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Conclusion générale

624. L’ordre économique et monétaire est l’ensemble des


règles et des institutions de l’Union européenne régissant, dans le
respect du principe d’économie de marché ouverte où la concur-
rence est libre, la conduite de la politique économique et moné-
taire. Il se distingue donc de l’ordre économique au sens clas-
sique du terme car, à la différence de celui-ci, il ne réglemente pas
les comportements et les activités des opérateurs économiques.
L’ordre économique et monétaire est l’ordre de la politique éco-
nomique et monétaire ; il est un « ordre macroéconomique »
dont la vocation est de produire un fait – la stabilité macroéco-
nomique exigée par le marché – permettant ainsi à l’Union euro-
péenne et aux États membres de préserver la capacité de mener
une politique économique et monétaire en économie de marché.
La conclusion de cette étude est celle d’un ordre économique et
monétaire en voie de formation dont le parachèvement signifie-
ra, à terme, l’émergence d’une politique économique et monétaire
européenne.
625. L’existence de l’ordre économique et monétaire peut
s’apprécier à l’aune de quatre caractéristiques : l’efficacité, l’uni-
té, la cohérence et la complétude (4545).
L’ordre ne peut exister que s’il est efficace ; autrement dit,
il faut que les sujets de droit se conduisent de la façon prescrite
par les règles. Se pose dès lors la question de la sanction de la vio-
lation des règles. L’efficacité induite par cette sanction constitue

(4545) L eben , « De quelques doctrines de l’ordre juridique », op. cit., pp. 29-35.

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en ce sens un élément constitutif de l’ordre. Or, pour l’ordre éco-


nomique et monétaire, il a été démontré que le non-respect des
règles juridiques de politique économique et monétaire ne fait pas
nécessairement l’objet d’une sanction. Néanmoins, à notre sens,
ces règles ont des effets de droit. Il faut alors admettre que l’ordre
économique et monétaire n’est pas tant un ordre de contrainte
qu’un ordre de pression. Celle-ci fait office de sanction dans cette
communauté d’un type nouveau que constitue la « société de
marché » incarnée par l’Union européenne. La « société de mar-
ché » est « la conséquence de l’entrée de l’ordre juridique com-
munautaire dans une logique de marché » en ce que les relations
sociales sont envisagées, à travers le prisme du traité, comme
des relations essentiellement marchandes (4546). Paradoxale-
ment, au moment où l’ordre juridique de l’Union dépasse la seule
constitution économique ordolibérale (par le développement d’un
droit épuré des relations marchandes : citoyenneté, immigration
et asile, etc.), se développe une approche macroéconomique de la
société de marché. L’ordre économique et monétaire peut appa-
raître dès lors comme le droit issu d’une « société de marché » qui
comprend non pas les individus, ou du moins indirectement, mais
les États membres et l’Union. L’ordre économique et monétaire
ne peut ainsi se comprendre comme pleinement juridique qu’à la
condition d’admettre que le droit le régissant est le produit de re-
lations établies par l’autorité publique, nationale ou européenne,
avec le marché. En conséquence, le droit de l’ordre économique
et monétaire est un droit mâtiné d’économie et de politique dans
lequel la pression exercée par le marché ou par les pairs se subs-
titue à la contrainte. Mais admettre cette pression, par essence
factuelle, ne revient-il pas à dépouiller l’ordre de sa teneur ju-
ridique ? Cela ne conduit-il pas à éluder la question du pouvoir
coercitif dans l’ordre économique et monétaire ? En effet, dans
l’acception classique de l’ordre juridique, celui-ci trouve son fon-
dement « dans le pouvoir, entendu comme pouvoir coercitif, i. e.
le pouvoir de faire respecter y compris en recourant à la force,
les normes édictées » (4547). Il faut admettre que, dans l’ordre
économique et monétaire, ce pouvoir prend une forme nouvelle.

(4546) M addalon , La notion de marché dans la jurisprudence de la Cour de justice des


Communautés européennes, op. cit., pp. 7-9 ; pp. 18-30.
(4547) B obbio , N., Teoria dell’ordinamento giuridico, Torino, Giappichelli, § 63, cité par
L eben , « De quelques doctrines de l’ordre juridique », op. cit., pp. 29-30.

