le principe de la séparation des deux ordres de juridictions administrative et judiciaire


exhorte à ce que l’on puisse établir dans la domanialité des collectivités territoriales
décentralisées la compétence de chaque juridiction. Ainsi, dans le patrimoine des collectivités
territoriales, les biens du domaine de ces derniers sont soumis au droit administratif et par
conséquent au juge administratif lorsqu’ils font objet d’un contentieux qui d’ailleurs est
qualifié de contentieux administratif défini par Maurice HAURIOU comme l’ensemble des
règles relatives aux litiges que suscite l’activité des personnes administratives en tant que ces

338
règles s’écartent du droit commun102. La raison en est que le domaine public et les biens qui le
composent recherchent l’intérêt général. À cet effet, pour mieux appréhender la soumission
des biens du domaine public au contentieux administratif, il importe d’examiner d’une part la
compétence principielle du juge administratif (1) et d’autre part, la compétence résiduelle du
juge judiciaire (2).

1- La compétence principielle du juge administratif


Dans des litiges relatifs aux biens des personnes publiques en générale et en particulier
à ceux des collectivités territoriales, le juge administratif dispose d’une compétence
principielle. On entend par cette dernière, la compétence qui est en principe reconnue au juge
administratif. Autrement dit, le juge administratif est en principe le juge des biens du domaine
public. Ses attributions de juridiction administrative ne font qu’accroitre sa valeur et son
efficacité pour ne pas handicaper sa fonction103. Le juge administratif est à la fois le censeur
de l’administration et son collaborateur104.
Ainsi, le juge administratif est apte à statuer sur les biens locaux ou régionaux. Car, il
est le juge de droit commun du contentieux administratif. Que ce soit le contentieux lié aux
contrats administratifs105 ou, du contentieux relatif aux biens des personnes morales de droit
public. En plus, la doctrine lui reconnait cette compétence au niveau de l’État qui d’ailleurs,
doit s’étendre aux collectivités territoriales qui également sont des personnes publiques. C’est
d’ailleurs ce qui ressort de la loi de 2006/022 en son article 2alinéa 2 qui stipule que » les
tribunaux administratifs connaissent (…) de l’ensemble du contentieux administratif
concernant l’État, les collectivités publiques territoriales décentralisées et, les établissements
publics106 ». Cette compétence à statuer sur ces litiges administratifs est de nature matérielle.
Cette compétence ressort de la connaissance de deux articles combinés. Il s’agit des articles 2
alinéas 3 et articles 14 alinéa 1, de la loi de 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement
des tribunaux administratif au Cameroun. Ainsi, les tribunaux administratifs sont jugés de
droit commun du contentieux administratif. À cet effet, les juges administratifs qui siègent
dans les tribunaux administratifs statuent sur les litiges qui « intéressent le domaine public107 »
Dans le même ordre d’idées, le juge administratif est également juge du recours en
interprétation et en appréciation des lois portants sur les biens du domaine public. En effet, il
convient de préciser que cette aptitude lui est reconnue par la doctrine juridique. C’est ce qui
ressort du moins de la loi fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux
administratifs pour qui, les tribunaux administratifs sont des juridictions qui connaissent » les
recours en annulation pour excès de pouvoir (…) et recours incident en appréciation de la

102
HAURIOU (Maurice.), Précis de droit administratif, 2e éd, Paris, Librairie du recueil général des lois et
arrêts, 1893, p.671.
103
WEIL (Prosper.) et POUYAUD (Dominique.), Droit administratif, 24e éd Paris, PUF, 2008, p.91.
104
Idem
105
L’exception est faite aux contrats implicites sous l’empire du droit commun. V. l’article 2 alinéa 3 C de la loi
n° 2006 /022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs
106
Idem
107
Article 2 alinéa 3 (d) loi n° 2006/022 op.cit.,

339
légalité (…)108 ».En d’autres termes, l’interprétation et l’appréciation des lois concernant les
biens du domaine public des collectivités territoriales, sont soumises au juge administratif. Ce
qui signifie de manière implicite que le juge judiciaire ne saurait ni apprécier ni interpréter les
lois relatives aux biens du domaine public sauf disposition contraire de la loi.Ainsi présenter
la compétence matérielle du juge administratif, il sied d’indiquer sa compétence territoriale.
Par le biais de la décentralisation, la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 a morcelé
le Cameroun en plusieurs circonscriptions notamment appelées collectivités territoriales
décentralisées109. Ces dernières possèdent des structures administratives à l’instar des
tribunaux administratifs où officient les juges administratifs. Il convient de souligner que,
dans chaque circonscription se trouve une juridiction administrative qui, statue sur les
contentieux de ressort. Ainsi, la compétence territoriale se fait ressentir à plus d’un titre.
Premièrement, le juge administratif est compétent sur les procès administratifs de sa
localité. Ce qui révèle que, quel que soit le contentieux administratif de sa localité de
fonction, il reste et demeure le seul à statuer110. À cet effet, un juge ne peut connaitre les
litiges administratifs d’une localité qui n’est pas celle de son lieu d’exercice et aussi, une
personne ne peut en aucun cas intenter un procès auprès des tribunaux administratifs des
circonscriptions qui ne sont pas celles de son ressort. Car, le tribunal compétent est celui du
domicile de la personne publique locale ou régionale. Ainsi, pour une bonne coordination, le
chef d’État crée dans chaque collectivité territoriale un tribunal administratif territorialement
compétent pour les contentieux. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la loi n° 2006/022 du
29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs qui
dispose que, « il est créé un tribunal administratif par région. Son siège est fixé au chef-lieu
de ladite région111 ». Cela permet aussi de justifier que, la création d’un tribunal administratif
dans chaque région témoigne de la compétence territoriale du juge administratif dans sa
localité.
Secondement, le juge administratif est le juge du contentieux des biens du domaine
public des collectivités territoriales décentralisées par voie d’élection de domicile. Cela dit, à
l’exemple des biens du domaine public de l’État, les litiges des biens locaux ou régionaux
sont statué par le juge administratif de ressort. Car chaque tribunal administratif possède d’un
ressort territorial. Cette aptitude lui est reconnue par les lois de 2006112. Ainsi, il ne peut
statuer que sur les biens sa localité d’exercice. Par contre ceux des autres localités lui sont
impossibles de connaissance. Pour ce fait, la loi de 2006/O22 du 29 décembre 2006 relève
que « le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a

108
Article 2 alinéa 3 (a) Loi n° 2006/022 du 29 décembre op.cit.
109
Article 55 de la constitution du Cameroun
110
ROUAULT (Marie-Christine.) L’essentiel du droit administratif général, 13e éd, Paris, Gualino, 2015-2016,
p.128. V. AUBY (Jean-Marie.) BON (Pierre.) AUBY (Jean-Bernard.), Droit administratif des biens, op.cit.
p.119.
111
Article 5 alinéa 1 loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 op.cit.,
112
LOI N° 2006/017 du 29 décembre 2006, fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux régionaux
des comptes. V. loi n° 2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux
administratifs

340
légalement son siège l’autorité (…) la résidence du demandeur, de la situation du bien
(…)113 ». À titre de droit comparé, c’est la même chose en France114.
Ainsi, après avoir présenté la compétence du juge administratif comme étant une
aptitude matérielle et territoriale dans le contentieux des biens du domaine public, il convient
à présent de montrer que la compétence dudit juge administratif s’étend également sur les
litiges des biens du domaine privé concernant la vente et la cession des biens immobiliers.
En principe, le contentieux des contrats de gestions des biens du domaine privé des
personnes publiques relève de la juridiction judiciaire. En effet, à partir du moment où les
Collectivités Territoriales en tant que des personnes publiques sont supposées agir comme des
personnes privées, il est en effet réel que le juge judiciaire soit compétent lorsque survient un
litige. Cependant, le législateur a décidé pour la continuité de la loi du 28 pluviôse an VIII
que le juge administratif est compétent de la vente de biens immobilier du domaine privé de
l’État. Cette loi est effective aux immeubles des autres personnes publiques notamment les
collectivités Territoriales. À titre d’illustration il est disposé à l’article 60 alinéa 1 du Code
général des Collectivités Territoriales Décentralisées que « la vente des biens appartenant aux
collectivités Territoriales est assujettie aux mêmes règles que celles des biens appartenant à
l’État115 ». À l’analyse de cette disposition, il ressort implicitement que, le contentieux relatif
à la vente des biens immobiliers relève de la compétence du juge administratif. Car les
Collectivités locales sont des personnes morales de droits publics. À cet effet, les contrats de
vente des immeubles établis par les Collectivités locales sont des contrats administratifs par le
lien organique et les contentieux de ces contrats relèvent de la compétence du juge
administratif.
En outre, le juge administratif est compétent sur les contentieux portant sur la cession
des biens immobiliers des Collectivités Territoriales Décentralisées. En parlant de la cession
des biens immobiliers des Collectivités Territoriales, on fait allusion aux contentieux de
location du domaine privé et à ceux des baux emphytéotiques du domaine privé local. La
compétence du juge administratif sur la cession des biens immobiliers des entités locales tire
son origine de la loi du 28 pluviôse an VIII qui dispose que » sont portés devant la juridiction
administrative, les litiges relatifs aux cessions des biens immobiliers de l’État ». Avec la
création des collectivités territoriales décentralisées, cette loi s’applique à d’autres personnes
morales de droit public. À cet effet, le juge administratif est juge du contentieux de location
des biens du domaine privé des Collectivités Territoriales. En tant que, propriétaire du
domaine privé, les collectivités territoriales ont le droit de faire louer les biens appartenant à
leur domaine privé au moyen des baux autorisés en principe selon les règles générales de droit
privé. Ces baux peuvent être passés soit par adjudication publique, soit de gré à gré.Car, il
relève du droit commun de location qui régit les rapports entre le bailleur et son locataire. En
principe, les litiges relevant des contrats de concernant les locations du domaine privé relève
du droit commun et par conséquent soumis à la juridiction judiciaire116. Cependant il existe

113
Article 15 alinéa 1 loi de 2006/022 op.cit.,
114
ROUAULT (Marie-Christine.), Droit administratif des biens op.cit., p.128.
115
L’article 60 alinéa 1 du CGCTD
116
AUBY (Jean-Marie.), BON (Pierre.), AUBY (Jean-Bernard.), Droit administratif des biens op.cit., p.184.

341
des hypothèses qui constituent l’exception de ce principe où le juge administratif est apte à
statuer sur le contentieux de location du domaine privé.
Ainsi, la compétence est reconnue au juge administratif sur les contrats administratifs
portant sur les biens du domaine privé. Les contrats sont dits administratifs soit parce qu’ils
existent des clauses exorbitantes du droit commun dans ces contrats, soit parce que les
contrats font participer les co-contractants des collectivités territoriales à l’exécution des
services publics. À cet effet, lorsque le contrat de location permet le fonctionnement des
services publics, et qu’il présente un caractère administratif, il sera soumis au juge
administratif en cas de litige. Au Cameroun, la jurisprudence est encore inexistante. Le juge
administratif camerounais devrait à cet effet, lors d’un contentieux s’inspirer de la France,
notamment de la décision du conseil d’État du 4 juillet 1969.
En outre, lorsque le contrat de location d’un immeuble du domaine privé des
collectivités territoriales ambitionne promouvoir la culture, présente un caractère de service
public et comme tel, le contrat de location passé révèle un caractère administratif et par
conséquent du juge administratif.
En second lieu, concernant les baux emphytéotiques conclus sur domaine privé comme
sur le domaine public, la juridiction administrative serait également compétente pour
connaitre les litiges relatifs de ces baux conclus par les collectivités territoriales 117. Car par
détermination de la loi du 5 janvier 1988118, les baux emphytéotiques sont des contrats
administratifs et par conséquent soumis à la juridiction administrative.Au Cameroun, cela
n’est pas encore possible119. Mais pour la résolution des contentieux relatifs aux baux
emphytéotiques la juridiction administrative camerounaise devrait s’inspirer l’expérience
française. À cet effet, la loi du 5 janvier 1988120 prévoit la compétence du juge administratif
pour connaitre du contentieux des baux emphytéotiques que les collectivités locales peuvent
conclurent sur leur domaine privé121.
En somme, il ressort dans cette partie que la juridiction administrative locale ou
régionale dispose d’une compétence principielle sur les biens du domaine privé des
collectivités territoriales décentralisées. Cependant, la juridiction judiciaire bénéficie
également d’une compétence à statuer sur les contentieux des biens du domaine public.

2- La compétence résiduelle du juge judiciaire


En matière administrative, et plus précisément sur le domaine public, on reconnait à la
juridiction judiciaire des compétences à statuer lors des contentieux sur la base de l’habitude
qui a une valeur coutumière. Cette compétence s’étend aussi bien sur la gestion du domaine
public local, qu’au niveau de la protection du domaine public.

117
Article L2122-20 du code général de la propriété des personnes publiques cité par IRANI (Carl.), La
compétence du juge judiciaire en matière administrative en droit libanais et en droit français, thèse de doctorat
en droit public soutenue à l’université de GRENOBLE ALPES, le 15 décembre 2014, p.286.
118
Article 13-111.4° Loi du 5 janvier 1988.
119
Cela est impossible pour des raisons d’absence de jurisprudence et des textes qui le démontrent.
120
Article 13.111.4°, loi du 5 janvier 1988 du code général des collectivités territoriales
121
AUBY (Jean-Marie.), BON (Pierre.), AUBY (Jean-Bernard.) Droit administratif des biens op.cit., p.184.

342
La compétence du juge judiciaire sur la propriété privée locale des collectivités
territoriales décentralisées n’est pas surprenante. Étant donné qu’il est le gardien de la
propriété privée des personnes physiques et morales, il serait naturel de lui reconnaitre la
compétence dans les contentieux concernant la propriété privée, peu importe que l’auteur soit
la collectivité territoriale ou n’importe quelle autre personne publique. En d’autres termes, la
juridiction judiciaire est reconnue compétente sur les litiges relatifs aux propriétés privées des
personnes.
La propriété privée dont il est question concerne l’argent mis à la disposition des
collectivités territoriales pour le bon fonctionnement des collectivités locales ou régionales et
pour le développement local. Les collectivités territoriales ne sauraient fonctionner ou
effectuer la mission qui est la leur sans revenus financiers. Ces finances ou cet argent qui sont
qualifiés de biens corporels sont souvent utilisé à d’autres fins, que celles destinées par les
responsables des collectivités territoriales. Autrement dit, les budgets des collectivités
territoriales, ou les finances transférées aux collectivités territoriales pour leur développement
économique, social, éducatif, culturel, et sportif122 ou les finances provenant des locations,
des ventes d’immeubles, etc., et recouvrés par le receveur communal contre un ordre de
recette ou de versement émis par le maire ou quelqu’un à qui, il a délégué ce pouvoir dans la
mairie123, sont parfois utilisés par les responsables des collectivités territoriales à des fins
privées. Cette forme de gestion est le plus souvent qualifiée de détournement de deniers
publics. Ainsi, ces biens qui ont pour but la satisfaction de l’intérêt public communal ou
régional sont soumis à la compétence du juge judiciaire.
À cet effet, le juge judiciaire est par excellence le juge compétent lors des litiges. Il est
le juge du contentieux de détournements des deniers publics ou de vol. À titre d’illustration,
le Code pénal camerounais dispose à cet effet que ‘’ est puni d’un emprisonnement de 5 à
10 ans et d’une amende de 100 000 à 1 000 000 de francs celui qui porte atteinte à la fortune
d’autrui par vol c’est-à-dire en soustrayant la chose d’autrui ; par abus de confiance, c’est à
dire en détournant (…) tout bien susceptible d’être soustrait, et qu’il a reçu à charge (…)
d’en faire un usage déterminé124 ». Il importe de le rappeler que, le terme « autrui » utilisé
dans cet article renvoie aux personnes physiques et aux personnes morales, notamment les
collectivités territoriales décentralisées.
De même, la compétence du juge judiciaire sur le domaine public est reconnue en
matière d’exploitation des biens du domaine public local. En d’autres termes, il est le juge du
non-respect des conditions d’exploitation des biens du domaine public local. Il sanctionne les
individus qui ne respectent pas les conditions d’usage établi par la collectivité territoriale sur
le domaine public. Ainsi, rendant la justice sur le territoire local ou régional pour ce qui est le
cas, au nom du peuple la juridiction judiciaire doit statuer sur les atteintes des biens du
domaine public des collectivités territoriales décentralisées comme d’ailleurs il le fait pour
ceux de l’Etat.Car, par son caractère répressif, il peut sanctionner toute personne qui déroge
aux conditions d’utilisation des biens de ce domaine public local ou régional.

122
Article 56 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 du Cameroun
123
M POUNTOUGNIGNI YEYAP (Emmanuel.) La gestion du patrimoine communale op.cit., p.33
124
Article 318 (nouveau) alinéa 1 a et b du code pénal camerounais

343
En plus, les biens du domaine public qui forment une propriété de la personne publique
qui est la collectivité territoriale, il est naturel que le juge judiciaire puisse statuer sur le
contentieux relatif au non-respect des conditions d’usage des biens publics locaux. Car, il est
le gardien de la propriété des personnes publiques et privées. Dans le cas d’espèce, la
propriété dont il est question concerne les biens du domaine public des collectivités
territoriales. Par conséquent, le juge judiciaire réprime tout individu aussi bien au niveau
national, qu’au niveau local ou régional qui détruit les biens du domaine public des personnes
publiques. C’est d’ailleurs, ce que fait l’article 103 du Code pénal camerounais qui dispose en
ce sens que « est coupable de trahison et puni de mort tout citoyen (…) qui (…) en vue de
nuire à la défense nationale détériore des constructions, des installations, ou matériels ou
pratique soit avant soit après leur achèvement des malfaçons de nature à les empêcher de
fonctionner normalement ou provoquer un accident125 ». En dehors de la compétence sur la
gestion du domaine public local, le juge judiciaire est également juge exceptionnel de la
domanialité publique.
Le juge judiciaire est un juge exceptionnel de la domanialité publique parce qu’il
connait des litiges des biens des personnes publiques. En d’autres termes, la compétence du
juge judiciaire sur les biens publics fait de lui un juge exceptionnel. Car, les personnes
publiques qui jouissent des prérogatives de puissance publique laissent des dérogations aux
juridictions judiciaires de statuer sur leurs biens.
En outre, le juge judiciaire est l’équivalent du juge administratif en matière de
contentieux. Cela dit, il prend connaissance du litige, il étudie, et dit le droit au même titre
que le juge administratif. Il a les mêmes droits et devoirs que le juge administratif.
Enfin, il est exceptionnel parce que, il est tantôt juge administratif, et tantôt juge
judiciaire. Autrement dit, ce sont les mêmes juges qui statuent dans les deux ordres de
juridictions judiciaires et administratives.
Aussi, le juge judiciaire est protecteur, en complémentarité avec le juge administratif,
du domaine public. Premièrement, le juge judiciaire comme nous l’avons montré plus haut est
présumé le gardien126 de la propriété des personnes. À cet effet, il statue sur les litiges qui
concernent la propriété. Cette aptitude à statuer sur la propriété des personnes publiques est
synonyme de protection du domaine public des collectivités territoriales. Ce qui fait de lui le
protecteur du domaine public. À titre d’illustration, la loi n° 66/LF/4 du 10 juin 1966 dans son
article 12 dispose que, la fixation de l’indemnité de l’expropriation relève de la compétence
des tribunaux de l’ordre judiciaire127.
Deuxièmement, la protection est complémentaire parce que, par sa nature le juge
judiciaire est répressif contrairement au juge administratif. De ce fait, lors d’un litige, le juge
judiciaire décide des sanctions à infliger aux individus réprimés par le juge administratif. En
d’autres termes, la protection est complémentaire dans la mesure où, le juge judiciaire par sa
compétence à fixer les sanctions peines et les amendes aux individus qui ont été condamnés
par le juge administratif.
125
Article 103 du code pénal camerounais
126
OWONA (Joseph.) Droit administratif spécial de la République du Cameroun op.cit., p.198.
127
Loi citée par OWONA (Joseph.) Droit administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.198.

344
La protection des biens par le juge judiciaire tire son fondement de la législation
camerounaise. En effet, en tant que présumé gardien de la propriété des personnes, le juge
judiciaire connait les litiges relatifs aux biens privés des entités locales. Car, comme toutes les
autres personnes publiques, les Collectivités locales gèrent leurs biens privés comme des
personnes ordinaires. Pour le justifier, il ressort de l’ordonnance n° 72-6 du 26 aout 1972 que
les tribunaux judiciaires sont compétents sur les voies de fait administratives. De manière
concrète cette ordonnance en son article 9 alinéa 4 dispose que ‘’ les tribunaux judiciaires
connaissent en outre des voies de fait administratives et ordonnent toute mesure pour qu’il
soit mis fin (…)128. Ainsi, à l’analyse de cette disposition, il sied de souligner que, le juge
judiciaire bénéficie de la plénitude des pouvoirs. Ils ordonnent toute mesure pour qu’il y soit
mis fin et, ils peuvent aussi donner une réparation pécuniaire au titre de dommages et
intérêts129. De même la protection se justifie par la compétence du juge judiciaire à connaitre
le cas de l’emprise130.
Dans le même ordre d’idées, les sanctions octroyées aux responsables des Collectivités
locales pour détournement des deniers publics et aux particuliers pour vole justifient la
protection du juge judiciaire. En d’autres termes, le pouvoir de sanction que bénéficie le juge
judiciaire sur les personnes qui empiètent sur la fortune des Collectivités locales témoigne de
sa protection sur les biens privés. En effet, le juge judiciaire est le protecteur des biens publics
et le censeur de tous ceux qui se servent frauduleusement. C’est dans ce sens que, le Code
général des Collectivités Territoriales Décentralisées en son article 226 alinéa 1 dispose que
“En cas d’atteinte à la fortune publique, d’infraction entrainer une sanction pénale assortie
de déchéance de carence avérée ou de faute lourde (…)131”. En clair, l’infraction peut
entrainer une sanction pénale assortie de déchéance en cas d’une atteinte à la fortune
publique.

B- La soumission des biens du domaine prive des CTD au contentieux de droit


privé.

Les biens du domaine privé des collectivités territoriales à la différence de ceux du


domaine public se trouvent sous le régime de droit commun de la propriété privée 132. Ainsi, le
contentieux des biens de ce domaine relève du droit privé. En clair, il est un principe comme
l’affirme la Professeur Jacqueline MORAND-DEVILLER que, “le contentieux du domaine
privé relève en principe du juge judiciaire133”. Ce qui semble en effet exclure le juge
administratif. Cependant, si tel est le cas, ce principe emporte des “exceptions nombreuses et

128
Article 9 alinéa 4 ordonnance n° 72-6 du 26 aout 1972 fixant l’organisation de la Cour suprême.
129
OWONA (Joseph.), Droit administratif spécial de la République du Cameroun op.cit., p.197.
130
L’emprise constitue une atteinte à la propriété immobilière portée sous forme de dépossession provisoire ou
permanente.
131
Article 226 alinéa 1 du CGCTD
132
OWONA (Joseph.), Droit administratif spécial de la République du Cameroun, op.cit., p.129.
133
MORAND-DEVILLER (Jacqueline.), Cours de droit administratif des biens, Paris, Montchrestien, 2003,
p.339/881. V.AUBY (Jean-Marie.) BON (Pierre.) AUBY (Jean-Bernard.) Droit administratif des biens, op.cit.,
p.169. GAUDEMET (Yves.), Droit administratif des biens, op.cit., p.384.

345
souvent mal explicables dans le sens de la compétence du juge administratif134”. Pour mieux
assimiler l’enchevêtrement juge administratif juge judiciaire, il sied d’examiner la
justification de la compétence du juge judiciaire sur les biens du domaine privé des
collectivités territoriales (1) et le partage inégalitaire des compétences en faveur du juge
judiciaire (2).

1- La justification de la compétence du juge judiciaire


La justification de la compétence du juge judiciaire se fait par l’affectation des biens du
domaine privé, et par la soumission des biens du domaine privé aux règles de droit privé.
L’affectation des biens du domaine privé se décèle par leur confinement à la recherche de
l’intérêt privé local, et par la minoration de la recherche de l’intérêt général.
À la différence des biens du domaine public qui recherchent la satisfaction de l’intérêt
général et mis à la disposition du public, ceux du domaine privé des Collectivités Territoriales
Décentralisées sont confinés à la recherche de l’intérêt privé local. Car ils sont une réserve
pour les collectivités territoriales. Cela peut se justifier par plusieurs raisons.
La première raison est relative à l’impossibilité d’une affectation à l’usage du public
local . Si l’utilisation des biens du domaine privé des collectivités territoriales se caractérise
135

par des usages privatifs, on comprend par-là que la finalité de ces biens se limite
essentiellement à la recherche des intérêts privés des usagers locaux. Et c’est la mission
principale des collectivités territoriales qui recherche le développement local. Cela peut se
comprendre à travers l’article 147 du code général des Collectivités Territoriales
Décentralisées au Cameroun qui, dispose que, “la commune est la collectivité territoriale de
base. Elle a une mission (…) de développement local (…)136” aussi bien à travers ses biens de
son domaine privé que de ceux du domaine public.
Dans le même ordre d’idées, l’utilisation des biens du domaine privé de la collectivité
territoriale pour ses besoins propres démontre le confinement à la quête de l’intérêt privé
local. En effet, les collectivités territoriales font d’un usage personnel les biens de leur
domaine privé. On peut à titre d’exemple citer entre autre, les bâtiments abritant les bureaux
et les logements des personnels, les matériels et équipements de bureau, les véhicules137. Ces
biens énumérés sont au service des citoyens de la collectivité territoriale. Et pour ce fait, les
collectivités territoriales par le biais des biens de leur domaine privé, doivent uniquement
pourchasser les intérêts privés locaux et non l’inverse138. C’est ce qui ressort de la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996 du Cameroun lorsqu’elle stipule que “’l’État veille au
développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales décentralisées (…)139.

134
CHAPUS René cité par MORAND-DEVILLER (Jacqueline.), Cours de droit administratif des biens op.cit.,
p.339.
135
AUBY (Jean Marie.) BON (Pierre.) AUBY (Jean Bernard.) Droit administratif des biens op.cit., p.171.
136
Article 147 du Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées
137
POUNTOUGNIGI YEYAP (Emmanuel.) La gestion du patrimoine communal, op.cit., p.28.
138
Les collectivités territoriales ne doivent pas jouer le rôle de l’État qui recherche les intérêts de tout le pays.
139
Article 55 alinéa 4 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 du Cameroun.

346
Enfin, l’encadrement des utilisations des biens du domaine privé des collectivités
territoriales permet de constater la restriction de ces derniers à la poursuite des gains
individuels locaux. Cet encadrement des modes d’utilisation des biens du domaine privé se
caractérise soit par l’autorisation unilatérale délivrée à un utilisateur par l’exécutif, soit encore
par le contrat établi entre l’administration locale et les particuliers. Ainsi l’encadrement est
une limite à quête du gain privé des collectivités territoriales. Cependant, si l’affectation des
biens du domaine privé des collectivités territoriales est confinée à la recherche de l’intérêt
privé local, cela sous-entend que ces biens minorent la recherche de l’intérêt général qui,
mérite d’être appréhendé.
Les biens140 du domaine privé des collectivités territoriales minorent la recherche de
l’intérêt général. Car, ils sont sortis du domaine public qui a la vocation de procurer l’intérêt
général des collectivités territoriales par le biais de l’affectation à l’usage direct du public, ou
au service public141. De nombreuses raisons permettent d’y voir cette minoration de la
recherche de l’intérêt général.
Pour des raisons économiques, on y voit la vente des biens du domaine privé des
collectivités territoriales renvoie à l’idée de réduction de l’intérêt général. En effet, la vente
des biens est relative à un débarras des biens du patrimoine des collectivités territoriales.
Ainsi, on ne saurait rechercher l’intérêt général en vendant les biens du domaine privé. Ces
biens qui pour certains auteurs à l’instar de Maurice HAURIOU, ont une « utilité
financière »142 parce qu’ils sont producteurs de revenus. Le débarras des biens productifs des
collectivités territoriales minore l’intérêt général desdites collectivités. On peut le voir dans
l’ouvrage intitulé la gestion du patrimoine communal qui souligne que « la commune peut
aliéner les parcelles de son domaine privé par vente de gré à gré ou par adjudication 143 ».
Dans un raisonnement à contrario, des collectivités territoriales qui dilapident leurs biens
productifs sacrifient l’intérêt général de la population et par ricochet minorent la quête de
l’intérêt général.
Toujours dans le même sillage, l’on aperçoit la minoration de l’intérêt général des biens
du domaine privé par des opérations de location. Ces opérations sont bien définies. Car, elles
identifient le type d’utilisation du domaine privé, la durée de l’utilisation et le régime
financier. Ces opérations de location ne permettent pas à tous les citoyens locaux ou
régionaux de bénéficier des biens de leur circonscription. Autrement dit, les opérations de
location des biens du domaine privé ne favorisent pas la recherche de l’intérêt général des
collectivités territoriales parce que les revenus de ces opérations seront au profit des
collectivités territoriales propriétaires et non des citoyens locaux.
Pour une raison non économique, on peut également justifier la minoration de l’intérêt
général par des usages privatifs des biens du domaine privé. Ces utilisateurs qui ont reçu des

140
Les biens en question sont les biens immeubles du domaine privé ; les biens meubles ne sont pas concernés
parce qu’ils connaissent la vétusté qui oblige les propriétaires à s’en débarrasser
141
Voir chapitre 1er de la première partie plus haut.
142
HAURIOU (Maurice.) cité par GILLE-LORENZI Emmanuelle, SEYDOU TRAORE, Droit administratif des
biens op.cit., p.130.
143
POUNTOUGNIGNI YEYAP Emmanuel, La gestion du patrimoine communal, op.cit. p.19.

347
autorisations d’occupation par les maires ou les présidents des régions peuvent être soit des
personnes physiques privées soit des personnes morales de droit privé. Ces personnes utilisent
les biens pour des intérêts individuels qui ne profitent pas en général à toute la communauté.
En cela, on peut voir la minoration de la recherche de l’intérêt général. L’affectation des biens
du domaine privé des collectivités territoriales ayant confinée la quête du gain privé local et
en même temps à la minoration du profit général des populations, évoque que soit analysé la
soumission des biens du domaine privé aux règles de droit privé.
Parler de la soumission des biens du domaine privé aux règles de droit privé revient à
mettre en avant la connaissance de ces règles. Dans cette logique, il sied de souligner que
celle-ci vise l’identification des règles applicables aux biens du domaine privé.
L’identification desdites règles se fait de deux façons : par exclusion des règles qui
n’entrent pas dans le droit privé, et par inclusion des règles qui entrent dans le droit privé.
Dans le cadre de notre étude nous allons adopter la celle par l’inclusion des règles de droit
privé. Ainsi, on y distingue plusieurs règles de droit privé qui sont applicables aux biens du
domaine privé des collectivités territoriales décentralisées. Parmi celles-ci, nous allons
identifier trois règles.
En premier lieu, il y a la règle d’aliénation. Cette règle de droit privé s’applique
également sur les biens des personnes publiques. Elle consiste à opérer des transferts de biens
ou des droits d’un propriétaire à un autre144. Cette règle très connue sur les propriétés des
personnes privées se trouve également appliquée sur des biens des personnes publiques et
particulièrement sur ceux de leur domaine privé. Pour ce qui est des biens du domaine privé
des collectivités territoriales, l’aliénation est régie par le code général des collectivités
territoriales décentralisées145.
En deuxième lieu, il y a la règle de l’expropriation. Cette règle consiste à déposséder les
propriétaires de leurs biens. L’expropriation, est une opération administrative par laquelle
l’administration locale oblige personnes privées à leur céder la propriété d’un ou des
immeubles dans un but estimé d’utilité publique146 elle se fait déjà aussi sur les biens du
domaine privé des personnes publiques147 et par extension à ceux des collectivités territoriales
décentralisées.
Enfin, il existe des règles de prescription des biens du domaine privé qui sont soumis au
droit privé et des règles de gestion. En effet, la majorité des règles copie au droit privé les
techniques de gestion des biens. C’est le cas de la délimitation qui se fait par la procédure de
bornage148. De même, les servitudes sont applicables sur les biens du domaine privé comme
sur ceux des particuliers. Ce qui permet de constater la soumission des biens du domaine
privé aux règles de droit privé. Cependant, l’identification des règles de droit privé ayant été
faite, il convient d’examiner la désignation du juge judiciaire comme juge de droit privé.