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On réfute à cet égard l’hypothèse selon laquelle la pression exer-


cée par le marché ou le politique à l’encontre de l’autorité pu-
blique serait juridique ; si cette pression existe, elle demeure du
royaume des faits. La pression dans l’ordre économique et moné-
taire repose sur une contrainte juridique d’un genre particulier.
Plus exactement, elle prend la forme d’une auto-contrainte. Les
règles de politique économique et monétaire s’imposent en effet
à l’autorité politique pour tenir compte de la contrainte de fait
imposée par l’économie et le politique. C’est, ce faisant, mettre en
évidence « le principe essentiel que doit respecter, que doit suivre
tout gouvernement en matière économique » et que Michel Fou-
cault appelle le néo-libéralisme : ce « nouveau type de rationalité
dans l’art de gouverner » qui implique une « autolimitation de la
raison gouvernementale » (4548). L’ordre économique et moné-
taire peut alors être compris comme l’expression d’un « biopou-
voir », c’est-à-dire d’un gouvernement qui gouverne moins, par
souci d’efficacité maximum, mais davantage en fonction de la na-
turalité des phénomènes – en l’occurrence l’économie – auxquels
on est confronté (4549). Le gouvernement s’impose une autolimi-
tation par des règles de politique économique et monétaire qui,
seules, lui permettent de créer une situation de fait permettant
de maîtriser les phénomènes économiques. La pression factuelle
précédemment évoquée devient juridique en ce que l’autorité po-
litique s’assigne des règles juridiques qu’il doit respecter, règles
dont la substance est déterminée par le fait économique. En ce
sens, la constitution « macroéconomique » est à l’ordre écono-
mique et monétaire ce que l’État de droit est à l’ordre juridique ;
elle est l’État de droit économique (4550).
L’unité est une deuxième caractéristique de l’ordre. Elle
assure l’existence d’un système, c’est à dire d’un ensemble struc-
turé où chaque élément trouve sa place vis-à-vis des autres et
vis-à-vis du système lui-même ; ces liens permettent de conclure
à l’existence d’un ordre qui ne se limite pas à une simple somme
de ses composantes, mais constitue une réalité à part entière.
L’Union et les États membres exercent des compétences et des
pouvoirs en matière de politique économique et monétaire. Mais,

(4548) F oucault , « Leçon du 10 janvier 1979 », Naissance de la biopolitique, op. cit.,


pp. 22-23.
(4549) Ibid.
(4550) Voy. sur ce point F oucault , Naissance de la Biopolitique, op. cit., p. 178.

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la répartition des compétences s’avère asymétrique et l’organisa-


tion institutionnelle repose sur un équilibre juridique qui conduit
à un déséquilibre politique. Toute la difficulté réside dès lors dans
l’articulation entre les volets économique et monétaire de l’ordre.
L’unité fait partiellement défaut à l’ordre économique et moné-
taire ; on pourrait même conclure à l’existence de deux sous-en-
sembles, l’un économique, l’autre monétaire, de sorte que l’em-
ploi de la conjonction de coordination « et » pourrait apparaître
inadapté. On soulignera au demeurant un paradoxe de l’ordre
économique et monétaire européen. Le Traité attribue à l’Union
une compétence exclusive constitutionnelle en matière de poli-
tique monétaire et de change. Néanmoins, en ces matières, la dis-
cipline du marché est « ce qu’il faut appeler politique » (4551).
Aussi l’euro s’apparente-t-il à une monnaie « apolitisée » (4552) et
la BCE à « un roi qui ne gouverne pas » (4553). Les États membres
mènent leur politique budgétaire et économique dans le respect
des règles de discipline et convergence. Ces règles, si elles per-
mettent de maîtriser des phénomènes économiques (contrainte
du marché, coordination en Union économique et monétaire)
et de réaliser un projet politique (marché commun, passage à la
troisième phase), réduisent la marge de manœuvre des gouverne-
ments nationaux. Le salut, c’est à dire le gage d’unité, ne peut dès
lors venir que des pouvoirs d’orientation des politiques écono-
miques conférés par l’article 121 TFUE à l’Union.
Le défaut partiel d’unité peut en effet être pallié par le troi-
sième élément de l’ordre : la cohérence. Celle-ci permet de préve-
nir et de remédier à l’incompatibilité entre des éléments consti-
tutifs de l’ordre. Elle implique donc l’intervention d’une autorité
qui garantit la compatibilité entre les différentes composantes de
l’ordre. Dans l’ordre économique et monétaire, cette cohérence
est le fruit de l’agencement des règles européenne d’objectif, des
règles d’encadrement et des règles opérationnelles qui s’imposent
à l’exercice des pouvoirs de politique économique et monétaire.
À cet égard, les instruments garantissant cette mise en cohé-
rence existent dans l’ordre économique et monétaire. En effet,