144
Dictionnaire LAROUSSE Maxi poche 2017, p.37. L’aliénation peut se faire soit par la vente, soit par les dons.
145
Article 60 alinéa 1 du Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées du Cameroun.
146
GAUDEMET (Yves.) Droit administratif des biens, op.cit. p.402.
147
MORAND-DEVILLER (Jacqueline.) Cours de droit administratif des biens op.cit., p.337.
148
Idem

348
2- Le partage inégalitaire de compétence en faveur du juge judiciaire
Le domaine privé des collectivités territoriales, constitué des biens aux exclus de la
sphère de la domanialité publique, est soumis à un régime juridique mixte. Le droit
administratif et la compétence du juge administratif coexistent avec le droit privé et la
compétence du juge judiciaire. Cette mixité semble complexe. Car, elle s’illustre par des
analyses qui revêtent le partage inégalitaire de compétence en faveur du juge judiciaire. À cet
effet, l’étude relative à ce partage de compétence sur les biens du domaine privé conduit à
s’intéresser d’une part, à la limitation de la compétence du juge administratif aux actes
détachables, et d’autre part à l’extension de la compétence du juge judiciaire.
Relativement à la limitation de la compétence du juge administratif aux actes
détachables, l’acte détachable est un acte complexe. Car, il est formé de nombreux actes
afférents. Dans le lexique des termes juridiques, Serge GUINCHARD et Thierry DEBARD
soulignent que « l’acte détachable est un acte administratif complexe constitué d’une mesure
principale et d’actes connexes, ceux de ses actes que le juge administratif accepte de
soumettre à un régime contentieux distinct de celui appliqué à la mesure principale 149 ». Par
cette définition, il ressort de cela que l’acte détachable est un acte que le juge administratif
exclut de la compétence du droit privé. Cet acte semble ambigu à l’administration des
collectivités territoriales. Car relativement aux biens des collectivités territoriales, la notion
d’acte détachable englobe à la fois les actes réglementaires et les actes individuels.
Certains autres à l’instar du professeur Norbert FOULQUIER150, l’acte détachable est
un acte réglementaire ou un acte individuel de l’administration relatif à l’utilisation des biens
du domaine privé. Ainsi, selon lui, tous les actes réglementaires concernant l’utilisation des
biens du domaine privé sont des actes administratifs et par conséquent de la juridiction
administrative151. Car, ces actes sont constamment incrustés de puissance publique. De même
pour les actes individuels tels les décisions prises par l’administration de la collectivité
territoriale soient pour une déclaration, soit pour un rejet d’offre sur les biens du domaine
privé.
Dans le champ des biens du domaine privé des Collectivités Territoriales, la notion
d’acte détachable doit être entendue comme l’acte de décision que l’administration a décidé
comme tels et dont il relève de la compétence du juge administratif. Cet acte peut être soit une
décision, soit un acte réglementaire de l’administration locale ou régionale. Après une
tentative de définition de la notion d’acte détachable, il est temps d’identifier les différents
actes détachables.
Par identification, on entend la connaissance des actes qui peuvent être détachés par le
juge administratif du droit commun. Les actes détachables peuvent être de deux catégories :
les actes réglementaires et les décisions individuels.

149
GUINCHARD (Serge.) et DEBARD (Thierry.) Lexique des termes juridiques, 20e éd op.cit., p.20.
150
FOULQUIER Norbert, Droit administratif des biens op.cit., p.124.
151
Idem

349
Concernant les actes réglementaires, on peut citer invariablement les règlements fixant
le montant des loyers pour certaines catégories d’immeubles du domaine privé152, les
règlements de police relatifs à la circulation sur les chemins locaux ou régionaux 153 et les
règlements fixant les conditions de chasse dans les forêts communales154.
Quant à des décisions individuelles, on peut à ce niveau évoquer155 les décisions de
passer des contrats d’acquisitions d’immeubles, les décisions relatives aux demandes de
coupe de bois communale lesquelles relatives au service public de mise en valeur des forets
communale, les décisions relatives à l’aliénation et à la gestion des chemins communaux.
Dans la même logique, il faut les décisions de vendre les immeubles du domaine privé locaux
ou régionaux, les décisions d’entreprendre des travaux sur une cour indivise entre le domaine
communal et le particulier ainsi que les décisions de refus de vente des terrains.
Ainsi achevé, la limitation de la compétence du juge administratif aux actes
détachables, il est important à présent d’examiner l’extension de la compétence du juge
judiciaire.
En matière de biens du domaine privé des collectivités territoriales, le juge judiciaire, à
la différence du juge administratif bénéficie d’une compétence assez étendue. Cette extension
relève de son originalité. En effet, le juge judiciaire peut connaitre un champ assez vaste de
certains aspects du contentieux des biens du domaine privé156. La raison en est que le
contentieux porte sur des questions qui concerne au droit de propriété sous plusieurs
aspects157. À cet effet, pour justifier l’extension de la compétence du juge judiciaire, il sied
dans un premier temps de l’appréhender dans le contentieux des biens du domaine privé dans
un premier temps et dans un second temps l’appréhender dans le contentieux de gestion des
biens du domaine privé.
Dans le contentieux des biens du domaine privé des Collectivités Territoriales, la
compétence du juge judiciaire se trouve à plusieurs niveaux. Parmi les plus emblématiques,
on peut en dénombrer quatre qui justifient cette extension du pouvoir judiciaire.
En premier lieu, le juge judiciaire est compétent pour connaitre de la fixation de
l’indemnité due au domaine privé des personnes publiques, ainsi que ceux des particuliers158.
Car, comme nous l’avons rappelé plus haut, les collectivités territoriales gèrent leur domaine
privé comme les personnes ordinaires.
En deuxième lieu, la compétence du juge judiciaire est reconnue dans le cas de la voie
de fait. Cette dernière peut être constituée dans deux hypothèses 159. Dans la première,

152
MORAND-DEVILLER (Jacqueline.) Cours de droit administratif des biens op.cit., p.340.
153
Idem
154
Ibid.
155
GAUDEMET (Yves.), Droit administratif des biens, op.cit. p.388. V. MORAND-DEVILLER (Jacqueline.)
Droit administratif des biens, op.cit., p.341.
156
GILLET-LORENZI Emmanuelle et SEYDOU TRAORE, droit administratif des biens op.cit., p.196.
157
GAUDEMET (Yves.) Traité de Droit administratif des biens, op.cit. p.384.
158
ROUAULT (Marie Christine.), L’essentiel du droit administratif général, 13e éd, Paris, Gualino, 2015-2016,
p.118.
159
On lira utilement la décision tribunal des conflits du 17 juin 2013 BERGOEND C/Société ERDF.

350
l’administration peut s’accorder à procéder à l’exécution forcée dans les conditions
irrégulières d’une décision, même régulière qui s’achève par l’extension d’un droit de
propriété. Dans la deuxième, l’administration peut rendre un verdict qui produit les mêmes
effets d’atteinte à l’extinction d’un droit de propriété et qui manifestement est insusceptible
d’être rattaché à un pouvoir appartenant à une autorité administrative.
En outre, le juge judiciaire est compétent pour connaitre le cas de l’emprise
irrégulière160. Par définition, l’emprise est » le fait de l’administration de déposséder un
particulier d’un bien immobilier légalement ou illégalement à titre temporaire ou définitif à
son profit ou au profit d’un tiers161 » celle-ci est une atteinte irrégulière portée à un droit réel
immobilier. Il s’agit d’une véritable privation de jouissance du propriétaire de son immeuble.
Cependant, par extension aux biens immobiliers du domaine privé des collectivités
territoriales, l’emprise irrégulière est le fait qu’une collectivité territoriale maintienne une
main mise sur la propriété privée d’une autre collectivité territoriale.
Enfin, le juge judiciaire est compétent pour connaitre de la fixation de la valeur des
immeubles162 préemptés par l’administration. Cette administration peut être celle des autres
personnes publiques étrangères à celle qui est propriétaire de l’immeuble concerné. En dehors
de la compétence du juge judiciaire dans le contentieux des biens du domaine, sa compétence
est également reconnue dans le contentieux de gestion des biens du domaine privé desdites
collectivités territoriales décentralisées.
Concernant, le contentieux de gestion des biens du domaine privé, le juge judiciaire est
compétent.
Le plein contentieux est relatif aux litiges contractuels ou quasi contractuels liés à la
gestion du domaine privé163. Ainsi, le juge judiciaire est par excellence le juge compétent. À
cet effet, il connait les traités de vente des biens du domaine privé des collectivités
territoriales. Pour le prouver, le professeur Yves GAUDEMET souligne que, « la vente par
une commune d’un immeuble faisant partie de son domaine privé est un contrat de droit
privé164 » et par ricochet ce contrat est de la compétence du juge judiciaire. De manière
implicite, le juge administratif est incompétent pour connaitre d’un tel contrat de droit privé et
plus encore, celui d’un recours contre une délibération du conseil municipal165 ou régional
approuvant l’expulsion des occupants sans titre du domaine privé.
Dans le même ordre d’idées, la compétence du juge judiciaire est reconnue dans des
litiges de dommages relatifs à la gestion du domaine privé des collectivités territoriales. En
effet, lorsque les décisions injustes causent des dommages tels que les dissensions de
voisinage ou de glissement provenant du domaine privé de la commune il revient au juge
judiciaire de se prononcer sur de tels litiges. C’est ce qui ressort de l’ouvrage de Yves

160
ROUAULT (Marie Christine.), L’essentiel du droit administratif général op.cit., p.120.
161
GUICHARD (S) DEBARD (T), Lexique des termes juridiques, op.cit., p.244.
162
Idem
163
GAUDEMET (Yves.) Traité de Droit administratif des biens op. cit. p.384.
164
Ibid.
165
Ibidem.

351
GAUDEMET166 qui relève que, « le dommage causé par une décision illégale ayant pour
objet de trouble de voisinage causant un préjudice en provenance du domaine privé
communal » est de la compétence du juge judiciaire.
Pour ce qui est du contentieux de l’annulation, le juge judiciaire est également
compétent pour connaitre de ce litige. L’annulation ici concerne celle des actes de gestion ou
de préservation des biens du domaine privé des collectivités territoriales. À cet effet, comme
ces actes relèvent du domaine privé, la compétence est reconnue au juge judiciaire sauf si la
loi s’y oppose. Tel est la pensée du Professeur Yves GAUDEMET qui affirme que « la
compétence du juge judiciaire s’étend également en principe au contentieux de l’annulation
des décisions administratives organisant la gestion et la préservation du domaine
privé167 ».Les décisions administratives annulables sont, par exemple les décisions des
personnes publiques qui interdisent les particuliers d’ouvrir un passage entre son immeuble et
celui contigu du domaine privé des communes168. De même, il revient au juge judiciaire de
connaitre des décisions qui mettent un terme à des occupations du domaine privé des
communes169 ou à des expulsions des occupants illégaux du domaine privé des personnes
publiques en général et des collectivités territoriales en particulier. Il y a aussi des
délibérations des conseils municipaux ou régionaux octroyant des baux sur le domaine privé
des personnes publiques.

CONCLUSION

Au Cameroun, la décentralisation apparait comme la politique publique la plus en vue.


Le constituant camerounais, après avoir créé les collectivités Territoriales décentralisées, leur
a octroyé trois missions à savoir la démocratie, la bonne gouvernance, et la promotion du
développement local. Il semble que ces missions auront des difficultés à être atteint si les
collectivités locales ne disposent pas de biens. Ces dernières, par les liens d’appartenances à
des personnes morales de droits publics sont qualifiées de biens. L’analyse des biens publics
de ces collectivités Territoriales Décentralisés a permis de constater que ceux-ci ne sont pas
une pure vue de l’esprit.
En effet, il existe une législation camerounaise qui traite des biens publics des entités
locales. Au-delà de l’ordonnance n° 74-2 du 06 juillet 1974, la loi n° 2019/024 du
24 décembre 2019 portant Code général des Collectivités Territoriales Décentralisées pose
des bases sur le mode de gestion des biens et leurs caractéristiques.
En clair, les biens se caractérisent par la dualité : la dualité du régime juridique, et la
dualité du régime contentieux.
En ce qui concerne la dualité du régime juridique, il ressort de cette étude que celle-ci se
justifie par l’affectation des biens du domaine public et de l’usage des biens du domaine
privé. Ce qui permet de retenir que, les biens des entités locales sont constitués des biens du

166
Ibid
167
GAUDEMET (Yves.) Traité de Droit administratif des biens op.cit. p.386.
168
Idem
169
CE, 19 octobre 1990, cité par GAUDEMET (Yves.), Traité de droit administratif des biens, op.cit., p.386.

352
domaine public et de ceux du domaine privé. Ils sont à cet effet un facteur favorable au
développement local.
Quant à la dualité du régime contentieux, le législateur camerounais s’inspirant des
textes internationaux a donné à chaque ordre de juridiction un domaine bien précis. Ainsi les
biens du domaine public sont soumis à un régime contentieux hybride, par conséquent les
biens du domaine public administratif et par conséquent relèvent de la compétence du juge
administratif les biens du domaine public. Par ailleurs, les biens du domaine privé quant à eux
sont soumis au contentieux de droit privé et de la compétence du juge judiciaire. Cependant
cela ne doit pas nous faire perdre de vue les dérogations de ces principes. Car le législateur
camerounais a prescrit certains contentieux des biens du domaine public au juge judiciaire. De
même, certains litiges du domaine privé sont sous la compétence du juge administratif. De ce
fait, cela nous a permis de relever le rapprochement des deux ordres de juridiction sur les
litiges concernant les biens des Collectivités Territoriales Décentralisées.
Tout compte fait, pour parvenir à un développement local accéléré, l’État camerounais
devrait davantage encourager la politique de la décentralisation, et davantage sensibiliser les
collectivités Territoriales Décentralisées à plus de connaissances sur leurs biens. Bien plus, la
décentralisation devrait à cet effet, être effective, car le retard de cette effectivité pourrait
générer de nombreux conflits qui peuvent conduire à des demandes de fédéralisme.

353
LA DISTINCTION ENTRE L’AUTORISATION D’ENGAGEMENT ET LE CREDIT
DE PAIEMENT EN DROIT PUBLIC FINANCIER CAMEROUNAIS

Par

Martial BILE
Doctorant en Droit Public Interne/FSJP
Université de Douala (Cameroun).

Résumé
L’option pour le critère formel suffisamment considéré comme pertinent décline l’attractivité du
critère matériel pour distinguer l’autorisation d’engagement du crédit de paiement. C’est en
privilégiant les acteurs et les procédures d’exécution administrative et comptable des crédits
budgétaires que l’on parvient à consolider et approfondir la distinction formelle opérée de manière
lacunaire par le législateur agissant en matière financière. La consolidation de l’indépendance
organique et la préservation de la spécialisation fonctionnelle sont mobilisées afin de ne pas s’égarer
dans l’aspect matériel et dans l’ambiguïté tenue et entretenue par le législateur. Donnant cours au
processus budgétaire, aux crédits limitatifs, aux crédits évaluatifs, au maniement des principes
budgétaires et à l’exécution des crédits budgétaires, l’étude est digne de pertinence. En optant pour le
critère formel, les idées développées au moyen de la méthode juridique ont tour à tour mis en exergue
la spécification organique et la différenciation procédurale.
Mots-clés : autorisation d’engagement-crédit de paiement-principes budgétaires-exécution du
budget-critère formel.

INTRODUCTION

Si l’on s’en tient à la stricte procédure budgétaire, le vote du budget apparait


simplement comme le produit d’un débat clairement énoncé dans les textes entre les différents
acteurs financiers, le Gouvernement et le Parlement notamment. Une fois de vote effectuée,
les dispositions de la loi de finances sont mises en œuvre par le Gouvernement et
l’Administration en conformité aux autorisation délivrées par le Parlement. Le fait qu’il soit
« le pouvoir le plus ancien, le moins contestable, apparemment le mieux préservé… » 1
« désigne le domaine réservé » 2 . Le Parlement pourvoie par ce fait, au « déboulement
systématique de l’autorisation parlementaire en matière de dépenses » 3 dont la distinction
entre l’autorisation d’engagement et le crédit de paiement mérite une attention particulière du
fait de « l’ambiguïté théorique »4.


Mode de citation : Martial BILE, « La distinction entre l’autorisation d’engagement et le crédit de paiement en
droit public financier camerounais », Revue RRC, n° 042 / Février 2024, p. 355-377.
1
R. HERTZOG., « Les pouvoirs financiers du parlement », RDP n°1/2, 2002, p. 301.
2
Ph LAMY « Article 35 » in J.-P CAMBY (dir), La réforme du budget de l’État. La loi organique relative aux
lois de finances, 2ème éd., Paris, L.G.D.J, 2004p.242.
3
M. BERMOND., « Article 8 » in J.-P CAMBY (dir)., La réforme du budget de l’État. La loi organique relative
aux lois de finances, 2ème éd., Paris, L.G.D.J, 2005 p.68.
4
V. DUSSART., L’autonomie financière des pouvoirs publics constitutionnels, Paris, CNRS, 2000 p.15.

355
Formellement, « les autorisations d’engagement constituent la limite supérieure des
dépenses pouvant être engagées au cours d’un exercice budgétaire et dont le paiement peut
s’étendre, le cas échéant, sur une période de plusieurs années » 5 . D’entrée de jeu, les
autorisations d’engagement encadrent l’engagement de la dépense budgétaire. L’engagement
est l’initiation de l’exécution de la dépense publique en droit budgétaire. On distingue
l’engagement juridique de l’engagement comptable. « L’engagement est l’acte par lequel
l’ordonnateur, de façon exclusive, crée par un acte formalisé, ou constate, à l’encontre de
l’État, une obligation de laquelle résulte une charge »6. Cette définition était déjà consacrée en
20137 et l’énoncé de la notion d’engagement en 20078. Il s’agit de l’initiation de la charge
budgétaire à l’endroit de l’organisme public au moyen d’un acte juridique relevant de la
compétence exclusive de l’ordonnateur. C’est le fait générateur de la dépense publique lequel
repose sur un moyen passif c’est-à-dire constater l’obligation financière ou un moyen actif
c’est-à-dire créer l’obligation financière à charge à l’organisme public. « c’est le fait
générateur de la dépense, l’acte juridique qui rend l’État débiteur » 9 . L’engagement
budgétaire de la dépense publique consiste à réserver des crédits qui seront nécessaires au
paiement de la dépense. L’autorisation d’engagement est donc la spécialisation des crédits
budgétaires destinés à couvrir les dépenses publiques initiées par l’ordonnateur tant pour
l’État que pour les autres organismes publics. C’est le plafonnement des dépenses budgétaires
à initier par l’ordonnateur à l’endroit de l’organisme public. Et « les crédits de paiement
constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être payées pendant l’année pour la
couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations d’engagement »10. En
l’espèce c’est le plafonnement de l’acquittement de la charge budgétaire contracté dans le
cadre de l’engagement juridique par le comptable public. Concrètement, ils « ont vocation à
encadrer la réalisation des phases ultérieures de la dépense jusqu’à la phase qui est le
paiement par un comptable public » 11 . Dès lors, « le souci d’identification claire et sans
équivoque des comptables publics »12 s’impose. Chaque catégorie de crédit sert à encadrer
deux réalités différentes : l’engagement de l’État vis-à-vis des tiers d’une part et, d’autre part
« la trésorerie » des ministères qui sert à assurer leurs paiements. Par ailleurs, le régime
représentatif est mobilisé pour la distinction.
La distinction entre l’autorisation d’engagement et le crédit de paiement renoue avec le
caractère législatif de l’acte budgétaire et implique comme conséquence nécessaire l’existence
d’un régime représentatif. Du fait de la démocratie représentative par opposition à la

5
Article 34 alinéa 2 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres
entités publiques.
6
Article 62 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 portant règlement général de la comptabilité
publique.
7
Article 66 alinéa 1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 portant Règlement général de la comptabilité
publique.
8
Article 47 alinéa 1 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’État.
9
E.-C LEKENE DONFACK., Finances publiques camerounaises Paris, Berger Levrault, série « Travaux de
recherche de l’Université de Yaoundé (Tome V), 1987, p.236.
10
Article 34 alinéa 3 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
11
M. BERMOND., « Commentaire de l’article 8 » op.cit., p.68.
12
B. GOUDEM LAMENE., « Les comptables publics dans le nouveau régime financier de l’État au Cameroun »
in M. ONDOA (dir)., L’administration publique camerounaise à l’heure des réformes, Yaoundé, L’Harmattan,
2010 p.281.

356
démocratie directe, la dualité des autorisations budgétaires est le fait des bénéficiaires de la
souveraineté nationale. Les parlementaires bénéficient de la dévolution au moyen des
élections et limitativement de la nomination par les détenteurs du pouvoir originaire dans
l’État. « La désignation des représentants par le peuple au sein de l’État intègre cette
conception » 13 . Le budget relève donc de la compétence exclusive du législateur, sauf
exceptions prévues par la Constitution. Le droit positif reste fidèle aux principes du droit
public. En ce sens, « l’autorisation budgétaire est donc un acte de nature législative »14 prévue
pour spécialiser l’exécution des dépenses publiques. Ces autorisations budgétaires sont
également le berceau de la pluri annualité.
Les autorisations d’engagement sont le support naturel de la pluri annualité. Cela
s’explique par le fait que l’engagement de l’État qui se traduit au plan budgétaire par la
consommation des crédits budgétaires n’implique pas que l’intégralité des paiements soit
effectuée la même année. Formellement, « le paiement peut s’étendre, le cas échéant, sur une
période de plusieurs années »15. Cependant, la dimension pluriannuelle des choix budgétaires
ne peut se manifester pleinement que si les autorisations d’engagement déterminent les crédits
de paiement ouverts les années suivantes, en établissant avec eux un lien juridique fort.
Du fait d’« une portée juridique limitée »16, l’autorisation d’engagement et les crédits de
paiement renouent avec la fongibilité des crédits et la régulation budgétaire. En effet, la
fongibilité des crédits est un moyen d’application et de passage de la gestion axée sur les
moyens à la gestion axée sur les résultats. Elle induit une liberté non négligeable du
gestionnaire des crédits. « Par cette fongibilité, la responsabilisation des acteurs est accrue »17.
Il s’agit en principe du contraire de la spécialisation des crédits qui consiste à détailler
l’autorisation budgétaire afin que chaque crédit ait une affectation définitive. La fongibilité
des crédits est un objet juridique identifié en droit public financier fait référence au «
caractéristique de crédits dont l’affectation, dans le cadre du programme, n’est pas
prédéterminée de manière rigide, mais simplement prévisionnelle. La fongibilité laisse donc
la faculté de définir (sous la limite de l’asymétrie) l’objet et la nature des dépenses dans le
cadre du programme pour en optimiser la mise en œuvre »18. En s’appuyant sur la législation
de 2018 sur le régime financier de l’État et des autres entités publiques et plus précisément en
son article 38, la fongibilité recoupe trois modalités : « les virements et transferts de crédits et
à l’article 41 les reports de crédits » 19 . L’on doit y comprendre « le maniement de la
destination des crédits redéployés »20. Sur cette précision, les opérations à enclencher pour la

13
L.-P. GUESSELE ISSEME., « La participation politique des citoyens dans les États africains », RADP, vol X,
n°24, supplément, 2021, p.10.
14
M. BOUVIER., M.-C ESCLASSAN., J.-P LASSALE., Finances publiques, 10ème éd., Paris, L.G.D.J, 2010
p.281.
15
Article 34 alinéa 2 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres
entités publiques.
16
E. DEVAUX., Finances publiques, Paris, Bréal, 2002 p.191.
17
E.-P NTSEGUE ANANGA., « La fongibilité des crédits en droit public financier camerounais », RAFiP n°8 –
2ème semestre 2020 p.257.
18
R. MUZELLEC., Finances publiques, Paris, Sirey, 15eéd., 2009, p. 657.
19
E.-P NTSEGUE ANANGA., « La fongibilité des crédits en droit public financier camerounais », op.cit.,
p.255.
20
A.-N BASAHAG., « Les virements des crédits budgétaires dans le financement des organismes publics des
États de la CEMAC », RAFiP Numéro 9 Premier semestre 2021p.145.

357
fongibilité divergent de la mécanique des collectifs budgétaires. Or, la régulation budgétaire
« consiste pour le gouvernement, et en premier lieu le ministre chargé des Finance (…) à
maitriser au cours de l’exécution du budget, sinon les recettes, dont la variation est liée à des
facteurs économiques externes, du moins l’évolution de la dépense, afin de ne pas dégrader le
solde établi en loi de finance, et donc de se conformer au vote émis par le parlement »21. Cela
s’explique par l’orientation imposée par la régulation budgétaire. Celle-ci est la résultante des
circonstances, des facteurs endogènes et exogènes qui affectent la stabilité des ressources
publiques et l’évolution des dépenses publiques en cours d’exercice. D’entrée de jeu, le droit
budgétaire consacre une diversité de principes notamment « les principes relatifs à la
présentation des budgets publics »22, « les principes budgétaires relatifs aux rapports entre les
pouvoirs publics » 23 . Pour une certaine doctrine, « la régulation porte atteinte au principe
d'annualité budgétaire car elle relève du pouvoir règlementaire et s'exerce souvent avec
opacité » 24 . Cette position doctrinale demeurée lacunaire ne semble pas tenir compte de
l’orientation de la régulation budgétaire. Il est question de se loger dans l’équilibre budgétaire
confronté à la maitrise des déficits publics et à la dette publique et « d’honorer à moyen terme
aux obligations financières prévues et survenues »25 . Car, « le constituant a ainsi souhaité
accorder une valeur particulière à l’équilibre des finances publiques »26. L’on perçoit alors la
pertinence de la réflexion.
La distinction entre l’autorisation d’engagement et le crédit de paiement dénote des
intérêts théorique et pratiques incontestables. Elle permet de passer le processus de
préparation, d’adoption et d’exécution du budget de l’État. Elle met en œuvre la répartition
des compétences entre le Parlement et l’exécutif en matière des autorisations budgétaires.
C’est exclusivement le Parlement qui pourvoie aux autorisations budgétaires et l’exécutif qui
confronté aux contingences financières en apporte une relativisation. « La question du
traitement budgétaire de l’urgence et du respect des prérogatives du Parlement reste
ouverte »27. Toutefois, « le budget pose une limite à la liberté financière des gouvernants et
des administrateurs. Cette limite perdrait toute signification si elle n’était pas respectée »28.
L’occasion est donnée de mettre en œuvre la fongibilité des crédits, la régulation budgétaire,
les crédits limitatifs et les crédits évaluatifs. Par ailleurs des principes budgétaires sont mis en
œuvre en l’occurrence l’annualité, la pluriannualité, la spécialité et la séparation des fonctions
d’ordonnateur et de comptable public. Cela vaut également pour la modification de la
nomenclature budgétaire et l’extension de la présence du Parlement lors du débat
d’orientation budgétaire.
Le cadre juridique s’est contenté de distinguer formellement l’autorisation
d’engagement des crédits de paiement. Dès lors quel est le critère de distinction de

21
C. WALINE., P. DEROUSSEAUX., S. GODEFROY (s.dir), Le budget de l’État, nouvelles règles, nouvelles
pratiques, Paris, La Documentation française, 2006, p.118-119.
22
W. GILLES., Les principes budgétaires et comptables publics, Paris, L.G.D.J, 2009 p.33.
23
Idem, p.1.
24
R. CABRILLAC (s.dir), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 1ère éd., Paris, Lites, 2002 p.234.
25
A.-J NGAYA., « La soutenabilité budgétaire dans les États membres de la CEMAC », RAFiP n°11, premier
semestre 2022, p.33.
26
W. GILLES., Les principes budgétaires et comptables publics, op.cit., p.119.
27
A. FOURMONT., « Un retour en grâce des décrets d’avance ? », GFP 2019/2 n° 2, p.15.
28
M. DUVERGER., Finances publiques, 7ème éd., mise à jour op.cit., p.311.

358
l’autorisation d’engagement du crédit de paiement en droit public financier camerounais ?
Au moyen de la méthode juridique laquelle est articulée autour de l’interprétation des textes et
du commentaire des décisions de justice, l’idée générale qui oriente cette réflexion est celle du
critère formel. Ce dernier fait allusion aux organes, acteurs et aux procédures. Le maniement
de l’autorisation d’engagement et des crédits de paiement est le fait de deux acteurs
spécifiques et ce, suivant une procédure adaptée à l’autorisation budgétaire en cause. L’on
convient alors à la spécification organique d’une part (I) et la différenciation procédurale
d’autre part (II).

I. LA SPECIFICATION ORGANIQUE

Le critère formel mobilise les organes, les acteurs. En s’appuyant sur cette clarification
théorique, la mobilisation des acteurs permet de révéler une différenciation dans l’exécution
des crédits budgétaires. L’exécution administrative et comptable de l’autorisation
d’engagement et du crédit de paiement mobilise l’ordonnateur et le comptable. Ces acteurs
ont en l’espèce un domaine de compétence distinct lequel est accentué par une indépendance
organique. Les dépenses budgétaires sont exécutées par l’ordonnateur et le comptable public
dans le cadre de l’autorisation d’engagement et du crédit de paiement.
« En matière de dépenses, il existe trois catégories d’ordonnateurs :- les ordonnateurs
principaux, les ordonnateurs secondaires, les ordonnateurs délégués »29. « Est ordonnateur,
toute personne ayant la qualité au nom de l’État de prescrire l’exécution des recettes et des
dépenses inscrites au budget de l’État »30. En outre, « Est comptable public tout agent public
régulièrement habilité à effectuer, à titre exclusif er au nom de l’Etat ou des autres entités
publiques, des opérations de recettes, de dépenses ou de maniement de titre, soit au moyen
des fonds et valeurs dont il a la garde, soit en virement interne d’écritures, soit par
l’intermédiaire d’autres comptables »31 . « Les différentes catégories de comptables publics
sont :- les comptables en deniers et valeurs ;- les comptables d’ordre »32. « Il est interdit à
toute personne non pourvue d’un titre légal ou réglementaire d’exercer des fonctions
d’ordonnateur ou de comptable public, sous peine de poursuites par la loi »33. « Le titre légal
résulte de la nomination et de l’accréditation d’un ordonnateur ou d’un comptable public
conformément aux lois et règlements »34. Ces dispositions permettent de mieux identifier les
acteurs clés du processus d’exécution de l’autorisation d’engagement et du crédit de paiement.
Le profil de chacun acteur ne se présume pas sous peine de faire l’objet de poursuite
judiciaire. Ainsi la filiation entre l’autorisation d’engagement et la qualité de l’ordonnateur est
difficilement contestable (A). En outre la qualité de comptable public l’affilie au crédit de
paiement (B). Ces déclinaisons articulent à suffisance l’indépendance des autorités et
l’incompatibilité des fonctions entre celles-ci.

29
Article 66 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
30
Article 65 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
31
Article 5 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
32
Article 6 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
33
Article 8 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
34
Article 8 alinéa 2 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.

359
A. La filiation entre l’autorisation d’engagement et la qualité de l’ordonnateur

Du fait de l’indépendance entre les autorités en charge de l’exécution des crédits


budgétaires et des incompatibilités de fonction, il est établi des rattachements directs entre la
nature dudit crédit budgétaire et son destinataire. L’autorisation d’engagement et le crédit de
paiement ont tour à tour un cadre organique spécifique. Spécifiquement, l’autorisation
d’engagement affilie à la qualité d’ordonnateur et non de comptable public. C’est une filiation
suffisamment adaptée à la qualité de son destinataire. L’on fait référence aux « systèmes de
gestion des dépenses publiques incluant la dimension institutionnelle »35. La filiation révélée
repose sur l’unité du titre formel d’ordonnateur (1) et la diversité de qualité d’ordonnateur (2).

1. La filiation révélée de l’adaptation à la qualité d’ordonnateur


En droit positif, la qualité d’ordonnateur de la dépense publique ne se présume pas.
L’autorisation d’engagement renoue incontestablement avec la qualité d’ordonnateur. En ce
sens, la qualité d’ordonnateur renoue avec le formalisme et la désignation formelle de
l’autorité administrative habilitée. Et cela constitue l’unité de mesure de « la régularité des
dépenses »36. En effet en vertu de la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable,
seul l’ordonnateur est habilité à initier ou plus exactement à engager la dépense publique. Il a
la compétence d’initier la première étape d’exécution de la dépense publique. L’autorisation
d’engagement encadre l’engagement mis à la charge de l’ordonnateur.
« Est ordonnateur, toute personne ayant la qualité au nom de l’État de prescrire
l’exécution des recettes et des dépenses publiques inscrites au budget de l’État, ou des entités
concernées »37. « Il est interdit à toute personne non pourvue d’un titre légal ou réglementaire
d’exercer les fonctions d’ordonnateur ou de comptable public, sous peine de sanctions
prévues par la loi »38. « Le titre légal résulte de l’accréditation pour l’ordonnateur et de la
nomination pour le comptable public, conformément aux lois et règlements en vigueur »39.
L’acquisition de la qualité d’ordonnateur prépose le fonctionnaire ou l’agent relevant du
Code du travail à agir au nom de l’État pour les opérations budgétaires. L’acquisition de cette
qualité émane d’un titre légal ou réglementaire. Le titre réglementaire est le fait des actes
juridiques édictés par le pouvoir exécutif afin de favoriser l’exécution de la dépense publique.
Au sein de l’administration centrale, des acteurs clés sont mobilisés afin de produire le titre et
partant la qualité de l’ordonnateur.
En l’absence d’un titre légal ou réglementaire, toute personne qui s’immisce dans la
procédure d’exécution de la dépense publique est préposée aux sanctions prévues par la loi.
Le cadre juridique proscrit formellement l’exercice des fonctions d’ordonnateur sans titre
formel de la part de l’auteur. Du fait de cette proscription, l’ordonnateur a recouru à une

35
M. LAURENT., « Les réformes budgétaires vues par les institutions internationales », in Bouvier M. (dir.),
Réformes des finances publiques : la conduite du changement, op.cit., p. 116.
36
R. MUZELEC., « Un exemple de contrôle parlementaire a posteriori : la loi de règlement », in Revue de
science financière, 1973, p.28.
37
Article 4 alinéa 1 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
38
Article 8 alinéa 1 du décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
39
Article 8 alinéa 2 du décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.