(4551) C aye , « Pouvoir et monnaie, Du marché à la souveraineté », op. cit., p. 185.


(4552) Voy. I ssing , O., « Les statuts de la Banque centrale et la politique monétaire dé-
politisée », Commentaire, automne 1998, n° 83, pp. 808-810 ; T ietmeyer , H., « L’euro : une
monnaie dénationalisée et dépolitisée », Commentaire, printemps 1998, n° 81, pp. 268-271.
(4553) P redieri , « Non solo di euro », op. cit., p. 18.

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l’article 121 TFUE dote le Conseil de pouvoirs de coordination


dont la mise en œuvre peut permettre d’orienter l’ensemble des
règles formant l’ordre économique et monétaire vers des objec-
tifs de croissance et d’emploi. C’est là la garantie d’une « conver-
gence positive » des politiques économiques dans l’Union eu-
ropéenne. L’enjeu est de taille : il s’agit de doter l’Union d’une
véritable « programmation de politique économique générale »,
résurgence d’une planification indicative adaptée à l’économie de
marché ouverte où la concurrence est libre. Cette programma-
tion pose la question du quatrième élément caractéristique d’un
ordre : la complétude.
L’ordre économique et monétaire est-il complet ? Poser la
question de la complétude de l’ordre économique et monétaire
conduit à une confrontation avec la définition de politique écono-
mique. Selon le Président Chenot, « institutions et règles sont les
procédés que le pouvoir a employés pour atteindre certains buts,
dont l’ensemble caractérise, après coup, une politique écono-
mique » (4554). L’ordre économique et monétaire caractérise-t-il,
après coup, une « politique économique générale » européenne ?
Définie comme l’action cohérente de l’autorité publique sur l’en-
semble de l’économie, la politique économique ne connaît pas de
confins matériels. Elle est donc irréductible à toute tentative de
répartition matérielle des compétences de sorte qu’elle se heurte
à une limite : tenue par le principe d’attribution posé par l’article 5
TUE, l’Union européenne ne dispose pas de la compétence de la
compétence. Elle est dépourvue du pouvoir de décider dans tous
les cas, ici, d’adopter des actes juridiques ayant pour seul fon-
dement leur rattachement à la politique économique. En consé-
quence, l’ordre économique et monétaire ne peut s’épanouir qu’à
la condition de ne pas se cantonner aux dispositions du titre VIII
de la troisième partie du traité ; mieux, il est question de dépas-
ser un raisonnement mené strictement en termes de compétence.
Là encore, ce sont les pouvoirs de coordination consacrés par
l’article 121 du traité qui permettent de dépasser les limites maté-
rielles du titre VIII. En instrumentalisant l’ensemble des pouvoirs
ayant un impact sur la politique économique dévolus à l’Union et
aux États membres, les règles de « convergence positive », dont
la thèse a défendu l’existence, permettent l’émergence d’une po-

(4554) C henot , Organisation économique de l’État, op. cit., p. 11.