360
technique précise pour dissuader certaines dérives. En consacrant des sanctions diverses,
« non seulement légitime, mais indispensable »40, le législateur entend préserver l’authenticité
de la qualité d’ordonnateur. « Nonobstant les dispositions de l’article 14 ci-dessus, tout
ordonnateur encourt une responsabilité qui peut être disciplinaire, pénale, civile »41. En se
référant à la catégorisation effectuée par le pouvoir règlementaire, l’on distingue la faute
professionnelle et extra professionnelle. La faute professionnelle est notamment un
manquement par action, inaction ou négligence, aux devoirs et obligations auxquels est
assujetti le fonctionnaire » 42 . « La faute extra-professionnelle résulte notamment d’un
manquement, d’une attitude ou d’un comportement qui met en cause l’éthique et la
déontologie professionnelles ou est de nature à porter atteinte à la moralité publique ou à
l’honorabilité de la fonction publique »43. Lorsqu’il a présomption de faute, l’Administration
peut prendre des mesures conservatoires à l’encontre du fonctionnaire en cause 44 . Le
fonctionnaire qui s’immisce sans titre légal ou réglementaire en matière d’engagement de la
dépense publique commet une faute professionnelle et celle-ci est susceptible d’être
sanctionnée par le conseil de discipline. Les sanctions disciplinaires susceptibles d’être
infligées au fonctionnaire sont reparties en quatre groupes. Dans le premier groupe figurent
l’avertissement écrit, le blâme avec inscription au dossier45. Dans le second groupe figurent le
retard à l’avancement pour une durée d’un an ; l’abaissement d’un ou de deux (2) échelons au
plus 46 . Dans le troisième groupe figurent l’abaissement de classe, l’abaissement de grade,
l’exclusion temporaire du service pour une durée n’excédant pas six (6) mois 47 . Dans le
dernier groupe figure la révocation48. La révocation est la sanction disciplinaire la plus grave
et la plus élevée à infliger à un fonctionnaire en cas de manquement aux règles et obligations
professionnelles. L’occasion est donnée de rappeler que la révocation est une infraction et de
ce fait, elle punit par la loi pénale49. En outre toute sanction disciplinaire doit être motivée, à
peine de nullité absolue. Elle est obligatoirement versée au dossier personnel du fonctionnaire
qui est frappé50. Une même faute disciplinaire ne peut être sanctionnée plus d’une fois 51. la
procédure disciplinaire est encadrée par des règles juridiques notamment l’observation des
droits de la défense 52 , la régularité de la composition du conseil de discipline 53 , la

40
J. DABIN, « Droit de classe et droit commun. Quelques réflexions critiques », in Mélanges É. Lambert, t. 3,
Sirey LGDJ, 1938, p. 66.
41
Article 15 alinéa 2 du décret n°2020/375 op.cit.,
42
Article 93 alinéa 2 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
43
Article 93 alinéa 3 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
44
Article 93 alinéa 4 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
45
Article 94 alinéa 1 a du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
46
Article 94 alinéa 1b du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
47
Article 94 alinéa 1 c du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
48
Article 94 alinéa 1 d du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
49
Article 64 de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal du Cameroun.
50
Article 95 alinéa 1 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
51
Article 95 alinéa 2 du Décret n°94/199 du 07 octobre 1994 op.cit.
52
CCA, arrêt n°266 du 27 novembre 1953, Bama Jacques c/ Administration du Territoire
53
CCA, arrêt n°678 du 27 décembre 1957, Ndjock Paul c/ Etat du Cameroun ; CFJ/AP, arrêt n°14 du 19 mars
1969, Moukoko James Emmanuel c/ Etat du Cameroun Oriental.

361
communication du dossier54 et c’est dans ce cadre que le juge administratif annule pour excès
de pouvoir certains actes55.
La sanction pénale est également applicable à l’usurpation de la fonction d’ordonnateur.
En ce qui concerne l’usurpation de fonction, l’on peut retenir qu’est puni d’un
emprisonnement de six mois à cinq ans, celui qui sans titre, s’immisce dans des fonctions
publiques, soit civiles, soit militaires ou accomplit les actes de l’une de ces fonctions 56. La
peine est de trois mois à deux ans d’emprisonnement à l’encontre du fonctionnaire qui
continue d’exercer ses fonctions après la notification officielle de la cessation temporaire ou
définitive desdites fonctions 57 . La déchéance peut également être prononcée 58 . Les peines
prévues à l’endroit des fonctionnaires peuvent être appliquées lorsque l’usurpation est utilisée
pour commettre des infractions 59 . La qualité d’ordonnateur, élément nécessaire à
l’engagement de la dépense publique nécessite de cet acteur soit catégorisé.

2. La diversification de la qualité d’ordonnateur


L’autorisation d’engagement utilise la catégorisation des ordonnateurs pour sa mise en
œuvre. Il est important de ranger le cadre d’appartenance de l’autorité compétente pour
engager sous l’encadrement du Parlement les crédits budgétaires. L’identité de l’ordonnateur
est plus explicite dans la catégorisation projetée. Il appartient à l’autorité ayant la qualité pour
respecter la limite supérieure des crédits réservés à l’engagement juridique de pourvoir à la
spécification organique susmentionnée.
« En matière de dépenses, il existe trois catégories d’ordonnateurs : les ordonnateurs
principaux, les ordonnateurs secondaires, au niveau des services déconcentrés de l’État, et les
ordonnateurs délégués, au niveau des administrations centrales » 60 . « sont ordonnateurs
principaux du budget de l’État, les chefs des départements ministériels ou assimilés et les
Hautes Autorités des institutionnelles constitutionnelles » 61 . Cette clarification fut faite
initialement en 200762 et en 201363. Le décret portant règlement général de la comptabilité
publique de 2020 procède à ce détail 64 . Les chefs de départements ministériels sont des
ordonnateurs de la dépense publique. La participation de l’administration centrale dans le
processus budgétaire est dorénavant véritablement ancrée dans la phase d’exécution
budgétaire. L’on est véritablement en présence de « la configuration du temps dans le
processus budgétaire » 65 . Il va sans dire que le cadre juridique ne dissocie sélectivement
l’administration centrale du processus budgétaire. L’on évolue progressivement vers la
54
TE, arrêt n°231 du 8 mars 1963, Elouna Jean Marie c/ Etat du Cameroun ; CS/CA, jugement n°20/89-90 du
25 janvier 1990, Ella Ondoua Engelbert c/ Etat du Cameroun (SESI).
55
CS/CA, jugement n°87-82/83 du 30 juin 1983, Onambele Germain c/ Etat du Cameroun.
56
Article 216 alinéa 1 du Code pénal
57
Article 216 alinéa 2 du Code pénal.
58
Article 216 alinéa 3 du Code pénal.
59
Article 216 alinéa 4 du Code pénal.
60
Article 12 alinéa 1 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit., Article 4 alinéa 2 du décret n°2020/375 du
07 juillet 2020 op.cit., Articles 10 alinéa 1 et 2 et 11 alinéa 2 du décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
61
Article 66 alinéa 2 de la loi n°2018/012 op.cit.
62
Article 54 alinéa 4 (1) de la loi n°2007/006 op.cit.
63
Article 11 alinéa 2 (a) du décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
64
Article 12 alinéa 1 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
65
Ibidem, p.40.

362
déconcentration de la qualité d’ordonnateur et de la territorialisation progressive de la qualité
d’ordonnateur sur l’ensemble du territoire national. La qualité d’ordonnateur principal de la
dépense publique n’est pas exclusivement reconnue aux chefs des départements ministériels.
S’inscrivant dans la dynamique de déconcentration, le législateur l’a étendu aux Hautes
Autorités des institutions constitutionnelles. Celles-ci peuvent dorénavant initier l’exécution
du budget de leur institution.
Nonobstant les ordonnateurs principaux, les ordonnateurs secondaires et délégués
peuvent initier les dépenses publiques. Contrairement aux précédents, ceux-ci ont un champ
matériel délimité par les ordonnateurs principaux. Ceux-ci sont constitués par les
ordonnateurs principaux et jouissent des autorisations pour initier les crédits budgétaires par
lesquels découleront des charges budgétaires. Ils sont chargés « de toute une série de tâches
en elles-mêmes très diverses »66.
« Sont ordonnateurs secondaires les responsables des services déconcentrés de l’État qui
reçoivent les autorisations de dépenses des ordonnateurs principaux »67. « Sont ordonnateurs
délégués, les responsables désignés par les ordonnateurs principaux ou secondaires pour des
matières expressément définies. Cette délégation prend la forme d’un acte administratif de
l’ordonnateur principal ou secondaire »68. Ces dispositions ont été reconduites par les décrets
portant règlement général de la comptabilité publique de 202069 et de 201370. Ce ne fut une
innovation par rapport à la loi de 2007 71 et l’ordonnance de 1962 72 . sont ordonnateurs
secondaires les responsables des services déconcentrés de l’Etat qui reçoivent les
autorisations de dépenses des ordonnateurs principaux au Cameroun73. Du point de la théorie
de l’organisation de l’État, l’exécution de la dépense publique par les ordonnateurs
secondaires nous situent sur la déconcentration territoriale laquelle constitue un aménagement
de la centralisation administrative au Cameroun.
Enfin, sont ordonnateurs délégués, les responsables désignés par les ordonnateurs
principaux ou secondaires pour des matières expressément définies. Cette délégation prend la
forme d'un acte administratif de l'ordonnateur principal ou secondaire 74 . L’action
administrative pour déconcentrer l’autorisation d’engagement ou l’initiation de la dépense
publique. Cette catégorisation posée en 2007 a été reconduite in extenso en ce qui concerne
les ordonnateurs de dépenses publiques par la loi de 2018 fixant le régime financier de l’État
et des autres entités publiques75 et par le décret portant règlement général de la comptabilité
publique 76 . Les ordonnateurs délégués bénéficient de l’autorisation de dépenses des
ordonnateurs principaux et secondaires sous le couvert de l’action administrative au

66
Ch. EISENMANN., Cours de droit administratif, t1, op.cit., p.197.
67
Article 66 alinéa 3 de la loi n°2018/012 op.cit.
68
Article 66 alinéa 4 de la loi n°2018/012 op.cit.
69
Article 12 alinéa 3 et 4 du décret n°2020/375 op.cit.
70
Article 11 alinéa 2 b et c du Décret N°2013/16 op.cit.
71
Article 51 alinéa 4 (2 et 3) de la loi n°2007/006 op.cit.
72
Article 62 de l’Ordonnance n° 62/0F/4 du 7 février 1962 portant régime financier de la République Fédérale
du Cameroun modifiée par la loi N° 2002/001 du 19 avril 2002.
73
Article 66 alinéa 3 de la loi n°2018/012 op.cit.
74
Article 51 alinéa 4 de la loi n°2007/006 op.cit. (Cameroun).
75
Article 66 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit. (Cameroun).
76
Article 12 alinéa 1 du décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit. (Cameroun).

363
Cameroun. Les ordonnateurs délégués jouissent au regard de l’échelle de compétence d’un
champ matériel que les ordonnateurs secondaires. S’inscrivant dans la responsabilisation des
autorités en charge de l’exécution du budget, la délégation des ordonnateurs déconcentre
l’exécution du budget au Cameroun. Formellement, « le responsable de programme est
désigné par le ministre sectoriel dont il relève. L’acte de désignation précise les conditions
dans lesquelles les compétences d’ordonnateur lui sont déléguées, ainsi que les modalités de
gestion du programme. Cet acte est transmis pour information au Ministre chargé des
finances »77 . « Sur la base des objectifs généraux fixés par le Ministre, le responsable de
programme détermine les objectifs spécifiques, affecte les moyens et contrôle les résultats des
services chargés sous sa responsabilité, de la mise en œuvre du programme. Il s’assure du
respect des dispositifs de contrôle interne et de contrôle de gestion »78. C’est aussi le cas en
Guinée Conakry sur la nomination de responsable 79 et l’acte de désignation de ce
dernier80.« La compétence matérielle ou rationae materiae qui désigne l’aptitude à prendre
une mesure déterminée (…) ou plus largement, à intervenir dans une matière donnée »81. En
effet, l’existence de l’ordonnateur délégué est intimement liée à la compétence ou à la
dévolution de compétence des ordonnateurs principaux et des ordonnateurs secondaires. Son
fait n’est nullement ex nihilo.
La spécification organique découle sous une première approximation à l’identification
de l’ordonnateur. La qualité de cet acteur ne se présume et émane d’un titre légal sous peine
des sanctions prévues par le droit positif. Sa catégorisation est également importante au même
titre que celle du comptable public.

B. L’affiliation à l’identité de comptable public

L’indépendance des autorités et l’incompatibilité des fonctions, éléments nécessaires à


la distinction de l’autorisation d’engagement et de crédits de paiement incitent à la révélation
de l’identité du comptable public. Si la filiation entre l’autorisation d’engagement et
l’ordonnateur est difficilement contestable, la qualité de comptable public affilie au
maniement du crédit de paiement. Le règlement de la dette contractée dans le cadre de
l’engagement juridique n’induit plus la sollicitation de l’ordonnateur. Le maniement du crédit
de paiement renoue incontestablement avec la pluri annualité. Formellement, « les crédits de
paiement constituent la limite supérieure des dépenses pouvant être payées pendant l’année
pour la couverture des engagements contractés dans le cadre des autorisations
d’engagement »82. En plus, « est comptable public tout agent public régulièrement habilité à
effectuer, à titre exclusif er au nom de l’Etat ou des autres entités publiques, des opérations de
recettes, de dépenses ou de maniement de titre, soit au moyen des fonds et valeurs dont il a la
garde, soit en virement interne d’écritures, soit par l’intermédiaire d’autres comptables »83.

77
Article 69 alinéa 1 de la loi n°2018/012 op.cit.
78
Article 69 alinéa 2 de la loi n°2018/012 op.cit.
79
Article 63 de la loi I/2012/n°012/CNT portant loi organique relative aux lois des finances (Guinée Conakry).
80
Article 63 de la loi I/2012/n°012/CNT portant loi organique relative aux lois des finances (Guinée Conakry).
81
P. GOFFAUX., Dictionnaire élémentaire de droit administratif, Bruxelles, Bruylant, 2006, p.63.
82
Article 34 alinéa 3 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
83
Article 5 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.

364
« Les différentes catégories de comptables publics sont :- les comptables en deniers et
valeurs ;- les comptables d’ordre »84. Sous cette bannière, l’on établit une relation entre le
crédit de paiement et la qualité de comptable public (1). Cela est davantage recevable face à la
catégorisation du comptable public (2).

1. La filiation entre le crédit de paiement et la qualité de comptable public


Au regard du principe de la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable
public dont le cadre d’expression est la distinction entre l’autorisation d’engagement et le
crédit de paiement, les opérations relatives au règlement de la dette contractée sont attribuées
au comptable public. Seul le comptable public est organiquement habilité à manier le crédit
de paiement. Le crédit de paiement est une phase ultérieure à l’engagement juridique de la
dépense publique. Cela donne cours alors à « la systématisation des critères d’identification
des comptables publics »85.
La rénovation formelle a préposé à l’amélioration de l’identification de la qualité de
comptable public. Avant la réforme de 2007, un flou existait sur l’identification de la qualité
de comptable public. La notion de comptable public repose sur la réunion des conditions
cumulatives. Celles-ci font allusion à l’exercice d’une fonction spécifique, à la nomination par
l’autorité compétente et par l’assujettissement à un régime de responsabilité spécifique. La
première impose d’identifier la nature de l’activité menée dans le processus d’exécution de la
dépense publique et de la recette publique. Etant dans la phase d’exécution comptable de la
dépense publique, seule cette dernière mérite l’attention. De 2007 86 à 202087 en passant par
201388, l’on parle « des agents publics régulièrement préposés aux comptes et/ou chargés du
recouvrement, de la garde et du maniement des fonds et valeurs ». L’on constate une écriture
identique plus ou moins de 2007 à 2013 sur l’approche notionnelle du comptable public. Car
en 2013, le décret ajoute de précisions ne figurant pas dans la loi de 2007. Celles-ci sont
enrichies en 2020. En substance, « est comptable public tout agent public régulièrement
habilité à effectuer, à titre exclusif et au nom de l’État ou des autres entités publiques, des
opérations de recettes, de dépenses ou de maniement de titre, soit au moyen de fonds et
valeurs dont il a la garde, soit par virement interne d’écritures, soit par l’intermédiaire
d’autres comptables ». Toutefois l’on constate que la loi de 2007 et les décrets de 2013 et de
2020 emploient les notions de « fonds et valeurs » avec une certaine légèreté. Ces sources
formelles ne révèlent ni le sens ni le périmètre. Cela est davantage préoccupant dans un
contexte d’embarras de ces sources lorsqu’elles combinent deniers, fonds et valeurs au moyen
des conjonctions de coordination « et » et « ou ». Cette situation était visible sur la loi de
2007. Les décrets de 2013 et de 2020 combinent les fonds et valeurs. Sur ces points, l’on
convient qu’est comptable public l’agent qui en plus de satisfaire à la nomination par
l’autorité compétente et assujetti à une responsabilité spécifique exerce l’une des trois

84
Article 6 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
85
B. GOUDEM LAMENE., « Les comptables publics dans le nouveau régime financier de l’État au Cameroun »
op.cit., p.282.
86
Article 58 alinéa 1 de la loi n°2007/006 du 26 Décembre 2007 portant régime financier de l’État.
87
Article 5 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
88
Article 14 alinéa 1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 Portant Règlement général de la comptabilité
publique.

365
fonctions suivantes « la tenue d’une comptabilité, la gestion des deniers ou l’exercice de ces
deux fonctions à la fois »89.
L’identification de la qualité de comptable public tient en plus de sa fonction spécifique
dans le circuit de l’exécution des crédits budgétaires à sa nomination par l’autorité
administrative compétente. En 2007, il est formellement consacré qu’« ils sont nommés par le
Ministre en chargé des finances, ou avec son agrément »90. En 2013, « ils sont nommés par le
Ministre chargé des finances, avec son agrément ou sur sa proposition. Toutefois, les
receveurs des Collectivités Territoriales Décentralisées sont nommés par arrêté conjoint du
Ministre chargé des collectivités territoriales et du Ministre chargé des finances, parmi les
personnels des collectivités territoriales, ou le cas échéant, parmi les personnels des services
civils et financiers de l’État »91. Le décret de 2020 reconduit la nomination des comptables
publics centraux par le Ministre chargé des finances92. Ainsi de 2007 à 2013 si la compétence
du Ministre chargé des finances est avérée en matière de nomination des comptables publics,
elle demeure assortie de certaines exigences. L’agrément ou la proposition demeure une
exigence formelle de nomination des comptables publics. Or, cette exigence d’agrément ou de
proposition a été abrogée en 2020. Le décret de 2020 retient simplement la nomination des
comptables publics par le Ministre chargé des finances. Les subtilités existent qu’au cadre de
nomination. L’on fait allusion à la distinction entre la centralisation et la décentralisation.
« La centralisation est une technique qui met l’Administration au service de l’État, ou plutôt
d’une certaine conception de l’État »93. En s’appuyant sur la Constitution94, les lois de 200495
et celle récente de 201996, nous pouvons formuler certaines idées sur la décentralisation au
Cameroun. « La décentralisation se caractérise par le fait que les collectivités géographiques
(ou parfois les services publics) sont dotées d’une grande autonomie structurelle par rapport
au pouvoir central et d’un pouvoir de décision pour les affaires qui les concernent
directement » 97 . Formellement, la décentralisation consiste en un transfert par l’État, aux
collectivités territoriales, de compétences particulières et de moyens appropriés. Elle constitue
l’axe fondamental de promotion de développement, de la démocratie et de la bonne
gouvernance98. Les collectivités territoriales décentralisées de la République du Cameroun
sont les Régions et les Communes99. Il s’agit d’une reproduction limitative d’une prescription
de la Constitution car la disposition susmentionnée exclue que toute autre type de collectivité
territoriale décentralisée est créée par la loi100. Ces éléments permettent de situer le cadre de

89
B. GOUDEM LAMENE., « Les comptables publics dans le nouveau régime financier de l’État au Cameroun »
op.cit., p.285.
90
Article 57 alinéa 1 de la loi n°2007/006 op.cit.
91
Article 14 alinéa 2 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
92
Article 5 alinéa 3 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
93
M. GOUNELLE., Introduction au droit public. Institutions. Fondements. Sources. 2ème éd., op.cit., p.41.
94
Voy Titre X de la loi n°96-06 du 18 janvier 1996 op.cit.
95
Voy loi n°2004/017 du 22 juillet 2004 portant d’Orientation de la décentralisation, loi n°2004/018 du 22 juillet
2004 fixant les règles applicables aux Communes ; loi n°2004/019 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables
aux Régions.
96
Voy loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales décentralisées.
97
M. GOUNELLE., Introduction au droit public. Institutions. Fondements. Sources. 2ème éd op.cit., p.40
98
Article 5 alinéa 1 et 2 de la loi n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités
territoriales décentralisées.
99
Article 2 alinéa 1 de la loi n°2019/024 op.cit.
100
Article 55 alinéa 1 de la loi n°96-06 op.cit.

366
nomination des comptables publics en droit de la décentralisation territoriale. Formellement,
« les receveurs des Collectivités Territoriales Décentralisées sont nommés par arrêté conjoint
du Ministre chargé des collectivités territoriales et du Ministre chargé des finances, parmi les
personnels des collectivités territoriales, ou le cas échéant, parmi les personnels des services
civils et financiers de l’État »101. Contrairement à la nomination exclusive du Ministre chargé
des finances des comptables publics relevant de l’administration centrale, celui-ci est
contraint d’édicter un arrêté conjoint pour nommer les receveurs dans les collectivités
territoriales décentralisées. L’arrêté conjoint est donc la modalité congrue de nomination des
comptables publics en droit de la décentralisation territoriale. Le profil retenu est à rechercher
dans les personnels des collectivités territoriales, ou le cas échéant, parmi les personnels des
services civils et financiers de l’État.
Toutefois les conditions de nomination sont lacunaires. Aucune disposition n’a consacré
les modalités de nomination ou l’encadrement du pouvoir de nomination du ministre chargé
des finances. En plus, aucune disposition ne semble relativiser cette compétence et cela est
préjudiciable pour la continuité du service public. Qu’adviendrait-il si le ministre chargé des
finances est indisponible et incapable de pourvoir à la nomination du comptable public ? En
l’absence de la délégation de signature ou de pouvoir, la carence de l’administration ne fera
l’ombre d’aucun doute. En plus rien n’est prévu si le pouvoir de nomination implique le
pouvoir de révocation. Si l’on s’en tient au parallélisme de compétence l’on peut l’affirmer
sauf qu’en l’espèce rien n’est prévu. « dès lors, la règle de l’acte contraire s’avérerait être un
rempart efficace contre d’éventuelles révocations abusives des comptables publics »102.
La spécificité de la responsabilité permet également d’identifier l’acteur principal en
charge du maniement des fonds et des valeurs. Les sources formelles fixent la nature de cette
responsabilité, en déterminent l’étendue et les conditions de mise en jeu. S’agissant de la
responsabilité des comptables publics, « ils ont une responsabilité personnelle et pécuniaire
qui porte sur : les deniers et les valeurs dont ils ont la charge ; les recouvrements des titres
exécutoires pris en charge ; les paiements effectués ; l’exactitude des écritures qu’ils
tiennent » 103 . En 2013, « Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement
responsables des opérations dont ils sont chargés et de l’exercice des contrôles prévus par le
présent décret » 104 . Cette disposition a été reconduite en 2020 105 . La responsabilité est
personnelle parce que chaque comptable est tenu de répondre des propres actes qu’il a posés à
la différence des autres fonctionnaires qui laisse l’État subir directement celle-ci. Quant à
l’étendue de la responsabilité pécuniaire, elle couvre, les deniers et les valeurs dont ils ont la
charge ; les recouvrements des titres exécutoires pris en charge ; les paiements effectués ;
l’exactitude des écritures qu’ils tiennent. Le fait pour les comptables publics de ne pas
satisfaire à ces exigences constitue autant de faits générateurs de leur responsabilité. Quant à
la mise en jeu de la responsabilité du comptable public, elle « résulte d’un déficit ou d’un

101
Article 14 alinéa 2 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
102
B. GOUDEM LAMENE., « Les comptables publics dans le nouveau régime financier de l’État au
Cameroun » op.cit., p.287.
103
Article 58 alinéa 2 de la loi n°2007/006 op.cit.
104
Article 29 alinéa 1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
105
Article 27 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.

367
débet constaté à la suite des contrôles effectués par les organes compétents de l’État »106. A
cette liste, le décret de 2013 a ajouté, « défaut de recouvrement des recettes ordonnancées,
paiement irrégulier d’une dépense en raison d’un manquement aux obligations de contrôle
prévu par le présent décret, paiement irrégulier d’une indemnisation mise à la charge de l’État
du fait du comptable public, manquement établi dans la conversation des deniers et
valeurs »107 . Ces éléments ont été reconduits en 2020 108 . D’après la doctrine, « ces textes
combinent par ailleurs plusieurs procédures de mise en jeu de responsabilité. Aussi les
comptables publics sont-ils passibles de poursuites pénales et administratives à l’issu ou non
de l’examen de leurs comptes par le juge des comptes »109. En outre le maniement des crédits
de paiement est aussi lié à la catégorisation des comptables publics.

2. Le maniement du crédit de paiement par la systématisation des comptables


publics
La préservation du plafond des crédits à réserver pour s’acquitter de l’engagement
juridique nécessite un certain profil et ledit profil est reconnu à la qualité de comptable public.
L’engagement juridique trouve sa finalisation ultérieure à la qualité reconnue à certains agents
publics agissant en matière d’exécution de la dépense publique. Pourvoir à l’extinction des
crédits initiés dans le cadre de l’engagement juridique nécessite en vue de la régularité de
l’opération la systématisation des comptables publics. Ainsi, « les différentes catégories de
comptables publics sont :- les comptables en deniers et valeurs ;- les comptables d’ordre »110.
La distinction organique est consolidée par l’identification ou la systématisation des
principaux acteurs en charge du maniement des crédits de paiement. Le maniement des crédits
de paiement est exclusivement dévolu aux comptables publics et non aux ordonnateurs. Ces
derniers agissent sur la phase d’initiation de l’exécution de la dépense publique et non sur la
phase postérieure à celle-ci. Ainsi, tous les agents agissant dans ces phases ne peuvent se
réclamer d’être des comptables publics d’où l’utilité de les dissocier du commun.
Le décret de 2020 a explicitement délimité la qualité de comptable public. L’on
distingue les comptables en deniers et valeurs et les comptables d’ordre. Ce fut déjà le cas en
2013111. En 2007, il fut formellement consacré que « les catégories et les attributions des
comptables publics sont celles définies par le règlement général de la comptabilité
publique » 112 . La loi de 2007 portant régime financier de l’État déclinait l’aménagement
formel des catégories et des attributions des comptables publics. Elle procédait explicitement
à un renvoi au décret. Il s’établit une dialectique entre le règlement d’application de la loi et le
règlement autonome. Substantiellement, les comptables en deniers et valeurs sont des
personnes habilitées au maniement et à la conservation des fonds publics, des valeurs qui sont

106
Article 58 alinéa 3 de la loi n°2007/006 op.cit.
107
Article 30 alinéa 1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
108
Article 28 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
109
B. GOUDEM LAMENE., « Les comptables publics dans le nouveau régime financier de l’État au
Cameroun » op.cit., p.289.
110
Article 6 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
111
Article 15 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
112
Article 59 alinéa 1 de la loi n°2007/006 op.cit.

368
des valeurs de portefeuille, bons, traites, obligations, rentes et actions de société 113 . Les
comptables d’ordre sont ceux qui centralisent et présentent dans leurs écritures et leurs
comptes, les opérations financières exécutées par d’autres comptables. Toutefois, les
fonctions de comptable d’ordre ne sont pas incompatibles avec celles de comptable en deniers
et valeurs114. En procédant par cette délimitation, l’on admet la restriction de la qualité de
comptable public chargé de manier les crédits de paiement. En l’absence du comptable de
deniers et de valeurs et du comptable d’ordre, aucun autre comptable public ne peut pourvoir
à cette activité financière. Cette précision vaut son pesant car pendant longtemps le comptable
matière était considéré comme un comptable public. La redéfinition des catégories de
comptables publics « c’est parce que les comptables-matières en ont été implicitement exclus
par le législateur »115. Or à l’analyse des dispositions de la loi de 2007, il parait simple de
distinguer deux catégories de comptables : les comptables en deniers et les comptables-
matières. Fondant le raisonnement sur les mêmes dispositions et de la rénovation introduite
par les décrets de 2013 et 2020, il apparait que nonobstant l’exclusion du comptable-matière,
le maniement des crédits de paiement ne peut être réduit aux comptables des deniers et des
valeurs. L’on doit y associer les comptables d’ordre à ce cadre. Dès lors il n’est plus exact
d’admettre que « désormais, les comptables en deniers uniquement peuvent être considérés
comme des comptables publics »116.
Au regard de ce qui précède, la distinction de l’autorisation d’engagement du crédit de
paiement est d’ordre organique. Les acteurs chargent de les manier ne sont pas identiques
mais plutôt divergents. Cela vaut également pour la procédure y afférente.

II. LA DIFFERENCIATION PROCEDURALE

La seconde déclinaison de la distinction entre l’autorisation d’engagement et le crédit de


paiement est d’ordre procédural si l’on demeure en phase avec le critère formel retenu. Le but
était d’éviter que les agents chargés des opérations d’exécution de la loi de finances n’abusent
des pouvoirs que leur conférait la disposition des deniers publics. Par la division du travail et
la spécialisation de l’activité, un meilleur rendement dans l’accomplissement des tâches
respectives des ordonnateurs et des comptables est honoré. « Le principe de séparation, dans
sa conception la plus étroite, signifie qu’une seule et même personne ne peut pas cumuler les
fonctions d’ordonnateur et de comptable »117. S’inscrivant dans l’incompatibilité des autorités
et des fonctions, l’autorisation d’engagement renoue avec la procédure administrative (A) et
le crédit de paiement renoue outre avec la procédure comptable (B).

113
Article 6 alinéa 2 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
114
Article 6 alinéa 3 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
115
B. GOUDEM LAMENE., « Les comptables publics dans le nouveau régime financier de l’État au
Cameroun » op.cit., p.290.
116
Idem, p.293.
117
E. DEVAUX., Finances publiques op.cit., p.208.

369
A. La mobilisation de la procédure administrative pour l’applicabilité de
l’autorisation d’engagement

La distinction reposant sur la procédure appropriée à mobiliser conduit à renouer avec la


phase administrative pour l’autorisation d’engagement. S’inscrire dans le plafond des
dépenses conduit l’ordonnateur à initier l’une des phases de la procédure d’exécution des
dépenses publiques. Juridiquement, « la procédure d’exécution de la dépense comprend les
phases d’engagement, de liquidation et d’ordonnancement, qui relèvent de l’ordonnateur et, la
phase de paiement, qui relève du comptable »118. Cela furent reconduits par les décrets de
2013119 et 2020120. En outre, « les autorisations d’engagement constituent la limite supérieure
des dépenses pouvant être engagées au cours d’un exercice budgétaire et dont le paiement
peut s’étendre, le cas échéant, sur une période de plusieurs années »121. Cela tient au fait que
l’autorisation d’engagement est le support de l’encadrement de l’engagement juridique de la
dépense publique. L’autorisation d’engagement dans son applicabilité préserve le principe de
la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable public (1) tout en modulant le fait
de l’ordonnateur face à la dualité entre les crédits budgétaires limitatifs et les crédits
budgétaires évaluatifs (2).

1. L’utilisation du principe de la séparation des ordonnateurs et comptables


comme moyen
La phase administrative conduit l’ordonnateur à prendre des actes administratifs qui
prescrivent l’exécution de la dépense publique dans les termes du plafonnement fixé par le
Parlement. L’ordonnateur ne se limite pas à l’engagement juridique strictement mais il lui
attribue la portée de l’autorisation budgétaire. Autrement dit, c’est le sens de la mise en œuvre
de l’autorisation budgétaire qui canalise la mise en application de l’engagement juridique
dans la phase administrative. Il ne dispose pas matériellement des deniers publics et il
n’effectue aucune opération de caisse. Il détient essentiellement un pouvoir de décision qui
consiste à apprécier l’opportunité d’une mesure financière.
L’ordonnateur est tenu par le plafonnement de l’initiation de la consommation des
crédits budgétaires. L’autorisation d’engagement conçue dans le fait du Parlement proscrit à
l’ordonnateur de se comporter comme une autorité de régulation budgétaire ou de fongibilité
des crédits budgétaires. L’adaptation de la consommation des crédits budgétaires à la
disponibilité financière est dévolue au Ministre chargé des finances. L’influence est visible
sur l’autorisation parlementaire. Cela se pose dans le cadre « des différents pouvoirs en jeu
lors des prises de décisions financières » 122 et (« …) A ce titre, afin de prévenir une
détérioration de ces soldes, il dispose d’un pouvoir de régulation budgétaire qui lui permet de
programmer le rythme de consommation des crédits en fonction de la situation de la trésorerie

118
Article 47 alinéa 1 de la loi n°2007/006 op.cit.
119
Article 65 alinéa 1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 op.cit.
120
Article 61 alinéa 1 Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
121
Article 34 alinéa 2 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres
entités publiques.
122
J.-F CALMETTE., « Les apports de Pierre Lalumière à la compréhension des Finances publiques et de ses
acteurs », GFP N° 2-2019 / Mars-Avril 2019, p.89.