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litique économique européenne posant la question d’une souve-


raineté européenne. Cependant, à défaut d’un pouvoir politique
européen, ces règles de « convergence positive » risquent de
n’avoir qu’un effet d’orientation limité. M. Everling avait tenu des
propos, à la lettre désuette mais à l’esprit précurseur,
« en réalité, l’interventionnisme et la planification ne se
heurtent pas à des difficultés et à des limitations parce qu’ils
ne correspondraient pas à un prétendu type d’organisation
économique proscrit par le traité, mais bien plutôt parce qu’il
n’existe pas de pouvoir souverain pour les décider et les mettre
en application » (4555).
Aucun pouvoir politique européen ne définit, ni ne conduit
un ensemble cohérent d’actions destinées à donner une orienta-
tion globale à l’économie. L’action économique et monétaire de
l’Union ne s’inscrit pas dans une structure de sens global, qui lui
permettrait d’accéder au label de « politique ». À la politique éco-
nomique et monétaire européenne fait encore défaut un « référen-
tiel » au sens de l’analyse des politiques publiques, c’est-à-dire un
espace de sens qui donne le monde à voir (4556), autrement dit
un projet politique. Dès lors, aussi longtemps que sa composante
institutionnelle demeurera faible, l’ordre économique et moné-
taire, à défaut de porter une politique, restera une technique.
626. La patience est une vertu nécessaire lorsque la
construction politique de l’Europe est en cause. C’est essentiel-
lement de l’inachèvement de l’espace public européen que la
formation d’un pouvoir politique en Europe pâtit. Or, esquisser
une politique économique générale, ne serait-ce qu’au stade de
balbutiements, n’est-ce pas là provoquer un débat public qui, à
son tour, permet l’apparition d’une communauté politique euro-
péenne ? Aussi débattre de la politique monétaire et de change,
de la rigueur excessive du Pacte de stabilité et de croissance ou
encore de la pusillanimité de l’action en faveur de la croissance
et de l’emploi, ne relève pas que de la rhétorique – voire de la
démagogie – politique. Au-delà de la pertinence des arguments,
on admettra que les critiques émises à l’encontre de l’action de

(4555) E verling , U., « Institutional Aspects of a European Economic and Monetary Union »,
CMLR, vol. 8, 1971, n° 4, p. 588.
(4556) M uller , P., « Les politiques publiques comme construction d’un rapport au monde »,
in F aure , A., P ollet , G., W arrin , P., La construction du sens dans les politiques publiques.
Débats autour de la notion de référentiel, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 159.

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l’Union en matière économique et monétaire alimentent un débat


transnational, terreau de l’espace public et donc, à terme, d’un
pouvoir politique représentant une communauté d’individus. On
peut reprendre la réflexion du philosophe Jürgen Habermas qui
a souligné l’« effet catalyseur » du débat sur la Constitution eu-
ropéenne (4557). Le philosophe répondait ainsi au juge consti-
tutionnel allemand, Dieter Grimm, lequel niait que l’Union euro-
péenne puisse se doter d’une Constitution, à défaut de disposer
d’un demos. Or, pour Jürgen Habermas, le débat suscité par cette
Constitution avait un « effet catalyseur » pour la communauté po-
litique européenne (4558).
Le débat est à présent réouvert à l’heure de la reconnais-
sance croissante des potentialités de l’article 4, paragraphe 2,
UE selon lequel l’Union européenne respecte l’identité nationale
des États membres (4559). La perspective demeure celle déga-
gée en introduction : l’ordre économique et monétaire s’enracine
dans l’exercice par l’État membre de l’Union européenne de sa
compétence de la compétence. Il n’en demeure pas moins que
la politique économique peut être européenne, car fondée sur
une action à la fois européenne et nationale ; « une politique éco-
nomique commune dont la stratégie serait communautaire et la
tactique nationale » (4560). L’ordre économique et monétaire est
alors un ordre à double niveau, avec l’Union, d’une part, l’État
membre, d’autre part, les rapports entre ces deux niveaux étant
régis par le principe d’intégration. On peut donc dire que la sou-
veraineté économique et monétaire de l’État membre de l’Union
européenne est une souveraineté nationale intégrée dans l’Union.
C’est peut-être la voie d’une reconnaissance européenne de mo-
dèles économiques et sociaux nationaux qui, par leur intégration
dans l’ordre juridique de l’Union, conduisent à décliner en termes
économiques et sociaux la devise européenne de l’unité dans la
diversité.