370
de l’Etat »123. Cette prérogative est consacrée au Congo Brazzaville124, en Côte d’Ivoire125, au
Gabon 126 , au Niger 127 et au Sénégal 128 . Sans les exclure, la position à adopter est celle
touchant à la manifestation au quotidien de la présence administrative. Elle doit agir par le
droit et manifester sa présence par le droit et cela s’observe dans la « généralisation des
champs d’intervention de la norme » 129 . Cela fait explicitement allusion à la notion de
compétence matérielle véhiculée dans le discours de l’état de droit. Dans ce cadre, les
prérogatives du ministre chargé des finances ne relèvent de sa compétence de sa compétence
mais d’une dévolution formelle. Et cela « reste aujourd’hui encore un moment solennel »130
de prolongement des prérogatives financières du ministre chargé des finances en matière
d’exécution de la loi des finances. Cet état de chose induit les collectifs budgétaires.
Les collectifs budgétaires ou loi de finances rectificative est une catégorie de loi de
finances dont l’objet étant par nature de modifier en cours d’exercice budgétaire l’acte de
prévision et l’acte d’autorisation du parlement. « Sans préjudice des dispositions des articles
36 à 41 de la présente loi, les lois de finances rectificatives peuvent, en cours d’année,
modifier les dispositions de la loi de finance initiale. Le cas échéant, elles ratifient les
modifications préalablement apportées, par voie d’ordonnance, aux crédits ouverts par la
dernière loi de finances »131. L’on retrouve cette disposition au Bénin132, au Burkina Faso133,
au Congo Brazzaville134, en Côte d’Ivoire135, au Gabon136, en Guinée137, au Niger138 et au
Sénégal139. En outre, « en cours d’exercice, un projet de loi de finances rectificative doit être
déposé par le Gouvernement : -si les grandes lignes de l’équilibre budgétaire défini par la loi
de finances initiale se trouvent bouleversées, notamment en raison de l’évolution de la
conjoncture, de l’intervention d’ordonnances ou d’arrêtés d’annulation de crédits ; - si les
recettes constatées dépassent sensiblement les prévisions de la loi de finances initiale, -si sont
intervenues des mesures législatives ou règlementaires affectant de manière substantielle
l’exécution du budget »140.

123
Article 63 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
124
Article 71 de la loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 op.cit. (Congo Brazzaville).
125
Article 71 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relative aux lois de finances (Côte d’Ivoire).
126
Article 64 de la loi organique n°020/2014 du 21 mai 2015 op.cit. (Gabon).
127
Article 67 de la loi n° 2012-09 du 26 mars 2012, portant loi organique relative aux lois de finances (Niger).
128
Article 66 de la loi organique n°2020-07 du 26 février 2020 relative aux lois de finances (Sénégal.
129
G. CARCASSONNE., « Société de droit contre état de droit », in l’État de droit, Mélanges en l’honneur de
Guy BRAIBANT., Paris, Dalloz, 1996 p.39.
130
R. CHINARD., « Loi de finances : quelle marge de manœuvre pour le Parlement ? » Pouvoirs, revue
française d’études constitutionnelles et politiques n°64, 1ère éd., 1993, p.100.
131
Article 17 alinéa 1 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État et des autres
entités publiques (Cameroun).
132
Article 51 de la loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 relative aux lois des finances (Bénin).
133
Article 6 de la loi organique n°073-2015 du 6 novembre 2015 relative aux lois des finances (Burkina Faso).
134
Article 57 de la loi organique n°36-2017 du 3 octobre 2017 relative aux lois de finances (Congo Brazzaville).
135
Article 5 de la loi organique n°2014-336 du 5 juin 2014 relative aux lois des finances (Côte d’Ivoire).
136
Article 14 de la loi organique n°20-2014 du 21 mai 2015 relative aux lois des finances et à l’exécution du
budget (Gabon).
137
Article 58 de la loi I-/2012/n°12-CNT portant loi organique relative aux lois des finances (Guinée).
138
Article 5 de la loi n° 2012-09 du 26 mars 2012, portant loi organique relative aux lois de finance (Niger).
139
Articles 46 et 47 de la Loi organique n°2020‐07 du 26 février 2020 abrogeant et remplaçant la loi organique
n°2011‐15 du 08 juillet 2011 relative aux lois de finances, modifiée par la loi organique n°2016‐34 du 23
décembre 2016 (Sénégal).
140
Article 18 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.

371
Il est en effet logique de calquer les compétences de la seconde sur celles de la
première. L’activité normative du parlement parachève l’action amorcée en aval par
l’exécutif. Elle est « l’unité de l’autorisation budgétaire »141, « l’autorité donnée aux autorités
publiques (…) d’effectuer des dépenses et percevoir des recettes pour l’exercice à venir »142.
L’évaluation des ressources du budget de l’État pour l’exercice 2021 s’élevait à
4.670.000.000.000 FCFA 143 . Quant aux charges, elles s’élevaient à 4.670.000.000.000
FCFA 144 . Or pour l’exercice 2022 à la suite du collectif budgétaire, les ressources
prévisionnelles s’élevaient à 5.977.700.000.000 FCFA145. Et mes charges du budget général
s’élevaient à 5.977.700.000.000 FCFA146. L’actualité permet de recenser l’ordonnance du 26
mai 2021 147 , du 3 juin 2020 148 du 02 juin 2022 149 et celle du 02 juin 2023 150 . Sous les
collectifs budgétaires, l’on convient non seulement au dépassement de la conception classique
et simpliste des objectifs du budget mais également à l’attribution d’une appréhension
conjoncturelle du budget. Dans un système d’État régalien, le budget est constitutif de l’acte
politique majeur à travers lequel le parlement permet aux services publics de fonctionner.
Cette conception s’est estompée avec l’intégration de plus en plus poussée des finances
publiques dans l’économie. Le budget est devenu un instrument conjoncturel. « Il doit
s’adapter et corriger les fluctuations économiques, dont il est par ailleurs étroitement
dépendant en ce qui concerne ses ressources »151. Ces éléments illustrent incontestablement la
portée relative de l’autorisation budgétaire. Sauf qu’en l’espèce, l’ordonnateur est tenu par les
termes du plafonnement des crédits budgétaires à engager pour les missions d’utilité publique.
Cela converge à la modulation du fait de l’ordonnateur face à la dualité des crédits
budgétaires limitatifs et évaluatifs.

2. La modulation du fait de l’ordonnateur sur la dualité entre les crédits limitatifs


et évaluatifs
Le plafonnement de l’engagement juridique de la dépense tient compte de la dualité des
crédits budgétaires. Ces catégories de crédits budgétaires influencent sur la conception de

141
G. ORSONI., « Consentement de la dépense publique », op.cit., p.249.
142
L. PHILIP., « Autorisation budgétaire (principe) », op.cit., p.112.
143
Première partie, troisième titre, chapitre I article 41 de la loi n°2020/018 du 17 décembre 2020 portant loi de
finances pour la République du Cameroun pour l’exercice 2021.
144
Première partie, troisième titre Chapitre deuxième, article quarante-troisième de la loi n°2020/018 du 17
décembre 2020 op.cit.
145
Première partie, titre troisième, chapitre premier, article quarante- huitième de l’ordonnance n°2022/001 du
02 juin 2022 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2021/026 du 16 décembre 2021 portant
loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2022.
146
Première partie, titre troisième, chapitre premier, article cinquantième (nouveau) de l’ordonnance n°2022/001
du 02 juin 2022 op.cit.
147
Voy ordonnance n°2012/002 du 26 Mai 2021 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°2020/018 du 17 décembre 2020 portant loi des finances de la République du Cameroun.
148
Voy Ordonnance n°2020/001 du 3 juin 2020 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°2019/023 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2020.
149
Voy Ordonnance n°2022/001 du 02 juin 2022 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°2021/026 du 16 décembre 2021 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2022.
150
Voy Ordonnance n°2023/001 du 02 juin 2023 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°2022/020 du 27 décembre 2022 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2023.
151
M. BOUVIER., M.-C ESCLASSAN., J.-P LASSALE., Finances publiques, 10ème éd., Paris, L.G.D.J, 2010
p.282.

372
l’autorisation parlementaire et du sort de l’ordonnateur face à celle-ci. Suivant le cas,
« l’autorisation budgétaire a un caractère moins contraignant »152. « Les règles de droit ne
sont pas arbitraires et sans causes et procèdent d’un certain nombre de données
profondes »153. En effet, la fixation du cadre de déploiement de l’ordonnateur est le fait de la
systématisation d’une diversité de sources formelles convoquées en matière financière.
Nonobstant la loi, des décrets de 2013 et de 2020 ont canalisé le fait de l’ordonnateur dans la
phase administrative de l’autorisation d’engagement.
D’entrée de jeu, conceptuellement, « la dépense publique peut se définir comme
l’emploi des deniers destinés aux activités d’intérêt public conformément aux autorisations du
budget » 154 . Cette définition fait ressortir les aspects matériel et formel de la notion de
dépense publique. Sur le plan matériel, la dépense publique nécessite l’utilisation d’une
somme d’argent. Illustrant une variété de déclinaison, l’utilisation d’une somme d’argent peut
consister en la consommation effective de derniers, d’une dépense en atténuation de recettes.
Quant à l’élément formel, la dépense publique tend à satisfaire l’intérêt public au sens large
du terme. La dépense publique est susceptible de plusieurs classifications. Elle évolue
d’ailleurs au gré des grandes mutations de l’action et même de la conception de l’Etat. Il faut
se référer à la classification effectuée par le décret portant nomenclature budgétaire au
Cameroun155. En plus, la loi de 2018 les a catégorisé en 6 compartiments 156. La loi de 2007
avait également procédé par une classification des dépenses publiques de l’État 157 .
L’autorisation d’engagement concerne expressément la mise en œuvre de la dépense
publique. Cette clarification facilite l’articulation de l’influence des crédits limitatifs et des
crédits évaluatifs sur les prérogatives de l’ordonnateur.
L’orientation de l’opportunité de la décision financière tient compte de la dualité entre
les crédits limitatifs et les crédits évaluatifs. « Sous réserve des dispositions prévues à l’article
36 ci-dessous, toutes les autorisations d’engagement et tous les crédits de paiement, ainsi que
les plafonds d’autorisation d’emplois rémunérés par l’État sont limitatifs » 158 . Le crédit
budgétaire matérialise l’autorisation de dépenser et il fixe le plafond en déca duquel doivent
rester contenues les dépenses. Le caractère limitatif des crédits est indissociable de la notion
d’autorisation de la dépense. Les votes du Parlement seraient privés de portée si le pouvoir
exécutif avait toute latitude pour effectuer des dépenses au-delà des montants déterminés par
les lois de finances. Il existe pourtant certaines charges pour la couverture desquelles il est
nécessaire de prévoir que les crédits ouverts ne constituent pas un plafond de la dépense. Pour
toutes les autres charges, il est interdit le dépassement des crédits ouverts. Cette règle est
valable tout au long de l’année et pas seulement à la fin de l’exercice. « Il va de soi,
cependant, que les dépassements subsistant à la clôture de l’exercice constituent une atteinte
grâce à l’autorisation parlementaire que les dépassements constatés puis régularisés en cours
152
E. DEVAUX., Finances publiques op.cit., p.192.
153
J.-L. BERGEL., Théorie générale du droit, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2003 p.55 ; M. VIRALLY., La pensée
juridique, Paris, Dalloz, 1960, p.149.
154
E. DEVAUX., Fiances publiques op.cit., p.70.
155
Voy article 7 et s du Décret n°2019/3187/PM du 09 septembre 2019 fixant le cadre général de présentation de
la Nomenclature budgétaires de l’État.
156
Article 28 de la loi n°2018/012 du 11 juillet 2018 op.cit.
157
Article 12 alinéa 1, 2 et 3 de la loi n°2007/006 du 26 décembre 2007 op.cit.
158
Article 35 de la loi n°2018/012 op.cit.

373
de gestion »159. En outre, le caractère limitatif des crédits ne se conçoit qu’à l’intérieur du
périmètre temporel pour lequel l’autorisation est accordée. Le principe de l’annualité offre à
cet égard un cadre accueillant, alors que l’instauration des budgets « glissants » sur plusieurs
années rendrait plus complexe la définition du plafonnement de la dépense. L’ouverture des
crédits constitue non seulement un point de départ pour computer les engagements et les
dépenses effectifs, mais aussi un préalable pour engager, ordonnancer et payer les dépenses.
Or, « les crédits relatifs aux charges de la dette de l’État ont un caractère évaluatif. Ils
sont ouverts sur un programme spécifique. Les dépenses auxquelles s’appliquent ces crédits
évaluatifs s’imputent, si nécessaire au-delà des crédits ouverts » 160 . La nature des crédits
évaluatifs constitue une exception aux crédits limitatifs. Ceux-ci restent utiles pour couvrir
certaines charges obligatoires ou quasi obligatoires de l’État. Pour ces charges, les dépenses
réalisées s’imputent si nécessaire au-delà des crédits ouverts. Le principe d’une définition
générale assortie d’une liste définie de charges déterminées, et de la latitude laissée aux lois
de finances pour dresser une liste dotée de crédits évaluatifs a été abandonné au profit d’une
liste ne comportant que trois éléments dont les charges de la dette de l’État, les
remboursements, restitutions et dégrèvements, les charges résultant de la mise en jeu de la
garantie de l’État. Ces éléments canalisent le fait de l’ordonnateur dans le cadre de
l’autorisation d’engagement. Suivant le cas, le plafonnement renoue avec les crédits limitatifs
ou les crédits évaluatifs et dont les implications sont proportionnées au retour au Parlement.
Au regard de ce qui précède, la phase administrative de l’exécution de l’autorisation
d’engagement est encadrée. Les prérogatives de l’ordonnateur tout en consolidant la
séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable n’éludent pas la distinction entre les
crédits limitatifs et les crédits évaluatifs. Cette dualité a des conséquences sur l’autorisation
budgétaire et impliquent des exigences postérieures. Le crédit de paiement ne l’éloigne pas de
ce cadre.

B. L’adoption de la procédure comptable pour l’applicabilité du crédit de


paiement

Contrairement à l’autorisation d’engagement qui utilise la procédure ou la phase


administrative comme moyen, le crédit de paiement renoue plutôt avec la phase comptable de
l’exécution de la dépense publique. « Les inévitables divisions pédagogiques vont dans le
même sens » 161 lorsque l’on s’appuie sur « les éléments composant l’ensemble et à faire
converger de plus en plus ces projets vers un optimum pour l’ensemble »162. La spécification
de l’autorité concernée renoue incontestablement avec la différenciation de la procédure
mobilisée pour le règlement de la dette contractée dans le cadre de l’engagement juridique. Le
comptable public opte pour la procédure adéquate à l’exécution comptable de la dépense

159
M. BERMOND., « Article 9 » in J.-P CAMBY (dir)., La réforme du budget de l’État. La loi organique
relative aux lois de finances, 2ème éd., Paris, L.G.D.J, 2005 p.74
160
Article 36 alinéa 1 de la loi n°2018/012 op.cit.
161
C. DEBBASCH., « Finances publiques et droit administratif », in Mélanges offerts à Monsieur le Doyen
Louis TROTABAS, Paris, L.G.D.J., 1970, p.111.
162
A. GADILLAT., E. RIMBAUX., « Impôts directs et politique fiscale européenne », Revue d’économie
politique, mars-avril 1997, p.257.

374
publique. La phase comptable consolide également le principe de la séparation d’ordonnateur
et de comptable public (1) et se matérialise par l’obligation de payer (2).

1. L’utilisation du principe de la séparation d’ordonnateur et de comptable public


comme moyen
La filiation entre le comptable public et le crédit de paiement se prolonge sur
l’applicabilité du principe de la séparation de l’ordonnateur et du comptable public. La mise
en œuvre du budget constitue une étape clé de la vie financière d’une collectivité publique. En
raison de son importance, « elle obéit à une procédure rigoureuse qui doit respecter le principe
de la séparation des ordonnateurs et de comptables publics »163. La procédure est placée sous
le signe de la rigueur et les règles sont clairement déterminées. Du fait de l’indépendance des
autorités et de l’incompatibilité des fonctions, l’ordonnateur ne saurait empiéter sur les
fonctions incombant au comptable public. La délimitation des compétences de deux
catégories d’agent est avérée. En l’espèce, le comptable public renoue avec la phase
comptable pour donner cours à l’applicabilité des crédits de paiement. « Les comptables
publics sont chargé des opérations matérielles d’exécution de la dépense, opérations qui
prennent la forme de paiements. (…) dans toutes ces tâches, les comptables publics se
trouvent dans une situation de compétence liée ; ils doivent exécuter les paiements et/ ou les
encaissements conformément à la loi, après avoir effectué certains contrôles » 164 . Le
comptable public à la charge de la phase comptable de l’opération de dépense. C’est lui qui
effectue le paiement de la dépense. L’on convient à « la coexistence de deux autorités
indépendantes aux fonctions incompatibles en matière d’exécution budgétaire » 165 . Cela
procède de « l’observation du droit positif » 166 . Leur indépendance mutuelle découle de
l’existence de deux statuts organiquement différents. Il n’existe pas un lien de subordination
entre ces autorités. C’est à ce niveau qu’il est possible d’identifier les énoncés habilitants.»167.
L’indépendance à l’égard des tiers est également visible. Il s’agit de deux fonctions exclusives
l’une de l’autre. Décider de la dépense publique et le pouvoir de procéder au paiement des
dépenses publiques. Le crédit de paiement conduit le comptable public à retracer le montant
des opérations financières qu’il exécute dans une comptabilité dont il doit rendre compte.
Cela revient à rappeler parmi les agents publics, ceux qui sont habilités à manier les deniers
publics. De 2007168 à 2020169 en passant par 2013 170, l’on convient à la restriction et à la
substitution de la qualité existante de certains comptables publics. En effet, le comptable-
matière a été exclu de la qualité de comptable public et seul le comptable de deniers et valeurs
a survécu. L’on a donc introduit les comptables d’ordre et les associer aux comptables d’ordre
existants. Sous cette bannière, les comptables de deniers et valeurs sont les plus anciens et ont

163
W. GILLES., Les principes budgétaires et comptables publics op.cit., p.210.
164
E. DEVAUX., Finances publiques op.cit., p.207.
165
W. GILLES., Les principes budgétaires et comptables publics op.cit., p.190.
166
X. MAGNON., Théorie (s) du droit Paris, Ellipses, 2008 p.16.
167
G. TUSSEAU., Les normes d’habilitation, Paris, Dalloz « nouvelles bibliothèques de thèses inv 4427 » 2006
p.3.
168
Article 58 alinéa 1 de la loi n°2007/006 du 26 Décembre 2007 portant régime financier de l’État.
169
Article 5 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
170
Article 14 alinéa 1 du Décret n°2013/16 du 15 mai 2013 Portant Règlement général de la comptabilité
publique.

375
survécu aux transformations du régime de la comptabilité publique. « De ce point de vue, les
comptables publics sont, relativement à la dimension financière de la réforme, au rang des
acteurs impliqués dans la réalisation de ses objectifs »171. Dès lors, il y a eu plus ou moins « la
redéfinition des catégories de comptables publics »172.
Cependant, un comptable public peut être secondé dans sa gestion par d’autres agents.
Dans ce cas, ces derniers seront des subordonnés du comptable et exerceront leurs fonctions
sous son contrôle et sa responsabilité. Le cadre matériel de l’exécution comptable des crédits
budgétaires est modulé par des faits et non des hypothèses. La pensée juridique ne limite pas
le droit à une accumulation des règles de droit positif. Elle révèle l’antagonisme affiché sur le
fondement et la finalité du droit, « deux grands courants dont la distinction traduit un choix
fondamental entre les tendances idéalistes et des tendances positivistes » 173 . Dans un État
ayant adopté le positivisme juridique tout en dénigrant le jusnaturalisme, les théories positives
ne peuvent que canaliser les normes juridiques. C’est le cas de l’État du Cameroun et cela
s’affirme spécifiquement en finances publiques. Celles-ci ont la qualité pour exprimer la règle
de droit et en affirmer le caractère obligatoire. En ce sens, « les sources formelles du droit,
seules aptes à générer, au prix de procédures d’élaboration précises, des règles générales
obligatoires »174. L’arbitraire n’est pas le fait le mieux partagé en finances publiques. Le droit
objectif, c’est-à-dire l’ensemble des règles de droit qui gouvernent les rapports des hommes
entre eux, ne constitue pas un corps unitaire et même moniste. Et l’on doit constater, à partir
de la primauté du droit écrit, l’existence de divers pluralismes. Ainsi existe-t-il un droit écrit
exprimé essentiellement par la loi. L’obligation constitutionnelle assigne aux détenteurs de
faisceaux de compétence de se conformer au droit positif. Le maniement du principe de la
séparation des ordonnateurs et des comptables publics se réalise dans le cadre du crédit de
paiement par l’obligation de payer les dépenses par le comptable public. Cette obligation est
postérieure à des contrôles effectués par celui-ci sur le travail de l’ordonnateur.

2. L’obligation de payer les dépenses


La réalisation du principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables publics
est dans le cadre du crédit de paiement la manifestation de l’obligation de payer les dépenses
contractées dans le cadre de l’engagement juridique. S’inscrivant dans la phase comptable,
cette tâche ne saurait relever de la phase administrative et partant des compétences de
l’ordonnateur. L’obligation de payer vient consolider la distinction formelle de l’autorisation
d’engagement du crédit de paiement en constituant la phase finale du processus d’exécution
de la dépense publique. « Le paiement constitue la phase ultime de la procédure d’exécution
de la dépense publique puisqu’il est l’acte par lequel l’organisme public libère sa dette »175.
Cette définition est formellement consacrée176. En plus, sous réserve des exceptions prévues
par les lois et les règlements, les paiements ne peuvent intervenir avant l’échéance de la dette,

171
B. GOUDEM LAMENE., « Les comptables publics dans le nouveau régime financier de l’État au
Cameroun » op.cit., p.275.
172
Idem, p.289.
173
J.-L BERGEL., Théorie générale du droit, 5ème éd, Paris, Dalloz, 2012, p.23.
174
F. TERRE., Introduction générale au droit, 9ème éd., Paris, Dalloz, 2012, p.196.
175
W. GILLES., Les principes budgétaires et comptables publics op.cit., p.226.
176
Article 70 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.

376
l’exécution du service ou la décision individuelle d’attribution d’une subvention, d’une
allocation ou d’une avance177. Le règlement des dépenses est fait soit en numéraires pour les
dépenses de faibles montants, soit par virement ou par tout autre moyen de paiement178.
Avant de payer une dépense d’un organisme public, le comptable public doit procéder à
certains contrôles. Pour les dépenses, le contrôle s’exerce uniquement sur les pièces
justificatives fournies par l’ordonnateur. « L’ordonnateur sera le premier acteur à intervenir
pour donner l’ordre d’exécuter l’acte budgétaire en question, le comptable public devant,
quant à lui, exécuter l’acte qui lui est transmis après avoir effectué les différents contrôles que
la législation lui impose »179. Car formellement, « les comptables publics assignataires sont
seuls chargés, sous leur responsabilité et conformément à la loi, de vérifier les droits et
qualités des parties prenantes et la régularité de leurs acquis et, à cet effet, d’exiger la
production de toutes les justifications utiles »180. Le contrôle réalisé par le comptable public
consiste à s’assurer de la régularité de l’ordre de paiement. Les vérifications réalisées dans ce
cadre portent en premier sur la qualité de l’ordonnateur. En d’autres termes, le comptable
public, avant de payer doit comparer la signature qui lui a été communiqué au moment de
l’accréditation avec celle qui figure sur l’ordonnance ou le mandat de paiement. En effet,
l’ordonnateur doit, dès son entrée en fonction, s’accréditer auprès du comptable sur lequel
seront assignés ses propres dépenses. Pour ce faire, l’ordonnateur informe le comptable de sa
nomination et lui communique un exemplaire de sa signature. Le comptable public pourra
comparer cette signature avec celle qui figure sur l’ordre de dépense qui lui est transmis par
l’ordonnateur. En outre, l’ordonnateur s’assure de la disponibilité des crédits et de l’exacte
imputation des dépenses. Cela vaut également pour la réalisation des autres contrôles
préalables. La justification du service fait est également une étape clés de ce processus de
vérification. L’exactitude de la liquidation en l’absence d’opposition de paiement et des règles
de prescription lui permettent de réaliser le paiement proprement dit. La dette doit être payée
aux créanciers eux-mêmes ou à leurs représentants légaux, judiciaire ou conventionnels.

CONCLUSION

Au sortir de cette réflexion, la distinction de l’autorisation d’engagement du crédit de


paiement a reposé sur la recherche du critère en droit public financier. La dualité des critères
formel et matériel posée à la base comme moyen a nécessité le recours au critère formel eut
égard à la pertinence de la distinction qu’il articule. En s’attachant aux organes et aux
procédures, l’on parvient juridiquement à opérer une distinction entre les autorisations
budgétaires. Le principe de la séparation des fonctions d’ordonnateur et de comptable est
consolidé dans son sens et dans son essence. L’indépendance organique entre l’ordonnateur et
le comptable public et la distinction procédurale permet à ces acteurs d’effectuer
convenablement leur fonction en droit budgétaire. L’un encadrant l’engagement et l’autre
acquittement de cet engagement sont révélés.

177
Article 70 alinéa 2 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
178
Article 75 alinéa 1 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.
179
W. GILLES., Les principes budgétaires et comptables publics op.cit., p.210.
180
Article 76 du Décret n°2020/375 du 07 juillet 2020 op.cit.

377
JURISPRUDENCE
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LEGISLATION
169e ANNEE - N° 7707 NUMERO SPECIAL JEUDI 07 MARS 2024

JOURNAL OFFICIEL
DE LA REPUBLIQUE DU SENEGAL
PARAISSANT LE SAMEDI DE CHAQUE SEMAINE
ABONNEMENTS ET ANNONCES TARIF DES ABONNEMENTS ANNONCES ET AVIS DIVERS

VOIE NORMALE VOIE AERIENNE


Pour les abonnements et les annonces s'adres- Six mois Un an Six mois Un an La ligne .......................... 1.000 francs
ser au directeur de l'Imprimerie nationale à Sénégal et autres Etats
Rufisque.
de la CEDEAO ....... 15.000f 31.000f. - - Chaque annonce répétée...Moitié prix
Les annonces doivent être remises à l'Impri-
merie au plus tard le mardi. Elles sont payables Etranger : France, RDC (Il n'est jamais compté moins de
d'avance. R.C.A. Gabon, Maroc. 10.000 francs pour les annonces).
Algérie,Tunisie. - - 20.000f. 40.000f
Toute demande de changement d'adresse ainsi Etranger : Autres Pays 23.000f 46.000f
que les lettres demandant réponse devront être Prix du numéro ....... Année courante 600 f Année ant. 700f.
accompagnées de la somme de 175 francs Par la poste : .......... Majoration de 130 f par numéro Compte bancaire B.I.C.I.S. n° 1520 790 630/81
Journal légalisé ..... 900 f _ Par la poste -

S O M M A I R E MINISTERE DE L'INTERIEUR

Décret n° 2024-690 du 06 mars 2024 fixant


la date de l'élection présidentielle
PARTIE OFFICIELLE

RAPPORT DE PRESENTATION
Par décision n°1/C/2024 du 15 février 2024, le Conseil cons-
titutionnel a, d'une part, déclaré contraire à la Constitution la loi
DECRETS constitutionnelle portant dérogation aux dispositions de l'article 31
de la Constitution, adoptée sous le n°4/2024 par l'Assemblée
nationale, en sa séance du 05 février 2024 et, d'autre part, annulé
le décret n° 2024-106 du 03 février 2024 portant abrogation du
décret convoquant le corps électoral pour l'élection présidentielle
du 25 février 2024.
MINISTERE DE L'INTERIEUR
Le Conseil constitutionnel, constatant l'impossibilité d'organiser
2024 l'élection présidentielle à la date initialement prévue, a invité les
06 mars ......... Décret n° 2024-690 fixant la date de l'élection autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais.
présidentielle ............................................... 291
C'est ainsi que le Président de la République a convoqué, les
06 mars ......... Décret n° 2024-691 portant convocation du 26 et 27 février 2024, un dialogue national pour entre autres trouver
corps électoral pour l'élection présidentielle une date consensuelle à la tenue de l'élection présidentielle. La
du 24 mars 2024 ....................................... 292
Commission qui a travaillé sur ce thème a recommandé la date du
02 juin 2024 avec à la base le retour aux dispositions du Code
électoral, notamment l'article LO.137 qui fixe la convocation du
PA RTI E O F F I CI E L L E corps électoral à 80 jours au moins avant la date du scrutin.
Il y a lieu de noter que les autres dates possibles présentaient
des contraintes religieuses et socio-culturelles.
Après réception officielle, le 04 mars 2024, du rapport du
Dialogue national, le Président de la République a saisi le Conseil
constitutionnel, pour avis, sur la date retenue à cet effet.

DECRETS En retour, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 60/E/2024


du 05 mars 2024, a demandé la tenue de l'élection avant la fin du man-
dat du Président de la République, le 02 avril 2024.
Au regard de ces considérations exceptionnelles, la date du
dimanche 24 mars 2024 est proposée.
Telle est l'économie du présent projet de décret.
389
292 JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE DU SENEGAL 07 mars 2024

LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, Décret n° 2024-691 du 06 mars 2024 portant


VU la Constitution ; convocation du corps électoral pour l'élection
présidentielle du 24 mars 2024
VU le Code électoral ;
VU le décret n° 2022-1787 du 26 septembre 2022 relatif aux
attributions du Ministre de l'Intérieur ; RAPPORT DE PRESENTATION
VU le décret n° 2023-339 du 16 février 2023 portant fixation En application de la décision n° 60/E/2024 du 05 mars 2024
de la date de la prochaine élection présidentielle ; du Conseil constitutionnel, le décret n° 2024-696 du 06 mars 2024
VU le décret n° 2023-2104 du 11 octobre 2023 portant nomination a fixé au 24 mars 2024 la date de l'élection présidentielle.
des ministres et fixant la composition du Gouvernement ; Il y a lieu de rappeler que le décret n° 2023-2283 du 29 novembre
VU le décret n° 2023-2105 du 11 octobre 2023 portant 2023 convoquant le corps électoral pour le 25 février 2024 a été
répartition des services de l'Etat et du contrôle des établissements annulé par le Conseil constitutionnel par décision n° 1/C/2024 du
publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation 15 février 2024.
publique entre la Présidence de la République, la Primature et les Tenant compte de la fixation de la date de l'élection par le décret
ministères ; ci-haut cité, il convient de convoquer à nouveau le corps électoral.
VU la décision n° 60/E/2024 du Conseil constitutionnel du 05 Toutefois, les bulletins de vote des candidats et des imprimés
mars 2024 ; déjà réceptionnés et portant la mention de la date du 25 février
SUR le rapport du Ministre de l'Intérieur, 2024 sont maintenus pour ce scrutin.
Telle est l'économie du présent projet de décret.

DECRETE :
Article premier. - Le décret n° 2023-339 du 16 février
2023 portant fixation de la date de la prochaine élection LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE,
présidentielle est abrogé. VU la Constitution ;
Art. 2. - La date du prochain scrutin pour l'élection du VU le Code électoral ;
Président de la République est fixée au dimanche 24 mars VU le décret n° 2020-790 du 19 mars 2020 portant organisation
2024 sur l'ensemble du territoire national et à l'étranger du Ministère de l'Intérieur modifié par le décret n° 2020-2393 du
pour le vote des sénégalais de l'extérieur. 30 décembre 2020 ;

Art. 3. - Le Ministre de l'Intérieur, le Garde des VU le décret n° 2022-1787 du 26 septembre 2022 relatif aux
attributions du Ministre de l'Intérieur ;
Sceaux, Ministre de la Justice, le Ministre des Affaires
étrangères et des Sénégalais de l'Extérieur, le Ministre VU le décret n° 2024-690 du 06 mars 2024 fixant la date de
la prochaine élection présidentielle ;
des Forces armées et le Ministre des Finances et du
Budget sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de VU le décret n° 2023-2104 du 11 octobre 2023 portant nomination
l'exécution du présent décret qui sera publié au Journal des ministres et fixant la composition du Gouvernement ;
officiel. VU le décret n° 2023-2105 du 11 octobre 2023 portant
répartition des services de l'Etat et du contrôle des établissements
Fait à Dakar, le 06 mars 2024. publics, des sociétés nationales et des sociétés à participation
publique entre la Présidence de la République, la Primature et les
ministères ;
Par le Président de la République VU la décision du Conseil constitutionnel n°60/E/2024 du 05
mars 2024 ;
Macky SALL
SUR le rapport du Ministre de l'Intérieur,

Le Premier Ministre
DECRETE :
Amadou BA
Article premier. - Les électeurs sénégalais établis sur
le territoire national et ceux résidant à l'étranger sont
convoqués le dimanche 24 mars 2024 pour l'élection
présidentielle.
Art. 2. - Le scrutin est ouvert à 08 heures et clos à
18 heures.

390
07 mars 2024 JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE DU SENEGAL 293

Toutefois, pour faciliter aux électeurs l'exercice de leur Art. 4. - Le Ministre de l'Intérieur, le Garde des
droit de vote, le Gouverneur, le Préfet ou le Sous-préfet Sceaux, Ministre de la Justice, le Ministre des Affaires
peut prendre un arrêté afin de retarder l'heure de étrangères et des Sénégalais de l'Extérieur, le Ministre
clôture du scrutin dans l'ensemble ou une partie de la des Forces armées et le Ministre des Finances et du
circonscription électorale. Budget sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de
l'exécution du présent décret qui sera publié au Journal
A l'étranger, le chef de la représentation diplomatique
officiel.
ou consulaire peut prendre une décision afin d'avancer
l'heure d'ouverture ou de retarder l'heure de clôture du Fait à Dakar, le 06 mars 2024.
scrutin, selon les spécificités locales.
Ces décisions sont aussitôt affichées à l'entrée des
Par le Président de la République
bureaux de vote concernés.
Macky SALL
Art. 3. - Les bulletins de vote des candidats et des
imprimés déjà réceptionnés et portant la mention de la
date du 25 février 2024 sont maintenus pour ce scrutin. Le Premier Ministre
Amadou BA

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