(4557) H abermas , J., « Why Europe needs a Constitution », New Left Review, 11, sept.-
oct. 2001, pp. 5-26.
(4558) G rimm , D., « Braucht Europa eine Verfassung? », JZ, 1995, 12, pp. 581-591 ;
H abermas , J., « Remarks on Dieter Grimm’s, Does Europe need a Constitution? », ELJ,
3/1995, pp. 303-307.
(4559) Art. 4, § 2 TUE.
(4560) C onstantinesco , Compétences et pouvoirs dans les Communautés européennes,
op. cit., p. 203.

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627. L’enjeu est de taille. Il y va de la permanence du po-


litique face à l’économique. Georges Burdeau avait pressenti, en
systématisant les relations entre le pouvoir financier et le pouvoir
politique, que ces deux pouvoirs entrent en concurrence ; pire,
« la finance pénètre à l’intérieur du politique. Elle va
tendre à le coloniser, c’est-à-dire pratiquement à ériger en but
du pouvoir politique la réalisation d’un type de société dont l’or-
donnancement sera conçu et garanti en fonction des impératifs
de l’argent. En somme, l’argent va pénétrer le pouvoir jusqu’à
lui faire prendre comme objectif la construction, le maintien
ou la sauvegarde d’une société où l’argent se trouve à l’aise.
(…). Le pouvoir financier cesse d’être hétérogène par rapport
au pouvoir politique, il cesse de l’assiéger par l’extérieur, d’être
le quémandeur » (4561).
Aussi vient à l’esprit le mot tiré de La Dame aux Camélias
d’Alexandre Dumas. « N’estime l’argent ni plus ni moins qu’il ne
vaut : c’est un bon serviteur et un mauvais maître ». Le spectre
d’un désenchantement du monde cher à Max Weber guette. Dans
son analyse de l’éthique protestante, le penseur allemand a souli-
gné que le capitalisme n’a été, pour les protestants, qu’un moyen –
accumuler de la richesse – au service d’une fin – obtenir un suc-
cès économique – signe de la grâce divine et preuve du salut des
âmes (4562). Seulement, cette dialectique des moyens et des fins
ne dure qu’un temps, avant d’être vidée de sa substance. Au mo-
ment même où l’affinité élective entre l’accumulation de richesses
et le religieux a triomphé, elle a été dévorée par ce qu’elle a créé ;
elle ne s’explique plus par une fin religieuse. Le capitalisme, une
fois installé, ne s’est plus encombré d’une aura spirituelle. Il se ra-
tionalise et devient une fin en soi, une « cage d’acier », car il ne se
justifie plus que par la raison économique (4563). Créé pour libé-
rer la politique économique et monétaire de la contrainte du mar-
ché, l’ordre économique et monétaire ne doit pas devenir, pour
l’Union et les États membres, une technique, une « cage d’acier »
nourrie par la seule rationalité économique. Or, c’est uniquement

(4561) B urdeau , G., « Pouvoir politique et pouvoir financier (essai de systématisation de


leurs relations) », in Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, Théorie générale du droit, t. 1,
Bruxelles, Bruylant, Paris, Sirey, 1963, p. 41.
(4562) W eber , M., L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 2 e éd., 1967,
spéc. pp. 186-227.
(4563) Ibid., pp. 223-224. Voy. aussi B ouretz , P., Les promesses du monde. Philosophie de
Max Weber, Paris, Gallimard, 1996, Chapitre IX.

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en donnant à cet ordre, une aura politique, qu’on peut lui éviter de
connaître les affres du « désenchantement du monde ». Le souffle
politique ne peut venir que d’une identité européenne ; identité,
on pense dès lors à Fernand Braudel à l’identité de la France, à
« la monnaie du roi qui a fait le roi » ; identité européenne d’au-
tant plus nécessaire que, pour l’instant, si l’Union a conquis sa
monnaie, l’euro a fait un Roi, mais un Roi nu face aux marchés,
un Ubu Roi qui appauvrit les peuples, un Roi qui politiquement se
meurt.

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